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MAN/DA/MM/MK Douala, le 22 avril 2016
LES MODES ALTERNATIFS DE REGLEMENT DES DIFFERENDS :
L’ARBITRAGE
Chers Confrères,
J’ai été conviée par le Barreau avec ma consœur Maître Moungou Marie-Josèphe à vous
parler des Modes Alternatifs de Règlement des litiges ci-après MARL ou on dira aussi
MARD, Modes Alternatifs de Règlement des Différends.
Depuis quelque temps, j’ai décidé de spécialiser mon activité professionnelle dans ce
domaine, et plus précisément dans celui de l’arbitrage et de la médiation.
Je réalise ainsi un vieux rêve de jeunesse, en même temps que je suis intéressée par de
nouveaux challenges, sans doute les derniers d’une activité professionnelle de 40 ans cette
année.
Cette spécialisation doit me permettre également de gérer différemment mon agenda, et
notamment de donner un peu de temps à cette profession qui est la nôtre.
Pourquoi devriez-vous vous intéresser aux MARL ?
Plusieurs intérêts à mon point de vue :
intérêt intellectuel car c’est un concept qui regroupe des notions déjà connues, d’autres
nouvelles avec une rationalisation de la mise en œuvre et des effets,
un intérêt professionnel, car vous pouvez y être confronté dans votre exercice
professionnel, et il faut être prêt à réagir d’une manière adéquate ou de conseiller leur
utilisation à vos clients dans le cadre d’une recherche d’efficacité de vos prestations.
Intérêt économique. En effet, autour de ces MARL, différentes activités économiques se
développent avec des métiers qui ne sont pas réservés aux avocats, mais pour lesquels,
avec un peu de formation, ils sont bien outillés pour se les approprier.
Il serait dommage que les avocats abandonnent ce marché à d’autres, mais encore, faut-il,
pour faire face à la concurrence, se former, je l’ai dit ci-dessus, mais aussi parfois sortir de
l’esprit de procédure qui est le nôtre.
Certes, au stade actuel des MARL au Cameroun et pour un jeune qui débute, la spécialisation
dans ce domaine ne va pas vous permettre de faire vivre un cabinet. Il faut cependant voir
l’avenir et sans aller jusqu’à la spécialisation, les MARL peuvent constituer une part de votre
activité. Plusieurs métiers sont envisageables dans ce cadre, bien sûr celui de conseiller, mais
aussi d’arbitre et de médiateur. Et puis, il faut participer à la création d’un cercle vertueux.
Les MARL ne vont pas se développer s’il n’y a pas de professionnels compétents pour les
conseiller, les initier, les diriger et les conduire à bonne fin, c’est-à-dire aboutir à la fin du
différend.
Les MARL sont divers et sont appelés à s’enrichir de nouveaux modes de règlement pour une
toujours meilleure adaptation aux besoins.
On peut citer : l’arbitrage, la médiation, la conciliation, le droit collaboratif, l’expertise, la
négociation, etc.
Aujourd’hui, nous parlerons de la médiation et de l’arbitrage. La médiation sera développée
par Maître Moungou Marie-Josèphe et je parlerai de l’arbitrage.
La durée de la présente session ne permet pas de vous parler en détail de l’arbitrage.
Je me limiterai donc à une brève présentation générale qui, je l’espère, vous donnera quelques
clés lorsque vous aurez à traiter de sujets en rapport avec l’arbitrage.
La présentation qui suit se limitera à traiter de l’arbitrage tel qu’il est organisé d’une part par
le Traité de Port Louis du 17 octobre 1993 relatif à l’harmonisation du droit des Affaires en
Afrique, ci-après le Traité et le Règlement de la CCJA, ci-après le RA de la CCJA, et d’autre
part par l’Acte uniforme relatif à l’arbitrage, ci-après l’AUA.
Je n’évoquerai pas le Règlement d’Arbitrage des Centres d’arbitrage nationaux et les
interactions avec l’AUA. Néanmoins, au stade de l’introduction, je voudrais vous indiquer
que l’Ohada connaît un système dual d’arbitrage.
Il y a d’une part :
l’arbitrage CCJA régi par le Traité de Port Louis et le R.A. de la CCJA qu’on appellera
arbitrage CCJA,
l’arbitrage développé devant les Centres d’arbitrage de la zone Ohada qui est régi par le
R.A. de chacun de ces Centres et l’AUA.
Vous entendrez également parler de l’arbitrage institutionnel, c’est-à-dire celui qui est
organisé par un Centre.
Par opposition, il y a l’arbitrage ad hoc qui est celui organisé librement par les parties dans
leur convention, en dehors du Règlement d’arbitrage d’un Centre.
Je terminerai en situant les MARL par rapport à la justice étatique.
Les MARL existent parce que l’Etat a autorisé leur fonctionnement.
Les MARL ne sont pas connus et utilisés comme des concurrents à la justice étatique.
Les MARL sont une alternative, parce qu’il est reconnu dans le monde actuel, que les
différents sont d’une extrême diversité, tant par leur objet que par les besoins et la
psychologie des parties, par leur caractère national ou international, par les souhaits des
parties pour résoudre leur différent, leurs souhaits pour l’avenir de la relation, par leur besoin
de célérité, de confidentialité, par leurs moyens financiers, leurs cultures, etc.
En reconnaissant la légitimité des MARL, l’Etat reconnaît la diversité des besoins et des choix
et le soutient. C’est pourquoi j’ajouterai à la notion d’alternatif celle de complémentarité.
En effet, lorsqu’il y a une difficulté dans la mise en œuvre de certains MARL, il faut avoir
recours au juge étatique.
De même, si dans la grande majorité des cas les décisions issues des MARL sont exécutées
volontairement, le recours à la force exécutoire accordée par l’Etat peut s’avérer nécessaire.
Il faudra alors avoir recours au juge étatique pour l’obtention de l’exequatur et/ou de la
formule exécutoire.
Vous aurez donc à prendre en compte l’intervention du "juge compétent" selon la formule de
l’acte Ohada appelé ailleurs juge d’appui.
Après ces quelques précisions je vais entrer dans le vif du sujet.
1. DEFINITION ET FONDEMENTS JURIDIQUES DE L’ARBITRAGE
1.1. Définition
L’arbitrage peut être défini comme un mode privé de règlement des litiges fondé sur la
convention des parties. Il se caractérise par la soumission d’un litige à de simples particuliers
choisis par les parties.1 L’arbitrage confère à ces particuliers le pouvoir de poser des actes qui
s’imposent aux parties comme un véritable jugement susceptible d’exécution forcée après une
procédure d’exequatur.2
1.2. Fondements juridiques
1.2.a. Le Traité OHADA (ci-après « le Traité »)
En son article 2, le Traité OHADA consacre l’arbitrage comme une matière juridique qui
entre dans le domaine du droit des affaires.
Le titre IV du Traité intitulé « L’Arbitrage » règlemente le système d’arbitrage de la CCJA.
Cet arbitrage est limité aux litiges d’ordre contractuel (article 21 du Traité).
1.2.b. L’Acte Uniforme relatif au droit de l’Arbitrage (ci-après « AUA »)
Adopté le 11 mars 1999, ce texte constitue le droit commun de l’arbitrage dans l’espace
OHADA. Il est fondé sur l’article 2 du traité OHADA. Il est en cours de révision. Il vient en
complément des règlements d’arbitrage des centres d’arbitrage. Cependant, ces règlements
d’arbitrage ne doivent pas contenir des clauses qui sont contraire à l’AUA.
1 Paul-Gérard Pougoué, Jean-Marie Tchakouaet Alain Fénéon, “Droit de l’arbitrage dans l’espace OHADA”
Presses Universitaires d’Afrique (2000) page 8 2 Pierre Meyer, « OHADA : droit de l’arbitrage » Bruylant Bruxelles (2002) Page 21
1.2.c. Le Règlement d’arbitrage de la CCJA (ci-après « RA de la CCJA »)
Le RA de la CCJA est fondé sur les articles 21 et suivants du Traité, et en particulier, sur
l’article 26, qui dispose que le règlement d’arbitrage est fixé par le Conseil des Ministres.
1.2.d. Le droit interne des Etats Parties à l’OHADA: le cas du Cameroun
Le Cameroun a adopté les textes suivants en matière d’arbitrage :
- Loi n° 2003/09 du 10 juillet 2003 désignant les juridictions compétentes visées à
l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage et fixant leur mode de saisine (ci-après
« la loi de 2003 »)
- Décret n° 2002/299 du 3 décembre 2002 désignant l’autorité chargée d’apposer la
formule exécutoire sur les arrêts de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de
l’OHADA et sur les sentences arbitrales rendues en application du règlement
d’arbitrage de ladite Cour et de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage (ci-après
« le décret de 2002 »)
- Loi n° 2007 001 du 19 avril 2007 instituant le juge du contentieux de l’exécution et
fixant les conditions de l’exécution au Cameroun des décisions judiciaires et actes
publics étrangers ainsi que des sentences arbitrales étrangères
- Loi n° 75/18 du 18 décembre 1975 relative à la reconnaissance des sentences
arbitrales3
- Loi n° 2006/15 du 29 décembre 2006 portant organisation judiciaire4
1.2.e. Autres sources (Convention de New York et CIRDI)
Parmi les autres sources de l’arbitrage figure la Convention de New York du 10 juin 1958.
Ratifiée par le Cameroun par décret n° 87/1041 du 24 juillet 1987 ratifiant la convention des
Nations Unies en date du 10 juin 1958 pour la reconnaissance et l’exécution des sentences
arbitrales étrangères, cette convention poursuit l’objectif de favoriser la circulation
internationale des sentences arbitrales. A cet effet, elle fixe des règles de reconnaissance et
d’exécution des sentences arbitrales étrangères.
Il y a lieu de mentionner également la Convention de Washington du 18 mars 1965 pour le
règlement des différends relatifs aux investissements entre Etats et ressortissants d’autres
Etats (« la Convention CIRDI »). Ladite convention est entrée en vigueur au Cameroun le 2
février 1967.
1.3. Champ d’application
Il convient de préciser le champ d’application de l’arbitrage OHADA. La convention
d’arbitrage doit viser des différends arbitrables, c’est-à-dire, des différends susceptibles d’être
tranchés par voie d’arbitrage, et elle doit être passée entre des parties admises à recourir à ce
3 Cette loi ne concerne que la reconnaissance des sentences arbitrales rendues par les organes arbitraux de la
Convention en date du 18 mars 1965 signée à Washington pour le règlement des différends relatifs aux
investissements entre Etat et Ressortissants d’autres Etats. 4 Cette loi, dans son article 15 alinéa 2(b) dispose que le président du tribunal de première instance ou le
magistrat du siège par lui délégué à cet effet est compétent pour connaître des demandes d’exequatur
(Convention CIRDI)
mode de règlement des différends.5 Selon l’article 2 alinéa 1 AUA, « toute personne
physique ou morale peut compromettre sur les droits dont elle a la libre disposition ». La
notion d’arbitrabilité est ainsi liée à celle de la disponibilité des droits.
Conceptuellement, un droit est disponible lorsqu’il est sous l’absolue maîtrise de son titulaire,
qui peut tout faire à son propos, notamment l’aliéner et même y renoncer.6
L’article 21 du Traité OHADA et l’article 2 du RA de la CCJA indique par ailleurs que
le différend doit être d’ordre contractuel. Il faut entendre par différend d’ordre contractuel
un litige qui trouve son origine dans un contrat.
Il faut enfin prendre en compte le lien spatial entre le contrat à l’origine du différend et un
Etat partie au traité de l’OHADA. Ce lien spatial est constitué soit du lieu d’exécution – en
tout ou en partie – du contrat, soit du lieu du domicile ou de la résidence habituelle de l’un des
contractants dans un Etat de l’OHADA (article 21 du Traité OHADA et article 2 du RA de la
CCJA).
2. LE FONDEMENT DE LA JURIDICTION ARBITRALE : LA CONVENTION
D’ARBITRAGE
La convention d’arbitrage est la pièce angulaire de l’arbitrage. « Elle permet de prouver que
les parties ont consenti à se soumettre à l’arbitrage. »7Dès lors, elle constitue le fondement de
la juridiction arbitrale. On examinera trois aspects de la convention d’arbitrage.
2.1. La forme de la convention d’arbitrage et l’exigence d’un écrit
En ce qui concerne la forme, l’article 3 de l’AUA retient le principe d’un écrit au plan
probatoire en ces termes : « La convention d’arbitrage doit être faite par écrit, ou par tout
autre moyen permettant d’en administrer la preuve … » Cependant, il est permis de recourir
à « tout autre moyen » pour prouver l’existence d’une convention d’arbitrage. De même, en
matière d’arbitrage CCJA, l’article 5 alinéa 2 du RA de la CCJA oblige le demandeur à
l’arbitrage à produire « la convention d’arbitrage intervenue entre les parties. »
Par ailleurs, la convention d’arbitrage peut également être prouvée par la référence faite à un
document la stipulant : article 3 de l’AUA. C’est ce qu’on appelle la clause compromissoire
par référence. A titre d’illustration, les parties à un contrat litigieux peuvent ne pas prévoir
de clause compromissoire dans ledit contrat. Toutefois, le contrat litigieux fait référence à des
conditions générales ou à un autre acte qui contient une clause compromissoire.8
2.2. La compétence de l’arbitre pour statuer sur le litige
La convention d’arbitrage a pour effet, entre les parties, de les obliger à soumettre à des
arbitres un litige déjà né (hypothèse du compromis) ou un litige éventuel (hypothèse de la
5 Philippe Fouchard, Emmanuel Gaillard et Berthold Goldman, « Traité de l’arbitrage commercial
international » Editions Litec (1996) Page 329 6 Pierre Meyer, op.cit, page 100 7 Alan Redfern, Martin Hunter & Murray Smith, « Droit et pratique de l’arbitrage commercial international »
2eme édition, LGDJ, (1994) Page 106 8 Pierre Meyer, op.cit page 109
clause compromissoire). Dès lors, la convention d’arbitrage confère aux arbitres des
pouvoirs juridictionnels – dont l’étendue est fixée par la convention – de vider le litige en
départageant les parties.
2.3. L’incompétence des juridictions étatiques pour statuer sur le litige
Le corollaire de la compétence de l’arbitre pour statuer sur le litige est l’incompétence des
juridictions étatique pour statuer sur le même litige. Cette incompétence est posée par l’article
13 alinéa 1 de l’AUA qui dispose que « lorsqu’un litige, dont un tribunal arbitral est saisi en
vertu d’une convention arbitrale est porté devant une juridiction étatique, celle-ci doit, si
l’une des parties en fait la demande, se déclarer incompétente. ». L’alinéa 2 du même article
ajoute que « si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi, la juridiction étatique doit
également se déclarer incompétente à moins que la convention d’arbitrage ne soit
manifestement nulle. »
3. APERCU SUR L’INSTANCE ARBITRALE
3.1. La mise en place du tribunal
La prééminence de la convention des parties est fondamentale à la mise en place du tribunal
arbitral, même si dans certains cas, l’intervention du juge est nécessaire pour constituer le
tribunal.
La constitution conventionnelle du tribunal est consacrée par l’article 5 de l’AUA qui dispose
que les arbitres sont nommés, révoqués ou remplacés, conformément à la convention des
parties.
Cependant, l’AUA limite la liberté des parties par deux conditions. La première limitation,
exprimée à l’article 8 alinéa 1 AUA, prévoit que « le tribunal arbitral est constitué soit d’un
seul arbitre, soit de trois arbitres. » C’est la règle de l’imparité. La deuxième limitation est
prévue par l’article 9 de l’AUA qui dispose que « les parties doivent être traitées sur un pied
d’égalité et chaque partie doit avoir toute possibilité de faire valoir ses droits. » Cette
limitation concerne le respect de l’égalité des parties.
En ce qui concerne l’appui judicaire à la constitution du tribunal, les articles pertinents sont
les articles 5 et 8 de l’AUA.
Un désaccord peut persister sur la désignation de l’arbitre unique, ou l’une des parties peut se
refuser à désigner un arbitre, ou encore les arbitres désignés par les parties peuvent ne pas
s’accorder sur le choix d’un troisième arbitre. Dans ces cas, l’article 5 permet la saisine du
juge étatique par l’une des parties afin qu’il nomme un arbitre. Selon l’article 2 de la loi de
2003, le juge compétent visé par l’article 5 de l’AUA est le président du tribunal de première
instance du lieu de l’arbitrage ou le magistrat qu’il délègue à cet effet.
En matière d’arbitrage institutionnel, le RA de la CCJA, comme l’AUA, confère une
prééminence à la volonté des parties dans la désignation des arbitres. Mais le choix des
parties est limité entre un tribunal composé d’un ou de trois arbitres (article 3.1 RA de la
CCJA). A défaut d’accord des parties quant au nombre d’arbitres, la CCJA nomme un arbitre
unique, à moins que le différend ne lui paraisse justifier la désignation de trois arbitres. Si les
parties choisissent un arbitre unique, le choix de celui-ci repose d’abord sur leur commune
volonté. Ce n’est qu’à défaut d’accord que l’arbitre sera désigné par la Cour (article 3.1 alinéa
2 RA de la CCJA).
3.2. Le déroulement de l’instance
Une fois de plus, la loi fait une large place à la volonté des parties. L’article 14 de l’AUA
énonce que « les parties peuvent directement ou par référence à un règlement d’arbitrage
régler la procédure arbitrale ; elles peuvent aussi soumettre celle-ci à la loi de procédure de
leur choix. » Cette disposition accorde aux parties la possibilité de régler elles-mêmes la
procédure que les arbitres suivront. A défaut de volonté des parties, l’AUA retient le principe
de la volonté des arbitres dans l’alinéa 2 de l’article 14 : « faute d’une telle convention, le
tribunal arbitral peut procéder à l’arbitrage comme il le juge approprié. »
L’instance est introduite soit lorsque les arbitres sont saisis par au moins l’une des parties, soit
lorsque l’une des parties entame la procédure de constitution du tribunal (article 10 alinéa 2 de
l’AUA). L’AUA ne fixe aucune forme à la saisine de la juridiction arbitrale.
Dans l’arbitrage CCJA, l’introduction de la procédure arbitrale est réglementée au moyen de
la demande d’arbitrage (article 5 du RA de la CCJA). Celle-ci, adressée au Secrétaire
Général de la Cour, doit contenir certaines mentions (l’exposé sommaire des prétentions du
demandeur et des moyens produits à l’appui etc). La demande d’arbitrage donne lieu à une
réponse adressée au Secrétaire Général de la Cour, et contenant certaines mentions (un bref
exposé de l’affaire et de la position du défendeur sur les demandes formées contre lui, etc).
Contrairement à l’AUA, le RA de la CCJA fixe une organisation préliminaire de l’instance.
Celle-ci consiste en une réunion qui constate certains éléments relatifs à l’arbitrage : la saisine
des arbitres, les demandes des parties, ainsi que certaines modalités de l’arbitrage (droit
applicable au fond, siège et langue de l’arbitrage, calendrier prévisionnel de la procédure) :
article 15.1 du RA de la CCJA. A la fin de la réunion, l’arbitre dresse un procès-verbal de
réunion qu’il signe. Les parties ou leurs représentants sont également invités à signer ce
procès-verbal (article 15.2 RA de la CCJA).
L’AUA et le RA de la CCJA contiennent diverses dispositions qui portent sur l’instruction de
l’affaire. L’instruction de l’affaire comporte l’examen des écritures et des pièces, l’audition
des parties, les témoignages et le recours à des experts (art. 14 AUA, art 19 RA de la CCJA).
3.3. Le fond du litige
Le traitement du fond du litige se fait en droit, sauf en cas d’amiable composition.9 L’article
15 alinéa 2 de l’AUA et l’article 17 alinéa 3 du RA de la CCJA disposent que les arbitres
peuvent statuer en amiable compositeur si les parties ont donné leur accord sur ce point.
L’amiable composition permet au tribunal arbitral de s’écarter, dans certaines limites, des
exigences légales ou contractuelles, en vue de trouver une solution équitable au litige. La
différence fondamentale entre les arbitres et les amiables compositeurs tient au fait que ces
9Pierre Meyer, op.cit page 186
derniers ne sont pas tenus d’appliquer strictement les règles de droit pour interpréter les
obligations des parties, s’ils estiment qu’une stricte application du droit conduirait à un
résultat inéquitable.10 Selon la jurisprudence française, les arbitres qui statuent en amiable
compositeur recherchent la solution la plus juste, en partant tantôt de la loi qu’ils modèlent ou
en écartant les effets, ou en procédant à une recherche plus directe de la solution.11
Cependant, les amiables compositeurs doivent préserver l’égalité de traitement entre
parties et sont tenus par les règles d’ordre public.12
Pour ce qui est du choix du droit applicable, l’article 15 de l’AUA et l’article 17 alinéa 1 du
RA de la CCJA impose une obligation aux arbitres de trancher le fond du litige selon le droit
désigné par les parties. A défaut de choix des parties sur le droit applicable au fond du litige,
l’article 15 de l’AUA précise que les arbitres appliquent les règles de droit choisies par eux
comme les plus appropriées. Selon l’article 17 alinéa 1 du RA de la CCJA, « A défaut
d’indication par les parties du droit applicable, l’arbitre appliquera la loi désignée par la
règle de conflit qu’il jugera appropriée en l’espèce. Dans tous les cas, l’arbitre tiendra
compte des stipulations du contrat et des usages du commerce. »
4. LA SENTENCE ARBITRALE
4.1. L’élaboration et le contenu de la sentence arbitrale
La sentence suppose que les arbitres prennent une décision. Dans un tribunal composé de trois
arbitres, la sentence est rendue à la majorité des voix : article 19 alinéa 2 de l’AUA, article
22.3 RA de la CCJA. En arbitrage CCJA, les projets de sentence sur la compétence, de
sentences partielles qui mettent un terme à certaines prétentions des parties et de sentences
définitives sont soumises à l’examen de la Cour avant signature : article 23 du RA de la
CCJA.
Les articles 20 et 21 de l’AUA indiquent les mentions de la sentence. Entre autres, ces
mentions sont les suivantes : les noms et prénoms des arbitres qui l’ont rendue, la date de la
sentence, le siège du tribunal arbitral, les noms, prénoms et dénominations des parties ainsi
que leur siège social, etc. La sentence doit être motivée et signée par le ou les arbitres.
4.2. L’exequatur selon l’AUA
Les conditions de fond de l’exequatur sont, d’une part, la preuve de l’existence de la sentence
arbitrale et, d’autre part, la non-contrariété de la sentence à une règle d’ordre public
international des Etat parties (article 31 alinéas 1 et 4 de l’AUA). La preuve de l’existence de
la sentence est établie par la production de l’original accompagné de la convention
d’arbitrage. Il est admis de produire des copies authentiques desdits documents.
La décision d’exequatur est « rendue par le juge compétent dans l’Etat partie » (article 30
AUA). Au Cameroun, la procédure est réglementée par la loi de 2003. Selon l’article 4 alinéa
2 de la loi de 2003, le juge compétent est le président du tribunal de première instance du lieu
où l’exécution de la sentence est envisagée ou, le cas échéant, celui du domicile du défendeur.
10 Alan Redfern, Martin Hunter & Murray Smith, op.cit, pages 29-30 11 Paris 15 mars 1984, Rev.arb, 1985 285 ; Sentence CCI n° 5118 (1986), JDI, 1987, 1087 ; Sentence CCI n°
5103 (1988), JDI, 1988, 1206, in Jean-Marie Tchakouaet Alain Fénéon , op.cit , page 128 12 Pierre Meyer, op.cit page 187
Le président du tribunal de première instance est saisi par voie de requête ou par « motion ex
parte », accompagnée des pièces établissant l’existence de la sentence arbitrale tel que précisé
à l’article 31 de l’AUA : article 5 alinéa 2 de la loi de 2003. L’article 6 de la loi de 2003
précise que lorsque l’exequatur est accordé à une sentence, la formule exécutoire est apposée
sur la sentence à la diligence du greffier en chef du tribunal de première instance saisi.
Aucun recours n’est permis contre la décision qui accorde l’exequatur (article 32 alinéa 2
AUA). Toutefois, le recours en annulation de la sentence emporte de plein droit recours
contre la décision ayant accordé l’exequatur (article 32 alinéa 3 AUA). La décision qui refuse
l’exequatur n’est susceptible que d’un pourvoi en cassation devant la CCJA (article 32 alinéa
1 AUA).
4.3. L’exequatur selon le RA de la CCJA
Les conditions de fond de l’exequatur sont exposées à l’article 30.6 du RA de la CCJA : il
faut que l’arbitre n’ait pas statué sans convention d’arbitrage ou sur une convention nulle ou
expirée ; qu’il n’ait pas statué sans se conformer à la mission qui lui a été confiée ; il faut que
la procédure contradictoire ait été respectée ; il est nécessaire que la sentence ne soit pas
contraire à l’ordre public international.
La procédure d’exequatur est réglée par l’article 30 du RA de la CCJA. L’exequatur est
demandé par une requête adressée à la Cour et ladite requête donne lieu à une procédure non
contradictoire. L’exequatur est accordé ou refusé par une ordonnance rendue par le président
de la Cour ou le juge délégué à cet effet.
L’article 30 du RA de la CCJA ne précise pas les documents à soumettre pour obtenir
l’exequatur. Cependant, à la lecture de l’article 28 du RA de la CCJA, la Cour aura besoin de
l’original de la sentence arbitrale.
L’exequatur de la CCJA a pour effet de conférer la force exécutoire à la sentence dans
l’ensemble des Etats de l’OHADA. Le Secrétaire Général de la CCJA délivre à la partie qui
lui en fait la demande, une copie de la sentence certifiée conforme à l’original, sur laquelle
figure une attestation d’exequatur. Au vu de la copie conforme de la sentence revêtue de
l’attestation du Secrétaire Général de la CCJA, l’autorité nationale désignée par l’Etat pour
lequel l’exequatur a été demandé, appose la formule exécutoire telle qu’elle est en vigueur
dans ledit Etat (article 31 du RA de la CCJA)
Au Cameroun, l’autorité nationale prévue par l’article 31 du RA de la CCJA est le greffier en
chef de la Cour Suprême, selon le décret de 2002. Il convient de noter les dispositions de
l’article 1 alinéas 1 et 4 dudit décret :
« (1) Le Greffier en Chef de la Cour Suprême est chargé, sous le contrôle du Président de
ladite Cour, d’apposer la formule exécutoire sur les arrêts rendus par la Cour Commune de
Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’OHADA, ainsi que sur les sentences rendues en
application du Règlement d’Arbitrage de celle-ci.
(4) La formule exécutoire est apposée sur les sentences arbitrales susvisées au vu de la copie
conforme desdites sentences, revêtue de l’attestation d’exequatur délivrée par le Secrétaire
Général de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage. »
5. LES VOIES DE RECOURS
5.1. Les voies de recours contre la sentence dans l’AUA
5.1.a. Le recours en annulation
L’article 25 de l’AUA dispose que la sentence arbitrale n’est pas susceptible d’opposition,
d’appel ni de pourvoi en cassation, et précise que la sentence arbitrale peut faire l’objet d’un
recours en annulation, qui doit être porté devant le juge compétent dans l’Etat partie. Le
recours est recevable dès le prononcé de la sentence. Il doit être introduit dans le mois de la
signification de la sentence munie de l’exequatur : article 27 de l’AUA. La décision du juge
compétent dans l’Etat partie n’est susceptible que de pourvoi en cassation devant la CCJA.
Selon l’article 4 alinéa 1 de la loi de 2003, le juge compétent visé par l’article 25 de l’AUA
est la Cour d’Appel du ressort du lieu de l’arbitrage.
L’article 26 de l’AUA liste les moyens du recours en annulation : si le tribunal a statué sans
convention d’arbitrage ou sur une convention nulle ou expirée ; si le tribunal arbitral a été
irrégulièrement composé ou l’arbitre unique irrégulièrement désigné ; si le tribunal arbitral a
statué sans se conformer à la mission qui lui a été confiée ; si le principe du contradictoire n’a
pas été respecté ; si le tribunal arbitral a violé une règle d’ordre public international des Etats
signataires du Traité OHADA ; si la sentence arbitrale n’est pas motivée.
5.1.b. Le recours en révision
L’article 25 alinéa 5 de l’AUA précise que la sentence arbitrale peut faire l’objet d’un recours
en révision en raison de la découverte d’un fait de nature à exercer une influence décisive et
qui, avant le prononcée de la sentence, était inconnu du tribunal arbitral et de la partie qui
demande la révision. Le recours en révision est porté devant le tribunal arbitral (article 25
alinéa 5, AUA). Ceci suppose que le tribunal arbitral puisse encore être réuni. Si cette
condition ne peut être remplie, le recours devrait pouvoir être porté devant une juridiction
étatique.
5.1.c. La tierce opposition
La tierce opposition peut être portée devant le tribunal arbitral par toute personne physique ou
morale qui n’a pas été appelée et lorsque cette sentence préjudicie à ses droits (l’article 25
alinéa 4 de l’AUA). Les tiers qui peuvent utiliser cette voie de recours sont des personnes qui
n’ont été ni parties, ni représentées à la convention d’arbitrage et à la sentence qui en résulte.
Le recours doit être porté devant le tribunal arbitral. Aucun délai pour agir n’est précisé par
l’AUA. Si la tierce-opposition réussit, la sentence sera rétractée par le tribunal arbitral à
l’égard du tiers-opposant et pour ce qui concerne les dispositions qui lui sont préjudiciables.
5.2. Les voies des recours contre la sentence dans le RA de la CCJA
5.2.a. Le recours en contestation de validité
Ce recours est prévu par l’article 29 du R.A. de la CCJA qui dispose que si une partie entend
contester la reconnaissance de la sentence arbitrale et l’autorité définitive de chose jugée qui en découle, elle doit saisir la CCJA par une simple requête qu’elle notifie à la partie
adverse. Cette contestation n’est recevable que si dans la convention d’arbitrage, les parties
n’y ont pas renoncé. La contestation peut être déposée dès le prononcé de la sentence. Elle
cesse d’être recevable si elle n’a pas été déposée dans les deux mois de la notification de la
sentence arbitrale article 29.3 R.A de la CCJA).
L’article 29.2 (qui renvoie à l’article 30.6 ) énumère les conditions de fond de la contestation
de validité : si l’arbitre a statué sans convention d’arbitrage ou sur une convention nulle ou
expirée ; si l’arbitre a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée ; lorsque
le principe de la procédure contradictoire n’a pas été respecté ; si la sentence est contraire à
l’ordre public international.
La contestation est introduite devant la CCJA par une requête notifiée à la partie adverse.
Les parties peuvent renoncer à cette voie de recours dans leur convention d’arbitrage (article
29.2 RA de la CCJA). L’introduction du recours en contestation suspend l’instance en
exequatur de la sentence (article 30.3 RA de la CCJA). Si la CCJA accueille le recours, elle
annule la sentence (article 29.5 R.A de la CCJA). La CCJA évoque et statue au fond si les
parties en ont fait la demande. Si les parties n’ont pas demandé l’évocation, la procédure est
reprise à la requête de la partie la plus diligente à partir, le cas échéant, du dernier acte de
l’instance arbitrale reconnu valable par la Cour (article 29.5 R.A de la CCJA).
5.2.b. La révision
Le recours en révision est ouvert relativement à la découverte, postérieurement au prononcé
de la sentence, d’un fait inconnu et décisif (Article 32 RA de la CCJA renvoyant l’article 49
du Règlement de Procédure de la CCJA) Le délai pour exercer ce recours est de trois mois à
compter de la connaissance du fait susceptible de fonder la révision.
Toutefois, aucune demande en révision ne sera recevable après l’expiration d’un délai de 10
ans, à compter du prononcé de la sentence (article 49 alinéas 4 et 5 du Règlement de
Procédure de la CCJA). Alors que le recours en contestation de validité peut faire l’objet
d’une renonciation dans la convention d’arbitrage, les parties ne peuvent renoncer à l’exercice
de la révision.
5.2.c. La tierce-opposition
Il s’agit d’un recours exercé par un tiers, qui n’a pas été appelé, contre une sentence qui
préjudicie aux droits du tiers-opposant (article 33 du RA de la CCJA renvoyant à l’article 47
du Règlement de Procédure de la CCJA). Aucun délai n’enferme l’exercice de ce recours. La
procédure de tierce-opposition est contradictoire (article 47 alinéa 2 du Règlement de
Procédure de la CCJA). Si la tierce-opposition est accueillie, elle emporte rétraction de la
sentence dans la mesure où elle préjudicie aux droits du tiers-opposant (article 47 alinéa 3 du
Règlement de Procédure de la CCJA).
Conclusion
Au terme de cet exposé, j’espère vous avoir donné, comme je l’ai dit au début de mon propos,
quelques clés pour avoir les bonnes réactions en matière d’arbitrage.
J’espère surtout que cet exposé vous a donné l’envie d’approfondir l’étude de l’arbitrage, à la
fois pour améliorer votre technique professionnelle, mais aussi pour élargir votre champ
d’activités.
Avant de terminer, quelques conseils pratiques :
lorsque vous conseillez un client pensez aux MARL
lorsque vous envisagez d’engager une procédure :
examiner l’opportunité ou non de conseiller à votre client une procédure qui relève
des MARL;
vérifier s’il n’existe pas une convention d’arbitrage entre votre client et la partie
adverse ;
vérifier s’il s’agit d’un arbitrage ad hoc ou institutionnel ;
si c’est un arbitrage institutionnel CCJA, vous référer au Traité et au Règlement
d’arbitrage de la CCJA et à certaines décisions administratives de la CCJA ;
si c’est un arbitrage auprès d’un centre d’arbitrage de la zone Ohada obtenir le
règlement de ce centre et l’étudier attentivement. Il y aura également lieu à
application de l’acte uniforme ;
vous informer également sur "le juge compétent" dans le pays concerné ;
étudier la liste des arbitres référencés, s’il y en a une, en obtenant leur C.V et par le
net.
Je vous remercie de votre attention.
Maître Marie-Andrée Ngwe
Avocat au Barreau du Cameroun
BIBLIOGRAPHIE
1. Alain Fénéon « Droit de l’arbitrage : commentaires de l’Acte uniforme sur l’arbitrage et
du règlement de la CCJA » EDICEF (2002)
2. Alan Redfern, Martin Hunter & Murray Smith, “Droit et pratique de l’arbitrage
commercial international”LGDJ (1994)
3. Gaston Kenfack Douajni « L’arbitrage OHADA » PUPPA (2014)
4. Paul-Gérard Pougoué, Jean-Marie Tchakoua et Alain Fénéon « Droit de l’arbitrage dans
l’espace OHADA » Presses Universitaires d’Afrique
5. Pierre Meyer « OHADA : droit de l’arbitrage » Bruylant Bruxelles (2002)
6. Redfern and Hunter on International Arbitration, Oxford University Press (2015)
7. www.ohada.com
8. www.kluwerabitration.com
9. www.newyorkconvention.com
10. www.icsid.worldbank.org
11. www.legifrance.fr