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CERTEAU, Michel de. 1972. Une Épistémologie de Transition. Paul Veyne

Date post: 14-Nov-2015
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Certeau sobre Veyne.
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EHESS Une épistémologie de transition: Paul Veyne Author(s): Michel de Certeau Source: Annales. Histoire, Sciences Sociales, 27e Année, No. 6 (Nov. - Dec., 1972), pp. 1317-1327 Published by: EHESS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/27578189 . Accessed: 03/10/2014 10:23 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Annales. Histoire, Sciences Sociales. http://www.jstor.org This content downloaded from 74.81.66.114 on Fri, 3 Oct 2014 10:23:56 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions
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  • EHESS

    Une pistmologie de transition: Paul VeyneAuthor(s): Michel de CerteauSource: Annales. Histoire, Sciences Sociales, 27e Anne, No. 6 (Nov. - Dec., 1972), pp. 1317-1327Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/27578189 .Accessed: 03/10/2014 10:23

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  • D?BATS ET COMBATS

    Une ?pist?mologie de transition : Paul Veyne

    Raymond Aron ne s'y est pas tromp? : le David aixois se bat contre ? les

    querelles de sectes, de modes parisiennes ?1. Paul Veyne a lev? le drapeau de la Provence 2. Son ?pist?mologie est d'abord un Cheval de Troie d'o? sortent 35? pages de pamphlet qui pourraient s'intituler : ? D?coloniser l'histoire ? 3. Cette irruption proven?ale en suit d'autres, ?galement venues d'Aix-en Provence : les analyses ironiques de Mounin sur le style de Lacan, sur les tours de la s?miologie parisienne et sur les ? pr?t-?-porter ?, bient?t ? pr?t-? jeter ?, des modes successives que la province consid?re de ses hauteurs 4 ; l'amusante satire de Barthes par Molino 5, etc. Les m?mes amis ou presque ?

    Granger, Molino, etc. ? se retrouvent derri?re le livre de Veyne

    6 pour

    faire leur f?te aux orthodoxies patronales de la capitale. Certes, le jeu de massacre sent le pastis. Une atmosph?re jubilatoire r?gne

    dans la conversation qui associe la profusion des id?es et des lectures ? la

    promptitude exacte des critiques. Et si vous n'avez pas le temps de lire tout, pr?f?rez les notes : on s'amuse beaucoup dans les caves de Veyne.

    Mais ce manifeste parle d'une province qui se veut diff?rente. Un vent de libert? arrive du Sud, qui a ? ?mu ? bien des chercheurs pris dans les orthodoxies

    i. R. Aron, ? Comment l'historien ?crit l'?pist?mologie ?, Annales E.S.C., 1971, n? 6, p. 1320.

    2. Paul Veyne, Comment on ?crit l'histoire. Essai d'?pist?mologie, Paris, Seuil, 1971, 35op.

    3. C'est le titre-programme de l'article d'Andr? Larzac en faveur d'une histoire autonome, ? D?coloniser l'histoire occitane ?, Les Temps modernes, novembre 1971, pp. 675-695.

    4. Georges Mounin, surtout : ? Quelques traits du style de Jacques Lacan ? et ? La s?miologie de Roland Barthes ?, articles repris dans Introduction ? la s?miologie, Paris,

    ?d. de Minuit, 1970, pp. 181-197. 5. J. Molino, ? La m?thode critique de Roland Barthes ?, La Linguistique, 1969, n? 2. 6. Veyne, p. 10, note 1. Le nom de l'auteur, suivi de l'indication de la page, renvoie

    ? Comment on ?crit l'histoire.

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  • D?BATS ET COMBATS

    impos?es des ann?es durant (dix ans, quinze ans de th?se) par la centralisation universitaire 7. Il y a l? aussi un signe suppl?mentaire de l'?volution qui s'op?re en des provinces vou?es longtemps ? ?tre conformes, et qui d?passe ?videmment les institutions universitaires. Tandis que la capitale s'enfonce et se fragmente comme noy?e dans sa propre masse, les marches de son empire intellectuel s'?mancipent. Messieurs, on tire d?j? sur Paris. Faut-il en avertir les princes, en leur affirmant que ce n'est pas une r?volution ?

    Une rh?torique de l'?rudition ?

    Puisque la capitale est ? structuraliste ?, Veyne sera antistructuraliste.

    Puisqu'elle pratique l'histoire quantitative ou que l'analyse formelle y prosp?re, il sera ? contre ? 8. Mais c'est une guerre de maquis. Il n'ordonne pas son ? ?pist?mologie ? en un corps constitu?. Il suit ses adversaires successifs sur leur terrain. Il bat la campagne, semble-t-il. On croirait m?me qu'il batifole.

    Mais, ? chaque page, un auteur tombe dans ses caves : en un tour de main, il est ? rectifi? ?, atteint ? l'endroit pr?cis de sa fragilit?. Les notes de Veyne sont bourr?es de morts glorieux, couch?s l? apr?s le combat. On y enterre

    beaucoup, et avec brio. L'?rudition est aussi inlassable que le go?t de la d?mystification. Ce

    chasseur d'orthodoxies est imbattable. Il fait briller les r?f?rences et les cita tions. Il jongle avec les bibliographies. Il a tout lu, ou presque, et il n'en cache

    rien. Sa culture livresque est ?blouissante. Il circule, alerte, dans toutes les sortes de litt?ratures scientifiques. Il cite la bonne page. Il ?pingle l'aveu cach? au d?tour d'une analyse. Il extrait de cette masse la th?orie pertinente, ou bien la phrase o? un auteur se trahit. Il sait de surcro?t d?couper au cristal, sur la vitre d'un style transparent, la silhouette d'une pens?e, sa rigueur ou ses d?fauts.

    Malgr? tout, cette ubiquit? m?me ?veille le soup?on. Dans le champ textuel o? il circule, ses positions diff?rentes s'imbriquent, ses lectures s'empilent.

    Mais lui-m?me, o? est-il ? Il semble n'?tre jamais l?. Sa mobilit? a la figure d'un non-lieu. Elle cache le lieu d'o? l'auteur parle et dont s'autorise son discours. Elle n'avoue pas la pratique sur laquelle ce discours s'articule, qui est au fond une pratique litt?raire. Le jeu brillant qui r?gle la combinaison de tant d'auteurs se d?roule sur la surface plane et ind?finie du texte sur

    lequel il r?duit, transforme et organise les ? pr?-textes ? que forment pour lui toutes ses lectures. Sous ce biais, cette uvre mobile se rattache ? une forme typique de la litt?rature universitaire. Elle appartient ? une rh?torique de l'?rudition.

    7- Cf. par exemple Terry N. et Priscilla P. Clark, ? Le Patron et son cercle : clef de l'Universit? fran?aise ?, Revue fran?aise de sociologie, 12, 1971, pp. 19-39.

    8. R. Aron ?crit justement ? P. Veyne pense d'abord et avant tout contre ? {op. cit., P- 321).

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  • M. DE CERTEAU PAUL VEYNE ET L'HISTOIRE

    Mais elle a pour objectif et pour int?r?t de soutenir que l'historiographie ne peut ?tre qu'une rh?torique de la curiosit?. Ce livre se d?finit donc par la connexion et la tension entre une rh?torique de l'?rudition et celle du plaisir. Et s'il est charg?, parfois jusqu'? la saturation, par la r?p?tition (? certains ?gards sadienne) du plaisir ind?fini de savoir et de dire, c'est par la n?cessit?

    m?me de son propos explicite. Car les consid?rations concernant V ? objectivit? ? ou la ? subjectivit? ? de l'histoire sont en elles-m?mes annexes et superf?tatoires, je crois, sinon au titre de leur enr?lement dans une th?se plus fondamentale :

    pour Veyne, l'historiographie se trouve ramen?e, en fait de coh?rence, aux

    r?gles d'un genre litt?raire et, en fait de r?f?rent, au plaisir du chercheur. En somme, c'est le texte d'un d?sir.

    Les reliques d'une ?pist?mologie pass?e

    L? est la nouveaut? du livre. Mais avant d'en mesurer l'importance, il faut consid?rer un moment l'?chafaudage compos? avec les restes d'une ?pist?

    mologie o? je verrais volontiers un aspect de canular et de gal?jade ; et, par bonheur, il est possible de croire que l'auteur partage cette opinion.

    Un crit?re tout externe s'impose d'abord. Comment pourrait-il s'agir d'histoire dans un ouvrage d'o? les grandes uvres de l'historiographie fran

    ?aise sont effleur?es : ni Braudel, ni Labrousse, ni Le Roy Ladurie, ni Meuvret, ni Vernant, ni Vilar ne donnent lieu ? une analyse des m?thodes ou des pra tiques

    ? et je ne cite que les premiers noms qui me viennent. Il y en a bien d'autres, ? peine c?toy?s. Serait-ce que l'?limination vise les orthodoxies ?

    Mais Baehrel, Ari?s, etc., ne re?oivent pas un meilleur traitement. De quoi parle donc l'auteur s'il tient pour n?gligeables les historiens majeurs de ce temps; s'il n'articule pas une ?pist?mologie sur l'examen de leurs techniques et de leurs proc?dures effectives ; si, par une d?fiance excessive ? l'?gard des ? pi?ges ? de l'institution 9, il refuse de se situer par rapport aux institutions du savoir (universitaires et scientifiques) dont il fait pourtant partie et qui constituent le lieu d'o? il parle ? Quoi d'?tonnant, apr?s cela, qu'il ne reste de l'histoire qu'une litt?rature parlant d'objets pass?s ? De la logique investie dans les appareils et les op?rations qui produisent l'historiographie, rien n'a ?t? retenu.

    Par contre, les combats ou les ?loges de Veyne vont souvent ? des ? anciens ?

    d?j? cent fois ?tudi?s : Taine, Seignobos, Marc Bloch, Toynbee, Pirenne, etc. On le croirait parfois nonag?naire. Je disais qu'il y a beaucoup de cadavres dans les notes de cette ?pist?mologie. Mais ce sont de vieux morts. Fallait-il se donner tant de mal pour les retuer ou pour les exhumer un instant ?

    Un certain nombre des auteurs am?ricains dont Veyne fait briller un moment les lueurs exotiques ne sont pas plus frais. Ainsi, il loue, cite et d?core Arthur C. Danto, satur? d'une ? philosophie analytique ? qui depuis qua

    9- Cf. Veyne, p. 243.

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  • D?BATS ET COMBATS

    rante ans a vieilli sous le harnais des universit?s U.S.A.10 ; ou bien Ludwig von

    Mises, qui mart?le des v?rit?s de bon sens avec une philosophie lib?rale anti marxiste acharn?e ? faire des ? id?es ? la donn?e ultime de l'histoire, et de F ? individu ? le crit?re et objet dernier du jugement historiographique n. Par contre, peu de choses, ou rien, sur L. C. Brinton, P. Miller, R. R. Palmer, etc., pour ne pas parler des plus grands parmi les anciens, Beard, Parrington, etc., ou des plus r?cents, J. Demos, P. Greven, D. R. Kelley, S. Lind, R. Middle kauf?, S. Thernstrom, etc. Sur les historiologues, la documentation est tr?s riche ; mais sur les historiens, faible. Je garde l'impression d?sagr?able que Veyne se paie ma t?te et que parfois il nous jette de la poudre aux yeux ? une poudre d'or, il est vrai.

    Il en impose pourtant, par sa phrase qui coupe et qui tranche. Elle s'orga nise en chicanes qui cr?ent des voies oblig?es, sur le mode : ? ?a n'existe pas ?

    (? il n'y a pas... ?), ou sur le mode ? il n'y a que ?12 ? formes cl?turantes qui ne

    laissent qu'une issue. Le lecteur est impressionn? par ces guillotines. D?j? il se rebelle, ou il tend le cou. Peut-?tre est-ce l? r?action de Parisien, qui oublie comment le langage se cuisine ? la proven?ale, avec piments et sauces fortes.

    Mais les r?les s'inversent lorsque, sans rire, Paul Veyne exhume d'Aristote son ?pist?mologie sublunaire, ou bien lorsqu'il nous tient et r?p?te sur la science, ou sur les ? faits ?, des propositions devenues incroyables. ? La physique, ?crit-il, est un corps de lois et l'histoire est un corps de faits ?13. Il y a trois

    quarts de si?cle que les physiciens ne re?oivent plus la conception de la loi

    qui leur est ici pr?t?e, et qu'ils ne se r?f?rent plus ? au monde de la science

    qui ne conna?t que des lois ? 14.

    Quant aux ? faits ? dont Veyne d?clare ? se contenter ? comme historien, ils sont tout juste le produit de l'empirisme dont il se pr?vaut lorsque, d?s la

    i o. Analytical Philosophy of History, Cambridge University Press, 1965. 11. Theory and History. An Interpretation of Social and Economic Evolution, Yale

    University Press, 1957. Von Mises ne se contente pas de rappeler quelques v?rit?s pre mi?res ; il ouvre sur les rapports de l'histoire ? la prax?ologie des perspectives int?ressantes bien qu'un peu id?alistes (l'analyse des actions pass?es doit permettre de conna?tre les actions futures des autres ; Von Mises, op. cit., pp. 309 ss.).

    12. Exemples de formules en ? ?a n'existe pas ? : ? La m?thode historique... n'existe pas ? (p. 23) ; ? il n'existe pas de connaissance historique ou historienne ? (p. 89) ; ? il n'existe pas d'explication historique au sens scientifique du mot ? (p. 112) ; ? l'histoire n'a pas de grandes lignes ? (p. 130) ; ? les grands historiens n'ont pas d'id?es ? (p. 134) ; ? il n'existe point non plus de forces de production, il existe seulement des hommes qui

    produisent ? (p. 138) ; ? il n'existe pas de lois de l'histoire ? (p. 299) ; ? la sociologie est sans objet ? (p. 318) ; etc.

    Exemples de formules en ? il n'y a que ? : ? il n'existe que des histoires de ? (p. 38) ; ? il n'existe que du d?termin? ? (p. 102) ; ? l'histoire... ne pr?sente que des difficult?s de

    d?tail ? (p. 132) ; ? il n'existe que du corporel, choses ou gens, du concret, de l'individuel et du d?termin? ? (p. 138) ; ? Les concepts historiques appartiennent exclusivement au sens commun ? (p. 161) ; ? la soci?t? fran?aise de 1936 n'a de r?alit? que nominale ? (p. 320) ; etc.

    Il faudrait ajouter bien d'autres formules de cl?ture, celles, par exemple, qui ob?issent au type ? Voil? pourquoi ? (cf. p. 301).

    13. Veyne, p. 21. L'aphorisme pla?t ? Veyne, qui le reprend plusieurs fois dans son article ? Contestation de la sociologie ?, Dio g?ne, 1971, n? 75, pp. 5, 9, etc.

    14. Veyne, p. 114.

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  • M. DE CERTEAU PAUL VEYNE ET L'HISTOIRE

    premi?re page, il se d?signe comme ? an obsolete empiricist ?15. A ce titre, il

    pose ? l'int?rieur du r?el la fronti?re entre le connu et l'inconnu : la connaissance serait extraite des r?alit?s particuli?res. Aussi pour Veyne, Y ? histoire ? peut ?tre ? un r?cit d'?v?nements vrais ? : ? du moment qu'on raconte des choses

    vraies, elle est satisfaite ? ; elle les ?nonce ? dans leur naturel ?16 ; etc. De quel puits sort donc cette ? v?rit? ? ? Car le ? fait ? r?sulte d'un d?coupage op?r? en fonction de proc?dures d'analyse ; c'est une mani?re de poser ou d'?peler un sens conform?ment ? un syst?me d'interpr?tation. Mais comment Veyne se m?fierait-il de l'id?ologie qui commande sa conception du ? fait ? ou du ? concret ?, puisqu'il renvoie ad patres l'examen des concepts

    17 ? Aussi se donne-t-il tout de go la r?alit? et la v?rit? : ? Pour un historien comme pour tout homme, ce qui est proprement r?el, ce sont les individus ?18

    ? l'indivi dualit? ?tant par d?finition le r?el auquel l'histoire acc?de et ce qui rend

    possible l'?mergence des ?v?nements dans le discours 19. Plus explicitement encore, il recourt ? une ? ontologie de la substance individuelle ?20. Le rejet des probl?mes conceptuels le conduit ? une ontologie. Au niveau de la pratique, il se traduit par le privil?ge tout imm?diat accord? aux micro-unit?s (? faits ?, ? ?v?nements ?, ? individus ?, etc.) sur les macro-unit?s (? soci?t? ?, ?mentalit??, ? p?riode ?, etc.), alors que fondamentalement les unes et les autres renvoient ?galement au statut d'un d?coupage conceptuel.

    Toute cette ?pist?mologie semble s'organiser en fonction d'une s?rie de dichotomies : concret /abstrait, contingent/n?cessaire, ph?nom?ne/essence. Ces clivages reprennent sur des r?gimes diff?rents la coupure entre le v?cu et le formel, ou entre le fait et la loi. L'histoire se rangerait du c?t? du ? v?cu ? et des ? faits ?, pour cette raison qu'elle en parle. Les mots, dans ce secteur

    litt?raire, donneraient les choses. Le langage entretiendrait un rapport d'ad?

    quation (au moins partielle) avec son r?f?rent ; il en reproduirait les articu lations 21 ; il pourrait donc apprivoiser le r?el et devenir la transparence (bien que fragmentaire) de faits ? vrais ?.

    On ne s'?tonne pas que Veyne ram?ne sans cesse les questions actuelles de l'historiographie ? de ? vieux d?bats ?22. En dernier ressort, cette philo

    15. Veyne, p. 7. 16. Veyne, pp. 22-24. C'est moi qui souligne. 17. ? Le souhait fr?quemment exprim?, de voir l'histoire d?finir pr?cis?ment les

    concepts dont elle use, et l'affirmation que cette pr?cision est la condition premi?re de ses progr?s futurs, sont un bel exemple de fausse m?thodologie et de rigueur inutile ?

    (Veyne, p. 164). Veyne aurait au moins appris ? se m?fier des facilit?s qu'il se donne, s'il avait repris les analyses de Hegel sur le concept de concret ; mais il n'a que d?dain

    (cf. p. 139) pour ce philosophe, qui est pourtant le postulat d'un si?cle et demi de pens?e historiographique.

    18. Veyne, p. 138. 19. Cf. Veyne, p. 80 : ? Les ?v?nements eux-m?mes... persistent ? garder une indivi

    dualit? ?, etc. 20. Dans ? Contestation de la sociologie ?, op. cit., p. 13. 21. Sur cette porosit? de langage par rapport ? des ? substances ? qui ? existent ?,

    cf. par exemple Veyne, p. 138. 22. Dans son article ? Contestation de la sociologie ?, il ram?ne ainsi les probl?mes

    de la connaissance aux ? vieux d?bats ? discut?s dans Leibniz (op. cit., p. 22), saint Thomas d'Aquin (ibid., p. 13), ou Aristote (ibid., p. 12).

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  • D?BATS ET COMBATS

    sophie du langage nous reconduit au vieil Aristote. Veyne n'affirme-t-il pas qu'en ce qui concerne la science ? la r?ponse s'est pr?cis?e depuis les Seconds

    Analytiques, mais n'a essentiellement pas chang? ?23 ? Il semble que ce texte fameux, cent fois comment?, permet au contraire de mesurer ce qui a ? chang? ?

    depuis, ? savoir le rapport m?me du langage ? son r?f?rent. Aristote fonde la science sur ce qui nous est pr?cis?ment devenu impensable, la possibilit? d'un langage arrim? ? une ? intuition ? qui ? appr?hende les principes ?, qui donc ? est le principe de la science ? et fonde ainsi une co?ncidence originaire du savoir et de la v?rit? 24. A postuler aujourd'hui une situation ?pist?molo gique de ce type, Paul Veyne fait fi de ce qui caract?rise actuellement la construction du langage scientifique tout comme l'analyse scientifique du

    langage. Car, pour des raisons qui ne tiennent pas ? des choix id?ologiques personnels, mais aux conditions g?n?rales de la pratique du discours, l'hypo th?se d'un langage de la pr?sence est devenue nostalgique.

    Le discours de l'histoire

    A c?t? de cela, Veyne d?clare que l'histoire est ? nominaliste ?. Lecteur insolent, je me permets de faire un tri entre les positions qu'il prend succes sivement, et je crois celle-ci plus conforme ? son dessein. Je laisse donc de c?t? les disputes li?es ? une ?pist?mologie ancienne du rapport sujet-objet. Du

    moins faut-il leur reconna?tre le m?rite d'avoir fourni ? l'auteur l'?crin o? il

    pr?sente les merveilles ? invent?es ? par son inlassable curiosit? : tant de notations aigu?s sur les probl?mes historiques

    25 ou les auteurs 26 les plus divers ; tant d'observations dues ? ce regard d'une vigilante disponibilit? aux choses et aux gens. Il y a du Montaigne chez Veyne. C'est ce qui s?duit. Et non pas son ?pist?mologie trop distante des proc?dures historiographiques et des analyses du langage pour ?tre convaincante. Qu'est-ce donc, en effet, qu'une th?orie, sinon l'articulation d'une pratique ? Et qu'est-ce qu'une ?pist?mologie, sinon le discours qui ?lucide ce rapport ? L'int?r?t de Veyne ne se tourne pas de c?t?-l?.

    Mais ses go?ts et ses curiosit?s m?mes l'ont men? bien au-del? de l'appareil conceptuel qu'il doit ? la post?rit? am?ricaine ou germanique du criticisme allemand de la fin du xixe si?cle. Des questions singuli?rement neuves et

    importantes ?mergent avec l'exp?rience qu'il a, lui, de l'histoire. Elles tournent

    23. ? Contestation de la sociologie ?, op. cit., p. 5. 24. Aristote, Organon, IV, Seconds Analytiques, II, 19, trad. Tricot, Paris, Vrin,

    1947? PP- 241-247 25. Au hasard, parmi tant de richesses, je citerai les notes sur la maladie de la toux

    au xvie si?cle (pp. 36-37), sur l'?verg?tisme (pp. 52-54) auquel Veyne a consacr? un remarquable article (Annales E.S.C., 1969, pp. 785 ss.), sur le slogan imm?morial du ? vieillissement du monde ? (p. 141), sur le nationalisme hell?nique (p. 159)), sur le dessin

    florentin (p. 277), etc. 26. Par exemple sur Panofsky (p. 137, note 21), sur M. Weber (pp. 173-175), etc.

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  • M. DE CERTEAU PAUL VEYNE ET L'HISTOIRE

    autour de deux p?les : i) l'historiographie est un discours, un ? genre litt? raire ?, organis? en forme d' ? intrigue ? et compos? d'une s?rie d' ? ?pisodes ? ; 2) la pratique historiographique renvoie ? un d?sir de savoir, ? une ? curiosit? ?, chez l'historien. ? R?capitulons

    ? dit-il ? : l'histoire est une activit? intellec tuelle qui, ? travers des formes litt?raires consacr?es, sert ? des fins de simple curiosit? ?27.

    Si on le lit ainsi, et non plus dans la continuit? de la scolastique issue de ? vieux d?bats ? sur l'objectivit? ou la subjectivit? de la connaissance histo rique, le livre s'?claire. Paradoxalement, il rejoint ? sa mani?re propre, la r?flexion de R. Barthes ou de M. Foucault28 lorsqu'ils abordent l'histoire comme un discours et, dans la ligne o? M. Foucault travaille actuellement, comme une organisation textuelle articul?e sur un ? vouloir savoir ?

    ? sur le d?sir de savoir. Mais r?cusant (ou bien n?gligeant) l'?laboration th?orique et m?thodologique mise ? sa disposition par ces uvres, Paul Veyne parle, lui, ? son propre compte, de ? genre litt?raire ? et de ? curiosit? ?.

    Sous le premier aspect, il consid?re l'historiographie comme un ? r?cit ? et une ? mise en sc?ne ? 29. De cette ? intrigue ? 30, il privil?gie ? la nature litt?raire ? 31. L'? explication ? est d'ailleurs pour lui un ordre de l'expos? : ? Ce qu'on nomme explication n'est gu?re que la mani?re qu'a le r?cit de

    s'organiser en une intrigue compr?hensible ? 32. Et ? le d?roulement de l'in

    trigue ? selon une ordonnance d'? ?pisodes ? qui ont dans le r?cit la figure de ? causes ?33 ob?it ? des r?gles. Il s'agit de ? formes litt?raires consacr?es ? dont la structure est donc isolable.

    Cette perspective renvoie ? l'analyse d'un discours propre ? avec une

    discr?tion peut-?tre narquoise, ou peut-?tre avec un d?dain aristocratique pour le jargon technique, ou peut-?tre dans l'ignorance d?licieuse de ce qui se fait ? Paris (mais peut-on le supposer d'un lecteur tel que Veyne ?). Elle ouvre la porte ? une s?miotique. Elle permet d'envisager comment ce

    27. Veyne, p. 103. 28. Roland Barthes, ? Le discours de l'histoire ?, Social Science Information, VI, 4,

    1967, pp. 65-75 ; Id. ?L'Effet de r?el?, Communications, n? 11, 1968, pp. 84-90 ; Michel Foucault, Les mots et les choses, Paris, Gallimard, chap, vii-x ; Id., L'Arch?ologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969. Cf. aussi A. Greimas, Du sens. Essais s?miotiques, Paris, Seuil, 1970, le chapitre ? Histoire et Structure ?, pp. 103-116, ou les recherches de Julia

    Kristeva, S?miotik?. Recherches pour une s?manalyse, Paris, Seuil, 1969, surtout le

    chapitre ? La productivit? dite texte ?, pp. 208-245. Veyne renvoie lui-m?me ? Saussure (p. 142) et peut-?tre ? Foucault (p. 164, o? il r?cuse ? les continuit?s trompeuses, les

    g?n?alogies abusives ?). 29. Cf. en particulier Veyne, chap, vi, pp. 111 ss. L'histoire, dit-il, ? demeure fonda

    mentalement un r?cit ? (p. m). ? M?me une histoire ?conomique comme celle du Front populaire par Sauvy demeure une intrigue qui met en sc?ne des th?or?mes sur la pro duction ? (p. 112).

    30. Contrairement ? ce que pense R. Aron (? Comment l'historien ?crit l'?pist?molo gie ?, op. cit., p. 1320, note 3), je crois que le terme ?'intrigue repr?sente chez Veyne une elucidation de son propos par rapport ? celui d'itin?raire par lui pr?c?demment employ? (dans Annales, 1969, pp. 785 ss.).

    31. Veyne, p. 272. 32. Veyne, p. ni. 33. Veyne, p. 115.

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  • D?BATS ET COMBATS

    discours s'ordonne selon une rh?torique, comment y joue un code de vrai semblance, comment y interviennent des proc?dures d' ? expansion ? ou de ? condensation ? (A. J. Greimas) qui suspendent ou pr?cipitent le temps r?f?rentiel34, etc.

    Veyne ne parle pas de tout cela. Il pr?f?re les d?tours. Il d?fend son propos par une critique des concepts (les ? causes ?, les ? grandes lignes ?, les ? cadres ? d'une ?poque, etc.) et par une apologie du ? d?tail ? ou des ? faits ? en histoire. Il navigue entre deux eaux, comme s'il tenait des questions neuves, sans avoir le moyen de les traiter pour elles-m?mes. Il se contente donc de m?ta

    phoriser de vieilles positions, devenues les paraboles (mais aussi le camouflage) de son sujet, qui est le discours ou le ? genre litt?raire ? historique. Il baroquise une ?pist?mologie qui en fait lui est d?j? ?trang?re.

    Cette distorsion interne indique un moment de passage. Une ?pist?mologie de transition se reconna?t ? ce signe. Elle est accompagn?e, comme a mezza voce, d'une suite d'allusions au ? malheur ? de l'historien (envers de son plaisir).

    Elle se d?finit surtout par l'incessante r?surgence d'interrogations diff?rentes des probl?matiques r?employ?es ? leur service. Car Veyne est trop lucide, en face des discours ?conomiques ou sociologiques, pour laisser ?chapper ses

    questions. Il tourne donc autour de J?richo. Le probl?me qu'il ouvre est fondamental. Il tient au fait que l'?pist?mologie,

    organis?e hier dans un rapport ? 1' ? objet ? et au r?el, reflue aujourd'hui sur le langage. L'histoire est la plus gravement atteinte par ce reflux, elle qui, au xixe si?cle, a pour une grande part pris le relais de la philosophie et pr?tendu donner le r?el par la m?diation de ? faits historiques ?. Cette accessibilit? du r?el gr?ce ? une transparence (m?me partielle, m?me d?formante) du discours historique n'appara?t plus pensable d?s l? que l'appareil technique historio

    graphique se donne des postulats et des objets formels permettant la production des ? uvres ? interpr?tatives ; que l'op?ration historique consiste en une s?rie de ? transformations ? qui changent des textes ou des ? pr?-textes ? (les documents) en d'autres textes (les ouvrages historiques) ; que le discours lui-m?me est d?finissable en termes de r?gles caract?ristiques; et que toute

    ad?quation ? un r?f?rent (le r?el) est en histoire, comme dans le roman ? r?aliste ?, un ? effet de r?el ?, c'est-?-dire un mode d'?nonc? propre ? un genre litt?raire 35. On passe ainsi d'une r?alit? historique (l'Histoire, ou Geschichte) ? re?ue ? dans un texte, ? une r?alit? textuelle (l'historiographie, ou Historie) ? produite ? par une op?ration dont les normes sont ? l'avance fix?es.

    Avec le risque d'?tre la victime de ? modes ? et de ? sectes ?, je croirais que Veyne a tout proche de lui, avec Barthes, Foucault, Greimas, Kristeva ou Todorov, les cavernes d'Ali-Baba dont il d?tient le ? S?same, ouvre-toi ?

    34- Le r?cit va vite pour des temps o? ? il ne se passe rien ?, et s'?tale pour raconter des ? temps chauds ?.

    35. Cf. par exemple les analyses de Barthes sur ? l'effet de r?el ?, dans les articles cit?s ci-dessus.

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  • M. DE CERTEAU PAUL VEYNE ET L'HISTOIRE

    et qui rec?lent des ? concepts ? d?j? proportionn?s ? ses questions. Et si ces cavernes sont trop parisiennes, il a des richesses analogues dans les jardins aixois de Granger, de Molino ou de Mounin.

    Le d?sir de l'historien

    Il introduit un probl?me plus neuf encore lorsqu'il se d?barrasse des ortho doxies et des formalismes pour manifester son d?sir d'historien

    ? ses curiosit?s et ses plaisirs. C'est une r?volution que d'installer le plaisir comme crit?re et comme r?gle, l? o? ont r?gn? tour ? tour la ? mission ? et le fonctionnariat

    politiques de l'historien, puis la ? vocation ? mise au service d'une ? v?rit? ?

    sociale, enfin la loi technocratique des institutions du savoir. Par l?, Veyne bouleverse une ? discipline ?.

    Quand il r?cuse les ? lois ? qui habiliteraient l'histoire comme science, il s'en prend d'abord, me semble-t-il, ? l'asc?se (faut-il dire : au jans?nisme ?) depuis longtemps traditionnel dans l'enseignement universitaire. La trou?e

    qu'il fait dans cette muraille de contraintes vise moins, en premi?re instance, une ?pist?mologie que l'?thique qui s'y trouve subrepticement investie. Il

    op?re un d?placement de la loi vers le plaisir. La substitution de 1' ? intrigue ? aux ? causes ?, des ? d?tails ? aux ? cadres ? de l'histoire, ou des items (pistes transversales et th?matiques) aux cat?gories et ? l'ordre de la p?riodisation, finalement du ? v?cu ? au ? formel ?, permet dans son texte la possibilit? d'un retour au sujet de l'histoire.

    Il est clair que ce ? retour du refoul? ? renverse toute une ?pist?mologie de l'histoire. Certes il est ici figur? et pratiqu? plus que th?oris?. Par exemple, la ? lib?ration ? du sujet s'affirme par le d?tour du tri op?r? entre deux formes de conceptualisation : aux macro-unit?s (mentalit?, si?cle, structures ?cono

    miques, etc.), Veyne pr?f?re les micro-unit?s (?v?nements, faits, etc.), alors que les unes et les autres, au niveau o? il se place pour en traiter, posent les

    m?me probl?mes. Mais l'effritement de 1' ? histoire ? en une poussi?re de faits, de d?tails, et donc aussi de d?cisions subjectives, a pour fonction indirecte de renvoyer au sujet historien. Ce morcellement ind?fini, encore d?sign? dans les termes d'une ?pist?mologie traditionnelle, est d?j? la m?taphore dont Veyne se sert pour r?introduire le destinateur dans l'analyse du texte historio

    graphique. Par cette voie, il fait resurgir le rapport de la narrativit? au je locuteur.

    On peut constater, chez les historiens r?cents, que cette r?surrection du je dans le discours historique s'amorce avec l'importance grandissante, mais encore additionnelle, accord?e ? Yhistoire du sujet-historien : les Pr?faces, en extension, s'articulent sur Yhistoire de Vobjet ?tudi? et pr?cisent la place du locuteur 36. Ce n'est qu'une tendance, limit?e par les r?gles impos?es ? la

    36. Cf. par exemple la Pr?face d'Emmanuel Le Roy Ladurie aux Paysans de Lan guedoc, Sevpen, 1966), et surtout la Pr?face et l'Introduction dans lesquelles Pierre Vilar

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  • D?BATS ET COMBATS

    th?se. Mais, finalement, la pression dont Veyne se fait le t?moin vise ? briser ce que Barthes analyse justement comme une ? censure de renonciation ? par un ? reflux massif du discours vers l'?nonc? et m?me (dans le cas de l'histo rien) vers le r?f?rent : personne n'est l? pour assumer l'?nonc? ?37.

    Sous ce biais, 1' ? objectivit? ? du discours historique appara?t comme une ? carence des signes de l'?non?ant ?. Elle est le produit de ce qu'on pourrait appeler ? l'illusion referentielle ? (? puisqu'ici l'historien pr?tend laisser le r?f?rent parler tout seul ?)38. Paul Veyne change donc une structure narrative lorsqu'il ?branle les colonnes d'une m?thodologie ? objective ? pour faire place ? l'?non?ant. Marqu?e par une conceptualisation h?t?rog?ne, son interrogation concerne renonciation, c'est-?-dire ce que, depuis Ch. S. Peirce, la s?miotique se met ? analyser comme la capacit? qu'a le sujet d'assumer des ?nonc?s. Un certain nombre de recherches actuelles ont pris ce chemin. Partant des sys t?mes signifiants, elles s'orientent vers les pratiques signifiantes. Elles esp?rent articuler les probl?matiques de la ? communication ? (caract?ristiques de la premi?re perspective) sur celles de la ? production ?. Ou, plus pr?cis?ment, elles consid?rent les rapports qu'entretient avec le sujet de l'?nonc? le sujet de renonciation 39.

    L'irruption de Veyne nous entra?ne plus loin encore. Elle vise ? mettre en sc?ne le plaisir de l'historien. Certes, ici encore, ses aphorismes et ses diktats

    id?ologiques ob?issent ? une balistique compliqu?e. Par exemple, il y est imm?diatement question de subjectivit? : ? Toute historiographie, dit-il, est subjective ?40. Mais, sur le fond de l'ensemble de l'ouvrage, je ne peux pas entendre ces affirmations (une fois de plus p?remptoires) comme un versement de la r?alit? au compte du sujet connaissant. Toute la panoplie aristot?licienne et germano-am?ricaine de Veyne ne m'en convaincra pas. Ce qui s'annonce

    plut?t, je crois, c'est la subversion d'une probl?matique du savoir par une probl?matique du d?sir et de son rapport au texte ; c'est la substitution d'une science du sujet ? la science de l'homme-objet.

    ? Il n'y a pas de science de l'homme, parce que l'homme de la science n'existe pas, mais seulement son sujet ?41. Lacan a propos? la th?orie de ce renversement dont le sentiment se manifeste d?j? ici. Et, tout compte fait lorsqu'il parle de ? curiosit? ?, lorsqu'il ?vite le vocabulaire freudien, il ?nonce

    mieux ? la question du sujet ? que ne le font certains discours pr?tendant

    situe son itin?raire m?thodologique et son exp?rience de l'Espagne contemporaine par rapport ? quatre si?cles d'histoire, dans La Catalogne dans l'Espagne moderne, Paris, Sevpen, 1962, pp. 11-165.

    37. R. Barthes, ? Le Discours de l'histoire ?, op. cit., p. 71. 38. Ibid., p. 69. 39. Cfvle num?ro sp?cial de Langages (compos? par Tzvetan Todorov), n? 17, mars

    1970, ? L'?nonciation ? ; les ?tudes de J. Kristeva, op. cit., ou ? S?manalyse et production de sens ?, dans A. J. Greimas (?d.), Essais de s?miotique po?tique, Larousse, 1972, pp. 207 234. Plusieurs recherches en ce sens concernant le discours historique, telle l'?tude sur le probl?me de renonciation entreprise par Guy Le Gaufey sous la direction de

    A. J. Greimas. 40. Veyne, p. 26. Cf. p. 52 : ? Notre d?coupage du ciel est subjectif ? ; etc. 41. Jacques Lacan, ?crits, 1966, p. 859, une des propositions centrales de ce texte

    majeur qu'est ? La science et la v?rit? ?, op. cit., pp. 855-877.

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  • M. DE CERTEAU PAUL VEYNE ET L'HISTOIRE

    exhumer, avec le vocabulaire de la psychanalyse, une positivit? intemporelle et silencieuse qu'ils appellent encore Y inconscient et dont ils font Y objet d'un savoir. Veyne a plus de pudeur et plus d'honn?tet?. Mais la r?f?rence ? une ? curiosit? ? ne suffit pas ? montrer comment l'historiographie forme le texte du d?sir qui se constitue dans un rapport ambivalent avec l'autre, r?it?r? sous la figure du pass? ou de l'?tranger. Encore moins peut-on supposer que les faits singuliers manifestent mieux ce d?sir que les cat?gories g?n?rales, ou que le d?sir est identifiable ? l'individu, qui le repr?sente sur le mode du leurre.

    Si, malgr? une conjonction dans les probl?mes qu'il pose, Veyne se tient ? une grande distance des analyses qui traitent de ses questions m?mes, c'est en grande partie parce qu'il parle en historien. Il vient de quelque part

    ?

    l'histoire. Il d?crit comment les probl?matiques se d?placent ? l'int?rieur m?me du champ qu'ignorent trop ceux qui, s?mioticiens ou psychanalystes, les ?lucident pour elles-m?mes et par ailleurs. Son texte raconte les mouve

    ments qui se produisent en ce terrain-l?, et tels qu'ils apparaissent dans le

    lexique du milieu. Aussi d?signe-t-il le d?chirement d'une ?pist?mologie, mais avec les fragments qu'elle laisse en disparaissant.

    En pla?ant sa propre pens?e, tout comme l'histoire, sous le signe du nomi nalisme, Veyne utilise encore une m?taphore, mais elle est tr?s pr?cise. Elle

    indique la fin d'une r?flexion organis?e par une relation ? des ? objets ? r?els, et la n?cessit? d'analyser l'historiographie comme un discours articul? sur d'autres discours, ? l'int?rieur du syst?me du langage. Toute une historio graphie s'est constitu?e sur le mode : ? Moi, le pass?, je parle ?. Veyne l'oriente vers les transformations d'organisations textuelles o? parle le d?sir de savoir.

    Mais, au terme, les questions importantes restent en suspens. Quelle sera la connexion entre ce traitement du discours et, d'autre part, les pratiques d?termin?es par les institutions techniques d'une discipline ? En quoi une

    ?pist?mologie ainsi d?finie modifiera-t-elle les proc?dures et l'?criture, en somme la production historiographique ?

    Michel de Certeau.

    Paris.

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    Article Contentsp. 1317p. 1318p. 1319p. 1320p. 1321p. 1322p. 1323p. 1324p. 1325p. 1326p. 1327

    Issue Table of ContentsAnnales. Histoire, Sciences Sociales, 27e Anne, No. 6 (Nov. - Dec., 1972), pp. 1235-1525, I-XLIVVolume InformationFront MatterInter-SciencesLe Potosi et la Physique nuclaire [pp. 1235-1256]

    OutillageLa Typologie des sources du Moyen Age occidental [pp. 1257-1263]

    Frontires NouvellesLes origines des rgles de l'art: Une premire enqute [pp. 1264-1316]

    Dbats et CombatsUne pistmologie de transition: Paul Veyne [pp. 1317-1327]

    Famille et SocitLe clibat la fin du Moyen Age: Les religieuses de Florence [pp. 1329-1350]Mariage tardif et vie sexuelle sexuelle: Discussions et hypothses de recherche [pp. 1351-1378]La position puritaine l'gard de l'adultre [pp. 1379-1388]

    Notes CritiquesReview: Dmographie et mentalits: La mort en Anjou (XVIIe-XVIIIe sicle) [pp. 1389-1399]Review: Variations dans le marxisme [pp. 1400-1422]Marxismes et Marxistes: Comptes Rendus)Review: K. Radek, le rvolutionnaire europen dsespr [pp. 1423-1424]Review: La vie politique de M. N. Roy [pp. 1424-1426]Review: Korsch et la thorie des Conseils ouvriers [pp. 1426-1428]Review: Autour du "Gramsci" de Leonetti [pp. 1428-1433]Review: Autour de Jos Marti [pp. 1433-1434]Review: Une interprtation originale de l'imprialisme contemporain [pp. 1434-1437]Review: Bureaucratie et "technostructure" [pp. 1437-1440]

    Les Domaines de L'histoireLa "bonne" ville: origine et sens de l'expression [pp. 1441-1448]conomie et socit rurale en Angleterre au XVe sicle d'aprs les comptes de l'hpital d'Ewelme [pp. 1449-1474]Archologie de la fabrique: La diffusion des moulins soie "alla bolognese" dans les tats vnitiens du XVIe au XVIIIe sicle [pp. 1475-1496]Commerce et dcolonisation: L'exprience franco-hatienne au XIXe sicle [pp. 1497-1525]

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