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Bateson Et Mead - Winkin

Date post: 02-Mar-2018
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  • 7/26/2019 Bateson Et Mead - Winkin

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    Yves W inkin

    Dpartement d anthropologie de la comm unication, universit de Lige

    SUR LES TRACES DE

    GREGORY BATESON ET

    MARGARET MEAD :

    essai de reconstitution d une chane mim tique

    partir

    de alinese Character

    Rcit

    Long temps , j'ai rv d'aller Bali. Mais je n'osais faire le saut. Le saut entre les images q ue

    j 'en

    avais et la ralit, que d'aucuns dcrivaient comme terriblement dcevante. Mes images de

    Bali provenaient de Balinese Character,l 'ouvrage que Margaret Mead et Gregory Bateson

    publi rent en 1942, aprs un long sjour Bali entre 1936 et 1939.

    J'avais lu Balinese Character pos plat sur une table de la biblioth que du m use

    d'Anthropologie de l'universit de Pennsylvanie, vers 1977. J'avais t fascin par la beaut

    formelle des photos plus de sept cents , l'tonnante modernit de l'ouvrage (commentaires

    sur la page de gauche, photos organises thmatiquement sur la page de droite) et par

    l'apparente simplicit de la qute de Mead et Bateson : comment la culture s'incorpore-t-elle ?

    comm ent le petit Balinais devient-il un Balinais ?

    Je n'avais pu sortir l'ouvrage de la bibliothque et le photocopier trop rare. Mais, ma

    grande surprise,ilm'avait suffi de le dema nderla petite librairie du Museum of Natu ral H istory

    de New York l o Margaret Mead travaillait toujours l'poque pour l'obtenir (et pour

    un montant ridicule : environ 150 FF).

    Et c'est ainsi que

    j'ai

    com menc lire et relireBalineseCharacter, en rephotographier des

    planches pour illustrer mes cours d'anthropologie de la communication l'universit de Lige,

    le

    citer abondam me nt pou r voquer l'incorporation de la culture dans diffrents sminaires

    et colloques, dmonter la planche 47 pour y montrer l'origine de l'hypothse de la double

    contrainte (Winkin, 1981, p. 32).

    HERMS

    22 ,

    1998

    8

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    Yves Winkin

    J'ai voulu en savoir plus sur l'histoire de ce long travail de terrain. Curieusement, hormis

    quelques pages autobiographiques dans Du Givre sur lesronces de M. Mead (1977), quelques

    pages dans la biographie de Bateson pa r D. Lipset (1980), et quelques articles (dont celui de Ira

    Jacknis en 1988, trs docum ent sur le traiteme nt des donnes p hotogr aphiqu es), il n'y avait pas

    grand-cho se dans la littrature balinologique . Cette derni re expression provien t du livre de

    l'anthropologue geertzien James Boon,

    The Anthropological Romance of Bali

    (1977), qui

    retrace l'histoire de l'norme littrature, coloniale tout d'abord, historique et anthropologique

    ensuite, qui

    s est

    accumule par couches sur Bali depuis le xvi

    e

    sicle. Dans ces centaines de

    rfrences,

    BalineseCharacter

    ne tient qu'u ne place mode ste, relgu aux oubliettes de l'histoire

    de l'anthropologie culturaliste d'avant-guerre. C'est du moins ce qu'en fait James Boon, qui se

    moque presque ouvertement du livre. Trs dpit, j 'tais, quand j'ai lu son commentaire : je

    m'attendais un chapitre entier sur mes hros.

    Mais

    j 'ai

    pu les clbrer ma faon, en organisant Cerisy en 1984 un colloque sur Bateson

    et son hritage (Winkin, 1988). On a parl de Bateson pendant dix jours et Mary-Catherine

    Bateson s estprt de bonne grce au rle de fille de Bateson et Mead. Mais BalineseCharacter

    est rest dans l'ombre, malgr la prsence d'Alban Bensa (qui avait publi dans Actes de la

    Recherche en

    Sciences Sociales

    en 1977 des extraits du livre, que Pierre Bourdieu ne dsesprait

    pas encore de faire trad uire). Les psy s'taient accapars B ateson et ils ne le lcheron t qu ' la

    fin des annes quatre-vingt, quand ils se rendront enfin compte que la double contrainte

    appar tient la posie et non la psychiatrie.

    J'ai poursuivi ma qute. J'ai retrouv une copie de

    Dance

    and

    Trance

    in

    Bali,un des

    films

    que

    Mead a dits partir des prises de vue de Bateson. Une collgue amricaine, Rene Fox, m'a

    offert

    Trance

    in Balide Jane Belo (1970), une amie de M ead qui a longtemps sjourn Bali avec

    son mari, le musicologue Colin McP hee. J'en suis venu ainsi tenter de recon stituer le collge

    invisible des amis et collgues qui ont gravit autour de Mead et Bateson Bali la mme

    poque, et qui ont trs souvent, eux aussi, produit des ouvrages de grande qualit sur tel ou tel

    aspect de la culture balinaise.Balinese

    Character

    m'est peu peu apparu comme le point de

    dpart et le point d'arrive d'un ensemble trs cohrent de travaux, dont les auteurs formaient

    un rseau personnel et intellectuel tonnament

    cratif.

    Outre Jane Belo et Colin Me Phee

    (A

    House in Bali [1946],Music in Bali [1966]), on peut citer Geoffrey Gorer (1936), Katharane

    Mershon (1971), Beryl De Zoete et Walter Spies (1938). J'ai prsent ce travail un jour au

    sminaire

    de

    Jeanne Favret-Saada

    , mais je n e n ai rien

    publi

    trop lacunaire encore.

    Je me suis, en revanche, mis en tte de traduire

    Balinese Character...

    sur place. Vivre un an

    Bali, entre un exem plaire du livre et un bon dictionnaire. J'ai m me pris contact avec l'attach

    culturel de l 'Ambassade d'Indonsie

    Bruxelles pour explor er

    les

    possibilits d'un financement.

    Mais les Editions du Seuil ont ren onc, com me lesEditions d e Minuit avant elles, selancer dans

    l 'aventure d'un e publication pointue comp ortant autant de photographies (bien) reproduire.

    Je n'tais toujours pas Bali.

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    Sur les

    traces

    de

    Gregory

    Bateson et

    Margaret

    Mead

    L'envie montait. Bavardant un jour avec une des guides de Terres d'Aventures, une agence

    de voyages parisienne spcialise dans la randonne lointaine, je me suis rendu compte que je

    devais y aller ds que possible

    l'aprs-Suharto n'tait peut-tre pas assur ; Bali pouvait se

    retrouver pour quelques annes dans une tourmente sanglante...

    C'est ainsi que le samedi 24 aot 1996, j'ai pris le bus d'Ubud vers Kintamani et que j'ai

    dem and au chauffeur d e s'arrterl 'embranchement qui descend vers

    B ayunggede.

    Je revenais

    d'une rand onn e de trois semaines dans les Clebes, en pays Toraja, avec Terres d'Aventures (et

    la guide rencontre Paris deux ans plus tt). Aprs un bref arrt Kuta (effectivement bien

    aussi terrifiant qu'on le disait), je m'tais install seul Ubu d p our une sem aine, avec l'intention

    de rayonner travers l'le. En commenant par un plerinage Bayunggede, au nord de l'le.

    C'est l que Mead et Bateson avaient sjourn le plus longuement, parce que le village tait

    rput pour son authenticit : pauvre mais pur. En outre, d'aprs Mead, les gestes taient

    plus faciles observer et filmer Bayunggede qu'ailleurs parc e que ses habitants se dplaaient

    plus lentement, en raison d'une affection thyrodienne qui ralentissait leurs mouvements...

    Ce jour-l, sur la petite route qui descend vers le village, il n'y a qu'un gamin qui condu it un

    buf au champ. Il fait trs calme. Pas une voiture, pas une moto. Je passe devant trois

    cantonniers q ui me saluent et me dem ande nt d 'o je viens. Belgium effort de l'un d'ent re

    eux, qui me rpond

    Brussels . Eton nan t. Voil que ma capitale existe Bayunggede. Mais

    l'enchantement ne sera pas de longue dure. l'entre du village, un groupe d'adolescents et

    d'adolescentes en uniforme scolaire me hle depuis unfoodstand. L'un d'entre eux, qui n'est pas

    en uniforme, vient vers moi avec l'invitable W here are you from ? . Il me donne la carte d'une

    auberge de Kedisan, le village au bord du lac Batur, pas loin de l, o il peut me conduire, de

    mme qu'il peut me reconduire Ubud. Et, bien sr, il peut me faire visiter Bayunggede. Finie,

    la qute solitaire. Pour tenter de lui chapper, je commence par manger dans la baraque, sous le

    regard des tudiants. Rien faire : il m'attend la sortie. Je cite mon journal, qui ressemble

    trangement ici celui d'un autre voyage (Winkin, 1996, p. 193-204) : Le gars me colle aux

    fesses. Plus deux, trois gosses. Tant pis. Il n'a visiblement au cune connaissance du village. Il me

    montre vaguement le temple. Je commence mitrailler. Les murs de pierre comme dans

    Balinese Character sont gris. Peu de couleurs, peu de fleurs dans Bayunggede. Terre battue.

    Petites maisons toit pentu en bambou fendu. Je n'ose trop entrer dans les enclos . Silence.

    Quelques gosses. Des chiens. Des vieilles furtives. Etrange ambiance. Le guide va nanmoins

    trop vite mon got. Aprs vingt minutes, il m'a ramen mon point de dpart. J 'explose. La

    premire personne que je vais engueuler en Indonsie sera cet adolescent gonfl :

    J'ai fait

    6 000 km pou r venir jusqu'ici

    ;

    j'ente nds voir ce village mon rythme, com pris ? . Il com prend ,

    tour ne les talons et s'en va d'un pas dcid. Evidem ment, les deux, trois gosses continuent me

    coller aux trousses. Qua nd je fais mine d'en trer dans le temple, ils crient no, no . J'hsite, je

    rebrousse chemin. Nouvelles dambulations dans les petites alles grises. Je passe devant

    quelques adolescen ts, qui zonent devant une bo utiqu e (Coca, chips, rien). W here are you

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    from ? . Le mot de pa sse. Sourires. Bye . Rires derrire moi. Lazzis. Bof. Les gosses ne sont

    pas moins emmerdants : ils demandent constamment de l'argent, en roulant le pouce et

    l'index.

    C est alors que se produit le miracle. J'ose enfin entrer dans le temple. Les enfants

    disparaissent. Silence. Lger malaise : est-ce que je peux tre dans cette enceinte visiblement

    sacre?Un pr tre appara t au fond de la cour ;

    j'ai

    l'impression qu'il me montre son sarong ;j 'en

    dduis q u'il me de man de de couvrir les jambes (je suis en short). J'enfile mon pyjama le look.

    Un autre prtre vient vers moi et m'enfile un drap jaune autour de la taille. J'avance pas lents,

    comme si je voulais lui montrer mon respect pour les lieux. Dans l'enceinte suprieure, une

    dizaine de personnes sont assembles par petits groupes. Deux hommes viennent de couper le

    cou un poulet. Je n'ose pas regarder trop longtemps encore moins photographier. Survient

    un troisime prtre, qui me fait signe de redescendre. Ce n'est pas pour m'expulser, mais me

    montrer un endroit photographier (un enclos o se dressent plusieurs offertoires en bois).

    Soulagement. Ce prtre sourit plus que les deux autres. Il parle mme quelques mots d'anglais.

    Que stions rituelles... Aah, Belgia . Puis la surprise il sort d'un pais portefeuille un e masse

    de cartes de visite que je feuillette. Je retrouve celle de Karl He ider, l'anthro pologu e amricain.

    J'avais gard une carte dans mon sac ; je lui offre. Quel sera le prochain anthropologue qui

    rptera cette scne en s'tonnant que des collgues amricains et belges soient passs avant lui ?

    No us re ntrons dans un e salle obscure , o le prtre m'invite signer le livre des visiteurs. Je

    note la colonne mentionnant le montant des dons. L'inspiration me pre nd de verser une obole

    consquente. Il est visiblement heureux. D'un autre album il sort des photos de prcdents

    visiteurs. Soudain, je crois entendre le mot Mead . Pas possible... Si

    il m'entrane dans la

    cour et m'cr it avec un bo ut de bois dans les gravillons

    GARID MID

    . Rien que pou r cet instant,

    aussi naf que cela puisse paratre , il valait po ur m oi la peine de venir jusqu 'ici.

    Je lui demande, bien sr, s'il a connu Margaret Mead. Non, mais lui l'a connue . Il me

    dsigne un vieux prtre lippu suant du btel. Poignes de main, sourires, photos. Le vieux

    prtre se tient au garde--vous, en rentrant le ventre. Mon interlocuteur me conduit jusqu'au

    grand prtre (c'est du moins celui qui reoit les offrandes des villageois). Autour de lui,

    d'autres prtre s, trs vieux, eux aussi. Ils auraient tous connu G arid M id . Je ne sais trop quoi

    leur demander. Sourires furtifs.

    Monprtre m 'entrane alors hors du temple et commenceme faire visiterlevillage, qui

    m'apparat sous un autre jour que tout

    l'heure. Les petites maisons sont effectivement h abites.

    Il pousse une po rte coulisse

    deux ttes mergen t de la semi-obscurit. U n vieux et une vieille,

    littralement plies en deux, coincs entre un lit et un fourneau, viennent nou s saluer.Je suis enfin

    dans

    Balinese Character,

    Bayunggede en 1936 et ce n'est pas joyeux. Scne pathtique de

    cette vieille femme casse angle droit, tirant un tab ouret jusqu'au vieil homme p our pre ndre la

    pose. Rtrospectivement, je me dem ande comment j 'a i os proposer de faire une p hoto. Est-ce

    le prtre qui l'a suggr ? Est-ce moi qui ait suscit la proposition

    ?

    Je ne sais plus. Il ne me reste

    plus que cette photo qui ne ressemble en rien aux photos lgiaques de Balinese

    Character.

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    Sur lestracesd eGregoryBateson etMargaretMead

    Alors qu'arrivent d'autres connaissances (des membres de la famille ?) et que nous chan

    geons quelques mots, le prtre, dont j 'ai enfin saisi le nom D u d u k enlve ses habits

    sacerdotaux et enfile un pantalon civil . Il me propose d'aller voir la maison de Garid

    Mid . Mon plerinage atteint son somm et. En fait, seul l'emplacem ent existe encore. Mais il est

    assez difiant : le couple amricain (remarquons au passage que Gregory Bateson n'est jamais

    me ntionn pa r mon informateur) occupait trois petites maisons (dont une po ur les toilettes), un

    btiment aussi grand que l'cole actuelle (un U de quinze mtres de long environ), ainsi qu'une

    surface quivalente la moiti de la cour de rcration, soit 50 m

    2

    , vue de nez. Terrain quasi

    gigantesque, qui n'est pas sans rappeler celui que peut occuper une famille brahmane. Mais

    encore faudrait-il croiser l'information que me donne Duduk avec celle qu'un Madi Kaler,

    l'ancien secrtaire de Mead, qui vit encore, pourrait me fournir.

    En quittant le village, par une route nouvellement goudronne, nous croisons nombre de

    paysans de retour des champs. Salutations, photos, taquineries de Duduk lorsque les femmes se

    montrent timides. Il m'emmne jusqu' sa femme et ses enfants, qui occupent une petite maison

    perdue dans les cultures. Sur le chemin, le tourisme reprend ses droits : un autre rabatteur de

    l 'auberge de Kandisan me harp onne et ne me lche plus. Je ne comprends pas trop ce que veut

    me dire Duduk. Aprs un caf, des photos et quelques changes de sourires, je crois saisir qu'il

    veut retou rner travailler. Je salue chacun et me retrouve sur la moby lette du rab atteur (cheveux

    longs, haleine de cigarette), en route vers le Sanya Homestay. Je suis dfinitivement sorti de

    BalineseCharacter.Plus tard, rentr Ubud, je ferai dvelopper toutes mes photos de Bayung-

    gede en do uble et les enverrai

    Dud uk. M ais j'ignore s'il les mo ntre au jourd'hui aux visiteurs du

    temple.

    Carte et territoire

    Dans ce rcit, il est question d'une carte en l'occurrence, Balinese

    Character

    et d'un

    territoire, l le de Bali. Il est aussi beauc oup question de mimesis sociale , au sens o

    l'entendent Gunter Gebauer et Christoph Wulf dans leur article Social Mimesis (Gebauer et

    Wulf,

    1995,

    p. 13-24). Et de m diations, dans tous les sens du ter me. Essayons d'analyser le rcit

    ci-dessus selon les perspectives que leur texte no us invite suivre.

    Le rcit est l'histoire d'une chane de mondes lis les uns aux autres par des relations

    mim tiques. Le mond e prem ier n'est pas le territoire de Bali mais une de ses cartes, celle qu 'ont

    dresse par le mot et par l'image deux anthropologues des annes trente. Balinese

    Character

    est

    le rfrent partir duquel je vais me construire une le de Bali, avec l'espoir qu'elle ressemble

    encore sa reprse ntation, avec la hantise qu'elle n'y ressemble plus. Il y a l une inversion de la

    relation de reprsentation , comme disent Gebauer et Wulf

    (1995,

    p. 21)

    ce n'est p as le livre

    qui doit reprsenterl le; c'estl lequi doit rep rsente r le livre.

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    Yves Winkin

    On retrouve cette inversion dans le rapport au monde visit qu'ont les touristes en gnral,

    comme l'ont propos nombre de sociologues du tourisme (Urry, 1990, en particulier). Les

    touristes iraient voir des images, qu'ils saisiraient par l'image (photog raphiqu e). Les sites visits

    ne seraient que des confirmations de leurs reprsentation s. En cela, je serais au moins autant un

    touriste qu'un anthropologue (Edward Bruner [1995] a prcisment cherch montrer que la

    diffrence entre les deux rles tait mince). Mais retour nons l'analyse des transwo rld

    relations , pour continuer parler comme Gebauer et Wulf (1995, p. 22).

    En voyageant dans les traces de M ead et Ba teson, en essayant de revoir ce qu'ils avaient vu,

    en parlan t des gens qui ils avaient pu parler,

    j'ai,

    consciemment et inconsciemment, produit

    de la mimesis sociale, entendu e au sens d' im itation de com portem ents, situations et actions ,

    impliquant un processus par lequel une personne devient semblable une autre (Gebauer et

    Wulf,

    1995, p. 19). On pourrait sans doute parler d'apprentissage vicariant, mais la dimension

    corporelle de l'exprience ne serait alors pas adquatement rendue : il s'agissait de marcher, de

    s'asseoir, de respirer (et de transpirer) comm e Bateson et Mead. Il s'agissait de c onstruire encore

    un autre monde, fait de gestes, de regards, de perceptions fugitives. Si le monde premier est

    constitu par

    BalineseCharacter,

    le deuxime p ar ses referents physiques surl le de Bali (dont,

    en particulier, le village de Bayunggede), le troisime peut tre envisag comme l'ensemble de

    mes apprhe nsions sensuelles de ces referents. Un mo nde fait de vibrations, d'ode urs, d'images,

    dont je me dis qu'elles ont pu tre celles que Bateson et Mead ont gotes il y a soixante ans. Et

    que j'ai essay de saisir partiellement sous forme de notes et de ph otos.

    Il est assez clair que celles-ci constituent un quatrime monde, que le rcit que j'en ai tir

    ci-dessus, un cinq uime, et la prsen tation orale de ce texte, un sixime. La chane mim tique est

    ainsi complte, pou r au tant q u'elle le soit jamais. En effet, on peu t toujours insrer des maillons

    intermdia ires. Je songe, par exemple, aux rcits autobiograph iques de Mead et Bateson sur leur

    sjour Bali, aux discours touristiques sur Bali que j'ai pu lire avant de m'y rendre, aux

    explications de la guide professionnelle de Terres d'Aventures sur l'avenir politique de Bali, etc.

    Autant de cadres de perception de l le qui sont venus filtrer mon exprience, l'orienter, lui

    donne r sens. On pou rrait parle r de monde s I bis, Iter, 1 quater, etc., en ce sens qu'ils sont venus

    s'insrer entreBalineseCharacter (monde premier) etl le elle-mme (deuxime monde). Par

    ailleurs, le dernier monde, celui de la prsentation orale dans l'ici-et-maintenant de l'interven

    tion scientifique , ne peut jamais tre qu 'ouvert et lacunaire...

    Cadres de l exprience et mimesis

    L'exercice auquel je viens de me livrer est forcment injuste envers le travail de conce ptua

    lisation de Gebauer et Wulf. La notion de mimesis telle qu'ils l'ont dveloppe dans leurs

    diffrents livres et articles, mrite mieux qu'un rcit ethnographique. Mais il n'empche que je

    voudrais me permettre d'valuer brivement leur construction de la mimesis.

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    Sur les

    traces

    d e

    Gregory

    Bateson et

    Margaret

    Mead

    Je n'avais jamais jusqu'ici mis en relation les diffrents rappo rts que

    j'ai

    entre tenus au fil des

    annes avecBalinese Character.L'invitation d e Susan Ossman de me confronter la mimesis de

    Ge baue r et Wulf m 'a permis de le faire. Le travail est loin d'tre achev, bien sr, mais au moins

    une voie est-elle trace. L'ide d'u ne chane mim tique ne serait sans doute pas ne

    si les

    auteurs

    ne proposaient au lecteur d'tendre certaines rflexions de Nelson Goodman d'autres univers

    que ceux auxquels son travail philosophique les destinait. C'est certainement l une premire

    contribution de la notion de mimesis : sa disponibilit smantique est heuristique.

    Mais cette mme disponibilit smantique devient embarrassante lorsqu'elle recouvre trop

    de dom aines tro p vite. Ainsi, les six dim ensions d e la mimesis sociale largissent le spectre des

    significations possibles du con cept un po int tel qu'il en devient inoprationn el. En m e servant

    de la

    social

    mimesis

    as

    imitation of behaviors, situations, and

    actions

    pour montrer que j'avais

    cherch me ren dre sem blable Bateson et Mea d, je me suis rend u co mpte que je ne parlais pas

    d'autre chose que d'apprentissage vicariant ou exprientiel. Pour sauver provisoirement le

    concept, j'ai ajout que la mimesis faisait appel la dimension corporelle de l'apprentissage

    mais est-ce si sr ? C'est peut-tr e mm e une des dimensions qui manq uent

    la notion, qui reste

    trs cognitive, pour ne pas dire mentale : les mondes de Gebauer et Wulf sont dans la

    tte ...

    Notion cognitive pour notion cognitive, ne vaudrait-il pas mieux redcouvrir

    leframe

    de

    Bateson (1955) et de Goffman (1974)

    ?

    A mi-chemin galement de la rflexion philosop hique et

    de l'analyse sociologique, les cadres de l'exprienc e ont pou r eux d 'tre extrm emen t

    oprationnels, en raison notamment de leur panoplie de notions associes :

    cl, b molisation,

    surmodalisation,

    etc. Bien sr, la matrise de cet ensemble n'est pas chose aise, mais cette

    dm arche n'est-elle pas prfrable celle qui consiste plaquer de la mimesis sur des op rations

    si diverses que les auteurs courent le risque de dmontiser leur concept de base ?

    Mais l n'est pas le danger le plus pervers de la notion de mimesis. Un dernie r passage par

    Bali s'impose. Michel Picard a suggr dans son Bali

    tourisme culturel et culture touristique

    (1992) que la socit balinaise, la recherche de son identit face la monte du tourisme

    international,

    s est

    peu peu redfinie comme socit produisant de la culture (danses, game-

    lans,

    peintures, etc.), c'est--dire de la culture touristique consommable par des non-Balinais

    cultivs : C'est ainsi qu'enjoints de se conformer leur image, les Balinais ne se doivent pas

    seulement d'tre balinais, mais d'tre plus encore les dignes reprsentants de la balinit , de

    devenir des signes d'eux-m mes (Picard, 1992, p. 205).

    Est-ce que les jeux intellectuels sur la notion de mimesis ne nous amnent pas devenir

    similairement des signes de nous-mmes ? De mme que les Balinais doivent reprsenter

    dignement la balinit en jouant du gamelan, est-ce que nous n'en venons nous imposer de

    reprsenter

    intellectualit en jouant, entre autres, de la mimesis ? Ce serait peut-tre la

    leon retenir de cette excursion dans les transworlds balinais.

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    Yves Winkin

    R F R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S

    BATESON,

    G.,

    MEAD,

    M .,

    Balinese Character

    :

    A

    Photographie Analysis,

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