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Marcel Bataillon
Prgrinations espagnoles du Juif errantIn: Bulletin Hispanique. Tome 43, N2, 1941. pp. 81-122.
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Bataillon Marcel. Prgrinations espagnoles du Juif errant. In: Bulletin Hispanique. Tome 43, N2, 1941. pp. 81-122.
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Vol.
XUII Avril-Juin 1941 N
2
PEREGRINATIONS ESPAGNOLES
DU
JUIF ERRANT
A M. Georges
Cirot.
I
La lgende
du
Juif errant \
sans
avoir t
jamais
trs
rpandue
en Espagne,
n'est pas
absente du
folklore espagnol. A
Fernn
Caballero,
collectionneuse
enthousiaste de
toutes
les traditions
populaires de son pays d'adoption, appartient le mrite d'avoir
reconnu
les traits d'Ahasvrus
dans un personnage
que les Espa
gnols
appelaient
Jean Espre
en Dieu
(Juan Espera
en Dios).
Voici
comment elle prsente son
histoire dans
un de ses romans
andalous2
:
Comme deux fillettes
s'merveillent de
voir exauce sur-le-
champ
une
prire
qu'elles viennent
de dire
devant une image du
Crucifi, l'Aeule leur explique ce miraculeux
pouvoir
en
disant
que l'image reproduit
le Crucifix de
la Vera Cruz,
dont Juan
Espera
en Dios
a dit
qu'il
tait
identique
Notre-Seigneur .
Qu'est-ce
que
cet Espre
en Dieu,
grand'mre?
questionne
Gracia.
C'est
le Juif errant, rpond
l'Aeule.
Et
qu'est-ce
que ce Juif? insiste Antonia?
Ce Juif, rpond
l'Aeule, est un
cordonnier
qui demeurait Jru-
1. Sur les phases dcisives
de sa
constitution et de
sa
diffusion, le travail fondament
l
este celui de Gaston Paris (deux tudes de
1880
et de 1891 recueillies
dans
ses
Lgendes
du Moyen-Age, Paris, 1903,
p.
149-221).
D'utiles
complments se trouvent
dans Alessandro
d'Ancona,
Saggi di
letteratura
popolare, Livorno,
1913,
p. 141-190.
Sur les
prcdents
et sur l'utilisation littraire moderne de la lgende, il y a une claire
mise au
point
dans l'article
d'Alice
M. Killen, L'volution de la
lgende
du
Juif
errant
(Revue de Littrature compare, t. V, 1925, p. 5-36).
2. Fernn Caballero, La
estrella
de Vandalia, Madrid, 1862, p. 61-63. Cette dition
n'est
pas
la
premire.
La prface
de
J. F.
Pacheco
est
de
1857.
Bull, hispanique.
6
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82 BULLETIN
HISPANIQUE
salem dans la
rue de l Amertume,
et
lorsque
le Seigneur
y passa
por
tant sa croix, il tait
si
mal
en
point,
si
puis,
en
arrivant
la
porte
de
la maison, qu'il voulut
s'y
reposer
et
dit
au propritaire : Jean, je
souffre
beaucoup.
Et
Jean
rpondit
:
Marche,
marche
Je
souffre
plus encore,
moi
qui travaille ici
comme un galrien
attach
la
rame.
Alors, le Seigneur, se voyant
si cruellement repouss, dit
au
cordon
nier
Eh bien marche toi-mme, marche... jusqu'
la
consommat
ion
es
sicles.
Sur-le-champ, cet homme
sentit
que ses
pieds
marchaient
tout
seuls
et
sans qu'il pt
les
en empcher,
et
ds lors il commena
marcher,
marcher... Et depuis lors
il
marche sans s'arrter
jamais,
et
il mar
chera
jusqu' la consommation
des sicles
pour
que
s'accomplisse la
maldiction
de
Dieu qu'il s'est
attire
Voyant
cela,
cet
homme
reconnut
que
c'tait un chtiment
du ciel
pour sa duret
et
pour
cette
parole
cruelle :
Marche,
marche
,
qu'il
avait jete au visage
du
malheureux qui lui avait demand se
reposer,
et
il
se
repentit de
toute son
me de
ce qu'il
avait
fait,
et il
commena
pleurer
sa
faute
et
se dsesprer.
Il marcha ainsi
jusqu'
ce que, au
bout
d'une
anne,
un
vendredi saint,
trois heures
de l'aprs-midi,
il
vt apparatre
au
plus
lointain des horizons,
parmi
les lments
et
les
cieux, un Calvaire avec trois croix. Au pied de
la
plus haute, qui tait
celle
du
milieu, se trouvait une Dame aussi belle qu'afflige, aussi
afflige
que douce. Cette Dame tourna vers
lui
son visage sans cou
leur
et
couvert
de larmes,
et elle
lui
dit
:
Jean,
espre
en
Dieu
Fernn Caballero
raconte
encore, par la bouche de l'Aeule,
comment le mystrieux voyageur
fut
aperu le jour o
l'on
inau
gurait la
chapelle
du
Cristo
de la
Vera
Cruz,
et
comment il
pleura
devant
l'image
vnre en s'criant
:
Comme
il ressemble
celui
de la rue
de
l'Amertume
Enjolive de cette
anecdote1,
la lgende de Juan Espera
en Dios
devient la preciosa
leyenda
del Cristo de la Vera
Cruz
, c'est--dire
la tradition mme
que
la
romancire
a
recueillie
en
Andalousie,
et
qu'elle s'excuse de
situer
Carmona, alors qu'elle appartient une autre localit (qu'elle
ne
prcise point). D'autre part, l'Aeule
dpeint la tristesse
qui
s'empare de
Juan quand
il pense
au destin du
peuple
d'Isral
maudit et dispers, toujours impnitent
et
incrdule. Et
ce
trait-l pourrait bien tre ajout par notre crivain
la
tradition
1. La tradition italienne
du
xv sicle en connat
une
toute
semblable,
qu'Alessan-
dro
d'Ancona (op. cit., p.
169) reproduit
d'aprs la
chronique de
Sigismond
Tizio.
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PRGRINATIONS ESPAGNOLES
DU JUIF ERRANT 83
andalouse pour
dgager la signification que
la
lgende d'Ahasvr
us
prise
dans
le folklore universel moderne.
En
tout
cas,
Fernn Caballero
affirme
qu'elle
emprunte
textuellement
au
rcit
populaire
l'pisode
final
dans lequel
Juan
Espera en Dios
est en quelque sorte baptis par l'intervention consolatrice
de la
Dolorosa, et
elle
s'merveille devant
cette
version populaire
catholique
du
Juif
errant .
A vrai dire, cette variante semble tre
une
trouvaille
moderne
du catholicisme espagnol. Elle n'est pas seulement ignore hors
d'Espagne ; on ne la retrouve
chez
aucun
des
auteurs
pninsul
aires
ui
ont, avant Fernn Caballero, parl
de
Juan Espera en
Dios.
L'Espagne
abonde
en
historiettes
imagines
pour
expliquer
des expressions proverbiales qui leur
servent de mots de
la fin.
On dirait qu'il s'agit
ici
d'un pieux chascarrillo destin expli
quer comment l'insulteur
de
Dieu porte un surnom si trange.
Mais il
vaut
la
peine de
remonter dans le pass de
la
pninsule
ibrique la recherche
de
ce personnage. Peut-tre arriverons-
nous
discerner mieux qu'on
ne
l a fait jusqu'ici
les
tats success
ifse
la
lgende du Juif errant.
Et
peut-tre, en fin de compte,
aurons-nous
fait
un peu plus
de
lumire
sur
le devenir
d'un
per
sonnage
mythique
dont
la
naissance
est
encore
mal
connue.
II
La
seule
uvre
littraire espagnole
dont il soit le hros est
une
mdiocre
comedia d'Antonio de
Huerta1. Intitule
Las cinco
1.
Publie
Madrid en
1669 dans
la Parte
treinta y dos
de Comedias nuevas,
nunca
impressas,
escogidas de los
mejores
ingenios de
Espaa. Les passages que nous
citons
sont aux p. 172
et
178.
Le
rapport
de cette
pice
avec
la
lgende
du
Juif
errant
a
t
signal pour la
premire
fois
par
Friedr.
Wilh.
Val.
Schmidt,
Die
Schauspiele
Cal
derones
Elberfeld, 1857,
p. 152
n.,
propos
d'une allusion Juan de
Espera
en Dios,
contenue
dans Agradecer y no
amar (
hecho un Juan de
Espera
Amor . Cf.
B.
A. E.,
t. IX, Comedias
de
Caldern, t.
II, p. 613 a). Ferdinand Wolf
y est revenu avec
plus
de prcision dans
ses
Beitrge
zur spaniscken
Volkspoesie
aus
den
Werkcn Fernn
Caballeros, Wien, 1859
[extr.
des Sitzungsberichte de l'Acadmie de
Vienne],
p. 59
[187],
Nous
ignorons s'il y
a un
cart important entre la
date de composition et
la
date
de
publication
de
la pice
de
Huerta.
C.
A.
de
la Barrera,
dans
son
Catlogo
bibliogrfico y biogrfico del
Teatro antiguo
espaol, Madrid, 1860, groupe,
au
nom
d'Antonio de Huerta ou
Antonio Sigler
de Huerta, de rares donnes, dont
il n'est
pas sr
qu'elles concernent
toutes
le mme
dramaturge. Il
n'est
pas vident que l au
teur
des Cinco blancas soit
le mme
Huerta qu'a lou
Juan
Prez
de Montalbn. Les
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84
BULLETIN
HISPANIQUE
blancas de
Juan
de
Espera en Dios,
elle
se donne
comm'e inspire
par une
tradicin
vulgar;
mais celle-ci ne fournit
que les
pript
ies
u
dernier
acte. Pendant les
deux premires
ornadas,
Juan
est
un
amoureux
banal
(d'ailleurs
nullement
Juif)
qui
sduit
en
Libye la fille
de l'empereur Tibre,
et
auquel
la jalousie fait
perdre la raison.
Quand
nous le retrouvons la fin de la pice, il
est devenu cordonnier
Jrusalem.
En compagnie de son ins
parable Esprrago, gracioso
de
la
comdie, il
a assist au pas
sage du
Christ montant
vers
le
Calvaire. Extrayons d'un dialogue
entre
Juan
et Esprrago le
rcit de
son
outrage
Dieu
:
Esprrago. Llor quando
vi
passar
por nuestra
tienda esse hombre
que
a
crucificar
llevaban
Juan. ... Yo
no,
que si por sus culpas con
que
usurpar a
los
Dioses
quiso blasfemo
... va
a
padecer, que padezca
Mal a
un
tiempo se
componen
hombre y Dios ; que lo inmortal
lo
passible desconoce.
Por esso
quando
passava, dixe, conociendo sus
errores :
Vaya,
y pague su
delito,
pues que otros que son
mejores
sin
culpa estn
padeciendo. Y una voz se
escuch
entonces
que
no
pudo
conocerse,
por ser
de
muchos
las
vozes
El
ir,
y
tu
quedars, dixo. Y en nada ofendime
el vaticinio o la burla, pues
fue
dezir que a el Monte
Calvario a morir suba ; y
yo
porque con
mayores
causas
puedo blasonar
de inmortal,
entre
los
hombres
para siempre quedara
Mais
ce n'est pas tout : Juan devient invisible.
Il sent que
s'opre en lui
un changement surnaturel.
Et voici comment
il
exprime le sort qui lui est rserv :
Juan
soy,
aquel
que
maldito
de Dios y en
su
nombre de El
que
me dio el
ser,
siendo nada, agora le
quito
el ser.
Por diversos
juicios suyos que
nadie
ha de
comprender,
desde
que la
injusta
muerte
del Nazareno
aclam,
vago,
prfugo, invisible, y visible
alguna
vez,
ando por el mundo en tanto que en
mi se cumpla
la ley
justa de Dios,
que
permite que aquellos me
puedan
ver
que estn vendiendo el
sustento
porque sustento me
den.
Cinco inferiores monedas cuyos nombres han de ser
los que
en aquellas
Provincias que
yo
me
hallare les den
son mi socorro invisible, que, aunque el cmo
no
s,
quelques
pices
d'Antonio de Huerta signales par La Barrera sont toutes connues
dans
des ditions
de
la seconde
moiti
du
xvue
sicle (1652
1669).
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PRGRINATIONS
ESPAGNOLES
DU JUIF ERRANT
85
las
hallo
en mi faltriquera...
... Sali
de
Jerusaln
avr seis
meses
y
he
andado dos mil leguas en
los
seis.
...
Pues
invisible
hasta
entonces
por
el
ayre
a
ver
ir
todo el concurso
del mundo sin que a m
me
puedan
ver.
Les donnes que
nous apportent
ces
vers
ne
sont pas ngli
geables.
Huerta
fait un sort deux
particularits fantastiques
bien
dignes de
frapper
l'imagination.
D'abord
l'ternel voyag
eur, pour assurer sa subsistance, trouve toujours dans sa
poche
cinq blancs, cinq pices
de
la plus menue monnaie du
pays
par
o
il
passe.
D'autre part,
il
a
la
proprit
de
voyager par
les
airs
en demeurant
invisible,
sauf
quand
il
lui convient d'tre vu,
en
particulier pour acheter
sa
nourriture.
Le premier trait a t
jug
par Huerta assez populaire
pour
figurer au titre de
sa pice.
On s'tonne
qu'il ait
t
oubli
des
Andalous
chez
qui Fernn Caballero
a retrouv le souvenir de
Juan de Espera
en Dios. D'autant
plus
que
les cinq sous du
Juif errant,
apparemment
ignors hors d'Espagne jusqu au
xixe
sicle,
sont
alors
devenus clbres grce
Isaac
Laquedem,
dernire incarnation populaire
de
notre
hros.
Si
la
complainte
de
Laquedem
est,
comme
il
semble, un
produit
des
Pays-Bas,
l'auteur
a pu recueillir dans son
pays
quelque souvenir du Juan
de Espera
en Dios
des
Espagnols.
Quant au
privilge
que
Juan
a de se dplacer en disparaissant
comme par
enchantement,
c'est
un
trait moins caractristique
de
notre lgende. On
pourrait
tre
tent
d'y
voir
une
invention du
dramaturge
en
qute d'lments
merveilleux s'il n'tait attest
d'autre part comme populaire
en
Espagne, et par un tmoignage
de
valeur exceptionnelle. Nous voulons parler du Vocabulario
de
refranes
1
de Matre
Gonzalo
Correas.
Ce
curieux
homme,
rforma
teure
l'orthographe et professeur
de grec
Salamanque, a
con
sacr la fin
de
sa vie compiler un rpertoire
des
proverbes
cas
tillans
qui
est un
des monuments
du folklore espagnol. A sa
1. Nous
citons
d'aprs la lre dition (Madrid, 1906), p.
273
et 572. La
rimpression
de 1924,
qui
suit l'ordre
alphabtique normal,
est
plus recommandable.
Pour la bio
graphie de Correas,
voir
E. Esperaba,
Historia de la Universidad de Salamanca, t. II,
Salamanca,
1917,
p. 474 ; sur ses
uvres, l'tude
du Conde de la
Vinaza, dans Homen
aje Menndez y Pelayo, t.
I,
Madrid,
1899,
p. 601-614
(cf.,
du mme auteur, la
Biblioteca histrica
de
la filologa castellana,
Madrid,
1893,
nos
134
et 156).
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86
BULLETIN HISPANIQUE
mort (1631),
il lgua au Collge Trilingue
de
son
Universit
le
manuscrit de cette compilation,
qui
devait tre imprime seul
ement
au xxe
sicle par les soins de
Y
Academia de
la Lengua. Or,
nous
y
rencontrons
deux
reprises notre
Jean
Espre
en
Dieu.
On lit d'abord, propos du non moins proverbial Jean des
Temps :
Juan de los Tiempos. Se dit
de ceux
qui vivent longtemps. Jean des
Temps
fut un
soldat
de
la garde
de
l'empereur
Charlemagne qui vcut
trois cents ans. D'o semble avoir
pris naissance
en Espagne
le
conte
de Juan.de Espera
en
Dios,
dont
nous parlons
plus
loin
dans
les
ex
pr ssions
proverbiales.
Et,
en
effet,
dans
la
section
intitule
Frmulas
y
frases
en
par
ticular,
nous
trouvons :
Juan de Espera
en Dios.
Le vulgaire a une
historiette
au sujet d'un
certain Juan
de
Espera en Dios. Et
les enfants
racontent
que
c'tait
un
cordonnier qui, entendant
le bruit quand on
menait crucifier
Notre-Seigneur, sortit sur sa porte avec sa
forme et son buis
la main,
et
dit :
Tu
iras l-bas ,
en
frappant un coup,
et
que Notre-Seigneur
rpondit :
Moi, j'irai,
et
toi tu resteras tout
jamais , et
que, par
suite,
il
est demeur immortel,
et
se rajeunit
et
apparat soudain
parmi les gens
et
disparat comme invisible quand
il
veut,
et
que
Dieu
lui
a
donn la grce
de
trouver toujours
cinq
blancs
chaque
fois qu'il
fouillerait
dans
sa
bourse.
Si
nous comparons
le conte
enfantin1
rapport par Correas
et
la tradicin
vulgar
2 mise
en
uvre par
Huerta, nous
constatons
que
les traits
typiques
concident
exactement. Nulle
part il n'est
question
d'une
invitation
esprer
en
Dieu
qui aurait
t miracu
leusement
entendue par l'offenseur
du
Christ.
En
revanche,
le
moment culminant est
identique dans les deux rcits. C'est
celui
o
l'offenseur est
puni
par
une sentence divine
qui
relve son
outrage. Dans
la
lgende recueillie par Fernn Caballero, la
parole de
Juan est simplement reprise contre
lui
:
Anda,
anda
a-t-il dit
au
Christ. Et
celui-ci lui rpond
:
Anda t, anda hasta
la
consumacin de
los siglos Celui
qui
a dit au Christ de marc
her,
sans lui
permettre de
se reposer, deviendra
le
marcheur
1. Op. cit., p. 572 : t y
dicen
los muchachos .
2. Op. cit., p. 179 :
y aqu d las
cinco
blancas | la
tradicin
vulgar
da
fin .
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8/43
PRGRINATIONS
ESPAGNOLES DU JUIF
ERRANT
87
temel. Mais
nos
versions du
xvne
sicle ne
prsentent
pas ainsi
la
riposte et le
chtiment. Juan
a dit
Vaya
ou All irs .
Et
le
Christ
rpond
:
Yo
ir
y
tu
quedars
1
Juan
est
celui
qui
reste
ici-bas,
qui
est condamn une
immortalit
misrable.
Immortalit vagabonde sans doute. Mais l'accent est mis sur
la
permanence. Et ceci concorde avec l'histoire
de
Cartaphilus
recueillie ds le xme sicle
par Matthieu Paris, et qui, imprime
au xvie, a t une
des
sources
de la
lgende
allemande
d'Ahasvr
us Cartaphilus le frappa du
poing
dans le dos avec mpris, et
il
lui
dit
en
ricanant :
Va donc, Jsus, va plus
vite;
pourquoi es-tu
si
lent? Et
Jsus, le regardant
d'un front
et
d'un il
svre, lui
dit
:
Je
vais,
et
toi
tu
attendras
que
je
vienne.
C'est
comme
s'il
avait
dit,
dans les termes
de l'vangliste : Le Fils de l'Homme
s'en
va, comme
il
est crit
; mais, toi,
tu attendras
son
second
avne
ment.
Donc, d'aprs
la parole du Christ, ce Cartaphilus attend 1...
Est-il surprenant que
Juan, demeur
immortel, soit
aussi celui
qui
attend
le second avnement du Christ,
converti malgr
lui en
tmoin
de
sa
divinit, et,
par
un
jeu
de mots
bien
naturel
sur
le
double sens ft esperar,
celui
qui espre dans son
retour
glorieux,
avec lequel
son chtiment prendra fin?
Ainsi
donc
le
xvne
sicle
espagnol
nous
prsente un
tat
de
la
lgende
assez bien fix pour que ses traits caractristiques se
retrouvent
chez deux
tmoins
aussi diffrents
que Correas et
Huerta. Ces traits
suffisent
pour assurer
Juan de
Espera en
Dios une indpendance
marque
par rapport l'Ahasvrus du
livret alors populaire
en Allemagne
et
en
France,
bien qu'il
s'agisse,
dans
les deux versions, d'un cordonnier de Jrusalem
2.
1. Nous
citons
d'aprs G. Paris, op. cit., p.
155
(cf. p.
168
sq. pour le
rapport
d'Ahasvrus
avec
Cartaphilus).
2.
Ibid.,
p.
162
sq. Ahasvrus n'a ni les cinq pices ni
le
pouvoir de
se
rendre
invi
sible. Il
y a,
dans cette version protestante de la lgende, comme un
parti
pris de
rduire l'lment
merveilleux
l'immortalit du tmoin de.la Passion. En revanche,
les
proprits merveilleuses de
Juan
de Espera en
Dios
ont un rapport
frappant
avec
celles du
Giovanni Buttadio connu
des
Italiens
du
xv sicle.
D'aprs la
relation
florentine dcouverte
par
Morpurgo
(cf.
injra, p. 98),
il
va et
ne peut
rester que
trois
jours
dans une province,
et
il marche
vite,
visible
ou
invisible,
et
il
a
dpenser
son plaisir bien
qu'il
aille dgarni, sans bourse
et
sans sac; il porte
seulement
la
tunique avec un chaperon, il est
ceint d'une
corde
et
nu-pieds le
plus
souvent ; il
arrive
aux
auberges et
mange
et
boit du bon,
puis
il
ouvre la
main
et laisse tomber
ce
que l'hte
doit
recevoir, et tu
ne
vois
jamais d'o
lui vient
l'argent,
et
jamais il
ne
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9/43
88
BULLETIN
HISPANIQUE
Comment se fait-il
que
Fernn Caballero, deux
sicles
plus tard,
n'en retrouve
pas d'autre
cho qu'une tradition locale andalouse
laquelle
l'histoire
de
Juan
de
Espera en Dios est incorpore,
reconnaissable
encore,
mais
dpouille
dj
de
particularits
sai
sissantes et enrichie d'un
pilogue
difiant?
La lgende tait-elle donc
mal enracine en
Espagne?
On
serait
tent de le
supposer divers indices. D'abord Quevedo, qui
n'ignorait pas
Juan de
Esperaren Dios et
ses
cinco
blancas1, l a
oubli dans la Visita
de los Chistes, o il
passe en
revue de nomb
reuses figures proverbiales de son pays. Et
surtout,
on cherche
en vain ressaisir ce personnage
dans
la
littrature plus rcente.
Il
n'apparat
pas, que l'on
sache,
dans les
romances vulgares2, ni,
plus gnralement,
dans
les
pliegos
de
cordel3
dont
se
repaissait
lui en reste
(G. Paris,
op. cit., p. 215).
G.
Paris
remarque :
Ce
don
merveilleux est
plus
commode
que
les fameux cinq sous
de
notre Laquedem ou
les
cinco plaquetas du
Juan
de
Espera en
Dios
espagnol.
Nous
n'avons rencontr
ce mot
de
plaquetas
dans
aucun
des textes
espagnols parlant
de Juan
de
Espera en
Dios.
1. Il fait
allusion ce personnage
dans deux
de ses romances
(Obras
completas de
Quevedo, d. L. Astrana
Marin
: Obras en Verso, Madrid, 1932, p. 313 b) :
que por
faltarme las blancas, |
no
soy Juan de Espera en
Dios
; et
(p.
359 b) : hecho siempre
Juan de
Espera,
|
no
en Dios, sino en corchapfn
.
2.
Nous n'avons
pas trouv
dans Duran
(Romancero General)
de
romance
qui
lui
soit consacr.
3.
A
cet gard,
il
vaut
la
peine de
rapporter
les observations de Champ
fleury,
Histoire de V imagerie populaire, Paris, 1886, p.
48
:
A la
place de cette
gravure
flamande, j'aurais prfr donner
les
images
espagnoles
qui, suivant David Hoffmann,
montrent
le Juif errant en butte au mpris
et
la haine.
Partout, dans ce pays, dit
le commentateur, les images, les gravures
nous
le reprsentent
portant
comme stig-
mate, au milieu du
front,
une
croix
lumineuse
qui
lui
ronge
constamment le crne
et dvore
ternellement son
cerveau.
Images
qu'il et t intressant de
se
pro
curer le sombre gnie espagnol
ayant
d diriger contre
le
Juif, dont
l'Inquisition
ne
put jamais s'emparer, des crayons ardents et
noirs.
A ce propos,
j'ai feuillet
de
volumineuses
collections de pliegos,
qui
sont
les
imageries
espagnoles
correspondant
nos
produits d'pinal et je
n'ai
trouv que
le
Juif errant d'Eugne Sue, interprt
par
les imagiers de 1845.
II
faut,
d'ailleurs, se
dfier des
assertions de
ce David
Hoffmann,
qui,
sous
le
titre
de
Chroniques
de
Cartophilus,
publiait
Londres,
en
1853,
trois gros volumes formant la premire partie
d'une
pope du Juif errant, laquelle
pope
avait encore besoin de six autres
volumes
pour tre mene bonne fin. Remp
lir euf volumes de matriaux vridiques, c'est beaucoup
;
les premiers volumes de
cette conception symbolico-romanesque
m'ont suffi. II
est
trange,
aprs cela,
que
Alice M.
Killen (L'volution
de
la
lgende
du
Juif errant, art. cit., p. 29)
dcrive
une
image espagnole
d'aprs Champfleury et en laissant croire que cet auteur en publie
une reproduction.
Le
rsultat ngatif des
recherches
de Champfleury donne
croire
plutt que les images espagnoles dont parle D.
Hoffmann
n'ont
exist que dans l'ima
gination de celui-ci. En
fait
de versions
populaires
espagnoles,
G.
Paris,
op. cit.,
p. 150, mentionne, d'aprs
Oettinger
(Bibliographie
biographique),
le livre espagnol
de Ducos, Historia
del
Judio errante ,
lequel,
dit-il,
n'est
sans doute qu'une traduc
tion
u
livret
populaire
franais
.
Nous
n'avons
pu
trouver
Paris
ce
livre
de
Ducos.
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10/43
PRGRINATIONS
ESPAGNOLES
DU JUIF ERRANT
89
le
peuple
espagnol des derniers sicles.
Et,
lorsque Feijo,
en
1745,
consacre
la
lgende
du Juif
errant
une
de ses Cartas
eruditas
(t.
II,
c.
25),
il
semble
en ignorer tout
fait
la
version
spcifiqu
ement
spagnole.
Il
prend pour base l'histoire de
Cartaphilus
rap
porte par Matthieu Paris ;
pas
une seule fois
il
ne mentionne
Juan
de
Espera
en Dios.
Sans
doute le
savoir
de
Feijo
tait-il
surtout livresque. Pourtant on a peine croire qu'il et pass
sous
silence l'historiette espagnole recueillie par Correas si elle
avait
t monnaie
courante
dans l'Espagne
de son temps.
III
Mais n'est-il pas
possible de ressaisir
cette historiette, ou du
moins
des
allusions
son hros, dans la
tradition
crite
ant
rieure
au
xviie sicle? Il
y
a
longtemps
que
Mme
Carolina
Michae-
lis de
Vasconcellos
* a
relev
quelques mentions de Juan de
Espera
en
Dios dans la littrature hispano-portugaise du xvie. Elles sont
terriblement dcevantes. Les quelques
prcisions
qu'elles
reclent
ne
permettraient gure
d'identifer
Juan de Espera
en Dios
avec
le
Juif
errant
si nous n'avions
par ailleurs
les
textes de Correas,
de
Huerta
et
de
Fernn
Caballero.
Un
personnage
de
La
Lozana
Andaluza
2 dit
:
Si
y
o supiesse o viesse
estas tres
cosas que arriba
he
dicho,
sabra
ms
que
Juan
Desperaendios.
Juan est donc
proverbial pour son savoir extraordinaire. Ce signalement un
peu
court concorde
avec
celui
qu'on
peut tirer
de la
Comedia
Eujrosina
de Jorge Ferreira de
Vasconcellos3.
L aussi,
nous
trouvons l'expression proverbiale :
sabe mais
que
Joo de
Espera
em Deus . En
un
autre
endroit,
l'auteur
de
la Eujrosina
attribue ce mme personnage la paternit
d'un
assez banal
dicton.
Joo
de
Espera
em
Deos
est
d'ailleurs
charg,
dans
cette
comdie, de
dbiter
le
prologue
de
VAutor, ou directeur du
thtre.
1.
O
Judeu errante
em Portugal,
dans
la
Revista
Lusitana, t.
I, Porto,
1887-1889,
p. 34-44.
2.
Francisco Delicado,
La
lozana
Andaluza, Paris, s. d.
(Biblioteca
econmica
de
clsicos castellanos), p.
228
(Mamotreto
LXII).
La lre dition
est
de 1528.
3. Voir les
textes
cits par Mme Michaelis, art. cit., p. 41 sq. L'tude de Menndez
y Pelayo, au
t.
III
des Orgenes
de la
Novela (p. ccxxviu-ccxliii), et
l'dition
acad
mique de
la
Comedia Eupkrosina, par
Aubrey
Bell (Lisboa,
1913),
n'apportent
rien
de nouveau cet gard.
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90 BULLETIN
HISPANIQUE
C'est un texte trs obscur \ mais
notre
hros lgendaire y
appar
at ssez
clairement
comme un
tre
fort vieux,
trs disert,
ayant
l'exprience
des
terres
lointaines,
et
un
savoir qui embrasse le
pass
et
l'avenir.
Porte-t-il,
dans
ce
rle de Prologus,
le
costume
du plerin? Peut-tre. A-t-il
au
ct la bourse aux
cinco blancas?
Peut-tre encore.
Les
suppositions
de
Mme Michaelis
cet
gard
ne sont pas sans vraisemblance. Mais aucun texte
de
la Comedia
Eufrosina ne les autorise.
La
longvit
de
Joo
de Espera
em
Deus
est, avec son omniscience, un
des traits les
mieux attests
par
les allusions
du xvie
sicle.
Un
mari, dans Y
Auto dos doits
Irmaos d'Antonio
Prestes
2, se plaint
de
la longvit
de
sa femme
en
disant
:
In eterno
no viver :
hei medo
que d'ella
nasa
Joo d'Espera em Deos.
Deux
textes,
enfin,
parlant des
prgrinations de
Joo, le rap
prochent davantage
du Juif
lgendaire.
L'un, assez tardif, vrai
dire, puisqu'il
est
de
Rodrigues
Lobo
{Corte na
Aldea,
1619),
reproduit
l'expression
proverbiale : correndo tantos lares e
estalagens como
Joo de
Espera em Deus
.
L'autre,
beaucoup
plus prcieux,
est
de
Sa
de
Miranda
dans
sa
Comedia
dos
Vilhal-
pandos (1560).
Le domestique Antonioto
y
questionne la
bigote
Fausta sur les rapports qu'une
de ses
pieuses amies a pu avoir
avec notre
Joo, et
voici la
rponse :
Elle
l a vu
et
lui a parl
;
en
Grce,
si je
ne me
trompe,
et il
ne
riait
jamais
( E Joao
d Es
pera em
Deus?
Vio
e
fallou-lhe ; parece-me
que
em Grecia, e
nunca mais ria ).
Cette
allusion
est suggestive, parce qu'elle
nous conduit sur
le chemin
de
Terre-Sainte, et que,
d'autre part,
elle prte Jean Espre
en Dieu la
mme triste
figure que
montre
ailleurs l'insulteur du Christ condamn l'immortalit
3.
Mais s'agit-il bien du mme personnage? Il est assez curieux
qu'aucune
de ces mentions
anciennes
du
proverbial
Juan de
1. Qui ne figure pas dans la traduction espagnole de la Eufrosina (Madrid, 1631),
rimprime au t.
III
des
Orgenes de la Novela.
2. C. Michaelis, art. cit., p.
40.
L'autre
texte
du mme auteur, tir de l'Auto do
Mouro Encantado, est
plus difficile interprter
:
Crereis
que
o arco
da
Velha
que
Jo
d'espera em
Deos.
Tout
au
plus
entrevoit-on
que
Joo d'Espera
em
Deos y est
associ
la Velha
do
arco, autre
figure
mythique.
3. Sur
ce
point, voir G.
Paris,
op.
cit.,
p.
169
et
208.
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12/43
PRGRINATIONS
ESPAGNOLES DU JUIF ERRANT
91
Espera
en Dios
ne permette
de
le
surprendre dans
son
rle d'in-
sulteur
du Christ. Pour autant qu'on peut btir une hypothse
sur un petit nombre
de
textes,
ne
sommes-nous
pas
induits
sup
poser qu'un
mythe
avec lequel Espagnols et Portugais taient
familiers de
longue
date, un personnage de
plerin
immortel et
omniscient, trouva,
au xvne
sicle, un
regain
de vie
dans
son
identification
avec
une autre figure mythique d'importation,
celle
du cordonnier
qui insulta
le
Christ sur
le chemin du Cal
vaire et qui fut
condamn attendre,
en
errant par le monde, le
jour du
Jugement dernier?
Dj
nous avons
vu Correas essayer d'expliquer Juan de
Espera
en
Dios
en
faisant de
lui
une
variante
espagnole
de
Jean
des
Temps,
le
garde du corps
de
Charlemagne qui vcut trois
cents ans. Et, bien qu'il
rapporte
aussi l'histoire du
cordonnier
de Jrusalem
telle que les enfants la racontent,
il
est assez
clair
par
l
qu'il considre
la
longvit miraculeuse comme le
trait
dis-
tinctif
du personnage, comme
un
des mieux attests par la par-
miologie.
Au
reste, cette
identification avec Jean
des
Temps
devait
tre alors banale parmi les Espagnols
amateurs
de fol
klore. Et c'est ici
qu'il
nous faut considrer des textes
d'auteurs
contemporains
de Correas,
o
Juan
de
Espera
en
Dios
est
ment
ionn avec certains
de
ses traits distinctifs, mais sans
que
le
signalement soit jamais assez complet pour
permettre
de recon
natre
le cordonnier insulteur
de
Jsus.
Lope
de
Vega a, lui
aussi,
rapproch Jean des
Temps
et Juan
de Espera
en
Dios
dans ce pot-pourri
d'rudition
varie qu'est
l'acte IV de sa Dorotea (1632) \
Julio
dit
son matre
Fernando,
qui
est rayonnant de joie,
et
qui a peur de mourir
de contente
ment
Sin
duda que
quieres ser como
Juan de los
Tiempos,
que
vivi
trescientos sesenta y
un
aos, como refiere Gaguino, pues naci re
inando Cario
Magno y
muri
en el cetro
de Ludovico
el Moco...
De
ese
Juan de los
Tiempos
devi de
tener principio en
Espaa
la fbula
de
Juan de
Espera
en
Dios y sus
cinco
blancas.
Lope ne pouvait emprunter
cette hypothse au Vocabulario de
1.
dition A. Castro (Madrid, 1913),
p.
232. L'allusion de la
Dorotea
Juan
de
Espera
en
Dios
avait
t
dj
releve
par F.
W.
V.
Schmidt, op. cit., p. 152.
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13/43
92 BULLETIN
HISPANIQUE
refranes,
encore
indit,
de Correas.
Il aurait
pu,
la rigueur,
le
trouver
dans
le
Tesoro
de
Covarrubias \ o nous lisons (s.
v.
Juan) :
Tambin est recibido en
el
vulgo que
ay
un hombre,
al
quai
llaman lun
de
Espera
en
Dios,
que
ha
vivido y vive muchos
siglos,
y
que todas las vezes que ha menester dineros halla cinco blancas en
la
bolsa. Todo esto es burla. Sin embargo
de que
algunos
hombres
se
halla aver vivido algunos aos ms
de los
ordinarios. Muchos autores
hazen
mencin
de un lun de
Estampas
que vivi ms de trezientos
aos. Refirelo
el
Padre Pineda
en
su Monarqua
Eclesistica,
lib. 20.,
cap. 17, 5,
pero
modera
los
aos, reduzindolos a menos.
Ce texte, plac en regard de
celui de
Correas dont
il
est sens
iblement
contemporain, a
une importance
extrme.
Il
montre,
en
effet,
que,
pour
Covarrubias
comme pour
Lope
de Vega, le pro
verbial Juan de Espera
en Dios
est un tre de prodigieuse long
vit ont la subsistance est assure par les cinco blancas qu'il
trouve dans sa bourse
chaque
fois qu'il en
a besoin.
Mais il
ne
dit
pas : un zapatero,
il
dit : un hombre;
il ne
dit pas :
que ha vivido
desde
la
Pasin de Nuestro Seor y vive hasta el Juicio. Sa fo
rmule fort vague
{que
ha vivido y
vive
muchos siglos) semble bien
impliquer
qu'il
ignore l'historiette
du
cordonnier
de Jrusalem,
dont
la singularit mriterait au
moins
une allusion prcise si
elle
tait universellement connue.
D'ailleurs,
Covarrubias
ne se borne pas au rapprochement
banal avec Jean
des
Temps ou Jean d'tampes. Il nous met sur
la
piste
d'une autre identification bien
plus
instructive
quand
il
ajoute
:
El Maestro
Alexo
de
Vanegas, hablando
en
este Juan de Espera en
Dios
o Juan de Voto
a
Dios, dize puede tener
este fundamento que
el
modo
de
hablar
se
entienda
Juan
Devoto
a
Dios,
y
que sea
San
Juan
Evangelista,
y que aya
tomado
ocasin de
lo
que nuestro
Redemptor
respondi a
San
Pedro, preguntndole qu
ava
de ser de
San
Juan,
y el Seor le respondi :
Si eum
vol
manere
doee
veniam,
quid ad
te?
Tu
me
sequere.
Lo
que
se tiene por ms. cierto, es que muri :
de
cuyo trnsito escrive san Gernimo estas palabras :
Confectus se-
nio..., etc..
1.
Sebastin de Cobarruuias, Tesoro
de la
lengua
castellana,
lre d., Madrid, 1611.
Le texte de
Fr.
Juan de Pineda [Tercera parte
de la
Monarchia ecclesiastica, Sala
manca,
1588,
fol.
251
b)
ne mentionne
pas
Juan
de
Espera
en
Dios,
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14/43
PRGRINATIONS ESPAGNOLES DU
JUIF ERRANT 93
Nous pouvons
ngliger
la
suite,
o
Covarrubias accumule les
autorits attestant que saint Jean l'vangliste est bien mort,
la
diffrence
du
lgendaire
Juan
de
Voto
a
Dios. Mais
ce
qui
nous
intresse
au plus haut
point,
c'est l'assurance avec laquelle
il
considre Juan
de
Voto a
Dios et
Juan
de
Espera en Dios
comme deux
noms du mme personnage, et
l'explication qu'il
suggre
pour le
premier, d'aprs Vanegas.
Les remarques
de Vanegas 1
allgues
ici sont
infiniment
pr
cieuses
parce
qu'elles appartiennent
la
premire moiti du
xvie sicle
et parce qu'elles
constituent une discussion de
la
croyance populaire en
un
tmoin immortel des temps vang-
liques. Ici
non
plus, nulle mention
du
cordonnier
de Jrusalem
et, vrai
dire,
nulle mention
de
Juan
de Espera
en Dios. C'est
Covarrubias et non
Vanegas
qui nous apprend que ce
nom est
interchangeable avec celui
de Juan
de
Voto
a
Dios. Sans
s ar
rter cette orthographe, Vanegas part
d'emble
de l'appellation
Juan
devoto
a Dios et
il
nous dit
que
le personnage mythique
qui
la porte est un homme
qui
vit
toujours depuis Jsus-Christ
notre Rdempteur . Cet homme,
il
l'identifie sans hsiter avec
saint Jean l'vangliste,
le dvot
et bien-aim disciple, au sujet
duquel
le
Christ fit
saint
Pierre
la
rponse fameuse
:
Si
je
veux
qu'il reste jusqu
ce
que je vienne, que
t'importe?
coutons
Vanegas :
Ainsi
que saint
Jean
lui-mme
le dit en cet endroit,
cette
rponse
du
Christ passa
aussitt de
bouche en bouche
parmi les
frres
qui se
disaient
les
uns
aux autres i
Vous
ne savez pas?
Notre Matre dit
que
son disciple bien-aim ne
mourrait
pas. En ralit, Notre Matre n'a
pas dit qu'il ne mourrait pas, mais : Si
je veux
qu'il reste...
Ainsi
donc
la
lgende
de Juan
Devoto
a
Dios
ne serait
autre
que
la
lgende
de l'immortalit
du disciple bien-aim, tradition
si ancienne
qu'elle est
dj rfute dans le quatrime vangile2.
L'explication de Vanegas est
hautement vraisemblable. Elle
1.
Alejo
Venegas, Agona del trnsito de la muerte.
Appendice
intitul Declaracin
de algunos vocablos, art. Cizania
(rimpr.
par Miguel Mir,
au
t. XVI de la Nueva
Bibl.
de Aut:
Esp.,
Escritores Msticos espaoles, Madrid,
1911,
p. 292 b). La premire di
tion
de la Agona est de Tolde,
1537,
mais la Breve declaracin de los sentencias y
vocablos
obscuros
en
el libro
del trnsito de la
muerte a paru
seulement en
1543.
2. Jean, XXI, 22-23.
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15/43
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16/43
PRGRINATIONS ESPAGNOLES DU JUIF
ERRANT 95
Quelle raison notre Juan a-t-il
de
survenir ici hach menu en
salade ? Aucune, sans doute. Dans
l'incongruit rside tout le sel
de
la
plaisanterie. On
ne
peut
mme
tirer
argument
de
l'pithte
buen pour conclure
que
Devoto a
Dios
tait un personnage ver
tueux.
Car, dans la
Almoneda,
autre pice
de la
mme veine,
Encina parle
du buen Pedro
de Urdemlas
et cette autre
figure
mythique
est
essentiellement picaresque. Il n'est pas indiffrent,
toutefois,
que, dans les Disparates,
Juan Devoto
a Dios
arrive
la
suite de
la Fuen Jordn
et de Monserrate, lieux de miracle
vnrs de
la
dvotion
populaire.
Parfaitement
claire,
en revanche, est la mention
que nous
trouvons,
au
temps
de
Philippe
II,
chez
Eugenio de
Salazar.
Cet
auteur crit
dans sa
clbre lettre
satirique sur les
Catariberas \
propos des pertes
de
temps
et
d'argent
que
subissent les soll
iciteurs la Cour :
y sale
el negocio y el
necio a tiempo
que, aunque se
hallase
la
bolsa
de Juan de
Vota
Dios, no
le podra dar dinero para
henchir
los oyos
que
en la corte
tiene
hechos.
Juan de Vota
Dios a
donc
une
bourse
inpuisable comme
Juan
de
Espera
en
Dios.
Ce
trait
s'accorde
avec
les
indications
qu'on
peut tirer
du
Voyage
en
Turquie, roman
de
voyages sous forme
dialogue, longtemps attribu sans base srieuse Cristbal
de
Villaln et dont
nous avons
cru pouvoir attribuer
la
paternit
au docteur Andrs Laguna
2.
Ici,
c'est
un des interlocuteurs du
dialogue
qui
est surnomm plaisamment Juan de Voto a Dios.
et que
nous
n'avons pas retrouv dans les Disparates trobados
:
Y como dixo Juan
de
la
Encina que
cul y
cap
y
f
eje y
eos
echan fuera
a
Voto
a Dios. S'agit-il d'une
comp
osition de notre
pote
gare dans
quelque pliego
suelto,
ou
bien d'un de ces
dispa
ratesqu'on lui prtait
gnreusement
sans qu'il en
ft
l'auteur? (Sur
la
valeur
prover
biale
es disparates
de
Juan
de
la
Encina,
voir
Quevedo,
Visita
de
los
Chistes
ou
Sueo
de la
Muerte.
Daos l'dition
Astrana Marin
des
Obras completas, Prosa, Madrid,
1932, p. 181.)
1. Epistolario espaol,
compil
par E.
de
Ochoa,
t.
II
(B.
A.
E., t. LXII), p. 300.
Une
note d'Ochoa confirme l'orthographe Vota Dios : as en el cdice, pero habr
de
entenderse Voto
a Dios
.
Nous
avons vu
que
les
deux formes
sont galement
attes
tes t
galement explicables.
2.
Cf.
notre rasme
et VEspagne,
Paris, 1937, p.
712
sq.
Nous
citons d'aprs l'di
tion de
Serrano
y Sanz, dans son
recueil d' Autobiografas
y
memorias
[Nueva
Biblio
tecae
Autores Espaoles,
t.
II), Madrid,
1905.
Ds
1887, Mme
Michaelis (or. cit.,
p.
44) avait
aperu l'intrt
de ce texte
encore
manuscrit pour
la question qui nous
occupe, d'aprs la notice succincte de Gallardo
(Ensayo).
7/26/2019 article_hispa_0007-4640_1941_num_43_2_2904
17/43
96
BULLETIN
HISPANIQUE
A vrai
dire,
l'auteur
a hsit entre ce surnom
et
celui
* Apatilo
qui souligne
la tartuferie du
personnage.
L'crivain fait de
cet
hypocrite,
qu'il
peint
comme
un vritable escroc de la
bienfai
sance
t
de
la
dvotion,
un compagnon
ou
un
parent
de Juan de
Voto a Dios, sans
doute
parce qu'il se prtendait familier avec la
route du plerinage de
Terre-Sainte. C'est
son ami et complice
Matalascallando,
alias
Panurgo, frre espagnol
de
notre Panurge,
qui
le dmasque par ses irrespectueux brocards. Comme ils se pro
mnent
aux
portes de
Valladolid sur le chemin franais ince
ssamment
parcouru par les
plerins
de
Compostelle,
Panurgo
se
plaint
de
l'affluence
des mendiants
auxquels
il faut... refuser la
charit en leur rpondant : Dieu vous
aide
Apatilo lui cons
eille dvotement
de
leur faire l'aumne sans rien dire. Mais
Panurgo
riposte
:
Cette solution
n'est permise qu' vous, car, comme
vous tes
de
la
compagnie de Juan de Voto a
Dios,
jamais
ne peuvent faire dfaut, si
largement que vous
donniez,
les cinq blancs
dans
votre
bourse.
Mais, pour
moi
qui
suis pauvre, il me sied mieux
de
demander
que de
donner1.
Et, comme Apatilo lui
reproche son
peu
de
charit et
son
ivro
gnerie, il
riposte avec vigueur
:
II y
a vingt ans
et plus
que
nous nous connaissons et allons par
le
monde
ensemble. Et
en tout
ce temps, encore que
j'aie
fait bien atten
tion, je me souviens
de
vous
avoir
vu
donner trois
fois
l'aumne...
D'ailleurs, ce Dieu vous aide, de qui l'ai-je appris, sinon de vous? Car,
dans
mon
pays,
cette
apostrophe
ne
se
dit
qu'aux
gens qui ternuent.
Vous vous figurez,
je
pense, que,
parce que
vous tes
de
la
famille de
Voto
a Dios,
vous tes exempt de faire le bien, en homme qui
a
dj
gagn ce
qu'il
espre. Eh
bien je vous garantis,
ma
foi, que vous n'en tes pas
plus prs
que
nous qui appartenons
au monde, quand mme vous bti
riez
des
hpitaux sans
nombre.
Il
revient
la
charge un peu plus
loin. Comme il
a
remarqu
que
les Galiciens sont les moins empresss frquenter le
pler
inage
de
Saint-Jacques-de-Compostelle,
son
pieux compagnon lui
en demande la cause, et il
rpond :
Ils pensent que,
comme
il est
leur voisin,
son amiti
leur
est dj
1. Viaje de
Turqua, d.
cit., p. 3 b.
7/26/2019 article_hispa_0007-4640_1941_num_43_2_2904
18/43
PRGRINATIONS
ESPAGNOLES DU
JUIF ERRANT 97
acquise, comme vous
qui,
cause
du nom que vous
portez,
vous figu
rez
qu'il
n'est pas besoin
de
croire
en
Dieu ni
de
faire rien qui
s'y rap
porte1.
Il ressort
de
tout cela
que
Juan de Voto a
Dios,
l'homme aux
cinco
blancas,
est un homme
de
Dieu, assur d'avance
d'aller au
ciel,
et
que les
hypocrites
qui se rclament de lui exploitent un
prestige de saintet
affrent
sa personne. Ce signalement
con
vient bien
un disciple direct
du
Christ dont
l'existence serait
miraculeusement prolonge jusqu'au Jugement.
Il
convient
moins bien un insulteur
du Christ.
En tout
cas, dans les textes
du xvie
sicle
que nous avons examins jusqu'ici, l'insulte et le
chtiment
du
cordonnier
de
Jrusalem
n'apparaissent
absolu
ment as. Et pourtant, si cette histoire avait t couramment
rapporte Juan de Voto a
Dios,
il
semble que Panurgo, dans le
Voyage
en Turquie,
n'et
pas manqu de faire
quelque allusion
malicieuse l'acte
peu
charitable qui aurait converti Juan en
plerin immortel 2.
IV
Notre attention doit se porter maintenant sur un groupe trs
restreint de documents espagnols du xvie
sicle,
dans lesquels
nous voyons d'audacieux imposteurs se
faire
passer pour
Juan
de
Voto
a
Dios
ou Juan de Espera
en Dios, chacun d'eux se
pr
sentant
ses dupes
comme
le cordonnier de Jrusalem
qui
in
sulta Jsus
sur
le chemin du
Calvaire. Il nous
semble
que nous
n'isolons pas ces documents sans
raison.
Dans l'ensemble des
textes jusqu'ici considrs,
la
lgende
de
Juan Devoto a
Dios
ou
Espera'
en
Dios, personnage
omniscient
et
immortel, est traite
par
voie d'allusion
comme
tant
connue
de
tous
les
lecteurs.
Dans les textes de
Correas, de
Huerta
et
de
Fernn Caballero,
la
lgende de
Juan de Espera en
Dios,
cordonnier
de Jrusalem,
condamn l'immortalit, est prsente
de
faon
analogue :
comme une
tradition
plus
ou moins
rpandue
en Espagne.
Les
tmoins
de la
lgende dont nous allons
nous
occuper
maintenant
1.
Ibid.,
p. 5
a.
2. Notons
seulement,
p. 11 b, l'ironie de Matalascallando au sujet de
la
connais
sance
ue Juan de Voto a Dios a des
pays
d'Orient, lui qui < como recuero,
no
haze
sino
ir y venir
de aqui a Hierusalem .
Bull,
hispanique.
1
7/26/2019 article_hispa_0007-4640_1941_num_43_2_2904
19/43
98 BULLETIN
HISPANIQUE
sont
d'une
tout autre sorte. Non seulement ils s'identifient avec
le hros lui-mme,
mais l'ascendant
qu'ils
prennent sur
de cr
dules Espagnols
tient pour une
part cette
mouvante histoire
de
l'outrage
au
Christ,
qui
se
greffe
sur
le
rcit
de
la
Passion,
et
qu'ils
racontent, semble-t-il, comme chose nouvelle
en Espagne.
Cette particularit
que
nous soulignons est essentielle. Car, si
notre interprtation sur ce point est correcte, ces tmoins prou
veraient
que
l'anecdote de
l'insulte au Christ a t rpandue en
Espagne au
cours
du xvie sicle
par
des colporteurs de cette
espce,
alors qu'un sicle plus tt elle tait
dj
connue en Italie,
o tel prestigieux
aventurier
se laissait identifier avec
Giovanni
Buttadio.
Morpurgo1 a remis
au
jour une relation
circonstancie du
Toscan Antonio di Francesco di Andrea au sujet
d'un
myst
rieux Giovanni
qui
se laissait appeler Servo di Dio
et qui
prit,
vers
1416, une
grande
place dans la
vie du narrateur, de mme
qu'il
joua un grand
rle dans
celle de quelques exils bolonais de
sa
connaissance.
Cet
homme, dont les avis rvlaient une surpre
nante
omniscience,
Antonio l'avait bien vite identifi avec
Giovanni Bottadio,
autrement
dit Giovanni servo
di
Dio , que
les
anciens
avaient
vu
un
sicle plus
tt,
car
on
assurait
qu'il
avait
parcouru
toute l'Italie entre 1310 et 1320. Le Florentin
Salvestro Manini, contemporain d'Antonio, vit aussi Giovanni
Servo
di
Dio, tant podestat Agliana,
le 23
juin 1416, et
il
prta
une oreille complaisante
ses prophties
qu'il nota dans
son
journal. Giovanni
tait
donc
bien un personnage rel et
ce
n'tait
pas un escroc
vulgaire.
Il
sufft, pour s'en rendre compte,
de
voir avec quel art
(avec
quelle
conviction,
peut-tre)
il jouait
son
rle
de
Serviteur
de
Dieu,
favoris
de connaissances
surnatur
elles.
l
y
avait dans
ses
faons,
comme
dans
ses
propos, une
onction rare. coutons Antonio raconter comment
il
fut confirm
dans sa
croyance
que Giovanni tait bien
le
Bottadio
lgendaire,
et
prcisment par la
faon dont le
pieux tranger refusa
de In
lui
dire :
J'allai
chez lui, qui avait ordonn un dner
trs
large avec beau-
1. UEbreo errante in Italia,
Florence,
1890. L'essentiel de
son
travail est analys
par
G.
Paris,
op. cit., p.
230
sq.
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20/43
PRGRINATIONS
ESPAGNOLES
DU JUIF
ERRANT
99
coup
de
poissons,
et
il
tait dj table
quand
j'arrivai.
Il me fit
mettre table,
et nous
mangemes de grand cur,
et quand
je voulus
payer, l'aubergiste ne
le voulut
en
aucune faon
ce fut
Giovanni qui
paya,
quoi que
j'en
eusse. Nous
allmes
la
maison,
et,
comme
c'tait
samedi, je
lui
demandai
en
grce de se laisser laver
la
tte par
moi,
ce
qu'il
voulut
bien, et il en
sortait une grande odeur. Et quand sa tte
fut
essuye, je commenai parler,
et
je lui
demandai de
m'accorder
une grce que je voulais de lui.
Il
me dit :
Demande
Et je
lui dis
:
C'est que vous me rpondiez bien clairement,
et
que vous disiez si
vous tes Giovanni Bottadio.
II me rpondit que
nous faussions le
mot. Gomment cela?
lui
dis-je. II
faut
dire, me. rpondit-il, Gio
vanni Batt-Iddio, c'est--dire Giovanni frappa
Dieu.
Quand Jsus
gravissait la montagne o il fut
mis
en croix,
et
que
sa mre, avec
d'autres
femmes en
grandes
lamentations
et
plaintes,
allait
derrire,
il
se
retourna pour
leur
parler et s'arrta quelque peu
;
sur
quoi,
ce
Giovanni le frappa par derrire dans
les
reins, et dit
:
Va vite Et
Jsus
se
tourna
vers
lui :
Et toi, tu iras si vite
que
tu rrC attendras. Et celui-l
est le Giovanni que
vous
dites. Et je lui dis :
Est-ce
vous? II me
rpondit :
Antonio,
ne cherche pas plus
avant
1 Et l-dessus
il
baissa
les yeux,
et
il laissa tomber quelques larmes. Et
il partit et
s'en
alla1.
Giovanni
Servo di
Dio
est,
selon l'expression
de
Gaston Paris,
un
document vivant sur
la lgende
avec le hros de
laquelle
on
l'identifie.
Notons
au passage
comment
il
est
amen
raconter
l'histoire de
l'outrage
au
Christ,
et,
ce
faisant, corriger
la
forme
Bottadio. Est-il vrai2 que
cette
prtention de corriger le nom
altr de
Jean
Boutedieu soit
absurde, et
prouve simplement
que
le verbe
buttare
n'tait pas
usit dans le
pays
dont ce
person
nagearlait naturellement la langue ? Antonio ne disait pas non
plus Buttadio,
mais Bottadio. Et, si sa relation
montre
que l'Italie,
en 1416, connaissait dj bien
un
Giovanni Bottadio
de
long
vit
rodigieuse et
de
grande science,
on
ne peut
en
conclure
aussi
nettement
qu'elle
connaissait
dj
ce personnage comme
ayant
frapp Dieu
ou bout
Dieu. Il
n'est
pas
impossible
qu'Antonio ait
recueilli
l'anecdote conte
par Giovanni avec d'autant
plus de
dvotion
qu'elle tait nouvelle pour lui.
Les
exploiteurs de
la
crdulit
espagnole
dont
nous
allons
nous
occuper
maintenant
sont
des
disciples lointains et
quelque peu
dgnrs de
ce
Giovanni.
Il
vaut
la peine d'tudier en
dtail les
1.
Traduit
par G. Paris, op. cit., p. 213-214.
2. Comme le dit
G.
Paris,
op. cit.,
p.
214, n. 1.
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21/43
100
BULLETIN
HISPANIQUE
documents qui nous
dcrivent leur industrie,
puisque,
sauf erreur,
ils nous font assister la diffusion
de la
lgende
qui
nous occupe
en
Espagne.
Nous nous attacherons
d'abord
au
plus
rcent,
qui
est
un
rcit
littraire inclus
dans
le
Crotaln.
Ce
livre
trange,
ramassis d'histoire divertissantes et
de
relations d'vnements
contemporains, a t compos Valladolid vers 1553 \
Le
Coq lucianesque
qui
raconte
ses
aventures dans
le
Cro
taln a t, en une de ses nombreuses existences
antrieures,
l'Alexandre Pseudomantis
de
Lucien. Mais
peine
entre-t-il
dans
le
dtail
de cette vie
qu'il nous
transporte
dans une
Espagne
picaresque
du xvie sicle. Fils
d'un
cultivateur, il a aspir
s'affranchir
de cette
misrable
condition
en devenant
prtre.
Il
a
t
Zamora pour
y
apprendre
un
peu
de latin. Mais
voici
qu'il
quitte
l'cole, ayant
dj
quelque pratique
de
la
mendicit,
et,
en
compagnie de quelques vagabonds
sans
aveu, il devient
zarlo ou espinel : bientt
il
est pass matre
dans
l'art de
la zar-
lera,
c'est--dire dans
l'art de chanter
Vespinelle (cantar el
espi
nela) 2. Ces termes
bizarres
n'apparaissent
nulle part ailleurs
dans
la
littrature
picaresque espagnole, et
il est
fort possible que
ce
soient des mots d'argot transposs de l'italien, si, comme
nous
le
supposons,
le
Crotaln
est
l'uvre
d'un
Italien
naturalis
Espag
nol. Notre
narrateur
explique qu'il
s'agit
d'un art
de dire
la
bonne
aventure, dont
la
recette consiste parler
avec
astuce
pour faire
jaser
les gens
et
deviner leurs
secrets,
en particulier
les pchs qu'ils
n'ont
pas
os
confesser. Grce cet art, deux
1. Cf. notre rasme
et
l'Espagne, Paris, 1937, p. 706.
Nous
citons d'aprs l'dition
donne
par Menndez
y
Pelayo au
t. II
de
ses
Orgenes
de la Novela,
Madrid,
1907.
2.
Zarlo et zarlerla ont
une parent
vidente
avec charlar
et charlatn.
Et le
fran
ais
du
xvi9
sicle
connaissait aussi charlerie au
sens d'imposture (Huguet, Dictionnaire
de la langue
franaise
du
XVIe sicle,
t.
II,
Paris, 1932, p.
203).
C'est le
z
initial
qui
fait
surtout penser
une transcription
de l'italien
ci.
Pourtant
l'italien, du
moins
celui des dictionnaires modernes, ne connat ni
ciarlo
ni ciarleria.
Il
connat, par
contre, entre autres drivs
du
verbe ciarlare, les
substantifs ciarla,
ciarliere et
ciar-
lone.
Zarlo
et zarlerla
viennent-ils de
formes italiennes archaques
ou
dialectales? La
mme
incertitude
plane
sur
l'origine de espinel et
espinela.
Tout au plus
peut-on en
rapprocher des
formes dialectales
anciennes du nord
de l'Italie,
telles
que spinell,
spiniell et
spinein.
Ces termes, d'aprs A.
Mussafia,
Beilrag zur Kunde der
norditalie-
nischen
Mundarten im 15.
Jahrhundert,
Wien, 1873,
p. 109,
dsignent le foret servant
mettre
les
tonneaux
en perce, puis le trou fait avec cet outil, et encore
la
clef
d'un
robinet. Un de ces
mots
s'est-il appliqu
par
mtaphore argotique l'escroc qui
sait
soutirer
aux
gens leurs
secrets
et leurs deniers? Nous ne faisons que
p*oser
la question.
7/26/2019 article_hispa_0007-4640_1941_num_43_2_2904
22/43
PRGRINATIONS ESPAGNOLES
DU JUIF
ERRANT
101
compres peuvent aisment persuader les
nafs qu'ils
sont dous
d'une
science
surnaturelle.
Le hros du Crotaln, pour paratre
plus respectable,
porte une
longue
barbe
et,
suivant
les
pays,
il
revt un long
vtement de
bure
brun
fonc, ou bien un sayon et
un
scapulaire
d'ermite,
costume qu'il complte avec
un grand
bton et
un
long
rosaire
aux
grains normes.
Il
fait savoir par
tout
qu'il devine l'avenir,
retrouve les gens perdus, rconcilie
les
amoureux, dcouvre les voleurs,
rvle
les
trsors,
gurit ais
ment les malades
et
ressuscite mme les
morts.
Il est ainsi l'objet
d'une
grande vnration, et l'on
vient
baiser ses pieds et lui
offrir tout
ce qu'on possde, en l'appelant le prophte, le disciple
et
le
serviteur de
Dieu.
Il
fait
donc de
nombreuses
dupes
en
Por
tugal
et
en
Castille, particulirement parmi
les
gens riches et
superstitieux.
Ceux-ci viennent
le consulter
dans leurs
difficults
at
il a bien soin de toujours
faire des rponses
qui
puissent
s i
nterprter de
diffrentes
manires pour
s'adapter
l'vnement.
Mais un des plus
srs
moyens qu'il
ait
de tromper le
monde
con
siste se faire passer pour Juan de Vota Dios... Il importe ici
de traduire textuellement ses explications * :
Le
Coq.
Nous disions que
j'tais
Juan de Vota Dios.
Mycille.
Qu'est-ce
que
cet
homme-l?
Le Coq.
Les zarlos superstitieux
et
vagabonds prtendent
que
c'tait un cordonnier qui
habitait dans la
rue d'Amertume Jrusa
lem
et
que, au
moment
o
l'on conduisait
le Christ
prisonnier
par
cette rue,
il
sortit
en
frappant avec une
forme
sur son
tabli en
disant :
Va
donc,
va
donc, fils de
Marie
, et
que le
Christ
lui avait rpondu :
Moi, j'irai, et toi tu resteras pour
rendre
tout
jamais tmoignage
de
moi. En foi
de
quoi je
montrais
une
forme
marque sur
mon
bras :
je la
faisais
avec certain procd
bien facilement
et elle semblait tre
naturellement
empreinte
cette
place. J'avais toujours avec
moi un
camarade
du
mme
mtier
de
perdition, et
plus vieux
que
moi,
de
telle sorte
que, nous rvlant
l'un l'autre les entretiens que
nous
avions
avec les gens en secret
et
confession,
et
nous montrant tantt
l'un, tantt
l'autre, nous leur apparaissions comme dous
d'une
espce
de
divination
et
d'esprit
de prophtie,
ce
que
prcisment
nous
voul
ions
toujours donner
entendre.
Et nous
le leur faisions facilement
croire parce
que
nous mettions
chaque
jour
de
la varit dans notre
comdie.
Et je
leur
disais que,
quand
j'tais devenu
vieux,
j'allais
1. CrotaUn, d. cit., p. 139.
7/26/2019 article_hispa_0007-4640_1941_num_43_2_2904
23/43
102
BULLETIN HISPANIQUE
me baigner au
fleuve
Jourdain,
et
qu'aussitt je revenais l'ge
de
trente-trois
ans,
qui tait
l'ge
o
le
Christ
mourut. D'autres
fois, je
leur disais que j'tais
un
plerin de Jrusalem, homme de Dieu,
envoy
par
Lui
pour
rvler et
absoudre les
nombreux
pchs
secrets
qu'il
y avait de par le monde,
et que la
honte empche les hommes de
dcouvrir
et
confesser
aucun
confesseur.
C'taient,
en effet, des
pchs
abominables
que ces singuliers
plerins avaient
la spcialit de faire confesser et d'absoudre
:
inceste,
homosexualit,
bestialit. Mais le plerin
de Jrusalem
tait envoy tout exprs par Dieu. Je suis,
disait-il
la pche
resse prsume, un
des
douze plerins
qui
rsident
en
perma
nence au Saint-Spulcre de
Jrusalem
la place
des
douze
Aptres
du
Christ.
Le
pch
une
fois
avou,
le
plerin
disait
:
Vois-tu, ma sur, ce pch doit
tre
absous avec
trois
signes,
trois croix, trois
psaumes et
trois messes
solennelles. Celles-ci
doivent tre
dites
au temple du Saint-Spulcre
de
Jrusalem, et
ce sont
messes de grand
prix et de grande difficult. Car elles
doivent
tre
dites par
trois
cardinaux,
et
avec eux doivent
offi
cier trois vques
l'autel.
Et
il
faut qu
chaque messe brlent
trois cierges, chacun pesant six livres
de
cire. La pnitente
chargeait
alors le
plerin
de
faire
dire ces messes et
lui
remettait
dix ou vingt
ducats,
selon ses moyens. Le plerin promettait
de
revenir au bout d'un an ou deux, tout en jurant intrieurement
que sa
victime ne
le reverrait
pas.
Il lui offrait une participation
au
mrite que les douze plerins de
Jrusalem
acquraient
chaque
anne par leur prilleuse expdition la Tour
de
Babylone, o ils
allaient
pour
Pques, avec douze chevaux, chercher les saintes
huiles
destines
la chrtient, non sans
livrer
bataille aux
gants
gardiens
du
saint
chrme.
Il offrait
encore
sa
pnitente de
se
baigner
pour
elle
dans
le
Jourdain.
L'imposteur acqurait
un
tel
ascendant sur les femmes
qu'elles livraient
sa discrtion leur
fortune et leur pudeur. Et leurs maris s'estimaient
trop heureux
de
les
voir ainsi
bnies par
le
prophte,
disciple de
Dieu, par
le
saint plerin de Jrusalem, par le serviteur
de
Jsus-Christ...
Voil une russite trop
triomphale pour ne
pas nous
laisser des
doutes au sujet
de
sa vraisemblance. Le papier souffre tout. Nous
souponnons que l'auteur du Crotaln s'est laiss emporter par
sa
verve. Et mme,
nous
arrtant une ressemblance
globale
et
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PRGRINATIONS
ESPAGNOLES DU JUIF ERRANT
103
certaine concidence d'appellation
(siervo
de Dios), nous pour
rions
tre tents
d'admettre
que
ce conteur italien de Valladolid
n'a
fait
autre
chose
que
broder
d'amusantes
variations
sur
l his
toire de son compatriote Giovanni Servo di
Dio,
si nous ne
savions
par ailleurs
que son
rcit
a un fondement de
vrit espagnole.
Ceci
ressort avec vidence d'un
procs d'Inquisition1 dont
l au
teur du Crotaln
put
recueillir les chos et qu'il nous faut anal
yser.
Le dimanche 13 mars
1547,
c'est--dire
cinq
ou six
ans
peine
avant la
composition
du
Crotaln,
on lisait
dans
un auto
de
f
clbr
sur
le Zocodover
de
Tolde,
la
sentence
d'un curieux va
gabond
qui
tait condamn
abjurer
de levi et recevoir cent
coups
de fouet au cours de
la
promenade por
las
acostumbradas,
tandis
que
le crieur public proclamerait
son
dlit. Ce dlit cons
istait s'tre fait passer pour Juan de Espera en Dios parmi les
villageois
des
Monts
de
Tolde. Reconstituons l'histoire
de
cet
individu,
d'aprs
ses propres dclarations
et
celles des tmoins.
Antonio Ruiz (ou Rodrguez) est un garon
d'une
vingtaine
d'annes. Il
est n vers 1527
Medina del Campo, ville
clbre
par ses foires, o
son
pre, originaire
des
Montagnes
, exerait
la profession
de cardeur de
draps. Ses parents taient
de
condi
tion
modeste, mais
vieux chrtiens ,
sans mlange
de sang juif
ou maure. Orphelin de bonne heure,
il
fut lev par un
neveu de
son
pre, le tailleur Gonzalo Garca. Il
avait
douze
ans
quand ce
cousin
l'envoya
Lon
chez
son ami
Paxarillas,
o
il
demeura
cinq
ans. De l,
il
revint Medina et resta deux
ans
et demi au
service
du
Regidor
Velasco Snchez.
En
1546,
il
quitta
Medina
pour Avila.
Mais il
n'y resta qu'un mois environ,
chez
un espa
dero
qui vendait
ses pes
ct
de
la
cathdrale.
Il
partit pour le
1. Procs d'Antonio Rodrguez ou Ruiz, .originaire de Medina
del
Campo,
qui
se
faisait passer pour
Juan de Espera
en
Dios (1546-1457) (Archivo
Histrico Nacional
de
Madrid, Inquisicin
(Toledo), Leg.
222, n 29).
Pour
complter des notes trop rap
idement prises
en
octobre 1935,
nous
avons
obtenu,
quelques
mois aprs,
des
photo
graphies
des
feuillets
du
procs
contenant l'interrogatoire
de
l'accus
et les
dposi
tions
es
tmoins.
Nous
esprons que, en faisant porter notre examen attentif sur
ces
seules pices,
nous
n'aurons laiss chapper aucun lment d'information
important
sur
les
faits de la
cause.
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104
BULLETIN HISPANIQUE
plerinage
de Notre-Dame de
Guadalupe,
o
il resta
trois jours.
Il y fit
la
connaissance
d'un
plerin franais nomm Pierre,
grand gaillard visage glabre avec
qui
il
partit
dans
la
direction
de
Tolde.
C'est
avec
sa
complicit,
et
peut-tre
son instigation,
qu'il tenta d'exploiter la
crdulit des gens
dans les hameaux
des
Montes de Toledo.
Mais
il
ne
tarda
pas tre arrt au Molinillo.
L'alguazil
du lieu,
renforc par
un
villageois, l'amena
Tolde,
menottes aux mains
et
attach par une
corde.
Ils arrivaient
presque au terme du voyage quand,
devant l'glise
Saint-Martin,
Antonio bouscula son escorte et se
rfugia dans l'glise. Tomar
iglesia, comme on disait,
c'tait
jouir du droit d'asile. Le cur
et
son
vicaire s'opposrent
ce
que
l'alguazil
reprt
son prisonnier.
Mais,
comme
il rclamait au moins les menottes qu'il avait
em
pruntes
au quadrillero de
la Hermandad
autrement
dit
au
brigadier
de gendarmerie
les prtres lui en demandrent la
clef
et
dlivrrent
les
mains de
leur
protg.
Le
fugitif,
au
bout de deux jours,
essaya
de regagner son pays.
Il fut
repris
Lzaro Buey. Une
semaine plus tard,
il
tait
la
prison inquisi-
toriale de Tolde
et
invit,
ds le
6 octobre,
s'expliquer sur
ses
agissements. Ceux-ci
ne
l'avaient
pas
enrichi.
Quand
il
fut arrt,
il
avait
sur lui
neuf
raux
et
sept maraveds,
plus
une croix
et
un
anneau d'argent.
Recueillons d'abord sa propre version des faits qui motivent
son arrestation. C'est le
Franais,
l'en
croire,
qui menait
le
jeu.
Arrivant
dans
un village, Pierre
disait
qu'il tait plerin et allait
Saint-Jacques-de-Compostelle. Il parlait avec les femmes, et
elles
lui donnaient
un
demi-ral,
un
ral ou mme deux,
pour
faire
dire des
messes
Saint-
Jacques. Il montrait aux gens, sur
son
bras, une
sorte de tatouage
en
forme de roue de sainte Catherine.
Il
se faisait cette marque
avec
un
cachet
sculpt
dans
le bois,
comme ceux
qui
servent
dcorer les pains
et
qu'on
nomme
pour
cette raison
pintaderas (de
pintar.
Cf. pan
pintado). Mais il pr
tendait l'avoir de naissance.
Antonio Ruiz apprit vite l'imiter.
Avec
une
pintadera
que lui
donna
le
Franais,
il
se fit, lui aussi,
une roue
de sainte
Catherine sur le poignet gauche. Et,
montrant
cette
marque,
il
disait
:
Je l'ai
de naissance.
Je suis un des
douze
plerins
de
Sainte-Catherine du mont
Sina,
dont
l'un
est Juan
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PRGRINATIONS
ESPAGNOLES
DU JUIF
ERRANT
105
de
Espera en Dios. Bien entendu, le bruit se rpandit dans les
alentours
que
Juan de Espera en
Dios
tait par l.
Il
arriva qu'un
homme
lui
demanda
:
tes-vous
Juan de
Espera
en
Dios?
Oui,
rpondit Antonio.
C'est
bien cela, reprit
l'homme. Il
est
pass par ici
l'autre
anne.
Il
tait jeune.
Il
m'a
bien sembl que
je vous reconnaissais. Comment faites-vous
pour
tre si jeune?
C'est,
rpondit Antonio,
que
je vais me
baigner
tous les
sept
ans
dans
le Jourdain x.
A vrai
dire,
les dpositions
concordantes des
villageois montrent