Pauvrete, Crime et Croissance en Colombie : Disparités Régionales

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Ricardo RochaHermes Martinez

Pauvreté, crime et croissance en Colombie : disparitésrégionalesIn: Tiers-Monde. 2003, tome 44 n°176. Entendre les violences II (sous la direction de Jean Cartier-Bresson et PierreSalama) pp. 803-828.

AbstractRicardo Rocha and Hermes Martinez — Poverty, crime and growth in Colombia : Regional disparitiesThis article entails a two-stage empirical study of the relationships between poverty, criminality and economic growth, on thebasis of literature and statistical analysis, from departmental data covering the 1981-1998 period. Privations suffered by thepopulation and reduced opportunity costs resulting from low budgetary provisions favour criminality, which in turn has negativerepercussions on the saving-investment process. The results obtained suggest that despite the development of drug trafficking,the risks of increasing poverty and the loss of growth would have been higher if Columbia had not experienced a paralleleconomic and social progress. The results also bring to light the importance of political goodwill in improving growth.

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Rocha Ricardo, Martinez Hermes. Pauvreté, crime et croissance en Colombie : disparités régionales. In: Tiers-Monde. 2003,tome 44 n°176. Entendre les violences II (sous la direction de Jean Cartier-Bresson et Pierre Salama) pp. 803-828.

doi : 10.3406/tiers.2003.5427

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/tiers_1293-8882_2003_num_44_176_5427

PAUVRETE, CRIME ET CROISSANCE

EN COLOMBIE : DISPARITÉS RÉGIONALES

par Ricardo Rocha et Hermes Martinez*

Cet article étudie de manière empirique la relation pauvreté- criminalité-croissance économique à partir de la littérature et d'une analyse statistique en deux étapes, en utilisant des données départementales sur la période 1981-1998. Les privations subies par la population et le moindre coût d'opportunité du à de faibles dotations budgétaires favorisent la criminalité, laquelle a des répercussions négatives sur les processus d'épargne-investissement. Les résultats obtenus suggèrent que, malgré le développement du trafic de drogue, le risque d'augmentation de la criminalité et les pertes de croissance auraient été supérieures si la Colombie n'avait pas connu parallèlement des progrès économiques et sociaux. Ces résultats font aussi ressortir le potentiel des politiques volontaristes pour améliorer la croissance.

Au cours des trois dernières décennies, la Colombie a connu une augmentation considérable du taux d'homicides. Cette évolution a été interprétée comme reflétant la violence généralisée et le mal-être social et elle a donné lieu à une production intéressante d'études en sciences sociales concernant ses déterminants, ses protagonistes, sa dynamique et ses répercussions.

Ce n'est que depuis une décennie que les économistes présentent des travaux sur ce thème en proposant des analyses fondées sur des données régionales quantitatives et des méthodologies chaque fois plus sophistiquées. Les résultats obtenus ont montré les liens existants entre le trafic de drogue et l'efficacité de la justice d'une part, les taux de criminalité de l'autre. En revanche, en termes de liens entre la pauvreté, les inégalités et la criminalité, les résultats n'ont pas permis d'établir une relation inverse entre la criminalité et la croissance régionale.

* cede (Centro de Estudios sobre Desarollo económico), Universidad de los Andes, Bogota. Revue Tiers Monde, t. XLIV, n° 176, octobre-décembre 2003

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Confrontés aux études internationales et aux enseignements de la littérature économique, ces résultats ont alimenté la controverse et la perplexité dans la communauté académique colombienne. Une controverse qui s'explique en partie par la qualité de l'information et les méthodes d'estimation utilisées.

Bien que l'homicide soit un acte criminel nettement violent, il n'est pas aisé de savoir si un taux d'homicides reflète correctement le niveau de la violence. De plus, on ne peut confondre conceptuelle- ment criminalité et violence. Tout en étant liées, elles sont différentes, d'autant plus que la violence est l'objet d'interprétations complexes. Le taux des homicides paraît le plus adapté pour approcher ces deux notions : comme indicateur de la criminalité totale, il s'agit de la statistique présentant le plus faible risque de sous-estimation, comme indicateur de la violence il permet de passer outre ses aspects qualitatifs et relatifs.

De plus, les analyses en coupe transversale tendent à ignorer les aspects dynamiques. Il est difficile par ailleurs d'obtenir des estimations quant aux causes des taux de criminalité, alors que les données ne peuvent au mieux que suggérer des probabilités de son occurrence. Ces éléments mettent en évidence la nécessité d'abord d'élaborer un indicateur de criminalité prenant en compte la dynamique, puis d'estimer ses probabilités d'occurrence en combinant séries temporelles et coupes transversales.

Nous avons donc réexaminé la relation entre pauvreté et croissance à partir de l'état de la littérature portant sur le développement économique en recherchant une approche méthodologique centrée sur l'explication des conditions rendant probable la criminalité, tout en laissant de coté l'explication de la violence et du conflit interne. Bien qu'il s'agisse d'une approche nouvelle, d'une certaine manière, il faut souligner que l'interprétation des déterminants du crime et de ses connexions avec la pauvreté est un travail complexe tant au niveau de l'analyse que de l'approche statistique. En effet, les facteurs économiques ne sont pas les seuls pertinents et la disponibilité de l'information limite la portée des indicateurs utilisés.

Le document est structuré en cinq sections. La première offre une brève présentation de quelques-uns des principaux travaux réalisés sur différents groupes de pays et sur la Colombie. La seconde propose une formalisation de la relation entre la pauvreté et la croissance, suggérée par la littérature économique. Dans la troisième, figurent les données du PIB, la criminalité et la pauvreté des deux dernières décennies dans les départements colombiens au cours. Dans la section suivante, des

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tests économétriques sur la relation entre pauvreté, criminalité et croissance sont présentés à partir d'un exercice en deux étapes. La dernière section expose les conclusions.

I. REVUE DE LA LITTERATURE

On considère en général que la dégradation du « climat des affaires » a un impact négatif sur le développement de l'épargne, de l'investissement et donc finalement de la croissance économique. Or cette dégradation peut être le fait d'un accroissement de la criminalité (dans le cas qui nous intéresse une augmentation du trafic de drogue) se traduisant par l'effondrement du système judiciaire. Les imperfections du marché, en augmentant la pauvreté et en favorisant l'apparition de très fortes inégalités, contribuent elles aussi à cette dégradation. En effet, si d'une part l'affaiblissement du système judiciaire réduit les risques associés à un comportement délictueux, d'autre part l'aggravation de la pauvreté augmente la tentation pour les plus pauvres de subvenir à leurs besoins en sortant de la légalité.

Mais peut-on établir des liens, et lesquels, entre criminalité et croissance économique ? Nous présenterons quelques travaux étudiant cette question à partir soit de données internationales, soit de données régionales colombiennes.

Études réalisées à partir de données internationales

Les études reposant sur des comparaisons internationales mettent en évidence une relation négative entre le climat sociopolitique des nations et leur croissance économique. On observe par exemple que les inégalités, tout en affectant la croissance, favorisent par contre la criminalité, cette dernière étant mesurée par le taux des homicides. Dans l'une des études (tableau 1) la pauvreté, les inégalités et le trafic de drogue permettent d'expliquer les taux de criminalité. Notons que toutes les études internationales prennent en compte la Colombie.

Venieris et Gupta (1983) ont cherché à vérifier statistiquement s'il existait un lien, comme le pensait Kuznets, entre la croissance économique et l'instabilité politique (isp), cette dernière étant attribuée à un accroissement des inégalités de revenus au cours des premières phases de croissance économique. Sur la période 1961-1967 et en utilisant un

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Pauvreté, crime et croissance en Colombie 807

échantillon de 60 pays (coupe transversale), ils ont effectivement trouvé une relation négative entre la croissance économique et I'isp, estimée à partir des changements de gouvernements, des protestations civiles, des conflits intérieurs et des taux d'homicides associés à ces événements et enfin par une estimation de la frustration sociale relative à l'évolution économique.

Un prolongement de ce travail (méthode sure) fait apparaître une relation négative entre le niveau d'épargne et I'isp (Stewart et Venieris, 1985). Un résultat similaire est obtenu lorsque les inégalités de la distribution du revenu sont intégrées dans ce test. (Venieris et Gupta, 1986).

Avec un échantillon de 113 pays et sur la période 1950-1992 (selon la méthode des moindres carrés généralisés : Amemiya mcg), Alesina et al. (1992) ont estimé le lien existant entre la croissance économique et I'isp. Cette dernière est ici analysée par la probabilité que se produise un changement de gouvernement. La relation statistique négative obtenue permet aux auteurs de conclure à l'existence d'un lien négatif entre l'instabilité politique et la croissance économique.

Une analyse des données de 67 pays sur la période allant de 1960 à 1985 a permis de mettre statistiquement en évidence l'impact de I'isp sur la distribution des revenus, la croissance, ainsi que sur les taux de natalité et les niveaux d'éducation. Dans ce travail I'isp a été estimée par un indicateur construit à partir de données sur les assassinats politiques, les homicides, et les coups d'État et les phases de démocratie. De même, une relation statistique négative a été observée entre la croissance du pib et I'isp et une relation statistiquement significative entre cette dernière, le capital humain et l'équité (Perotti, 1995).

Fajnzylber et al. (1998), sur la période 1970-1994 et à partir d'un échantillon de 126 pays (Colombie incluse), trouvent, selon la méthode des mgm une relation positive entre les inégalités de revenu et le trafic de drogue d'une part, et les indices de criminalité d'autre part. Ils établissent une relation négative entre ce dernier indicateur et les niveaux d'éducation et de répression policière. Dans un prolongement de ce travail, Fajnzylber et al. (1999), à partir d'un échantillon de 45 pays, sur la période 1965-1995, ont trouvé un lien statistique significatif entre les inégalités et la pauvreté d'un côté, la croissance économique de l'autre.

En utilisant une estimation paramétrique, Banerjee et Duflo (2000) font apparaître une relation de type U-inversé entre la croissance économique et les inégalités. Dans une autre étude (Easterly, 2001), les inégalités ont un impact négatif sur la croissance, selon une estimation (mgm) des relations entre l'éducation, les institutions et les politiques redistributives et la croissance (Easterly, 2001).

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Études réalisées à partir de données sur la Colombie

La plupart des études sur la Colombie prennent le taux des homicides comme mesure de la violence, et seule une étude utilise ce taux comme une estimation de la criminalité (Rubio, 1999). Cependant, ces travaux proposent un grand nombre de dénominations de définitions de la violence, à la fois complexes et peu précises (Gaitan, 1995). Et même en se limitant à la violence qui provient de conflits politiques (Deas, 1995), à la violence de l'État contre les groupes armés ou à la violence de l'État et des groupes armés contre la population civile (Kalyvas, 2000), il reste encore une marge importante pour expliquer la violence par d'autres facteurs. De fait, la criminalité et la rébellion armée n'expliqueraient que 20 % du taux très élevé des homicides, tandis que les 80 % restant seraient probablement le produit d'une résolution violente des conflits (Gaviria, 2001, citant Rubio, 1999)

Un second trait dominant de ces études est que l'économétrie spatiale et l'économétrie de panel présentent des résultats bien meilleurs que ceux obtenus par la méthode en coupe transversale. Ainsi l'analyse des relations entre le taux des homicides et la croissance économique, la pauvreté et les inégalités de revenu, donne, avec la méthode en coupe transversale des résultats non significatifs ou bien contre-intuitifs. Seule la contribution estimée du trafic de drogue offre des résultats significatifs et conformes à ce que l'on pouvait espérer.

À la différence des travaux présentés plus haut, les études colombiennes n'ont donc pas réussi à établir de relations statistiques entre la pauvreté, les inégalités et la criminalité, ni à mettre en évidence un impact négatif de cette dernière sur la croissance économique.

Gaitan (1995) a été le premier à réaliser des études économétriques en coupe transversale en utilisant des données municipales. Cependant les résultats obtenus n'ont pas permis d'établir de relation entre les variables étudiées, à savoir la pauvreté, les inégalités et le taux d'homicide. En revanche, en réalisant la même étude au niveau départemental, l'auteur a mis en évidence une corrélation positive entre ce dernier indicateur et la croissance économique.

De même, Montenegro et Posada (1995), en utilisant une méthode en coupe transversale au niveau des départements colombiens, n'ont pas réussi à voir de relation statistique entre la pauvreté, l'éducation, les inégalités et les taux de criminalité, mais ils ont eux aussi trouvé une corrélation positive entre la criminalité et la croissance économique.

Londono (1996), à partir de l'enquête portant sur la santé mentale effectuée en 1993, a lui aussi trouvé une forte corrélation entre la

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croissance économique et la criminalité. Mais il va un peu plus loin en observant que « la violence est beaucoup plus importante dans les régions qui présentent à la fois un haut niveau de revenu, un système éducatif déficient ou en retard et un faible niveau de capital social ».

À partir de données départementales couvrant la période 1980- 1996 et en réalisant des d'estimations en coupe transversale, Rocha et Vivas (1998) trouvent une relation positive entre la faible participation aux élections municipales et le taux des homicides ainsi qu'une relation négative entre ce dernier et le niveau d'éducation. Ces mêmes variables explicatives présentent aussi des relations statistiquement significatives avec la croissance économique régionale. En revanche, le taux des homicides n'apparaît pas statistiquement corrélé avec la croissance économique.

Sarmiento (1999), en utilisant une approche en coupe transversale avec des données municipales, constate une relation positive significative entre le taux des homicides et la concentration des revenus mesurée par le coefficient de Gini.

Avec des données départementales et toujours en coupe transversale, Montenegro et al. (1999) confirment la relation entre criminalité et croissance constatée dans l'étude de Montenegro et Posada. De plus, par la coïntégration des données nationales sur la période 1960- 1995, ils mettent en évidence l'influence négative du trafic de drogue et du terrorisme sur l'efficacité de la justice, ce qui les conduit à considérer que « la violence a beaucoup plus à voir avec le trafic de drogue et l'effondrement du système judiciaire dans ce pays qu'avec les explications traditionnelles qui étaient proposées avant l'apparition de ce trafic ».

Sanchez et Nunez (2000 a), dans une étude de l'impact de la géographie sur la croissance, en utilisant des données municipales, ont trouvé une relation négative entre le niveau des inégalités et le niveau des revenus (estimation à partir des revenus fiscaux locaux). Les mêmes auteurs (2000 b) ont relevé, à partir de données concernant les sept grandes villes et leurs aires métropolitaines, une forte relation entre niveaux de criminalité et revenus du trafic de drogue (Rocha, 2000). Avec une estimation de panel pour 700 municipalités, ils ont trouvé une corrélation entre les taux des homicides et des facteurs tels que le niveau d'efficacité de la justice, la présence de groupes armés ainsi que plusieurs variables socioéconomiques (pauvreté, inégalité, exclusion politique).

Echeverry et Partow (1998) ont analysé et estimé les mécanismes expliquant la persistance et la contagion de la criminalité en se fondant sur l'effondrement du système judiciaire provoqué par l'appa-

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rition du trafic de drogue. Pour réaliser ce travail, ils ont utilisé l'économétrie de panel appliquée aux départements colombiens sur une période allant de 1975 à 1995. La diminution (Kernel Gaussien) de la variance de la distribution des taux d'homicides par département (Gaviria, 2001) montre, d'une part, l'existence d'externalités de la criminalité et, d'autre part, l'effet indirect du trafic de drogue sur cette variable.

Les mécanismes de persistance et de diffusion des différentes formes de criminalité, estimés au niveau des régions, ont pour origine la rébellion armée et le trafic de drogue (Sanchez et autres, 2002). Une autre étude, pour la période 1991-1998, portant sur la dimension spatiale du taux des homicides entre municipalités colombiennes, montre que son augmentation résulte du trafic de drogue, de l'importance de l'activité des guérillas et du niveau de la pauvreté (Martinez, 2002).

La faiblesse de la croissance du pib colombien paraît clairement due à la détérioration notable de la stabilité sociopolitique. Une estimation du modèle de croissance néoclassique (Rubio, 1995) par la méthode MCO avec des données annuelles nationales sur la période 1950-1993 a montré que l'augmentation de la criminalité, déjà élevée, aurait eu un impact négatif sur la croissance économique, évalué à deux points annuels de pib. Dans la même optique, Cardenas (2002) a calculé, à partir d'une analyse portant sur les rendements de l'éducation (Nunez et Sanchez, 2000), que la baisse de la croissance observée depuis 1980 était due à la chute de la productivité et que cette évolution résultait (мсо) de l'augmentation des inégalités de revenus.

II. LA RELATION PAUVRETÉ-CROISSANCE

L'idée selon laquelle certaines caractéristiques de la pauvreté freinent la croissance économique et constituent des trappes de développement est très largement répandue dans la littérature sur la théorie économique du développement. Les pauvres auraient des préférences, des capacités, un rapport aux institutions sociales constituant autant de freins au développement économique et qui seraient notamment néfastes pour l'accroissement du niveau de l'épargne, la diffusion de l'esprit d'entreprise dans la population et le climat des affaires. Par exemple, l'égalité devant la loi ne signifie aucunement qu'il existe une égale incitation à la respecter. Et il s'agit là d'une des raisons pour lesquelles les pauvres sont plus susceptibles de se livrer à des pratiques criminelles.

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De même la pauvreté empêche ou rend difficile l'accès au crédit et donc à l'investissement. Ainsi, de moindres dotations entraînent la disparition d'opportunités économiques, une moindre capacité d'accumulation. La pauvreté apparaît donc bien comme une trappe qui se referme sur ceux qui en sont les victimes.

Banerjee et Newman (1994) ont modélisé un processus semblable en faisant l'hypothèse que la faible capacité d'accumulation des pauvres résultait à la fois du faible coût d'opportunité du respect des contrats et de restrictions dans l'accès aux marchés. A partir de ce raisonnement, les taux élevés de criminalité, considérés comme traits caractéristiques de la pauvreté, se traduisent par de faibles taux de croissance. Un modèle de sélection adverse dans l'accès au crédit permet d'exposer la nature de ce mécanisme. Ce dernier fonctionne d'ailleurs sur l'ensemble des marchés et pas seulement celui du crédit.

Dans une économie à un seul bien avec une fonction de production Дк), où к représente le capital, l'accès au marché de capitaux sera conditionné à la constitution d'un fond de garantie reposant sur la richesse individuelle w. Si le producteur (emprunteur) honore son contrat, il percevra un revenu net donné par Дк) - kr + wr, avec r le taux d'intérêt. Dans le cas contraire son revenu sera donné par la valeur de la production multipliée par la probabilité que son crime reste impuni f(k)[\ - Tz(k)], avec тс le risque de sanction (saisie de la production) qui est une fonction croissante de k. Par conséquent, chaque demande de prêt sera acceptée si la condition (1) est respectée, qui correspond au coût d'opportunité lié au respect du contrat.

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si тс = 1, pour une productivité du capital et un coût du crédit donné, l'emprunteur sollicitera un capital k* qui maximise son revenu net pour une richesse initiale w*. Il existe cependant une probabilité que le crédit ne soit pas remboursé (pour un système judiciaire donné) dans les cas où la valeur de k* est seulement accessible à ceux qui possèdent une richesse w supérieure au niveau w*. En effet, moins les agents seront riches, ou plus ils seront pauvres, et moins grand sera le coût d'opportunité associé au non respect du contrat. Dans ce cas le respect de la loi sera moins probable. Cette situation implique que les agents concernés auront de moindres possibilités d'obtenir un crédit et donc d'accroître leurs revenus futurs et leur richesse.

En supposant que les agents présentent une fonction de préférence de type Cobb-Douglas définie pour la consommation présente et future, qu'ils peuvent hériter et léguer leur richesse de sorte que les

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décisions de consommation intertemporelles se reflètent dans a défini comme la propension à différer la consommation (à léguer de la richesse), alors le sentier de la richesse sera donné par :

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En conséquence, lorsque les marchés sont imparfaits, la distribution initiale de la richesse aura un effet à long terme. En effet, la valeur accumulée par chaque individu au cours de sa vie, V, sera plus faible (plus élevée) selon qu'ils disposaient de niveaux de richesse initiaux inférieurs (supérieures) à w*. Au cours du temps se formeront des dynasties de riches et de pauvres, de même que la capacité d'accumulation de la société dans son ensemble dépendra de son niveau initial de pauvreté. D'après le modèle, cette dynamique se renforcera parce que pour un moindre (plus grand) degré de pauvreté, la probabilité de non remboursement diminuera (augmentera) тг et l'accès au crédit s'améliorera (se détériorera). Ce modèle intègre donc un mécanisme de trappe de pauvreté.

De plus, étant donné que la pauvreté et les inégalités sont des phénomènes différents, mais liés (Sen, 2000), la littérature économique reprend l'idée qu'une inégalité de revenu et de richesse prononcée renforce la tendance des agents à poursuivre leurs objectifs hors des canaux qu'offrent normalement les marchés et les institutions. En conséquence, les activités de rente comme les perturbations de l'ordre établi seront nombreuses, de même que seront plus élevés les taux de délinquance et les manifestations de violence sociale. Autant d'évolutions ayant une influence tout à fait désastreuse sur le « climat des affaires » et les anticipations des agents, quant à leur épargne et à leur investissement. (Perroti, 1996).

III. LES DONNÉES

Existe-t-il en Colombie une relation entre la pauvreté, la criminalité et la croissance ?

Une première analyse départementale à partir des données de quelques variables explicatives possibles de la criminalité et de la croissance économique (mesurées dans les comptes régionaux) ne fait apparaître aucun lien clair entre ces variables.

Le taux des homicides pour 100 000 habitants est pris comme variable proxy de la criminalité. Dans l'étude que nous présentons ce

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taux sera considéré comme un indicateur agrégé de la criminalité. Celui-ci présente en effet le biais de sous-estimation le plus faible. Le graphique 1 montre des aires représentant les taux de criminalité de 24 départements sur la période 1983-1997 selon leur intensité : les couleurs les plus sombres correspondent aux taux de criminalité les plus élevés, les plus claires aux taux les plus faibles. De droite à gauche on peut voir l'évolution temporelle des 24 départements et de haut en bas les données s'ordonnent selon les caractéristiques étudiées, ici la pauvreté, les inégalités et le trafic de drogue, trois variables accroissant signifïcativement la criminalité.

Il existe bien sûr d'autres facteurs pour expliquer les taux de criminalité mais ici, la pauvreté mesurée par les nbi (nécessités de base insatisfaites) est une approximation du coût d'opportunité du respect de la loi ; l'inégalité mesurée par le coefficient de Gini représente l'accès aux marchés formels ; le trafic de drogue, défini par les infractions à la loi 30, exprime la perturbation provoquée par le développement du crime organisé sur les autres activités criminelles ainsi que sur le degré d'efficacité de la sécurité publique et du système judiciaire.

Il apparaît clairement que les taux de criminalité par département sont plus élevés là où les inégalités sont les plus fortes. Une moyenne du Gini est cependant utilisée sur les années 1994 et 1996-1998, de telle sorte que l'ordre du graphique fait seulement référence à sa distribution dans la période récente. On admet, en général, que l'indicateur de Gini est relativement stable dans le temps, cependant, si il a augmenté depuis les années 1980 (Cardenas, 2002) et que sa distribution régionale est la même qu'il y a vingt ans, la relation négative entre équité et criminalité suggérée par le graphique reste valide. Entre 1994 et 1998, l'accroissement des inégalités a été le plus important précisément dans les régions présentant initialement le Gini plus faible.

La relation positive manifeste entre le taux de criminalité et les délits liés au trafic de drogue présente cependant quelques limites.

D 'une part, elle ne prend en compte ni l'hétérogénéité des infractions (une « mule » et un « capo » sont pris en compte de la même façon), ni son intensité. Comme ne sont enregistrées que les arrestations, II existe un d'un biais latent de sous-enregistrement pour un délit de cette nature.

Le graphique 1 montre aussi que la relation statistique entre les indicateurs de pauvreté et de criminalité différent en termes géographiques et dynamiques. D'après le graphique inférieur gauche, lorsque les taux de criminalité sont ordonnés en fonction de la pauvreté par département (pourcentage de la population ayant des besoins fondamentaux non satisfaits, nbi, l'analyse suggère une relation négative

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Taux de criminalité et trafic de drogue

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Taux de criminalité et pauvreté (nbi 1985)

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Graphique 1. — Le taux de criminalité et quelques-uns de ses déterminants

Source : DANE ;: calculs des auteurs.

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Choco Sucre None Santander Tolima Cordoba Risaralda Magdalena Valle Caqueta Antioquia Caldas Bogota Man ňo Quindio Cundinamarca Huila Bolivar Meta Santander LaGuajira Atlantico Cauca Boyaca Cesar

Pauvreté (nbi) Distribution des revenus (gini)

1981 83 85 87 89 91 93 95 97 H 3000-4000 Г I 1000-2000

Choco Cordoba Sucre Bolivar Magdalena Cesar La Guajira Caqueta Cauca Marino Boyaca Norte Santander Cundinamarca Huila Tolima Meta Santander Atlantico Antioquia Caldas Risaralda Valle Quindio Bogota 1981 83 85 87 89 91 93 95 97

■I 3000-4000 □ 1000-2000

Graphique 2. — Le pib pc et quelques-unes de ses variables explicatives Source : DANE ; calculs des auteurs.

816 Ricardo Rocha et Hermes Martinez

entre criminalité et pauvreté. En revanche, si l'agencement se fait en fonction des variations de la pauvreté (baisse entre 1985 et 1998), la relation apparaît faible mais positive pour les 24 départements (une corrélation de 8 %), tandis qu'elle apparaît très forte lorsque sont pris en compte les 12 départements ayant connu les plus fortes baisses de pauvreté, la corrélation s'élevant alors à 42 %. Autrement dit, bien que les données en coupe transversale mettent clairement en évidence des corrélations positives entre niveaux de pauvreté et de criminalité, la réduction des taux de pauvreté a été visiblement accompagnée d'une moindre croissance des taux de criminalité.

D'autre part, lorsqu'on examine les relations du PIB pc (per capita) avec quelques-uns de ses déterminants (graphique 2), il apparaît clairement que la corrélation est négative avec la pauvreté (nbi) et les inégalités (Gini) mais qu'elle est positive avec les taux de criminalité, contrairement à ce qui était attendu. Mais cette corrélation devient négative lorsque l'analyse est faite à partir des taux de variation : là où la criminalité augmente le plus, la croissance économique augmente le moins.

La relation statistique pauvreté-criminalité-croissance apparaît ambiguë selon qu'elle est étudiée dans le temps ou dans l'espace. L'économétrie en coupe transversale ne prend pas en compte la dynamique. Il est donc nécessaire de recourir à des estimations de données de panel combinant simultanément coupes longitudinales et coupes transversales. De plus, étant donné que l'on cherche à estimer la notion de risque criminel inhérente à un contexte défavorable aux décisions d'épargne-investissement, il est nécessaire que l'estimation des variables explicatives se fasse en termes de probabilité, en utilisant pour cela des modèles de sélection discrète.

IV. ESTIMATIONS

L'approche se fait en deux étapes. La première consiste à estimer la probabilité pour que la croissance du taux d'homicides en 1980, d'un département colombien donné soit supérieure à la croissance nationale. Pour cela nous utilisons un procédé panel-logit en prenant comme variables explicatives secondaires celles que la littérature consultée considère comme significatives : la pauvreté, les inégalités et le trafic de drogue.

La seconde étape correspond à une estimation de panel pour 1981-98 du PIB pc en fonction de la probabilité qu'un département

Pauvreté, crime et croissance en Colombie 817

connaisse une augmentation de la criminalité par rapport au reste du pays et en prenant comme autres variables explicatives les dotations en capital humain estimées par le niveau d'éducation, ainsi qu'une batterie de variables reflétant l'hétérogénéité des dotations départementales.

Nous avons ensuite construit un panel équilibré pour des données de la période 1981-1998 et 24 départements. Les données annuelles manquantes ont été supposées égales aux données les plus proches. Les données sont présentées par années et par départements afin de permettre une analyse en termes de panel.

Modèle logistique du panel pour PCRIM ( pooled-logit )

Le point de départ est l'indice de criminalité relatif à la moyenne nationale et aux niveaux du début des années 1980. CRIM est construit à partir du taux des homicides (тн) pour 100 000 habitants entre 1983 et 1998 (dane) et est donné par le rapport entre la croissance départementale TH,83, et la croissance nationale, TH83, tous les deux en termes cumulés respectivement à 1983.

CRlMm = ТЙ,83/ТЙ83 (3)

La probabilité pour que le taux de criminalité d'un département augmente relativement au reste du pays, pcrim est estimée avec un modèle pooled-logit, utilisant une fonction de distribution logistique de sélection discrète, et fondé sur la comparaison du numérateur et du dénominateur de crim.

Si тй/83 > тй83, pcrim = 1 ; si non pcrim = 0

avec / = département ; t = 1983, ..., 1998

Prob(PCRIM = \)u = Já, NBIft + p2 Ginift + (33 DNARQ, + £„ (4)

Le niveau de pcrim est exprimé par les caractéristiques départementales que la littérature présentée ci-dessus pose comme des variables explicatives de la criminalité. Dans le cas présent, il s'agit des privations dont souffre la population causées par les imperfections des marchés et reflétées dans les niveaux de pauvreté et d'inégalités ainsi que du niveau d'activité du crime organisé lié au trafic de drogue.

Les variables explicatives sont donc : la pauvreté, selon les besoins fondamentaux non satisfaits (nbi) construits avec des données des années 1985, 1993,1997 et 1998 ; les inégalités mesurées par le Gini de

818 Ricardo Rocha et Hermes Martinez

l'Enquête nationale des ménages, données pour 1994 et pour la période 1996-1998 ; la présence de trafic de drogue (dnarc), estimée par le taux des crimes liés à cette activité pour cent mille habitants (Echeverry et autres, 1998).

Sur le graphique 3 on présente l'indice de criminalité crim ordonné en fonction du niveau de pauvreté (nbi) On constate que la criminalité relative régions/pays a le plus augmenté dans les régions les plus pauvres. Les régions dont les nbi sont les plus élevés sont passées de faibles indices crim à des niveaux plus élevés en contraste avec le reste du pays.

83 8485 86

Choco Cordoba Sucre Bolivar Magdalena Cesar La Guajtra Caqueta Cauca Mariflo Boyaca Norte Santander Cundinamarca Huila Toiima Meta Santander Atlantico Antioquia Caldas Risaralda Valle Quindio Bogota

Choco Cordoba Sucre Bolivar Magdalena Cesar La Guajira Caqueta Cauca Marino Boyaca Norte Santander Cundinamarca Huila Toiima Meta Santander Atlantico Antioquia Caldas Risaralda Valle Quindio Bogota

75-90 ШШ 60-75 45-60 Ш 35-45 15-30 □ 0-15

■ 2.00-3.00 Wm 1.00-2.00 I I 0.00-1.00 □ -1.00-0.00

Graphiques 3 et 4 Source : DANE ; calculs des auteurs.

Les résultats des estimations économétriques sont ceux du modèle 2 (tableau 2) qui présente les meilleures statistiques. Étant données les moyennes des variables explicatives, la probabilité pour que le crime augmente dans un département respectivement au reste du pays, s'expliquera pour 10 % par le niveau de pauvreté mesurée par nbi et pour 4 % par l'importance du trafic de drogue mesuré par les délits associés.

Pauvreté, crime et croissance en Colombie 819

Tableau 2 Variable dépendante = pcrim

Estimateurs logit du maximum de vraisemblance

Variable en log

Const Valeur-p NBI Valeur-p DNARC Valeur-/? Gini Valeur-/) Log vraisemblance Nombre d'observations,

nombre de variables

(1)

-2,20 0,02 2,54 0,00 0,37 0,15 1,98 0,24

- 288,20

432,4

(2)

1,57

1,25 0,00 0,31 0,03

- 298,76

456,3

Moyenne de Xs

1,00

0,48

0,49

0,50

Effets marginaux sur (2)

0,13

0,10

0,03

Période = 1981-1988 NBI = pourcentage de population en situation de pauvreté selon la méthode des besoins essentiels

non satisfaits. DNARC = délits associés au trafic de drogue pour 10 000 habitants. Gini = indice de Gini.

Source : DANE ; calculs des auteurs.

Pour 1998 et en tenant compte des résultats des estimations, le graphique 5 montre que les départements se trouvant au-dessus (dessous) du pourcentage moyen de la population en situation de pauvreté (nbi) présentent une plus grande (plus faible) probabilité de voir augmenter (diminuer) la criminalité. Il s'agit des départements de Choco, Caquelà, Cauca ; Norte de Santander et la côte Atlantique, à l'exception du département Atlantico. Par construction, c'est l'inverse pour les autres départements.

Sur le graphique 6, vers la gauche et au dessus de la ligne tendancielle entre les variations de pcrim et nbi les départements signalés comme ceux ayant une moindre probabilité de voir se réduire la criminalité en 1998 apparaissent de nouveau. C'est-à-dire que ce sont pratiquement les mêmes qui, durant la période 1980-1998 ont connu simultanément les plus faibles diminutions de la pauvreté et de la probabilité de criminalité.

Ces résultats semblent montrer la validité statistique de l'approche théorique proposée pour analyser la relation entre la pauvreté et la criminalité. Ils font aussi ressortir un autre effet significatif de la poli-

820 Ricardo Rocha et Hermes Martinez

0.68 0.66 0.64 0.62 0.60 0.58 0.54 0.50 0.52

Nořte, Santander •

• + >

Bogot»

Саш Meta

I Quindio y, ,j

Caqueta

*S Magdalena Villes non identifiées dans le graphique Bolivar Marino Huila

Santander Atlantico Antioqum

Graphique 5. — pcrim et nbi en 1998 Légende : DANE ; calculs des auteurs.

Sucre •

• Choco i Caqueta

Norte ^"i Santander • Cauca

• • Cundinamarca

Cordoba

Bolivar Magdalena

Marino Boyaca

■ • » A uajira « • Santander

• Meta

lantico д • Risaralda

Caldas ^f

ш Valle

itioquia

Quindio •

Bogota

i "°02

*• -о.оз

-0.04

-0.05

-0.06

-0.07 -0.30 -0.25 -0.20 -0.15 -0.10 -0.05

Variation NBI (%)

Graphique 6. — Variation de pcrim et nbi, 1990-1998

Source : DANE ; calculs des auteurs.

tique sociale colombienne entre 1980 et 1998 : la baisse de la moyenne départementale de la pauvreté (nbi) de 0,52 % à 0,30 %.

Les résultats obtenus suggèrent de désigner un objectif fondamental aux politiques de développement régional : la réduction de la probabilité de la criminalité. Celle-ci devrait passer par une diminution

Pauvreté, crime et croissance en Colombie 821

de la pauvreté et l'élimination des effets négatifs dus au développement du trafic de drogue, reflet des liens existants entre le crime organisé et les groupes politiques extrémistes, points qui ont été étudiés dans le détail par plusieurs des travaux antérieurement présentés (tableau 1).

En effet, la simulation, d'abord, d'une baisse du nbi équivalente à celle qui s'est produite entre 1980 et 1998, avec les valeurs marginales du tableau 2 et les données de 1998, montre que cette baisse réduirait en moyenne la pcrim de 10 points de pourcentage ; ensuite, que l'élimination de l'effet du trafic de drogue la ferait baisser de 4 points de pourcentage (graphique 7).

g 0.75

| 0.70 0.65

0.60 0.55

0 50 0.45 0.40

J 1

Ф d

мм

p

— i — Seui SBI Ш

-

-

-

ementN + DNA ictiond

_ ;

-. | i

m -

Bl RC

■ ■ M

|

ЕШ )1 1 1 oy

- i

-

с et

m

1

=

|

00 - + s Ф ;

- -

10 0

Population pauvre selon NBI pour 1998, en ordre décroissant

Graphique 7. — Simulations pour pcrim

Source DANE ; calculs des auteurs.

Les résultats antérieurs mettent en évidence l'importance statistique de la pauvreté pour expliquer la criminalité. Cependant, il n'est pas inutile de rappeler que le modèle utilisé ne prend pas en compte plusieurs points relatifs à l'économie du crime ni à l'exercice de la justice, ni d'autres éléments utiles à l'explication du phénomène.

Modèle de panel pour pib pc

Pour la période 1981-1998, on estime un modèle de régression de panel pour le pib per capita départemental en prenant comme variables explicatives la probabilité du crime pcrim (avec le signe négatif

822 Ricardo Rocha et Hermes Martinez

attendu) et une batterie d'indicateurs habituellement utilisés dans l'estimation des déterminants d'un modèle de croissance.

Y,, = a + $ X,., + {л,- + zit (4)

Avec /=1, ..., n ; ř=l, ..., T, (x, est la perturbation aléatoire de chaque groupe, constante dans le temps ; X,, représente les variables explicatives, eit pour les termes d'erreur.

Ici, les estimations (1) et (2) donnent toutes deux les résultats attendus pour pcrim et le progrès éducatif, edu, pour expliquer le pib. Notons que edu est mesuré comme la différence entre la couverture des populations concernées par l'éducation secondaire et l'éducation primaire et correspond à une approximation du capital humain existant dans chaque département (Londono, 1996)

Cependant, l'estimation (2) présente l'avantage d'intégrer des variables supplémentaires ce qui réduit le risque d'omission de

Tableau 3 Variable dépendante = log du pib pc

Résultats panel effets fixes

Variable en log

Const Valeur-/? PCRIM Valeur-/? EDU Valeur-/? XM Valeur-/? GPU Valeur-/? EN DO Valeur-/? Nombre d'observations,

nombre de variables R2

Haussman Test Statistic Valeur-/?

(1)

- 4,003 0,000

- 0,493 0,034 0,498 0,036

456,3

0,31 11,843 0,019

(2)

- 4,304 0,000

-1,121 0,048 0,315 0,040 0,053 0,003 0,058 0,005

456,5

0,4079 11,843 0,019

(3)

-4,135 0,000

- 0,787 0,000 0,469 0,003 0,053 0,217 0,003 0,554

-0,363 0,169

456,6

0,3628 6,2405 0,2835

Période =1981-1988 PCRIM = Probabilité de la criminalité (équation 5), edu = progrès éducatif (taux de scolarité dans

l'éducation secondaire / taux de scolarité dans le primaire), XM = somme des exportations et des importations en pourcentage du PIB, GPU = dépenses publiques départementales hors santé et éducation en pourcentage du pib ; endo = résidus des estimations de l'équation 5 ; PIB pc = pib per capita.

Sources : Banque de la République, DANE. Calculs des auteurs.

Pauvreté, crime et croissance en Colombie 823

3.00 A placer

-2.00

-3.00

Bogota

Val Quindío

Risara e/AU;

Caldas Antioqi

0.05

da intico _SanU #• С

ta Ф

Meta

nder jndinama Huila • Nořte Tolima

Cauca Boyaca i Magda

ca

Santander ^Caque

ena

Cord(

Ces Man

a uajira var

Sucre

ba«

ar flo

Choco

0.00 0.10 0.20 0.30 0.40 0.50 0.60 0.70 0.80 0.90 Pauvreté selon NBI en 1980 (%)

Graphique 8. — Estimation de l'effet de la pauvreté sur le taux de croissance

variables. La pcrim a une élasticité de - 1,1 avec le pib pc, c'est-à-dire qu'une augmentation de 1 % de la probabilité de criminalité dans un département respectivement au pays fera baisser le pib />c de 1,1 % dans ce département, edu a une élasticité de 0,3 %, le degré d'ouverture internationale, Xm (mesuré par la somme des exportations et importations en pourcentage du pib), a une élasticité de 0,05 % ; enfin, un indice d'autonomie fiscale, mesuré par la participation dans le pib des dépenses publiques départementales (hors santé et éducation dépendantes des transferts du gouvernement central), présente une élasticité de 0,06 %. Toutes ces variables ont les signes attendus et des statistiques satisfaisantes.

On pourrait craindre que la pcrim et le pib pc soient endogènes, puisque la pauvreté mesurée par le NBI dépend en partie d'investissements qui peuvent améliorer les conditions de vie. Et dans ce cas les résultats obtenus pourraient être biaises. Pour prévenir ce risque nous avons incorporé dans cette estimation (3) les erreurs résultantes du modèle logit, endo, comme variable explicative du panel de pib pc (tableau 3). Les résultats trouvés n'étant pas statistiquement significatifs, ils nous permettent de conclure à l'absence du biais d'endogènéité (à la Heckman, 1978).

Les résultats obtenus montrent la validité de la relation entre pauvreté, criminalité et croissance. Nous pouvons donc, en utilisant les élasticités pib de ces variables, exprimer dans une simulation simple l'effet d'une variation de la probabilité d'une hausse du crime ou celui

824 Ricardo Rocha et Hermes Martinez

d'une variation du niveau nbi sur les taux de croissance départementaux. Le graphique 8 montre de nouveau le groupe des départements les plus pauvres qui connaissent des baisses de leur taux de croissance jusqu'à 2,8 points de pourcentage, alors qu'à l'autre extrême se trouvent les autres départements colombiens présentant des gains pouvant atteindre jusqu'à 2 points de pourcentage.

CONCLUSION

Les résultats obtenus dans ce travail montrent que la pauvreté représente un terreau favorable au développement de la criminalité et qu'une augmentation de la probabilité de cette dernière peut avoir un impact négatif sur la croissance économique des départements. Les approches en coupe transversale avaient été incapables de mettre en évidence ces relations.

Notre travail est parti de cette prémisse que si la criminalité et la violence sont des phénomènes reliés, ils n'en restent pas moins distincts l'un de l'autre. Il est supposé par ailleurs que la criminalité totale est correctement évaluée par le taux des homicides et que sa croissance relative dans chaque département, respectivement à l'évolution nationale, constitue une mesure appropriée de la dégradation du climat des affaires départemental, évolution dont on sait qu'elle est défavorable à l'épargne et à l'investissement, et de ce fait à la croissance économique.

À partir de ces hypothèses, le taux des homicides, et en particulier son augmentation dans une région donnée respectivement à l'évolution nationale, s'interprète comme un indicateur de l'augmentation de l'activité criminelle, à l'exclusion de tout autre interprétation. De plus, le cadre théorique utilisé s'inspirant des travaux de l'économie du développement, il reconnaît la vulnérabilité de la population pauvre face à la criminalité et les répercussions négatives de cette dernière sur la croissance et l'économie. Chacune de ces considérations fixe un cadre d'interprétation des résultats obtenus.

La méthode que nous avons choisi d'utiliser pour ce travail est l'économétrie de panel en deux étapes, où la première estime la probabilité d'augmentation du crime due à l'apparition du trafic de drogue, et la seconde explique la croissance des régions. Cette méthode nous a permis de mettre en évidence, pour la Colombie, un cercle vicieux reliant pauvreté, criminalité et croissance. En présentant ces résultats,

Pauvreté, crime et croissance en Colombie 825

il ne s'agit cependant pas pour nous de considérer comme achevée la recherche sur cette question. Au contraire, notre but est de montrer, d'une part la complexité de la relation existant entre pauvreté, criminalité et croissance, et d'autre part et consécutivement, la nécessité pour mener à bien l'analyse de cette relation, de faire appel à de nouvelles méthodes statistiques.

Finalement, ce travail présente des résultats porteurs à la fois d'espérance et d'inquiétude en ce qui concerne l'élaboration de politiques de développement régional. Ainsi, malgré le développement du trafic de drogue et de la criminalité qui lui est associée, les pertes de points de croissance ont été beaucoup moins importantes que ce à quoi l'on aurait pu s'attendre. Cela est dû au fait que des améliorations significatives dans les conditions de vie de la population se sont produites au cours des deux dernières décennies. De plus, les progrès en termes de capital humain, d'internationalisation et de fiscalité constituent des facteurs importants d'amélioration du sentier de croissance de la Colombie.

(Traduit de l'espagnol.)

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qui

300 km

AMA ANT ARA ATL DE BOL BOY CAL CAQ CAS CAU CES CHO COR CUN GUI GUV

Amazonas Antioquia Arauca Atlántico Bogota, Distrito Especial Bolivar Boyacá Caldas Caqueta Casanare Cauca César Chocó Córdoba Cundinamarca Guainia Guaviare

HUI LGU MAG MET NAR NOR PUT QUI RIS SAP SAN SUC TOL VAL VAU VIC

Huila La Guajira Magdalena Meta Nariňo Norte de Santander Putumayo Quindió Risaralda San Andrés y Providencia (1 ) Santander Sucre Tolima Valle del Cauca Vaupés Vichada

(') 2 îles non cartographiées Sources : Departamento administrativo nacionál de Estadistica (DANE), et Mohamed

Naime, Université de Paris XIII.

Colombie. — Divisions administratives.