Le canon arthurien et le Tristan en prose

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SUIVIE DE LA RÉFÉRENCE (JOUR, SESSION)

22e CONGRÈS DE LA SOCIÉTÉ

INTERNATIONALE ARTHURIENNE, 22nd

CONGRESS OF THE INTERNATIONAL ARTHURIAN SOCIETY

Rennes 2008

Actes Proceedings Réunis et publiés en ligne par

Denis Hüe, Anne Delamaire et Christine Ferlampin-Acher

POUR CITER CET ARTICLE, RENVOYER À L’ADRESSE DU SITE : HTTP://WWW.SITES.UNIV-RENNES2.FR/CELAM/IAS/ACTES/INDEX.HTM

SUIVIE DE LA RÉFÉRENCE (JOUR, SESSION)

Le canon arthurien et le Tristan en prose : le cas du roi Arthur

On a l’habitude de signaler que le roi Arthur dans le Tristan en prose n’exerce pas la fonction chevaleresque et on a mis l’accent sur la dimension

« débonnaire » d’Arthur et sur le fait qu’il se limite à organiser des fêtes1.

Certes, en tant que centre d’une société formée par des chevaliers plus hardis les uns que les autres, Arthur est cantonné la plupart du temps à occuper une place secondaire vis-à-vis de la chevalerie, mais on trouve également dans le roman des passages où le roi est montré comme un chevalier en tout point accompli. Cela surprend dans un roman qui cherche à glorifier avant tout la figure chevaleresque, au détriment de la figure royale ; mais le rôle actif d’Arthur s’explique si l’on envisage le personnage du point de vue de sa dimension héroïque : Arthur, dès le Roman de Brut, incarne un idéal royal fondé sur la force guerrière. Tout se passe donc comme si le prosateur du Tristan avait du mal à occulter cette image héroïque du roi.

Cela dit, le romancier confère au roi une dimension chevaleresque

qui est d’abord liée à son rôle de garant de la chevalerie2 — ne serait-ce que

1 Baumgartner, E., Le « Tristan en prose ». Essai d’interprétation d’un roman médiéval, Genève, Droz, 1975, p. 176 : « Arthur, dans le Tristan en prose, n’est guère qu’un roi débonnaire et assez effacé dont l’unique souci, semble-t-il, est d’organiser fêtes et tournois et de réunir les cours les plus brillantes possibles » ; Boutet, D., Charlemagne et Arthur ou le roi imaginaire, Paris, Champion, 1992, p. 601 : « le roi [dans le Tristan en prose], qui n’incarne plus rien d’autre que lui-même, se borne à organiser des festivités et des compétitions de prestige » ; Heijkant, M. J., « “E re non è altro a dire che scudo e lancia e elmo” : il concetto de regalità nella Tavola Ritonda », dans La regalità, a cura di C. Donà e F. Zambon, Roma, Caroci, 2002 , pp. 217-229, p. 218 : « Nel Tristan en prose invece egli [i.e. Arthur] non assiste che passivamente a questo spettacolo [le tournoi] ». 2 E. Baumgartner (« Histoire d’Hélain le Blanc du Lancelot au Tristan en prose » dans Et c’est la fin pour quoy sommes ensemble. Hommage à Jean Dufournet, éd. J-C. AUBALLY et al., Paris, Champion, 1993, t. I, pp. 139-148.) a montré que dans la version V III du Tristan en prose le rôle du roi Arthur dans ce sens est

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dans l’organisation de tournois —, dimension chevaleresque qui se manifeste aussi indépendamment de la présence des chevaliers. En effet, dans le Tristan en prose, la fonction chevaleresque d’Arthur s’exprime à travers trois rôles : roi guerrier, roi tournoyeur, roi chevalier errant. Le premier rôle est en effet présenté comme une conséquence directe de l’absence de l’élite chevaleresque, mais les deux autres rôles se mettent en place en complément ou en opposition à la figure chevaleresque. De cette manière, le roi Arthur adopte, en plus des fonctions proprement royales, des fonctions qui incombent plutôt aux chevaliers.

En plus de sa participation active aux tournois, la dimension chevaleresque du roi Arthur est également soulignée, dans le Tristan en prose, à travers le registre plus insolite de l’errance chevaleresque. Ce qui surprend si l’on pense que traditionnellement la figure du roi Arthur se doit d’être immobile. On sait que d’habitude, dans le roman arthurien, celui qui part à l’aventure c’est le chevalier, chargé d’un rôle civilisateur que la figure royale lui attribue, tandis que celle-ci reste dans la cour à attendre le chevalier sans

participer directement à l’aventure3. La cour devient ainsi le centre autour

duquel tournent les chevaliers et les aventures, le rôle du roi consistant à garantir ce « type-cadre arthurien », c’est-à-dire l’ensemble formé par les personnages réunis autour de la figure du roi, régis par le procédé de la

quête4. Lors du tournoi du Roche Dure, Arthur a l’occasion, ne serait-ce

qu’un instant, d’agir en tant que chevalier errant ; contrairement à ce qui se passe lors des tournois du Château des Pucelles et de Louveserp, Arthur ne participe pas aux joutes du tournoi de Roche Dure. Le roi se contente seulement d’apprécier le spectacle jusqu’à ce qu’il soit perturbé par la présence de l’Escu Estrange (qui représente un chevalier piétinant un roi et une reine) que Morgain fait porter à Tristan qui, comme d’habitude, est celui qui fait le plus de prouesses lors de l’assemblee. Piqué a vif par une demoiselle de Morgain, Arthur cherche à savoir la senefiance de l’écu en interrogeant directement celui qui le porte : quant li tournoiemens devra departir,

encore plus marqué, dans la mesure où l’adoubement par le roi d’Hélain le Blanc (adoubement absent des autres versions du roman) souligne de façon très explicite le lien entre le roi et la chevalerie : « Vous amerés Damedieu de tout vostre pooir et moi, qui cevalier vous fas, si me tenrés pour vostre signeur des ore en avant, et je vous tenrai pour mon cevalier a tous jours mais. » (manuscrit de Vienne 2542 f° 351, cité par Mme Baumgartner). 3 Ménard, Ph., « Problématique de l’aventure dans les romans de la Table Ronde », dans Arturus Rex. Acta Conventus Lovaniensis, Leuven University Press, 1991, t. II, pp. 89-119. 4 Zumthor, P., Essai de poétique médiéval, Paris, Seuil, 1972, p. 92.

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il se fera armer tout maintenant et s’en ira par la u li chevaliers doit venir. Adonc le savra il par force u par amour (III, 190, 16). Le motif du départ en aventure est de cette manière clairement identifié. Tristan, en vainqueur, quitte le tournoi et c’est alors que le roi, jusque là passif, pris d’un coup d’élan chevaleresque, décide de partir à la poursuite de Tristan :

il deschent tout esranment des loges et s’en entre en un paveillon u ses armes estoient, et se fait armer au plus tost et au plus isnelement que on le puet faire. Et quant il est armés, il monte sour un ceval de grant bonté et mainne avoec lui monsigneur Yvain, le fil le roi Uryen, pour faire lui compaingnie, et avoec che il mainne deus esquiers avoec lui [...]. Et il avoit son escu fait couvrir d’une houche vermelle pour ce k’il ne fust conneüs par aucune aventure (III, 192, 12)5.

Arthur abandonne complètement son statut royal pour adopter celui de chevalier errant ; ces deux statuts, apparemment contraires, se combinent ici, même si Arthur prend soin de bien occulter son identité, ce qui peut renvoyer au souci du roi de ne pas montrer son statut mais aussi à

la coutume propre aux chevaliers errants6. Quoi qu’il en soit, le roi

incognito intercepte Tristan, également incognito, et l’interroge sur l’écu ; ce dernier lui dit ce qu’il sait (que Morgain le lui a donné mais qu’il en ignore la signification) et refuse de dévoiler son identité. Devant le refus de

Tristan et les menaces d’Arthur7, la situation ne peut se débloquer qu’avec

une joute :

Li rois fiert monsigneur Tristran sour son escu un si grant caup k’il fait son glaive voler em pieches, mais nul autre mal il ne li fait ne de la sele il nel remue. Et mesire Tristrans, ki de riens nel vait espargnant com ki ne quide mie que che soit li rois Artus, le fiert si merveilleusement k’il abat a la tere et lui et le cheval et li fait une grant plaie u costé senestre. Et sachiés k’il fu assés grevés de celui caoir, car li cevaus, ki grans estoit et pesans a

5 Le Tristan en prose est cité dans l’édition Curtis (Le Roman de Tristan en prose, éd. R. L. Curtis, t. III,

Cambridge, Brewer, 1985) et dans l’édition sous la direction de Ph. Ménard (Le Roman de Tristan en prose, t III, Du tournoi du Château des Pucelles à l’admission de Tristan à la Table Ronde, éd. G. Roussineau, 1991). Les renvois comportent : le tome (en chiffre romain), précédé de la lettre C lorsqu’il s’agit de l’édition Curtis, le paragraphe (en chiffre arabe et en italique) puis la ligne (en chiffre arabe). 6 Plet, F., « Incognito et renommée. Les innovations du Tristan en prose » dans Romania, 2002, t. 120, 3-4, pp. 406-431. 7 « Je vous em proi, fait li rois, et vous par ma proiiere n’en volés rien faire ! Par mon chief, se vous nel me dites, vous estes venus a la bataille » (III, 195, 32).

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desmesure, li fu du tout caüs sour le cors, et se le rois ne fust de si grant force com il estoit, il ne s’en levast a pieche mais sans aide d’autrui. Mais sans faille il estoit bien uns des plus fors chevaliers ki fust a chelui rans u roiaume de Logres (III, 196, 6).

Malgré l’effort du roi pour montrer sa force et sa prouesse, le chevalier a le dessus et de cette manière la supériorité chevaleresque de Tristan est soulignée. Arthur n’arrive pas à percer l’écu ni son secret, car sa lance s’y rompt en éclatant en morceaux, ce qui montrerait sa défaillance chevaleresque mais aussi l’ombre qui pèse sur son image (c’est-à-dire l’adultère de la reine). L’épisode se ferme donc sur la défaite d’Arthur, qui va même jusqu’à regretter sa tentative de revêtir les armes de chevalier errant, comme il l’avoue à Yvain, que Tristan a également désarçonné :

li rois li dist tout en sousriant : « Yvain, Yvain, voirement est che verités que d’orgoeil ne puet venir fors mal et honte, ne nus ne vait orgoel demenant k’il de son orgoeil meïsmes ne chiee. Or poés veoir conment il m’est avenu de l’orgoeil que je demenoie encontre chest chevalier. Si maït Diex, il est preudom, et bien le moustre apertement chi et aillours » (III, 196, 19).

C’est comme si Arthur, en avouant son « orgueil », reconnaissait que sa place ne s’accorde pas avec les péripéties de la vie chevaleresque. Il redevient ainsi un roi statique (certes pas pour longtemps car le tournoi de Louveserp approche). L’Escu Estrange reste de cette manière oublié : il n’a servi que de prétexte à un combat entre le roi Arthur et Tristan, et d’une certaine façon il a atteint son but en mettant en évidence non pas la relation adultère de Lancelot et Guenièvre mais l’infériorité chevaleresque du roi Arthur. Ce passage mettrait donc en question le rôle de chevalier errant que le roi endosse.

Cependant, avant cette tentative peu glorieuse en tant que chevalier errant, Arthur s’était déjà engagé dans ce rôle avec plus ou moins de succès dans un épisode où Tristan et Kahedin, en route vers le royaume de Logres, échouent près de la Forest d’Arvances ou Merlins avoit esté enfoïz toz vis par la Demoisele dou Lac (C III, 781, 4). Les deux chevaliers partent à la recherche du tombeau de Merlin. Lors de leur chevauchée, ils sont hébergés chez un ermite qui leur raconte que le roi Arthur est perdu depuis trois mois dans cette même forêt et qu’il ne peut pas en sortir. Tristan décide de se mettre à la recherche du roi et il rencontre une demoiselle quelque peu mystérieuse — s’agit-il d’une fée ? — qui lui demande d’aider un chevalier que l’on va

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tuer : « Or tost, fait ele, frans chevaliers ! Va tost, si delivre ce chevalier que cil autre dui chevalier tienent soz eus, et velent que cele demoisele meesmes que tu voiz la li cope la teste. Saches vraiement que ce est li rois Artus ! » (C III, 819, 10). Cette demoiselle (sans que l’on sache d’où elle tient cette information) confère à Arthur le double titre de roi et de chevalier ; Tristan, sachant qu’il s’agit du roi, n’hésite pas un instant à lui venir en aide et l’on découvre alors le roi dans un piètre état : Et il avoient ja osté le roi le heaume de la teste, et li voloient abatre la coiffe de fer. Et la demoisele tenoit encores l’espee tote nue ; et c’estoit l’espee meesmes le roi dont ele li voloit coper la teste (C III, 819, 22). Tristan vient en aide au roi-

chevalier, tue l’un des deux agresseurs8 et blesse l’autre tandis que le roi lui-

même se charge de l’achever, après avoir tué la « méchante » demoiselle :

il arrache a la demoisele l’espee que ele tenoit encores en sa men, et li dit : « Par Sainte Croiz, vos iestes morte ! Vos m’aviez mis a dolor et a martire, et puis me voliez ocirre de ceste meesmes espee d’ou il vos estoit morir. » « Ha ! frans rois, fait ele, merci ! Ne m’oci mie, mes lesse moi vivre. Certes, ce te sera grant honte et grant desonor se tu m’ociz, car je sui une demoisele de chetif sens et de povre afere, et tu iés li plus hauz homs del siecle et li plus puissanz. » Et li rois, qui estoit correciez, respont par ire : « Ce n’a mestier ! A morir te covient ici. » Si hauce l’espee et li cope le chief, et li cors chiet a terre. Et li rois s’en revient par le chevalier que Tristanz avoit tant defolé aus piez de son cheval ; et il se voloit ja relever a quel que poine, car totevoies fuïst il volentiers la mort, se il poist. Mes il ne puet, car li rois s’en vient par li qui li soulieve le pan del hauberc, et li met l’espee dedenz le cors » (C III, 820, 1).

Avec l’aide du chevalier, Arthur récupère de cette manière son image positive de roi justicier et implacable (il n’a pas pitié de la demoiselle)

en châtiant de sa propre main ceux qui lui voulaient du mal9. Le but de

8 Pour Tristan, l’occasion de délivrer le roi se présente comme un moyen de se faire un nom tout en se constituant en un honneur : « Ha ! Diex, benooiz soies tu quant tu m’as mis en point de conquerre si grant honor com est ceste. Greignor honor ne poïsse je en nule maniere conquerre que de delivrer de la mort le plus preudome del monde » (C III, 819, 16). Il faut noter la violence avec laquelle Tristan délivre le roi en accomplissant des actes peu chevaleresques (tandis qu’il est à cheval, il tue un des chevaliers avec sa lance et foule l’autre sous les pieds de son cheval). On pourrait penser que les agresseurs d’un roi n’ont pas le droit à un traitement chevaleresque. 9 Tristan se permet tout de même de blâmer le roi : « Sire, je me merveil coment vos eüstes cuer ne volenté d’ocirre la demoisele que vos oceïstes, car il n’apartient pas a si preudome n’a si haut home com vos iestes qu’il deüst nule demoisele del monde ocirre. » (C III, 822, 4). Il a sûrement oublié que, lors de l’épisode du Château des Pleurs, il avait fait de même avec la mère de Galehaut, c’est-à-dire la Belle Géante !

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l’épisode est d’organiser la rencontre entre Tristan et Arthur et, à l’instar de Lancelot dans le Lancelot en prose qui délivre Arthur de Galehaut, de faire de Tristan le sauveur du roi. C’est que tout comme le roi Marc et Tristan étaient opposés avant même la naissance du héros, Arthur et Tristan sont destinés à s’aimer ; en effet, avant même de rencontrer le chevalier, le roi

exprimait son admiration pour lui10

et cet épisode, qui est la première occasion de rencontre entre les deux personnages, montre aussi la soumission du chevalier devant le roi : Tristanz descent tout mentenant qu’il voit le roi venir vers li, et se humilie mout. (C III, 820, 21). Ce passage est ainsi à l’origine de la relation affective que lie les deux personnages tout au long du roman.

Afin de susciter la reconnaissance du roi pour le chevalier, le romancier ne recourt pas à une guerre (comme le fait l’auteur du Lancelot en prose, ou l’auteur du Tristan lorsque le héros éponyme secourt le roi Hoël de la Petite Bretagne), mais à une situation plus romanesque ; en effet, pour expliquer la présence du roi Arthur perdu dans la forêt (situation en principe insolite, si ce n’est dans le cadre d’une partie de chasse), l’auteur se sert de la dimension chevaleresque du roi. Celui-ci raconte en effet à Tristan comment il s’est trouvé en contact avec cette demoiselle qui voulait le tuer : elle est d’abord arrivée à la cour pour blâmer Arthur de ne pas avoir pas vengé la mort d’un chevalier de la Table Ronde (qui était d’ailleurs parent

du roi), tué par un chevalier étranger11

. La demoiselle fait ici appel à la notion de justice et d’honneur tout en blâmant l’attitude passive du roi. Lorsqu’elle affirme pouvoir amener un chevalier sur le lieu où se trouve le chevalier étranger afin que justice soit rendue (elle demande que lui soit donnée la tête du chevalier s’il est tué), le roi, qui se trouve à Camaalot entouré de ses barons, réagit de façon surprenante :

« Quant la demoisele nos ot dite ceste parole, je sailli avant et dis que je emprenoie la bataille sor moi. Si demandai mes armes erranment et me fis armer, et me parti de Kamaalot en tel

10 Arthur exprimait son admiration pour Tristan lorsqu’on lui racontait qu’il avait laissé la vie sauve à son adversaire lors du combat judiciaire où Tristan était le champion du roi d’Irlande : « Certes, dit il [Arthur], je l’en lo mout durement et l’en vel mout grant bien. Si m’eïst Diex, toz li mondes l’en doit prisier, et il ne pue t faillir, sil vit par aaige, a estre preudon, quant il en tel aaige sot demorstrer apertement la debonereté de son cuer a son anemi mortel » (C I, 432, 6). 11 « Et quant il est ensi avenu que uns chevaliers estranges a ocis un chevalier del parenté le roi Artus, ne vengence n’en est prise, bien puet dire li rois que s’onor aville durement, et que ses linaiges empire, et qu’il ne regnera des oresmes mie longuement » (C III, 822, 23).

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maniere que je ne vox que uns ne autres me feïst compaignie. Ele me tint sanz faille covenant de mostrer moi le chevalier, car ele me mena droitement la ou il estoit ; et me combati a li, et tant fis que je l’ocis, et en dona la teste a la demoisele por ce que en covenant li avoie. Et ele la reçut a mout grant joie » (C III, 822, 39).

Contrairement à ce que l’on attendrait, c’est le roi lui-même qui,

abandonnant sa cour, se charge de l’affaire12

. Arthur redevient ainsi le héros au détriment de ses barons, car le prosateur prend soin de ne pas mentionner les chevaliers arthuriens canoniques dans l’entourage du roi susceptibles de prendre part à l’aventure pour pouvoir ainsi justifier le départ du roi. De cette manière, compte tenu de l’absence implicite des chevaliers, le roi opte pour l’action ; ce faisant, l’épisode bouleverse les bases mêmes du roman (et du roman arthurien en général), la figure du roi supplantant celle du chevalier errant. Donc, de manière surprenante, dans cet épisode, le roi prend les traits du chevalier errant et part en quête de l’aventure, qui relève de l’aspect justicier de la chevalerie errante. Il faudrait remarquer que, dans ce cas concret, pour exercer la justice, le roi doit se transformer en chevalier, c’est comme si seules l’activité chevaleresque et la force et la vaillance qui y sont rattachées servaient vraiment à garantir la justice. L’épisode montre ainsi la prouesse du roi-chevalier qui tue son adversaire hors la loi ; l’image du roi en ressort exaltée dans la mesure où il atteint son but. Ce faisant, le prosateur va à l’encontre de la fonction royale dans le roman arthurien, laquelle serait essentiellement inactive :

On s’est souvent étonné de la passivité d’Arthur, mais elle est fonctionnelle. Le combat qui établit le pouvoir royal ne peut être accomplit qu’une fois par le héros fondateur. La fonction royale se caractérise donc par l’inaction, l’impuissance et l’attente. Le roi est contraint de déléguer au

12 Ce n’est pas la première fois que le roi Arthur exprime son désir de participer à l’aventure de forme active, en effet, lorsqu’une demoiselle (qui plus tard sera identifiée comme la « Demoiselle à la Méchante Langue ») arrive à sa cour avec l’écu d’un jeune chevalier mort essayant de mener à fin une aventure, elle demande au roi de lui donner un autre chevalier qui puisse la continuer mais, malheureusement, aucun des chevaliers d’élite ne se trouve en ce moment à la cour : Li rois Artus, qui en nule maniere dou monde ne vosist que la demoisele se partist de leanz sanz conseil trover de sa resqueste, pense mout durement qu’il porra faire de ceste chose, si pense en la fin qu’il meesmes enprendra sor li ceste aventure, coment qu’ele li doie estre greveuse a achever, se autres ne la veust enprendre (C II, 646, 2). Arthur n’hésite pas à prendre le rôle d’un chevalier errant pourvu qu’il puisse donner satisfaction à la demoiselle. Finalement, le Chevalier à la Cotte Tailladée se propose pour l’aventure et Arthur est obligé de céder, ce qui provoque la colère de la demoiselle.

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héros la mission de renouveler l’acte fondamental [...] Le roi peut tenter de redevenir un héros mais il connaît alors l’échec, voire la dérision13.

On mesure l’écart présenté par l’auteur du Tristan en prose quant au rôle du roi qui, ici, ne serait-ce que lors d’un court épisode, redevient un héros dynamique qui renonce à l’inactivité et à l’attente que lui seraient propres ; d’autant plus que, en adoptant le rôle du chevalier justicier, le roi Arthur ne connaît ni l’échec ni la dérision, bien au contraire. Qui plus est, tout de suite après, ce roi-chevalier et justicier devient un chevalier errant à proprement parler, attiré par l’aventure et l’exercice de la prouesse qui lui est rattaché. En effet, l’aventure initiale se dédouble, car la demoiselle fait une invitation au roi à laquelle aucun chevalier aventureus ne peut résister :

« Rois Artus, or voi je bien et conois que tu iés bons chevaliers et hardiz. Or le fai bien : vient t’en aprés moi dusqu’en la Forest de Darvances, et quant nos serons la, je te creant que je te ferai veoir une aventure d’ou tu seras liez a merveilles et d’ou tu conquerras lox et pris, se tu la puez mener a fin » (C III, 823, 1).

Le roi Arthur accepte évidemment l’invitation et part avec la demoiselle non seulement pour trouver l’aventure qu’elle lui promet mais surtout pour voir une sorte de « monument arthurien » : « je dis que je iroie volentiers, meesmement por veoir la tombe Merlin que je n’avoie onques veüe... » (C III, 823, 8). Ce même schéma, une demoiselle qui invite un roi à découvrir une merveille ou une aventure, était déjà utilisé, on l’a vu, avec Méliadus, le père de Tristan, qui partait de cette même manière avec une demoiselle enchanteresse qui le retenait ensorcelé dans la forêt (C I, 225, 8). Il s’agit donc d’un « schéma morganien » car le héros (Arthur) pénètre dans un « autre monde » (la forêt où Merlin a été enterré vivant), où l’attend l’amour

d’une fée (ici, de la demoiselle enchanteresse)14

. L’allusion à Merlin et à sa tombe annonce déjà la suite de l’épisode car, comme Merlin et Méliadus avant lui, Arthur est ensorcelé par la demoiselle :

« Et quant ele m’ot mené dans sa chambre, ele me mist en mon duet un anelet par si grant force que tant com je l’eüsse sor moi, je ne poïsse amer ne dame ne demoisele fors li solement, ne penser a riens dou monde granment fors a li. Ensi m’ot la

13 Thomasset, C., « Du Pont de l’épée au pouvoir royal » dans La Figure du roi, Bien dire et Bien aprandre, n° 18, t. 2, p. 180. 14 Cf. Harf-Lancner, L., Les fées au Moyen Âge, Morgane et Mélusine. La Naissance des Fées, Paris, Champion, 1984, pp. 347-375.

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demoisele enchanté que je remés del tout a li et obliai la roïne Genevre et totes les autres dames por li, que d’eles ne me sovenoit mes, ne plus que se je onques ne les eüsse veües. Chascun soer me metoit gesir avec li, et faisoit de moi quanque il li plesoit » (C III, 823, 14).

Il n’est plus question de la merveille que la demoiselle promettait de montrer au roi, ni non plus du tombeau de Merlin : tout cela ne semble avoir été qu’un leurre pour attirer le roi Arthur dans la forêt. C’est ainsi que l’amour de la demoiselle pour le roi est présenté ici d’un point de vue négatif car, comme pour le roi Méliadus, ce sentiment éloigne le roi de la société. Le combat justicier d’Arthur contre le chevalier ne semble être qu’une sorte d’épreuve de la vaillance du roi, après quoi il devrait être « digne » d’être enchanté ; dans cette perspective la vaillance chevaleresque serait un préalable à l’amour et sans doute aux performances sexuelles du roi... Mais, à coté de cette dimension amoureuse, la dimension chevaleresque n’est pas négligée car la demoiselle aime aussi la facette de chevalier d’Arthur qui, à cause de son enchantement, est complètement dépourvu de son statut royal pour endosser celui de chevalier errant :

« A l’endemen me metoie en la forest por cerchier aventures et por trover chevaleries, et tot ce sofroit ele bien. Et sachiez que je estoie si forz enchantez que quant je encontraie les chevaliers de mon ostel que je bien conoissoie, je n’avoie hardement des atendre, enz les fuioie tot aussi com s’il me vosissent ocirre. Il ne me reconoissoient nules foiz, car je avoie toz jorz mes mes armes changiees [...]. Chascun jor chevauchoie par ceste forest, et chascun soer me covenoit venir po s’en faloit » (C III, 823, 22).

Certes, la prouesse du roi-chevalier laisse à désirer du moment où il fuit les autres chevaliers, mais c’est aussi un procédé qui empêche les chevaliers de reconnaître le roi et qui sert surtout à prolonger le séjour du roi dans la forêt dans l’attente de son libérateur. Cela dit, cette allusion à la chevalerie « peureuse » d’Arthur est contredite par une séquence qui a lieu un peu avant, où Lamorat rencontre dans la forêt un chevalier

tot sol qui venoit mout grant erre, et estoit mout bien armez d’unes armeüres mi parties, l’une moitié blanche et l’autre noere. Et li chevaliers estoit durement granz, et seoit sor un cheval noer, et venoit auques grant erre parmi la valee. Et la ou il voit venir Lamorat, il li crie : « Gardés vos de moi, sire chevaliers ! A

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joster vos covient. » Si besse mentenant son glaive [...]. Et li chevaliers, qui li venoit si grant erre com se la foudre le chaçast, le fiert si engoisseusement qu’il li fait une mout grant plaie enmi le piz, et porte a terre lui et son cheval tot en un mont ; et fu Lamoraz mout decassez de celi cheoir et dou fes des armes qui auques l’ont grevé, et dou cheval qui lui fu cheoiz sor le cors. Et li chevaliers qui ensi l’ot abatu, quant il le voit a terre, il nel regarde plus, enz s’en vet outre, la glaive bessié qui encores estoit toz entiers (C III, 798, 10).

Or ce chevalier en tout point accompli n’est autre que le roi Arthur lui-même, comme Lamorat l’apprend peu après de deux chevaliers (C III, 799,10). On peut voir de quelle manière le roi se confond dans ce passage avec n’importe quel chevalier errant ; il est certes sous l’emprise d’un enchantement mais on pourrait dire que cet enchantement consiste justement à transformer le roi en chevalier (le rêve du romancier ?), même s’il s’agit d’une chevalerie somme toute pervertie dans la mesure où elle s’oppose aux chevaliers arthuriens.

Le roi Arthur apprend également à Tristan que sa libération est liée à la bonne fée, c’est-à-dire à la Demoiselle du Lac (la même qui aurait abusé Merlin) car, lors de ses chevauchées dans la forêt, Arthur a rencontré une demoiselle qui l’a reconnu (à quoi ?), a eu pitié de lui et lui a dit qu’elle estoit a la Demoisele dou Lac ; elle a enlevé l’anneau du doigt du roi et l’a délivré ainsi de l’enchantement (C III, 824, 1). Elle a alors fait promettre au roi de couper la tête de l’autre demoiselle et le roi le lui a accordé (je li creantai come rois). De cette manière, l’honneur d’Arthur reste sauf car, en tuant la demoiselle, il ne faisait qu’accomplir ce qu’il avait promis : les engagements royaux sont sacrés. D’autant plus que la « bonne » demoiselle avait aussi mis en garde le roi contre les pouvoirs de la « mauvaise » demoiselle enchanteresse qui aimait tellement le roi qu’elle n’aurait pas hésité à l’enchanter une deuxième fois. Le roi s’était donc engagé à la tuer mais ses deux frères l’en empêchaient, et c’est pour se venger que la demoiselle enchanteresse cherchait à son tour à couper la tête d’Arthur, comme nous

l’avons vu ci-dessus. La séquence du roi perdu dans la Forest d’Arvances15

ne

15 A cet épisode répond en écho celui de la Nef de Joie de la version courte du roman où Arthur part également en guise de chevalier errant pour venger la mort d’un de ses chevaliers. Il s’agit ici d’un épisode encore plus surprenant dans la mesure où Arthur, pour exercer sa fonction de justicier, doit combattre le meurtrier qui n’est autre que Tristan ! Cf. Le roman de Tristan en prose (version du manuscrit fr.

LE CANON ARTHURIEN ET LE TRISTAN EN PROSE : LE CAS DU ROI ARTHUR, MARIO BOTERO GARCÍA

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serait donc somme toute qu’un affrontement entre demoiselles enchanteresses par roi interposé ! Quoi qu’il en soit, il ressort de l’épisode l’image d’un roi-chevalier errant en tout point accompli, soulignant le lien étroit qui unit la figure royale à la chevalerie. Qui plus est, une fois que le roi et Tristan s’apprêtent à quitter la forêt, Arthur garde symboliquement son statut de chevalier : « Veez la mon cheval a cele oreille de cele forest. Alez le querre, s’il vos plest » [...]. Li rois monte, et quant il a pris son hyaume et son escu et son glaive qui devant l’entree de la tor estoit dreciez a un arbre, il se part d’illec (C III, 820, 49). Le roi ne porte pas ici les objets spécifiques de la royauté (la couronne ou le sceptre), et pour cause, mais ceux de l’armement guerrier. On aurait pu penser qu’une fois l’aventure finie, Arthur retrouverait son statut royal mais, au contraire, il continue à revendiquer son statut chevaleresque, à la suite d’une aventure qui a désormais fait de lui, en plus d’un roi, un chevalier à part entière.

Cependant, comment pourrait-on expliquer que l’auteur du Tristan en prose confère au roi Arthur un rôle qui, du point de vue des contraintes narratives et idéologiques du genre (le roman arthurien) lui est d’emblée étranger ? Quel est l’intérêt de bouleverser de cette manière l’«horizon d’attente » du public en faisant d’Arthur le héros d’un épisode, aussi court soit il, au détriment de ses chevaliers ? C’est que, dans notre roman, Arthur recouvre complètement sa dimension chevaleresque, et même s’il n’est pas souvent montré dans son rôle de chevalier, il ne cesse d’appartenir activement à cette élite.

Dans cette perspective, le Tristan en prose innove complètement par rapport à ses devanciers où le roi Arthur est complètement statique, ou presque ; en effet, dans le Lancelot, le roi Arthur n’est jamais montré en tant que chevalier errant et si, dans le Perlesvaus, il part en aventure à la Noire Chapelle, il le fait sur les conseils de la reine Guenièvre. C’est seulement dans cet épisode du Tristan où il apparaît vraiment en chevalier errant, son départ en aventure répondant d’ailleurs au modèle courant du genre : une demoiselle qui arrive à la cour pour demander un champion ; l’aventure échoit à Arthur parce qu’il le veut et non pas parce qu’il n’y a pas d’autres candidats possibles ; certes, on ne fait pas allusion aux chevaliers canoniques, mais Arthur est entouré de ses barons qui auraient pu se

757 de la Bibliothèque nationale de Paris), t. II, éd. N. Laborderie et T. Delcourt, Paris, Champion, 1999, pp. 285-297.

ACTES DU 22e CONGRÈS DE LA SOCIÉTÉ INTERNATIONALE ARTHURIENNE, RENNES, 2008

PROCEEDINGS OF THE 22nd CONGRESS OF THE INTERNATIONAL ARTHURIAN SOCIETY, 2008

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charger de l’affaire ; donc, comme le jeune Lancelot (dans le roman éponyme) ou comme le Valet à la Cotte Tailladée, Arthur demande pour lui l’aventure. De cette manière, cet épisode du Tristan en prose annonce un roman comme le Chevalier au Papegau où Arthur apparaît également comme un chevalier errant, sauf que là il s’agit d’un jeune Arthur, récemment

couronné, ce qui justifie en quelque sorte son départ en aventure16

.

Faut-il envisager le rôle d’Arthur en tant que chevalier dans le Tristan comme une dégradation, une décadence, de la fonction royale ? Le roi Arthur se réserve le droit à la chevalerie errante sans que cela porte atteinte, semble-t-il, à son image de meilleur prince du monde, au contraire, ce faisant le roman semble établir une dialectique entre la chevalerie et la royauté ; le roi peut tenter également des aventures et prouve par là qu’il fait part active de la classe chevaleresque.

Du point de vue de la fonction chevaleresque, dans le Tristan en prose, le roi Arthur présente une double dimension : celle d’un roi dépendant de ses chevaliers qui représentent le véritable pouvoir (donc comme dans les romans de Chrétien de Troyes) et celle d’un roi guerrier, capable d’affronter le meilleur chevalier du monde et de partir en chevalier errant pour exercer la justice. De cette manière, l’auteur du Tristan en prose inscrit le personnage d’Arthur dans la continuation d’une image positive et héroïque du roi Arthur telle qu’on la connaît depuis le Roman de Brut de Wace, ce qui indique que l’auteur du Tristan en prose a du mal à s’éloigner du mythe arthurien. Certes, le prosateur ne s’adonne pas à une réécriture totalement servile puisqu’il modifie l’image d’Arthur en faisant de lui un chevalier errant, mais seulement pour quelques épisodes. L’auteur du Tristan en prose ne peut pas s’empêcher de reproduire un portrait très favorable du roi Arthur en tant que garant des valeurs du monde chevaleresque et courtois, contrairement à la figure du roi Marc qui est, quant à elle complètement remaniée.

Depuis l’œuvre de Chrétien de Troyes et jusqu’au Lancelot en prose le canon narratif arthurien s’est vite figé : un roi plutôt faible entouré de ces chevaliers qui deviennent les vrais héros du point de vue de l’aventure chevaleresque. Face à cette norme, le Tristan en prose propose des passages,

16 Sur le Chevalier au Papegau, voir A. Berthelot, « Arthur ou le Chevalier du Papegault : décadence d’une fonction, décadence d’un genre » dans König Artus und der Heilige Graal, Reineke-Verlag, Greifswald, 1994, pp. 17-25.

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on l’a vu, où le rôle du roi Arthur met en question le canon arthurien accepté : Arthur devient ainsi un roi-chevalier dont le nouveau rôle efface, ne serait-ce qu’un instant, les chevaliers arthuriens.

MARIO BOTERO GARCÍA

UNIVERSIDAD DE ANTIOQUIA (COLOMBIE)