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COUR PENALE SPECIALE
STRATEGIE D’ENQUETES, DE POURSUITES ET D’INSTRUCTION
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION ..................................................................................................................................................... 2
I. OBJECTIFS ..................................................................................................................................................... 3
II. CADRE JURIDIQUE ........................................................................................................................................ 4
A. COMPÉTENCE ...................................................................................................................................................... 4 B. COMPLÉMENTARITÉ .............................................................................................................................................. 6 C. DÉCLENCHEMENT DE L’ACTION PUBLIQUE .................................................................................................................. 7
III. PRINCIPES GENERAUX ................................................................................................................................ 10
A. INDÉPENDANCE .................................................................................................................................................. 10 B. IMPARTIALITÉ .................................................................................................................................................... 11 C. OBJECTIVITÉ ...................................................................................................................................................... 11
IV. DOMAINE D’INTERVENTION DE LA CPS : CRITERES DE SELECTION .............................................................. 12
A. CHOIX DES INCIDENTS CRIMINELS À EXAMINER .......................................................................................................... 12 B. CHOIX DES AUTEURS PRÉSUMÉS À INCULPER ............................................................................................................ 15 C. CHOIX DES INFRACTIONS ET DES QUALIFICATIONS JURIDIQUES ...................................................................................... 16
V. CRITERES DE PRIORISATION DES ENQUETES ET DES POURSUITES DU PARQUET SPECIAL ............................ 17
A. FAISABILITÉ DE L’ENQUÊTE : SÉCURITÉ ..................................................................................................................... 17 B. REPRÉSENTATIVITÉ DES INCIDENTS DE LA CRISE ET DU CONFLIT EN RCA ......................................................................... 18 C. SUSPECTS APPRÉHENDABLES : POSSIBILITÉS D’IDENTIFICATION, DE LOCALISATION ET D’ARRESTATION .................................. 19 D. DISPONIBILITÉ DE RENSEIGNEMENTS OU DE PREUVES EXISTANTES ................................................................................. 19 E. AUTRES ÉLÉMENTS STRATÉGIQUES ......................................................................................................................... 19 F. INTÉRÊT PUBLIC ................................................................................................................................................. 19
CONCLUSION ....................................................................................................................................................... 20
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INTRODUCTION
1. Ce document présente la stratégie d’enquêtes, de poursuites et d’instruction du
Parquet spécial et de la Chambre d’Instruction de la Cour pénale spéciale (« CPS » ou
« Cour »), tenant compte du cadre juridique applicable tel que prévu par la Loi
organique N 15.003 du 3 juin 2015 portant création, organisation, et fonctionnement
de la Cour pénale spéciale (« Loi Organique »), du contexte actuel de la République
Centrafricaine (« RCA ») et des ressources de la Cour.
2. Depuis son indépendance, la RCA est marquée par une succession de crises
caractérisées par de graves violations des droits de l’homme et du droit humanitaire.
La situation s’est aggravée avec la crise de 2013, marquée par des massacres de
populations civiles et d’autres graves violations des droits de l’homme et du droit
humanitaire.
3. Cette situation a conduit les autorités centrafricaines, appuyées par la communauté
internationale, à prendre des mesures destinées à lutter contre l’impunité pour les
crimes graves qui ont été commis. Dans cette perspective, la République centrafricaine
a promulgué en juin 2015, la Loi Organique créant la CPS.
4. Créée pour une durée de cinq ans renouvelables, la CPS est compétente pour
enquêter, instruire et juger les responsables de violations graves des droits de
l'homme et du droit international humanitaire en RCA depuis 2003 avec primauté sur
les juridictions pénales centrafricaines de droit commun et en complément des
procédures menées par la Cour pénale internationale (« CPI »).
5. Pour plusieurs raisons dont l’étendue du champ de compétence de la CPS, le nombre
élevé et l’ampleur des crimes commis en RCA depuis 2003, le nombre important
d’auteurs présumés et la durée limitée d’existence de la Cour, il s’avère nécessaire
d’opérer des choix stratégiques afin d’atteindre l’objectif de lutter contre l’impunité,
qui a motivé la création de la CPS. C’est le but visé par la stratégie d’enquêtes, de
poursuites et d’instruction du Parquet spécial et de la Chambre d’instruction de
la CPS (« Stratégie ») élaborée dans le présent document.
6. Cette Stratégie présente d’abord le domaine d’intervention de la Cour, soit la nature
des incidents criminels, des auteurs présumés et des infractions au sujet desquels des
enquêtes, des poursuites et des instructions seront menées. Ce domaine
d’intervention est pris en compte à la fois par le Parquet spécial et par la Chambre
d’instruction dans leurs mandats respectifs. Le document aborde ensuite la stratégie
de priorisation des enquêtes et des poursuites du Parquet spécial. A cette fin, ce
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document énonce les critères objectifs et les considérations qui guident la priorisation
par le Parquet.
7. Après avoir décrit ses objectifs (I), le cadre juridique (II), et les principes généraux
applicables (III) la Stratégie exposera les critères de sélection définissant le domaine
d’intervention de la Cour (IV), et les critères de priorisation du Parquet spécial dans
la détermination de l’ordre des enquêtes et des poursuites (V).
I. OBJECTIFS
8. L’étendue du champ de compétence de la CPS mène à la nécessité d’une délimitation
de son domaine d’intervention ainsi qu’une priorisation des dossiers à traiter.
L’objectif de cette Stratégie est d’énoncer, de manière claire et transparente, d’abord
les critères de sélection définissant le domaine d’intervention de la Cour, et ensuite
les critères de priorisation que le Parquet spécial emploiera dans sa détermination de
l’ordre des enquêtes et des poursuites.
9. Le champ de compétence de la CPS est large. La compétence temporelle de la Cour
est longue, commençant en 2003 et s’étendant au présent. Sa compétence personnelle
n’est pas limitée aux hauts dirigeants et aux principaux responsables mais s’étend à
tout auteur de crimes tombant sous sa compétence matérielle et temporelle. Sa
compétence matérielle comprend les violations graves des droits de l’homme et du
droit international humanitaire, notamment le génocide, les crimes contre l’humanité
et les crimes de guerre. A ceci, s’ajoute l’ampleur des violences commises en RCA
depuis 2003, c’est-à-dire le nombre élevé et la nature particulière des crimes commis,
leur étendue, et le nombre de victimes et d’auteurs. De plus, la RCA continue de
souffrir actuellement de violences et de crimes tombant potentiellement sous la
compétence de la CPS. De par ces faits, la compétence de la CPS est plus vaste que
celle de la plupart des juridictions internationales ou hybrides similaires.
10. Ensuite, il faut noter que même si la CPS a la primauté par rapport aux juridictions
pénales de droit commun pour enquêter, instruire, et juger les crimes qui relèvent de
sa compétence, elle exerce une compétence concurrente avec ces dernières. Par
ailleurs, la CPS n’est pas une cour permanente. En effet, ses ressources humaines et
financières sont limitées et son existence est prévue pour une période initiale de cinq
ans, renouvelable en cas de besoin. Il n’est donc pas envisagé que la CPS ait un mandat
exclusif en matière de traitement des violations graves des droits de l’homme et du
droit international humanitaire commises en RCA depuis 2003.
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11. Au vu de ces éléments, la CPS ne pourra pas juger toutes les infractions qui relèvent
de sa compétence, d’où la nécessité de cette Stratégie qui définit des critères qui
délimitent son domaine d’intervention par rapport aux juridictions de droit commun1
et établissent l’ordre de priorisation des enquêtes et des poursuites du Parquet spécial.
Cette Stratégie assurera que la CPS remplisse son mandat en utilisant ses ressources
de manière efficace.
12. Le Parquet spécial et la Chambre d’Instruction, bien qu’entièrement indépendants,
appliqueront les mêmes critères objectifs dans leur appréciation du domaine
d’intervention de la Cour. Ceci assurera que les deux organes de la Cour susceptibles
d’enclencher l’action publique, définissent le « domaine d’intervention » de la Cour,
tel que visé par son cadre juridique, de manière uniforme.
13. Cette Stratégie est susceptible d’être modifiée en fonction de l’expérience acquise, de
l’évolution jurisprudentielle, des modifications éventuelles des textes juridiques de la
Cour et des changements de la situation sécuritaire de la RCA.
14. La CPS rend la présente Stratégie publique afin de garantir la clarté, la transparence
et la communication des choix de la CPS envers le public, y compris les victimes.
II. CADRE JURIDIQUE
15. Le cadre juridique applicable à la CPS guide sa Stratégie. Régi par la Loi Organique
et le Règlement de Procédure et de Preuve,2 ce cadre juridique définit le champ de
compétence de la Cour, son rôle par rapport aux autres juridictions exerçant une
compétence concurrente, et les prérogatives régissant le déclenchement de l’action
publique devant la CPS.
A. Compétence
16. La CPS est un tribunal national avec un caractère hybride. Elle est créée au sein de
l’organisation judiciaire centrafricaine. Pour qu’elle traite un incident, il faudra que
celui-ci révèle une infraction qui entre dans la compétence de la CPS, telle que
conférée par la Loi Organique.
1 Loi Organique, Article 36. 2 Loi N 18.010 du 2 juillet 2018 portant Règlement de procédure et de preuve devant la Cour pénale spéciale de la
République centrafricaine (« Règlement de Procédure et de Preuve » ou « RPP »)
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17. Le mandat de la CPS est d’« enquêter, instruire et juger les violations graves des droits
humains et les violations graves du droit international humanitaire commises sur le
territoire de la RCA depuis le 1er janvier 2003, telles que définies par le Code Pénal
Centrafricain3 et en vertu des obligations internationales contractées par la RCA en
matière de droit international, notamment le crime de génocide, les crimes contre
l’humanité et les crimes de guerre. Les crimes relevant de la compétence de la CPS
sont imprescriptibles ».4
18. La CPS appliquera d’abord les dispositions des lois pénales nationales. En cas de
nécessité, elle pourra avoir recours aux normes internationales.
19. La compétence de la CPS peut être résumée ainsi :
• Compétence matérielle : elle couvre les violations graves des droits humains et du
droit international humanitaire telles que définies par le Code Pénal Centrafricain
et en vertu des obligations internationales contractées par la RCA en matière de
Droit international, notamment le crime de génocide, les crimes contre l’humanité
et les crimes de guerre ainsi que les crimes et délits connexes.5
• Compétence temporelle : elle s’étend aux crimes commis depuis le 1er janvier 2003
jusqu’à aujourd’hui.6
• Compétence territoriale : elle comprend des crimes commis en RCA ainsi que
certains crimes commis à l’étranger. Plus précisément, des crimes commis sur
l’ensemble du territoire national de la RCA ainsi que les actes de coaction et de
complicité commis sur le territoire des États étrangers aves lesquels la RCA a des
accords d’entraide judiciaire ou selon les règles de coopération et d’assistance
judicaire telles qu’énoncées dans le Code de Procédure Pénale.7
• Compétence personnelle : elle s’étend à toute personne physique ou morale8 ayant
commis un crime entrant dans la compétence matérielle, temporelle et territoriale
3 Loi N 10.001 du 6 janvier 2010 portant Code pénal centrafricain (« Code Pénal Centrafricain »). 4 Loi Organique, Article 3. 5 Ibid. 6 Ibid. 7 Loi Organique, Article 4 ; Loi N 10.002 du 6 janvier 2010 Code de procédure pénale centrafricain (« Code de
Procédure Pénale »). 8 Code Pénal Centrafricain, Article 10, 159 et 160. L’article 10 précise que « les personnes morales » n’incluent pas
l’État et que « la responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas celle des personnes physiques, auteurs ou
complices des mêmes faits ».
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de la CPS.9 La compétence personnelle de la CPS n’est pas limitée seulement aux
plus hauts dirigeants et aux personnes les plus responsables mais s’étend à tout
suspect, indépendamment des considérations de rang ou de position.
20. Concernant la prescription, la Loi Organique précise que les crimes relevant de la
compétence de la CPS sont imprescriptibles.10
B. Complémentarité
21. La sélection des affaires par la CPS devra tenir compte du rôle des autres juridictions
ayant une compétence concurrente avec la CPS, et des règles de primauté de
compétence et de complémentarité qui les régissent.
22. La CPS, une juridiction pénale nationale internationalisée, créée au sein de
l’organisation judiciaire centrafricaine, est le principal mécanisme judiciaire pour
traiter des crimes graves commis en RCA.
23. La CPS a primauté pour enquêter, instruire et juger les crimes qui relèvent de sa
compétence, par rapport à toute autre juridiction nationale.11 Face à une demande de
la CPS, toute autre autorité nationale de poursuites et d’instruction saisie de tels faits
doit se dessaisir à son profit. Le Procureur spécial peut demander le dessaisissement
de toute autre juridiction nationale ayant initialement commencé une enquête ou une
procédure pénale sur un crime tombant dans la compétence de la CPS.12 De même, un
Cabinet d’instruction saisi d’un crime relevant de la compétence de la Cour qui fait
l’objet d’une enquête ou d’une procédure pénale devant une autre juridiction
nationale peut demander à cette juridiction de se dessaisir en faveur de la CPS.13 Les
organes de la Cour pourront aussi obtenir toutes informations utiles des juridictions
de droit commun.14
24. Cependant, même si la CPS a la primauté sur les crimes relevant de sa compétence, sa
juridiction n’est pas exclusive. En effet, les juridictions de droit commun sont aussi
compétentes pour connaître des crimes de génocide, crimes contre l’humanité et
crimes de guerre, tous des crimes imprescriptibles.15 Si le Procureur Spécial estime
9 Loi Organique, Articles 3 et 4. 10 Loi Organique, Article 3. 11 Loi Organique, Articles 3 et 36 ; RPP, Article 11. 12 Loi Organique, Article 36 ; RPP, Article 12 (A) et (C). 13 RPP, Article 12 (E). 14 Loi Organique, Articles 38 et 43. 15 Code Pénal Centrafricain, Article 152 – 157 & 162 ; Code de Procédure Pénale, Article 219.
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que des faits portés à sa connaissance, au travers de renseignements, informations,
preuves, plaintes ou dénonciations, n’entrent pas dans la compétence ou le domaine
d’intervention de la Cour, il transmet le fond de l’affaire aux juridictions de droit
commun.16 Vu la compétence concurrente des juridictions de droit commun, il n’y a
pas déni de justice sur la simple base d’un renvoi vers elles.
25. La CPS et la CPI sont concurremment compétentes pour juger des crimes de génocide,
des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre commis en RCA depuis le 1er
janvier 2003 pour la CPS et depuis 2012 pour la CPI. Cependant, lorsque la CPI s’est
saisie d’un cas qui tombe dans la compétence concurrente de ces deux cours, la CPS
se dessaisit au profit de la CPI.17 Le Procureur spécial est autorisé à échanger des
informations avec le Procureur de la CPI.18
C. Déclenchement de l’action publique
26. Conformément au système judicaire centrafricain, l’action publique devant la CPS
peut être mise en mouvement de deux manières : par le Parquet spécial ou par des
plaintes avec constitution de partie civile.
Déclenchement des poursuites par le Parquet spécial
27. Le Procureur spécial a l’initiative des poursuites devant la CPS. S’il estime que la
compétence de la Cour peut être retenue, il ouvre une enquête judiciaire.19
L’enquête
28. La procédure d’enquête est secrète.20 Le Procureur spécial peut ouvrir une enquête de
deux façons : d’office, ou suite au dépôt d’une plainte ou d’une dénonciation.21 Une
plainte peut être adressée au Procureur spécial par toute personne lésée par un crime
relevant de la compétence de la Cour, ou toute personne ou association représentant
les intérêts d’une personne lésée.22
29. Une plainte adressée au Procureur spécial doit décrire avec autant de précision que
possible les faits allégués. Si l’auteur des faits est inconnu, la plainte peut être déposée
16 Loi Organique, Articles 35 et 36. 17 Loi Organique, Article 37. 18 Loi Organique, Article 37 ; RPP, Article 14(C). 19 Loi Organique, Article 35. 20 RPP, Article 62(B). 21 RPP, Article 62(A). 22 RPP, Article 63 (A).
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contre X.23 Le Procureur spécial traite des plaintes déposées devant lui de manière
efficace et rapide et il informe, dans les plus brefs délais, la victime, la personne ou
l’association plaignante des suites réservées à la plainte. 24 Une plainte ou une
dénonciation adressée au Procureur spécial ne déclenche pas l’action publique.25 Le
Procureur spécial décide souverainement des suites à y réserver.26
30. De même, le Ministre de la Justice peut dénoncer au Procureur spécial, des faits
susceptibles de constituer des infractions entrant dans la compétence de la Cour. Du
fait de l’indépendance du Parquet spécial, une telle dénonciation du Ministère de la
Justice n’entame pas la liberté du Parquet spécial.27 Plus généralement, quelque partie
que ce soit peut saisir le Parquet spécial d’une plainte ou d’une dénonciation.28 Une
plainte ou une dénonciation ne déclenche pas l’action publique et n’entame pas la
souveraineté du Parquet spécial sur la suite à y réserver.29
31. La durée de l’enquête dans une affaire déterminée ne peut excéder un délai
raisonnable. 30 Les facteurs qui doivent être pris en compte pour déterminer le
caractère raisonnable de ce délai sont la gravité des faits, la complexité des
investigations nécessaires à la manifestation de la vérité et l’exercice des droits de la
défense.31 Si une enquête du Parquet spécial dans une affaire déterminée excède six
mois, le Procureur spécial doit adresser une requête à la Chambre d’accusation
spéciale expliquant les raisons de la durée de l’enquête, en donnant des justifications
pour sa prolongation et en précisant ses perspectives de clôture.32
L’information judiciaire
32. Lorsque le Procureur spécial a des raisons de croire qu’un crime relevant de la
compétence de la Cour a été commis et doit être poursuivi, le Procureur spécial ouvre
une information par réquisitoire introductif qui peut être pris contre une personne
dénommée ou contre X.33
23 RPP Article 63 (B). 24 RPP Article 63 (C) & (E). 25 RPP Article 63 (E). 26 Ibid. 27 Loi Organique, Article 34. 28 Ibid. 29 RPP Article 63 (D). 30 RPP Article 70 (A) 31 Ibid. 32 RPP Article 70 (B). 33 RPP, Article 68(A) et (B).
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33. Une fois saisie par voie de réquisitoire introductif, un Cabinet d’instruction de la
Chambre d’Instruction mène l’instruction préparatoire, qui est secrète et conduite à
charge et à décharge.34
Plaintes avec constitution de partie civile
34. Les Cabinets d’Instruction peuvent être directement saisis des faits entrant dans la
compétence de la CPS par toute personne qui s’estime lésée et, en portant plainte, se
constitue partie civile.35 Cette procédure déclenche l’action publique. Dans ce cas, le
Cabinet d’instruction désigné par le Président de la Cour pour instruire la plainte,
communique cette dernière au Procureur spécial aux fins de le voir prendre des
réquisitions. Le Procureur spécial saisit le Cabinet d’instruction de réquisitions aux
fins d’informer ou de ne pas informer selon qu’il estime que les faits sont, ou ne sont
pas, de la compétence ou du domaine d’intervention de la Cour. Dans ce dernier cas,
le Cabinet d’instruction peut, soit suivre les réquisitions du procureur en refusant
d’informer, soit décider de passer outre le réquisitoire du Procureur spécial en
statuant par ordonnance motivée, susceptible d’appel devant la Chambre
d’accusation spéciale.36 Le Cabinet d’instruction prend toutes les mesures nécessaires
aux fins de garantir un traitement efficace et rapide des plaintes déposées devant lui.37
A cette fin, il évaluera les plaintes par rapport aux critères énoncés dans cette Stratégie
qui définissent le domaine d’intervention de la Cour.
35. Contrairement aux autres juridictions internationales et hybrides, la Loi Organique
n’a pas laissé au Parquet spécial le monopole des poursuites, mais a conservé la
possibilité telle que cela figure dans la procédure pénale ordinaire, pour les victimes
de porter plainte en se constituant partie civile directement auprès des juges
d’instruction. Toutefois, tout comme devant les juridictions de droit commun et
conformément au système judiciaire centrafricain, la saisine directe de la Chambre de
l’instruction doit, pour le bon fonctionnement de la Cour, demeurer secondaire de
façon à permettre à la CPS de remplir son mandat efficacement en évitant que les
mêmes faits fassent l’objet d’investigations à la fois par le Parquet et par les cabinets
d’instruction. La saisine initiale du Parquet par la victime permet à celui-ci qui a une
vision globale des procédures en enquête, de regrouper les plaintes individuelles
concernant le même incident, un aspect crucial pour les crimes complexes comme les
crimes contre l’humanité, les crimes de guerre ou le génocide qui nécessitent la
démonstration d’éléments contextuels ou d’intention spécifique.
34 Loi Organique, Articles 39 et 40 ; RPP, Articles 71 et 72 35 Loi Organique, Article 40 ; RPP Article 74(A). 36 RPP, Article 74(C). 37 RPP, Article 74(E).
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36. Du côté des victimes, cela permet également de voir le Parquet spécial étayer les faits
dénoncés par les victimes en faisant effectuer les premières vérifications par les
officiers de police judiciaire, au lieu d’encourir le risque d’un rejet par le Cabinet
d’instruction faute d’éléments probants apportés à l’appui de la plainte ; en d’autres
termes, cela permet à la victime de faire peser sur le Parquet Spécial la charge de la
constitution d’éléments de preuve suffisants pour déclencher l’action publique ainsi
que la recherche de la qualification exacte.
III. PRINCIPES GENERAUX
37. Le Parquet spécial, et le cas échéant la Chambre d’Instruction, procèderont à
l’identification des cas à poursuivre et à instruire, conformément aux principes
fondamentaux d’indépendance, d’impartialité et d’objectivité. Le Parquet spécial
appliquera aussi ces principes dans sa priorisation des enquêtes et des poursuites.
A. Indépendance
38. Conformément aux Articles 20 et 34 de la Loi Organique et aux Articles 38 et 39 du
RPP, le Parquet spécial et ses membres agissent indépendamment de toute influence
extérieure. Le principe d’indépendance n’impose pas seulement aux membres du
Parquet spécial de ne pas solliciter ni accepter des injonctions de toute source
extérieure, il prévoit que les décisions qui sont prises ne soient ni influencées ni
altérées par les désirs présumés ou exprimés de tout intervenant externe. Le Parquet
spécial et ses membres ne répondent pas et n’ont aucune relation hiérarchique avec le
Ministre de la Justice, les Parquet généraux, ou l’Organisation des Nations Unies. Le
Procureur spécial ne sollicite ni ne reçoit d’instruction de qui que ce soit.
39. Lorsque conformément aux Articles 34 et 40 de la Loi Organique et aux Articles 38 et
63 du RPP, le Procureur spécial reçoit, par le biais du Ministère de la Justice, une
dénonciation ou une plainte de faits susceptibles de constituer des infractions de la
compétence de la Cour, le Procureur spécial décide souverainement des suites qui y
seront données.38 Le Procureur spécial n’est ni lié ni contraint par ces informations
lorsqu’il doit déterminer si certains faits ou certaines personnes doivent faire l’objet
d’une enquête préliminaire ou d’une information.
38 RPP, Articles 35 et 38.
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40. Dans un souci d’efficacité et d’économie judiciaire et, tout en préservant son
indépendance, le Procureur spécial peut consulter le Procureur de la CPI sur la mise
en œuvre de la stratégie d’enquête et de poursuites.39
41. Les juges de la CPS, comme tout membre de la CPS sont entièrement indépendants
des pouvoirs législatif et exécutif40.
B. Impartialité
42. Le principe d’impartialité implique que les membres du Parquet spécial et ceux de la
Chambre d’Instruction agissent de manière cohérente, uniforme et sans aucune
discrimination en appliquant les critères définis dans la présente stratégie, quels que
soient les incidents, les agissements, les parties, les personnes, ou les groupes
concernés et leurs appartenances ethniques ou religieuses. En particulier, les
magistrats du Parquet spécial et de la Chambre d’Instruction appliquent ces critères
à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle.41
43. Les magistrats du Parquet spécial et de la Chambre d’Instruction examineront toutes
les allégations formulées à l’encontre de tous les groupes ou parties dans une situation
particulière pour évaluer si la responsabilité pénale des personnes appartenant à ces
groupes ou parties est engagée au regard de la Loi Organique créant la CPS.
44. Toutefois, l’impartialité ne signifie pas « équivalence des responsabilités » des
diverses parties impliquées dans le conflit. Elle signifie plutôt que le Parquet spécial
et le Cabinet d’instruction appliqueront le même processus, la même méthode, les
mêmes critères et les mêmes conditions aux membres de tous les groupes en cause
afin de déterminer si les crimes qu’ils auraient commis entrent dans le domaine
d’intervention de la Cour et justifient des poursuites.
C. Objectivité
45. Le déclenchement des enquêtes ou des poursuites par le Parquet, et des instructions
par un cabinet de la Chambre d’Instruction sont des processus axés entièrement sur
l’analyse de renseignements, d’indices et de preuves.
46. Dans la décision de diligenter une enquête, ou d’ouvrir une information judiciaire par
réquisitoire introductif sur la base des renseignements et preuves résultant d’une
39 RPP, Article 41. 40 Loi Organique, Article 20. 41 Loi Organique, Article 56.
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enquête, le Parquet spécial appliquera les critères de sélection définissant le domaine
d’intervention de la Cour, tels qu’ils sont établis dans cette Stratégie, de manière
objective.
47. De même, dans leur décision d’informer ou non, sur une plainte avec constitution de
partie civile, le Cabinet d’instruction, après analyse de la plainte, appliquera les
critères de sélection définissant le domaine d’intervention de la Cour, tels qu’ils sont
établis dans cette Stratégie, de manière objective.
48. Le Parquet spécial et le Cabinet d’instruction appliqueront chacun, et
indépendamment, une méthode d’analyse standard et uniforme.
IV. DOMAINE D’INTERVENTION DE LA CPS : CRITERES DE SELECTION
49. En rappelant que l’action publique devant la CPS peut être mise en mouvement par
le Parquet spécial ou par des plaintes avec constitution de partie civile devant un
cabinet de la Chambre d’instruction, et vu la nécessité de délimiter le domaine
d’intervention de la CPS, le Parquet spécial et la Chambre d’Instruction seront guidés,
dans l’exercice de leurs mandats respectifs, par les critères de sélection énoncés dans
cette Stratégie.
50. Ces critères concernent (i) la sélection des incidents criminels à examiner, (ii) des
auteurs présumés à inculper et (iii) des infractions spécifiques et des qualifications
juridiques à retenir. Ces trois catégories de critères sont cumulatives.
A. Choix des incidents criminels à examiner
51. Les critères de sélection des incidents sont basés sur la compétence matérielle de la
Cour et le critère de gravité qui comprend des éléments quantitatifs aussi bien que
qualitatifs. Ces deux critères sont cumulatifs.
52. La CPS a tout d’abord été créée pour juger des crimes de génocide, crimes contre
l’humanité et crime de guerre. Le Parquet a l’opportunité des poursuites et peut
prendre en compte ce fait dans son appréciation des incidents à enquêter. De même,
les cabinets de la Chambre d’instruction, saisis par des parties civiles analyseront les
plaintes au regard de ces trois crimes principaux du domaine d’intervention, afin de
déterminer s’il faut informer ou non.
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53. Il est nécessaire de rappeler que ces trois crimes de droit pénal international sont
complexes et nécessitent une présentation attentionnée de différents éléments. A la
différence des crimes ordinaires, il faut aussi des éléments contextuels pour prouver
un crime de guerre ou un crime contre l’humanité ou des éléments démontrant
l’intention spécifique pour le crime de génocide. C’est pour cela qu’une plainte avec
constitution de partie civile, seule, aura des difficultés à présenter tous les éléments
requis pour l’ouverture d’une instruction entrant dans le domaine d’intervention de
la CPS. Une personne lésée peut soumettre d’abord une plainte ou des
renseignements au Parquet Spécial pour lui permettre de faire des enquêtes
approfondies. Car si une plainte avec constitution de partie civile directement
déposée devant le Cabinet d’instruction ne contient pas suffisamment d’informations
étayées sur les éléments contextuels des crimes, le Cabinet d’instruction pourra
refuser d’informer et la plainte se trouvera transmise aux juridictions ordinaires.
54. Ensuite, une fois que la détermination préliminaire est faite sur la présence ou non
d’un des trois crimes dans l’incident examiné, le critère de gravité guidera l’analyse
de quels incidents devraient faire l’objet d’une enquête du Parquet ou d’une
information judiciaire.
55. La gravité est déterminée sur la base d’une évaluation rigoureuse d’indicateurs
quantitatifs et qualitatifs. Les indicateurs énumérés ci-dessous servent à établir
correctement les faits et le contexte entourant les infractions concernées et à évaluer
la gravité des crimes d’une manière juste et objective. Ces éléments interagissent entre
eux et doivent être évalués dans le contexte spécifique des violences en RCA. Ils sont
alternatifs et le poids accordé à chaque critère dépendra des faits et des circonstances
propres à chaque incident. Aucun n’est déterminant en soi et tous peuvent justifier la
décision de considérer un incident comme grave.
56. Les aspects quantitatifs du critère de gravité mesurent l’ampleur et l’étendue des
incidents criminels en cours d’examen. Les indicateurs quantitatifs considérés sont les
suivants :
• Nombre de victimes directes et indirectes ;
• Nombre d’infractions durant un incident particulier ;
• Nombre d’assaillants impliqués dans un incident criminel ;
• Ampleur de l’incident : incident comprenant une attaque à très grande
échelle ;
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• La nature et l’ampleur des moyens utilisés ;
• Étendue de la destruction : évaluation des dégâts causés et de la répartition
géographique des crimes de l’incident.
57. Le critère de gravité comprend aussi des aspects qualitatifs importants qui touchent à
la nature des crimes liés à l’incident. Ces éléments peuvent aussi être utilisés dans
l’évaluation des circonstances aggravantes et/ou atténuantes. Les indicateurs
qualitatifs considérés sont les suivants :
• Crimes constituant des atteintes à la vie humaine : ce type de crime mérite
une attention particulière et est souvent d’une plus grande gravité que des
crimes constituant uniquement des atteintes à la propriété ;
• Crimes commis contre les personnes particulièrement vulnérables : L’état
vulnérable et sans défense des victimes accroît la gravité d’une infraction
pénale ;
• Attaques à motifs discriminatoires y compris les attaques sur une base
raciale, nationale, ethnique, religieuse, sexiste, culturelle, politique, de
région d’origine ou du genre ;
• Actes de violences sexuelles notamment le viol, les agressions sexuelles et
l’esclavage sexuel, y compris contre des filles et des garçons (mineurs), ainsi
que les violences sexuelles commises de manière répétée, par plusieurs
auteurs et/ou publiquement ;
• Attaques contre les personnes protégées : attaques contre la population
civile, attaques contre le personnel humanitaire et chargé du maintien de la
paix ;
• Attaques contre les lieux protégés : lieux de cultes, établissements
médicaux ou scolaires ;
• Crimes particulièrement atroces, violents ou dégradants : ce critère prend
en compte la façon dont les crimes ont été commis et l’existence d’éléments
d’une cruauté particulière, comme par exemple des actes de torture y
compris des actes de violences sexuelles ;
15
• Impact des crimes : les effets des crimes commis sur les victimes, la
communauté, la région et le pays sont intrinsèquement liés aux critères de
gravité. L’impact de l’incident criminel peut entraîner des conséquences
durables ou permanentes sur le plan matériel, physique, ou psychologique
pour les victimes, voire pour des communautés entières si, par exemple,
nombre de leurs membres deviennent réfugiés ou déplacés. Les crimes
émanant de l’incident peuvent aussi avoir un impact sévère sur la situation
sécuritaire locale, régionale ou même nationale ;
• Nature planifiée de l’attaque : ce critère prend en compte l’existence d’un
plan ou d’une politique ayant mené à l’attaque ou à l’incident.
B. Choix des auteurs présumés à inculper
58. Une grande partie des incidents commis au cours des événements en RCA depuis le
1er janvier 2003 impliquent de nombreux auteurs à différents niveaux. Il ne sera donc
pas possible de juger tous les suspects devant la CPS. Par conséquent, comme pour
la sélection des incidents criminels et des crimes, le Parquet spécial et la Chambre
d’Instruction devront également être sélectifs dans le choix des personnes à
poursuivre. A cette fin, trois critères clés ont été identifiés : le degré de responsabilité
des auteurs présumés, leur appartenance et leur rôle effectif au sein des groupes
armés ou des structures de l’État, et les auteurs impliqués dans de multiples faits. Ces
critères sont alternatifs et le poids accordé à chaque critère dépendra des faits et des
circonstances propres. Aucun n’est déterminant en soi et tous peuvent justifier la
décision de poursuites.
• Le degré de responsabilité des auteurs présumés : La politique officielle des
tribunaux pénaux internationaux a été de se concentrer sur la poursuite
d’un nombre limité de hauts dirigeants ou des auteurs notoires des crimes,
en leur qualité de personnes les plus responsables pour leur
commission. La CPS, vu le principe de complémentarité concurrente et le
fait que la CPS est une juridiction internationalisée au sein de l’organisation
judiciaire nationale, ne se concentrera pas exclusivement sur les plus hauts
dirigeants et les personnes les plus responsables. Le Parquet spécial et la
Chambre d’Instruction appliqueront le critère plus général de personnes
ayant joué un rôle-clé dans la commission de crimes. Ceci inclut ceux qui
ont :
o exercé un commandement et contrôlé des subordonnés ;
16
o planifié et organisé l’exécution de crimes ;
o joué un rôle majeur par leurs actes ou par leur inaction lors de
l’exécution de crimes : par leur perpétration directe et physique des
crimes ou par leur inaction, notamment les personnes qui étaient les
mieux placées pour empêcher ou mettre fin à ces crimes ;
o commis des crimes particulièrement odieux et qui ont atteint un
certain niveau de notoriété qui contribue à la victimisation et à
inspirer la terreur dans la population locale. En raison de la gravité
et de l’impact de leur comportement criminel, ces individus peuvent
être considérés comme des auteurs ayant joué un rôle-clé ; ou,
o occupé des postes de commandement ou de dirigeants, que ce soit
au niveau national, régional, ou local. Certains crimes en RCA ont
pu être commis par des factions dissidentes ou parfois locales de
groupes armés ou des structures de l’État et leurs auteurs auraient
pu agir sous l’autorité de commandants régionaux ou locaux. Ces
commandants régionaux ou locaux peuvent être considérés comme
des personnes ayant joué un rôle-clé.
• Le cas échéant, une certaine attention sera apportée à l’appartenance et au
rôle effectif des auteurs présumés au sein des groupes armés ou des
structures de l’État impliqués dans les incidents criminels. Il s’agit
d’évaluer l’appartenance et le rôle effectif des auteurs à un ou des groupes
armés et l’ampleur des crimes imputés à ce ou ces groupes.
• Les auteurs réitérant : auteurs impliqués dans la commission de crimes
dans de multiples incidents à une même période ou à des périodes
successives de la crise.
C. Choix des infractions et des qualifications juridiques
59. La nature des crimes commis entrant dans la compétence de la CPS offre
juridiquement la possibilité d’inculper pour différentes infractions ou de qualifier un
même acte criminel par une multitude de qualifications juridiques. Pour cette raison,
il est parfois nécessaire d’opérer une sélection pour déterminer quelles infractions
retenir.
17
60. Dans la mesure du possible, le choix des infractions et des qualifications juridiques à
retenir pour l’inculpation s’efforcera de refléter l’ampleur réelle des crimes perpétrés
en tenant compte des trois crimes principaux qui sont de la compétence de la CPS, le
génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.
61. La pratique des charges cumulatives sera retenue, mais dans un but d’efficience
judicaire, des choix sur les infractions à retenir pourraient être nécessaire. Dans la
mesure du possible, les qualifications juridiques retenues constitueront un échantillon
représentatif des principaux types de crimes commis et des souffrances subies durant
chaque incident.
62. En résumé, les critères de sélection des incidents criminels à examiner, des auteurs
présumés à inculper, et des infractions spécifiques et des qualifications juridiques à
retenir, définissent le domaine d’intervention de la Cour.
V. CRITERES DE PRIORISATION DES ENQUETES ET DES POURSUITES DU PARQUET SPECIAL
63. Le Procureur spécial a l’opportunité des poursuites. Il peut donc prendre d’autres
critères en compte dans l’évaluation de la priorisation de son travail d’enquêtes et de
poursuites. Cette priorisation des enquêtes et des poursuites doit nécessairement
prendre en compte des considérations stratégiques et opérationnelles. Ces critères
seront aussi appliqués de manière uniforme et transparente. Ils ne sont pas classés par
ordre d’importance. Le poids spécifique qu’il convient de donner à chacun d’eux
dépendra des circonstances.
A. Faisabilité de l’enquête : sécurité
64. Le Parquet spécial prendra en compte les aspects sécuritaires des enquêtes dans la
priorisation des poursuites. La sécurité est toujours une préoccupation lors des
enquêtes et des poursuites de crimes systématiques au sein d’une société divisée et le
problème est encore plus prononcé en RCA, étant donné que le pays souffre jusqu’à
ce jour de multiples conflits couvrant une grande partie de son territoire et impliquant
la présence de nombreux groupes armés. Le Parquet spécial prendra donc en
compte ces questions de sécurité, y compris la protection des témoins et des victimes,
la sécurité des enquêteurs, des acteurs judiciaires et de toutes autres personnes
courant un danger en raison des activités de la CPS.
18
B. Représentativité des incidents de la crise et du conflit en RCA
65. En sélectionnant les incidents criminels qui feront l’objet d’enquêtes et de poursuites,
le Parquet spécial prendra en compte, dans la mesure du possible, la représentativité
des incidents issus des conflits en RCA. Cette représentativité vise à minimiser les
perceptions d’injustice ou d’absence de justice qui découlent inévitablement d’un
processus de priorisation des incidents à poursuivre. Il est important de rappeler que
la représentativité n’implique pas l’équivalence numérique. Le critère de
représentativité comprend différents éléments énumérés ci-dessous :
• Représentativité des victimes : les enquêtes et les poursuites devront être
représentatives des victimes affectées par les crimes en prenant en compte
notamment les différents groupes religieux, ethniques et géographiques ainsi
que le genre et le caractère particulièrement vulnérables des victimes ;
• Représentativité des auteurs présumés et des différents groupes armés ou
structures de l’État, impliqués dans les violations commises en RCA de 2003 à
nos jours : cet indicateur vise à s’assurer que la stratégie d’enquêtes et de
poursuites couvre le comportement criminel des acteurs impliqués dans la
commission des crimes d’une manière représentative. Le Parquet spécial
prendra en compte les appartenances ethniques, religieuses et des acteurs
impliqués dans les violations en RCA depuis 2003.
• Représentativité géographique : les incidents sélectionnés devront, dans la
mesure du possible, représenter les différentes régions touchées par la crise en
RCA ;
• Représentativité historique : la valeur représentative des incidents sélectionnés
sur le plan historique du conflit sera prise en compte. Le choix des incidents
doit être représentatif des différentes périodes de conflits en RCA de 2003 à nos
jours42;
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C. Suspects appréhendables : possibilités d’identification, de localisation et d’arrestation
66. Les possibilités d’identification, de localisation et d’arrestation de suspects sont des
considérations opérationnelles importantes dans un contexte de crise générale, et tout
particulièrement dans le contexte de la RCA, qui a non seulement connu une longue
période de tension et de multiples conflits armés mais qui souffre toujours de
violences continues.
D. Disponibilité de renseignements ou de preuves existantes
67. Dans certaines circonstances, le Parquet spécial aura reçu ou obtenu des
renseignements par plainte ou dénonciation ou des preuves à travers une demande
d’information à une juridiction de droit commun avant l’initiation de sa propre
enquête. Dans ces cas, il procèdera à une évaluation objective des renseignements
disponibles et de la possibilité de collecter des preuves additionnelles lors d’une
enquête. La disponibilité, la crédibilité et la fiabilité des renseignements et des preuves
matérielles et des procès-verbaux existants seront examinées et évaluées. En
particulier, il examinera, inter alia, la disponibilité de témoins en vie et disposés à
témoigner ainsi que la disponibilité et la qualité des preuves documentaires et autres
preuves matérielles non-détruites y compris les preuves médico-légales.
E. Autres éléments stratégiques
68. Le Parquet spécial prendra aussi en compte d’autres éléments stratégiques dans sa
priorisation des enquêtes et des poursuites, à savoir :
• La disponibilité des ressources pour les enquêtes
• La durée raisonnable de l’enquête.
• Le développement de futurs dossiers.
F. Intérêt Public
69. Le Parquet spécial prendra en compte un certain nombre d’autres éléments touchant
à l’intérêt public :
• Instaurer la confiance en la CPS en traitant avec diligence les enquêtes et
instructions ;
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• Prendre en compte la valeur emblématique de certains incidents et crimes
commis ;
• Tenir compte de l’impact de la sélection des enquêtes, des poursuites, et
des auteurs présumés sur la dissuasion de la criminalité.
CONCLUSION
70. L’ampleur et le caractère généralisé des violations commises en RCA depuis 2003 et
la continuation actuelle des violences dans le pays constituent de réels défis pour
traduire en justice les auteurs de ces crimes. Face à ces défis et pour assurer l’exécution
efficace de son mandat, la CPS adopte cette Stratégie de sélection et de priorisation
des incidents, affaires, et infractions spécifiques devant faire l’objet d’enquêtes et de
poursuites. Cette stratégie permet à la CPS de communiquer publiquement et avec
transparence les critères guidant le Parquet spécial et la Chambre d’instruction dans
la délimitation du domaine d’intervention de la Cour qui sous-tend la sélection des
dossiers. Cette Stratégie présente aussi les éléments aidant le Parquet spécial dans la
détermination de l’ordre de ses enquêtes et de ses poursuites. Cette Stratégie a pour
but de favoriser une meilleure compréhension du travail de la Cour par les victimes
et le public en général. Elle est susceptible d’être réévaluée dans le temps en fonction
de l’expérience et de l’évolution de la CPS.