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Vivre Toulouse L ONGTEMPS, Toulouse vécut cachée. Ce dont, apparemment, elle n’eut pas à se plaindre. A l’évocation de son nom, c’est une couleur - le rose - ou une fleur - la violette - qui, spontanément, sur- gissent. Difficile d’imaginer image plus positive. Quelques bougres de ce Midi discutailleur n’en contestent pas moins la chose, pré- férant la référence aux gaillardises du rugby ou de la table. En tout cas, image impavide de douceur ou chromo de rugueuse convivialité, la ville paraît faire exception dans le paysage tourmenté et passable- ment désenchanté de cette fin de siècle. Palmarès et sondages ne classent-ils pas le rêve de « vivre à Toulouse » comme le premier désir enfoui des Français ? Oui, Toulouse a été longtemps ignorée par Paris, les routes, les usines, les HLM de banlieue et les guerres. Oui, Toulouse a semblé ne se préoccuper que du mariage lu- mineux de son ciel, de son fleuve et de ses briques. Un vrai « pays de cocagne », sans balafres ni fièvre, plutôt conservateur dans ses va- leurs et académique dans ses goûts, tolérant à l’autre, accueillant, adepte du bonheur tranquille. Mais l’avion tomba du ciel. Tou- louse, alors, changea, passant de l’arrière-garde nonchalante à la pointe de la performance. Il y eut l’Aéropostale, Latécoère, la Cara- velle et le Concorde, puis Aerospa- tiale, Airbus et Ariane. Et encore Matra, Motorola, Siemens, les géants sans frontières de l’électro- nique et des nouvelles technolo- gies. Etudiants, universitaires, cher- cheurs, ingénieurs, cadres, techniciens colonisèrent cette ville de casernes et de fonctionnaires. La high-tech ne dissipa cepen- dant pas l’arôme de qualité de vie. Toulouse aurait-elle réussi l’al- chimie de la ville dynamique et de la ville à vivre ? Ni Venise ni Franc- fort ; ni beauté éteinte ni concas- seur de la modernité. L’« eurocité » toulousaine s’impose d’évidence quand Coca-Cola ou la Deutsche Bank cherchent à s’implanter en France. Mais Toulouse ne peut échapper à l’époque. La mondialisation de l’économie l’a rattrapée. Celle de la crise aussi. Le versant noir de la globalisation ne l’épargne plus. Chômage, exclusions, inégalités, violences, quartiers en rupture font désormais partie de son identité. Et la défient. Photographies : Line Rossignol pour « Le Monde » La « ville à vivre » existerait-elle, nichée le long de la Garonne, bénie des cieux et propulsée à l’avant-garde des technologies ? Las. La vitrine n’a pas résisté aux coups de boutoir de la crise S U P P L E M E N T a a a a a a a a a a a
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Page 1: aaaaaaaaaaa SUPPLEMENT - scholar.lib.vt.edu · Mais l’avion tomba du ciel. Tou-louse ... pointe de la performance. Il y eut l’AŁropostale, LatŁcoŸre, la Cara-velle et le ...

LeMonde Job: WPA1199--0001-0 WAS SPA1199-1 Op.: XX Rev.: 09-03-99 T.: 09:43 S.: 111,06-Cmp.:09,10, Base : LMQPAG 08Fap:100 No:0221 Lcp: 700 CMYK

Vivre ToulouseL ONGTEMPS, Toulouse

vécut cachée. Ce dont,apparemment, elle n’eutpas à se plaindre. A

l’évocation de son nom, c’est unecouleur − le rose − ou une fleur − laviolette − qui, spontanément, sur-gissent. Difficile d’imaginer imageplus positive. Quelques bougres dece Midi discutailleur n’encontestent pas moins la chose, pré-férant la référence aux gaillardisesdu rugby ou de la table. En toutcas, image impavide de douceur ouchromo de rugueuse convivialité, laville paraît faire exception dans lepaysage tourmenté et passable-ment désenchanté de cette fin desiècle. Palmarès et sondages neclassent-ils pas le rêve de « vivre àToulouse » comme le premier désirenfoui des Français ?

Oui, Toulouse a été longtempsignorée par Paris, les routes, lesusines, les HLM de banlieue et lesguerres. Oui, Toulouse a semblé nese préoccuper que du mariage lu-mineux de son ciel, de son fleuve etde ses briques. Un vrai « pays decocagne », sans balafres ni fièvre,plutôt conservateur dans ses va-leurs et académique dans ses goûts,tolérant à l’autre, accueillant,adepte du bonheur tranquille.

Mais l’avion tomba du ciel. Tou-louse, alors, changea, passant del’arrière-garde nonchalante à lapointe de la performance. Il y eutl’Aéropostale, Latécoère, la Cara-velle et le Concorde, puis Aerospa-tiale, Airbus et Ariane. Et encoreMatra, Motorola, Siemens, lesgéants sans frontières de l’électro-nique et des nouvelles technolo-gies. Etudiants, universitaires, cher-cheurs, ingénieurs, cadres,techniciens colonisèrent cette villede casernes et de fonctionnaires.

La high-tech ne dissipa cepen-dant pas l’arôme de qualité de vie.Toulouse aurait-elle réussi l’al-chimie de la ville dynamique et dela ville à vivre ? Ni Venise ni Franc-fort ; ni beauté éteinte ni concas-seur de la modernité. L’« eurocité »toulousaine s’impose d’évidencequand Coca-Cola ou la DeutscheBank cherchent à s’implanter enFrance.

Mais Toulouse ne peut échapperà l’époque. La mondialisation del’économie l’a rattrapée. Celle de lacrise aussi. Le versant noir de laglobalisation ne l’épargne plus.Chômage, exclusions, inégalités,violences, quartiers en rupture fontdésormais partie de son identité. Etla défient.

Photographies : Line Rossignol pour « Le Monde »

La « ville à vivre »existerait-elle,nichée le longde la Garonne,bénie des cieuxet propulséeà l’avant-gardedes technologies ?Las. La vitrine n’a pas résistéaux coups de boutoirde la crise

S U P P L E M E N Ta a a a a a a a a a a

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LeMonde Job: WPA1199--0002-0 WAS SPA1199-2 Op.: XX Rev.: 09-03-99 T.: 09:07 S.: 111,06-Cmp.:09,10, Base : LMQPAG 08Fap:100 No:0222 Lcp: 700 CMYK

II / LE MONDE / MERCREDI 10 MARS 1999

Photos de la page une.1. Les berges du canal

de Brienne offrentaux promeneurs, aux vieux,aux amoureux, aux chienset aux joggers la quiétudede leurs ombrages, tandisque dans son flux paresseuxse reflète l’iamge paisiblede cieux propices.2. La place du Capitole, versoù converge la vie culturelle,sociale et politique,est le symbole d’une villeoù la déambulation faitpartie intégranted’un certain art de vivre.3. Les marchés, comme celuide Saint-Aubin, offrent tousles jours un vrai bonheurdans le pré.4. Les quais de la Garonne,ici en face de l’Hôtel-Dieu,sont baignés par l’éclatde briques roses et ocre,avec vue sur soleil par-dessusun enchevêtrement de ponts,tuiles, clochers, cloîtres, etc.

Les émeutes des quartiers du Mirailn’ont pas été plus graves qu’ailleurs, mais,parce qu’elles se sont déroulées à Toulouse,la « ville où les Français préféreraient vivre »,selon les sondages, elles ont révéléla profondeur de la crise sociale en France

Toulouse, après avoir été capitale du bel canto, est devenue un creuset naturel pour la chanson moderne, les mots et les rythmes métissés.Deuxième ville universitaire de France – un habitant sur quatre est étudiant –, elle est un lieu de brassage culturel et de spectacle vivant.

En l’espacede quelques instants,la nuit devint folle.On était le 13 décembre 1998,et les jeunes venaient d’apprendrela mort d’Habib

L’« eurocité » rattrapée par la crisepar Jean-Paul Besset

SO U D A I N ,T o u l o u s ene ressem-b la p lus àToulouse .On ne sa i tpas parquelle voi-ture ce la

commença, à la Reynerie. La-quelle brûla la première ni oùdans la cité : rue de Kiev, placeAbbal ou sur le parking près ducheminement Erik-Satie ? Enl’espace de quelques instants,la nuit devint folle. On était le13 décembre 1998, et les jeunesvenaient d’apprendre qu’un pe-t i t gars du quart ier, Habib ,avait été tué par une patrouillede policiers alors qu’il s‘apprê-tait à voler une voiture, dansdes circonstances qui restentambiguës et qui font toujoursl’objet d’une enquête. En toutcas, pour les jeunes de ce quar-tier à la réputation détestable− crucifié par le triptyque chô-mage, délinquance, racisme –, iln’y avait aucun doute : on avaitassassiné leur copain.

Alors, toutes les colères, lesfrustrations et les haines ren-trées, toutes les bonnes et lesmauvaises raisons s ’engouf-

frèrent dans la brèche ouvertepar l’émotion. Sur fond glacéd ’une nu i t é touf fée par l ebrouillard, les voitures flam-bèrent comme de la paille, lesrues devinrent des tranchées,des CRS en armes formèrentune ligne, déchaînant un orage

de grenades auquel s ’oppo-sèrent l es éc la i r s bre fs descocktai ls Molotov jai l l issantd’immeubles transformés enfor teresses . Aux chargeslourdes des uniformes répon-da i t l e ga lop préc ip i té decommandos masqués, vite dis-

sous dans la nuit ou disparusdans les cours ives des im-meubles. « Une sorte d’Intifadaqui passerait par le feu », selonun policier.

L’espace d’une nuit, Toulousela rose, Toulouse la belle, Tou-louse la gagnante, était deve-nue une ville à problèmes. Aumême t i tre que ses grandessœurs Paris, Lyon ou Marseille.L’exception toulousaine avaitpris fin, quelques jours avantNoël, précipitant les mesuresgouvernementales contre laviolence urbaine et approfon-dissant l’introspection de la so-ciété française sur son cancer.

L’émeute dura près d’une se-maine, s’étendant à d’autres ci-tés : Bellefontaine, Bagatelle, laFaouret te . Les quar t ie rs duGrand Mirail – cet ambitieuxprojet urbanist ique des an-nées 70 qui devait dessiner, se-lon son arch i tec te GeorgesCandilis, un émule de Le Corbu-sier, le Toulouse radieux dutroisième millénaire, moderne,jeune, actif, convivial – étaienten feu, à quelques minutes ducentre-ville, des belles briquespâtinées par le temps, des en-seignes luxueuses, des terrassesde café joyeuses, des rues àl’âme flâneuse, des hôtels Re-naissance, du tumulte ensoleil-lé de la Garonne et des canauxpaisibles. La retenue des forcesde l’ordre permit que le bilanne so i t pas dramat ique entermes de vies humaines. Maispeut-on déjà parler de bilanalors que les braises sont en-

Seuls quelques éducateurs ou animateursd’association, désespérés, découvrantleur impuissance et leur patient travail réduità zéro, cherchent à démêler un écheveaude causes et d’effets qui se nourrissent,provoquant une violence extrême

core vives et qu’à chaque ins-tant l’incendie menace de re-par t i r ? Le t raumat i smedemeure, ouvert comme uneplaie. Aujourd’hui encore, laville a la gueule de bois.

Les autor i tés cherchent àcomprendre, chacune dans unregistre rassurant. Pour la mu-nicipalité, pour une partie desappareils policier, judiciaire etpréfectoral, ainsi que pour lamajorité des résidants, la causetient à l’existence de « bandesmafieuses » qui auraient acca-paré ces quartiers, terrorisantla population afin d’y instaurerune zone « libérée » de l’Etat dedroit. La police, en procédant àun certain nombre d’arresta-tions, aurait mis à mal cetteambition. Du côté de l’opposi-tion de gauche, du conseil gé-néral, du ministère de la ville,on accuse crûment la politiquede la mai r ie , insens ib le– puisque de droite – à la ques-tion sociale, qui aurait laissé la

paupérisat ion se concentrerdans ces quartiers, mal répartil’habitat social sur l’ensemblede la ville, préoccupée de laseule image de la cité « douceet forte » : douce aux privilé-giés, forte aux puissants.

Seuls quelques éducateurs ouanimateurs d’association, dé-sespérés, découvrant soudainleur impuissance et leur patienttravail réduit à zéro, cherchentà démêler un écheveau decauses et d’effets − chômage,précarité, oisiveté, solitude, en-fermement , dérac inement ,souf f rance soc ia le − qu i senourrissent et s’entretiennent,provoquant une violence ex-trême. Urgence. Les spécialisteset les observateurs sont conviésà découvrir l’issue de secoursde ce labyrinthe social. Assuré-ment, elle ne se situe pas dansle droi t -fi l des images s im-plistes et des réponses péremp-toires.

Erad ica t ion des « sauva-geons » – pour reprendre leterme popularisé par le mi-nistre de l’intérieur, Jean-PierreChevènement –, ces jeunes deplus en plus jeunes et de plusen plus violents, paumés et ma-n ipu lés par les bandes , qu iprennent en otage les habitantsdes cités, y compris leur jeu-nesse ? Sans doute, mais com-ment ? Multiplication des me-sures sociales de discriminationpositive, dans des quartiers quicumulent les handicaps et lesaccidentés de la société ? Evi-demment, mais avec quel bud-

get et pour quel horizon ? Prévenir et réprimer, tendre

la main et serrer le poing, l’ac-tion politique se meut dans cetimprobable équilibre, chaquejour menacé. Car la réalité estcomplexe, multiforme, contra-dictoire. Pour éclairer celle-ci,sans être sûr d’y parvenir, ettenter une interprétation, i lfaut aller chercher dans le mou-vement chaotique, subi plusque choisi − mondialisation etspéc ia l i sat ion des act iv i tés ,exodes et brassage des popula-tions, grand écart entre enrichiset laissés-pour-compte –, qui acondui t une grande v i l l ecomme Toulouse – la quatrièmede France – à devenir à la foisun mythe et une caricature : lemythe de la réussite et la cari-cature de l’échec.

Réalité éclatée d’une grandecité qui préfigure, peut-être, latendance implacable du nouveausiècle : richesses et promessesd’un côté, stigmates et angoisses

de l’autre. Le portrait, à y regar-der de près, présente les mêmesaspérités que le visage de la so-ciété française. Les émeutes desquartiers du Mirail n’ont pas étéplus graves qu’ailleurs, mais,parce qu’elles se sont déroulées àToulouse, la « ville où les Fran-çais préféreraient vivre », selonles sondages, elles ont révélé laprofondeur de la crise sociale enFrance.

Le Grand Mirail était le rêved’une ville où la forme collectiveet confortable de l’habitat et deséquipements devait déterminerdes comportements sociaux plusouverts et, à travers cette meil-leure socialisation des hommes,les formes modernes de l’urbani-té. A ses quarante mille habi-tants, dotés de tous les servicespublics et d’un campus universi-taire, il promettait l’inverse del’architecture criminogène et dela ségrégation.

Le rêve a tourné au cauchemar,sous l’effet bulldozer de la crise.Les activités et les différencesdes uns et des autres ne se sontpas mises ensemble pour faire« du lien social ». Au contraire.Elles ont cédé la place à la misèreréelle des chômeurs, à la déses-pérance des fils de chômeurs, à larévolte des frères de chômeurs, àl’angoisse des copains de chô-meurs. Avec l’effondrement dumodèle Mirail, Toulouse est re-descendue sur terre, devenantune ville ordinaire, une ville àplusieurs étages, à plusieursfaces, à plusieurs vitesses.Comme les autres, pas pire queles autres. Sauf que la trajectoireest ici plus visible qu’ailleurs, carla ville du Capitole − la « plusbel le mairie de France » −croyait, grâce à son histoire sin-gulière, à son formidable déve-loppement propre et à une ges-tion pertinente, y avoir échappé.

L’histoire a gâté cette grossebourgade qui épousa un fleuve etun ciel. Une histoire qui – il s’enest fallu de peu – aurait pu faired’elle la capitale d’un pays occi-tan, rivale des contrées du Nord,à mi-chemin de l’Atlantique et dela Méditerranée, au croisementdu Languedoc et de la Gascogne.La ville a eu d’emblée une bonneimage : hérétique aux normespassablement corrompues duMoyen Age, instaurant dès leXVIIe siècle une éphémère Répu-blique, construisant la basiliqueSaint-Sernin, la plus granded’Europe, pour accueillir les pè-lerins exténués, en marche versSaint-Jacques-de-Compostelle,dirigée par des bourgeois éclai-

rés − les Capitouls −, qui, en 1226,érigèrent le droit d’asile en prin-cipe. L’image de tolérance estrestée, à peine entamée par lafrénésie qu’elle mit dans l’Inqui-sition, son ignorance de l’édit deNantes et le symbole de l’erreurjudiciaire avec la condamnationqu’elle prononça, en 1762, contreJean Calas, ce commerçant pro-testant qui mourut exécuté etdont Voltaire prit la défense dans

son Traité sur la tolérance.Dans la compétition des villes

qui accompagna la délimitationde l’espace national, ses pointsforts et ses zones spécialisées,Toulouse fut rapidement misehors jeu, d’abord à grands coupsde sabre contre sa langue, sesvelléités d’indépendance et sescathares, puis pour cause d’ano-nymat géographique. Cette villeplutôt pauvre, qui ne possédaitqu’un seul pont, quelques mou-lins et une poignée de tisserands,n’était-elle pas perdue, là bas,dans l’entonnoir profond forméentre les Pyrénées et le MassifCentral ?

Ce fut, paradoxalement, sachance. Car Toulouse, finale-ment, profita d’une sorte d’ex-traterritorialité. L’isolement luipermit, aux siècles suivants, dese consacrer à elle-même. Sonpremier allié fut une couleur, lebleu, t irée d’une plante au-jourd’hui quasiment disparue, lepastel, qui poussait dru sur lesterres du Lauragais et servait à lateinturerie. a a a

T O U L O U S E

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LeMonde Job: WPA1199--0003-0 WAS SPA1199-3 Op.: XX Rev.: 09-03-99 T.: 09:07 S.: 111,06-Cmp.:09,10, Base : LMQPAG 08Fap:100 No:0223 Lcp: 700 CMYK

EMILE NTAMACKjoueur de rugby au Stade toulousain

Un créateur adepte du mouvement

Au pied de la basilique Saint-Sernin, badauds et flâneurs envahissent, tous les dimanches matin, le marché aux puces.Les terrasses des cafés débordent du plaisir d’être ensemble et bruissent de discussions politiques sans fin.

LE MONDE / MERCREDI 10 MARS 1999 / III

DOMINIQUE BAUDIS,maire (UDF) de Toulouse

La ville en héritagea Quand il accède, en 1983, à la mairie de Toulouse, àla suite de son père, Pierre, ses adversaires socialistesdénoncent la « baudynastie » qui se met en place auCapitole. Indifférent à la critique, Dominique Baudissemble aujourd’hui prendre un malin plaisir à renfor-cer son héritage en se présentant désormais commele digne successeur des comtes de Toulouse.Alors que le petit monde politique ne bruisse que dela préparation des élections européennes à venir,l’homme qui mena la liste RPR-UDF lors de la der-nière bataille, en 1994, n’a plus qu’une préoccupa-tion : trouver le titre de son nouveau livre, consacré àRaimond de Saint-Gilles. « Ce sera l’histoire de cesToulousains qui sont allés en Orient. Raimond IV étaitde la première croisade avec Godefroi de Bouillon ; c’estlui qui forgera le comté de Tripoli, dans le Liban ac-tuel », raconte le maire-écrivain, qui avait déjà consa-cré un ouvrage, en 1996, à Raimond VI, « le cathare »(M. Lafon).Assurément, la généalogie des comtes de Toulouse etl’histoire passionnent aujourd’hui M. Baudis plus for-tement que la politique. « J’ai toujours aimé l’histoire,au point d’hésiter entre Sciences-Po et des études d’his-toire », confie-t-il. Son nouvel ouvrage lui permet derenouer avec cette passion, mais aussi avec cetOrient méditerranéen qui l’a envoûté lorsqu’il cou-vrait la guerre du Liban pour la télévision française.Le journaliste avait déjà pris la plume pour écrire sur

La Passion des chrétiens du Liban (France-Empire,1983), avant d’entrer officiellement en politique. L’andernier, il s’est rendu presque incognito dans un im-meuble de bureaux des allées Jean-Jaurès pour revoirles photos de sa jeunesse journalistique. Ces clichésqu’il avait pris au Liban et au Proche-Orient furentun temps exposés à la Galerie municipale du Châ-teau-d’Eau, mais ils n’ont plus été montrés publique-ment depuis que leur auteur est élu à Toulouse.« J’ai eu la grande chance de pouvoir faire différenteschoses passionnantes dans la vie », commente ce sur-prenant dilettante. Ses adversaires politiques lui ontsouvent reproché une certaine instabilité, siégeantau gré des élections à l’Assemblée nationale ou auParlement européen, s’emparant du fauteuil de pré-sident de région avant de s’en dessaisir deux ans plustard pour cause de cumul des mandats. MaisM. Baudis reste indéfectiblement fidèle à la mairiede Toulouse. Il surprendra même Edouard Balladuren refusant d’entrer dans son gouvernement pourmieux se consacrer à sa « chère cité ». Etudiant, lejeune Dominique se préparait déjà à l’action munici-pale en se faisant élire, en 1971, à Boulogne-Billan-court, l’année même où son père s’emparait de lamairie de Toulouse. « Je savais que je n’y resterais pas,j’étais là en apprentissage », avoue-t-il, presque gênéde cette sorte d’infidélité à la ville dont il s’est procla-mé le héraut.

A ce rameau singulier appelé toulousain,on dit appartenir à partir du momentoù on a mis un pied dans cette ville,dès lors qu’on a respiré son pollenet qu’on n’a plus envie d’en partir

a a a La ville fit fortune de soncommerce et y gagna une réputa-tion : pays de cocagne, du nom occi-tan de la coque de pastel, pays ima-ginaire où tout va bien. De cetteépoque, le XVIe siècle, date la tex-ture architecturale de la ville, avecses hôtels particuliers, ses ruelles etses arcades, et les racines d’unebourgeoisie ruraliste, repliée dansson cocon, à la bourse bien rempliemais à l’audace entrepreneurialetempérée, modérément conserva-trice dans ses mœurs, culturelle-ment académique et politiquementprudente. Sa deuxième chance résida dans cequi pouvait passer, a priori, pour unhandicap. Dépourvue de matièrespremières, Toulouse rata la révolu-tion industrielle, celle du charbon etde l’acier, des mines, des filatures etdes conglomérats, faisant aussi l’im-passe sur les usines automobiles etchimiques. Elle échappa ainsi auxmeurtrissures architecturales et so-ciales qui l’accompagnèrent. Privéede cœur industriel, de cheminées,de pollutions et de banlieues popu-leuses qui firent l’identité et le déve-loppement de grandes métropolescomme Lyon ou Lille, Toulouse nepesa guère dans la modernisationde la France et la croissance desTrente Glorieuses. Elle ne s’en portepas plus mal. De savantes per-sonnes n’ont-elles pas inventé pourelle le concept d’« atout-retard » ? Cette quasi-absence de la sphère duproductivisme ordinaire − exceptéune petite zone, au sud de l’agglo-mération, qui paraît d’autant plusdéplacée dans le paysage − fit d’ellele prototype d’une ville de robe etde propriétaires fonciers, de no-taires et de fonctionnaires, de ca-sernes et de négociants agricoles.Une belle endormie de la provinceprofonde, privée à la fois de bour-geoisie détentrice des moyens deproduction et de prolétariat pour lesfaire tourner. En retour, elle ne se vitinfliger aucune séquelle ni blessure.Toulouse n’eut nul besoin de liqui-

der et de reconvertir des secteurs in-dustriels périmés. Ni de jeter despopulations au tapis.Résolue à ne pas forcer son destin,Toulouse ne chercha pas plus à do-mestiquer son fleuve, évitant l’his-toire navrante des ports, commeBordeaux ou Nantes, florissant unmoment grâce au commerce − celuides esclaves avant celui des mar-chandises –, puis déclinant sous lapression des concurrents du Nord.Tout juste consentit-elle, dans la se-conde moitié du XVIIe siècle, au gé-nie de l’ingénieur Pierre Paul de Ri-quet, qui, avec le canal du Midi,pour lequel il fit don de toute sa for-tune, parvint à inverser le courantdes eaux entre la Méditerranée etl’Atlantique. Quelques pénichesnonchalantes vinrent alors musar-

der dans la ville, flux paresseux our-lé d’ombrages le long des canaux duMidi ou de Brienne, désormais àusage exclusif des promeneurs, desvieux, des amoureux, des chiens etdes joggers qui profitent d’un climatenclin à la douceur. Image paisiblede cieux propices avec lesquels laville semble avoir passé un pacte.Nouvelle et extraordinaire chancede l’histoire et de la géographie :« les guerres ne vont plus par là »,comme l’écrivit Louis-Ferdinand Cé-line dans Voyage au bout de la nuit.Toulouse resta à la périphérie desconflits du XXe siècle qui déchirèrentet ravagèrent le nord de l’Europe. Icine s’écrivit aucune page glorieuse nine s’alignèrent les champs de croixde bois. Tout juste y produisit-on

force baïonnettes. Toulouse neconnut le charivari tragique desconflits qu’à travers la chair de sesconscrits. Pas dans la sienne, proté-gée une fois encore par sa positiond’extériorité, loin de tout et de la fo-lie des hommes.Même les réseaux de communica-tion dont la France se couvrait l’évi-tèrent. Il n’y a toujours pas d’auto-route pour monter à Paris ni deTGV pour aller du sud au nord oud’ouest en est. L’avion s’est imposédepuis peu, mais la plupart desvilles environnantes – Auch,Castres, Rodez, Foix – sont au boutde routes tortueuses et dange-reuses. Qu’importe ! En restantlongtemps isolée, loin du bruit et dela fureur du monde, Toulouse estparvenue à passer pour une cité

heureuse. Elle reçut ainsi en héritage la beautétranquille d’une ville ayant échappéaux fractures et aux hystéries collec-tives. En paix avec elle-même, il nelui restait qu’à ouvrir les bras. Cequ’elle sut faire, à une époque où– par chance, encore – le travail nemanquait pas, intégrant en douceurdes populations qui ne parlaientque le patois des montagnesd’Ariège, du Rouergue, du Quercyet du Tarn. Ou ceux qui venaient deplus loin encore : Italiens miséreux,Espagnols chassés par la guerre ci-vile, travailleurs immigrés maghré-bins. Les différentes parties se mé-tissèrent au sein d’un ensembleurbain accueillant, baigné par l’éclatde briques roses et ocre, avec vue

sur le soleil par-dessus un enchevê-trement de ponts, tuiles, clochers,cloîtres, tours, dômes, cours, bellesdemeures et maisonnettes.Sans doute cette magie de lumièresur front de ville pourpre et roussequ’enlacent un fleuve intrépide etdes canaux paresseux compte-t-ellepour beaucoup dans la recette dumelting-pot. Car les autres vaguesd’immigration qui, à partir des an-nées 60, se sont succédé sans dis-continuer, que ce soient celles despieds-noirs mélancoliques, des Pari-siens délocalisés, des étudiants afri-cains ou des ressortissants del’Union européenne – ils sontsoixante-cinq mille venus deLondres, de Francfort, de Bruxellesou d’Amsterdam –, se sont couléesavec le même bonheur dans lemoule. Comme les chanteurs deZebda, ces enfants de la Kabylie etde la cité Bourbaki qui se« sentent » gascons pour mieux serevendiquer français. Résultat : toutle monde se dit « toulousain », alorsque la ville compte beaucoup moinsde natifs que de « néo » et que sonaéroport de Blagnac, dont le trafic atriplé en dix ans et va vers ses 5 mil-lions de passagers annuels, se doitmaintenant de relier tous les joursles principales villes du continenteuropéen.A ce rameau singulier appelé tou-lousain, on dit appartenir à partir dumoment où on a mis un pied danscette ville, qu’on en a respiré sonpollen et qu’on n’a plus envie d’enpartir. On devient toulousain plusqu’on ne l’est. On apprend à parlerrugby – pardon, « rudby » –, un étatd’âme plaisant, pas un substitut auxfrustrations comme le football danscertaines villes. La convivialité desquartiers villageois a été instituée enmode de vie ; les habitants y veillentamoureusement, la municipalités’efforce de la perpétuer à travers sapolitique de « noyaux villageois ».

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a Avec trois lettres pour marque commerciale, le trois-quart du Stadetoulousain Emile NTamack veut percer hors des limites du rugby. Sonsigle – « NTK » – a marqué son entrée dans l’univers du prêt-à-porter,dans ce style multicolore qu’affectionne le public black-blanc-beur. Avecaussi, dans le dessin du logo, ce mélange de force pure et de mouvementqu’il incarne balle en mains, sous des airs faussement nonchalants. L’es-sai n’était pas forcément des plus faciles pour cet athlète racé, d’originefranco-camerounaise, ayant d’abord grandi dans la banlieue lyonnaise.A vingt-neuf ans aujourd’hui, et avant la prochaine Coupe du monde derugby, à l’automne, il entend concilier les impératifs du sport de haut deniveau et son statut de jeune chef d’entreprise.Arrivé à Toulouse à seize ans pour rejoindre la section sport-études rugbydu lycée Jolimont, après avoir été repéré en sélection cadets, Emile NTa-mack intègre l’effectif rouge et noir en 1988. « J’aimais ce style de jeu unpeu fou-fou que prônaient les entraîneurs de l’époque, Villepreux et Skréla.On nous laissait beaucoup de liberté sur le terrain, mais on nous apprenaitaussi la rigueur indispensable. » Au rythme des entraînements devenusquotidiens et avec son gabarit digne de l’hémisphère Sud, le gamin sur-doué s’impose comme une pièce maîtresse du club et décroche son pre-mier bouclier de Brennus à dix-neuf ans.Il a déjà brandi à sept reprises le trophée récompensant l’équipe cham-pionne de France et compte quarante-six sélections en équipe nationale,malgré une blessure récalcitrante qui l’a tenu éloigné des stades pendanthuit mois. Opiniâtre dans l’effort, il a su revenir au meilleur niveau et, au-delà de son fracassant retour dans le Tournoi des cinq nations, il aspire àretrouver les émotions que la Coupe du monde lui a déjà offertes en 1995.Les sirènes du « rugby business » ne l’ont pas détourné de sa ville d’adop-tion. C’est ici que sa mère s’est fixée après l’avoir rejoint ; c’est à deux pasde la place du Capitole qu’il a ouvert boutique à son nom. Le futur papaveut faire souche ici et s’investir pleinement dans ses affaires : « C’est lavraie vie, celle des réalités, à côté du cocon privilégié du sport de haut ni-veau. On apprend tous les jours... A faire des choix, à gérer plusieurs choses àla fois. »Archétype du rugbyman moderne, le joueur sait répondre à chaque situa-tion de jeu : disponible dans l’instant, enchaînant percussions et libéra-tion du ballon, placages efficaces et accélérations meurtrières pour ceuxqui sous-estiment sa vitesse, Défenseur ou attaquant, il s’affiche solide etdélié. Ces acquis, Emile NTamack entend les cultiver, sur le terrain des af-faires comme sur ceux d’Ovalie. Sous l’apparente décontraction se cacheune grande force intérieure qui s’exprime « sans avoir jamais eu de plande carrière », mais en revendiquant d’être « toujours au mieux, si possiblele meilleur, le plus performant ».

T O U L O U S E

P O R T R A I T S

MICHEL PLASSON,directeur de l’Orchestre national du Capitole

Missionnaire de la « vraie musique »a Michel Plasson règne depuis trois décennies sur la musique classique àToulouse. Nommé en 1968 à la tête du Théâtre du Capitole, le chef a or-chestré sa petite révolution en cherchant à transformer une ville d’opé-rette en capitale internationale de la « grande musique ». Il a sorti l’or-chestre de la fosse du Théâtre du Capitole pour en faire une grandeformation de plus de cent musiciens, reconnue depuis 1984 comme or-chestre national, et qui a désormais son siège près de la Halle aux grains.La reconversion de l’ancien marché au blé de la place Dupuy, qui accueil-lait jadis des galas de catch et des meetings politiques, est la grandeœuvre toulousaine de Michel Plasson. C’est son église, une cathédralemusicale de trois mille places où il invite le public à partager sa passionpour la « vraie musique ». « Je crois à la musique comme je crois en Dieu »,affirme avec fougue ce fils de musiciens, dont la voix souvent plaintiveprend parfois des accents très durs pour fustiger les « tonnes d’ordures so-nores » déversées par la plupart des radios.Ce missionnaire, dont l’exigence confine à l’intolérance, se voit commeun prophète incompris dans son pays. Michel Plasson cultive la nostalgiedu plan Landowsky, quand la France pompidolienne voulait doter chaquegrande ville d’un orchestre symphonique de qualité. Héritier de cette vi-sion d’excellence décentralisatrice, ce « Parisien de Montmartre naturaliséà Toulouse », comme il se définit – il se déclare même « plus patriote quecertains natifs » –, considère la ville comme un des derniers îlots de résis-tance. « J’ai choisi de ne pas déserter alors qu’on me proposait de m’expa-trier aux Etats-Unis », rappelle le chef, qui n’a de cesse de faire tournerson orchestre dans le monde entier pour promouvoir la musique fran-çaise.Michel Plasson est très fier de signaler que, sur les disques vendus au Ja-pon – parmi la centaine enregistrés avec l’Orchestre national du Capi-tole –, figure une étiquette vantant l’« esprit français ». Il se sait soutenulocalement, dans cette mission d’exportateur culturel, par les grandes en-treprises toulousaines, qui se sont regroupées au sein d’une associationde mécénat originale baptisée Aïda. Si Toulouse vit toujours à l’ère Plas-son – son fils, Emmanuel, prend à l’occasion la baguette –, le chef changeparfois d’air. Il dirigeait, depuis 1994, l’Orchestre philharmonique deDresde, mais vient d’annoncer, au Japon, qu’il abandonnera cette fonc-tion en août. Et c’est dans le nouveau Zénith de Toulouse qu’il s’apprête àfêter ses soixante-cinq ans.

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IV / LE MONDE / MERCREDI 10 MARS 1999 T O U L O U S E

M RencontrerActeurs des métiers

de la communication et responsablesde la rédaction du Monde

Posez vos questions sur l’avenir de Toulouse

Question :

A retourner par courrier à : LE MONDE, Jean-Paul BESSET10, rue des Arts, 31000 Toulouse

au THÉÂTRE DE LA CITÉà partir de 13 h 30

1, rue Pierre-Baudis, ToulouseEntrée libre et gratuite

UNE JOURNÉE À TOULOUSE

Vendredi 12 mars 1999LE MONDE ET LA POSTE

vous invitent à

M DécouvrirLe Monde, La Poste, le multimédia

et l’espace philatélie

M Débattre« Vivre à Toulouse »

à 17 h 30un grand débat dont vous êtes les acteurs :

les questions des Toulousains sur l’avenir de la citéaux responsables politiques, économiques, culturels...

Cahier Spécial« Vivre

à Toulouse »dans

daté du 10 mars

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P O R T R A I T S

ISABELLE RICARD,assistante sociale

Parce que l’injustice n’a pas de répita Isabelle Ricard est assistante sociale à temps plein, et plus encore.Militante associative et syndicale, ce petit bout de femme coiffée à lagarçonne vit à cent pour cent pour le social, prolongeant bénévole-ment, au sein de l’association Droit au logement (DAL) ou dusyndicat SUD, ses activités rémunérées par le conseil général.« L’altruisme, j’ai dû tomber dedans quand j’étais petite », lance-t-elledans un éclat de rire, avant de poursuivre, plus gravement : « Quandtu découvres très tôt l’injustice, soit tu t’aigris, soit tu apprends qu’onpeut la surmonter. »Affectée dès sa naissance par une malformation des mains, Isabelle adû faire face au regard des autres et aux moqueries, parfois cruelles,des copines de son enfance. « L’introduction de la mixité dans lesécoles primaires m’a sauvée », raconte la jeune femme, qui préféraitjouer avec les garçons et pouvait compter sur son grand-frère dans lacour de récréation. Née à Aubin, petite cité ouvrière perdue dans letrès rural département de l’Aveyron, Isabelle arrive à Toulouse dansles années 70, dans le sillage de son père, commerçant contraint defuir ce bassin industriel où les mines et les usines ferment les unesaprès les autres. C’est à cette époque que se dessine sa vocation : elletravaillera « dans le social ».L’apprentissage de la vie militante ira de pair avec celui de sonmétier. Lors de sa formation d’éducatrice, elle manifeste avec lesétudiants contre la loi Devaquet. « Je ne pouvais pas passer à côté »,dit-elle simplement, en évoquant les manifestations monstres de lafin des années 80. Bouillonnante d’énergie, Isabelle ne se contentepas de manifester : elle est à l’initiative d’une coordination detravailleurs sociaux. Grèves et manifestations se succèdent ; saformation se poursuit. Quand elle décroche son diplôme, en 1991, lajeune assistante sociale se souvient avec émotion que c’était « le jourde la chute du mur de Berlin ». Le champagne avait, ce jour-là,doublement raison de couler ! D’autres grèves et d’autres manifestations suivront. Dans lescortèges, la voix d’Isabelle est devenue familière. Elle est l’une desporte-parole du collectif associatif La ville habitée, tentative avortéed’un squat culturel et social à Toulouse. Elle s’impliquera tout autantdans d’autres réquisitions menées au nom de DAL. On la retrouvelors de la signature des 35 heures au conseil général, et en premièreligne de toutes les manifestations toulousaines contre le FN. L’assis-tante sociale est sur tous les fronts. Pour se ménager quelquesinstants de vie privée, cette jeune maman a dû se fixer des règlesstrictes : « Je ne milite jamais entre 17 et 20 heures, et je n’emmène pasmes enfants dans une manif. »

JOSÉE CAMBOU,responsable associative de l’Uminate

En stratège de l’environnementa Forte tête et verbe haut, Josée Cambou mène son combat pourla défense de l’environnement régional sur tous les fronts. Elledirige d’une main de fer ses troupes associatives de l’Uminate, lafédération régionale des associations de protection de l’environne-ment, depuis 1982. Maîtrisant tous ses dossiers et siégeant dansd’innombrables commissions, elle est redoutée par les administra-tions comme par les entreprises qui sont passées un jour dans soncollimateur. Travailleuse infatigable, Josée Cambou ne se rendjamais sans « munitions » à une réunion, où ses interventions,rafales verbales débitées sur un rythme de mitraillette, fontsouvent mouche. Cette fille de militaire a organisé le réseau asso-ciatif régional comme une machine de guerre, palliant par sonomniprésence une dynamique associative relativement faible.Les bénévoles se sentent parfois dépassés par ce bulldozer enaction, qui sort cependant rarement de son bureau-bunker de laMaison régionale de l’environnement. On lui reproche parfois depréférer ses dossiers et la négociation avec l’« ennemi » aux mani-festations et autres actions « coup de poing » sur le terrain, maisJosée est blindée : « Je ne suis pas une opposante systématique. Cequi m’intéresse, c’est de faire avancer les choses », rétorque-t-elle,lassée par l’absence de vision globale de trop d’associationslocales. Stratégiquement, la directrice de l’Uminate préfère négo-cier un compromis que prendre le maquis.Josée Cambou avoue ne pas savoir à quand remonte son engage-ment dans les rangs de la défense de l’environnement. Avant dediriger l’Uminate, elle militait à l’Union fédérale des consomma-teurs (UFC), dont elle était devenue un des piliers nationaux. Lepassage du consumérisme à l’environnementalisme était naturelpour cette ancienne étudiante en biologie, qui a découvert le mili-tantisme à l’université en 1968. De ses années « hippies », elle agardé un mode de vie résolument « ruraliste » qui l’oblige à faireun long trajet quotidien entre sa maison de campagne et sonbureau en ville. « Je n’aurais pas imaginé élever mon fils en ville ; ila appris très tôt la campagne, le jardin et la nature », explique-t-elle.Militante professionnelle, elle a creusé son sillon dans les associa-tions, mais avoue une franche aversion pour la politique. « J’aitoujours refusé les propositions émanant des partis », raconte cettefemme de caractère, « mais je crois toujours au creuset associatif ».

La « tchatche » est iciérigée en vertu,avec ses expressionsétymologiquementmétissées, sesraccourcis cinglants,ses escamotagesde lettres,son verbe haut

La Ville rose a su rester une ville verte, où on peut respirer, où arbres (160 000), parcs et squares (150)– ici, la prairie des Filtres –, bancs publics (4 000) et fleurs (400 000) ont encore droit de cité.

L’« eurocité »rattrapéepar la crisea a a Le Toulousain qui habitedans l’un des quarante-neuf quar-tiers de la ville recensés par l’Insee– qui vont devenir cent cinquanteà la suite d’un nouveau décou-page – dit toujours qu’il va faireses courses « à Toulouse ». L’habi-tat individuel demeure un styledistinctif : avec quarante millemaisons particulières, Toulouse estla ville de France qui compte leplus de villas, modestes pour laplupart. La cité est aimable,agréable, affable ; ses marchés desboulevards et des halles offrenttous les jours un vrai bonheurdans le pré, les places à fontainessont jaillissantes et bavardes – onva jusqu’à y mener, dans le quar-tier Arnaud-Bernard, d’ébourif-fantes conversations socratiques –,les cafés débordent du plaisird’être ensemble. Dans ce cadre en-joué, plutôt nonchalant, la vie as-sociative devient une seconde na-ture, les déambulations nocturnesune fête, la gastronomie un artconsommé ; la politique passepour n’être qu’une affaire rigolotede cassoulet – ce qui, assurément,est faux. L’ancien premier ministreespagnol Felipe Gonzalez, réfugiéici, en garde le souvenir d’« une ex-périence de vie inoubliable ».

Le seul excès tient aux mots. La« tchatche » est ici érigée en vertu,avec ses expressions étymologi-quement métissées – « pégueux »,« escané », « boudiou », « bargui-gner »... –, ses raccourcis cinglants,ses escamotages de lettres, sonverbe haut. L’insistance machistede ceux qui cherchent indéfini-ment à « porter beau » finit par-fois par lasser, mais ce souci dulangage, cette truculence du verbe,ce goût de l’adjectif dans la bouche

a fait de Toulouse une capitale dela chanson moderne après avoirété celle du bel canto. Tritureursde mots et de rythmes, ClaudeNougaro, Juliette, Zebda, FabulousTrobadors, Art Mengo, Fem-mouzes T et tant d’autres ne for-ment peut-être pas une école, maisils ont en commun un même fil in-visible qui leur fait systématique-ment chercher du sens dans lessons.

Aujourd’hui, malgré une crois-sance qui lui a fait consommercinq fois plus d’espace en vingt ansqu’en vingt siècles, la ville respireencore dans un milieu où arbres(160 000), parcs et squares (150),bancs publics (4 000) et fleurs(400 000) ont encore droit de cité,y compris du côté du Mirail. Cetespace communal – 12 000 hec-tares –, aussi grand que Paris intra-muros, permet à chacun des380 000 habitants de disposer, en

moyenne, de 20 mètres carrés deverdure. Il aide surtout la ville à ré-sister à cette implacable mons-truosité qu’est la densification ur-baine ainsi qu’à une verticalitéarchitecturale qui lui sied mal, ex-cepté ses 48 tours capitulaires duMoyen Age et de la Renaissance.Quelques verrues se sont bien éle-vées, ici ou là, place Occitane oudans le quartier d’affaires deCompans-Caffarelli, mais les dé-gâts restent circonscrits. Au ryth-me de l’accroissement de la démo-graphie actuel, Il faudranéanmoins construire environ2 500 logements par an et, dansvingt ans, Toulouse devraitcompter 40 % d’habitants supplé-mentaires.

L’ogre automobile lui-mêmen’est pas parvenu à défigurer l’en-trelacs de petites rues vagabondes.Au centre de la ville, entre Ga-ronne et boulevards, on circuleplutôt mieux que dans les autresmétropoles. Non pas que le Tou-lousain soit un homo automobilismoins forcené que ses frères, mais,comme il ne peut plus se garer, si-non dans un des dix-huit parkingsaux tarifs dissuasifs, il doit se ré-soudre à prendre le métro, à rouleren vélo ou à marcher, ce qui ar-range tout le monde. Les contra-ventions sont donc ici deux foismoins nombreuses que celles dres-sées dans des cités comparables.La première ligne de métro, reliéeaux autobus de la périphérie, estplébiscitée par la population− 240 000 déplacements journalierssur le réseau métro-bus, soit uneaugmentation des transports encommun de 45 % en cinq ans ; la

deuxième est en construction, quimettra la plupart des quartiers àquelques minutes du centre. Lessamedis, la ville est dévolue aux fa-milles qui déambulent à pied parles vieilles rues.

Bref, « la ville à vivre » sur la-quelle les colloques s’interrogent,fluide et pleine, familière aucontact sans verser dans l’entasse-ment, ressemble un petit peu àToulouse. D’ailleurs, quand il s’estagi de décentraliser ici des admi-nistrations comme Météo Franceou des sièges d’entreprise commecelui d’Airbus, personne n’a pro-testé et voulu repartir. Pas mêmel’ingénieur britannique ou alle-mand qui ne parlait pas un mot defrançais. Preuve que, si on doitêtre de quelque part, c’est bien de

là où l’on se sent le mieux. Et qu’àToulouse on ne se sent pas « limo-gé ».

La chance aura duré jusqu’aubout. Le dernier cadeau fait à laville vient directement de l’Etat,quand celui-ci prend la décision,lors du premier plan d’aménage-ment du territoire, dans le cadrede la création des métropolesd’équilibre, de faire de Toulouse lacapitale de l’aviation civile et d’ytransférer plusieurs grandesécoles. La ville avait déjà uncontrat avec le ciel : de prestigieuxprécurseurs comme Emile Dewoi-tine ou Pierre-Georges Latécoèreet l’édifiante saga de l’Aéropostaleen avaient écrit les premièrespages.

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LeMonde Job: WPA1199--0005-0 WAS SPA1199-5 Op.: XX Rev.: 09-03-99 T.: 09:07 S.: 111,06-Cmp.:09,10, Base : LMQPAG 08Fap:100 No:0214 Lcp: 700 CMYK

LE MONDE / MERCREDI 10 MARS 1999 / VT O U L O U S E

La jeunesse en quêtede savoirs, venuede tout le Sud-Ouestet de tousles continents,colonise la ville,de jourcomme de nuit,la colore et l’anime

a a a Mais, cette fois, c’est du sé-rieux. Avec les programmes Cara-velle puis Airbus, la ville acquiertune autre dimension, se propul-sant à l’avant-garde des tech-niques de l’époque. Elle retrouve,en quelque sorte, l’âge d’or dupastel.

Avec l’avion, tout s’accélère.Toulouse appose maintenant samarque dans la réussite indus-trielle française : Sud-Aviation, laCaravelle, le Concorde, Aerospa-tiale, ATR puis le consortium eu-ropéen Airbus. Le filon s’avère ex-traordinairement riche. Il dépassel’azur pour conquérir l’espace.C’est au tour du Centre nationald’études spatiales – encore unedécision de l’Etat –, d’Arianes-pace, des satellites de Matra-Mar-coni Space, Alcatel Space et SpotImages de s’installer. Avec Sie-mens et Motorola, l’électronique

haut de gamme entre aussi dans laplace, puis l’industrie pharmaceu-tique avec Sanofi et Pierre Fabre.La ville acquiert une image d’« eu-rocité », tête chercheuse de lamondialisation. Elle n’est pour-tant, en population, que la qua-rantième du continent, mais elles’est forgé une personnalité. Surune carte d’Europe, on n’arrivepas encore à placer Toulouse avecexactitude, mais on sait que c’estla capitale de l’aéronautique etqu’à partir de là l’Europe rivaliseavec les Etats-Unis, Boeing et laNASA.

La vitrine est en place. Elle estrésolument high-tech, dynamique,ouverte, cosmopolite. Comme s’ils’agissait de regagner le tempsperdu pendant les années passéesrepliées sur elle-même, Toulouseconnaît alors l’ivresse du grandlarge. Une multitude de PME de

services ou sous-traitantes s’en-gouffrent dans le sillage de l’aéro-nautique et du spatial ; des entre-prises étrangères s’installent, lesmultinationales débarquent. Ae-rospatiale sort un avion par jouralors que l’entreprise n’en produi-sait qu’un par mois il y a quinzeans. Airbus vend trois milleavions. France Télécom ouvreToulouse à Internet. La ville gagnedix mille habitants par an, pourl’essentiel des cadres, des ingé-nieurs, des techniciens. Une pre-mière couronne urbaine, puis unedeuxième, puis une troisième secréent, formant une aire urbainede quelque six cent mille habi-tants. Une des premières commu-nautés de communes du territoirevoit le jour, aux portes sud-est dela ville, autour de Labège : le Sico-val, qui devient une des princi-pales zones d’activités et le para-

dis des pépinières d’entreprises.Au total, l’agglomération affichela plus forte croissance urbaine deces dernières années en France :plus quarante-six mille habitantsentre 1990 et 1995.

L’université accompagne etnourrit ce maelström. Avec sesquatre universités − bientôtcinq –, ses treize écoles d’ingé-nieurs et ses cent dix mille étu-diants, Toulouse occupe ledeuxième rang universitaire en

France, après Paris. Un terreaupour l’économie, mais aussi unelocomotive pour la ville. Un habi-tant sur quatre est étudiant. Lajeunesse en quête de savoirs, ve-nue de tout le Sud-Ouest et detous les continents, colonise laville, de jour comme de nuit, lacolore et l’anime, provoquant unbouillonnement d’activités cultu-relles. On compte une moyennede cinquante spectacles vivantspar semaine. Petits bars musicaux,salle de concerts de la Halle auxgrains, opéra du Capitole, salleNougaro, cinémas et théâtres nedésemplissent pas. Les trois sallesUtopia réalisent le meilleur coeffi-cient d’occupation de tous les ci-némas de France, et le théâtre dela Cité, à peine ouvert, joue à gui-chets fermés, accueillant qua-rante-cinq mille spectateurs entrois mois.

Les laboratoires de recherche,un pied dans l’université, un autredans les entreprises, ont pris euxaussi le chemin de la Ville rose.

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Lire la suite page VI

CLAUDE NOUGARO,chanteur

Le mot-sicien de la ville rossea La force et la vitalité, la hargne et le sentiment : Claude Nougarosymbolise mieux que personne l’image du Sphinx, chanteur renais-sant de ses cendres, prêt au coup de poing contre lui-même, àl’engueulade et à la réconciliation fraternelle. Toulousain, ClaudeNougaro l’est de naissance – il est né à Toulouse le 9 septembre1929 –, mais plus encore. Il a de sa ville une vision éminemmentphysique : il est en quelque sorte innervé par la ville rose, la « villerosse », où la Garonne roule ses cailloux, où « même les mémés aimentla castagne ». Nougaro, en joueur de mots, se revendique « archi-tecturé gréco-nègre » : grec pour le fond culturel, l’amour du beauharmonique, et africain pour le rythme, l’appartenance à la terre etl’allégeance aux dieux païens. En fin de compte, il y a dans cesmélanges beaucoup d’Occitanie, de la compétence cathare, deschâteaux de mots, avec leurs flancs escarpés, avec leurs flancs enpente douce.Claude Nougaro dit qu’il « n’encaisse pas la barbarie ». La musiquefait rempart, la langue est argile. Le « mot-sicien » entendait la voixde papa, baryton, qui chantait La Tosca au Capitole, Verdi et Puccini,le piano de maman qui savait ses classiques, et la radio de grand-mère qui diffusait sur Radio-Toulouse les émissions du critique dejazz Hugues Panassié, au cœur de l’été de Haute-Garonne. Gaulois,Nougaro ? Oui, mais « de père cathare toulousain, de mère italienneavec ascendants siciliens ». Bref, franco-français, né, dit-il, « dans laclinique obstétricale Duke Ellington fondée par Boris Vian ». Il y a danscette verdeur du verbe d’évidents cousinages avec les copains ducoin : les Fabulous Trobadors, les Massilia Sound System, « dessculpteurs de paroles », selon lui.Son père, devenu premier baryton à l’Opéra de Paris, sa mère,pianiste classique, sillonnent les scènes lyriques européennes. Claudegrandit auprès de ses grands-parents, dans le quartier des Minimes.En 1947, ce « raté des études » – le mot est de lui –, « noir écolier quiallait à l’école au marché aux cochons », devient journaliste amateur,s’engage dans la Légion étrangère au Maroc avant de rejoindre sesparents à Paris. Il devient l’ami du poète Jacques Audiberti, chante auLapin agile, cabaret parisien où il crée, en 1958, Il y avait une ville. En1962, Claude Nougaro invente l’écriture cinématographique de lachanson : Une petite fille, Les Don Juans, Le Jazz et la Java constituentce premier manifeste pluriculturaliste et libertaire du chanteurtoulousain – la pointe d’accent, la scansion des mots en témoignentjusqu’à aujourd’hui.Claude Nougaro introduit les musiques du monde dans la chansonfrançaise : l’Afrique, le Brésil. Il travaille avec les meilleurs du jazzfrançais : Eddy Louiss, Bernard Lubat, Maurice Vander ; résiste auxcoups – un gravissime accident de voiture, en 1963, à la suite duquel ilcompose A bout de souffle, sur son lit d’hôpital, une grave défaillancecardiaque en 1995 – et aux diktats commerciaux – considéré commehas been par sa maison de disque, en 1986, il revient l’année suivanteavec un formidable Nougayork. En tournée perpétuelle, ClaudeNougaro n’en finit pas de bâtir son poème. Le dernier en dates’appelle L’Enfant phare – en fanfare. La vie y roule comme les flots deLa Garonne, que Nougaro le Toulousain avait demandé d’habiller enmusique au compositeur zaïrois Ray Lema.C’est une Garonne écrite« un jour où j’étais au fond de la mine noire de l’ennui ». Des roule-ments de balafon sont offerts au fleuve ancestral. Sexagénaire effaréde la stupidité du chaos à venir, il répète pourtant qu’il ne faut pasavoir peur. Et scande ses poèmes comme autant de déclarationsd’amour.

P O R T R A I T S

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La zone urbaine de Toulouse

CENTRE VILLE

LE MIRAIL

BLAGNAC

LES MINIMES

LE BUSCA

RANGUEIL

CÔTE PAVÉE

MOSCOU

BONNEFOY

CROIX-DAURADE

LA CROIX-ST-PIERRE

Reynerie

Bagatelle

La FaouretteBasso-Cambo

Bellefontaine

Capitole

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AÉROSPATIALE

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Basilique St-Sernin

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Place du Capitole

LycéeFermat

Hôtel-DieuSt-Jacques

Place Occitane

Palais de justice

Jardin Compans-Caffarelli

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LeMonde Job: WPA1199--0006-0 WAS SPA1199-6 Op.: XX Rev.: 09-03-99 T.: 09:07 S.: 111,06-Cmp.:09,10, Base : LMQPAG 08Fap:100 No:0226 Lcp: 700 CMYK

VI / LE MONDE / MERCREDI 10 MARS 1999 T O U L O U S E

Dominique Baudissait que les nouveauxarrivants, à hautpouvoir d’achat,consommateursde loisirset de culture, exigentde la qualité de vieen sus du travail

Toulouse a assissa réussite industrielle

sur l’aéronautique.Le filon,extraordinairement riche,dépasse à présent l’azur.A l’est de la villese dresse l’orgueilleuseet très courueCité de l’espace,qui pointeune réplique d’Arianevers les cieux.

L’« eurocité »rattrapéepar la crisea a a Onze mille chercheurs duCentre national de la recherchescientifique (CNRS), de l’Institutnational de la recherche agrono-mique (INRA) et de laboratoiresprivés travaillent dans l’agglo-mération. La ville, qui a la répu-tation de maîtriser la mécaniquedes fluides ou le génie des procé-dés, part à la conquête des bio-technologies avec l’agrobiopoledu Sicoval. Beaucoup, parmi leschercheurs ou les doctorants,passent du laboratoire à l’entre-prise, qu’ils créent eux-mêmes.

Cette floraison d’initiativesétabl it un record : Toulousecompte vingt-cinq mille entre-prises privées. Deux cent cin-quante mille emplois au total(soit plus de la moitié de seshabitants) qui représentent 45 %du total des emplois des huitdépartements de Midi-Pyrénées !

La municipalité encourage lemouvement en favorisant l’ins-tallation des entreprises − audétriment du reste de la région,accusent les maires des environs,qui voient leur populat ionrejoindre la métropole ou leurs

vi l lages se peupler de « rur-bains » − mais reste prudente. Ilfaut que la ville reste « à taillehumaine ». « Forte » elle est dansses activités, « douce » elle doitrester à vivre, selon le vœu deson maire (UDF), DominiqueBaudis, qui sait que les nouveauxarrivants, à haut pouvoir d’achat,grands consommateurs de loi-sirs, de culture et d’environne-ment, exigent de la qualité de vieen sus du travail.

C’est l ’autre jambe sanslaquelle le type de développe-ment économique de la ville tré-bucherait. Le développementdoit rester maîtr isé, réal iserl’union « magique » du patri-moine et de la technologie.L’urbaniste Louis de Mondran neconseillait pas autre chose, en1754, quand il recommandait àToulouse de devenir « une belleville pour attirer les étrangers etles industriels ».

Pas question, ici, de gigantismeet d’horizon du million d’habi-tants. Pas question de noyerl’identité de la cité dans un déve-loppement sauvage à la califor-nienne ou à la napolitaine.

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PATRICK VANDEVOORDE,ingénieur, directeur de la SMAT

Le chef d’orchestre du métro toulousaina Il est en première ligne depuis quinze ans sur le front du métrotoulousain, mais préfère se tenir en retrait des honneurs. On cher-chera en vain son nom dans le livre hagiographique édité à l’époquepar Matra et la mairie de Toulouse pour rendre hommage à toutes lesentreprises, aux architectes et aux artistes de ce « chantier dusiècle ». L’ancien directeur de la société MTD, qui réalisa le métrodans les délais et le budget impartis, n’y fait qu’une apparitionanonyme au détour d’une photo de groupe. On le voit, baguette à lamain, expliquer ce projet qu’il connaît par cœur. Patrick Vande-voorde, c’est le Michel Plasson du métro, sans les applaudissements.Aujourd’hui, il dirige la SMAT, la nouvelle société qui devrait mettreen service la ligne B en 2007. Au siège de la place Esquirol, sonéquipe d’une trentaine de permanents fait penser à un ensemblemusical qui multiplie les répétitions en coulisse avant l’entrée enscène des tunneliers-ténors et du chœur des engins de chantier. Lesœuvres contemporaines qui décorent le bureau du directeur-chefd’orchestre trahissent l’amateur d’art derrière l’ingénieur. M. Vande-voorde avoue se sentir davantage porteur d’une esthétique qued’une technique.« Je suis l’homme de la ville plus que du métro », concède cet ingé-nieur des Ponts et Chaussées qui s’est progressivement mué en urba-niste en s’implantant à Toulouse. Arrivé en 1979, « j’ai fait monmorceau de rocade, comme tout ingénieur de la DDE », raconte-t-il enbourrant sa pipe. Mais l’homme a le chic pour toucher sans en avoirl’air ce qu’il appelle les « points sensibles de l’affectif toulousain » : letronçon de rocade en question consistait à franchir l’emblématiquecanal du Midi. Il aura aussi à s’occuper du transfert de la légendaireéquipe de rugby du Stade toulousain vers son nouveau stade desSept-Deniers.Après ces épreuves initiatiques, le fonctionnaire d’Etat parisienintègre l’agence d’urbanisme de l’agglomération toulousaine. C’estlà que germera l’idée du métro, dans les années 80. M. Vandevoordecontribuera activement au choix du véhicule automatique léger(VAL) contre le tramway : « Je ne suis pas un ayatollah du métro »,assure-t-il, mais « je reste persuadé que c’était l’outil de transport leplus adapté à Toulouse ». Il constate avec satisfaction que le centrehistorique de la ville, où il réside depuis vingt ans, s’est transforméconformément à ce qu’il avait imaginé : davantage de trottoirs, derues piétonnes et d’immeubles réhabilités. Même s’il se veutmodeste en avouant que « construire un métro, ce n’est rien parrapport au lancement d’un satellite », l’ingénieur urbaniste sait qu’il acontribué à la mise sur orbite d’une Toulouse plus moderne.

P O R T R A I T S

LOUIS PECH,PDG d’Alti-Elec

Des idées simples mais rentablesa Inclassable Louis Pech ? Le patron surprend autant ses amis degauche que ses homologues de droite, et le microcosme toulousains’interroge encore sur ses motivations cachées. On salue l’hommequi a réussi à restructurer une chambre de commerce et d’industrieen péril, autant qu’on reconnaît ses qualités de manager, et onl’écoute avec surprise dénoncer l’« absurdité de l’expression "entre-prise citoyenne" ». Acti-Elec, qu’il dirige, est un fleuron de la high-tech, né autour de l’aéronautique, spécialiste de l’électroniqueembarquée, travaillant pour les grands des télécommunicationsciviles ou militaires et pour l’industrie automobile.Produisant aussi bien pour la région qu’à l’échelle mondiale, deColomiers à Millau ou en Bretagne, du Brésil à l’Europe de l’Est enpassant par la Tunisie, le groupe affiche un développement « à deuxchiffres depuis sa création », en 1986 : « Notre logique est simple,explique l’entrepreneur. Ou on achète ou on crée... à la seule condi-tion d’être sûr de la rentabilité. » Ce qui conduit parfois à décevoirdes interlocuteurs locaux, comme à Albi, en 1993-1994, où un projetporteur d’une centaine d’emplois n’a finalement pas vu le jour :« J’aurais fait perdre de l’argent au groupe, donc pénalisé à terme lesemplois existants. »Une logique et une réussite industrielle qui n’ont pas changé le« fils d’instituteur audois, fidèle à certaines valeurs, même si, pourM. Pech, une entreprise est faite pour gagner le plus d’argent possible.A ceux qui en touchent les dividendes de décider comment ilsdépensent. Quant à la réussite industrielle, ça n’existe pas, car rienn’est jamais acquis : c’est un défi permanent. » Sur cette logiquesimple, « car il faut toujours en revenir à des choses simples », le PDGn’a cessé de bâtir à son compte. « Les hommes qui m’entouraientvoulaient aller toujours plus loin, je les ai suivis. On ne réussit qu’engroupe », dit ce passionné de rugby et de basket qui ne manqueaucun match des Spacers toulousains. L’ancien directeur commer-cial de Micro-Turbo devenu patron charismatique aborde l’âge de laretraite et le passage à l’an 2000 avec sérénité. Quand le momentsera venu à ses yeux, il procédera comme pour la CCI : il passera leflambeau à un homme dont il sera sûr de la capacité à poursuivredans le même esprit que le sien.Libéré de sa carrière professionnelle, s’engagera-t-il sur d’autresvoies ? Entre ses talents de peintre et sa passion pour la politique,vers quoi se tournera l’ancien étudiant rebelle viré de Sciences-PoToulouse pour ses prises de position contre la guerre d’Algérie ?Ceux qui s’en inquiètent savent aussi que M. Pech a décliné troissollicitations différentes qui lui auraient permis de figurer auconseil régional. Mais saurait-il se contenter de faire de la figura-tion ?

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LeMonde Job: WPA1199--0007-0 WAS SPA1199-7 Op.: XX Rev.: 09-03-99 T.: 09:07 S.: 111,06-Cmp.:09,10, Base : LMQPAG 08Fap:100 No:0227 Lcp: 700 CMYK

P O R T R A I T S

LE MONDE / MERCREDI 10 MARS 1999 / VIIT O U L O U S E

P O R T R A I T S

CHRISTIAN THOREL,libraire, Ombres blanches

Pour que vivent les livresa A l’en croire, Christian Thorel serait devenu libraire par défaut. Lepatron d’Ombres blanches, la grande librairie « branchée » de Tou-louse, se voulait cinéaste : « J’ai abandonné ce fantasme à Paris, dansles années 70. » Plutôt que de revenir dans son Tarn natal, cet intellec-tuel éclectique court les festivals de cinéma avant de se fixer dans unepetite librairie de Toulouse. « Je trouvais que les livres étaient au centrede tous les domaines, et j’y ai vu un moyen de me mettre moi-même aucentre de toutes les mouvances. »Centrale aussi est la boutique à bouquins qu’il intègre en 1978, à deuxpas de la place du Capitole, rue Gambetta. Ils ne sont alors que trois àtravailler dans le magasin créé, trois ans plus tôt, à l’enseigned’Ombres blanches. L’échoppe historique de 90 mètres carrés n’estplus qu’une annexe de la librairie, qui s’est étendue dans la même ruesur plus de 1 000 mètres carrés. Aujourd’hui, vingt-cinq employés s’af-fairent sur deux étages, et les extensions de cette grande surface dulivre sont désormais soumises au même régime que les supermarchés.En rachetant les parts de ses associés, M. Thorel est devenu le patronde cette PME de la culture, mais il préfère se voir en animateur cultu-rel. Derrière ses lunettes, il jette un regard suspicieux sur les fast-foodet les galeries de jeux électroniques qui ont essaimé entre sa librairieet le prestigieux lycée Fermat pour capter la clientèle étudiante. « Laculture ne peut se résumer à des lieux de consommation », affirme ce mi-litant exigeant, agitateur d’idées et médiateur par tempérament, qui aimaginé sa librairie comme un lieu de rencontres permanentes.Ombres blanches est, en effet, devenue un centre de ralliement pourl’intelligentsia toulousaine, une sorte de « marché culturel » dont lesallées sont encombrées, tous les samedis, par des badauds-clients quis’attardent parfois pour discuter entre les rayons.M. Thorel multiplie les invitations à débattre avec des auteurs, en lienavec les universités, le théâtre ou la cinémathèque. Pour autant, il ré-fute l’étiquette de « librairie pour intellos » : « Ombres blanches est ar-rivée à un stade commercial qui a dépassé ce seul noyau. » Soucieuxd’élargir sa clientèle d’enseignants et de toucher plus largement lesétudiants, il s’est associé à une autre libraire du centre-ville, la véné-rable maison Privat, pour ouvrir un point de vente, en 1989, sur le cam-pus de l’université du Mirail. Il s’est également assuré le soutien deCastella, la dernière grande librairie du centre-ville, pour refonder unsyndicat national des libraires indépendants, qui compte déjà plus desix cents adhérents, soit la moitié de la profession. La passion ducombat a rejoint celle du livre...

GIL PRESSNITZER,président du centre culturel d’Aerospatiale

L’aventure de la musique pour tousa Agitateur public de la culture toulousaine, Gil Pressnitzer est ingénieurdans le privé. Le président du centre culturel d’Aerospatiale a contracté le« virus de la culture » lors de ses études d’ingénieur en automatisme, àMarseille. Cet écorché vif, fou de musique et de lecture, est employé de-puis trente-deux ans à Aerospatiale. Il se souvient avec délice de cetteépoque pionnière de l’aéronautique où les ingénieurs travaillaient deconcert avec les pilotes pour mettre au point les systèmes de pilotage au-tomatique. Aujourd’hui, il se passionne pour une nouvelle aventure : or-ganiser la rencontre entre les habitants de l’agglomération et son entre-prise emblématique, par le biais de la culture.Depuis 1974, M. Pressnitzer a transformé le centre culturel, qui dépenddu comité d’établissement d’Aerospatiale, en une sorte de « MJC privée »ouverte à tous. Pari gagné, au-delà de toute espérance. Le public a prisl’habitude d’emprunter le chemin Garric, dans le quartier des Sept-De-niers, non seulement pour assister aux matches de rugby du Stade tou-lousain, mais aussi pour entendre de la – bonne – musique, dans une en-ceinte de quatre cents places dotée de tout le confort moderne, perdueentre les installations sportives réservées au personnel d’Aerospatiale. Lasalle Nougaro est devenue un des lieux qui comptent sur la scène toulou-saine, grâce à une programmation de qualité qui mélange jazz, musiquesdu monde et chansons à texte.M. Pressnitzer poursuit une « politique éditoriale » engagée naguèredans un centre culturel municipal. Il était alors dans le sillage de l’ancienministre socialiste Alain Savary, qui échouera en 1977 dans sa tentativede reconquête de la mairie de Toulouse. Si son repli à l’Aerospatiale res-semble à un exil politique, l’animateur culturel se défend de mener uncombat partisan. Ne met-il pas son expérience au service du Festival Ga-ronne, organisé par la municipalité ? Le centre culturel d’Aerospatiale estégalement associé au conseil général pour le festival Jazz sur son 31. Par-tenaire désormais incontournable de tout ce qui bouge musicalement àToulouse, M. Pressnitzer doit désormais gérer son succès vis-à-vis de sonprincipal commanditaire. Les personnels d’Aerospatiale ne représentent,en effet, que quarante pour cent de la fréquentation de la salle Nougaro.Le président du centre culturel s’attache désormais à la « reconquête dupublic intérieur ».

FRANÇOIS JUNCA,PDG de Latécoère

La foi chevillée aux ailesa L’ancien Gad’Zarts n’avait pas la passion de l’aéronautique. Mais, en1961, sa route a croisé celle du fils Latécoère au service militaire ; ce fut ledébut d’une amitié et d’une fidélité sans failles au constructeur. Pré-sident-directeur général depuis dix ans, François Junca prépare la passa-tion de pouvoir dans une entreprise qu’il a profondément façonnée. Cer-tains collaborateurs n’hésitent pas à dire que, sans lui, Latécoère ne seraitplus toulousaine et française, car c’est autour de son engagement per-sonnel que le rachat de l’entreprise par les salariés (RES) a pu se faire, en1989. Depuis, le chiffre d’affaires a quadruplé et les salariés actionnairesont vu leur mise initiale multipliée par quatre et demi lors de la restructu-ration du capital, en 1998. Le groupe Latécoère, qui frôle les huit centsemployés, embauche et est en avance sur son prévisionnel d’activité. Ins-tallée en pleine ville, sur ce site de Périole aménagé dès 1937, la « mai-son » cultive « une identité qui s’appuie sur de fortes racines et un passéprestigieux, une compétence reconnue internationalement et un climat so-cial exemplaire » : la dernière grève date de 1976 et l’entreprise n’a jamaislicencié.Président de la chambre de commerce et de l’institut régional de déve-loppement industriel, M. Junca observe l’environnement économiquetoulousain avec la foi en la permanence de l’aéronautique, et une espé-rance teintée de fatalisme sur l’éventuel développement, ici, du futurgros porteur A-3XX. Malgré la nouvelle dynamique consulaire et sapropre force de conviction, il sait trop que les choix européens ne dé-pendent pas des seules volontés locales.Lui qui « préfère convaincre que se battre », qui « aurait aimé faire de lapolitique, mais [aurait] eu des adversaires, alors [qu’il] aime trop les genspour ça », ne veut s’accrocher à aucun de ses fauteuils. Ménageant sonjardin secret et ne sacrifiant guère aux mondanités, il revendique desbonheurs simples, tels que tous les rendez-vous de l’Orchestre du Capi-tole et le plaisir solitaire du piéton dans la contemplation des façadesd’une ville qui est « unique ». L’ancien petit Catalan arrivé dans le sombreexil de ses parents s’y sent profondément chez lui.

Et si la conquête del’espace, finalement,apparaissait vaine ?L’Etat n’est plus làpour garantirle long terme ;le jeu est européenet, à ce niveaude décision, Toulousene pèse rien

a a a Préserver l’environnement,améliorer l’habitat, contenir ladensification et l’automobile, dé-velopper les équipements cultu-rels de haut niveau deviennentdes objectifs économiquementstratégiques. On jardine la ville,on réhabilite les vieilles maisons,on nettoie les places, on bichonneles quartiers, on construit unedeuxième ligne de métro ; ungrand Stadium pour le football– Toulouse est une des rares villesfrançaises à entretenir une équipede rugby importante et une autrede football ; un nouveau théâtreau cœur de la cité, dirigé parJacques Nichet, après celui du Ca-pitole, que Nicolas Noël a relan-cé ; une salle de concerts dans uneancienne église, en plus de la

Halle aux grains, où se produitl’Orchestre national du Capitolede Michel Plasson ; un Zénith deneuf mille places qui sera ledeuxième de France ; un muséed’art moderne ; une médiathèque.Avec un budget d’environ 4 mil-liards de francs (609,8 millionsd’euros), la municipalité détientune force de frappe conséquente.Surtout si l’investissement reste àbase d’autofinancement plutôtque d’emprunt. La politique fis-cale est devenue l’arme privilégiéedu maire, qui n’hésite pas àconcéder les servitudes au secteurprivé – surtout à Vivendi, re-marque l’opposition. S’ouvrealors le « cercle vertueux » : plusun centime de dettes − Toulouse

est la première grande ville deFrance à s’être exonérée de sesemprunts −, moins d’impôts (maisleur réduction n’empêche pas lataxe d’habitation de demeurerune des plus fortes de France), in-vestissements en hausse − aux-quels participent sans rechigner leconseil général et la région. Dequoi donner confiance aux entre-prises et du bonheur à leur per-sonnel.Cela n’empêche pas les élus degauche et des milieux profession-nels d’estimer que le maire joue« petit bras », qu’il manque degrand dessein pour sa ville en selaissant porter sur les ailes du suc-cès de l’aéronautique. Et si de-main ce secteur, désordre finan-cier aidant, entrait en crise ? Sil’assemblage du gros porteurA-3XX échappait, comme c’estpossible, à la ville au profit deHambourg ? Et si la conquête del’espace, finalement, apparaissaitvaine ? L’Etat n’est plus là pourgarantir le long terme, le jeu esteuropéen et, à ce niveau de déci-

sion, Toulouse ne pèse rien. Cer-tains aimeraient donc élaborer unprojet d’agglomération à l’échelledes soixante communes quicomposent l’aire urbaine et menerune approche concertée. On ac-cuse le maire de bétonner son précarré toulousain. On réclame unevision qui enclencherait une dyna-mique économique collective etprenne à bras-le-corps la questionsociale, les transports, l’aménage-ment de l’espace. « La dette zérone constitue pas une politique pourles générations futures », résumeun élu de l’opposition.Pour la première fois de son his-toire, en tout cas, Toulousesemble avoir pris ses affaires enmain en faisant fructifier les coupsde pouce du destin. Politique-ment, le maire, qui a eu l’avantagede succéder à son père, l’intelli-gence de coller au mouvementsans y perdre la tête et le savoir-faire de le faire savoir, en toucheles dividendes. La ville est plutôtde gauche − François Mitterrandet Lionel Jospin y ont nettement

battu Jacques Chirac aux électionsprésidentielles, de 13 points pourle premier, de 4 points pour lesecond. Elle baigne, par surcroît, dans unenvironnement régional dominépar le PS ; tous les députés de laHaute-Garonne, sauf un, Domi-nique Baudis justement, appar-tiennent à la majorité, de mêmeque la quasi-totalité du conseil gé-néral, dont le président, le socia-liste Pierre Izard, tient résolumenttête à la municipalité, et le conseilrégional, avec aussi un socialiste,Martin Malvy, à sa présidence.Pourtant, le maire, droite modé-rée, est systématiquement rééluau premier tour avec 30 pointsd’écart sur l’opposition de gauche.Seule une écologiste, Marie-Fran-çoise Mendez, parvint, à la sur-prise générale, à le faire trembleraux élections législatives de 1997et le contraignit à un second tourdifficile.

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PATRICE AMEN,PDG des éditions Milan

Un miraculé de la presse laïquea Patrice Amen est un éditeur comblé. En ce débutd’année 1999, son entreprise a vendu pour la pre-mière fois davantage de magazines que BayardPresse, le concurrent de toujours. Quand il s’est lan-cé dans l’aventure de la presse pour enfants, en 1980,le président-directeur général du groupe Milann’avait qu’une simple intuition : « Je sentais qu’ilmanquait une presse laïque dans ce secteur », racontecelui qui se définit comme « un éditeur par voca-tion », et non comme un « industriel » de la presse.La petite entreprise lancée à Toulouse, sans étude demarché mais avec le soutien d’universitaires et despécialistes des sciences de l’éducation, édite désor-mais douze titres, qui sont lus par plus de 2,5 millionsd’enfants et de jeunes, de la maternelle au lycée.Fourmillant de projets, M. Amen s’efforce de surfersur la crête du succès. Il revendique avec fierté d’êtrele premier à éditer un magazine mensuel qui se passetotalement du support papier, diffusé uniquementsur cédérom. Il court aux Etats-Unis chercher desidées et s’enthousiasme d’une voix rapide et ner-veuse pour ces fabricants d’automobiles qui arriventà renouveler leurs modèles en moins d’un an. Tou-jours aussi rétif aux études de marché, il « flaire »

l’air du temps en s’efforçant de conserver la candeurde ses débuts. Il aime reprendre à son compte cetteformule du président Kennedy : « On ne savait pasque c’était impossible, alors on l’a fait. »Avec le recul, M. Amen confesse qu’il ne sait pas s’ilpourrait recommencer un tel « miracle laïque ». Ilconsidère comme une chance d’avoir débuté à Tou-louse, « protégé du milieu parisien de l’édition ». Pro-fondément attaché à sa région, il refuse cependantl’étiquette de « régionaliste ». Ce passionné des Py-rénées a eu sa deuxième intuition gagnante en lan-çant, en 1989, un magazine haut de gamme entière-ment consacré à ce massif. « Les Pyrénées sont mon"parc d’attractions" préféré. Je me suis dit que je ne de-vais pas être le seul », raconte simplement le bouillantPDG pour expliquer le lancement de Pyrénées Maga-zine, dont le succès a entraîné une véritable éclosionen kiosque de la presse dite « de territoire ».M. Amen revendique pour son groupe la place deleader national sur ce secteur et confie qu’il a déposéune soixantaine de titres, alors qu’il n’en exploite quesix. Le pionnier ne veut pas être dépossédé de son fi-lon, même s’il a déjà la tête ailleurs : son intuition leguide cette fois du côté du multimédia...

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VIII / LE MONDE / MERCREDI 10 MARS 1999 T O U L O U S E

L’ogre automobile n’est pas parvenu à défigurer l’entrelacs de petites rues vagabondes du centre-ville – ici, la rue des Filatiers –, entre Garonne et boulevards.Les transports en commun mettent la plupart des quartiers à quelques minutes du centre. Les samedis, la ville et ses vieilles artères sont dévolues aux familles.

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LeMonde Job: WPA1199--0009-0 WAS SPA1199-9 Op.: XX Rev.: 09-03-99 T.: 09:07 S.: 111,06-Cmp.:09,10, Base : LMQPAG 08Fap:100 No:0229 Lcp: 700 CMYK

LE MONDE / MERCREDI 10 MARS 1999 / IXT O U L O U S E

P O R T R A I T S

Le projet du Grand Mirail devait dessiner le Toulouse du troisième millénaire, moderne, jeune, actif et convivial.Aujourd’hui, le quartier de la Reynerie compte, en moyenne, deux fois plus de chômeurs et de RMistes que le reste de la ville.

P O R T R A I T S

BERNARD BERTHUIT,prêtre

Un poète apostolique engagé

L’« eurocité »rattrapéepar la crisea a a La chance a cependant sonrevers. Le développement, centréquasi exclusivement sur les activi-tés de pointe − nulle part ailleurson ne trouve une telle concentra-tion de matière grise –, laisse enchemin une arrière-garde de plusen plus nombreuse. Les « non for-més », les « sous-formés », les« trop vieux » ou les « pas assezperformants », les licenciés deplus de quarante ans et les sans-diplôme, les chômeurs au longcours, beaucoup de ceux qu’at-tirent les lumières de cette villeapparemment si active ne sont pasjugés aptes à intégrer les rangsd’entreprises qui exigent de la ma-tière grise calibrée, du « pointu »,de la formation ad hoc, du rende-ment immédiat. Pas de la sueur etdu muscle. D’où viennent-ils ? Lesgros bataillons sont issus des cam-pagnes environnantes où l’agri-culture et les filières de l’agroali-mentaire déclinent alors qu’ellesdemeurent la principale source ré-gionale d’emploi – 115 000 en Mi-di-Pyrénées contre 30 000 pourl’aéronautique –, des filières deformation inadaptées, des enfantsde l’immigration, des habitants

ALAIN COSTESprésident de l’Institut national polytechnique

Avocat de la mixité scientifiquea Volubile, enthousiaste, le président de l’Institut national poly-technique (INP), Alain Costes, incarne le scientifique d’une sorte demovida toulousaine. Passionné, virevoltant, il navigue depuis la ca-pitale aéronautique vers les horizons encore nébuleux de la grandesociété d’information et de communication qu’il entrevoit pour leprochain millénaire. Dans l’entrelacs des réseaux satellitaires, il dis-tingue pour la ville rose de nouvelles « briques » et « un desseind’architecte pour l’Europe », à partir des grands noms qui se sontimplantés ici : Matra, Alcatel, Siemens, Motorola... Si, comme l’évo-lution des technologies le laisse présager, l’homme de demain sevoit greffer 500 grammes d’électronique, l’avenir est bien au déve-loppement des « systèmes embarqués » dont ces entreprises sontporteuses.A l’exemple du programme local Mirgas, qui concentre ses re-cherches dans le domaine de l’automobile, « nous devons assurerl’excellence de laboratoires mixtes associant sur un axe précis pendantquatre ans nos universités et des entreprises ». Une demande qui neconcerne pas que les grands groupes, puisque ce programme a déjàprofité à des petites et moyennes entreprises qui peuvent « mutua-liser leurs demandes en recherche et en développement ».La tradition d’ouverture de la métrople toulousaine constitue pourelle un atout, notamment en termes de recrutements et d’em-bauches. De même, pour M. Costes, le monde scientifique ne peutrester en retrait de la société, confiné dans une approche théo-rique, mais doit se situer résolument en acteur du développement.« L’université ne peut pas être seulement un émetteur d’informationsvers l’industrie ; elle doit être à l’écoute. Elle ne doit pas seulementformer des ingénieurs et des docteurs, mais les encourager à devenireux-mêmes des entrepreneurs. Ce qui veut dire, aussi, que l’on ac-cepte le droit à l’échec sur certains projets. »C’est cet esprit qui anime celui qui dirigea le LAAS-CNRS pendantdouze ans. Aujourd’hui, il s’efforce de propager ses concepts de-puis la présidence de l’INP, qui regroupe près de trois mille étu-diants et huit cent cinquante ingénieurs dans douze laboratoires,dans les domaines de l’agronomie, de la chimie, de l’électroniqueet de l’hydraulique. Chaque année, près de quatre cents diplômesd’études approfondies (DEA) ou doctorats y sont délivrés.Pour ce militant du dialogue permanent entre les deux mondes dela recherche et de la production, Toulouse a la chance de posséderla « bonne dimension » : « Ici, le relationnel est facile ; on peut fairese rencontrer des gens qui, ailleurs, se croiseraient. De plus, les indus-triels trouvent toutes les formations pour leur personnel. » Avec sonverbe facile, sa faconde occitane du natif de Blagnac, où il résidetoujours, M. le président, à soixante ans, veut se garder de la « phi-losophie » et des « grands discours ». Il continue toutefois à en-seigner à mi-temps dans ce domaine qui le passionne : la sûreté defonctionnement, la fiabilité des logiciels.

Le fossé se creuseentre les gagnantset les perdants.L’expansionéconomique des unsn’entraîne pasl’ascension socialedes autres.La misère cohabiteavec la high-tech

des petites villes ou des grosbourgs où le travail a disparu.Victime de son succès et de sa ré-putation, Toulouse se retrouvedans la position d’une force d’at-traction incapable de tenir sespromesses. L’équation est impi-toyable : du côté de la région, àquelques exceptions près, les em-plois manquent ; du côté de la mé-tropole, les emplois créés sonttrop qualifiés. Le déséquilibre del’offre d’emplois par rapport à lademande est flagrant. Toulouse nepeut offrir du travail à tous ceuxqui frappent à sa porte, même sielle conserve un potentiel publicencore puissant, dans les hôpi-taux, à La Poste, à la SNCF, à lamairie. Conséquence paradoxale :c’est à Toulouse que le taux dechômage est le plus élevé de la ré-gion. En 1998, le nombre de de-mandeurs d’emploi a augmentéde plus de 1 % en Haute-Garonnealors qu’il baissait de près de 5 %en France. Depuis dix ans, le ryth-

me annuel de création d’emploisdans l’agglomération est de 1 %, cequi n’a pas empêché le chômagede passer de 10 % à 14 % sur cettepériode. L’épicentre du développement dé-limite un registre trop étroit. Larévolution dite informationnelleest propre, compétitive et à fortevaleur ajoutée. Mais ellecomporte un inconvénient ma-jeur : elle s’opère avec des ma-chines à exclure le boulot. Pour-rait-il en être autrement ? De cepoint de vue, Toulouse faitcomme les autres métropoles.C’est désormais une ville modernequi, pour survivre dans la compé-tition mondiale, est amenée à sepasser de plus en plus d’une main-d’œuvre qui n’a que ses bras àoffrir.

Le fossé se creuse entre les ga-gnants et les perdants. A l’est de laville se dresse l’orgueilleuse et trèscourue Cité de l’espace, qui pointeune réplique d’Ariane vers lescieux. A l’ouest, du côté du Mirail,c’est presque la cité interdite. Lecontraste est d’une violence fla-grante dans un quartier comme laReynerie, là où les affrontementsde décembre 1998 furent les plusdurs. Le quartier compte, enmoyenne, deux fois plus de chô-meurs et de RMistes que le restede la ville : des jeunes pour la plu-part, dont beaucoup ont un cursusscolaire honorable et, contraire-ment à ce qu’il est trop facile decroire, ne demandent qu’à travail-ler. A quelques centaines demètres des immeubles, de l’autrecôté du boulevard, sur la zone de

Basso-Cambo, se dressent lesbuildings de verre et d’acier dequelques-uns des principaux fleu-rons de l’électronique mondiale.Des citadelles inexpugnables pourles jeunes de la Reynerie. On yembauche des spécialistes decomposants de puissance et decapteurs chimiques, ce qu’ils nesont évidemment pas.L’expansion économique des unsn’entraîne pas l’ascension socialedes autres. La misère sociale coha-bite avec la high-tech. Le boule-vard Eisenhower – la « Silicon Val-ley » toulousaine – traversecomme une lame de métal froiddes quartiers en voie de ghettoïsa-tion.

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TONY CARMENpatron du Café des abattoirs

Un fumet de tradition républicainea Les abattoirs ont fermé. Leur café est resté. Au débutdes années 50, tueurs et chevillards avaient pris l’habi-tude de traverser le boulevard pour commencer leurjournée dans ce bistrot, avant d’y revenir, sitôt les pre-mières bêtes abattues, pour de solides casse-croûte. Dès4 heures, Joachim Carmen, les accueillait et servait lespremiers cafés-rhum dans la salle où fumait le poêle.Puis, son épouse, Magdalena, fin cordon bleu, mettaitses plats à mijoter et cuisinait les abats ou les pièces deviande fraîche que les hommes apportaient en s’étant« payés sur la bête ». Dans ces heures improbables où lespremières lueurs du jour disputaient l’ombre aux brumesdu fleuve, les noctambules et les maquignons en blouses’attablaient de concert.C’est dans ces ambiances chaleureuses que la familleCarmen s’est construit la belle renommée que leur filsTony perpétue aujourd’hui, dans le registre de la brasse-rie, avec ses « agaceries tripières », ces « plats canailles »et une des meilleures viandes de Toulouse. Ses parentsétaient arrivés là en 1956, au terme du périple entaméavec la retirada des républicains espagnols chassés par lefranquisme. Lui venait de Saragosse, elle de Santander.Les Carmen passèrent d’abord par Cahors. C’est là, dans

le maquis, que Joachim devint « Tony », pseudonyme re-pris depuis, avec fierté, par son fils. Au lendemain de laguerre, après un passage dans des carrières de Norman-die qui lui permit de constituer le pécule nécessaire àl’achat d’un petit café à Paris, rue de Charonne, le couplereprit la direction du Sud, pour s’installer dans ce Cafédes abattoirs.Rebaptisée Chez Carmen par un bouche-à-oreille em-preint de considération, l’adresse fit bientôt référence et,sans l’avoir jamais dit, Joachim en fut très fier au soir desa vie, en 1981. En plus de quarante ans, le décor n’aguère changé : il faut toujours traverser la cuisine pours’attabler dans l’arrière-salle, où on a pu croiser, parfois,Lionel Jospin. Dans ce quartier, dit populaire, de Saint-Cyprien, il n’y a plus d’abattoirs depuis quinze ans et plusde gamins qui jouent à l’intérieur, plus de Gitans quicampent et jouent de la guitare sur la rive gauche de laGaronne : « Le quartier a perdu son âme », constate TonyCarmen. Autour des petites tables aux nappes en Vichy,les vedettes du rugby et du show-biz ont pris la relèvedes tueurs et des chevillards ; la manzanilla du soir aremplacé le rhum matinal et, si l’on sert toujours à midiet tard dans la nuit, il est prudent de réserver.

a Il y a du poète dans ce curé qui préfère écrire des histoires quedes sermons. Dans le presbytère de son église Saint-Nicolas, Ber-nard Berthuit met la dernière main à son « évangile du farfadet ».Son éternel mégot de tabac gris à la bouche, il lit quelques pas-sages du texte à haute voix avant de les enregistrer dans unepièce du presbytère, transformée en studio. Vingt-cinq épisodesseront bientôt diffusés sur les ondes de Présence FM, la radiodiocésaine dont il est le père fondateur. Si l’antenne est désor-mais intégrée au réseau national des radios catholiques, le PèreBerthuit a pris ses distances avec les studios aménagés dansl’église de la Daurade, sur l’autre rive de la Garonne, préférantdemeurer producteur artisanal et communicant impénitent de-vant l’Eternel.« La poésie ne doit pas seulement se lire, mais aussi se raconter »,proclame le prêtre prosateur. En vertu de quoi, il multiplie lesécrits radiophoniques inspirés de la Bible, source principale etinépuisable de sa propre inspiration poétique. L’homme des mi-cros est fondamentalement un homme du livre. Sa vieille im-primerie l’a suivi dans son déménagement transfluvial. Elle sertnotamment à éditer une publication locale qui tient plus du jour-nal de quartier que du bulletin paroissial.Le profane n’effraie pas ce curé de terrain qui se sent bien àSaint-Cyprien : l’ancien faubourg populaire lui rappelle ses ra-cines ouvrières. Il encourage le couple de jeunes auquel il a confiél’imprimerie à se lancer dans la production de bornes interactiveset de CD-ROM, transformant le presbytère de Saint-Nicolas enpépinière d’entreprises. La grande maison qui jouxte l’église estaussi connue des sans-domicile-fixe du quartier, qui savent ytrouver toujours écoute et assistance. « Je me sens frère de tousceux que je rencontre », revendique le Père Berthuit, qui cite Em-manuel Mounier pour expliquer ses engagements tous azimuts :« Un prêtre, ça doit créer du prochain. » Et quand il sent qu’il au-rait besoin d’un peu de tranquillité dans ce grand presbytèretransformé en ruche ouverte à tous, ce Lozérien exilé va cultiverson jardin : « Pour me rappeler mon origine et ma destinée. »

Page 10: aaaaaaaaaaa SUPPLEMENT - scholar.lib.vt.edu · Mais l’avion tomba du ciel. Tou-louse ... pointe de la performance. Il y eut l’AŁropostale, LatŁcoŸre, la Cara-velle et le ...

LeMonde Job: WPA1199--0010-0 WAS SPA1199-10 Op.: XX Rev.: 09-03-99 T.: 09:08 S.: 111,06-Cmp.:09,10, Base : LMQPAG 08Fap:100 No:0230 Lcp: 700 CMYK

X / LE MONDE / MERCREDI 10 MARS 1999 T O U L O U S E

La beauté tranquille d’une ville ayant échappéaux fractures et aux hystéries collectives.

La prochaine étape est peut-être déjàen route : elle passe par le décrochagedéfinitif des quartiers « difficiles ».S’il s’agit encore de vivre ensemble,c’est seulement entre gens du même monde.Retour au fonctionnement tribal, en somme

L’« eurocité »rattrapéepar la crisea a a Le phénomène n’est pas cir-conscrit à quelques banlieues loin-taines et oubliées. Il est inscrit dansle périmètre même de la ville. Lesdeux mondes se font face. Multina-tionales florissantes, grands groupesde l’aéronautique et du spatial, PMEde haute précision, d’un côté ; ex-clus, chômeurs, RMistes, sans-droitsqui ressassent leur frustration etleur colère, de l’autre. Et la secondecatégorie, au lieu de se résorberprogressivement, ne cesse d’enflerdangereusement.Tant et si bien que, contrairement àce que son centre très rupin pourraitlaisser penser, Toulouse n’est passeulement une ville riche.Riche, elle l’est assurément. La sur-face commerciale est en moyenne laplus forte des villes de France ; cinqcents enseignes cherchent à s’instal-ler dans la ville ; l’impôt sur la for-tune collecté sur la région provient à60 % de l’agglomération. Mais c’està Toulouse qu’il y a aussi le plus delogements sociaux du département(64 %), que le chômage est le plusfort, que les RMistes se concentrent(70 % du département), que 14 %des familles vivent avec le minimumsocial et qu’on compte, selon Méde-cins du Monde, mille cinq cents àdeux mille sans-domicile fixe. Au to-tal, le revenu moyen imposable parfoyer fiscal de Toulouse est le plus

faible de toutes les communes del’agglomération. Riches-pauvres :on n’échappe pas au face-à-face.C’est celui qui embrase la plupartdes convulsions de l’histoire.Les émeutes du Mirail apparaissent,dès lors, comme l’aboutissement dece mécanisme impitoyable. Déclen-chées à la faveur de circonstancesdramatiques, elles sont essentielle-ment dues, sur le fond, à une rup-ture de l’équilibre social de la ville.Tout semblait pourtant avoir ététenté. L’action de la municipalité àtravers sa politique de développe-ment social des quartiers, conduitepar Françoise de Veyrinas, adjointe

(UDF) au maire, les politiques suc-cessives de la ville à l’échelle natio-nale, le travail de fourmi des asso-ciations, la bonne volonté debeaucoup avaient convergé pourconcentrer énormément d’efforts− et d’argent − sur ces quartiers afinqu’ils redeviennent « ordinaires ».Par souci d’intégration, la mairie dé-cida de faire passer la première lignede métro à Bagatelle, à la Reynerie,à Bellefontaine. Toulouse s’étaitmême vu décerner un brevet

d’exemplarité en matière de préven-tion. Rien n’y a fait. Sans doute au-rait-il été possible de faire encoreplus, d’avoir une attitude plusproche, une écoute moins distan-ciée. Mais personne, parmi les ac-teurs locaux ou nationaux, n’a puapporter l’essentiel : du travail. Cesquartiers sont devenus le symbolede l’impuissance publique.La prochaine étape est peut-être dé-jà en route : elle passe par le décro-chage définitif des quartiers « diffi-ciles », un divorce social qui exige laséparation « physique » des popula-tions. C’est-à-dire une négation duprincipe même de la ville, fondé sur

la mixité des classes, des généra-tions, des origines et des activités.La leçon du Mirail a été tirée parbeaucoup, et pas seulement par deshabitants de ces quartiers. Des Tou-lousains cherchent à quitter la ville,mus par un sentiment d’insécuritégrandissant. Beaucoup évoquentces « bandes » qui s’attaquent dé-sormais sans vergogne au centrehuppé, opérant par raids audacieuxet violents. Alors, certainscommencent à s’installer ou

pensent à s’établir dans des péri-mètres « sécurisés ». Les promo-teurs immobiliers de l’aggloméra-tion sont de plus en plus saisis dedemandes de résidences qui, àgrand renfort de grilles, d’alarmes,de gardiens, de caméras et de codes,permettent à leurs locataires ou àleurs propriétaires d’échapper à leurpeur. A l’intérieur de l’enceinte ré-sidentielle, la plupart des servicesqu’offre traditionnellement la villesont disponibles. Le concept devraitfaire fureur, comme dans certainesvilles des Etats-Unis. Il n’est plus né-cessaire de sortir, sauf pour travail-ler. La vie s’organise différemment,en vase clos, sans confrontationd’aucune sorte. S’il s’agit encore devivre ensemble, c’est seulemententre gens du même monde. Un re-tour au fonctionnement tribal, ensomme.Cette tendance à l’habitat séparétrouve essentiellement sa sourcedans les couches moyennes supé-rieures, jeunes, possédant un em-ploi qualifié, déjà touchées par latentation de la périurbanisation.Celles, justement, que Toulouse at-tire et sur lesquelles elle fonde sonavenir.Dans ce qui n’est encore qu’une hy-pothèse mais que des sociologuesvoient venir, il n’y aurait plus uneville, avec ses difficultés, ses frac-tures, ses conflits, mais plusieurs mi-crocités autonomes, éloignées desghettos, une succession de villes-ar-chipels dont le seul lien avec la ville-centre demeurerait administratif outouristique. Toulouse, alors, ne se-rait plus Toulouse.

Jean-Paul Besset

CLAUDE TOUCHEFEU,conseillère générale du canton de Toulouse-12

Une hussarde du mouvement sociala L’institutrice a quitté sa classe du Mirail, « à regrets mais pour bienremplir [son] mandat » et, depuis la rentrée scolaire, la nouvelle élue seconsacre à temps plein à son rôle de présidente de la commission desaffaires sociales du conseil général de la Haute-Garonne. A qua-rante ans, Claude Touchefeu veut aller au-delà de sa première victoire,particulièrement symbolique, remportée face à l’ancienne ministreFrançoise de Veyrinas. En déboulonnant ainsi, en mars 1998, une desproches de Dominique Baudis, la jeune militante du PS s’est acquis unedimension qui dépasse les seules limites de ce quartier « difficile »,théâtre électoral de leur rivalité.Pour cette ancienne militante de la Ligue communiste révolutionnaire,jusqu’en 1993, présente sur la liste « plurielle » aux élections munici-pales de 1995, au titre du quota « Vraiment à gauche », l’action socialene peut être un gadget, pas plus que sa présidence un alibi du systèmelocal. « Je suis une militante du mouvement social. Si je me suis lancée,c’est par souci d’efficacité et avec la volonté de faire plus que du replâ-trage social. A mon niveau, il y a la dimension départementale – où la ru-ralité compte pour beaucoup – et les problèmes spécifiques au milieu ur-bain. » Sur la première comme sur les seconds, elle s’investit, au nomde la majorité départementale socialiste, « pour la prévention et une ur-gente mise en cohérence des actions », se voulant avant tout « disponible,et opposée personnellement à la logique d’affrontement » dont elle ac-cuse la mairie de Toulouse.Quand elle parle de « son » quartier du Mirail et de ses trente-trois mille habitants, c’est à partir de son expérience d’institutrice, arri-vée là au hasard d’une mutation suscitée par la vie professionnelle deson mari. Meurtrie par la dégradation continue de cette banlieue quin’avait rien d’un ghetto, elle souligne : « Il est encore temps », même si« le découragement a gagné ceux qui ont envie de travailler. Ces dernièresannées, on a vu la violence arriver, on a assisté à la montée des difficultés,scolaires, sociales, affectives. On se demande s’il n’y avait pas une volontéde laisser les choses se dégrader. Pourtant, la mixité sociale existe encore,mais la parole collective ne se construit pas ».Dans le climat actuel d’extrême tension, l’élue-militante attend le mi-nistre de la ville « sur la lutte contre les discriminations – à l’embauche etdans les boîtes de nuit – et sur le développement de la démocratie locale ».Attentive à toutes les interrogations, elle comprend et soutient la de-mande d’un commissariat de quartier, « car la loi n’est pas assez mar-quée dans les quartiers ». Mais en n’oubliant pas de réclamer des poli-ciers « irréprochables », qu’elle est certes d’accord « pour entendre »,mais comme elle réclame une même attention à tous ceux qui viventici. En simple institutrice autant qu’en conseillère générale « Avoir étéinstit, c’est ce qui me porte... Mais c’est ce qui m’inquiète. »

Portraits réalisés par Jean-Pierre Barjou,Véronique Mortaigne et Stéphane Thépot

ZEBDA,groupe musical multiculturel

Militants du « tajine-cassoulet »a Zebda (beurre en arabe) est né d’un mouvement de résistance en-thousiaste, en 1985, dans le quartier des Izards, au nord de Toulouse.C’est là que Magyd Cherfi, l’un des chanteurs du groupe, avait fondé, ily a plus de quinze ans, l’association Vitécri afin d’aider les jeunes desIzards, mais aussi des trois cités voisines, Bourbaki, le Fronton et Né-greneys, à vivre sans délinquance et à se trouver des loisirs : cinéma enplein air, musique, bals populaires, festivals – Ça bouge au nord, crééen 1990, éteint après quatre éditions remuantes, et dont la devise était« Il y en a qui font semblant, et d’autres qui font sans blé » –, repas collec-tifs.Zebda fut d’abord classé rock alternatif – avec du rap, du raï et du reg-gae –, bien avant de porter l’étendard de la France pluriethnique auxVictoires de la musique 1999, aux côtés du rappeur de Sarcelles d’ori-gine cap-verdienne Stomy Bugsy ou des « trois ténors du raï », Khaled,Faudel et Rachid Taha, et d’y donner une version melting-pot de Sud,chanson de Nino Ferrer, mort en 1998. Jeunes d’origine maghrébine,Toulousains du cru, Espagnols par héritage : les Zebda représentent ladiversité culturelle de la ville. Issu du militantisme de quartier, le groupe, professionnel depuis 1989,n’a pas renié sa trajectoire. Il s’engage dans la lutte antiraciste, anti-Front national, anti-intégriste, aux côtés de militants appartenant àl’extrême gauche, signifiant ainsi, comme le rappelle Mustapha Amo-krane, son respect pour cette forme de courage politique au quotidienqu’est le militantisme. Fondée en 1997 par les trois membres kabyles dugroupe, Magyd, Hakim et Mustapha, l’association Tactikollectif ad’abord été chargée d’organiser une fête pour les sans-papiers, avantd’être le maître d’ouvrage d’un album de reprises de chants révolution-naires, Motivés. Le recueil, dans lequel on trouve Le Chant des partisans« relooké » banlieue, mais aussi L’Estaca du Catalan Lluis Llach, LeTemps des cerises ou La Cucaracha, a été enregistré par Zebda et une di-zaine d’artistes amis toulousains, et parrainé par la Ligue communisterévolutionnaire (LCR). Les débuts confidentiels du disque n’ont pasempêché son succès : le refrain de Motivés, devenu un classique dans lesmanifestations, fut repris, fin 1998, par un Olympia parisien survolté.Des albums au succès croissant (L’Arène des rumeurs, Le Bruit et l’Odeur,où l’on entend la fameuse diatribe de Jacques Chirac, et Essence ordi-naire), des centaines de concerts – dont une tournée Tati à 9,90 francsl’entrée – construisent l’identité musicale de Zebda. Ces rois du « ta-jine-cassoulet » sont aussi les héritiers du pays occitan pour la musique,souligne Rémi Sanchez (claviers, accordéon). Les Zebda ne décolèrentpas devant les politiques qui prennent en marche le train de l’intégra-tion, « qui n’a pas attendu la Coupe du monde de foot pour se faire dansles quartiers ». « Toulouse, dit encore Rémi Sanchez, est culturellementbouillonnante, parce qu’elle a un côté paysan, rural, avec une forteculture politique de gauche, qu’elle est la deuxième ville étudiante deFrance et qu’elle est urbaine. »

P O R T R A I T S


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