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ANALELE UNIVERSITĂŢII DIN CRAIOVA -...

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1 ANNALES DE L'UNIVERSITÉ DE CRAÏOVA ANNALS OF THE UNIVERSITY OF CRAIOVA ANALELE UNIVERSITĂŢII DIN CRAIOVA SERIA ŞTIINŢE FILOLOGICE LANGUES ET LITTÉRATURES ROMANES AN XVII, Nr.1, 2013 EDITURA UNIVERSITARIA
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ANNALES DE L'UNIVERSITÉ DE CRAÏOVA

ANNALS OF THE UNIVERSITY OF CRAIOVA

ANALELE UNIVERSITĂŢII

DIN CRAIOVA

SERIA ŞTIINŢE FILOLOGICE

LANGUES ET LITTÉRATURES ROMANES

AN XVII, Nr.1, 2013

EDITURA UNIVERSITARIA

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ANNALES DE L'UNIVERSITÉ DE CRAÏOVA

ANNALS OF THE UNIVERSITY OF CRAIOVA

ANALELE UNIVERSITĂŢII

DIN CRAIOVA

Numéro thématique

(In)former pour transformer

SERIA ŞTIINŢE FILOLOGICE

LANGUES ET LITTÉRATURES ROMANES

AN XVII, Nr.1, 2013

EDITURA UNIVERSITARIA

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ANNALES DE L'UNIVERSITÉ DE CRAÏOVA 13-15, Rue A.I. Cuza Craïova, Roumanie

Tél./fax: 00-40-251-41 44 68 E-mail: [email protected]

........................................................................................................................ La revue s’inscrit dans les publications prévues dans les échanges en

Roumanie et à l'étranger Double Blind Review

Sheer Peer Review .......................................................................................................................... Directeur de publication: TROCAN Lelia Coordination scientifique: ALEXANDRE Didier (Université de Paris Sorbonne - France) BOURGEOIS René (Université Grenoble - France) DUBOIS Claude-Gilbert (Université Michel de Montaigne 3 Bordeaux –France) FRERIS Georges (Université Aristote de Thessalonique - Grèce) GONTARD Marc (Université Rennes 2 - France) GRANNIER Danièle Marcelle (Université de Brasilia - Brésil) ILIESCU Maria (Leopold-Franzens-Universitat - Innsbruck - Autriche) INAL Tugrul (Université Hacetteppe - Ankara - Turquie) IOANNOU Yiannis (Université de Nicosie - Chypre) KERBRAT - ORECCHIONI Catherine (Université Lyon 2 – France) LOHKA Eileen (Université de Calgary – Canada) MONTANDON Alain (Université de Clermont-Ferrand - France) PÂNZARU Ioan (Université de Bucarest – Roumanie) PERRY Catherine (Université de Notre Dame, Etats-Unis) PEYLET Gérard (Université Montaigne 3 - Bordeaux - France) PETEGHEM van, Marleen (Charles de Gaulle - Lille 3 - France) SIEWIERSKI Henryk (Université de Brasilia - Brésil) STREHLER René (Université de Brasilia - Brésil) TROCAN Lelia (Université de Craiova - Roumanie) Comité de rédaction: DINCĂ Daniela IONESCU Alice Ileana MANOLESCU Camelia Responsable du numéro: MANOLESCU Camelia

ISSN 1224 – 8150

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Les études publiées dans le présent numéro des Annales de l’Université de

Craïova illustrent la recherche scientifique soutenue des enseignants et des chercheurs roumains et étrangers, des personnalités du monde universitaire, dans les domaines de la littérature, de la linguistique et de la didactique. Les ouvrages ont, à la fois, un caractère théorique et applicatif, révélant les nouvelles tendances dans des domaines de pointe de la recherche (morphosyntaxe, sémantique, pragmatique, théories et pratiques discursives, sociolinguistique, linguistique contrastive et traduction, didactique, discours littéraire francophone, théorie et critique littéraires, poétique et poïétique, production et analyse du texte).

Une large place est également dévolue aux littératures d’expression française contemporaine, à la littérature migrante, les auteurs interrogeant le foyer de la création littéraire: l’acte de l’écriture en son origine, en ses pratiques, en ses enjeux. Ce sont ces aspects que les présentes études déclinent tour à tour: les explications du phénomène littéraire (inspiration, expérience et génie littéraire); les techniques de la création et leur spécificité; le pouvoir de la littérature à préfigurer et donc à réinventer le monde, en procurant à la fois plaisir et connaissance.

Quant aux recherches visées, on y trouve des repères pour que chacun, selon sa curiosité et son goût, puisse mieux situer ses lectures par rapport à l’évolution des relations entre la littérature, la linguistique, les sciences, les beaux-arts, la sociologie, la religion, la société en général, l’état de la langue et l’évolution politique.

Le volume essaie, par conséquent, d’offrir des perspectives permettant au lecteur d’appliquer certaines théories et méthodologies dans la littérature et la linguistique en relation avec les influences et les problèmes qui n’ont cessé de faire vivre, donc, se renouveler, les domaines abordés par les chercheurs.

En raison de la variété et de la profondeur des sujets abordés, ce numéro des Annales offre la chance d’un dialogue fervent et d’un échange fructueux. Il nous reste à remercier tous les chercheurs d’avoir mis au centre de leurs débats les possibilités ouvertes à la recherche par la diversité littéraire et linguistique actuelle, autant d’apports pertinents, créatifs et novateurs.

Lelia Trocan

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Table des matières

Dossier Littérature

Felicia DUMAS, Le traducteur et l’intertextualité ………………………… 14 Tuğrul İNAL, Une lecture dramatique pour Baudelaire (XI), PoésieSymphonique (IV) Un essai Empathique……………………………………

27

Ioan LASCU, La version roumaine du Premier Homme ………………….. 40 Camelia MANOLESCU, Gustave Flaubert, un moderne-précurseur des classiques dans la vision de Irina Mavrodin………………………………..

47

Ioan PÂNZARU, Repenser la narration…………………………………… 59 Antony SORON, Chagrin d’école de Daniel Pennac: déformer l’image stéréotypée du cancre pour la transformer …………………………………

71

Lelia TROCAN, L’altérité déguisée en réalité …………………………….. 82

Dossier Linguistique et didactique du français

Ilona BĂDESCU, L’infinitif roumain du XVIe siècle – origine et particularités ……………………………………………………………..

92

Pierre FOURNIER, L’accentuation des emprunts français en anglais britannique et américain …………………………………………………

105

Daniela DINCĂ, Modalités de transfert des termes culturellement marqués (domaine roumain-français)…………………………………….

130

Ancuţa GUŢĂ, Remarques sur l’organisation sémantique des adjectifs roumains imens et enorm ………………………………………………...

140

Alice IONESCU, L’adverbe franchement et ses équivalents roumains(2). 149 Monica IOVĂNESCU, Anda RĂDULESCU, La résistance en traduction: Une nuit orageuse de Ion Luca Caragiale, adaptée en français par Eugène Ionesco et Monica Lovinesco……………………….

161

Eileen LOHKA, De meilleurs citoyens: apprentissage des langues et littératie culturelle………………………………………………………...

173

Mihaela POPESCU, Quelques observations sur la sémantique des tiroirs canoniques du futur dans les langues romanes…………………………...

187

Gabriela SCURTU, Sur le lexique chromatique en français et en roumain (I)………………………………………………………………..

197

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Comptes-rendus critiques

Valentina RǍDULESCU, Thélème. Revista Complutense de EstudiosFranceses, vol. 27 (2012), Madrid, Publicaciones UniversidadComplutense de Madrid, 443 p. ISSN: 1139-9368 ……………………….

212

Valentina RǍDULESCU, Condei, Cecilia, Éléments de linguistique pour l’analyse discursivo-textuelle, Éditions Universitaria, collection « Études françaises », Craiova, 2011, 207 p. ISBN: 978-606-14-0088-1.

218

Lelia TROCAN, Peylet Gérard, Le musée imaginaire de George Sand: l’ouverture et la médiation, Paris, Librairie Nizet, 2005, 263 p. ………..

220

Lelia TROCAN, Young Lélia, Aquarelles: la paix comme un poème, Montréal, Éditions du Marais, Le Canada, 2006, 66p. ……………………………..

221

Colloques, séminaires et projets de recherche

Ioan LASCU, Le centenaire Albert Camus ……………………………… 224 Elena PÎRVU, Le Symposium international Discorso e cultura nella lingua e nella letteratura italiana, Craiova, les 20-21 septembre 2013.....

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Content

Literature

Felicia DUMAS, The Translator and the Intertextuality………………… 14 Tuğrul İNAL, A Dramatic Reading of Baudelaire (XI), Symphonic Poetry (IV), An Empathic Reading ……………………………………...

27

Ioan LASCU, Romanian Version of The Fist Man by Albert Camus ….. 40 Camelia MANOLESCU, Gustave Flaubert, a modern –classics precursor in Irina Mavrodin’s opinion ………………………………….

47

Ioan PÂNZARU, Rethinking Narration ………………………………... 59 Antony SORON, Chagrin d’école by Daniel Pennac: Deform the Dunce’s Stereotypical Image in order to Transform it ………………….

71

Lelia TROCAN, Alterity Disguised as Identity ………………………… 82

Linguistics and Didactics

Ilona BĂDESCU, The Romanian Infinitive of the XVIth Century - Origin and Features ……………………………………………………………

92

Pierre FOURNIER, Word Stress Assignment of French Loanwords in British English and American English …………………………………

105

Daniela DINCĂ, Procedures Transfer of Terms Culturally Marked (Area French-Romanian) ………………………………………………

130

Ancuţa GUŢA, Notes on Semantic Organization of Romanian Adjectives Imens and Enorm …………………………………………..

140

Alice IONESCU, French Adverb franchement and its Romanian Correspondents ………………………………………………………...

149

Monica IOVĂNESCU, Anda RĂDULESCU, Resistance in Translation: A Stormy Night by Ion Luca Caragiale, Adapted into French by Eugène Ionesco and Monica Lovinesco ……………………

161

Eileen LOHKA, Better Citizens, Better Humans: Language Learning and Cultural Literacy …………………………………………………..

173

Mihaela POPESCU, Some Observations on the Semantics of Future Tense in Romance Languages ………………………………………….

187

Gabriela SCURTU, About Chromatic Vocabulary in French and Romanian (I) …………………………………………………………...

197

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Critical Reports

Valentina RǍDULESCU, Thélème. Complutense de Estudios FrancesesMagazine, vol. 27 (2012), Madrid, Publicaciones UniversidadComplutense de Madrid, 443 p. ISSN: 1139-9368 ……………………….

212

Valentina RǍDULESCU, Condei, Cecilia, Éléments de linguistique pour l’analyse discursivo-textuelle, Éditions Universitaria, collection « Études françaises », Craiova, 2011, 207 p. ISBN: 978-606-14-0088-1

218

Lelia TROCAN, Peylet Gérard, George Sand’s imaginary museum: setting-up and meditation, Paris, Librairie Nizet, 2005, 263 p. …………

220

Lelia TROCAN, Young Lélia, Aquarelles: peace like a poem, Montréal, Éditions du Marais, Le Canada, 2006, 66 p. …………………………….

221

Conferences, seminars and research projects

Ioan LASCU, Le centenaire Albert Camus …………………………… 224 Elena PÎRVU, Le Symposium international Discorso e cultura nella lingua e nella letteratura italiana, Craiova, les 20-21 septembre 2013 ....

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SUMAR

Literatură

Felicia DUMAS, Traducătorul şi intertextualitatea................................... 14 Tuğrul İNAL, O lectură dramatică pentru Baudelaire (XI), Poezia Simfonică (IV) Un eseu Empatic ...............................................................

27

Ioan LASCU, Versiunea românească a romanului Le Premier Homme . 40 Camelia MANOLESCU, Gustave Flaubert, un modern-precursor al clasicilor în viziunea Irinei Mavrodin ......................................................

47

Ioan PÂNZARU, A regândi naraţiunea ................................................... 59 Antony SORON, Chagrin d’école de Daniel Pennac: a deforma imaginea stereotipă pentru a o transforma .............................................

71

Lelia TROCAN, Alteritatea deghizată în realitate .................................. 82

Linguistică şi didactică

Ilona BĂDESCU, Infinitivul românesc din secolul al XVI-lea – origine şi particularităţi ..............................................................................................

92

Pierre FOURNIER, Accentuarea împrumuturilor franceze în engleza britanică şi americană ..............................................................................

105

Daniela DINCĂ, Modalităţi de transfer al termenilor marcaţi cultural (domeniul francez-român) ........................................................................

130

Ancuţa GUŢA, Observaţii asupra organizării semantice a adjectivelor româneşti imens şi enorm .........................................................................

140

Alice IONESCU, Adverbul franchement şi echivalenţii săi româneşti (2) ..............................................................................................................

149

Monica IOVĂNESCU, Anda RĂDULESCU, Rezistenţa în traducere: O noapte furtunoasă de Ion Luca Caragiale, adaptată în franceză de Eugène Ionesco şi Monica Lovinescu .......................................................

161

Eileen LOHKA, Cetăţeni mai buni: ucenicia limbilor şi conştiinţa diferenţei culturale ....................................................................................

173

Mihaela POPESCU, Câteva observaţii despre semantica sertarelor canonice ale viitorului în limbile romanice .............................................

187

Gabriela SCURTU, Despre lexicul cromatic în franceză şi în română (I) ..............................................................................................................

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Recenzii

Valentina RǍDULESCU, Thélème. Revista Complutense de EstudiosFranceses, vol. 27 (2012), Madrid, Publicaciones UniversidadComplutense de Madrid, 443 p. ISSN: 1139-9368 ……………………….

212

Valentina RĂDULESCU, Condei, Cecilia, Éléments de linguistique pour l’analyse discursivo-textuelle, Éditions Universitaria, collection «Études françaises», Craiova, 2011, 207 p. ISBN: 978-606-14-0088-1 ..

218

Lelia TROCAN, Peylet Gérard, Muzeul imaginar al lui George Sand: deschidere şi meditaţie, Paris, Librairie Nizet, 2005, 263 p. ……………

220

Lelia TROCAN, Young Lélia, Aquarelles: pacea ca un poem, Montréal, Éditions du Marais, Le Canada, 2006, 66p. ……………………………..

221

Colocvii, seminarii şi proiecte de cercetare

Ioan LASCU, Centenarul Albert Camus .................................................... 224 Elena PÎRVU, Simpozionul internaţional Discorso e cultura nella lingua e nella letteratura italiana, Craiova, 20-21 septembrie 2013 ....................

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DOSSIER

LITTÉRATURE ET CIVILISATION

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LE TRADUCTEUR ET L’INTERTEXTUALITÉ

Felicia DUMAS Université «Al. I. Cuza» de Iaşi, Roumanie

Résumé Nous nous proposons de réfléchir dans ce travail sur les types discursifs d’intertextualité qui peuvent apparaître dans les textes de théologie orthodoxe et les différentes manières dont le traducteur spécialisé devrait les transposer en langue-cible. Nous faisons référence à notre propre activité de traductrice des textes de cette facture, en analysant quelques formes d’intertextualité et la façon dont nous les avons traduites dans la version roumaine d’un livre récent de théologie orthodoxe, Certitude de l’Invisible. Éléments de doctrine chrétienne selon la tradition de l’Église Orthodoxe, rédigé en langue française par le père archimandrite Placide Deseille. Il s’agit de l’étude des techniques que nous avons employées pour traduire en roumain les références bibliques, patristiques et liturgiques présentes dans ce livre en tant que formes explicites d’intertextualité, et les allusions, implicites et/ou implicitées.

Abstract The Translator and the Intertextuality In this paper I purport to reflect upon the discoursive types of intertextuality which may occur in Orthodox theology texts, and the various ways in which the specialized translator should render them in the target language. I rely on my own activity of translating texts of this kind, analysing a few forms of intertextuality and the way in which I translated them in the Romanian version of a recent work of Orthodox theology, Certitude de l’Invisible. Éléments de doctrine chrétienne selon la tradition de l’Église Orthodoxe (The Certainty of the Unseen. Elements of Christian Doctrine according to the Tradition of the Orthodox Church), written in French by Archimandrite Placide Desseille. I tackle the study of the techniques I used in order to translate into Romanian Biblical, patristic and liturgic references in this book, as explicit forms of intertextuality and implicit or implied references.

Mots-clés: traducteur spécialisé, intertextualité, Orthodoxie, références bibliques, références patristiques, Liturgie. Key words: specialized translator, intertextuality, Orthodoxy, Biblical references, patristic references, Liturgy.

1. Liminaire Nous nous proposons d’étudier dans ce travail les différentes manières

dont le traducteur des textes de théologie orthodoxe doit résoudre, pour ses

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lecteurs, le problème complexe de l’intertextualité au niveau de sa pratique traduisante. Nous faisons référence à notre propre activité de traductrice de ce type de textes, en analysant les différentes formes d’intertextualité et la façon dont nous les avons traduites dans la version roumaine d’un livre récent de théologie orthodoxe, Certitude de l’Invisible. Éléments de doctrine chrétienne selon la tradition de l’Église Orthodoxe, rédigé en langue française par le père archimandrite Placide Deseille (Deseille 2013).

L’intertextualité, que nous comprenons ici dans l’acception de Genette comme une «relation de coprésence établie entre deux ou plusieurs textes, par la présence effective de l’un dans l’autre» (Genette 1982: 7), se retrouve dans la plupart des travaux de théologie orthodoxe dans deux grands cas de figure: (intertexte) biblique et patristique. Dans le livre que nous avons traduit, nous en avons relevé un troisième, liturgique, dû à la nature particulière de son contenu, qui joint la théologie à la spiritualité, se rapportant notamment à la doctrine orthodoxe et moins aux dogmes de l’Orthodoxie.

Nous avons donc rencontré dans ce livre des références bibliques, patristiques et liturgiques, en tant que formes explicites d’intertextualité, ainsi que des allusions, implicites et implicitées. Par référence biblique, nous comprenons ici la présence explicite d’une citation de la Bible, de l’Ancien ou du Nouveau Testament, dans le livre Certitude de l’invisible. De la même façon, par référence patristique, nous allons comprendre la citation d’un passage de longueur variable d’un auteur patristique, accompagné de la mention de la source citée, dans le texte même du livre analysé. Enfin, par référence liturgique, on comprendra la présence effective d’un fragment de dimensions variables d’un texte (ou d’une prière) liturgique dans le même livre de théologie étudié. Les allusions, bibliques, patristiques et liturgiques représentent un type particulier d’intertextualité qui suppose la présence implicite, suggérée par certains syntagmes ou petits fragments, d’images et/ou de textes bibliques, patristiques ou liturgiques, censés être reconnus par les lecteurs et déclencher donc dans leurs esprits des connaissances préalables (Dumas 2012: 171).

2. S’informer pour informer et transformer Tout traducteur est avant tout le premier lecteur du texte qu’il se propose

de traduire. Un lecteur privilégié, qui a accès à sa forme d’origine, grâce à la connaissance des deux langues au niveau de l’acte traductif: la langue-source, de sa rédaction (dans notre cas, le français), et la langue-cible, de sa version (le roumain). Nous avons parlé ailleurs des compétences particulières que doit posséder ce type de traducteur, de nature à la fois linguistique et théologique (Dumas 2008). En plus, dans le cas idéal, il s’agit de quelqu’un qui est concerné, par le paradigme de la foi étant plutôt ancré dans «l’actualité»1 de l’Orthodoxie. Sa démarche traductrice est engendrée par l’intérêt manifesté à l’égard de la problématique traitée par le livre qu’il décide de traduire, et/ou par la personnalité

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de son auteur. Ces deux motivations ont sous-tendu également notre initiative de traduire ce livre en roumain.

Moine athonite d’origine française, le père archimandrite Placide Deseille est l’un des plus grands théologiens orthodoxes contemporains, spécialiste en patrologie et en spiritualité monastique. Le livre que nous avons traduit en roumain aux éditions Doxologia de la Métropole de Moldavie et de Bucovine résume toute sa pensée en matière de contenus doctrinaires de l’Orthodoxie2. C’est un ouvrage de théologie, à la fois très rigoureux et très clair, profondément ancré dans la spiritualité chrétienne orthodoxe, qui met en lumière également la richesse des aspects doctrinaires de l’Église indivise et les valeurs spirituelles authentiques de l’Occident chrétien, notamment de la France. Il vise un public francophone désireux de connaître l’Orthodoxie, qui doit avoir toutefois une culture chrétienne minimale. La présence massive des références et des allusions bibliques dans le texte suggère une complicité entre l’auteur et le lecteur qu’il envisage, censé avoir une culture biblique (et religieuse) de base.

Le traducteur d’un tel ouvrage doit faire preuve d’une initiation complexe, biblique, patristique et liturgique, autrement dit des compétences théologiques et spirituelles qui lui permettent une bonne traduction des références de cette nature en langue roumaine. Ou bien, en d’autres termes, pour la réussite de son travail, il doit être informé sur ce type d’intertextualité. Cette information ne s’arrête pas avant la traduction, mais se poursuit aussi pendant l’acte traduisant, étant continuelle et permanente. Son principal objectif est celui d’informer le lecteur de sa version roumaine des aspects doctrinaires de l’Orthodoxie à travers une bonne transposition en langue-cible des références bibliques, patristiques et liturgiques qui apparaissent en langue-source. Une bonne transposition suppose le fait de trouver et de mentionner dans sa version les équivalences exactes, traditionnellement et culturellement reconnues en langue roumaine «orthodoxe», pour les citations de l’Ancien et du Nouveau Testament, les différents écrits patristiques et les divers offices liturgiques de l’Église (implicitement orthodoxe). Cette information tranforme le lecteur de sa version en quelqu’un d’initié en matière des versions roumaines des plus grands auteurs patristiques, de l’ancrage biblique fondamental de la doctrine chrétienne de l’Orthodoxie, ainsi que de plusieurs fragments liturgiques, employés dans la pratique religieuse de l’Église. Pour les intellectuels qui lisent ce livre par intérêt manifesté à l’égard de ses contenus théologiques, cette transformation se traduit en termes d’enrichissement doctrinaire, théologique; le public intéressé par le contenu spirituel du livre, concernant le progrès dans la perfection et la divinisation des chrétiens, subit à son tour une transformation, qui prend la forme d’un profit spirituel.

3. Le traducteur à l’œuvre, face à l’intertextualité La traduction des références bibliques ne pose en général aucun problème

aux traducteurs spécialisés, et il est très facile de trouver en langue roumaine les équivalences des fragments bibliques cités par le père archimandrite Placide

Page 17: ANALELE UNIVERSITĂŢII DIN CRAIOVA - cis01.central.ucv.rocis01.central.ucv.ro/litere/activ_st/lrl/online_journal/Annales_LLR_2013.pdf · 1 annales de l'universitÉ de craÏova annals

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Deseille dans son livre. Il suffit de les chercher dans la version dite synodale de la Bible, reconnue par l’Église orthodoxe de Roumanie, étant imprimée avec la bénédiction du Saint-Synode. Cette traduction roumaine de la Bible est reconnue également par les lecteurs des traductions des textes de théologie et de spiritualité orthodoxe, où elle est employée presque exclusivement3.

Il en est de même pour les références patristiques. Le traducteur spécialisé (des textes religieux orthodoxes) se doit de les chercher dans les versions roumaines consacrées des écrits des Pères de l’Église cités dans le livre français, pour les insérer ensuite dans sa traduction. Ce «devoir» conditionne la reconnaissance de son travail en tant qu’inscrit dans la tradition de la littérature roumaine religieuse orthodoxe. Cette recherche représente un fait un véritable repérage culturel, qui suppose une initiation réelle du traducteur dans le domaine de la littérature patristique. Les différents écrits des Saints Pères, cités par le père archimandrite dans son livre, ont été traduits en langue française dans quelques rares ouvrages collectifs4, dans la collection «Sources chrétiennes» des éditions du Cerf, aux éditions de l’abbaye Bellefontaine, dans la collection «Spiritualité orientale»5 ou aux éditions des monastères Saint-Antoine-le-Grand et de Solan6, ou bien ils n’ont pas été traduits du tout. Dans ce dernier cas, l’auteur français les traduit dans son livre directement du grec, tout en précisant la source de sa traduction, représentée en général par la Patrologia greacǎ, publiée par Jacques Paul Migne. En langue roumaine, ces écrits ont été traduits et publiés par le père Dumitru Stǎniloae dans les douze volumes de la Philocalie, par le même théologien roumain et par d’autres dans la collection «Pères et écrivains ecclésiastiques» des éditions de l’Institut Biblique et de la Mission de l’Église Orthodoxe roumaine, et très rarement ailleurs, dans d’autres maisons d’éditions, en général religieuses. C’est au niveau de ce dernier corpus que doit savoir s’orienter le traducteur spécialisé de textes religieux orthodoxes, afin de pouvoir repérer les versions roumaines des références patristiques présentes dans le livre qu’il traduit; lorsqu’elles existent. Dans le cas contraire, c’est à lui de proposer une première traduction en roumain des fragments en question, du français, langue dans laquelle les a traduits déjà le père archimandrite dans son livre de théologie, ou d’autres traducteurs français.

Ce sens d’orientation, qui est le résultat d’une initiation préalable, donc d’un long processus d’information et de formation du traducteur, l’aide à se rendre compte des différentes correspondances qui existent entre les deux cultures, roumaine et française, au niveau des options éditoriales et traductologiques en matière des traductions des textes patristiques. Nous ne mentionnerons que deux exemples. La version française du Discours catéchétique de saint Grégoire de Nysse est publiée dans la collection «Sources chrétiennes»: SC 453, référence mentionnée par le père archimandrite Placide Deseille dans son livre (Deseille 2012: 117). En langue roumaine, il a été traduit sous un titre légérement différent, mais assez facile à repérer, Marele cuvânt catehetic, par le père Teodor Bodogae dans un volume collectif intitulé Écrits exégétiques, dogmatiques-polémiques et moraux: Scrieri exegetice, dogmatico-polemice şi morale, traducere şi note de pr.

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prof. dr. Teodor Bodogae, Editura Institutului Biblic şi de Misiune al Bisericii Ortodoxe Române, Bucureşti, 1998.

L’écrit de saint Jean Damascène De fide orthodoxa, cité dans le livre français de la Patrologia greaca (Deseille 2012: 170), a été traduit dans la culture roumaine avec le titre La Dogmatique, par le père Dumitru Fecioru: Sfântul Ioan Damaschin, Dogmatica, traducere, introducere şi note de preot D. Fecioru, Editura Institutului Biblic şi de Misiune al Bisericii Ortodoxe Române, Bucureşti, 2005.

Cette initiation dans l’identification des versions roumaines des textes patristiques doit fonctionner également pour les noms de certains auteurs chrétiens moins connus, qui apparaissent dans le livre Certitude de l’Invisible sous leur forme francisée. Nous mentionnerons deux exemples également, à savoir Hésychius de Batos et Nicétas Stéthatos. Ces noms ne doivent aucunement être transcrits tels quels en roumain, puisqu’ils ne sont pas français; le traducteur doit s’informer pour trouver leurs formes «roumaines», consacrées justement par leur emploi dans des traductions patristiques: Isihie din Batos et, respectivement, Nichita Stithatul. Afin de les identifier, il doit savoir mettre en relation le premier avec la spiritualité philocalique, et le deuxième, avec la personnalité de saint Syméon le Nouveau Théologien, dont il a été le disciple et le biographe.

En principe, tout traducteur est libre de choisir s’il va reproduire ou non dans le texte de sa traduction les versions déjà existantes dans la langue-cible des fragments d’ouvrages traduits donc avant lui, présents dans le texte-source en tant que formes d’intertextualité. En général, c’est le prestige culturel et la notoriété de son prédécesseur qui le poussent à le faire, ainsi que la qualité de sa version, qu’il reconnaît ainsi de façon implicite. Dans le domaine des traductions religieuses orthodoxes, c’est quasiment une règle de mentionner les versions roumaines reconnues et consacrées des écrits des Pères de l’Église, le traducteur voulant montrer de la sorte le respect d’une tradition culturelle de ce type de traductions en langue roumaine et son option de s’inscrire dans la continuité de celle-ci. Nous n’avons pas fait exception à cette règle, en choisissant même de mentionner dans un cas une version qui n’était ni réalisée par une autorité théologique orthodoxe, ni publiée dans l’une des maisons d’éditions «confessionnelles» consacrées pour la publication de la littérature patristique. Il s’agit de la traduction faite par Ilie Iliescu à la Vie de saint Syméon le Nouveau Théologien, publiée chez Herald7, dont nous avons reproduit un fragment cité par le père archimandrite Placide Deseille dans son livre, tout simplement en signe de reconnaissance pour le travail de ce traducteur. Certes, nous avons été tentée aussi de le retraduire, n’étant pas vraiment contente de la forme de cette version. On sait que le phénomène retraductif est sous-tendu par le désir d’améliorer une traduction antérieure. L’affirme entre autres Jean-René Ladmiral, qui considère la retraduction comme une «deuxième traduction de qualité, par rapport à une première qui ne serait pas suffisante» (Ladmiral 2011: 39). En même temps, nous partageons l’opinion d’Enrico Monti selon laquelle le phénomène retraductif caractérise notamment le texte littéraire, soumis également à une réception profondément influencée par des contraintes socio-culturelles (Monti 2011: 12). Le but des traductions des textes de théologie

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orthodoxe n’étant pas vraiment d’insister sur les particularités stylistiques8, nous avons considéré que l’attitude la plus sereine à adopter dans notre cas était celle de citer la version roumaine faite par notre prédécesseur, surtout qu’il ne s’agissait que d’un petit fragment. Lui, au moins, a traduit du grec, tandis que nous, nous aurions traduit en roumain la version française du texte grec, mentionnée par le père archimandrite Placide Deseille dans son livre9.

Dans un autre cas, nous avons été amenée aussi à prendre une décision de reconnaissance d’une version roumaine de l’un des Discours (le numéro 20) de saint Grégoire le Théologien (dont les cinq premiers seulement ont été traduits en roumain par le père Stăniloae), que nous avons trouvée seulement en version électronique, mais dont l’auteur est une personnalité de premier rang de la théologie roumaine contemporaine et traducteur réputé, le père diacre Ioan I. Ică jr. Après mûre réflexion, nous avons choisi de ne pas la mentionner dans le texte de notre version roumaine, à cause de son existence en version numérique seulement10, et non pas sous la forme traditionnelle des autres écrits patristiques traduits en roumain, de livres imprimés.

4. Les références et les allusions liturgiques La transposition en langue roumaine des références liturgiques présentes

dans le livre du père archimandrite Placide Deseille qui nous intéresse ici est conditionnée par une initiation du traducteur dans la pratique liturgique de l’Orthodoxie. En fait, ces références sont plutôt implicites, se rapprochant surtout de la forme discursive des allusions, définies plus haut comme forme d’intertextualité. Voyons quelques exemples, dont un premier représenté justement par une allusion:

«La Mère de Dieu est l’exemplaire achevé de la déification de la créature dans le Christ. Dieu a fait d’elle un parfait miroir de la Sagesse incréée qu’elle devait contenir en son sein, devenu ‘plus vaste que les cieux’, comme le proclame la liturgie orthodoxe» (Deseille 2012: 142).

Discursivement, cette allusion apparaît sous la forme d’un syntagme

déterminant, à fonction qualificative, mis entre guillemets pour marquer l’intertextualité. Pour le traduire correctement en langue roumaine, le traducteur est censé connaître l’ensemble de la liturgie orthodoxe, puisqu’il n’y a aucune information supplémentaire qui lui permette de la repérer, à part, bien sûr, la référence à la Mère de Dieu. Il s’agit, effectivement, d’un fragment d’une hymne liturgique chantée en honneur à la Mère de Dieu pendant la liturgie eucharistique des jours de fête, dont l’équivalent roumain est, dans le micro-contexte précis de son emploi, «mai desfătat decât cerurile». Toute traduction littérale de la part d’un traducteur ignorant à ce sujet aurait annulé la possibilité de repérage du syntagme liturgique correspondant par le lecteur roumain à connaissances liturgiques. Ce type de lecteur saura où le situer exactement dans le macro-contexte de la liturgie eucharistique, grâce à son initiation et/ou à sa pratique. Quant aux autres lecteurs,

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moins initiés, ils sont informés ainsi sur l’équivalence exacte de cette allusion liturgique, le traducteur les transformant en même temps en chercheurs potentiels du contexte d’ensemble de son apparition dans la liturgie orthodoxe, en langue roumaine.

Dans un autre cas, les mêmes compétences liturgiques du traducteur sont mises à l’épreuve afin de trouver l’équivalence d’un syntagme tiré d’une autre hymne, chantée pendant les vêpres cette fois-ci:

«Le but est le même pour tous: être transfigurés par la puissance du Saint-Esprit, à l’image du Fils unique, devenir, adoptés ‘en lui’, de plus en plus, des Fils du Père ‘éternel, saint et bienheureux’, comme l’Église le chante chaque soir dans l’hymne des vêpres» (Deseille 2012: 141). Le traducteur spécialisé dans la traduction des textes religieux orthodoxes

est censé connaître cette référence liturgique, ou, du moins, être capable de pouvoir l’identifier, afin d’en proposer l’équivalence exacte en langue roumaine. Dans ce cas aussi, sa familiarisation avec les textes et les offices divins, au niveau d’une pratique religieuse même, lui sera d’un grand secours. Le père archimandrite Placide Deseille fait allusion ici à l’une des hymnes vespérales les plus connues, appelée en roumain l’hymne «Lumière joyeuse» / Lumină lină, qui comprend ce syntagme déterminant. Son équivalent roumain exact est dans le micro-contexte immédiat de son emploi «Celui fără de moarte, Sfântului, Fericitului»11. Pour une meilleure transmission de l’information qui assure l’identification de cette allusion liturgique par les lecteurs roumains, nous avons légèrement modifié la forme génitivale de ce syntagme, au niveau syntaxique, et indiqué de façon explicite le contexte exact de son emploi, la transformant ainsi en référence liturgique, dans le but d’une information claire et précise du public de la langue-cible. Voici notre version roumaine de ce passage:

«Însă scopul este acelaşi pentru toţi: transfigurarea noastră, prin puterea Duhului Sfânt, după chipul Fiului cel Unul-Născut, înfierea noastră în El, pentru a deveni fii ai Tatălui ceresc, cel ‘fără de moarte, sfânt şi fericit’, după cum cântă Biserica în fiecare seară în imnul ‘Lumină lină’ de la vecernie» (Deseille 2013: 186-187). À un autre endroit, le traducteur est confronté à deux allusions liturgiques

qui sollicitent également son savoir de cette nature. Elles sont représentées par de brèves séquences discursives des prières prononcées par le prêtre-célébrant pendant la liturgie eucharistique:

«Le caractère sacrificiel de la Divine Liturgie est clairement affirmé par toute la tradition orthodoxe. Au cours des prières récitées par le prêtre, nous trouvons des expressions comme: ‘Tu nous as confié, étant Maître de toutes choses, le ministère de ce sacrifice liturgique et non sanglant’, ou ‘Nous t’offrons encore ce culte spirituel et non sanglant’» (Deseille 2012: 144).

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Dans le texte français, l’intertextualité est clairement marquée par la présence des guillemets. Initié dans la pratique liturgique de l’Orthodoxie et aidé par l’indication contextuelle large de ces références, présente dans la langue-source, le traducteur saura où trouver les équivalences exactes de ces fragments: parmi les prières prononcées par le prêtre, en général à voix basse, pendant la Liturgie eucharistique, en relation avec le sacrifice non sanglant accompli lors de celle-ci. Cette initiation lui permet de les situer dans l’économie du scénario liturgique, et donc, de les identifier de la sorte. La première fait partie de la prière que le prêtre dit (secrètement) avant la procession de la grande entrée, pendant que le chœur chante l’hymne des Chérubins. La seconde est tirée de la prière prononcée par le même actant liturgique (Dumas 2000) lors des commémoraisons qu’il fait des vivants et des défunts, pendant que le chœur chante l’hymne en honneur de la Mère de Dieu, appelé en français «Il est digne» ou «l’Axion estin». Voici donc la version que nous avons proposée en langue roumaine pour le fragment français mentionné, qui comprend les équivalences des allusions liturgiques ainsi repérées:

«Caracterul sacrificial al Sfintei Liturghii este clar afirmat de toată tradiţia ortodoxă. În rugăciunile rostite de preot găsim expresii precum ‘ca un Stăpân a toate, ne-ai dat slujba sfântă a acestei jertfe liturgice şi fără de sânge’, sau ‘Încă aducem Ţie această jertfă duhovnicească şi fără de sânge’» (Deseille 2013: 191). 5. Les allusions bibliques En tant que traductrice du même livre, Certitude de l’Invisible, nous avons

été confrontée également à la transposition en roumain de plusieurs allusions bibliques, présentes dans le texte de la langue-source sans aucune indication supplémentaire:

«Le corps de l’homme est actuellement ‘animal’ (ou ‘psychique’) et corruptible. Il est revêtu des ‘tuniques de peau’. Il a besoin de se nourrir, de se reproduire sexuellement, il est sujet à la souffrance, mortel, appelé à se décomposer» (Deseille 2012: 103). La présence des guillemets nous suggérant une forme d’intertextualité,

nous avons tout de suite pensé au fait que, vu le thème général du chapitre de son insertion (intitulé «Créés à l’image et à la ressemblance de Dieu») et le micro-contexte immédiat de son emploi, cette allusion devait être tirée du livre de la Genèse, plus précisément de la séquence consacrée à la création de l’homme. C’est effectivement là que nous l’avons trouvée (Genèse, 3: 21) et transposée telle quelle, sans la transformer en référence explicitée (et la gardant donc sous la même forme d’image stylistique), dans le texte de notre version:

«Trupul omului este în prezent ‘animalic’ (sau ‘psihic’) şi stricăcios. Este îmbrăcat în ‘îmbrăcăminte de piele’. Are trebuinţă să se hrănească, să se reproducă sexual, este supus suferinţei şi muritor, făcut să se descompună» (Deseille 2013: 137).

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Dans un autre cas, nous avons eu affaire à une allusion biblique assez

transparente, présente discursivement dans le texte-source sous la forme d’un petit récit, centré autour d’un nom à valeur sémantique très importante dans le contexte de son emploi, le mot cadavre:

«En s’incarnant, le Verbe a assumé notre nature humaine avec toutes le composantes de sa condition déchue, hormis le péché et tout ce qui y incline. La passion, la mort, la descente aux enfers font partie intégrante du mystère de l’incarnation. Le Verbe n’a pas assumé une nature humaine idéale: il a assumé notre nature en état de mort. Tel le prophète Élisée s’étendant sur le cadavre du fils de la Sunamite (cf. 4 Rois, 4, 34), il prend toute notre condition présente, y compris la souffrance et la mort, pour communiquer à notre nature, au contact de sa divinité, la vie éternelle. Comme le dit Grégoire de Nysse dans son Discours catéchétique» (32, SC 453, p. 285),

il fallait ramener de la mort à la vie notre nature humaine toute entière. Dieu s’est donc penché sur notre cadavre afin de tendre la main, pour ainsi dire, à l’être qui était là, gisant: il s’est approché de la mort jusqu’à prendre contact avec l’état de cadavre et à fournir à la nature, au moyen de son propre corps, le principe de la Résurrection, en ressuscitant avec lui l’homme entier par sa puissance (Deseille 212: 117).

En fait, il s’agit d’une référence biblique doublée d’une allusion. Celle-ci fonctionne également comme une allusion patristique, le nom mentionné plus haut (cadavre) étant présent au cœur d’une référence de cette nature (patristique) insérée par le père archimandrite dans son livre, renvoyant à saint Grégoire de Nysse. Dans la version roumaine du quatrième livre des Rois, le mot employé est trupul et non pas cadavrul. Il est vrai que nous avons été tentée de traduire le mot cadavre par trupul neînsufleţit, syntagme beaucoup plus approprié pour sa relation à un enfant que l’autre, et conforme à l’équivalence roumaine de cette référence biblique. Toutefois, après réflexion, nous avons choisi de traduire ce mot par son équivalent roumain cadavru, utilisé également par le traducteur roumain de saint Grégoire de Nysse, afin de sauvegarder du point de vue sémiotique l’isotopie de la mort-résurrection mise en évidence dans le contexte français, et du point de vue discursif formel, la continuité et le parallélisme instaurés entre les deux fragments, celui du texte français du père archimandrite Placide Deseille et celui de l’auteur patristique mentionné:

«Prin întrupare, Cuvântul şi-a asumat firea noastră omenească cu toate elementele componente ale condiţiei sale decăzute, în afară de păcat şi de tot ceea ce tinde spre el. Patimile, moartea, coborârea la iad fac parte integrantă din taina întrupării. Dumnezeu-Cuvântul nu şi-a asumat o fire omenească ideală, ci firea noastră omenească muritoare. Asemenea proorocului Elisei întins peste cadavrul (cf. IV Regi, 4, 34), El îşi asumă întreaga noastră condiţie prezentă, inclusiv suferinţa şi moartea, pentru a transmite firii noastre, prin contactul cu dumnezeirea sa, viaţa cea veşnică. După cum scrie Sfântul Grigorie de Nyssa în Marele cuvânt

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catehetic: nu de aceea s-a supus naşterii trupeşti, Cel veşnic viu, pentru că ar fi dorit viaţa, ci pentru că voia să ne cheme pe noi iarăşi de la moarte la viaţă. Întrucât însă, întreagă firea noastră trebuia să se împărtăşească din această ridicare din morţi, Dumnezeu S-a aplecat, aşa-zicând, asupra cadavrului nostru, a întins mâna omului care zăcea în păcat, apropiindu-Se atât de tare de moarte încât a atins-o cu mâinile Sale, pentru a reda naturii, prin trupul Său, începătura învierii şi ridicând din morţi totodată şi omenirea întreagă12» (Deseille 2013: 155). 6. En guise de conclusion Le traducteur des ouvrages religieux orthodoxes doit être quelqu’un de très

aguerri en matière de provocations soulevées par l’équivalence des diverses formes d’intertextualité qui peuvent apparaître dans le texte-source de son acte traduisant. Sa biographie traductrice doit comprendre une initiation de nature complexe, biblique, patristique et liturgique, relevant de ses compétences spécialisées, et une certaine perspicacité dans le repérage des allusions et des références moins explicites, du même type, que peut contenir son texte à traduire. À travers l’équivalence exacte en langue-cible de ces formes d’intertextualité, il informe le lecteur de sa version roumaine sur les relations que le texte de théologie orthodoxe établit de façon nécessaire avec les textes bibliques, patristiques et liturgiques, dont les premiers se trouvent à la base même des formulations doctrinaires confessées par l’Église orthodoxe, et les derniers au cœur même de la pratique religieuse de celle-ci. En même temps, par la transposition des contenus particuliers et spécialisés du livre traduit, de théologie dogmatique et de spiritualité orthodoxe, ce traducteur transforme son lecteur tant du point de vue intellectuel, que spirituellement, agissant à la fois sur son esprit et son âme.

Non seulement il doit faire très attention à la dimension spécialisée de son travail, mais en plus, il doit s’informer en permanence sur les traductions patristiques faites en langue roumaine, qui pourraient apparaître dans son texte, et savoir où les trouver. Il doit réfléchir non seulement aux équivalences proposées, en soumettant le texte-source de sa traduction à un processus très complexe de décomposition-recomposition, mais il doit agir aussi en tant que traductologue, informé et muni d’habiletés d’historien et de critique des traductions, patristiques, bibliques et liturgiques existantes dans la culture roumaine. Ou bien, avec les mots de Michel Ballard,

« Ce n’est pas la seule pratique instinctive de la traduction qui peut y parvenir [à accomplir une bonne traduction], il faut objectiver des processus, prendre conscience des différences, les identifier, les nommer. C’est par la nomination, par l’utilisation d’une terminologie spécifique, que l’on comprend et assimile un objet de connaissance et une pratique » (Ballard 2007: 7).

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Notes

1 Nous comprenons ici l’actualité dans la direction d’interprétation qui lui a été proposée par Andrei Pleşu dans un article intitulé «Réflexions sur l’actualité et l’inactualité des Pères»: «Une discussion honnête sur l’actualité des Pères ne peut ne pas manquer d’être, en égale mesure, une discussion sur l’actualité de la foi. Le sujet est ample et délicat. Que peut signifier la foi à une époque définie principalement comme époque sécularisée? Quel intérêt peut présenter, à une telle époque, le recours à des auteurs qui se fondent sur le présupposé de la foi? Un athée peut-il être un bon spécialiste en patrologie? A cette dernière question, le bon sens académique tend à donner une réponse affirmative. Quant à moi, je me permettrai d’en douter.»: Pleşu 2006: 16. 2 Tel qu’il nous l’a avoué lors d’un entretien privé, accordé au monastère Saint-Antoine-le-Grand, en tant que traductrice roumaine de ses livres. 3 Une autre version roumaine «orthodoxe» de la Bible est signée par le Métropolite Bartolomeu Anania. 4 Tel qu’on peut le voir de la note 150 du livre: «On trouvera la traduction des homélies 82 In Mt et 46 In Jn de saint Jean Chrysostome dans La Messe, Liturgies anciennes et textes patristiques, choisis et présentés par A. Hamman (Coll. «Lettres chrétiennes», 9), pp.98 ss et 167ss. Nous renvoyons dans les notes aux pages de ce livre» (Deseille 2012: 167). 5 Qu’il y a fondée du temps où il était moine catholique. 6 Fondées par lui en France, comme métochia ou dépendances canoniques du monastère athonite de Simonos Petra. 7 Nichita Stithatul, Viaţa Sfântului Simeon Noul Teolog, XII, 111, traducere de Ilie Iliescu, Editura Herald, Bucureşti, 2003: «Simeon atingea cu toată fiinţa lui starea de contemplaţie şi de iluminare cu care era obişnuit. Trecând dincolo de materie şi de grosimea trupului, Sfântul se elibera de acestea şi el, care nu se despărţea niciodată de Dumnezeu, se unea cu El pe deplin, prin raţiune şi har; limba lui s-a preschimbat într-o limbă de foc şi a scris ca un teolog ‘Imnurile dragostei dumnezeieşti’. Fără voia lui, împins de suflul puternic al duhului, el a făcut cunoscut în scris ceea ce a văzut prin revelaţia divină, ceea ce a contemplat în viziunile sale atunci când se înălţa deasupra naturii lui omeneşti. Sub acţiunea focului divin, [Simeon] devenea din zi în zi tot mai mult flacără, tot mai mult lumină, Dumnezeu prin har şi asemenea Fiului lui Dumnezeu. De atunci, persoana lui Dumnezeu-Tatăl i-a fost revelată; el vorbea cu Dumnezeu asemenea lui Moise şi călăuzit de degetul lui Dumnezeu, el grava cu cerneală, ca pe table, efectele minunate ale focului divin. Tot atunci compune cuvântările sale apologetice şi polemice cu atâta forţă încât, întărit prin ele, se opune, prin autoritatea înţelepciunii, celor care îl contraziceau». 8 Ou bien, dans le cas de notre fragment, de cohérence temporelle au niveau discursif.

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9 Voici notre traduction du français, du même fragment: «Simeon se abandona complet contemplaţiilor şi iluminărilor cu care era obişnuit. Depăşea materia şi greutatea trupului, trecând dincolo de ele; el care nu se despărţise niciodată de Dumnezeu, se unea cu Acesta întru totul, în cuget şi în duh; iar limba-i devenindu-i de foc, a început să scrie ca teolog Imnele Dragostei dumnezeieşti. Fără voia lui, mânat de suflarea puternică a Duhului Sfânt, a publicat ceea ce a văzut prin revelaţie dumnezeiască, ceea ce a contemplat în viziunile lui, când era ridicat deasupra naturii. Sub lucrarea focului dumneziesc, devenea de la o zi la alta cu totul de foc, cu totul o lumină, dumnezeu prin har şi asemenea Fiului lui Dumnezeu. Din momentul acela, i-a fost revelată persoana lui Dumnezeu-Tatăl; stătea de vorbă cu Dumnezeu asemenea lui Moise şi scria cu peniţa, călăuzit de degetul Lui, ca pe tăbliţe, despre efectele minunate ale focului dumnezeiesc. Atunci a compus şi discursurile apologetice şi antireticele atât de puternic convingătoare, prin care s-a împotrivit cu tărie şi cu puterea Înţelepciunii, opozanţilor săi». 10 Cuvântarea 20, Despre teologie şi condiţia episcopilor, sur http://www. sfgrigoriedenazianz.ro/564/cuvantarea-20-despre-teologie-si-conditia-episcopilor/ (dernière consultation le 6 octobre 2012) 11 «Lumină lină a Sfintei Slave, a Tatălui ceresc, Celui fără de moarte, a Sfântului, fericitului, Iisuse Hristoase, venind la apusul soarelui, vazând lumina cea de seară, lăudăm pe Tatăl, pe Fiul şi pe Sfântul Duh Dumnezeu. Vrednic eşti în toată vremea a fi lăudat de glasuri, Cuvioase, Fiul lui Dumnezeu, Cel ce dai viaţă, pentru aceasta, lumea Te măreşte». 12 Sfântul Grigorie de Nyssa, Marele cuvânt catehetic, capitolul 32, De ce a trebuit să moară Hristos pe cruce, in Scrieri exegetice, dogmatico-polemice şi morale, traducere şi note de pr. prof. dr. Teodor Bodogae, Editura Institutului Biblic şi de Misiune al Bisericii Ortodoxe Române, Bucureşti, 1998, p. 329-330.

Bibliographie

Ballard, Michel (2007), Le commentaire de traduction anglaise, Paris: Armand Colin.

Deseille, Placide, archimandrite (2012), Certitudes de l’invisible Éléments de doctrine chrétienne selon la tradition de l’Église orthodoxe, Monastère Saint-Antoine-Le-Grand, Monastère de Solan.

Deseille, Placide, părintele (2013), Credinţa în Cel Nevăzut. Elemente de doctrină creştină potrivit tradiţiei Bisericii Ortodoxe, traducere din limba franceză şi introducere de Felicia Dumas, Iaşi: Editura Doxologia.

Dumas, Felicia (2000), Gest şi expresie în liturghia ortodoxă. Studiu semiologic, prefaţă de prof. dr. Maria Carpov, Iaşi: Institutul European.

Dumas, Felicia (2008), «Traduire un texte roumain de spiritualité orthodoxe en langue française», in Atelier de traduction, no 9, 2008, dossier: La traduction du langage religieux (I), Actes du Colloque international «La Traduction du langage religieux en tant que dialogue interculturel et

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interconfessionnel», les 11-13 juillet 2008, Suceava: Editura Universităţii Suceava.

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UNE LECTURE DRAMATIQUE POUR BAUDELAIRE (XI)

Poésie symphonique (IV) Un essai empathique

Tuğrul İNAL

Université Ufuk, Turquie

Vanitas vanitatum, et omnia vanitas

Locution latine Résumé Dans cet article, à partir du Spleen de Paris et des Fleurs du Mal, Tugrul Inal continue, selon une méthode de lecture personnellement mise au point, à étudier, sous la forme de l’essai, et tant dans le cadre de la réalité que de la fiction, les problématiques du bien, du mal et celle de la femme, centrales dans la poésie de Baudelaire. Le professeur Inal avait publié le manifeste de la méthode empathique dans le numéro 18 de «Frankofoni» (pp. 3-26). Selon un cadre intertextuel, la méthode empathique s’appuie en grande partie sur la fiction et la réécriture. Cette méthode qui, sous la forme d’un récit-essai, fait à nouveau rencontrer au lecteur le texte de Baudelaire, confère en quelque sorte à l’essayiste, dans une perspective esthétique, le rôle d’un metteur en scène. Le texte en vers ou en prose se transforme dès lors en tragédie. Plus encore, le poème devient une sorte de pièce de théâtre. Dans le cadre de ce processus de transformation, Dieu, le Diable et la femme, qui a un statut de primadonna, sont mis en scène et deviennent chacun des protagonistes de la pièce. Les protagonistes proposent au spectateur les problèmes dialectiques fondamentaux de l’être humain que sont les couples beauté-laideur, bien-mal, vie-mort, salut-chute.

Abstract A Dramatic Reading of Baudelaire (XI), Symphonic Poetry (IV), An Empathic Reading Prof Inal continues to shed light through a study of the most outstanding features of the texts, namely women and good-evil, in Spleen de Paris & Les Fleurs du Mal using a method that he himself developed and referred to as ‘empathic reading method’. Prof. Inal had already published the manifesto of the method referred to in the 18th edition of Frankofoni (pp. 3-26). The method relies heavily on intertexuality and fiction and rewriting. This method brings reunites the reader (taking on the role of récit-essai) and Baudelaire’s text, and places of the shoulders of the essayist the role of ‘person who stages’ (metteur en scène). It turns verse or prose texts into a tragedy. Moreover, poetry becomes drama for the theater. Within this evolution God, The Devil and woman portrayed as the Primadonna becomes protagonists and the play staged. These protagonists then present the fundamental dialectical problems of beautiful-ugly, good-bad, life-death, being redeemed-falling from grace to the audience from the stage.

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Mots clés: Baudelaire, vie, mort, femme, paradis, enfer, Satan, chute. Keywords: Baudelaire, life, death, woman, paradise, inferno, the Devil, the fall from grace.

Première partie: Rêves et Passions La nuit durant, je cheminai, poursuivant des chimères, perdu dans les

songes. Moi, le passionné des nuits, l’amant de l’obscurité «– J’aime de vos longs yeux la lumière verdâtre» – Chant d’automne. Moi, j’aime avec passion sa démarche gracieuse. Que Dieu la protège. Qu’il sanctifie sa beauté, au nom de la terre et du ciel. Puisse sa beauté être éternelle. Qu’ils se pâment, ceux qui la contemplent, elle, la plus belle, elle, la plus aimée. Qu’ils lui rendent un culte digne d’un ange.

Ma déesse, ma reine! Ton visage est semblable au soleil brillant sur la mer. Ta peau a les reflets du cuivre.

Ô amour! Ton amour me brûlera, tant que je vivrai. Tes regards m’engloutiront. Les pointes de tes seins dressés me rendront fou. Louanges à Dieu. Sois remercié. Finalement, je suis devenu roi, et sage à l’identique. J’ai levé mes bras, comme un prophète amoureux. «– Le cœur content, je suis monté sur la montagne d’où l’on peut contempler la ville en son ampleur.» – Épilogue. J’ai commencé à crier. Toi seule existes; tu es une Déesse, dans ce monde. J’ai voulu que tous le sachent; j’ai appelé ceux qui te regardaient, perdus d’admiration, entre les branches des platanes, des myrtes et des lauriers. Voilà ce que je leur ai dit, à ceux-là. Regardez, regardez, vous aussi voyez, ai-je dit; soyez émerveillé par elle, la plus belle, elle, la plus aimée. Vénérez-la comme un ange. Regardez et voyez, vous, vous tous! Les étoffes colorées dont elle se pare. Mes yeux sont ouverts jusqu’au matin. Ses yeux, ses lèvres, ô combien brillent.

Vous qui vivez dans la connaissance de l’amour, vous dont le cœur lui est lié, ô nobles seigneurs et gentes dames au beau visage! Vous qui l’admirez comme moi! Écoutez mes pensées les plus profondes. –Ab imo pectore. En m’écoutant, caressez d’abord ses mains enchantées. Ensuite, comme moi, aimez passionnément la douceur de sa bouche, ses manières enchanteresses, ses mouvements gracieux et ses regards enflammés. Soyez les esclaves de l’amour. Fermez les yeux. Ouvrez vos cœurs. Comme le rêve, comme l’amour. Répétez mes paroles, telles une prière: «– Je veux dormir! […] Dans un sommeil aussi doux que la mort, j’étalerai mes baisers sans remord sur ton beau corps poli comme le cuivre.» –Le Lehté.

Qu’il en soit ainsi, ô seigneurs. C’est ce que j’exige de vous, nobles dames. Voyez, mes paroles ne sont pas finies; écoutez. Ecoutez encore ce que je vais dire.

Elle, si joyeuse, si belle. Son teint est si pur. Par une soirée enchantée, que je fasse couler mon venin sur sa peau, la plus belle, la plus pure. Je veux crier, m’exclamer «– Dieu, louange à toi» –Te Deum laudamus. Que Phryné, la belle des belles, amante de Praxitèle, que la déesse de la lune Phébé me jalousent. Aussitôt j’aurai la tranquillité d’un sage. «– Anges revêtus d’or, de pourpre et d’hyacinthe – je t’ai choisie, je t’ai aimée, ô toi, la belle des belles, femme si douce!» – Projet d’épilogue. Que tous sachent que cette peau si belle et si pure t’appartient. Qu’ils

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écoutent de ma bouche sortir les paroles du cœur «– A la très bonne, a la très belle qui fait ma joie et ma santé à l’ange, à l’idole immortelle, salut en l’immortalité» –Hymne.

XXXXX Je sais; si je parle de la sorte, si j’appelle ainsi, certainement j’échapperai à

cette malédiction écrasante qu’on appelle Satan «– Satan, le rusé doyen» –Épigraphe pour un livre condamné. Lui échapper d’une autre manière, vous ne pouvez imaginer comme cela est difficile. Une vérité incontestable: l’homme ne croit-il pas facilement à une belle, à un sourire et à un baiser? L’éternité exige-t-elle de nous davantage? Qu’est-ce donc, qui nous conquiert et nous entraîne à sa suite? Ces questions, ne se les pose-t-on pas? N’est-elle pas la seule divinité du monde?

XXXXX Ma reine, ma chérie! Regarde! Moi, à présent, j’ignore la signification de

la mort. Si cette dernière est vraie, je n’en serai pas attristé. Moi, j’ai fait un rêve somptueux. Le printemps est dans mon cœur. Le printemps qui guérit tout. Le printemps, promesse d’éternité. Ils existent, les désirs passionnés, les plaisirs enchantés. Qu’y-a-t-il d’autre sur la terre? L’amour existe, l’harmonie existe. L’amour et l’harmonie me procurent des plaisirs nobles. À leur suite vient le sentiment de beauté. Le sentiment de beauté qui ne cesse de croître. Il embellit, au point de rivaliser avec les beaux yeux de la Reine du Monde.

XXXXX Vraies ou fausses, qu’importe, ce sont mes paroles, belles dames et nobles

seigneurs! Un jour, une belle journée où je flânais dans les rues, déambulant lentement, je la vis. Cette belle qui retint mes regards et pour qui mon corps s’enflamma. Et je me dis: voilà, à la fin de la route, face à moi, une princesse digne des plus beaux palais.

«– Comme elle serait belle, dans un costume de cours, compliqué et fastueux, descendant, à travers l’atmosphère d’un beau soir, les marches de marbre d’un palais, en face des grandes pelouses et des bassins! Car elle a naturellement l’air d’une princesse – Après avoir pensé cela, je me mis à arpenter les rues: – en passant plus tard dans une rue, je m’arrêtai devant une boutique de gravures, et, trouvant dans un carton une estampe représentant un paysage tropical, je me dis: – Un palais de marbre? Les palais sont froids. – Non! Ce n’est pas dans un palais que je voudrais posséder sa chère vie. Nous n’y serions pas chez nous. D’ailleurs, ces murs criblés d’or ne laisseraient pas une place pour accrocher son image; dans ces solennelles galeries, il n’y a pas un coin pour l’intimité. Décidément, c’est là qu’il faudrait demeurer pour cultiver le rêve de ma vie. – Et, tout en analysant des yeux les détails de la gravure, (je) continuai(s) mentalement: Au bord de la mer, une belle case en bois, enveloppée de tous ces arbres bizarres et luisants dont j'ai oublié les noms..., dans l'atmosphère, une odeur enivrante, indéfinissable..., dans la case un puissant parfum de rose et de musc..., […] autour de nous, au-delà de la chambre éclairée d'une lumière rose tamisée par les stores, décorée de nattes fraîches et de fleurs capiteuses, avec de rares sièges d'un rococo portugais, d'un bois lourd et ténébreux […], au-delà de la varangue, le

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tapage des oiseaux ivres de lumière, et le jacassement des petites négresses..., et, la nuit, pour servir d'accompagnement à mes songes, le chant plaintif des arbres à musique, des mélancoliques filaos! Oui, en vérité, c'est bien là le décor que je cherchais. Qu'ai-je à faire de palais?»

Quel projet plein d’intelligence et de sagesse que le mien. Modestie et

réalisme. Je me félicitai aussitôt. Un palais n’est qu’une illusion. Une chimère. Cela apparaît avec certitude et ne souffre aucune contestation. Les palais, les châteaux, tout est vide hormis l’amour. Dans les palais, seules, peut-être, habitent les personnes grossières et privées d’amour. Ceux-là se sont moqués des amoureux, ridicules et débiles devant la noblesse du sentiment que leur dicte Eros. En plus, ils sont de mauvais exemples pour les générations à venir. Je me dis

«Il faut, […] que ma pensée soit une grande vagabonde pour aller chercher si loin ce qui est si près de moi. Le plaisir et le bonheur sont dans la première auberge venue, dans l'auberge du hasard, si féconde en voluptés. Un grand feu, des faïences voyantes, un souper passable, un vin rude, et un lit très large avec des draps un peu âpres, mais frais; quoi de mieux?» - Les Projets. Oui, tels étaient mes projets, vous, ô seigneurs aimant, ô dames aimées.

C’est ce que j’avais en tête, telle fût la méthode que j’appliquai pour réaliser mes rêves, mes passions. Vous aussi, suivez mon exemple. Faites comme moi. Afin de ne pas être des esclaves prisonniers des palais et souffrant des ravages du temps, dans la première auberge venue, animés par le plaisir et le bonheur, soyez amoureux. Accompagnés par le chant des anges, à votre guise, reposez vos cœurs fourbus d’avoir battu. Soyez amoureux de la femme la plus belle, la plus charmante, la plus pure. Que votre âme s’ouvre pour elle, comme percée par une flèche qui en révélerait les profondeurs. Aussitôt, vous serez fortunés et sanctifiés. Vous vous direz qu’étais-je? Qu’ai-je été? Et vous nagerez dans les cieux séraphiques, comme si vous voliez, les anges dans votre cœur, transportés par les rêves. A présent, vous aussi, vous êtes un seigneur sage et plaisant, élevé à la hauteur des amants.

Deuxième partie: Odes et Reproches à la Bien Aimée Oui, oui. Que la tempête de l’amour grandisse en vous. Qu’elle répande

ses lumières de tous côtés. Que la belle vienne à votre rencontre. Une telle beauté qu’elle viendra à vous dans la première auberge où vous entrerez. Croyez-moi, ce sont des paroles justes. Une fois rentrée, elle ne sortira plus de votre âme. Alors, vous serez comblé. Ensuite, le cœur léger, tel un noble, debout et fier, vous direz: – Que la tombe me prenne, si elle le désire, en son sein, dans la terre sale et pleine de vers. – Vous vous demanderez peut-être également, naïf et idiot, quelle est cette femme que vous avez rencontrée dans la première auberge venue. Ensuite, oubliant votre destinée cruelle, vous vous exclamerez: «Que t’importe, homme de peu de foi.» Que Dieu vous tienne éloigné des mots funestes et vous fasse dire: – «Sur la

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terre, que peut-il y avoir de plus beau, de plus saint que son visage?» – Femme aux lèvres douces comme le miel. Femme à la peau aussi délicate que le myosotis. Femme ailée comme les oiseaux du paradis. Que Dieu la protège et la sanctifie éternellement. Puisse-t-elle vivre toujours loin et ignorante des douleurs et des péchés. Ensuite, vous ferez ce vœu: «Qu’elle me prenne à ses côtés. Qu’elle me conduise au jardin du paradis. Par ces nuits d’été chaudes, au printemps de la vie, qu’elle m’accueille dans sa couche»

XXXXX Oui, oui. Ce soleil de la Méditerranée. Vous savez

«– que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées. – Ces serments, ces parfums, ces baisers infinis, renaîtront-ils d’un gouffre interdit à nos sondes, comme montent au ciel les soleils rajeunis après s’être lavés au fond des mers profondes? - Ô serments! ô parfums! ô baisers infinis!» – Le Balcon.

XXXXX Ô yeux lumineux! Feu de l’amour. Venez et regardez, ses yeux brillent

comme des grenades. Même si elle apparaît et disparaît à la vitesse d’un clignement d’œil, pour moi, pas de doute, c’est un ange de Saba. La beauté des jours. Le premier soleil annonciateur des beaux jours. La voix des eaux. La nymphe. Sa beauté est sur toutes les lèvres. Les jours colorés, les fraîches prairies, dans mon cœur l’incendie. Les papillons battent doucement des ailes. Sur la terre les émaux. Dans les cieux, Marie. Elle, c’est la reine Astarté. – La femme que j’aime est partout. Voyez, tantôt je l’ai aperçue dans le jardin des Tuileries. Elle est un tableau, un tableau magnifique. Toute l’Arabie et toute l’Espagne brûlent de désir et de plaisir pour elle.

XXXXX Quelles paroles belles et passionnées, quelles pensées pleines de

sentiments, gentes dames et nobles seigneurs! C’est ainsi que toujours doit être le monde. L’enfer ne s’étage-t-il pas sur sept niveaux sous la terre. Peu m’importe le péché originel et l’enfer. Le monde doit toujours être merveilleux et poétique.

XXXXX Hélas! Mes yeux se sont ouverts à présent. En vérité, accablé par le

malheur, je ne sais comment dire, comment ouvrir mon cœur. A cette seule pensée, à la pensée de prononcer de mauvaises paroles, mon âme se fige et se morcelle. Voici mon esprit, et mon cœur. Moi, qu’ai-je donc fait? A quoi ai-je été confronté?

Est-ce le sort qui parle par ma bouche? Où le destin m’entraîne-t-il? Moi, à présent, je te pose ces questions, ô femme que j’admire au point

d’être étranger à ce qui m’entoure! Peux-tu me le dire, s’il te plaît, pourquoi la chaleur du jour diminue, que sont ces couleurs affadies et automnales?

Ainsi, un hiver impitoyable s’approche. Il est là, à la porte. Pas la peine, un de tes baisers ne changerait rien. Qu’étaient-ce que ces amours, ces illusions, ces désirs?

XXXXX

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Qu’est-ce donc que toutes ces choses, qu’est-ce que tout cela? Est-ce toi qui es difficile? Ou moi qui suis fautif? S’il te plaît, dis-moi. Tu es celle que j’aime. Destin, en quoi m’as-tu changé, pourquoi m’as-tu changé, tu dois le savoir. Encore hier, j’étais heureux et content avec toi, j’étais dans les cieux. Je ne connaissais pas le péché. Regarde, à présent, comme je suis malchanceux. Je suis un pécheur. Ce n’est pas quelque chose que la raison peut expliquer. Je ne suis pas rassasié d’amour. Je veux vivre des amours pleines et insondables. Moi, j’ai bu des vins plus doux que le miel à même des cruches débordantes. Et, pourtant, comme je suis triste à présent. Et solitaire. Je suis resté tout seul. Mon cœur est comme la glace. Je me suis réveillé, aveuglé par la fumée.

À qui la faute? À moi? À toi? Je m’interroge à présent: «– De ce ciel bizarre et livide, tourmenté comme ton destin, quelles pensées dans ton âme vide descendent? – Insatiablement avide de l’obscure et de l’incertaine, […] comme Ovide chassé du paradis latin. – Pourtant, que n’avais-je comme projet? Et voilà, pour une raison inconnue, comme Ovide, j’ai été chassé du paradis. Mon honneur a été bafoué, mes espoirs déçus. – […] Vastes nuages en deuil sont les corbillards de mes rêves. – […] lueurs sont le reflet de l’Enfer […]» - Horreur sympathique.

XXXXX Ainsi, je suis descendu du ciel vers la terre. Quel étrange destin pour un

humain. Mon destin est une symphonie savamment composée. La symphonie du malheur. Il ne me reste ni force ni énergie. Mon corps aussi est las.

Mes pensées, mes rêves, comme ils sont dépourvus de valeur. Mes songes sont frappés d’inanité. Ceux qui vivent au paradis. Les élus. Ils m’ont regardé. Parfois, ils se sont moqués de moi, parfois, ils m’ont plaint. – «Tu es seul-sans destinée» – m’ont-ils dit. Ils ont dit que j’étais insupportable. C’est ainsi, dirent-ils. C’est un tour que t’ont joué le vin et l’opium, prononcèrent-ils d’un ton condescendant. Et d’ajouter: la femme est inconstante. Pourtant, j’avais voulu m’enivrer de vin. J’avais ignoré les limites et les règles. Vous le savez, vous: – Le vin sait revêtir le plus sordide bouge d’un luxe miraculeux.

XXXXX J’avais pensé aussi que l’opium, avec son charme diabolique, comme le

vin, rend plus fort. A tous, j’avais dit avec fierté et honneur «– l’opium agrandit ce qui n’a pas de bornes, allonge l’illimité. J’avais même été plus loin, pour me prouver que je n’avais pas bu en vain et ne m’avais pas été trompé. J’avais ajouté: l’opium agrandit ce qui n’a pas de bornes, allonge l’illimité, approfondit le temps, creuse la volupté et de plaisirs noirs et mornes remplit l’âme au-delà de sa capacité.» - Le Poison. Ô saisons, ô châteaux, que m’importe l’opium.

XXXXX Vous qui me ressemblez, ceux que j’aime, vous savez que Satan est

malheureusement le maître de mes projets. C’est lui qui contrôle tout. Lui qui

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change tout. Toi, aussi, tu es la maîtresse de mes projets, celle qui me rend saoul, celle qui me rajeunit grâce à son philtre diabolique «– l’énorme catin» – Épilogue.

Pourtant, tu dois me regarder; j’ai des questions à te poser. Approche et sois sans crainte. Qui es-tu, qu’es-tu, toi? Tu dois te présenter, te faire connaître, ô femme éprise d’elle-même! On dirait ton regard d’une vapeurcouvert.

«– Ton œil mystérieux, est-il bleu, gris ou vert? Mon Dieu! Vois ce que je suis en train de te dire. Suis-je mû par la crainte ou par la colère, en vérité, je ne le sais. Maintenant, la seule chose que je sais et que je vois, ce sont tes yeux – Alternativement tendre, rêveur, cruel, réfléchit l’indolence et la pâleur du ciel». .

XXXXX Ô ! Comme je me souviens de cette époque, période bénie! Tu étais belle,

charmante, attirante, joueuse. J’étais sans force, tu perçais mon cœur, faisais trébucher mon esprit. Souviens-tu! Ah, cette époque! «– Tu ressembles parfois à ces beaux horizons qu’allument les soleils des brumeuses saisons… Comme tu resplendis, paysage mouillé qu’enflamment les rayons tombant d’un ciel brouillé!».

XXXXX Regarde ! Ô femme aimée. Tu le vois à nouveau, même si tes baisers sont

aussi froids que la lune, je ne t’ai pas oubliée. À cette époque, époque divine, comme je t’ai adorée. Tu n’es ni insensible, ni sourde à mon cœur brisé qui t’appelle depuis des bonheurs jamais entendus. Et pourtant, comme mon cœur est meurtri. J’ignore ce que le destin a écrit sur nos fronts, où se perd notre esprit. L’unique chose dont je suis certain, je te la dis maintenant, et sans détours: «–Ô femme dangereuse, Ô séduisants climats! Adorerai-je aussi ta neige et vos frimas, Et saurai-je tirer de l’implacable hiver, des plaisirs plus aigus que la glace et le fer» – Ciel Brouillé.

XXXXX D’une manière ou d’une autre, tu dois savoir que je n’ai ni l’intention, ni le

désir de répandre la peur et de me quereller avec toi. Je ne désire pas, par de vaines paroles ou de telles pensées, dénaturer les concepts d’honnêteté et de sincérité. De plus, je ne peux supporter les paroles creuses. En voyant, dans le ciel, briller les étoiles qui se reflètent dans le miroir de la mer bleue – peut-être est-ce à cause de mon destin – je ne puis éteindre la flamme de cet amour qui me dévore. Quoi que je fasse, où que je tourne mes pas, même si je franchis les collines, les falaises et les montagnes, dans mes yeux je garde comme une relique ton regard. Toujours, je tournerai mes yeux vers les tiens, source de ma santé, sens de ma vie.

Même en allant vers la mort, je serai toujours empreint d’une tranquillité noble et sereine. Crois-moi, aimée des aimées, belles parmi les belles, je ne poursuis d’autre but. Pour cela, je vénère ton regard. Envisager le contraire, violer ce projet m’est impossible.

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Troisième partie: Tristesse, Tension et Douleur Cette nuit où mes yeux ont rencontré les tiens, je devins le plus heureux

des hommes sur la terre. Dans un pays fantastique, je fus l’hôte d’une femme magnifique. Ce que je vis, ce que je vécus fut extraordinaire. Tellement profond, certain, marquant. Louanges au Seigneur. Grâce à la bonté de Dieu, cette nuit-là, je laissai mon infortune dans l’autre monde et j’atteignis un vrai pays de Cocagne. Afin que tous m’entendissent et me vissent, ivre de joie, rendu fou par le bonheur, j’adressai ces paroles, insensé, à mon cher ange:

«– Un vrai pays de Cocagne, où tout est beau, riche, tranquille, honnête; où le luxe a plaisir à se mirer dans l'ordre; où la vie est grasse et douce à respirer; d'où le désordre, la turbulence et l'imprévu sont exclus; où le bonheur est marié au silence; où la cuisine elle-même est poétique, grasse et excitante à la fois; où tout vous ressemble, mon cher ange. – Un vrai pays de Cocagne, te dis-je, où tout est riche, propre et luisant, comme une belle conscience, comme une magnifique batterie de cuisine, comme une splendide orfèvrerie, comme une bijouterie bariolée! Les trésors du monde y affluent, comme dans la maison d'un homme laborieux et qui a bien mérité du monde entier. Pays singulier, supérieur aux autres, comme l'Art l'est à la Nature, où celle-ci est réformée par le rêve, où elle est corrigée, embellie, refondue. […]» - L’Invitation au voyage.

Et voilà, dès que je posai le pied dans ce pays de Cocagne, je prononçai

ces mots venus du cœur, à l’adresse de mon ange à la chevelure d’or dont les cheveux volent dans les airs. À peine cette femme au visage d’ange et aux gestes doux prit-elle mes mains dans les siennes que la fenêtre joyeuse et enchantée de ses yeux s’ouvrit pour moi. Je me plongeai sans retenue par l’ouverture. Je pénétrai dans ce pays des rêves. Aucun doute. Ici, c’est le pays des merveilles, qui abolit le temps et les frontières. Combien de temps ai-je passé en ces lieux? Je l’ignore. Personne d’autre ne le sait non plus.

XXXXX Peu de temps après, ma fortune commença à pâlir. Le rêve était passé.

Tous le savent et le disent, moi aussi: la fortune de l’homme ne tient qu’à un fil de soie. Invariablement, la peine suit le bonheur. C’est ce qu’on appelle la loi de l’univers. Le destin lui-même nous dicte ces paroles.

Qu’est-ce donc que cela? Que se passe-t-il? Qu’est-il arrivé soudainement? Pourquoi tes portes se ferment-elles, cher monde du rêve, sur mon visage incrédule? «– Ton regard infernal est divin verse confusément le bienfait et le crime».

Voilà, je pose la question: où sont donc nos rêves magnifiques? Pourquoi ont-ils disparu, nos mondes si doux? Alors qu’hier encore – tu répandais des parfums comme un soir orageux – pourquoi à présent, le ciel, la mer et mon âme se parent de noirceur? Où sont maintenant ces jardins, ces palais, ces contes merveilleux et fantastiques? Pourquoi tout, les gens, les choses, sont devenus un

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enfer? Ici, est-ce l’enfer? La violence et le crime ont-ils envahi toute la terre? Je pose la question, à présent: – «Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres? Le destin charmé suit tes jupons comme un chien; tu sèmes au hasard la joie et les désastres et tu gouvernes tout et ne réponds de rien.» - Hymne à la beauté.

Tiens! Regarde! Ô reine des malheurs! Regarde et vois! Comment le soleil se couvre d’un voile. Comment le ciel, la terre sont plongés dans l’ombre. Vivre est devenu un malheur muet et sans recours, une chose affreuse. Peux-tu me le dire: pourquoi ce changement? Que m’arrive-t-il? Mon malheur est-il causé par l’indifférence, la folie, la jalousie ou, j’ose à peine le dire, la trahison? Dis-le-moi. Une chose pire ne pouvait m’arriver. L’obscurité a envahi mon esprit encore douloureux d’aimer. L’amour s’est éloigné de moi, sans explication. La haine, la colère se sont rendues maître de moi. Sur la terre que je foule, ni fleurs ni printemps, nulle trace de toi ou de l’amour, seulement des morts-vivants. Tous sont soucieux et silencieux. Ignorant l’amour et la joie, ils sont enfermés dans un puits sans fonds au milieu du désert. Je suis seul à présent, désespéré. Finalement, je suis moi aussi, à l’instar des paysans, devenu insensible et indifférent aux flammes de l’amour. Privé de but, livré à une errance honteuse et vile, je vais où le vent me pousse, par les routes boueuses. Dans l’obscurité, je heurte ma tête contre les pierres et la terre. Me voici, privé de toi, sans aimée, seul!

XXXXX Je l’ai dit, un peu auparavant; le soleil s’est couvert d’un voile. Toi aussi,

tu t’es enfouie dans l’ombre. Tout est devenu comme tu le souhaitais, ô nuit noire. L’amour a disparu. Tu tiens tout dans tes mains. Tous te sont soumis «– Soit ce que tu voudras, nuit noire, rouge aurore; il n’est pas une fibre en tout mon corps tremblant» - Le Possedé.

J’ignore, chère femme dont le nom résonne comme l’amour, combien de temps s’est écoulé depuis que tu as détourné de moi ton visage. Dès cette première minute, je n’ai fait que tourner sur le gril de la douleur, perdu dans d’obscur tourment. Le sort s’est acharné. Cruel. Je suis resté tout seul dans un lieu privé de lumière. Je suis l’hôte solitaire et morose de la nuit. Que dois-je faire? Maintenant, vous vous êtes détourné de moi. Traître! Dois-je peindre? Dieu, je l’ignore. Peut-être bien «– Je suis comme un peintre qu’un Dieu moqueur condamne à peindre, hélas! sur les ténèbres.» Finalement tous ont vu quel peintre vil et quel faussaire j’étais. On ne peut tromper la solitude!

Mon récit malsain marqué du sceau de l’infortune n’est pas fini. J’ai encore des choses à raconter. «– […], cuisinier aux appétits funèbres, je fais bouillir et je mange mon cœur». Même si je dois être condamné une fois de plus à l’obscurité, il me faut poursuivre ma confession. Sous peine de voir tous les gens au cœur pur s’éloigner de moi. De peur de voir la femme qui ne sort pas de ma mémoire s’éloigner. De plus, en révélant ces horribles secrets, mon cœur se brise et mes lèvres éclatent «– C’est Elle! Noire et pourtant lumineuse.» La seule source de ma douleur, c’est de te perdre dans l’obscurité. Ne te verrai-je donc plus? Quelle douleur que cela! Dans ce monde règne la félonie. Partout la trahison. Et puis, des

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idiots naïfs comme moi. Comme je fus crédule. Et avec ça, un peintre inexpérimenté. Un peintre condamné à peindre.

Hier encore, des nuits et des jours durant, je posais des baisers innombrables sur tes lèvres. Je vis et vécus des choses incroyables par cette nuit traîtresse. Cette nuit qui unit les battements de l’amour et les soubresauts de l’agonie. Pourquoi? Se peut-il que l’obscurité et la lumière se fussent unies pour me tendre un piège cette nuit-là?

Certainement, l’obscurité et la lumière avaient conclu un pacte «dans les caveaux d’insondable tristesse où le destin ma déjà relégué où jamais n’entre un rayon rose et gai.» Le peintre maudit fut l’hôte de l’obscurité et d’un «Dieu moqueur». Un invité voué aux fièvres des maladies. – Un fantome I Les ténèbres Un voyageur de passage condamné à accepter toutes les conditions, courant vers l’enfer pressé par le feu de l’amour. Un hôte infortuné et inconnu subissant la torture du fouet.

XXXXX Adieu ô beauté vénérée, adieu ô femme. En entendant ton nom, comme

mon cœur se glace encore. Pourtant, hier encore, comme il battait. À présent, tu as changé et tu m’as exilé dans un monde étranger. Je ne sais pas; peut-être ai-je perdu l’esprit et la raison? Regarde et vois! Je n’arrive plus à respirer, je tremble de douleur. Qu’ai-je fait pour que tu me condamnes ainsi? Je ne voulais pourtant, avec toi, que vivre les amours les plus enflammées.

À l’image des amours d’Hippolyte et de Thésée. Voilà ce que je propose; faisons un marché. Au lieu de transformer mon

cœur en une cible, un organe blessé, laisse-moi, avant que je rende mon dernier souffle, laisse-moi me battre en guerrier. «– Deux guerriers ont couru l’un sur l’autre; leurs armes ont éclaboussé l’air de lueurs et de sang». Plutôt que de pleurer les amours défuntes et les espoirs déçus, je préfère une mort honorable sur ces terres où l’existence est brève et douloureuse.

Je le crois; «–Dans ce ravin hanté des chats-pards et des onces» redouté même par les guerriers les plus expérimentés, «méchamment, je roulerai», combattant les flammes de l’amour, avec, dans mes oreilles le cliquetis des armes.

XXXXX Moi, je suis un guerrier plein d’honneur combattant au service de sa reine.

Rien ne peut m’effrayer, hormis celle qui tantôt fouette mon sang et me pousse en avant, tantôt transforme mon cœur en glace, l’aimée parmi les aimées, la reine des amantes.

XXXXX Je sais comment je suis tombé dans ses rets. La cause de mes frayeurs, ce

sont les expériences connues de tous. Tous savent que l’amour de la femme est inconstant et qu’il ne tient qu’à un fil de soie, bercé au gré des vents. Comme si, du fait de sa nature, la femme abritait en son corps délicieux toutes les traîtrises. De «sa peau fleurira l’aridité des ronces.» – Duellum.

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Ses yeux ouvrent pour moi les portes des délices en même temps qu’ils me brûlent. Je dis sans détour, les sentiments que me dicte mon âme blessée. Il n’est point de beauté supérieure à elle.

Le cœur brisé, accablé de tristesse, je répète et proclame: Ô femme aimée et cruelle! Tu es une traîtresse. Tellement belle. Trop belle. Tu es la maîtresse du paradis, malheureusement de l’enfer aussi. «– Vous êtes un beau ciel d’automne, clair et rose! Mais la tristesse en moi monte comme la mer». Les vagues m’ont projeté à terre. Elles m’ont noyé dans ce rêve plein de peines et de troubles qu’on appelle la vie. L’amour et la douleur sont les cadeaux que m’a laissés cette femme, celle qui est trop gaie.

XXXXX À présent, je ne le supporte plus. «– O Dio! Ahime!» Je souffre de toutes

parts, ô gentes dames, tout mon être vacille, ô nobles seigneurs! Dites-le-moi, je vous en prie: Qu’est-il arrivé à mon noble amour? Pourquoi mon cœur s’est-il brisé? Qui est le coupable? Comment a-t-il été brisé en cherchant l’amour?

XXXXX La peine, l’insomnie, les douleurs et les dangers. Tout se mêle. La nuit, le

jour, une torture constante. Comme tout est vide, impitoyable. Prenez, voici mon cœur. Mais où est-il? Si vous le trouvez, donnez-le-moi. On me l’a volé.

«– […] Par la griffe et la dent féroce de la femme. Ne cherchez plus mon cœur; les bêtes l'ont mangé».

XXXXX «– O Beauté, dur fléau des âmes, tu le veux.» Mon âme a disparu.

Dispersée en morceaux...Comment? Écoute et vois....puis permets-moi de vivre ma dernière volonté. «– Avec tes yeux de feu, brillants comme des fêtes, calcine ces lambeaux qu'ont épargnés les bêtes!» - Causerie.

XXXXX Final: La Mort et Satan Autour de moi tout est rancœur et haine. Tout disparaît dans la fumée. «Ne

cherchez plus mon cœur. Les bêtes l’ont mangé.» Mon esprit est paralysé. Je suis devenu un simple esprit privé d’entendement. Le désert s’étend partout. Pas de puits où étancher sa soif. Point de quais pour accoster. La mer est étale. Pas un souffle, ni au loin, ni tout près. Un silence lugubre et infini recouvre tout.

Toi, la femme qui témoigne de tous les matins du monde, de toutes ses beautés, toi qui connais tous ses maux! Moi, tombé pour ta beauté, victime de l’amour. Je te le demande maintenant, toi, femme belle et adorée, incarnation du Malin! Toi qui donnes leurs directions aux vents. Tu fais courber la tête aux amants. Où es-tu maintenant? Tu as disparu. Tu es morte, c’était peut-être ta destinée. À présent, tu n’es plus qu’un squelette. Poussière retournée à la poussière à l’aurore de ta vie.

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Regarde, moi aussi je suis mort de toute façon. Mon cœur s’est transformé en pierre. Que peut-il faire d’autre? D’autre que ce que fait la mort, du berceau à la tombe. Tout le monde le sait, la mort vient à bout de toute chose. Si ce qui m’arrive n’est que l’accomplissement du destin – la forza del destino – que puis-je faire sinon rester calme, étouffer ma douleur?

XXXXX Moi, le plus indigne des hommes, le plus effacé des mortels, l’esclave de

l’amour – je le sais avec certitude – il n’y a pas de prix à mes souffrances. Même si je me fâche, ce n’est que contre moi-même. Comment pourrais-je, avec mon corps lourd et fatigué, échapper à cette mort que l’amour a voulue pour moi?

Assurément, c’est le destin qui m’a poussé sur cette route âpre et sans retour, lui qui a enchaîné mes membres. Aucune loi sur la terre – orbis terrarum – ne peut s’opposer à cette règle. C’est comme si je voyais tout. Je suis seul, assurément, posé pour la nuit sur la nudité des roches, sur les branches décharnées. «– Sans remuer ils se tiendront jusqu'à l'heure mélancolique»

XXXXX Mort impitoyable, terre ingrate! Les hiboux ne t’oublieront pas. Voilà,

juste en face de moi, les tombes fraîchement ouvertes. «– Sous les ifs noirs qui les abritent, les hiboux se tiennent rangés, ainsi que des dieux étrangers dardant leur œil rouge. Ils méditent. […]. – Leur attitude au sage enseigne, qu'il faut en ce monde qu'il craigne le tumulte et le mouvement.» - Les Hiboux.

C’est ainsi que les hiboux, ennemis de l’amour, apostrophèrent la victime

de l’amour, c’est ainsi qu’ils s’exprimèrent. Ensuite, ces monstres au regard rouge dépecèrent de leurs becs mon corps délicat assoiffé de désirs inassouvissables et de folies. Du sang leur vint au bec. Ils firent couler le sang et jetèrent mon corps à terre. Ils me couvrirent de pierres et de branchages. Mon corps devint la proie des serpents et des mille-pattes. Alors qu’un silence sournois recouvrait la terre, ils appliquèrent leurs rituels, avec leurs ailes et leurs serres. Ils présentèrent leurs hommages à Satan.

XXXXX Semence de l’humanité; pleine de microbes. Elle rampe sur la terre. La

mort prend possession de mon corps. On a dû me traîner en un lieu obscur. Satan a joué sa pièce, sournoisement. Il est entré dans mon corps, écoutant avec attention les «bruits des caillons qui chantent dans la brume» – La cloche fêlée.

XXXXX Je gis au fond de la grotte, seul, dans le silence, parmi les amours, les

tromperies et les illusions. La nuit silencieuse recouvre les alentours qui disparaissent dans la poussière et la fumée. Satan est partout. Satan sur la terre. Satan dans le fond de la caverne. Moi, moi aussi, je ne suis, au service de Satan, qu’un «vieux cheval dont le pied à chaque obstacle butte, […] vieux maraudeur» – Le Goût du néant.

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Ô Satan, toi qui vogues dans les cieux et règnes sur l’enfer, toi, l’annonciateur de la mort, le représentant de la misère, le grand faucheur, vas-t-en! Vade retro!

XXXXX Vous, qui comme moi, êtes les esclaves et les disciples de l’amour, vous

les cœurs fatigués qui lui avaient accordé foi! Lisez, je vous prie, et écoutez mon misérable récit. Personne dans ce monde n’a payé plus cher la faute d’avoir aimé.

Maintenant – j’en suis sûr – la femme que j’avais prise pour une reine et pour une divinité n’a aucune valeur dans ce monde. Le soleil de la justice s’est assombri.

XXXXX Je geins et vous demande maintenant: ô existence sans consolation, ô

destin, ô malheur! Où tout ceci prend-il donc fin? Bibliographie

Baudelaire, Charles (1975), Œuvres complètes, Tome I, Paris: Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade.

Baudelaire, Charles (1975), «Critique artistique – Salon de 1846», in Œuvres complètes, Paris: Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, p. 874 – 949.

Galand, René (1969), Baudelaire poétiques et poésie, Nizet. İnal, Tuğrul (2006), Une proposition de méthode de lecture: l’approche

emphatique, Ankara: Frankofoni 18. İnal, Tuğrul (2007), Une lecture dramatique pour Baudelaire V (en turc), Ankara:

Frankofoni 19. İnal, Tuğrul (2008), Une lecture dramatique pour Baudelaire VI (en turc), Ankara:

Frankofoni 20. İnal, Tuğrul (2009), Une lecture dramatique pour Baudelaire VII (en turc),

Ankara: Frankofoni 21. İnal, Tuğrul (2010), Une lecture dramatique pour Baudelaire VIII (en turc),

Ankara: Frankofoni 22. İnal, Tuğrul (2011), Une lecture dramatique pour Baudelaire IX (en turc), Ankara:

Frankofoni 23. İnal, Tuğrul (2012), Une lecture dramatique pour Baudelaire X (en turc), Ankara:

Frankofoni 24.

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LA VERSION ROUMAINE DU PREMIER HOMME

Ioan LASCU Université de Craiova, Roumanie

Résumé Le Premier homme, la dernière publication des œuvres camusiennes, parue en 1994, a été vite traduite en roumain, la même année. Vu sa structure fragmentée, bariolée par endroits, ce livre soulève beaucoup de difficultés de traduction. Sans doute certaines de ces difficultés ont été surmontées par la traductrice roumaine Ileana Cantuniari, qui a achevé son travail au bout d’un court laps de temps – moins de six mois peut-être. Ce sont l’importance de la traduction en roumain du Premier Homme et les difficultés qu’elle a comportées que nous nous proposons de relever à la suite d’une analyse comparative des versions française et roumaine. En outre, nous nous proposons encore de souligner la singularité de ce livre, du point de vue de la structure et du style, dans le contexte général de l’œuvre d’Albert Camus. Cette analyse constituera le point de départ d’un examen approfondi de type critique génétique concernant le laboratoire camusien, de la genèse du texte, de son élaboration proprement-dite.

Abstract

Le Premier Homme (The First Man)’s Romanian Version Camus’s latest novel in France was The Last Man (1994) was immediately translated and published into Romanian. Its structure is rather composite, even fragmented here and there, and that’s exactly the reason of numerous difficulties of translation. Undoubtedly, most of them were solved by the Romanian translator, Ileana Cantuniari, who achieved his work in about six months. In this critical article we propose to reveal the importance of the Romanian version and the main difficulties of translation as a result of a comparative study of the French original and the Romanian version. Moreover, we also aim to underline the singularity of this novel as concerns structure and style in the whole of Albert Camus’s work. We think that is a right way for revealing the genesis of this text and its elaboration.

Mots-clés: traduire, difficulté, singularité, comparatiste, génétique. Keywords: to translate, difficulty, singularity, comparative, elaboration.

2010 aurait pu être, selon plusieurs raisons, l’année Albert Camus. On a marqué 50 ans depuis sa disparition tragique et inattendue, à la suite d’un accident de voiture, le 4 janvier 1960, quelque part sur une route vers Paris, aux environs d’un village obscur (Petit-Villeblevin). Albert Camus détestait l’automobile, il n’en avait jamais pris, et, de plus, il s’en était gardé loin comme s’il avait redouté sa mort. Le récent lauréat du Prix Nobel de littérature (1957) avait à peine atteint l’âge de 46 ans, le 7 novembre1959. Il avait passé le Jour de l’An 1960 avec sa famille et des amis à sa résidence de Lourmarin, au sud de la France, dans une villa

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récemment construite, disait-on, de l’argent provenu du Prix Nobel. Camus avait déjà procuré des billets de train, pour lui et Francine, son épouse, et voulait aller à Paris, chez Gallimard, où il était lecteur. Mais son ami Michel Gallimard, avec qui ils avaient passé les fêtes du Jour de l’An, l’a convaincu, et c’est vraiment incroyable, de rendre son billet et de faire le trajet en voiture, en dépit de sa crainte obsessionnelle! Seule Francine n’y a pas renoncé et a pris le train.

La mort prématurée d’Albert Camus, l’un des plus lus et publiés écrivains français du XXe siècle, ressemble à un sensationnel fait divers. Et elle est même un fait exceptionnel! Les circonstances de l’accident sont restées assez mystérieuses vu que, sur une portion de route toute droite, sans neige ni verglas, la voiture a dérapé soudainement et a violemment percuté un arbre. Le passager Albert Camus est tué sur le coup, le crâne fracturé. Et à cause de quoi? Vitesse excessive (130 km/h), chauffeur endormi au volant, défaillance technique (un pneu qui a éclaté), erreur de pilotage ou bien sabotage dû à un acte terroriste? La dernière hypothèse aurait pu être plausible seulement si on prend en considération le fait que Camus, en pleine guerre franco-algérienne, avait semblé se placer, humainement et sentimentalement, à côté des Africains, en faisant des appels publics pour une trêve civile et la cesse de ce conflit sanglant. De toute façon, un voile de mystère pèse encore sur ce tragique évènement. Après l’accident, près de la voiture, parmi les documents que l’écrivain avait emportés, on a découvert un manuscrit sur lequel Albert Camus pensait travailler pendant son séjour parisien. C’était le manuscrit du Premier homme, 144 pages, qui aurait été le premier livre d’un cycle nouveau voué, peut-être, à donner une orientation différente à son œuvre. Ce manuscrit sera publié 34 ans plus tard, en 1994, chez Gallimard.

Le Premier homme est donc le premier texte massif signé par Albert Camus et publié après sa mort. Le livre a été immédiatement traduit et publié en roumain aux Éditions RAO International Publishing House de Bucarest. Cette première version roumaine est due à la traductrice Ileana Cantuniari. La rapidité de la parution en roumain, la même année que sa publication en France, s’explique par la vive préoccupation de la Maison d’Éditions RAO pour l’impression de l’intégrale de l’œuvre camusienne; la série avait débuté en novembre 1993 par la publication des œuvres en prose (L’Étranger, La Peste, La Chute, L’Exil et le Royaume), a continué en mars 1994 avec les essais (L’Envers et l’endroit, Noces, Le Mythe de Sisyphe, L’Homme révolté, L’Été), pour être enfin couronnée par la réédition des pièces de théâtre, en septembre 1996 (Caligula, Le Malentendu, État de siège, Les Justes, Révolte dans les Asturies). Une pléiade de traducteurs, parmi les mieux cotés, se réunirent pour en venir à bout de cette téméraire entreprise. Leurs noms: Georgeta Horodincǎ, Olga Mǎrculescu, Irina Mavrodin, Mihaela Simion, Modest Morariu, Laurenţiu Fulga, Catinca Ralea, Marcel Aderca, I. Igiro�ianu, Eugen B. Marian et Constantin Bercescu. Dans la plupart des cas, on a repris des éditions antérieures des traductions des textes camusiens. Dans la même collection, Œuvres XX (Opere XX), le méritoire collectif de RAO a publié les livres de biens des écrivains célèbres du XXe siècle tels André Malraux, Jean-Paul Sartre,

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Antoine de Saint-Exupéry, Thomas Mann, Hermann Hesse, Franz Kafka, Gabriel García Márquez et d’autres.

Dans la Note de l’éditeur (en roumain: Note de l’éditeur français), signée par Catherine Camus, fille et légataire testamentaire, sont précisées certaines raisons qui auraient longtemps empêché la publication du manuscrit:

«Nous publions aujourd’hui Le Premier homme. Il s’agit de l’œuvre à laquelle travaillait Camus au moment de sa mort. Le manuscrit a été trouvé dans sa sacoche, le 4 janvier 1960. Il se compose de 144 pages tracées au fil de la plume, parfois sans points ni virgules, d’une écriture rapide, difficile à déchiffrer, jamais retravaillée […]. Nous avons établi ce texte à partir du manuscrit et d’une première dactylographie faite par Francine Camus. Pour la bonne compréhension du récit la ponctuation a été rétablie. Les mots de lecture douteuse sont placés entre crochets. Les mots et membres de phrase qui n’ont pu être déchiffrés sont indiqués par un blanc entre crochets…» (p. 11)

Il est vrai donc que les difficultés de la publication du Premier homme ont

été nombreuses. Il est probable que les éditeurs ont longuement réfléchi sur l’opportunité de la publication considérée par le prisme de la valeur, afin de ne pas faire diminuer le prestige de l’œuvre et de son auteur. Mais en parcourant le livre on peut se convaincre qu’il ne saurait être suspecté d’un tel préjudice. La force narrative, la minutie des remémorations, le style renouvelé, plus «artistique» que dans ses romans bien connus, L’Étranger et La Peste, la participation affective de l’écrivain même, sont autant d’éléments de nouveauté. En fin du livre on a inséré une section plus particulière, séparée du manuscrit proprement dit – Le Premier homme (Notes et plans), et un «petit carnet à spirale et à papier quadrillé qui permet au lecteur […] de voir le développement que l’auteur voulait donner à son œuvre, y est joint.» (Voire la Note de l’éditeur) (p.12). À vrai dire, après avoir fini le parcours de son œuvre qui semblait être complet, c’est-à-dire: la jeunesse fiévreuse, le cycle de l’absurde, le cycle de la révolte et le retour sur soi, Camus pensait à y faire suite, ce qui, à son intention, constituerait une tournure originale, probablement marquée par la biographie, à la fois moins évènementielle et non parabolique. Ce sont les notes annexes au Premier homme qui le suggèrent et aussi les mots qui l’ouvrent en exergue, mots empruntés à Paul Claudel, à savoir à son drame L’Échange: «Rien ne vaut contre la vie humble, ignorante, obstinée» (p. 167). C’est une notation symptomatique à l’égard de la vie simple, austère, même indigente, que Camus avait partagée en enfant et en jeune homme, et encore à l’égard de sa mère, taciturne et modeste jusqu’à l’obstination et, finalement, à l’égard de la condition du quartier algérois de Belcourt, où il avait grandi et fait l’école primaire.

Le Premier homme a comme prétexte la recherche du père, zouave algérien grièvement blessé à la tête et décédé pendant la Grande Guerre (en octobre 1914, au Nord de la France), mais le roman contient de longs passages dédiés à sa mère, à sa famille, à son oncle (Étienne ou Ernest dans le livre), aux années d’écolier

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passées sous la surveillance de son maître bien aimé, Germain Louis. Pour tout cela, Le Premier homme est en effet un livre à caractère autobiographique, où la transfiguration, la fiction, agissent par le biais des noms des personnages (Albert Camus y compris figure sous le nom de Jacques Cormery), les éclipses de mémoire et les effets stylistiques.

Dans la Note du traducteur roumain, Ileana Cantuniari nous éclaire sur quelques modalités de travail sur le texte français:

«Le texte si incitant du roman Le Premier homme, d’Albert Camus, n’a pas joui du temps nécessaire pour la mise au point et la stylisation de l’auteur, pour des raisons déjà connues. En tenant compte de tout cela, mais aussi de la manière de travailler de l’éditeur français, qui n’a voulu intervenir d’aucune manière dans le texte, nous nous sommes proposé la même chose, c’est-à-dire la totale préservation des particularités de ce livre unique dans la création de Camus qui projette sur son auteur une lumière d’intense et chaleureuse humanité. Nous avons souvent ressenti l’impression du texte nouveau-né, avec faux-pas et répétitions, parfois syncopé ou, par endroits, trop long en phrases interminables. On sent la profonde implication affective dans ces évocations et tentatives de revivre les origines, de même qu’on saisit également l’empressement lorsque les idées et les souvenirs s’élancent tous à la fois et l’auteur consigne tout avec fébrilité et d’une manière non sélective, désordonnée, tendue. Surtout le dernier chapitre (le dernier mais sans intention, placé à la fin par le jeu du hasard) trahit, semble-t-il, la crainte inconsciente que ‘le temps n’aura plus de patience’. De la sorte, nous ne nous sommes permis aucune intervention dans le texte. Nous espérons avoir réussi à offrir au lecteur roumain une version aussi fidèle que possible du texte original, où les éventuelles longueurs et discordances ou peut-être incohérences, propres à un texte jamais retravaillé, ne gênent pas la fluence de la lecture.» (p. 315, notre traduction)

Les remarques d’Ileana Cantuniari sont honnêtes et pertinentes, surtout en

ce qui concerne un texte «cru», tel qu’il est resté en manuscrit. Certes, dans un tel cas, la fidélité envers le texte original demeure un critère souverain. Mais cela se fait justement malgré la perturbation, par endroits, de la si souvent invoquée fluence de la lecture. Quelques imperfections de traduction peuvent être dépistées à première vue, sans qu’une confrontation rigoureuse avec le texte français soit nécessaire. Elles incombent à un usage inadéquat, même incorrect, de quelques mots et expressions roumains et de leurs équivalents français. Je prends en compte seulement les trois derniers chapitres (Étienne, L’école, La colonisation et le père) de la première partie, Recherche du père. Plusieurs fois les fautes s’expliquent par la traduction littérale de certains mots et syntagmes, par exemple: Le fils revenu aux sources… (texte original, p. 86) devrait se traduire plutôt par Le fils […] revenu aux origines; l’enfant diminué (texte original, p. 87) ne peut être traduit en roumain que par l’enfant handicapé; Rares sont ceux qui continuent d’être prodigue après en avoir acquis les moyens (en original, p. 88) où les moyens sont traduits en roumain par moyens d’être (p. 114) au lieu de moyens d’existence; Pendant plusieurs jours la grand’mère n’adressa pas la parole à sa fille (p. 90) ne

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peut avoir un équivalent littéral en roumain – ne pas adresser la parole doit trouver son équivalent seulement par ne pas lui dire un seul mot; Sur l’un des côtés, on avait construit une sorte de toit de briques (en original, p. 91), où toit de brique est incorrectement traduit en roumain par couverture de brique; … les caisses de rivets traînaient d’une place à l’autre… (ibidem) doit être traduit en roumain par une construction passive:… les caisses étaient traînées…; …sur le gros bassin vernissé du jet d’eau et … sa grand’mère le chargeait des travaux domestiques et des courses (p. 112) sont deux séquences «endommagées» par la traduction incorrecte des locutions françaises jet d’eau et faire des courses – il s’agit, dans les deux cas, des traductions mot à mot, de sorte que la première suggère, en roumain, une action d’asperger et la deuxième celle de courir. Il y a encore des fautes à repérer à travers la seconde partie du roman, Le fils ou Le premier homme. Mais les erreurs de traduction ne concernent pas l’ensemble qui est intelligible et la lecture qui est fluente, ce que la traductrice a souhaité dès le début. Les imperfections sont partiellement excusables par la hâte d’une entreprise accomplie sous la pression de la publication rapide du livre (en décembre 1994) et, naturellement, sont à corriger dans une edition future.

Le roman Le premier homme est révélateur à plusieurs égards. Je ferais référence d’abord à la vie menée par les différentes communautés d’Alger: française, espagnole, italienne (toutes les trois communautés de colons) et arabe. Quoique les enfants issus de ces communautés se rencontrassent dans les classes de l’école primaire ou sur les terrains de jeux, quoique la vie quotidienne (les lieux publics, l’école, l’activité commerciale, etc.) facilitât les contacts entre eux et la vie sociale et familiale proprement dite, les gens de n’importe quelle communauté vivaient tout à fait séparément.

Au sujet du controversé problème de la foi, Albert Camus fait plusieurs mentions éclaircissantes. À l’école primaire Germain Louis, le maître si respecté et chéri par le petit Albert, se manifestait en anticlérical mais sans avoir jamais soufflé mot contre la religion:

«À vrai dire la religion ne tenait aucune place dans sa famille. Personne n’allait à la messe, personne n’invoquait ou n’enseignait les commandements divins, et personne non plus ne faisait allusion aux récompenses et aux châtiments de l’au-delà.» (p. 110)

La vie âpre, pauvre, chargée des soucis quotidiens n’était nullement une

impulsion pour donner cours aux préoccupations religieuses. De toute façon, l’indigence ne semblait guère favoriser la foi:

«Si à cette disposition générale on ajoutait l’âpreté des luttes et du travail quotidiennes, sans compter, en ce qui concerne la famille de Jacques, l’usure terrible de la pauvreté, il devient difficile de trouver la place de la religion» (ibidem).

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C’était toujours Germain Louis, ancien combattant de la Grande Guerre, qui racontait souvent à ses petits élèves les horreurs qu’il avait vues et combien il avait souffert pendant la conflagration. Il lisait devant eux de nombreux passages extraits du livre les Croix de bois de Roland Dorgelès, lui aussi combattant de la guerre :

«Mais surtout il leur parlait de la guerre encore toute proche et qu’il avait faite pendant quatre ans, des souffrances des soldats, de leur courage, de leur patience et de la joie de l’armistice. À la fin de chaque trimestre, avant de les renvoyer en vacances, et de temps en temps, quand l’emploi du temps lui permettait, il avait pris l’habitude de leur lire de longs extraits des Croix de bois de Dorgelès. Pour Jacques, ces lectures lui ouvraient encore les portes de l’exotisme, mais l’exotisme où la peur et le malheur rôdaient, bien qu’il ne fît jamais de rapprochement, sinon théorique, avec le père qu’il n’avait pas connu.» (p. 102) Albert Camus, parti à la recherche du père, se retrouve, en fin de compte,

soi-même. Après avoir trouvé le tombeau de son père dans le cimetière de Saint-Brieuc, quelque part loin de la Marne, il revient en Algérie et poursuit ses recherches. Pendant le voyage à Mondovi il retrouve l’enfance de ses premières années. C’est ainsi qu’il apprend, au moins dans la forme dans laquelle le roman est resté, que c’est lui le premier homme.

L’image de sa mère, elle seule, est évoquée/ invoquée avec insistance et finesse. Une mère analphabète, belle autrefois, chez qui le bavardage alternait avec de longs moments de silence… Une mère douce, qui ne l’avait jamais frappé – c’était la tâche qui revenait à sa grand-mère, d’une impardonnable sévérité – une mère veuve de guerre qui s’épuisait en faisant les plus humbles travaux pour entretenir sa famille. Une mère d’une modestie et simplicité sans défense et, d’une certaine façon, humiliante et étonnante à la fois. Enfin, une mère qui a mené une vie «uniforme» et «grise», ayant le cœur rongé par la souffrance, le travail et la fatigue:

«Elle parlait d’un seul coup, par petites phrases simples et qui se suivaient comme si elle se vidait de sa pensée jusque-là silencieuse. Et puis, la pensée tarie, elle se taisait à nouveau, la bouche serrée, l’œil doux et morne, regardant à travers les persiennes fermées de la salle à manger la lumière suffocante qui montait de la rue, toujours à sa même place sur la même chaise inconfortable, et son fils tournait comme autrefois autour de table centrale.» (p. 69)

Dans toute cette austérité, l’image de la mère est, peut-être, la plus vivante

effigie à retrouver à travers Le Premier homme et qui empreint le roman, tandis que l’image et même le nom du père s’estompent de plus en plus, quelque part, au lointain, sur une croix de bois, dans un cimetière anonyme du nord de la France.

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Bibliographie

Camus, Albert (1960), Le Premier homme, Paris: Les Éditions Gallimard, collection NRF, 334 pp., édition électronique réalisée à partir du texte d’Albert Camus, http://classiques.uqac.ca/classiquues/camus_albert/premierhomme/premierhomme.html (dernière consultation le 21 mai 2011).

Camus, Albert (1994), Primul om, Bucureşti: Editura RAO International Publishing Company (édition roumaine, traduction par Ileana Cantuniari).

Castex, P.G. / Becker.G / Surer, P. (1974), Histoire de la littérature française (IIIe partie – Les temps modernes), Paris: Hachette.

Vuillemin, Alain / Lascu, Ioan / Rădulescu, Valentina / Manolescu, Camelia / Rădulescu, Anda / Condei Cecilia (éds.) (2011), Albert Camus – un écrivain pour notre temps. Actes du colloque international de Craiova, 28-29 octobre 2010, Craiova: Editura Universitaria.

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GUSTAVE FLAUBERT, UN MODERNE – PRÉCURSEUR DES CLASSIQUES

DANS LA VISION D’IRINA MAVRODIN

Camelia MANOLESCU Université de Craiova, Roumanie

Résumé Notre étude se veut un hommage à Irina Mavrodin, poète, essayiste et traductrice, professeur de littérature française, animatrice des ateliers de poétique/poïétique dans des universités roumaines et parisiennes. Nous voulons mettre en évidence, à partir de l’essai critique d’Irina Mavrodin, Modernii, precursori ai clasicilor, Cluj-Napoca, Ed. Dacia, 1981, col. «Discobolul» (le chapitre Flaubert), un écrivain, Gustave Flaubert, et un comportement auctorial moderne qui a dépassé le XIXe siècle, car nous observons un auteur réclamé autant par les classiques que par les modernes. Nous essayons, modestement d’ailleurs, de rendre la vision originelle du professeur-chercheur Irina Mavrodin sur Flaubert, sur celui qui «influence» la littérature d’aujourd’hui et qui en est, à son tour «influencé», sur l’œuvre comme interrogation sur l’être et sur le devenir de la littérature, sur la description et l’auto-description, sur l’impersonnalité flaubertienne; en un mot, nous envisageons travailler sur la modernité de Flaubert.

Abstract

Gustave Flaubert, a Modern Classics Precursor in Irina Mavrodin’s View Our study is a tribute to Irina Mavrodin, poet, essayist and translator, professor of French literature hosting poetic/poïetic workshops in Romanian and French universities. We want to highlight, from the critical essay Irina Mavrodin’s Modernii, precursori ai clasicilor, Cluj-Napoca, Dacia Publishing House, 1981, coll. “Discobolul” (Flaubert chapter), a writer, Gustave Flaubert, and a modern authorial behavior that exceeded the century because we analize a writer claimed both by the classics and the moderns. We shall try, modestly also, to make public the original vision of the researcher Irina Mavrodin on Flaubert, a writer who “influences” the literature of today and, in the same time, a writer “influenced” as well by it, on the work as questions about being and becoming the future of literature, on the description and the self-description, on Flaubert’s impersonality; in a word, we plan to work on Flaubert’s modernity.

Mots-clés: interrogation, description/auto-description, impersonnalité, poïétique/ poétique. Keywords: interrogation, description/auto-description, impersonality, poietic/ poetic.

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Introduction Poète, essayiste et traductrice, professeur de littérature française à

l’Université de Bucarest, professeur associé des Universités de Craiova (université qui a réactivé son activité didactique après 1989), de Piteşti, de Braşov, de Sibiu, de Suceava, coordinateur reconnu de thèses doctorales, Irina Mavrodin, fortement influencée par la tradition francophile de sa famille, se remarque aussi par l’animation des ateliers de poétique/poïétique dans des universités roumaines et françaises.

Dans son essai critique, Modernii, precursori ai clasicilor (Les Modernes, précurseurs des classiques), Cluj-Napoca, Ed. Dacia, 1981, col. «Discobolul» (le chapitre Flaubert), Irina Mavrodin analyse un comportement auctorial moderne, un écrivain qui a dépassé son siècle, réclamé autant par les classiques que par les modernes, c’est-à-dire Gustave Flaubert, et un dialogue qui se tisse ainsi entre l’écrivain, celui qui participe effectivement à la création de l’œuvre, et son œuvre.

Notre travail essaie, modestement, de rendre la vision originelle du professeur-chercheur Irina Mavrodin sur Flaubert, sur celui qui «influence» la littérature d’aujourd’hui et qui en est, à son tour «influencé», sur l’œuvre comme interrogation sur l’être et sur le devenir futur de la littérature, sur la description et l’auto-description, sur l’impersonnalité flaubertienne; en un mot, nous envisageons de travailler sur la modernité de Flaubert.

1. Irina Mavrodin et la poïetique flaubertienne 1.1. Flaubert, influençant/«influencé»1 (par) la littérature

d’aujourd’hui Flaubert est l’écrivain qui suscite chez Irina Mavrodin (1981: 120) une

analyse détaillée des observations concernant le rapport poïétique/poétique car l’être flaubertien adopte spontanément, à l’égard des choses, une attitude de curiosité à l’aide de laquelle il impose la sensation au lecteur: il projette son désir, il dévoile ses intentions. La sensation flaubertienne doit parcourir un long chemin entre l’image proposée et l’esprit qui la reçoit, elle doit remplir le cœur et l’œil du lecteur ébahi par tant de lumière et de couleur. Irina Mavrodin montre ainsi un Flaubert tout à fait moderne, un écrivain qui dépasse le siècle par sa technique de construire le roman et, en même temps, un écrivain considéré comme précurseur par les modernes du XXe siècle.

Théodore de Banville considère que les romans de Flaubert, surtout Madame Bovary et L’Education Sentimentale, représentent, pour leur siècle, la modernité de la littérature ou le roman «impersonnel», «objectif», «scientifique» (p. 120); selon Proust (1971), le subjectivisme de Flaubert est la nouvelle «vision romanesque» (ibidem) car «toute action devient impression» (Proust 1971: 595); de son côté, Nathalie Sarraute (1965) inscrit le roman de Flaubert dans la grande

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lignée des écrivains du présent, tandis qu’Alain Robbe-Grillet (1968) le considère comme appartenant au Surréalisme ou au Nouveau Roman.

Défini comme moderne par ses contemporains, parce qu’il a inventé une nouvelle forme romanesque, Flaubert est encore un moderne parce qu’il est source pour l’écriture européenne du XXe siècle (p. 121). Irina Mavrodin le considère le Grand précurseur de la littérature, celui qui l’influence et qui se laisse influencé par cette même littérature (p. 122).

Si nous tenons compte de cette observation, c’est-à-dire, si nous considérons Flaubert comme le précurseur de Proust, du Nouveau Roman, de Nathalie Sarraute, d’Alain Robbe-Grillet, de Barthes ou de Genette (p. 123), alors tous les écrivains modernes deviennent ses précurseurs (ibidem). Il est considéré «moderne» (ibidem) par son temps parce qu’il crée, suivant la voie ouverte par Balzac, un roman «plus objectif» et «plus impersonnel» (p. 124) que le roman balzacien, en insistant sur la pratique du document surpris sur le vif. Mais Irina Mavrodin observe, de plus, que ce même roman est un texte «autoréférentiel» et «autoréflexif» (ibidem) qui, en décrivant la réalité, se décrit lui-même; alors, le fait de «créer le texte» devient le fait de «parler sur le fait de créer», le texte est en même temps méta-texte, la pratique devient théorie et la théorie se transforme en pratique (ibidem).

Lue comme «interrogation sur la littérature» (ibidem), l’œuvre flaubertienne est bien moderne, selon Irina Mavrodin; son auteur est, avant Mallarmé, celui qui a perdu son état «d’innocence» (p.125) si caractéristique pour l’hypostase de l’écrivain «omniscient» (ibidem). La littérature est alors un art mais, en même temps, une science de sa propre création (ibidem).

Irina Mavrodin souligne aussi le fait que l’effort d’autodéfinition de la littérature contemporaine (ou dans la variante de Flaubert, «les affres du style») ne doit pas être confondu avec l’effort de l’écrivain de type traditionnel qui lutte «avec la matière offerte par la réalité» (p. 126), effort ressenti comme un besoin viscéral de la raconter, de la décrire, de la représenter à l’aide des formes les plus adéquates, de la transposer, de l’exprimer (p. 125). Pour le chercheur Irina Mavrodin, les affres de Flaubert ne résident pas dans sa manière de ciseler la phrase, ni même dans l’intensité de sa recherche ; elles doivent être cherchées dans le sentiment perpétuel de vaincre les obstacles, dans cette éternelle non-limitation car, pour lui, l’œuvre n’est jamais finie, le texte est donc une chimère (p. 126), un fait virtuel jamais accompli. Pour Flaubert tout est important: depuis la Correspondance qui se veut un miroir de l’âme jusqu’à l’écriture romanesque, célèbre pour les «affres» colossales de sa naissance. L’écriture représente non seulement une modalité de peindre la réalité mais aussi un moyen qui lui permet de vivre cette réalité même, en se retirant dans l’expérience scripturale2.

De plus, toujours selon Irina Mavrodin, même le texte imprimé ne représente pas non plus une limite dans cette incertitude illimitée de l’auteur. Alors sa fameuse formule «Madame Bovary, c’est moi» est, dans d’autres mots, l’incapacité de l’auteur de choisir, fait qui peut être, au fond, son option de se délimiter de ses affirmations (p. 126-127). Flaubert ne peut donc pas s’assumer le

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texte, texte qui se modifie sans cesse et, par conséquent, ses affres sont illimitées. Flaubert est convaincu qu’il existe toujours un mot propre pour désigner un état, pour qualifier, c’est donc «le mot juste» (A. Thibaudet 1935: 207). Tout doit être travaillé, dévoré pour que «le mot juste» existe dans le contexte ou dans la situation «juste». De ce point de vue, Irina Mavrodin trouve que l’œuvre de Flaubert se fait par option comme «condition de la création et du créateur» (p. 127). Si Flaubert choisit l’œuvre «non finie» (ibidem), c’est parce que son œuvre est en train de se faire, comme condition de toute la littérature et comme condition d’une littérature qui a fait son propre choix.

1.2. L’œuvre flaubertienne comme «interrogation sur l’être» et «sur le

devenir de la littérature» Si Irina Mavrodin (1981: 120) parle de la modernité de Flaubert, c’est

parce qu’elle fait référence à l’«innocence perdue» de l’auteur (ibidem) et à son effort de «faire» (ibidem) l’œuvre. Flaubert découvre ainsi la littérature comme «valeur» (ibidem) qui n’est pas donnée une fois pour toutes mais comme valeur de chaque lecture. Le chercheur Irina Mavrodin se rend compte que Flaubert est l’écrivain qui «écrit» mais il est aussi celui qui «se lit» (ibidem). L’expérience de «l’autre» (ibidem) qui est, au fond, le lecteur, se recrée à travers «l’acte de la création» et «le produit de cet acte» (ibidem). C’est peut-être l’exemple de Stendhal, l’adepte d’une «écriture spontanée» (ibidem), qui crée «l’ellipse ou l’espace blanc» (ibidem) comme multiplication des consensus obsessionnellement répétés et projetés dans l’avenir. Le lecteur, «en relation de symétrie» (p. 128) avec son écrivain, n’est plus un lecteur innocent, il participe effectivement «au déchiffrement» du texte, ou en d’autres mots, à «la création» du texte créé juste pour cet effet (ibidem). L’œuvre, dans la variante que Flaubert propose, doit avoir à ses origines une sorte d’accumulation d’idées amassées dans les notes et les écrits de jeunesse à la suite d’un lourd travail d’années, comme couronnement d’un vieux projet ou à partir de ses anciennes idées. Les carnets de travail et la Correspondance sont une preuve de plus des idées jamais mises en pratique mais qui témoignent d’ailleurs de sa curiosité, de son esprit encyclopédique, de sa fidélité aux notes relues et enrichies sans cesse3.

Dans sa polémique avec Albert Thibaudet sur le thème de l’œuvre de Flaubert, Proust remarque la nouveauté du roman flaubertien, en insistant surtout sur «l’espace blanc» (ibidem) du roman L’Education Sentimentale, bien suggéré dans l’antépénultième chapitre du livre où le rythme de la phrase et des événements change à grande vitesse sans y préparer le lecteur (p. 128-129), fait qui le détermine ainsi à réécrire le roman. Mais Proust continue son raisonnement en indiquant que «l’homme de talent» se transforme en véritable artiste juste au moment où il se sépare de «son talent» (p. 129). L’affirmation est choquante surtout parce que Proust insiste sur l’idée que cette séparation entre l’écrivain et son talent ne vise que sa libération de «la tyrannie» (p. 130) du modèle. Être écrivain ne signifie pas écrire «contre la littérature» (ibidem) mais écrire d’une

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autre manière, de sa propre manière, c’est-à-dire être unique par sa manière d’écrire «pour la littérature» (ibidem). Flaubert est l’écrivain qui transforme le sens du verbe écrire (Biasi 2007) ou travailler le mot de sorte qu’il soit capable de rendre une image.

Irina Mavrodin considère que la lecture se fait avant l’apparition du livre, que l’écrivain, avant d’être écrivain, a été premièrement lecteur. L’écrivain moderne, en écrivant son livre, fait «une lecture intertextuelle» (p. 131) (tout comme Flaubert si reconnu pour sa vaste culture littéraire), lecture qui impose, pour l’écriture moderne, «une fonction autoréférentielle» (ibidem). Mais Flaubert réussit à s’imposer par la technique «de dédoublement» (p. 132), selon Irina Mavrodin et Tudor Vianu (1963: 488), dans le sens que l’écrivain est partagé entre son intérêt romantique pour le pittoresque et l’exotique et son orientation réaliste dans l’étude du social.

Mais, pour Irina Mavrodin, la dualité flaubertienne se manifeste même à l’intérieur d’une même œuvre (ibidem). Ce phénomène du dédoublement, bien présent dans l’épaisse Correspondance flaubertienne (décrire de l’intérieur ce que les autres décrivent de l’extérieur), montre la manière de Flaubert de faire l’œuvre mais aussi «l’œuvre comme produit» (ibidem). Irina Mavrodin diversifie ses affirmations et, en comparant Flaubert et Stendhal, déclare que Stendhal se rapproche de la technique flaubertienne par le fait qu’il attribue le rôle de personnage «complice» et «omniprésent» à un «lecteur» qui a le devoir présupposé de sanctionner le livre en train de s’écrire (ibidem) et non pas pour le fait qu’il écrit son livre selon le modèle du Code civile ou comme réaction contre l’écriture imposée par Chateaubriand (ibidem).

1.3. L’œuvre comme «description» et «auto-description» L’œuvre flaubertienne (Mavrodin 1981: 133), dans sa totalité, a déterminé

une réaction virulente de la part de ses contemporains, compte tenu du fait que sa réception a déclenché un véritable impact entre l’apparition d’une nouvelle œuvre et la conscience contemporaine de sa création. La tentation de Saint Antoine, comme la création flaubertienne dans son ensemble, sauf Bouvard et Pécuchet, est, selon les propres mots de Flaubert, l’œuvre d’une vie (p. 133), dans le sens du matériau que Flaubert y a mis et dans le sens de l’ouvre toujours refaite, comme «expérience totale d’une vie» (ibidem).

Selon Flaubert, le texte de l’œuvre, avant d’être publié, doit connaître une succession de faux départs (Biasi 2007) échelonnés dans le temps. Alors l’idée, avant d’être mise en page, se présente sous la forme d’un pré-projet avec une infinité de variantes possibles. Il s’agit peut-être du désir de l’écrivain de garder la sensation première qui déclenche l’image ou la structure interne d’un univers en train de se faire ayant comme points de départ l’avenir de l’œuvre projetée et la mémoire autobiographique de son passé. Tout dépend de sa méthode: si pendant sa jeunesse, il écrivait enregistrant des records de vitesse, à partir de La tentation de Saint Antoine, et surtout après l’expérience de Madame Bovary (qui lui avait volé

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plus de quatre ans de travail au lieu d’une année, selon ses estimations), Flaubert sait qu’il doit y réfléchir à deux fois avant de commencer une nouvelle rédaction. Avec Salammbô, plus compliqué que tous les autres romans à la fois, il s’oriente vers une écriture documentée à travers un voyage initiatique.

Irina Mavrodin insiste sans cesse sur l’idée que, si la critique traditionnelle parle du fait que l’œuvre flaubertienne balance entre le romantisme, le réalisme et le naturalisme (p. 135), la possibilité de la définir engage une confrontation entre l’écriture «flaubertienne» (ibidem) et l’écriture «anti-flaubertienne» (ibidem) comme contestation réciproque de ce que constituerait l’écriture flaubertienne en elle-même (ibidem). Ou, en d’autres mots, selon Irina Mavrodin, La Tentation de Saint Antoine est l’exemple «classique» de l’œuvre flaubertienne qui «se construit» (p. 135) à grands efforts, conformément à une esthétique «réaliste» (ibidem). C’est l’œuvre qui vise une «représentation historique» (ibidem) de certains aspects de l’existence de l’humanité du IIIe et du IVe siècles, une œuvre qui se veut rigoureusement «objective» (ibidem) comme Madame Bovary ou comme Salammbô, et dont le créateur applique ainsi à l’histoire «les procédés du roman moderne» (ibidem).

L’écriture flaubertienne réside juste dans la contestation réitérée par cette même écriture (p. 136) (dans le sens qu’elle caractérise déjà la manière d’écrire de Flaubert, qu’elle a déjà existé, inventée par les autres et que le talent flaubertien s’est appropriée aisément) et l’écriture anti-flaubertienne (dans le sens de renoncer à sa manière d’écrire: «Je voudrais faire des livres où il n’y eut qu’à écrire des phrases», «bien écrire, c’est tout», «Ce que je voudrais faire, c’est un livre sur rien», Flaubert 1923: 750-781), imposant ainsi les fonctions représentative et auto-représentative (ibidem). Cette écriture donc «se construit» et «se déconstruit» de manière circulaire (ibidem), elle est, en égale mesure, «référentielle» et «autoréférentielle» (ibidem), elle renvoie au référent comme monde vu par l’auteur et à soi comme référent; le monde est, en même temps, un texte et un méta-texte sur le monde, texte qui décrit le fonctionnement du texte sur le monde qui est juste ce monde (pp. 136-137). Ses «affres» ne représentent pas la difficulté de ciseler la phrase. Elle se cisèle elle-même comme un artisan qui reproduit avec confiance l’objet déjà modelé. Ses affres ne sont pas produites, non plus, par l’intensité d’une recherche qui est rapportée à une norme. Elles indiquent l’effort de l’écrivain qui a trouvé l’unique solution et qui a construit l’œuvre définitive. Pour lui, l’œuvre n’est jamais finie, les combinaisons de mots ne constituent pas un texte fini, elles restent toujours ouvertes aux interprétations du lecteur. D’ailleurs ses Notes de voyage et sa Correspondance fourmillent de croquis et de documents de ce genre4.

Dans La tentation de Saint Antoine, l’écrivain, selon l’opinion de Irina Mavrodin, montre à son lecteur que le langage de la littérature est «un instrument» (p. 137), à l’aide duquel il transmet une information, et «un matériau» (ibidem) dans le sens donné par Barthes, c’est-à-dire qualité qui rend possible l’existence de la littérature comme activité spécifique mais différente en même temps (ibidem). Dans sa Correspondance, méta-texte par rapport au texte flaubertien, où se trouve la célèbre phrase «Je voudrais écrire un livre sur rien» (Flaubert 1923: 781),

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Flaubert veut que ses romans soient des documents «impersonnels», «objectifs» (ibidem) et des «textes poétiques» (ibidem) par leur langage qui demande une spécificité absolue (ibidem).

Irina Mavrodin considère que «la construction» et «la déconstruction» (ibidem), qui se reconnaissent surtout dans le roman La Tentation de Saint Antoine, se réalisent par la technique de «la juxtaposition des tableaux» (ibidem), technique rencontrée d’ailleurs dans tous les romans flaubertiens parce que l’idée de tableau présuppose de «la matérialité», tandis que l’idée de vision impose «l’immatérialité» (ibidem). La notion de tout voir ou de panorama doit agir de façon proprement littéraire. Si chez Proust, ce qui était action devenait impression, R. Debray-Genette considère que la description flaubertienne, à travers beaucoup d’exercices, a imposé le mouvement inverse: «ce qui était impression devient action» (Flaubert 1923:110). Il décrit la scène vue, prise sur le vif, puis il prolonge sa description dans le roman. Et le tableau, tel qu’il est conçu pour la peinture, peut s’enrichir du romanesque, en devenant porteur de sentiments et de sensations. Son écriture suppose donc une gestation de longue durée, impliquant l’observation attentive des images reflétées dans sa conscience: la couleur devient résultat et couronnement de l’idée5: «Pour qu’un livre sue la vérité, il faut être bourré de son sujet presque par-dessus les oreilles» (Flaubert 1923: 534).

À son tour, Gérard Genette, dans Les silences de Flaubert (1966), démontre le fait que les héros des romans Madame Bovary et L’Éducation Sentimentale ont «le même degré de matérialité» (p. 138) que les présences objectives.

Selon le théoricien-chercheur Irina Mavrodin, Flaubert emploie, dans tous ses romans, les mêmes temps verbaux, tant dans les tableaux objectifs que dans les tableaux subjectifs, de sorte que ces tableaux deviennent des présences matérielles; en outre, nous n’observons plus la distinction objectif/subjectif à cause de l’écriture qui l’abolit (p. 138), les tableaux se remplacent les uns les autres, ils se contestent, en créant le phénomène de «gommage» (ibidem). Flaubert propose donc «une multitude d’images» et «de personnes possibles» (ibidem), son bovarysme souligne cette aptitude d’hypostasier l’univers dans des univers possibles. Le lecteur est plongé dans un espace de «fluidité», de «métamorphose successive», d’«instabilité», d’«altérité» (pp. 138-139), «de vertige pétrifié», selon Genette (p. 139). L’effacement des frontières, s’il existe vraiment, entre l’objectif et le subjectif, comme mondes réels et irréels du point de vue du personnage (ibidem), ayant le même degré de présence, de matérialité, d’existence à cause de la configuration identique du texte, est en relation étroite avec «une structure discursive décentrée» (ibidem). Par rapport au roman balzacien, «le prototype opposé» (ibidem), où la délimitation entre le subjectif et l’objectif est très nette, propose des personnages présentés avec objectivité dans leurs manifestations subjectives dans le sens qu’ils sont vus par un observateur central, toujours le même, du roman. De son côté, Flaubert recrée «le rapport entre une conscience concrète et le monde» (ibidem), c’est-à-dire «il ne décrit pas le monde mais les impressions que le monde, réel, extérieur, objectif, crée sur une conscience

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concrète» (ibidem). Ce renversement de perspective détermine, à l’avis d’Irina Mavrodin, l’apparition d’une nouvelle écriture, «l’écriture polycentrique» (ibidem). D’ailleurs Jean-Pierre Richard, dans La création de la forme chez Flaubert (1954), considère que l’origine de toute l’ouvre flaubertienne, comme attitude bovaryque, se trouve dans le besoin de l’auteur de «s’identifier à la substance des choses» (p. 140) (surtout le thème du festin, si bien observé dans tous les romans flaubertiens), d’y fusionner jusqu’à «la communion totale avec le monde» ou jusqu’à «la connaissance de la vérité de la matière universelle» (ibidem). L’image sort du ventre de ses voyages et de ses notes de jeunesse. Flaubert avale comme un gourmand les impressions du moment, il les digère, se pénétrant de l’émotion de la sensation éprouvée. Il est le peintre-écrivain qui sent le besoin de s’identifier avec la substance des choses jusqu’à la communion totale avec le monde, jusqu’à la connaissance de la vérité de la matière universelle en éprouvant une prédisposition sensorielle et intellectuelle, sorties du commun: «[…] la couleur où je me trempe est tellement neuve pour moi que j’en ouvre des yeux ébahis» (G. Flaubert 1922:140).

1.4. L’impersonnalité flaubertienne Irina Mavrodin considère que l’impersonnalité de Flaubert, dans la grande

lignée ouverte par un Rimbaud avec «Je est un autre» ou par un Mallarmé avec «Je ne suis plus Stéphane que tu savais, mais une voix à travers laquelle l’univers tout entier qui parle», prend un autre sens que celui attribué par la critique traditionnelle (p. 141).

Cette impersonnalité n’est plus synonyme de l’attitude objective, c’est une autre manière d’écrire. Pour que l’œuvre existe, le moi, l’identité donnée une fois pour toutes, est mis en parenthèses. Il ne peut pas expliquer l’œuvre comme création «d’un moi mythique, impersonnel» (ibidem). L’œuvre devient ainsi le produit d’un auteur anonyme identique à elle-même car elle s’écrit toute seule, selon les mots d’Alain Robbe-Grillet (ibidem).

Pour Flaubert, l’écriture littéraire implique le métier d’écrivain, un style travaillé et un système de règles, une exigence d’impersonnalité («il ne faut pas s’écrire» A. Thibaudet: 208) et d’immatérialité de l’œuvre («les œuvres les plus belles sont celles où il y a le moins de matière» A. Thibaudet, ibidem) car, selon lui, le style est «une manière absolue de voir les choses» (A. Thibaudet 1935: 210). Flaubert est l’adepte du style scientifique et impersonnel (Flaubert 1904: 331), c’est-à-dire une sorte de sacrifice de soi ou besoin d’auto-sacrifice, pour devenir un martyr de l’art. Il désire avoir « de l’action et de la couleur » dans chacune de ses pages d’écriture parce que la couleur a sa propre âme, elle est vivante, elle crée le style: «La couleur de la nature a un esprit, une sorte de vapeur subtile qui se dégage d’elle et c’est cela qui doit animer par en dessous le style» (Flaubert 1904: 263).

La poïétique de Flaubert, comme réflexion de l’auteur sur «sa propre œuvre en train de se faire» (ibidem), est bien visible dans sa célèbre

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Correspondance, comme «méta-texte par rapport au texte de l’œuvre» (ibidem), de même que dans toute son œuvre littéraire, comme «texte et méta-texte à la fois» (ibidem). En un mot, selon l’opinion de Irina Mavrodin, nous sommes en contact avec «l’expérience de l’œuvre comme produit d’un moi qui est un autre» (p. 142).

L’écriture flaubertienne est un produit dont la structure est dédoublée, elle est la création même, comme expérience totale d’une vie. La construction de l’œuvre flaubertienne se réalise par juxtaposition de tableaux et suppose l’existence de la matérialité. Mais la vision comme tableau à caractère subjectif, hallucinatoire, impose l’immatérialité. Tout chez Flaubert devient alors la peinture de la réalité, le rôle de l’écrivain étant celui de la percevoir, de la reproduire par des mots-images: «Plus vous avez des couleurs, de relief, plus vous heurterez» (Flaubert 1922: 66), «[…] Il n’y a qu’un Beau, c’est le même partout, mais il y a des aspects différents, il n’est plus ou moins coloré par les effets qui les dominent» (Flaubert 1922: 120).

Si Proust, dans Contre Sainte-Beuve, fait la différence entre le moi créateur et le moi biographique qui ne peuvent pas expliquer l’œuvre, Flaubert, dans sa Correspondance, parle de «la nécessité de la disparition de l’auteur dans l’anonymat pour que l’œuvre trouve réellement son existence», restant quand même «fidèle à ses origines anonymes devenues maintenant manifestes» (ibidem). Il insiste sur l’idée que l’œuvre créée par l’artisan anonyme, tout comme les œuvres créées par la nature, ressemble, finalement, à l’œuvre artistique (ibidem). Cette constatation de l’œuvre, autonome par rapport à celui qui la crée, et cette initiative de l’œuvre transforment le langage dans quelque chose de matériel.

Tout comme Mallarmé (p. 143), Flaubert ressent «l’initiative des mots» (ibidem) et l’incapacité de choisir mais, par rapport à celui-ci, il ne se rend pas encore compte que l’œuvre est, en même temps, un produit longtemps élaboré et un cadeau du «hasard» (ibidem). Son œuvre est donc quelque chose qui «exprime des sens préexistants» et «produit», en même temps, «des sens», juste pour créer, pendant la lecture, des sens multiples, nouveaux, même pour le créateur lui-même, dans son hypostase de lecteur (ibidem). Selon le point de vue de l’émetteur, Flaubert a cette révélation au niveau poïétique (au niveau de la création de l’œuvre), tandis que, du point de vue du récepteur (ibidem), Mallarmé et Valéry l’ont au niveau poétique (au niveau du texte comme produit, dans sa matérialité neutre).

Irina Mavrodin souligne le fait que l’auteur, au moment où il écrit son texte, connaît partialement les sens qu’il communique, phénomène très proche du concept de lecture plurielle (ibidem). Alors nous pouvons dire que l’œuvre de Flaubert est, dans la vision de Irina Mavrodin, limitée comme «construction structurée de langage qui se constitue comme un tout unitaire et cohérent qui marque une limite dans la non-limitation du langage» (ibidem) et non-limitée dans le sens d’être lue autrement, toutes les lectures étant «privilégiées» (p. 144). D’ailleurs, Flaubert considère que tout est important dans la création d’une œuvre: depuis la Correspondance, véritable miroir de l’âme, jusqu’à son écriture célèbre pour ses «affres» de naissance. Pour lui, l’écriture est non seulement une modalité

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de peindre la réalité mais aussi un moyen de vivre cette réalité même, en se retirant dans une expérience scripturale inouïe. Il se pénètre d’images, il maîtrise le visuel, il construit l’œuvre définitive, jamais finie6.

Conclusion Notre étude, un humble hommage adressé au professeur Irina Mavrodin, a

réitéré la modernité de Flaubert à travers le chapitre Flaubert, du livre Modernii, precursori ai clasicilor, où la poïéticienne propose une analyse minutieuse de la technique flaubertienne. Irina Mavrodin met en évidence ses observations concernant le fait que Flaubert, par toute son activité littéraire, a été celui qui a influencé la littérature et, en même temps, celui qui a été influencé à son tour par cette littérature; il est celui qui dépasse son siècle par sa méthode de créer le livre, par son idée de l’écriture comme pratique du livre. Pour lui, le mot devient un matériau palpable qui fait gonfler la matière poétique de chaque livre.

L’œuvre flaubertienne est vue aussi comme interrogation sur l’être et sur l’avenir de la littérature car sa méthode transforme le mot en pâte tridimensionnelle. De plus, Irina Mavrodin insiste sur la description et l’auto-description comme variantes viables du matériau que Flaubert y a mis et sur l’ouvre toujours refaite, comme expérience d’une vie vécue pleinement. L’impersonnalité flaubertienne devient ainsi une autre manière d’écrire: l’œuvre est le produit d’un auteur anonyme, identique à elle-même, car elle s’écrit toute seule.

Nous avons voulu, au fond, analyser les idées-cadres investiguées par Irina Mavrodin visant la technique flaubertienne comme source pour les contemporains du XIXe siècle, de même que source pour la postérité; l’œuvre, dans la variante offerte par Flaubert, est dédoublée par la possibilité de vivre sa propre vie. Cette vision se fait de l’intérieur de l’œuvre en analysant le phénomène de son apparition.

Notes

1 Toutes les citations mises entre parenthèses renvoient à l’étude de Irina Mavrodin (1981), Modernii, precursori ai clasicilor, Cluj-Napoca: Ed. Dacia, col. «Discobolul» (le chapitre Flaubert). 2 v. Camelia Manolescu, «Le comment du faire de Flaubert dans sa Correspondance» in V. Radulescu, L. Rossion, M. Tilea dir. (2010), Brouillons sur soi. Lectures génétiques & poïétiques, Craiova: Editura Universitaria. 3 Ibidem. 4 Ibidem. 5 Ibidem. 6 Ibidem.

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REPENSER LA NARRATION

Ioan PÂNZARU Université de Bucarest, Roumanie

Résumé Trois développements importants ont réorienté l’étude de la narration durant les dernières décennies: le «tournant narratif», l’intérêt de la philosophie morale pour la littérature et les études sur la compréhension du récit. On peut maintenant relever des défis nouveaux, en s’interrogeant sur ce qui est vrai dans un récit et sur ce qui en fait un même contagieux. En rapprochant le récit du spectacle, on peut tenter une description unitaire des objets fictionnels et réels. Abstract Rethinking Narration Three important developments have changed the study of narrative during the last decades: the “narrative turn”, the interest moral philosophy took in narrative and the research on the comprehension of stories. Now we can take up new challenges, by asking what is true in a story and what makes of it a contagious one. If we understand stories in a way akin to theatrical plays, we can try to give an integrated description of fictional and real objects. Mots-clefs: narratologie, concepts épais, littérature et éthique, compréhension, objets qua. Keywords: narratology, thick concepts, literature and ethics, comprehension, qua objects.

Introduction Une narration est la représentation (en paroles, en images ou par le jeu des

acteurs) d’une suite d’événements et d’actions, douée de sens. On raconte une narration afin de communiquer ce(s) sens à l’auditeur/lecteur. L’acte de communiquer une séquence qui n’a pas de sens est un non-sens (du moins en excluant, pour faire simple, les coq-à-l’âne). Mais à partir de quoi ces sens se constituent-ils?

Dans une conférence prononcée en 2010 à la Catholic University of America, intitulée Ends and Endings («Buts et finals»), le philosophe Alasdair MacIntyre soutient que le sens du récit vient de sa fin. Il croit que le sens est donné par le résultat de la poursuite par les personnages de leurs fins propres et il soutient que ces fins particulières doivent être envisagées en rapport avec le but propre de l’humanité, conçu selon une éthique de type aristotélicien ou thomiste. La conclusion de MacIntyre est que les concepts éthiques ne sauraient être pensés en l’absence de narrations élaborées, plus précisément de romans et de pièces de théâtre, parce qu’ils n’ont de vérité que dans leur application par des agents humains en situation. Il faut sans doute ajouter que l’art de la narration est

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convoqué ici parce qu’il est seul à même d’éclairer, à fond et en détail, les raisons et les attitudes de ces agents. Comprendre l’éthique est impossible sans comprendre les attitudes et les raisons des humains, car si celles-ci ne sont pas l’objet immédiat de la philosophie morale, elles sont néanmoins la caution des propositions de cette philosophie.

J’ai moi-même soutenu que les concepts éthiques dits «denses» ou «épais» (thick concepts), catégorie proposée par Bernard Williams (2006, 2008), ne sauraient être compris en dehors de narrations (Pânzaru 2012: 201 et suiv.). Un concept éthique dense tel que «cruel» ou «brave» correspond à une description des actions entreprises par le sujet, tout en comportant un jugement de valeur sur celles-ci. Nous n’appelons personne «brave» si nous ne savons pas ce qu’il a fait et si nous ne croyons pas que ses actions sont méritantes. Nous ne saurions dire si un tel est plus brave qu’un tel autre si nous ne disposions pas de deux récits différents relatifs aux deux acteurs, tels qu’ils nous permettent d’inférer leurs attitudes et leurs opinions. Nous ne dirons pas que Michel est brave s’il ignore le danger qu’il court, se croyant en parfaite sécurité; pour le dire ou non brave, nous lui attribuons une opinion (croire ou non qu’il est en danger). Cette attribution fait partie de notre compréhension de Michel. Ainsi, lorsque nous comprenons ou interprétons (au sens de Donald Davidson 2001) un agent, nous comprenons non seulement ses opinions et ses intentions pertinentes, mais encore les concepts éthiques s’appliquant dans une plus ou moins grande mesure à ses actions et à lui-même. Le sens du récit doit donc provenir d’un niveau de réflexion plus fondamental que celui qui fournit les concepts employés dans le discours.

Ceci nous ramène à l’acte de narration, sous la forme générale et préalable d’une obligation de narrer précédant la compréhension. La compréhension elle-même est une norme faible. Nous ne sommes pas universellement obligés de comprendre notre prochain individuellement concret, car il n’y a pas d’obligation générale de connaissance; il y a pourtant un devoir éthique à cet effet – qui est universel1 – ainsi qu’un intérêt pratique, stratégique, de le comprendre lorsque nous sommes engagés dans une interaction avec lui. Mais l’énonciation de la narration est précisément une interaction. La comprendre, c’est l’interpréter comme si elle était raisonnable. Alors l’origine du sens du récit doit se trouver dans le contexte où il est raconté. Nous disons que le récit a un sens, pour dire que le lecteur l’emploie comme un ensemble de signes afin d’inférer l’orientation de l’acte de narration. Comprendre, c’est aussi chercher sérieusement à distinguer le vrai du faux. La diversité des médias ne doit pas nous faire croire qu’une action représentée dans un roman, dans un film, sur une scène ou dans notre propre vie diverge comme autant d’espèces ontologiquement différentes.

La norme de la compréhension doit être comprise comme une variante de la norme de la vérité. Dans un bel article, intitulé «Réponse à Ponce Pilate», Pascal Engel (2013) s’interroge sur la normativité du vrai. Pourquoi suis-je obligé de croire le vrai, et rien que le vrai? Il est souvent avantageux de croire quelque chose qui n’est pas vrai, mais qui est plus utile comme prémisse pour parvenir à un résultat favorable. Le philosophe conclut que la vérité est plutôt une norme

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constitutive qu’une obligation particulière imposée par la nature même du vrai. C’est le jeu de la science et de la philosophie qui nous impose, au-delà de toute contrainte évolutionniste et concrètement pratique, de ne croire que le vrai. Et si nous acceptons la recherche de la vérité comme norme constitutive, nous avons aussi l’obligation de comprendre notre prochain. En comprenant notre vie et les récits qu’on nous raconte, nous n’avons pas besoin de compétences différentes.

Narratologie et narration Le mot de narratologie évoque aujourd’hui les livres classiques de Propp,

Genette, Bremond et Todorov. Sous cette forme bibliographique, la narratologie se survit à elle-même, comme si elle avait été coulée en bronze, dans un moule éternel. Mais les recherches sur la narration ont depuis longtemps échappé à ce moule. Trois sont les développements importants qui sont intervenus dans les décennies post-structuralistes. D’une part, on a le narrative turn dans les sciences sociales. En second lieu, la philosophie morale a reconnu l’importance éminente du récit pour la compréhension de l’éthique. En troisième lieu, dans la philosophie de l’art on s’est interrogé sur les conditions minimales de ce qui fait une narration et sur la naissance du sens. Je ne peux faire ici qu’une très brève et trop schématique esquisse de tous ces développements de la pensée sur le récit.

L’un des principaux obstacles dans la compréhension du phénomène narratif est la coutume de le subsumer, en tant que catégorie, à l’art. Dès lors qu’il est sujet du royaume de l’art, le récit doit être une œuvre désintéressée, poursuivant l’idéal du beau, et autonome dans son rapport à la morale. L’héritage de l’école de Francfort (Benjamin 2007, Adorno 2001) garde aujourd’hui encore beaucoup d’influence dans les études littéraires et culturelles. Paradoxalement l’un des traits caractéristiques de cet héritage est l’affirmation du lien déterminant entre l’infrastructure et la superstructure, thèse marxiste, en concomitance avec la dialectique négative de l’art et avec l’«aura» de l’œuvre, notion métaphysique, voire mystique. Benjamin condamne «le résultat logique du fascisme» qui est «l’introduction de l’esthétique dans la politique», et lègue à la postérité son soupçon envers tout art «politisé». L’esthétique est cependant toujours portée au pinacle. L’interdit prononcé par l’esthétique sur la relation entre art et morale avait été étendu à la narration dès le XIXe siècle, pour des raisons de cohérence et de contingence. Le procès intenté à Flaubert pour Madame Bovary a joué sans doute le rôle d’exemple canonique de la faute qui consiste à «soumettre» l’art aux injonctions de la morale. Nietzsche voulait contourner la difficulté en distinguant entre morale, collection des conformismes bourgeois, et éthique, devoir suprême de l’être humain. Il entendait rendre compte ainsi du fait que l’écrivain, le philosophe, l’artiste ne peuvent se soustraire à l’appel «transhistorique» de l’existence, rendu encore plus impérieux par l’idée d’un éternel retour qui nous figerait pour toujours dans la responsabilité de nos actes.

L’anthropologie a opéré une première brèche dans ce dispositif, nous montrant que la pensée sauvage (Lévi-Strauss 1962, Wiseman 2007) se sert de

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récits pour donner du sens au monde et pour construire des «schémas conceptuels» d’une manière «mytho-poétique». L’acte de narrer fait partie des procédures ordinaires de la société, en public comme en privé. En sociologie, l’observation participative des groupes s’est servie de moyens littéraires pour exprimer les points de vue des petites gens, et la grounded theory a donné la primauté à la collection des données narratives sur la formation des hypothèses. L’histoire orale a développé une méthodologie pour ordonner les témoignages des survivants des événements récents dans un récit ayant les caractéristiques de la science historique.

Le «tournant narratif» est dû à l’insistance de Jerome Bruner (1986) sur la distinction entre un mode narratif et un mode paradigmatique de la pensée humaine. Bruner, psychologue, reprend sur ce point une intuition de William James et construit une théorie de la narration pour expliquer la naissance du sens humain; selon lui, un trait distinctif de la narration est qu’elle peut avoir une référence fictionnelle aussi bien que réelle sans perdre de sa «puissance» narrative (Bruner 1990: 44). Cette «indifférence à la réalité extralinguistique» constitue ainsi le récit dans son fonctionnement social au-delà des catégories métaphysiques du fictionnel et de l’imaginaire. La puissance explicative du récit vient pour Bruner de son caractère séquentiel, qui permet de dire qu’une action a lieu à cause, grâce à ou en réponse à une autre action ou événement. Cela s’oppose à l’idée de la covering law que Carl Hempel avait avancée pour l’explication historique, qui examine chaque événement de façon indépendante et privilégie les moments sur la séquence. Bruner refuse aussi le recours à la tradition, employé par Northrop Frye et Paul Ricœur pour rendre compte de la croissance de la littérature et de la logique des structures narratives. Il replace ainsi l’étude du récit dans celle de la société contemporaine, des échanges quotidiens, de la communication. Il soutient que la réalité est «construite» comme une narration (Bruner 2003).

En partant des recherches rhétoriques de Perelman, Olbrechts-Tyteca et Toulmin, Walter Fisher (1989) développe sa théorie selon laquelle toute communication humaine a un format narratif. Nous cherchons toujours nos bonnes raisons de croire quelque chose dans une narration, qui nous les fournit sans nous dicter ce que nous devrions croire (Fisher 1989: 113). Selon Fisher, ces raisons viennent de ce que nous évaluons les récits en termes de cohérence, et notre rationalité se fonde sur la narrative probability et la narrative fidelity des récits auxquels nous choisissons de faire crédit. Pourtant ces concepts sont insuffisamment élaborés.

L’intérêt des philosophes de l’éthique pour le roman est bien documenté par Johnson (2004), bien mieux que je ne pourrais le faire ici. Il se concentre sur les œuvres de Peter Winch, Martha Nussbaum et Richard Rorty. Nussbaum (1990) fait revenir dans l’éthique les émotions, qui en avaient été chassées, et montre que la compréhension d’un récit doit lui donner, au-delà de la valeur d’exemple pour leurs théories que bien des philosophes lui attribuent, une profondeur inépuisable qui est toujours source de réflexion éthique. Elle rêve d’un avenir où la littérature fera l’objet d’un discours éthique, pratique et social qui parle des vies humaines «comme si elles étaient importantes pour nous» (1990: 168, 171).

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Cet intérêt pratique pour l’objet abstrait qu’est la narration a encouragé quelques interrogations théoriques. On a vu que le sens d’un récit dépend en grande partie de sa fin. Or, quels peuvent être les signes par lesquels le narrateur ou l’auditeur reconnaissent que le récit approche de sa fin et se clôt? Noël Carroll (2007) a proposé le concept de closure pour indiquer la propriété des récits complets de renvoyer à leur propre contenu. La progression narrative suscite des attentes et des incertitudes qui vont se résoudre progressivement. Une histoire est finie quand elle a répondu à toutes les questions de succession narrative que le lecteur se posait en la lisant. Cette description fonctionne dans certains cas, mais pas toujours. Un autre problème est l’émergence des personnages. Une étude récente sur la réception des séries de télévision a montré que le monde de ces fictions est plus intelligible pour leurs spectateurs que le monde réel, qui leur apparaît lointain, absurde et quelque peu hostile (Chalvon-Demersay 2012). Les spectateurs ne retiennent pas les fils narratifs, mais les profils des personnages. Une série meurt quand elle oblige ses personnages principaux à se dédire, à contredire leurs propres caractères tels qu’ils apparaissaient dans les premières saisons de la série. Les études narratives classiques privilégient la séquence narrative, dans la foulée de Propp et de Genette, et malgré les remarques de Fisher (1989: 47). Que pour le public celle-ci compte moins que le personnage (tenu par les théoriciens structuralistes pour une simple superstition), est assez surprenant.

Comment le récepteur fait-il pour comprendre le récit, et en quoi consiste cette compréhension? Il faut rendre hommage ici au pionnier de ces recherches, qui fut Teun Van Dijk (Van Dijk 1976; Kintsch et Van Dijk 1978; Van Oostendorp et Goldman 1999). Stein Haugom Olsen (1978) a fait usage des concepts de la pragmatique pour rendre compte de la compréhension en partant de l’idée que le discours littéraire exclut le discours informatif. L’état actuel de ces travaux est illustré par le livre d’Isabelle Tapiero (2007), qui attribue à la causalité et à l’émotion le rôle principal dans la construction des « modèles situationnels » dirigeant notre compréhension du récit.

Toutes ces contributions ont rendu hommage à l’œuvre des narratologues classiques comme les formalistes russes et les structuralistes français. Cependant, le renouvellement des études théoriques de la narration dans la littérature et la culture dans le nouveau contexte est assez lent. Ces études ont répercuté les nouvelles recherches dans les sciences sociales et humaines, mais comme une bibliographie plutôt que comme une inspiration.

Récit et connaissance La connaissance est selon la formule classique «une opinion vraie et

justifiée». Quelle connaissance pouvons-nous avoir d’un récit? Dans l’optique classique, théorisée par David Lewis (1983), il est vrai dans le récit que Sherlock Holmes vit 331 B, Baker Street, et il est vrai dans le monde actuel que la Baker Street est proche de la Paddington Station. Les deux types d’assertions se trouvent dans les romans et nouvelles de Conan Doyle. On a affaire à une théorie de la

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double vérité. Le récit historique est automatiquement exonéré de tout soupçon et, pour construire une théorie de la fiction, on envisage les défauts de celle-ci, un peu dans la tradition platonicienne. Il serait peut-être plus prudent de dissocier des facteurs et des dimensions qui agissent dans le récit du monde actuel comme dans le récit fictif, à des degrés différents, mais dans un cadre explicatif unique.

Quels sont les vérifacteurs (truthmakers) des propositions sur Sherlock Holmes? Dans le cas des traits fictionnels, ce sont les propositions elles-mêmes de Conan Doyle. Cette réponse est pauvre et décevante. Car certains contenus nous les inférons des propositions du texte. Il faut donc accepter que parmi les vérifacteurs il y a des inférences vraies faites à partir de notre connaissance du monde, et des inférences «correctes» qui seraient cohérentes avec les propositions du texte. Nous aurions ainsi deux théories de la vérité – théories de la correspondance et de la cohérence – en une seule, ce qui n’est pas satisfaisant. C’est encore moins utile dans les sciences sociales, quand il s’agit de corroborer des témoignages qui ne convergent pas. Il est plus utile de tâcher d’intégrer les sens que les narrateurs donnent à leurs récits dans une théorie surordonnée qui explique le champ dans lequel ces récits produisent du sens. Il faudrait par exemple expliquer pourquoi Holmes se substitue si souvent à la justice, en pardonnant aux auteurs de méfaits, voire de crimes, lorsqu’il les juge bien intentionnés, ou en transgressant la loi (violations de domicile). Il faudrait expliquer pourquoi son public approuve ces abus (s’il les reconnaissait comme des abus). Dans la foulée, le statut du mal et son succès dans la culture populaire pose problème. Les vérifacteurs des propositions vraies au sujet de Holmes se situent donc à plusieurs niveaux: individuel, culturel, sociétal.

Dans le cas d’une œuvre qui est surtout reconnue comme «vraie» – La Mort d’Ivan Ilitch de Tolstoi, Hedda Gabler d’Ibsen, 1984 d’Orwell – les vériporteurs (truthbearers) sont certaines propositions de l’œuvre, mais certainement aussi des inférences que le lecteur fait. Le jugement de vérité se construit aussi par l’intervention de l’imagination. La faculté d’imagination n’a, dans ce cas, rien de mythique ou d’archétypal, mais elle s’applique à des éléments de la vie quotidienne. L’œuvre fonctionne dans un contexte où ses lecteurs ne peuvent prétendre échapper à leurs réalités quotidiennes. À partir de là, il y a un travail à faire, sur le modèle de l’étude de la métaphore par les linguistes, au sujet de la compréhension parabolique, voire sur l’allégorèse. L’enseignement de la littérature pourrait profiter de ces études et en même temps se constituer en laboratoire de recherche sur ces sujets.

Dans une œuvre qui n’a aucune prétention de vérité et qui se propose à la réception dans la culture de masse – Twilight, Harry Potter, Django déchaîné – le succès n’est probablement pas indépendant des considérations de relevance. Le thème des pouvoirs occultes des sans-pouvoirs s’impose comme un symptôme de la situation actuelle de la jeunesse. Ce symptôme est à l’origine de nombreuses mêmes culturelles (mêmes dans le sens de Richard Dawkins), qui se répandent comme une épidémie dans l’économie mondialisée. Il est exploité par les industries culturelles, mais aucune théorie, aucun projet culturel ne se propose de mieux le

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comprendre. Et il y a certainement des vérités que, en étudiant ces symptômes du désir et du plaisir (sans reprendre la méthode de Freud), nous pourrions découvrir cachées sous l’efficacité de ces discours.

Comment pouvons-nous justifier nos opinions relatives au texte narratif, afin de leur donner statut de connaissances? Afin de justifier, il faut produire des arguments et les arguments ont une force seulement dans le contexte d’une théorie; cette puissance dépend des opinions acquises du public, de l’intensité de l’adhésion à ces opinions et peut-être aussi, comme le croyaient les rhéteurs grecs, de l’ethos et du kairos. Les études narratives suivent ordinairement une logique bifide, expliquant telle action de l’agent comme provenant de ses propres intentions et de la situation, et telle autre comme exprimant les intentions du narrateur visant un effet artistique, rhétorique ou stylistique. Sur un autre plan, il y a d’une part la tradition des Auslegung (l’explication de texte) et Verstehen (l’interprétation culturelle), et d’autre part les études culturelles qui prennent racine dans les sciences sociales. La justification de nos opinions sur le texte demeure hétérogène, et ne trouve pas de langage commun. Une voie pour sortir de l’impasse serait d’adopter une perspective pragmatique (et peut-être aussi pragmatiste), rendant compte avec un même lexique des actions du personnage dans son contexte et de celles du narrateur dans le sien. Cette perspective rapprocherait l’étude du récit de celle du spectacle, qui est une unité ontologique de deux « mondes » différents. En bonne théorie, nous ne pouvons pas dissocier le spectacle en plusieurs mondes, car ensuite il faudrait expliquer comment ces mondes communiquent entre eux, pour chacun des acteurs et des spectateurs. Il y a ici un cadre d’unité metaphysique auquel nous devons adapter nos instruments de recherche.

Retour vers le sens L’étude de la narration peut être envisagée comme l’étude d’un mode de

constitution du sens. Tout comme la classification est dans la pensée sauvage une manière d’orienter le monde, tout comme la métaphore est en science un instrument pour structurer le champ des hypothèses, la narration est un format pour expliquer les affaires humaines. Mais, alors que le récit est tantôt pris comme une source d’exemples pour des idées abstraites, tantôt comme le réceptacle d’un monde autre où l’on peut se réfugier de la vie concrète, il est peut-être déjà possible de tracer quelques linéaments d’un discours où l’art et l’homme ne sont pas séparés.

Les recherches de Kit Fine (2003) ont proposé entre autres idées celle que les objets ne sont pas identiques à leur matière. Une œuvre d’art n’est pas une exception: tous les objets doivent être intelligés de deux manières, quant à leur matière et quant à leurs propriétés. On peut appeler objet qua celui qui se compose de sa base et de sa «glose». On ne peut pas appliquer les mêmes prédicats aux deux niveaux. Une statue gothique (glose) est en marbre (base), mais le marbre n’est pas gothique. Dans un film de Fellini un instituteur mène sa classe dans la forêt, et il se mouille les pieds dans un ruisseau: «Voici le Rubicon. C’est d’ici que les légions

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de César ont mis en marche l’histoire». Les gamins se marrent. Un objet dont je fais l’expérience ne me fournit pas nécessairement la connaissance que j’en ai (il est «autre que ce qu’il est»). J’ai l’expérience de certaines propriétés (de sa matière) et la connaissance d’autres propriétés (sa fonction dans le passé etc.). Le Rubicon actuel dans son contexte est un filet d’eau minable. Le Rubicon dans son contexte antique est la barrière effrayante qui sépare les citoyens du crime. David de Michel-Ange est souriant, mais le marbre de Carrare dont il est fait n’est pas souriant. David est un sortal et le marbre ne l’est pas.

Un sortal est une catégorie qui s’applique à des êtres numériquement distincts: un tigre, un cornet de glace à la vanille; une matière n’est pas un sortal: la fourrure du tigre, la crème à la vanille. Un personnage est un sortal: un Sherlock Holmes – Jeremy Brett, et un Sherlock Holmes – Robert Downey, Jr., cela fait deux individus du même sortal. Un chien ne peut reconnaître un Sherlock Holmes que comme Jeremy Brett ou comme Robert Downey, Jr., mais pas comme un même sortal. Cela n’est pas dû au caractère fictif du personnage de Holmes, mais parce que le chien n’est pas capable de reconnaître des sortals de cette sorte (il reste au niveau de la «base»). Un condensateur variable, un carburateur sont aussi imperceptibles en tant que tels pour le chien.

Parler des objets qua conforte l’opinion qu’un événement et une action peuvent coïncider matériellement sans être la même chose. «Oswald tire un coup de fusil» n’est pas la même chose que «Oswald tue le président des États-Unis». «Sherlock Holmes prise de la cocaïne» est un événement qui ne coïncide pas avec l’action de Robert Downey qui joue Holmes. L’intention de Downey est de jouer Holmes d’une certaine manière (naturaliste ou ironique). L’action intentionnelle a lieu dans le monde actuel, l’événement non.

L’objet qua nous permet de nous dispenser de l’idée des «mondes possibles». Je peux vivre dans le monde actuel sans savoir que la TVA a été augmentée hier de 19% à 24%; en fait, je ne sais pas lequel des mondes possibles est aujourd’hui l’actuel, celui où la TVA est de 19% ou l’autre. J’ignore beaucoup de faits appartenant au monde actuel, et je peux dire une infinité de choses d’une infinité de mondes possibles. Cela permet des dérives. «Je sais» n’est pas réservé exclusivement au monde actuel, «je crois mais je ne sais pas» n’est pas réservé aux mondes possibles.

On peut parler de mondes épistémiques, référentiels et expérientiels. Un monde épistémique est fait de croyances et de connaissances. Un monde référentiel est un ensemble de faits. Ce qui d’un monde fait le monde actuel est notre opinion que nous avons tous en lui une référence commune. Mais il y a beaucoup de mondes référentiels, car les faits sont distribués dans plusieurs mondes épistémiques. Un monde expérientiel est un ensemble d’opinions fondées sur des sensations et des perceptions. Il est plus restreint, car j’ai des expériences de faits dont j’ignore la nature: je sais que le marbre de Carrare existe, mais non si la dalle que je touche est du marbre de Carrare.

Un acteur, un personnage de roman, un spectateur, un lecteur sont des êtres répartis par leurs propriétés en travers de tous ces mondes. L’acteur prend le métro,

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et il joue Hamlet. Hamlet est «immigrant» (pour employer la terminologie de Fine) dans le métro, et le ticket de métro dans la poche de l’acteur est immigrant dans la pièce de Shakespeare. Un spectateur a l’expérience sensorielle de Robert Downey, la connaissance que c’est lui et à la fois Holmes. Une histoire du cinéma recueille le souvenir de Laurence Olivier en Hamlet et celui de son fichu caractère. La connaissance de l’œuvre, comme celle de tout objet, est celle de sa matérialité et des niveaux successifs d’organisation de ses propriétés. Ces niveaux constituent ce que nous appelons le sens (toujours pluriel, les sens) de l’œuvre, comme autant d’ensembles de propriétés qu’on trouve des contextes, à des niveaux successifs. L’œuvre est immigrante dans le monde épistémique de l’auditeur ou du lecteur, en y pénétrant elle apporte ses sens et les ajuste aux opinions de celui-ci. Ce qui demeure inassimilé oblige le lecteur à le considérer, détonne, fait un éclat et finit par ajuster le monde épistémique du lecteur aux sens du récit. C’est ainsi qu’on comprend un «message».

Le chevalier de Méré exprimait le sentiment de son époque en écrivant : «Je suis persuadé qu’en beaucoup d’occasions il n’est pas inutile de regarder ce qu’on fait comme une Comédie, et de s’imaginer qu’on joue un personnage de théâtre»2. L’interactionnisme symbolique d’Erving Goffman justifie cette impression, en généralisant. À différents niveaux, dans plusieurs contextes, en telle ou telle qualité, on peut nous attribuer correctement divers prédicats. Nous sommes multiples qua objets qua, mais il est sain de choisir une identité humaine et de ne pas se laisser égarer par cette multiplicité. Notre identité flageole parce que nous ne connaissons pas tous les récits possibles dans lesquels les gloses de nous-mêmes nous prennent pour base. Les études sur le storytelling dans l’entreprise et sur le sensemaking dans les organisations sont légitimées par le fait que l’homme est, comme disait MacIntyre, «un animal narratif». Il se représente, et représente aux autres, le monde sous la forme de récits. Et le récit le plus beau est souvent vainqueur.

Je finirai par un exemple tiré d’Henri Michaux, Voyage en Grande Garabagne:

«Comme les Emanglons répugnent à se mettre en avant, à faire des gestes et de longs discours, leurs chefs ne siègent et ne discourent que derrière la statue (en bois léger, et transportable) d'un de leurs grands hommes du passé, aux principes desquels ils prétendent adhérer.» Pour comprendre les chefs émanglons, point n’est besoin d’autres facultés

intellectuelles que celles qui nous permettent de reconnaître la timidité (fausse ou vraie) et le souci des apparences qu’on doit garder en public. Ils projettent leurs récits sur l’auditoire qu’ils souhaitent convaincre de derrière les statues «de leurs grands hommes du passé, aux principes desquels ils prétendent adhérer».

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Conclusions

La diffusion, dans toutes les sciences sociales et humaines, des études sur

le récit correspond à la reconnaissance de l’unité du comportement narratif humain comme une manière de comprendre le monde. On a parlé d’un format narratif de la communication, d’un mode de pensée narratif opposé au mode de pensée paradigmatique, qui est celui des théories. Le sens du récit ne provient pas, contrairement à ce que laisse croire notre pédagogie actuelle, de ce que les personnages font et disent, de leur succès ou de l’échec de leurs entreprises. Il se situe dans un contexte plus large, dans lequel l’énonciation du récit est hautement significative, et où la compréhension prend pour objet des opérations faites par le lecteur sur le texte. La vérité et l’attrait d’un texte viennent d’inférences que le lecteur est justifié de faire dans un contexte qui est spécifiquement le sien, de même que la force d’un argument du locuteur vient des opinions défendues par l’auditeur.

Un rapprochement entre la narration (que nous tendons à imaginer toujours sous la forme d’un livre imprimé) et le spectacle, où des acteurs jouent leurs personnages, nous permet d’avancer en direction d’un langage plus austère où nous pouvons notamment nous passer des mondes possibles. Un objet qua, selon Kit Fine, est constitué d’une base (sa «matière» en un sens relatif) et de sa «glose» (ce qui constitue l’identité de l’objet selon ses proprietés). La base et la glose ne se voient pas attribuer les mêmes prédicats. Ainsi ce qui est vrai de Marcel Iureş n’est pas vrai de Hamlet et réciproquement (le prince de Danemark est gras et a le souffle court). Le sens se constitue à des niveaux successifs, chaque fois dans des contextes différents, mais à travers le même objet qua.

Notes

1 Rescher (2008) défend l’universalité de la norme morale comme une règle constitutive de la moralité, qui à son tour tient de la nature humaine. L’universalité de la norme morale a été niée en particulier par Ehmann (1967). 2 Suite du discours du monde, 3: 158.

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CHAGRIN D’ÉCOLE DE DANIEL PENNAC: DÉFORMER L’IMAGE STÉRÉOTYPÉE DU CANCRE

POUR LA TRANSFORMER

Antony SORON IUFM Paris Sorbonne, France

Résumé Dans Chagrin d’école, l’écrivain français Daniel Pennac revient sur son enfance par une voie inattendue. Il ressuscite par son récit le mauvais élève qu’il fut. Son révèle s’articule ainsi autour de deux objectifs. D’une part, il s’agit pour lui de déformer la représentation du «cancre» dans l’esprit commun. D’autre part, il a pour volonté de transformer cette image stéréotypée afin de la rendre plus juste et moins dévalorisée par la somme d’idées-reçues qui s’y accolent.

Abstract Chagrin d’école by Daniel Pennac: Deform the Dunce’s Stereotypical Image in order to transform it In Chagrin d’école, the French author Daniel Pennac comes back to his childhood via an unexpected route. He brings back to life the bad pupil that he was, through his tale. His story thus revolves around two objectives. For him on the one hand it is about bringing a different twist to how a “dunce” is depicted in our shared consciousness. On the other hand he wants to transform this stereotyped image in order to make it more accurate and less devalued by the sum of preconceived ideas that are attached to it.

Mots-clés: école, représentation, élève, transformation, échec. Key words: school, representation, pupil, transformation, failure.

Parce que le récit lui a permis de dépasser la condition de «cancre» qu’il a

longtemps crue définitive, Daniel Pennac préfère défendre l’idée d’un livre utile plutôt que d’un «livre sur rien» pour paraphraser Flaubert. Aussi Chagrin d’école, qui place un bulletin scolaire peu glorieux de l’auteur en quatrième de couverture, n’a rien d’une œuvre littéraire désengagée. Ni strict témoignage d’ancien mauvais élève devenu professeur, ni traité didactique sur la façon d’aborder le cas des élèves en manque de réussite scolaire, le best-seller de Daniel Pennac, publié en 2007, s’emploie en mélangeant les registres et les formes du discours à remodeler la typologie du «cancre». A partir de la rétrospection de son expérience scolaire qui sert de prisme au développement de son propos, l’auteur met en perspective comment il a construit sa posture de professeur de français.

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Portrait de l’écrivain en mauvais élève Daniel Pennacchioni naît en 1944 à Casablanca. Dans Chagrin d’école, il

prend soin de compléter lui-même le résumé biographique concernant ses origines familiales avec l’humour de distanciation qui lui est coutumier:

«Enfant de bourgeoisie d’État, issu d’une famille aimante, sans conflit, entouré d’adultes responsables qui m’aidaient à faire mes devoirs… Père polytechnicien, mère au foyer, pas de divorce, pas d’alcooliques, pas de caractériels, pas de tares héréditaires, trois frères bacheliers (des matheux, bientôt deux ingénieurs et un officier), rythme familial régulier, nourriture saine, bibliothèque à la maison, culture ambiante conforme au milieu et à l’époque (père et mère nés avant 1914): peinture jusqu’aux impressionnistes, poésie jusqu’à Mallarmé, musique jusqu’à Debussy, romans russes, l’inévitable période Teilhard de Chardin, Joyce et Cioran pour toute audace... Propos de tables calmes, rieurs et cultivés. Et pourtant, un cancre» (Pennac 200: 25). Ainsi, à l’inverse de ses glorieux aînés, sa scolarité se révèle nettement

plus problématique. Le collège public ne suffit pas, semble-t-il, à éponger ses carences cognitives. Ainsi, ce sera, dès la classe de quatrième, le pensionnat pour redresser ses torts scolaires. Bon gré mal gré pourtant, – et l’auteur en fait revenir le mérite à la fois au pensionnat et à ses professeurs dans Chagrin d’école comme l’exergue du livre le met en perspective – le cursus scolaire de Daniel Pennachioni se révèle moins déshonorant qu’aurait pu le laisser penser sa «cancrerie» (Pennac 2007: 25) originelle. Il sera d’abord un passable bachelier après redoublement avant d’obtenir, en septembre 1968, sa licence en lettres. Parcours certes chaotique mais pour le moins inespéré par ses parents – sa mère, même quasi centenaire ne continuant-elle pas d’être soucieuse quant à l’avenir de son fils – mais qui atteint finalement son but au point de valoir à Daniel, en guise de félicitations, une remarque délicatement ironique de la part de son père polytechnicien: «Il t’aura fallu une révolution pour la licence, doit-on craindre une guerre mondiale pour l’agrégation?» (Pennac 2007: 18)

En septembre 1969, contre toute attente, il entre même dans «[s]a première classe en qualité de professeur». À l’instar d’autres figures de l’écriture contemporaine de langue française telles Gabrielle Roy ou Annie Ernaux, élèves brillantes par excellence, tout à l’opposé de lui, «le cancre né», l’enseignement constitue un passage obligé vers la carrière d’écrivain. Publié en 2007, Chagrin d’école confirme l’engouement éditorial dont Daniel Pennac fait continûment l’objet depuis qu’il a embrassé la carrière littéraire; depuis précisément la sortie en librairie du roman grotesque et déluré, Au bonheur des ogres, en 1985. L’argument principal du récit était rappelons-le: «les mésaventures» de Monsieur Malaussène, contrôleur technique dans un grand magasin où une série d’inexplicable attentats à la bombe a lieu. Ce premier livre à succès tend à révéler au grand public que Daniel Pennac n’est pas un homme sérieux. En ce sens, l’auteur aurait-il sans nul doute davantage séduit «Le Petit Prince» de Saint-Exupéry, qui, comme on le sait,

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avait en horreur cette caste, qu’il n’a plu à ses professeurs de collège qui n’avaient de cesse, eux, de lui reprocher «sa gaieté» (Pennac 2007: 30). Une chose est sûre: s’il n’élude en rien dans son œuvre les égarements de la société contemporaine, l’auteur choisit de s’y attaquer en récusant par principe l’esprit de sérieux.

Comme Alphonse Daudet, Marcel Aymé ou Marcel Pagnol, Daniel Pennac, au fil de ses écrits, construit l’image d’un écrivain authentiquement populaire dont l’œuvre serait lisible quasiment, selon l’adage publicitaire, de sept à soixante-dix sept ans. Ce qualificatif, «populaire», semble d’autant plus juste que l’auteur s’est initié avec bonheur à bien des formes d’écriture, dont les moins anoblies par la critique, probablement pour ne pas se laisser enfermer dans une seule image de lui-même écrivant: en témoigne sa collaboration fructueuse avec le dessinateur célèbre, Tardi, pour la conception de l’album mi-policier/mi-social, à l’accroche anarchisante, La débauche en 2000. La réussite presque insolente de l’écrivain en matière éditoriale ne représente-t-elle pas l’envers de l’échec de son parcours scolaire? Cette question pourra servir d’axe problématique à notre relecture analytique de Chagrin d’école.

Remarquons pour l’heure que Daniel Pennac est animé depuis toujours par le désir de raconter des histoires, désir de cancre en somme, sitôt avide d’échappatoire par rapport à son martyre scolaire. À ce titre, le narrateur relate une phrase de son frère prononcée un demi-siècle plus tard, à valeur d’évidence rétroactive: «Tu te racontais des histoires en somme!» (Pennac 2007: 24) Cette pulsation narrative de son imaginaire de défense qui remonte à ces heures d’ennui sur les bancs scolaires semble lui avoir insufflé bien plus tard le désir de s’adresser à tous les publics et notamment au lectorat de jeunesse qui lui a d’ailleurs fort bien rendu son attention, comme l’indique le succès des aventures de son personnage, Kamo. De ces années de «cancrerie» pour reprendre à nouveau son propre néologisme, l’auteur, aussi paradoxal que cela puisse paraître a priori, a peut-être tiré le sens de sa vocation: l’écrivain écrira pour ses lecteurs; soit, pour les faire rire et pour les émouvoir. Le pire, pour lui, consisterait à les ennuyer. Ainsi, même quand il développe, comme c’est le cas dans Comme un roman, un discours moins narratif et à plus forte prégnance argumentative, le ton de l’essayiste ne diffère pas tant que cela de celui du romancier iconoclaste. En clair, quel que soit le sujet qu’il aborde, des attentats terroristes dans Au bonheur des ogres aux «crimes» contre l’enfance incomprise dans Chagrin d’école, sa plume ne se commue pas en scalpel comme celle d’Annie Ernaux par exemple. L’individu rieur, dont chaque cliché de lui témoigne, ne s’évanouit pas, de fait, durant le temps de l’écriture.

Il n’y a qu’à l’écouter lire quelques pages de Kamo et l’agence Babel, dans la version audio de ce roman, pour nous en convaincre: sa lecture à haute voix, comme son écriture, a la vertu de pétiller. Relevons, à titre d’exemple de cet humour consubstantiel à l’acte de «vécrire», pour reprendre en substance le mot-valise du romancier québécois Jacques Godbout, l’incipit d’Au bonheur des ogres et tout particulièrement une allusion à la maîtresse d’école du «Petit»:

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«En fait de Père Noël, j’en vois un moi, gigantesque et translucide, qui dresse au-dessus de cette cohue figée sa formidable silhouette d’anthropophage. Il a une bouche cerise. Il a une barbe blanche. Il a un bon sourire. Des jambes d’enfants lui sortent par la commissure des lèvres. C’est le dernier dessin du Petit, hier, à l’école. Gueule de la maîtresse: ‘Vous trouvez normal de dessiner un Père Noël pareil, un enfant de cet âge?’ ‘Et le Père Noël, j’ai répondu, vous le trouvez tout à fait normal, lui?’ (Pennac 2007: 12) Déformer la représentation stéréotypée du «cancre» Comment entreprendre de relire et de commenter Chagrin d’école sans

s’interroger préalablement sur ce que «dit» le mot même de cancre à l’inconscient collectif français, sur ce qu’il lui suggère en «bien» et en «mal»? À ce niveau, sans doute semble-t-il nécessaire de remonter spécifiquement en 1978, en se référant à une publicité pour la marque de vaisselle, Guy Degrenne, qui met en scène un proviseur prédisant à un jeune Degrenne, un cancre de l’école communale surpris en train de dessiner des fourchettes et des couteaux dans les marges de ses cahiers d’écolier: «Ce n’est pas comme cela que vous réussirez dans la vie» (Ibidem). À ce premier exemple, il nous faudrait par ailleurs ajouter un extrait d’un des plus célèbres poèmes de Jacques Prévert qui fait du cancre un véritable héros de la vie moderne? «Il dit oui avec la tête / Il dit non au professeur» (Prevert 1976: 55)

Cependant, on a coutume d’appliquer au mot «cancre» une caractérisation nettement plus prosaïque. Est-il pas nécessaire de préciser que la racine du mot cancre est la même que celle du mot cancer?

«Cancer, nom masculin, du latin cancer, crabe» / «Cancre, nom masculin, du latin cancer, crabe» (Le Petit Robert). Au sens propre, d’après la définition du dictionnaire Quillet de la langue française daté de 1956, le mot cancre correspond même au nom vulgaire du crabe. Le sens figuré est, quant à lui, à peine plus honorifique: il désigne non seulement un écolier paresseux mais aussi un individu rapace. Le sens scolaire prendra d’ailleurs progressivement le dessus avec comme synonyme prédominant dans un article de dictionnaire un rien «réactionnaire», l’adjectif «stupide». Le fait que le mot «cancre» soit entouré sémantiquement dans le dictionnaire Quillet par le cousinage atavique des mots «cancrelat» et «cancroïde» n’ajoute, c’est le moins que l’on puisse dire, rien de rassurant. Le cancre, dès l’origine, par son aspect fondamentalement rebutant, ne semble-t-il pas tout droit sorti de la fameuse nouvelle de Kafka, La métamorphose, où le personnage principal se mue inopinément un beau matin en la plus repoussante des créatures? «Quand Gregor Samsa sortit un matin d’un sommeil peuplé de rêves inquiétants, il se retrouva transformé dans son lit en une sorte de cafard?» (Kafka 2000: 12) Cancre, cafard, deux mots décidément propres à dégoûter. Qui n’a pas craint, en effet, un jour, de revenir à la maison avec un bonnet d’âne sur la tête, qui plus est, après avoir lu le Pinocchio de Carlo Collodi, où l’on découvre médusés comment finissent les adeptes malheureux de la cancrerie?

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Si nous en restons strictement à la situation scolaire du cancre, l’idée de dégoût reste prééminente:

«L’image de la poubelle, tout compte fait, convient assez à ce sentiment de déchet que ressent l’élève perdu pour l’école. ‘Poubelle’ est d’ailleurs un terme que j’ai entendu prononcer plusieurs fois pour qualifier ces boîtes privées qui acceptent (à quel prix?) de recueillir les rebuts du collège» (Pennac 2007: 28). Longtemps, comme le met en scène Daniel Pennac dans Chagrin d’école,

le cancre s’est ainsi couché sur le billot de sa table d’écolier attendant fébrilement en silence que la lame interrogative du bourreau professeur ne s’abatte sur lui. Car le cancre, que l’on surnomme si aisément, imbécile, idiot, «bougre d’âne» ou «bougre d’andouille», devient en somme un avatar de tous les animaux présumés sans cervelle – mule – âne – bourricot – dont la culture populaire a fait, pour s’en amuser, chansons et comptines. Le cancre n’est autre finalement – ou fatalement – que celui qui diffère radicalement de la norme, porteur d’une tare qui le confine dans la «nullité» – le terme est souvent répété dans Chagrin d’école –, une exception qui fait tache, un animal de mauvaise compagnie dans le groupe classe: de la mauvaise graine, comme on dit familièrement en salle des professeurs ou entre parents de «bons» élèves. Or, pour la première fois sans doute dans l’histoire de la littérature, un écrivain de renom s’essaie à une définition circonstanciée de la «cancrerie», en connaissance de cause, puisqu’à partir du propre récit de ses mésaventures scolaires:

«Donc, j’étais un mauvais élève. Chaque soir de mon enfance, je rentrais à la maison poursuivi par l’école. Mes carnets disaient la réprobation de mes maîtres. Quand je n’étais pas le dernier de la classe, c’était que j’étais l’avant-dernier (Champagne!) Fermé à l’arithmétique d’abord, aux mathématiques ensuite, profondément dysorthographique, rétif à la mémorisation des dates et à la localisation des lieux géographiques, inapte à l’apprentissage des langues étrangères, réputé paresseux (leçons non apprises, travail non fait), je rapportais à la maison des résultats pitoyables que ne rachetaient ni la musique, ni le sport, ni d’ailleurs aucune activité parascolaire» (Pennac 2007: 17). Dans le cas de Daniel Pennac, jamais le proverbe, «Bon sang ne saurait

mentir» n’aurait semblé pourtant plus approprié: Daniel Pennacchioni, fils de polytechnicien tout de même, il n’est pas possible que… Malgré cette faveur du destin, lui aussi, comble de l’étrangeté, en fut un et même un vrai de vrai, cancre parmi les cancres. Quoi qu’on fasse pour simplifier les problèmes, quoi qu’on entreprenne pour rendre lisible les énoncés, les règles d’orthographe, le rejeton Pennachioni ne semble pas «imprimer» ce qu’on lui dit:

«Tu comprends? Est-ce seulement tu comprends ce que je t’explique. Je ne comprenais pas. Cette inaptitude à comprendre remontait si loin dans mon enfance que la famille avait imaginé une légende pour en dater les origines: mon apprentissage de l’alphabet. J’ai toujours entendu dire qu’il m’avait fallu une

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année entière pour retenir la lettre a. La lettre a en un an. Le désert de mon ignorance commençait au-delà de l’infranchissable b» (Pennac 2007: 18). La «cancrerie» relève par conséquent de l’inexplicable. «Ce n’est pas

possible», «c’est quand même incroyable», «a-t-on déjà vu…», combien de fois le cancre n’a-t-il pas entendu dans sa carrière de mauvais élève ces expressions stupéfaites dans la bouche béante et horrifiée de ses maîtres et professeurs? La «cancrerie» relèverait-elle alors d’un fait paranormal? Naît-on cancre ou le devient-on? Des questions pour le moins embarrassantes pour le pédagogue qui aurait sans doute bien du mal à y répondre dans le cadre d’un devoir sur table à réaliser en temps limité.

Le cancre désigne en outre le «mauvais élève», autre expression que Pennac emploie souvent à la fois à son propre endroit et à propos des autres sujets a-scolaires auxquels il se réfère quand il évoque son propre métier de professeur. «Mauvais élève», autre expression, tout aussi lourde de sens que «cancre», quoique dans une perspective chrétienne cette fois. «Mauvais», là encore, se révèle à forte connotation péjorative et, de fait, son emploi possède une forte valeur discriminante. Or, il est indéniable que ce cancre las, las d’être assis là sur sa table de supplice scolaire, nous l’avons tous côtoyé. Sans doute même, en lisant Chagrin d’école, retrouvons-nous dans notre mémoire, le souvenir de son étrange présence, son visage buté, les réprimandes du professeur dont il faisait régulièrement l’objet. Chacun n’a-t-il pas une histoire de cancre à raconter? Bizarrement d’ailleurs, n’avons-nous pas, malgré les années, retenu son nom? Le succès de Chagrin d’école tient aussi, sans doute, pour une grande part à cette représentation autobiographique d’un être aussi «exotique» pour les uns qu’il est familier pour les autres. Ne le revoyons-nous pas au fil de la lecture du livre de Pennac ce cancre qui, se recroqueville comme le crabe qu’il fut dans sa première vie étymologique? Ne nous remémorons-nous pas ces scènes tragi-comiques où ce mauvais élève si caractéristique suait sang et eau face à la plus simplissime des questions? Combien de lettres de cancres, Daniel Pennac n’a-t-il pas reçues, pour lui dire leur reconnaissance de leur avoir donné, par sa voix propre d’ancien mauvais élève, la parole?

Combien de lettres de professeurs, aussi, peut-être, habités par leur impuissance, coupable de ne pas avoir su faire sortir une lumière d’un, deux, dix, cent, mille crânes butés ou têtes de mule durant leur carrière, pour certains pourtant palmée académiquement?

«Aucun professeur n’est exempt de ce genre d’échec. J’en garde de profondes cicatrices. Ce sont mes fantômes familiers, les visages flottants de ces élèves que je n’ai pas su extraire de leur y, et qui m’ont enfermé dans le mien: – Cette fois, je n’y peux vraiment rien» (Pennac: 182).

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Vers une nouvelle dignité du cancre Ainsi donc, l’école allait-elle rattraper le «cancre» de jadis. Si souvent

«collé» par «l’école» le voilà devenu adulte paradoxalement «incollable» sur l’école et ses us et coutumes au point de vouloir en faire le sujet central d’un livre. En effet, s’il n’a rien d’un traité à finalité didactique, Chagrin d’école n’en reste pas moins construit rigoureusement, soit en six chapitres: I. La poubelle de Djibouti; II. Devenir; III. Y ou le présent d’incarnation; IV. Tu le fais exprès; V. Maximilien ou le coupable idéal; VI. Ce qu’aimer veut dire.

S’appuyant sur sa propre expérience de professeur de français, Daniel Pennac s’est déjà engagé dans Comme un roman, sur la question de l’enseignement de la littérature en mettant notamment en perspective la nécessité de construire l’analyse textuelle à partir de l’effet qu’a produit la lecture à haute-voix sur l’élève. Dans Chagrin d’école cette fois, ce petit neveu «indigne» d’un «instituteur faiseur de certificats d’études» (Pennac 2007: 26) reprend son bâton de pèlerin républicain pro schola. De fait, son essai narratif s’inscrit dans un projet d’écriture clairement défini, énoncé d’emblée dans le cadre de la restitution d’un dialogue réel avec son propre frère:

«J’annonce à Bernard que je songe à écrire un livre concernant l’école; non pas l’école qui change dans la société qui change […] mais, […] sur ce qui ne change pas, justement, sur une permanence dont je n’entends jamais parler: la douleur partagée du cancre, des parents et des professeurs, l’interaction de ces chagrins d’école» (Pennac 2007: 21) Quoi qu’il en soit, l’auteur n’aura par la suite dans le texte de mots

virulents contre les professeurs – bien au contraire. Ainsi, sa prose n’a rien de la ritournelle pamphlétaire contre l’école même si elle ne tait pas certaines entorses coupables à l’éthique fondatrice de l’école républicaine. Une réplique d’une directrice de collège aussi contestable «Vous, Pennachioni, le BEPC? Vous ne l’aurez jamais! Vous m’entendez? Jamais!» (Pennac 2007: 60), semble ainsi, comme compensée par la récurrence d’une défense des professeurs qui ont en quelque sorte accompli vis-à-vis de lui, le cancre, une mission impossible: «J’ai toujours pensé que l’école, c’était d’abord les professeurs. Qui donc m’a sauvé de l’école, sinon trois ou quatre professeurs?» (Pennac 2007: 57) Jamais l’amertume de l’échec des premières années de «cancrerie» – dont il conserve pourtant un douloureux souvenir au point de ressentir les remontées du doute premier dans sa tâche même d’écrivain – ne contamine pas sa prose en la rendant sinon haineuse à l’égard du corps enseignant au moins amère. En ce sens, la perception de l’école de Daniel Pennac apparaît radicalement différente de celle qu’Annie Ernaux développe dans La place ou Les années en stigmatisant sa résistance à la modernité. Daniel Pennac aime l’école. De ce point de vue, Chagrin d’école, malgré son titre à forte teneur négative, constitue une défense et une illustration vigoureuse de l’école.

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De ce point de vue, l’écriture de Chagrin d’école doit même être considérée comme un palier important dans la réflexion professionnelle de Daniel Pennac. Certes, il ne développe pas, comme nous l’avons indiqué précédemment, sa pensée en didacticien. Ce qui importe à l’écrivain/professeur ce sont moins les modalités d’organisation d’un cours que ce qui se passe dans la tête de l’élève, a fortiori de celui qui – comme lui à l’époque – y est réfractaire:

«– Un livre de plus sur l’école, alors? Tu trouves qu’il n’y en a pas assez? – Pas sur l’école! Tout le monde s’occupe de l’école, éternelle querelle des anciens et des modernes: ses programmes, son rôle social, ses finalités, l’école d’hier, l’école de demain… Non, un livre sur le cancre! Sur la douleur de ne pas comprendre, et ses dégâts collatéraux» (Pennac 2007: 22). Néanmoins, Daniel Pennac appuie sciemment sur une idée reçue au

redoutable effet de nuisance. Quelle est-elle? Que la parole du cancre est caduque, vaine, sans valeur. Que celui-là, en effet, n’a rien à dire, puisque, comme il en fait la démonstration absurde à chaque heure de cours qui passe, il n’est bon sur rien; bon à rien somme. Qui plus est, comme le fait remarquer l’auteur en analysant son propre cas «pathologique», ce dernier ne prend jamais la parole de son plein gré. Le professeur ne l’y force-t-il pas simplement en désespoir de cause ou par sadisme? Aussi, en exprimant dans son livre, les sentiments du cancre voire la douleur du mauvais élève qu’il fut, Daniel Pennac, livre comme un «secret» non pas d’alcôve mais de classe: ce que le cancre in situ, hic et nunc, ne savait pas dire, ne pouvait pas dire. Il révèle, de fait, que cette mauvaise tête de bois était en réalité comme tous les autres élèves, un «roseau pensant» et sentant, empli de mille idées, de mille émotions mais emmurées en lui par des tonnes de peurs: peur de la réprimande, peur de la honte, peur du professeur, des élèves rieurs, des parents au retour de l’école, peurs accumulées qui, selon la logique implacable du cercle vicieux, anéantissent toute velléité d’expression: «Or, de quoi était-il fait, mon présent? D’un sentiment d’indignité que saturait la somme de mes instants passés. J’étais une nullité scolaire et je n’avais été que cela» (Pennac 2007:62).

Ainsi, plus que tout autre élève, le «mauvais» semble avoir besoin non pas qu’on lui explique abstraitement les choses du savoir mais plutôt qu’on les lui raconte, qu’on les lui rende plus concrètes. Comme y insiste Daniel Pennac notamment dans le troisième chapitre «Y ou le présent d’incarnation» (Pennac 2007: 115), il aurait besoin d’images quand on ne lui propose que des mots vides, des concepts transparents. Il aurait besoin qu’on lui montre, qu’on lui fasse toucher, sentir peut-être, toutes ces choses auxquelles doivent forcément renvoyer dans la vraie vie la quantité de mots sans saveur qu’il doit péniblement ingurgiter. C’est aussi une des «leçons» didactiques indirectes de Chagrin d’école: la narration doit être l’action pédagogique primordiale.

Une des idées-forces de Daniel Pennac, soulignée déjà dans Comme un roman, ne demeure-t-elle pas que le cours de littérature doit raconter la rencontre avec le texte et non pas simplement le disséquer méthodiquement; qu’il doit aider à l’éveil des images mentales produites par l’interaction de l’imaginaire de l’écrivain

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et celui de son lecteur plutôt que de relever froidement les procédés d’écriture d’un auteur? Raconter pour faire comprendre du côté du professeur; se raconter pour se faire comprendre du côté du cancre. L’impossibilité de leur relation ne tient-elle pas tout simplement à cette incapacité narrative réciproque? N’est-il pas logique, en ce sens, que le premier professeur à avoir participé à la remédiation orthographique de Daniel Pennachioni soit ce «vieux» professeur de lettres, qui, écrit l’auteur «s’était dit que, dysorthographie ou pas, il fallait m’attaquer par le récit» (Pennac 2007: 98). «M’attaquer par le récit» la formule est décisive dans l’esprit de Pennac. Le récit s’apparente en quelque sorte pour lui à une valeur absolue: il peut tout; en tout cas œuvrer à un changement de posture de l’élève, – qui sait – à une redécouverte de lui-même. Ce qui fait dire à l’auteur trois pages plus loin: «Non, ce qui eut provisoirement raison de mes fautes […], ce fut ce roman commandé par ce professeur qui refusait d’abaisser sa lecture à des considérations orthographiques» (Pennac 2007: 101-102).

Raconter, n’est-ce pas définitivement la solution pour le professeur; raconter tout ce que le concept ou le signe ne dit pas d’emblée; raconter, par exemple, l’anecdote de Pennachioni professeur, ce qu’il y a derrière les petits mots sans saveur, tels que «y» ou «en», autrement appelés en langage de grammairien, pronoms adverbiaux:

«Cette année-là, donc, nous avons ouvert le ventre de ce ‘y’, de ce ‘en’, de ce ‘ça’, de ce ‘tout’, de ce ‘rien’. Chaque fois qu’ils faisaient irruption dans la classe, nous partions à la recherche de ce que nous cachaient ces mots si déprimants. Nous avons vidé ces outres infiniment extensibles de ce qui alourdit la barque de l’élève en perdition, nous les avons vidées comme on écope un canot sur le point de couler, et nous avons examiné de près le contenu de ce que nous jetions par-dessus bord: ‘Y’: cet exercice de math d’abord, qui avait mis le feu aux poudres. ‘Y’: celui de grammaire, ensuite, qui avait rallumé l’incendie. (La grammaire, ça me gonfle encore plus que les math, m’sieur!) Et ainsi de suite […]» (Pennac 2007: 121). Daniel Pennachioni fut un professeur de français heureux. Un professeur

tourné vers l’élève réel et non l’élève fictif. Le professeur heureux de la deuxième vie serait-il donc obligatoirement le cancre d’une première vie? L’hypothèse n’est pas si infondée. Les professeurs ne sont-ils pas, à l’inverse, le plus souvent, d’anciens bons élèves? Comment, de fait, pourraient-ils se mettre à la place des plus mauvais? C’est toute la force du propos de Pennac; être déduite d’une histoire vraie qui lui a appris à se connaître au point de dépasser sa condition de cancre. De là, par contiguïté, sa connaissance de l’autre, son semblable, son frère de maintenant – quoique autre époque autre lieu comme on dit –. De là, aussi, de notre point de vue, sa plus belle page, sans doute la plus incisive, la plus brutale, celle qui nous laisse sans voix, lecteur-cancre d’une certaine façon, qui n’oserait s’avouer qu’il n’avait absolument pas vu les choses comme cela:

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«Naguère on représentait le cancre debout, au piquet, un bonnet d’âne vissé sur la tête. Cette image ne stigmatisait aucune catégorie sociale particulière, elle montrait un enfant parmi d’autres, mis au coin pour n’avoir pas appris sa leçon, pas fait son devoir, ou pour avoir chahuté monsieur Daudet, alias Le Petit Chose. Aujourd’hui, et pour la première fois de notre histoire, c’est sans doute toute une catégorie d’enfants et d’adolescents qui sont, quotidiennement, systématiquement stigmatisés comme cancres emblématiques. On ne les met plus au coin, on ne leur colle plus de bonnet d’âne, le mot «cancre» lui-même est tombé en désuétude, le racisme est réputé une infamie, mais on les filme sans cesse, mais on les désigne à la France entière, mais on écrit sur les méfaits de quelques-uns d’entre eux des articles qui les présentent tous comme un inguérissable cancer au flanc de l’Education nationale» (Pennac 2007: 247). «Cancer, nom masculin, du latin cancer, crabe» / «Cancre, nom masculin,

du latin cancer, crabe». La boucle semble désespérément bouclée. Comme le suggère Chagrin d’école tout semble lié dans le cursus de

Daniel Pennachioni, quoiqu’il en coûte à l’esprit de synthèse issu du sérieux «cogito» cartésien, depuis la «cancrerie» en passant par le professorat, jusqu’à pour imiter un néologisme «pennacchioniquien», l’écrivainerie. Par ailleurs, toujours selon le principe d’une lecture comparative, le point de vue adopté par Daniel Pennac est quasiment inversé par rapport à celui adopté par Annie Ernaux dans La Place. En effet, il ne s’agit plus de celui d’un professeur qui a réussi revenant sur sa scolarité – point de vue en quelque sorte en «plongée» pour reprendre le lexique cinématographique – mais de celui de l’élève qu’il fut «avant» – point de vue cette fois en «contre-plongée». Tandis qu’Annie Ernaux revient indirectement sur son passé de bonne élève sans chercher à expliquer comment elle a pu acquérir ce statut à partir de son origine sociale inadéquate, Daniel Pennac part directement de son point de vue d’alors en cherchant à analyser ce qui se passait dans sa tête d’aussi incongru pour expliquer une telle incompréhension de tout savoir à acquérir. Il n’empêche qu’aussi dissemblables soient-elles, les deux œuvres ont un trait commun qui tient en une interrogation: comment est-ce possible? Comment est-ce possible qu’à partir d’une telle entame, normande pauvre brillante scolairement ou bourgeoise aisée proche de la nullité scolaire, que l’être soit touché par la grâce de l’écriture? Annie Ernaux ne cherchera pas à s’expliquer sur cette discordance, toute à son écriture elliptique. À l’inverse, comme Albert Camus, si reconnaissant envers son maître, Louis Germain, dans son œuvre inachevée, Le premier homme, Daniel Pennac, ne se prive pas, lui, de rendre hommage aux quelques professeurs qui lui ont redonné le goût d’écrire, de lire et de compter.

Cependant, son œuvre ne s’apparente pas précisément à un témoignage à valeur documentaire. L’humour «indécrottable» de l’écrivain, à peu près équivalent à l’amertume «indécrottable» de l’écrivain Annie Ernaux, participe de l’effet de distanciation par rapport à l’expérience malheureuse décrite. Néanmoins, en reprenant son point de vue d’alors, soit le pire des points de vue puisqu’il s’agit

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de celui du cancre, Daniel Pennac lui confère une valeur propre qui participe à sa transformation dans l’esprit du plus grand nombre. Il réaffirme par là même l’irréductibilité du mauvais élève à l’étiquette de persona non grata à laquelle il est généralement associé. De fait, Daniel Pennac se sert du «cancre» qu’il fut comme d’une loupe, réfléchissant en les grossissant un certain nombre des désenchantements dont l’école reste productrice, selon lui, à son corps défendant.

Bibliographie

Camus, Albert (2000), Le premier homme, Paris: Folio Gallimard. Ernaux, Annie (1983), La place, Paris: Gallimard. Ernaux, Annie (2008), Les années, Paris: Gallimard. Kafka, Franz (2000), La métamorphose, Paris: Folio Gallimard. Pennac, Daniel (2007), Chagrin d’école, Paris: Gallimard. Pennac, Daniel (1997), Au bonheur des ogres, Paris: Folio Gallimard. Pennac, Daniel (2007), Kamo et l’agence Babel, Paris: Folio jeunesse Gallimard. Prévert, Jacques (1976), Paroles, Paris: Folio Gallimard. Roy, Gabrielle (1993), Ces enfants de ma vie, Montréal: Boréal.

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L’ALTÉRITÉ DÉGUISÉE EN RÉALITÉ

Lelia TROCAN Université de Craiova, Roumanie

Résumé

La violence connaît dans le roman deux extrêmes bien marqués; l’un est celui de la violence destructive, exercée de l’extérieur, comme abus de pouvoir, à commencer par les interventions armées, de l’autorité politique ou religieuse. L’autre extrême est celui de la violence exercée de l’intérieur, de désirs refoulés, de perspectives ou valeurs intériorisées, et qui jaillit au moment où Max Aue, confronté avec la dissolution de son monde, essaie de construire, par l’unique moyen dont il dispose encore, un sens qui se refuse. Cette violence est dénoncée, à son tour, comme illusion, et les effets de sa mise en pratique sont néfastes. Importante est, pour l’auteur et pour le lecteur, la motivation d’une telle action, les ressorts qui l’animent et les conditions qui la rendent possible. Réitéré d’une manière presque obsessive dans l’œuvre litallienne, le geste violent de la deuxième extrême est destructeur de mythes; il démolit l’échafaudage complexe d’interprétations, croyances, identités, discours pour éviter la confrontation avec une réalité qui effraie. Ceux qui sont à même de le faire représentent l’image métonymique de cette réalité: l’altérité déguisée en identité, l’expression de l’effort collectif de dissimuler le désordre latent sous l’apparence de la normalité.

Abstract

Alterity Disguised as Identity The novel includes two extreme forms of violence. One is destructive, external violence, such as the abuse of power that becomes manifest under the form of armed interventions, political and religious domination. The other is inner violence, caused by repressed desires, internalized perspectives and values, which emerge when Max, confronted with the dissolution of his world, uses the sole means he still possesses to build some meaning that resists coalescence. This violence is denounced, in its turn, to be an illusion, and the effects of its materialization are poisonous. What counts for both writer and reader is the motivation of the character’s actions, their origin and favourable context. If obsessively reiterated in a literary work, the acts of violence of the latter type can be myth-destroying; they can annihilate the complex structures of meaning, beliefs, identities, discourse, to keep a disturbing reality at bay. Those who are in a position to perform such acts reflect a metonymic image of that reality: alterity is disguised as identity, being an expression of the collective effort to dissimulate latent chaos under the appearance of normality.

Mots-clé: altérité, identité, former, reformer, transformer. Keywords: alterity, identity, form, reform, transform.

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«On peut se demander – ou plutôt on doit se demander! – comment l’humanité, dans un avenir plus ou moins lointain, considérera le XXe siècle. Un siècle ravagé par deux guerres mondiales et par de nombreux conflits armés locaux, durant lesquels la population civile a eu infiniment plus à souffrir que les combattants en uniforme. Un siècle sigmatisé par l’expérience brutale et sanglante des plus terribles totalitarismes: le nazisme et le communisme. Va-t-on placer le XXe siècle sous le sceau des sombres personnalités de Lénine, Staline ou Hitler? Ou va-t-on se souvenir d’avantage de Boris Pasternak ou de Thomas Mann? Si nous devons prendre comme critère la popularité, les grands criminels semblent avoir gagné la partie. Bon nombre de gens savent qui a été Hitler. Trop peu de gens savent qui a été Thomas Mann. Bon nombre de gens savent qui a été Staline. Très peu de gens savent qui a été Pasternak. Les portraits de Hitler et de Staline sont conservés et adorés par certains, et des foules défilent parfois en les brandissant. En disant cela, on donne l’impression de désespérer des futures générations. Mais ce serait les déconsidérer de penser que la popularité sera le seul critère de leur jugement.» (Creangă, «Préface», 2007: 3) Le roman littellien le prouve. C’est la radiographie du nazisme. Un roman

sur le thème de l’absurde et «la terreur de l’histoire» (Mircea Eliade). Un livre sur le destin fatidique d’un système maléfique qui voulait introniser la substitution du divin par le matériel, de l’esprit par la matière, de la transcendance par l’immanence. De même que le Grecs antiques, qui avaient essayé de modeler la douleur par l’art, les Juifs ont essayé de transformer leur souffrance en salut, car elle représentait pour eux la réitération du trajet christique.

«Les ‘emballeurs’ ukrainiens entraînaient leurs charges vers ces tas et les forçaient à s’allonger dessus ou à côté; les hommes du peloton s’avançaient alors et passaient le long des files de gens couchés presque nus, leur tirant à chacun une balle de mitraillette dans la nuque.» (Littell 2006: 123). Alors que le film allemand de 2007 La vie des autres (Das Leben der

Anderen) rend discrètement justice au «dissident» de la STASI pour avoir couvert au lieu d’avoir dénoncé un écrivain qui avait osé écrire dans un magazine de l’ouest sur l’augmentation des «suicides» en RDA, l’ouvrage de Littell revisite l’histoire et braque son projecteur sur le bourreau nazi, mettant en exergue son humanité et son côté victimaire. Le narrateur pose un regard perçant sur le nazi qu’il est. Il met ainsi à nu un monde dont il représente la faille, la béance. La clé de l’œuvre réside ainsi dans la perception du narrateur et dans la voix qui la porte.

«L’individuation par l’horrible, à laquelle nous sommes plus particulièrement attentifs, resterait aveugle en tant que sentiment, [...] sans la quasi-intuitivité de la fiction. La fiction donne au narrateur horrifié des yeux. Des yeux pour voir et pour pleurer... En fusionnant avec l’histoire, la fiction ramène celle-ci à leur origine commune dans l’épopée. Plus exactement, ce que l’épopée avait fait dans la dimension de l’admirable, la légende des victimes le fait dans celle de l’horrible.» (Gengembre 2011: 6).

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Le thème central du roman de Littell réside dans la récupération du passé et de ses propres racines. L’auteur aborde un thème bien sensible: le chaos créé par le désastre génocidaire, par les différentes cultures et confessions religieuses qui essaient de cohabiter. La valeur extraordinaire du livre est donnée par l’habileté de Littell d’expliquer un désastre global par le truchement d’un microcosme.

Max Aue est hanté par le sentiment de la perte, par le besoin de revendiquer, de regarder derrière soi. Lorsque cela se passe en toute conscience, celle-ci est génératrice de doutes profonds, provoqués par le fait qu’on ne pourra revendiquer ce qu’on a déjà perdu. Max Aue assume cet effet de perspective qui découle de sa propre condition et l’oblige d’utiliser la substance fictionnelle d’un espace qui aurait été d’ailleurs impossible de récupérer.

Dans le cas de Littell, la politique remplace la magie, tandis que le fantastique, le fabuleux et le mythique deviennent des modalités prédilectes pour dévoiler le côté occulte des réalités graves, cruelles ou tragiques. De ce point de vue, l’articulation du roman litellien et la multiplication interne des thèmes sont remarquables.

Les Bienveillantes vise le problème du génocide, mais décrypte aussi la manière de l’histoire de se muer en narration, l’angle d’incidence entre le réel et le fictionnel, la sensibilité profonde du bourreau, la modalité d’être dans le récit. Le roman parle également d’amour, de religion, de famille, de trahison ou de mort, mais aussi des ressorts qui les déclenchent et de la logique qui les sous-tend.

La violence connaît dans le roman deux extrêmes bien marqués; l’un est celui de la violence destructive, exercée de l’extérieur, comme abus de pouvoir, à commencer par les interventions armées, de l’autorité politique ou religieuse. L’autre extrême est celui de la violence, exercée de l’intérieur, de désirs refoulés, de perspectives ou valeurs intériorisées, et qui jaillit au moment où Max Aue, confronté avec la dissolution de son monde, essaie de construire, par l’unique moyen dont il dispose encore, un sens qui se refuse. Cette violence est dénoncée, à son tour, comme illusion, et les effets de sa mise en pratique sont néfastes. Importante est, pour l’auteur et pour le lecteur, la motivation d’une telle action, les ressorts qui l’animent et les conditions qui la rendent possible. Réitéré d’une manière presque obsessive dans l’œuvre litellienne, le geste violent de la deuxième extrême est destructeur de mythes; il démolit l’échafaudage complexe d’interprétations, croyances, identités, discours pour éviter la confrontation avec une réalité qui effraie. Ceux qui sont à même de le faire représentent l’image métonymique de cette réalité: l’altérité déguisée en identité, l’expression de l’effort collectif de dissimuler le désordre latent sous l’apparence de la normalité.

Si nous pouvons observer, à travers Les Bienveillantes, une gradation ascendante, du roman de la honte devenue furie, de la furie, purement et simplement, et d’ici à la furie devenue terreur, l’essence des personnages reste la même. Une vraie galerie cauchemardesque, vivant dans les interstices d’un monde qui couvre ses fissures sans les combler; tous, ils ont la même nature et obéissent au même destin. Ils représentent la présence inconfortable de l’absence, étant forcément inclus dans l’espace d’une normalité qui leur est refusée et à la

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réalisation de laquelle ils n’ont pas participé. La violence des nazis, et par conséquent de Max Aue, est tout d’abord un rapprochement ou une réappropriation de soi. Ils ne peuvent exister qu’en dénonçant la fiction qui les habite, le double fantasmagorique, né du regard d’autrui, qui protège aussi leur propre identité. La violence présente en Max Aue, mais cachée, s’actualisera sous la pression des circonstances; elle répond à la violence d’un monde dont l’ordre a été brutalement anéanti et qui doit être tout aussi brutalement réinstauré.

Littell accorde les vies de ses personnages à la grande histoire. Comme Juif parmi les aryens, c’est l’allogène par excellence. Si le lecteur lit superficiellement Les Bienveillantes, il peut reprocher à son auteur d’avoir doté Max Aue d’une histoire personnelle dangereusement ressemblante à un compédium de philosophie euro-atlantique, d’après la guerre, mais ce serait négliger l’ironie que Littell usite toujours pour miner ses propres clichés.

«Les souvenirs affluaient brutalement; à la différence de ceux qui se pressaient en grandes vagues, à Stalingrad, ce n’étaient plus les souvenirs solaires, éclatants, de la force du bonheur mais des souvenirs déjà teintés de la froide lumière de la pleine lune, blanche, amère.» (Littell 2006: 442) Max Aue est passionné de littérature, de musique, de théâtre, de

philosophie; il est fortement attiré par le travail de la mémoire et la tension entre l’identité personnelle et les rôles sociaux. Mais ce n’est pas difficile d’y déchiffrer l’allusion à un processus de séparation d’un certain système d’auto-représentation dérivé des valeurs imposées de l’extérieur. Littell ne limite pas son explication à la mécanique simplifiée d’un excès qui compense un manque; pour lui, les fondements de la réalité ont été entièrement ébranlés ou, autrement dit, il a tenté de se soustraire à la manière canonique de la comprendre.

À la violence ontologique suit, nécessairement, la violence herméneutique, car un monde de la fureur naissait et les furieux seuls en pouvaient esquisser sa forme.

Pour écrire un roman, Littell aime inventer le nouveau, et il l’a brillamment réussi. L’impact de son livre sur les événements de l’histoire récente de l’humanité est manifeste, mais le spectre émotionnel de l’ouvrage dépasse, davantage encore, la crise actuelle.

L’arrière-plan théorique qui soutient l’argumentation du roman montre que Littell possède une excellente formation en théorie littéraire puisqu’il mobilise aussi bien les théoriciens que les poéticiens. Il n’en fallait pas moins pour étayer une problématique complexe, car le titre de l’ouvrage témoigne bien qu’il ne s’agit pas uniquement de l’étude de la «littérature du génocide» dans l’imaginaire littellien, mais de la mise en évidence d’un réseau matriciel, qui, non seulement articule une thématique étendue à l’ensemble de l’œuvre, mais engendre un mode d’écriture. C’est pourquoi l’instrumentation théorique mise en œuvre se veut ouverte, favorisant plusieurs lectures dans le domaine de l’imaginaire et celui de la textualisation.

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Le roman y concerné départage deux types de lectures, l’une portant sur le contenu, l’autre sur les formes textuelles, mais on est loin d’un plan binaire du type «le fond/la forme» car l’étude du génocide permet une construction à la fois homogène et centrée de l’analyse dans une dimension extensive qui devrait recouvrir beaucoup d’aspects de l’œuvre littellienne, permettant au lecteur de pénétrer véritablement dans l’univers trouble et troublé du nazisme, un moment de l’Histoire où l’humanité a été mise en question.

Très incitante est la voix du narrateur. Comprendre le pourquoi du génocide conduit à une recherche à contre-courant, vouée à l’échec, car la réalité du bourreau est placée sous le signe d’une quête, d’un non-accomplissement, d’une errance, d’un manque fondamental.

«Le récit ‘à la première personne’ se prête mieux qu’un autre à l’anticipation, du fait même de son caractère rétrospectif déclaré, qui autorise le narrateur à des allusions à l’avenir, et particulièrement à sa situation présente qui font en quelque sorte partie de son rôle». (Genette 1972: 106) Pour accéder à la réalité profonde, celle vue par «l’œil-caméra» de Max

Aue, celui-ci cherche des traces, images, indices, points marginaux et fait appel à l’imaginaire pour maîtriser le réel.

«[...] j’examinais toujours la photo, fouillais dans mon souvenir pour rassembler des bribes sur mon père, sur son apparence, mais c’était comme si les détails se fuyaient les uns les autres et m’échappaient, la tache blanche sur la photographie les repoussait comme deux bouts d’aimant de même polarité, les dispersait, les corrodait.» (Littell 2006: 740) Nous devons aussi remarquer dans le roman littellien l’analyse du rêve et

de ses rapports avec l’écriture qui se nourrit des délires, épreuves, espoirs de ce marginal qui est Max Aue, et en constitue les traces. L’image devient révélatrice et, en même temps, garde son caractère d’énigme, laquelle, si elle correspond à l’appel de l’écriture, n’autorise qu’en partie la connaissance de soi.

Nous pouvons défendre avec Durand, Ricœur et Bachelard, une herméneutique instauratrice par rapport aux herméneutiques plus réductrices qui constituent la psychanalyse de Freud, le fonctionnalisme de Dumézil et le structuralisme de Lévi-Strauss, c’est-à-dire symbolique, qui a des affinités avec un esprit d’imitation culminant dans l’interprétation des symboles.

Littell brise le tabou et assume son exil hors la littérature classique et son errance sur de nouvelles routes et écritures. «La méthaphore de la dentelle» symbolise d’ailleurs l’écriture des Bienveillantes.

Nous avons également tenté d’accorder aux textes littelliens une attention plus particulière encore, essayant de mettre en lumière, avant tout, leur valeur littéraire. C’est la voie qui nous a aussi permis de dépasser les excès psychologiques et mythologiques qui sont déconnectés de l’interprétation du roman de Littell.

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Dans ce «livre-bibliothèque», qui enchaîne aussi un vrai dialogue des cultures, l’agrégation bien coordonnée des motifs a permis à Littell de passer du «sens perdu», qui caractérise Max Aue, l’exilé, à la «reconquête du sens» par le biais des valeurs-refuge symboliques ou affectives (l’oubli, la nature, les mots, la sensualité...), à l’aventure ontologique du sujet en quête d’unité au-delà de l’errance.

L’essentiel, quant à l’originalité de l’écriture littellienne, est de trouver l’exacte relation à Max Aue, celle qui permet la catharsis, le pouvoir initiatique de la langue de secréter la connaissance plutôt que la révéler, d’être une vraie forme de purification, une valorisation nouvelle du silence et de la simplicité langagière.

Le roman Les Bienveillantes permet aussi de qualifier l’écriture de Littell en relation avec la question du secret et de l’oralité: relier l’écrire et le dire à la terre est une des trouvailles qui donne au texte de la cohérence.

Inédit est dans Les Bienveillantes le jeu systématique des paradoxes que l’image solide/liquide permet. Montrant ainsi, de façon tout à fait fondée, que les textes proposent un sens pour toujours le retourner en son contraire ou pour arriver à allier ce qui paraît d’abord inconciliable (l’angoisse et le refuge que procure ce monde; sa fragilité et sa force; son aptitude à générer la perte et le ressaisissement, la gratuité et la nécessité, la malédiction de l’inachèvement et le bienfait de l’ouverture infinie; la spécificité juive et allemande mais aussi l’universel de cette « littérature-monde » de Littell), la mise en valeur des paradoxes constitutifs rend compte de ces textes, plus par empathie que par questionnement.

«J’étais fâché, car cette journée, malgré tout mon désarroi, était restée, pour moi, traversée de pureté, et maintenant ces images mauvaises venaient la souiller. Cela me répugnait mais en même temps me troublait, parce que je savais que, souvenir ou image ou fantaisie ou rêve, cela aussi vivait en moi, et que mon amour devait être fait de ça aussi.» (Littell 2006: 454)

Tour à tour, les arts – la musique, la danse, la poésie, la sculpture – sont

convoqués par Littell en vue de l’accomplissement du processus cathartique. L’art ouvre au narrateur la voie vers l’exploration des mystères et des trésors cachés dans la mémoire, le libérant des contraintes temporelles. C’est par l’art qu’il tente de retrouver l’harmonie du tout originaire. Art et thérapie sont des valeurs jumelles pour Max Aue, qui conçoit l’art en tant que transmission et révélation libératoire. Ainsi, l’art, de même que le voyage, permettrait, d’une part, d’exercer sa liberté mais aurait, d’autre part, une vertu heuristique.

«Je me détournai abruptement, je m’enfoçai dans la forêt. C’était une grande et claire forêt de pins, bine dégagée et emplie d’une douce lumière. Derrière moi les salves crépitaient. Quand j’étais petit, je jouais souvent dans de telles forêts, autour de Kiel [...] De tels jeux, un vif plaisir, une liberté sans bornes, voilà, auparavant, ce que les forêts signifiaient pour moi; maintenant les bois me faisaient peur.» (Littell 2006: 107)

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«Quand on est dans la guerre, le temps devient plastique. Il est comme contingent par rapport à tout un extérieur qui nous entoure. Il y a des moments extrêmement brefs qui durent une éternité fabuleuse et des temps extrêmement longs qui durent une éternité fabuleuse aussi, mais qui, dans la mémoire, sont compressés et réduits à une brève sensation d’ennui... le temps change complètement de dimension.» (Gengembre 2007: 41) La poésie convoque dans Les Bienveillantes toutes les ressources –

sonorités (rimes internes: passion/compassion, captivés/capturés; allitération, en [s], rythme (binaire, tel qu’il est montré par les parallélismes qui renforcent les antithèses) et les métaphores (lumières/ténèbres) – pour dire la fatalité, mais aussi la transfigurer, la sublimer.

La force de l’écriture littellienne tient à la diversité des discours qui l’habitent et à leur volonté d’être à l’écoute des voix venues de partout. D’ailleurs, Littell, tel un musicien, met en forme une polyphonie de discours qui s’harmonisent sous la houlette du scripteur/souffleur, mi-chef d’orchestre, mi-metteur en scène, présence-absence dans ce jeu de cache-cache, où le brassage des histoires hantées par les aléas de l’existence, passée ou présente, produit une parabole littéraire, espace de renaissance, après les souffrances du déracinement. À remarquer également chez Littell les techniques d’insertion de l’intertexte.

Littell donne à repenser bien des éléments du génocide. L’auteur décentre et prolonge le regard qu’ont pu poser avant lui de nombreux écrivains, ayant étudié la même problématique, mais aussi le thème de l’errance, le texte-palimpseste, l’intertextualité.

«Pour les Grecs peu importe si Héraclès abat ses enfants dans un accès de folie, ou si Oedipe tue son père par accident: cela ne change rien, c’est un crime, ils sont coupables; on peut les plaindre, mais on ne peut les absoudre – et cela même si souvent leur punition revient aux dieux, et non pas aux hommes. Dans cette optique, le principe des procès d’après guerre, qui jugeaient les hommes pour leurs actions concrètes, sans prendre en compte le hasard, était juste; [...] » (Littell 2006: 123) Bibliographie

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DOSSIER

LINGUISTIQUE ET DIDACTIQUE DU FLE

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AUTOUR DE L’INFINITIF ROUMAIN DU XVIe SIÈCLE

Ilona Bădescu Université de Craiova

Résumé Nous nous proposons de présenter les particularités de l’infinitif roumain du XVIe siècle. Après le dépouillement d’un vaste corpus (partiellement mentionné dans la bibliographie) formé de documents originaux et de traductions de textes religieux, nous avons identifié deux formes d’infinitif: long (nominal et verbal) et court. Les formes longues sont héritées du latin alors que les formes courtes sont issues du besoin de clarté et de spécialisation morphologique. De toutes ces formes, le roumain actuel a conservé et emploie l’infinitif court à valeur verbale alors que l’infinitif long exprime seulement la valeur nominale. Abstract Around the Romanian Infinitive of the XVIth Century Our work deals with the features of the ancient Romanian infinitive in the sixteenth century. After counting a large corpus (partially listed in the bibliography) consisting of originals documents and translations of religious texts, we have identified two infinitive forms: the long form (nominal and verbal forms) and the short one. The long forms are inherited from Latin while short forms are derived from the need for clarity and morphological specialization. Of all these forms, the current Romanian retained and uses the short infinitive with a verbal value while the long infinitive expresses only the nominal value. Mots-clés: ancien roumain, morphologie, verbe, infinitif, formes courtes, formes longues. Keywords: ancient Romanian, morphology, verb, infinitive, short forms, long forms.

1. Introduction L’héritage latin ainsi que les tendances du latin populaire et tardif – de

simplifier et de réorganiser les paradigmes, de régulariser les formes grammaticales et de développer les constructions analytiques – sont évidentes dans tout le système verbal de l’ancien roumain.

Quelques-unes de ces tendances, qui se sont également manifestées dans d’autres langues romanes, vont continuer durant les siècles suivants, le roumain du XVIe siècle se constituant uniquement comme une séquence de ce continuum qui a conduit à l’apparition des normes supradialectales uniques de la langue littéraire.

Dans ce qui suit nous présenterons, à partir des formes latines, quelques particularités formelles de l’infinitif en ancien roumain au XVIe siècle.

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2. L’infinitif latin En latin classique, les verbes à l’infinitif étaient répartis, d’après la voyelle

thématique, en quatre classes en fonction de l’affixe -RE (-ĀRE, -ĒRE, -´ĔRE, -ĪRE). L’infinitif avait des formes distinctes de voix (active, passive et déponente) et de temps (présent, parfait et futur).

Ayant un double caractère – verbal et nominal – sur le plan fonctionnel, l’infinitif avait des emplois divers exprimant des rapports de dépendance (en général, après un verbe mais aussi après un nom ou un adjectif) ou bien des positions indépendantes. Les traits verbaux de l’infinitif sont mis en évidence par:

– la possibilité d’emploi comme prédicat d’une subordonnée (infinitives après les verbes dicendi, sentiendi, voluntatis) ou d’une proposition indépendante (infinitif narratif ou historique, infinitif exclamatif et interrogatif, infinitif impératif);

– la présence des formes distinctes (voix, mode et temps); – la possibilité de régir un accusatif. Comme déterminant, l’infinitif accompagnait les verbes et expressions

impersonnelles formées d’un nom + le verbe ESSE (où l’infinitif alternait avec le gérondif en génitif). Il apparaissait après les verbes copules en relation avec un sujet exprimé toujours par un infinitif ou après des verbes exprimant une volonté, un désir, une possibilité, le plus souvent dans des structures du type: HABEO + infinitif, POSSUM + infinitif, VOLO + infinitif.

En latin classique, la dépendance d’un infinitif par rapport au terme régissant s’exprimait de manière directe, immédiate sans marque interne ou externe – désinences ou prépositions (Diaconescu 1977: 13).

En latin vulgaire, les infinitifs étaient répartis toujours en quatre classes, comme en latin classique, mais à cause des phénomènes phonétiques (confusions entre certaines voyelles) ont eu lieu de nombreux passages analogiques d’une classe morphologique à une autre (Väänänen 1981: 135).

La tendance de chute du E final a divisé la Romania en deux: un groupe où cette tendance est devenue générale, les deux types d’infinitif en -ERE se réduisant à un seul (par l’extension de l’accentuation des formes infinitives sur le suffixe spécifique de la conjugaison) et un deuxième groupe où se sont conservées (jusqu’à un certain point) les formes classiques et la distinction entre les infinitifs en -ĒRE et les infinitifs en -´ĔRE (Stati 1965: 176-177; Väänänen 1981: 136).

En latin vulgaire tardif, deux tendances se sont manifestées: – une première tendance à simplifier la flexion par la neutralisation des

oppositions de voix et de temps. L’infinitif s’est réduit ainsi à une seule forme, l’infinitif présent, qui a enrichi ses emplois au détriment du supin, du gérondif en génitif, du participe présent et du conjonctif précédé de UT ou de celui des propositions relatives et interrogatives (Fischer 1985: 117), surtout parce qu’il constituait la formule la plus commune de transposer un énoncé interrogatif du style direct en style indirect. Comme la construction hybride du type QUOD + infinitive auraient été possibles, d’autres séquences du type QUID + infinitif,

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UNDE + infinitif auraient été possibles aussi et ce sont ces dernières qui ont continué à s’imposer après certains verbes (Diaconescu 1977: 29).

– la deuxième tendance était de développer et d’employer les formes analytiques basées, en général, sur les constructions syntaxiques avec les verbes HABEO, SUM, VOLO, POSSUM, DEBEO, VENIO, INCIPIO, du type: HABEO + infinitif, HABEO + AD + infinitif, VOLO + infinitif, DEBEO + infinitif, POSSUM + infinitif, VENIO + AD + infinitif.

Les formes accusatif + infinitif ont été soumises à une restructuration. Si, en latin classique, cette structure s’employait surtout après les verbes declarandi, sentiendi, affectum, voluntatis, en latin vulgaire et tardif, elle commence à disparaître après les declarandi, sentiendi, affectum et se répand après les verbes causatifs, de perception et ceux exprimant la volonté et la permission. En même temps, l’accusatif avec infinitif «indépendant», où le verbe régissant n’est plus en relation avec l’accusatif sujet, mais avec toute la construction, était caractéristique seulement pour le latin littéraire. Cet accusatif est disparu en même temps que le latin littéraire (Iliescu 1965: 298).

Pour exprimer la dépendance d’un verbe à l’infinitif par rapport au terme régissant, en latin vulgaire et surtout en latin tardif, on marquait explicitement la relation par diverses prépositions: DE, IN, PER, PRO, POST, SINE. Très employée, la préposition AD, dans la séquence verbe + AD + infinitif s’explique par une contamination entre les constructions du type AGGREDIOR DICERE et celles du type AGGREDIOR AD DICENDUM, qui, quoique formellement différentes, avaient un sens proche. Le résultat en aurait été les constructions du type AGGREDIOR AD DICERE, suite à la substitution du gérondif par l’infinitif. Ultérieurement, par extension, dans d’autres constructions, l’infinitif a remplacé le supin et les structures du type FACILE PORTATU sont devenues FACILE AD (DE) PORTARE (Diaconescu 1977: 29; Fischer 1985: 118).

En roumain, l’infinitif s’est constitué comme un système de deux unités distinctes sur les plans de l’expression et du contenu: l’infinitif long exprimant la valeur nominale et l’infinitif court exprimant la valeur verbale. C’est une particularité du roumain parmi les autres langues romanes: une même forme exprime les deux valeurs et l’opposition est réalisée par des éléments externes: articles, distribution (Diaconescu 1977: 56-60).

3. Les formes courtes de l’infinitif roumain – origine et datation Les formes courtes de l’infinitif roumain ont provoqué de nombreuses et

vives discussions qui ont abouti à plusieurs opinions sur son origine et sa date d’apparition.

3.1. En ce qui concerne son origine, l’infinitif a été considéré comme

l’effet des causes externes (l’influence des langues slaves voisines) ou comme le résultat de l’action des facteurs internes de nature phonétique, morphosyntaxique ou lexicale.

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L’explication par l’influence slave diffère d’un auteur à l’autre. Par exemple, G. Weigand et M. Křepinski (apud Diaconescu 1977: 61; cf. Livescu 2009: 268) ont expliqué l’apparition de l’infinitif court comme résultant d’un procès de dissimilation syntaxique sous l’influence d’un modèle slave analogue, dans des constructions du type facere vremŭ > face vremŭ.

P. Beneş (1955: 260-261) considère que l’infinitif court est dû à l’influence slave mais non venue de l’extérieur. Elle est provoquée par le développement organique de la langue durant le mélange des populations. Selon cet auteur, la modification a eu lieu d’abord à la IVe conjugaison où l’on a encadré les verbes slaves en -i. La réduction de l’infinitif se serait produite pour les verbes slaves terminés en -titi (du type platiti, postiti) par haplologie et ensuite elle s’est produite, par analogie, pour d’autres verbes. Cet auteur suppose l’existence d’une période où les formes slaves avec -ti et celles sans -ti coexistaient, alors que les infinitifs issus du latin avaient une seule forme, en -re. On pourrait considérer la terminaison slave -ti comme équivalent de la terminaison latine -re. Selon le modèle platiti – plăti sont apparus des pairs de verbes latins du type auzire – auzi.

Th. Capidan (1924: 241-243) considère que l’infinitif court est apparu sous l’influence des langues slaves voisines (le bulgare, le serbe), qui présentent des formes courtes d’infinitif. Cette opinion est combattue par I. Diaconescu (1977: 61-62) qui affirme que ces formes courtes, n’étant pas généralisées dans le système verbal, se seraient développées en relation avec les formes longues pour créer une distinction d’ordre fonctionnel. Les formes courtes sont «la conséquence des processus évolutifs d’ordre phonétique» (Ibidem). Le roumain a créé un système de réduction de l’infinitif, en relation avec l’infinitif long, non pas comme résultat des accidents phonétiques (qui auraient provoqué la disparition totale des formes longues) mais comme nécessité d’éviter l’homonymie créée par l’emploi nominal très fréquent (cântare – verbe et nom à la fois).

La plupart des chercheurs expliquent la réduction des formes de l’infinitif par des facteurs internes. Selon Ov. Densusianu (1961: 148), la théorie qui présente l’infinitif à apocope du roumain comme une généralisation des formes analogues de l’italien et du rhétique est difficile à soutenir car l’infinitif long du roumain ancien atteste le fait que cette forme est restée «en usage assez longtemps» (Ibidem). A partir du fait que les infinitifs à apocope existaient toujours dans la langue romane balkanique, en italien et en rhétique, à côté des formes longues, à une époque où la première ne s’était pas encore séparée des autres et que les infinitifs sans -re s’étaient peu à peu généralisés en roumain, au détriment des autres formes, ce chercheur admet seulement en partie la chute du -re comme résultat d’un développement indépendant du roumain.

Selon J. Byck (1967: 147-149), la réduction de l’infinitif roumain «est un fait de la langue roumaine» dont l’explication est un processus d’ordre lexical, morphologique et syntaxique provoqué par la tendance à la diversification car, à un moment donné, il y a eu une seule forme comportant deux valeurs différentes: cântare, verbe à l’infinitif (începură a cântare) et cântare nom (am auzit o cântare fermecătoare).

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Pour les verbes de la Ière conjugaison, le suffixe verbal -are était l’homonyme du suffixe nominal -are < -ARIA sau -ALE (CALDARIA > căldare, BRACIALE > brăţare). Une forme du type cântare, devenue nom d’action, désignait ensuite le résultat de l’action. Cette forme a été considérée comme dérivée du thème cânt- par l’ajout du suffixe -are (on pouvait y ajouter aussi d’autres suffixes nominaux), d’après le modèle des noms toujours dérivés des thèmes verbaux avec suffixes nominaux (împărţeală, săritură, despărţenie)1.

Ainsi, l’infinitif court a-t-il pu apparaître du besoin de rendre uniquement le sens verbal exprimé par le thème: -a est devenu suffixe de l’infinitif, alors que -are est devenu suffixe nominal.

Une opinion pareille est formulée par I. Diaconescu (1977: 59-60): l’apparition de l’infinitif court n’est pas le résultat des accidents phonétiques (comme dans les autres langues romanes) mais c’est un processus déterminé par des facteurs d’ordre systémique. L’action de ces facteurs était imposée par le besoin d’expliciter sur le plan de l’expression les distinctions sémantiques. L’opposition des formes -re/vs/ø traduit l’opposition nom/vs/verbe.

3.2. La même diversité d’opinions concerne également le moment de

l’apparition de l’infinitif court. P. Beneş (1955: 261) situe les débuts de ce processus à l’époque des

premiers contacts avec les Slaves. Th. Capidan (1924: 243), qui invoque une analogie avec le bulgare et le serbe, considère que le phénomène s’est produit après l’installation de ces populations dans les Balkans. Selon Ov. Densusianu (1961: 148), l’existence des formes courtes dans d’autres aires de la Romania, implique leur apparition dès la période d’unité romane balkanique. Pour J. Byck (1967: 147), l’apparition de l’infinitif court comme résultat du développement interne du roumain est «de date récente» sans autre spécification temporelle. I. Diaconescu (1977: 68) considère que le phénomène de réduction de l’infinitif est exclusivement roumain. À son avis, ce processus a commencé après le Xe siècle et s’est généralisé comme système jusqu’au XIIIe ou XIVe siècle. Pourtant certaines formes longues d’infinitif se sont maintenues comme variantes archaïques, dialectales, stylistiques ou positionnelles.

Même si certaines explications insistent sur les facteurs externes, l’analyse plus approfondie des faits de langues démontre que l’apparition des formes d’infinitif court relève des facteurs internes (besoin de clarté et spécialisation des formes morphologiques).

4. La structure des formes de l’infinitif roumain au XVIe siècle Les textes du XVIe siècle mettent en évidence la coexistence des deux

formes d’infinitif. Les deux sont des structures composées comprenant un affixe mobile (composante dissociable) et la forme verbale (composante continue, non dissociable) (cf. Guţu Romalo 1968: 180-182; Iliescu, Mourin 1991: 289).

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L’affixe mobile réalisé par a est toujours antéposé à la forme verbale. Il provient de la préposition AD qui, en latin, exprimait la relation de dépendance d’un verbe, au début, au gérondif et ensuite à l’infinitif par rapport à un autre verbe (Diaconescu 1977: 148). Ultérieurement cette préposition s’est répandue comme marque fonctionnelle d’un infinitif en position de dépendance. En roumain, elle a fini comme marque morphologique et syntaxique à la fois (Pană Dindelegan 2005: 487).

Comme marque morphologique, la présence de a est obligatoire, excepté certains contextes où il fait partie des structures temporelles ou modales. De même, a apparaît lorsque l’infinitif remplit la fonction de sujet (1) a. ou de complément d’objet direct (1) b., fonctions pour lesquelles il n’est pas besoin de prépositions:

(1) a. Cade-mi-se şi Rimulŭi a vedea (CV, 8/8); Binre iaste voao a-l bate (CV, 44/6); Şi le era a trece peste o apă (CP, 158); Se cade a dezlega (PO, 163/5); (1) b. Uitaiu a mănca pănrea mea (PH în PS, 207/35); Şi de altulŭ a se griji nu va putea (CCînv, 583). 4.1. La structure de l’infinitif long à valeur verbale Au XVIe siècle, l’infinitif long était employé avec une valeur nominale et

avec une valeur verbale, qui présentent des traits particuliers d’expression et de contenu.

L’infinitif long à valeur verbale est formé de: le morphème mobile a et la forme verbale avec la structure radical + voyelle thématique + suffixe modal (Iliescu, Mourin 1991: 289-291).

Selon la voyelle thématique, on peut déceler cinq classes de verbes: ● R + á + re, voyelle thématique a avec plusieurs variantes fonction de la

finale du radical: a judecarea, a darea (DÎR, 247 v/ 5, 6), de-a se apropiarea (CCînv, 331);

● R + eá + re. La diphtongue eá < Ē est caracteristique aux structures verbales de la IIe conjugaison. Ultérieurement, eá s’est monophtongué à e (cădeáre > cădere, vedeáre > vedere), transformation produite probablement après l’apparition des formes courtes. E s’est imposé comme marque unique de l’infinitif long nominal ou verbal.

● R + e + re, structure caractéristique pour les verbes de la IIIe conjugaison qui n’a pas de voyelle thématique accentuée: a ducerea (CCînv, 481);

● R + í + re: a ştirea (DÎR, 238 r/8-9); ● R + ấ + re. Le suffixe modal -re est commun à toutes les classes de verbes. La présence du morphème a dans la structure de l’infinitif long à valeur

verbale réalise l’opposition avec l’infinitif long à valeur nominale. Les occurrences

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de ce morphème mettent en évidence quelques types d’infinitif long à valeur verbale:

● a + infinitif long représente le type fondamental d’infinitif: (2) Iară nemică nu avămŭ nece a ducerea (CCînv, 481) ; ... poftim să dea măriia lui a ştirea pre cestu om ... (DÎR, 238 r/8-9) ; ... el să n-aibă a luarea aceste cetăţi... (DÎR, 246 v/7). ● de + a + infinitif long

En opposition avec l’infinitif long nominal, qui se combine avec diverses prépositions (parfois en l’absence du morphème a), l’infinitif long verbal construit obligatoirement avec a ne peut se combiner qu’avec la préposition de. Après que a s’est généralisée comme marque de l’infinitif, la préposition de marquait des rapports syntaxiques bien définis (Diaconescu 1977: 95). Une particularité de cette forme d’infinitif est la terminaison -a, apparue par analogie avec les formes adverbiales du type de-a pururea mais sans signification grammaticale ou lexicale. (Idem: 87-88):

(3) ... lăsă de-a grăirea ... (PO, 55/17); De-a numărarea stătură (PO, 144/17). Dans certains contextes, l’infinitif long à valeur verbale se trouve en

rapport de coordination avec les formes courtes:

(4) Iară de-a mâncarea şi de-a bearea şi a ne îmbrăca noao nu apără Domnulŭ; iară a grăi de aceastea şi a griji, aceaia apără. (CCînv, 221-222).

Parfois, dans des contextes identiques, les infinitifs longs à valeur verbale

sont remplacés par les infinitifs longs à valeur nominale (5) a., par les infinitifs courts (5) b. ou par le supin (5) c. Cela montre que dès le XVIe siècle, l’infinitif long verbal était déjà vieilli :

(5) a. Veri duce ei în puţulu de a putredirea (PH în PS, 106/35-36) /vs/ ... împenge-i în puţu de putredire (PS, 106/13) ; (5) b. Încetă de a grăirea (CCînv, 330); Stătu de-a grăirea (CCînv, 461) /vs/ Stătură de-a grăi (CCînv, 329); (5) c. ... paie şi oboroc deade lor şi apă de-a spălarea ... (PO, 78/24-25) /vs/ ... şi băgă apă într-însă de spălat (PO, 317/5-6). ● morphème Ø + infinitif long Sans être accompagné par le morphème modal a, l’infinitif long verbal

apparait dans deux situations: a) après le verbe a putea, en continuant les constructions latines du type

POSSUM CANTARE, fréquentes dans le cas de l’infinitif court:

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(6) Şi vomŭ fi cu vină de a nu ne putea lepădarea (CCînv, 37).

b) dans certaines structures verbales telles que:

– les formes inversives du conditionnel présent : (7) rugare-aşi (CV, 35 v/14); fire-aşŭ (CCînv, 337); piardere-ai (PO, 58/18).

– la structure de l’impératif négatif, a la 5e personne: (8) nu vă giurareţi (CV, 67 r/14); nu grăireţi (CP, 294 r/4); nu meargereţi (PO, 188/17). La valeur verbale initiale de l’infinitif long se fait remarquer encore

aujourd’hui dans les formules injonctives: Adunarea!, Alinierea!, Plecarea!, Scularea!2.

4.2. La structure de l’infinitif court Le roumain du XVIe siècle n’enregistre que les formes de l’infinitif

présent, l’infinitif passé étant attesté pour la première fois à peine à la seconde moitié du XVIIIe siècle (Diaconescu 1977: 140).

L’infinitif court est constitué (tout comme l’infinitif long) d’un ensemble dissociable comprenant le morphème mobile a et le formant continu comportant le radical + la voyelle thématique (Guţu Romalo, 1968: 180-182, Iliescu, Mourin 2009: 289).

L’infinitif scurt présente 5 types de voyelles thématiques, en fonctions desquelles on distingue les classes flexionnelles3: R + á4, R + eá, Ŕ + e, R + í et R + î ́.

La voyelle thématique -î est apparue, premièrement, suite à des causes phonétiques, aux verbes d’origine latine avec le radical en r fort provenant d’un r géminé. Le timbre dur de cette consonne a déterminé le passage de la voyelle antérieure dans la série centrale. Puis -î a été transmis, par analogie, aux verbes avec le radical finissant en r simple. Ultérieurement, cette catégorie de verbes s’est enrichie par des verbes empruntés au slave et par des créations roumaines. Dans les textes du XVIe siècle, les verbes en -î présentent aussi la variante en -i, enregistrée, en général, dans les textes appartenant à l’aire nordique, tandis que les verbes en -î sont préférés dans les textes de l’aire sudique (Valachie et Banat-Hunedoara) (Frâncu 2009: 83-84):

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(9) amăriră-me (PS, 314/14) – amărâia (PO, 88/22); oborriră (PH în PS, 143/24) – oborâia (PO, 86/24); ocărria (CV, 75 v/2); ocări (PS, 161/11) – ocărâia (CCînv, 79); va ocărî (PO, 286/24); omoriră (PS, 195/27); omorritu fu (CV, 78 r/14) – omorâia (CCînv, 195); voiu omorî (PO, 215/15-16); va omorî (CPr, 9 r/14); va urri (PH în PS, 115/27) – urâiu (PO, 93/20); urâia (CCînv, 367) etc. Dans la structure de l’infinitif court, la présence du morphème a est, de

règle obligatoire, a + infinitif représentant la structure typique de ce mode en roumain:

(10) Şi tremese robii lui a chema la nuntă … (CCînv, 301); Iaste un părinte a da bogăţie feciorilorŭ lui… (CCînv, 41); Noi în toate chipurile cugetăm a întări elŭ. (CCînv, 57).

Obligatoirement précédé du morphème a, l’infinitif court apparaît aussi dans la structure du futur formée avec l’auxiliaire a avea5:

(11) am a bea (CT, 79); are a merge (CT, 157); avămŭ a ne chinui (CCînv, 537).

Le morphème a peut être omis dans certaines situations: – dans les constructions relatives après le verbe a avea, postposé aux pronoms (12) a. ou aux adverbes relatifs (12) b. Ces constructions sont héritées du latin vulgaire suivant le modèle NESCIO QUID DICERE (Livescu 2009: 2681):

(12) a. ... noi n-am avutu cu ce plăti ... (CB, 123); Amŭ cu ce mă hrăni (CCînv, 399); (12) b. N-amŭ unde aduna rodurile (CCînv, 399); Să n-aibă unde vene după mene (CB, 95).

– après les verbes a cuteza, a putea, a şti, a vrea, comme une continuation des formes latines du type POSSUM CANTARE, SCIO CANTARE, VOLO CANTARE (Diaconescu 1977: 155):

(13) nu se cutezară apropiia (PO, 297/4-5); pociu face (CCînv, 248); să ştie tocmi (CCînv, 381); ai vrut gice (PS, 54/15). Après le verbe a putea sont attestées aussi des formes d’infinitif postposé

accompagné de a: vămŭ putea a ne chema (CCînv, 490). Lorsque l’infinitif précédé a putea, il est obligatoirement accompagné du morphème a:

(14) Voi a vă mântui nu puteţi (CV, 46 r/13-14); Şi de altul a se griji nu va putea (CCînv, 538).

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Quand entre a putea et l’infinitif sont intercalés divers éléments, la présence du morphème a est facultative:

(15) Nu vrea putea nimea carnea trupului său crudă a mânca sau aşa sângele lui a-

lŭ bea. (CCînv, 111).

(16) Nimea nu poate a doi domni lucra .... (CT, 8; CCînv, 214-215).

– lorsque l’infinitif entre dans la structure de certains paradigmes modaux ou temporaux construits avec les verbes a avea et a vrea :

● dans la structure du futur, en combinaison avec a vrea au présent: (17) vămŭ auzi (CCînv, 4) ; voiu blagoslovi (PO, 43/7); vremu face (CV, 65 v/7-8). ● dans la structure du conditionnel présent, en combinaison avec a avea à

l’indicatif présent: (18) ară cure (PS, 118/18); ară milui (CCînv, 71); s-ară pocăi (TM, 132). ● dans la structure du conditionnel passé, en combinaison avec a vrea à

l’imparfait ou au passé composé: (19) vrea agiuta (PS, 197/3; CP, 183v/1), vrea îmbla (CP, 158v/11); (20) n-am vrut gândi (PO, 171/14-15); se au vrut culca (PO, 86/13).

Dans la chaîne morphématique de l’infinitif, court et long, au point de jonction, on peut intercaler des clitiques pronominaux et adverbiaux:

(21) de-a se apropiarea (CCînv, 331); de-a ne căirea (CCînv, 480); a-l bate (CV, 42 v/6); a-şi înfrâra (CV, 61 v/12); a nu ogodi (CCînv, 86). 4. Conclusions Les textes du XVIe siècle mettent en évidence deux formes d’infinitif:

l’infinitif long et l’infinitif court. L’infinitif long avait deux valeurs: verbale et nominale. L’infinitif long à valeur verbale est enregistré dans tous les textes. Les

contextes sont identiques à ceux où apparaît l’infinitif court. L’infinitif long s’y trouve, de règle, accompagné du morphème a. Il peut entrer en combinaison uniquement avec la préposition de. Ces particularités formelles auxquelles s’ajoutent celles de contenu et de distribution le différencient de l’infinitif long à valeur nominale. Sans le morphème a, l’infinitif long à valeur verbale apparaît seulement comme formant de certains modes et, par endroits, après le verbe a putea.

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Même si l’infinitif long est attesté dans les traductions ainsi que dans les documents, dès cette période, il est concurrencé particulièrement par les formes courtes et, plus rarement, par le supin. Le phénomène, qui s’est accentué pendant les siècles suivants, a eu pour résultat la réduction de l’aire d’emploi de cette forme d’infinitif.

Dans la langue roumaine actuelle, l’infinitif long sans le morphème a s’est conservé, au niveau dialectal, dans la structure de l’impératif négatif, et au niveau de la langue parlée, dans les imprécations (formes inversives du conditionnel passé de certains verbes).

L’infinitif court est attesté seulement avec la forme temporelle de présent. Il était beaucoup plus fréquent que dans le roumain actuel standard, parce que sa substitution par le conjonctif, dans les séquences où deux verbes se succédaient, était un processus en déroulement qui allait s’accomplir ultérieurement.

L’infinitif court apparaît sans le morphème a dans trois situations: – lorsqu’il fait partie d’un paradigme modal ou temporel, en relation avec les verbes a avea et a vrea; – dans des constructions relatives, postposé aux pronoms et aux adverbes, lorsque ceux-ci se trouvent en relation de dépendance avec le verbe a avea; – après les verbes a cuteza, a putea, a şti, a vrea.

Notes

1 Le suffixe -are s’est tellement imposé au point de devenir productif. Des noms d’action despărţare, zăcare, născare, vânzare, petrecare, crezare sont dérivés à partir des thèmes verbaux avec le suffixe -are, sans que les verbes de provenance aient changé de conjugaison (Byck 1967: 148-149). 2 « Son origine verbale devient évidente dans les propositions nominales mono-membres appartenant à la langue parlée, avec un contenu impératif, exprimant à l’aide d’une intonation particulière, un ordre, une commande » (Livescu 2009: 2680). 3 Pour le roumain moderne, on a proposé plusieurs classifications et selon des critères différents et, d’une classification à l’autre, le nombre des conjugaisons/classes flexionnelles est varie entre 5 et 12 (Moisil 1960: 7-24; Felix 1964: 291-299; 1965: 233-238; Guţu Romalo 1968; Iliescu, Mourin 1991: 456, Irimia 1997, 187-191; Pană Dindelegan 2005 I: 544-562). 4 La voyelle thématique a présente plusieurs variantes phonétiques fonction de la finale du radical (-ĭa-, -ŭa-). 5 La structure du type am a cânta est le réflexe roumaine de la construction latine HABEO AD CANTARE (Densusianu 1961, I: 124; Caragiu-Marioţeanu 1969: 268).

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CV = Codicele Voroneţean, Ediţie critică, studiu filologic şi studiu lingvistic de Mariana Costinescu, Bucureşti: Editura Minerva, 1981.

CT = Gaster, M. (1929), Tetraevanghelul diaconului Coresi din 1561, Bucureşti: Imprimeriile Statului.

DÎR = Documente şi însemnări româneşti din secolul al XVI-lea, Text stabilit şi indice de Gheorghe Chivu, Magdalena Georgescu, Magdalena Ioniţă, Alexandru Mareş şi Alexandra Roman-Moraru. Introducere de Alexandru Mareş, Bucureşti: Editura Academiei, 1979.

PH = Psaltirea Hurmuzachi, în Psaltirea Scheiană comparată cu celelalte psaltiri din secolele XVI şi XVII traduse din slavoneşte, Ediţie critică de I. A. Candrea, Bucureşti: Atelierele SOCEC, 1916.

PO = Palia de la Orăştie. 1581-1582. Text-facsimile-indice. Ediţie îngrijită de Viorica Pamfil, Bucureşti: Editura Academiei, 1968.

PS = Psaltirea Scheiană comparată cu celelalte psaltiri din secolele XVI şi XVII traduse din slavoneşte, Ediţie critică de I. A. Candrea, Bucureşti: Atelierele SOCEC, 1916.

TM = Texte măhăcene, in Petriceicu Haşdeu, B. (1984), Cuvente den bătrâni, II, Ediţie îngrijită, studiu introductiv şi note de G. Mihăilă, Bucureşti: Editura Didactică şi Pedagogică, 33-191.

Bibliographie

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L’ACCENTUATION DES EMPRUNTS FRANÇAIS EN ANGLAIS BRITANNIQUE ET AMÉRICAIN

Pierre FOURNIER

Université Paris 13 Sorbonne Paris Cité, France

Résumé

Il existe peu d’études quantitatives concernant l’accentuation des emprunts français en anglais contemporain. En se basant sur un corpus représentatif d’emprunts français en anglais élaboré à partir de terminaisons typiquement françaises, cette recherche vise à déterminer la position de l’accent primaire en anglais britannique et américain. Des différences accentuelles relatives à la variété d’anglais et à la classe de l’emprunt (nom commun / nom propre) sont à noter. L’accentuation des emprunts français se situe au cœur du conflit entre la logique romane et la logique germanique présent en anglais. En anglais britannique, l’origine française impliquant une accentuation sur la syllabe finale est contrebalancée par d’autres critères déterminant une rétraction accentuelle. En revanche, l’origine française de l’emprunt est souvent garante d’une accentuation finale en anglais américain. Abstract

Word Stress Assignment of French Loanwords in British English and American English Few quantitative studies are found concerning word stress assignment of French loanwords in contemporary English. Based on a representative corpus of French loanwords attested in contemporary English and constituted of words containing typical French endings, this research seeks to determine the position of primary stress in British and American English. We find different stress patterns relative to the variety of English considered and the common / proper noun distinction. The stress patterns of French loanwords illustrate the conflict between Romance and Germanic principles in English. In British English, it appears that the French origin factor determining word-final stress patterns is counterbalanced by other criteria. However the French origin of loanwords seems to be the key factor of word-final stress patterns in American English.

Mots-clés: emprunts français, anglais britannique, anglais américain, accent primaire, étude quantitative. Key words: French loanwords, British English, American English, primary stress, quantitative analysis.

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1. Introduction Après avoir dressé un bref panorama de l’histoire des emprunts français en

anglais et des précédentes études sur leur accentuation en anglais contemporain, la seconde partie traite des étapes de constitution d’un corpus représentatif d’emprunts français. Enfin, la dernière partie est consacrée aux résultats de l’étude et à la formulation d’hypothèses et de pistes de réflexion concernant l’accentuation de ces items en anglais contemporain.

2. Les emprunts français en anglais 2.1. Perspectives historiques De nombreux travaux traitent des emprunts français en anglais dans une

perspective historique (Crépin 1994, Crystal 2002). L’apparition dans la langue anglaise de milliers d’emprunts français remonte à l’époque de Guillaume le Conquérant et de la bataille de Hastings en 1066. Dès lors, la domination des dirigeants français sur le royaume anglais explique l’afflux massif d’emprunts français à partir du XIe siècle. Le présent article ne s’inscrit pas dans cette optique historique mais dans une approche phonologique. En effet, l’arrivée massive de mots français en anglais a eu une conséquence non négligeable sur le système phonologique anglais qui va s’en trouver profondément remanié.

2.2. Perspectives phonologiques Les travaux de L. Guierre (1979) marquent le début d’une nouvelle

perception de l’accentuation lexicale en anglais. Les théories basées sur le concept de poids syllabique, considéré comme le facteur principal de l’assignation de l’accent primaire en anglais par la communauté scientifique de l’époque, avec comme chefs de file N. Chomsky et M. Halle (Chomsky/Halle 1968), sont remises en cause par L. Guierre. L’interaction entre le niveau morphologique (et tout particulièrement les suffixes) et le niveau phonologique devient le postulat de la théorie morphophonologique. L’importance des suffixes dans l’assignation de l’accent primaire en anglais devient fondamentale. L’arrivée massive d’emprunts français en anglais n’est pas étrangère à cette profonde modification du système phonologique anglais.

Les travaux de D. Minkova sur l’accentuation du Vieil Anglais montrent que le système phonologique anglais fonctionnait différemment avant l’arrivée des emprunts français au sein de son lexique:

«Main stress in Old English was placed on the first syllable of the root of major class words […] Old English shares root-initial stress with the other Germanic languages. In English root-initial stress was powerful enough to reshape the prosody of Romance loanwords in early Middle English, and it characterizes the native vocabulary of present-day English» (Minkova 2009: 95-96).

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En d’autres termes, avant l’arrivée des mots français en anglais, l’anglais obéissait à une logique phonologique germanique qui consistait à accentuer la première syllabe de la base, quelle que soit la structure morphologique du terme (suffixé ou non). La règle était si puissante qu’elle traitait de façon similaire les emprunts d’origine romane qui intégraient l’anglais. L’arrivée de l’aristocratie française en Angleterre va profondément remanier le système phonologique anglais. Les termes français sont introduits dans les hautes sphères du pouvoir et prononcés «à la française», c’est-à-dire avec les caractéristiques phonologiques propres au français. Cette étude se cantonne aux particularités d’ordre accentuel. Le français possède un accent final, et il y a donc une opposition avec le système phonologique anglais de l’époque régi par les principes germaniques accentuant le début des mots. La citation de J. Boulle illustre parfaitement cette opposition des deux systèmes: un «conflit entre l’accent final français et l’accent initial anglais (plus exactement, entre la polarité finale de l’accent latin1 et la polarité initiale de l’accent germanique)» (Boulle 1984: 207).

Au fil du temps, l’anglais a intégré les deux logiques, romane et germanique, au sein de son système phonologique2.

2.3. L’accentuation des emprunts français en anglais contemporain Il existe à l’heure actuelle peu d’études quantitatives concernant

l’accentuation des emprunts français en anglais contemporain. Les emprunts français en anglais ont-ils conservé leur accentuation finale démarcative ou bien ont-ils subi un processus d’assimilation qui consiste en une rétraction de l’accent primaire sur la syllabe pénultième ou antépénultième? O. Jespersen opte davantage pour l’hypothèse de l’assimilation: «A great many words are now stressed on the first syllable which in French were stressed on the final syllable, and this is often ascribed to the inability of the English to imitate the French accentuation» (Jespersen 1958: 96). Il nuance cependant cette position par la suite: «In many recent borrowings the accent is not shifted» (Jespersen 1958: 97). Il n’avance pas de données chiffrées qui permettraient de se faire une idée de la proportion de termes français assimilés ou non en anglais contemporain.

J.-M. Chadelat apporte également un éclairage phonologique à son étude essentiellement sociolinguistique des mots français en anglais. Il situe au début du XVIIe siècle la fin de l’assimilation phonétique automatique des emprunts français et estime qu’il existe un «équilibre postulé et constaté de la tendance à l’assimilation des mots français en anglais et de la tendance inverse à la conservation de la graphie et de la prononciation d’origine» (Chadelat 2000: 185). Les termes assimilés côtoient donc les emprunts non-assimilés. Cependant, même si J.-M. Chadelat situe approximativement la période marquant la fin de l’assimilation systématique des emprunts français, il est pleinement conscient que le degré d’ancienneté d’un terme français en anglais n’est pas garant d’une assimilation totale (Chadelat 2000: 174). Il s’avère en effet que des emprunts français datant de plusieurs siècles conservent malgré tout leur accentuation finale

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en anglais alors que des emprunts beaucoup plus récents ont subi une rétraction accentuelle.

Les travaux de J.-M. Fournier sur le système accentuel de l’anglais cernent la particularité de ces emprunts français au sein du système anglais. Ainsi, il affirme au sujet d’un large inventaire d’emprunts que:

«l’essentiel de ces mots proviennent du français et en ont conservé des caractéristiques phonétiques, en particulier l’accent final et ces prononciations des voyelles proches de leurs prononciations d’origine […] ils forment un ensemble cohérent au sein du lexique de l’anglais fondé justement sur cette particularité» (Fournier 2010: 26).

Les emprunts français sont donc identifiables par leur accentuation finale,

toutefois, J.-M. Fournier insiste sur le fait que l’accentuation finale des emprunts français est spécifique à certaines terminaisons, et que le reste des emprunts français tend à s’intégrer au système anglais:

«Ce n’est qu’associé à certaines terminaisons que ce caractère étranger peut se constituer en structure spécifique du système anglais, et dès lors se manifester par des comportements phonétiques propres, et non comme de simples exceptions» (Fournier 2010: 26).

L’accentuation finale des emprunts français en anglais constitue donc une

sorte de sous-système au sein du système phonologique anglais, la notion de «sous-système» impliquant par là-même les concepts de régularité et d’exception. L’apparition de variantes accentuelles témoigne du conflit entre les systèmes roman et germanique en anglais.

Deux thèses de doctorat ont été consacrées à l’étude de l’accentuation des emprunts français en anglais. La thèse de B. Bejta (2002) s’intitule L’assimilation morpho-phonologique des xénismes français en anglais et son traitement lexicographique. Le corpus permettant de traiter le sujet est extrait des données du Longman Pronunciation Dictionary. Notons également le travail approfondi de J. Quinio (2009) dans sa thèse consacrée à La phonologie des emprunts français non-anglicisés en anglais. Elle différencie les emprunts français considérés comme «non-anglicisés» des emprunts «anglicisés»3 au moyen de critères d’identification essentiellement phonétiques et phonologiques (exemples: l’accentuation ou la présence de voyelles nasales). Son analyse se concentre essentiellement sur les emprunts français non-anglicisés, tout en précisant que le processus d’emprunt provoque nécessairement des modifications et qu’il n’existe donc pas de réels emprunts français non-anglicisés en anglais.

Notre étude s’inscrit dans une perspective différente. La scission entre emprunts anglicisés et non-anglicisés étant particulièrement délicate à opérer, cette distinction n’est pas faite au niveau de la construction du corpus. Cette opposition notable constitue d’ailleurs l’un des objets d’investigation de notre analyse, centrée sur l’accentuation des emprunts français en anglais. Comment constituer un corpus

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d’analyse test représentatif des emprunts français en anglais contemporain? Quelle est la proportion d’emprunts français accentués sur la syllabe finale? Généralement, les études phonologiques sur la question prennent comme référence la variété d’anglais britannique. Y a-t-il une différence notable dans l’accentuation des emprunts français entre la variété britannique et la variété américaine?

Avant de tenter d’apporter une réponse à ces problématiques, la prochaine partie énumère les différentes étapes nécessaires à l’élaboration d’un corpus représentatif.

3. Constitution d’un corpus d’emprunts français en anglais

contemporain 3.1. Source dictionnairique utilisée Dresser la liste de tous les emprunts français en anglais contemporain n’est

pas tâche aisée en raison du nombre élevé de termes ayant intégré la langue anglaise au fil de l’histoire. Nous avons donc isolé certaines terminaisons productives en français et procédé à une recherche de ces séquences dans les données du Cambridge English Pronouncing Dictionary4 (XVIIIe édition). Les terminaisons retenues5 sont les suivantes: <-aire>6, <-euse>, <-eur>, <-eux>, <-C’C’e>7, <-que>, <-ier>, <-ais>, <-eau>, <-aux>. Les données extraites doivent cependant être affinées car certains termes ne remplissent pas toutes les conditions leur permettant d’intégrer le corpus final d’analyse.

3.2. Critères de sélection L’Oxford English Dictionary (OED) représente un outil précieux dans ce

type de recherches. En effet, ses données étymologiques très précises permettent de déterminer l’origine de la plupart des termes appartenant à son immense stock lexical. L’étymologie des mots extraits de l’EPD est relevée pour ne conserver que ceux qui sont directement empruntés au français. Sont considérées comme relevant du français les époques suivantes mentionnées par l’OED: «French, Middle French, Anglo-Norman, Old French».

Un emprunt français est considéré comme tel s’il intègre l’anglais directement, sans langue intermédiaire susceptible d’avoir modifié la structure phonologique de l’emprunt. En revanche, ces emprunts peuvent, avant d’avoir intégré le français et l’anglais, avoir été empruntés à une autre langue par le français. Nous les considérons donc comme des emprunts français à part entière et partageons ainsi la position de F. Mossé, citée par J. Quinio (Quinio 2009: 14): «A French loan-word is a word which whatever may be its etymology or ultimate origin has been immediately borrowed from the French» (Mossé 1943: 35). L’emprunt macaque constitue à ce titre un parfait exemple car il a intégré la langue anglaise par l’intermédiaire du français, et figure donc dans le corpus d’analyse. Il n’est cependant pas d’origine française car le français l’a emprunté au portugais.

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Sont donc retirés du corpus tous les termes qui ne sont pas directement empruntés au français ou qui ne proviennent tout simplement pas du français (exemples: pastille latin, Seville espagnol, humoresque8 allemand, vizier turc). Les termes pour lesquels l’OED signale une possible double étymologie ne sont pas conservés (exemples: barcarolle italien ou français, garrotte espagnol ou français, Salique latin ou français).

L’étude accentuelle des emprunts monosyllabiques n’offre que peu d’intérêt dans le cadre de cette analyse qui consiste à observer l’accentuation des emprunts français en anglais (accentuation finale ou non-finale) et à repérer d’éventuelles différences entre les variétés britannique et américaine. Les emprunts constitués d’une syllabe ne sont donc pas conservés (exemples: gaffe, faille, gramme, fosse, brusque, cheque…).

Dans un article précédent (Descloux/Fournier/Martin/Vanhoutte 2011) consacré aux mots français en anglais, une partie de l’analyse est centrée sur le phénomène de création lexicale. En effet, l’afflux massif d’emprunts français en anglais a familiarisé les anglophones avec certains suffixes français au point de rencontrer en anglais des créations lexicales «hybrides», formées à partir d’une base anglaise et d’un suffixe français. Ce processus d’autonomisation des suffixes français en anglais constitue une particularité lexicale singulière. En revanche, ces créations lexicales hybrides n’intègrent pas notre corpus d’analyse car elles ne représentent pas des emprunts mais plutôt des conséquences du phénomène d’emprunt sur l’anglais. Voici un échantillon de créations lexicales attestées par l’EPD: shamateur, diskette, kitchenette, launderette, leaderette, luncheonette, novelette, towelette, usherette, winceyette, Pythonesque, Ramboesque.

Nous veillons également à écarter certains termes anglais qui ne renvoient absolument pas à des emprunts français (exemples: lemme est une contraction de let me, ferrier = ferry + -er, rainier = rainy + -er), la graphie pouvant parfois s’avérer trompeuse.

Certains termes extraits de l’EPD sont absents des données dictionnairiques de l’OED. Il s’agit essentiellement de noms propres. Nous conservons néanmoins tous les noms propres d’origine française faisant référence à des villes françaises (Bayeux, Deauville, Marseille…), à des personnalités françaises (Apollinaire, Baudelaire, Cœur de Lion, Corneille, Voltaire, De Gaulle, Matisse, Rousseau…) ou encore à des marques ou des concepts typiquement français (cuisine minceur, Comme des Garçons, à la grecque, Cartier, eau de parfum…). Il est très probable qu’en raison de l’origine française de tous ces noms propres, ils aient intégré directement la langue anglaise par l’intermédiaire du français. Si le moindre doute subsiste quant à l’origine de ces noms propres, ils ne sont pas conservés dans le corpus. C’est le cas des prénoms suivants, utilisés en français mais dont l’origine est incertaine: Marcelle, Camille, Emmanuelle, Estelle, Danielle… Cette recherche étymologique permet en revanche d’identifier l’origine étrangère de certains noms propres et de les retirer du corpus (exemples: Clinique = une entreprise américaine, Montreux = un village suisse, Lassalle = un politicien allemand).

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Après l’application de tous ces critères, le corpus d’analyse comprend 403 emprunts français répondant favorablement à tous les paramètres. L’intégralité de ces emprunts figure en annexe 1, accompagnée des variantes graphiques, ainsi que de la date du premier recensement par l’OED.

3.3. La notation des schémas accentuels La détermination du schéma accentuel des emprunts français en anglais

pose parfois problème en raison des différences phonologiques et plus précisément syllabiques entre les deux systèmes. Les systèmes des variétés britannique et américaine entretiennent aussi quelques différences rendant la détermination d’un schéma accentuel complexe. Commençons cependant par les emprunts faisant consensus au sein du corpus.

L’objectif de cette étude est d’observer l’accentuation des emprunts français en anglais, avec les optiques suivantes: l’anglais conserve-t-il l’accentuation finale du français lors du phénomène d’emprunt (et si oui, dans quelles proportions) et peut-on observer des différences de traitement accentuel entre l’anglais britannique et américain? Les cas suivants sont facilement comparables:

GB9 US

Apollinaire10 ə�p�l.��neər /-1/ ə�p��.l��ner /-1/

Baudelaire �bə�.də.leər , �--�- /100/ ou /-1/

�bo�.də�ler , �bo�d�ler /-1/

Bayeux ba��j�� , be�- /01/ �be�.ju� , �ba�- /10/

chasseur �æs���r /01/ �æs��� /01/

espadrille �es.pə�dr�l , �--- /-1/ ou /100/ �es.pə.dr�l /100/

chassé ��æs.e� /10/ -�- /01/

chapeau ��æp.ə� , -�- /10/ ou /01/ �æp�o� /01/ Tableau 1: Exemples de détermination de schémas accentuels basés sur les

transcriptions de l’EPD Pour tous les emprunts figurant dans ce tableau, la syllabe portant l’accent

primaire (symbolisé par le /1/) est aisément repérable. La notation de la position de l’accent primaire fait consensus et permet de comparer les variétés britannique et américaine. Ainsi, Apollinaire est accentué sur la syllabe finale en anglais britannique et en anglais américain, tandis que Bayeux est accentué sur la syllabe finale en anglais britannique mais sur la pénultième en anglais américain. Certains emprunts sont sujets aux variantes accentuelles. Par exemple, espadrille est accentué sur la syllabe finale (/-1/) ou antépénultième (/100/) en anglais britannique tandis que l’anglais américain ne l’accentue que sur la syllabe antépénultième. La comparaison avec l’accentuation finale du français est rendue

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possible car le décompte des syllabes et leurs frontières sont sensiblement équivalents11.

En revanche, la détermination du schéma accentuel des emprunts du tableau ci-dessous est plus complexe à opérer:

GB US

millionaire �m�l.jə�neər , -i.ə�- �m�l.jə�ner, �m�l.jə.ner questionnaire

�kwes.t�ə�neər , -tjə�- , �kwe�- , �kes- , �---

�kwes.t�ə�ner , -tjə�-

Cœur de Lion �k��.də�li�.�̃�ŋ, -dəl�i�- , -�n �k��.də�li�.ən , -�la�.ən

adieux/adieus ə�dju� , -�dju�z (as if French : æd�j��) ə�du�z , -�dju�z

milieux �mi�.lj�� , -lj��z , -�- mi�l�j�� , m�l- , -�ju� , -�j��z , -�ju�z , �--

liqueur l��kj�ər , lə- , -�kj��r , -�kj��r l��k�� , -�k�r , -�kj�r

ratatouille �ræt.ə�tu�.i , -�twi� �ræt.ə�tu�.i , �r��.t���-

millefeuille(s) �mi�l�f��.jə �mi�l�f��.jə

Abbeville �æb.vi�l �æb�vi�l

Le Sueur lə�su�.ər lə�s�r

atelier ə�tel.i.e� , �æt.el- , �æt.ə.li- , -je� ə�təl.je� , æt�el-, �æt.el�je�

brigadier �br��.ə�d�ər �br��.ə�d�r

Charpentier ���.�p�̃�n.ti.e� ����r�p�̃�n.ti�e� , -�tje� Tableau 2: Exemples d’emprunts dont la détermination du schéma

accentuel pose problème Les emprunts du tableau ci-dessus posent problème, et ce, pour diverses

raisons. Concernant millionaire et questionnaire, il apparaît au vu des données de l’EPD, qu’ils sont accentués sur la syllabe finale, mais que des variantes accentuées sur la première syllabe sont également attestées (en anglais américain pour millionaire et en anglais britannique pour questionnaire). Or, la détermination d’un schéma accentuel se calcule à partir de la fin du mot. Le statut de <ion> peut donc prêter à confusion. Deux interprétations théoriques existent concernant le statut de ces séquences. Certains chercheurs considèrent que <ion> ne représente qu’une seule syllabe lorsque la séquence ne reçoit pas d’accent, prenant comme preuve la transcription phonétique réduisant <io> en [ə]. D’autres chercheurs, auxquels nous nous associons, affirment que le phénomène d’assignation des accents lexicaux est un phénomène purement phonologique qui ne doit donc pas prendre appui sur la phonétique, mais sur la représentation graphique du terme12. Par conséquent, <io> n’étant pas un digraphe attesté en anglais contemporain, la séquence représente deux syllabes lors de la détermination de la position de

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l’accent /1/. Ainsi, les variantes de millionaire et questionnaire sont accentuées en /1000/.

Cette précision étant posée, d’autres problèmes apparaissent avec les emprunts adieux et milieux. L’anglais interprète les séquences <ieu> comme phonétiquement monosyllabiques et l’accent primaire est donc positionné avant le <i>. Or, si nous restons fidèles à notre position, les séquences <ieu> doivent être considérées comme dissyllabiques. Pour autant, il apparaît clairement que l’anglais tente de reproduire l’accentuation finale française. La palatalisation du <i> en [j] montre l’influence et le phénomène de reproduction phonétique du français à l’œuvre. L’intérêt de cette recherche consiste à quantifier la conservation de l’accentuation finale du français dans les emprunts en anglais. Nous considérons donc que ces emprunts sont accentués sur la syllabe finale13, de même que liqueur, ratatouille, mille-feuille(s) ou encore Cœur de Lion.

L’emprunt Abbeville est accentué sur la syllabe finale en anglais américain, et sur la «première»14 syllabe en anglais britannique. Doit-on considérer qu’il est accentué en /10/ ou en /100/ en anglais britannique? Se pose le problème de la composition qui apparaît de façon évidente aux locuteurs français natifs, mais est-il aussi évident pour un locuteur anglophone? En d’autres termes, le <e> médian reçoit-il un statut syllabique ou pas? Ces questions sont très complexes et nécessiteraient des investigations poussées dépassant le cadre de cette étude. Notre problématique implique cependant un positionnement sur ces questions syllabiques et accentuelles. L’objectif étant de déterminer si l’accentuation finale française est toujours dominante dans les emprunts français en anglais contemporain, tous les termes non-accentués sur la syllabe finale sont regroupés sous l’étiquette «accentuation non-finale» qui inclut ainsi les accentuations sur la syllabe pénultième ou antépénultième15. Par conséquent, Abbeville relève de la catégorie à accentuation non-finale en anglais britannique au même titre que la variante britannique de questionnaire.

Il convient au passage de noter la réalisation phonétique différente du nom propre Le Sueur en anglais britannique et en anglais américain, différence en partie liée au caractère rhotique de la variété américaine. Ainsi, la prononciation de la terminaison <eur> est réduite en anglais britannique tandis qu’elle n’est pas réalisée en anglais américain. Pour cette raison, le schéma accentuel de la variété britannique est /(-)10/ et nous considérons que ce nom propre est accentué sur la syllabe finale en anglais américain.

Le suffixe -ier jouit d’une réalisation phonétique particulière en anglais britannique et en anglais américain. Le <i> est parfois palatalisé et parfois dissocié de la terminaison. Le <r> (sous accent) est dans certains cas réalisé, et dans d’autres cas non (voir les réalisations phonétiques du tableau ci-dessus). Ces phénomènes sont vraisemblablement imputables à la perception phonétique de la terminaison en anglais. Plusieurs cas de figure sont donc possibles. Lorsque l’accent ne tombe pas sur la terminaison <-ier>, l’emprunt relève de la catégorie des accentuations non-finales (exemple: atelier [ə�tel.i.e�] en anglais britannique). En revanche, si l’accent est placé sur la terminaison, deux possibilités

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apparaissent. La première, de loin la plus fréquente, consiste à accentuer la séquence <er> en incluant une palatalisation du <i> ou pas (voir Charpentier en anglais américain dans le tableau ci-dessus). Les deux transcriptions relèvent néanmoins d’un schéma à accentuation finale. Cependant, certains emprunts sont accentués sur le <i> qui est dissocié du reste de la terminaison (exemple: cuirassier en anglais britannique [�kw�.rə�si�.ər, �kjuə.rə�-]). La terminaison <ier> est dans ce cas dissyllabique et cuirassier est donc accentué en /(-)10/ en anglais britannique.

Après avoir décrit toutes les étapes de constitution du corpus et apporté un éclairage sur certaines zones délicates de l’analyse, la partie suivante est consacrée aux résultats de l’étude et à une analyse de ces résultats.

4. Résultats et analyse 4.1. Résultats Les résultats sont divisés en plusieurs tableaux, chacun mettant en

évidence une facette de l’analyse. Le premier tableau évalue l’accentuation des emprunts français en anglais britannique et en anglais américain sur l’intégralité du corpus.

/-1/ acc non-finale16 /-1/ en variante17 total GB 237 105 61 403

58,8% 26,1% 15,1% US 295 68 40 403

73,2% 16,9% 9,9% Tableau 3: Accentuation des emprunts français en anglais britannique et en

anglais américain Le pourcentage d’emprunts français accentués sur la syllabe finale est plus

important en anglais américain qu’en anglais britannique (73% contre 58%). La conséquence logique de ces pourcentages est la suivante: les emprunts avec une accentuation non-finale sont plus nombreux en anglais britannique qu’en anglais américain. Notons le pourcentage légèrement plus élevé en anglais britannique de variantes accentuelles où l’un des deux schémas proposés est une accentuation finale. Les calculs sont opérés sur l’intégralité du corpus.

Cependant, la catégorie de l’emprunt peut jouer un rôle dans son accentuation en anglais. C’est pourquoi le tableau suivant procède aux mêmes calculs que le tableau précédent, tout en séparant les noms propres des noms communs.

GB US

NC18 NP NC NP /-1/ 190 45 220 73 62,3% 46,9% 72,1% 76% acc non-finale 69 36 51 17

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22,6% 37,5% 16,7% 17,7% /-1/ en variante 46 15 34 6 15,1% 15,6% 11,2% 6,3% total 305 96 305 96

Tableau 4: Accentuation des noms communs et des noms propres français en anglais britannique et en anglais américain

La frontière entre les noms propres et les noms communs n’est pas simple

à déterminer. L’emploi des majuscules est particulièrement trompeur puisque certains noms propres n’ont pas de majuscule (exemples: sans-culotte, deux chevaux19) tandis que certains noms communs se voient attribuer une majuscule par l’EPD (exemple: Mignonette). Les expressions françaises du type comme il faut sont classées parmi les noms communs. Enfin, deux emprunts ont une double utilisation de nom propre et de nom commun (bastille / Bastille et nouvelle vague / Nouvelle vague). Ils sont donc retirés des calculs figurant dans le tableau ci-dessus. Au total, sur les 401 emprunts français, nous identifions 305 noms communs et 96 noms propres.

L’accentuation des emprunts français en anglais américain est similaire quelle que soit la catégorie de l’emprunt. En effet, 76% des noms propres sont accentués sur la syllabe finale contre 72% des noms communs. Le pourcentage d’accentuation non-finale est pratiquement identique (17% pour les noms propres et 16% pour les noms communs). En revanche, des différences notables apparaissent en anglais britannique. En effet, 62% des noms communs sont accentués sur la syllabe finale contre seulement 46% des noms propres. De plus, l’anglais britannique montre un taux d’accentuation non-finale chez les noms propres très important (37%).

Au vu de ces différences, il apparaît légitime d’évaluer le taux de correspondance accentuelle entre la variété britannique et la variété américaine attestée par l’EPD.

correspondance non-correspondance correspondance partielle 299/403 37/403 67/403 74,2% 9,2% 16,6%

Tableau 5: Correspondance accentuelle entre les variétés britannique et américaine dans l’EPD

Pour 74,2% des emprunts, les accentuations sont identiques entre la variété britannique et la variété américaine.

savoir faire [�sæv.w���feər] GB / [�sæv.w��r�fer, -w���-] US grandeur [��ræn.d�ər , -djər , -dj�ər] GB / [��ræn.d�� , -d��r] US etiquette [�et.�.ket , -kət] GB / [�et�.�.k�t , -ket] US Les exemples ci-dessus montrent que la correspondance peut tout aussi

bien concerner les accentuations finales que non-finales (voir annexe 2). Dans

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16,6% des cas, il y a correspondance partielle entre les deux variétés (voir annexe 3). La mention «correspondance partielle» peut signifier deux choses. Le premier cas de figure consiste à observer une inversion dans l’ordre de priorité des variantes principales et secondaires.

cretonne [kret��n , kr��t�n , krə-, �kret.�n] GB / [�kri�.t��n ,

kr��t��n] US Le schéma accentuel principal de cretonne en anglais britannique est /01/,

tandis qu’il existe une variante secondaire en /10/. L’ordre des variantes est en revanche inversé dans la variété américaine. Une correspondance partielle peut également impliquer la présence d’un schéma accentuel commun aux deux variétés:

aiguille [�e���wi�, -��wi�l] GB / [�e���wi�l, �--] US accoucheur [�æk.u�����r, ə�ku�.���r] GB / [�æk.u�����] US L’emprunt aiguille est accentué en /01/ en anglais britannique et

américain, mais une variante en /10/ est également attestée en anglais américain. L’anglais britannique atteste une variante en /010/ pour le terme accoucheur qui n’est pas présente en anglais américain.

Enfin, pour 9,2% des cas, il n’y a aucune correspondance accentuelle entre les deux variétés d’anglais (voir annexe 4). Un emprunt peut donc par exemple recevoir une accentuation finale en anglais américain et une accentuation pénultième en anglais britannique.

La prochaine sous-partie avance quelques pistes de réflexion tentant d’apporter des explications aux résultats fournis par les tableaux.

4.2. Analyse et hypothèses Les résultats du tableau montrent que les emprunts français sont davantage

accentués sur la syllabe finale en anglais américain qu’en anglais britannique. L’accentuation finale française est donc mieux reproduite ou conservée en anglais américain qu’en anglais britannique où la tendance à la rétraction accentuelle est plus forte (accent primaire sur la syllabe pénultième ou antépénultième).

La distinction entre l’accentuation des noms propres et des noms communs fournit de précieux renseignements sur la variété britannique. Alors que la distinction entre les deux catégories ne modifie pas le taux d’accentuation finale des emprunts en anglais américain, il apparaît que les noms propres sont moins accentués sur la syllabe finale que les noms communs dans la variété britannique. Ce résultat est très surprenant lorsque nous replaçons ces données dans un contexte socio-linguistique. L’accentuation finale des emprunts français en anglais sert à marquer l’origine française de ces termes au sein du système anglais. La conservation d’une accentuation «à la française», associée à une tentative de reproduction phonétique des segments français (exemple: la présence de voyelles

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nasales en anglais), sont autant d’indices sur l’origine du terme pour les locuteurs anglophones. Le nom propre, par essence, fait directement référence au français et l’on s’attendrait à trouver en anglais plus de noms propres accentués sur la syllabe finale que de noms communs. La proximité géographique jouerait-elle un rôle déterminant dans cette différence entre les deux variétés?

Les noms propres français présents en anglais contemporain sont autant de lieux communs que la proximité géographique entre la France et la Grande-Bretagne rend accessible aux locuteurs des deux aires. En effet, il y a fort à parier que les locuteurs britanniques sont familiers avec les personnages historiques, les grandes villes ou encore les marques français. L’origine française des noms propres semble évidente, et peut-être la variété britannique ne trouve-t-elle pas le besoin de refléter l’origine française des noms propres par la conservation de l’accentuation finale. Les Etats-Unis étant géographiquement plus éloignés de la France, la conservation de l’accentuation finale dans les noms propres d’origine française serait justement un marqueur linguistique de cette origine. Il ne s’agit là que d’une hypothèse qui plus est difficilement vérifiable.

Une seconde hypothèse consisterait à avancer que la proximité géographique ayant créé une rivalité socioculturelle entre la France et la Grande-Bretagne, les locuteurs britanniques souhaiteraient réduire l’influence de l’accentuation finale française au sein de leur lexique en adoptant des schémas accentuels plus conformes aux spécificités du système anglais. Ce phénomène, s’il s’avérait avoir un impact, n’est évidemment pas volontaire chez les locuteurs, mais serait imputable à des effets de mode. Le recours à la sociolinguistique pourrait dès lors apporter un éclairage nouveau sur ces données phonologiques. Les emprunts accentués «à la française» sont peut-être plus à la mode actuellement en anglais américain qu’en anglais britannique.

Cette influence éventuelle des tendances des locuteurs vis-à-vis de la prononciation des emprunts français en anglais inclut nécessairement une dimension diachronique. Or, cette étude s’inscrit dans une perspective purement synchronique puisque les données sont extraites de l’EPD (18ème édition). Il est donc extrêmement difficile de déterminer la tendance actuelle. Les accentuations non-finales observées en anglais britannique sont-elles la conséquence d’une tendance à la rétraction accentuelle due à une longue intégration de certains emprunts français au sein du lexique anglais? Ou alors ces emprunts français qui ne sont pas accentués sur la syllabe finale en anglais ont-ils directement intégré le lexique anglais avec une accentuation non-finale? J.-M. Chadelat (2000) affirme que le critère temporel n’est pas garant d’une assimilation au système anglais dans la mesure où des emprunts français intégrés à la langue anglaise depuis plusieurs siècles sont toujours prononcés avec une accentuation finale. L’inverse est donc aussi vrai puisque des termes français empruntés au XXe siècle ont subi une assimilation au système anglais avec une accentuation non-finale. Il est à ce stade impossible d’évaluer l’influence du critère temporel car seule une étude diachronique basée sur l’observation des données de plusieurs éditions de l’EPD permettrait de faire émerger une tendance.

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Le corpus d’analyse se veut représentatif des emprunts français en anglais contemporain. Les 403 emprunts répertoriés ne constituent toutefois qu’un petit échantillon des milliers d’emprunts français attestés en anglais. L’intégration des noms propres à l’étude est légitime car les critères d’accentuation des emprunts français en anglais ne sont pas uniquement liés à des règles, mais également à des considérations concernant l’origine du terme:

«L’accent tonique ne résulte pas de l’application aveugle de règles phonologiques, mais il constitue un instrument à la disposition des usagers du code afin de distinguer des sommets informatifs et de signaler des valeurs autonomiques» (Chadelat 2000: 198). L’étude accentuelle des noms propres est donc parfaitement légitime car ce

qui définit l’accentuation d’un emprunt français, c’est principalement son origine française. Toutefois, se baser uniquement sur l’origine française pour déterminer la position de l’accent primaire consisterait à réfuter l’existence du conflit permanent existant en anglais entre l’origine française de l’emprunt et son intégration à un système de règles. Ainsi, des spécificités accentuelles liées à la variété d’anglais sont observables concernant les emprunts pour lesquels il n’y a aucune correspondance accentuelle entre l’anglais britannique et l’anglais américain (voir annexe 4). Au vu des cas concernés, il apparaît qu’une majorité des emprunts avec les terminaisons <ais>, <eau>, <ier> et <é> sont accentués sur la syllabe pénultième en anglais britannique et sur la syllabe finale en anglais américain. L’origine française des emprunts est évidente, même pour des locuteurs britanniques peu familiers de la culture française. Il existerait une forme de normalisation morphologiquement fondée avec des morphologies déterminantes qui ne seraient pas les mêmes en anglais britannique et en anglais américain. Certaines terminaisons formeraient-elles des micro-systèmes au sein du système britannique pour lesquelles la logique romane subirait la pression de la logique germanique symbolisée par la rétraction accentuelle?

5. Conclusion Le domaine de l’accentuation lexicale des emprunts en anglais

contemporain constitue un vaste champ d’investigations au sein duquel les emprunts français occupent une place prépondérante. L’accentuation des emprunts est corrélée à des considérations d’ordre étymologique. Le corpus d’emprunts français démontre que l’anglais américain reproduit davantage l’accentuation finale du français que la variété britannique. Les hypothèses avancées nécessitent d’être testées sur un corpus plus conséquent. Le recours à la perspective diachronique est fondamental pour déterminer l’évolution des tendances actuelles en particulier concernant la variété britannique. Il semble que la tendance aille vers une baisse de la conservation de l’accentuation finale française au profit d’une rétraction accentuelle. En effet, l’identification de terminaisons spécifiques formant des micro-systèmes démontre que l’impact du facteur de l’origine française est

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contrebalancé en anglais britannique. En revanche, l’origine française semble être le principal facteur d’assignation de l’accent primaire en anglais américain.

Annexe 120: Corpus des emprunts français extraits de l’EPD

Apollinaire, au contraire, Baudelaire, Brumaire (1803), commissionaire (1765), concessionaire (1862), cordon(s) sanitaire(s) (1857), doctrinaire (1820), extraordinaire (1840), Hilaire, laisser-faire (laissez-faire)21 (1825), legionnaire (1818), millionaire (1795), ordinaire (1845), questionnaire (1890), savoir faire (1788), solitaire (1716), vin(s) ordinaire(s) (1820), Voltaire, accoucheuse (1795), berceuse (1876), Betelgeuse (Betelgeux) (1796), chanteuse (1888), Chartreuse®22 (1806), coiffeuse (1870), danseuse(s) (1828), masseuse (1879), mitrailleuse (1867), à deux (1858), adieux (adieus) (1393), Bayeux, deux chevaux (1962), douloureux, milieux (1854), pas de deux (1762), prie-dieux (pluriel de prie-dieu) (1714), tic douloureux (1800), accoucheur (1727), agent(s) provocateur(s) (1831), amateur (1784), arbitrageur (1870), bon(s) viveur(s) (1865), chasseur (1765), chauffeur (1899), Cœur de Lion, coiffeur (1847), colporteur (1796), connoisseur (1719), Crèvecœur (1855), cri(s) de cœur (1897), cuisine minceur, de rigueur (1850), derailleur (1930), droit de seigneur (1825), entrepreneur (1828), farceur (1781), fleur-de-lis (1352), grandeur (1500), hauteur (1628), jongleur (1782), Le Sueur, liqueur (1742), longueur (1791), masseur (1876), messeigneurs (1728), monseigneur (1561), monsieur (Monsieur) (1523), Pasteur (1869), poseur (1869), raconteur (1828), rapporteur (1500), répétiteur (1812), restaurateur (1782), saboteur (1921), seigneur (1592), voyeur (1900), abbé (1530), coiffé (1325), opéra bouffe (1868), Tartuffe (1688), Abbeville, aiguille (1686), aquarelle (1869), bagatelle (1637), bastille (Bastille) (1400), belle époque, Belle Isle, canaille (1676), chanterelle (1775), Charleville, chenille (1738), Corneille, De Gaulle, (de) Tocqueville, Deauville, demoiselle (1520), deshabille (1673), déshabillé (1673), dishabille (1673), en famille (1726), espadrille (1892), fontanelle (1541), gazelle (1600), Glanville, Granville, Greville, grisaille (1848), immortelle (1832), jargonelle (1693), mademoiselle (Mademoiselle) (1450), Marseilles (Marseille), millefeuille(s) (1895), moselle (1877), nacelle (1483), nouvelle cuisine (1774), nouvelle vague (Nouvelle vague) (1959), Orville, pipistrel (pipistrelle) (1771), quadrille (1605), quenelle (1827), ratatouille (1835), reveille (1633), vaudeville (1739), villanelle (1586), aerogramme (aerogram) (1934), centigram (centigramme) (1801), Comme des Garçons, comme il faut (1756), consommé (1815), decagram (decagramme) (1890), decigram (decigramme) (1890), femme(s) fatale(s) (1879), hectogram (hectogramme) (1810), kilogram (kilogramme) (1797), milligram (milligramme) (1797), oriflamme (1475), programme (1677), Bayonne, Carcassonne, Cézanne, chaconne (1685), cloisonné (1863), comedienne (1860), cretonne (1870), doyenne (1905), Garonne, julienne (1841), Marianne (1870), mignonne (1671), Narbonne, Ozanne, Saint-Etienne, Sorbonne (1560), Tyrolienne (1889), Dieppe, frappé (1848), Auxerre, Basseterre, bizarre (1648), nom(s) de guerre (1680), parterre (1625), pied(s)-à-terre (1823), Pierre23, Robespierre, Sancerre (1787), bouillabaisse (1855), chassé (1867), coulisse (1819), crevasse (1814), demitasse (1842), duchesse (1794), en masse (1802), finesse24 (1528), impasse (1851), jeunesse dorée (1830), largess(e) (1225), Larousse, Matisse, noblesse (1225), noblesse oblige (1837), paillasse (1506), palliasse (1506), passé(e) (1775), passe-partout (1675), pelisse (1537), repoussé (1851), retroussé (1802), tirasse (1876), aigrette (1631), anisette (1837), baguette (baguet) (1728), banquette (1629), barbette (1772), barrette (1901), bassinet (bassinette) (1578), blanquette (1747), briquet (briquette) (1883), brochette (1483), brunet (brunette) (1712), buret (burette) (1483), calotte (16..)25, cassette (1793), charlotte (1796), cigarette (1842), cocotte (1867), coquette

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(1611), corvette (1636), couchette (1920), courgette (1931), crêpe(s) suzette (1922), croquette (1706), curette (1754), cuvette (1678), eau de toilette (1907), epaulette (epaulet) (1783), etiquette (1750), Fayette, fouetté (1830), frisette (1818), gavotte (1696), gazette (1607), georgette (1912), grisette (1700), Laf(f)itte (1707), Lafayette (1859), layette (1839), lorgnette (1803), lunette (1566), maisonnette (1785), Marie Antoinette (1909), marionette (1645), Mayotte, mignonette (Mignonette) (1721), moquette (1762), musette (1393)26, noisette (1530), nymphet (nymphette) (1961), omelet (omelette) (1611), oubliette (1777), paillette (1843), palette (1622), pipette (1475), pirouette (1667), planchette (1450), pochette (1654), raclette (1887), rosette (1609), roulette (1659), sans-culotte (1790), satinette (satinet) (1703), serviette (1489), silhouette (1798), soubrette (1753), statuette (1738), toilette (1540), vedette (1690), vignette (1751), Villette, vinaigrette (1698), à la grecque, appliqué (1763), arabesque (1656), baroque (1765), boutique (1767), burlesque (1656), caique (caïque) (1625), catafalque (1660), cestui que vie (1670), communiqué (1852), critique (1719), discotheque (discothèque) (1954), gigantesque (1821), grotesque (1561), Lalique® (1902), macaque (1698), manqué (1773), Martinique, Monegasque (1874), mystique (1891), oblique (1425), odalisque (odalisk) (1681), opéra comique (1742), pétanque (1955), physique (1813), piqué (1532), Pont l'Évêque (1896), pratique (1609), risqué (1867), technique (1817), unique (1601), Alain-Fournier, atelier (1840), avant-courier (1603), bandolier (1577), bombardier (1562), brasier (1690), brazier (1690), brevier (1598), brigadier (1678), bustier (1978), Cartier, Cartier-Bresson, cavalier (1562), Chabrier, chandelier (1664), Charpentier, chevalier (1377), chiffon(n)ier (1806), clavier (clavier) (1708), clavier (instrument à clavier)27(1708), cordelier (Cordelier) (1400), costumier (1831), courier (Courier) (1382), courtier (1290), Courvoisier, couturier (1899), crosier (Crosier) (1380), croupier (1707), cuirassier (1622), Cuvier, denier (pièce) (1425), denier (mesure de poids)28 (1839), dernier cri (1896), dossier (1880), Escoffier, farrier (1562), financier (1618), Fourier (1834), frontier (1413), fusilier (1680), Gaultier, glacier (1744), gondolier (1603), Grand Marnier (1905), grenadier (Grenadier) (1676), halberdier (1548), hotelier (1738), Lavoisier, métier (1792), Monier, Montpellier (1797), pannier (1300), papier-mâché (1753), Perrier (1904), Poitiers, premier (1500), rentier (1798), sommelier (1889), terrier (1425), Tortelier, vernier (1766), Beauharnais, Beaujolais (1863), Beaujolais nouveau (1972), Beaumarchais, Calais, Charolais (1893), cor(s) anglais (1870), franglais (1964), fromage frais (1976), Gervais (1896), je ne sais quoi (1656), Rabelais, Art Nouveau (1908), bandeau (1706), beau(x) geste(s) (Beau(x) Geste(s)) (1920), beau(x) monde(s) (1712), bureau (1720), chapeau (1523), château (1739), Clemenceau, Cocteau, Cointreau® (1920), Cousteau, eau de parfum, eau-de-vie (1748), Feydeau, flambeau (Flambeau) (1632), Fontainebleau, fricandeau (1706), gâteau (gateau) (1845), Gerbeau, Marceau, Moreau, nouveau roman (1959), nouveau(x) (1927), nouveau(x) riche(s) (1796), plateau (1743), portmanteau (1553), rondeau (1525), Rousseau, tableau (1660), trousseau (1230), Watteau (1849), beaux-arts (1821), Bordeaux (1570), fabliaux (1804), faux ami, faux pas (1676), faux-naïf (1941), Lascaux, Malraux, Marivaux.

Annexe 2: Correspondance accentuelle29 entre anglais britannique et

américain (299 cas)

Apolli�naire mille�feuille(s) lay�ette beaux-�arts

au con�traire mo�selle lor�gnette Bor�deaux

Bru�maire na�celle lu�nette faux a�mi

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commissio�naire nouvelle cui�sine maiso�nette faux �pas

concessio�naire nouvelle �vague Marie Antoi�nette faux-na�ïf cordon(s) sani�taire(s) qua�drille mario�nette de�railleur

doctri�naire que�nelle May�otte �grandeur

extraordi�naire rata�touille mo�quette �Deauville

laisser-�faire villa�nelle mu�sette désha�billé

legion�naire comme il �faut noi�sette �Glanvill(e)

savoir �faire femme(s) fa�tale(s) oubli�ette �Granville

vin(s) ordi�naire(s) Bay�onne pi�pette �Greville

ber�ceuse Carcas�sonne pirou�ette �Orville

chan�teuse Cé�zanne plan�chette �programme

Char�treuse cha�conne po�chette �charlotte

coif�feuse comedi�enne ra�clette �palette

dan�seuse(s) doy�enne ro�sette avant-�courier

mas�seuse Ga�ronne rou�lette �brasier

mitrail�leuse juli�enne sans-cu�lotte �brazier

à �deux Mari�anne sati�net(te) �bustier

a�dieux Nar�bonne servi�ette cos�tumier

deux che�vaux O�zanne sou�brette �courier

doulou�reux Saint-E�tienne statu�ette �courtier

pas de �deux Sor�bonne toi�lette cou�turier

tic doulou�reux Di�eppe ve�dette �crosier agent(s) provoca�teur(s) Au�xerre vi�gnette �croupier

bon(s) vi�veur(s) Basse�terre Vil�lette �denier (poids)

chas�seur bi�zarre vinai�grette �dossier

Cœur de �Lion nom(s) de �guerre à la �grecque �farrier

coif�feur par�terre ara�besque �Fourier

connois�seur pied(s)-à-�terre ba�roque �Gaultier

Crève�cœur Pi�erre bou�tique �glacier

cri(s) de �cœur San�cerre bur�lesque La�voisier

cuisine min�ceur cou�lisse ca�ique �Monier

de ri�gueur cre�vasse cestui que �vie �pannier

droit de sei�gneur en �masse cri�tique �terrier

entrepre�neur fi�nesse gigan�tesque Tor�telier

far�ceur jeunesse do�rée gro�tesque �vernier

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fleur-de-�lis La�rousse La�lique �Cointreau

li�queur Ma�tisse Marti�nique �flambeau

lon�gueur no�blesse Mone�gasque �rondeau

mas�seur noblesse o�blige mys�tique �Betelgeuse (-eux)

messei�gneurs pe�lisse o�blique �vaudeville

monsei�gneur ti�rasse opéra co�mique �aerogram(me)

mon�sieur ani�sette pé�tanque �centigram(me)

Pas�teur ba�guet(te) phy�sique �decagram(me)

po�seur ban�quette Pont l'É�vêque �decigram(me)

racon�teur bar�bette tech�nique �hectogram(me)

rappor�teur bar�rette u�nique �kilogram(me)

répéti�teur bassi�net(te) bando�lier �milligram(me)

restaura�teur blan�quette bombar�dier �oriflamme

vo�yeur bri�quet(te) bre�vier �demitasse

opéra �bouffe bro�chette briga�dier �etiquette

Tar�tuffe bru�net(te) cava�lier �omelet(te)

aqua�relle bu�ret(te) chande�lier �catafalque

baga�telle ca�lotte cheva�lier �discotheque

bas�tille cas�sette chiffo�n(n)ier �odalisque

belle é�poque co�cotte corde�lier �Clemenceau

Belle �Isle co�quette dernier �cri �fabliaux

ca�naille cor�vette fusi�lier �Fontainebleau

chante�relle cou�chette gondo�lier Hi�laire / �Hilaire30

che�nille cour�gette grena�dier lar�gesse / �largesse

Cor�neille crêpe(s) su�zette halber�dier pas�sé(e) / �passé(e)

De �Gaulle cro�quette Beauhar�nais Ger�beau / �Gerbeau

demoi�selle cu�rette Beaujolais nou�veau

desha�bille / �deshabille

disha�bille cu�vette fromage �frais epau�let(te) / �epaulet(te)

en fa�mille eau de toi�lette Ger�vais bouilla�baisse/�bouillabaisse

fonta�nelle Fay�ette je ne sais �quoi �impasse / im�passe

ga�zelle fri�sette beau(x) �geste(s) �aigrette / ai�grette

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gri�saille ga�votte beau(x) �monde(s) �clavier / cla�vier

immor�telle ga�zette eau de par�fum �bureau / bu�reau

jargo�nelle geor�gette eau-de-�vie �trousseau / trous�seau

mademoi�selle gri�sette Mo�reau �colporteur / colpor�teur

Mar�seille(s) La�f(f)itte nouveau ro�man �Charleville

Lafay�ette nouveau(x) �riche(s) (de) �Tocqueville

Annexe 3: Correspondance partielle entre anglais britannique et américain

(67 cas)

GB US

millionaire millio�naire millio�naire / �millionaire

aiguille ai�guille ai�guille / �aiguille

paillette pail�lette pail�lette / �paillette

clavier cla�vier �clavier / cla�vier

abbé �abbé �abbé / ab�bé

Cuvier �Cuvier �Cuvier / Cu�vier

financier fi�nancier fi�nancier / finan�cier

hotelier ho�telier hote�lier / ho�telier

Perrier �Perrier �Perrier / Perri�er

premier �premier pre�mier / �premier

portmanteau port�manteau port�manteau / portman�teau

tableau �tableau �tableau / ta�bleau

Malraux �Malraux �Malraux / Mal�raux

communiqué com�muniqué communi�qué / com�muniqué

Rabelais �Rabelais Rabe�lais / �Rabelais

fricandeau �fricandeau frican�deau / �fricandeau

Voltaire Vol�taire / �Voltaire Vol�taire

accoucheuse accou�cheuse / ac�coucheuse accou�cheuse

prie-dieux prie-�dieux / �prie-dieux �prie-dieux

accoucheur accou�cheur / ac�coucheur accou�cheur

hauteur hau�teur / �hauteur hau�teur

seigneur sei�gneur / �seigneur sei�gneur Comme des Garçons

Comme des Gar�çons / �Garçons Comme des Gar�çons

cretonne cre�tonne / �cretonne �cretonne / cre�tonne

duchesse du�chesse / �duchesse �duchesse

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nymphet(te) nym�phet(te) / �nymphet(te) �nymphet(te) / nym�phet(te)

macaque ma�caque / �macaque ma�caque

frontier fron�tier / �frontier fron�tier

Art Nouveau Art Nou�veau / Art �Nouveau Art Nou�veau

Cousteau Cous�teau / �Cousteau Cous�teau

Marceau Mar�ceau / �Marceau Mar�ceau

ordinaire ordi�naire / �ordinaire ordi�naire

solitaire soli�taire / �solitaire �solitaire

saboteur sabo�teur / �saboteur sabo�teur

espadrille espa�drille / �espadrille �espadrille

pipistrel(le) pipi�strel(le) / �pipistrel(le) pipi�strel(le)

cigarette ciga�rette / �cigarette �cigarette / ciga�rette

mignonette migno�nette / �mignonette migno�nette

silhouette silhou�ette / �silhouette silhou�ette

questionnaire question�naire / �questionnaire question�naire

passe-partout passe-par�tout / �passe-partout passe-par�tout

milieux �milieux / mi�lieux mi�lieux / �milieux

chauffeur �chauffeur / chauf�feur chauf�feur

coiffé �coiffé / coif�fé coif�fé

cloisonné cloi�sonné / cloison�né cloison�né

mignonne �mignonne / mi�gnonne mi�gnonne

pratique �pratique / pra�tique pra�tique / �pratique

Alain-Fournier Alain-�Fournier / -Four�nier Alain-Four�nier

Chabrier �Chabrier / Chabri�er Chabri�er

denier (pièce) �denier / de�nier de�nier

Poitiers �Poitiers / Poiti�ers Poiti�ers

bandeau �bandeau / ban�deau ban�deau

chapeau �chapeau / cha�peau cha�peau

château �château / châ�teau châ�teau

nouveau(x) �nouveau(x) / nou�veau(x) nou�veau(x) / �nouveau(x)

plateau �plateau / pla�teau pla�teau

Rousseau �Rousseau / Rous�seau Rous�seau

Lascaux �Lascaux / Las�caux Las�caux

consommé con�sommé / �consommé consom�mé / �consommé

appliqué �appliqué / ap�pliqué �appliqué

atelier a�telier / �atelier a�telier / ate�lier

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Baudelaire �Baudelaire / Baude�laire Baude�laire

amateur �amateur / ama�teur �amateur

Beaumarchais �Beaumarchais / Beaumar�chais Beaumar�chais

Marivaux �Marivaux / Mari�vaux Mari�vaux

paillasse �paillasse / pail�lasse pail�lasse / �paillasse

palliasse �palliasse / pal�liasse pal�liasse / �palliasse

Annexe 4: Absence de correspondance accentuelle entre anglais britannique et américain (37 cas)

GB US

Bayeux Ba�yeux �Bayeux

arbitrageur arbitra�geur �arbitrageur

jongleur jon�gleur �jongleur

Le Sueur Le �Sueur Le �Sueur

Abbeville �Abbeville Abbe�ville

reveille re�veille �reveille

Tyrolienne Tyroli�enne Ty�rolienne / Tyro�lienne

frappé �frappé frap�pé

Robespierre �Robespierre Robes�pierre

chassé �chassé chas�sé

repoussé re�poussé repous�sé

retroussé re�troussé retrous�sé

fouetté �fouetté fouet�té

manqué �manqué man�qué

piqué �piqué pi�qué

risqué �risqué ris�qué

Cartier �Cartier Car�tier

Cartier-Bresson Cartier-�Bresson Cartier-Bres�son

Charpentier Char�pentier Charpen�tier

Courvoisier Cour�voisier Courvoisi�er

cuirassier cuiras�sier cuiras�sier / �cuirassier

Escoffier Es�coffier Escof�fier

Grand Marnier Grand �Marnier Grand Mar�nier

métier �métier mé�tier

Montpellier Mont�pellier Montpel�lier

papier-mâché papier-�mâché papier-mâ�ché

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rentier �rentier ren�tier

sommelier som�melier / �sommelier somme�lier

Beaujolais �Beaujolais Beaujo�lais

Calais �Calais Ca�lais

Charolais �Charolais Charo�lais

cor(s) anglais cor �anglais cor an�glais

franglais �franglais fran�glais

Cocteau �Cocteau Coc�teau

Feydeau �Feydeau Fey�deau

gâteau (gateau) �gateau ga�teau

Watteau �Watteau Wat�teau

Notes

1 Nous n’utilisons pas cette formulation qui peut prêter à confusion. Le système accentuel latin est en effet régi par le critère du poids syllabique. Nous parlons plutôt de logique romane, ce qui permet d’englober d’autres langues possédant ce même fonctionnement de calcul de l’accent à partir de la fin du mot, dont le français. 2 Pour de plus amples détails sur les raisons historiques et sur le processus de fusion des deux systèmes, voir l’excellent article de J.-M. Fournier (2007). 3 Les termes «assimilés» et «non-assimilés» sont également fréquemment employés. 4 Nous utiliserons dorénavant l’abréviation EPD pour faire référence à cette source dictionnairique. 5 La manipulation opérée au sein des données de l’EPD est la suivante: recherche graphique de toutes les séquences se terminant par <*aire>, <*euse>... L’ajout du symbole * permet d’extraire toutes ces séquences de la base de données. 6 Il est préférable de parler de «séquences» ou de «terminaisons» car toutes ces terminaisons n’ont pas nécessairement un statut suffixal en français ou en anglais. 7 Cette représentation graphique fait référence à deux consonnes identiques (géminées consonantiques) suivies d’un <e> final (exemple: <tte> ou encore <lle>). 8 Terme utilisé pour qualifier un style de composition musicale (source OED). 9 «GB» fait référence à la variété d’anglais britannique et «US» à la variété américaine. 10 Les transcriptions phonétiques sont directement extraites des données de l’EPD. 11 Cette étude ne vise pas à rendre compte des spécificités syllabiques de l’anglais et du français, notamment au niveau de la structure syllabique. L’analyse du placement de l’accent englobe une dimension syllabique, l’accent étant porté par une syllabe. Seuls les phénomènes syllabiques ayant une répercussion sur la détermination de la position de l’accent en anglais seront traités.

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12 Les deux positions sont ici simplifiées à l’extrême et les différences les opposant nécessiteraient de plus amples explications. 13 La palatalisation du <i> sous accent dans les emprunts français se retrouve dans la plupart des cas. Néanmoins, de façon inexplicable, certains emprunts français en anglais ne suivent pas cette tendance et dissocient clairement le <i> du reste de la terminaison, créant ainsi une structure dissyllabique (exemples: commedienne [kə�mi�.di�en] ou serviette [�s��.vi�et] (GB)). 14 Le décompte des syllabes n’est exceptionnellement pas effectué à partir de la fin du terme car Abbeville pose justement un problème de cet ordre. 15 Les autres schémas accentuels sont marginaux en anglais. 16 Par accentuation non-finale, il faut donc entendre les emprunts accentués principalement sur la syllabe pénultième (/(-)10/) ou antépénultième (/(-)100/). 17 L’accentuation finale figure soit en variante principale ou en variante secondaire dans les données de l’EPD. 18 «NC» pour nom commun et «NP» pour nom propre. 19 Le statut de nom propre attribué ici à deux chevaux est discutable. 20 Les emprunts de cet inventaire sont classés par terminaison. Ainsi, les termes en -aire sont suivis des termes en -euse et ainsi de suite. Les termes qui ne sont pas datés par l’OED ne figurent pas dans sa base de données mais apparaissent dans le corpus car recensés par l’EPD en premier lieu. 21 Les termes entre parenthèses représentent de possibles alternatives graphiques au mot de l’entrée principale. 22 Le symbole ® provient des données de l’EPD, et fait référence à une marque déposée. 23 Cet emprunt fait référence au prénom et non à l’objet. 24 Le terme finesse existe en anglais en tant que substantif et en tant que verbe, sans que son accentuation en soit altérée. 25 L’OED situe l’apparition de l’emprunt français calotte en anglais au XVIIe siècle, sans apporter davantage de précisions. 26 Date de son premier emprunt car l’OED mentionne que le terme musette a été réemprunté au français au XVIIIe siècle avec un sens différent. 27 Le terme clavier reçoit deux entrées distinctes dans l’EPD, et donc deux prononciations différentes. Cela dépend s’il s’agit du clavier en tant qu’instrument ou de tout autre instrument à clavier. 28 Même principe que pour le terme clavier. 29 Comme l’observation du tableau le démontre, la quasi-totalité des correspondances accentuelles entre les deux variétés englobe une accentuation finale. Les correspondances accentuelles sur la syllabe pénultième ou antépénultième sont peu fréquentes. 30 La notation des variantes accentuelles au sein ce tableau signifie donc que les deux variétés partagent les mêmes variantes, tout en leur accordant le même statut (principale et secondaire).

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MODALITÉS DE TRANSFERT DES TERMES CULTURELLEMENT MARQUÉS (DOMAINE

ROUMAIN-FRANÇAIS) Daniela Dincǎ

Université de Craiova, Roumanie Résumé En prenant comme point de départ le roman «Ciuleandra» de Liviu Rebreanu et la version française, notre article se propose un double but: (i) présenter les modalités de transfert des termes roumains culturellement marqués dans la langue cible (le français) et surtout leur compréhension et leur adaptation; (ii) analyser la manière dont le traducteur respecte le sens global et les significations spécifiques dans la transposition du roumain en français d’un texte marqué par un contenu civilisationnel évident. Abstract Procedures Transfer of Terms Culturally Marked (Area French-Romanian) Taking as our starting point the novel "Ciuleandra" by Liviu Rebreanu and its French version, our article is twofold: (i) to submit the processes by which terms refering to specific socio-cultural aspects were transferred from the source language (the Romanian) into the target language (the French); (ii) to analyze the way in which the translator manages to convey the overall meaning and the specific meanings of the text marked in terms of Romanian culture and civilization. Mots-clés: termes culturellement marqués, transfert culturel, ethnocentrisme, neutralization, conversion Keywords: socio-cultural terms, cultural transfer, ethnocentrism, neutralization, conversion

1. Introduction

La traduction est un véhicule de la communication interculturelle car son rôle essentiel est celui d’assurer la communication entre des gens parlant des langues différentes et ayant leur propre système de valeurs. La tâche du traducteur est d’autant plus difficile qu’il doit non seulement changer de signifiant en passant d’une langue à l’autre, mais il doit aussi prendre en considération les systèmes linguistiques dans leur existence historique et sociologique, sans ignorer le rapport que les sujets parlants entretiennent avec leur langue.

L’activité traduisante suppose, comme l’a montré G. Mounin (1963: 236), l’étude systématique de l’ethnographie de la communauté, ce qui place la

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traduction dans un vaste cadre culturel qui inclut: la littérature, l’histoire, l'anthropologie, la sociologie, etc. La maîtrise de cette composante de la traduction peut résoudre le problème de l’importation des connotations et des traits culturels dans la langue de traduction.

Dans cette perspective, notre analyse porte sur le roman Ciuleandra de Liviu Rebreanu et sur sa version française, qui appartient à un traducteur d’origine roumaine, Ilinca Petrescu. Dès le titre, le lecteur français se confronte à une réalité culturelle connue aussi en Macédoїne et en Grèce: Ciuleandra est une danse de la région de l'Olténie, région du sud-ouest de la Roumanie. Elle était dansée à l'époque où les chevaux et les bœufs étaient utilisés pour tirer la charrue, pour la culture des terres. En période de sécheresse, une brise légère transportait de la poussière et du pollen de mauvaises herbes. Le titre signifie: «La danse de la mauvaise herbe». Le chant qui accompagne la danse est chanté par Maria Tănase et il a inspiré Liviu Rebreanu dans la rédaction de ce roman.

Outre le titre du roman, qui reste une énigme à déchiffrer par le lecteur français, les aspects civilisationnels les plus saillants du roman analysé sont: l’histoire du peuple roumain au début du XXe siècle (l’existence des deux classes sociales: les paysans et les bourgeois), la vie à la campagne avec ses symboles (la maison, la ronde, le mariage, le costume populaire, le travail dur des paysans), la vie citadine avec les bals, les cafés, les stages à l’étranger pour apprendre les bonnes manières, l’arrogance et l’hypocrisie des bourgeois, les injustices et les actes criminels gratuits, causés par la dégénérescence des bonnes familles.

Il faut ajouter en même temps que le roman en version roumaine contient des répliques en français, attribuées aux aristocrates qui utilisaient le français pour la formulation des définitions enthousiastes. Ils formaient donc un univers opaque pour les autres membres de la communauté, qui n’avaient pas accès à une éducation élevée. Ce qui est à remarquer en même temps, c’est le fait qu’il s’agit du français courant qui n’est pas parsemé de mots ou d’expressions visant les réalités sociales roumaines.

Dans ce contexte, notre communication se veut une interrogation sur la possibilité de la traduction de se constituer en véhicule de la communication interculturelle, définie non seulement comme un moyen d’interaction mais aussi comme une modalité de connaître les particularités culturelles d’un peuple. Pour y arriver, notre démarche a une double finalité: (i) présenter les modalités de transfert des termes dans la langue cible (le français) et surtout leur compréhension et leur adaptation; (ii) analyser la manière dont le traducteur respecte le sens global et les significations spécifiques dans la transposition du roumain en français d’un texte marqué par un contenu civilisationnel évident.

Nous voulons également préciser que la comparaison des termes civilisationnels repose principalement sur l’analyse étymologique, basée sur les entrées lexicographiques et non pas sur l’interprétation donnée par les récepteurs français.

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2. Modalités de transfert La traduction des aspects socioculturels est devenue un champ de

recherche primordial pour le traducteur qui doit mettre en relation deux cultures qui n’ont pas le même système de valeurs, mais qui doivent se rapprocher par l’entremise de la langue. Toute la responsabilité revient donc à la langue comme système de signes, qui permet la communication entre ses usagers.

Dans sa démarche d’adaptation des termes marqués du point de vue civilisationnel, le traducteur cherche des correspondants ou des équivalents dans la langue cible, qui parfois se superposent (l’ethnocentrisme), qui présentent des traits communs, mais qui ne sont pas identiques (la conversion) ou qui sont complètement absents (la neutralisation).

2.1. La conversion L’univers du village comporte des éléments référentiels et des expressions

spécifiques à la culture du peuple roumain. Il n’est donc pas surprenant de constater que le traducteur reste incapable de trouver leurs équivalents français et que la conversion qu’il effectue vise la traduction par une unité qui évoque une autre réalité que celle de la langue source.

(1) «Mădălina fu îmbrăcată în straiele de sărbătoare, în cele de la Ciuleandra». (p. 78) (1’) «Mădălina fut revêtue ensuite de ses plus beaux atours, ceux qu’elle avait portés pour la Ciuleandra». (p. 58)

En roumain, straie est un terme populaire à étymologie inconnue pour

désigner les vêtements. Le syntagme straiele de sărbătoare suggère la simplicité du costume populaire que les villageois portaient pour danser la ronde, les jours de fête ou le dimanche. Au contraire, son correspondant français atours désigne «Tout ce qui entre dans la parure des femmes; en partic. parure riche et/ou surannée.» (TLFi). Il s’agit donc de deux réalités bien distinctes: d’une part, costume populaire porté les jours de fête aussi bien par les femmes que par les hommes, et d’autre part, l’ensemble de vêtements, de bijoux et d’ornements qui servent à la parure des femmes.

(2) «…nu scăpă nici o ocazie să-şi arate ura cea mai neagră împotriva ciocoilor, înţelegând prin ciocoi pe toţi oamenii de treabă care nu poartă iţari şi opinci». (p. 83) (2’) «il ne laissait échapper aucune occasion de montrer sa haine pour les bourgeois englobant sous le terme de bourgeois tous ceux qui ne portaient pas le costume de paysan». (p. 62)

Ce qui nous intéresse ici c’est le terme roumain ciocoi, terme péjoratif qui

exprime le mépris des paysans pour les personnes possédant des terres, mais qui ne

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les travaillent pas de leurs propres mains. Les sèmes [+ mépris] ainsi que [+villageois] ne sont pas inclus dans la structure sémantique du terme français bourgeois (<germanique bourg), qui signifie « Libre habitant d'une ville, jouissant de certains privilèges.» (TLFi). Le sème commun pour les deux lexèmes, ciocoi et bourgeois, reste [+situation privilégiée], au détriment des deux autres sèmes définitoires pour les relations entre les deux classes sociales qui vivent à la campagne dans une atmosphère de tension, qui se manifeste parfois par des révoltes et par des insurrections.

(3) «Tatăl fetei a fost omul cel mai voinic din sat, un bărbat straşnic şi bun ca rădăcina de leac» (p. 77). (3’) «Le père de la jeune fille avait été l’homme le plus fort du village, et bon comme le pain chaud» (p. 57).

Il faut signaler tout d’abord que, pour exprimer la bonté d’une personne au

superlatif absolu, le roumain emploie deux comparaisons qui reflètent deux pratiques de longue tradition dans la vie des paysans: bun ca rădăcina de leac et bun ca pâinea caldă. La première comparaison, dont la traduction littérale serait bon comme la racine à guérir, suggère une pratique qui consiste à utiliser d’utiliser la racine des plantes comme médicaments contre diverses maladies et la deuxième, bon comme le pain chaud, illustre une autre habitude spécifique à la vie de la campagne, celle de manger le pain chaud, parfois avec du fromage, aliment de base des paysans qui avaient et qui ont encore l’habitude de cuire le pain dans leurs propres fours.

Le lexique français enregistre la comparaison être bon comme le pain, sans inclure l’épithète chaud que le traducteur ajoute afin de mettre en relation les deux cultures, malgré le manque de correspondance des deux réalités culturelles.

La conversion, comme modalité de transfert culturel, change donc de référent, vu la non correspondance des réalités culturelles des deux langues en contact. Il s’agit surtout d’une perte de la richesse sémique, spécifique aux termes qui dénotent l’univers de la vie paysanne roumaine.

2.2. L’ethnocentrisme Cette modalité d’adaptation opère une substitution de termes marqués du

point de vue civilisationnel. Elle définit les réalités communes aux deux cultures, qui sont désignées par des termes différents, dont l’origine illustre soit l’origine de la langue (le latin pour le français et pour le roumain), soit l’influence des contraintes géographiques (les influences slaves et turques pour le roumain):

(4) «Hora ca toate horele, fetele aşa şi aşa, flăcăii să nu mai vorbim» (p. 72). (4’) «Une ronde comme toutes les rondes, des jeunes filles ni plus ni moins belles qu’ailleurs, quant aux gars, n’en parlons plus!» (p. 56)

En roumain, hora, terme qui provient du slave horo, est une danse

populaire où les danseurs forment un cercle et tournent. La même définition

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correspond en français au terme la ronde, terme latin du XIIIe siècle. Mais, ce qui individualise la ronde roumaine c’est le fait qu’elle est aussi le témoignage de l’arrogance des bourgeois qui peuvent se permettre ce qu’ils veulent, parce qu’ils se sont acheté les épouses, jusqu’au crime passionnel à la fin du roman, quand le personnage principal danse la Ciuleandra qui devient le symbole de l’acceptation de la condition de l’aliénation comme une propre condamnation de soi.

Le mot flăcăi (<sl. chlakŭ) désigne dans l’univers du village roumain «des jeunes hommes non mariés» (DEX), qui participent à la ronde justement pour trouver leur femme. En français, le mot gars, cas sujet de garçon, est un terme familier pour les jeunes hommes, sans imposer la contrainte d’être célibataire.

(5) «Jucătorii, cuprinşi de după mijloc, formează un zid compact de corpuri care se mlădie, se îndoaie, se răsuceşte şi tresaltă cum poruncesc lăutarii» (p. 73). (5’) «Les danseurs, se tenant par la taille, forment une muraille de corps qui plie, ondoie, tourne et trésaille au gré des violoneux» (p. 56).

Ayant une étymologie turque (lauta), le mot roumain lăută est «un

instrument à cordes» et lăutar – «un violoniste de village» (DEX). Le même référent est désigné, dans le cadre de la culture française, par violoneux, terme populaire dérivé de violon, terme d’origine italienne. Pourtant, vioară (<it. viola) et violonist (<fr. violoniste) existent aussi en roumain, mais les deux termes sont réservés au vocabulaire citadin, les paysans voulant conserver dans leur langage les traces du contact avec d’autres cultures, celle des Turcs dans notre cas.

(6) …în Madelaine e stofă de adevărată cucoană». (p. 79) (6’) «Madelaine avait l’étoffe d’une vraie dame». (p. 59)

La locution avoir l’étoffe signifie «avoir les qualités, les capacités» et son

équivalent en roumain représente une traduction littérale «a avea stofă». Bien que le terme cucoană (<néogrec kokkona) ait eu comme premier sens «fille de prince», il superpose sa seconde signification, «femme de la haute société» à celle du terme français dame. Le français dame, qui provient du latin domina, a plusieurs sens: «femme détentrice d’un droit de souveraineté ou de suzeraineté», «femme de la haute société», «femme mariée». Dans le texte, les deux termes cucoană et dame signifient, tenant compte des réalités de la société roumaine du début du XXe siècle, «femme ayant les bonnes manières de la haute société» (DEX).

(7) «Dordea nu vorbeşte niciodată fleacuri şi nici nu se ţine de clevetiri». (p. 83) (7’) «Dordea ne dit jamais de bêtises et ne colporte pas non plus de ragots». (p. 62)

A se ţine de clevetiri signifie «avoir l’habitude de médire», le terme

clevetire provenant du slave klevetati et étant limité à un emploi populaire. La locution française, d’un usage familier, combine deux termes latins colporter et ragots, dont l’étymologie nous fait penser à tout à fait autre chose que le sens de

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«médire»: ragot désigne «un jeune sanglier mâle entre deux et trois ans» et colporter signifie «transporter avec soi des marchandises pour les vendre, transmettre une information à de nombreuses personnes». Pour la traduction de cette expression idiomatique, le traducteur n’emploie pas la traduction littérale, mais il remplace le sens global par une forme qui existe dans la langue cible. Il y a donc une substitution de signifiant pour le même signifié.

(8) «Ei bine, nimeni nu spune decât că e un mojic fără pereche». (p. 83) (8’) «Eh bien, tout le monde affirme que c’est un rustre sans pareil». (p. 62)

Le terme roumain mojic a une étymologie slave - mužik et il désignait «les

paysans russes avant la Révolution socialiste d’octobre» (DEX). Aujourd’hui son sens est «homme grossier et brutal». Le même sens est associé au signifiant rustre, terme latin dont le sens voulait également suggérer la grossièreté des paysans, leur comportement brutal et simple. On peut remarquer qu’il y a une certaine correspondance des réalités culturelles dans les deux espaces, roumain et français, mais les termes doivent être bien choisis, en fonction de la tradition et de l’histoire de chaque langue.

L’ethnocentrisme peut donc refléter le fait que l’histoire des deux cultures a enregistré des connotations culturelles similaires, mais que les moyens linguistiques utilisés gardent les traces de l’influence que chaque peuple a subie le long de son histoire: l’influence de Rome pour la France (ragot, dame, ronde, violoneux, rustre), l’influence des peuples voisins qui ont marqué leur histoire par les invasions pour la Roumanie (lăutar < turc, hora < bulgaire, cucoana < grec, clevetire < slave, mojic < russe). Tous ces termes représentent le témoignage de l’histoire de chaque peuple, car chaque invasion a laissé ses traces dans la langue et dans le comportement des gens.

2.3. La neutralisation Mais la modalité qui prédomine dans notre traduction est la neutralisation

des termes marqués du point de vue civilisationnel et leur remplacement par un hétéronyme général ou approximatif qui annule les connotations de l’unité source.

Les termes neutralisés concernent surtout l’univers du village roumain avec ses éléments définitoires: la maison et le costume populaire.

(9) «In sfârşit hangiul ne conduse într-un cerdac de unde într-adevăr puteam privi hora ca dintr-o loje de teatru». (p. 72) (9”) «Enfin, l’aubergiste nous conduisit sur une véranda d’où nous pouvions contempler la ronde comme de la loge d’un théâtre». (p. 54)

(10) «Vădana căzu pe laviţă de spaimă». (p. 77) (10’) «D’effroi, la veuve tomba sur le banc». (p. 56)

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(11) «Femeia (…) se ştergea la gură cu colţul năframei şi, printre picături ocăra pe cei doi copilaşi care de hârjoneau după cuptor.» (p. 77) (11’) «La femme (…) s’essuyait la bouche avec le coin du fichu et, entre temps, grondait les deux petits qui s’amusaient derrière l’âtre». (p. 56)

(12) «…ne îndeamnă să vedem hora satului, că, zice, sînt fete tare frumoase aici şi hora e chiar în bătătura din dosul hanului». (p. 72) (12’) «…il nous invita à regarder la ronde du village car, disait-il, il y avait là de très jolies filles et tous s’étaient rassemblés sur un terrain vague, juste derrière l’auberge». (p. 54)

(13) «Când ne văzu mama Mădălinei intrând în ogradă, să se topească de zăpăceală». (p. 77) (13’) «Lorsque la mère de Madalina nous vit entrer dans la cour, elle en perdit presque la tête». (p. 56)

Dans les exemples de (9) à (13), tous les termes mis en italiques nous

introduisent dans l’atmosphère de la maison des paysans roumains avec ses éléments spécifiques: cerdac (roum.) / véranda (fr.), laviţă (roum.) / banc (fr.), cuptor (roum.) / âtre (fr.), bătătură (roum.) / terrain vague (fr.), ogradă (roum.) / cour (fr.).

Le premier terme cerdac (<turc çardac) ou prispă est «un balcon ouvert en pierre ou en bois devant la maison» et il est interprété par le lecteur français, à travers la véranda - mot anglais de l’Inde, comme «une galerie légère en bois, vitrée, adossée à la façade d’une maison». Mais la maison roumaine a comme partie caractéristique la véranda ouverte et non pas vitrée, construite au-dessus de l’entrée de la cave (cerdacul). Le manque de ces précisions construit une fausse image sur la maison roumaine, qui a inclus cet élément d’architecture pour assurer au visiteur une sensation d’accueil lumineux et chaleureux. La véranda est conçue, d’ailleurs, comme un pas en avant vers le milieu environnant, vers la nature.

À l’intérieur de la maison, on retrouve laviţă (<slave lavica) qui désigne «une planche large en bois, fixée le long d’un mur dans les maisons paysannes pour s’asseoir». Le terme français banc représente un terme général, incapable de rendre la spécificité du mobilier paysan qui pouvait également servir comme coffre de dot.

Un élément central dans une maison est le terme cuptor, terme latin qui désigne «une construction de brique, de pierre ou de métal servant comme lieu à faire cuire les aliments et comme source de chaleur pour toute la famille» (DEX). Le Petit Robert (1976) enregistre le mot âtre (<lat. astracus) comme «la partie dallée de la cheminée où l’on fait le feu ou la cheminée elle-même» pour chauffer la pièce et non pas pour faire cuire les aliments. Le trait civilisationnel qui manque dans la version française est justement le caractère inventif des paysans roumains concernant la multifonctionnalité de l’âtre.

Pour désigner l’extérieur de la maison, le roumain dispose de trois termes: curte -terme général d’origine latine, bătătură et ogradă, termes populaires d’origine toujours latine qui incluent la cour intérieure d’une maison avec le

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potager, le verger et la basse-cour. Les paysans roumains cultivent dans la cour de la maison des légumes, plantent des arbres fruitiers et élèvent une basse-cour très riche: poules, canards, oies, dindons, etc.

D’autre part, l’origine du costume populaire roumain remonte à l’époque des Daces, les ancêtres des Roumains, qui portaient des costumes presque identiques à ceux portés par les Roumains d’aujourd’hui. Il était formé de plusieurs pièces: năframa, maramă (roum.) / fichu (fr.) /, ia (roum.) / chemise ou blouse (fr.), iţari (roum.) / pantalons de toile, opinci (roum.) / chaussures paysannes en cuir (fr.), etc.

Dans le costume féminin, la blouse paysanne roumaine est unique parce qu’elle est cousue à la main avec des motifs populaires en couleurs spécifiques (noir, rouge, bleu), mais le terme blouse au lieu de ie, mot d’origine latine (<linea) qui suggère le matériel dont on la confectionnait (le lin) n’exprime pas ses caractéristiques essentielles:

(14) «Întorsei capul spre ea. Ia albă şi înflorită ascundea doi sîni abia împliniţi ai căror muguri se zbuciumau sub borangicul ieftin». (p. 75) (14’) «Je tournai la tête vers elle. La blouse blanche à fleurs cachait deux seins à peine formés, dont les boutons battaient timidement sous la toile bon marché». (p. 56)

Un autre élément du costume populaire féminin est le voile de gaze (roum.

marama), finement brodé, dont les femmes mariées se parent la tête quand elles vont danser la ronde. Le terme roumain marama vient du turc mahrama, qui a donné un autre mot năframă, «morceau de toile en lin, chanvre, coton cousu sur les bords qui sert de fichu, mouchoir ou nappe».

Le terme năframă a comme équivalent dans le roman analysé fichu, «pièce d’étoffe dont les femmes se couvrent la tête, la gorge et les épaules» (DEX). On peut donc penser à la ressemblance entre la culture paysanne roumaine et celle musulmane, vu l’origine turque du mot roumain, mais il faut ajouter que le fichu porté par les paysannes ne couvre que la tête, connotation socioculturelle que le terme français ne peut pas exprimer.

Pour les hommes, le costume populaire contient deux pièces traditionnelles: le pantalon en toile (iţari) et les chaussures en cuir fixées aux pieds par un lacet montant à mi-mollet (opinci), que la version française (exemple 2) neutralise par l’emploi de l’hétéronyme costume de paysan.

Le costume populaire roumain perd donc de son originalité et de sa pérennité par l’emploi des termes neutres qui annulent les connotations de l’unité source. Outre la richesse et la beauté, les termes roumains font allusion à la diversité et à la quantité des matières premières fournies par l’élevage intense des moutons chez les Roumains, ainsi que les cultures traditionnelles du lin et du chanvre, ce qui explique le développement des tissus dont les paysans se confectionnaient des tapis, des couvre-lits, des costumes populaires et des vêtements pour toute la famille.

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3. Conclusions

La traduction des symboles socioculturels est une bonne opportunité pour l’étude des langues au moyen de leur comparaison. Au-delà du lexique, il faut étudier le sens des mots et des expressions en situation afin de découper les éléments de la réalité extralinguistique.

Dans la version française du roman Ciuleandra, les difficultés soulevées par les barrières socioculturelles relèvent, principalement, les aspects suivants: la traduction des termes évoquant des réalités spécifiques de la vie à la campagne (la maison, le costume populaire, les traditions, etc.), l’emploi figuré de certaines expressions qui portent la marque des conditions locales spécifiques et la non pas la correspondance des niveaux et des registres de langue.

En l’absence de repères communs, le traducteur s’efforce de trouver des correspondants ou des équivalents dans la langue cible, d’une part, pour mettre en valeur l’identité et la spécificité de la culture source et, d’autre part, pour assurer la cohésion du texte. La modalité d’adaptation prédominante est, dans notre analyse, la neutralisation, par laquelle les termes perdent de leur couleur locale en faveur de la compréhension globale par les locuteurs étrangers. Les traits civilisationnels roumains sont beaucoup estompés, ce qui conduit à un effacement de la spécificité culturelle à travers l’opération traduisante: la véranda n’est pas perçue comme un symbole de l’esprit ouvert des paysans roumains; le syntagme costume populaire ne retient pas ses traits spécifiques: la coupe, le coloris, la matière première; la danse «Ciuleandra» n’est pas une simple ronde, elle représente le rituel magique du mariage, la source de la passion pour la femme, mais aussi le symbole de la dégénérescence des bonnes familles.

Bibliographie

Cordonnier, Jean-Louis (2002), «Aspects culturels de la traduction: quelques notions clés», in Meta, XLVII, no. 1: 38-50.

Cristea, Teodora (1998), Stratégies de la traduction, Bucureşti: Editura Fundaţiei «România de mâine».

Cuche, D. (1996), La notion de culture dans les sciences sociales, Paris: Éditions de la Découverte, Coll. Repères, no. 205.

Mounin, Georges (1963), Les problèmes théoriques de la traduction, Paris: Gallimard.

Pergnier, Maurice (1993), Les fondements sociolinguistiques de la traduction, Lille: PUL.

Vinay, J.-P., Darbelnet, J. (1958), Stylistique comparée du français et de l’anglais. Méthode de traduction, Paris: Didier. Textes de référence

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Rebreanu, Liviu (1986), «Ciuleandra» in Romane, vol. II, Bucureşti: Cartea Româneascǎ.

Rebreanu, Liviu (1979), «Ciuleandra», traduction de Ilinca Petrescu, in Revue roumaine, XXXIII, no. 9 : 6-94.

Dictionnaires

Dictionnaire Français Le Petit Robert, Paris: Larousse, 1976. Dicţionarul explicativ al limbii române, Bucureşti: Editura Academiei Republicii

Socialiste România, 1975.

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REMARQUES SUR L’ORGANISATION SÉMANTIQUE DES ADJECTIFS ROUMAINS IMENS ET ENORM 1

Ancuţa GUŢĂ

Université de Craiova, Roumanie

Résumé L’analyse des sens des adjectifs roumains IMENS et ENORM tient compte de l’inventaire des plus fréquentes expressions et constructions de la langue courante actuelle où ces lexèmes apparaissent. Nous avons laissé de côté les emplois métaphoriques et les constructions analogiques. La présentation des sens de ces adjectifs se rapporte aussi à leurs hétéronymes français IMMENSE et ÉNORME vu que les lexèmes roumains sont empruntés au français. La plupart des syntagmes roumains contenant les deux adjectifs sont des calques d’après les syntagmes français, mais il y a aussi des différences dans l’organisation des sèmes spécifiques. Les contextes analysés mettent en évidence un certain type d’organisation sémantique suivant une certaine graduation des sèmes ainsi que les possibilités d’emploi des adverbes correspondants. Abstract Notes on Semantic Organization of Romanian Adjectives Imens and Enorm The analysis of the meaning of the Romanian adjectives IMENS and ENORM reflects the inventory of the most common expressions and constructions of the current common language where these lexemes appear. We ignored the metaphorical uses and the analogue constructions. This presentation of the meaning of these adjectives also relates to their French heteronyms IMMENSE and ÉNORME because the Romanian lexemes are borrowed from the French. Most Romanian phrases containing two adjectives are layers from the French phrases but there are also differences in the organization of specific semes. The analyzed contexts highlight some kind of semantic organization in a certain scale of semes as well as opportunities to use corresponding adverbs. Mots-clés: adjectif, expressions, organisation sémantique, sens, sèmes. Key words: adjective, expressions, semantic organization, meaning, semes.

1. Introduction Les deux adjectifs roumains IMENS et ENORM soumis à l’analyse

pourraient être rangés parmi les adjectifs prototypiques parce qu’ils satisfont aux critères essentiels de cette catégorie: «ils sont des éléments lexicaux simples qui désignent des propriétés» telles que dimension, évaluation etc., «ils peuvent caractériser des humains, des animaux et des objets et ils peuvent être épithètes et

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attributs» (Sőrés, 2005: 101). Mais ils ne sont pas graduables pour des raisons sémantiques que nous allons présenter dans ce qui suit.

En ce qui concerne le comportement grammatical de ces deux adjectifs «exprimant un certain type de propriété», il ressemble «plus ou moins à celui des noms» (Crissels 2005: 84). En position de GN1 et de GN2, les deux adjectifs sont employés au masculin singulier avec prédéterminant article défini surtout pour exprimer le générique:

(1) Imensul/enormul sunt astăzi la modă în construcţii. (http://www.incasa.ro/Istoria_casei_2977_581_1.html) (2) Lumea de azi acceptă imensul/enormul în arhitectură la fel ca în antichitate. (Idem)

Les pluriels masculins (imenşii/enormii) et féminins (imensele/enormele)

articulés avec l’article défini, en position de sujet, de complément d’objet direct ou d’attribut sont refusés par la langue. Il en est de même pour toutes les formes articulées avec l’article indéfini (*un imens/enorm, *nişte imenşi/enormi) et pour les formes précédées par le prédéterminant démonstratif (*acest imens/enorm, *acel imens/enorm).

En revanche, les formes de tous les genres, articulées avec l’article cel, cea, cei, cele (qui fonctionne comme un article défini) sont acceptées pour toutes les fonctions syntaxiques, à condition d’avoir dans le contexte qui les précède un nom du même genre:

(3) Dintre toate pavilioanele, cel imens/enorm e apreciat de toată lumea. (http://www.infoturism.ro/atractii-turistice/cele-7-minuni-ale-lumii-antice/) (4) Dintre prăjituri, copiii le vor pe cele imense/enorme. (http://www.larevista.ro/dulciuri-de-poveste-de-olivia-steer-carte-de-retete-cu-ingrediente-naturale/) (5) Prădătorii periculoşi din oceane sunt cei imenşi/enormi. (http://www.ziare.com/articole/animale+periculoase+veninoase)

Le synonyme de IMENS et ENORM est uriaş (Bucă et al. 1978 : 129) qui ne pose pas de problèmes de substantivation car il est plus ancien dans la langue roumaine (hongrois óriás) que les deux adjectifs en discussion considérés comme des néologismes empruntés au français, à savoir leur hétéronymes immense et énorme.

2. Les sens de l’adjectif IMENS Pour établir les sèmes de base composant les sens de ces deux adjectifs

nous devons mentionner qu’ils découlent de leur étymologie latine: immense <immensus «sans limite, infini» et énorme < enormis «qui est hors de la norme» (cf. TLFi). Par conséquent, les sèmes [+dimension], [+mesure], [+excès]

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[+superlatif] peuvent être considérés comme sèmes de base dans l’organisation sémantique des lexèmes français tout d’abord et ensuite des lexèmes roumains.

2.1. Le premier sens de l’adjectif IMENS concerne la perception, par la vue, des dimensions très grandes, voire extraordinaires des objets abstraits ou concrets, animés ou non animés. Le sens principal «de très grandes dimensions» concerne les proportions colossales: copaci imenşi, flăcări imense.

(6) Şoferiţa care a provocat un ambuteiaj imens în centrul capitalei a fost amendată... (http://m.noi.md/md/news/18548) (7) Capitala devine un imens şantier ...: zeci de străzi vor fi refăcute... (http://www.puterea.ro/social/...-75808.html)

L’antéposition de l’adjectif est, en général, en fonction des effets stylistiques envisagés par le locuteur: un imens palmier, o imensă păcăleală.

(8) Faimoasa recalculare a pensiilor este o imensă păcăleală! (http://www.amosnews.ro/arhiva/...-18-03-2006)

Le sème [+grandeur] apparaît dans des syntagmes nominaux où les noms

désignant des objets concrets [–animé] ont les traits [+espace], [+étendue], [+volume]: teren imens, aeroport imens, ecran imens, curte imensă, groapă imensă.

(9) Premieră pentru Giurgiu: Un meci de fotbal vizionat pe un ecran imens. (http://www.giurgiu-news.ro/...-7583/pagina-0)

Pour les noms avec les traits [+substance], [+matière] employés surtout au

singulier et précédés de l’article indéfini, une structure de la langue courante actuelle est un/o + nom + imens + Dt prép (de + nom). L’adjectif peut être aussi antéposé: un ocean imens de noroi, un nor imens de praf/cenuşă, un val imens de apă, râu imens de gheaţă, o imensă groapă de gunoi, o imensă pată de ulei.

(10) Prost crescuţi: Litoralul devine o imensă groapă de gunoi în urma turiştilor. (http://video.bzi.ro/video/show/prost-crescuti-...-41495)

Si le nom centre est employé au pluriel, son prédéterminant est

démonstratif: aceşti/aceste + nom + Dt prép (de + nom), comme dans les syntagmes: aceşti pereţi imenşi de stâncă, aceşti imenşi nori de gaze, aceste cantităţi imense de metal, aceste imense sume de bani.

(11) Când vezi aceste imense întinderi de gheaţă nu poţi decât să te simţi mic mic mic şi total neimportant. (http://povesteindoi.wordpress.com/tag/penini/)

Pour les noms [+animé], l’adjectif sert à caractériser les dimensions qui

dépassent les dimensions générales de la moyenne de la catégorie: crocodili/şerpi/păianjeni imenşi, vulturi imenşi, păsări imense.

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(12) Deşi eu îmi amintesc şi lei, tigri, şerpi imenşi şi numere frumoase de echilibristică... (http://riendespecial.wordpress.com/2010/10/21/circ/)

L’adjectif détermine aussi les parties du corps des animés: ochi/sâni

imenşi, braţe imense, burtă imensă. La perception subjective des dimensions inhabituelles/anormales peut être provoquée par une sensation de peur: dinţi/colţi imenşi.

(13) Şi deodată īn cameră intră un bărbat cu mâini imense care se apropie de ea pentru a o strangula. (http://www.ceruldinnoi.ro/pages/...Umbra.htm)

Dans le cas des noms [+objet] [+abstrait], l’adjectif IMENS accompagne

fréquemment les singularia tantum désignant des qualités humaines (vertus, vices) caractérisés par le sens «qui dépasse la mesure» ou par le sème [+excès]: vanitate/prostie/ipocrizie imensă, orgoliu imens, tupeu imens mais aussi curaj imens.

(14) Ceea ce fac aceşti oameni este o prostie imensă. (http://www.curaj.net/?p=54541) (15) Are un ego imens şi este preocupat de propria persoană. (http://www.garbo.ro/tag/abuz-emotional.html)

L’adjectif peut acquérir d’autres sèmes tels que: – [+intensité]: surpriză imensă, provocare imensă, dor imens, satisfacţii/emoţii imense.

(16) Îmi este un dor imens de copilǎrie … (http://adevarurilevietii.net/imi-este-un-dor-.../)

– [+importance], [+ampleur]: riscuri/pericole imense, şansă imensă, gravitate imensă, responsabilitate/răspundere imensă. 2.2. Un deuxième sens de l’adjectif IMENS est donné par les sèmes [nombrable] ou [innombrable] de la dimension même pour les contextes où les noms déterminés possèdent les traits [+quantité] ou [+nombre] mais le sème [excès] est prédominant: procent imens, sumă/avere imensă, costuri imense, datorii imense.

(17) Un procent imens al bolnavilor de hepatită ... (http://www.puterea.ro/social/...-75910.html)

En revenant à la structure déjà analysée ci-dessus et illustrée par l’exemple

(10): un/o + nom + imens + Dt prép (de + nom), il faut préciser qu’après la préposition de, on peut rencontrer aussi des noms au pluriel. Il s’agit d’objets qui,

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par leur nombre/quantité donnent la grandeur des dimensions: un imens buchet de trandafiri, un imens păianjen de cabluri, un imens motor de cinci cilindri.

La préposition cu est employée si le locuteur veut mettre en évidence le contenu: un coş imens cu trandafiri, un colier imens cu diamante. Pour ces contextes, entre les noms constituant la structure, il y a une relation contenant-contenu, ce qui explique la préférence pour l’antéposition de l’adjectif:

(18) De 8 Martie a venit cu un imens buchet de trandafiri. (http://mioritice.libertatea.ro/.../10360/)

Dans le type de structure avec de, l’adjectif acquiert aussi le sème [+incalculable]: număr imens de victime, volum imens de date, bagaj imens de cunoştinţe.

(19) ... atitudine, siguranţă şi un bagaj imens de cunoştinţe despre afaceri. (http://studentcast.wordpress.com/despre/misiune/)

Dans les syntagmes nominaux avec des noms centre [+nombrable]

[+quantifiable], le sens de l’adjectif IMENS est quantitatif [+excès]: profit imens, rabat/spor imens, deficit bugetar imens, datorie publică imensă et la séquence imensa majoritate a cazurilor.

(20) Stabilitatea Ungariei, ameninţată de deficitul bugetar imens. (http://www.curierulnational.ro/Economie/2006-05-08/...)

L’adjectif IMENS peut avoir aussi le sens «impossible à calculer à cause de l’effet produit» «incalculable», dans les séquences contenant des noms [+abstrait] [+influence] [+conséquence]: impact/şoc/rol/deserviciu imens, scandal imens, sacrificiu imens, imens progres.

(21) Această colaborare a avut un rol imens în organizarea Serviciului endoscopie. (http://www.scr.md/ro/subdiviziunimedicale/.../115-)

Un syntagme devenu stéréotype dans les media d’aujourd’hui (surtout pour

les titres des articles) est presiune imensă (singulier et pluriel) où le nom acquiert les significations «influence», «intimidation», probablement sous l’influence des constructions françaises faire pressions sur quelqu’un et mettre la pression sur quelqu’un incorrectement traduites ou insuffisamment adaptées à la langue roumaine:

(22) «Sunt supus unor presiuni imense!» (http://www.evz.ro/detalii/stiri/...-1045813.html)

La séquence est entrée dans des structures plus complexes telles que: – presiune imensă + asupra/pe + nom commun ou nom propre:

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(22’) Pe Ponta era o presiune imensă din exterior. (http://www.romanialibera.ro/actualitate/eveniment/...-276077.html)

– presiune imensă din partea + nom en génitif:

(22’’) ... există o presiune imensă din partea firmelor de asigurări... (http://newsinfo1000.wordpress.com/2013/07/11/.../)

– presiune/presiuni imensă/imense + pentru + nom/verbe: (22’’’) Presiuni imense pentru influenţarea factorilor decidenţi .... (http://www.financiarul.ro/2013/02/07/.../)

2.3. Un troisième sens de l’adjectif IMENS est «important» mis en

évidence dans les syntagmes qui contiennent un nom centre caractérisé [+abstrait] [+appréciation] [+subjectif] tels que prestigiu imens, faimă imensă, avantaj/dejavantaj imens, importanţă imensă.

(23) Au însă o importanţă imensă pentru noi şi semenii noştri faptele de iubire... (http://www.valeriu-popa.santamia.ro/gandire.htm) Une expression très employée, de nos jours, pour exprimer le regret

ressenti dans la situation d’un décès ou d’un départ/séparation définitif/définitive d’une personne est, dans les deux langues un gol imens [un vide immense]:

(24) Prin dispariţia sa, a rămas un gol imens în industria cinematografiei... (http://www.historia.ro/exclusiv_web/general/articol/marii-actori-disparitia-...) (25) Plecarea sa abruptă în America, în 1979, a lăsat un gol imens, imposibil de umplut…. (http://www.evz.ro/detalii/stiri/...-1036598.htm)

Les noms qui désignent des faits/actions concrets peuvent se combiner

avec l’adjectif IMENS pour décrire l’importance des conséquences qui en découlent: abuz imens, imens prejudiciu, gafă/greşeală/eroare imensă.

(26) Suntem şocaţi de acest imens abuz. (http://asezamintelemareluimucenicmina.wordpress.com/)

3. Les sens de l’adjectif ENORM Pour l’adjectif ENORM, nous retrouvons presque les mêmes sèmes concernant les dimensions extraordinaires quantitatives ou les appréciations/évaluations qualitatives des objets concrets ou abstraits, animés ou non animés, etc. Pour exemplifier nous, citons des syntagmes couramment employés: deficit/prejudiciu/potenţial/trafic/consum enorm. On peut remarquer la possibilité de substituer ENORM par IMENS: durere imensă/enormă, noroc imens/enorm, tatuaj imens/enorm, spaţiu imens/enorm.

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Dans une même phrase, les deux adjectifs apparaissent comme déterminants d’un même nom repris, ayant un même sens mais avec un effet stylistique plus frappant:

(27) ... încă nu realizează ce deserviciu enorm şi-a adus şi ce deserviciu imens a adus imaginii partidului. (http://peterczompa.wordpress.com/2011/10/)

En passant rapidement en revue les contextes donnés ci-dessus pour IMENS, nous constatons que la substitution par ENORM est possible pour presque toutes les formulations. L’usage des séquences gol enorm, teren enorm, ocean enorm serait plus réduit par rapport à gol imens, teren imens, ocean imens mais il y a aussi des syntagmes ou la substitution est refusée: marea imensă et non pas *marea enormă, orizontul imens et non *orizontul enorm. En général, le nombre des exemples trouvés à la fin d’une recherche automatique lancée par l’ordinateur a mis en évidence un nombre plus réduit de syntagmes nominaux avec ENORM. On pourrait considérer que les emplois de l’adjectif ENORM relèvent d’un degré d’instruction plus élevé de la part des sujets parlants, d’un langage plus soutenu dans la plupart des situations de communication.

4. Conclusions Les deux adjectifs IMENS et ENORM n’ont pas de degrés de comparaison

mais on peut rencontrer pourtant des séquences où la comparaison est implicite un lucru atât de imens [une chose si immense] tout comme pour le syntagme voltairien une si énorme bévue [o greşeală atât de enormă].

Les deux adjectifs analysés désignent des propriétés intrinsèques, inhérentes aux objets et vérifiables par l’expérience et l’observation. Les sèmes [+dimension] et [+excès] renvoient à l’idée de superlatif. Par l’absence des degrés de comparaison, ils ressemblent aux adjectifs privatifs du type incasabil [incassable] ou bien aux adjectifs d’appartenance du type prezidenţial [présidentiel]. Les sèmes communs qu’ils possèdent rendent possible la substitution de chacun des deux par l’autre dans la majorité des contextes.

L’inventaire restreint des expressions du roumain courant actuel contenant les lexèmes IMENS et ENORM, que nous avons présenté, illustre l’usage de ces adjectifs dans tous les langages et dans des situations de communication très diverses.

Pour conclure, nous considérons que la phrase suivante, d’un usage très répandu, de nos jours, dans les deux langues est appropriée au but d’approfondir la recherche dans le domaine:

Roum.: Subiectul suscită încă un imens interes/un interes imens (enorm). Fr.: Le sujet suscite encore un immense intérêt/un intérêt immense (énorme).

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Notes 1 Cet article fait partie de la recherché menée dans le cadre du projet WordNet-reţea semantică on line pentru limba română curentă actuală, grant CNCSIS PN-II-ID no. 375/2008. Bibliographie Bidu-Vrănceanu, Angela / Forăscu, Narcisa (1984), Modele de structurare

semantică, Timişoara: Editura Facla. Creissels, Denis (2005), «La notion d’adjectif dans une perspective typologique» in

Jacques François (éd.) (2005), L’adjectif en français et à travers les langues, Caen: Presses Universitaires de Caen: 73-88.

François, Jacques (éd.) (2005), L’adjectif en français et à travers les langues [Actes du colloque de Caen, juin 2001], Bibliothèque de Syntaxe & Sémantique, Caen: Presses Universitaires de Caen.

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Sőrés, Anna (2005), «La place de l’adjectif épithète dans les langues. Approche typologique», in Jacques François (éd.) (2005), L’adjectif en français et à travers les langues, Caen: Presses Universitaires de Caen: 89-10.

Şerban, Vasile / Evseev, Ivan (1978), Vocabularul românesc contemporan, Timişoara: Editura Facla.

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http://dexonline.ro/ (dernière consultation le 10 juin 2013) http://atilf.atilf.fr/ (dernière consultation le 10 juin 2013) http://dictionnaire.sensagent.com/ (dernière consultation le 10 juin 2013) http://www.linternaute.com/dictionnaire (dernière consultation le 10 juin 2013) http://www.larousse.fr/dictionnaires (dernière consultation le 10 juin 2013) http://dictionnaire.reverso.net/francais-definition/ (dernière consultation le 10 juin

2013) http://www.synonymes.com/ (dernière consultation le 10 juin 2013)

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L’ADVERBE FRANCHEMENT ET SES ÉQUIVALENTS ROUMAINS (2)

Alice IONESCU

Université de Craiova, Roumanie Résumé Notre étude, composée de deux parties, se propose la description sémantique et fonctionnelle complète de l’adverbe français franchement, dont les différents valeurs et emplois sont insuffisamment décrits par les grammaires et les dictionnaires, tout en essayant d’offrir, pour chacun de ces emplois (intraprédicatif, extraprédicatif /énonciatif) des équivalents roumains adéquats à chaque niveau (avec une insistance particulière sur le comportement pragmatique du modalisateur illocutoire franchement). Abstract French Adverb Franchement and Its Romanian Equivalents (2) This paper is an attempt to give an exhaustive description of the semantic, syntactic and pragmatic features of the French adverb franchement, with a stress on the modal behaviour and argumentative use of the pragmatic marker. It will also provide, in its second part, Romanian correspondents for each of the uses of this adverb (intrapredicative and extrapredicative). Mots-clés: adverbe, (complément) adverbial, modalisation, énonciation, équivalence. Keywords: adverb, adverbial, modality, utterance, correspondents.

1. Introduction L’examen des différentes occurrences de franchement en français

contemporain fait vite remarquer qu’il ne s’agit pas là d’un simple adverbe, modifieur d’un verbe ou d’un adjectif, mais aussi – et le plus souvent – d’un modalisateur de l’énonciation, mot du discours au fonctionnement complexe, dont les dictionnaires ne rendent pas toujours compte d’une manière précise et détaillée. Cette polyvalence nous a incitée à entreprendre une recherche plus poussée des valeurs et des emplois de franchement.

Nous avons conçu notre recherche en deux étapes. Dans une première étape, nous avons essayé de décrire, de façon rigoureuse et formelle, la syntaxe, le sens, les emplois et les valeurs pragmatiques de l’adverbe franchement, en faisant référence aux principales études sur les adverbiaux qui modalisent l’énonciation. Dans la deuxième partie de notre article, nous nous proposons d’identifier les équivalents roumains adéquats pour chacun des emplois et des valeurs de franchement, à partir des différentes solutions de traduction données par les

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traducteurs dans les versions roumaines des œuvres littéraires françaises qui ont constitué le corpus de notre analyse ou bien en proposant nos propres solutions de traduction là où des traductions attestées n’existent pas.

2. Valeurs sémantico-pragmatiques de l’adverbe franchement La polysémie (ou plutôt la poly fonctionnalité) de franchement est

explicable par sa longue évolution sémantique et ses différents contextes d’emploi dans la diachronie.

L’étude du corpus français consulté montre que franchement, comme d’autres adverbes en –ment qui peuvent assumer la fonction d’adverbe d’énonciation, est susceptible de fonctionner comme:

1. Adverbe de manière, avec orientation vers le sujet (emploi endophrastique):

(1) Qu'est-ce que tu as fait?... Dis-lui franchement... Ton père va rentrer... Quand je pense que tout le quartier saura... (Simenon G., Le Confessionnal, Frantext) (2) Réponds-moi franchement, prononçait-il enfin d'une voix qui manquait de moelleux. Est-ce que ton père a téléphoné au mien? (Simenon G., Le Confessionnal, Frantext) Dans ces emplois, franchement pourrait être glosé par: sincèrement, avec

sincérité, avec franchise, de manière franche/ sincère, sans rien dissimuler. Contrainte d’emploi: il peut se combiner seulement avec des verbes de type dicendi et avec certains verbes d’attitude (parler, dire, demander, répondre, avouer, s’amuser, etc.)

2. Adverbe de manière orienté vers le verbe:

(3) Les deux frères étaient choqués, mais ils ne repoussaient pas franchement la suggestion que cette phrase impliquait. (Simenon G., La mort d'Auguste p. 233) (4) À dix mètres, la jument obliqua franchement vers la gauche, venant sur lui comme la foudre. (Bernanos, M. Ouine, p. 1410).

Dans ces emplois, franchement est synonyme de nettement, sans hésitation.

3. Adverbe intensif d’un adjectif:

(5)... l'offensive allemande, franchement arrêtée sur le front de notre 4e armée, avait obtenu d'incontestables succès devant notre 5e armée... (Foch, Mémoires, t. 2, p. 146). (6) D'un côté des civilisations franchement autonomes: de l'autre des civilisations où le milieu ne se distingue qu'à travers les complications d'éléments hétérogènes. (Paul Vidal de la Blache, Principes de géographie humaine)

Dans cet emploi, franchement peut être glosé par complètement, tout à fait.

4. Adverbe modalisateur d’énonciation (emploi exophrastique).

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Dans ce dernier emploi, franchement ne fait pas directement partie du contenu propositionnel de l’énoncé et n’a pas de fonction syntaxique identifiable dans la structure de la phrase.

Les dictionnaires généralistes français (de type normatif, comme celui de l’Académie Française ou descriptif comme Le Petit Robert, le Larousse ou le TLF) ne fournissent que les définitions et les explications littéraires de franchement, en s’appuyant sur des exemples forgés par les auteurs ou puisés à la langue écrite.

Mais les dictionnaires ne rendent pas toujours compte (et en tout cas jamais d’une manière détaillée) de l’usage familier ou populaire de la langue, qui évolue en permanence. Ainsi, nous avons trouvé de nombreuses occurrences de franchement dont l’usage n’était pas enregistré par les dictionnaires de langue, mais qui tendent à se généraliser, selon certains auteurs1. En outre, de nombreux témoignages de locuteurs natifs attestent de l’abus qu’on fait à présent, dans le français parlé, des adverbes qui emphatisent la sincérité du locuteur (franchement, vraiment, sincèrement, véritablement, etc.), dont le résultat est la perte de crédibilité.

«Franchement, tu vois je ne regrette pas d’être venu. La franchise qui s’expose ainsi sous le feu de la phrase est-elle aussi sincère qu’elle en a l’air?»

se demande l’auteur du blog www.neotrouve.com, dont nous citons les commentaires en ce qui suit.

«Je crois vraiment qu’il faut réfléchir à la question avant de s’engager tête baissée dans un piège à con. La phrase est délicieuse et frauduleuse à souhait. L’adverbe vraiment y est superflu car il décrédibilise le reste de la phrase. Tous les menteurs vous diront franchement, sincèrement ou vraiment la vérité. Tous les conseilleurs, les charlatans ou les imposteurs abuseront de cette vérité adverbiale pour avaliser leurs manipulations. Vraiment, sincèrement, franchement sont trois adverbes privilégiés dans le discours de tous les simulateurs. « Il y croit vraiment» n’est pas une affirmation renforcée mais un doute annoncé, doublé d’un gros mensonge.» (http://www.neotrouve.com/?p=225)

Sur les problèmes classiquement soulevés par le traitement de la polysémie

(existence ou non d’une identité sémantique subsumant l’ensemble des emplois et valeurs) viennent se greffer des difficultés spécifiques liées au caractère complexe et singulier de ce marqueur discursif.

Nous avons consacré à cet emploi une analyse détaillée, car c’est celui que les dictionnaires de langue traitent, selon nous, d’une manière sommaire et globale, alors que les sens et les fonctions pragmatiques que peut assumer ce marqueur sont très divers et dépendent de plusieurs facteurs contextuels, insuffisamment décrits. L’adverbe de commentaire énonciatif (ou modalisateur d’énonciation) est employé pour caractériser non pas le contenu de la phrase (ce qui est dit), mais l’acte même de la proférer (le fait de dire). Ainsi l’adverbe franchement n’a pas la même interprétation énonciative selon qu’il se greffe sur un acte assertif (il

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caractérise le dire du locuteur) ou interrogatif (il caractérise la réponse attendue de l’interlocuteur) ou encore expressif: (7) Franchement, il a agi comme un lâche. peut être glosé: Je dis franchement [= pour parler franchement] qu’il a agi comme un lâche.

(8) Franchement, tu as lu le roman?

peut être glosé: Dis-moi franchement [= en toute franchise] si tu as lu le roman.

(9) Il y a des gens, franchement! pourrait s’interpréter comme «Je manque d’épithète, tant le comportement de ces gens m’exaspère» Il s’agit donc d’un acte expressif, où franchement fonctionne comme une marque d’intensité.

Les exemples de (1) à (9) montrent que l’un des facteurs de variation est la position de franchement, son insertion dans la séquence verbale, en relation étroite, sur le plan prosodique, avec le caractère détaché ou non.

3. Équivalents roumains de franchement Afin de recenser les équivalents roumains de l’adverbe franchement, nous

avons d’abord consulté des dictionnaires bilingues français-roumain, ensuite analysé les solutions traductives données par les traductions roumaines de quelques livres classiques de la littérature française des XIXe et XXe siècles.

Franchement, adv. 1. (în mod) sincer, deschis, cu francheţe; fără reticenţă; direct, pe faţă. Je vous le dis ~ Vă spun sincer. 2. cu adevărat; cât se poate de. Une comédie ~ gaie- o comedie cât se poate de veselă, amuzantă. (DFR 2008)

Nous allons examiner en ce qui suit les solutions traductives proposées

dans quelques traductions des œuvres de la littérature française moderne et contemporaine, tout en nous référant aux sens recensés par les dictionnaires de langue française. 1. (adv. de constituant, déterminant d’un verbe dicendi): de manière franche, sincère, loyale, sans rien dissimuler - roum. (adv.) sincer, deschis, cu francheţe:

(10) Julien était las de se mépriser. Par orgueil, il dit franchement sa pensée. (Stendhal, Le Rouge et le Noir, p. 304. Lui Julien îi era silă de a se mai dispreţui el însuşi. Din orgoliu, îi spuse deschis la ce se gândea. (Stendhal, Roşu şi negru, p. 313) (11) Ensuite Bouvard lui expliqua le but de sa visite.

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L’abbé ne répondit pas franchement. (Flaubert, Bouvard et Pécuchet, p. 216) După care Bouvard arătă de ce venise. Abatele nu-i răspunse de-a dreptul. (Flaubert, Bouvard şi Pécuchet, p. 220)

2. (adv. de constituant, déterminant d’un verbe d’action): de manière nette; sans hésitation, sans doute possible- roum. (adv.) direct; (fig.) cu hotărâre, cu o mâna sigură:

(12) Ce qu'elle avait de beau, c'étaient les yeux; quoiqu'ils fussent bruns, ils semblaient noirs à cause des cils, et son regard arrivait franchement à vous avec une hardiesse candide. (Flaubert, Madame Bovary, t. 1, p. 15) Ce avea ea frumos erau ochii: cu toate că erau căprui, păreau negri graţie genelor, iar privirea i se adresa direct, cu o îndrăzneală plină de candoare. (Flaubert, Doamna Bovary, p.23) (13) Comme bâton, Pécuchet adopta franchement le bâton de touriste, haut de six pieds, à longue pointe de fer. (Flaubert, Bouvard et Pécuchet) În chip de baston, Pécuchet adoptă cu hotărâre un toiag lung de şase picioare, cu un vârf ascuţit de fier. (Flaubert, Bouvard şi Pécuchet, p.79) (14) Le ton employé et les trames scénaristiques sortent franchement des sentiers battus. http://www.moleskine-et-moi.com/categorie-359012.html Atât tonul, cât si scenariul ies în mod hotărât/ evident din tiparele obisnuite. (notre trad.)

Il est plus rare que franchement déterminant du verbe apparaisse en

position détachée (comme le ME) et c’est au traducteur de relever l’ambigüité éventuelle et de proposer un équivalent adéquat. Dans l’exemple ci-dessous, le traducteur est conscient du fait que franchement ne détermine pas un verbe de parole implicite, mais il caractérise le prédicat verbal (étant un adverbe de manière orienté vers le sujet):

(15) Il y en a qui feignent de s’évanouir, pour qu’on les porte sur un canapé ; d’autres laissent tomber par terre leur mouchoir. Les meilleures vous donnent un rendez-vous, franchement. (Flaubert, Bouvard et Pécuchet) Unele se prefac că leşină, ca să fie duse pe o canapea; altele lasă să le cadă batistă la picioare. Cele mai binevoitoare îşi dau o întâlnire, pur şi simplu. (Flaubert, Bouvard şi Pécuchet, p. 157)

3. Adv. de constituant, déterminant d’un adjectif ou d’un participe passé [avec une valeur d'intensité] complètement, tout à fait- roum. cu adevărat, cât se poate de:

(16) La fourmi est franchement, fortement républicaine. (J. Michelet, Insecte, p. 357) Furnica este cât se poate de republicană. (notre trad.)

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(17). L'offensive allemande, franchement arrêtée sur le front de notre 4e armée, avait obtenu d'incontestables succès devant notre 5e armée... (Foch, Mémoires, t. 2, p. 146.) Ofensiva germană, oprită hotărât pe front de armata a patra, obţinuse succese incontestabile în faţa celei de-a cincea… (notre trad.)

Pour ce qui est des emplois pragmatiques de franchement, les dictionnaires ne prévoient pas de rubrique séparée; le ME est assimilé à l’adverbe de constituant, déterminant du verbe ou de l’adjectif. Pourtant, ses propriétés syntaxiques et ses valeurs sémantico-pragmatiques, nettement distinctes de celles de l’adverbe intraprédicatif, en recommandent un traitement séparé. Mais en fait, les dictionnaires ne pourraient jamais rendre compte de tous les sens et les valeurs de franchement, parce que des critères qui tiennent au contexte discursif et situationnel interviennent de manière obligatoire dans l’analyse. Le traducteur devra tenir compte, dans la traduction du ME franchement, de facteurs complexes comme: le type d’intervention où il apparait (initiative ou réactive), la modalité d’énonciation (assertive, interrogative ou exclamative), la présence du constituant négatif, le type d’acte de langage où il s’insère et le registre de langue utilisé.

a. Franchement + ASSERTION

Roum. (adv.) sincer (vorbind), pe cinstite, pe bune, pe onoarea mea, zău.

(18) Franchement, je ne souhaite pas que ces éléments figurent dans mon procès-verbal. (Salvayre L., La Puissance des mouches, Frantext) Sincer, nu doresc ca aceste lucruri să apară în procesul meu verbal. (notre trad.) (19) Et que j'ai été surprise et contente que ce fût vous. Il y avait une chance sur un million. Ou peut-être un peu plus: parce que, franchement, vous n'avez pas le type russe. (Ormesson, J. d’, Le bonheur à San-Miniato, Frantext) Şi am fost surprinsă şi încântată că ai fost tu. Era o şansă la un milion…sau poate ceva mai multe, pentru că, să spun sincer/sincer vorbind, nu ai fa�ă de rus. (notre trad.) (20) Quant à la tante Rose, elle déclara tout net: – Moi, ici, ce qui me manque c’est le Gaz. Franchement, je languissais de partir, à cause du Gaz! (Pagnol M., Le château..., p.81) Iar în ce o priveste pe mătuşa Rose, ea declară sus şi tare: – Ce-mi lipseşte mie aici, este gazul. Sincer, îmi era dor de casă, din cauza

gazului. (21) Béru est un pourceau. Un bœuf. Un taureau lubrique. Mais franchement, c’est pas le mauvais cheval. (San-Antonio, Mets ton doigt où j’ai mon doigt, p.25) Bérurier este un porc. Un bou. Un taur lubric. Dar, pe bune, nu este un tip rău. (notre trad.) (22) – Pas la peine, Gros, je n’ai pas très faim après tout…

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– Vous avez tort, m’avertit la veuvasse Bouffie, elles sont excellentes; franchement, je suis pas prête à oublier cette soirée. (San-Antonio, Œuvres complètes, Frantext ) – Lasă, Grasule, oricum nu prea îmi mai e foame… – Greşiţi, mă avertiză vaduva stafidită, [stridiile] sunt excelente; sincer/pe cinstite, este o seară memorabilă. (notre trad.) (23) […] Elle est sûrement une femme très bien, mais à l’avenir, mon cher, lorsque vous sortirez votre piège à filles, veillez donc à garder votre langue. Ahuri, Charles répliqua: – Franchement, monsieur, je ne vois pas à quoi vous faites allusion. (Cauzmann, J. La horde d’or, Frantext) – Este cu siguranţă o femeie foarte frumoasă, dar pe viitor, dragul meu, când vei mai ieşi la agăţat, ai grijă să-ti păzeşti gura. (notre trad.) Confuz, Charles răspunse: – Pe onoarea mea/zău, domnule, (că) nu înteleg la ce vă referiţi. (notre trad.) (24) – Et toi t'aimes bien l'économie soviétique? Tu crois que ça m'angoisse pas? Eh bien non, tu vois, je suis content pour toi... Mais franchement, c'est pas plus glorieux pour autant. (Rochant Éric, Un monde sans pitié, Frantext) – Ţie îţi place cum merge economia sovietică? Crezi că pe mine nu mă îngrijorează? Ei bine, după cum vezi mă bucur pentru tine…dar zău, nu e cu nimic mai grozav din cauza asta. (notre trad.) (25) Cette histoire était absurde, et je décidai de ne pas y croire; je fis donc appel à quelques-uns des mots favoris de mon grand-père: – Franchement, dis-je, je te trouve bien bête de me raconter ces préjugés, qui sont de la superstition. Le fantôme, c’est l’imagination du peuple! (Pagnol M., Le château..., p. 111) Povestea era absurdă si hotărâi să n-o cred ; apelai atunci la una din expresiiile favorite ale bunicului: – Zău, îi spusei, eşti un mare prost să-mi povestesti asemenea tâmpenii, care nu sunt altceva decat superstiţii. Fantomele nu există decât în imaginatia populară! (notre trad.) (26) Pour savoir où s’établir, ils passèrent en revue toutes les provinces. Le Nord était fertile, mais trop froid; le Midi enchanteur par son climat, mais incommode vu les moustiques, et le Centre, franchement, n'avait rien de curieux. (Flaubert, Bouvard et Pécuchet, p.22) Căutând locul cel mai potrivit, luară pe rând toate provinciile. Cele din nord erau mănoase, dar aveau o climă prea rece; cele din sud aveau o climă minunată, dar aici te mâncau ţânţarii de viu, iar cele din centrul Franţei erau cu totul lipsite de pitoresc. (Flaubert, Bouvard şi Pécuchet, p. 24) (27) Tout en se promenant, on se permit des critiques. – À votre place, j’aurais fait cela. Les petits pois sont en retard. Ce coin, franchement, n’est pas propre. (Flaubert G., Bouvard et Pécuchet, p.48) În timp ce se plimbau de colo-colo, oaspeţii îşi îngăduiră unele critici:

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– Eu unul aş fi procedat altfel. Mazărea a rămas mică. Cotlonul ăsta nu prea-i în ordine. (Flaubert, Bouvard şi Pécuchet, p. 51) (28) Marescot souriait devant les objets d’une façon dédaigneuse. Il ne comprenait pas cette galoche qui avait été l’enseigne d’un marchand de chaussures, ni pourquoi le tonneau de faïence, un vulgaire pichet de cidre, et le Saint-Pierre, franchement, était lamentable avec sa physionomie d’ivrogne. (Flaubert, Bouvard et Pécuchet, p.91) Marescot surâdea în faţă tuturor acelor obiecte într-un chip dispreţuitor. Nu înţelegea ce caută aici acest galenş ce slujise cândva drept firmă a unui negustor de încălţări, nici butoiaşul de faianţă, ce nu era decât o biata cană din care se bea cidru, iar Sfântul Petru era pur şi simplu jalnic, cu mutra lui de beţivan (Flaubert, Bouvard şi Pécuchet, p. 94) Dans l’exemple ci-dessus le traducteur semble ne pas avoir remarqué que

franchement était utilisé comme ME caractérisant le discours intérieur du personnage et le traduit par pur şi simplu, comme s’il était un caractérisant de l’adjectif lamentable. Nous croyons qu’une solution plus adéquate et plus expressive, capable de rendre compte tant de la valeur pragmatique du ME que du registre de langue, aurait été de le traduire par era lamentabil, zău, cu mutra lui de beţivan.

b. Franchement + INTERROGATION La question-appel d’information (l’ajout de franchement est un appel explicite à la sincérité de l’interlocuteur). Roum. sincer, (spune) cinstit, serios, pe bune, zău aşa.

(29) Tirant brusquement ses lunettes de sa poche, il les mit et s’approcha de Philippe qui était resté debout, le fixant dans les yeux: – Franchement, de vous à moi, étiez-vous au courant? De nouveau, Philippe hésita. Il dit pourtant: – Depuis quelque temps, oui. (Droit, M., Le Retour, p. 109) Scoţându-si brusc ochelarii din buzunar, şi-i puse şi se apropie de Philippe care rămăsese în picioare şi-l întrebă privindu-l drept în ochi: – Sincer, între noi doi, eraţi la curent? – Da, de ceva vreme. (notre trad.) (30) – Pourquoi, mais pourquoi, grand Dieu, tenait-il absolument à ce que je le regarde opérer? Pour se donner du courage? Pour que quelqu’un «du métier» puisse témoigner ensuite qu’il y a eu indiscutablement suicide? – Non, franchement, t’as pas une idée? (San-Antonio, Œuvres complètes VI, Frantext) – De ce, dar de ce Dumnezeului ţinea el neaparat să-l asist la operaţie? Ca sǎ-şi facǎ curaj? Sau pentru ca cineva «de meserie» sa poatǎ depune mǎrturie apoi cǎ a fost sinucidere? – (Nu), pe bune, n-ai nicio idee de ce? (notre trad.)

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(31) – Non mais franchement, Doudou, est-ce que je suis vieille? – Non, mademoiselle Rakoff. (Queffélec Yann, Les Noces barbares, p. 224) – Spune cinstit, Doudou, sunt bătrână?

– Nu, Domnişoară Rakoff. (Queffélec Yann, Nunţi barbare, p. 227) (32) – N'en crois rien, mal élevé. Tu te trompes, toi, l'infaillible, aux manifestations de ma politesse. Voyons, franchement, veux-tu que je gronde aux mollets de ses amis à lui, de ses amis à elle? (Colette, Sept dialogues de bêtes, Frantext) – Nu-ţi mai închipui nimic, prost crescut ce esti! Te înseli, mai desteptule, asupra manifestarilor politetii mele. Zău aşa, vrei să latru la picioarele prietenilor lui sau ale prietenilor ei? (notre trad.) (33) – Ah! Voilà! vous lui avez promis! et promis quoi? Franchement, madame, qu' est-ce que vous venez faire là-dedans? – Pas si haut, Vial, la divine dort dans la cabane de la vigne... la petite Clément m'a dit que l’an dernier, ici même, vous aviez échangé des paroles […] (Colette, La Naissance du jour, p. 140) (34) – Ei, asta-i bună! I-aţi promis! Şi ce i-ati promis, mă rog? Serios, doamnă, în ce m-aţi băgat? – Mai încet, Vidal, divina doarme în cabana de lânga vie…micuţa Clément mi-a spus că anul trecut, chiar aici, aţi schimbat anumite cuvinte. (notre trad.) La question-appel d’adhésion:

(35) De tous nos royaumes d'Orient, il ne nous reste que celui d'Antioche! De toutes nos glorieuses armées, il ne nous reste que cette bande d'éclopés pris au piège de Menzalé! Franchement, templier, ne crois-tu pas qu'il y a quelque chose de pourri au royaume de Dieu? (Lanzmann, J., La horde d’or, Frantext) Dintre toate regatele Orientului, nu ne-a mai rămas decât cel al lui Antiochus! Dintre toate armatele noastre glorioase, nu mai avem decât şleahta asta de prăpădiţi prinşi în capcana la Menzalé! Sincer/zău, templiere, nu crezi că e ceva putred în regatul Domnului? (notre trad.) Dans certains cas l’équivalence de franchement ME s’avère difficile, de

sorte que le traducteur peut opter pour la traduction zéro:

(36) Des auteurs exaltent, comme plaisir, un déjeuner champêtre, une partie de bateau; était-ce praticable, franchement? (Flaubert, Bouvard et Pécuchet, p.229) Unii autori socotesc că nimic nu-i poate recrea mai bine pe elevi decât un prânz la iarbă verde sau o plimbare cu barca; în cazul lor, soluţia era impracticabilă. (Flaubert, Bouvard şi Pécuchet p. 232) Franchement? (appel de confirmation)

(37) – Nous n'étions pas des voyous. Il faudrait quand même qu'on se mette bien

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ça en tête. Nous n'étions pas non plus des illuminés. Il se tourna brusquement vers Hervé, lui saisit le bras. – Franchement? – Oui, bien sûr, accorde Hervé. (Boileau-Narcejac, Les intouchables, Frantext) – Nu eram nişte derbedei. Cred că trebuie să ne băgăm bine în cap asta. Nu eram însă nici iluminaţi. Se întoarse brusc spre Hervé, apucându-i braţul. – Crezi? – Da, desigur, întări Hervé. (notre trad.) c. Franchement+ EXCLAMATION Dans les années ‘70, le comédien français Coluche avait rendue célèbre

l’expression Non mais franchement, faut pas déconner! Marque expressive de l'émetteur en direction du récepteur questionnant sa

franchise, ou en direction de lui-même pour se nier la logique de ce qui est, non mais franchement peut avoir plusieurs interprétations. Le contexte situationnel sur lequel repose cette expression et sa visée illocutoire sont décisifs pour son interprétation adéquate. Selon la situation, cette expression peut signifier: 1. non (refus) mais (concession) franchement (mise en doute de la franchise/de la bonne foi de l’énonciateur/de l’interlocuteur) Ex: émission-débat pendant laquelle des chiffres erronés sont diffusés. Prosodie: accentuation forte sur la première syllabe ou la dernière syllabe. Roum. Nu zău! 2. elle exprime la contrariété du locuteur devant une situation incongrue Ex.: Une mère regarde son fils utiliser le toboggan à l'envers. Prosodie: accentuation douce sur la première syllabe ou dernière syllabe. Roum. Ei, hai! Zău aşa! Souvent après Non mais franchement! on ajoute un argument: Tu n'as pas honte!

(38) Tu as vu cet idiot, non mais franchement, il se prend pour qui pour se conduire ainsi! (interview native française) Uite şi la cretinul ăsta! Zău, cine se crede sǎ se poarte în felul ǎsta?! (notre trad.) (39) Non mais franchement, il m’est impossible d’aller à ta fête, c’est le jour du déménagement de ma fille, n’insiste pas! (interview native française) (Nu), serios, mi-e imposibil sǎ vin la petrecerea ta, trebuie sǎ o ajut pe fata mea cu mutarea, nu insista! (notre trad.) Ces exemples nous ont été fournis par des locuteurs natifs, mais il y a

également de nombreuses occurrences de Non mais franchement! sur le www, preuve que cette expression est devenue assez courante en français contemporain. En voici un exemple plus long, mais intéressant parce qu’il explicite le contexte:

(40) Ne me restait plus qu’à m'enquérir des raisons de la colère du bon monsieur Momo. Je n’eus même pas à demander... ‘Non mais franchement, vous allez pas

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m’dire que c’est normal pour une fille de son âge... Ah c’est pas comme ça qu’elle va s’trouver un homme à marier, c’est sûr! Déjà qu’elle met jamais des robes et des trucs jolis, voilà qu’hier elle me revient à la maison avec les cheveux coupés comme un garçon. Et sa mère, ben elle dit rien, elle trouve ça joli! Vous allez pas me dire non?...’ http://www.les-femmes-aux-cheveux-courts.com/article-non-mais-franchement-107948169.html

Ce qui nous semble le plus adéquat dans l’exemple ci-dessus, c’est de traduire par Zău aşa! qui rend le sens de colère et de contrariété exprimé dans Non, mais franchement P!

4. Conclusion Il résulte de notre recherche les conclusions suivantes: L’adverbe franchement est très polysémique (lisez polyfonctionnel) en

français contemporain et cette complexité de sens et d’emplois peut poser des difficultés au traducteur qui manque d’expérience ou d’un fin sens de la langue. Il peut connaître des emplois endophrastiques ou intraprédicatifs (incidence au verbe ou à un autre constituant de la phrase) ou des emplois exophrastiques (portée sur l’énonciation). C’est à ce dernier emploi de franchement que nous avons consacré une analyse détaillée dans la première partie de notre étude. Cette approche du ME franchement, ancrée dans les dimensions pragmatique et énonciative des usages de la langue, a essayé de mettre un peu d'ordre dans ce «maquis» des faits modaux dont les dictionnaires rendent bien mal compte. La modalisation que l’ajout de franchement produit est une opération qui peut affecter la dimension illocutoire des énoncés, leur prise en charge énonciative, ainsi que la mise en propos.

En employant le ME franchement dans son discours, le locuteur engage sa sincérité et sa responsabilité énonciative. Son utilisation n’est jamais gratuite, les enjeux rhétoriques en sont considérables.

En ce qui concerne l’équivalence de franchement en roumain, nous avons constaté que, dans la plupart des cas, les traducteurs ont eu recours à un ou plusieurs équivalents synonymes qui prédomine(nt), quels que soient la nature des termes auxquels l’adverbe franchement se rattache (adjectif, verbe, etc.) ou si franchement est employé comme adverbe de phrase ou l’adverbe de constituant.

Notes

1 v. Caroline et Joseph Messinger, 2005, Les mots qui polluent, les mots qui guérissent, Paris: Flammarion.

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Sources des exemples

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Traductions

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LA RÉSISTANCE EN TRADUCTION: UNE NUIT ORAGEUSE DE ION LUCA CARAGIALE,

ADAPTÉE EN FRANÇAIS PAR EUGÈNE IONESCO ET MONICA LOVINESCO1

Monica IOVĂNESCU, Anda RĂDULESCU

Université de Craiova

Résumé Notre article se propose de montrer quelques difficultés que les traducteurs des pièces de théâtre de Ion Luca Caragiale doivent surmonter, dont les noms propres, les épithètes dépréciatives et les altérations phonétiques des mots français utilisés par les personnages d’Une nuit orageuse. Tous ces éléments relèvent de l’«intraduisible» parce qu’en effet ils sont résistants en traduction et le traducteur doit trouver des procédés de compensation pour rendre, au moins partiellement, le même effet de style dans la langue étrangère. La conclusion de notre étude est que les barrières culturelles sont franchies grâce au talent et au bon maniement du français d’Eugène Ionesco et de Monica Lovinesco, les deux traducteurs s’avérant être non seulement des «passeurs de mots», mais aussi de fins connaisseurs du public auquel ils s’adressent, ayant vécu tant d’années en France. Abstract Resistance in Translation: A Stormy Night by Ion Luca Caragiale, Adapted into French by Eugène Ionesco and Monica Lovinesco Our study is intended to present some of the difficulties that the translators of Ion Luca Caragiale’s plays face when translating them into French, such as proper names, depreciatory epithets and phonetic alterations of French words pronounced by the characters in A Stormy Night. All these aspects actually refer to the “untranslatable”, as they resist in translation and translators are obliged to find compensatory solutions in order to transfer the same style effect into the foreign language. We concluded that, in this case, cultural barriers are not insuperable thanks to the talent of Eugene Ionesco and Monica Lovinescu, who were not mere “passeurs de mots” but accomplished writers versatile in language subtleties and connoisseurs of the reading public they translated for, as they had lived in France for so long. Mots-clés: résistance, compensation, adaptation, équivalence, traduction littérale. Keywords: resistance, compensation, adaptation, equivalence, literal translation.

1. Préliminaires Le point de départ de notre recherche porte sur l’affirmation du critique

littéraire roumain Nicolae Manolescu qui considère que certains écrivains, dont Ion Luca Caragiale et Ion Creangă, ne passent pas bien en traduction, même traduits

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par des bilingues, écrivains eux aussi. Pour Nicolae Manolescu cette «intraduisibilité» touche non seulement les expressions stéréotypées qui portent la marque d’une époque, mais aussi la résistance culturelle de certaines structures spécifiques au roumain, que les traducteurs se contentent d’«adapter» en français. C’est pourquoi nous nous proposons de les examiner dans la perspective de leur réception par le public francophone, plus ou moins accoutumé aux réalités socio-culturelles de la Roumanie de la seconde moitié du XIXe siècle.

Notre analyse est focalisée sur plusieurs aspects linguistiques et stylistiques de cette pièce de théâtre:

– la traduction en français des noms propres (de personnes, de localités, de rues, de publications, de fêtes religieuses) et des épithètes dépréciatives qui, dans bon nombre de cas, sont employées aussi comme formules d’adresse et où l’on enregistre les plus grands écarts entre les deux langues;

– les altérations phonétiques subies par les mots français utilisés par les personnages de Caragiale, relevant d’un évident manque de culture et du désir des petites gens d’imiter le beau monde et de dépasser leur condition sociale (musiu / m’sieur, rezon / raison, pamplezir / pour mon plaisir, sanfason / sans façons, alevoa / au revoir, etc.), qui, repris en français, mais sous leur forme correcte, entraînent des pertes stylistiques évidentes;

– les procédés de traduction et de compensation utilisés par les deux traducteurs, allant de l’adaptation phonétique, de la traduction littérale, jusqu’à la modulation et à l’équivalence, afin de restituer l’atmosphère générale de l’époque, l’humour et le sarcasme inégalables du dramaturge.

2. Difficultés de traduction et procédés traductifs Les problèmes soulevés par la traduction des pièces de Caragiale relèvent

des structures lexicales propres au roumain (formules d’adresse, noms connotés culturellement), mais surtout de la difficulté de re-créer en français l’atmosphère du faubourg bucarestois de l’époque de Caragiale, à la fin du XIXe siècle, à travers le parler des petits marchands qui avaient un niveau bas d’instruction, mais qui voulaient imiter le parler des aristocrates, l’un des principaux ressorts de l’humour chez Caragiale.

La première de cette pièce a eu lieu le 18 janvier 1879, au Théâtre National de Bucarest, immédiatement après la guerre russo-turque de 1877-1878, suite à laquelle la Roumanie a obtenu son indépendance. C’est la période où l’influence ottomane et russe diminue dans les Principautés roumaines qui s’ouvrent vers la France, dont la culture avait déjà attiré les intellectuels roumains. Les nobles envoient leurs enfants faire des études aux grandes universités françaises. De retour, ils se servent du français comme d’une deuxième langue maternelle. Leur parler devient une sorte de marque d’instruction et d’aristocratie, c’est pourquoi les habitants des faubourgs bucarestois s’efforcent de les imiter pour se mettre en valeur et pour se donner l’illusion d’un statut social supérieur.

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C’est cette façon de mélanger les niveaux de langue (langue de la périphérie truffée de mots relevant d’un registre populaire et familier et mots français écorchés) qui font la saveur des pièces de Caragiale et constitue en même temps l’une des sources de son comique de langage. Mais, en même temps, ce mélange constitue un obstacle que le traducteur doit franchir, d’autant plus que certaines combinaisons ont un caractère répétitif, stéréotypé, auxquelles il se sent obligé de varier les solutions de traduction afin d’exploiter la richesse du français. Les formules mémorables de Caragiale, celles qui se sont fixées dans la mémoire du public roumain à travers des générations, ont droit à une traduction littérale, comme c’est le cas des tautologies (întâiaşi dată pentru prima oară / au début et pour la première fois).

2.1. Les noms propres Selon Michel Ballard (2001: 11), le nom propre est «une sorte de degré

zéro de la représentation, un simple signe à l’écorce exotique faisant partie du réseau de la couleur locale dans le texte traduit». Il a une fonction de repère culturel, fait partie d’un réseau spécifique et joue le rôle d’identificateur ethnique. C’est pourquoi, le «traduire», lui trouver un équivalent ou l’adapter dans une autre langue serait, dans la plupart des cas, un choix risqué de la part du traducteur, parce qu’il gomme ainsi les origines et l’ancrage du texte.

2.1.1. Les anthroponymes En effet, d’une simple lecture des prénoms des personnages d’Une nuit

orageuse on peut constater qu’ils sont soit d’origine grecque (Dumitrache / Dumitraké, Ziţa / Zitza, Chiriac / Kiriak, Spiridon / Spiridon) ou turque (Ipingescu / Ipingesco). Le seul nom propre qui reflète la «modernité» est celui de Rică Venturiano, dont le nom de famille suggère l’aventure et l’esprit aventurier du jeune journaliste. Les traducteurs ne lui proposent pas d'équivalent traduit, ce qui en ferait un sobriquet (Rica l’Aventureux / l’Aventurier) et la sonorité italienne passe en français comme en roumain. Par ailleurs, certains en sont des diminutifs, ayant une fonction hypocoristique. Ainsi, Dumitraké est formé à l’aide du suffixe grec –aki, toujours à valeur de diminutif, tout comme d’autres prénoms abrégés d’hommes (Rică2, Naé3) et de femmes (Zitza4, Véta5), valeur perdue en français.

Les procédés dont se servent les deux traducteurs pour rendre ces noms typiques pour la banlieue bucarestoise du XIXe siècle n’arrivent pas toujours à produire le même effet sur les lecteurs / spectateurs francophones et, par conséquent, une partie de la valeur stylistique de la pièce se perd en traduction.

Le recours à des diminutifs est un procédé courant du parler familier et populaire. Cependant, le traducteur n’a pas de choix dans ce cas, parce qu’il ne peut surtout pas substituer les noms propres roumains par des «équivalents» français, car cette acclimatation se heurterait «à des frontières qui sont la frange de que qu’on appelle «'l’intraduisible», l’irréductible altérité» (Ballard, 2001: 19).

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C’est pourquoi Ionesco et Lovinesco optent pour la transcription phonétique6 des mots roumains, une forme de report, dans la tentative de préserver la prononciation roumaine en français7:

prăvălia lui Bursuc (p.48) / la boutique à Boursouc8 (p.14) Tache Pantofarul (p.49) / Také le Savetier (p.15) Ghiţă Ţircădău (p.59) / Ghitza Tzircado (p.28) Il est à remarquer une licence des traducteurs dans le transfert du nom

popa Zăbavă (p. 49) / (trad. litt. le pope Retard ou Tergiversation), rendu par père Espère (p.16), peut-être pour des raisons d’euphonie avec les mots père et Rigobert.

Le seul sobriquet qui apparaît dans Une nuit orageuse, porté par jupân Dumitrache / le patron Dumitraké, est Inimă Rea (trad. litt. Cœur Méchant), transféré en français par une modulation, Dumitraké Cœur de Pierre.

2.1.2. Les noms des saints Dans la pièce figurent cinq noms de saints: Ion (p.46), Ilie (p.46), Nicolae

(p.51), Elefterie (p.49) et Andrei (p.72, 79). Si dans le cas des trois premiers la traduction par correspondants (Jean (p.11), Elie (p.11) et Nicolas (p.18) ne pose pas de problèmes, dans le quatrième cas, l’équivalent du saint roumain Elefterie constitue une licence des traducteurs, le saint Rigobert (p.15), ancien archevêque de Reims (630-743), fêté le 4 janvier par les catholiques, ne semblant pas satisfaire l’univers d’attente des francophones qui, à notre avis, ignorent son existence dans leur calendrier. Quant au dernier saint, André, il existe également dans le calendrier catholique, fêté le 30 novembre, tout comme chez les orthodoxes. Mais, les traducteurs y opèrent une métonymie, et se servent du nom de la fête de la Sainte Barbe (à la Sainte Barbe, p.44; Sainte Barbe, continuez à me sauver, p.52), célébrée le 4 décembre en Provence et en Alsace, qui évoquait la fécondité de l’année agricole suivante. La Sainte Barbe est aussi la patronne des pompiers et des mineurs et n’a rien à voir avec le Saint André; dans la tradition des orthodoxes on sème du blé dans une coupelle la nuit du Saint André pour voir s’il germe bien et s’il ne pourrit pas, signe de prospérité et de bonheur pour les membres d’une famille.

2.1.3. Les toponymes

En général, les toponymes font l’objet d’une traduction complète9 ou d’une traduction minimale sous forme de transcription phonétique-assimilation10, etc.

Dans cette pièce de Caragiale les toponymes sont d’habitude liés aux noms propres de personnes ou de saints. Ainsi, Dumitraké, sa femme Véta et sa belle-sœur Zitza se font suivre par Rica Venturiano dans la rue Sfântul Ionică (apucăm pe la Sfântul Ionică11 (p.46)) / on s’engage dans le passage du Petit Saint-Jean (p.11), puis passent par Sfântul Ilie în Gorgani (p.46) / la rue de Saint-Elie12 de

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Gorgane (p.11), noms des saints traduits littéralement en français. Lorsque les toponymes ne sont pas trop culturellement marqués et font partie d’un univers commun de connaissances, les traducteurs utilisent la traduction littérale (par ex. pe Podul de Pământ (p.46) / en direction du Pont de Terre (p.11)).

La même traduction littérale, doublée de la substitution d’un nom commun (vodă / prince régnant) par un nom propre, surnom d’un personnage historique (Viteazul / Le Brave) est utilisée pour rendre en français le nom d’une autre rue, Michel le Brave, un prince régnant roumain qui, en 1600, a réussi, pour une courte période, à réunir les trois principautés roumaines:

[…] mergem pe la Mihai-vodă13 ca să apucăm spre Stabilament14 (p.46). […] On entame sur Michel le Brave pour aboutir en direction de l’Établissement Central. (p.11)

La rue portant le nom du célèbre empereur romain Marc Aurèle est

volontairement déformée en français, Marc Aulère, par une métathèse, pour garder l’altération phonétique de ce nom en roumain. Malheureusement, les lecteurs / spectateurs français qui ne connaissent pas le roumain ne se rendent pas compte qu’à la base de ce nom déformé en roumain se trouve l’interjection aoleu, dont les équivalents contextuels français sont hélas, mon dieu, aïe, la source de l’humour se perdant en français, faute d’une note en bas de page.

[…] pe strada lui Marc Aoleriu ori Catilina (p.47). […] rue de Marc Aulère ou de Catilina (p.14)

De même, on enregistre une perte en traduction de la connotation culturelle

du syntagme a lua pe Sfântul Nicolae din cui15 (p.51) / Saint Nicolas qui t’attend… (p.18). La date de la célébration de ce saint est identique chez les orthodoxes et chez les catholiques – le 6 décembre. Ce saint apporte des friandises aux enfants, mais, dans la tradition orthodoxe, il apporte aussi des fouets aux enfants désobéissants ou méchants. Or, Spiridon, l’apprenti du commerçant en bois Dumitraké, fume en secret, c’est pourquoi son patron le punit assez souvent en lui appliquant de coups de fouet (le fouet de Saint Nicolas).

Parfois, les traducteurs optent pour la neutralisation d’un toponyme faisant partie d’une expression idiomatique comme a auzi câinii prin Giurgiu (p.45), trad. litt. entendre les chiens dans (la ville de) Giurgiu. Cette expression ne dit rien aux francophones, qui, en plus, ignorent la position géographique de cette ville roumaine située au bord du Danube. C’est pourquoi les traducteurs ont remplacé le toponyme Giurgiu par une expression plus générale, faire hurler les chiens à l’autre bout du monde (p.11). L’expression roumaine s’utilise d’habitude pour une correction dont la conséquence est une illusion auditive (un tintement des oreilles qui ressemble aux aboiements des chiens). Dans sa Stylistique, le linguiste roumain Iorgu Iordan 1975: 128 considère que la correction que Dumitraké aurait appliquée au «bagabond» (p. 9) aurait poussé celui-ci à crier si fort que même les chiens d’un endroit lointain l’auraient entendu.

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De même, Dealul-Spirii16 (p.46), quartier situé dans le Ve arrondissement à Bucarest, connu également sous le nom de la colline de l’Arsenal, devient en traduction le quartier de la colline (p.12), dénomination plus «neutre», plus facile à comprendre par les étrangers.

Parfois, les deux traducteurs se servent d’un équivalent pour rendre des réalités administratives différentes. Les Roumains du XIXe, qui avaient vécu des siècles sous l’influence des Turcs, utilisaient encore le mot agie / préfecture (în dosul Agiei (p.46) / derrière la Préfecture (p.11)) pour désigner l’organe administratif chargé avec le maintien de l’ordre public, équivalent fonctionnel d’une préfecture.

2.1.4. Noms de publications et de restaurants Dans la traduction du nom du journal où écrit Rica Venturiano, Vocea

patriotului naţionale (p.53), les deux traducteurs utilisent une traduction littérale, solution très commode, d’autant plus que sa résonance prétentieuse constitue une source du comique de Caragiale: La voix du patriote national (p. 20). Le même procédé est utilisé pour rendre en français le nom du restaurant Iunion (p. 46), l’Union Nationale17 (p.12), où Dumitraké amène assez souvent sa femme Véta et sa belle-sœur Zitza, non seulement pour les plats et la boisson qu’on y sert, mais aussi pour le spectacle de revue. Il faut également remarquer qu’en roumain le dramaturge utilise Iunion, prononciation déformée du nom français union, justement pour se moquer des prétentions de culture de ces banlieusards bucarestois.

2.2. Les appellatifs Par appellatifs ou termes d'adresse on entend des expressions dont dispose

le locuteur pour désigner son / ses allocutaire(s) (Kerbrat-Orecchioni, 1994: 15). Ces expressions ont une double valeur: d'abord déictique, parce qu'elles expriment la 2-ème personne, référant au destinataire du message et ensuite relationnelle, parce que par leur intermédiaire on établit un type particulier de lien social. Les appellatifs18 fixent l'axe locuteur / allocutaire et marquent la fonction conative, d'orientation vers l'interlocuteur. Dans chaque langue, ils s’organisent dans un système complexe de marqueurs relationnels de nature diverse, en fonction des types de contacts interpersonnels établis entre les locuteurs, de la proxématique, des niveaux de langue et des actes de langage impliqués dans l'échange.

Selon Kerbrat-Orecchioni, 1992: 34 «dans bien des sociétés, le système linguistique est ainsi fait que sa mise en discours entraîne automatiquement l'indexation sociale mutuelle des interlocuteurs».

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2.2.1. Appellatifs adressés aux hommes

Dans la pièce, les appellatifs utilisés pour s’adresser aux hommes ont tous

des correspondants directs en français. Ils servent à plusieurs buts: – établir une relation hiérarchisée employé - employeur (Ia, na, jupâne,

poftim (p.51) / Là, patron, les v’là. (p.19)); – marquer l’appartenance à une certaine catégorie sociale, en imitant, sous

une forme approximative et déformée, l’appellatif français monsieur ou m’sieur (musiu / monsieur). Il faut souligner qu’à chaque fois qu’apparaît cette formule d’adresse en roumain, accompagnée ou non de son correspondant roumain domnule / monsieur, celui-ci relevant de la langue standard, les traducteurs renforcent la valeur dépréciative de l’adressé ou de la personne dont on parle: Musiu, domnule, m-ai nenorocit… (p.71) / Maladroit! Monsieur, vous m’avez mise dans le pétrin ! (p.44); Ce pofteşti, mă musiu? (p.47) / Qu’est-ce qu’il y a pour votre service, monsieur espèce de salaud? (p.14);

– exprimer un rapport de rapprochement, de familiarité ou de complicité entre l’adressant et l’adressé, qui d’habitude est une personne plus âgée de sexe masculin. Ainsi, l’appellatif familier nene, est rendu, selon la situation de communication, par m’sieur (... ştii dumneata, nene Nae, cum sînt cocoanele... (p.86) /vous savez bien, m’sieur Naé, comment sont les dames (p.60)) ou par tonton, hypocoristique à valeur affective, créé tout comme en français par le redoublement de la syllabe, appellatif utilisé par Zitza lorsqu’elle parle avec son beau-frère (Nene, moartă, tăiată, nu mai stau cu mitocanul, scapă-mă de pastramagiu (p.50) / Tonton, tue-moi, coupe-moi en morceaux, je n’en veux plus vivre avec le malotru, sauve-moi, tire-moi d’entre les pattes de ce chiffonnier (p.17));

– expliciter un rapport de parenté. Ainsi, Dumitraké s’adresse au journaliste Rica Venturiano, épris de Zitza, par l’appellatif cumnate (p.86) / beau-frère (p.60), même si celui-ci n’est pas encore marié à la jeune femme. Dans d’autres cas, on se sert en roumain de l’appellatif frate / mon vieux (...de ce nu spui aşa, frate? (p.81)/Fallait le dire plus tôt, mon vieux! (p.61)), qui n’est qu’un stéréotype verbal, les protagonistes n’ayant pas de relation de parenté; parfois frate est traduit par le même m’sieur (...Tii! frate Nae, să fi fost el aici... (p.45) / Oh là, m’sieur Naé, s’il avait été là... (p.11)); le même appellatif, mais sous sa forme diminutive, frăţico, est employé par Véta pour s’adresser à son mari: Ei! Toate bune, frăţico, dar noi nu dormim în noaptea asta? (p.86) / Tout ça c’est parfait, mes enfants, mais on ne dort pas cette nuit? (p.60);

– ponctuer une relation affective entre deux hommes (Dumitraké s’adresse à Kiriak, avec une affection paternelle, en l’appelant puiule / mon petit, mon fils, mon garçon: Chiriac, puiule, ia vezi de ce am vorbit (p.66) / Kiriak, mon petit, rappelle-toi ce que nous avons dit (p.37); Maţe-fripte, Chiriac, puiule, l-am văzut din uliţă pe fereastră aici în casă (p.75) / Tripes-creuses, Kiriak, mon fils, je l’ai vu de la rue, il était là, à la fenêtre… (p.48); Ce-i, Chiriac, puiule? Ce-i, Veto? (p.85) / Qu’est-ce qu’il y a, Kiriak, mon garçon? Qu’est-ce qu’il y a, Véta? (p.59)),

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ou entre une femme et un homme (Véta s’adresse à son amant Kiriak par le même appellatif: Du-te, puiule, du-te (p.67) / Va, mon chéri, va… (p.38))

2.2.2. Appellatifs adressés aux femmes Les appellatifs adressés aux femmes sont moins nombreux que ceux

adressés aux hommes. En fait, il n’y en a que trois: – cocoană / madame (p.43) ou m’ame (p.31) avec la forme abrégée coană,

adressé à une femme de boyard ou à une dame élégante; – ţaţo (p.59) / ma chère, ma bonne (p.28), avec sa variante diminutive

ţăţico (p.58) / frangine (p.26), adressée d’habitude à une femme plus âgée de la famille (sœur aînée, cousine, tante, etc.). Dans son parler, Zitza juxtapose des appellatifs appartenant à des registres différents – familier et soutenu –, mais avec altération phonétique: Uf! Ţăţico, maşer, bine că m-a scăpat Dumnezeu (p.59) / Ouf, ma chère, ma bonne, je remercie le Bon Dieu (p.28), la variante française étant nettement moins marquée stylistiquement. Cependant, l’emploi en français de l’appellatif populaire bobonne peut rendre la tonalité familière et comique du discours de Zitza, avec la même altération des mots français: Ei! ţaţo, eu mă duc, bonsoar, alevoa.[ p.60] / Alors au revoir, bonsoir, bobonne. (p.29)

– soro (p.86) qui, tout comme dans le cas de l’appellatif frate, est un stéréotype verbal qui n’est pas toujours utilisé comme formule d’adresse pour des sœurs biologiques. Dans ce cas, c’est le mari qui l’utilise pour s’adresser à sa femme: Mai e vorbă, soro, cum să nu? (p.86) / Bien entendu, ma bonne, comment donc! (p.60).

2.3. Mots dépréciatifs Dans Une nuit orageuse il y a toute une série de mots à connotation

négative. Certains désignaient, à l’origine, des noms de métiers peu valorisants, tels que: pastramagiu (p.50) / (trad. litt. vendeur de viande fumée), rendu en français par le nom chiffonnier (p.17), allusion aux querelles et aux disputes violentes de cette catégorie professionnelle; papugiu / (trad. litt. savetier), métier pour lequel les traducteurs utilisent toute une série de syntagmes nominaux dénigrants (des bons à rien (p.9) ou des va-nu-pieds (p.11), etc. ); les petits fonctionnaires, que Dumitraké appelle, en dérision, des scârţa-scârţa pe hârtie (p.47) / des scribouillons (p.9), ou bien il utilise le terme emprunté au français, amploaiat (p.44), précédé d’une épithète dépréciative un prăpădit de / un pauvre type de fonctionnaire (p.9). Mentionnons aussi le nom moftangiu qui désigne une personne sur qui on ne peut pas compter, un babillard, dont l’équivalent proposé par les deux traducteurs est le vaurien (p.13).

De même, pour les aventuriers et les coureurs de femmes, prêts à les draguer, même celles mariées, Caragiale utilise un adjectif substantivé, les bagabonţi (p.44), forme incorrecte de vagabonzi, que les traducteurs transfèrent

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directement en français – les bagabonds (p.9) –, pour garder le même effet stylistique que dans l’original.

À part ces mots, la pièce abonde en épithètes rabaissant le journaliste Rica Venturiano, que Dumitraké soupçonne de faire les yeux doux à sa femme. Il est traité de coate-goale (p.45), (trad. litt. coudes vides) / un rien du tout (p.11), un vaurien (p.11), coudes-percés (p.13), de maţe-fripte (p.46) (trad. litt. tripes cuites) / tripes-creuses (p.12), alors que l’ex-mari de Zitza, Ghitza Tzircado, est considéré être un mitocan (p.50) (trad. litt. Roturier) / malotru (p.17), saligaud (p.27), mufle (p.28) et un mizerabil (p.56) / misérable (p.24). Certaines de ces épithètes dépréciatives sont, de nos jours, tombées en désuétude (moftangiu, maţe-fripte, coate-goale), leur apparition n’étant maintenant que sporadique, à teinte péjorative et fortement ironique, rappelant Caragiale.

Quant aux procédés utilisés pour en restituer le sens pour les francophones, on peut facilement se rendre compte que les traducteurs oscillent entre la traduction littérale (misérable) et la modulation (coudes-percés, tripes-creuses, va-nu-pieds). En même temps, on remarque chez eux l’effort de garder les répétitions et les stéréotypes caractéristiques pour le parler des personnages de Caragiale, surtout de Dumitraké et d’Ipingesco, mais, en même temps, ils exploitent à merveille la richesse du français pour renforcer les effets comiques de la pièce, qui joue sur les deux registres, familier et soutenu, les personnages parodiant involontairement le parler des aristocrates, parsemé de mots français.

Conclusions L’exégèse de I. L. Caragiale s’accorde au moins sur un point: Caragiale est

un dramaturge féroce. Il saisit le moindre faux-pas, le moindre tic verbal de ses personnages, «des personnages capables de toutes les bassesses, l’adultère le plus minable, bien sûr, mais aussi le chantage, la dénonciation..., bassesses qu'ils arrivent toujours à justifier»19.

Rendre en français cet univers ahurissant pourrait sembler impossible. En 1962, aux Méridiens Éditions, paraît une traduction en français des pièces et des Moments de Caragiale, Œuvres, signée par Valentin Lipatti et Simone Roland. En France, Une Nuit orageuse a été mise en scène en 1955 par Marcel Cuvelier, le même metteur en scène qui a rendu possible la représentation de La lettre perdue, au Théâtre de Poche, mais on ne sait rien du traducteur ou des possibles échos de la représentation. Le plus probable est que la pièce n’a pas passé l’épreuve de la scène et d’un public plus ouvert aux expériments proposés par Eugène Ionesco. Cela peut s’expliquer aussi par la résistance à la traduction de certaines constructions, des noms propres, des sobriquets et surtout des mots français écorchés, des tautologies à même de décourager le traducteur. Heureusement, ce ne fut pas le cas d’Eugène Ionesco et Monica Lovinesco, qui avaient l’atout d’avoir vécu en France et créé en français, et donc d’avoir une excellente connaissance de la langue (Ionesco était bilingue et, en plus, grand admirateur et fin connaisseur de

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l’œuvre de Caragiale). Certes, dans leur traduction aussi, la moquerie, l’ironie et l’humour de telle ou telle réplique sont atténués ou même annihilés.

Nous estimons pourtant que ces pertes sont inhérentes dans une traduction de ce genre, notamment dans le théâtre de Caragiale, qui, à notre avis et contrairement à l’opinion de Nicolae Manolescu, ne fait pas partie de la catégorie d’auteurs et d’œuvres intraduisibles à cause d’une idiomatisation trop marquée. Le plus important dans Une nuit orageuse est que la tonalité proposée par les deux traducteurs répond aux attentes du spectateur francophone contemporain, même si pour cela Ionesco et Lovinesco ont dû sacrifier parfois le spécifique national.

Notes

1 Communication présentée au colloque international De Caragiale à Vişniec, Craiova, mai 2012. 2 Forme abrégée d’Aurica / Aurel. 3 Forme abrégée de Nicolaé. 4 Forme abrégée de Zoitza. 5 Forme abrégée d’Elisabeta. 6 On représente les sons effectivement prononcés. 7 Toutes les citations en roumain renvoient à Caragiale, Ion Luca (1952), Opere, vol. I, Bucureşti: ESPLA, seria «Clasicii români»; toutes les citations en français renvoient à Caragiale, Ion Luca (1994), Théâtre. Une nuit orageuse, M’sieur Léonida face à la réaction, Une lettre perdue, Paris: L’Arche. 8 Blaireau (l’animal). 9 Par exemple: la Grande Bretagne, Les Etats-Unis; le Danube; la Manche, la Mer Noire; le Grand Caucase, etc. 10 Par exemple: Francfort, Bucarest; le Dniepr, le Zambèze, le Jourdain; Les Carpates, Les Andes, etc. 11 Ionică est un diminutif de Ion. 12 Saint Elie est, selon les prophètes bibliques, l’annonciateur du Messie à la fin des temps. On le fête le 20 juillet, chez les orthodoxes, tout comme chez les catholiques. 13 Trad. litt. Michel-Le Prince. 14 Forme correcte en roumain stabiliment (établissement). 15 Trad. litt. faire descendre le Saint Nicolas du clou. 16 D’après le nom du docteur Spiridon Kristofi, fondateur de l’église dressée sur cette colline avant 1765. 17 La traduction littérale est doublée en français d’un étoffement, l’ajout de l’adjectif national faisant référence explicite à l’Union des trois principautés roumaines réalisée en 1859 sous le règne de Ioan Cuza. 18 Les appellatifs nominaux utilisés en fonction vocative se répartissent en plusieurs catégories, dont les plus importantes sont constituées par: – des termes de parenté: tată (père), mamă (mère), fiule (fils), unchiule (oncle), nene (tonton), tanti (tata);

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– des termes précisant la nature particulière d'une relation: băiete (garçon), copii (enfants), vecine (voisin), prietene (ami);

– des termes de professions et titres: profesore (professeur), doctore (docteur), domnule ministru (monsieur le ministre); – des appellatifs du type: domnule (monsieur), doamnă (madame), domnişoară (mademoiselle); – des anthroponymes: Paul (Paul), Mario (Marie), Ioane (Jean); – des termes affectifs, dont certains exploitent le paradigme animalier: dragule (mon cher), iubiţel (chéri), iepuraş (mon petit lapin), puişor (mon poussin). 19Laurence Cazaux, Caragiale sorti de l’oubli, http://www.lmda.net/din/tit_lmda.php?Id=3417 (consulté le 10.04.2012).

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DE MEILLEURS CITOYENS: APPRENTISSAGE DES LANGUES ET LITÉRACIE CULTURELLE

Eileen LOHKA

Université de Calgary, Canada Résumé Notre étude se propose de discuter l’apport de l’apprentissage expérientiel linguistique et culturel, essentiellement en milieu d’immersion et même pour une période très courte, à la formation civique des étudiants. Il s’agit de leur faire d’abord remarquer eux-mêmes les éléments propres à l’étude en cours et de leur faire réfléchir aux conditions historico-culturelles et linguistiques, différentes des leurs, à la base de ce qu’ils observent. L’ouverture d’esprit qui se rattache à ce genre d’exercice ne peut que faire de nos étudiants en lettres de meilleurs citoyens, des êtres humains conscients de la différence et aptes à accepter l’autre. Abstract Better Citizens, Better Humans: Language Learning and Cultural Literacy This study proposes to discuss language learning and cultural literacy, especially in an immersion setting and even for a short stay, as it relates to local and global citizenship. Students must first observe and note in the field critical elements related to the topic at hand and reflect on the socio-historical and linguistic conditions which brought about what they are observing. Openness to the other, a conscious realization of difference can only make better citizens of our relatively self-absorbed youth. Mots-clés: philosophie de l’enseignement, apprentissage expérientiel, langue, culture, citoyens du monde. Keywords: philosophy of teaching, experiential learning, linguistic/cultural understanding, global citizenship.

Je ne suis pas un enseignant, ni un professeur. J’ai lu cette phrase quelque part et elle est devenue ma règle de vie, professionnelle s’entend: «J’éveille», je suis an awakener, comme l’Anglais le dit si bien. J’ai pour but, en tant que professionnelle dans le milieu universitaire, d’éveiller l’intérêt et d’ouvrir l’esprit des étudiants afin qu’eux, à leur tour, ils puissent «s’apprendre à apprendre». Je peux transmettre le savoir à mes étudiants mais à moins de pouvoir attiser la passion au plus profond d’eux-mêmes, le processus d’apprentissage n’est rien de plus que du par cœur et du rabâchage. Je ne suis pas détentrice de vérités inaltérables à transmettre quoique je croie fermement que le monde serait meilleur si un nombre suffisant d’entre nous pouvait inspirer les jeunes esprits à s’ouvrir, à développer une sensibilité culturelle, à refuser les idées reçues, à toujours remettre en question et à développer une meilleur compréhension de l’autre. Je crois

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fermement que nous sommes avant tout des êtres humains et que mon rôle de mentor est d’aider mes étudiants à développer leur plein potentiel.

La littératie culturelle, la conscience de la différence est au cœur de mon travail. La langue et la littérature sont les miroirs de nos âmes. Une fois que les étudiants ont mis de côté leurs idées préconçues pour découvrir sciemment une autre culture, parler une autre langue, comprendre une autre philosophie ou une autre règle de vie, ils perdent leur peur innée de l’autre, ils cessent de juger à l’aune de leur vision étroite, ils deviennent de meilleurs citoyens du monde. Ils mûrissent. Voici pourquoi je prends le chemin de l’université chaque jour, pourquoi je fais le clown, pourquoi je nourris et je conseille, je remets en question, j’ouvre les débats, pourquoi je continue à apprendre, à explorer, à formuler des théories possibles, toujours à remanier: je ne peux qu’offrir les stratégies et mécanismes qui permettent aux étudiants de voir au-delà des apparences. Ils doivent faire le reste.

Cet article se propose d’être une réflexion personnelle et très pratique sur ce que j’enseigne, sur le comment et le pourquoi. J’entends examiner comment les pratiques pédagogiques et le développement des programmes permettent aux étudiants de se découvrir, de s’épanouir à travers l’étude de l’autre. Les villes et les murs parlent quelquefois mieux que nous: les cours sur le terrain, en milieu d’immersion, facilitent le questionnement de la mémoire institutionnelle, la réflexion sur le présent par l’observation du passé. Les cours d’écriture littéraire, les projets de fin d’études, le développement de la pensée critique par le biais d’expériences concrètes et tangibles, la logique «étrange» d’une langue étrangère: voici les outils dont dispose ma profession. Nous devons constamment nous rappeler que nous parlons d’individus avec leurs sentiments propres, leurs idées et leurs espoirs à d’autres individus avec leurs propres sentiments, idées et espoirs. Une paire d’yeux brillants qui s’ouvrent tout grand, un esprit vif qui s’ouvre tout large; telle est ma récompense.

Ce serait présomptueux de penser qu’en tant qu’enseignants nous pouvons nous tenir debout dans une salle de cours – ou sur l’estrade traditionnelle – et simplement transmettre les connaissances que nous avons acquises dans les livres, ou des enseignants qui nous ont précédés dans la hiérarchie universitaire, selon une formule magique ou un plan de cours immuable pour que les étudiants deviennent plus instruits à notre simple contact. Ce serait présomptueux de croire qu’un être humain, mis à part quelques êtres exceptionnels, puisse faire abstraction totale de ses opinions et de ses préconceptions afin d’enseigner de la façon la plus impartiale possible, dans un vacuum d’idées et de préférences personnelles. De façon paradoxale, nos lacunes humaines font de l’enseignement une vocation fascinante. En tant qu’enseignants, nous apportons en classe des éléments cachés: notre contexte social, notre formation, notre façon de penser, nos sentiments, aussi bien que notre processus intellectuel, notre raisonnement, notre expertise et nos connaissances. Je dirais que l’enseignant n’atteint pas son ultime potentiel avant d’avoir su équilibrer son quotient intellectuel et son quotient émotionnel. Le philosophe Sir Laurens Van der Post a dit une fois, lors d’une allocution d’honneur à la cérémonie de remise de diplômes à l’université de Calgary (1995): «Les gens

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nous donnent toujours leur opinion (a piece of their mind) mais ils ne nous donnent jamais une part de leur cœur. Ce qui manque, c’est que notre esprit ne se développe pas aussi vite que nos connaissances»1. Nous les enseignants, nous devons priser cet équilibre entre les sphères analytiques et synthétiques de nos cerveaux, entre l’intellectuel et l’affectif, afin de développer l’humanité de nos étudiants autant que leurs connaissances.

1. Une approche forgée dans l’expérience personnelle Si je puis me permettre quelques références personnelles, je tenterai

d’expliquer, en partie, mon approche à l’enseignement des langues et des cultures. J’ai la chance inestimable d’être née dans une île au passé très riche. D’abord base militaire française de l’océan Indien, puis colonie britannique, maintenant indépendante, l’Île Maurice a une population des plus variées, comme celle du Canada, mon pays d’adoption. Mon propre héritage se teinte des cultures française, irlandaise et écossaise. Les habitants de Maurice sont au moins trilingues. Nous parlons tous créole, la langue véhiculaire – et vernaculaire – née de l’esclavage. Ceux qui ont été scolarisés parlent français et anglais. La majorité des citoyens parlent aussi le bhojpuri ou l’une des nombreuses langues du sous-continent indien tandis que le hakka et le cantonais prévalent parmi les Sino-Mauriciens. Le fait de grandir dans une société multiculturelle et polyglotte, en dépit de ses faiblesses, m’a permis d’apprécier, ne serait-ce que de façon subconsciente, l’importance des langues, la sensibilité culturelle, l’altérité sous toutes ses formes. J’ai aussi appris la valeur du métissage ou de l’hybridation. Le point commun à cette variété linguistique et socio-culturelle demeure le créole, langue hybride par excellence, et les légendes, souvent dérivées de contes traditionnels africains – ou du panthéon indien – des bribes d’épopées, transformées, embellies ou adaptées au contact d’autres cultures d’immigration. La culture mauricienne est de ce fait interstitielle; elle s’épanouit dans un entre-deux de tension et de création, là où les groupes communautaires tentent de préserver l’essence de leur héritage culturel. Par exemple, je n’ai connu aucun professeur en France qui ait été aussi à cheval sur la précision de notre français écrit que les maîtres de nos écoles primaires mauriciennes. Nos examens de français étaient corrigés en France à l’époque. De la même manière, nos enseignants anglophones ne se préoccupaient nullement du fait que nous étions francophones de naissance. Notre anglais devait se mesurer aux examens du Higher School Certificate, corrigés à Cambridge.

Ce genre d’éducation nous arme d’une éthique de travail polyvalente et de compétences appréciées dans la vie quotidienne et sociale. Nous devenons experts à passer d’une langue à l’autre; nous apprenons très tôt que que la langue ne consiste pas de mots collés un à l’autre mais de tout un système de pensée basé sur des particularités culturelles et historiques. Nous avons vite compris qu’un essay (à l’anglaise) n’est pas la même chose qu’une dissertation, en dépit de la traduction directe du dictionnaire bilingue. Nous savons qu’une gestuelle apparemment anodine peut sérieusement contrevenir à l’étiquette dans un milieu culturel autre.

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L’instinct d’observation et la mimique deviennent des réflexes naturels; ils évitent l’embarras et le malentendu. Sous peu, l’on traverse d’un système de normes sociétales à un autre, d’une langue à l’autre de façon naturelle; comme un caméléon sur sa branche, nous nous adaptons au contexte. L’espace interstitiel occupé par le créole se traduit en un contexte socio-culturel également fluide, où l’adaptation et l’hybridité sont la norme, où l’individu choisit de vivre à sa manière, soit en préservant sa culture originelle, soit en «empruntant» des cultures plurielles qui l’entourent. Cet espace – cette créolité – est suffisamment élastique qu’il absorbe le choc et les frictions dus à la diversité, et qu’il accommode tout en s’élargissant dans une myriade de directions.

Ma carrière académique a suivi le sentier tracé par mon éducation. Je détiens des diplômes en anglais et en littérature comparée même si ma thèse doctorale, écrite à une époque où la micro-spécialisation était la norme, serait aujourd’hui considérée interdisciplinaire. Une longue digression qui explique la manière même dont j’appréhende l’enseignement de la langue. Debout en face d’une classe d’apprenants de FLE, je ne peux oublier les contextes socio-culturels plus larges – urbain/rural, riche/pauvre, intellectuel/argotique, régional/ex-colonial – que cette langue tente d’exprimer. Je ne peux, en toute conscience, exiger que les étudiants apprennent des listes de vocabulaire, maîtrisent des règles de grammaire, écrivent des dissertations argumentatives selon les règles de l’art tout en ignorant les implications (ou conséquences) humaines reliées à l’usage de ladite langue. Je perçois mes responsabilités autour de trois axes: d’abord, guider l’étudiant afin qu’il acquière des compétences linguistiques adéquates dans la langue-cible. Ensuite, m’assurer que soient respectées les normes requises par l’institution pour laquelle je travaille, aussi bien par le grand public. Enfin, et pas des moindres, je considère mes étudiants d’abord et avant tout comme des êtres humains à un moment crucial de leur développement. Au seuil de la maturité, ils se cherchent encore, ils sculptent leur avenir – leur carrière soit, mais aussi leur façon d’appréhender la vie. Il est impératif que, dans la mesure du possible, j’ouvre leur esprit à l’autre, ce «francophone» inconnu et étrange qui se cache derrière les phrases qu’ils apprennent à énoncer. Que je souligne le fait qu’un Camerounais ou qu’un Cambodgien parlerait la même langue mais que chacun l’utiliserait, le prononcerait et le verrait différemment d’un Parisien ou d’une Québécoise. Que je souligne pour l’étudiant la valeur de posséder une deuxième, troisième, voire quatrième langue, parce que la langue – et la littérature dans laquelle elle s’épanouit – est la clé aux richesses culturelles d’autres mondes, à l’âme humaine.

2. Problèmes de définition: que faisons-nous vraiment dans la

salle de cours? Les manuels de pédagogie mettent l’accent sur les quatre compétences de

base que les étudiants de langues étrangères doivent acquérir: l’écoute et la lecture (et la compréhension qui va de pair) – à savoir, l’aspect passif de l’acquisition langagière; l’écriture et l’oral (la production de sens – à savoir, l’aspect actif de

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l’apprentissage). Les études culturelles, qui gagnent en popularité tant dans les systèmes scolaires qu’universitaires, semblent être considérées comme une matière à part, à être enseignées pour leur contenu. Pour ma part, j’aurais tendance à dire que la littératie culturelle est au cœur de l’apprentissage linguistique, une cinquième compétence à acquérir. Pour cette raison, lorsque le département d’études françaises, italiennes et espagnoles de l’université de Calgary a révisé son programmede première année en 2000, nous avons choisi d’enseigner la langue française par le biais de contenu culturel. Je m’étendrai de façon plus spécifique sur cet aspect du cursus plus loin; je voudrais souligner ici le fait que les enseignants chargés du projet ont demandé spécifiquement que les étudiants développent leurs compétences en littératie culturelle. Dans le contexte de l’acquisition d’une langue étrangère, en effet, elle est le mécanisme transdisciplinaire sous-tend l’échafaudage linguistique. Les stratégies d’apprentissage affichées sur internet leur somment de – Considérer la langue française dans ses contextes culturels – Considérer les variations régionales et sociales – Différencier entre le français oral et écrit – Apprécier l’importance de l’Histoire – Reconnaître la pluralité des cultures francophones (Dansereau/Lohka 2002)

Les manuels de pédagogie suggèrent expressément que les enseignants tiennent compte des différents styles d’apprentissage inhérents à toute salle de cours. La transmission de matériel didactique doit donc prendre en considération les apprenants visuels, auditifs ou kinesthésiques. L’expérience m’a appris que l’insertion de points d’ancrage culturels dans les explications pédagogiques également facilite l’assimilation du matériel par les étudiants. Ils s’intéressent d’abord à l’aspect humain de ce qu’ils apprennent. Que ce soit l’analyse logique ou la syntaxe, l’évolution des idées ou des concepts de narratologie et de sémiotique, il est toujours possible de choisir une expression idiomatique, un texte, une image, une peinture ou une séquence filmique qui illustre, explique ou (re)met en question le concept à l’étude. Non seulement ces référents tiennent compte des styles d’apprentissage, ils permettent aussi à l’enseignant de percevoir l’appréciation des étudiants pour la culture étrangère avec laquelle ils essaient de se familiariser.

À une époque où l’accent est mis sur l’intégration de notre recherche personnelle à la matière que nous enseignons à nos étudiants, nous ne devrions pas avoir peur de souligner que c’est ce que nous avons toujours fait. Le débat continue à faire rage en Amérique du Nord sur les diverses interprétations du mot «recherche» dans le milieu universitaire (en anglais, entre les mots research et scholarship), tout comme sur les divers aspects du mot «enseignement». La Commission Boyer sur l’enseignement dans les universités dites «de recherche» (1998) a justement adopté l’interprétation la plus vaste du mot. La recherche doit signifier plus que le simple acte de publier un article. Non seulement doit-elle faire avancer le savoir, mais elle peut aussi introduire une nouvelle façon de concevoir des faits déjà connus, démontrer une aptitude à synthétiser divers éléments qui, dans leur ensemble, donneraient une nouvelle perspective, présenter de nouvelles

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méthodologies ou tout simplement calibrer différemment ce que nous considérons être des vérités inaltérables. Après tout, le monde actuel est très différent de celui de 1915, en partie grâce aux remises en question constantes de l’ordre établi. Par conséquent, un de nos objectifs en salle de cours est justement d’intégrer notre réflexion (ou mécanisme de pensée) à la matière enseignée afin que l’étudiant à son tour apprenne à penser de manière critique. Pour ce faire, l’enseignant doit joindre le dogmatique au critique. Comme je l’ai déjà dit, nous sommes peu nombreux à pouvoir enseigner de manière complètement objective. Pour aider l’étudiant à acquérir une pluralité d’opinions et d’interprétations, l’enseignant peut offrir à l'étudiant une base théorique préalable et un ensemble de lectures, de préférence contrastées, pour que celui-ci apprenne à remettre systématiquement en question ce qu’il lit comme ce que dit l’enseignant: il développera ainsi sa propre lecture, ses propres théories, tout en reconnaissant qu’elles-mêmes ne sont pas inaltérables. Tout ceci forme partie de la culture en fait; une culture inhérente au mot Humanités qui désignait ma faculté, une supra-culture qui sera aussi importante à l’étudiant une fois sorti de l’université que les compétences pratiques acquises en vue d’une carrière productive.

Qu’est-ce donc qu’un professeur? J’ai utilisé jusqu’ici le mot «enseignant» même si je ne reconnais pas dans le terme le partenariat qui s’établit forcément avec mes étudiants. Ce partenariat ne semble pas plus présent dans le mot «professeur». Je préfère le mot awakener et l’action d’éveiller, parce que je crois fermement en l’idée de «motiver les étudiants et puis m’effacer»2. Afin de motiver les étudiants, je dois considérer de nombreux aspects de ma personnalité d’enseignante:

Je dois avoir une vision très claire de ce que je désire accomplir en cours: o Les objectifs et les acquis doivent être définis au tout début du

cours; Je dois être des plus organisées:

o Les concepts de base doivent être répartis sur l’ensemble du semestre dans une progression logique. Je dois en établir clairement la correspondance avec l’intitulé du cours;

o Les différentes activités du cours doivent aussicorrespondre et les étudiants doivent savoir à quoi s’attendre en tout temps;

Je dois être mentor, mère-poule et juge implacable tout en un: o Lorsque je suis accessible en dehors des heures de cours, ma

disponibilité est récompensée au centuple quant au résultat des étudiants;

o Les étudiants doivent être conscients des conséquences de leurs choix;

o Compréhension/empathie ne veulent pas toujours dire indulgence; o Je ne suis pas évaluée négativement parce que j’exige un standard

élevé; o Il est primordial d’être équitable;

Je dois savoir jongler, faire le clown et être entraîneur tout à la fois:

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o Le sens de l’humour est la meilleure des armes en salle de cours; o «Motiver les étudiants et puis m’effacer»; o Jongler avec tous les aspects du cours: échéances, exigences, aussi

bien que le temps de se ressourcer; Je dois établir un partenariat avec les étudiants. Nous travaillons ensemble

à l’intérieur d’un même processus et je ne peux exceller que s’ils acceptent d’exceller avec moi;

Je dois d’abord et avant tout être enthousiaste pour le sujet que j’enseigne si j’espère les intéresser à leur tour. Si nous pouvons amalgamer tous ces aspects de l’enseignement en un seul

mot, nous exprimerions mieux ce que l’enseignant «échange», dans un mouvement d’aller-retour constant, avec ses étudiants au cours du semestre ou de leur carrière universitaire.

3. Littératie culturelle: mise en pratique Pour les enseignants de langues étrangères, la littératie culturelle va de soi.

Après tout, les textes, écrits ou visuels, ne sont qu’un reflet de la société qui les véhicule. Ils expriment un hic et nunc directement relié à la sensibilité socio-historique des artistes. Même à l’apogée de l’influence barthienne sur la recherche, alors que le mot écrit était considéré en dehors de tout référent chronologique ou spatial, de façon essentiellement sémiotique, les besoins lexicaux des étudiants exigeaient un certain contexte socio-historique. Les références aux personnages ou événements historiques, les toponymes ouvrent également un espace de discussion.

Maintenant que la tendance dans les universités s’éloigne de L’Empire des signes vers des études axées sur la culture ou le transnational3, j’irai plus loin pour dire que nous n’avons d’autre choix que d’incorporer des éléments culturels à tous nos cours, quel qu’en soit le contexte. Par exemple, dans la plupart des pays occidentaux, la diversité est devenue la norme. Les étudiants et l’enseignant interagissent quotidiennement à la croisée de nombreuses frontières sociales et culturelles. Une telle pluralité peut s’avérer un atout pour ouvrir l’esprit des étudiants, même sans considérer l’acquisition d’une langue étrangère. Trop souvent, nous avons tendance à enseigner la norme, le dénominateur commun; nous nous attendons à ce que tout un chacun pense de la même manière et nous supposons que les autres savent déchiffrer nos codes de communication. Les cours de littérature comparée, par exemple, offrent l’occasion de discuter de valeurs culturelles plurielles. Notre enseignement et notre apprentissage ne peuvent qu’être enrichis par une vision inclusive et le développement constant d’une certaine sensibilité culturelle4.

De manière plus pratique, directement reliée à mes tâches d’enseignement en littératures francographiques et en cultures francophones, le développement du cursus me permet d’amener les étudiants à une meilleure compréhension de soi à travers une sensibilisation à l’autre. J’enseigne la langue dans son contexte culturel ou mieux, par le biais de la culture. Je m’efforce de favoriser les découvertes

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culturelles, de préférence en milieu d’immersion. Je souligne l’interdisciplinarité et l’inter-connectivité du monde dans lequel nous vivons.

En 2000, j’ai eu l’occasion de participer au développement d’une série de cours en espalier, étalés sur quatre ans d’étude. Jusqu’en 2012, les cours de première année exploraient le monde francophone le premier semestre et la communication par les textes le second. Ces cours complémentaires5 offrent la possibilité d’introduire les contextes historique, social, politique et artistique reliés à la langue française dès l’entrée en matière. Les étudiants découvrent l’étendue des expériences, le choc des cultures en contact ainsi que le métissage qui résultent de l’aventure coloniale. Ils apprennent immédiatement le raisonnement – et les raisons – sous-tendant les événements historiques, et s’habituent à observer le passé pour comprendre le présent. Par-dessus tout, ils comprennent à quel point leur perspective est nord-américaine, voire canadienne. Ils sont moins aptes à juger d’office lorsqu’ils se rendent enfin compte que leur focalisation est teintée par l’éthique et l’esthétique de leur éducation. Leur désir de mettre en question l’orthodoxie ou l’ethnocentrisme fait d’eux des citoyens mieux informés, de meilleurs êtres humains. Je ne peux pas «enseigner» tout ceci à mes étudiants, je peux simplement souligner les différences, «m’effacer» devant un auto-apprentissage autrement plus significatif.

D’un point de vue pratique, ce genre de cours forme la base des cours de littérature(s) et de culture(s) enseignés plus tard. Les étudiants peuvent analyser un texte postcolonial du Sénégal, par exemple, ayant déjà acquis le lexique et les concepts de la négritude, compris la polygamie, la subversion textuelle, l’animisme, l’oralité et tout autre référent contextuel du texte africain qui ne sont pas nécessairement présents dans la littérature française ou québécoise qu’ils connaissent mieux. Dans le cours intitulé «Communication par le texte», ils auront également travaillé les techniques de narratologie et acquis les outils de base pour lire différentes sortes de textes (littéraire, journalistique ou filmique). Ces habiletés les amènent à discerner la voix narrative ou la focalisation indispensable à une lecture plus subtile du texte. Ils se mettent à lire par les yeux de l’autre, ils entendent la voix de l’autre, ils comprennent l’autre. J’ai remarqué que je dois les «ramener», parce qu’ils ont tendance à prendre le parti de l’opprimé systématiquement et à oublier d’être objectif envers leur propre culture. Une fois de plus, les techniques narratives aident à souligner la subjectivité inhérente au texte. Les référents historiques offrent la perspective qui leur manque et les étudiants arrivent enfin à reconnaître systématiquement la valeur éphémère des mots, de la mémoire, de ce que nous comprenons par le mot «culture».

Les référents culturels, selon moi, constituent la base initiale, l’échafaudage6 que je peux offrir pour que mes étudiants arrivent à développer une pensée indépendante. L’instruction que j’offre doit nécessairement être au-delà de leur développement afin de «pousser ou d’éveiller une série de fonctions qui sont à un stage de maturation dans la zone de développement proximal». Pour paraphraser la théorie de Vygotsky, la zone de développement proximal (ZDP) représente le potentiel d’apprentissage propre à chaque étudiant, un éventail

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élastique par définition qui dépend de l’environnement socio-culturel établi en cours, pour faciliter son expansion maximale. Pour cette raison, le cursus tel que je le conçois doit passer du concret à l’abstrait, du familier à ce qui déstabilise, dans une série d’espaliers où j’accompagne les étudiants jusqu’à ce qu’ils acquièrent une certaine indépendance de pensée, avant de les déstabiliser en alternance afin de les pousser jusqu’au prochain palier de compétences ou de perception.

4. Quand les villes parlent: l’expérience québécoise Il va sans dire que, pour pourvoir un environnement socio-culturel propice

à l’apprentissage indépendant, spécialement lorsqu’il s’agit d’acquisition culturelle et langagière, une immersion dans le milieu socio-culturel cible est de première importance. Je crois fermement que les cours sur le terrain, les échanges culturels et les programmes semestriels dans la langue-cible sont indispensables à l’apprenant de langues étrangères. Chaque année, j’organise un cours intensif sur le terrain au Québec. Son sujet, «Les représentations de l’espace», me permet de discuter du Québec du point de vue géographique, (socio)historique, architectural et littéraire. En prime, l’interaction avec les locuteurs natifs permet à l’étudiant de négocier le sens de la conversation dans un cadre réaliste. Une entrevue est prévue au programme, par exemple, ainsi qu’un genre de chasse au trésor – des questions auxquelles les étudiants doivent répondre soit lors de nos visites dans les musées, soit en posant des questions aux interlocuteurs qui veulent bien les écouter. Les questions leur offrent l’occasion de s’adresser aux locuteurs natifs, prétexte qui donne souvent lieu à des échanges animés. Ils finissent par discuter de style de vie, de stéréotypes (une des questions préalables pour l’entrevue) et se rendent compte qu’ils ont plus en commun qu’ils ne le pensent. Ils partagent les mêmes espoirs et les mêmes intérêts. Ils apprennent à cerner les raisons qui sous-tendent différents modes de pensée ou tendances politiques parce que soudain, ils voient l’Histoire d’un angle différent. En communiquant avec l’autre, ils perdent leur peur de l’inconnu, de la différence, ils deviennent des citoyens du même monde.

Ce genre de cours sur le terrain permet à l’enseignant de laisser parler les villes – littéralement. Des activités diverses sont organisées au préalable, chacune avec un but bien spécifique: musées, collections d’art, archives, marches urbaines pour discuter du passage du temps à travers les styles d’architecture, la préservation du patrimoine ou l’ethnologie, sites archéologiques, etc.Il est facile d’intéresser les étudiants, qu’ils soient des apprenants visuels, auditifs ou kinesthésiques, grâce à une alternance de cours formels, de visites guidées et d’exercices d’observation. L’enseignement formel suit toujours l’observation requise des étudiants. Les étudiants doivent réfléchir à ce qu’ils observent et analyser leur propre processus d’apprentissage dans une évaluation continue sous forme de journal analytique/synthétique7. Si le cours est offert à un niveau plus avancé, les activités sont d’un niveau plus spécialisé. Par exemple, les étudiants se pencheront sur le couloir d’immigration que représente le boulevard Saint-Laurent à Montréal. Ils marchent le long du boulevard – du moins dans les sections-clés, le

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boulevard faisant plus de 12 kilomètres –, ils questionnent les passants, notent les changements ethniques et socio-culturels et voient comment ceux-ci se traduisent de façon tangible, discutent les variations architecturales ou l’utilisation des bâtiments (lieux de culte, centres communautaires, magasins), s’attardent sur les espaces publics et sur les artéfacts culturels apparents. Une fois de plus, l’interaction avec les habitants et commerçants facilite le développement cognitif et la progression de l’observation initiale à la synthèse analytique leur semble plus naturelle.

Nous ne pouvons non plus ignorer l’impact du facteur émotionnel lors des études. Les étudiants apprennent à partir de qu’ils vivent et ressentent. Par exemple, une des difficultés que je rencontre lorsque j’organise le cours au Québec concerne la contribution des Premières Nations au développement de la Nouvelle-France. Outre un repas traditionnel chez les Hurons Wendat, une visite aux Archives nationales du Québec s’est imposée. Les étudiants apprennent tout de suite que l’Histoire est écrite par le colonisateur, le vainqueur, le puissant. Les documents que nous avons trouvés concernant les Premières Nations peuvent être classés sous trois catégories: les fiches d’état civil, les outils d’enseignement employés par les Jésuites, Oblats et Ursulines (dessins, catéchismes etc.), et enfin les documents des tribunaux concernant les crimes perpétrés par les «sauvages»8, souvent sous l’influence de l’alcool. Cette observation factuelle nous a permis, en tant que groupe, de réfléchir à la colonisation, l’ethnocentrisme, l’hégémonie, la mémoire (institutionnalisée, entre autres: que choisissent de préserver les archives et pourquoi?) et l’objectivité des documents officiels. Des conclusions théoriques, basées sur la recherche récente, ont été proposées et, plus tard, j’ai eu le plaisir de les revoir, adaptées et mises en pratique, par certains des étudiants qui se sont retrouvés dans d’autres cours postcoloniaux que j’enseigne. L’échafaudage avait été démantelé et les étudiants pouvaient arriver à leurs propres conclusions sans se rendre compte de ce qu’ils avaient assimilé pendant le voyage. Le cycle des phases d’apprentissage, partir d’une expérience concrète, observer de façon réfléchie et attentive, conceptualiser de façon abstraite et théorique et mettre en application en fonction de l’expérience initiale, est donc complet. Par ailleurs, il va sans dire que l’on ressent un certain respect à tenir entre les mains une lettre écrite par Louis Riel9 de sa prison – un des atouts émotionnels tangibles de ce genre de cours.

Loin d’être une simple promenade dans les rues de la ville, ce genre de cours est basé sur des principes pédagogiques solides, offrant un mélange d’approches expérientielle, visuelle, auditive, kinesthésique, multidisciplinaire et transnationale. Il a l’avantage supplémentaire de convenir aux quatre sortes d’apprenants selon la classification de Kolb10: le divergent qui apprend par l’expérience, le convergent qui apprécie les projets et les activités autogérées (la Rue Saint-Laurent, les devoirs à gérer le reste du semestre), l’assimilateur qui profite de la théorie et des cours (sur place) qui suivent directement les activités et l’accommodateur qui apprécie les exercices en petit groupe (comme le sont la plupart des activités sur le terrain). De plus, ce genre de cours peut facilement s’adapter aux différentes langues et/ou cultures-cibles du curriculum. La seul

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difficulté – et elle peut devenir paralysante – est de trouver un financement minimal pour que l’étudiant puisse profiter d’une telle expérience, un investissement tout à fait valable si l’on s’en tient à la réaction des étudiants, à l’acquisition des connaissances et des réflexes d’apprentissage.

5. L’apprentissage expérientiel Quelques réflexions finales sur les cours qui mettent en pratique les

principes fondamentaux d’apprentissage expérientiel et d’internationalisation des diplômes prônés par l’université de Calgary pour ses diplômés11. Les cours cadrent avec ma propre conviction que l’étudiant qui pense de façon systématique à son processus d'apprentissage pendant son parcours universitaire progresse plus vite et apprend à construire son propre échafaudage d’apprenant. J’encourage les étudiants à s’inscrire dans des cours d’études indépendantes créés à cet effet par le département dans lequel je travaille. Des cours à facettes multiples, ils permettent aux étudiants de prendre en main leur apprentissage, de développer leurs compétences analytiques et critiques et à réfléchir à leur développement linguistique et culturel dans la langue-cible alors qu’ils bénéficient pleinement de leur expérience en milieu d’immersion12.

Le département encourage également les étudiants à acquérir une expérience professionnelle dans la langue-cible, au moyen d’assistanat de recherche ou de stage de travail. Des projets de recherche reliés au champ d’étude (ou au champ secondaire) permettent aux étudiants de poursuivre leur intérêt en recherche, dans les archives ou dans le domaine du reportage journalistique. Les assistanats de recherche, sous la direction de professeurs chevronnés, familiarisent l’étudiant avec les modalités de recherche et développent son intérêt potentiel pour les études de deuxième ou troisième cycle. Les stages de travail élargissent l’expérience estudiantine; la langue-cible devient un outil usuel lorsqu’elle est utilisée de façon routinière dans le contexte du travail et l’étudiant se sensibilise davantage au contexte culturel. Dans les trois cas, des journaux analytiques ou des rapports critiques à rédiger éveillent l’étudiant aux différences linguistiques et culturelles, au processus d’acquisition langagier et aux marqueurs identitaires en flux.

Le département d’études françaises, italiennes et espagnoles exigeait un cours de fin de cycle qui se trouve aujourd’hui légèrement modifié et incorporé dans la série de cours expérientiels ci-dessus. Lorsque je l’enseignais, je l’orientais de façon à ce que l’étudiant puisse réfléchir à son parcours universitaire, son style et ses stratégies d’apprentissage. Les discussions tournaient souvent autour de sujets pertinents, à savoir en quoi constitue un bon enseignant, un bon apprenant, un bon cours. De là, nous parlions de contextes plus élargis, tel le milieu universitaire. Les étudiants s’intéressaient de près aux plans académiques propres à l’université13, au financement des études (est-ce que l’étudiant doit assurer ses frais de scolarité ou est-ce l’état qui doit subventionner l’éducation supérieure?). Ils essayaient de définir le rôle d’une université et notaient son évolution rapide suite

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aux appels gouvernementaux à la professionnalisation. Nous avons exploré les responsabilités des professeurs, des étudiants, de l’administration et du public en général envers l’université; nous n’avons pas oublié celles des diplômés une fois intégrés au monde du travail. Certains mettront en question la validité de telles discussions. Il n’empêche que, tout en développant un lexique pertinent, l’étudiant approfondit son engagement civique. En tant qu’étudiants puis diplômés d’une université d’état, ils sont appelés à créer, inventer, rechercher des réponses à des problèmes de toutes sortes, remettre en questions des présupposés, repousser les frontières, explorer, composer de la musique ou de la poésie, trouver des traitements pour des maladies aujourd’hui incurables, étudier le comportement humain, conseiller nos gouvernements, éduquer nos futurs avocats, penseurs, médecins, astronautes, ingénieurs, éducateurs ou futurs dirigeants. Si l’on pense à nos étudiants sous cet angle, l’on fait bien, en tant qu’enseignants, de leur offrir la possibilité d’y réfléchir très tôt. Au seuil de leur vie d’adulte, ces quelques heures passées à penser à leurs droits, et surtout aux responsabilités qui les accompagnent, dans la langue-cible, est un investissement dans notre avenir, comme l’explique ce témoignage d’une ancienne étudiante:

«Cette pensée me mène au concept de curiosité, tellement important dans l’épanouissement intellectuel d’un individu. C’est avec beaucoup de plaisir que j’annonce que ce cours m’a rendue plus curieuse et plus capable de questionner des aspects spécifiques de mes alentours».

En guise de conclusion, j’aimerais suggérer que tout programme académique devrait, dans la mesure du possible, incorporer des éléments d’auto-apprentissage expérientiel. Les programmes d’acquisition de langues étrangères devraient également exiger au moins un semestre d’étude en milieu d’immersion et faciliter des cours d’études indépendantes pour permettre aux étudiants de réfléchir à leur parcours linguistique et culturel, souvent au moyen de comparaisons entre les méthodes d’enseignement et les objectifs de l’université d’accueil par rapport à ceux de leur alma mater. Les cours sur le terrain, suivis de travaux analytiques ou critiques attenants, permettent aux étudiants de développer leur sensibilité à la culture-cible, et les éveillent à l’altérité, une aptitude aisément transférable à de nombreuses situations dans la vie. Lorsque l’étudiant voit clairement le lien direct entre les activités pédagogiques et son programme d’étude, sa motivation et son enthousiasme le poussent à mieux s’investir dans ses études. Comme la citation ci-haut l’indique, la curiosité intellectuelle nous assure de meilleurs étudiants. L’étudiant inquisiteur, celui qui remet en question, devient un citoyen plus averti, plus perspicace – un meilleur citoyen. C’est ce qui me motive chaque jour de ma carrière.

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Notes

1 People are always giving us a piece of their minds but they never give us a piece of their heart. What is lacking is that our spirit is not keeping pace with our knowledge. Il est à noter que le mot spirit en anglais contient aussi bien le sens d’esprit que celui d’âme. 2 Cayla Rogers, doyenne de la faculté de Service social de l’université de Calgary lors d’une réunion le 30 juin 2004. 3 Dans un article intitulé «National Language Departments in the Era of Transnational Studies» (2002), Françoise Lionnet prône un champ d’études élargi. Elle fait remarquer que les étudiants démontrent un intérêt accru pour les études internationales, que les questions contemporaines reliées à l’immigration changent le visage – et notre compréhension – des nations et que la prolifération d’activités transcontinentales demande une approche globale à l’enseignement des langues. Dans ce cas, les enseignants de langues doivent s’adapter et prévoir les besoins d’un monde en évolution, tout comme ils l’ont fait quand de nombreux «départements de français» ont été rebaptisés «départements d’études francophones». 4 Le lecteur sera peut-être intéressé par la publication de Gail Benick et Anvers Salojee (1996), qui encourage l’inclusion de la diversité culturelle dans les universités canadiennes. 5 Les concepts et le matériel se trouvent encore en ligne, en version remaniée: http://fis.ucalgary.ca/francophonie/; http://fis.ucalgary.ca/FR/217/. 6 Je fais référence ici au terme scaffolding, tel qu’utilisé par Berk et Winsler; selon eux, l’enseignant doit pourvoir l’échafaudage qui permet de passer d’un apprentissage qu’il facilite à un apprentissage indépendant. 7 Par exemple, les observations suivantes, relevées de journaux d’étudiants: – «On remarque que l’architecture [coloniale] est extrêmement pratique: toute la famille dormait dans une seule chambre pour éviter le besoin de réchauffer toute la maison». – «Après la Conquête, les Français ont dû abandonner leur tradition de boire du café parce que les Anglais n’avaient aucune colonie qui cultivait le café: ils ont adopté la tradition de prendre du thé». L’étudiante continue en remarquant que c’est la première fois qu’elle réalise, de façon tangible, à quel point les détails pratiques du quotidien peuvent changer suite à un changement de régime politique. Et l’afficionado de café de trembler à l’idée! – «J’avoue que je ne pourrais plus jamais arriver à une nouvelle ville sans penser à toutes ces notions et sans vouloir connaître les raisons de certaines de ses caractéristiques». 8 Ce qui voulait dire, à l’époque «des gens qui vivaient près de la nature». 9 «Père de la Nation», Louis Riel, Métis du Manitoba, lutte pour la préservation des terres, de la langue française et de la foi catholique dans les territoires de l’Ouest

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canadien que veut s’approprier la Compagnie de la baie d’Hudson. Arrêté comme un traitre après la bataille de Batoche, il est pendu en 1885. 10 Selon le schéma disponible en ligne (http://enseignants.insa-toulouse.fr/fr/ameliorer_mon_cours/les_concepts_de_base/les_styles_d_apprentissages/les_styles_d_apprentissages_de_kolb.html) 11 Ils ne vont pas sans rappeler la refonte du curriculum mise en place par Harvard (2004), avec un accent tout particulier sur l’année d’étude à l’étranger. 12 Ces cours sont ciblés pour les étudiants qui choisissent de faire un semestre (ou une année) d’études ou un stage de travail en milieu francophone. 13 Chaque université nord-américaine publie un plan académique sur quatre ou cinq ans, avec des idées directrices, des principes de base et des objectifs à atteindre. Le budget annuel reflète les priorités établies par le plan académique.

Bibliographie

Bartlett, Thomas (2004), «Harvard Proposes Overhaul of Undergraduate

Curriculum, With Emphasis on Science and Study Abroad», in The Chronicle of Higher Education, in <http://chronicle.com/article/Harvard-Proposes-Overhaul-of/102329/>.

Berk, L. E. / A.Winsler (1995), «Scaffolding children’s learning: Vygotsky and early childhood education», in NAEYC Research and Practice Series 7. Washington, DC: National Association for the Education of Young Children.

Benick, Gail / Anvers, Salojee (1996), Creating Inclusive Learning Environments, Toronto: Ontario Council for University Affairs, 37-52.

Bodrova, Elena /Deborah J. Leong (1998), «Scaffolding Emergent Writing in the Zone of Proximal Development», in Literacy Teaching and Learning 3: 2, 2.

INSA Toulouse, «Les styles d’apprentissage de Kolb», in <http://enseignants.insa-toulouse.fr/fr/ameliorer_mon_cours/les_concepts_de_base/les_styles_d_apprentissages/les_styles_d_apprentissages_de_kolb.html>.

Lionnet, Françoise (2002), «National Language Departments in the Era of Transnational Studies», in PMLA 117: 5, 1252-54.

Rieber, R.W. / A.S. Carton (1987), The collected works of L.S. Vygotsky, New York: Plenum Press.

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QUELQUES REMARQUES SUR LA SÉMANTIQUE DES TIROIRS CANONIQUES DU FUTUR

DANS LES LANGUES ROMANES

Mihaela POPESCU Université de Craïova, Roumanie

Résumé Cette approche se propose de faire le point sur les valeurs récurrentes dans les grammaires et les études qui se préoccupent de la sémantique des formes canoniques de futur en français, espagnol, italien et roumain. Plus précisément, notre objectif est celui d’esquisser le spectre de valeurs communes et distinctes au niveau inter roman pour pouvoir déceler les aires sémantiques d’intersection et surtout celles de dissociation de la représentation linguistique de ces valeurs au niveau des quatre systèmes linguistiques pris en charge par notre analyse. La démarche méthodologique vise initialement l’opération de sélection et ensuite celle de catégorisation sémantique, tant au niveau intralinguistique qu’interlinguistique. Abstract Some Observations on the Semantics of Future Tense in Romance Languages This study proposes a brief inventory of the recurring values in the grammars and the studies which are concerned with the semantics of the canonical forms of Future tense in French, Spanish, Italian and Romanian. More specifically, our goal is to sketch the spectrum of the common and distinct values which exists at an interromanic level in order to further detect the intersection and, especially, the dissociation semantic areas as regards the linguistic representation of these values at the level of the four systems language considered in our analysis. The methodological approach consists in initially selecting, and then semantically categorizing, this being performed both at an intralinguistic and interlinguistic level. Mots-clés: futur, langues romanes, valeurs sémantique, temporalité, modalité. Keywords: Future Tense, Romance languages, semantic values, temporality, modality.

1. Introduction

Le sémantisme du futur roman s’avère riche et complexe (v. Popescu 2012b). C’est pour cela qu’il a fait l’objet d’un grand nombre d’études menées souvent au niveau intralinguistique et, rarement, concernant plusieurs systèmes linguistiques à la fois (à l’exception de l’ouvrage – devenu déjà classique – de S. Fleischman (1982)). Cette approche se propose de faire le point sur les valeurs récurrentes dans les grammaires et les études qui se préoccupent de la sémantique des formes

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canoniques de futur (désormais: FUT) en français, espagnol, italien et roumain. Plus précisément, notre objectif est celui d’esquisser le spectre de valeurs communes (marquées [+]) et distinctes (marquées [-]) au niveau inter roman pour pouvoir déceler les aires sémantiques d’intersection et surtout celles de dissociation de la représentation linguistique de ces valeurs au niveau de quatre systèmes linguistiques pris en charge par notre analyse. Pour atteindre cet objectif, la démarche méthodologique vise, dans une première étape, l’opération de sélection – à partir d’une longue liste d’occurrences, dont le nombre diffère d’une approche à l’autre et, on verra ensuite, même d’un système linguistique à l’autre – et, dans un deuxième temps, celle de catégorisation des principales valeurs que le FUT présente tant au niveau intralinguistique qu’interlinguistique. 2. L’inventaire des valeurs sémantiques du futur canonique dans les langues romanes Les valeurs que, selon les descriptions traditionnelles1, revêtent les formes (simples) de FUT roman au niveau discursif peuvent être synthétisées de la manière suivante:

A. 1. La valeur temporelle (avec la nomenclature: futur temporel – en français/futuro sintetico ou futuro imperfecto – en espagnol/futuro deittico – en italien et viitor temporal – en roumain) fait renvoi à la projection d’un événement dans l’avenir par rapport au moment T0 de la situation d’énonciation. Il s’agit donc d’une valeur déictique telle qu’on peut observer dans les exemples suivants:

(1) (fr.) Je reviendrai dans une heure. // Rira bien qui rira le dernier (Riegel et al. 1994: 549-553). (esp.) Julio llamará antes de coger el avión (RAE 2010: 447-449). (it.) Domani vincerò un terno al lotto. // Se lo dici tu, vuol dire che verrà (Renzi et al. 1991, II: 115-121). (roum.) Nu fi îngrijorat! Andreea o să vină. // Va telefona imediat ce va ieşi din şedinţă (GALR 2005, I: 442-445).

A. 2. Le Futur d’anticipation ou de perspective (futur historique) – en

français/Futuro retórico (réalisé uniquement dans le Discours Indirect Libre) – en espagnol/Futuro retrospettivo ou futuro degli storici – en italien/ Viitor în trecut – en roumain: réalise la projection d’un procès dans l’avenir, en corrélation avec un temps de passé (soit en discours indirect rapporté (DIR), soit en discours indirect libre (DIL)):

(2) (fr.) J’ai appris que ce cinéma fermera dans une semaine. / Victor Hugo naquit à Besançon en 1802. Ce fils d’un général d’Empire deviendra un des plus grands écrivains français. (Riegel et al. 1994: 549-553). (esp.) Después de la Guerra Civil, los poetas de la generación del 27 escribirán sus poemas más hondos y sentidos (Sastre Ruano 1996: 388).

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(it.) Il ragazzo partì all’improvviso. Tornerà solo dopo tre anni.//La settimana scorsa incontra Piero e gli dice che il giorno dopo andrà a trovare in fabbrica. (Renzi et al. 1991, II: 115-121). (roum.) Ştiam că de cealaltă parte voi găsi casa podariului (GLR 1963, I: 240)// Abia atunci am realizat eu că acest cântec avea să-mi schimbe viaţa2. (GALR 2005, I: 442-445).

B. La valeur modale connaît les sous-valeurs suivantes: B. 1. Le futur injonctif/Futuro de mandato (apud Sastre Ruano 1996:

388)/Futuro ingiuntivo/Viitor cu valoare de imperativ exprime de différentes nuances de sens dérivées d’une injonction, comme on peut voir des exemples suivants:

(3) (fr.) Tu me copieras cent fois cette phrase! // Tu ne tueras point (Riegel et al. 1994: 549-553). (esp.) Se lo devolverás. // No matarás (RAE 2010: 447-449) // Te enseñaré el secreto y lo guardarás (Sastre Ruano 1996: 388). (it.) Domani gli andrai a chiedere scusa; siamo intesi? (Renzi et al. 1991, II: 115-121). (roum.) Vei învăţa poezia pe de rost! // Se va dispune arestarea lui! (GALR 2005, I: 442-445).

B. 2. Le futur de promesse/Futuro resolutivo ou voluntativo (apud Sastre

Ruano 1996: 387)/Futuro volitivo ou futuro di volizione3: par l’emploi de la première personne du singulier, le locuteur s’engage devant son interlocuteur d’accomplir un certain procès dans l’avenir.

(4) (fr.) Vous voulez parvenir, je vous aiderai. // Je reviendrai. (Riegel et al. 1994:

549-553). (esp.) Llegaremos; Se lo diré. // Yo la ayudaré y, a cambio, aprovecharé lo que sea útil a mi hipótesis (Sastre Ruano 1996: 387), (RAE 2010: 447-449).

(it.) Domani verrò. // Domani guarderò il mare (Renzi et al. 1991, II: 115-121). (roum.) Voi reveni mai târziu. (GALR 2005, I: 442-445).

B. 3. Le futur prédictif/Futuro di previsione4 exprime une prédiction située

dans un futur indéterminé et se rencontre d’habitude dans les prophéties.

(5) (fr.) Les poissons seront fiers de nager sur la terre et les oiseaux auront le sourire (Riegel et al. 1994: 549-553). (esp.) Un calmante te sentará bien (RAE 2010: 447-449).

(it.) Domani vedrò il mare (Renzi et al. 1991, II: 115-121). (roum.) Vremea va fi frumoasă în următoarele zile.// Oraşul nu va mai fi aşa cum

este astăzi (GALR 2005, I: 442-445).

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B. 4. Le futur d’atténuation/Futuro de modestia ou de atenuación (v. aussi Sastre Ruano 1996: 389)/ Futuro attenuativo5 sert à atténuer une affirmation, formulée, en général, à la première personne du singulier ou du pluriel.

(6) (fr.) Nous avouerons que notre héros était fort peu héros en ce moment (Riegel et al. 1994: 549-553). (esp.) ¿Tendrá usted la amabilidad de levantarse un momento?// Si mi se permite, haré alguna puntualización (Sastre Ruano 1996: 389). (it.) Non dirò che fossi soddisfatto, però non protestai. // Sarò sincero con voi (Renzi et al. 1991, II: 115-121).

(roum.) Am să vă rog să nu mai aruncaţi scrumul pe jos (GLR 1963, I: 240).

B. 5. Le futur d’indignation/Futuro de desafío6 sert à traduire l’indignation du locuteur envers un événement qu’il considère possible dans l’avenir.

(7) (fr.) Quoi! Une autoroute traversera ces bocages! (Riegel et al. 1994: 549-553).

(esp.) Me las pagarás (Sastre Ruano 1996: 387): (roum.) [O să dai socoteală!]

B. 6. Le futur de conjecture ou de supposition/Futuro de conjetura ou de

probabilidad ou epistémico/Futuro epistemico/Viitor epistemic ou de probabilitate: exprime une hypothèse sur un procès contemporain avec T0, hypothèse qui se confirmera ou se vérifiera dans l’avenir.

(8) (fr.) J’ai trouvé ce beau livre sur le bureau: ce sera le cadeau d’une admiratrice (Riegel et al. 1994: 549-553). (esp.) Serán las ocho // Luis trabajará ahora en la empresa de su padre (RAE 2010: 447-449). (it.) Ora come ora, saranno le 5. // Giovanni arriverà con tutte le sue valigie (Renzi et al. 1991, II: 115-121). (roum.) O găsi7 el unde să se ascundă (C. Petrescu, apud GLR 1963, I: 240)// O fi pregătind o lovitură (v. Zafiu 2009: 294).

B. 7. Futuro de conjetura ou de incertidumbre (v. aussi Sastre Ruano

1996: 389)8/Futuro dubitativo exprime le doute dans des énoncés interrogatifs9:

(9) (esp.) ¿Dónde estará Marta? // ¿Qué (diablos - rayos – demonicos) querrá ahora? // ¿Estará loco? // ¿Qué sabrá usted, hombre? (RAE 2010: 447-449). (it.) Farà bello, domani? (Renzi et al. 1991, II: 115-121). (roum.) De unde-o fi omul acesta, mă? // Oare câţi ani o fi având? (GALR 2005, I: 442-445).

B. 8. Futuro de conjetura concesivo (v. aussi Sastre Ruano 1996: 390)/

futuro concessivo10 s’enregistre, à l’exception du français, dans des matrices conversationnelles spécifiques, telles que:

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(10) (esp.) Le parecerá una tontería, pero quello me salvó de morir (RAE 2010: 447-449). (it.) Tu riuscirai anche a battterlo, non lo nego; ma lui gioca decisamente meglio (Renzi et al. 1991, II: 115-121). (roum.) O fi el departe şi îngropat în bani, dar informaţiile sunt corecte (GALR 2005, I: 442-445).

B. 9. Le futur hypothétique/Futuro ipotetico exprime une hypothèse ou une

éventualité à l’intérieur du système hypothétique/Viitor ipotetic s’enregistre dans les deux membres des constructions conditionnelles du type «dacă … atunci» avec la signification de possibilité, d’hypothèse propre aux formes de conditionnel (désormais: COND).

(11) (fr.) Si Pierre travaille (a bien travaillé), on le récompensera (Vet/Kampers-

Manhe 2001: 100). (esp.) Si el señor Perez es rico, conseguirá una novia conseguida (Gennari 2000:

276) // Pórtate bien y te daré un premio (RAE 2010: 447-449). (it.) Se verrai, ci farai piacere. // Se potrò aiutarti, lo farò volentieri (se +

indicativo futuro...indicativo futuro) // Se stasera mi sento meglio, domani partirò (se + indicativo presente...indicativo futuro) // Se hai fatto un errore, lo correggerò (se + indicativo passato...indicativo futuro). (Renzi et al. 1991, II: 115-121).

(roum.) Dacă îl voi vedea, îi voi spune. (GALR 2005, I: 442-445).

B. 10. Futuro de conformidad (Sastre Ruano 1996: 387)/Futuro deontico11 exprime le fait que le locuteur accepte le procès affecté par le FUT comme un état de nature aléthique:

(12) (fr.) Les Tartares venant en course feront de trente à quarante lieues en une nuit, mettant un petit sac plein de paille attaché à la selle de leurs chevaux (Rocci 2000: 241). (esp.) Non me parece justa tu propuesta, pero votaré a tu favor (Sastre Ruano 1996: 387) // El trabajador avisará en caso de avería (RAE 2010: 448). (it.) D’ora innanzi, i trasgressori pagheranno il doppio della penale fissata in precedenza. (Renzi et al. 1991, II : 115-121).

(roum.) [Se va sparge geamul în caz de incendiu].

B. 11. Le Futur d’habitude ou de permanence ou des énoncés de vérité générale/Futuro onnitemporale/Viitor generic ou de permanenţă12 est considéré, de manière traditionnelle, une tournure déictique modale, car elle place le procès affecté non pas en T0, mais après ce moment de référence:

(13) (fr.) Une jolie femme sera toujours plus jolie nue que vêtue de pourpre (Rocci 2000: 241).

(esp.) La ropa se guardará en el cajón (RAE 2010: 447-449). (it.) Due più due farà sempre quattro // Le buone azioni non saranno mai

dimenticate. (Renzi et al. 1991, II: 115-121).

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(roum.) De-a pururi aproape vei fi de sînul meu. / Mereu va plînge apa, noi vom dormi mereu (GALR 2005, I: 442-445).

3. La catégorisation sémantique du futur canonique au niveau interlinguistique

Les données présentées supra conduisent aux observations suivantes en ce qui concerne le premier objectif de cette approche, i. e., esquisser les valeurs communes et distinctes des formes du FUT canonique au niveau interroman: (i) dans tout le spectre roman étudié, le FUT apparaît avec valeur temporelle aussi bien qu’avec valeur modale; (ii) dans le domaine «purement» temporel, le FUT sert à placer l’action exprimée par la prédication en postériorité par rapport au moment T0 de la situation de communication. La seule différence interlinguistique manifestée dans cette zone sémantique s’enregistre dans l’actualisation du soi-disant «futur dans le passé» où l’on observe que: (i). le FUT (simple) de l’espagnol apparaît avec une telle fonction uniquement dans le DIL et presque jamais dans le DIR, car après un repère passé explicite, le paradigme verbale que l’espagnol utilise pour marquer le rapport de postériorité est exclusivement celui de COND; (ii). en français et en italien, le FUT apparaît dans tous les types de tournures syntaxiques qui actualisent la postériorité dans le passé en tant que variante marquée du point de vue stylistique par rapport aux structures construites avec le COND, face auxquelles le procès affecté par le FUT est obligatoirement situé en simultanéité ou en postériorité à T0; (iii). en roumain, où l’emploi du COND y est exclu, le FUT (le Type-1 ou la forme canonique) est un marqueur subjectif du futur dans le passé, à côté de la périphrase avea să qui a une valeur objective dans de telles occurrences (v. Popescu 2012c). (iii) dans le cadre des emplois déictiques modaux, on observe que le FUT exprime dans toutes les langues analysées une large palette de nuances affectives ou attitudinales (telle que l’indignation, la surprise, le proteste, la conformité, la volonté), même si celles-ci n’apparaissent pas marquées par une terminologie spécifique dans les grammaires de références des langues prises en charge. Il faut souligner que dans toutes ces occurrences, l’état des faits dénoté par la prédication au FUT est placé dans l’intervalle de référence [(PREZENT)-FUTUR], donc elle est conforme aux caractéristiques aspectuo-temporelles de ce paradigme. (iv) en revanche, toujours dans le cadre des emplois déictiques à nuance modale, existants dans tous les quatre systèmes linguistiques étudiés, font partie aussi: (1) les occurrences atténuatives ou de modestie, (2) les occurrences de permanence ou génériques qui actualisent un état de faits placé dans l’intervalle de référence [+PRÉSENT], respectivement, (3) les occurrences qui expriment une hypothèse ou une éventualité à l’intérieur du système hypothétique. Dans cette dernière zone (marquée sous (3)) s’enregistre une seconde différenciation entre les quatre langues romanes analysées, d’un côté se situant le français et l’espagnol qui utilisent le FUT seulement dans l’apodose, de l’autre côté, l’italien et le roumain qui préfèrent

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un système hypothétique uniforme et symétrique du point de vue syntaxique (formel), par l’emploi du même paradigme verbal tant dans l’apodose que dans la protase. Il faut aussi attirer l’attention sur le fait que dans les types d’énoncés relevés sous (1), (2) et (3), les formes de FUT se superposent partiellement sur la signification du COND ou du présent de l’indicatif. (v) les emplois non-déictiques, épistémiques s’enregistrent aussi dans tous les quatre systèmes verbaux romans étudiés où le FUT (le plus souvent, le FUT du verbe «être») exprime «o presupunere a locutorului în legătură cu un fapt simultan cu momentul enunţării, presupunere generată de propriul său raţionament» (Reinheimer-Rîpeanu 2001: 271) [une présupposition du locuteur sur un fait simultané par rapport au moment de l’énonciation, présupposition générée par son propre raisonnement – trad. n.]. Mais, dans le cadre de ce type d’occurrences épistémiques/de probabilité/de supposition/ conjecturales on observe la plus grande variation d’expression et la configuration de quatre types de représentation de ces valeurs au niveau inter roman: le PARADIGME (I) renvoie à la situation du français où de telles occurrences du FUT (simple) se limitent à l’emploi des auxiliaires être et avoir aussi bien qu’à un seul type de manifestation syntaxique et sémantique, celui des structures assertivo-déclaratives. Dans ce cas, le FUT conjectural du français se trouve en concurrence avec le COND dont l’emploi inférentiel est réservé aux tournures interrogatives; le PARADIGME (II), celui de l’espagnol qui elle-aussi partage le domaine de l’[ÉPISTÉMIQUE PROBABLE] entre le FUT et le COND, cette fois-ci, en fonction de la référence temporelle [+/-PRÉSENT] du procès décrit par la prédication; le PARADIGME (III), celui de l’italien où la zone de la probabilité épistémique est actualisée exclusivement par le FUT et, finalement le PARADIGME (IV), celui du roumain qui a grammaticalisé dans de telles occurrences des structures verbales spécifiques, c’est-à-dire, le FUT Type-2 (oi cânta) et les formes de présomptif (présent ou passé) à base de FUT (oi fi cântând/oi fi cântat). (vi) en italien, espagnol et roumain la valeur épistémique du FUT se manifeste non seulement dans le cadre des structures assertivo-déclaratives ou dubitatives, mais aussi dans une matrice conversationnelle spéciale, de type adversatif ou concessif à laquelle la littérature a attribué aussi une valeur évidentielle, citationnelle (v. Zafiu 2009: 289-305). 4. En guise de conclusion

Présentées ici de manière forcément schématique, toutes ces formes de variations qui renvoient, d’un côté, à la modalité de manifestation de certaines notions cognitives universelles et, de l’autre côté, aux variantes discursives propres à chaque système linguistique roman pris en charge, nous déterminent donc à déceler les types et les sous-types d’emplois du FUT canonique roman suivants:

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LE FUTUR TEMPOREL → Futur temporel prédictif → FUT de prophétie

→ FUT gnomique → Futur de perspective ou futur historique

LE FUTUR ÉPISTÉMIQUE → Futur épistémique / conjectural / de probabilité / de supposition /inférentiel/putatif

→ Futur concessif

LE FUTUR ILLOCUTIONNAIRE → Futur de modestie ou atténuatif ET ARGUMENTATIF → Futur hypothétique

Repositionnées en perspective interlinguistique (romane, dans notre cas), les données fournies par le schéma antérieur se présentent de la manière suivante:

VALEUR LANGUES ROMANES Valeur générale Valeurs spécifiques FR. ESP. IT. ROUM

. Temporelle déictique + + + +

Périphrases temporelles + + +/- - Futur dans le passé subjectif

+ +/- + +

Temporelle-modale Injonctif + + + + de prophétie + + + + prédictif + + + + d’indignation + + + + déontique + + + + omnitemporel + + + +

Modale conjectural/inférentiel + + + + dubitatif - + + + concessif - + + + Périphrases modales + +/- + Présom

-ptif Illocutionnaire/Argumentative hypothétique +/- +/- + +

atténuatif + + + + Tabel no. 1 La synthèse des valeurs du futur (forme simple) en français, espagnol, italien et roumain

Notes

1 La description des principales valeurs sémantiques des tiroirs du FUT canonique en français, espagnol, italien et roumain a été réalisée par la prise en charge des données existantes dans les grammaires les plus représentatives pour chaque langue (v. la Bibliographie). Il faut préciser pourtant qu’il y a eu des situations où ces données ont été complétées avec des informations parvenues d’autres sources

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linguistiques pour lesquelles nous avons indiqué chaque fois les coordonnées d’identification (auteurs(s), année, pages). 2 La tournure périphrastique avea + le subjonctif du verbe lexical est le seul moyen d’expression spécialisé pour l’expression du futur dans le passé en roumain, car elle sert à rendre le rapport de postériorité face à un point de repère situé dans le passé (v. GALR 2005, I: 442). 3 Sans une terminologie spécifique dans la linguistique roumaine. 4 Sans une terminologie spécifique dans la linguistique espagnole et roumaine. 5 Sans une terminologie spécifique dans la linguistique roumaine. 6 Sans une terminologie spécifique dans la linguistique italienne et roumaine. 7 Dans de telles occurrences, le roumain utilise aussi les formes présomptives à base de futur (FoiG): O fi găsind el unde să se ascundă. 8 Ce type de FUT n’existe pas en français. 9 En roumain, dans de telles occurrences on utilise aussi le FUT-Type 2 (oi cânta) ou bien le FoiG (v. Zafiu 2009: 297, 303). 10 En roumain, bien que ce type n’ait pas une terminologie spécifique, on utilise aussi le FUT-Type 2 (oi cânta) ou bien le FoiG (v. Zafiu 2009: 301). 11 Sans une terminologie spécifique dans la linguistique française et roumaine. 12 Sans une terminologie spécifique dans la linguistique espagnole.

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SUR LE LEXIQUE CHROMATIQUE EN FRANÇAIS ET EN ROUMAIN (I)

Gabriela SCURTU

Université de Craiova

Résumé Cet article se veut une première partie d’une étude plus vaste traitant de la problématique du lexique chromatique en français et en roumain, avec spéciale référence aux adjectifs. Sont discutés dans la présente étape de notre étude des questions ayant trait à la typologie des adjectifs chromatiques et notamment les critères utilisés pour leur définition dans les dictionnaires généraux des deux langues. Y sont relevés l’hétérogénéité des critères mis en jeu à ce dessein, de même que les différences de principe dans la structuration des définitions lexicographiques en français et en roumain. Abstract About Chromatic Vocabulary in French and Romanian (I) This article is the first part of a larger study that will approach the issue of colour terminology in French and Romanian, with special reference to adjectives. In this first stage, we will deal with the problems related to the typology of chromatic adjectives and, especially, with their defining criteria used in common dictionaries of both languages. We also emphasize the heterogeneity of these criteria and the main differences in structuring lexicographic definitions in French and Romanian. Mots-clefs: adjectif chromatique, couleur primaire/secondaire/tertiare, spectre solaire, définition des adjectifs chromatiques. Keywords: chromatic adjective, primary / secondary / tertiary colour, solar spectrum, definition of chromatic adjectives.

1. Objectifs de la recherche Le lexique chromatique1 sera appréhendé dans notre recherche, dont y est

présentée une première partie, comme renfermant l’ensemble des termes ayant trait à la chromaticité (dér. de chromatique, du gr. khrôma, «couleur»: vx, s. f., OPT. «Partie de l’optique qui comprend la dispersion, la décomposition, la recomposition de la lumière, les raies spectrales, la théorie des couleurs, les propriétés particulières des rayons colorés», in TLFi; mod., adj. «Qui a rapport aux couleurs», in NL). Ce lexique comprend des mots appartenant à diverses classes morphologiques et phraséologiques (adjectifs, substantifs, verbes, locutions, expressions, proverbes), formés sur la base d’un terme de couleur.

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Notre étude envisage de traiter (au moins dans un premier temps) uniquement des adjectifs chromatiques (communément appelés ‘adjectifs de couleur’), en suivant une démarche allant du général au particulier, comme cela ressort des objectifs préconisés:

(1) Définition des adjectifs chromatiques dans différents plans; (2) Typologie de ces adjectifs; (3) Domaines d’utilisation; (4) Bref aperçu du système des adjectifs chromatiques en français; (5) Bref aperçu du système des adjectifs chromatiques en roumain; (6) L’influence du français sur le vocabulaire chromatique du roumain. Il est sans conteste qu’en linguistique, soit-elle roumaine ou étrangère (en

l’occurrence française), les contributions - ponctuelles ou de synthèse -, dans cette direction, ne manquent pas et recouvrent une problématique diverse, comportant des analyse effectuées à différents niveaux: à partir de l’étymologie à la morphologie, la syntaxe, la sémantique, la phraséologie, la stylistique, la sémiotique ou la pragmatique, ce qui illustre la complexité et l’intérêt du domaine en question.

En ce qui nous concerne, le point d’aboutissement de la recherche envisagée sera l’examen de la contribution du français à l’enrichissement quantitatif et qualitatif de la terminologie chromatique du roumain, ce qui se situera dans le prolongement d’autres recherches menées en équipe sur les gallicismes du roumain2. Au fur et à mesure de l’approfondissement de la thématique, d’autres directions de recherche peuvent surgir, le domaine étant non seulement vaste mais aussi extrêmement généreux.

2. Définition et typologie des adjectifs chromatiques 2.1. Niveaux d’analyse La définition et conséquemment l’analyse de cette classe sémantique

d’adjectifs peut s’effectuer à plusieurs niveaux: scientifique (optique), artistique, usuel, linguistique, etc.3.

Comme dans les définitions des chromonymes interviennent des termes de l’optique (v. note 3: «culorile spectrale», fr. «les couleurs du spectre, spectrales»), nous partirons de la célèbre division du spectre en sept couleurs, opérée par Newton: rouge, orange, jaune, vert, bleu, indigo et violet4. À rappeler ici que le blanc et le noir ne sont pas des couleurs: le blanc est l’association de toutes les couleurs du prisme, alors que le noir est l’absence de couleur [http://www.code-couleur.com/dictionnaire/]5.

La complexité du phénomène envisagé ainsi que ses multiples valences dans des domaines variés du savoir et de l’esprit (y apparaissent mentionnées aussi la physiologie, la psychologique et les données culturelles) est mise en évidence dans une étude qui se penche surtout sur les relations entre linguistique et culture et dont nous citons:

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«La couleur, perception sensorielle provoquée par les radiations lumineuses, est un phénomène particulièrement complexe qui met en relation différents éléments: une source lumineuse, un objet et le récepteur (le couple œil-cerveau). La perception de la couleur et sa nomination sont donc à l’intersection de données non seulement physiques et physiologiques, mais aussi de données psychologiques et culturelles» (Mollard-Desfour 2011: 89). 2.2. Les couleurs sur le cercle chromatique Avant de voir quel est le critère de définition utilisé par les linguistes (tel

qu’il apparait dans les définitions lexicographiques), nous présenterons d’abord le classement traditionnel des adjectifs chromatiques (tel qu’il apparait dans les traités de spécialité: optique et art), qui les divisent, selon leur provenance, en couleurs primaires, couleurs secondaires et couleurs intermédiaires. Le cercle chromatique6, document de référence en matière de théorie et d’harmonie des couleurs, est composé des trois groupes de couleurs ci-dessous:

(1) Les couleurs primaires qui sont le ROUGE, le JAUNE et le BLEU, le mélange de ces trois couleurs (on appelle cela ‘synthèse additive’) donnant de nouvelles couleurs.

(2) Les couleurs secondaires sont obtenues par le mélange à parts égales de deux couleurs primaires. Dans le domaine de la peinture, ce sont l’ORANGE, le VERT et le VIOLET. Par exemple, la position qu’occupe le vert, entre le bleu et le jaune, dans le spectre, conduit immédiatement à l’idée qu’il résulte du mélange de ces deux couleurs, hypothèse confirmée par l’expérience. Il en est de même pour l’orange (rouge et jaune) et le violet (bleu et rouge).

(3) Les couleurs tertiaires ou intermédiaires sont obtenues par le mélange d’une couleur primaire avec une couleur secondaire, en obtenant ainsi des nuances qui varient suivant la position qu’elles occupent respectivement dans le cercle chromatique. Si elles sont voisines, le mélange rappelle l’une et l’autre: bleu et vert = bleu verdâtre; bleu et violet = bleu violacé; jaune et vert = vert jaunâtre; jaune et orange = jaune-orangé, etc.

À remarquer qu’un dernier groupe, comprenant le BLANC, le GRIS et le NOIR, ne fait pas partie du cercle, car ce sont des couleurs achromatiques.

Selon leur position dans le cercle chromatique on distingue encore les couleurs complémentaires: c’est-à-dire les couleurs qui se trouvent opposées dans le cercle chromatique. Par exemple, la couleur complémentaire du rouge est le vert (obtenu en mélangeant les deux autres couleurs primaires, le jaune et le bleu). La complémentaire du bleu est l’orangé (mélange de jaune et de rouge) et la complémentaire du jaune est le violet (mélange de bleu et de rouge).

2.3. Les définitions dans les traités d’art Nous allons jeter un bref regard sur les définitions des chromonymes telles

que pratiquées dans les traités d’art, et ce pour un double considérant: 1) les ouvertures culturelles de ce domaine et 2) l’existence de définitions alternatives.

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Concernant le premier aspect, disons que, s’agissant d’un lexique spécialisé, mais en égale mesure culturel, les données culturelles y occupent une place de choix, par la manière dont une société, une culture voient les couleurs:

«Entreprendre la rédaction d’un dictionnaire des termes de couleur peut sembler alors une gageure tant est grande la difficulté à cerner la couleur, la définir, non seulement d’un point de vue descriptif (quelle est la teinte exprimée?) mais aussi d’un point de vue symbolique (quelle est la/les valeur(s) de la couleur, dans une société donnée, à une époque donnée?)» (Mollard-Desfour 2011: 89). Concernant le second aspect, nous faisons renvoi à une étude consacrée au

lexique spécialisé des arts plastiques réalisée par A. Bidu-Vrănceanu (2002), qui souligne l’importance des termes chromatiques dans ce domaine, tout en précisant qu’ils y sont utilisés et définis d’une autre manière que dans le lexique commun.

Dans les traités et les dictionnaires d’art, ces définitions se présentent comme des études plus ou moins amples, renfermant une riche information. Par exemple, dans le cas de ALB («blanc») est présente la caractérisation scientifique (du point de vue de la physique), incluant des données pertinentes pour la peinture:

«culoarea produsă pe orice suprafaţă care reflectă în întregime lumina. Poate fi compusă din amestecul aditiv al culorilor sau al culorilor pigmentare primare» (ibid.), (la couleur produite sur n’importe quelle surface qui reflète complètement la lumière. Elle peut être composée du mélange additif des couleurs ou des couleurs pigmentaires primaires - n. trad.),

suivie de la caractérisation effectuée de la perspective stricte des arts plastiques (le blanc y est considéré une non-couleur, interprétation qui diffère de celle de la langue commune, où toute couleur s’oppose aux autres).

Les textes de spécialité proposent donc des définitions comportant un degré de technicité plus ou moins élevé, accessibles de manière inégale aux néophytes. L’analyse du lexique spécialisé utilisés dans les arts plastiques montre l’importance des chromonymes, qui y sont utilisés et analysés d’une manière spécifique.

D’autre part, les définitions qu’offrent les dictionnaires généraux sont, affirme l’auteur cité, approximatives et imprécises à plusieurs égards (nous y reviendrons dans le paragraphe suivant). Les prochaines éditions devraient imposer également les définitions des traités scientifiques du domaine, tout comme cela arrive pour d’autres domaines spécialisés, tels la terminologie médicale.

2.4. Les définitions dans les dictionnaires généraux Les définitions des chromonymes dans la lexicographie générale réunissent

le type scientifique (physique, chimie, mais non les arts plastiques) et le type usuel (langue commune), représentant des solutions alternatives, mais incomplètes. Ces définitions sont principalement fondées sur la représentation d’objets concrets

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caractérisés par la couleur en question. La dichotomie langue-référent devient ainsi essentielle dans une telle description.

Nous allons procéder dans ce qui suit à un examen de quelques définitions fournies par des dictionnaires généraux des deux langues analysées, pour les couleurs fondamentales (celles du spectre, divisées en couleurs primaires et couleurs secondaires) et les couleurs achromatiques, cette séparation étant imposée par les caractéristiques (principalement au niveau de l’optique) des couleurs en question; nous essayerons de voir dans quelle mesure ce fait est refleté dans les dictionnaires.

2.4.1. Les couleurs du spectre 2.4.1.1. Les couleurs primaires: rouge/roşu, jaune/galben, bleu/albastru ROUGE Qui est d’une couleur semblable à celle du feu, du sang, etc. (NL) Qui est d’une couleur voisine de celle de l’extrémité du spectre solaire, couleur dont la nature offre de nombreux exemples (sang, fleur de coquelicot, rubis, etc.). (GRLF) D’une couleur qui parmi les couleurs fondamentales se situe à l’extrémité du spectre, et rappelle notamment la couleur du coquelicot, du rubis, du sang. (TLFi) ROŞU De culoarea sângelui («de la couleur du sang»). (DEX) Arămiu, purpuriu («cuivré, poupre»). (DER) De culoarea sângelui, a rubinului, v. arămiu, bordo, cărămiziu, purpuriu, stacojiu («de la couleur du sang, du rubis, v. cuivré, bordeaux, rouge brique, écarlate»). (DLR) JAUNE Qui est de couleur d’or, de citron, de safran. (NL) Qui est d’une couleur placée dans le spectre entre le vert et l’orangé, et dont la nature offre de multiples exemples: être jaune comme l’or, le safran, la paille, le miel, le soufre, le citron. (GRLF) Qui constitue la couleur la plus chaude et la plus lumineuse et rappelle notamment la couleur du citron, de l’or, des blés mûrs. (TLFi) GALBEN De culoarea aurului, a lămâii etc. («de couleur d’or, de citron»). (DEX, DER) Care este de culoarea aurului sau a lămâii; ca aurul; ca lămâia («de couleur d’or ou de citron; comme l’or, comme le citron»). (NODEX)

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Exemples: lumânări de ceară galbenă («des cierges de cire jaune») (Negruzzi), galbenele file («les feuilles jaunes») (Eminescu), pere galbene ca ceara («des poires jaunes come la cire») (Creangă). (DA)

BLEU Qui est de la couleur du ciel sans nuage. (NL) Qui est d’une couleur entre l’indigo et le vert, dont la nature offre de nombreux exemples, comme un ciel sans nuages, certaines fleurs (bleuet, bluet, myosotis, pervenche), certains minéraux (Lapis-lazuli, saphir). (GRLF) Qui, parmi les sept couleurs fondamentales du spectre, se situe entre le vert et l’indigo, et rappelle notamment la couleur diurne du ciel sans nuage, celle de l’eau profonde et claire, etc. (TLFi) ALBASTRU Care are culoarea cerului senin («qui a la couleur du ciel serein»). (DEX) De culoarea cerului senin («de la couleur du ciel serein»). (DER) Albastru este o nuanţă mai deschisă a culorii vinete exprimând mai ales culoarea cerului, a ochilor şi a mării («le bleu est une nuance plus claire du violacé traduisant surtout la couleur du ciel, des yeux et de la mer»). (DA) Remarques1

1) Les trois dictionnaires du français consultés à ce dessein concordent en

donnant tous une définition ostensive (ils indiquent les objets qui se caractérisent par cette couleur): le feu, le sang, mais aussi des fleurs (le coquelicot) pour le ROUGE; le JAUNE est associé à l’or, au citron, au safran, à la paille, au miel, etc., alors que le BLEU est la couleur du ciel sans nuages, mais aussi celle de certaines fleurs, de l’eau claire, etc.

2) Deux dictionnaires (GRLF et TLFi) combinent ce type de définition basé sur la représentation d’objets concrets avec des remarques du type (pré)scientifique (la position de la couleur dans le spectre: le ROUGE est à l’extrémité du spectre, le JAUNE est placé entre le vert et l’orange, le BLEU entre le vert et l’indigo), avec, cependant, la remarque que le TLFi ne se montre pas conséquent à cet égard et renonce à cette précision dans le cas de JAUNE.

3) Pour ce dernier adjectif est mise à profit une indication relevant d’une autre caractéristique de cette couleur, plutôt subjective, celle de son «langage secret»: la plus chaude et lumineuse des couleurs.

4) Les dictionnaires du roumain utilisent le même principe de définition basé sur la représentation d’objets concrets (les différences d’avec les dictionnaires du français peuvent venir uniquement des référents auxquels on fait appel, mais il y a des constantes: le sang pour ROŞU, le ciel serein pour ALBASTRU ou l’or pour définir GALBEN; à remarquer cependant que pour ALBASTRU, le DA renvoie non seulement à la couleur du ciel mais aussi à celle de la mer et … des yeux. Mais

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on peut affirmer qu’on n’enregistre pas de différences culturelles dans ce cas, les deux langues appartenant au même espace culturel européen7.

5) On retrouve aussi des définitions réalisées à l’aide de la synonymie, ce qui implique un certaian degré d’approximation: ROŞU défini par deux autres adjectifs arămiu («cuivré»), purpuriu («pourpre») (DER et DLR).

6) GALBEN, en tant qu’adjectif n’est même pas défini, sa signification se dévoile uniquement à travers des comparaions (exemples littéraires).

2.4.1.2. Les couleurs secondaires: vert/verde, orange/portocaliu, oranj,

violet/violet VERT Qui est de la couleur de l’herbe et des feuilles des arbres. (NL) Intermédiaire entre le bleu et le jaune (radiations lumineuses dont la longueur d’onde avoisine 0,52 ). (GRLF) En parlant d’une couleur du spectre solaire: Qui se trouve entre le bleu et le jaune; en partic., «qualifie des radiations lumineuses dont la longueur d’onde qui avoisine 0,52 , ou des radiations complexes qui produisent sur l’œil une impression analogue». (TLFi) VERDE Care are culoarea frunzelor, a ierbii sau, în general, a vegetaţiei proaspete de vară («qui a la couleur des feuilles, de l’herbe ou, en général, de la végétation fraiche d’été»). (DEX) Care are culoarea vegetaţiei proaspete de vară («qui a la couleur de la végétation fraiche d’été»). (DER) Care are culoarea frunzelor, a ierbii sau, în general, a vegetaţiei proaspete de vară, (despre culoare) care are o nuanţă particulară rezultată din combinarea galbenului şi a albastrului; care se află între aceste doua culori în spectrul solar («qui a la couleur des feuilles, de l’herbe ou, en général, de la végétation fraiche d’été; qui a une nuance particulière résultant de la combinaison entre le jaune et le bleu; qui se trouve entre ces deux couleurs dans le spectre»). (DLR) ORANGE Couleur qui approche de celle de l’orange. (NL) D’une couleur semblable à celle de l’orange, c’est-à-dire formée par la combinaison du jaune et du rouge. (GRLF) D’une couleur semblable à celle de l’orange. (TLFi) PORTOCALIU8 De culoarea portocalei coapte; galben-roşiatic, oranj («de la couleur de l’orange mûre; jaune rougeâtre, orange»). (DEX)

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De culoarea portocalei; galben-roşiatic, (franţuzism) oranj («Idem»). (DA) VIOLET De couleur de la fleur qu’on nomme violette. (NL) Qui est de la couleur obtenue par le mélange du bleu et du rouge. (GRLF) D’une couleur qui parmi les couleurs fondamentales du spectre, en constitue l’une des limites visibles et rappelle la couleur de la fleur nommée violette. (TLFi) VIOLET De culoarea viorelei («de la couleur de la violette»). (DEX) De culoarea violetei, a micşunelei; vioriu, mov; liliachiu («de la couleur de la violette, de la mixandre; violet, mauve, lilas»). (DN) De culoarea florii de viorea; care are culoarea intermediară între roşu şi albastru (închis) («de la couleur de la violette; d’une couleur intermédiaire entre le rouge et le bleu foncé »). (DLR) Remarques2 1) Dans les dictionnaires du français, le VERT est associé à l’herbe, les

feuilles, alors que l’ORANGE et le VIOLET sont définis en fonction des noms dont ils dérivent.

2) Le critère scientifique (physique), qui définit la couleur en termes de longueur d’onde (microns), n’est appliqué que dans le cas du VERT (GRLF et TLFi). Même la précision que c’est une couleur du spectre est aléatoire: ici pour le VERT et le VIOLET (dans le TLFi).

3) Le fait que ces couleurs, étant secondaires, résultent d’une combinaison, n’est spécifié pour les trois couleurs, de façon constante, que dans le GRLF, alors que le TLFi ne le fait que pour le VERT, ce qui démontre une certaine inconséquence dans un même et unique dictionnaire.

4) Les dictionnaires du roumain font également appel aux référents prototypiques auxquels ces couleurs sont associées: la végétation fraîche pour VERDE, la violette pour VIOLET, l’orange pour PORTOCALIU.

5) Dans le DLR ce type de définition se combine avec des informations sur le spectre (v. VERDE) et sur la nature de la combinaison chromatique dans le cas de VIOLET (sans précision de la position de la couleur dans le spectre), ce qui indique un manque de cohérence dans le cadre du dictionnaire.

6) Le recours à des synonymes caractérise, tout comme dans le cas des couleurs primaires, uniquement les définitions en roumain: respectivement vioriu, mov, liliachiu pour VIOLET et galben-roşiatic, oranj pour PORTOCALIU.

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2.4.2. Les couleurs achromatiques: blanc/alb, noir/negru, gris/gri, cenuşiu BLANC Qui est de la couleur du lait, de la neige, etc. (NL) Qui est d’une couleur combinant toutes les fréquences du spectre, et produisant une impression visuelle de clarté neutre, dont la nature offre de nombreux exemples: Blanc comme la neige, comme le lait, l’albâtre, la craie, un lis. (GRLF) Qui, combinant toutes les couleurs du spectre solaire, a la couleur de la neige, du lait, etc. (TLFi) ALB Care are culoarea zăpezii, a laptelui («qui a la couleur de le neige, du lait»). (DEX) De culoarea zăpezii, a laptelui («Idem»). (DER) Exemples: dinţii lui mai albi vor fi decât laptele («ses dents seront plus blanches que le lait») (Palia), ca marmura de albă («blanche comme le marbre») (Eminescu), două iepe albe ca zăpada («deux juments blanches comme la neige») (Creangă). (DA) NOIR Qui est de la couleur la plus obscure, la plus privée de lumière. (NL) Se dit de l’aspect d’un corps qui produit une impression particulière sur la vue du fait que sa surface ne réfléchit aucune radiation visible. Rem. Noir, à proprement parler, ne désigne pas une couleur mais on dit couramment: la couleur noire. (GRLF) Caractérisé par l’absence de couleur (ou par une couleur très sombre) ou bien par l’absence de lumière. Rem. À strictement parler, noir ne désigne pas une couleur. Le corps noir absorbe intégralement les rayons qu’il reçoit à sa surface. Mais la langue retient le fait que le noir produit une impression visuelle analogue à celle des couleurs et admet couramment la couleur noire. (TLFi) NEGRU Care nu reflectă lumina, care are culoarea cea mai închisă; de culoarea funinginii, a cărbunelui; (despre culori) ca funinginea, ca penele corbului, cu cea mai închisă nuanţă («qui ne reflète pas la lumière, qui est de la couleur la plus obscure; de la couleur de la suie, du charbon; (à props des couleurs) comme la suie, comme l’aile du corbeau, avec la nuance la plus foncée»). (DEX) De culoarea funinginii («de la couleur de la suie»). (DER) Care nu reflectă lumina, care are culoarea cea mai închisă, de culoarea funinginii, a cărbunelui, a penelor corbului («qui ne reflète pas la lumière, qui est de la couleur la plus obscure, de la couleur de la suie, du charbon, de l’aile du corbeau»). (DLR)

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GRIS Qui est de couleur entre blanc et noir. (NL) D’une couleur intermédiaire entre le blanc et le noir. (GRLF, TLFi)

GRI9

Cenuşiu («couleur de cendre, cendré»). (DEX)

Remarques3

1) Etant donné les caractéristiques physiques spécifiques des couleurs

achromatiques (dont en optique on ne reconnait pas même le statut de ’couleur’)10, les dictionnaires choisissent des modalités diversifiées de définition. Il y a d’abord le recours au critère de la référence, mais qui s’y applique uniquement pour le BLANC, associé à la neige et au lait. Pour le NOIR, ces associations n’apparassent que dans les exemples fournis après la définition.

2) Dans le cas du BLANC, les définitions (préscientifiques) insistent sur les caractéristiques optiques: combinaison de toutes les fréquences du spectre (GRLF, TLFi), alors que et le NOIR est défini comme une non-couleur: privée de lumière (NL), absence de couleur et de lumière (GRLF).

3) Enfin, le GRIS est unanimement caractérisé par sa position intermédiaire entre le blanc et le noir.

4) On remarque dans le cas du roum. ALB, la même association qu’en français avec la neige et le lait, alors que NEGRU renvoie au charbon, aux plumes du corbeau ou à la suie (et qui est d’ailleurs l’unique référence dans le DER). Cette couleur est qualifiée aussi de «la plus foncée» (DEX, DLR).

5) GRI est défini seulement par le recours à la synonymie avec cenuşiu («cendré») (DEX). La définitin scientifique, qui apparait normalement dans ce dictionnaire seulement pour les noms, est donnée dans le cas de ce lexème sous l’entrée CENUŞIU (Culoare obţinută prin suprapunerea în diferite proporţii a culorilor alb şi negru – Couleur obtenue pas la superposition dans différentes proportions du blanc et du noir), quoique ce soit gri qui est le terme non marqué diastratiquement et utilisé dans le langage des arts plastiques.

6) Dans le cas de GALBEN, tout comme dans le cas de ALB, le DA ne le définit pas, en recourant uniquement à des comparaisons tirées de la littérature.

3. Conclusions La différence de principe entre les définitions lexicographiques relevées

dans les dictionnaires des deux langugues prises en compte vient du fait qu’en roumain, contrairement au français, la définition scientifique par référence au spectre est donnée uniquement pour les substantifs11. Les adjectifs sont définis

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prioritairement par ostension (définition qui, quoique incomplète, approximative et dépendant de la perception individuelle, a l’avantage d’être concrète, ‘visualisant’ en quelque sorte la couleur, qui devient ainsi accessible aux usagers de la langue). Dans le DLR, on fait aussi des références sommaires au spectre même pour les adjectifs (v. VERDE, mais il n’en est pas de même pour VIOLET - dans le même tome du dictionnaire!), ces informations apparaissant uniquement pour le substantif12.

Les dictionnaires du français réunissent dans le cadre de la catégorie morphologique de l’adjectif la définition usuelle, par ostension, et celle (pré)scientique, en termes de position dans le spectre, fréquences du spectre, etc., ces dernièeres précisions n’étant accessibles qu’à des personnes plus ou moins initiées à l’optique.

Donc, il s’est avéré, par la brève analyse comparative effectuée, que ces critères de définition sont hétérogènes, combinant des critères divers (scientifique + usuel), (abstrait + concert), etc.; en plus, on a signalé des différences de principe entre les deux langues concernant la définition lexicographique des adjectifs chromatiques.

Notes

1 En d’autres termes, les chromonymes. 2 Cf. Scurtu, Gabriela / Dincă, Daniela (éds.) (2011), Typologie des emprunts lexicaux français en roumain, Craiova: Editura Universitaria. 3 «Culorile spectrale dispun de două tipuri de definiţii: una ştiinţifică, cealaltă uzuală, ostensivă, concretă» (cf. Bidu-Vrănceanu 2008: 68) (Les couleurs du spectre disposent de deux types de définitions: l’une scientifique, l’autre usuelle; n. trad.); «In definiţii regăsim cel puţin două criterii: al ştiinţei şi al artei. Lingvistica ţine seama de cele două criterii, dar operează pe baza celui de-al treilea, uzul general» (Pitiriciu 2009: 115) (Dans les définitions on retrouve au moins deux critères: celui de la science et celui de l’art. La linguistique tient compte des deux, mais opère avec un troisième, l’usage général; n. trad.). 4 Newton choisit sept couleurs à cause d’une croyance venant des anciens philosophes grecs, qu’il y avait un lien entre les couleurs, les notes de musique, les objets connus du système solaire et les jours de la semaine [http://fr.wikipedia.org/wiki/Lumi%C3%A8re_visible]. 5 Cette dichotomie et le pouvoir expressif, la symbolistique dont peut se charger chaque terme, les voilà magnifiquement illustrés dans ce fragment de Rabelais: «La nuyct n’est- elle funeste, triste et melancholieuse? Elle est noire et obscure par privation. La clarté n’esjouit elle toute nature? Elle est blanche plus que chose que soit [...]» (Rabelais, Gargantua, chap. X). 6 Le cercle chromatique est la création du chimiste français Eugène Chevreuil. [www.peinturelaurentide.com/fr/couleur_en_theorie/vocabulaire_de_la_couleur.asp_] et [www.milleetunefeuilles.fr/harmonie-des-couleurs].

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7 Sont à relever des différences notables dans la perception des couleurs, à travers l’histoire des civilisations et, à l’heure actuelle, dans divers espaces géoculturels. Par exemple, le terme bleu était absent chez les Romains (cf. entre autres Giuglea / Kelemen 1966). En même temps un mot comme color thalassicus («couleur de la mer») est un vert qui vire au bleu. On peut consulter à cet égard Michel Pastoureau, Bleu, histoire d’une couleur, Paris, Le Seuil, 2000. 8 Le néologisme oranj, emprunt au français, est qualifié de livresque par le DEX et de francesisme par le DLR (vu que ce mot est un emprunt au français qui double la forme autochtone portocaliu (dérivé de portocală «orange (fruit)». 9 Dans les manuels des arts plastiques le GRIS bénéficie de définitions beaucoup plus amples, avec la description de divers mélanges chromatiques, à partir du gris neutre aux gris avec une certaine teinte. (cf. Bidu-Vrănceanu 2002) 10 Dans d’autres disciplines, imprimerie, photographie, peinture, cinématographie, on les considère comme des couleurs et on valorise artistiquement leur pouvoir suggestif. 11 Culorile primare […] (alb, negru, galben, roşu, albastru, verde) sunt definite în DEX’96 în două maniere diferite, după cum sunt adjective sau substantive. […] Când sunt substantive, se dă definiţia ştiinţifică din fizică: ALB, «culoare obţinută prin suprapunerea tuturor componentelor luminii zilei», ALBASTRU, «una dintre culorile fundamentale ale spectrului luminii, situată între verde şi indigo», VERDE, «una din culorile fundamentale ale spectrului solar, situată între galben şi albastru», ş.a.m.d. (cf. Bidu-Vrănceanu 2002) («Les couleurs primaires (le blanc, le noir, le jaune, le rouge, le bleu, le vert») sont définies dans le DEX ’96 de deux manières différentes, selon qu’elles sont des adjectifs ou des noms. Quand elles sont des noms, on donne la définition scientifique utilisée en physique: BLANC «couleur obtenue par la superposition de toutes les composantes de la lumière du jour», BLEU «l’une des couleurs fondamentales du spectre, située entre le vert et l’indigo», VERT «l’une des couleurs fondamentales du spectre, située entre le jaune et le bleu», et ainsi de suite (n. trad.) 12 VERDE est défini en tant qu’adj. comme une couleur située entre le jaune et le bleu dans le spectre solaire et en tant que s.n. comme la quatrième couleur fondamentale du spectre, alors que dans le cas de VIOLET ces indications apparaissent uniquement pour le s.n., la septième couleur du spectre.

Bibliographie Dictionnaires

DA = Academia Română (1913-1949), Dicţionarul limbii române, Bucureşti. DEX = Academia Română / Institutul de Lingvistică «Iorgu Iordan» (1998),

Dicţionarul explicativ al limbii române, Bucureşti: Univers Enciclopedic.

DLR = Academia Română (1965-2009), Dicţionarul limbii române, Serie nouă, Bucureşti: Editura Academiei Române.

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DLRC = Academia Română (1955-1957), Dicţionarul limbii române literare contemporane, Bucureşti: Editura Academiei Române.

DN = Marcu, Florin / Maneca, Constant, (1986), Dicţionar de neologisme, Bucureşti: Editura Academiei.

GRLF = Robert, Paul (1986), Le Grand Robert de la langue française. Dictionnaire alphabétique et analogique, Paris: Le Robert.

NL = Le Nouveau Littré (2007), Version électronique [http://apex.ulis.free.fr/bouton-b6.htm].

NODEX = (2002), Noul dicţionar explicativ al limbii române, Bucureşti: Editura Litera Internaţional.

TLFi =Trésor de la Langue Française Informatisé, Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) / Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF)/Université Nancy 2 [http: //atilf.atilf.fr/tlf.htm].

Oeuvres de référence

Bidu-Vrănceanu, Angela (2002), «Lexic specializat - artele plastice», in Bidu-Vrănceanu, Angela et al. (coord.), Lexic comun, lexic specializat, Universitatea din Bucureşti.

[http://ebooks.unibuc.ro/filologie/vranceanu/index.htm] Bidu-Vrănceanu, Angela (2008), Câmpuri lexicale din limba română. Probleme

teoretice şi aplicaţii practice, Editura Universităţii din Bucureşti. Dimitrescu, Florica (2002), «Despre culori şi nu numai. Din cromatica actuală», in

Gabriela Pană Dindelegan (coord.), Aspecte ale dinamicii limbii române actuale, Editura Universităţii Bucureşti: 147-184.

Giuglea, G. / Kelemen, B. (1966), «Termenii privitori la culori în latină, cu referinţă la limbile romanice», in Cercetări de lingvistică 11-2: 215-220.

Mollard-Desfour, Annie (2011), «Le lexique de la couleur: de la langue à la culture… et aux dictionnaires», in Revue d’Études Françaises 16: 89-109.

Pitiriciu, Silvia (2009), «Din terminologia cromatică: verde în limba română», in AUT XLVII: 115-129.

Stoichiţoiu Ichim, Adriana (2013) L’influence française sur le vocabulaire des termes chromatiques du roumain contemporain (exemplier), CILPR XXVII, Nançy, 14-20 juillet 2013.

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DOSSIER

COMPTES-RENDUS CRITIQUES

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Thélème. Revista Complutense de Estudios Franceses, vol. 27 (2012), Madrid, Publicaciones Universidad Complutense de Madrid, 443 p., ISSN: 1139-9368.

Valentina RĂDULESCU

Université de Craiova, Roumanie Thélème. Revista Complutense de Estudios Franceses est éditée par le

Département de Philologie Française de La Faculté des Lettres de l’Université Complutense de Madrid. La revue paraît sous son nom actuel depuis 1998 et succède à l’ancienne Revista de Filologia Francesa. Ce périodique annuel accueille dans ses pages des contributions originales des chercheurs spécialisés dans la langue et la littérature françaises, la civilisation, la linguistique, la traduction, la didactique du français, ainsi que dans d’autres domaines de recherche artistiques et culturels.

La revue jouit d’une présentation graphique remarquable. Sur la couverture, par une subtile mise en abîme, la description par Rabelais des règles de l’Abbaye de Thélème et des activités des Thélémites, guidés par leur devise «Fais ce que vouldras», renvoie à un espace idéal d’interaction culturelle et d’indépendance des chercheurs «thélémites» et justifie le choix du titre métaphorique de la revue. Il s’impose ainsi, d’emblée, la volonté de ne pas circonscrire les axes de réflexion à une thématique limitatrice, d’ouverture à l’hétérogénéité des domaines de recherche, à la multiplicité des voix critiques.

Au Directeur de la revue, le professeur Anne-Marie Reboul et au secrétaire de rédaction, Isabelle Marc, toutes les deux de l’Université Complutense de Madrid, se joignent d’autres spécialistes de grande tenue professionnelle de plusieurs universités espagnoles, qui forment les comités de rédaction et d’évaluation et assurent une sélection rigoureuse des contributions, conforme aux standards scientifiques de la revue. Leurs efforts sont appuyés par un Comité scientifique formé de spécialistes réputés de plusieurs universités de France, d’Allemagne, des États-Unis, de Belgique, de Roumanie et d’Espagne.

Le numéro 27/2012 accueille vingt-trois études critiques, qui recouvrent une aire étendue et des domaines diversifiés d’investigation.

Margarita Alfaro étudie dans «De la littérature romande à la littérature interculturelle francophone en Europe. Adrien Pasquali ou la dualité dévastatrice de l’appartenance culturelle» les enjeux de la double déchirure identitaire de l’écrivain migrant par rapport au canon de la littérature romande, tels qu’ils se manifestent dans l’autobiographie fictionnelle d’Adrien Pasquali, Portrait de l’artiste en jeune tisserin, marquée par l’hybridation et le métissage.

L’article de Teresa Baquedano Morales, «De l’utopie à l’espace hostile: la France dans les romans L’Éducation d’une fée et Nation par Barbès», suit le trajet

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des deux personnages féminins principaux des romans de Didier Van Cauwelaert et de Cécile Wajsbrot. Fascinées par l’identité et la culture françaises, une fois arrivées en France, elles subissent une immersion difficile dans une société multiculturelle, où elles doivent assumer leur statut d’étrangères. Le choc culturel éprouvé est dû au décalage entre leur image stéréotypée, désirée, utopique de la France et l’espace hostile de l’incommunication qui les submerge.

Changeant de registre, la contribution d’André Bénit «Septante-cinq ans après le coup d’état franquiste… La mémoire historique espagnole de deux écrivains belges: Hubert Nyssen et Vincent Engel» explore la manière dont les deux écrivains belges, issus de générations différentes, s’acquittent, à travers leurs œuvres, de ce que l’auteur de l’article appelle le devoir de mémoire historique. L’étude se consacre à l’évocation de la guerre civile d’Espagne dans plusieurs œuvres des deux écrivains, qui inscrivent par leurs témoignages la mémoire historique espagnole dans la mémoire collective universelle.

Dans «Le chercheur d’or de J.M.G. Le Clézio et la temporalité narrative», Luisa Bernabé Gil privilégie l’approche narratologique de la temporalité narrative. La démarche analytique est centrée sur la problématique de la répétition entre récit et diégèse, qui s’organise, dans le roman étudié, dans une série de successions entre les séries itératives et les épisodes en récit singulatif. Il en résulte, ainsi, une sorte de narration cyclique qui préfigure le passage du rite au mythe.

Isabelle Bes Hoghton propose dans «Le paysage sublime de l’île méditerranéenne dans la littérature de voyage du XIXe siècle: du locus amoenus au locus horribilis» une analyse, dans une perspective thématique, des composants du paysage insulaire méditerranéen: la montagne, la mer, l’olivier, la grotte. Ayant comme point de départ l’étude de l’île de Majorque, l’auteur analyse la manière dont ces éléments ont nourri la sensibilité romantique du voyageur du XIXe siècle. Les récits de voyage sont un espace privilégié où l’expérience du sublime des voyageurs esthètes du XIXe siècle au contact de ce paysage, peut être saisie dans sa dimension la plus profonde. L’article analyse également la relation paysage édénique – locus horribilis que le symbolisme et l’apparence du paysage de l’île méditerranéenne suggèrent.

L’étude de Raffaele Carbone, «L’imagination en mouvement: nature, société et pratique de soi chez Montaigne», s’intéresse au concept d’imagination chez le philosophe français, à l’origine et aux multiples modulations et fonctions de l’activité imaginative dans la pratique de soi et dans la société. L’auteur met en évidence les potentialités de l’imagination, son efficacité cathartique, la capacité de l’individu de «régler l’imagination» par une pratique originale, toujours au contact et au sein d’une nature (élément central des Essais) en perpétuel devenir.

Eugenio Enrique Cortés Ramírez s’attache à présenter, dans «La poétique du sentiment de Michel de Certeau» la contribution du penseur jésuite à l’évolution des études culturelles françaises et l’originalité de sa poétique de la vie quotidienne. L’auteur analyse les qualités de l’individu (postmoderne) de la fin du XXe siècle, dont la symbiose est le fondement de cette poétique du sentiment, ainsi que les principes de la mise en pratique, les arts de faire qu’elle implique.

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Avec «La condition de la femme dans l’œuvre narrative de Maupassant: ‘Étude de Une vie, Bel-Ami et Fort comme la mort’» d’Ana Elisabeth Cuervo Vásquez et de Rosa Alonso Díaz on retrouve la perspective thématique. Dans le contexte de la vision stéréoscopique du monde que Maupassant met en place dans ses romans, les auteurs analysent des aspects concernant la condition juridique et sociale, ainsi que l’éducation sexuelle de la femme. La représentation fictionnelle de la femme est mise en relation avec le contexte socio-culturel du XXe siècle.

Fanny Daubigny propose une «Étude du discours de remerciement de Marthe Bibesco prononcé devant l’Académie Royale de Langues et Littératures Françaises de Belgique». L’article insiste sur la dimension historique et symbolique de ce discours, empreint de noblesse et de modestie, mais où se profile, également, le portrait d’une femme de lettres visionnaire, de grand raffinement intellectuel, qui occupe une place particulière dans l’espace des lettres francophones.

C’est toujours dans une perspective thématique que s’inscrit l’article de Martina Díaz Cornide, «L’effort vers la ressemblance: la dualité héréditaire dans Le Docteur Pascal d’Émile Zola». L’auteur revient sur les théories de l’hérédité actualisées dans le cycle des Rougon-Macquart et tout particulièrement sur l’ambivalence du personnage central de ce roman, qui clôt le cycle romanesque naturaliste. Les thèmes de la raison et de l’irrationnel, du mysticisme et de la science, sont analysés en relation avec celui de la dualité héréditaire.

Avec «Second Life dans l’enseignement du Français langue étrangère à l’Université» de Paloma Garrido Íñigo, on pénètre dans le domaine de la méthodologie du FLE et des instruments qui assurent un acte didactique de qualité. L’auteur souligne les avantages et les désavantages de l’emploi de la plateforme virtuelle Second Life dans les cours de FLE et du nouveau style d’enseignement qui en découle.

Fátima Gutiérrez envisage, dans «La mythocritique de Gilbert Durand: théorie fondatrice et parcours méthodologiques», une remise en question et un repositionnement de la méthode et de l’école critique créées par Gilbert Durand. L’auteur essaie de la sorte de contrecarrer la position d’un certain comparatisme qui, tout en se servant du nom de mythocritique, semble vouloir nier son essence. L’analyse démontre que, loin d’être une «tendance diffuse» (p.189), la mythocritique est fondée sur une méthodologie rigoureuse, constamment développée par Gilbert Durand depuis Les structures anthropologiques de l’imaginaire (1960) jusqu’à La sortie du XXe siècle (2010).

Ana María Iglesias Botrán consacre son article à «La représentation de l’espace urbain dans les chansons de Zebda. Analyse systémique fonctionnelle». S’appuyant sur les concepts et sur la méthodologie de l’analyse critique du discours et de la grammaire systémique-fonctionnelle de Hallyday, l’auteur analyse les diverses représentations discursives de l’espace urbain dans les textes des chansons du groupe Zebda. La démarche analytique prend en compte les représentations positives et négatives, les processus matériels, mentaux, verbaux, comportementaux, relationnels qu’impliquent la description de l’espace, la

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description d’un espace «démocratique, tolérant, multiculturel, plurilingue et libre» (p.209), ainsi que les relations qui se tissent entre cet espace urbain et ses habitants.

La démarche critique sur «La singularité de la théopoésie. L’écriture théologique du poème Dieu», de Daniel S. Larangé révèle les particularités de la théopoèsis hugolienne. La réflexion s’organisme notamment autour des concepts d’inachèvement et d’écriture fragmentaire. Dans la vision de l’auteur, l’inachevé singularise la théopoésie de Victor Hugo, forme un genre nouveau, «qui permet à l’auteur de tenir un discours métaphorique sur Dieu» (p.223), tandis que la fragmentation est «le principe totalitaire» (p.223) d’une écriture poétique théologique qui se propose de «dire Dieu» (p.223) dans un monde où la rationalité a des fondements irrationnels.

Avec la contribution d’Ángeles Lence, «Français sur objectifs spécifiques en contexte polytechnique», on revient dans le champ complexe de l’enseignement du FLE en contexte universitaire. L’auteur aborde la spécificité et les enjeux de l’enseignement du français technique, des questions d’interculturalité, de développement humain durable, afin de dégager les meilleures perspectives pour le français sur objectifs spécifiques en milieu polytechnique.

Dans «‘Aimer ouvrir l’amande de l’absence dans la parole’: langue, poésie et quête du sens chez Yves Bonnefoy», Maria Litsardaki surprend la complémentarité de la pensée théorique et de la création poétique chez Yves Bonnefoy. La critique du discours conceptuel, la conception de la poésie et le rôle qui lui est assigné, la force de suggestion du langage poétique, la quête de l’identité parfaite entre «la réalité intime de la chose et le mot qui la dit» (p.255) sont les centres majeurs d’une réflexion qui se nourrit de la philosophie de la poésie d’Yves Bonnefoy.

L’étude de Roxana Monah, «Les enjeux du regard dans Le Chef-d’œuvre inconnu», porte sur la poétique du regard et sur le réseau de relations complexes qui unissent les personnages du roman balzacien. Le regard est analysé dans ses dimensions créatrice et destructrice et aussi comme moyen de possession immatérielle. À la problématique du regard sont associées celles du rapport du créateur à la/sa création, du geste créateur à la vision créatrice, ou de l’investissement érotique de l’œuvre d’art.

Vicente Enrique Montes Nogales étudie «L’influence des épopées africaines dans Muko ou la trahison d’un héros». Dans une perspective comparatiste, l’auteur s’intéresse aux éléments qui rapprochent l’épopée moderne de l’écrivain congolais Kabagema Mirindi des épopées africaines traditionnelles, en l’occurrence des «épopées claniques» (p.281): la structure du récit, la présence d’éléments qui développent l’oralité du texte (chansons, structures dialogiques), la thématique, la construction du héros selon le modèles du héros épique traditionnel.

Dans «L’ambiguïté en tant que stratégie préfacielle dans le roman français du XXVIIIe siècle», Mercedes Navarro Cameo explore la problématique de l’ambiguïté sous l’angle des objectifs pragmatiques, des fonctions, des modalisations discursives, dans une série de prologues, avertissements, préfaces accompagnant des romans du XXVIIIe siècle. L’auteur analyse les stratégies

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auctoriales mises en place pour créer un effet d’ambiguïté, du point de vue de la voix qui parle dans le prologue et de ses rapports avec l’œuvre, dans la déclaration d’intentions, dans la définition générique et dans le contrat de fiction.

La contribution de Luis Pablo Nuñez, «Le Petit vocabulaire ou nouvelle introduction à la langue française de Bruxelles (1813 – 1842), l’adaptation la plus tardive du vocabulaire de Berlaimont» est une approche minutieuse des éditions les plus tardives dérivées du vocabulaire de Noël de Berlaimont, destinées à l’enseignement de la langue française. Le chercheur analyse la structure et les particularités de contenu de ces œuvres. L’article fait également référence à d’autres ouvrages (dictionnaires, guides de conversation) dérivés de textes du XVIe et du XVIIe siècles.

Maria Teresa Pisa Cañete aborde, dans une perspective comparatiste, «Les aspects de la problématique et sociale de la communauté québécoise dans Les Belles-Sœurs et leur adaptation culturelle dans Las Cuñadas». L’analyse est consacrée, dans un premier temps, à l’étude du contexte de la création de l’original de Michel de Tremblay (en 1965) et de celui de la réception de l’adaptation culturelle en espagnol par Itziar Pascual (en 2008). Ensuite sont analysées les particularités linguistiques des deux textes, les options de transposition culturelle dans la version pour la scène.

L’article d’Aurélie Renault, «Discours littéraire et réactivation des consciences. Le cas de l’Afghanistan dans la littérature: Yasmina Khadra», met en rapport le discours des médias qui, par la surmédiatisation de la violence, désensibilise le lecteur/spectateur, et le discours littéraire en tant qu’«éveil des consciences» (p.374), capable de revivifier le pathos anéanti par le discours informatif. L’analyse porte sur les violences en Afghanistan, telles qu’elles sont représentées dans le discours médiatique et dans le roman Les Hirondelles de Kaboul de l’écrivain algérien Yasmina Khadra, qui réussit à abolir les frontières géographiques et culturelles entre le lecteur occidental et l’Afghanistan.

Cristina Vinuesa Muñoz réalise une incitante «Approche géométrique du personnage théâtral contemporain: la notion de figure comme cylindre chez Jean-Luc Lagarce». À partir de la figure du cylindre et de son symbolisme, l’auteur essaie de définir une nouvelle structuration du langage théâtral, de l’espace scénique, une nouvelle schématisation du personnage théâtral. Le rapprochement disciplinaire proposé par Cristina Muñoz semble une méthode efficace d’analyse de l’art dramatique, car elle envisage, selon l’auteur, une dimension nouvelle et virtuelle, toujours plus présente dans les mises en scène du XXIe siècle.

Outre les articles, le volume comprend huit contributions dans la section Comptes-rendus: «José Luis Diaz: L’homme et l’œuvre. Contribution à une histoire de la critique» (Samuel Bidaud); Luisa Bernabé Gil: «Estudio Monográfico de Mondo et autres histoires de J.M.G. Le Clézio. Homenaje al Premio Nobel de Literatura 2008» (Maria Loreto Cantón Rodríguez); José Manuel Losada Goya (coord.): «Mito y mundo contemporáneo. La recepcíde los mitos antiguos, medievales y modernos en la literatura contémporáne» (Juan Herrero Cecilia); «Àngels Santa (éd.): Création littéraire et féminité chez Roger Martin du

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Gard» (José Carlos Marco Vega; Laurent Demolin & Pierre Piret (dir.): «Textyles. Dossier Jean-Philippe Toussaint» (Hugo Martínez Rodríguez); «Henri Godard & Jean-Louis Jeannelle: Modernité du Miroir des limbes. Un autre Malraux» (Borja Mozo Martín); «Jean-Pierre Martin: Les écrivains face à la doxa ou Du génie hérétique de la littérature» (Julia Oeri); «Dominique Maingueneau: Manuel Linguistique pour les textes littéraires» (Marta Saiz Sanchez) et une présentation des collaborateurs du numéro 27.

La haute tenue scientifique des articles, la variété des sujets abordés et des points de vue critiques sont autant d’arguments qui imposent la revue Thélème comme un espace pluritransculturel (Patrick Chamoiseau), ouvert aux influences et aux échos les plus divers, un espace de la recherche scientifique toujours en mouvement, toujours en métamorphose.

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Condei, Cecilia, Éléments de linguistique pour l’analyse discursivo-textuelle, Éditions Universitaria, collection «Études françaises», Craiova, 2011, 207 pages. ISBN: 978-606-14-0088-1

Valentina RĂDULESCU

Université de Craiova, Roumanie Paru aux Éditions «Universitaria», de l’Université de Craiova, Roumanie,

dans la déjà très connue collection «Études françaises» (dirigée par le professeur Cristiana-Nicola Teodorescu), le livre de Cecilia Condei, maître de conférences au Département de Langues romanes et classiques de la Faculté des Lettres, est une contribution originale à l’évolution des recherches sur les approches linguistiques plurielles du texte littéraire.

L’ouvrage remet en discussion la relation (apparemment) irréconciliable, entre analyse textuelle et analyse du discours et cherche des voies de réconciliation ou, plutôt, d’intersection, entre les deux types d’analyse, le syntagme utilisé dans le titre, analyse discursivo-textuelle, suggérant une possible avancée dans la résolution d’une opposition tensionnée.

La démarche théorique-applicative est fondée sur un corpus aussi problématique qu’incitant, des écrits produits par des écrivains étrangers d’expression française, provenant notamment de l’espace roumain, mais aussi du Maghreb, du Canada, ou de la Belgique. Un corpus exhibant sa dimension inter- et multiculturelle, des œuvres relativement peu connues du grand public, dans lequel l’auteur cherche à identifier les éléments qui forment l’identité discursive et textuelle des œuvres analysées et qui les imposent comme différentes par rapport à des textes de la littérature française. Des différences qui, paradoxalement, définissent à la fois l’hétérogénéité et l’homogénéité des textes mis en relation.

Très documenté, le livre s’appuie sur les études les plus récentes dans le domaine, qui dépassent les frontières de l’Europe, ce qui démontre la curiosité scientifique et le désir de la chercheuse de couvrir une large aire des recherches linguistiques et de mettre en contact des perspectives appartenant à plusieurs écoles linguistiques. L’étude s’adresse à un public spécialisé, des chercheurs chevronnés, travaillant sur les moyens d’approche linguistique des textes littéraires, ainsi qu’à un public de jeunes chercheurs ou d’étudiants au début de leur formation à la recherche.

Le livre est organisé en deux parties, Démarches théoriques et Diversité des discours et des textes. Quatre chapitres composent la première partie: Discours et texte – éléments séparateurs/intégrateurs, Co-constuction textuelle, Constructions matérielles du texte. Le paragraphe, Dispositifs de cohérence textuelle. Une multitude de concepts y sont discutés, chacun étant défini et illustré

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de manière pertinente. L’auteur insiste sur des concepts ou sur des relations problématiques, ou propose des approches complexes de certaines réalités discursives ou textuelles, comme, par exemple, la discussion sur les frontières du texte et sur la relation texte-contexte-cotexte-totexte.

La deuxième partie du livre comprend trois chapitres: Hétérogénéité discursive et textuelle, Problématique de l’identité textuelle, La perspective typologisante de l’approche discursivo-textuelle. L’auteur relève de nombreux défis, des textes, parfois difficilement accessibles, de Panaït Istrati, Oana Orlea, Maria Mailat, Georges Eekhoud, Malika Mokeddem, Dumitru Tsepeneag sont interrogés dans la perspective des transgressions de régime énonciatif, du rapport interdiscours/intertexte, de la complémentarité des systèmes énonciatifs, de l’identité textuelle et des phénomènes de métissage, etc. Autant de moyens de réflexion et d’analyse, qui révèlent au lecteur «plusieurs pans textuels dont le sens s’avère difficile à comprendre à cause des marques culturelles ou des allusions plus ou moins transparentes, des implicites, maintes situations qui nécessitent de larges interventions pour reconstituer des cadres énonciatifs, leurs univers discursifs, et là où il s’avère nécessaire, même cette couche palimpsestique formée par la langue d’origine» (Condei, 2011: 10).

Éléments de linguistique pour l’analyse discursivo-textuelle n’est pas seulement un guide/instrument très utile d’investigation scientifique du texte littéraire, mais aussi une ouverture très argumentée et très convaincante, vers une autre manière de faire de la linguistique et vers un territoire de la littérature encore (trop) peu exploré.

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PEYLET GÉRARD, LE MUSÉE IMAGINAIRE DE GEORGE SAND: L’OUVERTURE ET LA MÉDIATION Librairie NIZET, Paris, 2005, 263 p.

Lelia TROCAN Université de Craiova, Roumanie «Ces lectures de l`imaginaire sandien se veulent l`image d’une œuvre

plurielle qui a su conserver dans sa diversité une grande unité. Regroupés autour de quelques points synthétiques, ceux-ci renvoient tous à une double problématique: l’ouverture et la médiation. De nombreux images, thèmes, figures expriment fréquemment dans l`œuvre ces deux axes: la frontière, la voix et la musique, l’éducation, les rapports entre l’archaïque et la modernité, la pudeur et l’impudeur, le repli et l’ouverture.

L’ouverture, nous la retrouvons aussi bien dans la représentation de l’espace que dans celle du temps, dans la psychologie des personnages en quête d’une transformation, dans de multiples thèmes comme le voyage ou la musique. La médiation n’est pas moins sollicitée par l’imaginaire sandien, car l’ouverture elle-même s’inscrit souvent dans une situation d’échange, de communication.

La générosité est la clé de la sensibilité et de la pensée sandienne, une sensibilité et une pensée mobile, qui concilient les besoins du repli et de l’ouverture dans un souci naturel d’unité et d’équilibre. L’ouverture et la médiation paraissent structurer en profondeur un imaginaire qui semble céder naturellement aux sollicitations synthétiques en tissant avec souplesse des liens entre les éléments opposés. La vision du monde sandienne englobe, sans artifice, tous les contraires, car l`imaginaire sandien est d`abord le lieu du relationnel, du dialogue et de l’échange.»

Gérard Peylet, professeur de littérature moderne et contemporaine à

l’Université de Bordeaux 3, est spécialiste de littérature «fin de siècle» à laquelle il a consacré de nombreux articles et 3 ouvrages, Les évasions manquées ou les illusions de l’artifice dans la littérature fin de siècle (Champion, 1986), La littérature fin de siècles, entre décadentisme et modernité (Vuibert, 1994), Huysmans ou la double quête, vers une vision synthétique de l’œuvre (L`Harmattan, 2000). Il édite chez Slatkine, en collaboration avec S. Bernard-Griffith, Les Lettres d’Edgar Quinet à sa mère: tome I (1808-1820), Champion, 1995, tome 2 (1821-1825), Champion, 1998, tome 3 (1826-1830), Champion, 2003. Il dirige depuis 1998 le LAPRIL et la collection Eidólon.

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YOUNG Lélia, AQUARELLES: LA PAIX COMME UN POÈME Éditions du Marais, Montréal, Le Canada, 2006, 66p.

Lelia TROCAN

Université de Craiova, Roumanie «Aquarelles: la Paix comme un Poème» marque une évolution, une

intégration de ces images belles et déchirantes qu’il faut un jour ranger tant bien que mal dans l’album-souvenir de sa mémoire.

Dans ce nouveau recueil, Lélia Young se laisse davantage tenter par l’humour, par le jeu amoreux, par le milieu ambiant. Dans un fondu enchaîné déroutant les images se pourchassent à travers l’espace, de Tunis à Montréal, de Toronto à Jérusalem.

Les vers de Lélia Young tentent d’agencer dans la même aquarelle le kayak et la chaleur des mers grâce à une Sedna métamorphosée.

Créant dans la paix intérieure, généreusement, sa voix s’inscrit et se métamorphose sur les aquarelles de nos exils.»

Poète, nouvelliste et professeure, Lélia Young a vécu, en Tunisie, en

France, aux États-Unis dans le New Jersey et dans le Massachusetts ainsi qu’au Canada, dans les provinces du Québec et de l’Ontario. Depuis 1976 elle réside à Toronoto. Elle est l’auteure de plusiers recueils dont: Entre l’outil et la matière (1993), et Si loin des cyprès (1999). Lélia Young a fondé et édité le journal «Langage et Créativité».

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DOSSIER

COLLOQUES, SÉMINAIRES ET PROJETS DE RECHERCHES

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LE CENTENAIRE ALBERT CAMUS

Ioan LASCU Université de Craiova, Roumanie

Il y a trois ans, par l’ironie du hasard, pourrait-on dire, on a marqué

cinquante ans passés depuis la mort d’Albert Camus. Car, suite à un bizarre accident de voiture, Albert Camus était mort le 4 janvier 1960. Le même hasard avait décidé de sa date de naissance, le 7 novembre 1913 et, de la sorte, trois ans après le cinquantenaire de la mort de l’ecrivain, on célèbre, cette année, le centenaire de sa naissance. Toujours un hasard, objectif cette fois-ci, a fait que, au fil des ans, l’œuvre de celui qui a été nobélisé en 1957 n’a pas été ignorée du tout, mais, au contraire, elle est aujourd’hui connue et étudiée dans le monde entier moyennant des centaines d’éditions, de rééditions et de traductions. Par exemple, seules les éditions françaises de L’Étranger et de La Peste ont déjà dépassé dix millions d’exemplaires. Quant à L’Étranger, ce petit roman camusien est encore classé entre les premiers vingt-cinq romans du XXe siècle. La bibliographie de l’œuvre et de la biographie de Camus est, elle aussi, énorme. On peut rappeler les massives biographies signées par Olivier Todd en 1996 et Herbert R. Lotman en 2013, toutes les deux comptant ensemble plus de deux mille pages. Des dizaines de colloques, d’émissions à la radio et à la télé, d’expositions, de débats et de tables rondes ont lieu chaque année et parmi les organisateurs infatigables on remarque constamment la Société d’Etudes Camusiennes (S.E.C.), dont les membres sont répandus dans tous les pays importants du monde, y compris la Roumanie.

Le cinquantenaire et le centenaire ont offert autant d’occasions à la publication de nouveaux travaux de recherche sur l’œuvre camusienne, biographies, documents littéraires, interviews. Albert Camus. Solitaire et solidaire, livre où sa fille, Catherine, évoque son père, Camus, une biographie par Virgil Tănase, L’Ordre libertaire par Michel Onfraye, Lire les Carnets d’Albert Camus (Anne Prouteau, Agnès Spiquel – éds.), le dossier Spécial Camus consacré à l’écrivain par l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur en 2010, en sont quelques exemples. Toujours en 2010, à la Faculté des Lettres de l’Université de Craiova, un collectif de chercheurs a organisé un Colloque International sur Albert Camus dont les communications ont été ensuite réunies dans le volume Albert Camus, un écrivain pour notre temps (Alain Vuillemin, Ioan Lascu, Valentina Rădulescu, Camelia Manolescu, Anda Rădulescu, Cecilia Condei – éds.).

En 2013, pour célébrer le centenaire, nous envisageons la publication d’un volume en hommage à Albert Camus. Assez d’échos sont arrivés en réponse à notre appel: quinze chercheurs, professeurs et doctorants de l’étranger y collaborent, à côté de cinq spécialistes roumains dont quatre de l’Université de Craiova. Les axes de recherche proposés sont aussi bien divers que l’œuvre même

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d’Albert Camus. De la sorte, le thème général – Albert Camus, innovation, classicisme, humanisme – est rattaché à une problématique variée visant l’harmonie tragique et l’humanisme: Sisyphe versus Prométhée (Sophia Chatzipetrou), jeu énonciatif et écriture réaliste à l’aune du journalisme dans La Peste (Nakpohapédja Hervé Coulibaly), Camus – romancier humaniste (Franck Colotte), Camus et la philosophie existentielle (Cécile Delbecchi), la pensée camusienne sur la mesure et le tragique (Pascale Devette), l’hégélianisme chez Albert Camus (Justyna Gambert), la distance fraternelle du maître (Baptiste Jacomino), l’épicurisme d’Albert Camus (Myriam Kissel), le citoyen, le journaliste, l’artiste et «la morale qui tue»1 (Ioan Lascu), l’écriture autobiographique (Samara Geske et Camelia Manolescu), l’anthropologie de l’homme absurde (Antonio Rinaldis), la configuration thanatique de l’altérité camusienne (Adriana Teodorescu), l’argumentation et la pertinence épistémique dans La Peste (Alice Ionescu), les compléments circonstanciels dans les Annexes au roman Le Premier homme (Ancuţa Guţă), etc.

L’œuvre d’Albert Camus, profonde et pleine de sens, classique, novatrice et humaniste à la fois, garde encore «aujourd’hui, dans le désordre de toutes choses, sa voix [qui] sonne plus fort que jamais. Voix d’un moraliste qui sait tout de l’absurde et de la révolte, voix qui, même au comble de la déréliction, ne cesse d’interroger, d’aimer le monde et les hommes. C’est à écouter cette voix si actuelle»2 que notre volume hommage à Albert Camus veut convier tous les lecteurs.

Notes

1 Cf. Jean-Paul Sartre, «Il fallait le tourner ou le combattre», in France-Observateur, 7 janvier 1960. 2 Voir Le Point, En couverture (signé M.-FL.), 14 août 1993, no. 1091.

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LE SYMPOSIUM INTERNATIONAL DISCORSO E CULTURA NELLA LINGUA E NELLA

LETTERATURA ITALIANA, CRAIOVA, LES 20-21 SEPTEMBRE 2013

Elena PÎRVU

Université de Craiova, Roumanie Les 20 et 21 septembre 2013, la section de Langue et littérature italiennes

de la Faculté des Lettres de l’Université de Craiova a organisé le Ve Symposium International d’études italiennes de Craiova. Comme tous les ans, le symposium intitulé Discorso e cultura nella lingua e nella letteratura italiana, a été patronné par l’Ambassade de l’Italie en Roumanie, l’Institutului Italien de Culture «Vito Grasso» de Bucarest, par la Société Dante Alighieri de Rome et par le Vice-consulat italien honorifique de Craiova.

Les travaux du symposium se sont déroulés en italien et en roumain et ont été regroupés en quatre sections: littérature, littérature comparée, linguistique et didactique de la langue et de la littérature italiennes.

Le comité scientifique du symposium international Discorso e cultura nella lingua e nella letteratura italiana a été formé de personnalités marquantes dans le domaine des études italiennes: M. le professeur Emanuele Banfi de l’Université «Bicocca» de Milan, Italie; Mme le prof. Nedda Boyadzhieva, de l’Université «Saint Clément d’Ochride» de Sofie, Bulgarie; M. le professeur Francesco Bruni, de l’Université «Ca’ Foscari» de Vénice, Italie; M. le professeur Danilo Capasso, Université de Banja Luka, Bosnie et Herzégovine; Mme le professeur Gonaria Floris, Université de Cagliari, Italie; Mme le professeur Barbara Fraticelli, Université Complutense de Madrid, Espagne; M. le professeur Alfredo Luzi, Université de Macerata, Italie; Mme le professeur Carla Marcato, Université d’Udine, Italie; Mme le professeur Carla Marello, Université de Turin, Italie; Mme le professeur Piera Molinelli, Université de Bergame, Italie; M. le professeur Alberto Roncaccia, Université de Lausanne, Suisse; M. le professeur Giampaolo Salvi, Université Eötvös Loránd de Budapest, Hongrie; M. le professeur Lorenzo Tomasin, Université de Lausanne, Suisse; Mme Monica Fekete, maître de conférences à l’Université «Babeş-Bolyai» de Cluj-Napoca, Roumanie; Mme le professeur Oana Sălişteanu, Université de Bucarest, Roumanie; Mme Roxana Utale, maître de conférences à l’Université de Bucarest et Mme le professeur Elena Pîrvu de l’Université de Craiova.

A cette occasion, 68 chercheurs et professeurs d’Albanie, de Bulgarie, du Cameroun, de la Corée du Sud, de Finlande, d’Italie, de Pologne, de Roumanie, de Serbie, de Slovaquie, de Slovénie, d’Espagne et de Hongrie sont venus à Craiova pour présenter les résultats de leurs recherches. L’université de Craiova, l’hôtesse

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de l’évènement, a été représentée par le professeur Teodor Sâmbrian, le professeur Elena Pîrvu, le maitre de conférences Ştefan Vlăduţescu, le maître-assistant Geo Constantinescu, le maître-assistant Ramona Lazea, le maître-assistant Lavinia Similaru, le maître-assistant Mihaela Popescu, l’assistante dr. Oana-Adriana Duţă et l’assistante dr. Andreea Iliescu.

Y ont soutenu des conférences plénières Mme le maître-assistant Barbara Fraticelli de l’Université Complutense de Madrid (Italia e Romania: due voci femminili a confronto), Mme le maître-assistant Smaranda Bratu Elian de l’Université de Bucarest (Dalla cultura al discorso letterario di Leonardo Sciascia) et M. le maître-assistant Francesco Bruni de l’Université Ca’ Foscari de Vénice, membre de l’Académie della Crusca (Tra imperi e leggerezza: un ruolo per l’italiano).

Le samedi 21 septembre 2013, on a présenté, dans le cadre du symposium, le volume de poésies Lettres à Sir Galahad (paru à Rome en 2012) d’Anna Paola Mundula et les volumes Des mots aux livres (Cluj-Napoca, 2012), de Mariana Istrate, Identità femminile e conflittualità nella relazione madre-figlia. Sondaggi nella letteratura italiana contemporanea: Duranti, Sanvitale, Sereni (Macerata, 2012), de Carla Carotenuto, L’Abissinia: un posto al sole? (Turin, 2012), de Valérie Joëlle Kouam Ngocka et Discorso, identità e cultura nella lingua e nella letteratura italiana. Atti del Convegno Internazionale di Studi di Craiova, 21-22 settembre 2012 (Craiova, 2013), éditeur Elena Pîrvu.

Lors de l’ouverture officielle du symposium, qui a eu lieu le vendredi 20 septembre 2013 à 10 heures dans la Salle Bleue de l’Université de Craiova, ont prononcé des discours de bienvenue M. le professeur Dan Claudiu Dănişor, le Recteur de l’Université de Craiova, Mme le professeur Cristiana Teodorescu, le Vice-Recteur pour les Relations Internationales, M. le professeur Nicu Panea, le Doyen de la Faculté des Lettres, M. le professeur Ezio Peraro, le directeur de l’Institut Italien de Culture «Vito Grasso» de Bucarest et l’attaché culturel de l’Ambassade de l’Italie à Bucarest, M. le dr. Marco Oletti, le Vice-Consul italien Honorifique à Craiova, M. le professeur Gabriel Coşoveanu, le Vice-Doyen de la Faculté des Lettres et le professeur Elena Pîrvu, Vice-Doyen de la Faculté des Lettres et coordinateur de la section d’italien de la Faculté des Lettres de l’Université de Craiova.

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ANALELE UNIVERSITĂŢII DIN CRAIOVA ANNALES DE L’UNIVERSITE DE CRAIOVA

ANNALS OF THE UNIVERSITY OF CRAIOVA

SERIA ŞTIINŢE FILOLOGICE LANGUES ET LITTÉRATURES ROMANES

Historique de la revue

Annales de l’Université de Craiova, Série langues et littératures romanes

(AUC-LLR) est une publication scientifique annuelle du Département de Langues romanes et classiques de la Faculté des Lettres, Université de Craiova, Roumanie. S’inscrivant dans la catégorie des publications prévues pour les échanges internes et internationaux, elle est indexée dans plusieurs bases de données internationales (Scopus, Scipio, Fabula), étant accréditée par l’autorité roumaine de la recherche scientifique (catégorie B du Conseil National de la Recherche Scientifique-CNCS).

Revue pluridisciplinaire en sciences humaines, les Annales de l’Université de Craiova, Série langues et littératures romanes consacre ses articles à la langue et à la littérature françaises et francophones, à la littérature comparée, aux relations entre la littérature et les arts, à la didactique de la langue et de la littérature. Depuis trois ans, la revue publie des numéros thématiques; celui de 2012 est consacré au Dialogue des langues et des cultures en contexte francophone; celui de 2013 est consacré au thème (In)former pour transformer.

Arrivée en 2013 à sa dix-septième apparition, la publication a bénéficié de la collaboration d’un comité scientifique composé de spécialistes en linguistique et en littérature, jouissant d’un grand prestige dans le milieu académique, enseignants ou chercheurs dans des universités roumaines et étrangères. Les directeurs de la publication ont été, au fil du temps, des spécialistes reconnus tels que Sanda Stavrescu, Janetta Draghicescu, Marin Beşteliu et, actuellement, Lelia Trocan.

Le premier numéro des Annales est paru en 1997 (An I, Tome 1) aux Éditions Universitaria de Craiova, sous le titre Études de linguistique et de littérature, avec pour redacteur en chef Sanda Stavrescu, Sonia Cuciureanu et Janetta Drăghicescu comme rédacteurs adjoints et Anda Rădulescu comme secrétaire de rédaction.

Avec une présentation de l’académicien Marius Sala et sous la coordination de Janetta Drăghicescu et de Gabriela Scurtu, la revue consacre son numéro de 1998 au grand romaniste Maria Iliescu, à qui ont rendu hommage de grandes personnalités de la linguistique et de la philologie romanes, telles Teodora Cristea, Mioara Avram, Alexandra Cuniţă, Flora Şuteu, Lucia Wald, Maria Theban, ainsi que d’anciens collègues et étudiants de l’Université de Craiova.

Par son numéro spécial de 1999, coordonné par Janetta Drăghicescu, Gabriela Scurtu et Anda Rădulescu, la revue continue la série des hommages

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rendus aux anciens professeurs de la Faculté des Lettres, en dédiant un numéro spécial à la mémoire d’Emilia-Rodica Iordache. Les contributeurs de ce volume sont prioritairement des collègues de la Faculté des Lettres de l’Université de Craiova, mais aussi des universités de Bucarest et de Iassy.

À partir de 2000, la revue est structurée en deux sections: Linguistique et Littérature et civilisation, le numéro de 2001 ajoutant une nouvelle rubrique: Comptes-rendus. Y ont publié prioritairement les enseignants-chercheurs de l’Université de Craiova, spécialistes en linguistique et en littératures française, italienne, espagnole et roumaine dont la langue de communication professionnelle est le français.

Les numéros de 2002 et de 2003 marquent un tournant dans l’histoire de la revue par la présence généreuse des contributions de nombreux spécialistes dans le domaine des sciences humaines des universités de Bucarest, Cluj-Napoca, Galaţi, Piteşti, mais aussi de l’Université Denis Diderot, Paris VII (France) et de l’Université de Szeged (Hongrie). Grâce à cette ouverture, la revue a bénéficié de la collaboration de plusieurs spécialistes aussi bien en tant que contributeurs qu’en tant que membres du comité scientifique. Sous la coordination du prof. univ.dr.h.c.m. Maria Iliescu et d’Anda Rădulescu, le numéro de 2003, rassemblant un grand nombre de contributions (41) a été consacré à la mémoire de Teodora Cristea, promoteur de marque de la linguistique structurale et première référence en matière d’études linguistiques contrastives dans notre pays.

Trois numéros successifs ont été ensuite dédiés aux Actes des colloques internationaux organisés par le Département de langue et littérature françaises, portant le nom de ces manifestations scientifiques. Par conséquent, le numéro de 2004, intitulé Variétés linguistiques et culturelles, a publié les articles des chercheurs de France, de Belgique, de Hongrie, de Grèce, de Martinique et du Canada. En 2005, le numéro Langue et littérature françaises: nouvelles méthodes de recherche a regroupé les contributions des participants en plusieurs sections : Nouvelles méthodes en morphosyntaxe, L’interface sémantique-pragmatique, Sociolinguistique et Espaces francophones. Résultat du colloque international annuel organisé par le Département de français, le numéro de 2006 est un numéro anniversaire, Le discours français: perspectives linguistiques et littéraires, structuré dans les sections : L’interface sémantique-pragmatique en synchronie et en diachronie, Espaces francophones, Nouvelles méthodes en morphosyntaxe en synchronie et en diachronie, Sociolinguistique, Théorie et pratiques discursives.

À partir de 2007, la revue a comme directeur de publication le professeur Lelia Trocan (Université de Craiova, Roumanie) et un comité scientifique réunissant un grand nombre de spécialistes, personnalités reconnues dans le domaine de la linguistique et de la littérature françaises et francophones: Driss Aissaoui (Université Dalhousia Halifax, Canada), Didier Alexandre (Université Paris 4 Sorbonne, France), Danièle Chauvin (Université Paris 4 Sorbonne, France), Georges Freris (Université Aristote, Thessalonique, Grèce), Marc Gontard (Université Rennes 2, France), Danièle Marcelle Grannier (Université de Brasilia, Brésil), Maria Iliescu (Université Leopold-Franzens Innsbruck, Autriche), Tuğrul

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Inal (Université Hacetteppe Ankara, Turquie) Yiannis Ioannou (Université Nicosia, Chypre), Catherine Kerbrat-Orecchioni (Université Lyon2, France), Alain Montandon (Université Clermont-Ferrand, France), Ioan Pânzaru (Université de Bucarest, Roumanie) Gérard Peylet (Université Montaigne3 Bordeaux, France), Marleen van Peteghem (Université de Gand, Belgique), Henryk Siewierski (Université de Brasilia, Brésil), René Strehler (Université de Brasilia, Brésil).

Les derniers numéros ont privilégié de multiples voies de recherche linguistiques et littéraires, en insistant également sur la didactique des langues-cultures et sur l’idée de diversité et de pluriculturalisme. Tous les articles illustrent la recherche scientifique de pointe soutenue par les enseignants-chercheurs roumains et étrangers. Une présentation des principaux mots-clés pourrait rendre compte de la richesse de la thématique abordée par les diverses contributions : culture, civilisation, francophonie, littérature néo-hellénique, communication interculturelle, tradition, modernité, autobiographie, topographie, fiction, mythologie, expressionnisme, nostalgie, primitivisme, adamisme, décadence, théorie et critique littéraires, narratologie, intertextualité, stylistique ; études contrastives, morphosyntaxe, lexicologie, lexicographie, structures figées, collocations, parémie, latinisme, réromanisation, étymologie, emprunt lexical, relations sémantiques, méronymie, holonymie, analyse de discours, deixis, anaphore, formules de politesse, traduction littéraire, équivalence, transfert du sens, adaptation, didactique du FLE, etc.

Parmi les spécialistes étrangers, collaborateurs fidèles de notre revue, nous tenons à mentionner: Georges Freris (Université Aristote, Thessalonique, Grèce), Tuğrul İnal (Université Hacetteppe, Ankara, Turquie), René G. Strehler (Université de Brasilia, Brésil), Yiannis Ioannou (Université Nicosie, Chypre), Gérard Peylet (Université Montaigne3, Bordeaux, France). Le comité de rédaction de la revue se fait un honneur de remercier les contributeurs et les membres du comité scientifique de leur précieuse collaboration.

Les Annales de l’Université de Craiova, Série langues et littératures romanes, qui se veulent un outil de réflexion et d’actualisation des connaissances sur la langue et le discours, sur un auteur ou une approche littéraire, ou encore sur des démarches pédagogiques novatrices, continueront de proposer dans chaque numéro des pistes de réflexion autour de thèmes de grand intérêt pour la recherche dans les domaines spécifiés.

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PROTOCLE DE RÉDACTION

Analele Universităţii din Craiova (Annales de l’Université de Craïova Annals of the University of Craiova)

Seria Ştiinţe filologice Langues et littératures romanes

Les articles seront envoyés à l’adresse: [email protected]

Les auteurs sont priés de respecter les consignes suivantes: 1. Dimension de l’article : 3500 – 6000 mots (à part la bibliographie et les résumés) Format: doc. Police: Times New Roman (TNR) 11 pour le corps de l’article, 10 pour les exemples et les citations Style: NORMAL Mise en page: custom size, 17/24 cm (File, Page setup, Paper size: custom size) Marges: 2 cm (bas, haut, gauche, droite) Interligne: simple Spacing: gauche: 0 cm, droite: 0 com (Format, Paragraph, spacing) Alignement: 1,27 cm (Format, Paragraph, First ligne: 1,27 cm) 2. Titre, nom de l’auteur Titre : Times New Roman 14, en gras, majuscules, centré Prénom, nom et affiliation des auteurs: Times New Roman 12, en gras, aligné à droite Exemple:

VALEURS DE L’IMPARFAIT EN FRANÇAIS

Jean François DUPONT Université de………, France

3. Résumés et mots-clés : Les résumés en français et en anglais (10 lignes maximum) seront rédigés en Times New Roman 10, retrait de 1,27 cm à gauche et à droite (Format, Paragraph, Indentation: left: 1,27 cm, right: 1,27 cm) Titre du résumé: TNR, 10, en gras, retrait de 1,27 cm à gauche

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Les résumés seront accompagnés de 3-6 mots-clés en français et en anglais. Le titre de l’article sera également traduit en anglais. (Mots-clés, Key words et titre en anglais, TNR 10, en gras, retrait de 1,27 cm à gauche; les mot-clés et les key words proprement dits: TNR 10, en italiques). Exemple: Résumé

Notre étude se propose de …. xxxxx xxx xxxx xxxxx xxxxxx xxxxx xxxx xx xxx xxxxx xxxxxxxx xxxx xxxxx xxxx xxxx xxxxx xxxx xxxxx xxx xxxx xxxxx xxxxxx xxxxx xxxx xx xxx xxxxx xxxxxxxx xxxx xxxxx xxxx xxxx xxxxx xxxx xxxxx xxx xxxx xxxxx xxxxxx xxxxx xxxx xx xxx xxxxx xxxxxxxx xxxx xxxxx xxxx xxxx xxxxx xxxx xxxxx xxx xxxx xxxxx xxxxxx xxxxx xxxx xx xxx xxxxx xxxxxxxx xxxx xxxxx xxxx xxxx xxxxx xxxx Abstract Titre en anglais The purpose of this study …. xxxxx xxx xxxx xxxxx xxxxxx xxxxx xxxx xx xxx xxxxx xxxxxxxx xxxx xxxxx xxxx xxxx xxxxx xxxx xxxxx xxx xxxx xxxxx xxxxxx xxxxx xxxx xx xxx xxxxx xxxxxxxx xxxx xxxxx xxxx xxxx xxxxx xxxx xxxxx xxx xxxx xxxxx xxxxxx xxxxx xxxx xx xxx xxxxx xxxxxxxx xxxx xxxxx xxxx xxxx xxxxx xxxx xxxxx xxx xxxx xxxxx xxxxxx xxxxx xxxx xx xxx xxxxx xxxxxxxx xxxx xxxxx xxxx xxxx xxxxx xxxx Mots-clés: imparfait, temporalité, aspect, mode d’action, …. Key words: French ‘imparfait’, tense, aspect, Aktionsart, …

4. Mise en forme du texte et des paragraphes Corps du texte: Times New Roman 11, NORMAL, justifié Paragraphes : retrait de 1,27 cm Les tableaux (titrés) insérés dans le texte ne doivent pas dépasser la taille d’une page de la revue; plus longs, ils seront reportés en annexe à la fin de l’article. Exemple: Texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, Texte de l’article, texte de l’article, texte de

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l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, … 5. Ponctuation Pas d’espace entre les signes de ponctuation (c’est-à-dire devant des points et virgule, des deux-points, des virgules, des guillemets, des parenthèses, des points d’interrogation, d’exclamation) et le mot. Crochets et parenthèses: espace à l’extérieur, pas d’espace à l’intérieur. Pas de ponctuation dans un titre, sauf point d’exclamation ou d’interrogation. Exemple: Quel est le point faible de cette théorie? «Le Code civil est l’instrument de la bourgeoisie», déclare le doyen Dufranc. À ce point, l’auteur aurait dû nous fournir quelques explications… Les détails de la démonstration (que nous avons présentée ici seulement dans ses grandes lignes) se retrouvent dans …. 6. Plan de l’article Il est souhaitable que le texte de l’article soit organisé à trois niveaux : - section: 1, 2, 3, … (style Titre 1, gras, taille de police 12 , retrait 1,27); - sous-section: 1.1., 1.2., … 2.1., 2.2…, etc. (style Titre 2, gras, taille de police 11, retrait 1,27); - sous - sous section: 1.1.1., 1.1.2. … 2.1.1., 2.2.2. etc. (style Titre 3, gras, taille de police 10, retrait 1,27). Exemple: Section 1 (Style «Titre 1», TNR, taille de police 12, gras) 1.1. Sous section (Style «Titre 2», TNR, taille de police 11, gras) 1.1.1. Sous - sous section (Style «Titre 3», TNR, taille de police 10 gras) 1.1.2. Sous - sous section (Style «Titre 3», TNR, taille de police 10 gras) …. Section 2 (Style «Titre 1», TNR, taille de police 12, gras) 2.1. Sous section (Style «Titre 2», TNR, taille de police 11, gras) 2.1.1. Sous - sous section (Style « Titre 3», TNR, taille de police 10 gras) ….. Section 3 (Style «Titre 1», TNR, taille de police 12, gras) 3.1. Sous section (Style «Titre 2», TNR, taille de police 11, gras)

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3.1.1. Sous - sous section (Style «Titre 3», TNR, taille de police 10 gras) 3.1.2. Sous - sous section (Style «Titre 3», TNR, taille de police 10 gras) 7. Citations Les citations brèves (de trois lignes et moins) ne sont pas en italiques, mais en caractères romains (normaux) encadrées par des guillemets à la française (doubles), sans espaces insécables avant et après. Les citations de trois lignes et plus seront mises en valeur par un alinéa particulier, retrait 1,27 cm, retrait 1,27 cm, taille de police 10. Le texte de la citation est précédé et suivi de guillemets doubles. À la fin de la citation on indique la source, selon les normes des références bibliographiques dans le texte (c’est-à-dire le nom de l’auteur, l’année de publication, éventuellement la page, précédée de deux points. Placer entre crochets les points de suspension représentant une coupure importante dans la citation. Exemple: Texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, Texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, …

«Supposons, par exemple, que j'aperçoive un bateau dans une cale de construction, que je m'en approche et brise la bouteille suspendue à la coque, que je proclame "Je baptise ce bateau Joseph Staline", et que […] d'un coup de pied je fais sauter les cales.» (Austin 1970: 56)

Texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, Texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, texte de l’article, … 8. Les exemples Les exemples brefs (en général, qui ne constituent pas des propositions) peuvent être introduits à l’intérieur du paragraphe, en italiques. Les exemples d’une proposition et plus, seront mis hors du paragraphe, taille de police 10, suspension 1,27 cm. Chaque exemple est précédé d’un numéro entre parenthèses.

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Exemple: Le syntagme verbal lire un livre est constitué d’un verbe transitif et d’un syntagme nominal qui constitue son complément d’objet direct. (1) Un soir pâle d'août, la lettre qui annonçait à Yann la mort de son frère finit par arriver à bord de la «Marie» sur la mer d'Islande. (2) Elle voyageait à bord de la Romania, un cargo mixte qui venait d'Ostende. 9. Notes, appels de note et références Les notes se trouveront en bas de page, suspension (hanging) 0,5 cm. Les appels de note seront introduits automatiquement du menu «Insertion». Il est recommandable de ne pas introduire des notes contenant seulement des références bibliographiques, qui peuvent être introduites dans le texte. 10. Les références bibliographiques Dans le texte, dans les notes et après les citations, les références bibliographiques se résument à l’indication du nom de l’auteur, de l’année de publication et, si nécessaire, de la page. Après l’année de parution, on introduit les deux-points, un laisse un espace insécable et on écrit ensuite le numéro de la page. Si la publication a plusieurs auteurs, on les sépare par barre oblique avec espace insécable. Exemple: Cette suite répond aux différentes manipulations1, de façon prédictible. Cette distinction a été faite pour la première fois par K. S. Donnellan (1966) qui ne s’occupait pas de déictiques mais de descriptions définies. Austin décrit en détail les conditions du bon fonctionnement des performatifs (Austin 1970: 56). 11. Bibliographie Le mot «Bibliographie» sera écrit en gras, taille de police 11, suspension (hanging) 1,27 cm. Les auteurs / éditeurs sont classés alphabétiquement. La forme de chaque paragraphe: taille de police 11, retrait 1,27 cm. La bibliographie doit contenir pour chaque auteur le nom, l’initiale ou le prénom, l’année de publication, le titre de l’ouvrage. Si le même auteur figure avec plusieurs travaux, on les classe chronologiquement. Si un travail a plusieurs auteurs, on sépare leurs noms pas barre oblique.

                                                            1 L’examen à plus grande échelle des zones de dispersion pourrait échanger ces rapports.

Nous nous proposons d’approfondir cet aspect dans une étude ultérieure.

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Le titre de l’ouvrage: - s’il s’agit d’un livre, le titre sera écrit en italiques, suivi du nom de la ville de la parution et du nom de la maison d’édition; - s’il s’agit d’un article publié dans un recueil, on en indique le titre entre guillemets, suivi du nom de l’éditeur (avec la spécification (éd.) s’il est seul ou (éds.) s’il y en a plusieurs), le titre du recueil en italiques, suivi du nom de la ville de la parution et du nom de la maison d’édition; à la fin on indique les pages où se trouve l’article; - s’il s’agit d’un article publié dans une revue, on en indique le titre entre guillemets, suivi du nom de la revue, en italiques, de l’année de parution, (éventuellement du numéro du volume) et des pages où se trouve l’article. Exemple: Bibliographie Bracops, Martine (2006), Introduction à la pragmatique, Bruxelles: De Boeck. Bouchard, Denis (1993), «Primitifs, métaphore, et grammaire: les divers emplois

de venir et aller» in Langue française 100: 49 – 66. Moeschler, Jacques / Antoine Auchlin (1997), Introduction à la linguistique

contemporaine, Paris: Armand Colin. Tversky, Barbara / Holly Taylor / Sent Mainwaring (1997) «Langage et

perspective spatiale», in Michael Denis (éd.), Langage et cognition spatiale, Paris: Masson, 25- 49.

En vue de la réalisation d’une liste des collaborateurs de la revue, nous vous prions de nous fournir les coordonnées suivantes : Nom: Prénom: Titre académique: Adresse professionnelle: Téléphone: Adresse électronique: Spécialisation: Université: Département:

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Les textes pour le numéro de 2014 des annales seront envoyés jusqu’au 1er septembre 2014 à l’adresse indiquée ci-dessus. Structure de la revue: Dossier thématique: Réfléchir, séduire, construire: le français pour l’avenir Dossier littérature (varia) Dossier linguistique (varia) Comptes-rendus critiques La responsabilité du contenu des articles revient aux auteurs. Chaque auteur aura droit à un exemplaire du volume.


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