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transcript
Opérations de paix et protection des
enfants : transformer l’alerte rapide
en alerte précoce
Claire Kupper & Liza Young
Observatoire Boutros-Ghali
du maintien de la paix – Décembre 2020
Cette note a été réalisée grâce au soutien du Service public fédéral Affaires étrangères belge. Les propos énoncés dans cette publication ne sauraient en rien engager la responsabilité des organismes pilotes de l’étude, pas plus qu’ils ne reflètent une prise de position officielle du Service public fédéral Affaires étrangères belge.
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Introduction
Le Rapport du Secrétaire général sur le sort des enfants en temps de conflits armés1, publié
au mois de juin 2020, rapporte que l’ONU a vérifié plus de 25 000 violations graves commises2
à l’encontre des enfants dans le monde. Parmi ces cas, 7 747 enfants, « dont certains n’avaient
pas plus de six ans », ont été recrutés et utilisés en majorité (90 %) par des groupes armés.
La pratique du recrutement et l’utilisation des enfants dans les conflits armés, largement
documentée depuis des années, a suscité – en particulier depuis les années 2000 – l’adoption
de normes internationales afin de protéger les enfants et d’éradiquer leur implication dans les
conflits armés. De vastes campagnes de sensibilisation lancées par l’ONU telles que Zero under
183 en 2010, Children Not Soldiers en 2014, ou Act to Protect en 2019 sont venues soutenir ces
avancées normatives. Néanmoins, le phénomène reste d’actualité : Vision du monde (World
Vision), l'organisation humanitaire active dans la protection de l’enfance, estime à 300 000 le
nombre d’enfants actuellement enrôlés dans des conflits armés à travers le monde4, et la
courbe ne semble pas s’infléchir.
Certains groupes armés tels que Boko Haram, actif dans le nord-est du Nigeria et les régions
frontalières du bassin du Lac Tchad, chercheraient même à intensifier le recrutement
d’enfants5. Le Cameroun et le Burkina Faso, deux pays jusqu’ici absents des rapports annuels
du Secrétaire général, seront inclus dans le rapport 2021. Le phénomène du recrutement et
de l’utilisation des enfants relève d’une dynamique complexe, dont les multiples facettes
demeurent insuffisamment explorées. Une compréhension approfondie du recrutement des
enfants peut également avoir une incidence sur la prévention des autres violences commises
contre les enfants car elles sont interconnectées.
Les opérations de paix (OP), dont la protection des civils est au cœur du mandat, sont
fortement engagées dans la lutte contre le recrutement et l’utilisation des enfants. Le recours
illégal aux enfants est une réalité dans les trois pays francophones abritant les plus
importantes missions de paix en termes d’effectifs.
1. Le rapport (A/74/845–S/2020/525) porte sur la période de janvier à décembre 2019.
2. Le recrutement et l’utilisation des enfants fait partie des six violations graves à l’encontre des enfants reconnues par l’ONU : 1. meurtre et mutilation ; 2. recrutement et utilisation d’enfants ; 3. violence sexuelle ; 4. enlèvement ; 5. attaque contre les écoles et les hôpitaux et 6. déni d’accès à l’aide humanitaire.
3. La campagne « Zero under 18 » visait à obtenir en 2012 la ratification universelle du Protocole facultatif concernant la participation des enfants aux conflits armés (OPAC). La campagne « Des enfants pas des soldats » avait pour objectif de mettre fin au recrutement et à l'utilisation d'enfants dans les forces gouvernementales lors de conflits en 2016. L’objectif de la campagne « Agir pour protéger les enfants affectés par les conflits », lancée en 2019, visait à attirer l’attention et redoubler les efforts afin de mettre fin aux six violations.
4. Enfants soldats dans le Sahel : « Ces groupes terroristes utilisent aussi bien des filles que des garçons, qui sont parfois à peine âgés de 7 ans », France Info, 9 juillet 2020.
5. « Experts : Boko Haram Recruiting Children as Soldiers, Suicide Bombers », Voice of Africa, 4 septembre 2020.
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En République démocratique du Congo (RDC) et en République centrafricaine (RCA), le
recrutement et l’utilisation des enfants ont touché respectivement 601 et 208 enfants.
Au Mali, l’ONU a vérifié le recrutement de 215 enfants dont 24 étaient le fait des forces
armées maliennes, une première depuis 20146.
Plusieurs mesures concrètes ont été prises ces dix dernières années afin d’outiller les missions
en formations et mécanismes de surveillance, de les doter de personnel spécifiquement dédié
à la protection de l’enfance et de promouvoir une prise de conscience de la part des pays
contributeurs de troupes.
On constate cependant que les efforts visant à lutter contre le recrutement et l'utilisation
d'enfants comme combattants ont été principalement réactifs, axés sur la démobilisation et
la réinsertion des enfants soldats7. S’il reste indispensable de démobiliser les enfants enrôlés
et de soutenir leur réinsertion, il est également urgent de renforcer les actions préventives
qui consistent à agir avant que les enfants ne soient enrôlés.
En novembre 2017, 54 États membres de l’ONU ont pris, à l’initiative du Canada,
17 engagements8 – appelés les Principes de Vancouver –, en vue d’une prévention efficace et
effective, dans le cadre des OP, contre le recrutement et l’utilisation des enfants dans le cadre
des conflits. En particulier, le troisième principe de Vancouver (ou troisième chapitre)
ambitionne de lier le concept d’alerte rapide à la protection des enfants en temps de conflit
armé. Il insiste sur l’importance de disposer d’un système d’alerte rapide : « La capacité
d’identifier et agir sur les indicateurs d’alerte rapide du recrutement et de l’utilisation
d’enfants soldats permettrait de prendre d’importantes mesures préventives ».
L’objectif de cette note est de rendre compte, à partir d’exemples tirés notamment des
entretiens réalisés9 auprès de personnels en charge de cette problématique au sein des trois
opérations de paix déployées en Afrique francophone (MINUSMA, MINUSCA et MONUSCO)10,
de la manière dont ces mécanismes d’alerte rapide sont mis au point.
6. Rapport du Secrétaire général sur le sort des enfants en temps de conflit armé A/74/845–S/2020/525,
Conseil de sécurité, juin 2020.
7. Shelly Whitman et Catherine Baillie Abidi « Preventing recruitment to improve protection of children » The Roméo Dallaire Child Soldiers Initiative, Allons-y, vol. 4, mars 2020.
8. Les 17 Principes de Vancouver sur le maintien de la paix et la prévention du recrutement et de l’utilisation d’enfants soldats sont un ensemble d’engagements politiques visant à prévenir et à traiter le recrutement et l’utilisation d’enfants par les forces armées et les groupes armés pendant les opérations de maintien de la paix de l’Organisation des Nations unies (ONU).
9. Les observations présentées dans cette note résultent d’entretiens réalisés avec le personnel du Département des opérations de paix des Nations unies (DOP), ainsi qu’avec le personnel des sections de protection de l’enfance des trois opérations citées, ainsi que des représentants institutionnels du Canada et de l’Institut R. Dallaire.
10. Il s’agit de la Mission multidimensionnelle intégrée pour la stabilisation du Mali (MINUSMA), la Mission multidimensionnelle intégrée pour la stabilisation de la République centrafricaine (MINUSCA) et la Mission des Nations unies en République démocratique du Congo (MONUSCO).
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Dans un premier temps, nous reviendrons brièvement sur les jalons institutionnels majeurs
qui ont marqué la prise de conscience internationale de cette problématique. Nous insisterons
sur les raisons d’un engagement fort des OP – les forces militaires et de police ont la
particularité d’être « les yeux et les oreilles » des systèmes de prévention et d’alerte sur le
terrain –, tout en pointant les limites actuelles des outils de prévention mis à la disposition
des missions.
Nous analyserons ensuite le Principe 3 de Vancouver sur l’alerte rapide et la nécessité de
mieux comprendre les raisons de l’enrôlement et d’en repérer les signes avant-coureurs,
avant de nous pencher sur l’évolution des systèmes d’alerte dans les opérations citées ci-
dessus et de formuler quelques recommandations pour l’avenir.
Les OP et la lutte contre le recrutement et l’utilisation d’enfants soldats : évolution et limites de la prévention
Le cadre légal relatif à la protection des enfants est très vaste. Nous ne relèverons ici que
quelques étapes essentielles concernant la notion d’« enfants dans les conflits ».
La Convention relative aux droits de l’enfant (CRC) entrée en vigueur en 1990 définit l’enfant
comme une personne âgée de moins de dix-huit ans. Il faut attendre le début des années 2000
pour que la question de l’utilisation des enfants soldats, dont la présence dans les conflits est
pourtant avérée depuis longtemps, soit traitée au niveau international. C’est l’engagement
pris par les États parties au Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de
l’enfant11, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés. Ce Protocole, adopté en
2002, a franchi un pas en fixant à 18 ans l’âge minimum de l’engagement dans les forces
armées, l’utilisation dans les conflits armés et l’enrôlement dans les groupes armés.
D’autres jalons internationaux importants ont ensuite été posés. C’est le cas des Engagements
et Principes de Paris12 (2007) en vue de protéger les enfants contre une utilisation ou un
recrutement par des groupes ou des forces armés. Dix ans plus tard, les Principes de
Vancouver, une initiative du Canada, ont placé la lutte contre ces pratiques au cœur des
opérations de paix. Les 17 principes de Vancouver, endossés par près de 100 États
aujourd’hui, constituent en outre un cadre d’engagement pour la prévention des violences
infligées aux enfants et leur protection à chaque étape du cycle d’un conflit.
11. Le Protocole facultatif sur la participation des enfants aux conflits armés a été adopté par la Résolution
de l’Assemblée générale A/RES/54/263, le 25 mai 2000.
12. Selon les Principes de Paris, un « enfant associé à une force armée ou à un groupe armé » est toute personne âgée de moins de 18 ans qui est ou a été recrutée ou employée par une force ou un groupe armé, quelle que soit la fonction qu’elle y exerce. Il peut s’agir, notamment mais pas exclusivement, d’enfants, filles ou garçons, utilisé comme combattants, cuisiniers, porteurs, messagers, espions ou à des fins sexuelles. Le terme ne désigne pas seulement un enfant qui participe ou a participé directement à des hostilités.
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Parallèlement, la prise de conscience progressive de l’importance de la protection des enfants
dans les conflits, et l’inscription de cette préoccupation à l’agenda de sécurité s’est traduite
par une série de résolutions13 thématiques, assorties de mesures opérationnelles pour les OP.
Protéger les civils et les plus vulnérables en temps de conflit est en effet l’une des missions
prioritaires confiées aux opérations de paix par le Conseil de sécurité des Nations unies
(CSNU). Depuis 200114 également, des dispositions spécifiques à la protection de l’enfance ont
été incorporées aux mandats des OP. La politique15 de la protection de l’enfance dans le cadre
des OP définit quant à elle les rôles et les responsabilités des différents acteurs dans la
protection des enfants affectés par les conflits et précise les obligations qui incombent à
l’ensemble du personnel (civil, militaire et de police) en matière de défense et de respect des
droits des enfants.
Bien que la protection de l’enfance soit une responsabilité partagée, les opérations de paix
se distinguent des autres acteurs onusiens et des organisations non gouvernementales actives
dans le domaine de la protection de l’enfance. En particulier, les forces militaires et de police
des Nations unies, amenées à côtoyer quotidiennement les enfants durant leurs
déplacements et patrouilles sont des acteurs de première ligne. Et pour de nombreux enfants
vivant dans un contexte de conflit armé16, ce personnel militaire et de police est bien souvent
le premier contact extérieur. Le personnel en uniforme est particulièrement bien placé pour
« contribuer à la surveillance et à la communication de l’information sur les violations graves
commises à l’encontre des enfants, en alertant rapidement le personnel de protection de
l’enfance de la mission ou d’autres observateurs formés au Mécanisme de surveillance et de
communication de l’information (MRM) 17 sur les violations présumées »18. Chargé de
« recueillir et communiquer rapidement des informations objectives, exactes et fiables »,
le mécanisme mis en place en 2005 est devenu un outil essentiel de surveillance dans la
protection de l’enfance. Le MRM rend uniquement compte des cas de violation avérées et
permet aux composantes militaires et civiles de mieux moduler les interventions et mettre les
enfants à l’abri de tous les sévices dont ils peuvent être victimes dans les conflits.
13. La Résolution 1261 adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU en 1999 a été la première résolution sur
les enfants et les conflits armés (ECA).
14. Résolution S/RES/1379 (2001).
15. Policy on Child Protection in the United Nations Peace Operations, Département des Opérations de paix, juin 2017.
16. Shelly Whitman, Catherine Baillie Abidi, op. cit.
17. Résolution S /RES/1612 (2005).
18. V. Falco, A. Vargo « Vancouver Principle 6 and the UN monitoring and reporting mechanism: the MRM as a ‘whole-of-mission’ responsibility in UN peacekeeping operations » UN DPO, Allons-y, vol. 4, mars 2020.
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Par ailleurs, les OP ont un rôle politique, qui diffère de celui de l’UNICEF ou d’autres
organisations non gouvernementales engagées dans la protection de l’enfance. Les Conseillers
à la protection de l’enfance (CPA) 19 sont des spécialistes affectés aux missions depuis 2001 et
jouent un rôle capital en établissant un dialogue avec les responsables des violations les plus
graves commises à l’encontre des droits des enfants20. Ils ont accès aux différents groupes
armés et parties au conflit. Ce dialogue a abouti à la signature de plans d'action par des
groupes militaires et armés et à la libération de milliers d'enfants soldats.
Le rôle politique des OP va bien au-delà de la sphère de la protection de l’enfance et bénéficie
à l’ensemble de l’Équipe-pays des Nations unies, notamment dans le cadre du dialogue
politique, des négociations de paix et de l’accès humanitaire.
Néanmoins, en dépit des évolutions du cadre normatif et des efforts mobilisés en termes
de prévention, notamment grâce aux formations et différents outils mis en place dans les
opérations de paix, le phénomène de recrutement et d’utilisation d’enfants persiste dans bon
nombre de régions21 et dans la majorité des conflits actuels. Au Mali, en RCA et en RDC, trois
pays où sont déployées les plus importantes opérations de paix en termes d’effectifs (en
environnement francophone), l’ONU continue de recenser des cas d’enfants enrôlés.
Y compris dans les forces armées au Mali et en RDC comme l’illustre le tableau ci-après :
Évolution du nombre d'enfants recrutés/utilisés au Mali, en RCA et en RDC22.
L’ONU répète inlassablement et régulièrement, la nécessité de promouvoir et d’ancrer une
culture de prévention au sein de l’organisation23. En dépit de sa volonté de prévenir les conflits
et d’anticiper les violations graves des droits humains, l’ONU peine néanmoins à trouver des
stratégies efficaces.
19. Résolution S/RES/1379 (2001).
20. Voir Policy 2017, op. cit.
21. 18 États seraient concernés selon le Rapport du Secrétaire général sur le sort des enfants en temps de conflit armé A/74/845–S/2020/525, op. cit.
22. Tableau réalisé à partir des rapports de l’ONU : 2016, 2017, 2018, 2019 et 2020.
23. Voir notamment les résolutions S/RES/2143 (2014) ; S/RES/2151 (2014) ; S/RES/2171 (2014). Voir également le Rapport HIPPO A/70/95- S/2015/446, p. 11.
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Plusieurs études, dont celles de l’Initiative Roméo Dallaire pour les enfants soldats24
(l’Initiative Dallaire), ont relevé que durant ces deux dernières décennies l’attention s’est
davantage focalisée sur la réaction et sur les programmes de Désarmement, Démobilisation
et Réintégration (DDR) que sur la prévention25. Si les programmes de DDR facilitent la
réintégration des enfants victimes d’enrôlement et de sévices une fois libérés, ils ne
permettent pas d’empêcher en amont leur recrutement et leur utilisation.
Selon le rapport 2017 publié par le Security Council Report, l’approche « naming and
shaming » du rapport annuel du Secrétaire général des Nations unies sur le sort des enfants
en temps de conflits armés, qui consiste principalement à recenser les violations commises à
l’échelle mondiale et à en nommer les auteurs, a donné de moins bons résultats avec les
groupes armés qu’avec d’autres parties au conflit 26.
Dès lors, comment prévenir et anticiper l’utilisation et le recrutement d’enfants par les
groupes armés ou les forces régulières ?
Cette question renvoie à la compréhension du phénomène du recrutement dans sa globalité
ainsi qu’à la détection des facteurs qui précèdent le recrutement. S’intéresser à ces facteurs
paraît une étape indispensable vers une amélioration de la protection des enfants, car elle
permet de penser et de mettre en œuvre les outils de prévention. La résolution du CSNU sur le
sort des enfants en temps de conflits armés de 2018 affirme notamment que le Conseil « Se
déclare résolu à examiner et à utiliser les outils du système des Nations unies pour faire en sorte
que les systèmes d’alerte rapide concernant d’éventuels conflits débouchent sur l’adoption
rapide par l’organisme compétent des Nations unies ou l’acteur régional le plus indiqué, ou en
coordination avec lui, de mesures préventives concrètes, visant notamment à protéger les
enfants et à établir une paix durable, conformément à la Charte des Nations unies »27.
L’importance de l’alerte rapide pour la prévention : le Chapitre 3 des Principes de Vancouver
Les Principes de Vancouver sont venus opportunément compléter les dispositifs
internationaux et onusiens en soulignant la nécessité de prioriser et d’opérationnaliser la
prévention du recrutement et de l’utilisation d’enfants soldats dans les zones où sont
déployées des opérations de paix. Le Chapitre 3 fait directement référence à l’alerte rapide.
24. L'Initiative Dallaire (Université Dalhousie, Halifax) créée par le lieutenant-général Roméo Dallaire, est
un programme canadien qui vise à apporter le point de vue du secteur de la sécurité sur la question des enfants soldats, tout en les dotant de la formation et des outils pour empêcher le recrutement et l'utilisation d'enfants soldats dans le monde.
25. « Understanding the Recruitment and Use of Child Soldiers as an Early Warning Indicator », The Roméo Dallaire Child Soldiers Initiative, Working Paper, 2015.
26. Children and Armed Conflict: Sustaining the Agenda, Research Report, Security Council Report, 2017 n°4, 27 octobre 2017.
27. Résolution S/RES/2427 (2018).
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L’alerte rapide se définit comme un outil de prévention qui repose sur la collecte systématique
et l’analyse d’informations, dans le but d’identifier les menaces et d’anticiper le processus
d’escalade dans l’intensité du conflit, de développer des réponses stratégiques et des actions
aux acteurs concernés28.
Par ce principe, les pays signataires s’engagent à « soutenir les efforts déployés par les Nations
unies en vue de surveiller, de signaler, de détecter et de traiter les indicateurs d’alerte rapide
concernant le recrutement et l’utilisation d’enfants soldats, en reconnaissant que de tels actes
peuvent s’apparenter à des crimes de guerre et être les précurseurs d’autres crimes de guerre,
y compris les attaques dirigées contre des civils et des biens de caractère civil, les crimes
contre l’humanité et le génocide 29».
Les Principes de Vancouver différencient le principe de l’alerte rapide de celui de la prévention
qui s’intéresse aux actions préventives, ainsi que de celui consacré au « Monitoring and
Reporting », qui concerne le signalement de violations et sévices commis contre les enfants.
Néanmoins, précise Vancouver, les trois principes sont intrinsèquement liés.
L’intérêt des Principes de Vancouver est d’émettre une série de recommandations30 concrètes
destinées aux États membres pour la complète mise en œuvre d’un système d’alerte rapide
au sein des opérations de paix. Il s’agit de :
- Dresser une liste des facteurs de risque concernant le recrutement et l’utilisation
d’enfants soldats, en consultation avec des spécialistes de la protection de l’enfance ;
- Recueillir systématiquement l’information associée aux indicateurs d’alerte rapide
du recrutement et de l’utilisation d’enfants soldats ;
- Signaler les indicateurs d’alerte rapide du recrutement et de l’utilisation d’enfants
soldats aux autorités de la mission appropriés en temps opportun.
La première recommandation consistant à dresser une liste des facteurs de risques concerne
également l’ensemble des acteurs impliqués dans la protection de l’enfance, qu’il s’agisse des
organisations internationales (comme l’UNICEF) ou non gouvernementales31, d’États
membres ou de la communauté des chercheurs. Le Canada, à travers l’Initiative Dallaire,
s’investit particulièrement dans l’élaboration d’un mécanisme d’alerte rapide et la définition
d’indicateurs centrés sur le recrutement et l’utilisation des enfants soldats notamment via le
projet Knowledge for Prevention (K4P)32.
28. Thesaurus and glossary of early warning and conflict prevention terms (abridged version), Alex P. Schmid,
FEWER (Forum on Early Warning and Early Response), Erasmus University, mai 1998. Cité dans Amandine Gnanguênon « Afrique de l’Ouest : faire de la prévention des conflits la règle et non l’exception », Observatoire Boutros-Ghali du maintien de la paix, 24 septembre 2018.
29. Lignes directrices de mise en œuvre des Principes de Vancouver : Chapitre 3 – Alerte rapide.
30. Lignes directrices de mises en œuvre des Principes de Vancouver, op. cit.
31. Parmi celles-ci : Invisible Children, Child Soldiers International, Whatchlist, World Vision etc.
32. Lancé en 2019, le projet K4P s’investit dans la mise au point d’un système d’alerte rapide dédié aux enfants ; l’incorporation des indicateurs spécifiques dans les systèmes d’alerte rapide de prévention des conflits ; il vise aussi, grâce à la connaissance acquise, à enrichir les programmes de prévention et de protection de l’enfance dans les situations de conflit.
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Les deux dernières recommandations sont des mesures concrètes que les États sont
encouragés à prendre afin de doter leur personnel militaire de ces capacités. Toutefois, un
système formel d’alerte rapide lié à la question des enfants n’existe pas encore. Dans le cadre
de la prévention des conflits, les systèmes d’alertes rapides mis au point comprennent une
multitude d’indicateurs33 interconnectés afin d’évaluer la probabilité d’une crise.
Ces indicateurs sont indispensables pour mesurer l’évolution et les changements d’une
situation. Cependant, selon les chercheurs Laura Cleave et William Watkins34, aucun de ces
mécanismes ne concerne de manière spécifique le recrutement et l’utilisation des enfants.
Pourtant cette problématique est transversale et existe dans la majorité des crises.
La politique du Département des opérations de paix de 2017 sur la protection de l’enfance
insiste aussi sur la nécessité de disposer d’indicateurs spécifiques à l’enfance : « Il est crucial
également d’incorporer la protection de l’enfance dans le cadre plus large des activités de
protection de la mission, comme les dispositifs d’alerte rapide, les réseaux d’alerte locale »35.
Plusieurs difficultés peuvent être évoquées lorsqu’il s’agit d’élaborer un système d’alerte.
À propos de la collecte des données36, partie intégrante du mécanisme d’alerte rapide,
Catherine Baillie Abidi, directrice de la recherche à l’Institut Dallaire, estime que « les
informations fiables et "en temps réel" sur le recrutement font encore défaut »37. Ce que
confirme la chercheure Dr Siobhan O’Neil : « l’accessibilité des données et leurs agrégations
sont problématiques dans bon nombre de pays » en dépit de l’existence du MRM, « l’un des
mécanismes les plus avancés [de prévention des violations commises à l’encontre des enfants] 38 ». Une autre difficulté majeure réside également dans l’identification des facteurs de risque,
qui suppose une approche holistique de la dynamique complexe du recrutement et de
l’utilisation d’enfants. En outre, comme le précise le Chapitre 3 : « Les facteurs de risque ne
sont pas tous les mêmes : certains sont de nature structurelle, tandis que d’autres sont liés à
des circonstances ou à des événements plus dynamiques. »
Les études se sont principalement penchées sur les déterminants du recrutement, qu’il
s’agisse du point de vue des recruteurs, de celui des enfants ou encore du contexte, sur les
conséquences humanitaires ou sociétales, ou encore sur le DDR. Cependant plusieurs
chercheurs ont pointé la nécessité de mettre en avant le lien entre le recrutement et
l’utilisation des enfants et la dynamique des conflits.
33. Amandine Gnanguênon, op. cit.
34. Laura Cleave et William Watkins, op. cit.
35. Voir Policy 2017, op. cit.
36. Allard Duursma et John Karlsrud, « Predictive Peacekeeping: Strengthening Predictive Analysis in UN Peace Operations », Stability: International Journal of Security & Development, 2019.
37. Knowledge for Prevention (K4P), online symposium, 28 septembre-2 octobre 2020, organisé par le Dallaire Institute for Children, Peace and Security.
38. Ibidem.
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Cette reconnaissance est primordiale car « l'incapacité de voir le lien de causalité conduit à
des politiques, des ressources et des efforts mal orientés pour prévenir et lutter contre
l'utilisation d'enfants soldats » 39.
Reconnaître les enjeux sécuritaires du recrutement et de l’utilisation des enfants est tout aussi
crucial, si l’on veut convaincre davantage le personnel en uniforme des OP de l’importance de
la lutte contre ce phénomène.
Les chercheurs Haen and Böhmelt40 ont ainsi démontré que la pratique du recrutement des
enfants par les forces rebelles, outre l’incidence sur les capacités de combat de ces groupes,
affectent significativement la durée des conflits. D’autres chercheurs se sont penchés sur le
cercle vicieux de l’instabilité qui risque de se perpétuer en créant des générations d’adultes
violents41. Le CSNU, quant à lui, par sa Résolution 2427 (2018), « reconnaît que de graves abus
et violations des droits de la personne ou des violations du droit international humanitaire,
y compris à l’encontre des enfants, peuvent être une indication précoce d’un conflit ou de
l’escalade d’un conflit, ainsi qu’une conséquence de ce conflit ».
Un autre aspect rend complexe la mise au point d’un système d’alerte rapide : il s’agit des
limites de la capacité de prédiction. Celle-ci se traduit par la conception de scénarios de
probabilité42 de recrutement ou d’utilisation d’enfants selon les différents facteurs de risque.
Enfin, pour être efficace, un système d’alerte rapide doit envisager des réponses, c’est à dire
des interventions pour chaque type d’indicateurs afin d’atténuer les menaces qui planent sur
les enfants. En d’autres termes, l’alerte rapide ne peut être séparée de l’action rapide.
Les troupes doivent être formées afin de réagir rapidement en cas d’alerte précoce. À défaut,
le système risque d’être contreproductif. Nombreuses sont les études qui ont documenté la
difficulté43 de traduire l’alerte rapide en réaction rapide. Les raisons en sont diverses entre
autres d’ordre bureaucratique, politique, ou par manque de ressources humaines et
financières. Le projet K4P plaide pour la nécessité de se pencher sur la « responsabilité de
réagir » en citant l’exemple de la Somalie ou encore de la RCA, où les cas de recrutements et
les recruteurs sont documentés mais où aucune action n’est envisagée. Selon le Lt Col
Ingabire44, conseillère en questions de genre au Bureau des affaires militaires du DOP, qui
s’exprimait lors du symposium du projet K4P, l’efficacité de la réponse est corollaire à la prise
de conscience par les composantes militaires de l’intérêt d’un système d’alerte rapide et de la
qualité des échanges entre la composante militaire et la communauté locale.
39. « Understanding the Recruitment and Use of Child Soldiers as an Early Warning Indicator », The Roméo
Dallaire Child Soldiers Initiative, op. cit.
40. Raas Haen and Tobias Böhmelt « Could Rebel Child Soldiers Prolong Civil Wars », 11 janvier 2017.
41. Vera Achvarina and Simon F. Reich, No Place to Hide: Refugees, Displaced Persons, and the Recruitment of Child Soldiers, International Security, 2006, vol. 31, n° 1, p. 127-164.
42. K4P online symposium, 28 septembre-2 octobre 2020.
43. A. Duursma et J. Karlsrud Allard Duursma, op. cit.
44. Le Lt Col. Ingabire est également membre des forces armées rwandaises et a participé aux opérations africaine et onusienne en Centrafrique.
11
Le rôle des communautés locales dans les systèmes d’alertes
Si l’importance d’inclure les communautés locales dans les systèmes d’alerte rapide n’est pas
évoquée dans le Chapitre 3 de Vancouver, elle demeure capitale. Les informations et les
données collectées directement auprès des communautés – sans nécessairement passer par
les personnes formées à cet effet – s’avèrent essentielles.
Les OP sont particulièrement bien placées pour récolter ces informations car elles ont cette
capacité d’avoir accès aux communautés dans des zones affectées par les conflits, où les
travailleurs d’organisations internationales ne peuvent pas toujours intervenir45.
En 2015, les experts du rapport HIPPO affirmaient que « les meilleures informations viennent
souvent des communautés elles-mêmes »46 .
Les auteurs Duursma et Karlsrud expliquent pourquoi l’information recueillie localement
constitue une bonne source pour l’alerte rapide : « Les communautés locales savent souvent
mieux ce qui se passe dans leur région respective. Les groupes armés n'opèrent pas dans un
vide social, mais ont plutôt de nombreux liens avec les locaux (Kalyvas 2006).
Pourtant, pour que l'ONU puisse bénéficier au maximum des connaissances locales, les alertes
précoces locales doivent être systématiquement collectées et analysées. » 47
Par ailleurs, les technologies de l’information et de la communication facilitent chaque jour
davantage le contact avec les populations et le partage d’informations en temps réel. Grâce
au téléphone mobile les différents acteurs peuvent recevoir et envoyer des informations
jusque dans les zones reculées. Les communautés locales – souvent perçues sous le prisme
des victimes qu’il est nécessaire de protéger – sont ainsi intégrées aux systèmes d’alertes et
jouent un rôle actif dans la prévention de la violence car quiconque possède un téléphone,
quel que soit sa position, peut partager ses connaissances et recevoir des alertes sur les
dangers potentiels48.
Les systèmes d’alerte mis en place par la MONUSCO, la MINUSCA et la MINUSMA
Collecte de données et remontée d’information : le rôle des composantes militaires
Le Chapitre 3 des Principes de Vancouver recommande de :
- procéder à la récolte systématique de l’information associée aux indicateurs d’alerte rapide
du recrutement et de l’utilisation d’enfants soldats, et de
45. Tristan Burger, « Small Arms: An Applied Approach to Children in Armed Conflict Prevention Initiatives in
Africa » Master’s Theses, University of San Francisco, 2017.
46. Report of the High-Level Independent Panel on Peace Operations (HIPPO), 15 juin 2015.
47. A.Duursma et J.Karlsrud, op. cit.
48. C. P. Martin-Shields cité dans Tristan Burger, 2017, op. cit.
12
- Signaler les indicateurs d’alerte rapide du recrutement et de l’utilisation d’enfants soldats aux
autorités de la mission49.
Dans le cadre du mandat de la protection de l’enfance, le personnel en uniforme (militaire et
de police) a la responsabilité de surveiller et signaler (Monitoring and Reporting) les six
violations graves commises envers les enfants. Il lui est néanmoins interdit d’interroger les
enfants.
À cet égard, il est amené à jouer un rôle prépondérant dans la mise en œuvre d’un système
d’alerte rapide et de prévention du recrutement et de l’utilisation d’enfants par les groupes
ou forces armés. Le Chapitre 3 préconise en effet que « Les soldats de la paix devraient être
prêts à recueillir des renseignements fiables associés aux indicateurs d’alerte rapide du
recrutement et de l’utilisation d’enfants soldats. Dans la mesure du possible, les
renseignements recueillis sur ces indicateurs d’alerte rapide doivent être ventilés selon l’âge et
le genre. » Le manuel du bataillon d’infanterie rappelle également que les patrouilles ont pour
objectif de collecter, développer et rapporter des indicateurs d’alerte rapide50.
Les Directives du Commandant de Force et du Commissaire de police sur la protection de
l’enfance viennent compléter les rôles51 des forces militaires en fonction de l’opération
concernée52.
49. Chapitre 3 – Alerte rapide, Principes de Vancouver, gouvernement du Canada, 2017.
50. United Nations Infantry Battalion Manual (UNIBAM), deuxième édition, Département des opérations de paix, janvier 2020.
51. Les rôles et responsabilités des composantes militaires et de police sont explicitées dans la Politique de 2017.
52. Les trois opérations citées disposent d’une Directive. La Directive de la MINUSMA est un document interne qui n’a pu être consulté.
13
Elles veillent à intégrer la protection de l’enfance dans tous les aspects de la mission, grâce à
la mise en œuvre de consignes et d’instructions à destination des membres des
composantes53.
Afin d’appuyer la mise en œuvre d’un système d’alerte rapide, le Chapitre 3 de Vancouver
suggère que « les soldats de la paix se réfèrent à la directive sur la protection de l’enfance du
commandant de la force ou du commissaire de police pour obtenir de plus amples directives
sur l’établissement et le signalement des indicateurs d’alerte rapide. »
La Directive du Commandant de Force de la MINUSCA fait directement référence à l’alerte
rapide mais reste néanmoins évasive quant à l’établissement d’indicateurs d’alerte : « La force
doit jouer un rôle proactif dans la prévention des violations contre les enfants et planifier des
réponses aux signes avant-coureurs tels que les discours de haine, les enfants qui ne vont
soudainement plus à l'école et les risques de représailles après une attaque. » La mission
reconnait le bien fondé de disposer d’études plus poussées sur des indicateurs d’alerte mais
reconnaît que l’équipe de la protection de l’enfance n’a pas les moyens, ni la capacité de le faire.
La récolte de données et la remontée d’information des contingents vers les sections civiles
de la Mission se déroulent selon une structure hiérarchique. C’est au Gender and Child
Protection Officer de la Force que revient la responsabilité d’assurer une communication fluide
entre la Force et la Section protection de l’enfance (civile)54. De plus, la remontée
d’information s’effectue à travers un système de Points focaux multiniveaux. Nommés par le
Commandant de Force et le Commissaire de la composante Police, les points focaux se situent
au niveau du Siège, des secteurs, et des bataillons.
Les points focaux de bataillons (nommés par les commandants de bataillon) sont chargés
entre autres de faire remonter les alertes de violations contre les enfants vers le point focal
de la composante, les Conseillers à la protection de l’enfance (CPE) et la Section Droits de
l’homme, « conformément aux protocoles de partage d'informations convenus et à
l'organigramme »55. Les points focaux font office de relais des CPE, et de personne ressource
en matière de protection de l’enfance pour les Casques et Bérets bleus. Ils ont notamment
pour mandat de veiller à ce que la protection de l’enfance soit intégrée dans le travail
quotidien des bataillons, de plaider en faveur du respect des normes et règles internationales
concernant l’arrestation ou la détention d’enfants et de faciliter la coordination et l’échange
d’informations sur les violations des droits de l’enfant entre les CPA. Ces points focaux sont,
la plupart du temps, également points focaux pour les questions de genre au sein des
composantes.
53. Plus particulièrement, les Directives visent l’intégration de la protection de l’enfance dans les missions au
Siège de la Force (en capitale), au sein des secteurs de déploiement de la Mission, ainsi qu’au sein des bataillons et du travail des observateurs militaires.
54. Directive du Commandant de Force de la MINUSCA, décembre 2018.
55. Ibidem.
14
Selon le manuel du bataillon d’infanterie, « Il s'agit d’un moyen pour garantir la participation
des femmes et des jeunes filles aux groupes de travail sur les mécanismes d'alerte rapide et
la protection des civils »56.
Lorsque le personnel des composantes en uniforme est témoin d’une des six graves violations
contre les enfants, les données collectées seront par la suite intégrées au MRM et
participeront à la consolidation des Rapports annuels du Secrétaire général des Nations unies
sur le sort des enfants en conflits armés.
C’est ainsi que le MRM joue un rôle crucial pour informer le Conseil de sécurité de l’ONU sur
les violations graves commises à l’encontre des enfants et sur leurs auteurs57. Au sein de
la MONUSCO et de la MINUSMA, les données rapportées par les agents sur le terrain sont
désagrégées par âge et par sexe, ce qui permet de mieux appréhender les dynamiques de
recrutement et d’utilisation des enfants par les groupes armés58.
Ces données sont primordiales afin d’affiner la compréhension de « qui est un enfant soldat,
comment les enfants soldats sont recrutés et utilisés, ainsi que les dimensions sexospécifiques
du phénomène »59.
En outre, la Directive du Commandant de la Force de la MINUSCA rappelle que chaque
implantation de la Mission (field office) dispose d’une cellule d’alerte et de réponse rapide,
qui assure la triangulation, la vérification et la dissémination des informations et l’évaluation
de toutes les menaces liées à la Protection des civils par le biais de la matrice d'alerte rapide.
La mission rappelle le rôle du Joint Mission Analysis Center (JMAC), pour développer des
signaux d’alerte60. Le JMAC est chargé d’informer le leadership de la mission chaque semaine
sur l’environnement économique, social, ou encore sur l’exploitation illégale des minerais, etc.
Ces informations générales sont très utiles pour identifier de potentiels dangers. Dans le cas
de la MONUSCO, il s’agit du système de gestion de l’information SAGE, dans lequel les données
et les différents incidents encodés par les différentes sections sont répertoriés de manière
structurée61 de manière à en faciliter l’exploitation, notamment en cas d’alerte.
La Directive de la MINUSMA62 évoque également la présence d’un système d’alerte rapide,
utile pour la récolte d’informations sur les violations commises ou les risques de telles
violations. Elle explique également le mécanisme complexe de remontée de l’information et
indique les personnes à qui incombent cette responsabilité.
56. United Nations Infantry Battalion Manual (UNIBAM), deuxième édition, Département des opérations de
paix, janvier 2020.
57. Laura Cleave et William Watkins, op. cit.
58. Le Chapitre 3 des Principes de Vancouver précise que « Dans la mesure du possible, les renseignements recueillis sur ces indicateurs d’alerte rapide doivent être ventilés selon l’âge et le genre ».
59. Victoria Bryce et Dustin Johnson « Security Sector Training on Prevention of Recruitment », The Roméo Dallaire Child Soldiers Initiative, Allons-y, vol. 4, mars 2020.
60. Propos recueillis lors d’un entretien avec la Section protection de l’enfance de la MINUSCA.
61. Allard Duursma et John Karlsrud, op. cit.
62. Propos recueillis lors d’un entretien avec la Section protection de l’enfance de la MINUSMA.
15
Une fois nommés, les points focaux sont chargés d’établir un système d’alerte, à leur échelle,
pour transmettre les informations sur les six violations graves à travers la chaîne de
commandement. La Force travaille selon le principe de la responsabilité commune « Plan-Act-
Protect ». La Directive fournit également une « carte du soldat sur la protection de l’enfant –
aide-mémoire tactique » qui rappelle les différentes situations où le mécanisme doit
automatiquement être enclenché et les actions rapides entreprises.
Par exemple, pour ce qui est du recrutement et de l’utilisation des enfants, il est demandé aux
militaires de rapporter systématiquement la présence/absence d’enfants (même s’ils ne font
que les apercevoir) lors de leurs patrouilles. Même si les militaires ne peuvent pas déterminer
si ces enfants sont ou non associés à des groupes armés, leur présence/absence peut être
indicatrice de risques63.
Les Directives s’alignent sur la Politique du DOP de 2017 sur la protection de l’enfance et
suivent les obligations en matière de surveillance et de signalement des cas de violations
commises. Les dispositifs de chaînes de transmission de l’information mis en place dans les
opérations de paix permettent de transmettre efficacement les alertes sur les cas de violation
en conformité avec le MRM64. Néanmoins, les Directives ne renseignent pas encore sur
l’établissement d’indicateurs holistiques observables pour identifier les menaces imminentes
pesant sur les groupes vulnérables – notamment les enfants – pourtant indispensables à la
mise en place d’un système d’alerte rapide comme le préconise le manuel du bataillon
d’infanterie65 et le recommande le Principe 3 de Vancouver. En l’absence de ce type
d’indicateurs observables et vérifiables, un flou semble aussi persister quant à savoir qui
devrait concevoir les indicateurs et sur la distinction entre les indicateurs précoces et les
alertes liées aux cas de violation commises. Le manque de personnel reste néanmoins une
préoccupation dans les différentes opérations.
L’inclusion des populations locales dans les systèmes
d’alerte rapide des OP
Comme abordé précédemment, les populations locales jouent un rôle crucial en matière de
prévention des violations à l’encontre des enfants. Depuis 2005, en effet, l’ONU reconnaît
l’importance de la société civile dans la prévention et le règlement des conflits66. En outre,
la politique onusienne de protection des civils (POC) dans les opérations de paix insiste sur
l’importance d’engager les communautés locales dans les systèmes d’alerte rapide :
« L’engagement avec les communautés devrait être un exercice inclusif et bidirectionnel qui
63. Propos recueillis lors d’un entretien avec la Section protection de l’enfance de la MINUSMA.
64. Le MRM est mis en place dans les trois pays : Mali, RCA et RDC.
65. United Nations Infantry Battalion Manual (UNIBAM), deuxième édition, Département des opérations de paix, janvier 2020.
66. « Le conseil reconnaît le rôle de la société civile dans la prévention et le règlement des conflits et entend renforcer ses relations avec ses groupes », Conseil de sécurité CS/8500, Couverture des réunions et communiqués de presse des Nations unies, septembre 2005.
16
commence par écouter les communautés à propos de leurs besoins et leurs capacités de
protection » 67.
La MONUSCO et la MINUSCA ont recours à des employés nationaux pour participer au
mécanisme d’alerte, notamment à des assistants de liaison communautaire (ALC). Formées
par les missions, ces personnes qui vivent au sein de la population « facilitent le travail des
militaires et des policiers sur le terrain »68 car elles peuvent récolter les données plus vite que
le personnel expatrié69. Elles renforcent également les liens de confiance entre les militaires
et les populations. Le Commandant de Force de la MINUSCA, dans sa Directive, recommande
à cet égard que le système d'alerte rapide de la Mission renforce la collaboration entre « les
assistants de liaison communautaires, les réseaux d'alerte communautaires, les composantes
militaires, police et civils […] concernant la protection des enfants dans le cadre de leurs
capacités respectives ».
Plus particulièrement, les ALC « assument le rôle d’interface entre la mission de maintien de
la paix, les autorités locales et les populations. […] Ils gèrent [par exemple] le système d’alerte
précoce de la MONUSCO, en établissant des réseaux de radio, en diffusant largement des
numéros d’appel et en remettant des téléphones avec du crédit d’appel à des contacts clés.
Ce système permet aux communautés dans des endroits très isolés d’alerter la MONUSCO et
par extension les forces nationales de sécurité afin de répondre à des menaces
immédiates »70. Dans son rapport d’analyse de la MONUSCO de 2019, la Fédération
internationale des droits humains (FIDH) rappelait également que la Section des affaires civiles
de la Mission se veut l’interface entre la Mission et les autorités locales en matière de POC :
« Les assistants de liaison communautaire permettent à la Mission de communiquer avec les
communautés et les autorités locales et de mieux connaître les dynamiques locales de
conflits »71. La MONUSCO peut compter sur un réseau de 159 assistants de liaison
communautaire parmi lesquels 113 répartis dans 39 bases militaires. Ils sont formés à la
protection des civils, au mécanisme d’alerte et à la planification de la protection
communautaire.
Au sein de la MINUSCA, les ALC (une centaine) reçoivent une formation sur le MRM et
particulièrement sur les six violations. Ils disposent d’un téléphone portable pour partager des
informations ou alerter la mission dès qu’ils identifient une de ces violations72.
La section de la protection de l’enfance cherche alors à vérifier les informations échangées et
le cas échéant, se rend dans les communautés afin, par exemple, de les sensibiliser.
67. Policy on the Protection of Civilians in United Nations Peacekeeping, Département des Opérations de paix, 2019.
68. Propos recueillis lors d’un entretien avec la Section protection de l’enfance de la MINUSCA.
69. À ce propos, la Section protection de l’enfance de la MONUSCO relevait, lors d’un entretien, la valeur ajoutée des contingents africains francophones (ex. le Sénégal) dans le dialogue avec les communautés locales, grâce à leur meilleure connaissance de l’environnement et de la langue française.
70. « Assistants de liaison communautaire : une passerelle entre forces de maintien de la paix et populations locales », Revue Migration forcées, Janosch Kullenberg, octobre 2016.
71. MONUSCO, 20 ans de présence en République démocratique du Congo. Quelles priorités pour son prochain mandat ? Rapport d’analyse, Fédération internationale des droits humains, décembre 2019.
72. Propos recueillis lors d’un entretien avec la Section protection de l’enfance de la MINUSCA.
17
Les militaires peuvent également recevoir des informations de la section de la protection des
civils. En fonction de l’alerte, ils vont évaluer la nécessité de renforcer les patrouilles sur le
terrain, voire de mettre en place une base opérationnelle temporaire (Temporary Operation
Base) le temps d’observer la situation.
La Mission dispose également d’un réseau d’alerte communautaire (Community Alert
Network), composé d’une quinzaine de membres73. Il s’agit de personnes représentatives des
communautés qui se portent volontaires sur la question des enfants et identifiées par la
section de la Protection de l’enfance lors de séances de sensibilisation. Ils seront ensuite
formés par la MINUSCA. À l’inverse des ALC, les membres du réseau d’alerte communautaire
ne sont pas employés, ni rémunérés par la MINUSCA. Le fonctionnement du système d’alerte
est différent. Lorsqu’ils souhaitent partager une information, ils « bipent » le CPO, qui les
rappelle par la suite pour économiser le coût de l’appel, et leur donne les orientations à suivre.
Cependant, le CSNU, dans son rapport sur la situation en Centrafrique de 2018, faisait
remarquer que malgré « l’élargissement du recrutement et de la formation d’assistants de
liaison locaux opérant dans tout le pays, au vu des capacités limitées de la MINUSCA et de la
multiplication des foyers de tension dans l’ensemble du pays, la Mission a eu de plus en plus
de mal à faire face simultanément à toutes les nouvelles menaces74 ». De son côté, la FIDH
plaide pour que le dialogue et les réseaux d’alerte précoce avec les communautés soient
renforcés, en particulier par l’intermédiaire des assistants de liaison communautaire,
conformément au concept de la « protection par la projection »75.
En dépit du rôle des ALC dans la remontée des informations, la Section de la protection de
l’enfance de la MINUSMA peine, quant à elle, à développer un réseau d’alerte avec les
communautés locales. L’environnement sécuritaire (notamment à cause du danger des engins
explosifs improvisés) vient se greffer à un manque de personnel. La section ne compte que
cinq membres du personnel dont un déployé dans la région de Mopti et le reste dans la
capitale. Le manque de capacité à récolter des données sur l’ensemble des zones de
déploiement de la MINUSMA entraîne une importante perte d’information et limite la
capacité de la Mission à apporter une réponse appropriée.
Une initiative pour la mise en place d’un système de MRM régional en collaboration avec les
pays du G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad) avait été discutée, mais les
limites capacitaires (en termes financiers et humains) ont contraint la Mission à mettre ce
projet en suspens76. Cette initiative aurait notamment permis de prendre en compte la nature
transfrontalière des dynamiques de recrutement des enfants soldats77.
73. Ibidem.
74. Rapport du Secrétaire général sur la situation en République centrafricaine, Conseil de sécurité S/2018/611, juin 2018.
75. MONUSCO, 20 ans de présence en République démocratique du Congo. Quelles priorités pour son prochain mandat ?, Rapport d’analyse, Fédération internationale des droits humains, décembre 2019.
76. Propos recueillis lors d’un entretien avec la Section protection de l’enfance de la MINUSMA.
77. « Experts: Boko Haram Recruiting Children as Soldiers, Suicide Bombers », Sirwan Kajjo, Voice of Africa, septembre 2020.
18
Cet ensemble d’éléments réduit grandement la capacité de la MINUSMA à développer un
système d’alerte rapide dédié à la prévention du recrutement des enfants par les groupes
armés.
Les efforts déployés dans les trois opérations en vue d’accroître les interactions avec les
communautés locales sont incontestables. Encore doivent-il être renforcés et appuyés,
notamment en vue de mettre en place des systèmes d’alerte rapide basés sur la communauté.
Comme le précisent les auteurs Macherera et Chimbari, « un système à travers lequel les
communautés participent à l'identification des dangers et à la formulation du système d'alerte,
et ne se contentent pas simplement de réagir à un avertissement au niveau local »78, créant
ainsi plus d'opportunités pour prévenir la violence en permettant aux habitants de créer des
protocoles d'évacuation et des plans de sécurité pour éviter la violence.
Les équipes mixtes d’engagement : un atout pour les systèmes d’alerte rapide
En plus des ALC et des réseaux d’alerte communautaire, certains pays contributeurs de
troupes ont déployé des équipes féminines d’engagement (Females Engagement Teams) afin
de récolter des données auprès des communautés locales79. Selon les éléments recueillis lors
du séminaire organisé par Knowledge for Prevention (K4P), relatif à l’alerte rapide dans la
protection de l’enfance, certaines recherches ont montré le rôle déterminant que les
« groupes genrés » (Marginalised gender groups) peuvent jouer dans l’alerte rapide.
Ces groupes auraient notamment de meilleures capacités à prioriser les risques. La présence
de femmes facilite également la collecte d’informations grâce à la confiance nouée avec les
populations80. Néanmoins, l’auteure G. Baldwin pointe notamment du doigt les limites d’une
stratégie genrée d’engagement des communautés, qui donne la priorité à un dialogue avec
les femmes, au détriment du lien avec les hommes81.
Une équipe féminine constituée depuis 2016 au sein du bataillon zambien de la MINUSCA
construit des liens de proximité avec les populations sur les questions des femmes et des
enfants, mais cette présence est limitée à la seule localité où elle est déployée. Néanmoins,
les femmes au sein de la Police des Nations unies sont actives sur l’ensemble du territoire
centrafricain82.
78. Margaret Macherera et Moses J. Chimbari, « A Review Of Studies On Community Based Early Warning
Systems », Jàmbá: Journal Of Disaster Risk Studies 8, n° 1 (2016), cité dans Tristan Burger, op. cit. p. 29.
79. Propos recueillis lors du Knowledge for Prevention (K4P) online symposium, 28 septembre-2 octobre 2020, organisé par le Dallaire Institute for Children, Peace and Security.
80. Women are crucial for success in peacekeeping and intelligence gathering, 30 mai 2017, Our Secure Future, Women Make the Difference.
81. Gretchen Baldwin, Beyond « "Women and Children": Gendered Community Engagement Strategies in UN Peace Operations », 28 octobre 2020, IPI Global Observatory.
82. Propos recueillis lors d’un entretien avec la Section protection de l’enfance de la MINUSCA.
19
Le premier contingent pakistanais féminin de la MONUSCO a été constitué en juin 2019 au
Sud-Kivu (Est de la RDC). Il est composé de 32 femmes, dotées de compétences variées
(psychologues, conseillères en stress, conseillères en matière de genre)83. Un autre bataillon
ghanéen composé uniquement de femmes (GHANBATT) au sein de la MONUSCO a, selon la
Mission, « développé des relations de confiance et durables avec les femmes et les enfants
des communautés locales qu'elles rencontrent lors des patrouilles dans la zone d'opérations
en RDC »84.
Ces équipes déployées au sein de « pelotons mixtes d’engagement » (Engagement Platoon -
EP) et constituées au minimum de 50 % de femmes visent également à pallier le manque de
relations de proximité des contingents avec les populations locales et contribuent au
perfectionnement des mécanismes d’alerte rapide au sein des OP85.
L’objectif de ces pelotons d’engagement est d’améliorer la compréhension de l’environnement
des populations que les troupes côtoient afin d’identifier les personnes les plus vulnérables
(dont les enfants). À cette fin, elles ont pour tâche d’engager un dialogue avec les communautés
et de mener des analyses de situation qui tiennent compte de la dimension de genre. Les EP
collaborent avec d’autres acteurs civils et mènent des activités et patrouilles ciblées avec les
ACL86. Notons que la connaissance de la langue française par les contingents peut constituer,
selon l’environnement, un atout supplémentaire dans le contact avec les populations.
La formation : un outil capital dans la prévention
La formation est fondamentale, en particulier quand elle cible des compétences qui ne
relèvent pas du domaine de l’expertise militaire traditionnelles mais qui sont devenues
indispensables dans l’environnement multidimensionnel des opérations87. C’est notamment
le cas de la protection de l’enfance.
La formation relative aux droits et à la protection de l’enfance est devenue obligatoire dès
1999 (RCS 1261/1999) et un module pré-déploiement des contingents de police et militaires
sur la thématique de la protection de l’enfance a par la suite (2008) été intégré au curriculum
pré-déploiement de base.
La formation spécialisée sur la protection de l’enfance destinée au personnel militaire est
composée de six modules qui peuvent être dispensés en trois jours88 : 1. les enfants dans les
conflits armés ; 2. le cadre de la protection de l’enfance ; 3. interagir avec les enfants ; 4. le
rôle des responsabilités des composantes de l’OP et des partenaires externes ; 5 et 6. le rôle
et les missions des militaires.
83. « The first-ever female pakistani UN peacekeeping team receives UN medals », MONUSCO, février 2020.
84. « GHANBATT female engagement team boosts image of Ghana in UN Operations in DRC », MONUSCO, janvier 2019.
85. Inclusiveness in Training for Security From Numbers to Effectiveness Or It is more than “add women and mix”, Lieutenant-Colonel Colin Magee – Deputy Military Advisor at Canadian Mission to the UN.
86. Ibidem.
87. Victoria Bryce et Dustin Johnson, Security sector training on prevention of recruitment, op. cit.
88. UN Military Specialized Training Material in Child Protection, United Nations Peacekeeping Resource Hub, 2020.
20
La formation entend promouvoir une meilleure compréhension du mandat de la mission à
propos de la protection de l’enfance, des différents acteurs qui participent au mandat et sont
impliqués dans la coordination de la protection de l’enfance.
La Politique du Département des opérations de paix de 2017 sur la protection de l’enfance,
rappelle que le Commandant de Force « veille à ce que tous les membres du personnel
militaire reçoivent, en cours de mission, des séances d'information et une formation continue
sur la protection de l'enfance leur permettant de reconnaître, de signaler et de répondre de
manière appropriée aux problèmes de protection de l'enfance ». C’est aux conseillers de la
protection de l’enfance qu’il appartient de « dispenser aux Casques bleus nouvellement
déployés une formation à la protection de l’enfance qui vienne compléter la formation à ce
sujet que doivent recevoir tous les membres de l’opération avant leur affectation ».
La Politique précise également que la prévention comprend à la fois la formation,
la sensibilisation et l'obligation de rendre compte de toute violation et de tout abus à
l'encontre des enfants.
Les Directives89 des Commandants de Force de la MONUSCO, de la MINUSCA et de la
MINUSMA viennent préciser la périodicité, les cibles et les thématiques des formations sur la
protection de l’enfance destinés aux contingents au cours de la Mission.
Selon la Directive de la MINUSCA, tous les militaires reçoivent une formation obligatoire à
raison de deux fois par an sur les modules de formation 1 et 3, qui portent respectivement sur
les questions « qu’est-ce qu’un enfant ? » et « interagir avec un enfant ». Les Points focaux,
quant à eux, reçoivent une formation lors de leur nomination sur les modules 1 et 5, qui
incluent un volet relatif au MRM et à la formulation des rapports. Au Siège de la Mission à
Bangui, la formation complète (six modules) est « obligatoire », et au niveau du terrain, elle
est « désirable ». Sur le terrain, la Mission constate qu’à leur arrivée, les contingents soit n’ont
pas été formés, soit ont reçu une formation minime d’une heure, « ce qui ne suffit pas ». Ceci
justifie la nécessité d’organiser des formations obligatoires pour tous les militaires tous les
neuf mois. Pour pallier le manque de formation, la Mission met également la priorité sur la
formation de formateurs, d’une durée de 3 à 4 jours au sein des bataillons.
Compte tenu de l’énergie et du temps consacrés à la formation, les ressources semblent
insuffisantes pour s’assurer du niveau de compréhension et d’appropriation de la matière par
les participants, et de la transposition concrète dans leur travail des principes et des
connaissances acquises au cours de la formation. En 2019, la MINUSCA a également formé
1 500 membres des Forces armées centrafricaines sur les questions liées à la protection de
l’enfance90.
89. C’est également le cas de la Mission des Nations unies au Soudan du Sud (MINUSS).
90. Propos recueillis lors d’un entretien avec la Section protection de l’enfance de la MINUSCA.
21
La Directive du Commandant de Force de la MONUSCO, pour sa part, évoque trois niveaux de
formation : 1. La formation obligatoire (six modules), qui comprend une formation relative à
l’interaction avec l’enfant. Elle est obligatoire pour tous les membres de la composante
militaire et comprend des mises en situation. 2. La formation continue. Les Points focaux sont
responsables du niveau de formation de leur unité sur les questions de protection de
l’enfance. Les contingents collaborent avec les pays contributeurs de troupes pour assurer
une formation régulière au cours de la mission sur le code de conduite (tous les trois mois).
3. La formation de rattrapage. Les « bonnes pratiques » doivent être présentées après un
incident relatif à la protection de l’enfance. Cette formation doit identifier les lacunes et ce
qui aurait pu être réalisé par les contingents pour éviter l’incident. Sur le terrain, la formation
reste une préoccupation.
Car si le personnel ne peut « échapper » à la formation, car obligatoire, celle-ci est à
reprogrammer tous les 6 à 12 mois91. En effet la périodicité des rotations des contingents de
maximum un an ne permet pas de capitaliser sur les connaissances acquises lors des
formations en fonction des rotations.
Du côté de la MINUSMA, la Directive renseigne que la formation est obligatoire et que
« chaque composante militaire recevra une formation dans le cadre de sa formation initiale
(induction training), qui devrait au minimum inclure les six violations graves, les exercices
basés sur des scénarios et la Directive, selon les instructions du commandant de la force » 92.
La Directive énumère également les types de formation : « In-Mission Training, Remedial
Training (Formation de rattrapage), Focal Point Training ».
Concrètement, la mission constate que la formation des contingents, bien qu’obligatoire, est
laissée à l’appréciation du pays contributeur et donc de la perception de celui-ci vis-à-vis de
l’importance de protéger les enfants dans les conflits93.
En dépit de la généralisation des formations, tous les acteurs du secteur de la sécurité n’en
bénéficient pas encore « pour agir de manière appropriée et efficace dans leur travail »94. Par
ailleurs l’approche privilégiée, basée sur l’identification des six violations une fois commises,
ne permet pas une démarche axée sur la prévention.
Il en va de même pour le module relatif au MRM, qui ne contient pas de liste d’indicateurs
permettant aux contingents de repérer une potentielle violation du droit de l’enfant puisque
le mécanisme vise à dénoncer les violations une fois qu’elles ont eu lieu. Il est donc nécessaire,
comme le rappelle l’Initiative Dallaire, que les formations portent sur l’ensemble des
dynamiques de recrutement et de l’utilisation des enfants sous l’angle de la préoccupation
sécuritaire.
91. Propos recueillis lors d’un entretien avec la Section protection de l’enfance de la MONUSCO.
92. Propos recueillis lors d’un échange avec la Section protection de l’enfance de la MINUSMA.
93. Ibidem.
94. Victoria Bryce et Dustin Johnson, op. cit.
22
Les résultats d’une étude réalisée par l’Initiative Dallaire montre que les formations basées
sur des scenarii représente une piste de solution pour préparer les contingents et les éléments
de police de manière plus adéquate en cas d’alerte ; « Des exercices basés sur des scénarii
sont utilisés pour mieux démontrer la grande variété d'interactions possibles entre les forces
de sécurité et les enfants soldats et renforcer le contenu du cours par un apprentissage
expérientiel »95. Il est important – comme le soulignent les Directives – que lorsque les
patrouilles circulent, elles soient à même de reconnaitre les situations où les enfants sont les
plus vulnérables au recrutement ; puissent identifier les enfants qui risquent d’être utilisés en
tant qu’informateurs ou messagers et décoder l’information transmise par les civils.
La question de l’évaluation des formations figure également parmi les pistes à explorer, ce qui
suppose une mise à disposition de ressources supplémentaires. La littérature suggère que les
pays contributeurs de troupes et de police, ainsi que l’ONU et les centres de formation au
maintien de la paix, « donnent la priorité à l'évaluation de l'efficacité de leur formation et
veillent à ce que les évaluations servent à améliorer la conception et les programmes de
formation afin de garantir les meilleures pratiques en matière de prévention du recrutement
et de l'utilisation d'enfants soldats »96.
Seulement, en l’état, le Service intégré pour la formation (ITS) du DOP, ainsi que l’équipe
dédiée à la protection de l’enfance, ne détiennent pas les ressources humaines et financières
suffisantes pour assurer une évaluation post-formation, bien que cette question soit cruciale.
Conclusion
En 2017, 54 États membres de l’ONU ont adopté les 17 Principes de Vancouver, visant à
mobiliser l’attention de la Communauté internationale sur la prévention du recrutement et
de l’utilisation des enfants par les groupes armés et les forces armées. Aujourd’hui, ils sont
près de 100 États à avoir endossé ces principes. Le chapitre 3, consacré à l’alerte rapide,
préconise une approche de prévention basée d’une part sur la détection de signaux préalables
au recrutement des enfants et d’autre part sur la préparation opérationnelle du personnel en
uniforme par les pays contributeurs.
En dépit de la mise en place d’un mécanisme de surveillance et de communication de
l’information des Nations unies (MRM) sur le sort des enfants en temps de conflit armé,
ce phénomène d’utilisation des enfants est loin d’être éradiqué, en particulier auprès des
groupes armés irréguliers.
La lutte contre cette pratique est d’autant plus difficile que la dynamique de recrutement et
d’utilisation des enfants s’est complexifiée ; les groupes armés se fractionnent et parviennent
à adapter leurs stratégies d’enrôlement.
95. Ibidem.
96. Alberto Cutillo et Richard Gowan et Paul D. Williams cités par Victoria Brice et Dustin Johnson, op. cit.
23
Les composantes en uniforme des OP sont un maillon essentiel dans le MRM : elles
contribuent à la collecte des données et des informations observées lors de leurs
déplacements et patrouilles, et les transmettent à la hiérarchie et au personnel civil de la
protection de l’enfance afin que les mesures de protection qui s’imposent soient prises.
Néanmoins, telles qu’elles se présentent aujourd’hui, les données récoltées par le MRM,
notamment à travers la remise de rapports de situation (reporting on situational awareness)
des contingents, ciblent les six cas de violations une fois que celles-ci sont déjà commises ou
suspectées, mais ne s’intéressent pas prioritairement au recrutement des enfants en amont
de leur implication dans les conflits.
Développer – à travers une approche holistique – des indicateurs spécifiquement liés à la
dynamique du recrutement et à l’utilisation des enfants, semble être une voie pionnière pour
renforcer les capacités d'alerte précoce à un niveau plus global de la mission afin d’améliorer
la rapidité de la réponse, tout en renforçant également les compétences de la mission en
termes d'analyse des conflits. De tels indicateurs n’existent pas encore aujourd’hui, pas plus
qu’ils n’existent dans les systèmes globaux d’alertes précoces des conflits.
En effet, la problématique du recrutement des mineurs tend encore à être envisagée sous le
prisme restreint des conséquences humanitaires et sociales pour les enfants considérés
comme victimes, en occultant le lien entre l’enrôlement des enfants et les conflits.
Une meilleure compréhension des enjeux sécuritaires, y compris au niveau des pays
contributeurs, permettrait cependant une sensibilisation plus efficace des différents
intervenants. Dans cette perspective, l’alerte précoce revêt une importance majeure pour la
prévention.
Comme le soulignent les chercheurs Laura Cleave et William Watkins, « le développement d'un
système [plus formalisé] dans ce domaine peut aider à identifier les schémas de recrutement
qui pourraient, à leur tour, être utilisés pour mieux informer la protection des enfants et la
prévention du recrutement »97.
Les efforts déjà entrepris par l’Initiative Roméo Dallaire pour les enfants soldats98 à cet égard
doivent être poursuivis et rejoints par d’autres pays et organisations afin d’étendre les
indicateurs (y compris de genre) et de les intégrer dans les systèmes d’alerte des opérations
de paix, comme le MRM, déjà opérationnel et qui a montré son efficacité. L’Initiative Dallaire
accorde une importance particulière à trois indicateurs, considérés comme déterminants dans
les scénarios de probabilité d’enrôlement, : la durée du conflit, la raison du conflit (par
exemple, s’il découle d’un coup d’État) et l’utilisation ou non d’enfants par les forces
gouvernementales de sécurité.
Les politiques, orientations, directives, et formations relatives à la protection de l’enfance,
destinées aux intervenants – dont les contingents déployés dans les OP –, devraient
également prendre en considération de nouveaux indicateurs spécifiques au recrutement et
à l’utilisation des enfants et qui tiennent compte d’une compréhension holistique des enjeux.
97. Laura Cleave et William Watkins, op. cit.
98. L’Initiative Dallaire op. cit.
24
Ces différents chantiers partiellement en cours99, doivent se faire sous l’égide du DOP,
qui – en tant que chef de file – assure la cohérence des orientations et des décisions.
Enfin, le rôle des communautés locales dans les systèmes d’alertes pourrait être davantage
renforcé, comme l’a illustré la situation induite par la pandémie de COVID-19. En effet,
ces systèmes d’alerte des OP reposent éminemment sur les communautés locales, grâce
auxquelles les missions peuvent accéder rapidement à des informations issues de territoires
les plus reculés et des zones à risque. Le gel des rotations des contingents, l’absence de
personnel sur le terrain, ainsi que la rupture de l’aide humanitaire dans certaines zones de
déploiement du fait de la pandémie, n’ont pu être compensés que grâce au recours accru aux
nouvelles technologies d’information et de communication, pour garder le contact avec les
populations.
Cette situation offre l’opportunité de repenser la collecte locale d’information et de tirer profit
des mécanismes traditionnels de médiation et de communication100. Les supports de
communication comme le téléphone permettent en effet aux jeunes et aux enfants d’être
encore mieux intégrés aux systèmes d’alerte rapide, « car ils ne doivent plus être considérés
comme un problème mais comme faisant partie de la solution »101.
C’est donc le moment d’accroître, si les conditions de sécurité le permettent, l’utilisation de
ces moyens « de changer la manière de travailler, de s’appuyer davantage sur les acteurs
locaux, jeunes y compris, et sur les mécanismes traditionnels existants [de résolution des
conflits] »102.
***
99. Par exemple, un curriculum de formation pré-déploiement pour les Engagement Platoon et destiné aux pays
contributeurs de troupes et de police est en cours d’élaboration par le Service intégré pour la formation (Integrated Training Service – ITS) du DOP. Un groupe de travail (Institut Dallaire, le Canada et l’Uruguay) a été constitué pour établir une liste d’indicateurs d’alerte rapide. La question de la protection de l’enfance sera intégrée au module de formation, avec un accent particulier sur les dynamiques de recrutement des enfants.
100. K4P online symposium, 28 septembre – 2 octobre 2020.
101. Ibidem.
102. Ibidem.
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L’État hôte endosse les Principes de Vancouver
Mandat Références à l’alerte rapide
dans le mandat de la Mission
Effectifs conseillers à la protection de
l’enfance
Mission multidimensionnelle intégrée des Nations
unies pour la stabilisation en
Centrafrique (MINUSCA)
Oui
Mandat 2020-2021 (Projet de résolution)
Parmi les tâches prioritaires :
(Section : protection des civils) « Apporter une protection spécifique aux femmes et aux enfants
touchés par le conflit armé, notamment en déployant des conseillers pour la protection de l’enfance »
Parmi les autres tâches :
(Section : désarmement, démobilisation, réintégration et rapatriement)
« Accorder une attention particulière aux besoins des enfants associés aux forces et groupes armés et à la nécessité de séparer les
enfants de ces forces et groupes et d’éviter de nouveaux enrôlements, notamment par la mise en œuvre de programmes
tenant compte des questions de genre ».
Parmi les tâches prioritaires : (Section : protection des civils)
« Améliorer ses relations avec la population civile, renforcer ses mécanismes d’alerte rapide,
redoubler d’efforts pour détecter et constater les
violations du droit international humanitaire »
16 personnels
Mission
multidimensionnelle intégrée des Nations
unies pour la stabilisation au Mali
(MINUSMA)
Non
Mandat 2020 – 2021 (S/RES/2531) (2020)
Parmi les tâches prioritaires :
(Section : protection des civils) « Fournir une protection et une assistance spéciales aux femmes et
aux enfants touchés par les conflits armés, notamment par l’intermédiaire de conseillères et conseillers en protection, de
conseillères et conseillers pour la protection des enfants »
Parmi les tâches prioritaires : (Section : protection des civils)
« Renforcer les dispositifs d’alerte rapide et enregistrer et analyser systématiquement le
taux d’intervention de la MINUSMA »
5 personnels
26
Parmi les autres tâches : (Section : obligation découlant du droit international)
« Prie la MINUSMA de considérer la protection de l’enfance comme une question transversale touchant tous les aspects de son
mandat »
Mission de l'Organisation des Nations unies en
République démocratique du Congo
(MONUSCO)
Oui
Mandat 2019-2020 (S/RES/2502) (2019)
Parmi les tâches prioritaires
(Section : appui à la stabilisation et au renforcement des institutions en RDC)
« Continuer de collaborer avec le gouvernement de la République démocratique du Congo en vue de consolider les acquis du plan
d’action visant à prévenir et à faire cesser le recrutement et l’utilisation d’enfants par les FARDC »
Parmi les autres tâches :
(Section : Protection de l’enfance) « Prie la MONUSCO de tenir pleinement compte de la question
transversale de la protection de l’enfance dans toutes les activités prévues par son mandat […] de prévenir les violations et les violences dont sont victimes les enfants, mesure le rôle crucial que jouent à cet
égard les conseillers pour la protection de l’enfance … »
Parmi les tâches prioritaires : (Section : protection des civils) « Renforcer son interaction, y compris celle des contingents et du personnel de police, avec la population civile […] renforcer son dispositif d’alerte rapide »
Parmi les autres tâches : (Section : protection de
l’enfance) « Demande à la MONUSCO de
continuer à veiller à l’efficacité des mécanismes de surveillance et de
communication de l’information relative aux
enfants en situation de conflit armé »
27 personnels
27
Les auteures
Claire Kupper est chargée de recherche et gestionnaire de projets dans l’équipe « Conflits, sécurité et gouvernance en Afrique » du GRIP. Licenciée en histoire de l’art, Claire Kupper a rejoint le GRIP en 2011 après une grande expérience dans le secteur associatif dans les domaines de l’humanitaire et de la coopération au développement et dans le secteur institutionnel à la Commission européenne. Elle a passé également plusieurs années sur le terrain, essentiellement en Afrique (entre autres en Côte d’Ivoire, RDC et Rwanda). Depuis 2011, elle assure la supervision du monitoring trimestriel de la stabilité régionale dans le bassin sahélien et en Afrique de l’Ouest, et des travaux liés à cet espace. Elle travaille notamment sur les questions de gouvernance
des ressources naturelles et les questions relatives à la société civile plus particulièrement en Afrique de l’Ouest. Enfin, depuis 2017, elle est également chargée de recherche dans le cadre de l’Observatoire Boutros-Ghali du maintien de la paix. Liza Young est attachée à l'Observatoire Boutros-Ghali du maintien de la paix, projet piloté par le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP). Ses recherches portent sur les Opérations de maintien de la paix dans l'espace francophone (Mali, République centrafricaine et République démocratique du Congo). Elle est titulaire d’une licence de sciences politiques de l’Université de Montréal, et d’un Master en Peace Studies de l’Université Paris-Dauphine, en partenariat avec l’École normale supérieure.
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L’Observatoire Boutros-Ghali du maintien de la paix constitue un cadre de discussion entre experts et personnalités francophones issus de pays contributeurs de personnel. Il s’inscrit en cela dans un objectif de renforcement du dialogue triangulaire entre les États engagés dans le maintien de la paix, le Conseil de sécurité et le Secrétariat des Nations unies.
Pour en savoir plus sur l’Observatoire Boutros-Ghali du maintien de la paix : https://www.observatoire-boutros-ghali.org