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7/25/2019 Jordanes en Francais
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EHESSis collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Annales. Histoire, Sciences Sociales.
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SS
Une lecture de Cassiodore-Jordans: les Goths de Scandza RavenneAuthor(s): Gilbert DagronSource: Annales. Histoire, Sciences Sociales, 26e Anne, No. 2 (Mar. - Apr., 1971), pp. 290-305Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/27577860
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2/21
HISTOIRE ET UTOPIE
Discours utopique
et
r?cit
des
origines
7.
-
Une
lecture
de
Cassiodore-Jordan?s
:
les Goths
de
Scandza
?
Ravenne
Le
De
origine
actibusque
Getarum1
que Jordanes,
en
551,
tire
d'une
longue
Histoire
des
Goths
de
son
contemporain
Cassiodorus
Senator,
est
?
la
fois
un
r?cit
historique et
un
conte fabuleux; r?cit qui, malgr? quelques d?tours, reste
cons
tamment
et
consciemment
au
niveau
de
l'histoire,
conte
dont la
structure
utopique
garde
de bout
en
bout
sa
coh?rence et
qui,
sans
d?former les
faits,
les rend
porteurs
d'une autre
signification.
Une
bonne
lecture
ne
doit
pas
sacrifier
le
conte
au
r?cit
et
d?truire
l'
uvre
en
la
passant
au
crible;
elle doit avant tout
?tre
attentive ? la
liaison
entre
les
deux
langages
que
l'auteur
a
?prouv?
le besoin
d'utiliser
concur
remment.
Comme si
les
faits
ne
pouvaient
devenir
histoire
qu'apr?s
un
passage
par
le fabuleux.
Comme
si
les Goths
ne
pouvaient
entrer
dans
une
histoire
romaine
que
par
une
d?marche
utopique.
?
Originen)
got/cam
historiam
fecit
esse
romanam
?
En
476
a
?t?
d?pos?
par
le
chef
barbare Odoacre
le
dernier
empereur
d'Occi
dent
qui
ait
pu
se
dire
?
romain
?,
Romulus
Augustulus.
Odoacre
lui-m?me
est
supplant?
en
493
par
les
Ostrogoths
que
l'empereur
Zenon
a
lanc?s
contre
lui
et
1.
Nous
renvoyons
?
l'?dition
de
Th.
Mommsen,
Monumenta
Germaniae
Hist?rica,
auctores
antiquissimi, V,
1, pp. 53-138,
Berlin,
1882.
Il
existe
une
traduction
anglaise,
avec
introduction
et
notes,
de C.
C.
Mierow,
The
Gothic
History
of Jordanes;
Princeton,
1905.
Le
texte
latin
de
Mommsen
est
repris,
traduit
en russe
avec
un
long
commentaire
sur
Jordanes
et
d'abondantes
notes
par
E.
C.
Skrzinskaja,
Iordan,
O
proishozdenii
i
dejanijah
Getov-Getica,
Moscou,
1960. Une
nouvelle
?dition
des Getica
est
actuellement
en
pr?paration,
utilisant
un
manuscrit
des
Archives
d'?tat
de
Palerme (le ? c?dice Basile ?, fin du vnie-d?but du rxe si?cle) identifi? en 1927 et donc rest? inconnu
de
Mommsen,
qui
donne les trois
quarts
de
l'
uvre,
et
dont
le
professeur
Fr. Giunta
a
d?j? signal?
l'importance
(?
Il
manoscritto d?lie
Getica
di
Jordanes
conservato
nelF
Archivio
di Stato
di
Palermo
?,
Archivio Storico
Siculo,
3e
s?rie, I, 1946;
histoire
et
description
du manuscrit dans
E.
C.
Skrzinskaja,
pp. 373-376).
Nous
d?signons
par
la
suite les
diff?rentes ?ditions
par
le
seul
nom
de
leur auteur.
290
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3/21
UNE
LECTURE
DE
CASSIODORE-JORDAN?S
G.
DAGRON
dont
le
chef,
Th?odoric
1'Amale,
?tablit
sa
?
r?gence
?
sur
l'Italie,
avec
le
consen
tement de Byzance. R?gime original, souvent d?crit1, qui dura moins d'un demi
si?cle,
mais
qui
?tait
si bien
adapt?
aux
conditions
particuli?res
de l'Occident
romain
(ou plut?t
de
l'Italie)
qu'il
servit
de
mod?le
politique
jusqu'au
temps
de
Charlemagne
2.
La
l?gitimit? imp?riale
est
tout enti?re
repli?e
?
Constantinople,
incontestable, incontest?e,
inefficace;
le
gouvernement
de l'Italie
est
d?l?gu?
?
un
chef
barbare suffisamment
impressionn?
par
son
entr?e
dans
le
monde
romain
pour
accepter
la
fiction
d'une
r?gence
pr?servant
les droits
imp?riaux
et
pour
envi
sager
une
assimilation
plus
ou
moins
rapide
de
son
peuple;
car
la civilisation
se
confond
encore en
Occident
avec
la romanit?
elle-m?me,
romanit?
qui
confie d?sor
mais
aux
barbares
sa
d?fense,
sa
politique,
une
grande
part
de
son
administration
et
de
ses
terres,
mais
qui
garde
avec
le
s?nat
de
Rome
une
repr?sentation
sociale
et surtout
avec
la papaut? le crit?re exclusif
de
l'orthodoxie. ?quilibre
difficile
entre
trois
?l?ments
qui
rel?vent
de mondes
diff?rents
:
l'empereur (Anastase,
Justinien)
h?site
entre
le
syst?me
de
la
r?gence
et
la
reconqu?te
pure
et
simple;
le
r?gent
bar
bare
h?site,
face
au
pouvoir
imp?rial,
entre
la
loyaut?
et
la
r?bellion,
face
?
la
romanit?,
entre
son
attirance
pour
la culture
et le
nationalisme
germanique
qui
le
lie
?
son
peuple;
les
Romains h?sitent
entre
une
r?sistance
aux
Barbares,
reconnue
vaine,
et
une
collaboration
jug?e
contre nature
3.
La
r?ussite
de
Th?odoric vient
de
ce
qu'il
joue
de toutes
ces
?quivoques;
sa
politique
est
fond?e
sur
une
division
aussi
rigoureuse que possible,
dans le
pays
dont il
a
personnellement
la
charge,
entre
la
r?alit?
barbare
et
la r?alit?
romaine;
division
que
l'on
retrouve
int?grale
ment
dans la d?finition
de
son
pouvoir politique
(il
est
?
la
fois
et
sans
m?lange
roi des Goths, patrice et r?gent d'Italie), et qui
ne cesse
que dans
sa
personne (il
entend
fonder
une
dynastie
?
l?gitime
?)4.
L'habilet?
du
r?gent
barbare
rejoint
sur
bien des
points
les
pr?jug?s
des
?
vieux romains
?.
Cette
politique
a
un
interpr?te
:
Cassiodore.
Questeur,
ma?tre des
offices,
pr?fet
du
pr?toire,
il est le
grand
ministre romain
du
r?gime ostrogothique
sous
Th?odoric
et surtout
sous
ses
successeurs,
jusqu'?
la
reconqu?te
de l'Italie
par
Justinien
5.
Il
1. W.
Ensslin,
Theoderich
der
Grosse,
Munich, 1947,
2e
?d.
1959;
E.
Stein,
Histoire
du Bas
Empire,
II, pp. 107-156;
/
Goti
in
Occidente,
Problemi,
Settimane
di
studio
del
centro
italiano
di
studi
sull'Alto Medioevo
(mars-avril
1955),
III,
Spol?te,
1956;
L.
Musset,
Les
invasions.
Les
vagues ger
maniques, Paris,
1965, pp.
92-101, 202-204, bibliographie,
pp.
16 et 18.
2.
Charlemagne
fit
transporter
en
801
la
statue
?questre
de
Th?odoric
de Ravenne
?
Aix-la
Chapelle,
ce
qui
indique
la valeur
exemplaire
donn?e
au
mod?le
ostrogothique.
3. Sur
les
r?actions
des
Romains
devant
les
envahisseurs
barbares,
voir P.
Courcelle,
Histoire
litt?raire
des
grandes
invasions
germaniques,
Paris,
3e
?d.
1964;
sur
l'influence de la
civilisation
romaine
sur
les Barbares
aux
ve-vie
si?cles,
voir
la
premi?re partie
du
livre
de P.
Riche,
?ducation
et
culture
dans
VOccident
barbare,
VIe- VIII*
si?cles, Paris,
1962.
4.
En
497,
une
ambassade
de Festus ?
Constantinople r?gle
d?finitivement
les
rapports
entre
l'Italie
ostrogothique
et
l'Empire,
et
Anastase
rend ?
Th?odoric
les
ornements
imp?riaux qu'Odoacre
avait
pr?c?demment
renvoy?s
dans la
capitale
orientale
(Anonyme
de
Valois,
64).
Sur
les titres et
pouvoirs
de
Th?odoric,
voir
E.
Stein,
Histoire
du
Bas-Empire,
II,
pp.
116-119.
Longtemps
apr?s
la
mort de
Th?odoric,
la
l?gitimit? dynastique
joue
un
r?le
majeur
:
Vitig?s,
pour
se
l?gitimer
aux
yeux
des
Goths,
mais
aussi des
Romains
et
des
Byzantins, ?pouse
Matasonthe,
petite
fille de Th?o
doric,
et
envoie
des
ambassadeurs
?
Constantinople
pour
faire
part
? Justinien
de
ce
mariage; apr?s
la mort de
Vitig?s
en
542,
la m?me Matasonthe
?pouse
en secondes noces Germanos, ce
qui
?
l?gitime
?
d'une
certaine
fa?on
la
reconqu?te
byzantine.
5.
Sur
Cassiodore,
du
point
de
vue
qui
nous
int?resse
ici,
citons
A.
Van
de
Vyver,
?
Cassiodore
et
son uvre
?,
Speculum,
6, 1931,
pp.
244-292;
A.
Momigliano,
?
Cassiodorus
and
italian
culture
of
his time
?,
Proceeding
of
the
British
Academy,
41,
Londres
1955,
pp.
207-245;
W.
Wattenbach
291
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4/21
HISTOIRE
ET
UTOPIE
est
aussi
son
historien;
son
projet
d'?crire
une
histoire
des Goths
na?t
et
se
d?ve
loppe
en
?troit
rapport
avec sa
carri?re et
les circonstances
politiques
:
premi?re
?bauche
du livre
sur
la demande
de
Th?odoric
au
moment o? les droits
d'Eutharic,
son
h?ritier
pr?somptif,
sont
reconnus
par
l'empereur
Justin
I
en
519,
et
en
tout
cas
avant la mort
du
grand
souverain
amale
en
526*;
ach?vement
du
grand
ouvrage
en
douze livres
(dont
rien
ne nous
est
parvenu)
peu
avant
533
2,
au
moment
o?
le
gouvernement
d'Amalasonthe, trop
favorable
aux
Romains,
se
heurte
au
natio
nalisme
goth
et
inspire
aux
Byzantins
le
d?sir d'une
reconqu?te;
enfin,
peut-?tre,
remise ?
jour
de
ce
grand
travail,
au
moment
o?
l'
uvre
de
Th?odoric
est
compro
mise
et
o?
l'empereur
Justinien
entreprend
la
reconqu?te
de
l'Italie,
sans
savoir
encore
s'il
utilisera
ou
d?truira
les
cadres
de
l'?tat
ostrogothique
8. Cassiodore
se
trouve
alors
?
Constantinople
(vers
550)
4;
il
semble
qu'il
s'y
fasse l'avocat
d'une
restauration
du
r?gime
?
th?odoricien
? :
Germanos,
cousin
de
l'empereur,
a
?pous?
Matasonthe,
petite-fille
de
Th?odoric;
il
est
charg?
de
monter
une
grande
exp?dition
pour
reconqu?rir
d?finitivement
l'Italie;
il
pourra
y
incarner la
double
l?gitimit?, imp?riale
et
ostrogothique,
contre
le Goth
usurpateur,
Totila
5.
C'est
la derni?re
chance,
rendue
vaine
par
la
mort
soudaine
de
Germanos
et la nomi
nation
de
Nars?s,
de
l'?tat
ostrogothique
en
Italie. C'est
la
fin
de
l'histoire
des
Goths.
Ici
intervient
le
personnage
myst?rieux
de
Jordanes
6.
Il
est
Goth
de
race,
et
non
pas
Alain
comme
une
mauvaise
graphie
du
nom
de
son
p?re [Alano]
Viiamuthis.,
a
pu
le
faire
croire.
Il
est n?
sans
doute
vers
480
et
a
v?cu
dans les
provinces
de
Moesie
inf?rieure
ou
de
Scythie,
terre
bilingue
de
belle romanit?
o?
les
Barbares
sont
d?j? implant?s,
et
o?
son
grand-p?re
Paria
servait
comme
secr?taire
du chef
des
Alains,
Candac
7.
Lui-m?me,
bien
que
agrammatus
(entendons
:
n'ayant
pas
re?u
une
?ducation
traditionnelle),
devint
le
secr?taire
(notarius)
du chef militaire
et
W.
Levison,
Deutschlands
Geschichtsquellen
im
Mittelalter,
I,
Weimar,
1952-1953,
pp.
67-81.
Bibliographie
?
jour
pour
1951
dans
Momigliano,
op.
cit.,
pp.
237-245,
?
compl?ter
par
E.
C.
Skrzinskaja,
pp.
377-387.
1.
Ordo
generis
Cassiodororum
:
?
Scripsit, praecipiente
Theodoricho
rege,
historiam
gothi
cam...
?,
cit?
par
Mommsen,
p.
xli;
voir
Momigliano,
op.
cit.,
p.
216.
2.
Variae,
IX,
25
:
Athalaric
parle
en
533 de
Y
Histoire
des Goths
de Cassiodore
comme
d'une
uvre
r?cente,
mais
d?j?
achev?e
et
connue.
3. C'est
l'opinion
de
Momigliano,
op.
cit.,
pp.
219-222, qui
pense que c'est Cassiodore lui
m?me
qui
a
continu?
son
histoire des Goths
jusqu'en
551,
et
qui
donc l'a
r?adapt?e
aux
nouvelles
circonstances
politiques,
pr?nant
la
r?conciliation
finale
entre Goths
et
Romains d'Italie
sous
l'?gide
de
Justinien.
Inversement E.
C.
Skrzinskaja
(pp.
46-48
et
61)
estime
que
l'
uvre
de Cassio
dore
s'arr?te
en
533,
qu'elle
traduit
un
courant
latin favorable
aux
Goths
et
donc
?
la
fois
subversif
et
d?mod?
en
550;
pour
cette
raison,
l'
uvre
n'aurait
pas
?t?
largement
diffus?e
et
ne
nous
serait
pas
parvenue.
Justinien,
selon
Procope,
m?dite
une
liquidation
des
Goths d'Italie
{Bell.
Get.,
IV,
24, 5).
4. Lettre du
pape
Vigile,
Mansi,
IX,
col.
357;
Jaff?,
Regesta
pontificum
romanorum,
n.
927.
5.
Procope,
Bell.
Get., Ill, 39,
15
et
21-22.
6. En
plus
des
?tudes
d?j?
cit?es,
mentionnons
J.
Friedrich,
?
?ber
die
kontroversen
Fragen
im
Leben
des
gothischen
Geschichtschreibers
Jordanes
?,
Sitzungsber.
d.
Bayer.
Akad.
d.
Wiss.,
Phil.
hist.
KL, 1907,
Munich,
1908,
pp.
379-442;
une
utile mise
au
point
des
probl?mes biographiques
dans l'introduction de
E.
C.
Skrzinskaja,
et
le
premier
chapitre
d'un
livre
r?cent
qui
fait
surtout
l'historiographie
des
probl?mes,
Norbert
Wagner,
Getica-Untersuchungen
zum
Leben des
Jordanes
und
zur
fr?hen
Geschichte
der
Goten, Berlin,
1967
(pp.
3-59j.
7.
Getica,
316
:
?
Nee
me
quis
in favorem
gentis praedietae
(les
Goths),
quasi
ex
ipsa
trahenti
originem,
aliqua
addidisse credat
?;
sur
sa
famille,
ibid.,
266;
Mommsen estime
qu'il
?tait
Alain
et
se
consid?rait
comme
Goth
(pp.
vi-vn);
mise
au
point
de
E.
C.
Skrzinskaja,
pp.
12-15,
et
de N.
Wagner,
op.
cit.,
pp.
5-17.
292
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5/21
UNE
LECTURE
DE
CASSIODORE-JORDAN?S
G.
DAGRON
Gunthigis-Basa,
Alain
par
sa
m?re et
Goth
de haute~naissance
par
son
p?re,
qui
avait re?u le titre de magister militum et se trouvait ainsi int?gr? ? la hi?rarchie
imp?rialex.
Survint alors
une
?
conversion
?,
dont
on
ne
sait
pas
trop
si
elle
signifie
que
Jordanes
est devenu
moine,
ou
simplement
qu'il
est
pass?
de l'arianisme
(propre
aux
Goths)
?
l'orthodoxie
(marque
de
romanit?)
: en
tout
cas,
on
ne
peut
supposer
qu'il
resta
enferm?
dans
un
couvent de
Moesie
ou
m?me
de
Thrace,
mais
plut?t
qu'il
participa
alors,
comme
?v?que
ou
comme
la?c,
? la vie
politique
d'une
grande
capitale,
Constantinople
ou
plus
vraisemblablement Ravenne2.
Il
y
repr?sente
l'opinion
d'une
partie
des Goths
romanis?s,
favorables
au
pouvoir
byzantin.
Il
y
r?dige
vers
550
un
rapide abr?g?
d'histoire romaine
(De
summa
temporum
vel
origine
actibusque
gentis
romanorum);
cela
le
d?signe
pour
reprendre
l'
uvre
de Cas
siodore
et lui
donner
une
actualit? nouvelle. Le
Goth
s'interrompt
d'?crire
sa
br?ve
histoire des Romains pour r?sumer la grande uvre d'un Romain sur l'histoire des
Goths.
Son
r?le
est
sans
doute
modeste
:
il
a
re?u
le
manuscrit de Cassiodore
des
mains
de
son
secr?taire,
en
lecture
pour
trois
jours
seulement,
et
en
fait
un
abr?g?
?
la demande
d'un
ami3.
Fiction litt?raire
qui
cache
peut-?tre
une
op?ration
poli
tique
inspir?e
par
Cassiodore lui-m?me
4.
Seul
ce
r?sum?
nous
est
parvenu;
il est
facile
? dater
puisqu'il ?voque
la
mort
de
Germanos
et
exalte l'avenir
r?serv? ?
son
fils
nouveau-n?
(fin
550,
d?but
551),
sans
conna?tre
le
d?part
de
l'exp?dition byzan
tine
sous
la
direction
de
Nars?s
(avril
551),
la
d?faite
de
Totila
et
la destruction
de
l'?tat
ostrogothique
(552)
5.
Quelques
probl?mes
tombent
ou
deviennent
mineurs
:
pour
notre
propos,
il
est
inutile
de
chercher
?
distinguer
la
part
de Cassiodore
et
celle
(sans
doute,
assez
r?duite) de Jordanes dans l'abr?g? que nous poss?dons 6. L' uvre est ? saisir
comme
un
tout,
avec ses
auteurs,
les
?tapes
de
sa
composition,
toutes
les
circons
tances
qui
l'ont fait
na?tre
et
qui,
au
lieu
de
l'ab?tardir,
fondent
son
unit?
:
celle
d'une
entreprise
continue,
consciente,
et
?
certains
?gards
?
collective
?,
pour
trans
crire
en
termes
d'histoire
une
situation
politique
complexe,
pour
r?soudre dans
l'histoire
cette
complexit?
du
pr?sent.
Que
l'
uvre
soit ?
l'origine
celle d'un
cour
tisan ob?issant
aux
suggestions
de
Th?odoric,
soucieux
de
mettre
en
valeur
l'antiquit?
de la famille des
Amales
et,
autant
que
possible,
la
progressive
romanisation
des
1.
B.C.
Skrzinskaja,
pp.
15-17
(Jordanes
aurait
?t?
notarius ?
peu
pr?s
de 505 ?
536),
24-28
(sens
de
agrammatus).
2.
Getica,
266;
Mommsen
(pp.
x-xrv)
fait de Jordanes un moine ?crivant dans un couvent
de
Moesie;
A.
van
de
Vyver
(op.
cit.,
p.
257,
n.
5)
le croit
la?c
et
install? ?
Constantinople;
Momi
gliano
(op.
cit.,
p.
221)
pense
que
Jordanes
est
un
?v?que
d'Italie.
Pour
E.
C.
Skrzinskaja,
Jor
danes
ne
fut
pas
moine,
peut-?tre
?v?que,
mais
assur?ment
ni
de
Crotone,
ni
de
Ravenne
comme
on
l'a
cru,
peut-?tre
aussi
simple
la?c
religiosus (pp. 17-24);
c'est ? Ravenne
qu'il
aurait ?crit
les
Getica
:
c'est
l?
qu'il
aurait
pu
le
mieux conna?tre
Cassiodore
et
son
uvre,
et
d?fendre
ses
id?es
politiques
(pp.
48-54).
Expos?
des
probl?mes
et
des
solutions
propos?es
dans N.
Wagner,
op.
cit.,
pp.
30 et
suiv.
3.
Getica,
1-2.
4. C'est
l'opinion
de A.
Momigliano;
E.
C.
Skrzinskaja
distingue
au
contraire
le
point
de
vue
de
Jordanes
en
551
et
celui
de
Cassiodore
en
526,
donnant
ainsi ?
Jordanes
une
originalit?
politique
qu'?
notre
avis
il
n'a
pas
(pp. 46-48).
5.
Getica, 81,
252,
314;
Mommsen,
pp.
xrv-xv;
E.
C.
Skrzinskaja,
pp.
32-33;
N.
Wagner,
op.
cit.,
pp.
48
et
suiv.
6.
L'originalit?
de Jordanes
est
sa
situation
d'?crivain
goth;
et
cette
situation suffit
? transformer
le
sens
de
l'
uvre
de
Cassiodore,
?
laquelle
Jordanes
n'ajoute
sans
doute
litt?ralement
que
peu
de
choses
(quelques
mots d'introduction
emprunt?s
?
Rufin,
une
notice
autobiographique, quelques
d?tails tir?s
des
traditions du folklore
goth,
de nouvelles
r?f?rences
aux
classiques
latins
et
grecs
et
une
ch?tive
conclusion);
il
le
dit
lui-m?me
(Getica,
3).
293
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6/21
HISTOIRE
ET
UTOPIE
Goths,
c'est
l'?vidence;
mais
le
pan?gyrique
se
mue
en
histoire,
l'?loge
en
justi
fication.
Sur
Cassiodore
et
le
but
originel
de
l'
uvre,
nous avons
cette ?clairante
appr?
ciation
du
petit-fils
de
Th?odoric
qui
pourrait
?tre aussi
bien
l'?loge
de Jordanes
:
?
Il
[Cassiodore]
a
sorti des
profondeurs
de
l'antiquit?
les rois
des
Goths
qu'un
long
oubli
y
tenait
cach?s;
il
a
r?tabli
les
Amales
dans
la
gloire
de
leur
naissance,
prouvant
que
nous avons une
ascendance
royale
depuis
dix-sept
g?n?rations;
il
a
fait
de
l'origine
des Goths
une
histoire
romaine,
rassemblant
comme
en une
seule
couronne
les
fleurs
jusque-l?
diss?min?es dans
le
champ
des
livres
(Iste
reges
Gothorum
longa
oblivione celatos latibulo vetustatis
exuxit. Iste Hamalos
cum
generis
sui
claritate
restituit,
evidenter
ostendens
in
septimam
decimam
progeniem
stirpem
nos
habere
regalem. Originem
goticam
historiam fecit
esse
romanam,
col
ligens quasi in unam coronam germen floridum quod per librorum campos passim
fuerat
ante
dispersum)
?x. Les
th?mes
se
chevauchent
:
celui de titres
de
noblesse
et d'une
l?gitimit?
qui
sont ?
?
reconqu?rir
? sur
l'oubli
(entendu
comme
absence
d'une
histoire);
celui
d'une
r?cup?ration
des Barbares
par
l'histoire
romaine,
ou,
si
l'on
pr?f?re,
d'un
rattrapage
historique
de la
conqu?te
barbare. Avant
Cassio
dore,
les
Goths
n'ont
pas
d'
?
histoire
?,
mais
seulement
une
?
origine
?;
il
n'y
a
d'histoire
que romaine,
mais
les
Romains
ont
cess? d'en
?tre
les
acteurs.
La
sc?ne
est
vide;
vide
d'acteurs
et
envahie de
machinistes.
Les
cat?gories
mentales
de
la
romanit?
sont
inaptes
?
comprendre
le
nouveau
spectacle.
L'histoire
est
le terrain
naturellement
choisi
par
Cassiodore
pour
poser,
et tenter
de
r?soudre,
une
contradiction
qui
est
celle
du
r?gime
th?odoricien
*.
Mais elle
est aussi le terrain o? cette contradiction s'exasp?re et reste sans solution. Faute
de
pouvoir
remettre
en
cause
les
cat?gories
m?mes
de
la
romanit?
(l'histoire
en
est
une),
YHistoire
des Goths
reproduit
dans
une
dualit? de
langage (r?cit
et
fable)
le
dualisme social
sur
quoi
est fond?
le
syst?me
politique
de
Th?odoric.
La
qu?te
d'une
l?gitimation
historique
conduit ? reconna?tre
l'ill?gitimit?
de
l'histoire
elle
m?me;
le
r?sultat
est exactement
contraire
au
but recherch?.
Avant
Cassiodore,
Sidoine
Apollinaire,
grand repr?sentant
des lettres
romaines,
refuse
d'?crire
une
histoire des Goths
comme on
l'en
prie;
apr?s
Cassiodore,
Gr?
goire
de
Tours
?crit
une
histoire nationale des
Francs;
seule
la
g?n?ration
qui
va
de
Cassiodore
?
Jordanes,
pour
rendre
compte
de
la
contamination
de
deux
mondes,
fait
le
pari
d'?crire
une
histoire
romaine des
Goths
s.
Mais
l'
uvre
ne
na?t
au
monde
politique
et ne nous
parvient
que
par
la contamination de deux
auteurs,
l'un
Romain,
qui
l'?labore,
l'autre
Goth,
qui
la
mutile,
la
signe,
et
pour
ainsi dire
l'authentifie
de
ses
propres
contradictions
de barbare romanis?.
1.
Variae,
IX,
25,
4
:
Senatui urbis
Romae
Athalaricus
rex,
a.
533.
2.
Anonyme
de
Valois
XX,
60
:
?
Sic
gubernavit
duas
gentes
in
uno,
romanorum
et
gothorum
?.
3.
Sidoine
Apollinaire,
ep.
IV,
22. Le m?me ?crivain
(mort
vers
483),
dans
son
pan?gyrique
du
1er
janvier
456,
consid?rait
l'alliance entre
l'empereur
Avitus et
le roi
wisigoth
Th?odoric
II comme
un
affermissement
de
l'Empire.
Orosius
aussi
(VII, 43, 5-7)
r?ve d'une
union,
mais
sans
contami
nation,
de la force
barbare
et
de la
romanit?,
et
propose
de
?
restaurer,
par
la force
gothique,
le
nom
romain
partout
?.
P.
Riche
insiste
fort
justement
sur
l'?volution
du
probl?me
d'une
g?n?ration
?
l'autre
(Education
et
culture dans
VOccident
barbare...,
pp.
50-51). Signe
de cette
?volution
: on
a
not?
que
Cassiodore
dans
la
correspondance
officielle
n'applique
jamais
aux
Goths
le
nom
de
bar
bare
(Mommsen,
index
de
l'?dition
des
Variae,
s.v.
?
barbarus
?).
294
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7/21
Carte
du
monde,
d'Orosius.
(d'apr?s
K.
Miller)
Oriens
Favonius,
Occideas
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8/21
ius.
(d'apr?s
K.
Miller)
Oriens
Fragment
de
la
carte du
monde
du
Ce
Subsolanus
Favonius
Occideas
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9/21
Fragment
de
la
carte du
monde
du
Cosmographe
de
Ravenne.
(d'apr?s
K.
Miller)
A/ Ts,*&&%?r\
*
/X
^
c-#
/
\t^\
^
/
^
^~^nw_ Ji
>4l'?'
N
/
/ \\
\
\v
7/25/2019 Jordanes en Francais
10/21
Fragment
de
la
carte
du monde
de
Pomponius
Mela,
(d'apr?s
K.
Miller)
vv^/
VAnthropophagi
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11/21
UNE
LECTURE DE
CASSIODORE-JORDAN?S
G.
DAGRON
Les
origines
:
le
continent
et
les
?les
de
l'Oc?an;
Scandza
x
I,
4/
Nos
anc?tres,
selon Orosius
2,
estimaient
que
le cercle form?
par
la
terre
dans
son
ensemble
?tait
entour?
par
le limbe
de
l'Oc?an,
et
ils le
divisaient
en
trois
parties
qu'ils
appelaient
Asie,
Europe
et
Afrique...
[On
a
souvent
d?crit
cette terre
tripartite
et
les
?les
(? Cyclades
?,
?
Sporades
?,
enten
dues dans
un
sens assez
vague
et
g?n?ral) qui
se
trouvent
dans
ses
mers
int?rieures]. 5/
Mais
les
limites
ultimes
et
infranchissables
de
l'Oc?an,
non
seulement
personne
n'a
tent?
de
les
d?crire,
mais
il
n'a
?t? donn?
?
personne
d'en
faire
la
travers?e,
parce
que,
en
raison
des
algues qui
retiennent
les
bateaux
et
de
l'absence
des
vents,
on
se
rend
compte
qu'il
est
imp?n?trable
et
que
seul
celui
qui
l'a
cr??
conna?t
l'Oc?an.
6/
En
revanche,
les
bords
de
POc?an,
dont
nous avons
dit
qu'ils
forment la
circonf?rence
de la
terre
?
la
mani?re
d'une
couronne
qui
encl?t
ses
fronti?res,
ne
sont
pas
inconnus des
hommes curieux
qui
ont
voulu
?crire
?
ce
sujet,
car
la
circonf?rence
de la
terre est
occup?e
par
des
habitants
et il
y
a
quelques
?les dans la
mer
elle-m?me
(entendons
dans
l'Oc?an
qui
l'enserre)
qui
sont
habitables.
[Sur
la
c?te
orientale
du
continent,
c'est-?-dire
dans l'oc?an
Indien,
il
y
a
les
Hyppodes
ou
Hippopodes
(?)
et
Jamnesia
(?)
qui
sont
br?l?es
par
le
soleil
et
inhabi
tables,
tandis
que
Taprobane
(Ceylan)
poss?de
des
places fortes,
des
bourgs
et
m?me
dix
villes
parfaitement
civilis?es;
il
y
a
encore
Silefantina
(?)
au
s?jour
enchanteur,
Th?ron
(?).]
7/
Ces ?les
n'ont
?t?
d?crites
par
aucun
auteur,
mais elles
n'en sont
pas
moins
pleines
de
gens
qui
les
poss?dent.
Du c?t?
occidental,
l'Oc?an
a
d'autres
?les
connues
de
tous
ou
presque
?
cause
de
la
fr?quence
des
allers
et
venues :
[
au
large
de
Gad?s
(Gibraltar)
deux
?les
appel?es
l'une
Beata,
l'autre
Fortunata
(les
Canaries
?).
On
compte
parmi
les
?les
de
l'Oc?an la
Gallicia
et
la
Lysitania (Galice
et
Portugal) qui
sont
en
r?alit?
des
promontoires
de
notre
continent
et
sont
d'un seul tenant
avec
l'extr?mit? de
la
terre
d'Europe. 8/
Il
y
a
encore
en
Occident
les
Bal?ares,
l'?le
Mevania
(proche
de l'Irlande selon
Orosius,
I,
2, 82), les Orcades au nombre de trente-trois, mais pas toutes habit?es, 9/ et ? l'extr?mit?
de la
terre
occidentale
la
c?l?bre
Thul?
(Shetland,
Irlande,
ou
m?me
Islande,
bien
que
l'Islande
ne
semble
d?couverte
que
bien
plus
tard
?].
Il
a
enfin,
cet Oc?an
immense,
du c?t?
de
l'Ourse,
c'est-?-dire du
septentrion,
une
grande
?le
du
nom
de
Scandza
(Scandia,
la
Scandinavie) qui,
s'il
pla?t
?
Dieu,
sera
le
point
de
d?part
de
notre
?tude,
car
c'est
de cette
?le
que
la
nation
dont
tu
veux
conna?tre
l'origine3
sortit
comme
un
essaim d'abeilles
et
fit
irruption
sur
la terre
d'Europe.
Comment cela
arriva
et
ce
qui
en
r?sulta,
c'est
ce
que
nous
expliquerons,
avec
l'aide du
Seigneur,
dans
la
suite de
cette
histoire.
II,
10/
[Suit
une
longue
digression
sur
l'?le de
Bretagne,
situ?e
dans
le
golfe
que
forme
l'Oc?an
entre
l'Espagne,
la
Gaule
et
la
Germanie.
Ferm?e
aux
armes
romaines
jusqu'?
C?sar,
elle
s'est
ensuite
ouverte
largement
au
commerce,
? la
circulation,
?
l'exploration
syst?matique.
Voici
sa
description
dans
les
auteurs
grecs
et latins
:
11/
elle
est
comme
un triangle projet? entre les c?tes septentrionale et occidentale du continent. Son grand
angle
(sa
base)
fait
face
?
l'embouchure du
Rhin,
ensuite
sa
largeur
se
r?tr?cit
et
s'?tire
en
1. Nous
donnons ici
une
traduction
ou,
entre
crochets
carr?s,
une
analyse
des
principaux
pas
sages
des Getica
sur
lesquels
porte
notre
commentaire.
Notre
propos
?tant
de
pr?senter
une
lecture
du
texte
de
Jordanes,
nous
renvoyons
aux
?ditions
de
Mommsen
et
de E.
C.
Skrzinskaja
pour
tout
l'appareil
critique
(variantes
de
texte,
r?f?rences
compl?tes
aux
sources,
explications
g?ogra
phiques).
Sur
Scandza
et
l'origine
des
Goths,
des
ouvrages
r?cents
sont
?
mentionner
:
celui, d?j?
cit?,
de
N.
Wagner,
Getica-Untersuchungen..., chap.
3
:
?
Die
Urheimat
der Goten
?,
p.
103
et
suiv.,
qui
est
une
utile
mise
au
point,
et
surtout
les
travaux
de J.
Svennung,
rassembl?s
dans
son
livre
Jordanes
und
Scandia, kritischexegetische
Studien,
Acta
Societatis Litterarum Humaniorum
Regiae
Upsalensis,
t.
44,
Stockholm,
1967, qui
renouvellent
sur
bien
des
points
nos
connaissances
et,
?
tout lemoins, les probl?mes. Les conclusions de J. Svennung n'entreront pas ici en discussion, mais
son
interpr?tation
ethnographique,
arch?ologique
et
philologique
des
passages
de
Jordanes
concer
nant
Scandza montre
bien
les
diff?rents
niveaux
auxquels peut
et doit
se
faire
une
lecture
des
Getica.
2.
Orosius
(?crivain
du d?but
du
ve
si?cle),
I,
2,
1.
3.
L'ouvrage
est
adress?
par
Jordanes
?
Castalius,
ami
et
fr?re de
race,
qu'il
n'est
pas
possible
d'identifier
(Getica,
1-3).
295
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12/21
HISTOIRE
ET
UTOPIE
oblique,
et
elle
pousse
deux
autres
angles,
d'un
c?t?
vers
la
Gaule,
de
l'autre
vers
la
Ger
manie.
12/
La
mer
? l'entour
n'est
pas
agit?e,
parce
que
la
terre est
si
?loign?e
qu'elle
n'offre
pas
de
r?sistance
aux
flots.
13/-15/
Les
peuples
et
leurs
m
urs sont
d?crits
avec
des
pr?ci
sions
que
Jordanes
tire
de
Strabon
et
de
Tacite.
Le
caract?re
?
oc?anique
?
de
l'?le
est
parfois
accentu?
par
un
d?tail
fabuleux
:
?
des
fleuves, grands
et
nombreux,
la
sillonnent
en
tous
sens
et
roulent
des
pierres
pr?cieuses
et
des
perles
?].
III,
16/
Revenons
? la
description
de l'?le de
Scandza, que
nous
avons
abandonn?e
plus
haut.
Claudius
Ptol?m?e,
qui
a
si
remarquablement
d?crit
le
monde,
fait
mention
d'elle
dans
le
second
livre de
son
uvre
*
en
disant
:
il
y
a
dans
l'oc?an
Arctique
une
grande
?le
nomm?e
Scandza;
elle
figure
une
feuille de
c?dratier;
ses
c?t?s
s'?tirent
en
longueur
et
se
resserrent
pour
l'enclore. D'elle
encore
Pomponius
Mela
rapporte
2
qu'elle
se
trouve
dans le
golfe
Codanus
(Catt?gat
?
Baltique ?)
entre
les rives
duquel
s'introduit
l'Oc?an.
17/
Elle
est
situ?e
en
face
du fleuve
Vistule,
qui
sort
des
montagnes
sarmates
(Carpates)
et
qui,
en
regard
de l'?le
de
Scandza,
se
jette
dans l'Oc?an
par
trois
embouchures,
s?parant
la Germanie de la
Scythie.
A
l'est,
au sein des
terres,
cette ?le contient un lac tr?s
large;
c'est
de
ce
lac,
comme
d'un
ventre, que
sort
le fleuve
Vagi
(ou
Vagus),
qui
roule ?
grands
flots
vers
l'Oc?an
3.
A
l'ouest,
elle
est
entour?e
par
l'immensit?
de la
mer
(=
de
l'Oc?an).
Au
nord
aussi,
elle est
enserr?e
par
ce
m?me Oc?an infini
sur
lequel
on
ne
peut
naviguer
et
d'o?
se
d?tache,
comme
une
sorte de
bras,
le
bassin
?largi
de la
mer
germanique. 18/
L?
il
y
a
des
?les,
petites
mais
nombreuses,
o? les
loups, dit-on,
s'ils
y
passent
profitant
de
ce
que
la
mer
est
gel?e
par
le
froid,
perdent
leurs
yeux.
Ainsi
cette
terre
n'est
pas
seulement
cruelle
aux
hommes,
elle
l'est
aussi
aux
b?tes
f?roces.
19/
Quant
?
l'?le de
Scandza,
elle est
habit?e
par
un
grand
nombre de
nations
diverses,
quoique
Ptol?m?e
n'en
nomme
que
sept.
On
n'y
trouve
en
aucune
saison d'essaims
d'abeilles,
?
cause
du
froid.
19/-24/
[Suit
une
d?signation
des
principaux
peuples4; quelques
d?tails
sont
donn?s
sur
leurs
m
urs,
mi-v?ri
diques,
mi-fabuleux
:
ainsi des Suehans
il est
dit
qu'
?
ils
vivent
pauvrement
tandis
qu'ils
sont tr?s richement v?tus ?1. 24/ Toutes ces races, qui sont sup?rieures aux Germains (enten
dons
aux
Germains
de
?
Germanie
?)
en
taille
et
par
leur
courage,
avaient l'habitude de
combattre
avec une
f?rocit?
de
fauves.
IV,
25/
C'est de
cette
?le
de
Scandza,
qui
est
comme
la
fabrique
des
peuples
ou,
si
l'on
veut,
la
matrice
des
nations
(?
quasi
officina
gentium
aut
certe
velut
vagina
nationum
?)
que
les
Goths
passent
pour
?tre
sortis
anciennement
avec
leur
roi
nomm?
Berig.
Dans
ce
passage,
comme
dans
la
suite,
les
connaissances
historiques
sont
celles
du
temps
;
l'auteur
conna?t
les
meilleures
sources
et
s'y
r?f?re
explicitement
(Pompeius
Trogus,
Tite-Live,
Pomponius
Mela,
Josephe,
Dion
Cassius
et
Dion
Chrysostome,
Tacite,
Dexippe,
Ammien,
Rufin,
Priscus,
Ablabius,
Symmaque...)
6.
La
1.
Ptol?m?e
(ne
si?cle
apr?s
J.-C),
II, 11,
33-35. Ce
passage
des
Getica est
comment?
par
J.
Svennung,
op.
cit.,
pp.
1-28.
2.
Pomponius
Mela
(g?ographe
romain du
Ier
si?cle
apr?s
J.-C),
Chorographia,
III,
31
et
54.
3.
Sur la
description
par
Jordanes
de
Scandza,
voir
Lauritz
Weibull,
?
Skandza und
ihre
V?lker
in
der
Darstellung
des Jordanes
?,
Arkiv
f?r
Nordisk
Filologi, 41,
1925,
pp.
213-246.
L'auteur consid?re
que
l'ouvrage
de Jordanes
est
une
pure
et
simple
compilation,
avec
de
nom
breuses
d?formations
:
ainsi,
le
lac
int?rieur serait la
mer
Caspienne
telle
que
la
d?crit
Pomponius
Mela,
et
le
?
fleuve
Vagi
?
une
simple
erreur
de
lecture
(dans
Pomponius
Mela
ou
dans
Cassiodore
?)
de
l'expression
?
quasi
fluvius
?,
?crite
en
cursive
latine,
dont
use
Pomponius
Mela
(III,
38)
?
propos
de la
Caspienne
(pp. 221-223).
Inversement,
J.
Svennung
{op.
cit.,
pp.
14-28)
pense
que
le
fleuve
Vagus
et
le lac
sont la
Neva
et
le
lac
Ladoga;
il
consid?re,
contre
L.
Weibull,
que
Cassiodore-Jordanes
ont
cherch?
l'objectivit?
historique
et
la
pr?cision,
?liminant
quelques
historiettes
fabuleuses
qui
avaient
cours
? leur
?poque (pp.
157-159 et
223-224).
Ceci
est
vrai,
et
pour
nous
important,
car
on
en
conclura
que
c'est dans
la structure
m?me
d'un r?cit
historique
que
s'ordonnent les
grandes
lignes
du
dessin
id?ologique.
4. Sur
l'ethnographie
de
Scandza
d'apr?s
Jordanes,
voir L.
Weibull,
op.
cit.,
pp.
224-246;
N.
Wagner,
op. cit.,
pp.
103
et
suiv.;
et
surtout
J.
Svennung,
op.
cit.,
pp.
32?114.
5.
Mommsen,
pp.
XXX-XLIV.
296
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13/21
UNE
LECTURE DE
CASSIODORE-JORDAN?S
G. DAGRON
g?ographie
est
d'abord
celle de
Ptol?m?e,
qui
tente
de d?crire le
monde,
avec ses
erreurs
mais aussi
son
souci
d'appr?hension globale
et
de
traduction
visuelle,
celle
aussi
qui,
apr?s
Ptol?m?e,
se
r?tr?cit,
codifie
et
d?couvre
peu,
malgr?
les
nouveaux
contacts,
militaires
et
commerciaux,
qui
relient
l'Empire
aux
pays
du
nord
germa
nique1.
Cassiodore
(ou
Jordanes)
a sous
les
yeux
une
de
ces
cartes
qui,
depuis
Auguste, figurent
l'Empire,
fixent
ses
fronti?res
et
ses
limites
administratives,
tracent
ses
routes,
d?nombrent
ses
cit?s
2.
L'Histoire
des
Goths
est
une
synth?se
?
laquelle
s'ajoutent
des
informations orales
que
Jordanes,
Goth
d'origine,
d?clare
avoir
recueillies
aupr?s
de
ses
compatriotes;
elle
est
aussi
un
maillon
important
dans
la
transmission
de tout
ce
savoir
(elle
est
cit?e huit fois
par
le
Cosmographe
de
Ravenne)
3,
et
la
science
moderne
ne
la contredit
pas
gravement
:
les
Goths,
comme
les
autres
envahisseurs
germains,
sont
bien
?
sortis
?
de
?
Scandinavie
?.
Rien
de
surprenant, donc,
ni m?me de tr?s
original
dans
cette
description
des
confins de
la
terre,
sinon le
fait
qu'elle
est
ordonn?e
en
syst?me
:
il
y
a une
g?o
graphie
humaine,
qui
est
celle
du
?
continent
?,
et
un
au-del?
g?ographique qui
est
l'Oc?an
infranchissable;
entre les
deux
il
y
a une
anomalie,
la
g?ographie
ambigu?
des
?les. Ici interviennent
de
subtiles
distinctions
qui
font de notre texte
un
v?ritable
petit
trait? de l'insularit?
:
il
y
a
les fausses
?les,
celles
que
l'on
croit faussement
isol?es
du
continent,
mais
qui
y
sont
en
fait
reli?es
(la
Gallicia,
la
Lysitania);
ou
bien
encore
les
?les
non-oc?aniques,
celles
des
mers
int?rieures
(Cyclades,
Spo
rades).
Parmi les
vraies,
d?crites
longuement
et
semble-t-il
hors
de
propos,
on
dis
tingue
celles
qui
sont
?trang?res
? toute humanit?
et
m?me
?
toute
vie,
inhabit?es
inhabitables, inconnues-inconnaissables,
et celles
qui
sont
proches
de
notre
huma
nit?
?
continentale
?.
La
Bretagne
et
Scandza
sont de cette
vari?t?;
terres
oc?aniques,
mais
peu
?loign?es
du
continent
qui
s'ouvre
en
face
d'elles
en un
golfe
ou
en
un
estuaire.
Elles sont
comme
le
d?calque
de
nos
pays,
pi?ces
mal
rapport?es
d'un
puzzle;
leur
compl?ment
et
leur
contraire. Et
leurs
habitants
peuvent
?tre
d?crits
comme
s'ils
?taient
des
continentaux;
mais
toujours
appara?t quelque
d?tail
(fleuves
charriant
des
perles,
riches
v?tements
de
pauvres
h?res)
par
quoi
la
description
tra
hit
son
caract?re
utopique.
Pr?cisons
encore
davantage.La
sym?trie
entre
la
Bretagne
et
Scandza
est
vigou
reusement
soulign?e
par Cassiodore-Jordanes,
au
point
de
prendre
la forme
d'une
1.
L.
Weibull
(op.
cit.,
pp.
214-215)
insiste
avec
raison
sur
le
fait,
qu'apr?s Ptol?m?e,
il
y
a un
recul
des
connaissances
sur
les
pays
nordiques
:
ainsi, Orosius,
Julius
Honorius,
Martianus
Capella
et
Cassiodore-Jordanes
apr?s
eux,
en
savent
moins
sur
la
Scandinavie
que
leur
grand
devancier
du
ne
si?cle.
2. La carte
qu'a
sous
les
yeux
l'auteur des Getica serait celle
que
commente Julius
Honorius,
g?ographe
du
ve
si?cle
apr?s
J.-C.
(cf. Muellenhoff,
Weltkarte des
Augustus,
p.
31);
la
Cosmographie
de Julius Honorius
est
d'ailleurs mentionn?e
par
Cassiodore,
qui
en
recommande
l'?tude
?
ses
moines
(De
inst.
div.
litt., 25).
Cette
carte est de toutes
fa?ons
tr?s
proche
des
indications
donn?es
par
Orosius,
dont
l'autorit?
est
invoqu?e
en
t?te
des
Getica
et
dont
le
nom
revient
en
de
nombreux
passages.
Pomponius
Mela
(ier
si?cle
apr?s
J.-C.)
est
explicitement
cit?
par
Cassiodore-Jordan?s,
ainsi
que
Ptol?m?e,
?
propos
de
la
description
de
Scandza.
On
se
reportera
aux
reconstitutions
par
K.
Miller des cartes de
ces
diff?rents
g?ographes
:
Die
?lteste
Weltkarten,
VI,
Stuttgart,
1898. A
la
m?me
?poque
que Cassiodore-Jordan?s,
mais
sans
rapport
avec
les
Getica,
Cosmas
Indicopleust?s
imagine
une
Topographie
chr?tienne
qui
remet
en
cause
l'
uvre
de
Ptol?m?e
(voir
la
belle
?tude
de
Wanda
Wolska-Conus,
La
topographie
chr?tienne
de
Cosmas
Indicopleust?s, Paris, 1962,
et
l'?dition
par
le m?me
auteur
du
texte
de
Cosmas
dans la
collection
Sources
Chr?tiennes,
?ditions
du
Cerf).
3.
Voir
sur
ce
sujet,
Joseph
Schnetz,
?
Jordanis beim
Geographen
von
Ravenna
?,
Philologus,
81,
1925-1926,
pp.
86-100.
297
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14/21
HISTOIRE
ET
UTOPIE
longue
digression
dont l'auteur
s'excuse. Mais
elle
est
une
fausse
sym?trie.
La des
cription
du
monde
et de
ses
?les est
emprunt?e explicitement
?
Orosius
et ? Julius
Honorius
(tous
deux
cosmographes
du
ve
si?cle)
qui
connaissent
la
Bretagne,
mais
pas
Scandza;
tous les
d?tails
pr?cis qui
concernent
Scandza
viennent
de
Ptol?m?e,
et
les Getica
n'y
ajoutent
que
le
fabuleux.
Encore
ce
fabuleux,
ou
le fondement
de
l'affabulation,
vient-il
en
grande partie
d'une
troisi?me
tradition
qui,
dans
la
cosmographie
romaine,
entaille
le
trac?
du monde
d'un
golfe
?norme,
avec
en
son
centre
une
?le
inconnue,
?
Codanovia-Scadinavia
?
pour
Pomponius
Mela,
?
Sca
tinavia
?
pour
Pline1,
entour?e
de
toutes
sortes
d'?les
plus petites
(voir
la
carte
du
monde
de
Pomponius
Mela).
Autrement
dit,
l'examen
des
sources
g?ographiques
dont
s'inspirent
les Getica
montre,
d'une
part,
une
certaine
repr?sentation
du
monde
r?el
au
temps
de
Cassiodore-Jordan?s
(terre
bord?e
par
l'Oc?an,
?les int?rieures
et ?les
oc?aniques perceptibles,
voir
les
cartes
du
monde
d'Orosius
et
de
Julius
Honorius
d'apr?s
K.
Miller),
dans
laquelle
Scandza,
point
de
d?part
de
l'histoire,
ne
figure
pas,
et,
d'autre
part,
une
contamination
tr?s
singuli?re
entre
un
ensei
gnement
g?ographique
pr?cis,
mais
oubli?
depuis
Ptol?m?e
2,
et
une
repr?sentation
plus
ou
moins
mythique
d'un
golfe
et
de
son
?le.
Quand
Cassiodore-Jordan?s
passent
de la
Bretagne
?
cette autre
?le
apparemment
semblable
qu'est
Scandza,
ils
sortent
en
fait
du
monde
repr?sent?.
C'est
apr?s
et
par
les Getica
que
Scandza obtient
droit
de
figuration,
en
?quivalence
avec
la
Bretagne,
dans
l'
uvre
du
cosmographe
de
Ravenne
(voir
la
carte).
Pourquoi
ce
long
d?tour
par
les
?les ?
Pour
commencer
l'histoire
des
envahis
seurs
par
une
m?taphysique
de
l'invasion.
La
terre est
entour?e
de
ventres,
tant?t
st?riles
et
abandonn?s
?
leur vraie
nature,
tant?t f?conds
et
d?versant
sur
le conti
nent
une
anti-humanit?.
La forte
image
de
la
?
matrice
des
nations
?,
ou
de
l'accou
chement,
vient naturellement
sous
la
plume
de
tout
historien
des
grandes
migra
tions
(?
A
partir
du
me
si?cle
avant
notre ?re
?
?crit
L.
Musset
?
le
monde
ger
manique
n'a
cess?
d'?tre aifect?
de
pulsations
migratoires
sur
un
rythme
d'abord
lent,
puis
de
plus
en
plus
pr?cipit?
?
s);
mais
ce
qui
compte
avant
tout,
dans les
pre
mi?res
pages
de
VHistoire
des
Goths,
c'est
que
la
gestation
pr?c?dant
cet
accou
chement
se
situe
hors
du
monde
humain.
Or,
ceci
ne
correspond
?
aucune
tradition
ant?rieure;
autrement
dit,
ce
n'est
pas
l'?loignement
de la Scandinavie
ou
la
m?con
naisance
de
la
nation
gothique,
mais
au
contraire
la
confrontation
historique
avec
les Goths
qui
conduit
?
leur
inventer
une
origine
fabuleuse.
C'est
par
l?
que
Cassiodore,
ministre
de
l'Empire th?odoricien,
et
le Goth Jordanes
innovent
par
rapport
?
la
science
de
Ptol?m?e.
Quant
au
continent,
avec
ses
rivages
oc?aniques,
il
s'identifie
?
peu
pr?s
avec
l'Empire
et
son
limes.
A
voir
une
carte
de
l'Empire
telle
que
la
Tabula
Peutinge
riana
(ive
si?cle
?),
il
appara?t
qu'entre
le
limes
humain
des
bords
de
l'Oc?an
et
le
limes romain
il
y
a
juste
assez
de
place
pour
inscrire
le
nom
des
peuples
barbares
reconnus
voisins
de
l'Empire.
Il
n'y
a
pas
de
g?ographie
non-romaine;
?
preuve
la
Liste
de
V?rone
qui compte
comme
treizi?me
dioc?se
?
gentes
barbarae
quae
pullulaverunt
sub
imperatoribus
?
4.
Il
n'y
a
que
deux
extensions,
l'une
compl?te,
1.
Pomponius
Mela,
II,
31
et
54;
Pline,
IV, 13,
96.
Cf.
L.
Weibull,
op.
cit.,
pp.
217-218.
2. L.
Weibull,
op.
cit.,
p.
217,
rel?ve la m?connaissance
de
la
Scandinavie
de
Ptol?m?e
par
les
cosmographes
romains
de
la
g?n?ration qui
pr?c?de
Cassiodore
et
Jordanes,
comme
Orosius,
Julius
Honorius
et
Martianus
Capella.
3.
L.
Musset,
Les
invasions.
Les
vagues
germaniques,
p.
50.
4.
Notifia
dignitatum,
?d. O.
Seeck,
p.
251.
298
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15/21
UNE LECTURE
DE
CASSIODORE-JORDAN?S
G.
DAGRON
l'autre
r?duite,
de la romanit?.
Dans
une
r?alit?
qui
est
celle des
migrations
et
des
invasions, la g?ographie elle-m?me
se
r?duit
aux
dimensions d'un monde stable et
isol?.
Les
Goths
n'en
font
pas
partie.
A
leur
origine,
Cassiodore
et Jordanes
les
situent
?
une
distance
infinie
de
la
romanit?.
Leur
histoire
sera un
impossible
rattrapage.
La
marche
des
Goths
jusqu'?
l'Empire
En
d?barquant
sur
le
continent,
les
Goths viennent
au
monde
x.
IV,
25/
A
peine
furent-ils descendus de
leurs
bateaux
(plus
loin Jordanes
pr?cise
qu'ils
en
avaient
trois
2)
et
eurent-ils touch?
les
terres
(=
le
continent) qu'ils
donn?rent
leur
nom
au
lieu
(o?
ils
venaient
d'aborder).
Il
s'appelle
encore
aujourd'hui,
assure-t-on,
Gothis
candza
3.
26/
De
l?,
ilsmarch?rent
bient?t
contre les
Ulmeruges,
?tablis
alors
sur
les
rivages
de
l'Oc?an,
les
attaqu?rent
apr?s
avoir
dress?
leur
camp,
et
les
chass?rent
des terres
qu'ils
occupaient.
[Ils
subjuguent
ensuite les Vandales
et
font
diverses
conqu?tes.]
[Le
nombre
de
Goths
s'accro?t
consid?rablement.
Filimer,
cinqui?me
roi
depuis Berig
4,
prend
la d?cision
?
de
quitter
le
pays
et
de
faire
avancer
la
troupe
des Goths
avec
leurs
familles
?.]
27/
Tandis
qu'il
cherchait
un
foyer
bien
adapt?
et
un
emplacement qui
leur
conv?nt,
il
arriva
sur
les
terres
de
la
Scythie
qui s'appellent
dans
leur
langue
Oium
5.
Apr?s
que
l'arm?e
se
soit d?lect?e
de la
grande
f?condit? du
pays
et
ait,
pour
une
moiti?,
travers?
un
pont
qui
franchissait
un
fleuve
(le
Dniepr
?),
ce
pont,
dit-on,
s'?croula
sans
qu'il
f?t
possible
de
le
r?parer.
Et
personne
n'eut
plus
la
possibilit?
ni
de
poursuivre
en
avant
(pour
ceux
qui
n'avaient
pas
franchi le
pont
avant
son
?croulement),
ni
de revenir
en
arri?re
(pour
ceux
qui
l'avaient
d?j?
franchi);
en
effet,
?
ce
qu'on
dit,
ce
lieu
est ferm?
par
des
marais
au
sol
instable
(marais
du
Pripet
?
6)
et
par
un
gouffre
qui
les
entoure,
et cette
confu
sion de deux ?l?ments de la nature le rend infranchissable. La v?rit? est
qu'encore
aujour
d'hui
on
entend des
mugissements
de
troupeaux
et
qu'on
y
d?couvre
des
traces
d'hommes,
si
nous
en
croyons
le
t?moignage
de
voyageurs
qui,
il est
vrai,
ont
appris
ces
choses
de
loin.
28/
Donc,
la
partie
des Goths
qui,
sous
la
conduite de
Filimer,
parvinrent
sur
la
terre
d'Oium
(Scythie)
apr?s
avoir franchi
le
fleuve,
prirent
possession
de
ce
pays
d?sir?
par
eux
et
aussit?t march?rent
contre
la
race
des
Spali (Spalaei)
7,
qu'ils
d?firent
en une
bataille;
de l?
ils
se
h?t?rent,
en
vainqueurs
jusqu'?
l'extr?mit?
de la
Scythie qui
avoisine
la
mer
du
Pont.
Ainsi
le
racontent
leurs
anciens
po?mes,
presque
en
forme
historique.
[T?moi
gnage
confirm?
par
l'historien
Ablabius.]
La
v?rit?
historique
se
d?chiffre
sans
peine
:
les
Goths viennent
de
Scandinavie
d'o?
un
premier
mouvement
migratoire
les
a
fait
d?barquer
sur
la c?te
de
la
mer
Baltique;
ils
refoulent
les
peuples qui
sont
install?s
dans cette
r?gion (sans
doute
l'embouchure
de
l'Oder)
et
notamment
les
?
Ruges
des ?les
?.
Ils
paraissent
alors
1.
?tudes
historiques
sur
l'origine
des Goths
:
L.
Schmidt,
Geschichte
der
deutschen
St?mme
bis
zum
Ausgang
der
V?lkerwanderung.
Die
Ostgermanen, Munich,
1934;
E.
Oxenstierna,
Die Uhr
heimat
der
Goten,
Leipzig,
1945;
E.
Schwarz,
Germanische
Stammeskunde,
Heidelberg,
1956;
N.
Wagner,
Getica.
Untersuchungen...,
o? l'on trouvera
une
bonne
bibliographie;
et
surtout
J.
Svennung,
Jordanes und
Scandia.
2.
Getica,
94.
3.
D?formation
par
fausse
?tymologie
de
Gutisk-andja,
?
le
rivage
des
Goths
?
(cf.
L.
Schmidt,
op.
cit.,
p.
196)
? Sur la
migration
des Goths et
ses
?tapes,
cf.
N.
Wagner,
op.
cit.,
p.
223
et
suiv.,
et
J.
Svennung,
op. cit.,
p.
213 et suiv.
4. Le r?gne de Berig est ? rapporter
au
Ier
si?cle apr?s J.-C, celui de Filimer
au
milieu
et ? la
deuxi?me
moiti?
du
ne
si?cle.
5. Sur
cette
d?signation,
voir
les commentaires
et
r?f?rences
donn?es
par
E.
C.
Skrzinskaja,
p.
195,
n.
68,
et
J.
Svennung,
op.
cit.,
p.
208
et note.
6. Cf. N.
Wagner,
op.
cit.,
pp.
229-233.
7.
Cf.
E.
t.
Skrzinskaja,
p.
196,
n.
70.
299
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16/21
HISTOIRE
ET
UTOPIE
former
un
groupe
ethnique
de
peuples
parents
ou
rivaux
provisoirement
li?s,
Goths,
Ruges, Vandales, puis H?rules et Skires. Alors,
?
au
temps de Filimer ?, c'est-?
dire
vers
150
apr?s
J.-C,
commence une
lente
migration
selon l'axe
Baltique
?
mer
Noire
jusqu'aux
marais
du
Pripet,
en
direction
des
steppes
pontiques.
Une
partie
au
moins
des
Goths
traverse
le
Dniepr, qui
est
peut-?tre
le
fleuve
au
pont
coup?
de notre
texte,
et
arrive
en
Russie
m?ridionale.
Vers
230,
leur
pr?sence
est
attest?e
au
nord
de
la
mer
Noire,
sur
la
basse
vall?e
du
Dniepr.
La
migration
atteint
l?
une
conclusion
provisoire
:
un
premier
royaume
ostrogothique
est
fond?,
correspon
dant
?
peu
pr?s
?
l'Ukraine
actuelle,
aux
d?pens
des
Sarmates,
eux-m?mes
succes
seurs
des
Scythes.
Sur
ce
rameau
des
Goths
(une
autre
partie
est
encore sur
les
bords
de la
Baltique,
y
restera
ou
n'?migrera
que
plus
tard)
s'exerce alors
une
assez
forte
influence
des
nomades iraniens
avec
lesquels
ils
sont
en
contact
:
leur
art,
leur
costume
en
t?moignent. ?tat
de
semi-?quilibre, donc, qui prend fin lorsque l'irrup
tion
des Huns
contraint les
Goths ?
p?n?trer
dans
le
territoire de
l'Empire,
en
3761.
Cette
lente
migration
devient,
dans
VHistoire
des
Goths,
une
d?marche
qui
conduit
les
envahisseurs des
confins
de la
g?ographie
?
ceux
de l'histoire.
Leur
pre
mier
acte est
d'inscrire
leur
nom sur
la
terre
continentale,
au
lieu
o?
ils
ont
pos?
le
pied
et
o?
ils
livrent
les
combats
que
rend
n?cessaires
leur
intrusion.
C'est
l'impact
g?ographique,
l'inscription
sur
la
carte
du
monde.
Ensuite,
apr?s
cinq g?n?rations,
la
nation
gothique
gagne
en
humanit?
(des
probl?mes
d?mographiques
se
posent),
en
?paisseur
temporelle
(Filimer
est
le
cinqui?me
roi);
elle
prend
le
go?t
du
mieux
vivre
et cherche
une
terre
riche
qui
lui
convienne.
C'est
alors
qu'intervient l'?pi
sode
du
pont
bris?. Son
symbolisme
est
?vident;
la marche
des
Goths
est
irr?ver
sible
comme
le
temps
:
il
y
a
ceux
qui
ont
manqu? pour toujours l'occasion et
ceux
qui
entrent
d?finitivement dans
une
?re et
une
civilisation
presque
historique,
comme
sont
?
presque
historiques
?
les
uvres
qu'ils
commencent
alors ?
composer
*.
Ceux
qui
n'ont
pas
franchi le
pont
vivent
dans
une
demi-humanit?
:
ils
vivent;
on
pourrait
les
entendre,
mais
de
loin,
indirectement;
une
sorte
d'?le
oc?anique
s'est
reconstitu?e
pour
eux
dans
un
m?lange
de
terre et d'eau
(les
marais),
avec
un
infran
chissable
espace
qui
les isole
(le
gouffre).
Ils
sont
stopp?s
au
seuil
de
l'historicit?
comme
les
habitants
de
Scandza
l'?taient
au
seuil de
la
g?ographie.
Ceux
qui
fran
chissent
le
pont
sont
au
contraire
conscients d'une
finalit?
historique qui
leur
fait
reconna?tre la
Scythie
comme
une
sorte
de
terre
promise.
Ils
en
prennent
possession
et
se
trouvent
ainsi
aux
fen?tres du monde
gr?co-romain.
W
La
Scythie
est
alors
longuement d?crite3. L'Histoire des Goths
en
fait le lieu
g?om?trique
de toute
la barbarie
des
confins.
Les
Goths,
eux-m?mes,
au
prix
d'in
coh?rences
flagrantes,
deviennent les
anc?tres,
les
parents
ou
les
h?ritiers
de
toutes
les
races
qui
ont
illustr?
ces
r?gions
dans
la
l?gende
et
dans
l'histoire
(les
Amazones
aussi
bien
que
les
Parthes).
C'est
rejoindre
un
parti pris
du
langage
qui,
?
cette
?poque,
appelle
?
scythe
?
tout
barbare
localis?
au
nord
de
l'Empire;
mais
l'uni
fication
va
beaucoup plus
loin. Il
s'agit
de
reconstituer
?
propos
des
Goths l'unit?
d'un
monde
barbare
face
?
l'unit?
du
monde
romain. Aussi
la
Scythie
devient-elle
l'envers de
l'Empire. G?ographiquement
d'abord
:
elle
aussi
a un
Orient
et
un
1.
Mise
au
point
sur
cette
premi?re
histoire
des
Goths
dans
L.
Musset, op. cit., pp.
80-82.
2.
Il
pourrait s'agir
ici
d'une tradition
populaire qui
serait
r?apparue
ult?rieurement
dans
le
folklore,
cf. la
tr?s
int?ressante ?tude
de Ramon
Menendez
Pidal,
Los
Godos
y
el
origen
de
la
epopeya
espa?ola,
Colecci?n
Austral,
n?
1275, Madrid, 1956,
p.
14.
=
Goti
in
Occidente.
Problemi...
(op.
cit.),
Spol?te, 1956,
pp.
287-288.
3.
Getica,
30-37.
300
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17/21
UNE LECTURE DE
CASSIODORE-JORDAN?S
G.
DAGRON
Occident1.
Historiquement
surtout
:
aux
exploits
d'Hercule
et de
Th?s?e
corres
pondent ceux de Penth?sil?e et de
ses
Amazones, qui participent ? la guerre de
Troie et
poursuive