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Avec la contribution de : Jean-François Allaire, Jeannette LeBlanc,

Paul Morin et Jérémie Roberge

Juin 2013

13-06 Une intervention différente afin d’accélérer

le développement rural

Par Jerry Espada

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Coordonnées

Direction du centre affilié universitaire

Centre de santé et de services sociaux – Institut universitaire de gériatrie de Sherbrooke

95, rue Camirand, suite 210

Sherbrooke (Québec) J1H 4J6

Téléphone : 819 780-2220, poste 48123

Télécopieur : 819 565-9349

Courriel : [email protected]

ISSN 1923-4058 (Version en ligne)

ISSN 1923-404X (Version imprimée)

Dépôt légal : Bibliothèque et Archives nationales du Québec 2013 Dépôt légal : Bibliothèque et Archives du Canada 2013 © 2013, Direction du centre affilié universitaire, CSSS-IUGS

La reproduction des textes est autorisée et même encouragée, pourvu que la source soit mentionnée.

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I

PRÉFACE La préface de ce cahier de recherche est à l'image d'une ruralité plurielle définie par la diversité de ses intervenants, ces femmes et ces hommes engagés depuis des années, peu importe leur âge, leur origine, leur statut ou leur profession, dans l'amélioration du monde rural québécois. À travers cette préface, à l'allure d'une mosaïque symbolique, j'ai souhaité rendre hommage à tous ces artisans du développement, à ces « citoyens de la ruralité ». Six représentants, reconnus dans leur communauté respective, ont généreusement accepté de poser leur regard sur les liens entre l'action et la réflexion, entre les pratiques et les concepts. Du regard macro au regard micro : Bernard Vachon, Ph. D. : Professeur retraité du Département de géographie de l’UQAM, spécialiste en développement local et régional, décentralisation et gouvernance territoriale, Lauréat du Prix Mérite à la recherche des Grands Prix de la ruralité 2012. Gaston Plante : retraité du ministère des Affaires municipales, des Régions et de l'Occupation du territoire (MAMROT), membre de l'équipe rurale chargée de la rédaction et de la mise en œuvre de la 1re et de la 2e Politique nationale de la ruralité (2002-2007 et 2007-2014), et participant au groupe de travail sur le renouvellement de cette Politique (automne 2012-juin 2013)1. Sylvie Bellerose : conseillère en développement stratégique des territoires à Solidarité rurale du Québec (SRQ), et coordonnatrice de l'Avis de SRQ pour le renouvellement de la Politique nationale de la ruralité (mars 2013)2. Benoît Bourassa : maire de Saint-Camille et président du Groupe de travail sur le renouvellement de la Politique nationale de la ruralité (automne 2012-juin 2013). Jean Bergeron : agent de développement rural à Petit Saguenay, 1er lauréat du Prix Agent rural des Grands Prix de la ruralité 2008 et participant au groupe de travail sur la plateforme d'accompagnement dans le cadre du renouvellement de la Politique nationale de la ruralité (automne 2012-juin 2013). Marcel Langlois : citoyen engagé dans la municipalité de Lingwick (MRC du Haut-Saint-François).

1 Note explicative : Voir le groupe de travail sur la PNR3 via l’URL suivant : http://www.mamrot.gouv.qc.ca/developpement-regional-et-rural/ruralite/politique-nationale-de-la-ruralite/renouvellement-de-la-pnr/ 2 Note explicative : Voir l’avis via l’URL suivant : http://toujoursencampagne.ca/avis

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II

Bernard Vachon

L’expérience du développement rural est jeune au Québec. Ses bases conceptuelles ont été élaborées par une poignée de chercheurs universitaires stimulés par le corpus académique européen des années 1970 et 1980 en ce domaine. Puis il y a eu le « Big bang » des États généraux du monde rural en 1991 suivi de la création de la coalition Solidarité rurale du Québec, organisme-conseil auprès du gouvernement en matière de développement rural, qui allait notamment mettre en place un réseau d’agents de développement rural. En décembre 2001, l’Assemblée nationale adoptait la première Politique nationale de la ruralité qui reconnaissait les milieux ruraux comme des partenaires à part entière dans l’évolution d’un Québec moderne. En avril 2012, par sa Loi pour assurer l’occupation et la vitalité des territoires, une volonté politique forte, accompagnée d’une stratégie gouvernementale dotée de plans, d’outils et d’indicateurs, annonçait l’inauguration d’un véritable « projet de société » fondé sur le développement et la prospérité de tous les territoires du Québec. Enfin, dans cette marche vers un « Québec des territoires », le gouvernement Marois s’apprête à adopter une loi de décentralisation qui confèrera plus d’autonomie politique, administrative et financière aux collectivités territoriales (municipalités, MRC et régions). À travers cette évolution du cadre législatif et institutionnel, la composante rurale reconquiert une identité nouvelle tout en s’affirmant comme un acteur incontournable dans l’occupation, la recomposition et le dynamisme de la mosaïque territoriale du Québec actuel. Dans ce contexte, la ruralité moderne, spécifique et complémentaire à l’urbanité, doit constituer un champ d’exploration, d’expérimentation et d’innovation où se croisent la réflexion théorique et l’expertise de terrain. Le grand mérite du texte de Jerry Espada et de ses collaborateurs est précisément de réunir ces deux sources de connaissances. Le temps est venu de reconnaître et de saluer le travail remarquable accompli par les agents de développement au cours des dernières années, acteurs discrets et souvent isolés, mais ô combien indispensables au renouveau rural. Il faut souhaiter que cette contribution incite d’autres agents de développement à témoigner de leurs réflexions et expériences de terrain pour parfaire le champ de connaissance et d’expertise de la ruralité actuelle, sous tous ses aspects.

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III

Gaston Plante

Choisir de travailler en milieu rural pour améliorer la vie des communautés et des citoyens est au départ un emploi qui peut se transformer en vocation ou encore en défi personnel. On peut s’atteler à la tâche en réagissant au contexte qui se présente, en faisant face aux situations comme on le ferait pour tout autre travail, au mieux de sa connaissance. Il y a aussi une autre approche, celle du passionné, de celui qui prend fait et cause pour les habitants de son territoire, celui qui apprend à examiner et à questionner les contextes, qui regarde les choses sous divers angles pour trouver comment mobiliser autour d’une démarche, d’une idée, d’un projet. C’est aussi celui qui aime cette différence et qui comprend qu’une communauté rurale est aussi une petite société qui dispose d’une multitude de potentiels qui attendent d’être mis en mouvement avec doigté et respect. Le texte de Jerry Espada fait montre à la fois d’une qualité d’attention pour le milieu rural où il intervient et de volonté de l’ouvrir à de nouvelles perspectives de développement. Le cadre d’analyse et d’intervention qui est soumis démontre l’importance qu’il faut accorder à l’écoute des gens, au temps qu’il faut se donner pour sentir la réalité de chaque milieu. L’espace de changement et d’adaptation possible varie d’une communauté à l’autre en fonction des limites et des ouvertures que l’on constate et des capacités d’agir des gens. Et le chemin à entreprendre est fait autant de collaboration que d’exploration. Le génie consiste à trouver le juste équilibre. Et cet équilibre justement, comment s’en rapprocher? Une des voies qui est présentée ici est de s’associer au monde de l’enseignement supérieur et de la recherche, une alliance singulière pour le Québec rural. Elle n’est pas indispensable en soi, mais apparaît essentielle si l’on veut mieux comprendre le pourquoi et le comment des choses, les fondements et les paramètres des milieux où l’on intervient et des actions que l’on est amené à y réaliser. L’instinct du développeur peut continuer à jouer un rôle, mais il est souvent utile de se reposer aussi sur des données rigoureuses permettant d’appréhender les situations, de comprendre les liens entre les événements, de mesurer les effets produits ou encore d’identifier les signes d’amélioration qui nous confortent dans la direction choisie. C’est en essence ce à quoi nous convie le texte de Jerry Espada.

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IV

LA CIGALE ET LA FOURMI (version développement des communautés)

Sylvie Bellerose

La cigale ayant voyagé dans d’autres contrées tout l’été

Revint dans son village fort bien inspiré des visites et des gens rencontrés.

La fourmi, sa voisine, n’est pas sorteuse,

C’est là son moindre défaut.

Elle avait pris tout son temps

Pour analyser les bilans,

En compagnie de savants

De la science du paysan.

Quand la mobilisation fut venue

Pour rassembler les citoyennes convaincues

Chacune était persuadée d’avoir la meilleure idée

Pour orienter la destinée de sa collectivité.

Nos deux voisines, avaient réuni leur clan

Afin de préparer de bons arguments.

La fourmi, très sérieuse

Trouvait la cigale palabreuse et trop rêveuse.

Mais fort heureusement,

Il y avait l’animateur-agent de développement

Pour assurer à chacun

La parole au moment opportun.

Par ses multiples compétences et fonctions,

Il reconnaît l’importance

De rapprocher les points de vue,

Des citoyens parfois confondus.

L’histoire ne s’arrête pas là,

Car habiter le territoire va bien au-delà

D’une seule rencontre ou d’une tombola.

Et finalement, que s’est-il passé?

C’est à vous maintenant de l’imaginer…

Car le développement des communautés, c’est transformer et innover un territoire par l’engagement et la volonté des citoyens et des professionnels passionnés.

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V

« Une communauté apprenante innovante et solidaire » Benoit Bourassa

C’est au tournant du nouveau millénaire que la communauté du petit village de Saint-Camille, en Estrie, entreprend le virage collectif de la formation continue. Inspirée par une décennie remplie d’expérimentations à caractère social et communautaire, aspirée par un lieu mythique appelé Le P’tit Bonheur, cette bourgade d’irréductibles a déjà bien amorcé une autre décennie tout aussi palpitante que la précédente. Celle d’une communauté apprenante, innovante et solidaire. Alors que nous étions quelques-uns à nous demander quel genre de formation pourrait bien avoir besoin une communauté rurale en mal de revitalisation, un curieux personnage fit son apparition dans notre décor. Un décor déjà passablement coloré par un paysage rural estrien époustouflant et par un cœur de village orné de plusieurs bâtiments patrimoniaux que nous nous faisions un honneur de protéger. Ce personnage, du nom de Malherbe, me donnait l’impression de sortir tout droit d’un roman du XIXe avec son accent flamand, sa bonhommie surprenante et une physionomie telle qu’on en voit sur les illustrations des livres de littérature de l’époque. Jean-François Malherbe, éthicien de réputation internationale et directeur de la Chaire d’éthique appliquée de l’Université de Sherbrooke, s’était récemment installé à Saint-Camille et commençait à fréquenter Le P’tit Bonheur. C’est lui qui nous propose alors, des formations en éthique appliquée. Tous un peu surpris par la proposition, ne sachant trop ce que pouvait bien vouloir dire « éthique appliquée », une fois la surprise passée et l’explication donnée, nous décidons d’aller de l’avant avec un concept plutôt nouveau qui voulait amener l’Université à la campagne. C’est en janvier 2001 que les premiers cours d’un microprogramme d’éthique appliquée voient le jour à Saint-Camille. Dix cours de 45 heures, suivis par une cohorte de plus de vingt-cinq participants provenant de partout sur le territoire de la MRC des Sources. En respectant le rythme de chacun, cette première cohorte, formée de maires, de directeurs d’organismes, d’enseignants, d’agents de développement, de simples citoyens, reçoit ces enseignements pour le moins originaux, de 2001 à 2004. Une deuxième cohorte a été mise sur pied et plus d’une vingtaine de nouveaux participants ont amorcé un deuxième microprogramme d’éthique appliquée entre 2005 et 2007. Ce contact entre l’université et les acteurs du développement local en milieu rural fut une expérience tout à fait formidable. Une occasion unique qui a permis à plus d’une quarantaine de personnes d’un même milieu, d’abord, de parfaire son niveau de formation académique, mais surtout de développer un langage commun qui nous sert encore aujourd’hui à mieux nous connaître tant sur le plan personnel que sur le plan professionnel. Cette expérience a également servi à démystifier le langage universitaire et à constater qu’il est tout à fait possible de conjuguer nos efforts et nos niveaux de connaissances respectifs dans le but commun de renforcer le développement de nos communautés rurales. Quelques années plus tard, pendant une nouvelle expérimentation réalisée dans le cadre du laboratoire rural de Saint-Camille, le comité directeur du laboratoire décide de se lancer à nouveau dans une démarche conjointe avec le milieu. Cette démarche répond à la fois à une exigence des laboratoires ruraux en matière de transfert de

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VI

connaissances et permet au comité directeur d’envisager une suite au laboratoire rural. Aujourd’hui, cette suite du laboratoire est bien en marche et se réalise concrètement sous la forme d’ateliers conjointement animés par des acteurs terrains locaux et des chercheurs universitaires. Le projet se nomme : Les ateliers des savoirs partagés et permet autant aux chercheurs de cinq universités québécoises (associées au CRISES : Centre de recherche sur les innovations sociales), qu’aux acteurs terrains de réfléchir ensemble sur l’amélioration des conditions relatives à une meilleure qualité de vie en ruralité. En d’autres termes, la formation en continu représente indéniablement le principal facteur d’une communauté qui souhaite assurer son dynamisme et sa vitalité. D’abord, disons que le projet de laboratoire rural est en quelque sorte une suite logique des autres projets mis en place par la communauté de Saint-Camille depuis plus de vingt-cinq ans. Si le microprogramme en éthique appliquée a fait émerger des thèmes forts qui ont teinté la vision d’ensemble de la communauté, le laboratoire rural, quant à lui porte un peu plus loin encore cette même vision de développement, d’une part en cherchant à dégager le modèle Saint-Camille et d’autre part, en poursuivant le travail en réseau entre les partenaires. Aujourd’hui, Saint-Camille poursuit sa réflexion à travers le travail quotidien d’accompagnement d’une expérimentation telle que Les ateliers des savoirs partagés. Cette réflexion vise à poursuivre la démonstration que l’apprentissage en continu au sein des organisations, contribue plus que jamais à l’innovation dans une communauté tout en renforçant les réseaux de solidarité entre les partenaires. Vivre et agir ensemble, c’est le thème que s’est donné la Municipalité de Saint-Camille pour parler de sa vision.

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VII

Jean Bergeron

Au tournant de ce troisième millénaire, les défis pour nos villages sont nombreux et la mobilisation est un pilier essentiel sur lequel il faut s’appuyer. Cependant, il faut l’admettre, nos attitudes ne sont pas toujours adéquates et nous manquons d’outils pour travailler, ensemble, à développer notre milieu. Fort de cette prise de conscience, nous avons entrepris, chez-nous au Bas-Saguenay, à la fin des années 1990, une collaboration avec le professeur Pierre Deschenes, de l’Université du Québec à Chicoutimi, qui nous a permis de travailler sur notre culture de la concertation. Grâce à son expertise, nous avons réfléchi aux fondements de la concertation qui prennent racine dans les qualités humaines d’écoute, de confiance et de partage. Nous avons appris qu’avant d’entreprendre un projet partagé, il est nécessaire de prendre le temps de s’approprier un langage commun et de construire le climat de confiance qui sera à la base d’un succès gagnant-gagnant. Il n’est pas facile d’éviter le piège des solutions toutes faites. L’apprentissage du respect de l’autre, de la transparence et du partage de l’information constitue, pour nous, la base d’une nouvelle façon de faire à partir de laquelle nous souhaitons construire notre avenir. Nous avons publié, en 2002, le guide d’une démarche pratique de concertation qui a été largement distribué et a servi d’ancrage à de nombreux projets. Le Laboratoire rural du Groupe des Partenaires du Développement Forestier Durable des Communautés de Charlevoix et du Bas-Saguenay en a fait l’élément central de sa démarche de restauration et de mise en valeur du patrimoine forestier, prouvant ainsi qu’il est possible d’intégrer la pratique de la concertation à la « vraie vie ». C’est pourquoi, vus du Bas-Saguenay, nous saluons la contribution apportée par Jerry Espada et l’équipe de chercheurs de l’Université de Sherbrooke. Nous nous sentons en communion avec cet ouvrage qui scrute les différentes facettes de nos milieux et de nos démarches et qui ajoute à notre capacité collective d’agir. En cela, nous avons l’impression de participer à une démarche commune, qui en prenant de l’ampleur, dessine le Québec de demain. Bravo et merci.

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VIII

Marcel Langlois

Janvier 2002. Un conseiller aborde un citoyen pendant une pause de la séance du conseil municipal. « Le budget, c’est très important. On n’est que quatre cents pour tout payer! » « C’est important! Mais pour déterminer un bon budget, il y a plus important encore. Quelle est la vision du Conseil? Que veut-il que la municipalité soit dans cinq ans, dans dix ans? » « La vision, ouais! » Et il tourne les talons. Depuis, de nouveaux conseils ont consulté la population, établi des « visions » qui ont souvent ressemblé à des plans d’action. Quelques réalisations se sont produites. Janvier 2013. Un citoyen interpelle le Conseil. « Puisque les évaluations ont tant augmenté, vous auriez pu baisser le taux de taxes! » Manque de vision, incompréhension du concept, sentiment qu’un projet intégré dans ce cadre est une dépense, mais pas un investissement, volonté forcenée de coupures de dépenses. Et si on engageait tous les acteurs de la municipalité dans une réflexion commune, pas seulement dans une consultation de quelques heures, et si on demandait l’aide de chercheurs universitaires qui étudient la ruralité pour conceptualiser un modèle de développement qui nous ressemble? Arriverions-nous à planifier notre avenir?

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IX

AUTEUR

Diplômé de la Faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval (1994) et de la Faculté de droit et de sciences économiques de l’Université d’Aix-Marseille III (1984), ce n’est qu’en 1998 que Jerry Espada découvre la ruralité québécoise et agit en tant qu’agent de développement dans la MRC du Haut-Saint-François. En 2007, il contribue à l’élaboration et à la mise en œuvre d’une démarche visant la prise en charge du développement par les territoires locaux selon les objectifs définis par la 2e Politique nationale de la ruralité (2007-2014). En 2008, il débute une réflexion sur la mobilisation territoriale qui le conduira à côtoyer plusieurs professeurs du Département de service social de l’Université de Sherbrooke avec qui il développe une relation partenariale. En 2009, il est finaliste du Prix Agent rural des Grands Prix de la ruralité. En 2011, il crée le Blogue Avenir Haut-Saint-François afin de sensibiliser les acteurs de son territoire à la pratique de nouvelles interventions. En 2012, il contribue à l’élaboration du contenu de l’Université rurale québécoise 2013-Estrie.

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X

Mise en contexte Depuis 1998, je suis agent de développement rural (ADR) dans la Municipalité régionale de comté (MRC) du Haut-Saint-François en Estrie. Si vous vous intéressez au développement des régions rurales québécoises, vous avez une bonne idée de mes fonctions et de l’environnement dans lequel j’évolue. Pour les autres, et vous êtes nombreux, cette première phrase d’introduction vous laisse sans doute très perplexes. Les ADR sont nés avec la Politique de soutien au développement local et régional de 1997. En 2013, 136 ADR sont directement subventionnés par la Politique nationale de la ruralité 2007-2014. Ils interviennent dans près de 90 MRC rurales réparties dans les différentes régions administratives québécoises. Les ADR ont été reconnus publiquement pour la première fois en mai 2010 par l’ensemble des acteurs du monde rural réunis à Montréal dans le cadre d’un premier exercice de révision de la Politique nationale de la ruralité 2007-2014 organisé par le ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire (MAMROT). Ils sont des animateurs de territoire qui interviennent de façon transversale, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas de mandats spécifiques d’intervention, contrairement aux autres agents de développement qui ont des mandats variés tels que l’emploi, la culture, le communautaire, le tourisme, les jeunes, l’agriculture, l’industrie, la santé, la forêt, l’éducation, l’entrepreneuriat, l’économie sociale, etc. Depuis 2002, je participe à quelques réflexions sur le développement des territoires ruraux du Québec. J’ai notamment contribué à de nombreuses réflexions sur les renouvellements de la Politique nationale de la ruralité en 2005 et de 2009 à 2013. Depuis, 2007, je participe aux travaux du Comité d’avancement des pratiques (CAP) de l’Observatoire estrien du développement des communautés (OEDC), qui réunit principalement des praticiens de tout secteur avec l’objectif de partager des savoirs d’expérience et conceptuels. Enfin, depuis 2008, je me suis associé aux chercheurs du Département de service social de l’Université de Sherbrooke ainsi qu’au Centre affilié universitaire de l’Estrie, afin d’approfondir les défis associés au développement rural. À ce titre, j’ai pu contribuer à la réalisation de trois cahiers de recherche, dont deux sur les innovations sociales territoriales et un sur le potentiel du tableau de bord des communautés à améliorer les conditions de vie des populations. Un manuel de pratiques d’intervention en développement des communautés ainsi qu’un cahier de recherche en intégration des actions de développement sur les territoires ruraux sont en cours de réalisation. Tous ces échanges m’ont permis de prendre un certain recul non seulement sur ma pratique, mais aussi sur le développement rural en tant que processus complexe autant techniquement que socialement, puisqu’il met en liens de nombreux acteurs avec des visions et des approches différentes du développement.

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XI

Devant le processus complexe qu’est le développement, les acteurs l’ont fragmenté en secteurs, cloisonnant ainsi les interventions selon des expertises de soutien et d’accompagnement non reliées entre elles. Ce phénomène, jumelé à d’autres, a conduit les acteurs à se concentrer sur la réalisation de projets ponctuels et à court terme, misant sur une convergence probable de ces multiples projets, non reliés, pour assurer le développement rural. Et si cette façon de faire le développement avait créé un monstre d’intervention rendant le processus encore plus complexe que ce qu’il est et encore plus lent à produire les effets souhaités? Depuis mars 2011, je tente de théoriser un modèle d’intervention ayant pour but ambitieux d’accélérer le développement des territoires québécois ruraux. En cette fin 2012, je souhaite partager mes constats et mes réflexions afin que nous puissions prendre du recul sur nos façons d’intervenir, et réfléchir à l’implantation d’une nouvelle génération d’interventions. Remerciements À Robert Lamontagne du MAMROT-Estrie pour son soutien et son accompagnement permanent depuis 2007; À Jacques Caillouette, Jeannette LeBlanc, Jean-François Allaire et Paul Morin de l’Université de Sherbrooke pour les prises de conscience et le partenariat privilégié; Pour les nombreuses réflexions partagées, un grand merci aux membres des équipes de recherche sur « le potentiel du tableau de bord des communautés à améliorer la qualité de vie des individus » et sur « les innovations sociales territoriales » ainsi qu’aux membres du Comité d’avancement des pratiques (CAP) de l’Observatoire estrien du développement des communautés (OEDC) et particulièrement Alain Rochon pour la coordination de ce groupe. Pour le partage d’expérience et de connaissances, un grand merci à tous les membres :

• de l’équipe du Centre local de développement du Haut-Saint-François; • de la Table des ADR de l’Estrie; • du Groupe d’accompagnement des communautés du Haut-Saint-François (GAC-

HSF); • du Comité de gestion du Pacte rural de la MRC du Haut-Saint-François; • des Groupes « mobilisation », « ressources naturelles », « attrait de nouveaux

résidents », « entrepreneuriat » et « culture et patrimoine » du Haut-Saint-François en préparation de l’URQ 2013 – Estrie;

• de la Cité-École Louis-Saint-Laurent d’East Angus; • des 14 comités locaux de développement de la MRC du Haut-Saint-François; • du Groupe de travail sur le renouvellement de la Politique Nationale de la ruralité

2007-2014; • du Comité national des ADR de 2007 à 2010 et particulièrement Sylvie Bellerose

pour la coordination de ce groupe.

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XII

Pour toutes les discussions soutenues sur le développement rural, un grand merci à tous les acteurs (élus, citoyens et professionnels) du Haut-Saint-François, de l’Estrie et du Québec. Enfin, un merci tout particulier à Jean-François Allaire, Marilou Landry, Jeannette LeBlanc, Paul Morin et Jérémie Roberge pour leur contribution inestimable à la rédaction de ce document.

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XIII

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION ............................................................................................................................... 1

1 LE TERRAIN D’INTERVENTION ................................................................................................. 2

1.1 Le territoire vécu ............................................................................................................. 2

1.1.1 Une question de densité de population.................................................................. 2

1.1.2 Des petites villes, des villages et des cantons ......................................................... 2

1.1.3 Une situation économique et sociale inégale ......................................................... 3

1.2 Les acteurs du développement rural............................................................................... 3

1.2.1 La population : citoyens individuels et corporatifs ................................................. 4

1.2.2 Les organisations ..................................................................................................... 4

1.2.3 Vers une mobilisation des acteurs .......................................................................... 7

2 LES PRINCIPAUX FREINS AU DÉVELOPPEMENT RURAL ........................................................... 8

2.1 Les freins individuels ....................................................................................................... 9

2.1.1 La résistance au changement .................................................................................. 9

2.1.2 Le manque d’ouverture aux connaissances et au monde extérieur ..................... 10

2.1.3 La position du citoyen consommateur de services ............................................... 11

2.1.4 L’obsession de faire des projets ............................................................................ 13

2.1.5 Les relations explosives et les personnalités......................................................... 14

2.1.6 Une animation souvent déficiente ........................................................................ 14

2.1.7 Les intérêts individuels ou sectoriels..................................................................... 15

2.2 Les freins collectifs ........................................................................................................ 15

2.2.1 Des conceptions différentes du développement rural.......................................... 15

2.2.2 Des planifications négligées .................................................................................. 16

2.2.3 Des chasses bien gardées et des espaces d’implication peu attrayants ............... 18

2.2.4 La difficulté de s’engager sans hiérarchie entre les acteurs ................................. 18

2.2.5 La difficulté de mobiliser et d’entretenir la mobilisation...................................... 19

2.2.6 Le manque de communication dans l’exercice démocratique ............................. 19

3 LE DÉVELOPPEMENT, VERS UN TERRITOIRE SOUHAITÉ ........................................................ 20

3.1 Le logement................................................................................................................... 23

3.2 Le revenu ....................................................................................................................... 23

3.3 L’emploi ......................................................................................................................... 23

3.4 Les liens sociaux ............................................................................................................ 23

3.5 L’éducation .................................................................................................................... 23

3.6 L’environnement ........................................................................................................... 24

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XIV

3.7 L’engagement civique.................................................................................................... 24

3.8 La santé.......................................................................................................................... 24

3.9 La satisfaction................................................................................................................ 24

3.10 La sécurité...................................................................................................................... 24

3.11 L’équilibre travail-vie..................................................................................................... 25

4 LE PROCESSUS DE TRANSFORMATION, L’ESPACE DES POSSIBLES ........................................ 25

4.1 Une intervention cohérente.......................................................................................... 27

4.1.1 Vers l’efficience du processus ............................................................................... 27

4.1.2 Vers un modèle d’intervention partagé ................................................................ 28

4.1.3 Vers une plus grande mobilisation........................................................................ 28

4.2 Les leaders engagés et visionnaires .............................................................................. 29

4.2.1 Une responsabilité partagée ................................................................................. 29

4.2.2 Des artisans de liens et de mouvements............................................................... 30

4.2.3 Une vision et un leadership partagés.................................................................... 30

4.2.4 Une ouverture sur le monde extérieur ................................................................. 31

4.2.5 Vers une organisation de la transformation ......................................................... 31

4.3 Les structures d’implications démocratiques et inclusives........................................... 31

4.3.1 Les cinq principes du mode de fonctionnement des structures ........................... 33

4.3.2 Les phases de réflexion et de planification ........................................................... 34

4.3.3 Les formes de ces structures ................................................................................. 36

4.3.4 Les avantages de ces structures ............................................................................ 36

4.3.5 L’importance des lieux informels .......................................................................... 38

4.4 Les actions à court, moyen et long terme..................................................................... 38

4.4.1 L’importance de l’action collective........................................................................ 39

4.4.2 Le terme de l’action............................................................................................... 40

4.5 Le soutien et l’accompagnement .................................................................................. 41

4.5.1 Un rôle partagé...................................................................................................... 42

4.5.2 Des formes............................................................................................................. 42

4.5.3 À chacun selon ses ressources .............................................................................. 42

4.5.4 Un esprit de collaboration..................................................................................... 42

4.5.5 La nécessaire confiance......................................................................................... 43

4.5.6 Le partage des connaissances ............................................................................... 44

4.5.7 Un soutien et un accompagnement adaptés ........................................................ 45

CONCLUSION ................................................................................................................................. 45

SCHÉMA D’INTERVENTION............................................................................................................ 49

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XV

5 ANNEXE 1............................................................................................................................... 50

5.1 Le schéma des cinq éléments clés du développement (Robitaille, 2012)..................... 50

BIBLIOGRAPHIE.............................................................................................................................. 51

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XVI

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Une intervention différente afin d’accélérer le développement rural 1

INTRODUCTION

Lorsque j’ai commencé à écrire mes réflexions, j’ai d’abord été tenté de décrire l’histoire du développement rural québécois du 13e siècle jusqu’à 2013, de cette terre entièrement rurale aux territoires actuels, quelle évolution! Et si on parle avec fierté de la Politique nationale de la ruralité depuis 2002, il ne faut pas oublier que la première politique gouvernementale rurale québécoise date de 1933. À cette époque, la population rurale représentait près de 60 % de la population québécoise, signe que le territoire rural québécois s’est grandement transformé au fil des ans.

Il est clair qu’une analyse des différentes transformations socioéconomiques, à travers les siècles et les régions québécoises, aurait pu nous aider à mieux comprendre notre intervention et comment la faire évoluer pour nous aider à accélérer le développement rural.

Bien que je sois de nature très patient et qu’il me semble toujours pertinent de prendre le temps de bien faire les choses, il me faut admettre que nous sommes dans une société où le temps est accéléré. À tort ou à raison, nous pensons que tout ce qui est lent recule. De ce fait, vouloir accélérer le développement rural devient une source de motivation pour les acteurs qui peuvent voir plus rapidement les résultats de leurs efforts. Cette approche peut apparaître simpliste dans un environnement aussi complexe, mais le développement rural repose sur le capital humain et l’intervention doit s’adapter au contexte sociétal dans lequel elle se réalise. Je me suis ainsi risqué à passer outre cette analyse de l’évolution historique pour me concentrer sur le développement rural actuel, en effectuant d’abord certains constats et en regroupant ensuite différents éléments existants afin d’imaginer une approche différente d’intervention.

En ce qui concerne les constats, je vais tout d’abord esquisser un portrait de cette ruralité, en faisant une brève tournée du terrain d’intervention afin de présenter le territoire vécu et ses acteurs, puisqu’il ne peut pas y avoir de développement rural sans territoire ni population rurale. Je vais ensuite présenter les principaux freins au développement rural. Ces freins sont connus des acteurs, mais ils semblent aujourd’hui faire partie du décor, en d’autres mots : « il faut faire avec ». Pourtant, ces freins sont régulièrement vécus comme une source de découragement et d’abdication chez les acteurs, réduisant ainsi tout leur potentiel d’action sur les territoires et induisant un fort ralentissement du développement rural. En ce qui concerne l’approche différente d’intervention que je préconise, elle s’appuie sur deux éléments inter reliés : la notion de développement en tant que processus de transformation du territoire vécu en un territoire souhaité et la notion d’espace des possibles dans lequel les acteurs agissent ensemble pour atteindre le territoire souhaité. Je prends pour première hypothèse que la notion de développement en tant que processus de transformation trouve sa finalité dans la qualité de vie des populations, laquelle est encadrée par les onze critères du bien-être de l’Organisation pour la Coopération et le

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Une intervention différente afin d’accélérer le développement rural 2

Développement économiques (OCDE), obligeant ainsi les acteurs à définir ensemble des cibles communes à l’intérieur de ce cadre.

Je prends pour deuxième hypothèse que la façon d’intervenir dans l’espace des possibles est déterminante, non seulement pour atteindre les cibles communes, et par conséquent le territoire souhaité, mais aussi pour influencer les délais à atteindre ces cibles.

Enfin, je prends pour troisième hypothèse que l’intervention dans cet espace devient optimale si elle réunit cinq éléments clés aux multiples intersections : une cohérence autant dans les actions que dans les façons d’agir, des leaders engagés et visionnaires, des structures d’implications démocratiques et inclusives, des actions à court, à moyen et à long terme ainsi qu’un soutien et un accompagnement adaptés aux situations. Je ne suis pas le seul à penser que la ruralité est mûre pour un changement dans les façons d’intervenir. En effet, il est difficile de comprendre comment un processus qui lie autant d’éléments peut être opéré de façon si morcelée. Plusieurs acteurs se retrouvant dans une intervention fragmentée souhaitent une intervention intégrée qui permettrait une plus grande synergie et solidarité entre eux. Ce sont ces éléments qui ont guidés mes réflexions.

1 LE TERRAIN D’INTERVENTION

Avant de pouvoir envisager une intervention différente dans un processus de développement rural, il est nécessaire de dresser un portrait du terrain rural en faisant un bref tour d’horizon de son territoire et de ses acteurs.

1.1 LE TERRITOIRE VÉCU

1.1.1 Une question de densité de population Le territoire rural se caractérise par une nature parsemée de villages contrairement aux milieux urbains dans lesquels la nature est éparpillée à travers les maisons, les immeubles et les rues. Cette première caractéristique confère à la ruralité une faible densité de population, inférieure à 500 habitants au km2. La population rurale représente environ 25 % de la population québécoise, alors que le territoire rural occupe 90 % du territoire québécois habité.

1.1.2 Des petites villes, des villages et des cantons La population rurale québécoise est regroupée dans des territoires administratifs : les municipalités, les municipalités régionales de comté (MRC) et les régions. Ce découpage administratif est plutôt en forme de poupées russes; en effet, les régions regroupent des MRC qui regroupent elles-mêmes des municipalités. De ce fait, les populations rurales vivent avant tout dans des municipalités. C’est dans ces territoires locaux que les populations vivent et reçoivent des services. Il existe près d’un millier de municipalités rurales. On peut distinguer trois types de municipalités : les petites villes (entre plus ou moins 2 000 et 7 000 habitants), les villages (entre plus ou moins 100 et 2 000 habitants)

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Une intervention différente afin d’accélérer le développement rural 3

et les cantons (entre plus ou moins 100 et 1 000 habitants). C’est leur concentration de population qui différencie ces trois types de municipalités : des petites villes ayant une population concentrée parfois autant que les milieux urbains, aux cantons dont les populations sont très peu concentrées. Petites villes, villages et cantons ont souvent un noyau villageois, parfois plusieurs, qui forment des hameaux. Ces noyaux villageois sont distants de plusieurs kilomètres, que ce soit à l’intérieur d’une même municipalité ou entre municipalités différentes, ce qui complexifie souvent l’intervention en développement rural.

1.1.3 Une situation économique et sociale inégale Si la force des industries forestière et agricole a longtemps dominé le territoire rural constituant la base de son économie, il faut reconnaître que le déclin de ces industries a entraîné sa fragilité économique. Une fragilité qui est cependant inégale selon les territoires ruraux. En effet, plusieurs territoires ruraux en périphérie des grands centres urbains ont bénéficié de l’arrivée de nouveaux arrivants relançant ainsi la vie économique et sociale de plusieurs municipalités. Par contre, pour les territoires plus éloignés des grands centres, les pertes démographiques peuvent être relativement sévères et l’âge moyen plus élevé qu’ailleurs au Québec. Cette situation a créé des conséquences sur le découpage administratif et la vie communautaire. Certaines municipalités ont du fusionner avec d’autres, créant ainsi des communautés divisées et géographiquement distantes de plusieurs kilomètres au sein d’une même municipalité déjà peu populeuse. Cet état de fait soulève une difficulté : celle de créer des synergies entre ces différentes communautés appartenant à un même territoire administratif.

Cette brève description nous permet de mieux comprendre les principaux défis de l’intervention en développement rural. Comment bien adapter l’intervention aux inégalités entre les différentes municipalités rurales? Comment parvenir à développer des territoires ayant une population peu nombreuse, faiblement densifiée et vieillissante, regroupant parfois plusieurs communautés et dont les bases économiques sont souvent fragiles?

Seul un réseau d’acteurs solidaires et bien organisés peut permettre de relever de tels défis. Il convient à présent d’examiner ces acteurs.

1.2 LES ACTEURS DU DÉVELOPPEMENT RURAL Comme mentionné précédemment, le territoire rural a été divisé en territoires administratifs locaux (municipalités) et supra locaux (municipalités régionales de comté, MRC) regroupant des municipalités dans lesquelles vivent des populations. Toutes les personnes qui vivent et travaillent dans les territoires ruraux sont potentiellement des acteurs du développement rural. Il est clair cependant qu’un faible pourcentage de ces acteurs potentiels joue pleinement ce rôle. En septembre 2011, j’ai tenté de représenter, un peu à la manière d’un organigramme hiérarchique, les liens entre les différents acteurs du développement de ma MRC. L’exercice avait pour but d’avoir une vision d’ensemble des forces présentes, afin de mieux coordonner les interventions. Le résultat s’est révélé édifiant au sens où

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Une intervention différente afin d’accélérer le développement rural 4

l’organigramme ressemblait à un morceau de pizza aux champignons mozzarella bacon quand le fromage s’étire entre la pointe et le morceau. Bref, il était ardu d’y trouver une quelconque cohérence facilitant l’intervention. C’est d’ailleurs la raison qui m’a incité à écrire sur ce sujet.

Pour y voir plus clair dans la multitude d’acteurs ruraux, j’en distingue essentiellement deux types : la population et les organisations.

1.2.1 La population : citoyens individuels et corporatifs La population est formée des personnes qui habitent sur un territoire. Ces personnes sont des « citoyens » ; l’étymologie (Wientzen, 1995) de ce mot vient de la forme sanscrite (Inde) cayati, signifiant « il est couché », qui a ensuite été repris par les Grecs de l’Antiquité sous plusieurs noms dont keîmai signifiant « je suis couché », koïmêtêrion signifiant « dortoir », mais aussi « cimetière » et koma signifiant « sommeil profond ». Selon cette étymologie, le citoyen est véritablement ancré à son territoire, puisqu’il y vit, il y dort et il y meurt.

À l’origine du Québec rural, l’existence de ressources naturelles (forêts, sols fertiles, mer, fleuve, cours d’eau, lacs, sous-sols riches, etc.) et de voies navigables a permis de développer des activités sociales et économiques. Des pionniers se sont regroupés, se sont installés et se sont organisés sur des territoires vierges qu’ils ont défrichés. De véritables communautés sont ainsi nées. On voit alors apparaître deux types de citoyens : les citoyens individuels et les citoyens corporatifs (entreprises) qui arrivent, selon les territoires, les uns avant ou après les autres. Cette distinction existe toujours aujourd’hui, puisque ces deux types de citoyens ont besoin l’un de l’autre pour vivre. Les citoyens individuels et corporatifs représentent la force vive d’un territoire : il ne peut pas y avoir de développement sans population. Celle-ci est avant tout rattachée aux municipalités dans lesquelles elle vit. À ce titre, afin d’y vivre mieux, la population, souvent soutenue par les pouvoirs publics, s’est structurée en se donnant des organisations démocratiques et de soutien.

1.2.2 Les organisations

a) Les organisations démocratiques Les organisations démocratiques sont destinées à la gestion des territoires locaux (municipalités); et de certains territoires supra locaux (MRC) qui se sont prévalus du suffrage universel pour l’élection de leur préfet. À tous les quatre ans, la population rurale choisit par élection sept représentants locaux (un maire et six conseillers municipaux), ainsi qu’un préfet pour la MRC. Ce sont les élus.

Les maires, les conseillers municipaux et le préfet sont des citoyens individuels. En principe, leur élection témoigne de leur capacité à être au service de leur territoire, et ainsi à bien le gérer. Le développement du territoire dépend en grande partie de leur leadership et de leur capacité à rassembler, à rallier, à écouter et à trouver l’équilibre

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Une intervention différente afin d’accélérer le développement rural 5

entre la gestion administrative au quotidien et la gestion de l’avenir ou du développement.

Pour assurer cette gestion, ils emploient du personnel dont un directeur général. Ce directeur peut ou non être assisté par d’autres employés de soutien, que ce soit pour des tâches administratives ou techniques (trésorerie, travaux de voirie, évaluations, environnement, développement, etc.). J’appelle tous les employés municipaux, dont les tâches consistent à intervenir à temps plein ou partiel dans le développement local ou supra local, des « professionnels du développement ». Sur les territoires ruraux, à l’exception du préfet élu au suffrage universel, les élus sont bénévoles. Ils ne perçoivent que des dédommagements pour leurs déplacements et leur participation à des rencontres du conseil municipal ou du conseil des maires (MRC) ou à d’autres rencontres où ils représentent leur municipalité.

b) Les organisations de soutien et d’accompagnement

Elles sont nombreuses et témoignent d’une volonté de soutenir et d’accompagner le développement à tous les niveaux territoriaux et dans plusieurs secteurs. Il existe des organisations légalement constituées ainsi que des structures formées spontanément pour des besoins de réflexion ou des actions spécifiques.

Les organisations légalement constituées ont un pouvoir décisionnel qui influence le développement rural. Il existe des organisations locales (les corporations ou les sociétés de développement, les associations, etc.), supra locales (centres locaux de développement (CLD), sociétés d’aide au développement de la collectivité (SADC), carrefours jeunesse emploi (CJE), centres de santé et de services sociaux (CSSS), commissions scolaires, corporations de développement communautaire, centres locaux d’emploi (CLE), tables sectorielles, etc.), régionales (conférences régionales des élus (CRÉ), ministères, universités, agences de la santé et des services sociaux, cégeps, associations, réseaux, conseils, etc.) et provinciales (gouvernement, Solidarité rurale du Québec, Union des producteurs agricoles (UPA), Fédération québécoise des municipalités (FQM), etc.).

Comme on peut le constater, les territoires ruraux ont à leur disposition de nombreuses organisations qui emploient, elles aussi, des « professionnels du développement ».

La grande majorité de ces organisations fonctionnent par démocratie représentative sous forme de cooptation. Leurs chartes de constitution définissent les différents représentants qui administreront la structure pour des mandats à durée déterminée.

Ainsi, durant la vie de l’organisation, la direction générale recrute des représentants auprès des mandataires prévus dans la charte de constitution. Certaines de ces organisations exigent des représentants de la population, mais celle-ci est rarement consultée pour choisir son représentant. On peut alors se demander si les représentants des citoyens, malgré toute la légitimité de leur candidature, sont réellement représentatifs de l’ensemble d’une population.

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Certaines de ces organisations sont issues d’une volonté locale de coordonner des secteurs de leur développement (corporations de développement économique, organismes sans but lucratif sectoriels, etc.). D’autres sont issues d’une volonté gouvernementale de soutenir l’action régionale, supra locale ou locale. Cette volonté gouvernementale s’est le plus souvent traduite par la décentralisation de fonds dédiés à certaines actions. Cependant, ces fonds sont issus de ministères (éducation, santé, agriculture, culture, municipalités, emploi, industrie, entrepreneuriat, etc.) et ces ministères travaillent chacun dans leur spécialité, favorisant ainsi la fragmentation du développement. Malgré la 2e Politique nationale de la ruralité (2007-2014), qui définissait l’existence d’objectifs de rapprochement entre les différents ministères afin de mieux soutenir concrètement les territoires ruraux, il a fallu attendre 2012 pour que la Loi pour assurer l’occupation et la vitalité des territoires oblige les ministères à rendre compte d’actions adaptées aux territoires ruraux.

Les structures spontanées sont souvent formées pour répondre aux besoins des organisations légalement constituées. Elles n’ont que des pouvoirs de recommandation ou d’action. Elles prennent le nom de comités ou de groupes de travail. Leur formation est le plus souvent la conséquence d’un programme gouvernemental, d’un projet ou d’une réflexion sectorielle qu’une organisation légale délègue à un groupe d’acteurs afin de mettre en place une démarche, de réaliser un projet, de réfléchir à ce dernier ou à une solution ou encore afin de faire le suivi d’un programme. Ces comités ou groupes de travail sont formés de divers représentants d’acteurs cooptés selon les besoins.

Toutes ces organisations et leurs origines montrent à quel point l’action de développement est fragmentée. En effet, ces structures n’interviennent qu’en fonction de leur mandat et souvent dans le cadre d’une planification sur une période de trois ou cinq ans. Toutefois, on peut se questionner à savoir si les populations sont consultées lors de l’élaboration de ces plans.

Par leur mandat et leurs actions, ces organisations ont acquis des « personnalités » qui les définissent auprès des autres acteurs. Les préjugés à leur endroit peuvent être nombreux, parfois bons, parfois mauvais. Les professionnels du développement employés par ces organisations doivent composer avec les mandats sectoriels, les orientations choisies par leurs employeurs ainsi qu’avec les préjugés véhiculés. Dans tous les cas, qu’ils soient citoyens, élus, organisations ou professionnels du développement, les acteurs doivent nécessairement être mobilisés et déterminés à participer au développement de leur territoire. Il est important de se demander s’il existe des facteurs qui permettent une telle mobilisation.

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On notera que l’espace territorial est plus facilement circonscrit à une échelle locale, provinciale ou nationale qu’à une échelle supra locale (MRC) visant à regrouper des municipalités pour en faciliter la gouvernance. Ces découpages, ou organisations administratives, datant des années 1980 sont encore trop jeunes pour faire partie d’une culture locale mobilisatrice. De ce fait, il importe de faire reconnaître ces espaces territoriaux administratifs comme des espaces territoriaux physiques afin de développer un sentiment d’appartenance à une MRC et ainsi créer une saine mobilisation supra locale. La valorisation publique des succès supra locaux est à ce titre un des moyens permettant de créer un sentiment de fierté et d’appartenance à un territoire administratif.

1.2.3 Vers une mobilisation des acteurs

On peut aisément soulever trois facteurs influençant toute mobilisation. • Le lien affectif au territoire

On peut parler d’identité territoriale, de sentiment d’appartenance ou de fierté, trois éléments qui sont des déterminants du lien affectif entre les acteurs et leur territoire d’intervention. Cette identité territoriale ou culturelle se rattache aux caractéristiques physiques et symboliques du territoire : les paysages, les maisons, les bâtiments et leurs styles architecturaux témoins de l’histoire, ainsi que l’histoire elle-même du territoire. Cette identité territoriale est à la base de la vitalité des espaces territoriaux. En effet, pour vouloir vivre sur un territoire, il faut s’y sentir bien, y trouver un décor et une culture qui servent d’ancrage. Ce n’est pas forcément l’identité territoriale qui attire les gens sur un territoire, mais elle contribue à les y garder. Plus les membres d’un territoire aiment quotidiennement ce qu’ils y voient et ce qu’ils y vivent, plus ils s’y sentent bien, plus ils auront le goût de s’y ancrer et de s’y impliquer. Il y a une communion affective entre les principales composantes du territoire et les acteurs qui y vivent. Plus cette relation affective est grande, plus le sentiment d’appartenance est grand, plus le goût de s’impliquer se développera et plus le territoire sera dynamique.

• L’entrepreneurship territorial

C’est la capacité des acteurs à réunir des ressources matérielles, humaines et financières visant le développement global du territoire. Il ne faut pas confondre l’entrepreneurship territorial avec l’entrepreneurship d’affaires, qui consiste à réunir des ressources dans le but d’en retirer un profit monétaire individuel (entreprises à actionnaire unique) ou collectif (entreprises à actionnaires multiples). Bien que différents, ces deux entrepreneurship cohabitent, mais l’entrepreneurship territorial est à la base de l’entrepreneurship d’affaires. Ne dit-on pas qu’il ne peut pas y avoir d’entreprises dans un désert social et culturel?

L’entrepreneurship territorial est issu de l’entrepreneurship individuel : des acteurs ont le désir d’entreprendre une démarche individuelle de laquelle peut émerger des

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Le processus de développement est ainsi devenu de plus en plus complexe par la présence d’intervenants et de programmes de subventions de plus en plus nombreux répondant principalement à des mandats sectoriels, territoriaux ou régionaux, d’action ou d’échange d’information.

préoccupations communes conduisant à une véritable démarche territoriale. Les aspirations individuelles sont issues de plusieurs facteurs : la culture face aux changements, les moyens sociaux proposés à l’individu pour réaliser ses aspirations, les liens que l’individu s’est bâtis au sein de sa communauté, l’identité territoriale qui crée un lien d’appartenance de l’individu à son territoire et l’envie d’améliorer la situation de son territoire pour pouvoir y vivre mieux. Puisqu’un individu isolé a une capacité d’action limitée, l’entrepreneurship territorial permet alors la rencontre d’acteurs partageant les mêmes aspirations. On parle ici d’un élément central du développement : cette rencontre d’acteurs permet de créer des liens entre les individus qui ont un but commun, soit celui d’améliorer une situation de leur territoire. Ainsi des liens formels (organisés) et informels (ponctuels et improvisés) doivent exister afin qu’il y ait du développement.

• L’engagement

C’est la responsabilité sociale qui engage les acteurs dans un besoin de contribuer au développement du territoire. Il y a une forme d’obligation, de devoir civique de se dépasser dans l’action afin de véritablement voir des résultats et d’atteindre des objectifs appropriés. L’appropriation est importante pour tout engagement.

2 LES PRINCIPAUX FREINS AU DÉVELOPPEMENT RURAL Avant d’aborder une série de freins, les plus fréquemment rencontrés à des degrés divers par plusieurs territoires ruraux, je ne peux pas m’empêcher de faire un petit retour en arrière d’une vingtaine d’années afin d’en expliquer les origines.

Depuis les années 1990, le processus de développement n’a cessé d’évoluer, bénéficiant de plus en plus de ressources, autant financières qu’humaines. Politiques et programmes des différents ministères, autant centraux que régionaux, se sont succédés et souvent additionnés, donnant naissance à une « farandole » d’organismes, de comités et de tables de concertation sectorielles, territoriales et régionales accompagnées de toute une panoplie d’aides financières administrées par autant d’organisations décentralisées ou non.

Pour avoir assisté à plusieurs rencontres regroupant différents acteurs, il est très fréquent d’entendre des plaintes sur le « travail en silo », qui entraîne souvent des visions et des approches différentes du développement ainsi qu’un dédoublement des actions. Le système actuel n’est donc pas parfait et il comporte de nombreux freins que je présente dans la section suivante.

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Une intervention différente afin d’accélérer le développement rural 9

Afin d’en faciliter la lecture, j’ai distingué ces principaux freins en deux catégories : les freins individuels (issus des attitudes humaines) et les freins collectifs (issus des façons de travailler ensemble) en sachant toutefois que les premiers influencent grandement les seconds.

2.1 LES FREINS INDIVIDUELS

2.1.1 La résistance au changement Le développement entraîne forcément des changements et tout changement entraîne des craintes de certaines pertes. Pour certains, c’est la crainte de perdre (de l’autonomie, du pouvoir, du contrôle, etc.) alors que pour d’autres, ce sont des craintes d’incapacité : « vais-je pouvoir bien répondre aux attentes collectives et à mes nouvelles responsabilités ? ». Dans les deux cas, le nouveau comportement à adopter peut remettre en question la zone de confort et une résistance au changement est probable et naturellement humaine.

Ainsi, autant pour l’acteur potentiel qui n’est jamais intervenu dans le développement que pour l’acteur qui a l’habitude d’intervenir à sa façon, un certain temps s’écoulera avant que les comportements se modifient. Ce temps dépend directement de la volonté et des efforts que les acteurs voudront bien mettre dans le changement de leur comportement.

Gaston Boudreau de l’Université de Moncton s’inspire de Sullivan dans son écrit « Le changement de comportement en général » (2005) pour souligner certains éléments à considérer :

Pour être réussi, le changement de comportement doit être maintenu, ceci nécessitant une somme considérable de temps, d’efforts et d’énergie. Plusieurs chercheurs s’entendent pour dire que l’une des étapes les plus importantes du processus de changement de comportement est l’amorce, et que la difficulté à combattre l’inertie et l’indifférence, causées par les habitudes de vie de l’individu s’avère souvent la plus grande barrière qui soit rencontrée dans le changement. (p. 3)

Les études soulignent six étapes qui permettent la modification définitive d’un comportement : la précontemplation, la contemplation, la préparation, l'action, le maintien et la terminaison. Gaston Boudreau parlent de neuf procédés permettant l’évolution : augmentation du niveau de conscience, éveil émotionnel, libération sociale, réévaluation personnelle, engagement, gestion des renforçateurs, relations aidantes, contre-conditionnement et contrôle environnemental. Puis, Gaston Boudreau poursuit : « Parmi les procédés pouvant être les plus utiles et efficaces dans les premiers stades du changement, nous pouvons mentionner, à titre d’exemples : la conscientisation, la réévaluation et l’engagement. » (p. 6)

• la conscientisation : durant ce processus il faut offrir de l’information sur les façons

de bien faire le développement, en valorisant non pas les projets, mais les bonnes

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façons de travailler, que ce soit dans la réalisation d’un projet ou dans la prise en charge du développement par une variété d’acteurs.

• la réévaluation : le processus de conscientisation précédent a permis de mettre en

évidence des comportements nouveaux dans les façons de faire le développement. Ce qui pousse à l’autocritique (évaluation) et entraîne le besoin de changement.

• l’engagement : le besoin de changement doit se transformer en volonté de

changement (engagement), mais un effort de soutien et d’accompagnement doit être fourni afin d’encourager la personne à être confiante en ses habiletés de changer et à s’engager à le faire.

Cette résistance aux changements empêche les acteurs de se mettre en mouvement et provoque des nœuds dans l’intervention, ralentissant ainsi le processus. Ces blocages prennent souvent la forme d’absence d’écoute ou de rejet des acteurs qui veulent apporter du changement. Les acteurs ainsi « bloqués » ont alors de la difficulté à imaginer d’autres formes d’intervention, seules les interventions habituelles sont rassurantes. Ils ne se débarrassent pas facilement de leurs croyances et de leurs certitudes, bref de leur zone de confort.

La peur de l’inconnu, de se tromper et d’échouer, de relever des défis inhabituels, la peur « d’avoir l’air fou », « de déranger », « de faire ce qui ne se fait pas », etc. sont autant d’éléments qui peuvent alimenter la résistance, réduisant la prise de risque et amenuisant l’ambition nécessaire au développement. La perception que le changement peut être complexe peut aussi devenir un élément de résistance. Enfin, les acteurs résistent aussi parce qu’ils s’attachent à ce qu’ils savent faire et qu’ils ont toujours fait. Ils demeurent souvent dans une position d’observateur (attentisme) et de critique des autres acteurs en mouvement.

2.1.2 Le manque d’ouverture aux connaissances et au monde extérieur Le partage d’expériences ou de savoirs qui sont pourtant essentiels et source d’innovation est souvent considérés comme une perte de temps. Que ce soit sous forme de rencontres formelles ou informelles, l’ouverture aux connaissances permet de prendre un certain recul sur les processus de développement, de mieux les comprendre et ainsi de mieux agir. Cette ouverture aux connaissances nécessite une ouverture au monde extérieur, soit une curiosité des acteurs envers les autres auteurs autant pour ce qu’ils sont que pour ce qu’ils font. Malheureusement, les espaces formels (forums, colloques, journées, etc.) sont souvent perçus comme des occasions de bâtir ou de maintenir des liens, mais ils sont moins fréquemment perçus comme des occasions de mieux comprendre le développement, d’échanger sur les façons de travailler, de remettre en cause les interventions habituelles afin de chercher de nouvelles solutions pour mieux intervenir. On se rend compte que ces espaces mettent le plus souvent l’accent sur des histoires à succès plutôt que sur les processus ayant conduit à ces succès.

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Lectures, réflexions et échanges avec d’autres acteurs externes permettent un partage d’idées, de savoirs et d’expériences, et surtout ils favorisent un espace d’échanges propices aux collaborations et à des prises de décisions éclairées avant de passer à l’action. C’est ce qui permet comme aux échecs d’avoir quelques coups d’avance sur les situations à venir.

Ce manque d’ouverture aux nouvelles connaissances et au monde extérieur se caractérise souvent par une faible attirance pour la lecture et la réflexion. Les acteurs souhaitent surtout agir et être en mouvement. Ceci est un bon principe dans la mesure où les acteurs sont plusieurs à agir dans des actions communes et non chacun de leur côté. Le désir de passer rapidement à l’action est une approche très utilisée en milieu rural : agir rapidement avec l’argent du gouvernement, sinon rien. Les actions issues de ce principe apportent une satisfaction à court terme, mais sont vite oubliées. L’action guidée par ce principe ne sert pas à augmenter la capacité des acteurs à mener d’autres actions. Bien souvent l’action mène à la réalisation d’un projet, un peu comme on achète un bien de consommation peu utile : il finit à coup sûr au fond d’un placard.

Felipe González de Canales, invité le 14 novembre 2012 par l’association internationale Ruralité-Environnement-Développement (R.E.D.) à la Conférence internationale « Territoires ruraux pôles d’innovation », explique bien l’importance de cette nécessaire ouverture aux connaissances en parlant des premières stratégies qu’il employa afin de développer les territoires ruraux espagnols des années 1960 :

Il fallait renforcer la formation culturelle {c’est-à-dire une meilleure connaissance socioéconomique du territoire rural} comme base de tout développement humain, technique et social conformément aux caractéristiques du milieu rural, très distinctes de l’urbain […] afin de leur donner {aux ruraux} les moyens de construire leur avenir et d’éviter l’abandon du milieu rural. (p. 3 et 5)

Parce que l’ouverture aux nouvelles connaissances et au monde extérieur permet une réflexion et une meilleure compréhension des mécanismes du développement, il est clair que les acteurs deviennent plus sûrs d’eux, plus capables ou habiles et plus en contrôle de leurs actions, ce qui leur permet de mieux faire face aux défis complexes du développement et ainsi d’accélérer ce processus.

2.1.3 La position du citoyen consommateur de services La gestion municipale a pour but d’offrir à la population les meilleurs services au meilleur coût. Il s’agit d’une opérationnalisation de services. Dans ce cadre, les citoyens sont des consommateurs et l’administration municipale est un fournisseur de services. Les taxes municipales sont le prix des services rendus et, en même temps, les principaux revenus du territoire local.

Lorsque les citoyens se posent en consommateurs de services municipaux, ils souhaitent avant tout une stabilité de leur compte de taxes municipales, rejetant la plupart des projets

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Dès lors, les actions de développement, s’il y en a, se feront de façon ponctuelle, souvent dans l’urgence et surtout, au gré des programmes de financement. Le développement se fait s’il ne coûte rien, ce qui provoque une dépendance aux subventions et une perte de contrôle de l’évolution socioéconomique territoriale.

de développement. Le consommateur veut être servi vite et bien : les meilleurs services au moindre coût. Quand les citoyens se positionnent ainsi, ils sont avant tout en situation d’exigence et non de collaboration. Ils voient la municipalité comme une entreprise privée. Nous le savons, une municipalité est avant tout une communauté de vie intergénérationnelle et durable dont les principaux bénéficiaires sont les citoyens actuels et futurs. La gestion municipale annuelle est importante, mais il faut aussi gérer le développement, ce qui veut dire investir dans l’avenir, comme on le ferait pour un éternel adolescent. Les citoyens oublient que par l’intermédiaire de leurs élus, ce sont eux qui doivent assurer ce développement. Ils ne peuvent donc pas se poser en tant que consommateurs ponctuels de services, le temps de leur propre vie; ils doivent plutôt envisager l’avenir de leur communauté et y contribuer. Le danger de ce comportement est d’arrêter tout développement, ce qui conduit à plus ou moins long terme à dévitaliser la municipalité - perte de jeunes et d’aînés couplée à une incapacité d’attirer de nouvelles populations. La chute démographique ne permettra pas de maintenir les services qui vont être coupés les uns après les autres, la municipalité s’asphyxiera et se dévitalisera.

Cette position citoyenne, quand elle est appuyée par les élus et la direction générale municipale, induit souvent un style d’intervention de la part des organismes et des professionnels du développement. Devant le désert de volonté locale d’investir dans le développement, ils vont proposer des projets locaux « clefs en main » dans lesquels citoyens, élus et professionnels locaux auront très peu de temps et d’argent à investir. Il n’est pas surprenant que les années fastes en programmes de financement favorisant le développement local sont celles pendant lesquelles le fameux slogan « Toujours les mêmes! » est le plus entendu pour parler des citoyens et des élus siégeant sur les différents comités. On entend aussi parler de « réunionites aigües », prouvant que l’approche n’est pas idéale ni motivante et qu’elle ne fait que multiplier les comités autour de sommes d’argent disponibles, au lieu de mobiliser les citoyens et les élus autour d’un avenir commun. J’ai vu certaines municipalités et MRC tellement être aux prises avec l’obsession d’obtenir un programme d’aide qu’elles s’étaient soumises à la réalisation de plusieurs plans de développement, un pour chaque programme. C’est ce qu’on appelle « tirer de partout » ou « saupoudrer » avec comme conséquence que les actions deviennent souvent diffuses. Les énergies sont fréquemment éclatées pour atteindre leur cible. Les résultats

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Faire des projets pour faire des projets sans processus d’appropriation et de mobilisation entretient les acteurs dans une position d’isolement et de comparaison qui les divise au lieu de créer une solidarité et une complémentarité.

de ces actions se résument à la réalisation de projets et non aux effets des projets sur le territoire.

Il arrive encore souvent que les acteurs se placent en attente des programmes d’aide, se figeant dans une position de réaction et non de pro action (réflexion, planification, organisation, liste de projets prêts à être réalisés, etc.). Comment peut-on prétendre accélérer le développement si on attend après des subventions?

2.1.4 L’obsession de faire des projets Une des conséquences de la fragmentation de l’intervention est sans nul doute l’obsession des acteurs de faire des projets. Entre acteurs, il est fréquent de se faire demander : « Et puis, beaucoup de projets en ce moment? ». Le jour où on se fera demander : « Et puis, tous les acteurs sont-ils bien mobilisés? Parviennent-ils bien à travailler ensemble? Les synergies et les solidarités entre les acteurs permettent-elles d’atteindre les objectifs communs de développement? », un grand pas aura été fait dans l’intervention en développement rural.

L’obsession de faire des projets est souvent en lien avec la volonté de certaines organisations ou professionnels du développement à vouloir rendre des comptes aux bailleurs de fonds qui les financent ou à leurs membres. De plus, le fait de ne pas avoir d’indicateurs précis permettant de faire des liens entre une action et son résultat peut entraîner certains acteurs à porter une grande attention aux nombres de projets réalisés dans une année, prouvant ainsi qu’une bonne quantité de travail a été accomplie. Le nombre de projets effectués devient ainsi une référence. On mise sur la quantité plutôt que la qualité.

L’exemple de la Contrée en montagnes dans Bellechasse illustre bien l’évolution du passage de « faire des projets » à une réelle prise en charge du développement. Ces quatre municipalités dévitalisées, qui forment officiellement depuis mars 2013 un territoire économique commun, menaient des projets chacune dans leur coin depuis

des années, sans grand effet social ou économique. La formation d’un territoire social et économique regroupant ces quatre municipalités, sans pour autant les fusionner administrativement, est devenue un grand projet commun dans lequel plusieurs projets convergents et complémentaires sont planifiés, créant ainsi une nouvelle dynamique structurante entraînant rapidement plusieurs effets positifs. Viser une dynamique territoriale et faire des projets pour soutenir cette dynamique oblige l’appropriation et la mobilisation du plus grand nombre d’acteurs dont les citoyens. L’implication de tous les acteurs renforce leur capacité d’agir, permet de définir des visées communes et de s’entendre sur les moyens pour les atteindre, ce que la réalisation d’un projet ponctuel et à court terme ne permet pas.

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L’animation vise la création de liens entre les acteurs et la création d’espaces de compromis.

2.1.5 Les relations explosives et les personnalités Que ce soit entre citoyens eux-mêmes, entre élus et citoyens, entre élus et professionnels du développement ou entre organisations et professionnels du développement,, les occasions sont grandes pour ne pas vouloir collaborer.

Tout d’abord, il y a les « chicanes ancestrales » qui touchent le cœur même d’un territoire local ou la relation entre territoires voisins. Ces « chicanes » sont parfois tellement vieilles qu’il faut remonter à trois ou quatre générations antérieures pour en comprendre les origines et encore, on n’est parfois plus vraiment sûrs de celles-ci.

Ensuite, il y a le mélange « souches » et « néo ruraux » qui « met du piquant » dans les relations internes d’une communauté. Les « néo ruraux » voyant dans les communautés rurales l’occasion de s’impliquer et de participer à une vie sociale différente de ce qu’ils ont connu; les « souches » voyant dans les « néo ruraux » des révolutionnaires; et, les « néo ruraux » voyant dans les « souches » des « empêcheurs d’évoluer ».

Enfin, il y a la personnalité de chacun. Peu importe l’acteur, c’est un humain qu’il y a derrière le chapeau. Des égos démesurés qui n’acceptent aucun compromis aux opportunistes qui ne cherchent qu’à tirer un profit personnel de toute situation, en passant par les vengeances personnalisées, la panoplie est grande et créatrice de relations malsaines qui en démobilisent plus d’un.

Les relations de tension nuisent à l’action collective. C’est un défi qui ne peut être ni occulté ni banalisé.

2.1.6 Une animation souvent déficiente Si l’intelligence collective permet le plus souvent à un groupe de surpasser ce que ferait un individu isolé, il faut cependant que chacun accepte de faire des compromis. Le travail de groupe devient un espace de coconstruction motivant lorsque des décisions consensuelles sont prises. Or pour établir des consensus, il faut prendre le temps nécessaire afin que chacun trouve son confort. Les débats sont essentiels au travail de groupe : ils permettent à chaque acteur de s’exprimer, d’écouter et de tenir compte des opinions des autres afin que chacun puisse trouver son compromis et le respect.

Malheureusement, dans de trop nombreux cas, le temps nécessaire n’est pas pris, les décisions sont prises rapidement, certains acteurs ne se sont pas exprimés et ils ne se sentent plus concernés par la décision du groupe, si bien qu’ils s’en détachent. D’autres s’expriment trop et prennent toute la place. Le travail d’animation devient extrêmement important pour canaliser les énergies positives et permettre des décisions consensuelles fortes à l’origine de l’appropriation et de la mobilisation.

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Chaque acteur peut et doit influencer le développement de son territoire, mais les résultats seront toujours collectifs contrairement à une entreprise individuelle.

2.1.7 Les intérêts individuels ou sectoriels Les actions menées de façon isolée par un citoyen, un élu ou un professionnel du développement sont caractéristiques des actions menées par intérêt individuel ou sectoriel. Ces actions parviennent rarement à produire des effets significatifs pour le développement rural. Au contraire, elles créent souvent des tensions entre les acteurs. En effet, en travaillant chacun de son côté, chaque acteur aura tendance à dénoncer l’autre comme coupable de l’échec collectif : les professionnels du développement et les citoyens dénonçant les élus; les citoyens et les élus dénoncent les professionnels et les organisations du développement; les professionnels du développement dénoncent les élus et les citoyens; les citoyens, les élus et les professionnels du développement dénoncent l’inutilité des chercheurs universitaires, des institutions, etc. Et finalement, tous les acteurs finissent par dénoncer le gouvernement. En procédant de façon isolée, les résultats collectifs sont longs à atteindre, ce qui entraîne un double découragement de tous les acteurs : celui issu de cette absence de résultats rapides et celui issu d’avoir mené des projets de façon isolée. Un processus de développement optimal ne peut pas séparer les actions des acteurs. Un processus optimal ne saurait se satisfaire en isolant les citoyens, les élus, les professionnels et les organismes de développement, chacun agissant de son côté à sa façon. Le processus exige un « travailler ensemble » pour atteindre des cibles communes.

L’objectif restera toujours le développement du territoire et non la réussite individuelle ou sectorielle. Pour reprendre en la déformant un peu la célèbre phrase de John F. Kennedy, « Ne demandez pas ce que votre territoire peut faire pour vous, mais demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre territoire ».

Les actions qui ont des effets durables dans le temps sont menées par des collectifs impliquant plusieurs types d’acteurs. Les actions répondant à des intérêts individuels ou sectoriels s’essoufflent par trop d’isolement.

2.2 LES FREINS COLLECTIFS Ils sont issus de la façon dont les acteurs s’organisent pour intervenir dans le développement.

2.2.1 Des conceptions différentes du développement rural J’ai été surpris de constater à quel point le mot « développement » n’avait pas la même signification selon les acteurs rencontrés. Ces différentes convictions et croyances découpent le développement en chasses gardées qui sclérosent ainsi l’intervention et empêchent toute possibilité de visées communes, les acteurs ne parlant tout simplement pas le même langage.

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Est-il possible d’intervenir de façon efficace sans parler un langage commun, en travaillant chacun de son côté et en pensant que son secteur d’intervention est plus important que les autres pour avoir des effets rapides sur le développement? Cette absence de conception commune est souvent créatrice de concurrence et d’exclusion. Il y a une forme de lutte et d’opposition entre les groupes sectoriels, chacun revendiquant sa place auprès d’organisations supérieures souvent gestionnaires de programmes de financement, à l’image des ministères demandant chaque année des crédits au Conseil du Trésor. Des conceptions différentes du développement donnent plus d’occasions de diviser les acteurs que de travailler ensemble à mieux bâtir un avenir commun. Luc Bisson (2011), dans le cahier de l’Alliance de recherche université – communautés - Développement territoriale et coopération (ARUC-DTC) intitulé La gouvernance partenariale : un facteur déterminant du développement des collectivités rurales, parle de gouvernance monopolisée par opposition à la gouvernance partenariale équilibrée. Selon cette étude menée au sein de deux communautés en croissance et deux communautés dévitalisées, une gouvernance monopolisée par secteurs est souvent créatrice d’espaces de conflits entre organisations, et donc entre les personnes qui les gèrent. Ces personnes ont souvent tendance à perpétuer la mémoire des faits, si bien que les conflits durent longtemps causant des barrières à toute collaboration future. Cette absence de culture commune se reflète aussi dans les planifications.

2.2.2 Des planifications négligées Les planifications sont des espaces de réflexion permettant aux acteurs d’un même territoire de s’entendre sur des objectifs et des actions communes à poser dans le temps. Les planifications ont de nombreux avantages. Elles lient les acteurs en les mettant en mouvement; permettent une appropriation collective des futures actions; guident les actions à court, moyen et long terme; catalysent les énergies dans des directions réfléchies et choisies collectivement; enfin, elles informent les acteurs potentiels internes et externes des ambitions territoriales. Or, la plupart des acteurs négligent ces planifications, ce qui réduit leurs avantages et crée des freins dans la réalisation de tout développement.

Cette négligence se manifeste de plusieurs façons : la disparité des formes, la confusion entre plan stratégique et plan d’action, la « sectorisation » traditionnelle des planifications, le manque de suivi et des planifications qui s’ignorent. La disparité des formes Il existe une variété importante de formes de plans utilisant des mots différents comme « vision », « orientation », « axe », « stratégie », « objectif », « but », « solution », « moyen », « priorité », « défi », « enjeu », etc. Est-il normal qu’il y ait autant de mots différents utilisés dans les planifications? Est-ce que certains mots ne disent pas la même chose? Comment peut-on intervenir ensemble de façon cohérente et pertinente sans comprendre les différentes visées et sans un langage commun autour des planifications?

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La confusion entre plan stratégique et plan d’action Un autre souci de langage apparaît aussi avec la notion de plan. Un plan stratégique doit mettre en évidence des cibles à atteindre à long terme. À ce titre, il présente des orientations larges. Le plan d’action, au contraire, identifie des actions concrètes à entreprendre à court terme. On constate qu’il y a peu de plan d’action dans nos territoires ruraux. Peu d’organisations locales s’engagent dans des actions précises planifiées d’année en année, ce qui laisse une large place à l’improvisation et à la difficulté de gérer les ressources disponibles. Les organisations supra locales qui reçoivent des budgets de fonctionnement n’ont pas d’autres choix que d’élaborer un plan d’action et de s’y tenir, ce qui pose un problème central, celui de l’adaptation aux réalités locales. Puisque de nombreux territoires locaux n’ont pas de plan d’action, les organisations supra locales et régionales ne peuvent pas en tenir compte dans leur propre plan d’action, ce qui réduit d’autant le soutien et l’accompagnement nécessaire et accentue l’intervention « en silo ». La sectorisation traditionnelle des planifications Réfléchir au développement d’un territoire, ce n’est pas répondre aux mandats sectoriels des organisations existantes. C’est avant tout répondre adéquatement au développement global souhaité par le citoyen. Trop de plans sont élaborés sur la base des secteurs existants comme si des actions dans tous ces secteurs étaient incontournables et forcément convergentes pour faire du développement. Une planification globale désectorisée permet de créer une appropriation collective des priorités et facilite une intervention inclusive de tous les secteurs. Le manque de suivi Une planification est une façon d’envisager le futur et de se donner les moyens de l’atteindre. On constate souvent que toute l’énergie investie pour élaborer ces plans est réduite à néant par l’emprise du quotidien qu’il faut gérer. Cette gestion du quotidien entraîne des décisions qui ne tiennent plus compte de la planification « oubliée sur une tablette » pour être ressortie trois ou cinq ans après selon son date de péremption. Des planifications qui s’ignorent D’une part, on voit de plus en plus de territoires locaux faire l’effort de réfléchir à leur avenir en organisant des consultations publiques, en impliquant des citoyens et des élus dans des comités locaux de développement et en allant chercher le soutien des organismes de développement et de leurs professionnels pour les accompagner. Malgré ces efforts, les organisations supra locales et régionales consultent rarement ces plans lors de leurs exercices de planification ou lors de leurs interventions alors que leur raison d’être est le regroupement des territoires locaux ou supra locaux. Comment peuvent-elles intervenir de façon cohérente et efficace sans tenir compte des dynamiques locales? D’autre part, lors de l’élaboration de plans locaux, les réflexions ne tiennent souvent pas compte des planifications environnantes. Seul l’avenir local est envisagé, comme si ce dernier ne pouvait pas être influencé par les mesures futures prises dans un environnement de proximité. Pire encore lorsque des organisations locales élaborent leur plan sans tenir compte de la planification municipale.

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2.2.3 Des chasses bien gardées et des espaces d’implication peu attrayants J’ai eu l’occasion d’assister à de nombreuses consultations publiques lors desquelles j’ai pu discuter avec plusieurs citoyens. Je n’arrivais pas à comprendre pourquoi plusieurs personnes dynamiques, démontrant une envie de s’impliquer, assistaient seulement aux consultations publiques, mais ne s’impliquaient pas dans les différentes organisations locales. Leurs réponses tendaient souvent dans la même direction : « Les bénévoles qui sont là gèrent et mènent à leur façon, on ne peut rien leur dire, il n’y a pas d’ouverture à nos idées ». Même si elle n’est pas rémunérée, l’implication bénévole n’est pas gratuite contrairement à ce qu’on pourrait croire. Il existe trois formes principales de « rémunération » du temps : la rémunération monétaire, la reconnaissance sociale et le besoin d’être actif et de jouer un rôle dans sa communauté. L’implication bénévole ne doit pas être rémunérée monétairement, car les citoyens auraient l’impression d’être « obligés de » et non « de donner à ». Il y a un aspect psychologique très fort derrière le geste de donner, il faut éviter de mettre les bénévoles dans une position « d’être obligés de ».

Lorsqu’on met les bénévoles dans une hiérarchie au sein de laquelle ils ne sont que des exécutants au service d’individus, en ne recevant qu’une petite « tape dans le dos » de temps en temps, l’implication citoyenne se maintient à son plus bas niveau. Et ce seront « toujours les mêmes individus » qui se plaindront de l’absence de relève.

2.2.4 La difficulté de s’engager sans hiérarchie entre les acteurs Lors de rencontres réunissant plusieurs acteurs d’origines différentes, peu d’entre eux se sentent légitimés de prendre un certain leadership. Cette situation peut entraîner de nombreux ralentissements. En effet, plusieurs acteurs estiment que l’acteur qui a pris l’initiative de la première rencontre est automatiquement le leader et que leur rôle se limite à donner leur opinion sans prendre d’initiatives. La mise en place d’un leadership partagé semble difficile, il y a confusion entre un rôle d’animateur et de leader. Sans hiérarchie, il y a une tendance forte à déléguer à un acteur le leadership et à attendre. Or, on le sait, il ne peut pas y avoir de hiérarchie entre acteurs autonomes. L’attentisme ne favorise pas une accélération du développement.

Cette difficulté d’engagement collectif est en partie liée à la volonté de passer rapidement à l’action sans vouloir construire une équipe autour de liens forts entre les acteurs participants. Les acteurs acceptent de se rencontrer pour du court terme en oubliant de miser sur une relation à bâtir pour le long terme. Ces liens sont pourtant une source de

Les espaces d’implication bénévole doivent ainsi offrir des occasions d’obtenir une reconnaissance sociale et de permettre à chacun de véritablement pouvoir sentir qu’il fait une différence dans un tout plus grand que lui. Les bénévoles recherchent avant tout des activités dans lesquelles ils peuvent s’épanouir.

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La réussite de la mobilisation dépend de l’attractivité de ces espaces et de l’utilité des individus dans ces espaces. Une utilité qu’ils se reconnaissent et qui est reconnue par les autres.

complicité, de solidarité et surtout d’engagement. C’est l’engagement qui favorise un partage de leadership propice à intervenir vite et de façon cohérente.

2.2.5 La difficulté de mobiliser et d’entretenir la mobilisation Il est un phénomène depuis longtemps observé que l’être humain se solidarise et se mobilise plus facilement quand ça va mal. En dehors de crises, il a tendance à se concentrer sur lui-même. Le développement n’étant pas une crise, il est difficile de mobiliser les acteurs autour du développement global d’un territoire qui reste une notion souvent abstraite aux conceptions divergentes.

Certains éléments me portent tout de même à croire que les individus sont mobilisables en dehors de crises ou de projets spécifiques, autour du développement de leur territoire, bien au-delà de projets concrets. Tout d’abord, les individus, sans être des experts, portent naturellement un regard sur leur territoire, ils ont une capacité naturelle à observer et à juger. Ensuite, la plupart des individus ont un besoin de se dépasser, d’intervenir dans quelque chose de plus grand qu’eux et de laisser leur trace. Or, cette trace, ils ne peuvent la laisser qu’au milieu des autres dans des espaces communs.

Si les ruraux répondent relativement bien aux rencontres publiques, sans crise apparente, dans des proportions plus importantes qu’en milieu urbain, on s’aperçoit qu’après la première rencontre la mobilisation s’effrite. Or sans une mobilisation continue de l’ensemble des acteurs, le développement est ralenti. Que se passe-t-il après? Peut-on maintenir une mobilisation amorcée par une consultation publique hors crise?

2.2.6 Le manque de communication dans l’exercice démocratique De nombreuses organisations fonctionnent avec des représentants de groupes identifiés (élus, citoyens, entrepreneurs, secteurs, territoires administratifs, etc.). Qu’ils soient élus ou nommés, ces représentants rendent peu de comptes à leurs mandataires et les mandataires se préoccupent peu des affaires pour lesquelles ils ont élu ou nommé leurs représentants. La plupart du temps, le va-et-vient entre représentants et mandataires, pourtant essentiel à la démocratie représentative, est presque inexistant. Les décisions des organisations dites « représentatives » sont ainsi prises par un groupe fermé sur ses croyances et ses connaissances. Cette fermeture peut entraîner plusieurs dangers dont celui de prises de décisions peu adaptées aux besoins des territoires. En effet, si les administrateurs siègent en leur nom, le risque est que les décisions soient prises par des jeux d’influence entre individus et non pour le bien commun. Si les administrateurs siègent « pour siéger », les décisions sont alors prises par les professionnels du développement et on perd ainsi tous les avantages d’une démocratie représentative. Cet état de fait accentue la fragmentation de l’intervention, puisque les actions « déconnectées » ne peuvent pas trouver écho auprès des populations. Ces dernières vont ainsi se dissocier des organisations et travailler seules à leur développement ou s’en

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Les acteurs connaissent très bien tous ces freins, mais ils semblent en faire une fatalité, une norme qui est là et avec laquelle il faut composer, plutôt que de s’y attaquer en adoptant des façons d’intervenir différentes.

désintéresser. Sans une démocratie représentative pleinement exercée le développement est ralenti par fragmentation de l’intervention ou manque d’acteurs.

On peut se poser la question du choix des représentants. Sur quelles bases sont-ils choisis? Est-ce leur disponibilité, leur bonne connaissance du territoire, leur représentativité (entrepreneur, élu, agent de développement, directeur d’organisme, etc.), leur lien professionnel ou d’amitié, leur leadership, etc.? Est-ce que, dans bien des cas, trouver des représentants n’est qu’une obligation dont on se passerait bien remisant ainsi la notion de représentativité dans un concept de simple légitimité des actions futures?

En conclusion des freins individuels et collectifs Tous ces freins, autant individuels que collectifs, ralentissent considérablement le développement rural. Il est du devoir de tous les acteurs ruraux de trouver des solutions pour les réduire avant même de penser à faire des projets. Ils constituent une dilution des efforts (comme nager à contre-courant) et donc une perte de temps. Celle-ci se répercute sur la qualité des actions menées souvent dans l’urgence et donc moins propices à atteindre les effets souhaités. Le temps perdu à cause de ces freins devrait être investi dans la réalisation de projets structurants permettant de construire des liens plus forts entre les acteurs et des partages de savoir essentiels à rendre les communautés elles-mêmes plus fortes. Lorsqu’on analyse ces freins, on s’aperçoit qu’il existe une sorte de fil conducteur. Les acteurs ont des croyances différentes sur ce qu’est le développement et par conséquent sur la façon d’intervenir. Si les acteurs avaient une même définition du développement (finalité), et s’ils partageaient des fondements communs d’intervention tout en étant libres de donner leurs couleurs aux différents paramètres de ces fondements, une grande majorité des freins énumérés précédemment disparaîtraient ou seraient grandement réduits, donnant ainsi un élan plus fort au développement. Ce sont ces conditions que j’aborde dans les deux prochains chapitres.

3 LE DÉVELOPPEMENT, VERS UN TERRITOIRE SOUHAITÉ

Il existe plusieurs définitions du développement. Dans les prochains paragraphes, je tente d’en faire une synthèse me conduisant non pas à une nouvelle définition, mais plutôt à une finalité propice à créer des convergences d’actions facilitant ainsi les synergies et les coopérations (le « travailler ensemble ») entre les acteurs.

Les territoires sont en perpétuelle évolution, non seulement à cause de l’évolution de l’environnement extérieur (économie mondiale, évolution sociale, politiques publiques, désastres naturels et environnementaux, épidémies, etc.), mais aussi à cause de l’évolution des territoires eux-mêmes (nouveaux acteurs, économie et culture locales,

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On peut faire des projets chacun de son côté, mais on ne peut pas « être en projet » chacun de son côté. Quand on « est en projet », on agit collectivement en ayant préalablement débattu avec d’autres acteurs et convenu ensemble des meilleures actions à entreprendre. Cette notion d’« être en projet » ramène à la notion de causes communes qui rassemblent.

etc.). Autant d’éléments exogènes et endogènes viennent influencer la vie des territoires et, par conséquent, la vie de leur population. Avec ou sans intervention des acteurs, les territoires évoluent pour le meilleur ou le pire. Les acteurs ont ainsi le choix d’intervenir ou de laisser faire en sachant que cette évolution aura des répercussions sur les conditions de vie des populations. Le développement semble ainsi se définir comme un processus de transformation territoriale. Dans ce processus, les acteurs agissent en interrelations structurées (réseaux formels : conseils, groupes, comités, tables, etc.) et improvisées (réseaux informels). Avec le temps, ces interrelations créent des évolutions autant individuelles que corporatives et les acteurs se transforment souvent sans en prendre conscience. Leur transformation les amène à modifier leurs actions qui entraînent des changements sur leur territoire et des répercussions sur les conditions de vie des populations.

Cette approche du développement me semble toutefois limitée. En effet, même si les acteurs sont en interrelations, cela ne veut pas dire qu’ils travaillent ensemble. Ils peuvent tout simplement échanger de l’information ou se valider dans leurs croyances, tout en agissant chacun de leur côté sans synergie ni complémentarité. Ce n’est pas parce que les acteurs sont en interrelations qu’ils sont « en projet ». Il y a une grande différence entre « faire un projet » et « être en projet ». Cette différence est expliquée dans le Cahier de recherche 12-01, Innovations sociales territoriales dans les six MRC rurales de l’Estrie. Le projet d’économie sociale comme levier de développement des capacités des communautés dévitalisée, (Marchand, Caillouette, LeBlanc et Morin, 2012) :

« Faire un projet », selon une reddition de compte quantitative, engage essentiellement une justification des sommes d’argent dépensées selon le nombre de projets démarrés, tenant peu compte de leur portée sur l’établissement de règles organisationnelles différentes de celles véhiculées par les entreprises de marché. Dans « l’être en projet », selon une reddition de compte qualitative, les projets s’évaluent en fonction de leur contribution au renforcement des opportunités offertes aux communautés et à leurs membres. (p. 13)

Pour Amartya Kumar Sen (prix Nobel d’économie en 1998 pour son travail sur l’économie du bien-être), le développement doit permettre à chacun l’accroissement de l’espace des possibles, ce qui sous-entend que chacun puisse avoir la capacité de faire des choix lui permettant d’améliorer ses conditions de vie. Le développement a ainsi pour objectif d’augmenter la capacité des populations vivant et travaillant sur un territoire de

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prendre en main leur avenir, ce qui rejoint un des quatre éléments fondamentaux de la Politique nationale de la ruralité 2007-2014 (2006) : « Elle préconise une approche dite "du bas vers le haut", en ce sens qu’elle privilégie une prise en charge du développement rural par les communautés locales. » (p. 1)

L’Organisation de Coopération et de Développement économiques (OCDE) a d’ailleurs mis de l’avant onze critères du bien-être, indicateurs du vivre mieux, en se basant sur plusieurs travaux d’économistes dont Daniel Cohen, qui constate que le développement de l’économie d’un territoire sur la base du produit intérieur brut (PIB) n’est pas synonyme d’amélioration de la qualité de vie des populations vivant sur ce territoire. Les onze critères sont les suivants : le logement, le revenu, l’emploi, les liens sociaux, l’éducation, l’engagement civique, l’environnement, la santé, la satisfaction, la sécurité et l’équilibre travail-vie. Il est intéressant de constater que l’on retrouve dans ces onze critères plusieurs secteurs dans lesquels les organisations de développement rural ont l’habitude de mener des actions : l’emploi, l’éducation, la santé et l’environnement. Par contre, d’autres secteurs usuels ne s’y retrouvent pas, comme la culture et le patrimoine, l’agriculture, l’industrie, la forêt, le tourisme, les services de proximité, les loisirs, l’entrepreneuriat, etc. Il faut comprendre que ces secteurs ne sont en réalité que des moyens d’influencer certains critères et qu’à ce titre, ils sont dépendants d’autres moyens qui doivent être mis en place de façon préalable, ou concomitante, afin d’influencer les critères. Par exemple, le secteur des loisirs vise à améliorer le critère de la satisfaction. Encore faut-il que les membres des populations aient du temps à consacrer aux loisirs (critère : équilibre vie-travail) et qu’ils puissent se déplacer (critère : revenus).

On se rend compte, par ailleurs, que la plupart des secteurs usuels absents des critères sont liés au critère de satisfaction (loisirs, culture et patrimoine, services de proximité) ou aux critères de l’emploi et du revenu (agriculture, tourisme, forêt, entrepreneuriat, industrie). Devant ce cadre mis en place par l’OCDE, les acteurs devraient se demander si leurs actions couvrent l’ensemble des onze critères. Dans le cas d’une réponse négative, on peut se demander si le fait de ne pas intervenir dans les onze critères peut ralentir le développement. La finalité du développement serait ainsi d’améliorer la qualité de vie des populations. Les onze critères de l’OCDE permettent de donner un caractère objectif à la qualité de vie et d’en mesurer le niveau pour chaque territoire, que ce soit selon des données statistiques (information quantitative) ou selon ce que les populations en disent (information qualitative). Pour une intervention différente permettant aux acteurs de travailler ensemble de façon convergente et ainsi d’accélérer le développement, ces onze critères devraient être analysés sur chaque territoire vécu et des cibles communes devraient être choisies par les acteurs afin d’atteindre un territoire souhaité. Les onze critères de l’OCDE sont présentés dans les sections suivantes.

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3.1 LE LOGEMENT Être logé dans de bonnes conditions est l’un des aspects les plus importants de l’existence. Le logement est essentiel pour satisfaire des besoins élémentaires tels que celui de s’abriter, mais il ne se résume pas au fait de disposer de quatre murs et d’un toit. Il doit être un lieu de repos et de sommeil offrant sécurité, intimité ainsi qu’espace personnel et permettant d’élever une famille. Ce sont toutes ces caractéristiques qui font d’un logement un foyer. Reste à savoir, bien sûr, si un logement décent est abordable. Indicateurs : coûts du logement, occupation (densité)

3.2 LE REVENU L’argent ne fait peut-être pas le bonheur, mais il permet assurément d’acquérir un meilleur niveau de vie et donc plus de bien-être. Des ressources plus importantes peuvent également faciliter l’accès à une instruction de qualité, à des services de santé plus performants et à un meilleur logement. Indicateurs : patrimoine financier des ménages, revenu disponible ajusté net des ménages

3.3 L’EMPLOI L’emploi comporte des avantages économiques évidents. Mais avoir un travail, c’est aussi rester en lien avec la société, renforcer son estime de soi et améliorer ses qualifications et ses compétences. Les pays qui affichent des taux d’emploi élevés sont également plus riches, politiquement plus stables et en meilleure santé. Indicateurs : sécurité de l’emploi, revenus moyens d’activité, taux de chômage de longue durée, taux d’emploi

3.4 LES LIENS SOCIAUX L’homme est un animal social. La fréquence de nos contacts avec les autres et la qualité de nos relations personnelles sont donc des éléments déterminants de notre bien-être. Les études montrent que le temps passé avec des amis est associé à un niveau moyen de sentiments positifs plus élevé et à un niveau moyen de sentiments négatifs plus faible que le temps consacré à d’autres activités. De plus, aider les autres peut rendre plus heureux. Ceux qui pratiquent le bénévolat ont tendance à être plus satisfaits de leur existence que les autres. Le temps consacré à des activités bénévoles contribue, en outre, à une société civile robuste. Indicateurs : le réseau social

3.5 L’ÉDUCATION L’éducation joue un rôle essentiel dans la transmission aux individus des connaissances, des qualifications et des compétences dont ils ont besoin pour participer activement à la société et à la vie économique. En outre, elle peut améliorer la vie des gens dans des domaines comme la santé, l’engagement civique et le bonheur. Les études montrent que les personnes instruites vivent plus longtemps, prennent une part plus active dans la vie politique et locale, commettent moins de délits et ont moins recours à l’aide sociale. Indicateurs : compétences des élèves, années d’éducation, niveau d’éducation

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3.6 L’ENVIRONNEMENT La qualité de notre environnement au niveau local a une incidence directe sur notre santé. Un environnement sain est une source de satisfaction. Il améliore le bien-être mental, permet à chacun de se remettre du stress de la vie quotidienne et de réaliser une activité physique. L’accès aux espaces verts, par exemple, est un aspect essentiel de la qualité de la vie. Nos économies ont certes besoin d’ouvriers productifs et en bonne santé, mais elles dépendent également de ressources naturelles (eau, bois, ressources halieutiques, plantes, etc.). La protection de notre environnement et de nos ressources naturelles demeure donc une priorité à long terme, tant pour notre génération que pour les suivantes. Indicateurs : qualité de l’eau, pollution atmosphérique

3.7 L’ENGAGEMENT CIVIQUE Aujourd’hui plus que jamais, les citoyens exigent de leur administration une plus grande transparence. Il est essentiel de faire savoir qui prend les décisions, pourquoi et comment, pour rendre l’administration comptable de ses actes, préserver la confiance dans les institutions publiques et garantir l’égalité de traitement entre les entreprises. Renforcer la transparence est crucial, non seulement pour préserver l’intégrité du secteur public, mais aussi pour améliorer la gouvernance. De fait, l’ouverture et la transparence peuvent contribuer à améliorer les services publics en minimisant les risques de fraude, de corruption et de mauvaise gestion des deniers publics. Une société unie est une société dont les citoyens ont pleinement confiance en leurs institutions et administrations publiques. Indicateurs : consultation sur l’élaboration des règles, participation électorale

3.8 LA SANTÉ Une bonne santé comporte beaucoup d’avantages, parmi lesquels un meilleur accès aux études et à l’emploi, une productivité et une richesse plus grandes, des dépenses de santé moindres, de bonnes relations sociales et, bien sûr, une vie plus longue. Indicateurs : auto-évaluation de l’état de santé, l’espérance de vie

3.9 LA SATISFACTION Mesurer les sentiments peut être très subjectif, mais c’est un complément utile à des données plus objectives pour comparer la qualité de la vie dans plusieurs pays. Les données recueillies peuvent fournir une évaluation personnelle de l’état de santé, du niveau d’instruction, des revenus, du degré de bien-être et de la situation sociale des personnes concernées. C’est notamment en se fondant sur des enquêtes que l’on mesure la satisfaction à l’égard de la vie et du bonheur.

3.10 LA SÉCURITÉ Le sentiment de sécurité personnelle est un élément essentiel du bien-être des individus et il dépend amplement du risque d’être victime d’une agression physique ou d’autres crimes ou délits. La criminalité peut entraîner des pertes de vies humaines et de biens, mais aussi des souffrances physiques, un stress post-traumatique et des états d’anxiété. Il semble que le sentiment de vulnérabilité que suscite un crime ou un délit soit l’impact majeur que celui-ci exerce sur le bien-être des personnes. Indicateurs : taux d’agression, taux d’homicides

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En effet, on ne peut pas intervenir dans un secteur sans tenir compte de la situation globale d’un territoire et de l’état des autres secteurs.

3.11 L’ÉQUILIBRE TRAVAIL-VIE Trouver un équilibre convenable entre vie professionnelle et vie privée est un défi auquel tous les travailleurs sont confrontés. Les familles sont les premières concernées. Certains couples voudraient avoir un ou des enfant(s), mais ne pensent pas avoir les moyens de s’arrêter de travailler. D’autres parents sont heureux du nombre d’enfants dans leur foyer, mais souhaiteraient travailler davantage. C’est un problème pour les pouvoirs publics, car si les parents ne parviennent pas à trouver le bon équilibre entre vie professionnelle et vie privée, non seulement leur bien-être s’en ressent, mais aussi le développement du pays. Si les parents doivent choisir entre gagner de l’argent et s’occuper de leurs enfants, il s’en suivra un déficit au niveau de la natalité et de l’emploi. Indicateurs : horaires de travail lourds, temps consacré aux loisirs et à soi On peut facilement voir qu’il existe des passerelles entre ces onze critères. Ces interdépendances nous amènent à insister sur le non-sens d’une intervention fragmentée et « en silo ». Selon les constats, certaines interventions seront prioritaires au détriment d’autres, ce qui implique qu’à certains moments, certains acteurs sectoriels devront être

les leaders et que les autres devront les soutenir. Ce qui implique une capacité d’adaptation des acteurs à la réalité du territoire vécu compte tenu du territoire souhaité.

4 LE PROCESSUS DE TRANSFORMATION, L’ESPACE DES POSSIBLES

Nous avons compris que le développement est un processus au cours duquel les acteurs doivent travailler ensemble pour transformer le territoire vécu en un territoire souhaité qui améliore la qualité de vie des populations.

Entre le territoire vécu et le territoire souhaité, les acteurs entrent dans un espace des possibles. Cet espace privilégie la solidarité, la créativité, l’intérêt commun et l’épanouissement individuel. Il permet de développer le territoire vécu par le développement des acteurs eux-mêmes. Pour atteindre cet objectif, cet espace doit proposer un cadre minimal (une fondation) dans lequel les acteurs vont pouvoir libérer pleinement leur potentiel de créativité et de solidarité. Ce cadre minimal s’inspire du rapport du groupe de travail sur les municipalités dévitalisées, lancé par la deuxième Politique nationale de la ruralité du Québec, et le travail de synthèse de Martin Robitaille (2012), professeur et chercheur à l’Université du Québec en Outaouais, qui met en évidence cinq éléments clés du développement rural (voir annexe 1) :

• une intervention cohérente;

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• des leaders engagés et visionnaires; • des structures d’implication démocratiques et inclusives; • des actions à court, moyen et long terme; • un soutien et un accompagnement.

Ces cinq éléments clés sont indissociables et se composent de nombreuses intersections, ce qui rend leur présentation écrite difficile si on veut éviter les redondances. Sur le terrain, l’absence d’un seul élément ralentit considérablement le processus de transformation, pire encore, dans certains cas, l’absence d’un élément peut contribuer à créer une dévitalisation des territoires. Par exemple, l’absence de structures d’implication démocratiques et inclusives monopolise l’action sur quelques acteurs qui se retrouvent seuls à tenter de transformer leur territoire. Ces tentatives n’étant pas reconnues par les autres acteurs non mobilisés, ces derniers demeurent passifs ou opposés. Le manque d’encouragement, par passivité ou opposition des autres acteurs, est propice aux conflits ralentissant ainsi le développement. Le territoire ne se transforme plus et la qualité de vie de la population est réduite, ce qui entraîne des pertes démographiques et, à terme, une dévitalisation du territoire. Avant de décrire chacun des cinq éléments, il est important de noter que chaque acteur peut et doit jouer plusieurs rôles selon les situations. Autrement dit, chacun des cinq éléments n’est pas dévolu exclusivement aux élus, aux citoyens, aux professionnels ou aux organisations du développement. Tous ces acteurs doivent faire de ces cinq éléments les guides de leurs interventions afin que le processus de transformation soit fluide, permettant ainsi d’accélérer le rythme du développement.

Cette notion d’acteur collectif intégré dans un processus de transformation fut l’objet d’une discussion intéressante dans le cadre d’une rencontre du Comité d’avancement des pratiques (CAP) de l’OEDC le 14 décembre 2012 :

« [...] la préoccupation centrale de cette discussion a été de comprendre de quelle façon l’émergence d’un ou plusieurs projets isolés répondant à des besoins reconnus par la communauté résulte en un processus de développement intégré évolutif et collectif d’où se dégagent une vision, une culture de développement particulière ».3 (p. 4)

3 Note de l’auteur : Lors de la réunion du CAP du 14 décembre 2012 à St-Camille, les membres du comité échangèrent

sur les connaissances développées par le Laboratoire rural de St-Camille, mettant en évidence 14 ingrédients de développement local. Voir le compte-rendu de cette rencontre à http://www.oedc.qc.ca/presentation/comite-compte-rendu/autre/comite-d-avancement-des-pratiques-14-decembre-2012. Pour les 14 ingrédients de St-Camille, voir l'article : http://avenirhsf.wordpress.com/2012/09/25/les-ingredients-des-communautes-dynamiques/

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Si on veut que les actions de développement apportent des résultats concrets et satisfaisants, il faut un réel engagement de tous les acteurs. Tout le monde connaît la différence entre l’implication et l’engagement dans cette métaphore de l’œuf au bacon. La poule est impliquée, le cochon est engagé.

4.1 UNE INTERVENTION COHÉRENTE Je compare le développement à une pièce de théâtre. Pour pouvoir monter une pièce de théâtre il faut certains éléments : un scénario, des dialogues, des acteurs, une scène, un décor et une mise en scène. Sans ces éléments, il est impossible d’intéresser le public au point de l’émouvoir, ce qui est le but d’une pièce de théâtre. On sait aussi que le talent des acteurs peut faire toute une différence dans l’atteinte de ce but alors que le scénario, la scène et ses décors sont les mêmes. Tenir un rôle est une chose, s’engager dans ce rôle en est une autre. Ainsi, comme au théâtre, les acteurs du développement devront non seulement connaître le scénario, mais également leur dialogue et leur rôle afin de pouvoir s’engager dans cette pièce de théâtre. Comme au théâtre, la même pièce peut être jouée plusieurs fois, mais les acteurs peuvent faire évoluer leur façon de jouer leur rôle. Ainsi ce n’est pas parce que les acteurs du développement ont l’habitude de jouer un certain rôle qu’ils ne peuvent pas changer cette façon de le jouer tant et aussi longtemps qu’ils connaissent bien la pièce à jouer.

Comme souligné précédemment, et contrairement au théâtre, les acteurs peuvent jouer plusieurs rôles selon les circonstances, puisque le cadre minimal de l’espace des possibles permet cette liberté.

4.1.1 Vers l’efficience du processus A priori derrière la cohérence se cache la notion d’efficience. L’efficience est la capacité d’un processus à atteindre des résultats le plus rapidement possible avec une quantité moindre d’efforts (ressources humaines, matérielles et financières). Le processus de transformation devrait être efficient si les acteurs comprennent et acceptent le processus dans lequel ils interviennent; s’ils sont convaincus que travailler ensemble donne les meilleurs résultats; s’ils réussissent à atteindre leurs objectifs spécifiques; s’ils connaissent leur rôle et celui des autres; s’ils ont une visée commune (regard dans la même direction) et des cibles communes (choix spécifiques dans la visée) qui transcendent leurs intérêts individuels ou corporatifs; et s’ils se partagent des rôles dans l’espace des possibles (tantôt en leader, tantôt en soutien, car il est effectivement possible d’être à la fois leader et de soutenir d’autres leaders).

Shakespeare disait : « la vie c’est comme une pièce de théâtre, chacun à un rôle à jouer ». C’est identique pour le développement. Chaque acteur a un rôle à jouer. Pour bien le jouer, chacun doit parfaitement le connaître, mais il doit aussi connaître celui des autres acteurs et finalement bien comprendre le processus de transformation.

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La cohérence met ainsi en relief la différence entre une suite de projets ponctuels non liés les uns aux autres et une série d’actions inter reliées issues de la connexion entre plusieurs acteurs.

L’efficience de tout processus dépend donc grandement de la façon dont les acteurs ont créé et font évoluer leur espace des possibles. Plus le nombre d’acteurs impliqués dans le processus est élevé, plus son efficience dépend de la capacité des acteurs à se comprendre, se connaître, former « équipe », bref à travailler ensemble. Plus le nombre d’acteurs impliqués est réduit, plus le processus est ralenti par manque de ressources.

4.1.2 Vers un modèle d’intervention partagé Le principe est d’essayer un modèle d’intervention plus cohérent qui permettrait aux acteurs de « ramer dans le même sens et non chacun de son côté », le but n’étant pas de faire des vagues, mais bien d’avancer ensemble. La cohérence est issue d’une prise de conscience de la complémentarité des actions menées par les acteurs. Cette prise de conscience permet de faire reconnaître à chaque acteur que le succès de l’action qu’il souhaite entreprendre est forcément conditionnel à l’implication des autres acteurs, que chaque acteur a besoin de l’autre, que les secteurs d’activités sont inter reliés, que les territoires sont interdépendants, bref, qu’on ne peut pas prétendre mener des actions tout seul. L’action est une brique de l’édifice et non l’édifice lui-même.

De ces constats, une intervention est cohérente lorsque les acteurs partagent la même vision du territoire souhaité et arriment leurs interventions pour atteindre des cibles communes. Qu’ils soient des professionnels du développement, des citoyens ou des élus, ils arrivent à partager

une même vision de leur territoire et à faire des choix communs pour ensuite travailler ensemble afin de réaliser cette vision et d’atteindre leurs cibles.

Dans une intervention territoriale cohérente, les acteurs intègrent la stratégie globale de développement et ils sont capables d’expliquer le choix des cibles visées et des moyens mis en place pour réussir à les atteindre.

4.1.3 Vers une plus grande mobilisation Cette cohérence a un effet multiplicateur très intéressant, puisqu’elle alimente la mobilisation qui se nourrit d’elle-même. En effet, pour intervenir de façon cohérente, les acteurs doivent se lier et se connecter, ce qui provoque une mobilisation. Lorsque les acteurs travaillent ensemble dans une même direction, deux conséquences peuvent s’observer : les liens entre les acteurs se renforcent créant ainsi une plus grande solidarité (les acteurs sortent de leur isolement) et les actions entreprises ont plus de force et d’impact sur le territoire, ce qui entraîne des effets plus rapides. Ces deux conséquences nourrissent à leur tour la mobilisation des acteurs, qui deviennent de plus en plus motivés par l’atteinte de cibles communes. La cohérence de l’intervention a ainsi un effet motivateur et mobilisateur.

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Il faut comprendre que les acteurs sont avant tout des individus mus par leur besoin d’être utiles par l’entremise de leurs efforts dans la communauté. Outre la conviction que ses efforts sont nécessaires, l’acteur sera encore plus motivé et mobilisé pour s’impliquer et réaliser d’autres actions lorsqu’il constatera qu’il est utile et que ses actions portent leurs fruits. La cohérence de l’intervention permet de rendre le processus plus efficient par une productivité accrue des acteurs issue de leur niveau élevé de plaisir à agir. On comprend mieux toute l’importance d’un processus cohérent. Il reste à voir comment les quatre autres éléments constitutifs de ce processus s’inscrivent dans cette cohérence afin d’apporter une fluidité d’intervention favorisant des effets plus rapides.

4.2 LES LEADERS ENGAGÉS ET VISIONNAIRES Le démarrage du processus de transformation est issu d’acteurs souhaitant une évolution positive de leur territoire. Ces acteurs ont une vision claire de ce que pourrait devenir leur territoire. Ils prennent alors leur « bâton de pèlerin » (engagement) pour entrer dans l’espace des possibles et travailler avec les autres acteurs afin de partager leur vision et concrétiser une vision commune.

4.2.1 Une responsabilité partagée On peut sans doute associer le mot responsabilité au mot leader. Les leaders se responsabilisent face aux résultats à atteindre sans qu’une quelconque hiérarchie les y oblige. Tout acteur peut ainsi se responsabiliser et devenir leader au moment qu’il juge opportun, tout simplement en s’impliquant dans le processus et en travaillant avec d’autres leaders, partageant ainsi une responsabilité globale face aux résultats à atteindre. Les leaders du développement rural sont autant des élus, des citoyens que des professionnels et des organisations de développement. Par exemple, le groupe de recherche du Centre affilié universitaire (CAU) du Centre de santé et de services sociaux-Institut universitaire de gériatrie de Sherbrooke (CSSS-IUGS) joue un rôle de leader en développement des communautés alors qu’il aurait pu se concentrer uniquement sur son principal mandat, qui est de réaliser des études à caractère scientifique en observant des pratiques d’intervention en développement rural. On pourrait penser que son rôle n’est pas d’intervenir dans les actions des territoires. Pourtant, son approche privilégiant la recherche-action crée des espaces de partage des savoirs, de réflexion et d’action. Ces espaces apportent un soutien aux acteurs ainsi qu’une forme de reconnaissance en s’intéressant à leurs actions. Bien avant les conclusions des études, ces espaces permettent aux acteurs de mettre en place certaines actions pertinentes qu’ils n’auraient possiblement pas menées ou qu’ils auraient menées plus tard. Ces espaces accélèrent ainsi le processus de transformation. Chaque acteur doit devenir un leader au moment où il le faut, ce qui l’exige à observer toutes les dynamiques territoriales et à les analyser à travers la lorgnette des cinq éléments clés.

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Leur attitude et leur engagement subliment les autres acteurs qui parviennent ainsi à se dépasser. Les leaders ont cette capacité d’amener les autres à se dépasser sans pour autant rien leur imposer. Les acteurs qui se dépassent sous l’influence positive des leaders engagés et visionnaires peuvent devenir à leur tour des leaders.

4.2.2 Des artisans4 de liens et de mouvements Les leaders sont des acteurs qui initient et développent des mouvements contrairement aux acteurs « attentistes », qui ne prennent pas d’initiatives et qui attendent d’être sollicités. Les leaders prennent les choses en main, rassemblent d’autres acteurs, les motivent, les soutiennent, les accompagnent, les encouragent, travaillent avec eux et font des efforts afin d’atteindre les cibles communes. Pour réussir ces actions, ils doivent avoir des qualités de rassembleur, d’animateur, de créateur et être déterminés, convaincus et convaincants. Ils doivent aussi avoir de la crédibilité. Les leaders sont conscients de l’importance de construire des relations entre les acteurs bien au-delà de la réalisation de projets. Ainsi, ils portent une grande attention à la création de liens durables et positifs entre les acteurs. Ils s’assurent de créer un réseau d’entraide et de faire naître de nouveaux leaders. Ils s’engagent afin que les acteurs puissent atteindre ensemble le territoire souhaité.

Enfin, les leaders démarrent les mouvements, mais ils savent qu’il est important de les maintenir. Ils font les efforts nécessaires pour « entretenir la flamme ». Ils assurent des suivis réguliers, notamment lors de mobilisations importantes, auprès de ceux qui se sont impliqués. Ces suivis démontrent l’importance attachée au dynamisme social et à la cause commune. Ils permettent de crédibiliser le « faire ensemble » en partageant la responsabilité du développement sur tous les acteurs. Ne pas faire de suivi démontre que la responsabilité appartient à un groupe fermé et que la mobilisation était seulement le fait d’une opinion ponctuelle et non d’une implication permanente.

4.2.3 Une vision et un leadership partagés Au-delà de cet engagement, les leaders sont visionnaires, leurs efforts ont une visée qui sera d’abord partagée puis coconstruite avec les autres acteurs. Grâce à cette visée devenue commune, les leaders sont plus aptes à saisir les opportunités permettant de démarrer des dynamiques et de les maintenir. Par exemple, un événement festif est une occasion d’avoir du plaisir et de fortifier un réseau d’acteurs. Un leader verra dans cet événement l’occasion de construire un groupe de leaders qui aura envie de s’investir dans une prochaine action. Par exemple, au lieu d’embaucher un coordonnateur d’événement, il formera un groupe de travail inclusif et démocratique qui préparera l’événement, quitte à ce que la préparation de l’évènement prenne plus de temps. Ce temps supplémentaire investi à court terme est rentable à moyen et long terme.

4 Note de l’auteur : Le nom artisan est pris ici dans son sens figuré et initial: « celui qui est l'auteur, la

cause ou à l'origine de » et « mettre son art au service d'autrui ». Enfin, la notion d'artisan réfère à la notion

de travail minutieux et d'efforts.

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Le processus de transformation du territoire exige des points de convergence connus et reconnus des acteurs. Outre le lieu physique ou virtuel, formel ou informel, qui permet la rencontre des acteurs, il devrait exister sur chaque territoire un espace animé, rassembleur et créateur de synergies ouvert à tous les acteurs et propice à la réflexion, la planification et l’action.

Ainsi, les leaders engagés et visionnaires ne mènent pas à eux seuls la transformation du territoire. Le leader n’est pas un acteur seul devant avec les autres acteurs qui suivent en arrière, attendant des ordres ou une direction. Les leaders partagent leur leadership ainsi que leurs connaissances. Ils savent s’effacer de temps en temps pour laisser aux autres acteurs la possibilité d’exercer à leur tour un leadership. On peut comparer ce partage de leadership à une course cycliste dans laquelle les coéquipiers se relaient régulièrement pour maintenir la vitesse de l’équipe.

4.2.4 Une ouverture sur le monde extérieur Les leaders sortent de leur territoire pour élargir leur horizon, voir ailleurs ce qui s’y passe et comment ça se passe, en plus d’aller chercher des « alliés » qui les aideront à franchir les défis qu’ils rencontrent. Ces contacts avec l’extérieur sont une mine de références, une source de motivation, de confiance et de mobilisation lorsque, par exemple, naissent des réseaux permettant de les soutenir dans les obstacles à surmonter. Cette ouverture au monde extérieur permet, comme aux échecs, d’avoir quelques coups d’avance sur les situations à venir.

4.2.5 Vers une organisation de la transformation Les leaders s’assurent qu’il existe sur leur territoire une structure permettant de rassembler les acteurs afin de les impliquer dans la transformation. Ils s’assurent ensuite que ces acteurs atteignent le consensus sur une vision commune du territoire souhaité afin qu’ils puissent s’approprier des buts à atteindre. Enfin, ils s’assurent de mettre en place les conditions permettant à tous les acteurs de mener les efforts nécessaires pour atteindre les cibles communes. Les réseaux et les liens durables entre les acteurs ainsi que la naissance de nouveaux leaders se réalisent à travers des structures d’implications démocratiques et inclusives

4.3 LES STRUCTURES D’IMPLICATIONS DÉMOCRATIQUES ET INCLUSIVES

Les communautés désireuses de prendre en main leur développement doivent se donner des structures permettant de le faire.

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Ces structures sont avant tout des espaces d’énergie créatrice et non des espaces de gestion. Elles doivent permettre aux acteurs « d’être en projet » en les intégrant dans des phases de réflexions, de planifications et d’actions.

Dans sa rencontre du 14 décembre 2012, le CAP de l’OEDC commentait les travaux de recherche sur St-Camille :

L’importance d’un lieu d’échange informel, chaleureux qui dure dans le temps et qui devient un lieu de rassemblement culturel, communautaire. On peut y partager ce qui fonctionne. Un mouvement de va et vient de la communauté au groupe porteur à la communauté et ainsi de suite… Un lieu convivial pour valider des choses, oser prendre des risques. Le groupe porteur agit sur une longue période. On y voit une continuité d’individus en lien les uns avec les autres, mais pas nécessairement un même groupe. Ce groupe ne doit pas être fermé. Il doit porter un leadership ouvert, complice, complémentaire et humble. Il doit compter en son groupe des gens qui portent l’histoire de la communauté, qui sont en lien avec les ressources de la communauté, mais aussi avec l’extérieur, les communautés autour ou des niveaux supra-locaux, régionaux, provinciaux, etc. (p. 3)

Ces structures doivent avant tout appartenir à la communauté et non à un groupe restreint d’acteurs qui décident pour les autres d’où la notion d’inclusion. Il ne s’agit pas de mettre en place des organisations dirigées par quelques acteurs, mais bien de véritables structures ouvertes à tous les acteurs dans un but de favoriser la transformation du territoire vécu en un territoire souhaité. Le principe qui sous-tend cette idée est que plus la communauté est complète et plus elle jouit pleinement de l’ensemble de ses acteurs en santé et actifs (principe de l’intelligence et de l’énergie collective : on est plus fort à plusieurs que tout seul), plus vite elle pourra atteindre son territoire souhaité. L’intelligence collective permet à un groupe d’individus d’être plus intelligents ensemble qu’isolés, un individu étant limité à ses croyances. Est-ce que les organismes existants et légalement constitués comme une municipalité, une MRC, un CLD, une SADC, une corporation de développement économique, un organisme local de loisirs, etc. peuvent constituer ces structures? Cela dépendra de leur administration, de leur fonctionnement et de leur mandat. Est-ce que ces organismes ont un mandat sectoriel? Est-ce que les membres, le conseil d’administration et les gestionnaires de l’organisme se donnent comme principal mandat d’assurer une saine gestion de l’organisation? Dans le cas de réponses affirmatives, il y a forcément incompatibilité avec l’approche globale et intégrée du développement dévolue aux structures d’implications démocratiques et inclusives auxquelles je fais référence dans ce chapitre.

Leur rôle va au-delà d’un mandat sectoriel, d’une gestion d’organisme ou d’un simple partage d’information. Ces structures doivent être ouvertes sur l’extérieur en s’associant, sur une base ponctuelle ou régulière et selon les besoins, à des acteurs

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provenant d'autres territoires, qu'ils soient élus, citoyens ou professionnels du développement. Les structures, ou « gouvernances », pour reprendre les termes de Luc Bisson (2011), sont avant tout des espaces de collaboration et de création de dynamiques sociales et économiques. Ces espaces, ouverts à tous, permettent un leadership partagé sous une forme consensuelle afin que tous les citoyens puissent y trouver des lieux de vie attrayants et distrayants, source de plaisir, de reconnaissance et d’épanouissement. Le compte rendu du CAP de l’OEDC (2012) décrit cette notion d’espaces collectifs dans lesquels les liens humains sont centraux :

Un leadership ouvert, un leadership partagé, un leadership de processus, de contenu, de vision. Un leadership inclusif qui inclus la communauté, la société civile, le secteur public, le secteur privé et qui considère les élus et les administrateurs gouvernementaux comme des complices, comme des citoyens plutôt que des objets à influencer. Un leadership où peut véritablement s’exprimer l’intelligence collective. (p. 3)

4.3.1 Les cinq principes du mode de fonctionnement des structures Il convient donc à chaque territoire de définir la forme de sa structure de développement ainsi que son mode de fonctionnement en tenant compte de certains principes permettant de faire face aux freins présentés dans le chapitre précédent. Peu importe le mode de fonctionnement choisi par les acteurs, cinq principes devraient les guider dans ces espaces de coconstruction.

Égalité et équité Les acteurs doivent être égaux, c’est-à-dire sans droit de vote prépondérant pour certains. Même si l’un d’eux peut animer une rencontre, il n’est pas le principal responsable de la structure et de son fonctionnement. Cette responsabilité est celle des acteurs réunis. Les notions de leadership partagé et d’équipe sont centrales. Débats nourris et consensualisme Ces structures doivent permettre des discussions libres autour de thèmes ayant un impact sur le processus de transformation et la visée commune. Ces thèmes doivent être débattus de façon collégiale. Chacun doit pouvoir argumenter avec le même niveau d’information que tous les autres incluant l’animateur. Il faut donc nourrir les acteurs d’information. Sans information les décisions sont souvent prises « d’instinct » d’après les croyances. De telles décisions peuvent connaître certains succès, mais c’est un peu comme conduire un avion sans tableau de bord : « à l’aveugle ». Sans information, les risques sont plus grands d’échouer, et nous savons combien l’échec peut être démobilisant. Finalement, les décisions doivent être prises par consensus afin de permettre à chacun de s’exprimer en toute liberté, d’être confortable avec les décisions et de continuer à collaborer dans le futur.

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Représentativité, communication et transparence Les acteurs s’inscrivent dans ces structures en tant que représentant de la qualité de vie des populations. Ils ont ainsi un mandat implicite de bien connaître et de comprendre la communauté en créant des échanges réguliers avec elle. Un va-et-vient permanent doit s’installer entre cette représentation volontaire et désintéressée, au sens individuel du terme, et les acteurs potentiels dont l’intérêt devrait grandir avec le temps grâce à ces va-et-vient et les espaces festifs organisés ponctuellement par les structures. Vision transversale du développement Chaque acteur doit avoir une vision globale et intégrée du développement à partir des onze critères de l’OCDE. On cherche à éviter une gouvernance monopolisée dans laquelle chaque acteur défend « bec et ongles » un secteur ou pire, ses intérêts privés. Plaisir Ces espaces de coconstruction et de création doivent nécessairement être agréables pour les acteurs.

Une rencontre ayant un objectif précis à atteindre, mais bâtie autour du plaisir, mettra plus de temps à démarrer, mais atteindra plus vite l’objectif qu’une rencontre bâtie sans cette considération pour la détente. Le plaisir se construit principalement sur les comportements et les attitudes des acteurs, même si les sujets discutés sont très sérieux. Ces espaces de coconstruction et de création réguliers et attrayants doivent être complétés par des espaces festifs élargis, organisés ponctuellement.

4.3.2 Les phases de réflexion et de planification Le temps disponible pour bien faire les choses est important. Les acteurs locaux sont le plus souvent des bénévoles qui n’ont pas huit heures par jour pour s’occuper du développement de leur territoire. Pour compenser ce manque de temps et optimiser les ressources humaines, matérielles et financières disponibles, des phases de réflexion et de planification deviennent essentielles. Les structures doivent s’assurer de bien intégrer un maximum d’acteurs dans ces deux phases. Idéalement, un immense « arbre des savoirs » (ressources et expertises de chaque territoire) permettrait de mieux répondre à chaque situation et de recruter, ou former, en fonction des besoins, à l’image de l’expérience de la communauté de Racine en Estrie.

Les phases de réflexion Dans la phase de réflexion les acteurs doivent « lire » leur territoire à travers plusieurs informations. Des outils comme le tableau de bord des communautés, mis en place par l’Observatoire estrien en développement des communautés (OEDC), peuvent s’avérer

Une ambiance détendue ne nuit pas à l’efficacité d’un groupe de travail. Dans de nombreux cas, le plaisir permet plus de créativité et de dynamisme accélérant ainsi le travail commun en plus de resserrer les liens entre les acteurs.

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Il est important de créer des passerelles de planification entre les différents niveaux de territoires, car les actions locales influencent autant l’avenir supra local, régional et provincial que les actions provinciales, régionales et supra locales influencent l’avenir local.

très pertinents dans cette phase en fournissant des données statistiques (indicateurs divers) et qualitatives (regard des acteurs sur leur territoire). Un arrimage de cet outil avec les onze critères de l’OCDE permettrait aux acteurs ruraux de mieux définir leurs objectifs en ayant comme visée principale le mieux-vivre de leur territoire.

Cette phase de réflexion est une phase de débats au cours de laquelle les acteurs cherchent à comprendre les données, les comparent à d’autres territoires et tentent d’en tirer des conclusions qui font consensus.

La phase de planification Malheureusement, très souvent considérée comme un mal nécessaire, la phase de planification est « tablettée ». Elle est pourtant essentielle dans toute démarche de développement, puisqu’elle permet de donner une direction claire aux acteurs et de prévoir les besoins en ressources nécessaires à l’atteinte des cibles communes. Elle permet d’évaluer le travail accompli et celui à réaliser. Cette phase est cruciale pour une démarche efficace de développement.

Dans tous les cas, son élaboration constitue une suite logique de la phase de réflexion et maintient les mêmes objectifs : rassembler les acteurs, provoquer une dynamique territoriale et donner une cohérence aux actions. Afin de bien répondre aux exigences de cette phase, les structures doivent mettre en place certaines conditions : • créer un espace de rassemblement, de mobilisation et de motivation pour les acteurs

afin « d’être en projet » et de « faire communauté »; • tenir compte de la phase de réflexion et du territoire souhaité; • rassembler les énergies autour de cibles communes (éviter l’éparpillement); • distinguer planification stratégique (vision et orientations) et planification active

(priorités annuelles). La deuxième étant la réalisation concrète de la première. En mettant en place ces conditions, les structures : • permettent d’éviter le piège de « sauter » sur le premier programme ou projet

« top/down » proposé; • permettent aux acteurs potentiels de s’impliquer dans des priorités qui les

interpellent; • permettent aux organisations extérieures d’adapter leur soutien et leur

accompagnement influençant ainsi les planifications extérieures; • assurent une pérennité à la vision et à l’action malgré les changements d’individus.

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4.3.3 Les formes de ces structures Dans le cahier de recherche intitulé La grande roue du développement, Julie Perreault (1998) explique les grandes phases du processus de développement sous l’angle d’une succession d’étapes se chevauchant parfois dans un processus continu et en spirale autour de trois thèmes : se mobiliser, s’orienter et s’activer. Cependant, ce cahier n’évoque pas les structures dans lesquelles les acteurs se lient. Actuellement, les structures de développement locales qui permettent une certaine cohérence d’intervention proposent une structure composée d’élus (ou de citoyens) qui s’adjoignent des citoyens (ou des élus) pour organiser le développement de leur territoire. Ces structures se divisent ensuite en groupes d’intervention selon des objectifs ciblés. Ces groupes d’intervention, formés ponctuellement, s’adjoignent d’autres acteurs selon les besoins.

Il y a deux formes qui sont également pratiquées et peuvent donner de bons résultats, même si elles peuvent représenter certains risques. La première est la mobilisation par projet. Dans cette structure, un acteur présente un projet à la communauté et sollicite des ressources pour le réaliser. Cette forme exclût toute structure centrale de convergence et de synergie. Elle exige une des ressources bénévoles, le plus souvent exécutantes, qui finissent par s’essouffler par manque de motivation à n’agir que de façon ponctuelle. La deuxième forme de structure correspond aux multi comités sectoriels. Dans cette forme, avec ou sans structure centrale, des comités sectoriels sont permanents et ont comme mandat de développer leur secteur. Cette forme s’apparente à une gouvernance monopolisée comme l’explique Luc Bisson (2011). Elle crée souvent des concurrences entre les secteurs et entre les acteurs, pouvant créer des conflits. Dans le monde des affaires, la concurrence est une pratique qui permet aux entreprises de se dépasser autant au sens figuré que réel. Ça permet au consommateur de bénéficier d’une meilleure qualité au meilleur prix. Ceci dit, le développement rural n’est pas une entreprise commerciale. Les acteurs n’ont pas à se concurrencer pour arriver à de meilleurs résultats. Le seul résultat qui compte est celui du mieux-vivre des populations et c’est la collaboration entre les acteurs, et non la concurrence, qui peut permettre l’atteinte d’un tel objectif. Si on peut se plaindre que le développement est un processus long, la concurrence entre les acteurs ralentit encore plus ce processus.

4.3.4 Les avantages de ces structures Ces structures ont plusieurs avantages : la durabilité et la continuité, l’émergence de leaders, la stimulation de l’entrepreneurship, l’accroissement de l’appropriation, la cohérence de l’intervention, la solidarité et la complémentarité, le partage et la coproduction de connaissances et la réduction des isolements. • La durabilité et la continuité. Le mode de fonctionnement privilégie le travail

d’équipe avec un leadership partagé, évitant ainsi que la perte d’un leader compromette la structure et ses objectifs. Selon le CAP de l’OEDC (2012) :

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Ce projet collectif tient au-delà des individus par une vision partagée. Le plaisir et le rire sont partie prenante de cette culture tout comme le fait de relever des défis. […] Trois éléments essentiels de continuité : une formation collective sur l’éthique appliquée ayant donné lieu à une vision commune des décisions à prendre dans la communauté, un forum des citoyens aux deux ans ainsi que des occasions de rituels et de fêtes de façon continue. (p. 3)

• L’émergence de leaders. Le principe du leadership partagé est un stimulus permettant la naissance de leaders. La structure matérialise l’espace des possibles dans lequel les acteurs peuvent s’exprimer et prendre des initiatives tout en étant soutenu et accompagnés par les autres leaders.

• La stimulation de l’entrepreneurship. La structure devrait provoquer l’implication en

proposant un cadre motivant aux acteurs. Le développement est par essence un espace de créativité et d’innovation favorisant l’entrepreneurship social et économique des acteurs.

• L’accroissement de l’appropriation. L’ouverture à tous les acteurs, les bases

démocratiques et les efforts de communication favorisent l’appropriation du développement.

• La cohérence des interventions. Les principes de l’intervention transversale reposant

sur les onze critères de l’OCDE et un leadership partagé sont une des bases de la cohérence des interventions.

• La solidarité et la complémentarité. Selon le CAP de l’OEDC (2012), « la solidarité

développée permet de réduire la méfiance, de développer peu à peu une vision partagée. Les citoyens commencent à se parler ». Les structures permettent de rassembler les acteurs autour d’un même but. Ce partage d’intérêt est propice à créer des liens forts entre les acteurs. Ces liens vont permettre aux acteurs de se reconnaître dans l’action. Cette reconnaissance mutuelle crée des liens de solidarité et de complémentarité.

• Le partage et la coproduction de connaissances. Les principes d’égalité et d’équité qui

animent ces structures favorisent la mise en commun des expériences. Les acteurs échangent et partagent leurs connaissances tout en coproduisant de nouvelles connaissances communes à partir desquelles ils vont pouvoir modifier leurs interventions. Cet avantage réduit considérablement le frein de la résistance aux changements.

• La réduction des isolements. En tant qu’espaces rassembleurs, ils permettent aux

acteurs de sortir de leur isolement. Qu’ils soient citoyens, élus ou professionnels, que ce soit dans l’exercice de leur profession ou de leur statut, les acteurs retrouvent dans ces espaces des lieux de socialisation et d’apprentissages leur permettant de renforcer

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leur estime et d’augmenter leur confiance. La Coopérative de solidarité Les artisans de Lingwick, bien que légalement constituée, a surtout voulu bâtir une structure à l’image de celle présentée dans ce chapitre. Cette structure a permis, entre autres, à une citoyenne isolée de s’intégrer dans un mouvement collectif et d’agir ensuite en tant que leader.

4.3.5 L’importance des lieux informels Au-delà de ces structures formelles, il doit exister des lieux de rencontre informels qui vont servir de zones d’influence. Ces lieux ont leur importance, car ce sont des lieux dans lesquels les acteurs, tout en ne se sentant plus acteurs, poursuivent leur réflexion, et partagent leurs connaissances tout en consolidant leurs liens. Ce sont souvent dans ces lieux que partent de grandes idées, qu’émergent de nouvelles solutions, que se redéfinissent des enjeux ou que se cristallisent certaines croyances. Ces lieux revêtent une forme d’intimité. Ils permettent aussi de s’exprimer de façon plus libre qu’autour d’une table formelle (certains acteurs n’ont pas la capacité de parler publiquement et d’autres, représentant une organisation, ne se sentent pas libres de s’exprimer individuellement). Ces échanges informels créent des liens durables et influencent les décisions prises dans les lieux formels. Ces lieux informels sont des lieux publics parfois organisés pour créer des rencontres (centres communautaires, restaurants, etc.) parfois ponctuels improvisés (stationnement, etc.).

4.4 LES ACTIONS À COURT, MOYEN ET LONG TERME En tant qu’espaces rassembleurs et « liants », les structures permettent la réflexion, la planification et l’action. Elles impliquent ainsi un passage à l’acte; sans ce passage à l’acte elles ne seraient que des espaces sociaux de joyeux penseurs. La notion « d’être en projet », même si elle se démarque de la notion de « faire des projets », n’en est pas moins liée à des actions concrètes réalisées. Ce sont les actions menées (projets réalisés) qui devraient permettre l’atteinte du territoire souhaité. Ces projets concrets ne peuvent donc pas être improvisés comme le soulignent le compte-rendu du CAP de l’OEDC (2012) :

L’aspect concret, terre à terre. Projet concret émergent ou projet concret répondant à un besoin collectif, l’un ou l’autre […] On souligne qu’on ne peut avoir de développement qui dure dans le temps et les épreuves si on ne prend pas soin des détails, des détails d’organisation, de structure pour faire vivre réellement les projets. (p. 3)

L’action dans un processus de développement rural peut se définir comme étant la manifestation visible d’une volonté exprimée par la réalisation de projets (organisation de l’action) dans le but d’atteindre des cibles qui favorisent l’amélioration de la qualité de

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C’est à partir des processus que les territoires se bâtissent, que les acteurs améliorent leur capacité à entreprendre et à créer un dynamisme territorial propice au développement autant social qu’économique.

Dans le contexte de l’hypothèse privilégiant l’utilisation des onze critères de l’OCDE comme cadre de la qualité de vie et finalité du développement, ne peut-on pas affirmer que plus un projet, issu de l’espace des possibles, a des répercussions sur l’ensemble de ces onze critères, plus il est structurant?

vie des populations (raison de l’action). En ce sens, elle doit nécessairement avoir un caractère novateur pour le territoire vécu.

4.4.1 L’importance de l’action collective En développement, quel est l’avantage de porter des actions collectivement plutôt qu’individuellement? Le fondement même du développement est la collectivité et non l’individualité. Les actions visent la vitalité des territoires au profit de leurs populations. Quand un collectif porte l’action de développement, même si un des acteurs ne peut plus poursuivre l’action, cette dernière continue à être portée par les autres acteurs qui sont motivés à poursuivre, car convaincus que l’action est pertinente pour le collectif (appropriation). A contrario, si l’action de développement est portée par un seul acteur, le développement cesse le jour où il ne peut plus la poursuivre. Ainsi, les actions portées collectivement ont plus de chance de connaître succès et longévité, car elles sont appropriées. L’appropriation ordonne aux acteurs de persévérer dans l’action et de protéger la réalisation. Les réalisations ne sont que le résultat concret d’actions. Si les réalisations peuvent améliorer les conditions de vie des populations (par exemple, la mise en place d’un transport collectif), les processus derrière chaque réalisation sont centraux pour la pérennité du dynamisme territorial. C’est pour cette raison que les actions collectives sont importantes.

Les réalisations peuvent correspondre aux besoins actuels, mais être périmées dans quelques années. Par contre, tout l’apprentissage acquis par les acteurs qui auront pris part aux réalisations est une richesse définitive et durable pour les territoires. L’implication de plusieurs acteurs dans les différentes actions créera un

sentiment d’accomplissement et de fierté qui leur donnera envie de recommencer et de faire des projets variés, de plus en plus structurants et aux effets multiplicateurs. Cette implication crée l’ambition propice au développement. Par exemple, dans les petites municipalités dévitalisées, on voit souvent la communauté se préoccuper d’abord de son confort immédiat : infrastructures de loisirs, esthétisme, fierté du territoire, etc. Une fois ce confort acquis, l’autre étape est de s’occuper du développement entrepreneurial dans le but de créer des emplois locaux et, dans la foulée, d’envisager un agrandissement du périmètre urbain afin d’accueillir de nouveaux résidents.

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Il devient donc nécessaire pour chaque territoire de gérer un portefeuille d’actions adaptées à ces différents termes sans perdre de vue le territoire souhaité.

4.4.2 Le terme de l’action

Nous avons vu que les projets ponctuels (non planifiés) et à court terme ne faisaient que répondre à des programmes de financement ou à des situations de crise et qu’ils offraient peu de chances de produire des retombées socioéconomiques intéressantes issues d’actions à long terme ayant mis en mouvement les acteurs de façon solidaire dans une même direction (visée commune). A contrario, nous avons vu que les actions planifiées à court terme avaient des avantages, notamment le maintien de la mobilisation des acteurs et une réponse aux impératifs de reddition de compte des programmes de financement. Les actions à court terme (annuelles) deviennent ainsi les premiers pas dans une finalité globale à long terme. Elles permettent d’avoir des résultats visibles rapidement, ce qui est idéal pour des communautés qui débutent la prise en charge de leur développement. En effet, les succès rapides entraînent la fierté des acteurs impliqués, qui accumulent la confiance et la motivation nécessaires à la poursuite de l’aventure. Les actions à court terme renforcent le collectif et les solidarités, en plus de servir concrètement et rapidement la communauté. Ces réalisations rapidement visibles peuvent inciter des acteurs potentiels à se joindre aux structures pour s’inscrire eux aussi dans ce mouvement. Les actions à court terme ont ainsi une fonction de mobilisation des acteurs, mais aussi de maintien de cette mobilisation dans le temps afin d’obtenir des retombées socioéconomiques durables. La plupart des territoires locaux qui ont bien réussi ont commencé par réaliser des petits projets collectifs dans lequel chaque acteur a pu contribuer. Ces projets sont souvent peu coûteux et multifonctionnels (agissant sur plusieurs enjeux), et surtout, ils rallient toute la communauté. Les actions à moyen terme (de deux à cinq ans) servent de relais entre les actions à court terme (créatrices de motivation pour les acteurs) et l’atteinte d’une visée commune à long terme. Ces actions permettent de « rapprocher le long terme ». Bien construites et réalisées, elles devraient offrir les premières retombées socioéconomiques gage de motivation supplémentaire pour les acteurs. Les acteurs se rassurent autant individuellement que collectivement sur leur capacité à coconstruire des réalisations de plus grande envergure. Ces actions doivent être entreprises en même temps que les actions à court terme, en sachant toutefois que leurs résultats ne seront visibles qu’à moyen terme. Étant donné que des actions à court terme sont réalisées pendant que les actions à moyen terme sont entreprises, les pratiques nous montrent que les acteurs sont surpris de les voir se réaliser plus vite que prévu. Il semblerait que le temps avance plus vite quand on est occupé quotidiennement. Les actions à long terme (entre six et dix ans) ont le plus grand potentiel de retombées socioéconomiques, à condition qu’elles aient été bien appuyées par une série d’actions à court et moyen terme convergentes. Leurs effets positifs sur la qualité de vie des

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Le processus de transformation étant continu, les acteurs doivent vérifier régulièrement leur « portefeuille d’actions » afin de remplacer les actions réalisées et d’adapter à de nouveaux contextes celles prévues à moyen et long terme. Cette gestion du « portefeuille d’actions » permet de maintenir le rythme du développement et de se donner le plus de chances possibles d’atteindre le territoire souhaité.

populations sont ainsi très dépendants de la cohérence des actions préalablement réalisées.

Le « portefeuille d’actions » doit prendre en considération le phénomène de l’apprentissage de l’action collective. Dans leurs débuts, les acteurs sont hésitants et apprennent à travailler ensemble. Si chacun se respecte, ils vont probablement débuter par des actions qu’ils se sentent capables de réaliser ensemble; le « small is beautiful » devient la philosophie de groupe. Avec le temps, et les expériences de réalisation, les défis d’hier vont n’être que des souvenirs, et les acteurs vont se sentir capables d’affronter des défis supérieurs, qui vont se traduire dans des actions plus ambitieuses à moyen ou long terme. Par exemple, un territoire local pourrait avoir un portefeuille de trois actions : • un parc de jeux pour enfants (court terme); • la mise en place d’un transport collectif (moyen terme); • la conceptualisation et la réalisation d’un développement domiciliaire intégré aux

paysages et répondant aux besoins de jeunes familles (long terme). La zone de confort des acteurs est importante pour la durabilité des actions de développement. On sait très bien que tous les acteurs n’ont pas la même zone de confort dans l’action. La question se pose à savoir s’il faut diviser l’action en groupes de travail selon les termes des actions. Une structure de territoire pourrait envisager de créer trois groupes de travail : un groupe d’acteurs pour des actions à court terme, un groupe d’acteurs pour des actions à moyen terme et un groupe d’acteurs pour des actions à long terme. En théorie, cette division est intéressante, car elle ne divise pas l’action en secteurs, mais en délais de réalisation. Ainsi, une quinzaine d’acteurs, cinq par groupe, pourraient travailler à la réalisation de projets qui s’échelonneraient dans le temps sur une quinzaine d’années. Dans la réalité, ça dépend de combien de ressources humaines et financières le territoire dispose, d’où l’importance de mobiliser plusieurs ressources, autant humaines que financières et autant internes qu’externes, ce qui soulève la question du soutien et de l’accompagnement disponibles.

4.5 LE SOUTIEN ET L’ACCOMPAGNEMENT Ce dernier élément clé permet aux acteurs de maintenir le rythme de l’intervention en les renforçant face aux nombreux obstacles qui se dressent devant eux. Le soutien et

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Les acteurs ont ainsi tout intérêt à se soutenir mutuellement en fonction de leurs ressources. Une bonne gestion des complémentarités permet sans contredit d’accélérer l’atteinte des cibles communes.

l’accompagnement sont des aides techniques, financières et humaines qui doivent permettre un apprentissage collectif créateur de fierté, de plaisir et de persévérance.

4.5.1 Un rôle partagé Ce principe a déjà été abordé dans le chapitre sur les leaders engagés et visionnaires. Par déduction, puisque tous les acteurs peuvent se partager le rôle de leader, tous les acteurs peuvent se partager le rôle de soutien et d’accompagnement. Il s’agit d’un rôle renforcé par un principe de droit qui veut que toute personne doive porter assistance à une autre et par une valeur rurale ancestrale qui est la solidarité.

4.5.2 Des formes Le soutien peut prendre deux formes : le conseil technique et le soutien financier ou matériel. Il est souvent fourni en dehors du terrain, contrairement à l’accompagnement, qui revêt plutôt la forme d’une intervention terrain technique (ressources humaines ou matérielles) et morale (encouragement). Par ces formes, on voit d’une part que pour jouer un rôle de soutien ou d’accompagnement chaque acteur doit disposer de ressources humaines, financières ou matérielles mises au service des autres acteurs. D’autre part, on voit que ces formes ne confinent pas ce rôle à un acteur plus qu’à un autre; par contre, certains acteurs seront sans doute mieux outillés selon les besoins en soutien et en accompagnement.

4.5.3 À chacun selon ses ressources Les organisations et les professionnels du développement supra locaux et régionaux ont des connaissances spécifiques dans certains secteurs (l’entrepreneuriat, la santé, l’éducation, les loisirs, etc.), ils interviennent à temps plein et gèrent, ou sont en contact, avec plusieurs ressources. Ces acteurs sont une source variée de soutien et d’accompagnement pour les acteurs locaux. De leur côté, les acteurs locaux, élus et citoyens, ne sont pas rémunérés et ne peuvent souvent s’impliquer qu’à temps partiel. Ils ont par contre des connaissances spécifiques sur leur territoire et dans des secteurs variés

souvent complémentaires aux connaissances des professionnels du développement. De plus, ils ont aussi accès à plusieurs ressources.

4.5.4 Un esprit de collaboration Le soutien et l’accompagnement ne peuvent se faire que dans un esprit de collaboration. Nous avons vu que la position de consommateur/fournisseur et les intérêts individuels ou sectoriels sont des freins au développement en provoquant attentisme et critique plutôt que collaboration. Dans un processus de collaboration, les acteurs apportent et partagent leurs ressources afin qu’ensemble ils puissent mener les actions les plus pertinentes sans perte de temps.

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Sans cette confiance mutuelle entre les acteurs, chacun reste sur ses gardes et personne ne veut vraiment avancer, ce qui freine considérablement le développement. Cette confiance doit se créer, s’apprivoiser, se mettre en place au sein des territoires afin de faire émerger un sentiment de solidarité capable de transcender bien des défis.

Cette collaboration entre acteurs est favorisée par l’existence de structures et de plans de développement. Il est en effet plus facile de proposer soutien et accompagnement dans le cadre d’actions clairement définies dans un plan et auprès de personnes clairement identifiées au sein d’une structure. Par exemple, quand le programme Inode (accueil de nouveaux arrivants) est arrivé en Estrie, le fait d’avoir pris le temps de lire les quatorze plans des quatorze territoires locaux de la MRC du Haut-Saint-François a permis de constater que seulement sept territoires avaient priorisé des actions dans ce sens. Après une première proposition, seulement quatre territoires étaient prêts à suivre une telle démarche. Finalement, il n’a pas été difficile de trouver les trois territoires pilotes et ainsi planifier le soutien et l’accompagnement pour les trois années suivantes. Un autre exemple intéressant de collaboration met en scène un professionnel du développement ayant un mandat sectoriel d’entrepreneuriat en soutien et accompagnement à un territoire local n’ayant pas de dynamique sociale. Nous savons qu’il ne peut pas y avoir de développement entrepreneurial sans vie sociale et culturelle. Dans un esprit de collaboration, ce professionnel commence son intervention par des actions favorisant une dynamique sociale impliquant élus et citoyens, en collaboration avec un professionnel dont c’est le mandat principal. À deux professionnels, la dynamique sociale sera sans doute plus rapide à être générée, ce qui permettra un développement entrepreneurial plus rapide.

4.5.5 La nécessaire confiance Le développement de la collaboration entre les acteurs se crée par la confiance que chacun accorde à l’autre. Cette confiance se bâtit par intégrité des acteurs, transparence et réelle volonté de soutenir et non d’imposer une vision d’expert. Une telle vision place automatiquement l’accompagné en position d’infériorité et de consommateur plutôt que de collaborateur.

À titre d’exemple, un groupe de jeunes adolescents demande aux élus municipaux d’améliorer un terrain de sport laissé à l’abandon. Et les élus leur répondent : « Ben les jeunes, justement, que feriez-vous avec ce terrain? Si on est capable, on vous suit! ». L’ouverture et la confiance données à ces jeunes citoyens a déclenché toute une dynamique autour de ce terrain de sport abandonné. Les jeunes se sont mis en mouvement grâce à cette

responsabilité nouvellement acquise. Ils ont réfléchi, évalué leurs besoins et rencontré plusieurs fois les élus et la direction générale de la municipalité afin d’estimer les possibilités techniques ainsi que les coûts. Finalement, le terrain de sport a repris vie et des activités ont pu être réalisées grâce au leadership partagé des élus et des jeunes, ainsi qu’à une saine collaboration jeunes citoyens, élus et professionnels du développement.

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Plusieurs années plus tard, ces jeunes se sont tous impliqués dans leur communauté, que ce soit à titre de citoyens bénévoles ou d’élus.

4.5.6 Le partage des connaissances Bernard Vachon, spécialiste en développement local et régional et professeur à la retraite du Département de géographie de l’UQAM, mentionnait lors d’une intervention le 27 mars 2013 en tant que participant au groupe de travail sur le renouvellement de la Politique nationale de la ruralité 2007-2014 que l’accès aux connaissances était un facteur essentiel du développement, notamment parce qu’il permettait de réduire les résistances au changement. Le partage des connaissances doit définitivement être considéré comme une forme de soutien et d’accompagnement. Chaque acteur devrait travailler à augmenter la capacité des autres acteurs à agir sur le développement afin que le collectif devienne de plus en plus fort. Il est clair que faire du développement exige de nombreuses expertises et capacités habituellement impossibles à réunir chez une même personne (capacités de gestion et d’animation, spécialisations techniques, etc.). Les domaines d’intervention sont variés et exigent des connaissances, des aptitudes et des attitudes adaptées. Moins les acteurs comprennent comment agir, moins ils peuvent développer leurs capacités et leurs expertises.

Cette augmentation des capacités individuelles et collectives va nécessairement permettre des gains de temps et d’argent qui permettront d’accélérer le développement. On peut illustrer ce phénomène par la courbe d’apprentissage connue des milieux industriels. Plus les ouvriers comprennent et apprennent leurs gestes, plus ils les réalisent vite et bien, ce qui accroît la productivité. Comme nous l’avons vu dans le chapitre sur les structures d’implications démocratiques et inclusives, ces partages de connaissances se réalisent dans des espaces qui les favorisent. Il devient ainsi important de créer des espaces proposant des outils pédagogiques de sensibilisation à l’intervention rurale adaptés aux différents acteurs ruraux autant dans les contenus que dans les formes. Pour les contenus, le partage des connaissances doit notamment porter sur les processus de réalisation plutôt que sur les projets et autant sur les processus qui ont mené aux succès que ceux qui ont mené aux échecs. En développement, il n’existe pas ou peu de recettes transférables, puisque les territoires et les acteurs sont différents les uns des autres. Par contre, les processus mettent de l’avant des « fondamentaux »5 applicables par les acteurs. Le concept des cinq éléments clef du développement est un processus transférable.

5 Note de l’auteur : Le mot « fondamentaux » n’est pas employé comme un adjectif, mais il réfère au nom utilisé dans les milieux sportifs afin de désigner les bases incontournables dans la pratique d’un sport.

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Bien comprendre comment agir permet de mettre en place une gestion collective des ressources disponibles afin de les solliciter et de les mobiliser selon les besoins et les cibles communes d’intervention.

4.5.7 Un soutien et un accompagnement adaptés Le développement est un processus basé sur des liens entre acteurs qui coconstruisent un territoire souhaité. Ces liens se renforcent avec le temps. Entre les premiers contacts et le « travailler ensemble », le « faire communauté » ou le «être en projet», il y a des étapes qui se franchissent. Tout le défi est de bien comprendre où en sont rendus les acteurs dans leur coconstruction afin d’apporter un soutien et un accompagnement adaptés. Voici un exemple de gradation et d’intervention adaptée : Gradation

• Un acteur isolé qui souhaite faire bouger les choses sur son territoire; • Un groupe d’acteurs isolé, avec un ou plusieurs leaders, qui ont réfléchi à une

stratégie de développement de leur territoire; • Plusieurs structures sectorielles non reliées qui posent des gestes de

développement en fonction de leurs mandats; • Une structure sectorielle qui envisage le développement de son territoire à travers

un des onze critères de la qualité de vie; • Une structure non sectorielle reliée à d’autres structures sectorielles, ou non, qui

planifie des actions de développement permettant d’atteindre des cibles communes à l’intérieur de plusieurs critères de la qualité de vie;

• etc. Intervention adaptée Lorsqu’un territoire local est organisé autour d’une structure composée d’un conseil municipal et de plusieurs comités de développement (structures spontanées sectorielles), il concentre les acteurs sur des cibles spécifiques (secteurs) permettant plus facilement la réalisation d’actions à court terme. Cette situation favorise une prise en charge rapide du développement en repoussant les freins de la résistance au changement. Cependant, nous avons vu que cette situation peut créer un autre frein : celui des intérêts sectoriels qui conduit à isoler les comités qui vont agir chacun de leur côté, réduisant ainsi l’énergie collective. Un accompagnement doit se faire afin de maintenir la cohérence d’action et la convergence des acteurs, évitant ainsi un ralentissement du développement.

CONCLUSION Nous avons vu que les principales dimensions de la ruralité, autant ses territoires que ses acteurs, étaient inter reliées. Ces interrelations sont à la base de la complexité du processus de développement rural. Au-delà de cette complexité systémique, il faut ajouter la complexité de l’être humain, qui jongle maladroitement avec ses paradoxes issus d’un déséquilibre entre sa raison et ses émotions, comme l’explique très bien l’économiste David Cohen dans son livre L’homo economicus, prophète (égaré) des temps nouveaux :

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Plutôt que de fragmenter l’intervention en secteurs qui ne se connectent pas, alors qu’ils sont en lien, une intervention différente doit être guidée par des « fondamentaux » admis par tous les acteurs, leur instinct faisant le reste en fonction des situations et de leur expérience.

«[…] l’homme est déchiré entre le "ça", qui cherche des gratifications immédiates, et le "surmoi", qui pousse à des satisfactions différées le hissant au-dessus de lui-même. […] Deux parts bien distinctes de notre être se disputent notre attention. » (Cohen, 2012 : p. 21) Nous avons vu que cette complexité systémique et humaine avait donné naissance à une intervention fragmentée sources de freins réduisant la vitesse du développement. Nous avons vu notamment que l’absence d’une culture commune du développement avait mis l’accent sur la réalisation de projets (« faire des projets ») qui correspond à un souci administratif de reddition de compte et au mouvement d’accélération du temps tel que mentionné par François Roche dans son article Hartmut Rosa, l’accélération du temps et la fin du monde (2013). Nous avons souligné l’importance d’intervenir de façon à favoriser la capacité des acteurs à travailler ensemble, à « être en projet » et à « faire communauté » en acceptant que les résultats atteints soient communs et donc imputables à tous.

Nous avons abordé ces « fondamentaux » qui sont :

- le passage d’un territoire vécu à un territoire souhaité par l’ensemble des acteurs sur la base des onze critères proposés par l’OCDE, inscrivant ainsi le développement au service du mieux-vivre des populations (visée commune);

- la création d’un espace des possibles permettant ce passage autour de cinq principes fondamentaux : une cohérence de l’intervention, des leaders engagés et visionnaires, des structures d’implications démocratiques et inclusives, des actions à court, moyen et long terme, ainsi qu’un soutien et un accompagnement partagés et adaptés. Cet espace en est un de connexion permanente entre tous les acteurs;

- un partage, et non une répartition, des rôles et des responsabilités entre les acteurs; - une appropriation des visées, des cibles et des actions par l’ensemble des acteurs.

Une intervention différente passe par la définition d’un langage commun notamment autour des planifications. Les onze critères du bien-être développés par l’OCDE offrent une voie royale aux acteurs ruraux dans cette culture commune du développement en créant une visée commune (qualité de vie ou mieux-vivre) ainsi que des cibles spécifiques à atteindre (onze critères). De plus, l’atteinte d’une telle visée commune permet aux territoires ruraux québécois de comparer leur qualité de vie aux pays de l’OCDE et ainsi de se classer internationalement. Une bonne performance permettrait

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probablement d’atteindre l’objectif du gouvernement québécois d’occuper le territoire en rendant attractive sa ruralité. Une intervention différente doit aussi permettre d’atteindre plus rapidement les cibles communes par réduction des nombreux freins rencontrés lorsque chaque acteur intervient de façon isolée et lorsqu’on fragmente le processus de développement en secteurs. Enfin, cette intervention différente m’apparaît un espoir de « parvenir à une gestion maîtrisée » de l’accélération du temps permettant de « retrouver une capacité à équilibrer les forces du mouvement et le désir de ralentissement ». (Roche, 2013).

Plus que tout, une culture commune du développement doit être bâtie autour de certaines bases favorisées par l’espace des possibles : • La confiance en l’avenir. C’est la certitude que le collectif, tel qu’il est organisé, est

capable d’atteindre les objectifs. • La connaissance et la reconnaissance des acteurs entre eux ainsi que la confiance

qu’ils s’attribuent. Chacun doit avoir la certitude que chacun fait ce qu’il peut en fonction de ses connaissances.

• Le respect entre les acteurs. C’est la certitude que si chacun s’exprime, c’est pour

chercher des compromis acceptables par tous à partir desquels chacun pourra jouer pleinement son rôle.

• Une culture de partage des connaissances afin de permettre à chaque acteur

d’augmenter ses savoirs, son savoir-faire et son savoir-être et ainsi de contribuer de plus en plus efficacement à l’atteinte des objectifs.

• Viser des objectifs fixés collectivement (cibles communes). Le but du développement

des communautés est le mieux-vivre collectif (visée commune), l’amélioration de la qualité de vie des individus appartenant à la communauté et non la réalisation d’ambitions personnelles, individuelles ou sectorielles. En développement des communautés, les individus sont au service de la communauté et les secteurs sont des moyens d’atteindre les objectifs collectifs de bien-être.

• Le plaisir de travailler ensemble doit exister. Si chaque acteur craint les autres acteurs

(reproches, manque de crédibilité, conflits, etc.), il n’y aura pas de plaisir. Si chaque

À bien y regarder, « vivre en ruralité », c’est avant tout vivre en communauté et créer des liens de solidarité entre les individus pour bâtir un avenir meilleur. L’être humain n’est-il pas avant tout un être collectif fondamentalement animé par l’entraide et la solidarité? Les milieux ruraux, plus que tout autre milieu, doivent former des communautés solidaires et c’est dans leur processus de développement que cette valeur doit prendre tout son sens.

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acteur veut diriger les autres et ne souhaite pas « faire équipe », il y a peu de chance que cette situation engendre du plaisir. J’aime bien le vieux dicton : « Travailler ensemble sérieusement sans se prendre au sérieux ».

• Chaque acteur doit voir son utilité dans le processus de développement. L’utilité des

actions de chaque acteur à l’intérieur du groupe est la forme la plus haute de reconnaissance créatrice de motivation et de mobilisation.

• Chaque acteur doit comprendre que le développement est avant tout une affaire de lien entre les gens vivant et travaillant sur un même territoire. Les notions de sociologie et de psychologie autant organisationnelle qu’humaine sont essentielles à l’efficacité de toute intervention.

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SCHÉMA D’INTERVENTION

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5 ANNEXE 1

5.1 LE SCHÉMA DES CINQ ÉLÉMENTS CLÉS DU DÉVELOPPEMENT (ROBITAILLE, 2012)

LES ÉLÉMENTS CLÉS DU DÉVELOPPEMENT (schéma de Martin Robitaille présenté le 4 décembre 2012 à La Patrie)

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LISTE DES CAHIERS DE RECHERCHE

Centre affilié universitaire (CAU) CSSS-IUGS

95, rue Camirand, suite 210 Sherbrooke (Québec) J1H 4J6

Téléphone : 819 780-2220, poste 48123 Télécopieur : 818 565-9349

www.csss-iugs.ca/recherchecau

Ces cahiers peuvent être téléchargés gratuitement :

Date Titre de cahier Auteurs

13-06 Une intervention différente afin d’accélérer

le développement rural Jerry Espada

12-01

Innovations sociales territoriales (IST) dans les six MRC rurales de l’Estrie. Le projet d’économie sociale comme levier de développement des capacités des

communautés dévitalisées

Annie Marchand Jacques Caillouette Jeannette LeBlanc

Paul Morin

12-01 L’Intervention de quartier au CSSS-IUGS, une

recherche évaluative

Paul Morin Maryse Benoît Nicole Dallaire Chantal Doré

Jeannette LeBlanc En collaboration avec :

Jérôme Bossé Kheira Belhadj-ziane

11-04

Innovations sociales territoriales (IST) dans les six MRC rurales de L’Estrie.

Phase 1 : Temporalité des politiques et modes locaux d’approbation

Jacques Caillouette Jeannette LeBlanc

Paul Morin En collaboration avec :

Marie Champagne

10-03 Les défis et les enjeux de gestion de l’OMHM pour favoriser le développement social de sa clientèle

Jeannette LeBlanc Paul Morin

10-02 Valeurs organisationnelles perçues vs valeurs désirées de gouvernance : le cas de l’Office

municipal d’habitation de Montréal Michel Dion

10-11 L’habitation à loyer modique de type publique : vers

une gestion écoresponsable Paul Morin

Jeannette LeBlanc

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