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Domesticacao de Animais Na America

Date post: 15-Jan-2016
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Un Aspect méconnu de l'histoire de l'Amérique
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Jean-Pierre Digard Un Aspect méconnu de l'histoire de l'Amérique : la domestication des animaux In: L'Homme, 1992, tome 32 n°122-124. La Redécouverte de l'Amérique. pp. 253-270. Citer ce document / Cite this document : Digard Jean-Pierre. Un Aspect méconnu de l'histoire de l'Amérique : la domestication des animaux. In: L'Homme, 1992, tome 32 n°122-124. La Redécouverte de l'Amérique. pp. 253-270. doi : 10.3406/hom.1992.369535 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1992_num_32_122_369535
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Jean-Pierre Digard

Un Aspect méconnu de l'histoire de l'Amérique : ladomestication des animauxIn: L'Homme, 1992, tome 32 n°122-124. La Redécouverte de l'Amérique. pp. 253-270.

Citer ce document / Cite this document :

Digard Jean-Pierre. Un Aspect méconnu de l'histoire de l'Amérique : la domestication des animaux. In: L'Homme, 1992, tome32 n°122-124. La Redécouverte de l'Amérique. pp. 253-270.

doi : 10.3406/hom.1992.369535

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1992_num_32_122_369535

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Jean-Pierre Digard

Un aspect méconnu de l'histoire de l'Amérique :

la domestication des animaux

Jean-Pierre Digard, Un Aspect méconnu de l'histoire de l'Amérique : la domestication des animaux. — Le continent américain se signale par l'association originale de trois types d'actions domesticatoires : 1) à l'époque précolombienne : « premières domestications » d'espèces indigènes peu nombreuses (alpaca, lama, cobaye, dindon et canard à caroncule), selon un processus néolithique bien connu de « chasse sélective » (surtout, ici, pour les camélidés) ; 2) à toutes les époques : apprivoisements nombreux, presque systématiques dans certaines sociétés amérindiennes, d'animaux sauvages isolés, apprivoisements qui ont pu, tantôt favoriser (chien), tantôt empêcher (bison, caribou) les domestications « vraies » ; 3) à partir du xvie siècle : re-domestications locales d'animaux qui, après avoir été introduits par les Européens (pintade, bœuf, cheval), étaient retournées, parfois massivement, à la vie sauvage (animaux « marrons ») à la faveur des désordres qui accompagnèrent la Conquête. Ces processus domesticatoires correspondent à autant de strates socio-culturelles et forment la base du (des ?) système(s) domesticatoire(s) américain(s).

Le continent américain est encore considéré, par certains spécialistes de la domestication animale, qui le comparent au Moyen-Orient, comme un « foyer de domestication » de second ordre. Cette mauvaise réputation ne me paraît nullement méritée ; elle procède en tout cas d'une conception étriquée et, pour tout dire, stérilisante de la notion de domestication. A cet égard aussi, l'Amérique aurait donc bien besoin d'être redécouverte. On se contentera, dans cet article, d'indiquer quelques-unes des voies d'accès à cet immense champ de recherche, en laissant aux américanistes le soin de poursuivre l'exploration et, le cas échéant, de conclure.

Les premières domestications

L'acception la plus courante du mot domestication est celle de première domestication, que lui donnent les préhistoriens. Si l'on s'en tient à celle-ci, on peut en effet penser que l'apport de l'Amérique en ce domaine est resté

L'Homme 122-124, avr.-déc. 1992, XXXII (2-3-4), pp. 253-270.

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relativement modeste : d'une part, les espèces animales indigènes qui y ont été domestiquées pour la première fois ne sont qu'au nombre de cinq — le lama (Lama glama), Palpaca (Lama pacos), le cobaye (Cavia porcellus), le dindon (Meleagris gallopavo) et le canard à caroncule (Cairina moschata) ; d'autre part, si plusieurs de ces espèces ont bien franchi les frontières du continent américain, aucune, toutefois, n'a connu de diffusion ni, a fortiori, de destin historique comparables à ceux, par exemple, du cheval, du bœuf ou même du coq. L'histoire de leur domestication n'en est pas moins intéressante1.

Longtemps méconnu, le cas des camélidés andins vient d'être éclairé par de récentes fouilles archéologiques. D'après les découvertes faites sur le site de Telarmachay, au Pérou (Lavallée, Julien & Wheeler 1985 ; Lavallée, Julien, Wheeler & Karlin 1985), l'alpaca puis le lama auraient été domestiqués progressivement au cours du Ve millénaire av. J.-C. A partir de —4000, leur domestication est attestée dans toutes les Andes centrales et même dans certaines régions côtières. Et vers le milieu du —IIIe millénaire, une véritable vie pastorale, fondée sur l'exploitation successive d'étages altitudinaux complémentaires, se trouve déjà en place dans diverses régions andines (Murra 1965 ; Browman 1974 ; Wheeler 1984).

Le processus domesticatoire est ici celui de la « chasse sélective » (élimination préférentielle des animaux les plus âgés, des mâles en surnombre, etc.) remplaçant progressivement la prédation au jour le jour des débuts (le foraging de Lewis Binford 1962). A propos de cette « transformation extraordinaire » qui se produit dans les Andes à la charnière des Ve et IVe millénaires, les « fouil- leuses » de Telarmachay soulignent qu'« à force de traquer, saison après saison, les mêmes espèces animales dans les mêmes lieux, les chasseurs ont fini par connaître si bien le comportement et le territoire de ces animaux qu'ils exercent maintenant sur des troupeaux entiers une sorte de 'contrôle' » (Lavallée, Julien & Wheeler 1985 : 17).

Entre, d'une part, le lama et l'alpaca domestiques, utilisés pour le transport, la laine et la viande, et, d'autre part, le guanaco (L. guanacoe) demeuré sauvage (Flores Ochoa 1978 ; W. L. Franklin 1982), la vigogne (L. vicugna), dont la laine était très recherchée pour sa finesse et sa résistance, a longtemps connu un type d'exploitation intermédiaire, lointain vestige d'une chasse assurément plus proche d'une saine gestion de la faune sauvage que de la prédation aveugle2.

Ce type d'exploitation, attesté dès l'époque pré-incaïque, consistait à capturer les animaux sauvages, à les tondre, puis à les relâcher. Sous l'Empire inca, au plus tard au XVe siècle dans le nord-ouest de l'actuelle Argentine, cette « chasse » (chaku) a été sévèrement réglementée et les cas d'abattage inconsidéré durement punis. Les opérations de capture ne pouvaient avoir lieu que tous les quatre ou cinq ans, généralement à la fin de l'été, et uniquement sous supervision officielle. Les chasseurs, très nombreux (jusqu'à 20 000 au Pérou), formaient un gigantesque cercle qui se rétrécissait peu à peu, enfermant les vigognes. Celles-ci étaient attrapées avec les bolas (arme de jet faite de plusieurs

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pierres reliées par des lanières) et tondues, après quoi on les remettait en liberté. Toutefois, on abattait un certain nombre de mâles, dont les peaux étaient réservées à PInca ; leur viande, comme celle des guanacos et des cerfs pris en même temps, était en partie consommée sur place, en partie boucanée afin d'être conservée. Il existait aussi une variante qui consistait à rabattre les animaux dans d'étroits défilés où on les capturait. Certains vestiges du nord-ouest argentin semblent indiquer que des populations pré-incaïques construisaient également, dans ce but, des enclos de pierres.

Avec la colonisation espagnole et l'effondrement de l'Empire inca, les chaku se multiplièrent sans contrôle et l'abattage des vigognes se développa. La technique se maintint cependant jusqu'au xvme siècle au Pérou et au début du XXe siècle dans le nord-ouest de l'Argentine. Les groupes de chasseurs étaient encore assez nombreux, sans toutefois atteindre les dimensions spectaculaires de l'époque incaïque. Un capitán, élu parmi les participants, distribuait les tâches, coordonnait les manœuvres et arbitrait les différends qui ne manquaient pas de survenir au moment de la répartition du butin. En effet, si l'encerclement continuait à nécessiter une organisation collective, la capture elle-même était devenue individuelle : chaque chasseur partait avec un grand nombre de bolas identifiables grâce à une marque qui lui était personnelle ; pour éviter les pertes de temps, les bolas étaient lancées au cou de l'animal qu'on laissait, une fois capturé, étouffant sur place... Le décompte des prises était effectué une fois la chasse terminée (en général, 30 à 40 peaux par expédition et par homme). Aux environs de 1920, la diffusion des armes à feu et les transformations des sociétés andines entraîneront l'abandon de la pratique du chaku collectif : les chasseurs, solitaires ou en petits groupes, commencèrent à décimer les vigognes à la carabine, parfois avec l'aide de chiens. L'espèce échappa de justesse à l'extinction, grâce à diverses lois, promulguées à partir de 1921 au Pérou et de 1926 en Argentine, qui interdirent la chasse et la commercialisation des produits de la vigogne.

Donc, avant de dégénérer à l'époque moderne, un mode original d'exploitation de la vigogne avait subsisté en Amérique du Sud pendant près de quatre siècles, parfois beaucoup plus dans certaines régions. Tenant de la chasse par nombre d'aspects, ce mode d'exploitation était aussi apparenté à la domestication par beaucoup d'autres, au plan technique — l'animal était exploité vivant, une sélection était opérée sur les mâles, etc. — comme au plan des représentations : avant tout chaku les chasseurs devaient solliciter, par des offrandes et des prières, le consentement d'un certain Coqueña (ou Jujuy ou Salta, selon les lieux), « berger » mythique des vigognes, dont on disait que celles-ci étaient les « petits lamas » (llamitas de Coqueña), c'est-à-dire les animaux domestiques.

Bref, entre la « chasse » des vigognes et certaines formes d'élevage très exten- sif — comme, par exemple, le proto-élevage des rennes tel qu'il était pratiqué par les Tchouktchis ou par certains Lapons (Leroi-Gourhan 1964 : 307) — , il n'y a qu'un pas. Or ce pas n'a jamais été franchi. Pourquoi ? L'explication classique, qui considère la domestication de la vigogne impossible, n'est guère

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convaincante. On ne comprend pas, notamment, pourquoi cet animal, qui s'apprivoise très bien, ne se reproduirait pas en captivité, alors que l'alpaca, qui n'est pas moins fragile, a été, lui, domestiqué — les deux espèces donnant d'ailleurs des hybrides fertiles (pacovicuña)... En vérité, l'homme a réussi bien des domestications plus difficiles que celle de la vigogne. La raison du maintien de ses relations avec cet animal dans un stade intermédiaire entre la chasse et l'élevage se situe donc probablement ailleurs. L'hypothèse la plus vraisemblable est que la domestication de la vigogne aurait risqué de nuire à la valeur de sa laine. On sait en effet que l'état domestique entraîne à la longue, en particulier chez les ruminants, d'importantes modifications des toisons, modifications qui ne vont pas toujours — à moins d'une sélection appropriée, très poussée et souvent délicate — dans le sens d'une amélioration (du point de vue de l'homme).

Par ailleurs, la vigogne n'est pas, en Amérique, le seul animal à camper sur la frontière entre sauvagerie et domesticité. Les ombrageuses abeilles à miel des Guayakis du Paraguay (Vellard 1939), les cochenilles, insectes élevés au Mexique (Donkin 1977) mais au statut incertain, comparable à celui du ver à soie, les chevaux que les Comanches malmenaient — « comme des bicyclettes », s'offusquait Ralph Linton (1936 : 428-429) — pour qu'ils ne se laissent pas approcher par les voleurs, ou encore les taureaux de corrida, élevés pour combattre l'homme jusqu'à la mort, offrent, chacun à sa manière, des exemples d'animaux en équilibre plus ou moins instable entre état sauvage et état domestique. Pour tous se pose la question de savoir ce qui les y maintient : est-ce la nature qui les retient, et comment ? ou bien est-ce l'homme qui les repousse, et pourquoi ? Question à laquelle, on le verra, il n'est pas toujours aisé d'apporter une réponse tranchée.

Les processus domesticatoires du cobaye, du dindon et du canard à caroncule sont loin, très loin, d'être connus avec autant de précision que ceux des camélidés. Cette incertitude s'explique en grande partie par la faible taille de ces animaux, dont les os — sauf conditions exceptionnelles — ont laissé relativement peu de traces dans les niveaux archéologiques.

Le cobaye ou cochon d'Inde est le plus typiquement et le plus anciennement domestiqué des Rongeurs. Depuis maintenant 4 500 ans, cet attachant petit caviidé est élevé en liberté dans les habitations rurales des Andes, où il constitue à la fois un éboueur peu encombrant et une réserve permanente de viande, bien souvent la seule (Gade 1967 ; Huss 1982). Importé en Europe, il est devenu, pour la facilité de sa manipulation et de son entretien, un animal de compagnie apprécié des enfants et le premier animal de laboratoire — c'est d'ailleurs de son nom en tupi, sabúja, via le portugais çabuja et le latin cobaya des naturalistes du XVIIIe siècle, que vient le mot français « cobaye », sujet d'expérience (Bloch & von Wartburg 1964 : 138). Les conditions de sa première domestication sont mal connues : il aurait d'abord été chassé — probablement piégé — (à partir de — 10 000) avant de devenir un aliment de prédilection, d'être apprivoisé et peut-être parqué (entre —7700 et —6300) et enfin pleinement et

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massivement domestiqué (par endroits à partir de — 5000, définitivement vers -2500) (Lavallée 1990 : 28-29). Leurs incisives et leur régime alimentaire, qui leur permettent de s'attaquer à des nourritures extrêmement diversifiées, ainsi que leur rythme de reproduction très élevé font des Rongeurs de redoutables voleurs de réserves alimentaires, auxquels les hommes ont toujours livré une guerre acharnée ; on peut donc imaginer qu'à force de traquer les ancêtres du cobaye, les anciens habitants des Andes ont fini par comprendre le parti qu'ils pouvaient en tirer.

De la première domestication du dindon, nous ne savons qu'une chose : qu'elle eut lieu au Mexique vers -5000. Introduit en Europe dans les années 1520, ce volatile accéda presque immédiatement au statut d'animal de ferme, en raison de sa taille suffisante pour nourrir une « tablée ».

Le cas du canard à caroncule n'est guère mieux connu. Il suffit de savoir qu'on appelle « canard de Barbarie » en français, Muscovy duck en anglais, türkische Ente en allemand pour deviner que son origine est demeurée longtemps mystérieuse. Les seuls restes trouvés, en Equateur, et associés à des sépultures humaines sont récents puisqu'ils datent des ville-Xlle siècles de notre ère. En revanche, ses représentations en céramique sont nombreuses à partir de —3000. Elles sembleraient indiquer que l'animal, domestiqué sur le littoral pacifique de l'Amérique du Sud, a ensuite gagné, à l'époque précolombienne, d'une part le reste du sous-continent sud-américain, d'autre part l'Amérique centrale (Donkin 1989). Importé en Europe au milieu du XVIe siècle par les Espagnols, sa généralisation semble tardive (XVIIIe siècle), d'où, certainement, l'hésitation que traduisent ses divers noms.

Comme les autres espèces domestiques originaires d'Amérique, le dindon et le canard à caroncule ont sûrement été chassés avant d'être domestiqués. Mais il est tout aussi certain que le passage de la chasse à l'élevage ne s'est pas opéré, pour ces deux oiseaux, de la même manière que pour le cobaye ou, a fortiori, pour les camélidés. On manque, pour progresser dans ce domaine, tout autant de ce « catalogue d'hypothèses » qu'André Leroi-Gourhan appelait à puiser dans l'ethnographie que de témoins matériels exhumés par les fouilles. A qui la faute ? Certainement au cloisonnement des disciplines et à son corollaire, la fragmentation des phénomènes, à quoi nous devons un siècle d'études de la domestication limitées à l'étude des « premières » domestications et/ou des domestications « vraies ». Au contraire, il me semble évident (Digard 1990, passim) que, pour comprendre l'action de domestication, il faut s'efforcer d'en considérer toutes les composantes — sociales et ideelles aussi bien que techniques — et toutes les formes, passées et présentes. Or, si les premières domestications réalisées en Amérique constituent un ensemble en effet relativement modeste, le répertoire américain de la domestication est loin de se limiter à cela.

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Domestication et apprivoisement : l'origine du « pétichisme »3

La « mauvaise réputation » dont, disions-nous, l'Amérique pâtit aux yeux de certains spécialistes, tient aussi aux « blancs » que laissent, sur les cartes de la domestication (Isaac 1970), de larges pans de ce continent (mais aussi d'Afrique, d'Asie et d'Océanie) qui regorgent pourtant d'une faune dense et diversifiée, de sorte qu'une question vient immédiatement à l'esprit : existe-t-il des systèmes sociaux incompatibles avec la domestication, des systèmes sociaux qui pourraient donc être qualifiés de « non domesticateurs » ?

Il se trouve que tous les groupes qui habitent les régions en question présentent au moins un caractère commun : il s'agit de chasseurs-cueilleurs qui apprivoisent couramment des animaux isolés, prélevés sur le milieu naturel, mais sans passer à la domestication d'espèces entières (aux seules exceptions notables du chien et/ou du porc). Le premier auteur à avoir été frappé par cette coïncidence est James Downs. Mais il considère la domestication et le pet keeping comme deux phénomènes radicalement différents, tant par leur distribution dans l'espèce humaine — le pet keeping serait universel (pan human, écrit Downs) alors que la domestication ne l'est pas — que par la nature de l'action qu'ils représentent. Downs considère donc qu'il y a des sociétés (uniquement) « apprivoisatrices », distinctes des sociétés « domesticatrices » (Downs 1960 : 35, 39-40 et 60).

On sait que je conteste ce découpage de l'acte domesticatoire en tranches : pour moi, apprivoisement et domestication « vraie » sont inséparables et se situent sur un même continuum (Digard 1990 : 100-103). Il n'en reste pas moins que les sociétés évoquées plus haut se sont arrêtées à un point précis de ce continuum, alors que d'autres ont poursuivi logiquement leur progression pour parvenir, par la chasse, à la domestication (voie d'accès attestée pour les camélidés andins ou encore, par exemple, pour le renne en Eurasie). Plus exactement : les premières se sont arrêtées en un point précis du continuum pour certaines espèces seulement, car elles ont su progresser pour d'autres (chien ou porc). La question correcte est donc : pourquoi ces espèces-là ? La réponse doit être cherchée dans les systèmes de représentations des rapports hommes-animaux propres aux sociétés de chasseurs-cueilleurs. Chez les Pygmées, les Amérindiens, les Eskimo et les peuples sibériens, ainsi que chez les Aborigènes d'Australie — mais sur des bases quelque peu différentes — , « Le monde animal est conçu à l'image du monde humain, c'est un monde hiérarchisé » (Testard 1987 : 186). Par exemple, les Achuar, Jivaro du haut Amazone à qui Philippe Descola a consacré un livre magistral, se représentent la nature à l'image de leur propre société : les animaux de la forêt sont pour eux des parents, des alliés ou des ennemis, qu'il leur faut, à l'instar de leurs partenaires humains habituels, séduire, contraindre ou écarter. Or, démontre Descola, cette socialisation de la nature n'est pas, comme on l'avait cru trop souvent, un relief naïf et illusoire de la société : elle détermine en partie les choix ethniques et le devenir historique des Achuar (Descola 1986).

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Plus particulièrement avec les animaux qui constituent leur gibier, les chasseurs-cueilleurs entretiennent « un rapport fondé sur l'échange de bons procédés bien qu'il ne soit pas exempt d'une certaine tension » (Testart 1987 : 185). Toutes ces sociétés vivent en effet dans la crainte que les animaux, avertis par leurs congénères des mauvais traitements que leur infligent les humains, ne se laissent plus prendre ou se vengent des chasseurs en les attaquant. Des rites complexes sont donc scrupuleusement observés afin que les animaux tués ne puissent pas reconnaître leurs agresseurs (en Sibérie, on coupait le museau de l'ours et l'on accusait les Russes de la mort du loup) ou bien pour qu'ils ne se formalisent pas du traitement qu'on leur fait subir (on leur présente des excuses et des friandises, leurs restes sont traités avec déférence) ; des fêtes de réconciliation entre les hommes et les animaux sont organisées, etc. {ibid., et Serpell 1986 : 136-149).

Situé dans ce contexte, l'apprivoisement d'animaux isolés enlevés à la vie sauvage par les chasseurs-cueilleurs revêt un sens bien précis. Chez la plupart des Indiens d'Amazonie, par exemple, il semble être le fait exclusif des femmes. Celles-ci maternent affectueusement ces animaux — il peut s'agir de pécaris, de singes, de paresseux, d'oiseaux, etc.4 — , jouant avec eux et les nourrissant au sein ou avec des aliments prémastiqués au même titre que leurs propres enfants (Simoons & Baldwin 1982 ; Haudricourt 1986 ; Mühet 1987). Une telle prise en charge représente une contrepartie, une réparation nécessaires de l'acte de prédation dont les hommes se rendent coupables en chassant. Cette contrepartie n'a évidemment de valeur que si les animaux familiers ainsi maternés ne sont jamais ni tués ni mangés. Semblable interdiction est justifiée et manifestée par l'insertion des animaux familiers dans un système de parenté classificatoire et métaphorique complexe (dont je passe ici les détails) qui fait de leur consommation un acte d'anthropophagie (Erikson 1987). En ce sens, l'apprivoisement d'animaux sauvages appartient bien, en effet, à l'univers de la chasse. On voit mal, au demeurant, quel intérêt de telles sociétés pourraient trouver dans la domestication à plus grande échelle d'animaux qui sont ainsi frappés d'un interdit alimentaire. « En fin de compte, apprivoisement et chasse peuvent donc être considérés comme deux aspects complémentaires d'un phénomène unique : V assimilation d'animaux par la société humaine » {ibid. : 117).

Pourtant, cet apprivoisement n'apparaît pas totalement contradictoire avec la domestication. Le cas du chien en est la preuve. Cet animal, dont la présence est attestée en Amérique du Nord dès - 10000, serait arrivé déjà domestiqué (et utilisé comme auxiliaire de chasse ?) par la voie classique de l'isthme de Bering. Il apparaît en Amérique du Sud comme éboueur et auxiliaire de chasse (peut-être même comme gardien-rabatteur de troupeaux) vers — 6000, puis, outre ses précédents emplois, comme aliment de choix vers -4000 (Lavallée 1990 : 27-28 ; Lutz 1984). Si bien qu'au moment de la colonisation espagnole les Américains disposaient de plusieurs « races » de chiens nettement différenciées, sélectionnées pour la chasse, ou pour la consommation humaine, ou encore pour

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la compagnie (Downs 1960 : 60, n. 8) ; ainsi, au Mexique, existait déjà (mais pour être mangé) le xoloitzcuintli « chien nu » (sans poils) bien connu des cynophiles modernes (Sahagun 1979 [1570], livre XI, chap. I : 628)5.

Dans nombre de sociétés indiennes de l'Amérique du Sud aujourd'hui, le chien est lui aussi assimilé à la société humaine mais d'une manière totalement différente de celle des autres animaux familiers. Auxiliaire de chasse par excellence, il appartient au monde masculin. Vivant par ailleurs dans la promiscuité sexuelle avec ses congénères, le chien pratique l'inceste : il incarne donc la transgression voire l'inversion de la norme (Descola 1986 : 294-290, 400 ; Erikson 1986 : 106 ; Testart 1987 : 117). L'animal domestique qu'est le chien se distingue donc doublement des animaux apprivoisés. Cela explique notamment que la consommation du premier, à la différence de celle des seconds, soit considérée comme licite dans de nombreuses sociétés amérindiennes. Le même type d'analyse pourrait s'appliquer au porc, qui apparaît en maintes régions du monde comme l'équivalent presque exact du chien (Downs 1960 : 59-60 ; Donkin 1985 ; Morton 1984).

Plutôt que d'opposition radicale entre des sociétés apprivoisatrices et des sociétés domesticatrices, c'est donc de cloisonnement, interne à certaines sociétés, entre un apprivoisement lié à la chasse et la domestication qu'il convient de parler. Nul doute que c'est une piste semblable qu'il faudrait suivre pour expliquer, par exemple, pourquoi les Indiens des Plaines, qui avaient pourtant l'expérience de la domestication du chien puis du cheval — animaux entre lesquels ils établissaient d'ailleurs maintes analogies (Haines 1938 ; Roe 1939) — , n'eurent pas l'idée d'entreprendre aussi celle du bison ou du caribou6.

Une revanche les re-domestications d'animaux marrons

Dans les contextes où l'équilibre entre état sauvage et état domestique est précaire, il faut parfois très peu de chose pour faire pencher la balance dans un sens ou dans l'autre. En particulier, il suffit que l'homme perde un tant soit peu le contrôle de la situation ou que sa pression se relâche, involontairement ou non, pour que des animaux domestiqués, parfois des espèces entières, lui échappent. Certains animaux (abeilles, porcs, rennes et autres herbivores d'élevage très extensif) retournent d'autant plus facilement à l'état sauvage que leur domestication ne les en éloigne jamais beaucoup. Mais bien d'autres espèces peuvent se trouver concernées. On dit de ces animaux qu'ils sont « marrons ». Ce mot, au sens d'« esclave nègre fugitif » (1667), provient d'une altération de l'espagnol d'Amérique cimarrón (même sens), lui-même dérivé de l'ancien espagnol cimarra « fourré », qui se disait peut-être, d'abord des animaux domestiques qui se sont enfuis dans les bois, puis des esclaves fugitifs, avant de s'appliquer de nouveau, par analogie, aux animaux échappés ou abandonnés et revenus à l'état sauvage (Bloch & von Wartburg 1964 : 394).

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Du sort commun de ces deux catégories de fugitifs, la pintade (Numida melea- gris) apporte un témoignage qui mérite d'être relevé. Ce gallinacé est l'un des rares animaux domestiques originaires d'Afrique. Disparu d'Europe aux temps préhistoriques, il y a été réintroduit par les Romains, qui le découvrirent en Numidie (Algérie actuelle). Dispersées avec les débris de l'Empire romain, les pintades seront à nouveau réintroduites en Europe, cette fois définitivement, au milieu du XVe siècle, par les explorateurs portugais de l'Afrique occidentale (le nom de la pintade viendrait du portugais pintada, dérivé de pintar « peindre » (ibid. : 487). En fait, l'élevage de cet oiseau coureur, beaucoup plus difficile à contrôler que le coq, ne s'est vraiment développé en Europe qu'au XXe siècle (à partir des années 1950).

Entre-temps, la pintade avait traversé l'Atlantique, tandis qu'était arrivé le dindon ; sans doute à cause de ce chassé-croisé, la pintade (aussi appelée « poule d'Inde ») et le dindon (dénommé « pintade ») furent longtemps confondus. Transportées de Guinée aux Antilles, à Cuba, à la Jamaïque, dès 1508, par les navigateurs génois en même temps, nous dit l'Encyclopédie, que « les premiers nègres qu'ils s'étaient engagés d'amener aux Castillans », les pintades s'échappèrent de partout en si grand nombre qu'elles finirent par constituer, en mains endroits, un véritable fléau. Sensibles à cet exemple, les esclaves qui, des montagnes d'Hispaniola où ils s'étaient réfugiés, appelaient leurs frères captifs à la révolte, firent de la « pintade marronne » le symbole de la liberté. C'est pourquoi, de nos jours, ce gallinacé au cri perçant et à la course rapide figure encore, en souvenir de l'Indépendance, sur les emblèmes de la République d'Haïti (Lamblard 1975).

Le marronnage représente — le curieux destin de la pintade le laisse déjà deviner — un problème vaste et complexe qui pourrait fournir à lui seul la matière d'un livre (voir déjà Mac Knight 1964 et Digard 1990 : 166-172). On ne pourra donc ici que l'effleurer. En effet, le phénomène revêt une ampleur que l'on ne soupçonne généralement pas — il touche plus ou moins toutes les espèces domestiques et toutes les parties du monde — et les questions qu'il soulève sont d'une grande importance pour la connaissance des processus et surtout des contextes de la domestication.

En certaines régions, les phénomènes de marronnage sont si nombreux et prennent une telle ampleur (parfois à l'échelle continentale) qu'on est fondé à parler de zones de marronnage aussi bien qu'ailleurs de zones de domestication. Incontestablement, l'Amérique est l'une d'elles. Pour curieuse qu'elle soit, l'aventure de la pintade évoquée plus haut fait figure d'anecdote à côté de la véritable épopée que représentent l'introduction du grand bétail par les Espagnols et les bouleversements sans précédent qu'elle entraîna, en moins de trois siècles, sur presque tout le continent7. Or — et ce fait est peu connu ou, du moins, pas assez souligné — , l'histoire du bétail en Amérique (on pourrait même dire : l'histoire de l'Amérique) n'aurait pas été ce qu'elle est sans le marronnage. Faute de pouvoir entrer dans le détail de cette histoire, on se contentera d'en relever les traits les plus significatifs pour notre propos.

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Premier trait : partout où il trouva des conditions ne serait-ce qu'acceptables, l'élevage des grands herbivores se propagea en Amérique à une vitesse incroyable. En quelques décennies, des estancias furent créées dans presque toute l'Amérique du Sud. Au milieu du XVIe siècle, le grand élevage bovin américain était présent dans le nord et le nord-ouest du Mexique (Chevalier 1952) ; il atteignit le Nouveau Mexique en 1598 et le Texas au XVIIIe siècle (Brand 1960). Parallèlement, l'élevage du cheval se répandit chez les Indiens d'Amérique du Nord comme une tramée de poudre : dès avant 1650 chez les Apaches, peu après chez les Navajo, vers 1660 chez les Ute, 1700-1705 chez les Ponça et les Pawnee, 1714 chez les Comanches, 1738 chez les Cree et les Arikara, 1750 chez les Blackfoot et les Cheyennes, 1775 chez les Dakota, 1784 chez les Gros Ventre et les Sarsi (Ewers 1955 ; Roe 1955 ; Denhart 1975).

Deuxième trait, corollaire du premier : cet élevage florissant était souvent mal contrôlé. A peine installés, les Conquérants donnent déjà l'impression d'être débordés par leur cheptel, à tel point que « dans les pampas argentines, comme dans les campos brésiliens et les llanos de l'Orénoque, il y a eut des millions de bêtes bien avant qu'il y apparut un seul établissement européen : la première occupation fut souvent réalisée d'abord par les troupeaux. [...] aussi existait-il une quantité de dénominations pour désigner ces bêtes plus ou moins sauvages ; on distinguait le bétail cimarrón ou chimarrào, c'est-à-dire sans propriétaire et sans marque, le bétail alzado ou alçado [...] qui a perdu sa domestication, mais conservé cependant une marque, le bétail teatino, qui est domestiqué et marqué, mais dont on ne sait qui est propriétaire, le bétail chucro, qui n'a jamais été domestiqué ; le bétail brabeza était celui qui vivait complètement sauvage, caché dans les forêts, on disait aussi baguas et, dans le Nord-Est brésilien, barbatao » (Def fontaines 1959 : 479, 482).

Un point culminant sera atteint avec les grandes révoltes indiennes de la fin du XVIe siècle : les vols et les disparitions de bétail se multiplièrent, de nombreuses estancias furent abandonnées par leurs occupants, des troupeaux entiers de chevaux et de bovins retournèrent à la vie sauvage (Picon 1983 : 230-231). Au XVIIIe siècle, dans le nord du Mexique, les troupes espagnoles appelées à combattre les Indiens du Sonora se déplaçaient avec tellement de chevaux (six à dix par cavalier) qu'elles arrivaient à peine à les contrôler, perdant ainsi leur mobilité et leur efficacité (Mirafuentes Galván 1984 : 100-102). Des phénomènes analogues s'observent en Amérique du Nord à partir de 1598, date à laquelle auront lieu les premiers retours massifs de chevaux à la vie sauvage (Mac Knight 1964).

Effarés, dans un premier temps, par ces animaux gigantesques et fougueux, les Indiens comprirent assez rapidement le parti qu'ils pouvaient en tirer. Certains, comme les Indiens du Chaco et de la Patagonie8 ou comme les Chichimèques du Mexique (Wachtel 1971 : 286), commencèrent par les chasser pour le cuir (cuerear) ou pour la viande (carnear) ; puis ils adoptèrent l'équitation, soit par imitation — « pour s'hispaniser » — comme les curaca péruviens (anciens chefs incas), soit, le plus souvent, par résistance, pour faire la guerre aux Espagnols,

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comme les Araucan du Chili {ibid. : 299) ou les Indiens du Chaco et de la Pata- gonie qui « transformèrent les prairies argentines en un immense Far West » (Bernand & Gruzinski 1988 : 219)9. D'autres, comme les Guajiro de Colombie, passèrent directement, dans la deuxième moitié du XVIe siècle, à l'élevage des bovins (Picon 1983). D'autres encore, comme nombre d'Indiens d'Amérique du Nord, transposèrent progressivement du chien, le seul animal domestique précolombien dont ils disposaient, au cheval leurs techniques de transport et d'élevage (Wissler 1914 ; Haines 1938 ; Roe 1939). Mais le fait important à retenir est celui-ci : quelles qu'aient pu être les motivations et les voies suivies, la transition de la chasse à l'élevage, chez les Indiens d'Amérique à partir du XVIe siècle, s'est presque toujours opérée à travers la re-domestication d'animaux marrons, fruits d'une acculturation plus ou moins indirecte ou différée.

Le marronnage ne disparaîtra pas pour autant d'Amérique : aux États-Unis — seul pays pour lequel on dispose d'estimations relativement fiables — , il restera endémique jusqu'à la fin du XIXe siècle. Évalués à plusieurs millions en 1800 et à deux millions en 1900, les « mustangs » (chevaux marrons, de l'ancien espagnol mestengo) étaient encore 17 000 en 1971, date à laquelle une loi a été promulguée pour protéger ces « symboles vivants de l'esprit pionnier et de l'histoire de l'Ouest » — en raison de quoi, ces animaux sont aujourd'hui 40 000, coûtent annuellement 17 millions de dollars en entretien de corrals fédéraux et en dédommagements des dégâts qu'ils causent (Le Monde, 10 février 1988). Aux chevaux, il faut ajouter des bovins et des ânes (une dizaine de milliers dans l'Ouest), des moutons et des chèvres (dans des îles au large de la Californie) et surtout des porcs, très nombreux (un million et demi) dans les marais, les deltas et les forêts des États du sud-est, de la Virginie au Texas (Mac Knight 1964).

Comment s'expliquent ces phénomènes de marronnage ? Quelles conclusions peut-on en tirer quant à la connaissance de la domestication ? Leurs causes sont complexes en ce sens qu'elles font intervenir en même temps des facteurs très différents.

Une première série d'explications relève des animaux eux-mêmes. Ceux qui ne peuvent survivre sans l'homme (cas limite du bombyx du mûrier et plus généralement de tous les animaux maintenus depuis longtemps dans des conditions artificielles) ne sont évidemment pas concernés par le marronnage. En revanche, les animaux qui ne peuvent être élevés que dans un environnement proche de leur biotope naturel (comme le renne) ou qui présentent un régime alimentaire peu spécialisé (comme le porc ou le chien) ou encore dont la domestication ne peut jamais être poussée très loin (comme l'abeille) retournent facilement à la vie sauvage.

Une seconde série d'explications — sans doute la plus déterminante — tient essentiellement à l'homme. La comparaison entre l'Amérique du Nord et l'Australie esquissée par Tom Mac Knight (op. cit.) montre que le marronnage est un phénomène typique de la colonisation pastorale des nouveaux mondes, dans un contexte de faible densité humaine. Le retour d'animaux à la vie sauvage est également favorisé par les périodes d'instabilité politique, économique et

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sociale : les aléas de la Conquête en Amérique hispanique, les incertitudes de la colonisation de l'Ouest américain, les conflits incessants entre ou avec les tribus indiennes, la guerre de Sécession aux États-Unis, ne sont certainement pas étrangers à la permanence du marronnage bien au delà du XVIIIe siècle. Sont également en cause les techniques d'élevage : les systèmes extensifs, fondés sur la recherche du nombre de têtes et l'exploitation de grands espaces, et qui laissent, notamment pour la recherche de nourriture, une grande initiative aux animaux (comme dans les pampas d'Argentine ou du Brésil), de même que ceux où la domestication est volontairement limitée (comme chez les Indiens des Plaines qui ne dressaient qu'à moitié leurs chevaux pour qu'il soit plus difficile de les voler) sont forcément plus instables et exposent en permanence l'homme à une perte rapide du contrôle des animaux en cas d'accident de parcours.

Dans la réalité, il n'est pas toujours aisé de démêler les facteurs qui tiennent à l'homme et ceux qui tiennent aux animaux : il est évident que les niveaux de domestication, par exemple, dépendent tout autant du premier que des seconds. On peut cependant dire que, sauf rares exceptions, une espèce animale ne peut jamais être considérée comme totalement et définitivement domestiquée, et que, dès lors qu'elle l'a été, son maintien dans cet état dépend avant tout de l'homme et de son action, quels qu'en soient les déterminants.

Réciproquement, aucune espèce animale ne peut être considérée comme entièrement à l'abri de toute tentative de domestication, surtout si, comme dans le cas des animaux marrons, elle avait déjà été domestiquée auparavant. Pourtant, ni cette loi générale, ni même la vigueur des forces d'acculturation dans l'Amérique hispanique ne suffisent à expliquer l'ampleur des re-domestications d'animaux marrons que connut le continent américain du XVIe au XVIIIe siècle. Plusieurs pistes complémentaires sont suggérées par la répartition géographique du phénomène, répartition trop particulière pour être entièrement due au hasard. En effet, ces re-domestications ont principalement pour cadre : 1) des milieux naturels fortement contraignants (régions tropicales, sub-tropicales arides ou péri-ar etiques), comme si le poids des contraintes agissait ici sur l'activité et l'intelligence humaines comme un catalyseur, en les stimulant ; 2) des zones caractérisées par l'absence ou le très faible nombre de domestications anciennes et/ou par un marronnage endémique (pampas d'Amérique du Sud, grandes plaines d'Amérique du Nord), comme si, dans ces zones, l'homme avait à accomplir une sorte de devoir ou à satisfaire un désir de revanche sur la nature et sur l'histoire...

Questions pour poursuivre

Résumons-nous. Le continent américain se signale par une association originale de trois types d'actions domesticatoires :

1) à l'époque précolombienne : « premières domestications » d'espèces indigènes peu nombreuses (alpaca, lama, cobaye, dindon et canard à caroncule),

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selon un processus néolithique bien connu de « chasse sélective » (surtout, ici, pour les camélidés) ;

2) à toutes les époques : apprivoisements nombreux, presque systématiques dans certaines sociétés amérindiennes, d'animaux sauvages isolés, apprivoisements qui ont pu tantôt favoriser (chien) tantôt empêcher (bison, caribou) les domestications « vraies » ;

3) à partir du XVIe siècle : re-domestication d'animaux qui, après avoir été introduits par les Européens (pintade, bœuf, cheval), étaient retournés en maints endroits, parfois massivement, à la vie sauvage (animaux marrons) à la faveur des désordres qui accompagnèrent la Conquête.

Ces faits posent, me semble-t-il, deux grandes questions aux américanistes. Première question : existe-t-il un lien nécessaire — et de quelle nature ? —

entre ces processus domesticatoires et des strates socio-culturelles qui correspondraient, en gros : 1) à des sociétés agro-pastorales andines plus ou moins intégrées dans un cadre étatique (un peu à la manière des nomades montagnards de l'Ancien Monde) ; 2) à des sociétés de chasseurs-cueilleurs vivant en marge des formations étatiques ; 3) à des systèmes, sans équivalent ailleurs (sauf peut- être en Sibérie ?), qui associent, à des degrés divers, la chasse et l'élevage (Guajiro, Indiens des Plaines) — sociétés et systèmes auxquels s'ajoute évidemment 4) le système hispano-américain fondé sur l'élevage bovin extensif et la grande propriété.

Deuxième question : ces processus domesticatoires, ainsi que les ensembles socio-culturels auxquels ils sont éventuellement liés, forment-ils des systèmes domesticatoires indépendants les uns des autres ? ou bien sont-ils interdépendants, leur association constituant la base d'un seul et même système domesti- catoire américain intégré et original ? On permettra au non-américaniste que je suis d'ajouter que je penche fortement pour cette dernière hypothèse10.

CNRS, Unité de recherche 252, Ivry-sur-Seine

NOTES

1. Voir, surtout pour les camélidés andins, la dernière mise au point de D. La vallée (1990). 2. La description qui suit est tirée d'une note anonyme intitulée « La vicuña. Ficha antropológica

n° 5. Fauna argentina. 1984. », note qui m'a obligeamment été communiquée par Raymond Pujol, sous-directeur au Muséum national d'Histoire naturelle.

3. De l'anglais pet « animal familier ». J'emprunte cet éloquent néologisme à Szasz 1968. Mais il y a peut-être là beaucoup plus qu'un simple jeu de mots : Carl Sauer (1969) pense en effet que l'engouement moderne pour les pets est le prolongement de la manie des animaux mascottes contractée, selon lui, par les navigateurs et les premiers explorateurs de l'Amérique du Sud au contact des Indiens.

4. On trouvera dans Erikson (1988 : 29) une liste détaillée des animaux mascottes des Indiens d'Amazonie. Certaines sources coloniales espagnoles attestent que l'apprivoisement d'animaux était ancien et répandu dans bien d'autres régions : par exemple, pour les Andes du Pérou, Bernabé Cobo 1964 [1653], I : 364) signale le tánica, petit cervidé sécrétant des bézoards ; pour le Mexique, Bernadino Sahagún 1979 [1570], livre I, chap, n : 643-644) mentionne un oiseau chanteur (cuitlacochin) et une variété de caille (zollin)... Je dois ces références à l'amitié de Carmen Bernand.

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5. A propos des chiens, plusieurs auteurs rapportent une bien étrange croyance : « On était [...] convaincu », écrit par exemple A. Franklin (1899 : 154), « que les chiens d'Amérique n'aboyaient pas, et que les autres perdaient la voix aussitôt qu'ils touchaient la terre du nouveau monde. » Or, à ma connaissance, les chiens de l'Amérique actuelle aboient tous bel et bien. Et je n'ai pas réussi, à ce jour, à trouver le plus petit commencement d'explication de cette curieuse énigme.

6. Orignaire d'Amérique, le renne (Rangifer tarandus) s'est répandu à l'époque préhistorique dans tout l'hémisphère nord, où il était intensément chassé (« Âge du renne » : Paléolithique supérieur, surtout Magdalénien). A la fin de la période glaciaire, il fut contraint de se réfugier dans la zone circumpolaire. Il subsiste à l'état sauvage au Canada principalement (« caribou »). Mais c'est en Eurasie septentrionale, et là seulement, que le renne a été domestiqué, dans le courant du IIIe millénaire av. J.-C, probablement par des peuples venus du sud, ancêtres des Toungouzes et des Samoyèdes, ou sous leur influence, qui lui appliquèrent, lorsqu'ils le découvrirent, leurs savoirs d'anciens éleveurs de chevaux. Les rennes élevés aujourd'hui par certains Eskimo du Canada ne sont d'ailleurs pas les cariboux locaux, mais des rennes lapons qui furent importés avec leurs éleveurs à la fin du xixe siècle. Quant aux bisons, d'Amérique (Bison bison) et d'Europe (B. bonasus), hormis quelques expériences isolées, ils n'ont jamais été domestiqués. L'hypothèse émise par Downs (1960 : 42), selon laquelle les Indiens des Plaines auraient sûrement tenté l'aventure s'ils avaient connu le fil de fer barbelé, paraît plus amusante que véritablement fondée.

7. La bibliographie sur le sujet est immense. Parmi les rares travaux de synthèse, signalons surtout : Nordenskiold 1922 : 47-53 (chapitre ni : « The Introduction of Horses and Cattle into South America ») et pp. 154-176 (importante bibliographie) ; Johnson 1943 ; Deffontaines 1957, 1964 : 15-40 ; Denhart 1975.

8. Un missionnaire allemand de l'époque (Paucke 1943, II) a laissé d'excellentes descriptions des techniques de chasse au cheval (à pied et à cheval) que les Mocobies d'Argentine utilisèrent jusqu'au xvnie siècle.

9. Ces Indiens, qui étaient devenus nomades grâce au cheval, font figure, dans les sources espagnoles du xvme siècle, de « primitifs anachroniques ». C. Bernand et S. Gruzinski (ibid.) soulignent à juste titre combien il est « paradoxal que l'indicateur principal de leur barbarie, l'équitation, soit le produit de leur acculturation ».

10. Cf., à titre d'illustration, mon analyse du système domesticatoire européen (Digard 1990, chap. xi).

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ABSTRACT

Jean-Pierre Digard, A Little-Known Aspect of the History of the Americas: The Domestication of Animals. — The New World's originality was to associate three types of domestications. In pre-Columbian times, the « first domestication » of a small number of native species (alpacas, lamas, turkeys, carunculate ducks and guinea pigs) was carried out through the well-known neolithic process of « selective hunting » (in particular for the first two). Secondly, during all periods, isolated wild animals were tamed — an almost systematic practice in certain Amerindian societies. In some cases (e.g., dogs), this favored « true » domestication; in others (e.g. , bison and caribou), it prevented it. Thirdly, starting in the 16th century, animals (guinea fowl, cattle and horses) introduced by Europeans but gone wild during the disorder caused by the Conquest were locally redomesticated. These three domestication processes correspond to as many sociocultural strata and form the basis of the New World's system(s) of domestication.

SUZAMMENFASSUNG

Jean-Pierre Digard, Ein verkannter Aspekt der Geschichte Amerikas : die Tierdomestizierung. — Der amerikanische Kontinent zeichnet sich durch eine originelle Verbindung dreier Typen von Domestizierung aus : 1) in der präkolombianischen Zeit : « erste Domestizierungen » einiger weniger einheimischer Arten (Alpaka, Lama, Meerschweinchen, Truthahn und Karunkelente) nach einem gut bekannten neolithischen Verfahren der « selektiven Jagd » (hier vor allem die Kamele) ; 2) zu allen Zeiten : zahlreiche, in einigen indianischen Gesellschaften beinahe systematische Zähmungen einzelner wilder Tiere, Zähmungen, die eine « wirkliche » Domestizierung teils gefördert (Hund), teils verhindert (Bison, Karibu) haben ; 3) vom 16. Jahrhundert an : lokale Wiederdomestizierung von Tieren (Perlhuhn, Rind, Pferd), die nach ihrer Einführung durch die Europäer im Gefolge der durch die Eroberung verursachte Unordnung zum Teil in großer Anzahl in die Wildnis zurückkehrten (« Maronen »-Tiere). Diese Domestizierungsvorgänge entsprechen ebensovielen sozio- kulturellen Schichten und bilden die Grundlage des (der ?) amerikanischen Domestizierungs- System(s/e).

RESUMEN

Jean-Pierre Digard, Un Aspecto desconocido de la historia de América : la domesticación de los animales. — El continente americano se destaca por la asociación original de tres tipos de acciones domesticadoras. 1) en la época precolombina : « primeras domesticaciones » de especies indígenas poco numerosas (alpaca, llama, cobaya, pavo y pato en carúncula), según un proceso neolítico bien conocido de « caza selectiva » (sobre todo en el caso de los camélidos) ; 2) en todas las épocas : numerosas domesticaciones, casi sistemáticas en algunas sociedades amerindias, de animales salvajes aislados, domesticaciones que han podido, tanto favorecer (perro), tanto impedir (bisonte, caribú) las verdaderas « domesticaciones » ; 3) a partir del siglo xvi : redomesticaciones locales de animales que, tras haber sido introducidos por los Europeos (gallineta, buey, caballo), en ocasiones habian vuelto masivamente a la vida salvaje (animales « marrones ») a causa de los desordenes que acompañaron la Conquista.

Estos procesos domesticadores corresponden a igual número de estractos socio-culturales y forman la base del (de los ?) sistema(s) domesticador(es) americano(s).


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