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L’ART DE e-Book offert par SIMPLE CRM
LA GUERRE http://crm-pour-pme.fr
L'Art de la guerre
Sun Tzu
(544–496 av. J.-C.)
Traduction de Joseph-Marie Amiot (1772)
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De l’importance de ce livre Que ce soit dans son best-seller consacré à l’e-management « Mieux
gérer votre entreprise grâce à la mise en place d’outils e-
management » (ISBN: 978-2-87496-204-2) ou dans son ouvrage consacré
au bonheur « 24 heures pour être plus heureux au travail » (disponible
désormais gratuitement sur http://www.je-suis-heureux.tk), l’auteur et CEO
de SIMPLE CRM (http://crm-pour-pme.fr) Brice Cornet, s’est toujours
plu à citer et analyser « L’Art de la guerre » de Sun Tzu.
Pour ce spécialiste de la gestion d’entreprise, cette bible de la
stratégie s’applique tant à la vie professionnelle que personnelle car
comme l’a écrit Sun Tzu il y a 2500 ans : « le commandement du
grand nombre est le même que pour le petit nombre, ce n'est qu'une
question d'organisation. Contrôler le grand et le petit nombre n'est
qu'une seule et même chose… ».
Attaché à la notion de traduction dépouillée, vierge de commentaires
fermant la porte aux réflexions personnelles, Brice Cornet transmet
ici la traduction originale de 1772, réalisée par le jésuite Joseph-
Marie Amiot, laissant ainsi le lecteur libre d’intérioriser cet écrit et de
créer sa propre interprétation de l’œuvre.
«Ceux qui n’ont pas l’esprit libre ont des pensées toujours confuses.» Anton Tchekhov
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L’auteur
Sun Tzu ou Sun Zi ou Souen Tseu (chinois : 孫子, pinyin : sūn zǐ, Wade-Giles
: sun1 tzu3, prononcé /suən.ts/̩, signifie « maître Sun ») de son vrai nom Sun
Wu (孫武, Sūn Wǔ, sun1 wu3, wǔ signifiant « militaire », « martial ») est un
général chinois du VIe siècle av. J.-C. (544–496 av. J.-C.).
Il est surtout célèbre en tant qu'auteur de l'ouvrage de stratégie
militaire le plus ancien connu : L'Art de la guerre.
Les idées de L'Art de la guerre ont été reprises et adaptées par
différents auteurs pour la stratégie et notamment la stratégie
d'entreprise.
Les deux ouvrages détaillant le plus les exploits de Sun Zi sont Les
mémoires historiques (ou Shiji1), de Sima Qian, et les Annales des
Printemps et des Automnes de Zhao Ye.
Il y est présenté comme un stratège militaire de la fin de la période
des Printemps et des Automnes, général de l'État de Wu sous le
règne du roi He Lu.
Ce serait lui qui aurait conçu l'attaque de Wu contre l'État de Chu.
Des auteurs plus anciens, de la dynastie Han, mentionnent également
Sun Zi en tant que stratège militaire (Xunzi et Han Fei) mais sans
précision particulière sur l'auteur.
Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Sun_Tzu
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Le traducteur
Joseph-Marie Amiot, né le 8 février 1718 à Toulon (France) et décédé
le 8 octobre 1793 à Pékin (Chine), est un prêtre jésuite, astronome et
historien français, missionnaire en Chine. Il fut l'un des derniers
survivants de la Mission jésuite en Chine.
Amiot étudia le chinois et le mandchou (alors langue officielle imposée
par la dynastie Qing au pouvoir). Il est l’auteur d’une grammaire et
dictionnaire mandchou. Il se passionna pour tout ce qui était chinois :
coutumes, langues et dialectes, histoire et musique. Il prit à son
service un jeune Chinois qu’il forma aux méthodes scientifiques
européennes et c’est avec lui que pendant 31 ans il publia ses écrits.
Outre le travail habituel de la publication des bulletins astronomiques
Amiot poussa la recherche dans le domaine du magnétisme et
s’occupa de la formation d’hommes de science chinois.
C’est lui qui a traduit et introduit en Europe en 1772 le livre,
considéré comme fondateur de la stratégie, l'Art de la guerre de Sun
Tzu, sous le titre les treize articles.
Source: http://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph-Marie_Amiot
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Table des matières
Article I : De l’évaluation
Article II : De l’engagement
Article III : Des propositions de la victoire et de la défaite
Article IV : De la mesure dans la disposition des moyens
Article V : De la contenance
Article VI : Du plein et du vide
Article VII : De l’affrontement direct et indirect
Article VIII : Des neuf changements
Article IX : De la distribution des moyens
Article X : De la topologie
Article XI : Des neuf sortes de terrain
Article XII : De l’art d’attaquer par le feu
Article XIII : De la concorde et de la discorde
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Article I : De l’évaluation
Sun Tzu dit : La guerre est d’une importance vitale pour l’État. C’est le
domaine de la vie et de la mort : la conservation ou la perte de
l’empire en dépendent ; il est impérieux de le bien régler. Ne pas
faire de sérieuses réflexions sur ce qui le concerne, c’est faire preuve
d’une coupable indifférence pour la conservation ou pour la perte de
ce qu’on a de plus cher, et c’est ce qu’on ne doit pas trouver parmi
nous.
Cinq choses principales doivent faire l’objet de nos continuelles
méditations et de tous nos soins, comme le font ces grands artistes
qui, lorsqu’ils entreprennent quelque chef-d’œuvre, ont toujours
présent à l’esprit le but qu’ils se proposent, mettent à profit tout ce
qu’ils voient, tout ce qu’ils entendent, ne négligent rien pour acquérir
de nouvelles connaissances et tous les secours qui peuvent les
conduire heureusement à leur fin.
Si nous voulons que la gloire et les succès accompagnent nos armes,
nous ne devons jamais perdre de vue : la doctrine, le temps, l’espace,
le commandement, la discipline.
La doctrine fait naître l’unité de penser ; elle nous inspire une même
manière de vivre et de mourir, et nous rend intrépides et
inébranlables dans les malheurs et dans la mort.
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Si nous connaissons bien le temps, nous n’ignorerons point ces deux
grands principes Yin et Yang par lesquels toutes les choses naturelles
sont formées et par lesquels les éléments reçoivent leurs différentes
modifications ; nous saurons le temps de leur union et de leur mutuel
concours pour la production du froid, du chaud, de la sérénité ou de
l’intempérie de l’air.
L’espace n’est pas moins digne de notre attention que le temps ;
étudions le bien, et nous aurons la connaissance du haut et du bas,
du loin comme du près, du large et de l’étroit, de ce qui demeure et
de ce qui ne fait que passer.
J’entends par commandement, l’équité, l’amour pour ceux en
particulier qui nous sont soumis et pour tous les hommes en général ;
la science des ressources, le courage et la valeur, la rigueur, telles
sont les qualités qui doivent caractériser celui qui est revêtu de la
dignité de général ; vertus nécessaires pour l’acquisition desquelles
nous ne devons rien négliger : seules elles peuvent nous mettre en
état de marcher dignement à la tête des autres.
Aux connaissances dont je viens de parler, il faut ajouter celle de la
discipline. Posséder l’art de ranger les troupes ; n’ignorer aucune des
lois de la subordination et les faire observer à la rigueur ; être instruit
des devoirs particuliers de chacun de nos subalternes ; savoir
connaître les différents chemins par où on peut arriver à un même
terme ; ne pas dédaigner d’entrer dans un détail exact de toutes les
choses qui peuvent servir, et se mettre au fait de chacune d’elles en
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particulier. Tout cela ensemble forme un corps de discipline dont la
connaissance pratique ne doit point échapper à la sagacité ni aux
attentions d’un général.
Vous donc que le choix du prince a placé à la tête des armées, jetez
les fondements de votre science militaire sur les cinq principes que je
viens d’établir. La victoire suivra partout vos pas : vous n’éprouverez
au contraire que les plus honteuses défaites si, par ignorance ou par
présomption, vous venez à les omettre ou à les rejeter.
Les connaissances que je viens d’indiquer vous permettront de
discerner, parmi les princes qui gouvernent le monde, celui qui a le
plus de doctrine et de vertus ; vous connaîtrez les grands généraux
qui peuvent se trouver dans les différents royaumes, de sorte que
vous pourrez conjecturer assez sûrement quel est celui des deux
antagonistes qui doit l’emporter ; et si vous devez entrer vous-même
en lice, vous pourrez raisonnablement vous flatter de devenir
victorieux.
Ces mêmes connaissances vous feront prévoir les moments les plus
favorables, le temps et l’espace étant conjugués, pour ordonner le
mouvement des troupes et les itinéraires qu’elles devront suivre, et
dont vous réglerez à propos toutes les marches. Vous ne
commencerez ni ne terminerez jamais la campagne hors de saison.
Vous connaîtrez le fort et le faible, tant de ceux qu’on aura confiés à
vos soins que des ennemis que vous aurez à combattre. Vous saurez
en quelle quantité et dans quel état se trouveront les munitions de
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guerre et de bouche des deux armées, vous distribuerez les
récompenses avec libéralité, mais avec choix, et vous n’épargnerez
pas les châtiments quand il en sera besoin.
Admirateurs de vos vertus et de vos capacités, les officiers généraux
placés sous votre autorité vous serviront autant par plaisir que par
devoir. Ils entreront dans toutes vos vues, et leur exemple entraînera
infailliblement celui des subalternes, et les simples soldats
concourront eux-mêmes de toutes leurs forces à vous assurer les plus
glorieux succès.
Estimé, respecté, chéri des vôtres, les peuples voisins viendront avec
joie se ranger sous les étendards du prince que vous servez, ou pour
vivre sous ses lois, ou pour obtenir simplement sa protection.
Également instruit de ce que vous pourrez et de ce que vous ne
pourrez pas, vous ne formerez aucune entreprise qui ne puisse être
menée à bonne fin. Vous verrez, avec la même pénétration, ce qui
sera loin de vous comme ce qui se passera sous vos yeux, et ce qui se
passera sous vos yeux comme ce qui en est le plus éloigné.
Vous profiterez de la dissension qui surgit chez vos ennemis pour
attirer les mécontents dans votre parti en ne leur ménageant ni les
promesses, ni les dons, ni les récompenses.
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Si vos ennemis sont plus puissants et plus forts que vous, vous ne les
attaquerez point, vous éviterez avec un grand soin ce qui peut
conduire à un engagement général ; vous cacherez toujours avec une
extrême attention l’état où vous vous trouverez.
Il y aura des occasions ou vous vous abaisserez, et d’autres où vous
affecterez d’avoir peur. Vous feindrez quelquefois d’être faible afin
que vos ennemis, ouvrant la porte à la présomption et à l’orgueil,
viennent ou vous attaquer mal à propos, ou se laissent surprendre
eux-mêmes et tailler en pièces honteusement. Vous ferez en sorte
que ceux qui vous sont inférieurs ne puissent jamais pénétrer vos
desseins. Vous tiendrez vos troupes toujours alertes, toujours en
mouvement et dans l’occupation, pour empêcher qu’elles ne se
laissent amollir par un honteux repos.
Si vous prêtez quelque intérêt aux avantages de mes plans, faites en
sorte de créer des situations qui contribuent à leur accomplissement.
J’entends par situation que le général agisse à bon escient, en
harmonie avec ce qui est avantageux, et, par là-même, dispose de la
maîtrise de l’équilibre.
Toute campagne guerrière doit être réglée sur le semblant ; feignez le
désordre, ne manquez jamais d’offrir un appât à l’ennemi pour le
leurrer, simulez l’infériorité pour encourager son arrogance, sachez
attiser son courroux pour mieux le plonger dans la confusion : sa
convoitise le lancera sur vous pour s’y briser.
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Hâtez vos préparatifs lorsque vos adversaires se concentrent ; là où
ils sont puissants, évitez-les.
Plongez l’adversaire dans d’inextricables épreuves et prolongez son
épuisement en vous tenant à distance ; veillez à fortifier vos alliances
au-dehors, et à affermir vos positions au-dedans par une politique de
soldats-paysans.
Quel regret que de tout risquer en un seul combat, en négligeant la
stratégie victorieuse, et faire dépendre le sort de vos armes d’une
unique bataille !
Lorsque l’ennemi est uni, divisez-le ; et attaquez là où il n’est point
préparé, en surgissant lorsqu’il ne vous attend point. Telles sont les
clefs stratégiques de la victoire, mais prenez garde de ne point les
engager par avance.
Que chacun se représente les évaluations faites dans le temple, avant
les hostilités, comme des mesures : elles disent la victoire lorsqu’elles
démontrent que votre force est supérieure à celle de l’ennemi ; elles
indiquent la défaite lorsqu’elles démontrent qu’il est inférieur en
force.
Considérez qu’avec de nombreux calculs on peut remporter la
victoire, redoutez leur insuffisance. Combien celui qui n’en fait point
a peu de chances de gagner !
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C’est grâce à cette méthode que j’examine la situation, et l’issue
apparaîtra clairement.
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Article II : De l’engagement
Sun Tzu dit : Je suppose que vous commencez la campagne avec une
armée de cent mille hommes, que vous êtes suffisamment pourvu
des munitions de guerre et de bouche, que vous avez deux mille
chariots, dont mille sont pour la course, et les autres uniquement
pour le transport ; que jusqu’à cent lieues de vous, il y aura partout
des vivres pour l’entretien de votre armée ; que vous faites
transporter avec soin tout ce qui peut servir au raccommodage des
armes et des chariots ; que les artisans et les autres qui ne sont pas
du corps des soldats vous ont déjà précédé ou marchent séparément
à votre suite ; que toutes les choses qui servent pour des usages
étrangers, comme celles qui sont purement pour la guerre, sont
toujours à couvert des injures de l’air et à l’abri des accidents fâcheux
qui peuvent arriver.
Je suppose encore que vous avez mille onces d’argent à distribuer
aux troupes chaque jour, et que leur solde est toujours payée à
temps avec la plus rigoureuse exactitude. Dans ce cas, vous pouvez
aller droit à l’ennemi. L’attaquer et le vaincre seront pour vous une
même chose.
Je dis plus : ne différez pas de livrer le combat, n’attendez pas que
vos armes contractent la rouille, ni que le tranchant de vos épées
s’émousse. La victoire est le principal objectif de la guerre.
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S’il s’agit de prendre une ville, hâtez-vous d’en faire le siège ; ne
pensez qu’à cela, dirigez là toutes vos forces ; il faut ici tout brusquer
; si vous y manquez, vos troupes courent le risque de tenir longtemps
la campagne, ce qui sera une source de funestes malheurs.
Les coffres du prince que vous servez s’épuiseront, vos armes
perdues par la rouille ne pourront plus vous servir, l’ardeur de vos
soldats se ralentira, leur courage et leurs forces s’évanouiront, les
provisions se consumeront, et peut-être même vous trouverez-vous
réduit aux plus fâcheuses extrémités.
Instruits du pitoyable état où vous serez alors, vos ennemis sortiront
tout frais, fondront sur vous, et vous tailleront en pièces. Quoique
jusqu’à ce jour vous ayez joui d’une grande réputation, désormais
vous aurez perdu la face. En vain dans d’autres occasions aurez-vous
donné des marques éclatantes de votre valeur, toute la gloire que
vous aurez acquise sera effacée par ce dernier trait.
Je le répète : On ne saurait tenir les troupes longtemps en campagne,
sans porter un très grand préjudice à l’État et sans donner une
atteinte mortelle à sa propre réputation.
Ceux qui possèdent les vrais principes de l’art militaire ne s’y
prennent pas à deux fois. Dès la première campagne, tout est fini ; ils
ne consomment pas pendant trois années de suite des vivres
inutilement. Ils trouvent le moyen de faire subsister leurs armées aux
dépens de l’ennemi, et épargnent à l’État les frais immenses qu’il est
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obligé de faire, lorsqu’il faut transporter bien loin toutes les
provisions.
Ils n’ignorent point, et vous devez le savoir aussi, que rien n’épuise
tant un royaume que les dépenses de cette nature ; car que l’armée
soit aux frontières, ou qu’elle soit dans les pays éloignés, le peuple en
souffre toujours ; toutes les choses nécessaires à la vie augmentent
de prix, elles deviennent rares, et ceux même qui, dans les temps
ordinaires, sont le plus à leur aise n’ont bientôt plus de quoi les
acheter.
Le prince perçoit en hâte le tribut des denrées que chaque famille lui
doit ; et la misère se répandant du sein des villes jusque dans les
campagnes, des dix parties du nécessaire on est obligé d’en
retrancher sept. Il n’est pas jusqu’au souverain qui ne ressente sa
part des malheurs communs. Ses cuirasses, ses casques, ses flèches,
ses arcs, ses boucliers, ses chars, ses lances, ses javelots, tout cela se
détruira. Les chevaux, les bœufs même qui labourent les terres du
domaine dépériront, et, des dix parties de sa dépense ordinaire, se
verra contraint d’en retrancher six.
C’est pour prévenir tous ces désastres qu’un habile général n’oublie
rien pour abréger les campagnes, et pour pouvoir vivre aux dépens
de l’ennemi, ou tout au moins pour consommer les denrées
étrangères, à prix d’argent, s’il le faut.
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Si l’armée ennemie a une mesure de grain dans son camp, ayez-en
vingt dans le vôtre ; si votre ennemi a cent vingt livres de fourrage
pour ses chevaux, ayez-en deux mille quatre cents pour les vôtres. Ne
laissez échapper aucune occasion de l’incommoder, faites-le périr en
détail, trouvez les moyens de l’irriter pour le faire tomber dans
quelque piège ; diminuez ses forces le plus que vous pourrez, en lui
faisant faire des diversions, en lui tuant de temps en temps quelque
parti, en lui enlevant de ses convois, de ses équipages, et d’autres
choses qui pourront vous être de quelque utilité.
Lorsque vos gens auront pris sur l’ennemi au-delà de dix chars,
commencez par récompenser libéralement tant ceux qui auront
conduit l’entreprise que ceux qui l’auront exécutée. Employez ces
chars aux mêmes usages que vous employez les vôtres, mais
auparavant ôtez-en les marques distinctives qui pourront s’y trouver.
Traitez bien les prisonniers, nourrissez-les comme vos propres soldats
; faites en sorte, s’il se peut, qu’ils se trouvent mieux chez vous qu’ils
ne le seraient dans leur propre camp, ou dans le sein même de leur
patrie. Ne les laissez jamais oisifs, tirez parti de leurs services avec les
défiances convenables, et, pour le dire en deux mots, conduisez-vous
à leur égard comme s’ils étaient des troupes qui se fussent enrôlées
librement sous vos étendards. Voilà ce que j’appelle gagner une
bataille et devenir plus fort.
Si vous faites exactement ce que je viens de vous indiquer, les succès
accompagneront tous vos pas, partout vous serez vainqueur, vous
ménagerez la vie de vos soldats, vous affermirez votre pays dans ses
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anciennes possessions, vous lui en procurerez de nouvelles, vous
augmenterez la splendeur et la gloire de l’État, et le prince ainsi que
les sujets vous seront redevables de la douce tranquillité dans
laquelle ils couleront désormais leurs jours.
L’essentiel est dans la victoire et non dans les opérations prolongées.
Le général qui s’entend dans l’art de la guerre est le ministre du
destin du peuple et l’arbitre de la destinée de la victoire.
Quels objets peuvent être plus dignes de votre attention et de tous
vos efforts !
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Article III : Des propositions de
la victoire et de la défaite
Sun Tzu dit : Voici quelques maximes dont vous devez être pénétré
avant que de vouloir forcer des villes ou gagner des batailles.
Conserver les possessions et tous les droits du prince que vous
servez, voilà quel doit être le premier de vos soins ; les agrandir en
empiétant sur les ennemis, c’est ce que vous ne devez faire que
lorsque vous y serez forcé.
Veiller au repos des villes de votre propre pays, voilà ce qui doit
principalement vous occuper ; troubler celui des villes ennemies, ce
ne doit être que votre pis-aller.
Mettre à couvert de toute insulte les villages amis, voilà ce à quoi
vous devez penser ; faire des irruptions dans les villages ennemis,
c’est ce à quoi la nécessité seule doit vous engager.
Empêcher que les hameaux et les chaumières des paysans ne
souffrent le plus petit dommage, c’est ce qui mérite également votre
attention ; porter le ravage et dévaster les installations agricoles de
vos ennemis, c’est ce qu’une disette de tout doit seule vous faire
entreprendre.
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Conserver les possessions des ennemis est ce que vous devez faire en
premier lieu, comme ce qu’il y a de plus parfait ; les détruire doit être
l’effet de la nécessité. Si un général agit ainsi, sa conduite ne différera
pas de celle des plus vertueux personnages ; elle s’accordera avec le
Ciel et la Terre, dont les opérations tendent à la production et à la
conservation des choses plutôt qu’à leur destruction.
Ces maximes une fois bien gravées dans votre cœur, je suis garant du
succès.
Je dis plus : la meilleure politique guerrière est de prendre un État
intact ; une politique inférieure à celle-ci consisterait à le ruiner.
Il vaut mieux que l’armée de l’ennemi soit faite prisonnière plutôt
que détruite ; il importe davantage de prendre un bataillon intact que
de l’anéantir.
Eussiez-vous cent combats à livrer, cent victoires en seraient le fruit.
Cependant ne cherchez pas à dompter vos ennemis au prix des
combats et des victoires ; car, s’il y a des cas où ce qui est au-dessus
du bon n’est pas bon lui-même, c’en est ici un où plus on s’élève au-
dessus du bon, plus on s’approche du pernicieux et du mauvais.
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Il faut plutôt subjuguer l’ennemi sans donner bataille : ce sera là le
cas où plus vous vous élèverez au-dessus du bon, plus vous
approcherez de l’incomparable et de l’excellent.
Les grands généraux en viennent à bout en découvrant tous les
artifices de l’ennemi, en faisant avorter tous ses projets, en semant la
discorde parmi ses partisans, en les tenant toujours en haleine, en
empêchant les secours étrangers qu’il pourrait recevoir, et en lui
ôtant toutes les facilités qu’il pourrait avoir de se déterminer à
quelque chose d’avantageux pour lui.
Sun Tzu dit : Il est d’une importance suprême dans la guerre
d’attaquer la stratégie de l’ennemi.
Celui qui excelle à résoudre les difficultés le fait avant qu’elles ne
surviennent.
Celui qui arrache le trophée avant que les craintes de son ennemi ne
prennent forme excelle dans la conquête.
Attaquez le plan de l’adversaire au moment où il naît.
Puis rompez ses alliances.
Puis attaquez son armée.
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La pire des politiques consiste à attaquer les cités.
N’y consentez que si aucune autre solution ne peut être mise à
exécution.
Il faut au moins trois mois pour préparer les chariots parés pour le
combat, les armes nécessaires et l’équipement, et encore trois mois
pour construire des talus le long des murs.
Si vous êtes contraint de faire le siège d’une place et de la réduire,
disposez de telle sorte vos chars, vos boucliers et toutes les machines
nécessaires pour monter à l’assaut, que tout soit en bon état lorsqu’il
sera temps de l’employer.
Faites en sorte surtout que la reddition de la place ne soit pas
prolongée au-delà de trois mois. Si, ce terme expiré, vous n’êtes pas
encore venu à bout de vos fins, sûrement il y aura eu quelques fautes
de votre part ; n’oubliez rien pour les réparer. A la tête de vos
troupes, redoublez vos efforts ; en allant à l’assaut, imitez la
vigilance, l’activité, l’ardeur et l’opiniâtreté des fourmis.
Je suppose que vous aurez fait auparavant les retranchements et les
autres ouvrages nécessaires, que vous aurez élevé des redoutes pour
découvrir ce qui se passe chez les assiégés, et que vous aurez paré à
tous les inconvénients que votre prudence vous aura fait prévoir. Si,
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avec toutes ces précautions, il arrive que de trois parties de vos
soldats vous ayez le malheur d’en perdre une, sans pouvoir être
victorieux, soyez convaincu que vous n’avez pas bien attaqué.
Un habile général ne se trouve jamais réduit à de telles extrémités ;
sans donner des batailles, il sait l’art d’humilier ses ennemis ; sans
répandre une goutte de sang, sans tirer même l’épée, il vient à bout
de prendre les villes ; sans mettre les pieds dans les royaumes
étrangers, il trouve le moyen de les conquérir sans opérations
prolongées ; et sans perdre un temps considérable à la tête de ses
troupes, il procure une gloire immortelle au prince qu’il sert, il assure
le bonheur de ses compatriotes, et fait que l’Univers lui est redevable
du repos et de la paix : tel est le but auquel tous ceux qui
commandent les armées doivent tendre sans cesse et sans jamais se
décourager.
Votre but demeure de vous saisir de l’empire alors qu’il est intact ;
ainsi vos troupes ne seront pas épuisées et vos gains seront
complets. Tel est l’art de la stratégie victorieuse.
Il y a une infinité de situations différentes dans lesquelles vous
pouvez vous trouver par rapport à l’ennemi. On ne saurait les prévoir
toutes ; c’est pourquoi je n’entre pas dans un plus grand détail.
Vos lumières et votre expérience vous suggéreront ce que vous aurez
à faire, à mesure que les circonstances se présenteront. Néanmoins,
je vais vous donner quelques conseils généraux dont vous pourrez
faire usage à l’occasion.
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Si vous êtes dix fois plus fort en nombre que ne l’est l’ennemi,
environnez-le de toutes parts ; ne lui laissez aucun passage libre ;
faites en sorte qu’il ne puisse ni s’évader pour aller camper ailleurs, ni
recevoir le moindre secours.
Si vous avez cinq fois plus de monde que lui, disposez tellement votre
armée qu’elle puisse l’attaquer par quatre côtés à la fois, lorsqu’il en
sera temps.
Si l’ennemi est une fois moins fort que vous, contentez-vous de
partager votre armée en deux.
Mais si de part et d’autre il y a une même quantité de monde, tout ce
que vous pouvez faire c’est de hasarder le combat.
Si, au contraire, vous êtes moins fort que lui, soyez continuellement
sur vos gardes, la plus petite faute serait de la dernière conséquence
pour vous. Tâchez de vous mettre à l’abri, et évitez autant que vous
le pourrez d’en venir aux mains avec lui ; la prudence et la fermeté
d’un petit nombre de gens peuvent venir à bout de lasser et de
dompter même une nombreuse armée. Ainsi vous êtes à la fois
capable de vous protéger et de remporter une victoire complète.
Celui qui est à la tête des armées peut se regarder comme le soutien
de l’État, et il l’est en effet. S’il est tel qu’il doit être, le royaume sera
dans la prospérité ; si au contraire il n’a pas les qualités nécessaires
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pour remplir dignement le poste qu’il occupe, le royaume en souffrira
infailliblement et se trouvera peut-être réduit à deux doigts de sa
perte.
Un général ne peut bien servir l’État que d’une façon, mais il peut lui
porter un très grand préjudice de bien des manières différentes.
Il faut beaucoup d’efforts et une conduite que la bravoure et la
prudence accompagnent constamment pour pouvoir réussir : il ne
faut qu’une faute pour tout perdre ; et, parmi les fautes qu’il peut
faire, de combien de sortes n’y en a-t-il pas ? S’il lève des troupes
hors de saison, s’il les fait sortir lorsqu’il ne faut pas qu’elles sortent,
s’il n’a pas une connaissance exacte des lieux où il doit les conduire,
s’il leur fait faire des campements désavantageux, s’il les fatigue hors
de propos, s’il les fait revenir sans nécessité, s’il ignore les besoins de
ceux qui composent son armée, s’il ne sait pas le genre d’occupation
auquel chacun d’eux s’exerçait auparavant, afin d’en tirer parti
suivant leurs talents ; s’il ne connaît pas le fort et le faible de ses
gens, s’il n’a pas lieu de compter sur leur fidélité, s’il ne fait pas
observer la discipline dans toute la rigueur, s’il manque du talent de
bien gouverner, s’il est irrésolu et s’il chancelle dans les occasions où
il faut prendre tout à coup son parti, s’il ne fait pas dédommager à
propos ses soldats lorsqu’ils auront eu à souffrir, s’il permet qu’ils
soient vexés sans raison par leurs officiers, s’il ne sait pas empêcher
les dissensions qui pourraient naître parmi les chefs ; un général qui
tomberait dans ces fautes rendrait l’armée boiteuse et épuiserait
d’hommes et de vivres le royaume, et deviendrait lui-même la
honteuse victime de son incapacité.
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Sun Tzu dit : Dans le gouvernement des armées il y a sept maux :
I. Imposer des ordres pris en Cour selon le bon plaisir du prince.
II. Rendre les officiers perplexes en dépêchant des émissaires
ignorant les affaires militaires.
III. Mêler les règlements propres à l’ordre civil et à l’ordre militaire.
IV. Confondre la rigueur nécessaire au gouvernement de l’État, et la
flexibilité que requiert le commandement des troupes.
V. Partager la responsabilité aux armées.
VI. Faire naître la suspicion, qui engendre le trouble : une armée
confuse conduit à la victoire de l’autre.
VII. Attendre les ordres en toute circonstance, c’est comme informer
un supérieur que vous voulez éteindre le feu : avant que l’ordre ne
vous parvienne, les cendres sont déjà froides ; pourtant il est dit dans
le code que l’on doit en référer à l’inspecteur en ces matières !
Comme si, en bâtissant une maison sur le bord de la route, on prenait
conseil de ceux qui passent ; le travail ne serait pas encore achevé !
Tel est mon enseignement :
Nommer appartient au domaine réservé au souverain, décider de la
bataille à celui du général.
Un prince de caractère doit choisir l’homme qui convient, le revêtir
de responsabilités et attendre les résultats.
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Pour être victorieux de ses ennemis, cinq circonstances sont
nécessaires :
I. Savoir quand il est à propos de combattre, et quand il convient de
se retirer.
II. Savoir employer le peu et le beaucoup suivant les circonstances.
III. Assortir habilement ses rangs. Mensius dit : « La saison appropriée
n’est pas aussi importante que les avantages du sol ; et tout cela n’est
pas aussi important que l’harmonie des relations humaines. »
IV. Celui qui, prudent, se prépare à affronter l’ennemi qui n’est pas
encore ; celui-là même sera victorieux. Tirer prétexte de sa rusticité
et ne pas prévoir est le plus grand des crimes ; être prêt en-dehors de
toute contingence est la plus grande des vertus.
V. Être à l’abri des ingérences du souverain dans tout ce qu’on peut
tenter pour son service et la gloire de ses armes.
C’est dans ces cinq matières que se trouve la voie de la victoire.
Connais ton ennemi et connais-toi toi-même ; eussiez-vous cent
guerres à soutenir, cent fois vous serez victorieux.
Si tu ignores ton ennemi et que tu te connais toi-même, tes chances
de perdre et de gagner seront égales.
Si tu ignores à la fois ton ennemi et toi-même, tu ne compteras tes
combats que par tes défaites.
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Article IV : De la mesure dans
la disposition des moyens
Sun Tzu dit : Anciennement ceux qui étaient expérimentés dans l’art
des combats se rendaient invincibles, attendaient que l’ennemi soit
vulnérable et ne s’engageaient jamais dans des guerres qu’ils
prévoyaient ne devoir pas finir avec avantage.
Avant que de les entreprendre, ils étaient comme sûrs du succès. Si
l’occasion d’aller contre l’ennemi n’était pas favorable, ils attendaient
des temps plus heureux.
Ils avaient pour principe que l’on ne pouvait être vaincu que par sa
propre faute, et qu’on n’était jamais victorieux que par la faute des
ennemis.
Se rendre invincible dépend de soi, rendre à coup sûr l’ennemi
vulnérable dépend de lui-même.
Être instruit des moyens qui assurent la victoire n’est pas encore la
remporter.
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Ainsi, les habiles généraux savaient d’abord ce qu’ils devaient
craindre ou ce qu’ils avaient à espérer, et ils avançaient ou reculaient
la campagne, ils donnaient bataille ou ils se retranchaient, suivant les
lumières qu’ils avaient, tant sur l’état de leurs propres troupes que
sur celui des troupes de l’ennemi. S’ils se croyaient plus forts, ils ne
craignaient pas d’aller au combat et d’attaquer les premiers. S’ils
voyaient au contraire qu’ils fussent plus faibles, ils se retranchaient et
se tenaient sur la défensive.
L’invincibilité se trouve dans la défense, la possibilité de victoire dans
l’attaque.
Celui qui se défend montre que sa force est inadéquate, celui qui
attaque qu’elle est abondante.
L’art de se tenir à propos sur la défensive ne le cède point à celui de
combattre avec succès.
Les experts dans la défense doivent s’enfoncer jusqu’au centre de la
Terre. Ceux, au contraire, qui veulent briller dans l’attaque doivent
s’élever jusqu’au neuvième ciel. Pour se mettre en défense contre
l’ennemi, il faut être caché dans le sein de la Terre, comme ces veines
d’eau dont on ne sait pas la source, et dont on ne saurait trouver les
sentiers. C’est ainsi que vous cacherez toutes vos démarches, et que
vous serez impénétrable. Ceux qui combattent doivent s’élever
jusqu’au neuvième ciel ; c’est-à-dire, il faut qu’ils combattent de telle
sorte que l’Univers entier retentisse du bruit de leur gloire.
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Sa propre conservation est le but principal qu’on doit se proposer
dans ces deux cas. Savoir l’art de vaincre comme ceux qui ont fourni
cette même carrière avec honneur, c’est précisément où vous devez
tendre ; vouloir l’emporter sur tous, et chercher à raffiner dans les
choses militaires, c’est risquer de ne pas égaler les grands maîtres,
c’est s’exposer même à rester infiniment au-dessous d’eux, car c’est
ici où ce qui est au-dessus du bon n’est pas bon lui-même.
Remporter des victoires par le moyen des combats a été regardé de
tous temps par l’Univers entier comme quelque chose de bon, mais
j’ose vous le dire, c’est encore ici où ce qui est au-dessus du bon est
souvent pire que le mauvais. Prédire une victoire que l’homme
ordinaire peut prévoir, et être appelé universellement expert, n’est
pas le faîte de l’habileté guerrière. Car soulever le duvet des lapins en
automne ne demande pas grande force ; il ne faut pas avoir les yeux
bien pénétrants pour découvrir le soleil et la lune ; il ne faut pas avoir
l’oreille bien délicate pour entendre le tonnerre lorsqu’il gronde avec
fracas ; rien de plus naturel, rien de plus aisé, rien de plus simple que
tout cela.
Les habiles guerriers ne trouvent pas plus de difficultés dans les
combats ; ils font en sorte de remporter la bataille après avoir créé
les conditions appropriées.
Ils ont tout prévu ; ils ont paré de leur part à toutes les éventualités.
Ils savent la situation des ennemis, ils connaissent leurs forces, et
n’ignorent point ce qu’ils peuvent faire et jusqu’où ils peuvent aller ;
la victoire est une suite naturelle de leur savoir.
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Aussi les victoires remportées par un maître dans l’art de la guerre ne
lui rapportaient ni la réputation de sage, ni le mérite d’homme de
valeur.
Qu’une victoire soit obtenue avant que la situation ne se soit
cristallisée, voilà ce que le commun ne comprend pas.
C’est pourquoi l’auteur de la prise n’est pas revêtu de quelque
réputation de sagacité. Avant que la lame de son glaive ne soit
recouverte de sang, l’État ennemi s’est déjà soumis. Si vous
subjuguez votre ennemi sans livrer combat, ne vous estimez pas
homme de valeur.
Tels étaient nos Anciens : rien ne leur était plus aisé que de vaincre ;
aussi ne croyaient-ils pas que les vains titres de vaillants, de héros,
d’invincibles fussent un tribut d’éloges qu’ils eussent mérité. Ils
n’attribuaient leur succès qu’au soin extrême qu’ils avaient eu
d’éviter jusqu’à la plus petite faute.
Éviter jusqu’à la plus petite faute veut dire que, quoiqu’il fasse, il
s’assure la victoire ; il conquiert un ennemi qui a déjà subi la défaite ;
dans les plans jamais un déplacement inutile, dans la stratégie jamais
un pas de fait en vain. Le commandant habile prend une position
telle qu’il ne peut subir une défaite ; il ne manque aucune
circonstance propre à lui garantir la maîtrise de son ennemi.
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Une armée victorieuse remporte l’avantage, avant d’avoir cherché la
bataille ; une armée vouée à la défaite combat dans l’espoir de
gagner.
Ceux qui sont zélés dans l’art de la guerre cultivent le Tao et
préservent les régulations ; ils sont donc capables de formuler des
politiques de victoire.
Avant que d’en venir au combat, ils tâchaient d’humilier leurs
ennemis, ils les mortifiaient, ils les fatiguaient de mille manières.
Leurs propres camps étaient des lieux toujours à l’abri de toute
insulte, des lieux toujours à couvert de toute surprise, des lieux
toujours impénétrables. Ces généraux croyaient que, pour vaincre, il
fallait que les troupes demandassent le combat avec ardeur ; et ils
étaient persuadés que, lorsque ces mêmes troupes demandaient la
victoire avec empressement, il arrivait ordinairement qu’elles étaient
vaincues.
Ils ne veulent point dans les troupes une confiance trop aveugle, une
confiance qui dégénère en présomption. Les troupes qui demandent
la victoire sont des troupes ou amollies par la paresse, ou timides, ou
présomptueuses. Des troupes au contraire qui, sans penser à la
victoire, demandent le combat, sont des troupes endurcies au travail,
des troupes vraiment aguerries, des troupes toujours sûres de
vaincre.
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C’est ainsi que d’un ton assuré ils osaient prévoir les triomphes ou les
défaites, avant même que d’avoir fait un pas pour s’assurer des uns
ou pour se préserver des autres.
Maintenant, voici les cinq éléments de l’art de la guerre :
I. La mesure de l’espace.
II. L’estimation des quantités.
III. Les règles de calcul.
IV. Les comparaisons.
V. Les chances de victoire.
Les mesures de l’espace sont dérivées du terrain ; les quantités
dérivent de la mesure ; les chiffres émanent des quantités ; les
comparaisons découlent des chiffres ; et la victoire est le fruit des
comparaisons.
C’est par la disposition des forces qu’un général victorieux est
capable de mener son peuple au combat, telles les eaux contenues
qui, soudain relâchées, plongent dans un abîme sans fond.
Vous donc, qui êtes à la tête des armées, n’oubliez rien pour vous
rendre digne de l’emploi que vous exercez. Jetez les yeux sur les
mesures qui contiennent les quantités, et sur celles qui déterminent
les dimensions : rappelez-vous les règles de calcul ; considérez les
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effets de la balance ; la victoire n’est que le fruit d’une supputation
exacte.
Les considérations sur les différentes mesures vous conduiront à la
connaissance de ce que la terre peut offrir d’utile pour vous ; vous
saurez ce qu’elle produit, et vous profiterez toujours de ses dons ;
vous n’ignorerez point les différentes routes qu’il faudra tenir pour
arriver sûrement au terme que vous vous serez proposé.
Par le calcul, estimez si l’ennemi peut être attaqué, et c’est
seulement après cela que la population doit être mobilisée et les
troupes levées ; apprenez à distribuer toujours à propos les
munitions de guerre et de bouche, à ne jamais donner dans les excès
du trop ou du trop peu.
Enfin, si vous rappelez dans votre esprit les victoires qui ont été
remportées en différents temps, et toutes les circonstances qui les
ont accompagnées, vous n’ignorerez point les différents usages qu’on
en aura faits, et vous saurez quels sont les avantages qu’elles auront
procurés, ou quels sont les préjudices qu’elles auront portés aux
vainqueurs eux-mêmes.
Un Y surpasse un Tchou. Dans les plateaux d’une balance, le Y
emporte le Tchou. Soyez à vos ennemis ce que le Y est au Tchou. (Si Y
pèse environ 700 grammes, Tchou ne pèse même pas un gramme)
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Après un premier avantage, n’allez pas vous endormir ou vouloir
donner à vos troupes un repos hors de saison. Poussez votre pointe
avec la même rapidité qu’un torrent qui se précipiterait de mille
toises de haut. Que votre ennemi n’ait pas le temps de se
reconnaître, et ne pensez à recueillir les fruits de votre victoire que
lorsque sa défaite entière vous aura mis en état de le faire sûrement,
avec loisir et tranquillité.
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Article V : De la contenance
Sun Tzu dit : Généralement, le commandement du grand nombre est
le même que pour le petit nombre, ce n’est qu’une question
d’organisation. Contrôler le grand et le petit nombre n’est qu’une
seule et même chose, ce n’est qu’une question de formation et de
transmission des signaux.
Ayez les noms de tous les officiers tant généraux que subalternes ;
inscrivez-les dans un catalogue à part, avec la note des talents et de
la capacité de chacun d’eux, afin de pouvoir les employer avec
avantage lorsque l’occasion en sera venue. Faites en sorte que tous
ceux que vous devez commander soient persuadés que votre
principale attention est de les préserver de tout dommage.
Les troupes que vous ferez avancer contre l’ennemi doivent être
comme des pierres que vous lanceriez contre des œufs. De vous à
l’ennemi, il ne doit y avoir d’autre différence que celle du fort au
faible, du vide au plein.
La certitude de subir l’attaque de l’ennemi sans subir une défaite est
fonction de la combinaison entre l’utilisation directe et indirecte des
forces. (Directe : fixer et distraire. Indirecte : rompre là où le coup n’est pas
anticipé)
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Usez généralement des forces directes pour engager la bataille, et
des forces indirectes pour emporter la décision. Les ressources de
ceux qui sont habiles dans l’utilisation des forces indirectes sont aussi
infinies que celles des Cieux et de la Terre, et aussi inépuisables que
le cours des grandes rivières.
Attaquez à découvert, mais soyez vainqueur en secret. Voilà en peu
de mots en quoi consiste l’habileté et toute la perfection même du
gouvernement des troupes. Le grand jour et les ténèbres, l’apparent
et le secret ; voilà tout l’art. Ceux qui le possèdent sont comparables
au Ciel et à la Terre, dont les mouvements ne sont jamais sans effet :
ils ressemblent aux fleuves et aux mers dont les eaux ne sauraient
tarir. Fussent-ils plongés dans les ténèbres de la mort, ils peuvent
revenir à la vie ; comme le soleil et la lune, ils ont le temps où il faut
se montrer, et celui où il faut disparaître ; comme les quatre saisons,
ils ont les variétés qui leur conviennent ; comme les cinq tons de la
musique, comme les cinq couleurs, comme les cinq goûts, ils peuvent
aller à l’infini. Car qui a jamais entendu tous les airs qui peuvent
résulter de la différente combinaison des tons ? Qui a jamais vu tout
ce que peuvent présenter les couleurs différemment nuancées ? Qui
a jamais savouré tout ce que les goûts différemment tempérés
peuvent offrir d’agréable ou de piquant ? On n’assigne cependant
que cinq couleurs et cinq sortes de goût.
Dans l’art militaire, et dans le bon gouvernement des troupes, il n’y a
certes que deux sortes de forces ; leurs comb-naisons étant sans
limites, personne ne peut toutes les comprendre. Ces forces sont
mutuellement productives et agissent entre elles.
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Ce serait dans la pratique une chaîne d’opérations dont on ne saurait
voir le bout, tels ces anneaux multiples et entremêlés qu’il faut
assembler pour former un annulaire, c’est comme une roue en
mouvement qui n’a ni commencement ni fin.
Dans l’art militaire, chaque opération particulière a des parties qui
demandent le grand jour, et des parties qui veulent les ténèbres du
secret. Vouloir les assigner, cela ne se peut ; les circonstances
peuvent seules les faire connaître et les déterminer. On oppose les
plus grands quartiers de rochers à des eaux rapides dont on veut
resserrer le lit : on n’emploie que des filets faibles et déliés pour
prendre les petits oiseaux. Cependant, le fleuve rompt quelquefois
ses digues après les avoir minées peu à peu, et les oiseaux viennent à
bout de briser les chaînes qui les retiennent, à force de se débattre.
C’est par son élan que l’eau des torrents se heurte contre les rochers
; c’est sur la mesure de la distance que se règle le faucon pour briser
le corps de sa proie.
Ceux-là possèdent véritablement l’art de bien gouverner les troupes,
qui ont su et qui savent rendre leur puissance formidable, qui ont
acquis une autorité sans borne, qui ne se laissent abattre par aucun
évènement, quelque fâcheux qu’il puisse être ; qui ne font rien avec
précipitation ; qui se conduisent, lors même qu’ils sont surpris, avec
le sang-froid qu’ils ont ordinairement dans les actions méditées et
dans les cas prévus longtemps auparavant, et qui agissent toujours
dans tout ce qu’ils font avec cette promptitude qui n’est guère que le
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fruit de l’habileté, jointe à une longue expérience. Ainsi l’élan de celui
qui est habile dans l’art de la guerre est irrésistible, et son attaque est
réglée avec précision.
Le potentiel de ces sortes de guerriers est comme celui de ces grands
arcs totalement bandés, tout plie sous leurs coups, tout est renversé.
Tels qu’un globe qui présente une égalité parfaite entre tous les
points de sa surface, ils sont également forts partout ; partout leur
résistance est la même. Dans le fort de la mêlée et d’un désordre
apparent, ils savent garder un ordre que rien ne saurait interrompre,
ils font naître la force du sein même de la faiblesse, ils font sortir le
courage et la valeur du milieu de la poltronnerie et de la
pusillanimité.
Mais savoir garder un ordre merveilleux au milieu même du
désordre, cela ne se peut sans avoir fait auparavant de profondes
réflexions sur tous les évènements qui peuvent arriver.
Faire naître la force du sein même de la faiblesse, cela n’appartient
qu’à ceux qui ont une puissance absolue et une autorité sans bornes
(par le mot de puissance il ne faut pas entendre ici domination, mais
cette faculté qui fait qu’on peut réduire en acte tout ce qu’on se
propose). Savoir faire sortir le courage et la valeur du milieu de la
poltronnerie et de la pusillanimité, c’est être héros soi-même, c’est
être plus que héros, c’est être au-dessus des plus intrépides.
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Un commandant habile recherche la victoire dans la situation et ne
l’exige pas de ses subordonnés.
Quelque grand, quelque merveilleux que tout cela paraisse, j’exige
cependant quelque chose de plus encore de ceux qui gouvernent les
troupes : c’est l’art de faire mouvoir à son gré les ennemis. Ceux qui
le possèdent, cet art admirable, disposent de la contenance de leurs
gens et de l’armée qu’ils commandent, de telle sorte qu’ils font venir
l’ennemi toutes les fois qu’ils le jugent à propos ; ils savent faire des
libéralités quand il convient, ils en font même à ceux qu’ils veulent
vaincre : ils donnent à l’ennemi et l’ennemi reçoit, ils lui
abandonnent et il vient prendre. Ils sont prêts à tout ; ils profitent de
toutes les circonstances ; toujours méfiants ils font surveiller les
subordonnés qu’ils emploient et, se méfiant d’eux-mêmes, ils ne
négligent aucun moyen qui puisse leur être utile.
Ils regardent les hommes, contre lesquels ils doivent combattre,
comme des pierres ou des pièces de bois qu’ils seraient chargés de
faire rouler de haut en bas.
La pierre et le bois n’ont aucun mouvement de leur nature ; s’ils sont
une fois en repos, ils n’en sortent pas d’eux-mêmes, mais ils suivent
le mouvement qu’on leur imprime ; s’ils sont carrés, ils s’arrêtent
d’abord ; s’ils sont ronds, ils roulent jusqu’à ce qu’ils trouvent une
résistance plus forte que la force qui leur était imprimée.
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Faites en sorte que l’ennemi soit entre vos mains comme une pierre
de figure ronde, que vous auriez à faire rouler d’une montagne qui
aurait mille toises de haut : la force qui lui est imprimée est minime,
les résultats sont énormes. C’est en cela qu’on reconnaîtra que vous
avez de la puissance et de l’autorité.
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Article VI : Du plein et du vide
Sun Tzu dit : Une des choses les plus essentielles que vous ayez à
faire avant le combat, c’est de bien choisir le lieu de votre
campement. Pour cela il faut user de diligence, il ne faut pas se
laisser prévenir par l’ennemi, il faut être campé avant qu’il ait eu le
temps de vous reconnaître, avant même qu’il ait pu être instruit de
votre marche. La moindre négligence en ce genre peut être pour
vous de la dernière conséquence. En général, il n’y a que du
désavantage à camper après les autres.
Celui qui est capable de faire venir l’ennemi de sa propre initiative le
fait en lui offrant quelque avantage ; et celui qui est désireux de l’en
empêcher le fait en le blessant.
Celui qui est chargé de la conduite d’une armée, ne doit point se fier
à d’autres pour un choix de cette importance ; il doit faire quelque
chose de plus encore. S’il est véritablement habile, il pourra disposer
à son gré du campement même et de toutes les marches de son
ennemi. Un grand général n’attend pas qu’on le fasse aller, il sait
faire venir. Si vous faites en sorte que l’ennemi cherche à se rendre
de son plein gré dans les lieux où vous souhaitez précisément qu’il
aille, faites en sorte aussi de lui aplanir toutes les difficultés et de
lever tous les obstacles qu’il pourrait rencontrer ; de crainte
qu’alarmé par les impossibilités qu’il suppute, où les inconvénients
trop manifestes qu’il découvre, il renonce à son dessein.
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Vous en serez pour votre travail et pour vos peines, peut-être même
pour quelque chose de plus.
La grande science est de lui faire vouloir tout ce que vous voulez qu’il
fasse, et de lui fournir, sans qu’il s’en aperçoive, tous les moyens de
vous seconder.
Après que vous aurez ainsi disposé du lieu de votre campement et de
celui de l’ennemi lui-même, attendez tranquillement que votre
adversaire fasse les premières démarches ; mais en attendant, tâchez
de l’affamer au milieu de l’abondance, de lui procurer du tracas dans
le sein du repos, et de lui susciter mille terreurs dans le temps même
de sa plus grande sécurité.
Si, après avoir longtemps attendu, vous ne voyez pas que l’ennemi se
dispose à sortir de son camp, sortez vous-même du vôtre ; par votre
mouvement provoquez le sien, donnez-lui de fréquentes alarmes,
faites-lui naître l’occasion de faire quelque imprudence dont vous
puissiez tirer du profit.
S’il s’agit de garder, gardez avec force : ne vous endormez point. S’il
s’agit d’aller, allez promptement, allez sûrement par des chemins qui
ne soient connus que de vous.
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Rendez-vous dans des lieux où l’ennemi ne puisse pas soupçonner
que vous ayez dessein d’aller. Sortez tout à coup d’où il ne vous
attend pas, et tombez sur lui lorsqu’il y pensera le moins.
Pour être certain de prendre ce que vous attaquez, il faut donner
l’assaut là où il ne se protège pas ; pour être certain de garder ce que
vous défendez, il faut défendre un endroit que l’ennemi n’attaque
pas.
Si après avoir marché assez longtemps, si par vos marches et
contremarches vous avez parcouru l’espace de mille lieues sans que
vous ayez reçu encore aucun dommage, sans même que vous ayez
été arrêté, concluez : ou que l’ennemi ignore vos desseins, ou qu’il a
peur de vous, ou qu’il ne fait pas garder les postes qui peuvent être
de conséquence pour lui. Évitez de tomber dans un pareil défaut.
Le grand art d’un général est de faire en sorte que l’ennemi ignore
toujours le lieu où il aura à combattre, et de lui dérober avec soin la
connaissance des postes qu’il fait garder. S’il en vient à bout, et qu’il
puisse cacher de même jusqu’aux moindres de ses démarches, ce
n’est pas seulement un habile général, c’est un homme
extraordinaire, c’est un prodige. Sans être vu, il voit ; il entend, sans
être entendu ; il agit sans bruit et dispose comme il lui plaît du sort
de ses ennemis.
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De plus, si, les armées étant déployées, vous n’apercevez pas qu’il y
ait un certain vide qui puisse vous favoriser, ne tentez pas d’enfoncer
les bataillons ennemis. Si, lorsqu’ils prennent la fuite, ou qu’ils
retournent sur leurs pas, ils usent d’une extrême diligence et
marchent en bon ordre, ne tentez pas de les poursuivre ; ou, si vous
les poursuivez, que ce ne soit jamais ni trop loin, ni dans les pays
inconnus. Si, lorsque vous avez dessein de livrer la bataille, les
ennemis restent dans leurs retranchements, n’allez pas les y
attaquer, surtout s’ils sont bien retranchés, s’ils ont de larges fossés
et des murailles élevées qui les couvrent. Si, au contraire, croyant
qu’il n’est pas à propos de livrer le combat, vous voulez l’éviter,
tenez-vous dans vos retranchements, et disposez-vous à soutenir
l’attaque et à faire quelques sorties utiles.
Laissez fatiguer les ennemis, attendez qu’ils soient ou en désordre ou
dans une très grande sécurité ; vous pourrez sortir alors et fondre sur
eux avec avantage.
Ayez constamment une extrême attention à ne jamais séparer les
différents corps de vos armées. Faites qu’ils puissent toujours se
soutenir aisément les uns les autres ; au contraire, faites faire à
l’ennemi le plus de diversion qu’il se pourra. S’il se partage en dix
corps, attaquez chacun d’eux séparément avec votre armée toute
entière ; c’est le véritable moyen de combattre toujours avec
avantage. De cette sorte, quelque petite que soit votre armée, le
grand nombre sera toujours de votre côté.
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Que l’ennemi ne sache jamais comment vous avez l’intention de le
combattre, ni la manière dont vous vous disposez à l’attaquer, ou à
vous défendre. Car, s’il se prépare au front, ses arrières seront faibles
; s’il se prépare à l’arrière, son front sera fragile ; s’il se prépare à sa
gauche, sa droite sera vulnérable ; s’il se prépare à sa droite, sa
gauche sera affaiblie ; et s’il se prépare en tous lieux, il sera partout
en défaut. S’il l’ignore absolument, il fera de grands préparatifs, il
tâchera de se rendre fort de tous les côtés, il divisera ses forces, et
c’est justement ce qui fera sa perte.
Pour vous, n’en faites pas de même : que vos principales forces
soient toutes du même côté ; si vous voulez attaquer de front, faites
choix d’un secteur, et mettez à la tête de vos troupes tout ce que
vous avez de meilleur. On résiste rarement à un premier effort,
comme, au contraire, on se relève difficilement quand on d’abord du
dessous. L’exemple des braves suffit pour encourager les plus lâches.
Ceux-ci suivent sans peine le chemin qu’on leur montre, mais ils ne
sauraient eux-mêmes le frayer. Si vous voulez faire donner l’aile
gauche, tournez tous vos préparatifs de ce côté-là, et mettez à l’aile
droite ce que vous avez de plus faible ; mais si vous voulez vaincre
par l’aile droite, que ce soit à l’aile droite aussi que soient vos
meilleures troupes et toute votre attention.
Celui qui dispose de peu d’hommes doit se préparer contre l’ennemi,
celui qui en a beaucoup doit faire en sorte que l’ennemi se prépare
contre lui.
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Ce n’est pas tout. Comme il est essentiel que vous connaissiez à fond
le lieu où vous devez combattre, il n’est pas moins important que
vous soyez instruit du jour, de l’heure, du moment même du combat
; c’est une affaire de calcul sur laquelle il ne faut pas vous négliger. Si
l’ennemi est loin de vous, sachez, jour par jour, le chemin qu’il fait,
suivez-le pas à pas, quoique en apparence vous restiez immobile dans
votre camp ; voyez tout ce qu’il fait, quoique vos yeux ne puissent
pas aller jusqu’à lui ; écoutez tous les discours, quoique vous soyez
hors de portée de l’entendre ; soyez témoin de toute sa conduite,
entrez même dans le fond de son cœur pour y lire ses craintes ou ses
espérances.
Pleinement instruit de tous ses desseins, de toutes ses marches, de
toutes ses actions, vous le ferez venir chaque jour précisément où
vous voulez qu’il arrive. En ce cas, vous l’obligerez à camper de
manière que le front de son armée ne puisse pas recevoir du secours
de ceux qui sont à la queue, que l’aile droite ne puisse pas aider l’aile
gauche, et vous le combattrez ainsi dans le lieu et au temps qui vous
conviendront le plus.
Avant le jour déterminé pour le combat, ne soyez ni trop loin ni trop
près de l’ennemi. L’espace de quelques lieues seulement est le terme
qui doit vous en approcher le plus, et dix lieues entières sont le plus
grand espace que vous deviez laisser entre votre armée et la sienne.
Ne cherchez pas à avoir une armée trop nombreuse, la trop grande
quantité de monde est souvent plus nuisible qu’elle n’est utile. Une
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petite armée bien disciplinée est invincible sous un bon général. A
quoi servaient au roi d’Yue les belles et nombreuses cohortes qu’il
avait sur pied, lorsqu’il était en guerre contre le roi de Ou ? Celui-ci,
avec peu de troupes, avec une poignée de monde, le vainquit, le
dompta, et ne lui laissa, de tous ses États, qu’un souvenir amer, et la
honte éternelle de les avoir si mal gouvernés.
Je dis que la victoire peut être créée ; même si l’ennemi est en
nombre, je peux l’empêcher d’engager le combat ; car, s’il ignore ma
situation militaire, je peux faire en sorte qu’il se préoccupe de sa
propre préparation : ainsi je lui ôte le loisir d’établir les plans pour me
battre.
I. Détermine les plans de l’ennemi et tu sauras quelle stratégie sera
couronnée de succès et celle qui ne le sera pas.
II. Perturbe-le et fais-lui dévoiler son ordre de bataille.
III. Détermine ses dispositions et fais-lui découvrir son champ de
bataille.
IV. Mets-le à l’épreuve et apprends où sa force est abondante et où
elle est déficiente.
V. La suprême tactique consiste à disposer ses troupes sans forme
apparente ; alors les espions les plus pénétrants ne peuvent fureter
et les sages ne peuvent établir des plans contre vous.
VI. C’est selon les formes que j’établis des plans pour la victoire, mais
la multitude ne le comprend guère. Bien que tous puissent voir les
aspects extérieurs, personne ne peut comprendre la voie selon
laquelle j’ai créé la victoire.
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VII. Et quand j’ai remporté une bataille, je ne répète pas ma tactique,
mais je réponds aux circonstances selon une variété infinie de voies.
Cependant si vous n’aviez qu’une petite armée, n’allez pas mal à
propos vouloir vous mesurer avec une armée nombreuse ; vous avez
bien des précautions à prendre avant que d’en venir là. Quand on a
les connaissances dont j’ai parlé plus haut, on sait s’il faut attaquer,
ou se tenir simplement sur la défensive ; on sait quand il faut rester
tranquille, et quand il est temps de se mettre en mouvement ; et si
l’on est forcé de combattre, on sait si l’on sera vainqueur ou vaincu. A
voir simplement la contenance des ennemis, on peut conclure sa
victoire ou sa défaite, sa perte ou son salut. Encore une fois, si vous
voulez attaquer le premier, ne le faites pas avant d’avoir examiné si
vous avez tout ce qu’il faut pour réussir.
Au moment de déclencher votre action, lisez dans les premiers
regards de vos soldats ; soyez attentif à leurs premiers mouvements ;
et par leur ardeur ou leur nonchalance, par leur crainte ou leur
intrépidité, concluez au succès ou à la défaite. Ce n’est point un
présage trompeur que celui de la première contenance d’une armée
prête à livrer le combat. Il en est telle qui ayant remporté la plus
signalée victoire aurait été entièrement défaite si la bataille s’était
livrée un jour plus tôt, ou quelques heures plus tard.
Il en doit être des troupes à peu près comme d’une eau courante. De
même que l’eau qui coule évite les hauteurs et se hâte vers le pays
plat, de même une armée évite la force et frappe la faiblesse.
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Si la source est élevée, la rivière ou le ruisseau coulent rapidement. Si
la source est presque de niveau, on s’aperçoit à peine de quelque
mouvement. S’il se trouve quelque vide, l’eau le remplit d’elle-même
dès qu’elle trouve la moindre issue qui la favorise. S’il y a des
endroits trop pleins, l’eau cherche naturellement à se décharger
ailleurs.
Pour vous, si, en parcourant les rangs de votre armée, vous voyez
qu’il y a du vide, il faut le remplir ; si vous trouvez du surabondant, il
faut le diminuer ; si vous apercevez du trop haut, il faut l’abaisser ; s’il
y du trop bas, il faut le relever.
L’eau, dans son cours, suit la situation du terrain dans lequel elle
coule ; de même, votre armée doit s’adapter au terrain sur lequel elle
se meut. L’eau qui n’a point de pente ne saurait couler ; des troupes
qui ne sont pas bien conduites ne sauraient vaincre.
Le général habile tirera parti des circonstances même les plus
dangereuses et les plus critiques. Il saura faire prendre la forme qu’il
voudra, non seulement à l’armée qu’il commande mais encore à celle
des ennemis.
Les troupes, quelles qu’elles puissent être, n’ont pas des qualités
constantes qui les rendent invincibles ; les plus mauvais soldats
peuvent changer en bien et devenir d’excellents guerriers.
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Conduisez-vous conformément à ce principe ; ne laissez échapper
aucune occasion, lorsque vous la trouverez favorable. Les cinq
éléments ne sont pas partout ni toujours également purs ; les quatre
saisons ne se succèdent pas de la même manière chaque année ; le
lever et le coucher du soleil ne sont pas constamment au même point
de l’horizon. Parmi les jours, certains sont longs, d’autres courts. La
lune croît et décroît et n’est pas toujours également brillante. Une
armée bien conduite et bien disciplinée imite à propos toutes ces
variétés.
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Article VII : De l’affrontement
direct et indirect
Sun Tzu dit : Après que le général aura reçu du souverain l’ordre de
tenir la campagne, il rassemble les troupes et mobilise le peuple ; il
fait de l’armée un ensemble harmonieux. Maintenant il doit mettre
son attention à leur procurer des campements avantageux, car c’est
de là principalement que dépend la réussite de ses projets et de
toutes ses entreprises. Cette affaire n’est pas d’une exécution aussi
facile qu’on pourrait bien se l’imaginer ; les difficultés s’y rencontrent
souvent sans nombre, et de toutes espèces ; il ne faut rien oublier
pour les aplanir et pour les vaincre.
Les troupes une fois campées, il faut tourner ses vues du côté du près
et du loin, des avantages et des pertes, du travail et du repos, de la
diligence et de la lenteur ; c’est-à-dire qu’il faut rendre près ce qui est
loin, tirer profit de ses pertes même, substituer un utile travail à un
honteux repos, convertir la lenteur en diligence ; il faut que vous
soyez près lorsque l’ennemi vous croit bien loin ; que vous ayez un
avantage réel lorsque l’ennemi croit vous avoir occasionné quelques
pertes ; que vous soyez occupé de quelque utile travail lorsqu’il vous
croit enseveli dans le repos, et que vous usiez de toute sorte de
diligence lorsqu’il ne croit apercevoir dans vous que de la lenteur :
c’est ainsi qu’en lui donnant le change, vous l’endormirez lui-même
pour pouvoir l’attaquer lorsqu’il y pensera le moins, et sans qu’il ait le
temps de se reconnaître.
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L’art de profiter du près et du loin consiste à tenir l’ennemi éloigné
du lieu que vous aurez choisi pour votre campement, et de tous les
postes qui vous paraîtront de quelque conséquence. Il consiste à
éloigner de l’ennemi tout ce qui pourrait lui être avantageux, et à
rapprocher de vous tout ce dont vous pourrez tirer quelque
avantage. Il consiste ensuite à vous tenir continuellement sur vos
gardes pour n’être pas surpris, et à veiller sans cesse pour épier le
moment de surprendre votre adversaire.
Ainsi prenez une voie indirecte et divertissez l’ennemi en lui
présentant le leurre (morceau de cuir rouge en forme d’oiseau
auquel on attachait un appât pour faire revenir le faucon sur le poing)
; de cette façon vous pouvez vous mettre en route après lui, et
arriver avant lui. Celui qui est capable de faire cela comprend
l’approche directe et indirecte.
De plus : ne vous engagez jamais dans de petites actions que vous ne
soyez sûr qu’elles tourneront à votre avantage, et encore ne le faites
point si vous n’y êtes comme forcé, mais surtout gardez-vous bien de
vous engager à une action générale si vous n’êtes comme assuré
d’une victoire complète. Il est très dangereux d’avoir de la
précipitation dans des cas semblables ; une bataille risquée mal à
propos peut vous perdre entièrement : le moins qu’il puisse vous
arriver, si l’évènement en est douteux, ou que vous ne réussissiez
qu’à demi, c’est de vous voir frustré de la plus grande partie de vos
espérances, et de ne pouvoir parvenir à vos fins.
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Avant que d’en venir à un combat définitif, il faut que vous l’ayez
prévu, et que vous y soyez préparé depuis longtemps ; ne comptez
jamais sur le hasard dans tout ce que vous ferez en ce genre. Après
que vous aurez résolu de livrer la bataille, et que les préparatifs en
seront déjà faits, laissez en lieu de sûreté tout le bagage inutile, faites
dépouiller vos gens de tout ce qui pourrait les embarrasser ou les
surcharger ; de leurs armes mêmes, ne leur laissez que celles qu’ils
peuvent porter aisément.
Veillez, lorsque vous abandonnez votre camp dans l’espoir d’un
avantage probable, à ce que celui-ci soit supérieur aux
approvisionnements que vous abandonnez sûrement.
Si vous devez aller un peu loin, marchez jour et nuit ; faites le double
du chemin ordinaire ; que l’élite de vos troupes soit à la tête ; mettez
les plus faibles à la queue.
Prévoyez tout, disposez tout, et fondez sur l’ennemi lorsqu’il vous
croit encore à cent lieues d’éloignement : dans ce cas, je vous
annonce la victoire.
Mais si ayant à faire cent lieues de chemin avant que de pouvoir
l’atteindre, vous n’en faites de votre côté que cinquante, et que
l’ennemi s’étant avancé en fait autant ; de dix parties, il y en a cinq
que vous serez vaincu, comme de trois parties il y en a deux que vous
serez vainqueur. Si l’ennemi n’apprend que vous allez à lui que
lorsqu’il ne vous reste plus que trente lieues à faire pour pouvoir le
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joindre, il est difficile que, dans le peu de temps qui lui reste, il puisse
pourvoir à tout et se préparer à vous recevoir.
Sous prétexte de faire reposer vos gens, gardez-vous bien de
manquer l’attaque, dès que vous serez arrivé. Un ennemi surpris est
à demi vaincu ; il n’en est pas de même s’il a le temps de se
reconnaître ; bientôt, il peut trouver des ressources pour vous
échapper, et peut-être même pour vous perdre.
Ne négligez rien de tout ce qui peut contribuer au bon ordre, à la
santé, à la sûreté de vos gens tant qu’ils seront sous votre conduite ;
ayez grand soin que les armes de vos soldats soient toujours en bon
état. Faites en sorte que les vivres soient sains, et ne leur manquent
jamais ; ayez attention à ce que les provisions soient abondantes, et
rassemblées à temps, car si vos troupes sont mal armées, s’il y a
disette de vivres dans le camp, et si vous n’avez pas d’avance toutes
les provisions nécessaires, il est difficile que vous puissiez réussir.
N’oubliez pas d’entretenir des intelligences secrètes avec les
ministres étrangers, et soyez toujours instruit des desseins que
peuvent avoir les princes alliés ou tributaires, des intentions bonnes
ou mauvaises de ceux qui peuvent influer sur la conduite du maître
que vous servez, et vous attirer vos ordres ou des défenses qui
pourraient traverser vos projets et rendre par là tous vos soins
inutiles.
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Votre prudence et votre valeur ne sauraient tenir longtemps contre
leurs cabales ou leurs mauvais conseils. Pour obvier à cet
inconvénient, consultez-les dans certaines occasions, comme si vous
aviez besoin de leurs lumières : que tous leurs amis soient les vôtres ;
ne soyez jamais divisé d’intérêt avec eux, cédez-leur dans les petites
choses, en un mot entretenez l’union la plus étroite qu’il vous sera
possible.
Ayez une connaissance exacte et de détail de tout ce qui vous
environne ; sachez où il y a une forêt, un petit bois, une rivière, un
ruisseau, un terrain aride et pierreux, un lieu marécageux et malsain,
une montagne, une colline, une petite élévation, un vallon, un
précipice, un défilé, un champ ouvert, enfin tout ce qui peut servir ou
nuire aux troupes que vous commandez. S’il arrive que vous soyez
hors d’état de pouvoir être instruit par vous-même de l’avantage ou
du désavantage du terrain, ayez des guides locaux sur lesquels vous
puissiez compter sûrement.
La force militaire est réglée sur sa relation au semblant.
Déplacez-vous quand vous êtes à votre avantage, et créez des
changements de situation en dispersant et concentrant les forces.
Dans les occasions où il s’agira d’être tranquille, qu’il règne dans
votre camp une tranquillité semblable à celle qui règne au milieu des
plus épaisses forêts. Lorsque, au contraire, il s’agira de faire des
mouvements et du bruit, imitez le fracas du tonnerre ; s’il faut être
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ferme dans votre poste, soyez-y immobile comme une montagne ; s’il
faut sortir pour aller au pillage, ayez l’activité du feu ; s’il faut éblouir
l’ennemi, soyez comme un éclair ; s’il faut cacher vos desseins, soyez
obscur comme les ténèbres. Gardez-vous sur toutes choses de ne
faire jamais aucune sortie en vain. Lorsque vous ferez tant que
d’envoyer quelque détachement, que ce soit toujours dans
l’espérance, ou, pour mieux dire, dans la certitude d’un avantage
réel. Pour éviter les mécontentements, faites toujours une exacte et
juste répartition de tout ce que vous aurez enlevé à l’ennemi.
Celui qui connaît l’art de l’approche directe et indirecte sera
victorieux. Voilà l’art de l’affrontement.
A tout ce que je viens de dire, il faut ajouter la manière de donner
vos ordres et de les faire exécuter. Il est des occasions et des
campements où la plupart de vos gens ne sauraient ni vous voir ni
vous entendre ; les tambours, les étendards et les drapeaux peuvent
suppléer à votre voix et à votre présence. Instruisez vos troupes de
tous les signaux que vous pouvez employer. Si vous avez à faire des
évolutions pendant la nuit, faites exécuter des ordres au bruit d’un
grand nombre de tambours. Si, au contraire, c’est pendant le jour
qu’il faut que vous agissiez, employez les drapeaux et les étendards
pour faire savoir vos volontés.
Le fracas d’un grand nombre de tambours servira pendant la nuit
autant à jeter l’épouvante parmi vos ennemis qu’à ranimer le
courage de vos soldats : l’éclat d’un grand nombre d’étendards, la
multitude de leurs évolutions, la diversité de leurs couleurs, et la
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bizarrerie de leur assemblage, en instruisant vos gens, les tiendront
toujours en haleine pendant le jour, les occuperont et leur réjouiront
le cœur, en jetant le trouble et la perplexité dans celui de vos
ennemis.
Ainsi, outre l’avantage que vous aurez de faire savoir promptement
toutes vos volontés à votre armée entière dans le même moment,
vous aurez encore celui de lasser votre ennemi, en le rendant attentif
à tout ce qu’il croit que vous voulez entreprendre, de lui faire naître
des doutes continuels sur la conduite que vous devez tenir, et de lui
inspirer d’éternelles frayeurs.
Si quelque brave veut sortir seul hors des rangs pour aller provoquer
l’ennemi, ne le permettez point ; il arrive rarement qu’un tel homme
puisse revenir. Il périt pour l’ordinaire, ou par la trahison, ou accablé
par le grand nombre.
Lorsque vous verrez vos troupes bien disposées, ne manquez pas de
profiter de leur ardeur : c’est à l’habileté du général à faire naître les
occasions et à distinguer lorsqu’elles sont favorables ; mais il ne doit
pas négliger pour cela de prendre l’avis des officiers généraux, ni de
profiter de leurs lumières, surtout si elles ont le bien commun pour
objet.
On peut voler à une armée son esprit et lui dérober son adresse, de
même que le courage de son commandant.
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Au petit matin, les esprits sont pénétrants ; durant la journée, ils
s’alanguissent, et le soir, ils rentrent à la maison.
Mei Yao-tchen dit que matin, journée et soir représentent les phases
d’une longue campagne.
Lors donc que vous voudrez attaquer l’ennemi, choisissez, pour le
faire avec avantage, le temps où les soldats sont censés devoir être
faibles ou fatigués. Vous aurez pris auparavant vos précautions, et
vos troupes reposées et fraîches auront de leur côté l’avantage de la
force et de la vigueur. Tel est le contrôle du facteur moral.
Si vous voyez que l’ordre règne dans les rangs ennemis, attendez qu’il
soit interrompu, et que vous aperceviez quelque désordre. Si leur
trop grande proximité vous offusque ou vous gêne, éloignez-vous afin
de vous placer dans des dispositions plus sereines. Tel est le contrôle
du facteur mental.
Si vous voyez qu’ils ont de l’ardeur, attendez qu’elle se ralentisse et
qu’ils soient accablés sous le poids de l’ennui ou de la fatigue. Tel est
le contrôle du facteur physique.
S’ils se sauvent sur des lieux élevés, ne les y poursuivez point ; si vous
êtes vous-même dans des lieux peu favorables, ne soyez pas
longtemps sans changer de situation.
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N’engagez pas le combat lorsque l’ennemi déploie ses bannières bien
rangées et de formations en rang impressionnant ; voilà le contrôle
des facteurs de changement des circonstances.
Si, réduits au désespoir, ils viennent pour vaincre ou pour périr,
évitez leur rencontre.
À un ennemi encerclé vous devez laisser une voie de sortie.
Si les ennemis réduits à l’extrémité abandonnent leur camp et
veulent se frayer un chemin pour aller camper ailleurs, ne les arrêtez
pas.
S’ils sont agiles et lestes, ne courez pas après eux ; s’ils manquent de
tout, prévenez leur désespoir.
Ne vous acharnez pas sur un ennemi aux abois.
Voilà à peu près ce que j’avais à vous dire sur les différents avantages
que vous devez tâcher de vous procurer lorsque à la tête d’une
armée vous aurez à vous mesurer avec des ennemis qui, peut-être
aussi prudents et aussi vaillants que vous, ne pourraient être vaincus,
si vous n’usez de votre part des petits stratagèmes dont je viens de
parler.
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Article VIII : Des neuf
changements
Sun Tzu dit : Ordinairement l’emploi des armées relève du
commandant en chef, après que le souverain l’a mandaté pour
mobiliser le peuple et assembler l’armée.
I. Si vous êtes dans des lieux marécageux, dans les lieux où il y a à
craindre les inondations, dans les lieux couverts d’épaisses forêts ou
de montagnes escarpées, dans des lieux déserts et arides, dans des
lieux où il n’y a que des rivières et des ruisseaux, dans des lieux enfin
d’où vous ne puissiez aisément tirer du secours, et où vous ne seriez
appuyé d’aucune façon, tâchez d’en sortir le plus promptement qu’il
vous sera possible. Allez chercher quelque endroit spacieux et vaste
où vos troupes puissent s’étendre, d’où elles puissent sortir
aisément, et où vos alliés puissent sans peine vous porter les secours
dont vous pourriez avoir besoin.
II. Evitez, avec une extrême attention, de camper dans des lieux isolés
; ou si la nécessité vous y force, n’y restez qu’autant de temps qu’il en
faut pour en sortir. Prenez sur-le-champ des mesures efficaces pour
le faire en sûreté et en bon ordre.
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III. Si vous vous trouvez dans des lieux éloignés des sources, des
ruisseaux et des puits, où vous ne trouviez pas aisément des vivres et
du fourrage, ne tardez pas de vous en tirer. Avant que de décamper,
voyez si le lieu que vous choisissez est à l’abri par quelque montagne
au moyen de laquelle vous soyez à couvert des surprises de l’ennemi,
si vous pouvez en sortir aisément, et si vous y avez les commodités
nécessaires pour vous procurer les vivres et les autres provisions ; s’il
est tel, n’hésitez point à vous en emparer.
IV. Si vous êtes dans un lieu de mort, cherchez l’occasion de
combattre. J’appelle lieu de mort ces sortes d’endroits où l’on a
aucune ressource, où l’on dépérit insensiblement par l’intempérie de
l’air, où les provisions se consument peu à peu sans espérance d’en
pouvoir faire de nouvelles ; où les maladies, commençant à se mettre
dans l’armée, semblent devoir y faire bientôt de grands ravages. Si
vous vous trouvez dans de telles circonstances, hâtez-vous de livrer
quelque combat. Je vous réponds que vos troupes n’oublieront rien
pour bien se battre. Mourir de la main des ennemis leur paraîtra
quelque chose de bien doux au prix de tous les maux qu’ils voient
prêts à fondre sur eux et à les accabler.
V. Si, par hasard ou par votre faute, votre armée se rencontrait dans
des lieux plein de défilés, où l’on pourrait aisément vous tendre des
embûches, d’où il ne serait pas aisé de vous sauver en cas de
poursuite, où l’on pourrait vous couper les vivres et les chemins,
gardez-vous bien d’y attaquer l’ennemi ; mais si l’ennemi vous y
attaque, combattez jusqu’à la mort. Ne vous contentez pas de
quelque petit avantage ou d’une demi-victoire ; ce pourrait être une
amorce pour vous défaire entièrement. Soyez même sur vos gardes,
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après que vous aurez eu toutes les apparences d’une victoire
complète.
VI. Quand vous saurez qu’une ville, quelque petite qu’elle soit, est
bien fortifiée et abondamment pourvue de munitions de guerre et de
bouche, gardez-vous bien d’en aller faire le siège ; et si vous n’êtes
instruit de l’état où elle se trouve qu’après que le siège en aura été
ouvert, ne vous obstinez pas à vouloir le continuer, vous courrez le
risque de voir toutes vos forces échouer contre cette place, que vous
serez enfin contraint d’abandonner honteusement.
VII. Ne négligez pas de courir après un petit avantage lorsque vous
pourrez vous le procurer sûrement et sans aucune perte de votre
part. Plusieurs de ces petits avantages qu’on pourrait acquérir et
qu’on néglige occasionnent souvent de grandes pertes et des
dommages irréparables.
VIII. Avant de songer à vous procurer quelque avantage, comparez-le
avec le travail, la peine, les dépenses et les pertes d’hommes et de
munitions qu’il pourra vous occasionner. Sachez à peu près si vous
pourrez le conserver aisément ; après cela, vous vous déterminerez à
le prendre ou à le laisser suivant les lois d’une saine prudence.
IX. Dans les occasions où il faudra prendre promptement son parti,
n’allez pas vouloir attendre les ordres du prince. S’il est des cas où il
faille agir contre des ordres reçus, n’hésitez pas, agissez sans crainte.
La première et principale intention de celui qui vous met à la tête de
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ses troupes est que vous soyez vainqueur des ennemis. S’il avait
prévu la circonstance où vous vous trouvez, il vous aurait dicté lui-
même la conduite que vous voulez tenir.
Voilà ce que j’appelle les neuf changements ou les neuf circonstances
principales qui doivent vous engager à changer la contenance ou la
position de votre armée, à changer de situation, à aller ou à revenir, à
attaquer ou à vous défendre, à agir ou à vous tenir en repos. Un bon
général ne doit jamais dire :
Quoi qu’il arrive, je ferai telle chose, j’irai là, j’attaquerai l’ennemi,
j’assiégerai telle place. La circonstance seule doit le déterminer ; il ne
doit pas s’en tenir à un système général, ni à une manière unique de
gouverner. Chaque jour, chaque occasion, chaque circonstance
demande une application particulière des mêmes principes. Les
principes sont bons en eux-mêmes ; mais l’application qu’on en fait
les rend souvent mauvais.
Un grand général doit savoir l’art des changements. S’il s’en tient à
une connaissance vague de certains principes, à une application
routinière des règles de l’art, si ses méthodes de commandement
sont dépourvues de souplesse, s’il examine les situations
conformément à quelques schémas, s’il prend ses résolutions d’une
manière mécanique, il ne mérite pas de commander.
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Un général est un homme qui, par le rang qu’il occupe, se trouve au-
dessus d’une multitude d’autres hommes ; il faut par conséquent
qu’il sache gouverner les hommes ; il faut qu’il sache les conduire ; il
faut qu’il soit véritablement au-dessus d’eux, non pas seulement par
sa dignité, mais par son esprit, par son savoir, par sa capacité, par sa
conduite, par sa fermeté, par son courage et par ses vertus. Il faut
qu’il sache distinguer les vrais d’avec les faux avantages, les
véritables pertes d’avec ce qui n’en a que l’apparence ; qu’il sache
compenser l’un par l’autre et tirer parti de tout. Il faut qu’il sache
employer à propos certains artifices pour tromper l’ennemi, et qu’il
se tienne sans cesse sur ses gardes pour n’être pas trompé lui-même.
Il ne doit ignorer aucun des pièges qu’on peut lui tendre, il doit
pénétrer tous les artifices de l’ennemi, de quelque nature qu’ils
puissent être, mais il ne doit pas pour cela vouloir deviner. Tenez-
vous sur vos gardes, voyez-le venir, éclairez ses démarches et toute
sa conduite, et concluez. Vous courriez autrement le risque de vous
tromper et d’être la dupe ou la triste victime de vos conjectures
précipitées.
Si vous voulez n’être jamais effrayé par la multitude de vos travaux et
de vos peines, attendez-vous toujours à tout ce qu’il y aura de plus
dur et de plus pénible. Travaillez sans cesse à susciter des peines à
l’ennemi. Vous pourrez le faire de plus d’une façon, mais voici ce qu’il
y a d’essentiel en ce genre.
N’oubliez rien pour lui débaucher ce qu’il y aura de mieux dans son
parti : offres, présents, caresses, que rien ne soit omis. Trompez
même s’il le faut : engagez les gens d’honneur qui sont chez lui à des
actions honteuses et indignes de leur réputation, à des actions dont
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ils aient lieu de rougir quand elles seront sues, et ne manquez pas de
les faire divulguer.
Entretenez des liaisons secrètes avec ce qu’il y a de plus vicieux chez
les ennemis ; servez-vous-en pour aller à vos fins, en leur joignant
d’autres vicieux.
Traversez leur gouvernement, semez la dissension parmi leurs chefs,
fournissez des sujets de colère aux uns contre les autres, faites-les
murmurer contre leurs officiers, ameutez les officiers subalternes
contre leurs supérieurs, faites en sorte qu’ils manquent de vivres et
de munitions, répandez parmi eux quelques airs d’une musique
voluptueuse qui leur amollissent le cœur, envoyez-leur des femmes
pour achever de les corrompre, tâchez qu’ils sortent lorsqu’il faudra
qu’ils soient dans leur camp, et qu’ils soient tranquilles dans leur
camp lorsqu’il faudrait qu’ils tinssent la campagne ; faites leur donner
sans cesse de fausses alarmes et de faux avis ; engagez dans vos
intérêts les gouverneurs de leurs provinces ; voilà à peu près ce que
vous devez faire, si vous voulez tromper par l’adresse et par la ruse.
Ceux des généraux qui brillaient parmi nos Anciens étaient des
hommes sages, prévoyants, intrépides et durs au travail. Ils avaient
toujours leurs sabres pendus à leurs côtés, ils ne présumaient jamais
que l’ennemi ne viendrait pas, ils étaient toujours prêts à tout
évènement, ils se rendaient invincibles et, s’ils rencontraient
l’ennemi, ils n’avaient pas besoin d’attendre du secours pour se
mesurer avec lui. Les troupes qu’ils commandaient étaient bien
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disciplinées, et toujours disposées à faire un coup de main au
premier signal qu’ils leur en donnaient.
Chez eux la lecture et l’étude précédaient la guerre et les y
préparaient. Ils gardaient avec soin leurs frontières, et ne
manquaient pas de bien fortifier leurs villes. Ils n’allaient pas contre
l’ennemi, lorsqu’ils étaient instruits qu’il avait fait tous ses préparatifs
pour les bien recevoir ; ils l’attaquaient par ses endroits faibles, et
dans le temps de sa paresse et de son oisiveté.
Avant que de finir cet article, je dois vous prévenir contre cinq sortes
de dangers, d’autant plus à redouter qu’ils paraissent moins à
craindre, écueils funestes contre lesquels la prudence et la bravoure
ont échoué plus d’une fois.
I. Le premier est une trop grande ardeur à affronter la mort ; ardeur
téméraire qu’on honore souvent des beaux noms de courage,
d’intrépidité et de valeur, mais qui, au fond, ne mérite guère que
celui de lâcheté. Un général qui s’expose sans nécessité, comme le
ferait un simple soldat, qui semble chercher les dangers et la mort,
qui combat et qui fait combattre jusqu’à la dernière extrémité, est un
homme qui mérite de mourir. C’est un homme sans tête, qui ne
saurait trouver aucune ressource pour se tirer d’un mauvais pas ;
c’est un lâche qui ne saurait souffrir le moindre échec sans en être
consterné, et qui se croit perdu si tout ne lui réussit.
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II. Le deuxième est une trop grande attention à conserver ses jours.
On se croit nécessaire à l’armée entière ; on n’aurait garde de
s’exposer ; on n’oserait pour cette raison se pourvoir de vivres chez
l’ennemi ; tout fait ombrage, tout fait peur ; on est toujours en
suspens, on ne se détermine à rien, on attend une occasion plus
favorable, on perd celle qui se présente, on ne fait aucun mouvement
; mais l’ennemi, qui est toujours attentif, profite de tout, et fait
bientôt perdre toute espérance à un général ainsi prudent. Il
l’enveloppera, il lui coupera les vivres et le fera périr par le trop grand
amour qu’il avait de conserver sa vie.
III. Le troisième est une colère précipitée. Un général qui ne sait pas
se modérer, qui n’est pas maître de lui-même, et qui se laisse aller
aux premiers mouvements d’indignation ou de colère, ne saurait
manquer d’être la dupe des ennemis. Ils le provoqueront, ils lui
tendront mille pièges que sa fureur l’empêchera de reconnaître, et
dans lesquels il donnera infailliblement.
IV. Le quatrième est un point d’honneur mal entendu. Un général ne
doit pas se piquer mal à propos, ni hors de raison ; il doit savoir
dissimuler ; il ne doit point se décourager après quelque mauvais
succès, ni croire que tout est perdu parce qu’il aura fait quelque faute
ou qu’il aura reçu quelque échec. Pour vouloir réparer son honneur
légèrement blessé, on le perd quelquefois sans ressources.
V. Le cinquième, enfin, est une trop grande complaisance ou une
compassion trop tendre pour le soldat. Un général qui n’ose punir,
qui ferme les yeux sur le désordre, qui craint que les siens ne soient
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toujours accablés sous le poids du travail, et qui n’oserait pour cette
raison leur en imposer, est un général propre à tout perdre. Ceux
d’un rang inférieur doivent avoir des peines ; il faut toujours avoir
quelque occupation à leur donner ; il faut qu’ils aient toujours
quelque chose à souffrir. Si vous voulez tirer parti de leur service,
faites en sorte qu’ils ne soient jamais oisifs. Punissez avec sévérité,
mais sans trop de rigueur. Procurez des peines et du travail, mais
jusqu’à un certain point.
Un général doit se prémunir contre tous ces dangers. Sans trop
chercher à vivre ou à mourir, il doit se conduire avec valeur et avec
prudence, suivant que les circonstances l’exigent.
S’il a de justes raisons de se mettre en colère, qu’il le fasse, mais que
ce ne soit pas en tigre qui ne connaît aucun frein.
S’il croit que son honneur est blessé, et qu’il veuille le réparer, que ce
soit en suivant les règles de la sagesse, et non pas les caprices d’une
mauvaise honte.
Qu’il aime ses soldats, qu’il les ménage, mais que ce soit avec
discrétion.
S’il livre des batailles, s’il fait des mouvements dans son camp, s’il
assiège des villes, s’il fait des excursions, qu’il joigne la ruse à la
valeur, la sagesse à la force des armes ; qu’il répare tranquillement
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ses fautes lorsqu’il aura eu le malheur d’en faire ; qu’il profite de
toutes celles de son ennemi, et qu’il le mette souvent dans l’occasion
d’en faire de nouvelles.
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Article IX : De la distribution
des moyens
Sun Tzu dit : Avant que de faire camper vos troupes, sachez dans
quelle position sont les ennemis, mettez-vous au fait du terrain et
choisissez ce qu’il y aura de plus avantageux pour vous. On peut
réduire à quatre points principaux ces différentes situations.
I. Si vous êtes dans le voisinage de quelque montagne, gardez-vous
bien de vous emparer de la partie qui regarde le nord ; occupez au
contraire le côté du midi : cet avantage n’est pas d’une petite
conséquence. Depuis le penchant de la montagne, étendez-vous en
sûreté jusque bien avant dans les vallons ; vous y trouverez de l’eau
et du fourrage en abondance ; vous y serez égayé par la vue du soleil,
réchauffé par ses rayons, et l’air que vous y respirerez sera tout
autrement salubre que celui que vous respireriez de l’autre côté. Si
les ennemis viennent par derrière la montagne dans le dessein de
vous surprendre, instruit par ceux que vous aurez placés sur la cime,
vous vous retirerez à loisir, si vous ne vous croyez pas en état de leur
faire tête ; ou vous les attendrez de pied ferme pour les combattre si
vous jugez que vous puissiez être vainqueur sans trop risquer.
Cependant ne combattez sur les hauteurs que lorsque la nécessité
vous y engagera, surtout n’y allez jamais chercher l’ennemi.
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II. Si vous êtes auprès de quelque rivière, approchez-vous le plus que
vous pourrez de sa source ; tâchez d’en connaître tous les bas-fonds
et tous les endroits qu’on peut passer à gué. Si vous avez à la passer,
ne le faites jamais en présence de l’ennemi ; mais si les ennemis, plus
hardis, ou moins prudents que vous, veulent en hasarder le passage,
ne les attaquez point que la moitié de leurs gens ne soit de l’autre
côté ; vous combattrez alors avec tout l’avantage de deux contre un.
Près des rivières mêmes tenez toujours les hauteurs, afin de pouvoir
découvrir au loin ; n’attendez pas l’ennemi près des bords, n’allez pas
au-devant de lui ; soyez toujours sur vos gardes de peur qu’étant
surpris vous n’ayez pas un lieu pour vous retirer en cas de malheur.
III. Si vous êtes dans des lieux glissants, humides, marécageux et
malsains, sortez-en le plus vite que vous pourrez ; vous ne sauriez-
vous y arrêter sans être exposé aux plus grands inconvénients ; la
disette des vivres et les maladies viendraient bientôt vous y assiéger.
Si vous êtes contraint d’y rester, tâchez d’en occuper les bords ;
gardez-vous bien d’aller trop avant. S’il y a des forêts aux environs,
laissez-les derrière vous.
IV. Si vous êtes en plaine dans des lieux unis et secs, ayez toujours
votre gauche à découvert ; ménagez derrière vous quelque élévation
d’où vos gens puissent découvrir au loin. Quand le devant de votre
camp ne vous présentera que des objets de mort, ayez soin que les
lieux qui sont derrière puissent vous offrir des secours contre
l’extrême nécessité.
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Tels sont les avantages des différents campements ; avantages
précieux, d’où dépend la plus grande partie des succès militaires.
C’est en particulier parce qu’il possédait à fond l’art des campements
que l’Empereur Jaune triompha de ses ennemis et soumit à ses lois
tous les princes voisins de ses États.
Il faut conclure de tout ce que je viens de dire que les hauteurs sont
en général plus salutaires aux troupes que les lieux bas et profonds.
Dans les lieux élevés mêmes, il y a un choix à faire : c’est de camper
toujours du côté du midi, parce que c’est là qu’on trouve l’abondance
et la fertilité. Un campement de cette nature est un avant-coureur de
la victoire. Le contentement et la santé, qui sont la suite ordinaire
d’une bonne nourriture prise sous un ciel pur, donnent du courage et
de la force au soldat, tandis que la tristesse, le mécontentement et
les maladies l’épuisent, l’énervent, le rendent pusillanime et le
découragent entièrement.
Il faut conclure encore que les campements près des rivières ont
leurs avantages qu’il ne faut pas négliger, et leurs inconvénients qu’il
faut tâcher d’éviter avec un grand soin. Je ne saurais trop vous le
répéter, tenez le haut de la rivière, laissez-en le courant aux ennemis.
Outre que les gués sont beaucoup plus fréquents vers la source, les
eaux en sont plus pures et plus salubres.
Lorsque les pluies auront formé quelque torrent, ou qu’elles auront
grossi le fleuve ou la rivière dont vous occupez les bords, attendez
quelque temps avant que de vous mettre en marche ; surtout ne
vous hasardez pas à passer de l’autre côté, attendez pour le faire que
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les eaux aient repris la tranquillité de leur cours ordinaire. Vous en
aurez des preuves certaines si vous n’entendez plus un certain bruit
sourd, qui tient plus du frémissement que du murmure, si vous ne
voyez plus d’écume surnager, et si la terre ou le sable ne coulent plus
avec l’eau.
Pour ce qui est des défilés et des lieux entrecoupés par des précipices
et par des rochers, des lieux marécageux et glissants, des lieux étroits
et couverts, lorsque la nécessité ou le hasard vous y aura conduit,
tirez-vous-en le plus tôt qu’il vous sera possible, éloignez-vous-en le
plus tôt que vous pourrez. Si vous en êtes loin, l’ennemi en sera près.
Si vous fuyez, l’ennemi poursuivra et tombera peut-être dans les
dangers que vous venez d’éviter.
Vous devez encore être extrêmement en garde contre une autre
espèce de terrain. Il est des lieux couverts de broussailles ou de petits
bois ; il en est qui sont pleins de hauts et de bas, où l’on est sans
cesse ou sur des collines ou dans des vallons, dé-fiez-vous-en ; soyez
dans une attention continuelle. Ces sortes de lieux peuvent être
pleines d’embuscades ; l’ennemi peut sortir à chaque instant vous
surprendre, tomber sur vous et vous tailler en pièces. Si vous en êtes
loin, n’en approchez pas ; si vous en êtes près, ne vous mettez pas en
mouvement que vous n’ayez fait reconnaître tous les environs. Si
l’ennemi vient vous y attaquer, faites en sorte qu’il ait tout le
désavantage du terrain de son côté. Pour vous, ne l’attaquez que
lorsque vous le verrez à découvert.
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Enfin, quel que soit le lieu de votre campement, bon ou mauvais, il
faut que vous en tiriez parti ; n’y soyez jamais oisif, ni sans faire
quelque tentative ; éclairez toutes les démarches des ennemis ; ayez
des espions de distance en distance, jusqu’au milieu de leur camp,
jusque sous la tente de leur général. Ne négligez rien de tout ce
qu’on pourra vous rapporter, faites attention à tout.
Si ceux de vos gens que vous avez envoyés à la découverte vous font
dire que les arbres sont en mouvement, quoique par un temps calme,
concluez que l’ennemi est en marche. Il peut se faire qu’il veuille
venir à vous ; disposez toutes choses, préparez-vous à le bien
recevoir, allez même au-devant de lui.
Si l’on vous rapporte que les champs sont couverts d’herbes, et que
ces herbes sont fort hautes, tenez-vous sans cesse sur vos gardes ;
veillez continuellement, de peur de quelque surprise.
Si l’on vous dit qu’on a vu des oiseaux attroupés voler par bandes
sans s’arrêter, soyez en défiance ; on vient vous espionner ou vous
tendre des pièges ; mais si, outre les oiseaux, on voit encore un grand
nombre de quadrupèdes courir la campagne, comme s’ils n’avaient
point de gîte, c’est une marque que les ennemis sont aux aguets.
Si l’on vous rapporte qu’on aperçoit au loin des tourbillons de
poussière s’élever dans les airs, concluez que les ennemis sont en
marche. Dans les endroits où la poussière est basse et épaisse sont
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les gens de pied ; dans les endroits où elle est moins épaisse et plus
élevée sont la cavalerie et les chars.
Si l’on vous avertit que les ennemis sont dispersés et ne marchent
que par pelotons, c’est une marque qu’ils ont eu à traverser quelque
bois, qu’ils ont fait des abattis, et qu’ils sont fatigués ; ils cherchent
alors à se rassembler.
Si vous apprenez qu’on aperçoit dans les campagnes des gens de pied
et des hommes à cheval aller et venir, dispersés çà et là par petites
bandes, ne doutez pas que les ennemis ne soient campés.
Tels sont les indices généraux dont vous devez tâcher de profiter,
tant pour savoir la position de ceux avec lesquels vous devez vous
mesurer que pour faire avorter leurs projets, et vous mettre à
couvert de toute surprise de leur part. En voici quelques autres
auxquels vous devez une plus particulière attention.
Lorsque ceux de vos espions qui sont près du camp des ennemis vous
feront savoir qu’on y parle bas et d’une manière mystérieuse, que ces
ennemis sont modestes dans leur façon d’agir et retenus dans tous
leurs discours, concluez qu’ils pensent à une action générale, et qu’ils
en font déjà les préparatifs : allez à eux sans perdre de temps. Ils
veulent vous surprendre, surprenez-les vous-même.
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Si vous apprenez au contraire qu’ils sont bruyants, fiers et hautains
dans leurs discours, soyez certain qu’ils pensent à la retraite et qu’ils
n’ont nullement envie d’en venir aux mains.
Lorsqu’on vous fera savoir qu’on a vu quantité de chars vides
précéder leur armée, préparez-vous à combattre, car les ennemis
viennent à vous en ordre de bataille.
Gardez-vous bien d’écouter alors les propositions de paix ou
d’alliance qu’ils pourraient vous faire, ce ne serait qu’un artifice de
leur part.
S’ils font des marches forcées, c’est qu’ils croient courir à la victoire ;
s’ils vont et viennent, s’ils avancent en partie et qu’ils reculent
autant, c’est qu’ils veulent vous attirer au combat ; si, la plupart du
temps, debout et sans rien faire, ils s’appuient sur leurs armes
comme sur des bâtons, c’est qu’ils sont aux expédients, qu’ils
meurent presque de faim, et qu’ils pensent à se procurer de quoi
vivre ; si passant près de quelque rivière, ils courent tous en désordre
pour se désaltérer, c’est qu’ils ont souffert de la soif ; si leur ayant
présenté l’appât de quelque chose d’utile pour eux, sans cependant
qu’ils aient su ou voulu en profiter, c’est qu’ils se défient ou qu’ils ont
peur ; s’ils n’ont pas le courage d’avancer, quoiqu’ils soient dans les
circonstances où il faille le faire, c’est qu’ils sont dans l’embarras,
dans les inquiétudes et les soucis.
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Outre ce que je viens de dire, attachez-vous en particulier à savoir
tous leurs différents campements. Vous pourrez les connaître au
moyen des oiseaux que vous verrez attroupés dans certains endroits.
Et si leurs campements ont été fréquents, vous pourrez conclure
qu’ils ont peu d’habileté dans la connaissance des lieux. Le vol des
oiseaux ou les cris de ceux-ci peuvent vous indiquer la présence
d’embuscades invisibles.
Si vous apprenez que, dans le camp des ennemis, il y a des festins
continuels, qu’on y boit et qu’on y mange avec fracas, soyez-en bien
aise ; c’est une preuve infaillible que leurs généraux n’ont point
d’autorité.
Si leurs étendards changent souvent de place, c’est une preuve qu’ils
ne savent à quoi se déterminer, et que le désordre règne parmi eux.
Si les soldats se groupent continuellement, et chuchotent entre eux,
c’est que le général a perdu la confiance de son armée.
L’excès de récompenses et de punitions montre que le
commandement est au bout de ses ressources, et dans une grande
détresse ; si l’armée va même jusqu’à se saborder et briser ses
marmites, c’est la preuve qu’elle est aux abois et qu’elle se battra
jusqu’à la mort.
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Si leurs officiers subalternes sont inquiets, mécontents et qu’ils se
fâchent pour la moindre chose, c’est une preuve qu’ils sont ennuyés
ou accablés sous le poids d’une fatigue inutile.
Si dans différents quartiers de leur camp on tue furtivement des
chevaux, dont on permette ensuite de manger la chair, c’est une
preuve que leurs provisions sont sur la fin.
Telles sont les attentions que vous devez à toutes les démarches que
peuvent faire les ennemis. Une telle minutie dans les détails peut
vous paraître superflue, mais mon dessein est de vous prévenir sur
tout, et de vous convaincre que rien de tout ce qui peut contribuer à
vous faire triompher n’est petit. L’expérience me l’a appris, elle vous
l’apprendra de même ; je souhaite que ce ne soit pas à vos dépens.
Encore une fois, éclairez toutes les démarches de l’ennemi, quelles
qu’elles puissent être ; mais veillez aussi sur vos propres troupes,
ayez l’œil à tout, sachez tout, empêchez les vols et les brigandages, la
débauche et l’ivrognerie, les mécontentements et les cabales, la
paresse et l’oisiveté. Sans qu’il soit nécessaire qu’on vous en
instruise, vous pourrez connaître par vous-même ceux de vos gens
qui seront dans le cas, et voici comment.
Si quelques-uns de vos soldats, lorsqu’ils changent de poste ou de
quartier, ont laissé tomber quelque chose, quoique de petite valeur,
et qu’ils n’aient pas voulu se donner la peine de la ramasser ; s’ils ont
oublié quelque ustensile dans leur première station, et qu’ils ne le
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réclament point, concluez que ce sont des voleurs, punissez-les
comme tels.
Si dans votre armée on a des entretiens secrets, si l’on y parle
souvent à l’oreille ou à voix basse, s’il y a des choses qu’on n’ose dire
qu’à demi-mot, concluez que la peur s’est glissée parmi vos gens, que
le mécontentement va suivre, et que les cabales ne tarderont pas à
se former : hâtez-vous d’y mettre ordre.
Si vos troupes paraissent pauvres, et qu’elles manquent quelquefois
d’un certain petit nécessaire ; outre la solde ordinaire, faites-leur
distribuer quelque somme d’argent, mais gardez-vous bien d’être
trop libéral, l’abondance d’argent est souvent plus funeste qu’elle
n’est avantageuse, et plus préjudiciable qu’utile ; par l’abus qu’on en
fait, elle est la source de la corruption des cœurs et la mère de tous
les vices.
Si vos soldats, d’audacieux qu’ils étaient auparavant, deviennent
timides et craintifs, si chez eux la faiblesse a pris la place de la force,
la bassesse, celle de la magnanimité, soyez sûr que leur cœur est gâté
; cherchez la cause de leur dépravation et tranchez-la jusqu’à la
racine.
Si, sous divers prétextes, quelques-uns vous demandent leur congé,
c’est qu’ils n’ont pas envie de combattre, ne les refusez pas tous ;
mais, en l’accordant à plusieurs, que ce soit à des conditions
honteuses.
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S’ils viennent en troupe vous demander justice d’un ton mutin et
colère, écoutez leurs raisons, ayez-y égard ; mais, en leur donnant
satisfaction d’un côté, punissez-les très sévèrement de l’autre.
Si, lorsque vous aurez fait appeler quelqu’un, il n’obéit pas
promptement, s’il est longtemps à se rendre à vos ordres, et si, après
que vous aurez fini de lui signifier vos volontés, il ne se retire pas,
défiez-vous, soyez sur vos gardes.
En un mot, la conduite des troupes demande des attentions
continuelles de la part d’un général. Sans quitter de vue l’armée des
ennemis, il faut sans cesse éclairer la vôtre ; sachez lorsque le
nombre des ennemis augmentera, soyez informé de la mort ou de la
désertion du moindre de vos soldats.
Si l’armée ennemie est inférieure à la vôtre, et si elle n’ose pour cette
raison se mesurer à vous, allez l’attaquer sans délai, ne lui donnez
pas le temps de se renforcer ; une seule bataille est décisive dans ces
occasions. Mais si, sans être au fait de la situation actuelle des
ennemis, et sans avoir mis ordre à tout, vous vous avisez de les
harceler pour les engager à un combat, vous courez le risque de
tomber dans ses pièges, de vous faire battre, et de vous perdre sans
ressource.
Si vous ne maintenez une exacte discipline dans votre armée, si vous
ne punissez pas exactement jusqu’à la moindre faute, vous ne serez
bientôt plus respecté, votre autorité même en souffrira, et les
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châtiments que vous pourrez employer dans la suite, bien loin
d’arrêter les fautes, ne serviront qu’à augmenter le nombre des
coupables. Or si vous n’êtes ni craint ni respecté, si vous n’avez
qu’une autorité faible, et dont vous ne sauriez-vous servir sans
danger, comment pourrez-vous être avec honneur à la tête d’une
armée ? Comment pourrez-vous vous opposer aux ennemis de l’État
?
Quand vous aurez à punir, faites-le de bonne heure et à mesure que
les fautes l’exigent. Quand vous aurez des ordres à donner, ne les
donnez point que vous ne soyez sûr que vous serez exactement obéi.
Instruisez vos troupes, mais instruisez-les à propos ; ne les ennuyez
point, ne les fatiguez point sans nécessité ; tout ce qu’elles peuvent
faire de bon ou de mauvais, de bien ou de mal, est entre vos mains.
Dans la guerre, le grand nombre seul ne confère pas l’avantage ;
n’avancez pas en comptant sur la seule puissance militaire. Une
armée composée des mêmes hommes peut être très méprisable,
quand elle sera commandée par tel général, tandis qu’elle sera
invincible commandée par tel autre.
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Article X : De la topologie
Sun Tzu dit : Sur la surface de la terre tous les lieux ne sont pas
équivalents ; il y en a que vous devez fuir, et d’autres qui doivent être
l’objet de vos recherches ; tous doivent vous être parfaitement
connus.
Dans les premiers sont à ranger ceux qui n’offrent que d’étroits
passages, qui sont bordés de rochers ou de précipices, qui n’ont pas
d’accès facile avec les espaces libres desquels vous pouvez attendre
du secours. Si vous êtes le premier à occuper ce terrain, bloquez les
passages et attendez l’ennemi ; si l’ennemi est sur place avant vous,
ne l’y suivez pas, à moins qu’il n’ait pas fermé complètement les
défilés. Ayez-en une connaissance exacte pour ne pas y engager votre
armée mal à propos.
Recherchez au contraire un lieu dans lequel il y aurait une montagne
assez haute pour vous défendre de toute surprise, où l’on pourrait
arriver et d’où l’on pourrait sortir par plusieurs chemins qui vous
seraient parfaitement connus, où les vivres seraient en abondance,
où les eaux ne sauraient manquer, où l’air serait salubre et le terrain
assez uni ; un tel lieu doit faire l’objet de vos plus ardentes
recherches. Mais soit que vous vouliez-vous emparer de quelque
campement avantageux, soit que vous cherchiez à éviter des lieux
dangereux ou peu commodes, usez d’une extrême diligence,
persuadé que l’ennemi a le même objet que vous.
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Si le lieu que vous avez dessein de choisir est autant à la portée des
ennemis qu’à la vôtre, si les ennemis peuvent s’y rendre aussi
aisément que vous, il s’agit de les devancer. Pour cela, faites des
marches pendant la nuit, mais arrêtez-vous au lever du soleil, et, s’il
se peut, que ce soit toujours sur quelque éminence, afin de pouvoir
découvrir au loin ; attendez alors que vos provisions et tout votre
bagage soient arrivés ; si l’ennemi vient à vous, vous l’attendrez de
pied ferme, et vous pourrez le combattre avec avantage.
Ne vous engagez jamais dans ces sortes de lieu où l’on peut aller très
aisément, mais d’où l’on ne peut sortir qu’avec beaucoup de peine et
une extrême difficulté ; si l’ennemi laisse un pareil camp entièrement
libre, c’est qu’il cherche à vous leurrer ; gardez-vous bien d’avancer,
mais trompez-le en pliant bagage. S’il est assez imprudent pour vous
suivre, il sera obligé de traverser ce terrain scabreux. Lorsqu’il y aura
engagé la moitié de ses troupes, allez à lui, il ne saurait vous
échapper, frappez-le avantageusement et vous le vaincrez sans
beaucoup de travail.
Une fois que vous serez campé avec tout l’avantage du terrain,
attendez tranquillement que l’ennemi fasse les premières démarches
et qu’il se mette en mouvement. S’il vient à vous en ordre de bataille,
n’allez au-devant de lui que lorsque vous verrez qu’il lui sera difficile
de retourner sur ses pas.
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Un ennemi bien préparé pour le combat, et contre qui votre attaque
a échoué, est dangereux : ne revenez pas à une seconde charge,
retirez-vous dans votre camp, si vous le pouvez, et n’en sortez pas
que vous ne voyiez clairement que vous le pouvez sans danger. Vous
devez vous attendre que l’ennemi fera jouer bien des ressorts pour
vous attirer : rendez inutiles tous les artifices qu’il pourrait employer.
Si votre rival vous a prévenu, et qu’il ait pris son camp dans le lieu où
vous auriez dû prendre le vôtre, c’est-à-dire dans le lieu le plus
avantageux, ne vous amusez point à vouloir l’en déloger en
employant les stratagèmes communs ; vous travailleriez inutilement.
Si la distance entre vous et lui est assez considérable et que les deux
armées sont à peu près égales, il ne tombera pas aisément dans les
pièges que vous lui tendrez pour l’attirer au combat : ne perdez pas
votre temps inutilement, vous réussirez mieux d’un autre côté.
Ayez pour principe que votre ennemi cherche ses avantages avec
autant d’empressement que vous pouvez chercher les vôtres :
employez toute votre industrie à lui donner le change de ce côté-là ;
mais surtout ne le prenez pas vous-même. Pour cela, n’oubliez jamais
qu’on peut tromper ou être trompé de bien des façons. Je ne vous en
rappellerai que six principales, parce qu’elles sont les sources d’où
dérivent toutes les autres.
La première consiste dans la marche des troupes
La deuxième, dans leurs différents arrangements.
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La troisième, dans leur position dans des lieux bourbeux.
La quatrième, dans leur désordre.
La cinquième, dans leur dépérissement.
Et la sixième, dans leur fuite.
Un général qui recevrait quelque échec, faute de ces connaissances,
aurait tort d’accuser le Ciel de son malheur ; il doit se l’attribuer tout
entier.
Si celui qui est à la tête des armées néglige de s’instruire à fond de
tout ce qui a rapport aux troupes qu’il doit mener au combat et à
celles qu’il doit combattre ; s’il ne connaît pas exactement le terrain
où il est actuellement, celui où il doit se rendre, celui où l’on peut se
retirer en cas de malheur, celui où l’on peut feindre d’aller sans avoir
d’autre envie que celle d’y attirer l’ennemi, et celui où il peut être
forcé de s’arrêter, lorsqu’il n’aura pas lieu de s’y attendre ; s’il fait
mouvoir son armée hors de propos ; s’il n’est pas instruit de tous les
mouvements de l’armée ennemie et des desseins qu’elle peut avoir
dans la conduite qu’elle tient ; s’il divise ses troupes sans nécessité,
ou sans y être comme forcé par la nature du lieu où il se trouve, ou
sans avoir prévu tous les inconvénients qui pourraient en résulter, ou
sans une certitude de quelque avantage réel de cette dispersion ; s’il
souffre que le désordre s’insinue peu à peu dans son armée, ou si, sur
des indices incertains, il se persuade trop aisément que le désordre
règne dans l’armée ennemie, et qu’il agisse en conséquence ; si son
armée dépérit insensiblement, sans qu’il se mette en devoir d’y
apporter un prompt remède ; un tel général ne peut être que la dupe
des ennemis, qui lui donneront le change par des fuites étudiées, par
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des marches feintes, et par un total de conduite dont il ne saurait
manquer d’être la victime.
Les maximes suivantes doivent vous servir de règles pour toutes vos
actions.
Si votre armée et celle de l’ennemi sont à peu près en nombre égal et
d’égale force, il faut que des dix parties des avantages du terrain vous
en ayez neuf pour vous ; mettez toute votre application, employez
tous vos efforts et toute votre industrie pour vous les procurer. Si
vous les possédez, votre ennemi se trouvera réduit à n’oser se
montrer devant vous et à prendre la fuite dès que vous paraîtrez ; ou
s’il est assez imprudent pour vouloir en venir à un combat, vous le
combattrez avec l’avantage de dix contre un. Le contraire arrivera si,
par négligence ou faute d’habileté, vous lui avez laissé le temps et les
occasions de se procurer ce que vous n’avez pas.
Dans quelque position que vous puissiez être, si pendant que vos
soldats sont forts et pleins de valeur, vos officiers sont faibles et
lâches, votre armée ne saurait manquer d’avoir le dessous ; si, au
contraire, la force et la valeur se trouve uniquement renfermées dans
les officiers, tandis que la faiblesse et la lâcheté domineront dans le
cœur des soldats, votre armée sera bientôt en déroute ; car les
soldats pleins de courage et de valeur ne voudront pas se déshonorer
; ils ne voudront jamais que ce que des officiers lâches et timides ne
sauraient leur accorder, de même des officiers vaillants et intrépides
seront à coup sûr mal obéis par des soldats timides et poltrons.
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Si les officiers généraux sont faciles à s’enflammer, et s’ils ne savent
ni dissimuler ni mettre un frein à leur colère, quel qu’en puisse être le
sujet, ils s’engageront d’eux-mêmes dans des actions ou de petits
combats dont ils ne se tireront pas avec honneur, parce qu’ils les
auront commencés avec précipitation, et qu’ils n’en auront pas prévu
les inconvénients et toutes les suites ; il arrivera même qu’ils agiront
contre l’intention expresse du général, sous divers prétextes qu’ils
tâcheront de rendre plausibles ; et d’une action particulière
commencée étourdiment et contre toutes les règles, on en viendra à
un combat général, dont tout l’avantage sera du côté de l’ennemi.
Veillez sur de tels officiers, ne les éloignez jamais de vos côtés ;
quelques grandes qualités qu’ils puissent avoir d’ailleurs, ils vous
causeraient de grands préjudices, peut-être même la perte de votre
armée entière.
Si un général est pusillanime, il n’aura pas les sentiments d’honneur
qui conviennent à une personne de son rang, il manquera du talent
essentiel de donner de l’ardeur aux troupes ; il ralentira leur courage
dans le temps qu’il faudrait le ranimer ; il ne saura ni les instruire ni
les dresser à propos ; il ne croira jamais devoir compter sur les
lumières, la valeur et l’habileté des officiers qui lui sont soumis, les
officiers eux-mêmes ne sauront à quoi s’en tenir ; il fera faire mille
fausses démarches à ses troupes, qu’il voudra disposer tantôt d’une
façon et tantôt d’une autre, sans suivre aucun système, sans aucune
méthode ; il hésitera sur tout, il ne se décidera sur rien, partout il ne
verra que des sujets de crainte ; et alors le désordre, et un désordre
général, régnera dans son armée.
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Si un général ignore le fort et le faible de l’ennemi contre lequel il a à
combattre, s’il n’est pas instruit à fond, tant des lieux qu’il occupe
actuellement que de ceux qu’il peut occuper suivant les différents
évènements, il lui arrivera d’opposer à ce qu’il y a de plus fort dans
l’armée ennemie ce qu’il y a de plus faible dans la sienne, à envoyer
ses troupes faibles et aguerries contre les troupes fortes, ou contre
celles qui n’ont aucune considération chez l’ennemi, à ne pas choisir
des troupes d’élite pour son avant-garde, à faire attaquer par où il ne
faudrait pas le faire, à laisser périr, faute de secours, ceux des siens
qui se trouveraient hors d’état de résister, à se défendre mal à
propos dans un mauvais poste, à céder légèrement un poste de la
dernière importance ; dans ces sortes d’occasions il comptera sur
quelque avantage imaginaire qui ne sera qu’un effet de la politique
de l’ennemi, ou bien il perdra courage après un échec qui ne devrait
être compté pour rien. Il se trouvera poursuivi sans s’y être attendu,
il se trouvera enveloppé. On le combattra vivement, heureux alors s’il
peut trouver son salut dans la fuite. C’est pourquoi, pour en revenir
au sujet qui fait la matière de cet article, un bon général doit
connaître tous les lieux qui sont ou qui peuvent être le théâtre de la
guerre, aussi distinctement qu’il connaît tous les coins et recoins des
cours et des jardins de sa propre maison.
J’ajoute dans cet article qu’une connaissance exacte du terrain est ce
qu’il y a de plus essentiel parmi les matériaux qu’on peut employer
pour un édifice aussi important à la tranquillité et à la gloire de l’État.
Ainsi un homme, que la naissance où les évènements semblent
destiner à la dignité de général, doit employer tous ses soins et faire
tous ses efforts pour se rendre habile dans cette partie de l’art des
guerriers.
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Avec une connaissance exacte du terrain, un général peut se tirer
d’affaire dans les circonstances les plus critiques. Il peut se procurer
les secours qui lui manquent, il peut empêcher ceux qu’on envoie à
l’ennemi ; il peut avancer, reculer et régler toutes ses démarches
comme il le jugera à propos ; il peut disposer des marches de son
ennemi et faire à son gré qu’il avance ou qu’il recule ; il peut le
harceler sans crainte d’être surpris lui-même ; il peut l’incommoder
de mille manières, et parer de son côté à tous les dommages qu’on
voudrait lui causer. Calculer les distances et les degrés de difficulté
du terrain, c’est contrôler la victoire. Celui qui combat avec la pleine
connaissance de ces facteurs est certain de gagner ; il peut enfin finir
ou prolonger la campagne, selon qu’il le jugera plus expédient pour
sa gloire ou pour ses intérêts.
Vous pouvez compter sur une victoire certaine si vous connaissez
tous les tours et tous les détours, tous les hauts et les bas, tous les
allants et les aboutissants de tous les lieux que les deux armées
peuvent occuper, depuis les plus près jusqu’à ceux qui sont les plus
éloignés, parce qu’avec cette connaissance vous saurez quelle forme
il sera plus à propos de donner aux différents corps de vos troupes,
vous saurez sûrement quand il sera à propos de combattre ou
lorsqu’il faudra différer la bataille, vous saurez interpréter la volonté
du souverain suivant les circonstances, quels que puissent être les
ordres que vous en aurez reçus ; vous le servirez véritablement en
suivant vos lumières présentes, vous ne contracterez aucune tâche
qui puisse souiller votre réputation, et vous ne serez point exposé à
périr ignominieusement pour avoir obéi.
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Un général malheureux est toujours un général coupable.
Servir votre prince, faire l’avantage de l’État et le bonheur des
peuples, c’est ce que vous devez avoir en vue ; remplissez ce triple
objet, vous avez atteint le but.
Dans quelque espèce de terrain que vous soyez, vous devez regarder
vos troupes comme des enfants qui ignorent tout et qui ne sauraient
faire un pas ; il faut qu’elles soient conduites ; vous devez les
regarder, dis-je, comme vos propres enfants ; il faut les conduire
vous-même. Ainsi, s’il s’agit d’affronter les hasards, que vos gens ne
les affrontent pas seuls, et qu’ils ne les affrontent qu’à votre suite. S’il
s’agit de mourir, qu’ils meurent, mais mourez avec eux.
Je dis que vous devez aimer tous ceux qui sont sous votre conduite
comme vous aimeriez vos propres enfants. Il ne faut pas cependant
en faire des enfants gâtés ; ils seraient tels, si vous ne les corrigiez pas
lorsqu’ils méritent de l’être, si, quoique plein d’attention, d’égards et
de tendresse pour eux, vous ne pouviez pas les gouverner, ils se
montreraient insoumis et peu empressés à répondre à vos désirs.
Dans quelque espèce de terrain que vous soyez, si vous êtes au fait
de tout ce qui le concerne, si vous savez même par quel endroit il
faut attaquer l’ennemi, mais si vous ignorez s’il est actuellement en
état de défense ou non, s’il est disposé à vous bien recevoir, et s’il a
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fait les préparatifs nécessaires à tout évènement, vos chances de
victoire sont réduites de moitié.
Quoique vous ayez une pleine connaissance de tous les lieux, que
vous sachiez même que les ennemis peuvent être attaqués, et par
quel côté ils doivent l’être, si vous n’avez pas des indices certains que
vos propres troupes peuvent attaquer avec avantage, j’ose vous le
dire, vos chances de victoire sont réduites de moitié.
Si vous êtes au fait de l’état actuel des deux armées, si vous savez en
même temps que vos troupes sont en état d’attaquer avec avantage,
et que celles de l’ennemi leur sont inférieures en force et en nombre,
mais si vous ne connaissez pas tous les coins et recoins des lieux
circonvoisins, vous ne saurez s’il est invulnérable à l’attaque ; je vous
l’assure, vos chances de victoire sont réduites de moitié.
Ceux qui sont véritablement habiles dans l’art militaire font toutes
leurs marches sans désavantage, tous leurs mouvements sans
désordre, toutes leurs attaques à coup sûr, toutes leurs défenses
sans surprise, leurs campements avec choix, leurs retraites par
système et avec méthode ; ils connaissent leurs propres forces, ils
savent quelles sont celles de l’ennemi, ils sont instruits de tout ce qui
concerne les lieux.
Donc je dis : Connais-toi toi-même, connais ton ennemi, ta victoire ne
sera jamais mise en danger. Connais le terrain, connais ton temps, ta
victoire sera alors totale.
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Article XI : Des neuf sortes de
terrain
Sun Tzu dit : Il y a neuf sortes de lieux qui peuvent être à l’avantage
ou au détriment de l’une ou de l’autre armée. 1° Des lieux de division
ou de dispersion. 2° Des lieux légers. 3° Des lieux qui peuvent être
disputés. 4° Des lieux de réunion. 5° Des lieux pleins et unis. 6° Des
lieux à plusieurs issues. 7° Des lieux graves et importants. 8° Des lieux
gâtés ou détruits. 9° Des lieux de mort.
I. J’appelle lieux de division ou de dispersion ceux qui sont près des
frontières dans nos possessions. Des troupes qui se tiendraient
longtemps sans nécessité au voisinage de leurs foyers sont
composées d’hommes qui ont plus envie de perpétuer leur race que
de s’exposer à la mort. A la première nouvelle qui se répandra de
l’approche des ennemis, ou de quelque prochaine bataille, le général
ne saura quel parti prendre, ni à quoi se déterminer, quand il verra ce
grand appareil militaire se dissiper et s’évanouir comme un nuage
poussé par les vents.
II. J’appelle lieux légers ou de légèreté ceux qui sont près des
frontières, mais pénètrent par une brèche sur les terres des ennemis.
Ces sortes de lieux n’ont rien qui puisse fixer. On peut regarder sans
cesse derrière soi, et le retour étant trop aisé, il fait naître le désir de
l’entreprendre à la première occasion : l’inconstance et le caprice
trouvent infailliblement de quoi se contenter.
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III. Les lieux qui sont à la bienséance des deux armées, où l’ennemi
peut trouver son avantage aussi bien que nous pouvons trouver le
nôtre, où l’on peut faire un campement dont la position,
indépendamment de son utilité propre, peut nuire au parti opposé,
et traverser quelques-unes de ses vues ; ces sortes de lieux peuvent
être disputés, ils doivent même l’être. Ce sont là des terrains clés.
IV. Par les lieux de réunion, j’entends ceux où nous ne pouvons guère
manquer de nous rendre et dans lesquels l’ennemi ne saurait
presque manquer de se rendre aussi, ceux encore où l’ennemi, aussi
à portée de ses frontières que vous l’êtes des vôtres, trouverait, ainsi
que vous, sa sûreté en cas de malheur, ou les occasions de suivre sa
bonne fortune, s’il avait d’abord du succès. Ce sont là des lieux qui
permettent d’entrer en communication avec l’armée ennemie, ainsi
que les zones de repli.
V. Les lieux que j’appelle simplement pleins et unis sont ceux qui, par
leur configuration et leurs dimensions, permettent leur utilisation par
les deux armées, mais, parce qu’ils sont au plus profond du territoire
ennemi, ne doivent pas vous inciter à livrer bataille, à moins que la
nécessité ne vous y contraigne, ou que vous n’y soyez forcé par
l’ennemi, qui ne vous laisserait aucun moyen de pouvoir l’éviter.
VI. Les lieux à plusieurs issues, dont je veux parler ici, sont ceux en
particulier qui permettent la jonction entre les différents États qui les
entourent. Ces lieux forment le nœud des différents secours que
peuvent apporter les princes voisins à celle des deux parties qu’il leur
plaira de favoriser.
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VII. Les lieux que je nomme graves et importants sont ceux qui,
placés dans les États ennemis, présentent de tous côtés des villes,
des forteresses, des montagnes, des défilés, des eaux, des ponts à
passer, des campagnes arides à traverser, ou telle autre chose de
cette nature.
VIII. Les lieux où tout serait à l’étroit, où une partie de l’armée ne
serait pas à portée de voir l’autre ni de la secourir, où il y aurait des
lacs, des marais, des torrents ou quelque mauvaise rivière, où l’on ne
saurait marcher qu’avec de grandes fatigues et beaucoup
d’embarras, où l’on ne pourrait aller que par pelotons, sont ceux que
j’appelle gâtés ou détruits.
IX. Enfin, par des lieux de mort, j’entends tous ceux où l’on se trouve
tellement réduit que, quelque parti que l’on prenne, on est toujours
en danger ; j’entends des lieux dans lesquels, si l’on combat, on court
évidemment le risque d’être battu, dans lesquels, si l’on reste
tranquille, on se voit sur le point de périr de faim, de misère ou de
maladie ; des lieux, en un mot, où l’on ne saurait rester et où l’on ne
peut survivre que très difficilement en combattant avec le courage du
désespoir.
Telles sont les neuf sortes de terrain dont j’avais à vous parler ;
apprenez à les connaître, pour vous en défier ou pour en tirer parti.
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Lorsque vous ne serez encore que dans des lieux de division,
contenez bien vos troupes ; mais surtout ne livrez jamais de bataille,
quelque favorables que les circonstances puissent vous paraître. La
vue de leur pays et la facilité du retour occasionneraient bien des
lâchetés : bientôt les campagnes seraient couvertes de fuyards.
Si vous êtes dans des lieux légers, n’y établissez point votre camp.
Votre armée ne s’étant point encore saisie d’aucune ville, d’aucune
forteresse, ni d’aucun poste important dans les possessions des
ennemis, n’ayant derrière soi aucune digue qui puisse l’arrêter,
voyant des difficultés, des peines et des embarras pour aller plus
avant, il n’est pas douteux qu’elle ne soit tentée de préférer ce qui lui
paraît le plus aisé à ce qui lui semblera difficile et plein de dangers.
Si vous avez reconnu de ces sortes de lieux qui vous paraissent devoir
être disputés, commencez par vous en emparer : ne donnez pas à
l’ennemi le temps de se reconnaître, employez toute votre diligence,
que les formations ne se séparent pas, faites tous vos efforts pour
vous en mettre dans une entière possession ; mais ne livrez point de
combat pour en chasser l’ennemi. S’il vous a prévenu, usez de finesse
pour l’en déloger, mais si vous y êtes une fois, n’en délogez pas.
Pour ce qui est des lieux de réunion, tâchez de vous y rendre avant
l’ennemi ; faites en sorte que vous ayez une communication libre de
tous les côtés ; que vos chevaux, vos chariots et tout votre bagage
puissent aller et venir sans danger. N’oubliez rien de tout ce qui est
en votre pouvoir pour vous assurer de la bonne volonté des peuples
voisins, recherchez-la, demandez-la, achetez-la, obtenez-la à quelque
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prix que ce soit, elle vous est nécessaire ; et ce n’est guère que par ce
moyen que votre armée peut avoir tout ce dont elle aura besoin. Si
tout abonde de votre côté, il y a grande apparence que la disette
régnera du côté de l’ennemi.
Dans les lieux pleins et unis, étendez-vous à l’aise, donnez-vous du
large, faites des retranchements pour vous mettre à couvert de toute
surprise, et attendez tranquillement que le temps et les circonstances
vous ouvrent les voies pour faire quelque grande action.
Si vous êtes à portée de ces sortes de lieux qui ont plusieurs issues,
où l’on peut se rendre par plusieurs chemins, commencez par les
bien connaître ; alliez-vous aux États voisins, que rien n’échappe à
vos recherches ; emparez-vous de toutes les avenues, n’en négligez
aucune, quelque peu importante qu’elle vous paraisse, et gardez-les
toutes très soigneusement.
Si vous vous trouvez dans des lieux graves et importants, rendez-vous
maître de tout ce qui vous environne, ne laissez rien derrière vous, le
plus petit poste doit être emporté ; sans cette précaution vous
courriez le risque de manquer des vivres nécessaires à l’entretien de
votre armée, ou de vous voir l’ennemi sur les bras lorsque vous y
penseriez le moins, et d’être attaqué par plusieurs côtés à la fois.
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Si vous êtes dans des lieux gâtés ou détruits, n’allez pas plus avant,
retournez sur vos pas, fuyez le plus promptement qu’il vous sera
possible.
Si vous êtes dans des lieux de mort, n’hésitez point à combattre, allez
droit à l’ennemi, le plus tôt est le meilleur.
Telle est la conduite que tenaient nos anciens guerriers. Ces grands
hommes, habiles et expérimentés dans leur art, avaient pour principe
que la manière d’attaquer et de se défendre ne devait pas être
invariablement la même, qu’elle devait être prise de la nature du
terrain que l’on se occupait et de la position où l’on se trouvait. Ils
disaient encore que la tête et la queue d’une armée ne devaient pas
être commandées de la même façon, qu’il fallait combattre la tête et
enfoncer la queue ; que la multitude et le petit nombre ne pouvaient
pas être longtemps d’accord ; que les forts et les faibles, lorsqu’ils
étaient ensemble, ne tardaient guère à se désunir ; que les hauts et
les bas ne pouvaient être également utiles ; que les troupes
étroitement unies pouvaient aisément se diviser, mais que celles qui
étaient une fois divisées ne se réunissaient que très difficilement. Ils
répétaient sans cesse qu’une armée ne devait jamais se mettre en
mouvement qu’elle ne fût sûre de quelque avantage réel, et que,
lorsqu’il n’y avait rien à gagner, il fallait se tenir tranquille et garder le
camp.
En résumé, je vous dirai que toute votre conduite militaire doit être
réglée suivant les circonstances ; que vous devez attaquer ou vous
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défendre selon que le théâtre de la guerre sera chez vous ou chez
l’ennemi.
Si la guerre se fait dans votre propre pays, et si l’ennemi, sans vous
avoir donné le temps de faire tous vos préparatifs, s’apprêtant à vous
attaquer, vient avec une armée bien ordonnée pour l’envahir ou le
démembrer, ou y faire des dégâts, ramassez promptement le plus de
troupes que vous pourrez, envoyez demander du secours chez les
voisins et chez les alliés, emparez-vous de quelques lieux qu’il chérit,
et il se fera conforme à vos désirs, mettez-les en état de défense, ne
fût-ce que pour gagner du temps ; la rapidité est la sève de la guerre.
Voyagez par les routes sur lesquelles il ne peut vous attendre ;
mettez une partie de vos soins à empêcher que l’armée ennemie ne
puisse recevoir des vivres, barrez-lui tous les chemins, ou du moins
faites qu’elle n’en puisse trouver aucun sans embuscades, ou sans
qu’elle soit obligée de l’emporter de vive force.
Les paysans peuvent en cela vous être d’un grand secours et vous
servir mieux que vos propres troupes : faites-leur entendre
seulement qu’ils doivent empêcher que d’injustes ravisseurs ne
viennent s’emparer de toutes leurs possessions et ne leur enlèvent
leur père, leur mère, leur femme et leurs enfants.
Ne vous tenez pas seulement sur la défensive, envoyez des partisans
pour enlever des convois, harcelez, fatiguez, attaquez tantôt d’un
côté, tantôt de l’autre ; forcez votre injuste agresseur à se repentir de
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sa témérité ; contraignez-le de retourner sur ses pas, n’emportant
pour tout butin que la honte de n’avoir pu réussir.
Si vous faites la guerre dans le pays ennemi, ne divisez vos troupes
que très rarement, ou mieux encore, ne les divisez jamais ; qu’elles
soient toujours réunies et en état de se secourir mutuellement ; ayez
soin qu’elles ne soient jamais que dans des lieux fertiles et
abondants.
Si elles venaient à souffrir de la faim, la misère et les maladies
feraient bientôt plus de ravage parmi elles que ne le pourrait faire
dans plusieurs années le fer de l’ennemi.
Procurez-vous pacifiquement tous les secours dont vous aurez besoin
; n’employez la force que lorsque les autres voies auront été inutiles ;
faites en sorte que les habitants des villages et de la campagne
puissent trouver leurs intérêts à venir d’eux-mêmes vous offrir leurs
denrées ; mais, je le répète, que vos troupes ne soient jamais
divisées.
Tout le reste étant égal, on est plus fort de moitié lorsqu’on combat
chez soi.
Si vous combattez chez l’ennemi, ayez égard à cette maxime, surtout
si vous êtes un peu avant dans ses États : conduisez alors votre armée
entière ; faites toutes vos opérations militaires dans le plus grand
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secret, je veux dire qu’il faut empêcher qu’aucun ne puisse pénétrer
vos desseins : il suffit qu’on sache ce que vous voulez faire quand le
temps de l’exécuter sera arrivé.
Il peut arriver que vous soyez réduit quelquefois à ne savoir où aller,
ni de quel côté vous tourner ; dans ce cas ne précipitez rien, attendez
tout du temps et des circonstances, soyez inébranlable dans le lieu
où vous êtes.
Il peut arriver encore que vous vous trouviez engagé mal à propos ;
gardez-vous bien alors de prendre la fuite, elle causerait votre perte ;
périssez plutôt que de reculer, vous périrez au moins glorieusement ;
cependant, faites bonne contenance. Votre armée, accoutumée à
ignorer vos desseins, ignorera pareillement le péril qui la menace ;
elle croira que vous avez eu vos raisons, et combattra avec autant
d’ordre et de valeur que si vous l’aviez disposée depuis longtemps à
la bataille.
Si dans ces sortes d’occasions vous triomphez, vos soldats
redoubleront de force, de courage et de valeur ; votre réputation
s’accroît dans la proportion même du risque que vous avez couru.
Votre armée se croira invincible sous un chef tel que vous.
Quelque critiques que puissent être la situation et les circonstances
où vous vous trouvez, ne désespérez de rien ; c’est dans les occasions
où tout est à craindre qu’il ne faut rien craindre ; c’est lorsqu’on est
environné de tous les dangers qu’il n’en faut redouter aucun ; c’est
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lorsqu’on est sans aucune ressource qu’il faut compter sur toutes ;
c’est lorsqu’on est surpris qu’il faut surprendre l’ennemi lui-même.
Instruisez tellement vos troupes qu’elles puissent se trouver prêtes
sans préparatifs, qu’elles trouvent de grands avantages là où elles
n’en ont cherché aucun, que sans aucun ordre particulier de votre
part, elles improvisent les dispositions à prendre, que sans défense
expresse elles s’interdisent d’elles-mêmes tout ce qui est contre la
discipline.
Veillez en particulier avec une extrême attention à ce qu’on ne sème
pas de faux bruits, coupez racine aux plaintes et aux murmures, ne
permettez pas qu’on tire des augures sinistres de tout ce qui peut
arriver d’extraordinaire.
Si les devins ou les astrologues de l’armée ont prédit le bonheur,
tenez-vous-en à leur décision ; s’ils parlent avec obscurité,
interprétez en bien ; s’ils hésitent, ou qu’ils ne disent pas des choses
avantageuses, ne les écoutez pas, faites-les taire.
Aimez vos troupes, et procurez-leur tous les secours, tous les
avantages, toutes les commodités dont elles peuvent avoir besoin. Si
elles essuient de rudes fatigues, ce n’est pas qu’elles s’y plaisent ; si
elles endurent la faim, ce n’est pas qu’elles ne se soucient pas de
manger ; si elles s’exposent à la mort, ce n’est point qu’elles n’aiment
pas la vie. Si mes officiers n’ont pas un surcroît de richesses, ce n’est
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pas parce qu’ils dédaignent les biens de ce monde. Faites en vous-
même de sérieuses réflexions sur tout cela.
Lorsque vous aurez tout disposé dans votre armée et que tous vos
ordres auront été donnés, s’il arrive que vos troupes nonchalamment
assises donnent des marques de tristesse, si elles vont jusqu’à verser
des larmes, tirez-les promptement de cet état d’assoupissement et
de léthargie, donnez-leur des festins, faites-leur entendre le bruit du
tambour et des autres instruments militaires, exercez-les, faites-leur
faire des évolutions, faites-leur changer de place, menez-les même
dans des lieux un peu difficiles, où elles aient à travailler et à souffrir.
Imitez la conduite de Tchouan Tchou et de Tsao-Kouei, vous
changerez le cœur de vos soldats, vous les accoutumerez au travail,
ils s’y endurciront, rien ne leur coûtera dans la suite.
Les quadrupèdes regimbent quand on les charge trop, ils deviennent
inutiles quand ils sont forcés. Les oiseaux au contraire veulent être
forcés pour être d’un bon usage. Les hommes tiennent un milieu
entre les uns et les autres, il faut les charger, mais non pas jusqu’à les
accabler ; il faut même les forcer, mais avec discernement et mesure.
Si vous voulez tirer un bon parti de votre armée, si vous voulez
qu’elle soit invincible, faites qu’elle ressemble au Chouai Jen. Le
Chouai Jen est une espèce de gros serpent qui se trouve dans la
montagne de Tchang Chan. Si l’on frappe sur la tête de ce serpent, à
l’instant sa queue va au secours, et se recourbe jusqu’à la tête ; qu’on
le frappe sur la queue, la tête s’y trouve dans le moment pour la
défendre ; qu’on le frappe sur le milieu ou sur quelque autre partie
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de son corps, sa tête et sa queue s’y trouvent d’abord réunies. « Mais
cela peut-il être pratiqué par une armée ? », dira peut-être quelqu’un.
Oui, cela se peut, cela se doit, et il le faut.
Quelques soldats du royaume de Ou se trouvèrent un jour à passer
une rivière en même temps que d’autres soldats du royaume de Yue
la passaient aussi ; un vent impétueux souffla, les barques furent
renversées et les hommes auraient tous péri, s’ils ne se fussent aidés
mutuellement : ils ne pensèrent pas alors qu’ils étaient ennemis, ils
se rendirent au contraire tous les offices qu’on pouvait attendre
d’une amitié tendre et sincère, ils coopérèrent comme la main droite
avec la main gauche.
Je vous rappelle ce trait d’Histoire pour vous faire entendre que non
seulement les différents corps de votre armée doivent se secourir
mutuellement, mais encore qu’il faut que vous secouriez vos alliés,
que vous donniez même du secours aux peuples vaincus qui en ont
besoin ; car, s’ils vous sont soumis, c’est qu’ils n’ont pu faire
autrement ; si leur souverain vous a déclaré la guerre, ce n’est pas de
leur faute. Rendez-leur des services, ils auront leur tour pour vous en
rendre aussi.
En quelque pays que vous soyez, quel que soit le lieu que vous
occupiez, si dans votre armée il y a des étrangers, ou si, parmi les
peuples vaincus, vous avez choisi des soldats pour grossir le nombre
de vos troupes, ne souffrez jamais que dans les corps qu’ils
composent ils soient ou les plus forts, ou en majorité. Quand on
attache plusieurs chevaux à un même pieu, on se garde bien de
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mettre ceux qui sont indomptés, ou tous ensemble, ou avec d’autres
en moindre nombre qu’eux, ils mettraient tout en désordre ; mais
lorsqu’ils sont domptés, ils suivent aisément la multitude.
Dans quelque position que vous puissiez être, si votre armée est
inférieure à celle des ennemis, votre seule conduite, si elle est bonne,
peut la rendre victorieuse. Il n’est pas suffisant de compter sur les
chevaux boiteux ou les chariots embourbés, mais à quoi vous
servirait d’être placé avantageusement si vous ne saviez pas tirer
parti de votre position ? A quoi servent la bravoure sans la prudence,
la valeur sans la ruse ?
Un bon général tire parti de tout, et il n’est en état de tirer parti de
tout que parce qu’il fait toutes ses opérations avec le plus grand
secret, qu’il sait conserver son sang-froid, et qu’il gouverne avec
droiture, de telle sorte néanmoins que son armée a sans cesse les
oreilles trompées et les yeux fascinés. Il sait si bien que ses troupes
ne savent jamais ce qu’elles doivent faire, ni ce qu’on doit leur
commander. Si les évènements changent, il change de conduite ; si
ses méthodes, ses systèmes ont des inconvénients, il les corrige
toutes les fois qu’il le veut, et comme il le veut. Si ses propres gens
ignorent ses desseins, comment les ennemis pourraient-ils les
pénétrer ?
Un habile général sait d’avance tout ce qu’il doit faire ; tout autre que
lui doit l’ignorer absolument. Telle était la pratique de ceux de nos
anciens guerriers qui se sont le plus distingués dans l’art sublime du
gouvernement. Voulaient-ils prendre une ville d’assaut, ils n’en
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parlaient que lorsqu’ils étaient aux pieds des murs. Ils montaient les
premiers, tout le monde les suivait ; et lorsqu’on était logé sur la
muraille, ils faisaient rompre toutes les échelles. Etaient-ils bien
avant dans les terres des alliés, ils redoublaient d’attention et de
secret.
Partout ils conduisaient leurs armées comme un berger conduit un
troupeau ; ils les faisaient aller où bon leur semblait, ils les faisaient
revenir sur leurs pas, ils les faisaient retourner, et tout cela sans
murmure, sans résistance de la part d’un seul.
La principale science d’un général consiste à bien connaître les neuf
sortes de terrain, afin de pouvoir faire à propos les neuf
changements. Elle consiste à savoir déployer et replier ses troupes
suivant les lieux et les circonstances, à travailler efficacement à
cacher ses propres intentions et à découvrir celles de l’ennemi, à
avoir pour maxime certaine que les troupes sont très unies entre
elles, lorsqu’elles sont bien avant dans les terres des ennemis ;
qu’elles se divisent au contraire et se dispersent très aisément,
lorsqu’on ne se tient qu’aux frontières ; qu’elles ont déjà la moitié de
la victoire, lorsqu’elles se sont emparées de tous les allants et de tous
les aboutissants, tant de l’endroit où elles doivent camper que des
environs du camp de l’ennemi ; que c’est un commencement de
succès que d’avoir pu camper dans un terrain vaste, spacieux et
ouvert de tous côtés ; mais que c’est presque avoir vaincu, lorsque
étant dans les possessions ennemies, elles se sont emparées de tous
les petits postes, de tous les chemins, de tous les villages qui sont au
loin des quatre côtés, et que, par leurs bonnes manières, elles ont
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gagné l’affection de ceux qu’elles veulent vaincre, ou qu’elles ont
déjà vaincus.
Instruit par l’expérience et par mes propres réflexions, j’ai tâché,
lorsque je commandais les armées, de réduire en pratique tout ce
que je vous rappelle ici. Quand j’étais dans des lieux de division, je
travaillais à l’union des cœurs et à l’uniformité des sentiments.
Lorsque j’étais dans des lieux légers, je rassemblais mon monde, et je
l’occupais utilement. Lorsqu’il s’agissait des lieux qu’on peut disputer,
je m’en emparais le premier, quand je le pouvais ; si l’ennemi m’avait
prévenu, j’allais après lui, et j’usais d’artifices pour l’en déloger.
Lorsqu’il était question des lieux de réunion, j’observais tout avec
une extrême diligence, et je voyais venir l’ennemi. Sur un terrain
plein et uni, je m’étendais à l’aise et j’empêchais l’ennemi de
s’étendre. Dans des lieux à plusieurs issues, quand il m’était
impossible de les occuper tous, j’étais sur mes gardes, j’observais
l’ennemi de près, je ne le perdais pas de vue. Dans des lieux graves et
importants, je nourrissais bien le soldat, je l’accablais de caresses.
Dans des lieux gâtés ou détruits, je tâchais de me tirer d’embarras,
tantôt en faisant des détours et tantôt en remplissant les vides. Enfin,
dans des lieux de morts, je faisais croire à l’ennemi que je ne pouvais
survivre.
Les troupes bien disciplinées résistent quand elles sont encerclées ;
elles redoublent d’efforts dans les extrémités, elles affrontent les
dangers sans crainte, elles se battent jusqu’à la mort quand il n’y a
pas d’alternative, et obéissent implicitement. Si celles que vous
commandez ne sont pas telles, c’est votre faute ; vous ne méritez pas
d’être à leur tête.
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Si vous êtes ignorant des plans des États voisins, vous ne pourrez
préparer vos alliances au moment opportun ; si vous ne savez pas en
quel nombre sont les ennemis contre lesquels vous devez combattre,
si vous ne connaissez pas leur fort et leur faible, vous ne ferez jamais
les préparatifs ni les dispositions nécessaires pour la conduite de
votre armée ; vous ne méritez pas de commander.
Si vous ignorez où il y a des montagnes et des collines, des lieux secs
ou humides, des lieux escarpés ou pleins de défilés, des lieux
marécageux ou pleins de périls, vous ne sauriez donner des ordres
convenables, vous ne sauriez conduire votre armée ; vous êtes
indigne de commander.
Si vous ne connaissez pas tous les chemins, si vous n’avez pas soin de
vous munir de guides sûrs et fidèles pour vous conduire par les
routes que vous ignorerez, vous ne parviendrez pas au terme que
vous vous proposez, vous serez la dupe des ennemis ; vous ne
méritez pas de commander.
Lorsqu’un grand hégémonique attaque un État puissant, il fait en
sorte qu’il soit impossible à l’ennemi de se concentrer. Il intimide
l’ennemi et empêche ses alliés de se joindre à lui. Il s’ensuit que le
grand hégémonique ne combat pas des combinaisons puissantes
d’États et ne nourrit pas le pouvoir d’autres États. Il s’appuie pour la
réalisation de ses buts sur sa capacité d’intimider ses opposants et
ainsi il peut prendre les villes ennemies et renverser l’État de
l’ennemi.
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Si vous ne savez pas combiner quatre et cinq tout à la fois, vos
troupes ne sauraient aller de pair avec celles des vassaux et des
feudataires. Lorsque les vassaux et les feudataires avaient à faire la
guerre contre quelque grand prince, ils s’unissaient entre eux, ils
tâchaient de troubler tout l’Univers, ils mettaient dans leur parti le
plus de monde qu’il leur était possible, ils recherchaient surtout
l’amitié de leurs voisins, ils l’achetaient même bien cher s’il le fallait.
Ils ne donnaient pas à l’ennemi le temps de se reconnaître, encore
moins celui d’avoir recours à ses alliés et de rassembler toutes ses
forces, ils l’attaquaient lorsqu’il n’était pas encore en état de défense
; aussi, s’ils faisaient le siège d’une ville, ils s’en rendaient maîtres à
coup sûr. S’ils voulaient conquérir une province, elle était à eux ;
quelques grands avantages qu’ils se fussent d’abord procurés, ils ne
s’endormaient pas, ils ne laissaient jamais leur armée s’amollir par
l’oisiveté ou la débauche, ils entretenaient une exacte discipline, ils
punissaient sévèrement, quand les cas l’exigeaient, et ils donnaient
libéralement des récompenses, lorsque les occasions le demandaient.
Outre les lois ordinaires de la guerre, ils en faisaient de particulières,
suivant les circonstances des temps et des lieux.
Voulez-vous réussir ? Prenez pour modèle de votre conduite celle
que je viens de vous tracer ; regardez votre armée comme un seul
homme que vous seriez chargé de conduire, ne lui motivez jamais
votre manière d’agir ; faites-lui savoir exactement tous vos
avantages, mais cachez lui avec grand soin jusqu’à la moindre de vos
pertes ; faites toutes vos démarches dans le plus grand secret ;
placez-les dans une situation périlleuse et elles survivront ; disposez-
les sur un terrain de mort et elles vivront, car, lorsque l’armée est
placée dans une telle situation, elle peut faire sortir la victoire des
revers.
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Accordez des récompenses sans vous préoccuper des usages
habituels, publiez des ordres sans respect des précédents, ainsi vous
pourrez vous servir de l’armée entière comme d’un seul homme.
Éclairez toutes les démarches de l’ennemi, ne manquez pas de
prendre les mesures les plus efficaces pour pouvoir vous assurer de la
personne de leur général ; faites tuer leur général, car vous ne
combattez jamais que contre des rebelles.
Le nœud des opérations militaires dépend de votre faculté de faire
semblant de vous conformer aux désirs de votre ennemi.
Ne divisez jamais vos forces ; la concentration vous permet de tuer
son général, même à une distance de mille lieues ; là se trouve la
capacité d’atteindre votre objet d’une manière ingénieuse.
Lorsque l’ennemi vous offre une opportunité, saisissez-en vite
l’avantage ; anticipez-le en vous rendant maître de quelque chose qui
lui importe et avancez suivant un plan fixé secrètement.
La doctrine de la guerre consiste à suivre la situation de l’ennemi afin
de décider de la bataille.
Dès que votre armée sera hors des frontières, faites-en fermer les
avenues, déchirez les instructions qui sont entre vos mains et ne
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souffrez pas qu’on écrive ou qu’on reçoive des nouvelles ; rompez
vos relations avec les ennemis, assemblez votre conseil et exhortez-le
à exécuter le plan ; après cela, allez à l’ennemi.
Avant que la campagne soit commencée, soyez comme une jeune
fille qui ne sort pas de la maison ; elle s’occupe des affaires du
ménage, elle a soin de tout préparer, elle voit tout, elle entend tout,
elle fait tout, elle ne se mêle d’aucune affaire en apparence.
La campagne une fois commencée, vous devez avoir la promptitude
d’un lièvre qui, se trouvant poursuivi par des chasseurs, tâcherait, par
mille détours, de trouver enfin son gîte, pour s’y réfugier en sûreté.
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Article XII : De l’art d’attaquer
par le feu
Sun Tzu dit : Les différentes manières de combattre par le feu se
réduisent à cinq. La première consiste à brûler les hommes ; la
deuxième, à brûler les provisions ; la troisième, à brûler les bagages ;
la quatrième, à brûler les arsenaux et les magasins ; et la cinquième,
à utiliser des projectiles incendiaires.
Avant que d’entreprendre ce genre de combat, il faut avoir tout
prévu, il faut avoir reconnu la position des ennemis, il faut s’être mis
au fait de tous les chemins par où il pourrait s’échapper ou recevoir
du secours, il faut s’être muni des choses nécessaires pour
l’exécution du projet, il faut que le temps et les circonstances soient
favorables.
Préparez d’abord toutes les matières combustibles dont vous voulez
faire usage : dès que vous aurez mis le feu, faites attention à la
fumée. Il y a le temps de mettre le feu, il y a le jour de le faire éclater
: n’allez pas confondre ces deux choses. Le temps de mettre le feu est
celui où tout est tranquille sous le Ciel, où la sérénité paraît devoir
être de durée. Le jour de le faire éclater est celui où la lune se trouve
sous une des quatre constellations, Qi, Pi, Y, Tchen. Il est rare que le
vent ne souffle point alors, et il arrive très souvent qu’il souffle avec
force.
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Les cinq manières de combattre par le feu demandent de votre part
une conduite qui varie suivant les circonstances : ces variations se
réduisent à cinq. Je vais les indiquer, afin que vous puissiez les
employer dans les occasions.
1. Dès que vous aurez mis le feu, si, après quelque temps, il n’y a
aucune rumeur dans le camp des ennemis, si tout est tranquille chez
eux, restez vous-même tranquille, n’entreprenez rien ; attaquer
imprudemment, c’est chercher à se faire battre. Vous savez que le
feu a pris, cela doit vous suffire : en attendant, vous devez supposer
qu’il agit sourdement ; ses effets n’en seront que plus funestes. Il est
au-dedans ; attendez qu’il éclate et que vous en voyiez des étincelles
au-dehors, vous pourrez aller recevoir ceux qui ne chercheront qu’à
se sauver.
2. Si peu de temps après avoir mis le feu, vous voyez qu’il s’élève
par tourbillons, ne donnez pas aux ennemis le temps de l’éteindre,
envoyez des gens pour l’attiser, disposez promptement toutes
choses, et courez au combat.
3. Si malgré toutes vos mesures et tous les artifices que vous aurez
pu employer, il n’a pas été possible à vos gens de pénétrer dans
l’intérieur, et si vous êtes forcé à ne pouvoir mettre le feu que par
dehors, observez de quel côté vient le vent ; c’est de ce côté que doit
commencer l’incendie ; c’est par le même côté que vous devez
attaquer. Dans ces sortes d’occasions, qu’il ne vous arrive jamais de
combattre sous le vent.
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4. Si pendant le jour le vent a soufflé sans discontinuer, regardez
comme une chose sûre que pendant la nuit il y aura un temps où il
cessera ; prenez là-dessus vos précautions et vos arrangements.
5. Un général qui, pour combattre ses ennemis, sait employer le
feu toujours à propos est un homme véritablement éclairé. Un
général qui sait se servir de l’eau et de l’inondation pour la même fin
est un excellent homme. Cependant, il ne faut employer l’eau
qu’avec discrétion. Servez-vous-en, à la bonne heure ; mais que ce ne
soit que pour gâter les chemins par où les ennemis pourraient
s’échapper ou recevoir du secours.
Les différentes manières de combattre par le feu, telles que je viens
de les indiquer, sont ordinairement suivies d’une pleine victoire, dont
il faut que vous sachiez recueillir les fruits. Le plus considérable de
tous, et celui sans lequel vous auriez perdu vos soins et vos peines,
est de connaître le mérite de tous ceux qui se seront distingués, c’est
de les récompenser en proportion de ce qu’ils auront fait pour la
réussite de l’entreprise. Les hommes se conduisent ordinairement
par l’intérêt ; si vos troupes ne trouvent dans le service que des
peines et des travaux, vous ne les emploierez pas deux fois avec
avantage.
La nécessité seule doit faire entreprendre la guerre. Les combats, de
quelque nature qu’ils soient, ont toujours quelque chose de funeste
pour les vainqueurs eux-mêmes ; il ne faut les livrer que lorsqu’on ne
saurait faire la guerre autrement.
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Lorsqu’un souverain est animé par la colère ou par la vengeance, qu’il
ne lui arrive jamais de lever des troupes. Lorsqu’un général trouve
qu’il a dans le cœur les mêmes sentiments, qu’il ne livre jamais de
combats. Pour l’un et pour l’autre ce sont des temps nébuleux : qu’ils
attendent les jours de sérénité pour se déterminer et pour
entreprendre.
S’il y a quelque profit à espérer en vous mettant en mouvement,
faites marcher votre armée ; si vous ne prévoyez aucun avantage,
tenez-vous en repos ; eussiez-vous les sujets les plus légitimes d’être
irrité, vous eût-on provoqué, insulté même, attendez, pour prendre
votre parti, que le feu de la colère se soit dissipé et que les
sentiments pacifiques s’élèvent en foule dans votre cœur. N’oubliez
jamais que votre dessein, en faisant la guerre, doit être de procurer à
l’État la gloire, la splendeur et la paix, et non pas d’y mettre le
trouble, la désolation et la confusion.
Ce sont les intérêts du pays et non pas vos intérêts personnels que
vous défendez. Vos vertus et vos vices, vos belles qualités et vos
défauts rejaillissent également sur ceux que vous représentez. Vos
moindres fautes sont toujours de conséquence ; les grandes sont
souvent irréparables, et toujours très funestes. Il est difficile de
soutenir un royaume que vous aurez mis sur le penchant de sa ruine ;
il est impossible de le relever, s’il est une fois détruit : on ne
ressuscite pas un mort.
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De même qu’un prince sage et éclairé met tous ses soins à bien
gouverner, ainsi un général habile n’oublie rien pour former de
bonnes troupes, et pour les employer à sauvegarder l’État et à
préserver l’armée.
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Article XIII : De la concorde et
de la discorde
Sun Tzu dit : Si, ayant sur pied une armée de cent mille hommes, vous
devez la conduire jusqu’à la distance de cent lieues, il faut compter
qu’au-dehors, comme au-dedans, tout sera en mouvement et en
rumeur. Les villes et les villages dont vous aurez tiré les hommes qui
composent vos troupes ; les hameaux et les campagnes dont vous
aurez tiré vos provisions et tout l’attirail de ceux qui doivent les
conduire ; les chemins remplis de gens qui vont et viennent, tout cela
ne saurait arriver qu’il n’y ait bien des familles dans la désolation,
bien des terres incultes, et bien des dépenses pour l’État.
Sept cent mille familles dépourvues de leurs chefs ou de leurs
soutiens se trouvent tout à coup hors d’état de vaquer à leurs
travaux ordinaires ; les terres privées d’un pareil nombre de ceux qui
les faisaient valoir diminuent, en proportion des soins qu’on leur
refuse, la quantité comme la qualité de leurs productions.
Les appointements de tant d’officiers, la paie journalière de tant de
soldats et l’entretien de tout le monde creusent peu à peu les
greniers et les coffres du prince comme ceux du peuple, et ne
sauraient manquer de les épuiser bientôt.
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Être plusieurs années à observer ses ennemis, ou à faire la guerre,
c’est ne point aimer le peuple, c’est être l’ennemi de son pays ;
toutes les dépenses, toutes les peines, tous les travaux et toutes les
fatigues de plusieurs années n’aboutissent le plus souvent, pour les
vainqueurs eux-mêmes, qu’à une journée de triomphe et de gloire,
celle où ils ont vaincu. N’employer pour vaincre que la voie des sièges
et des batailles, c’est ignorer également et les devoirs de souverain et
ceux de général ; c’est ne pas savoir gouverner ; c’est ne pas savoir
servir l’État.
Ainsi, le dessein de faire la guerre une fois formé, les troupes étant
déjà sur pied et en état de tout entreprendre, ne dédaignez pas
d’employer les artifices.
Commencez par vous mettre au fait de tout ce qui concerne les
ennemis ; sachez exactement tous les rapports qu’ils peuvent avoir,
leurs liaisons et leurs intérêts réciproques ; n’épargnez pas les
grandes sommes d’argent ; n’ayez pas plus de regret à celui que vous
ferez passer chez l’étranger, soit pour vous faire des créatures, soit
pour vous procurer des connaissances exactes, qu’à celui que vous
emploierez pour la paie de ceux qui sont enrôlés sous vos étendards :
plus vous dépenserez, plus vous gagnerez ; c’est un argent que vous
placez pour en retirer un gros intérêt.
Ayez des espions partout, soyez instruit de tout, ne négligez rien de
ce que vous pourrez apprendre ; mais, quand vous aurez appris
quelque chose, ne la confiez pas indiscrètement à tous ceux qui vous
approchent.
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Lorsque vous emploierez quelque artifice, ce n’est pas en invoquant
les Esprits, ni en prévoyant à peu près ce qui doit ou peut arriver, que
vous le ferez réussir ; c’est uniquement en sachant sûrement, par le
rapport fidèle de ceux dont vous vous servirez, la disposition des
ennemis, eu égard à ce que vous voulez qu’ils fassent.
Quand un habile général se met en mouvement, l’ennemi est déjà
vaincu : quand il combat, il doit faire lui seul plus que toute son
armée ensemble ; non pas toutefois par la force de son bras, mais par
sa prudence, par sa manière de commander, et surtout par ses ruses.
Il faut qu’au premier signal une partie de l’armée ennemie se range
de son côté pour combattre sous ses étendards : il faut qu’il soit
toujours le maître d’accorder la paix et de l’accorder aux conditions
qu’il jugera à propos.
Le grand secret de venir à bout de tout consiste dans l’art de savoir
mettre la division à propos ; division dans les villes et les villages,
division extérieure, division entre les inférieurs et les supérieurs,
division de mort, division de vie.
Ces cinq sortes de divisions ne sont que les branches d’un même
tronc. Celui qui sait les mettre en usage est un homme véritablement
digne de commander ; c’est le trésor de son souverain et le soutien
de l’empire.
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J’appelle division dans les villes et les villages celle par laquelle on
trouve le moyen de détacher du parti ennemi les habitants des villes
et des villages qui sont de sa domination, et de se les attacher de
manière à pouvoir s’en servir sûrement dans le besoin.
J’appelle division extérieure celle par laquelle on trouve le moyen
d’avoir à son service les officiers qui servent actuellement dans
l’armée ennemie.
Par la division entre les inférieurs et les supérieurs, j’entends celle qui
nous met en état de profiter de la mésintelligence que nous aurons
su mettre entre alliés, entre les différents corps, ou entre les officiers
de divers grades qui composent l’armée que nous aurons à
combattre.
La division de mort est celle par laquelle, après avoir fait donner de
faux avis sur l’état où nous nous trouvons, nous faisons courir des
bruits tendancieux, lesquels nous faisons passer jusqu’à la cour de
son souverain, qui, les croyant vrais, se conduit en conséquence
envers ses généraux et tous les officiers qui sont actuellement à son
service.
La division de vie est celle par laquelle on répand l’argent à pleines
mains envers tous ceux qui, ayant quitté le service de leur légitime
maître, ont passé de votre côté, ou pour combattre sous vos
étendards, ou pour vous rendre d’autres services non moins
essentiels.
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Si vous avez su vous faire des créatures dans les villes et les villages
des ennemis, vous ne manquerez pas d’y avoir bientôt quantité de
gens qui vous seront entièrement dévoués. Vous saurez par leur
moyen les dispositions du grand nombre des leurs à votre égard, ils
vous suggéreront la manière et les moyens que vous devez employer
pour gagner ceux de leurs compatriotes dont vous aurez le plus à
craindre ; et quand le temps de faire des sièges sera venu, vous
pourrez faire des conquêtes, sans être obligé de monter à l’assaut,
sans coup férir, sans même tirer l’épée.
Si les ennemis qui sont actuellement occupés à vous faire la guerre
ont à leur service des officiers qui ne sont pas d’accord entre eux ; si
de mutuels soupçons, de petites jalousies, des intérêts personnels les
tiennent divisés, vous trouverez aisément les moyens d’en détacher
une partie, car quelque vertueux qu’ils puissent être d’ailleurs,
quelque dévoués qu’ils soient à leur souverain, l’appât de la
vengeance, celui des richesses ou des postes éminents que vous leur
promettez, suffiront amplement pour les gagner ; et quand une fois
ces passions seront allumées dans leur cœur, il n’est rien qu’ils ne
tenteront pour les satisfaire.
Si les différents corps qui composent l’armée des ennemis ne se
soutiennent pas entre eux, s’ils sont occupés à s’observer
mutuellement, s’ils cherchent réciproquement à se nuire, il vous sera
aisé d’entretenir leur mésintelligence, de fomenter leurs divisions ;
vous les détruirez peu à peu les uns par les autres, sans qu’il soit
besoin qu’aucun d’eux se déclare ouvertement pour votre parti ; tous
vous serviront sans le vouloir, même sans le savoir.
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Si vous avez fait courir des bruits, tant pour persuader ce que vous
voulez qu’on croie de vous, que sur les fausses démarches que vous
supposerez avoir été faites par les généraux ennemis ; si vous avez
fait passer de faux avis jusqu’à la cour et au conseil même du prince
contre les intérêts duquel vous avez à combattre ; si vous avez su
faire douter des bonnes intentions de ceux mêmes dont la fidélité à
leur prince vous sera la plus connue, bientôt vous verrez que chez les
ennemis les soupçons ont pris la place de la confiance, que les
récompenses ont été substituées aux châtiments et les châtiments
aux récompenses, que les plus légers indices tiendront lieu des
preuves les plus convaincantes pour faire périr quiconque sera
soupçonné.
Alors les meilleurs officiers, leurs ministres les plus éclairés se
dégoûteront, leur zèle se ralentira ; et se voyant sans espérance d’un
meilleur sort, ils se réfugieront chez vous pour se délivrer des justes
craintes dont ils étaient perpétuellement agités, et pour mettre leurs
jours à couvert.
Leurs parents, leurs alliés ou leurs amis seront accusés, recherchés,
mis à mort. Les complots se formeront, l’ambition se réveillera, ce ne
seront plus que perfidies, que cruelles exécutions, que désordres,
que révoltes de tous côtés.
Que vous restera-t-il à faire pour vous rendre maître d’un pays dont
les peuples voudraient déjà vous voir en possession ?
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Si vous récompensez ceux qui se seront donnés à vous pour se
délivrer des justes craintes dont ils étaient perpétuellement agités, et
pour mettre leurs jours à couvert ; si vous leur donnez de l’emploi,
leurs parents, leurs alliés, leur amis seront autant de sujets que vous
acquerrez à votre prince.
Si vous répandez l’argent à pleines mains, si vous traitez bien tout le
monde, si vous empêchez que vos soldats ne fassent le moindre
dégât dans les endroits par où ils passeront, si les peuples vaincus ne
souffrent aucun dommage, assurez-vous qu’ils sont déjà gagnés, et
que le bien qu’ils diront de vous attirera plus de sujets à votre maître
et plus de villes sous sa domination que les plus brillantes victoires.
Soyez vigilant et éclairé ; mais montrez à l’extérieur beaucoup de
sécurité, de simplicité et même d’indifférence ; soyez toujours sur
vos gardes, quoique vous paraissiez ne penser à rien ; défiez-vous de
tout, quoique vous paraissiez sans défiance ; soyez extrêmement
secret, quoiqu’il paraisse que vous ne fassiez rien qu’à découvert ;
ayez des espions partout ; au lieu de paroles, servez-vous de signaux ;
voyez par la bouche, parlez par les yeux ; cela n’est pas aisé, cela est
très difficile. On est quelquefois trompé lorsqu’on croit tromper les
autres. Il n’y a qu’un homme d’une prudence consommée, qu’un
homme extrêmement éclairé, qu’un sage du premier ordre qui puisse
employer à propos et avec succès l’artifice des divisions. Si vous
n’êtes point tel, vous devez y renoncer ; l’usage que vous en feriez ne
tournerait qu’à votre détriment.
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Après avoir enfanté quelque projet, si vous apprenez que votre
secret a transpiré, faites mourir sans rémission tant ceux qui l’auront
divulgué que ceux à la connaissance desquels il sera parvenu. Ceux-ci
ne sont point coupables encore à la vérité, mais ils pourraient le
devenir. Leur mort sauvera la vie à quelques milliers d’hommes et
assurera la fidélité d’un plus grand nombre encore.
Punissez sévèrement, récompensez avec largesse : multipliez les
espions, ayez-en partout, dans le propre palais du prince ennemi,
dans l’hôtel de ses ministres, sous les tentes de ses généraux ; ayez
une liste des principaux officiers qui sont à son service ; sachez leurs
noms, leurs surnoms, le nombre de leurs enfants, de leurs parents,
de leurs amis, de leurs domestiques ; que rien ne se passe chez eux
que vous n’en soyez instruit.
Vous aurez vos espions partout : vous devez supposer que l’ennemi
aura aussi les siens. Si vous venez à les découvrir, gardez-vous bien
de les faire mettre à mort ; leurs jours doivent vous être infiniment
précieux. Les espions des ennemis vous serviront efficacement, si
vous mesurez tellement vos démarches, vos paroles et toutes vos
actions, qu’ils ne puissent jamais donner que de faux avis à ceux qui
les ont envoyés.
Enfin, un bon général doit tirer parti de tout ; il ne doit être surpris de
rien, quoi que ce soit qui puisse arriver. Mais par-dessus tout, et de
préférence à tout, il doit mettre en pratique ces cinq sortes de
divisions. Rien n’est impossible à qui sait s’en servir.
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Défendre les États de son souverain, les agrandir, faire chaque jour
de nouvelles conquêtes, exterminer les ennemis, fonder même de
nouvelles dynasties, tout cela peut n’être que l’effet des dissensions
employées à propos.
Telle fut la voie qui permit l’avènement des dynasties Yin et Tcheou,
lorsque des serviteurs transfuges contribuèrent à leur élévation.
Quel est celui de nos livres qui ne fait l’éloge de ces grands ministres !
L’Histoire leur a-t-elle jamais donné les noms de traîtres à leur patrie,
ou de rebelles à leur souverain ? Seul le prince éclairé et le digne
général peuvent gagner à leur service les esprits les plus pénétrants
et accomplir de vastes desseins.
Une armée sans agents secrets est un homme sans yeux ni oreilles.
°°° FIN °°°