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Du même auteur chez Albin Michel Wiz :...

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DumêmeauteurchezAlbinMichelWiz:

Partials

Titreoriginal:FRAGMENTS

(Premièrepublication:Balzer&Bray,animprint

ofHarperCollinsPublishers,NewYork2013.

PublishedbyarrangementwithHarperCollinsChildren’sBooks,

adivisionofHarperCollinsPublishers)

©DanWells,2013

Tousdroitsréservés,ycomprisdroitsdereproductiontotaleoupartielle,soustoutessesformes.

Pourlatraductionfrançaise:©ÉditionsAlbinMichel,2014

978-2-226-30343-1

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Celivreestdédiéàtousceuxquiontdéjàreconnuavoirtort.Loind’êtreunsignedefaiblesseouunmanqued’engagement,c’estunedesplusgrandesforcesqu’unindividu–humainouPartial–puisse

posséder.

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PREMIÈREPARTIE

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CHAPITRE1

–Levonsnosverres,clamaHector.AumeilleurofficierdeNouvelle-Amérique.Le tintement des verres et le brouhaha d’une centaine de voix emplirent la salle. « Corn-well !

Corn-well!»Leshommeslevèrentleurstimbalesetbouteillesd’unmêmegesteavantdelesreposeroubiendelesjeterausol.Sammobservaitensilence,réglantaumillimètrel’angledesalongue-vue.Lavitre,bienquecrasseuse, luipermettaitdevoir lessoldatssourireetgrimacerensedonnantdegrandestapesdansledos,ets’esclafferàdesblaguesgrivoisesenévitantderegarderlecolonel.Lelien,detoutemanière,leurapprenaitentempsréeltoutcequ’ilyavaitàsavoirsursonétat.Caché dans les bois sur l’autre versant du vallon, largement hors de portée du lien, Samm ne

jouissaitpasdeceluxe.Il fit tourner lamolettedutrépiedpourorienter lemicrodirectionnelunefractiondemillimètre

plusloinverslagauche.Àcettedistance,unchangementd’anglemêmeminimalbalayaitunelargeportionde lapièce.Desvoix résonnèrentconfusémentdanssesoreillettes,bribesdeconversationsnoyéesdansuneganguedesonsindéterminés,etsoudainilcaptaunautretimbre,toutaussifamilierqueceluid’Hector:lavoixd’Adrian,sonanciensergent.–…n’ontmêmepascompriscequileurarrivait,était-ilentraindedire.Laligneennemies’est

disloquée, exactement comme prévu, mais pendant les premières minutes, ça n’en a été que plusdangereux.L’ennemi,désorienté,canardaitdanstouslessens,etnousétionstropfermementclouésausolpourapporterdurenfort.Cornwella tenu lapositionsansciller,etpendant toutce temps leChiendegardehurlait,hurlait!C’étaitàdevenirsourd.JamaisvuunChienaussifidèlequelesien.CettebêtevénéraitCornwell.C’estladernièregrandebataillequenousayonslivréeàWuhan;deuxjoursplustard,lavilleétaitànous.Sammse souvenait de cettebataille ;Wuhanavait étéprise seize ansplus tôt presque jourpour

jour,enmars.Unedesdernièresvillestombéeslorsdelaguerred’Isolation,maisunedespremièresmissions militaires de Samm. Il se rappelait encore les bruits, les odeurs, le goût puissant de lapoudredans l’air.Lessouvenirsbourdonnaientdanssa têteetdesdonnéesfantômessillonnaientsacervelle,justeassezpourstimulersonadrénaline.L’instinctetl’entraînementrefirentsurfacepresqueimmédiatement,affûtantsonattentiontandisqu’ils’accroupissaitsurlecoteauobscur,sepréparantàune bataille imaginaire. À ce réflexe succéda une réaction opposée : une vague apaisante desensationsfamilières. Ilnes’était liéàpersonnedepuisplusieurs jours,etcettesensationsoudaine,réelle ou non, était presque douloureusement agréable. Il ferma les yeux et s’y accrocha, seconcentrantsurlessouvenirs,s’adjurantdeleséprouverànouveau,plusfort;maisaprèsquelquesinstantsfugaces,ilsluiéchappèrent.Ilétaitseul.Ilrouvritlesyeuxetrepritsalongue-vue.Leshommes avaient à présent sorti àmanger : degrandsplateauxmétalliques couverts deporc

fumant. Les hordes de cochons sauvages étaientmonnaie courante dans leConnecticut,mais ellesvivaientsurtoutdanslesprofondeursdelaforêt,àdistancedescoloniesdePartials.Ilsdevaientêtrealléschasserloinpourrapporteruntelfestin.Cespectaclefitgargouillerl’estomacdeSamm,maisilnebougeapas.Là-bas,lessoldatsseraidirent,trèslégèrementmaistousàl’unisson,avertisparleursixième sens d’un changement que Samm ne pouvait que deviner. Le colonel, pensa-t-il, et il fitpivotersalongue-vuepourobserverCornwell:celui-ciétaittoujoursaussimalenpoint,cadavérique

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etpourrissant,maissapoitrinesesoulevaitencoreetsonétatnesemblaitpass’êtreparticulièrementaggravé.Unélancementdedouleur,peut-être.Leshommesquil’entouraientsedétendirent,etSammfitdemême.Le tempsn’était pasvenu, apparemment, et la célébration sepoursuivit. Il écoutauneautreconversation–encoredessouvenirsd’antanetdelaguerred’Isolation,uneanecdoteiciet làsur larévolution,maisrienquipuisseenflammerlamémoiredeSammaussiprofondémentquelerécitdusergent.Finalement,torturéparlespectacledescôtesdeporcetparlesbruitsdemastication,ilsortitdesonpaquetageunsachetplastiquepleindebœufséché.Cen’étaitqu’unepâleimitationdescôtesjuteusesquedégustaientsesancienscamarades,maisc’étaitdéjàmieuxquerien.Retournantàsalongue-vue,ilcaptalemajorWallacejusteaumomentoùcelui-ciselevaitpourprendrelaparole.– Le lieutenant-colonel Richard Cornwell ne pourra pas vous parler aujourd’hui, mais j’ai

l’honneurdevousdirequelquesmotsdesapart.Wallace semouvait lentement, pas seulement dans sa démarchemais aussi dans ses gestes, son

élocution:lemoindredesesmouvementsétaitmesuréetdélibéré.IlparaissaitaussijeunequeSamm–lephysiqued’unhumaindedix-huitans–,maisenréalitéilapprochaitdesvingtannéesdeservice,c’est-à-diredeladated’expiration.Plusquequelquesmois,peut-êtrequelquessemainesseulement,etilcommenceraitàsedécomposer,exactementcommeCornwell.Samm,saisiparlefroid,resserrasavestesursesépaules.Lesbavardagescessèrent,etlavoixdeWallaces’élevapuissammentdanslasalle,résonnantavec

untimbremétalliquedanslesoreillettesdeSamm.–J’aieul’honneurdeservirtoutemavieauxcôtésducolonel;ilm’asortilui-mêmedelacuvede

croissance, et c’est lui quim’a entraîné.Undesmeilleurs individusque j’aie jamais rencontrés, ettoujours bonmeneur d’hommes.Nous n’avons pas de pères,mais j’aime à penser que si nous enavions,lemienressembleraitàRichardCornwell.Il se tut,etSammsecoua la tête.Cornwellétait leurpère,dans tous les sensdu termehormis la

dimensionpurementbiologique.Il leuravait toutenseigné, lesavaitguidés,dirigés,protégés,avaitaccomplitoutcequ’accomplitunpère.ToutcequeSammn’auraitjamaislachancedefaire.Ilzoomaaumaximumsurlevisagedumajor.Onn’yvoyaitpasdelarmes,maissesyeuxétaientlas,sestraitstirés.–Noussommesprogramméspourmourir,reprit-il.Pourtuer,puismourir.Nosviesn’ontqueces

deuxobjectifs,etnousavonsaccomplilepremierilyaquinzeans.Ilm’arrivedesongerquelepluscrueln’aurapasété ladated’expiration,mais lesquinzeannéesqu’ilnousa fallupourenprendreconscience.C’estpourlesplusjeunesd’entrevousqueceseralepire,carvousserezlesderniersàsuccomber.Noussommesnésdanslaguerre,nousavonsmériténotregloire,etnousvoilàcontraintsdenousregarderpartir,sanspouvoirrienyfaire.LesPartialsréunisdanslapièceseraidirentdenouveau,demanièreplusnettecettefois,etcertains

selevèrentsoudain.Sammfitbrusquementpivotersalongue-vueverslecolonel,maislezoomserrésurlevisagedumajorl’avaitdésorientéetilcherchaenvain,fébrile,pendantquelquessecondesdepaniquetoutenécoutantlescris:«Lecolonel!»,«C’estmaintenant!»Enfin,ilpritdurecul,réglasalongue-vue,etretrouvalelitdemortducolonel,installéàlaplaced’honneurauboutdelapièce.Lemoribondsuffoquaitettoussait,desgouttelettesdesangnoirluicoulantdescoinsdelabouche.Ilressemblaitdéjààuncadavre:sescellulesdégénéraientetsoncorpssedécomposaitpresqueàvued’œildevantSammetlesautres.Lecolonelcrachota,grimaça,haleta,etnebougeaplus.Lesilencerégnaitdanslasalle.Samm,levisagedemarbre,regardalessoldatspréparerledernierritefunèbre:sansqu’unmot

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soit prononcé, les fenêtres furentouvertes engrand, les rideaux largement écartés, lesventilateursmisenmarche.Leshumainsaccueillaient lamortavecdespleurs,desdiscours,desplaintesetdesgémissements;lesPartials,delaseulemanièrequileurétaitaccessible:àtraverslelien.Leurcorpsétait conçupour le champde bataille, si bien qu’enmourant ils libéraient une bouffée de donnéespour avertir leurs camarades du danger. Et en la recevant, ces soldats émettaient eux-mêmes desdonnéespourpasserlemot.Lesventilateurs,encemoment,soufflaientcesdonnéesdansleurmondeafinquechacunsachequ’ungrandhommeétaitmort.Samm attendit, tendu ; il sentit de l’air passer sur son visage. Il désirait cela autant qu’il le

redoutait;ilyavaitlàdelacommunicationetdelapeine,del’unionetdelatristesse.Deuxélémentsqui allaient souvent de pair, ces derniers temps, à un point déprimant. Les feuilles des arbresfrémirentencontrebasdanslevallon,lesbranchesondulèrentdoucement,caresséesparlepassagedelabrise.Lesdonnéesnevinrentpaslefrapper.Ilétaittroploin.Sammremballasalongue-vueetsonmicrodirectionneletlesrangeadanssonpaquetageavecleur

petite batterie photovoltaïque. Il inspecta le site deux fois afin de s’assurer qu’il ne laissait rienderrièrelui:lesachetplastiquedenourritureétaitdanssasacoche,lesoreillettesdansunepochedupaquetage,sonfusilsursonépaule.Ilallajusqu’àbalayerdupiedlescreuxlaissésparletrépieddanslesol.Plusrienn’indiquaitqu’ils’étaittrouvélà.Iljetaundernierregardverslesfunéraillesdesoncolonel,enfilasonmasqueàgaz,etredevintun

exilé.Iln’yavaitpasdeplacedanscettesallepourlesdéserteurs.

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CHAPITRE2

Lesoleildardaitsesrayonsentrelesgratte-ciel,dessinantunmotifdetrianglesjaunesirrégulierssur la chaussée défoncée. Kira Walker observa soigneusement la rue, accroupie derrière un taxirouillé,aufondd’unétroitcanyonurbain.L’herbe,lesbroussaillesetlesjeunesarbresneremuaientpasdanslesfissuresdel’asphalte.Nullebrisenelesagitait.Lavilleétaitparfaitementimmobile.Etpourtant,quelquechoseavaitbougé.Kiraépaulasacarabine,espérantprofiterde la lunettedevisée,avantdeserappelerquecelle-ci

s’étaitbriséedansuneffondrement, lasemaineprécédente.Elle juraentresesdentset rabaissasonarme.Dèsquej’enauraifiniici,jevaismetrouveruneautrearmureriepourremplacercetromblon.Ellescrutalarueens’efforçantdedistinguerlescontoursdesombres,etrelevasoncanonavantdepousserunnouveaujuron.Lesvieilleshabitudesontlaviedure.Baissantlatête,ellereculajusqu’àl’arrièredutaxi;àcentpas,uncamiondelivraisondépassaitàmoitiédanslarue,etellecomptaitdessuspourempêchercequiavaitbougélà-basdelavoir.Ellerisquauncoupd’œil,observapendantpresqueuneminutelarueinanimée,puisserralesdentsetpartitencourant.Pasdecoupdefeu,decrisnidesifflementsdeballes.Lecamionremplissaitsonoffice.Elle lerejoignitau trot,se laissatombersurungenou,etregardadiscrètementpar-dessuslepare-chocs.Unélansedéplaçaitparmilestaillis,sesgrandsboisrecourbésversleciel,cueillantdesalongue

languelesherbesvertesquipointaiententrelesgravats.Kiral’observaimmobile,tropprudentepoursupposerquec’étaitcetanimalqu’elleavaitvubougertoutàl’heure.Uncardinallançasontrilleflûtéau-dessus de sa tête, rejoint un instant plus tard par un autre, et les deuxoiseaux se poursuivirent,éclairsrougeviftournoyantetplongeantentrelesfilsélectriquesetlesanciensfeuxdecirculation.L’élan, paisible et indifférent, grignotait à présent les jeunes pousses tendres d’un érable. Kiramaintintsasurveillancejusqu’àêtreconvaincuequ’iln’yavaitriend’autreàvoir,puisrestaencoreunpeuenobservation,aucasoù.Onn’étaitjamaistropprudentàManhattan:ladernièrefoisqu’elleyétaitvenue,elleavaitessuyéuneattaquedePartials,etpendantcetteexpédition-cielleavaitdéjàdûfuirdevantunoursetunepanthère.Cesouvenirl’incitaàseretournerpourjeterunœilderrièreelle.Rien.Ellefermalesyeuxetseconcentrapourtenterde«sentir»laprésenceéventuelled’unPartialàproximité, mais sans succès. Cela n’avait jamais fonctionné, du moins pas d’une manière qu’ellepuisseidentifier,mêmependantlasemainequ’elleavaitpasséeaucontactdeSamm.Kiraaussiétaitune Partial, mais elle était différente : apparemment, elle était privée du lien et d’autrescaractéristiques propres à ces créatures. En outre, elle grandissait et prenait de l’âge comme unhumain normal. Elle ne savait pas vraiment ce qu’elle était, et elle n’avait personne vers qui setournerpourtrouverdesréponses.Ellenepouvaitmêmepasenparleràquiquecesoit:seulsSammetledocteurMorgan–l’inquiétanteexpertescientifiquedesPartials–connaissaientsonsecret.Kiran’enavaitmêmepasparléàsonpetitami,sonmeilleurami,Marcus.Ellefrissonna,malàl’aise,etfit lagrimace,commetoujourslorsqu’elleseposaitdesquestions

surelle-même.C’estjustementpourçaquejesuisici,songea-t-elle.Pourtrouverdesréponses.Elles’assitsurl’asphaltedéfoncé,ledoscontrelepneuàplatducamion,etsortitànouveauson

calepinde son sac, bienqu’à ce stade elle ait l’adressebien en tête : à l’anglede la54eRue et deLexingtonAvenue.Elleavaitmisdessemainesàdégotercetteadresse,etencoreplusieursjourspour

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arriverjusque-làentraversantlesruines.Peut-êtrepéchait-elleparexcèsdeprudence…Non, on n’était jamais trop prudent. Les zones inhabitées étaient excessivement dangereuses, et

Manhattan encore plus que les autres. Elle avait joué la sécurité et elle était toujours en vie ; ellen’allaitpasremettreenquestionunestratégiequiavaitfaitsespreuves.Ellelevalesyeuxverslespanneauxderuesdélavés.Pasdedoute,c’étaitbienlà.Ellemitlecalepin

danssapocheetsoupesasacarabine.Lemomentétaitvenu.Lemomentd’entrerchezParaGen.L’immeubledebureauxavaiteuautrefoisdesportesetunefaçadevitrées,maisleverren’avaitpas

tenu le coup bien longtemps après le Ravage : le rez-de-chaussée était entièrement exposé auxéléments.Ilnes’agissaitpaslàdusiègesocialdeParaGen–quisetrouvaitquelquepartversl’ouest,àl’autreboutdupays–,maisc’étaitdéjàquelquechose.Uneantennefinancière,installéeàManhattanuniquementpourassurerl’interfaceaveccellesd’autresfirmes.IlavaitfalluàKiradessemainesderecherchesrienquepourdécouvrir l’existencedecesbureaux.Elles’avançaprudemmententre leséclats de verre, les plâtras et les fragments de revêtement tombés des étages supérieurs. En onzeannéesdedésolation, une couchede terre s’était déposée à l’intérieur, surune épaisseur suffisantepourquedesherbesfollescommencentàypousser.Lecapitonnageenskaïdesbanquettes,altéréparle soleil et la pluie, semblait avoir été déchiqueté par des griffes de chats. Le large comptoir del’accueil était à demi effondré, à l’épicentre d’une jonchéedebadgesd’identité jaunis.Uneplaquevissée aumur énumérait les noms des dizaines d’entreprises implantées dans l’immeuble, et Kiradéchiffracettelistedélabréejusqu’àtrouverParaGen,quioccupaitlevingtetunièmeétage.Derrièrelecomptoirs’alignaienttroisportesd’ascenseurs,dontunependaitdetraversdanssoncadre.Kira,sansyprêterattention,rejoignitdirectementcelledelacaged’escalier,dansuncoinaufond.Àcôtéde la porte, un boîtier noir commandait une serrure magnétique, mais l’absence d’électricité lerendaitbiensûrobsolète.Kirapesadel’épaulecontrelebattant,poussantdoucementaudébutpourtestersarésistance,puisplusfort,luttantcontrelescharnièresgrippées.Celles-cifinirentparcéder,et,pénétrantdans lacage,elle leva lesyeuxvers lehautdecepuits immense,prit sa lampe torchedanssonsacetl’alluma.–Biensûr,ilfallaitquecesoitauvingtetunième,soupira-t-elle.Denombreuximmeublesdanslemonde,dévastésdèslepremierhiverquiavaitsuivileRavage,

étaienttropdangereuxpourquel’onpuissegrimperdansleursétages:lesfenêtress’étaientbrisées,les canalisations avaient crevé, et dès le printemps suivant, lesmurs et les sols s’étaient retrouvésgorgésd’humidité.Dixhiversetdixdégelsplustard,lesmursétaientgauchis,lesplafondsaffaissés,et lesplancherstombaientenmiettes.Lamoisissureavaitenvahileboiset lamoquette, lesinsectesavaient foré leurs galeries dans les moindres fissures, et c’est ainsi que des structures jadisinébranlables s’étaient transformées en tours de pâte feuilletée ; si elles n’étaient pas encoreeffondrées,unboncoupdepiedouunéclatdevoixpouvaientsuffireàlesfairetomberenpoussière.Enrevanche,lesplusgrosédifices,surtoutlorsqu’ilsétaientaussirécentsquecelui-ci,serévélaientbienplusdurables : leurossatureétaitenpoutrellesd’acier,et leurchairscelléedanslebétonet lafibredecarbone.Lapeau,pourainsidire–verre,plâtre,placageetmoquette–,étaitvulnérable,maislastructuredemeuraitrobuste.L’escalieroùsetrouvaitKiras’avéraitparticulièrementbienconservé,poussiéreuxsansêtrecrasseux,etl’odeurderenferméquiflottaitdansl’airlapoussaàsedemanders’il était resté scellé depuis le Ravage. Cela donnait aux lieux une atmosphère lugubre : l’endroitrappelaitunetombe,mêmesionn’yvoyaitaucuncorps.Ellesedemandad’ailleurssielleallaitendécouvrirplushaut–siquelqu’uns’étaittrouvédanscetescalierlorsqueleRMavaiteuraisondelui,

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ets’ilétaitrestéenfermélàdepuis–,maisellen’envitpasunseulpendantl’ascensiondesvingtetunétages.Elleenvisageamêmedecontinueràmonterpourvoirs’ilyenavaitplushaut,parcuriosité,maisrenonça.Cettecitéimmensecontenaitdéjàbienassezdecadavres;ilyavaitdessquelettesassisdanslamoitiédesvoituresquel’onvoyaitdehors,etdesmillionsd’autresdansleslogementsetlesbureaux.Uncorpsdeplusoudemoinsdansunevieillecaged’escalieroubliéen’auraitfaitaucunedifférence.Ellepoussadonclaportedel’étage,quis’ouvritengrinçant,etpénétradanslesbureauxdeParaGen.Bien sûr, ce n’était pas le centre névralgique de l’entreprise. Celui-là, elle l’avait vu, quelques

semainesauparavant,surunephotographiequ’ellegardaitprécieusementsurelle:elle-mêmeenfant,sonpère, et sa tutriced’adoption,Nandita, posant devantungrand immeubledeverre sur fonddemontagnes enneigées. Elle ignorait où la photo avait été prise, elle n’avait aucun souvenir de cemomentetneserappelaitpasdutoutavoirconnuNanditaavantleRavage.Pourtant,l’imageexistaitbien.Ellen’avaitquecinqanslorsquelafindumondes’étaitproduite,peut-êtrequatreseulementsurla photo.Que pouvait signifier ce cliché ?Qui étaitNandita, en réalité, et quel était son lien avecParaGen ? Y avait-elle travaillé ? Et son père ? Elle avait toujours su qu’il travaillait dans desbureaux,maiselleétaitbientroppetiteàl’époquepourencomprendredavantage.SiKiraétaitbienunePartial,était-elleuneexpériencedelaboratoire?Unaccident?Unprototype?PourquoiNanditaneluienavait-ellejamaisriendit?Cettedernièrequestionétaitlapluslancinantedetoutes,àcertainségards.KiravivaitavecNanditadepuispresquedouzeans.Silafemmesavaitquielleétait,siellelaconnaissaitdepuisledébutetn’enavaitjamaissoufflémot…celaneplaisaitpas,maisalorspasdutoutàKira.Ces idées luidonnèrentpresquelanausée,commeelles l’avaientfaitdehors,dans larue.Jesuis

complètement fabriquée, se disait-elle. Je suis une construction artificielle qui se prend pour unepersonne.Jesuisaussibidonquelerevêtementenfauxmarbredececomptoir.Salampetoujoursalluméeà lamain,elle traversa lehalld’accueilpouraller toucher lasurface

écaillée du comptoir en question : du vinyle peint, contrecollé sur du plastique. Rien de naturel,encoremoinsderéel.Ellerelevaensuitelatêteenseforçantàoubliersonmalaisepourseconcentrersur la tâchequi l’attendait.Lehall était spacieuxpourManhattan :c’étaitunevastepiècegarniedebanquettes en cuir craquelé et d’une structure de pierres irrégulières, probablement une anciennefontaine d’ornement. Le mur situé derrière le comptoir arborait le gros logo en alu brossé deParaGen, lemême que sur la photo. Elle ouvrit son sac, en sortit le cliché soigneusement plié, etcompara les deux enseignes. Identiques. Elle rangea alors la photo et contourna le comptoir pourexaminer avec attention les papiers posés dessus. Tout comme la cage d’escalier, cette pièce necomptait aucune ouverture sur l’extérieur et avait donc été protégée des éléments ; les prospectusétaient vieux et jaunis, mais intacts et bien rangés. Il s’agissait pour l’essentiel de matériel sansimportance :unrépertoire téléphonique,desbrochuresetun livredepochequiavaitapparemmentappartenu à la réceptionniste :Je t’aime àmourir, la couverture ornée d’un poignard ensanglanté.Peut-êtrepaslalecturelapluspolitiquementcorrecteenpleinefindumonde,maisd’unautrecôté,cettepersonnenes’étaitsansdoutemêmepastrouvéesurplacependantleRavage.Elleavaitdûêtreévacuée lorsque l’épidémieétaitdevenuevraimentmeurtrière,oumêmeau toutdébut,voiredès ledéclenchementdelaguerredesPartials.Kirapalpal’ouvrageetnotaquelemarque-pageétaitcoincéauxtroisquarts.Ellen’ajamaissuquiaimaitquiàmourir.La jeune fille parcourut ensuite le répertoire, remarquant que certains numéros de poste

commençaientparun1etd’autresparun2.Lesbureauxoccupaientdeuxétages,peut-être?Tournantlespages,elletrouvaàlafinunesériedenumérospluslongs,àdixchiffres:certainsdébutaientpar

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1303etd’autrespar1312.Elle savait,d’aprèssesconversationsavecdesadultes–desgensqui sesouvenaient de l’ancienmonde –, qu’il s’agissait d’indicatifs correspondant à différentes zones dupays,maiselleignoraitcomplètementlesquelles:cela,lerépertoiren’endisaitrien.Les brochures, enfin, étaient soigneusement empilées au bout du comptoir ; leur couverture

arboraitunedoublehélicestyliséeàcôtédubâtimentreprésentésurlaphotodeKira,vusousunautreangle. Kira en saisit une pour l’étudier de plus près : des bâtiments similaires se découpaient àl’arrière-plan,notammentunehautetour,immense,quisemblaitcomposéedegrandscubesdeverre.Endessous,dansunecalligraphiefluide,unslogan:«Devenirmeilleurs.»Danslespagesintérieuress’étalaient des photos de personnes souriantes et des argumentaires qui vantaient diversesmodifications génétiques :modifs cosmétiques pour changer la couleur des yeux ou des cheveux,sanitairespoursupprimerdestroublescongénitauxouaugmenterlarésistanceàcertainesmaladies,et même des modifs récréatives destinées à vous donner un ventre plus plat ou une plus grossepoitrine, à augmenter la force ou la rapidité, l’acuité des sens ou les réflexes. Les modificationsgénétiquesétaienttellementcourantesavantleRavagequepratiquementtouslessurvivantsinstalléssurLong Islandenavaient subiaumoinsquelques-unes.Même lesenfantsde l’épidémie,ceuxquiétaient troppetitsaumomentduRavagepourserappeleràquoiressemblait lavied’avant,avaientreçuunepoignéed’arrangementsgénétiquesàlanaissance.Laprocédureétaitdevenuebanaledansleshôpitauxdumondeentier,etc’étaitParaGenquiavaitconçuunebonnepartiedecesinterventions.Kira avait toujours cru qu’elle bénéficiait des modifs de base qui se pratiquaient alors sur lesnouveau-nésets’étaitparfoisdemandésiellen’avaitpasreçuquelquechoseenplus:était-ellebonneencourseàpiedgrâceàl’ADNdesesparents,ouenraisond’uneinterventionprécoce?Désormais,ellesavaitquec’étaitparcequ’elleétaitunePartial.Conçueenlaboratoireentantqu’idéalhumain.Ladernièremoitiéde labrochureévoquaitdirectement lesPartials,mêmes’ilsyétaientappelés

«BioSynths»ets’ilexistaitbienplusde«modèles»quecequ’elles’attendaitàtrouver.LesPartialsmilitairesétaientlespremiersprésentés,nonpaspourêtrevendusmaisplutôtpourvanterlaréussitede l’entreprise : unmillion de tests sur le terrain couronnés de succès pour le fer de lance de labiotechnologie. On ne pouvait pas acheter un soldat sur catalogue, bien sûr, mais la brochureprésentait ensuited’autresversions,moinshumanoïdes,de lamême technologie :Chiensdegardehyperintelligents, lionsà la superbecrinièreassezdocilespour servird’animauxdecompagnie,etmêmeun article appeléMyDragon™,qui ressemblait à un lézard ailé et hérissé de piquants, groscomme un chat domestique. Enfin, la dernière page vantait des Partials d’un genre nouveau : unvigile,quiétaitunedéclinaisondumodèlemilitaire,etd’autresàallervoirenligne.Est-cedonccequejesuis?Unagentdesécurité,ouuneesclavesexuelle,oujenesaisquelleautrehorreurencore,parmi toutes celles que vendaient ces gens ? Elle relut la brochure du début à la fin, cherchant lemoindreindiceàproposd’elle-même,maisiln’yavaitriendeplus;ellelajetaparterreets’emparadelasuivante,maisils’agissaitenfaitdelamêmesousunecouverturedifférente.Ellelajetaaussietpoussaunjuron.Jenesuispasunvulgaireproduitenventesurcatalogue.Quelqu’unm’afabriquéepouruneraison

précise:siNanditavivaitavecmoi,siellemesurveillait,cen’étaitpaspourrien.Serais-jeunagentdormant?Undispositifd’écoute?Unassassin?LadoctoressePartialquim’acapturée,ledocteurMorgan…quandelleadécouvertcequej’étais,elleafailliexploserdetrouille.Cettefemmeestlapersonnelapluseffrayantequej’aiejamaisrencontrée,etpourtantlaseuleidéedecequejepouvaisêtrelaterrifiait.Onm’afabriquéepouruneraisonprécise,maisétait-ceunebonneouunemauvaiseraison?

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Quelle que soit la réponse, ce n’était pas dans une brochure sur papier glacé qu’elle allait latrouver.Elleenreprittoutefoisunequ’ellefourradanssonsac,aucasoùcelaluiserveplustard,puisrécupérasacarabineetgagnalaportelaplusproche.Iln’yauraitsansdouteriendedangereuxàcettehauteur,mais…cedragon,surlabrochure,l’inquiétaittoutdemêmeunpeu.Ellen’avaitjamaisvudecescréaturesenvie,niledragonnilelionniriend’autre,maisunexcèsdeprudencenepouvaitpasnuire.Ellesetrouvait,aprèstout,dansl’antredel’ennemi.Cesontdesespècesartificielles,conçuespourfournirdesanimauxdomestiquesdocilesetdépendants.Si jen’enaipasvu,c’estparcequ’ilssont tousmorts,chassés jusqu’àl’extinctionpardevraisanimauxquisaventsedébrouillerdans lanature. Bizarrement, cette idée la déprima plutôt que d’apaiser ses craintes. Il y avait encore deschancespourqu’elletrouvelespiècesjonchéesdecadavres:lavilleétaitunvastetombeau.Elleposaunemainsurlaporte,rassemblatoutsoncourage,etpoussa.Del’autrecôté,lalueurdujourpénétraitetl’airquiluisautaauvisageétaitplusfraisetplusriche

que l’atmosphère morte du hall et de l’escalier. Elle déboucha dans un corridor assez court quidesservaitdesbureaux ; toutaubout,Kiraaperçutde longuesrangéesdevitresbrisées,ouvertesàtouslesvents.Elleéteignitsalampeetlarangeadanssonsacavantdepasserlatêteparlaportedupremierbureau,maintenueouverteparunechaiseàroulettes;elleréprimauncridesurpriselorsquetrois hirondelles d’un brun jaunâtre s’envolèrent de leur nidménagé dans une armoire.Une brisetièdevenuedelafenêtreluicaressalevisage,soulevantlesmècheséchappéesdesaqueue-de-cheval.Lapièce,autrefoisgarniedebaiesvitrées,n’étaitplusàprésentqu’unegrotteouvertedansleflancd’unefalaise.Kiracontemplaauloinlesruinesdelavilleencontrebas,envahiesparlavégétation.Surlaportedubureau,uneplaqueindiquaitunnom:DAVIDHARMON.Visiblement,Davidn’aimait

pas que son espace de travail soit encombré. La pièce se composait d’un bureau en matériautranslucide,d’uneétagèredelivres,encroûtéedefientesd’oiseaux,etd’untableaublancaccrochéaumur.Kiraépaulasacarabineetentra,àlarecherched’archivesàexplorer,maisiln’yavaitrien…pasmêmeunordinateur,dontellen’auraitdetoutemanièrerienpufaireenl’absenced’électricité.Elleserapprocha de l’étagère et tenta de déchiffrer les titres des livres sans toucher aux excréments :uniquementdesouvragessurlafinance.DavidHarmonavaitdûêtrecomptable.Kirajetaunultimecoupd’œilcirculaire,espérantunerévélationdedernièreminute,maislapièceétaitdécidémentvide.Lajeunefillereculadanslecouloiretentrepritlafouilledubureausuivant.Dixbureauxplusloin,ellen’avaittoujoursriendécouvertd’intéressant:unepoignéederegistres,

une armoire de rangement ici et là – mais même ces dernières étaient soit vides soit rempliesd’écriturescomptables.ParaGenavaitconnuuneprospéritéobscène:Kiralesavaitdésormaissansl’ombred’undoute,maisàpartcela,ellen’avaitpasapprisgrand-chose.Lesvraiesinformationssetrouvaientcertainementdanslesordinateurs,maisilnesemblaitpasy

enavoirdanslesbureaux.CeladéroutaitKira,car toutcequ’elleavaitentendusur l’ancienmondeindiquaitquecesappareilsavaientétéomniprésents,à l’époque :apparemment, ilsservaientà tout.Commentsefaisait-ilqu’iln’yaitdansceslocauxaucundesécransplatsoudestoursqu’elleavaittoujoursvuspartout ailleurs ?Celadit,mêmesi elle enavaitdéniché, ellen’auraitpas suquoi enfaire.C’étaitdésespérant.Elleenavaitdéjàutiliséquelques-unsà l’hôpital :desAMN–analyseursmédicauxnumériques–,desscanners,cegenred’appareils,lorsqu’untraitementouundiagnosticlenécessitait,maisc’étaientpourlaplupartdesmachinesisoléesquin’avaientqu’unusagespécialisé.Alors que les ordinateurs de l’ancien monde, eux, faisaient partie d’un vaste réseau capable decommuniquerenunclind’œilaveclaplanèteentière.Toutpassaitparlesordinateurs:leslivres,lamusique…et, très certainement, lesplansdiaboliquesdeParaGen.Alors, comment expliquerqu’iln’yenaitaucundanscesbureaux?

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Pourtant,ilyauneimprimantedanscelui-ci.Kiras’immobilisa,lesyeuxrivéssurunepetitetable,dansladernièrepièceauboutducouloir:unbureauplusvastequelesautres,dontlaporteindiquaitlenomGUINEVERECREECH.Sansdoutelavice-présidentedel’antennelocale,ouautretitreenusageàl’époque.Desfeuillesblanches,froisséesetbruniesparlesintempéries,étaientéparpilléesausol.Surunepetitetable,àcôtédubureau,étaitposéunappareilenplastique,danslequelKirareconnutsansdifficultéuneimprimante : ilyenavaitdesdizainesà l’hôpitaloùelle travaillait.Privéesde toner,ellesneservaientplusàrien,maisonl’avaitchargéeunjourdelesdéplacerd’unplacardàunautre.Ellesavaitquedansl’ancienmonde,onlesutilisaitpourimprimerdesdocumentsdirectementdepuislesordinateurs;donc,s’ilyavaituneimprimantedanscettepièce,ildevaityavoireuàunmomentou à un autre un ordinateur. Elle souleva l’objet pour l’examiner de plus près : pas de câbled’alimentation,pasmêmedepriseoùenbrancherun.Uneimprimantesansfil,sansdoute?Ellelareposaets’agenouillaausolpourregardersouslapetitetable:rien.Pourquoiavait-onprislapeinederetirertouslesordinateurs?Était-cepourdissimulerlesdonnéesqu’ilscontenaient,alorsquelemonde entier s’effondrait ? Kira n’était sûrement pas la première à avoir eu l’idée de venir ici :ParaGenavaitfabriquélesêtresquiavaientexterminél’humanité.C’étaitlàquetravaillaientlesplusgrands expertsmondiauxdesbiotechnologies.Même si onne l’avait pas rendue responsablede laguerre des Partials, le gouvernement s’était certainement tourné vers cette société, à un momentdonné,pourchercheruntraitementcontreleRM.D’ailleurs,legouvernementsavaitsansdoutequelesPartialsdétenaientleremède,n’est-cepas?Ellerepoussal’idéequidécoulaitdecettequestion.Ellen’étaitpaslàpouréchafauderdesthéoriesducomplot,elleétaitlàpourdécouvrirdesfaits.Lesordinateursavaientpeut-êtreétésaisis?Ellerelevalatête,observantlapiècedepuislesoloùellesetenaitàquatrepattes.Delà,elleavisa

undétailqu’ellen’avaitpasremarquéauparavant:uncerclebrillantdanslecadreenmétalnoirdubureau.Lorsqu’elledéplaçasatête,lesrefletsdelumièrejouèrentàsasurface.Elleseremitdeboutensereprochantsonidiotie,tantlaréponseétaitsimple.Lesbureauxétaientlesordinateurs.À présent qu’elle le voyait, c’était évident. Leur surface translucide était une réplique presque

exacte,à l’échelle supérieure,desécransqu’elleutilisaità l’hôpital.Lecerveaude lamachine– leprocesseur,ledisquedur,l’ordinateurenlui-même–étaitentièrementdissimulédansl’encadrementmétalliqueet,unefoissoustension,lebureauentierdevaits’illuminerpourprésenterunécrantactile,unclavierettoutlenécessaire.Elleseremitàgenouxpourvérifierlabasedespiedsdumeuble,etpoussauneexclamationdetriompheendécouvrantuncourtcordonnoirbranchédansunepriseausol.Soncri chassaunnouveaugrouped’hirondelles.Kira sourit,mais cen’était pasunevéritablevictoire: trouverlesordinateursneluiservaitàriensiellenepouvaitpaslesallumer.Il luiauraitfalluunebatterieportative,etellen’enavaitpasemportéenquittantprécipitammentEastMeadow;elles’envoulaitdecettenégligence,maisc’étaittroptard.IlluifaudraitmaintenantendénicheruneàManhattan, peut-être dans une boutique d’électroménager ou de matériel électronique. L’île étantconsidérée comme trop dangereuse pour qu’on s’y rende, elle n’avait pratiquement pas été pilléedepuis leRavage.Toutefois,Kiran’étaitpasenchantéeà l’idéede trimballerunebatteriedevingt-cinqkilosdanscetescalier.Ellesoufflalonguement,lentement,enrassemblantsespensées.Ilfautquejecomprennecequeje

suis,sedit-elle.Ilfautquejedécouvrelerôledemonpèredanstoutceci,etceluideNandita.Ilfautque je trouve l’Alliance.Elle sortitdenouveau laphotographiepour les regarder,elle, sonpèreetNandita,devantlecomplexeParaGen.Quelqu’unyavaitinscritunmessage:«Trouve l’Alliance.»

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Ellenesavaitmêmepas,aujuste,cequ’étaitcetteAlliance,etencoremoinsoùla trouver ;ellenesavait pas non plus avec certitude qui lui avait laissé cette photo et adressé cette phrase,même sil’écrituresemblaitêtrecelledeNandita.Toutesceschosesqu’elleignoraitpesaientsurellecommeunfardeau,etellefermalesyeuxentâchantderespireràfond.Elleavaitplacétoussesespoirsdanscesbureaux,laseulepartiedeParaGenquisoitàsaportée,etnerienytrouverd’utile,pasmêmeunenouvellepiste,étaitunedéceptionpresqueinsoutenable.Elleseremitsursespiedsets’approchavivementdelafenêtrepourrespirer.Manhattans’étendait

en dessous d’elle, mi-villemi-forêt, énormemasse verte composée d’arbres vivaces et d’édificescroulants,envahisparleslianesgrimpantes.Toutyétaitsigrand!D’unetailleécrasante–etencore:au-delà,ilyavaitd’autresvilles,puisd’autresÉtatsetd’autresnations,descontinentsentiersqu’ellen’avait jamais vus de sa vie. Elle se sentait perdue, usée d’avance par la simple impossibilité dedénicher ne serait-ce qu’un petit secret dans un monde si vaste. Elle regarda passer des oiseaux,indifférentsàsapersonneetàsesproblèmes;lemondeavaitprisfin,etilsnel’avaientpasremarqué.Mêmesiladernièreespècedouéederaisons’éteignait,lesoleilcontinueraitdeseleveretlesoiseauxdevoler.Réussirounon,quelleimportance,aufond?Maislà,ellerelevalatête,avançalementon,etparlatouthaut.–Jenerenonceraipas,affirma-t-elle.Lemondepeutbienêtrevaste:celanemedonnequeplus

d’endroitsoùchercher.Ellepivotadenouveauverslebureau,rejoignitl’armoirederangementetouvritlepremiertiroir.

Si l’Alliance avait un lien avec ParaGen – peut-être un projet spécial en rapport avec lecommandement des Partials, comme l’avait laissé entendre Samm –, alors des sommes d’argentaffectéesàceprojetavaientforcémenttransitéparcesbureauxfinanciers,etilenrestaitpeut-êtreunetrace. Elle dépoussiéra le bureau-écran et se mit à sortir des dossiers de l’armoire, puis à lesexaminerligneparligne,entréeparentrée,paiementparpaiement.Lorsqu’elleavaitterminéavecundossier, elle le jetait par terre et passait au suivant. Elle continua ainsi pendant des heures, et nes’arrêtaquelorsquelatombéedelanuitl’empêchadelire.L’airnocturneétaitfroid,etelleenvisageades’allumerunpetitfeu–surunbureau,pourqu’ilnesepropagepas–,avantd’yrenoncer.Sisesfeuxdecampdanslesruesétaientassezfacilesàdissimuler,enrevancheunelumièresihautperchéeauraitétévisibleàdeskilomètresàlaronde.Ellepréféradoncseretirerdanslehalldel’accueil,enhautdel’escalier,refermanttouteslesportesetinstallantsontapisdesolderrièrelecomptoir.Elles’ouvrituneboîtedethonqu’ellemangeaensilencedanslenoir,avecsesdoigts,enimaginantquec’étaientdessushis.Elledormitd’unsommeillégeret,dèslematin,retournatoutdroitsemettreautravail.Enmilieudematinée,ellefitenfinunedécouverte.«NanditaMerchant»,lut-elle,secouéeparunfrissonaprèsseslonguesrecherches.«Cinquanteet

unmille cent douzedollars payés le 5 décembre2064.Versement direct.Arvada (Colorado). »Lamentionfiguraitsurunregistredesalaires,énorme,quirassemblaitapparemmenttouslesemployésdelamultinationale.Kirafronçalessourcilsetrelutlaligne.LeposteoccupéparNanditan’étaitpasindiqué, uniquement sa rétribution, et la jeune fille n’avait aucune idéede ceque représentait cettesomme : était-ce un salaire mensuel ou annuel ? Ou bien un forfait unique pour une missionspécifique ? Fouillant dans les registres, elle dénicha celui du mois précédent et le feuilletarapidement.«Cinquanteetunmillecentdouzedollarsle21novembre»,lut-elle,avantdetrouverlamêmesommeàladatedu7novembre.C’estdoncunsalairebimensuel,cequifaitqu’ellegagnaitenunan…environunmilliondeuxcentmilledollars.Ondiraitquec’estbeaucoup.Ellen’avaitaucun

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cadrederéférenceconcernant lessalairesde l’ancienmonde,maisenparcourant la listedesyeux,elleconstataque51112$étaitunedessommeslesplusélevéesàyfigurer.–Elleétaitdoncunedeshuilesdelacompagnie,marmonnaKira,quiréfléchissaittouthaut.Elle

gagnaitplusquelaplupartdesgens,maispourfairequoi,aujuste?Elleauraitbienvoulucherchersonpèredanslesarchives,maiselleneconnaissaitmêmepasson

nom de famille. Son nom à elle, Walker, était un surnom dont l’avaient affublée les soldats quil’avaient trouvée, après le Ravage, en train de déambuler sans fin dans une ville déserte, à larecherchedenourriture. «KiraWalker,Kira laMarcheuse. »Elle était si petite à l’époquequ’ellen’avaitmêmepasretenusonvrainom,nil’endroitoùtravaillaitsonpère,nimêmedansquellevilleilshabitaient…–Denver ! s’écria-t-elle soudain lorsque le nom lui revint. On habitait à Denver. C’est dans le

Colorado,non?Denouveau,elleconsultalelistingsurlequelfiguraitNandita:Arvada(Colorado).Était-ceàcôté

deDenver?Ellepliasoigneusementlapageetlafourradanssonsac,ensedisantqu’ellechercheraitplustardunatlasdansunevieillelibrairie.Puisellescrutaleregistresalarialenycherchantcettefoisle prénom de son père, Armin – mais les règlements étaient classés par ordre alphabétique depatronyme, et trouver unArmin parmi des dizaines demilliers de noms ne semblait pas valoir letempsqu’elledevraitypasser.Aumieux,ladécouvertedesonnomauraitconfirmécequesuggéraitdéjàlaphoto:queNanditaetsonpèreavaienttravailléaumêmeendroit,danslamêmecompagnie.Celaneluidiraittoujourspascequ’ilsyfaisaientnipourquoi.Une nouvelle journée de recherches ne lui apporta rien d’utilisable, et, dans un accès

d’exaspération,elleprécipitaengrognantledernierregistreparlafenêtrebrisée;aussitôtaprès,ellese reprochad’avoirpris le risqued’attirer l’attentiondequiconquepouvait rôderdans laville.Unrisquemince,biensûr,maistenterlesortn’étaittoutdemêmepasbienmalin.Ellerestaàl’écartdelafenêtre,enespérantquesiquelqu’unavaitvutomberleregistre,ilattribueraitcettechutedepapiersauventouàuneactivitéanimale.Puisellepassaàl’examendel’étagedudessus.Ils’agissaitdoncduvingt-deuxièmeétage,seremémora-t-elleenmontantlesmarches.Cetteporte-

là,curieusement,tenaitàpeinefermée,etenlapoussantelledébouchadansunocéandepetitspostesdetravail. Iln’yavait làaucunhalld’accueil,etseulementunepoignéedebureauxfermés; tout leresteétaitconstituéd’unvasteespaceouvert, structurépardesdemi-cloisons.Laplupartdesboxesétaient équipésd’unordinateur,nota-t-elle immédiatement,ouaumoinsd’une stationd’accueil surlaquelleonpouvaitbrancherunportable–pasdebureaux-écranssophistiquésàcetétage–,maissonattentionfutsurtoutattiréeparlespostesdetravailoùl’onnevoyaitquedescâblesdébranchés.Desendroitsoùilauraitdûyavoirunordinateur,maisoùiln’yenavaitpas.Kiras’immobilisaetobservalagrandesalleavecméfiance.Cetétageétaitplusventéqueceluidu

dessous,enraisondel’absencedecloisons.Desfeuillesvolantesetdepetitstourbillonsdepoussièrepassaientdetempsàautredevantlesdemi-cloisons,maisKiran’enavaitcure:elleobservaitlessixbureauxlesplusprochesd’elle.Quatreétaientdansunétatnormal:écrans,claviers,agendas,photosdefamille–maisdanslesdeuxautres,l’ordinateuravaitdisparu.Nonseulementcela,maiscesboxesavaientétémisàsac ; lesagendasetphotosavaientété repoussésdecôtéoumêmejetéspar terre,commesilapersonnequiavaitprislesordinateursavaitététroppresséepourfaireattentionaureste.Kirasebaissapourexaminerlebureauleplusproche,oùuncadreétaittombéfacecontreterre.Unecouche de poussière s’était accumulée dessus et autour et, avec le temps et l’humidité, deschampignonsyavaientpoussé.Celan’avaitriend’étonnant–aprèsonzeannéesd’accèsàl’airlibre,

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lamoitiédesimmeublesdeManhattanétaientcouvertsd’unecoucheterreuse–,maiscequilafrappafut une petite tige jaunâtre, semblable à un épais brin d’herbe, qui dépassait de sous le cadre.Ellereleva la tête vers les fenêtres, pour évaluer l’angle, et devina que, oui, pendant quelques heureschaque jour, cet endroit recevait abondamment le soleil, en tout cas assez pour nourrir une planteverte.D’autresherbespoussaientautour,maisunefoisdeplus,cen’étaitpaslaquestion.L’élémentintéressantétaitlamanièredontcettetigedépassaitdesouslaphoto.Kirasoulevalecadre,exposantunepetitemassedecoléoptèresetdechampignons,ainsiqu’uneherberaseetmorte.Lajeunefilleserassit,bouchebée,assomméeparsesdéductions.Onavaitjetécettephotoparterreaprèsquel’herbeavaitcommencéàpousser.Cen’étaitpasrécent.Lecadreétaitsuffisammentcouvertdepoussièreetdesaletéspourindiquer

qu’il gisait là depuis plusieurs années. Mais pas depuis onze ans. Le Ravage était passé par là,l’immeubleavaitétéabandonné,laterreetlesherbesfolless’étaientinstallées,etensuiteseulement,le bureau avait été pillé. Qui avait bien pu faire cela ? Humain ou Partial ? Kira examinasoigneusement l’espace sous le bureau : elle y trouva encore des câbles,mais aucun indice sur lapersonnequis’étaitappropriél’ordinateurcorrespondant.Rejoignantàquatrepattesleposted’àcôté,luiaussipillé,elleydécouvritdestracessimilaires.Quelqu’unavaitgrimpéjusqu’auvingt-deuxièmeétage,volédeuxordinateurs,etlesavaitemportésjusqu’enbas.Pourquoi faire une chose pareille ? Kira s’assit pour réfléchir. Si quelqu’un désirait des

informations, elle supposait qu’il était plus simple de descendre les ordinateurs que demonter ungénérateur électrique. Mais pourquoi ces deux-là et aucun autre ? Qu’avaient-ils de différent ?Regardant une fois de plus autour d’elle, elle nota que ces deuxpostes étaient les plus proches del’ascenseur.Cequiétaitencoremoinslogiquequetoutlereste:aprèsleRavage,eneffet,iln’yavaitplus de courant pour faire fonctionner les ascenseurs.Cela ne pouvait doncpas être le lien. Il n’yavait même pas de noms sur les cloisons : non, si quelqu’un avait visé spécifiquement ces deuxmachines,c’estqu’ilconnaissaitcesbureauxdel’intérieur.Kira se releva et arpenta tout l’étage, lentement, guettant lemoindre élément qui puisse paraître

déplacéoupillé.Uneimprimanteétaitmanquante,maisriennepermettaitdedéterminersionl’avaitemportéeavantouaprèsleRavage.Lorsqu’elleeutpasséenrevuetoutl’openspace,ellefouillalesquelques bureaux fermés du fond et s’étrangla de surprise en constatant que l’un d’eux avait étécomplètement vidé : plus d’ordinateurs, plus rien sur les étagères, rien de rien. Il y avait làsuffisamment de vestiges de la vie de bureau pour que l’endroit ressemble à un lieu de travailautrefoisfonctionnel–untéléphone,unecorbeilleàpapier,diverspetitstasdefeuilles,etc.–,maisrien d’autre. Or, ce bureau comportait bien plus d’espace de rangement que les autres. Tout étaitpourtantvide,etKirasedemandaquellequantitédedocuments,exactement,avaitétédérobée.Elles’arrêtapourcontemplerlatabledetravaildépouillée.Celle-ciavaitautrechosed’inhabituel,

maislajeunefillen’auraitsudirequoi.Unpetitagendagisaitparterre,commec’étaitlecasdanslesboxesvandalisés,cequisemblait indiquerquecetespaceavaitétépilléavec lamêmeprécipitationquelesautres.Lescâblesdébranchéspendaienttousdelamêmemanière,bienqu’ilyenaitbeaucoupplusquedanslespetitspostesdetravail.Kirasecreusalacervellepourtenterdecomprendrecequilaperturbait,etfinitpartrouver:iln’yavaitpasdephotographiesdanscebureau.Danslaplupartdeceux qu’elle avait passés au peigne fin depuis deux jours, elle avait vu au moins une photopersonnelle,et souventplusieurs :descouplessouriants,desgroupesd’enfantsen tenuesassorties,imagespréservéesdefamillesmortesdepuislongtemps.Danscettepièce,enrevanche,rien.Celanepouvaitvouloirdirequedeuxchoses:soitl’hommeoulafemmequiavaitoccupéceslieuxn’avait

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pas de famille, ou ne s’en souciait pas assez pour l’exposer en photo ; soit – hypothèse plusséduisante–levoleurdematérielavaitaussiemportélesphotos.Etlaraisonlaplusprobableàcelaétaitquecebureauavaitétélesien.Kira alla voir le nom gravé sur la porte : AFADEMOUX. Au-dessous, on pouvait lire : DI. Un

surnom?Celaneparaissaitpasformidable,commesurnom,maisellen’avaitqu’uneconnaissancetrèsparcellairedelaculturedel’ancienmonde.Enobservantlesplaquesvisséessurlesportes,elledécouvritquetoutesétaientrédigéesselonlemêmemodèle:unnomsuivid’unemention,bienquelesautressoientpluslongues:OPÉRATIONS,VENTES,MARKETING.S’agissait-ildetitres?Deservices?DIétait laseulementionécriteentièrementencapitales,et laseuleaussiquinevoulaitriendireensoi : de toute évidence, il s’agissait d’un sigle, mais Kira ignorait ce qu’il pouvait signifier.Département… Innovations ? Inventions ?Non.Ceci n’était pas un laboratoire, doncAfaDemouxn’étaitpasunscientifique.Qu’avait-ilbienpufairelà?Était-ilrevenucherchersonéquipement?Sontravail était-il vital, ou dangereux, au point que quelqu’un ait dû revenir le récupérer ?Le pillagen’avaitpasétémenéauhasard:personneneseseraitcoltinévingt-deuxétagespourtroisordinateurs,alorsqu’iln’yavaitqu’àsebaisserpours’enprocurerauniveaudusol.Levoleuravaitagipouruneraisonprécise:quelquechosed’importantdevaitêtrelogédanscesmachines.Maisquiétait-ce?AfaDemoux?Quelqu’und’EastMeadow?UnPartial?Quid’autrevivaitlà?

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CHAPITRE3

–Laséanceestouverte.Marcus, debout au fond de la salle bondée, se tordait le cou pour voir par-dessus les têtes. Il

distinguaitcorrectementlessénateurs–Hobb,Kessler,Tovaretunnouveauqu’ilneconnaissaitpasencore–,maislesdeuxaccusésluiétaientcachés.L’hôteldeville,autrefoisutilisépourcesséances,avait été saccagé par une attaque de la Voix du peuple deux mois plus tôt, avant que Kira n’aitdécouvert le traitementcontre leRMetque laVoixn’ait réintégré la sociétécivile.Privésdecettesalle, ils s’étaient rabattus sur l’auditoriumde l’ancien lycée d’EastMeadow.Après tout, pourquoipas,puisquel’établissementscolaireavaitfermésesportespeuavant?Ilfautdire, songeaMarcus,que ce bâtiment est bien ce qui a lemoins changé depuis. L’ancien leader de laVoix était devenusénateur,tandisquedeuxancienssénateurssetrouvaientaujourd’huisurlebancdesaccusés.Lejeunehommesehaussasurlapointedespieds,maislasalleétaitpleinedegensdebout.ToutEastMeadow,apparemment,étaitvenuécouterleverdictduprocèsdessénateursWeistetDelarosa.–Jecroisquejevaisvomir,annonçaIsoldeenagrippantlebrasdeMarcus.Celui-ciremitsespiedsàplat.Sonsourirenarquois–c’étaient lesnauséesmatinalesde la jeune

femmequil’amusaient–futviteremplacéparunegrimace,lorsquesesonglesluientrèrentdanslachair.–Arrêtedetemoquerdemoi,gronda-t-elle.–Jeneriaispas!–Jesuisenceinte:donc,messenssontaiguiséscommedessuperpouvoirs.Jerenifletespensées.–Tulesrenifles?–Toutàfait.C’estunsuperpouvoirtrèsspécial.Bon,maissérieusement,emmène-moirespirerun

peud’airfrais,ouc’estmoiquivaisrendrecettesalleencoreplusirrespirable.–Tuveuxqu’onressorte?Isolde fit non de la tête, fermant les yeux et soufflant lentement. Sa grossesse ne se voyait pas

encore,maissesnauséesétaientterribles:elleavaitperdudupoidsaulieud’enprendre,tantelleétaitincapabledegarderlamoindrenourriturelematin,etl’infirmière,MmeHardy,l’avaitmenacéedel’hospitaliser si son état ne s’améliorait pas bientôt. Elle avait pris une semaine de congé pour sereposeretcelaluiavaitfaitunpeudebien,maislapolitiquelapassionnaittroppourqu’ellemanqueunévénementcommecelui-ci.Marcus,enseretournantverslefond,avisaunsiègeàcôtéd’uneporteouverte,etl’attiradanscettedirection.–Pardon,dit-ilpoliment,monamiepeut-elles’asseoirlà?Letypequibloquaitlefauteuilnes’enservaitmêmepas,ilrestaitjustedeboutdevant,maisilposa

surMarcusunregardcontrarié.–Premierarrivé,premierservi,répondit-ilentresesdents.Ettaisez-vous,quej’entende.–Elleestenceinte,répliquaMarcus,quivitavecdélicel’expressiondubonhommesetransformer

dutoutautout.–Ilfallaitledire!Ils’effaça,offritlaplaceàIsoldeetallas’enchercheruneautre.Çamarcheàtouslescoups,sedit

Marcus.Mêmedepuisl’abrogationdelaloiEspoir,quirendaitnaguèrelagrossesseobligatoire,les

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femmesenceintesétaient toujoursconsidéréescommesacrées.MaintenantqueKiraavaitdécouvertunremèdecontreleRM,etqu’ilexistaitunréelespoirpourquelesnouveau-néssurviventbientôtau-delàdequelquesjours,cetteattitudeétaitencoreplusrépandue.Isoldes’assitens’éventant,etMarcusseplaçaderrièresonfauteuilafindepouvoirdireauxgensde la laisserrespirer.Puis il releva lesyeuxversl’estrade.–…etc’estexactementlegenredechosesquenousvoulonséviter,étaitentraindedéclarerOwen

Tovar.–Vousneparlezpas sérieusement,dit l’autrenouveausénateur–etMarcus tendit l’oreillepour

mieuxl’entendre.VousétiezlemeneurdelaVoixdupeuple.Vousmenaciezdedéclencheruneguerrecivile;et,seloncertainesinterprétations,c’estcequevousavezfait.–Cen’estpasparcequelaviolenceestnécessairedetempsentempsqu’elleestunebonnechose.

Nousnousbattionspourempêcherdesatrocités,paspourlespuniraprèscoup…–Lapeinecapitaleest,danssonessencemême,unemesurepréventive.Marcusbattitdespaupières:ilnesedoutaitmêmepasqu’uneexécutionétaitenvisagéepourWeist

etDelarosa.Quandilnerestequetrente-sixmillehumainsaumonde,onneseprécipitepaspourlesabattre,qu’ilssoientcriminelsounon.Lenouveausénateurindiqualesprisonniersd’ungeste.–Lorsquecesdeux-làaurontpayédeleurvie,dansunecommunautésiréduitequetoutlemonde

enauraintimementconscience,leurscrimesrisquerontpeudesereproduire.–Maisleurscrimesn’étaientquel’applicationdirectedupouvoirsénatorial,insistaTovar.Àqui

essayez-vousd’envoyerunmessage,aujuste?–Àquiconquetraiteuneviehumainecommeunjetondansunepartiedepoker,rétorqual’homme.À cesmots,Marcus sentit l’assistance se crisper. Le nouveau sénateur fixait Tovar d’un regard

froid, et même du fond de l’auditorium, le jeune homme déchiffrait facilement le sous-entendumenaçant:s’ill’avaitpu,cethommeauraitfaitexécuterTovarenmêmetempsqueDelarosaetWeist.– Ils ont pensé agir aumieux, avança la sénatriceKessler, unmembre de l’ancienne équipe qui

avaitréussiàesquiverlescandaleetàconserversaposition.D’après ce qu’avait vuMarcus et ce que lui avait apprisKira,Kessler et les autres étaient aussi

coupables que Delarosa et Weist : ils avaient abusé de leur pouvoir et déclaré la loi martiale,transformant la minuscule démocratie de Long Island en État totalitaire. Ils l’avaient fait pourprotégerlepeuple,c’étaitdumoinscequ’ilsprétendaient,etaudébutMarcusavaitétéd’accordaveceux:l’humanitérisquaitl’extinction,toutdemême,etquandlesenjeuxsontsihauts,ilestdifficiledesoutenirquelalibertépasseavantlasurvie.MaisTovaretlaVoixdupeuples’étaientrebellés,leSénatavaitréagi,laVoixavaitrépliqué,etainsidesuitejusqu’aujouroùons’étaitrenducomptequelessénateursmentaientàleursproprespartisans,qu’ilsavaientfaitsauterleurproprehôpitalettuéensecret leurs propres soldats en simulant une invasion de Partials, convaincus que la terreur crééerestaureraitl’unitésurl’île.LeverdictofficielavaitétabliqueDelarosaetWeistétaientlescerveauxde l’affaire etque les autres avaient simplement suivi lesordres : onnepouvaitpaspunirKesslerpour avoir obéi à son chef, pasplusqu’onnepouvait punir un soldat desForcesdedéfensepouravoirsuiviKessler.Marcusétaitencorepartagéàproposdecejugement,maisentoutcas,onvoyaitbienquelenouveaun’étaitpasd’accorddutout.Marcussebaissaetposaunemainsurl’épauled’Isolde.–Rappelle-moiquic’est,celui-là.–AsherWoolf,chuchota-t-elle.IlremplaceWeistcommereprésentantdel’armée.–Ah,ceciexpliquecela,lâchalejeunehommeenserelevant.

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Onnetuepasunsoldatsanssemettreàdoslesautresmilitaires.–«Ilsontpenséagiraumieux»,répétaWoolf,quiobservalafoule,puisdenouveauKessler.Le

«mieux»étantseloneux,danscecas, l’assassinatd’unsoldatquiavaitdéjàsacrifiésasantéet sasécurité à la protection de leurs secrets. Si nous les obligeons à payer lemêmeprix que ce jeunehomme,laprochaineéquipedesénateursnepenserapeut-êtrepasqueprendrecegenrededécisionrevientà«agiraumieux».MarcusregardalesénateurHobb,ensedemandantpourquoiiln’avaitpasencoreprislaparole.Il

était lemeilleurorateurduSénat,mais le jeunehommeavaitaussiapprisà levoir comme lepluscreux:unmanipulateuretunopportuniste.C’étaitégalementluiquiavaitmisIsoldeenceinte,etrienque pour cela,Marcus ne pourrait plus jamais le respecter. L’homme, en tout cas, n’avait jamaismanifestéaucunintérêtpoursonenfantànaître.Etmaintenant,ilaffectaitlamêmeattitudedétachéeenversleverdict.Pourquoin’avait-ilpasencorechoisisoncamp?–Jecroisquelemessageestpassé,intervintlasénatriceKessler.WeistetDelarosaontétéjugéset

condamnés;ilssontmenottés,enroutepouruneferme-prison,ilspaientpour…–Ilssontenroutepourundomaineidylliquedanslacampagne,oùilsmangerontdusteaketoùce

monsieurauratoutleloisird’engrosserlesjeunesfermièresesseulées,lacoupaWoolf.–Faitesattentionàcequevousdites!éclatalasénatrice,d’unevoixsifurieusequ’ellefitsursauter

Marcus.ÉtantamiaveclafilleadoptivedeKessler,Xochi,ilavaitdéjàentenducettefureurbienplusdefois

qu’ilnel’auraitvoulu,etiln’enviaitpaslapositiondeWoolf.–Quellesquesoientvosopinionsmisogynessurnosfermes,continua-t-elle, lesaccusésnesont

pasenvoyésdansunvillagedevacances.Ilsserontincarcérés,ettravaillerontplusdurquevousnel’avezjamaisfaitdevotrevie.–Parcequevousn’allezpaslesnourrir,peut-être?Kesslerbouillaitderage.–Biensûrquesi,nousallonslesnourrir.Woolfplissalefrontpourmimerlaperplexité.–Maisvousn’allezpaslesautoriseràprendreunpeul’airoulesoleil?–Oùvoulez-vousqu’ilsexécutentdestravauxdeferme,sinondehors,dansleschamps?–Alorsquelquechosem’échappe.Jusqu’ici,cequevousmedécrivezn’ariend’unchâtiment.Le

sénateurWeistafroidementordonnél’assassinatd’undesespropressoldats,unejeunerecrueplacéesous son commandement, et son châtiment consiste en un lit moelleux, trois repas par jour, unenourritureplus fraîchequecequenousavons ici àEastMeadow, et toutes les fillesqu’il pourraitdemander…–Vousn’arrêtezpasdeparlerde«filles»,lecoupaTovar.Àquoipensez-vous,exactement?Woolf se tut un instant, les yeux rivés sur Tovar, puis s’empara d’une feuille de papier qu’il

parcourutduregardtoutenparlant.–J’aipeut-êtremalcompris lanaturedenotremoratoiresur lapeinecapitale.Nousnepouvons

pasexécuterparceque,jevouscite:«Ilnerestequetrente-sixmillepersonnessurlaplanète,etnousn’avonspaslesmoyensd’enperdred’autres.»(Ilrelevalatête.)Est-ceexact?–Nousavonsun remèdecontre leRM,maintenant,ditKessler.Cela signifiequenousavonsun

avenir.Nouspouvonsmoinsquejamaisnouspermettredeperdreunseulindividu.– Oui, oui, car il nous faut perpétuer l’espèce, enchaîna Woolf avec une moue dédaigneuse.

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«Croissezetmultipliez», toutça.Biensûr.Et,pouvez-vousmedirecommenton fait lesbébés, àmoinsquevousnepréféreriezquenousallionschercheruntableaunoirpourquejevousfasseundessin?–Maisenfin,lesexen’arienàvoirlà-dedans!protestaTovar.–C’estça,rienàvoir.Kesslerlevalesmainsenl’air.–Et si, simplement,on leur interdisaitdeprocréer?proposa-t-elle.Vousseriezcontent,comme

ça?–S’ilsnepeuventpasprocréer,nousn’avonsaucuneraisondelesgarderenvie,répliquaWoolf

dutacautac.Selonvotreproprelogique,nousdevrionslesabattreetenfinir.–Ilspeuventtravailler.Labourerlaterre,moudredublépourtoutel’île,quesais-jeencore…–Cen’estpaspourlareproductionquenouslesgardonsenvie,ajoutaTovard’unevoixdouce,et

pasnonpluspourlesréduireenesclavage.Nouslesgardonsenvieparcequelamoralenousinterditdelestuer.Woolfsecouavivementlatête.–Châtierlescriminelsn’est…–LesénateurTovararaison!lançasoudainHobbenselevant.Iln’estquestionicinidesexe,nide

reproduction,nidetravailmanuel,nid’aucundecessujetsquenousvenonsd’évoquer.Ilnes’agitmême pas de survie. L’espèce humaine a un avenir, comme nous l’avons dit. Bien sûr, leravitaillement, les enfants, etc. : tout cela est très important pour cet avenir, mais ce n’est pas leprincipal.C’est lemoyendenotreexistence,maiscelanepeutendevenir lafin.Nousnepourronsjamaisêtreréduits–ninousréduirenous-mêmes–àlasimplesubsistancephysique.(Ils’approchadeWoolf.)Nos enfants hériteront de bienplus quenos gènes ; de plus quenos infrastructures. Ilshériteront de notre morale. L’avenir que nous avons gagné en guérissant le RM est un cadeauprécieuxqu’ilnousfautmériter,jouraprèsjouretheureaprèsheure.Voulons-nousquenosenfantss’entretuent?Biensûrquenon.Alorsnousallons leurapprendre,en leurmontrant l’exemple,quechaquevieestprécieuse.Tuerceluiquituerisqued’envoyerunmessagecontradictoire.–Traiteruntueurcommeuncoqenpâtel’esttoutautant,soulignaWoolf.–Etcen’estpascequenousallonsfaire.Non,cequenousallonsfaire,c’estprendresoindela

communautédanssonensemble:jeunesetvieux,captifsetcitoyenslibres,hommesetfemmes.Ets’ilsetrouvequel’und’entreeuxatué,ehbien,nousveilleronssurluiaussi.(Hobbeutunsouriresansjoie.)Nousne le laisseronspas récidiver,évidemment ;nousnesommespas idiots, toutdemême.Maisnousneletueronspasnonplus,carnousnousefforçonsd’êtremeilleursquecela.Nousnousefforçonsdevivreselondesprincipesplusélevés.Maintenantquenousavonsunavenirtoutneuf,nel’inauguronspasdanslesang.Desapplaudissementsclairsemésrésonnèrentdanslasalle,maisMarcuslestrouvaunpeuforcés.

Quelquespersonnes, en revanche, crièrent leurdésapprobation,mais l’atmosphèrede la salleavaitchangé,etlegarçoncompritquelesujetétaitclos.Woolfn’avaitpasl’airravi,maisaprèslediscoursde Hobb, il semblait avoir renoncé à réclamer la peine de mort. Marcus tenta d’apercevoir lesréactionsdesaccusés,maisilnelesvoyaittoujourspas.Isolde,elle,marmonnaitentresesdents,etilsebaissapourl’entendre.–Qu’est-cequetudis?–Jedis:«Quelfoutusalopardd’imbécileheureux.»Marcusse redressaavecunegrimace. Ilnevoulait surtoutpassemêlerdecette situation. Isolde

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soutenaittoujoursquesaliaisonavecHobbavaitétéconsentie–elleavaitétésonassistantependantplusieurs mois, et force était de reconnaître qu’il était bel homme, très séduisant –, mais elle necherchaitplusàdissimulersarancœurenverslui.–Ilmesembleinutilededélibérerpluslongtemps,conclutTovar.Procédonsauvote:ilestdonc

proposéqueMarisolDelarosaetCameronWeist soientcondamnésaux travaux forcésàvie sur lafermedeStillwell.Quivotepour?Tovar,HobbetKesslerlevèrentlamain.Uninstantplustard,Woolflesimita.L’unanimité.Tovar

s’inclina pour signer la feuille posée devant lui, et quatre soldats s’avancèrent pour escorter lesprisonniers. Le brouhaha monta dans la salle : cent conversations s’engageaient, on commentaitpartoutleverdict,lacondamnationettoutelascènequivenaitdesedérouler.IsoldeselevaetMarcusl’aidaàrejoindrelehalld’entrée.–Nenousarrêtonspas,sortons,dit-elle.J’aibesoinderespirer.Commeilsavaientdevancélegrosdelafoule,ilsatteignirentlesportesavantquecesoitlacohue.

Marcusleurtrouvaunbanc,etIsoldes’yassitavecunegrimace.–J’aienviedefrites,annonça-t-elle.Biengrasses,biensalées,parpoignéesentières.Jevoudrais

mangertouteslesfritesdumonde,là,encemoment.–Maistudisaisquetuallaisvomir,commentpeux-tumêmepenseràmanger?–Neprononcepasceverbe,souffla-t-ellerapidementenfermantlesyeux.Jeneveuxpasmanger,

jeveuxdesfrites.–C’esttropbizarre,lagrossesse.–Tais-toi.Lafoulesedispersaitauxabordsdelapelouse,etMarcusregardahommesetfemmess’enaller

d’unpastranquilleourestersurplaceparpetitesgrappespourdiscuteràmi-voixdeladécisiondessénateurs.Lemot«pelouse»,d’ailleurs,estpeut-être trompeur. Ilyenavaitbieneuunedevant lelycée, à une époque, mais personne ne l’avait soignée depuis bien longtemps et elle s’étaittransformée en prairie parsemée d’arbres, traversée par des allées de ciment gondolé.Marcus sedemandauninstants’ilavaitétéledernieràlatondre,deuxansplustôt,unjouroùilavaitétépunipours’êtremontrédissipéenclasse.Quelqu’unl’avait-ilrecoupéedepuis?Quelqu’unavait-iltonduquoiquecesoitd’autredepuis,d’ailleurs?Pasterrible,commetitredegloire:ledernierêtrehumainàavoirtonduunepelouse.Jemedemandecombiend’autreschosesjeserailedernieràfaire.Ilserembrunitetportasonregarddel’autrecôtédelaroute,verslecomplexehospitalieretson

parkingplein.Lecentre-villes’était trouvédésertaumomentdelafindumonde–peudegens,eneffet,ontenviededîneraurestaurantoud’allervoirunfilmpendantquel’universsuccombeàuneépidémie–,maisl’hôpital,lui,avaitétéprisd’assaut.Résultat:leparkingétaitrempliàrasborddevieilles voitures, rouillées et affaissées, au pare-brise fêlé, à la peinture écaillée. Les voitures decentainesetdecentainesdegens,decouples,defamilles,quiavaientespéréenvainêtresauvésduRM.Ilsétaientvenusàl’hôpital,étaientmortsàl’hôpital,ettouslesmédecinsavaientpériaveceux.Parlasuite,lessurvivantsavaientnettoyéleslocauxaussitôtqu’ilss’étaientinstallésàEastMeadow–c’étaitunexcellenthôpital,unedesraisonspourlesquelleslesrescapésavaientélucettevilleafind’yétablirleurcommunauté–,maisdéblayerleparkingn’avaitjamaisétéunepriorité.Ledernierespoirde l’humanité était cerné sur trois côtés par un dédale de ferraille rouillée, mi-décharge, mi-cimetière.Marcus, percevant soudain des éclats de voix, fit volte-face et vit Weist et Delarosa sortir du

bâtiment,escortéspardessoldatsetparune fouledecitoyensdontbeaucoupprotestaientcontre le

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verdict. Marcus n’aurait su dire s’ils réclamaient un châtiment plus sévère ou au contraire plusclément,mais il supposa qu’il s’agissait sans doute de factions opposées se lançant des invectives.AsherWoolfouvrait lavoieense frayant lentementunchemindans lepublic.Unchariotattendaitpourlesemmenerailleurs:c’étaitunvéhiculeblindéàessieuxlibres,tiréparunattelagedequatrepuissants chevaux.Ceux-ci tapaient du sabot avec impatience, soufflant et renâclant pendant que larumeurdelafouleserapprochait.–Ondiraitqueçavatourneràl’émeute,fitobserverIsolde.Marcus acquiesça. Quelques protestataires bloquaient les portes du chariot blindé, tandis que

d’autrestentaientdelesdélogeretquelessoldatss’efforçaientenvaindemaintenirl’ordre.Non,songeaMarcus,perplexe,ensepenchantenavantpourmieuxvoir.Ilsnes’efforcentpasde

maintenirl’ordre,ilsessaientde…dequoi?Ilsn’arrêtentpaslabagarre,ilsladéplacent.J’aidéjàvulesmilitairescalmerdesémeutes,etilsétaientbienplusefficacesqueça.Plusconcentrés.Qu’est-cequ’ils…?Àcetinstant,lesénateurWeists’effondraausol;unetacherouges’épanouitsursontorse,presque

immédiatementsuivied’unedétonationassourdissante.Lemondeparutimmobileuninstant:lafoule,les soldats et la prairie, figés dans le temps.Que s’était-il passé ? Pourquoi tout ce rouge ?D’oùvenaitcebruit?Pourquoil’hommeétait-il tombé?Lespiècessemirentenplaceuneparunedansl’esprit deMarcus, lentement, dans ledésordre et la confusion : lebruit était uncoupde feu, et lerougesurlapoitrinedeWeistétaitdusang.Onluiavaittirédessus.Les chevaux hennirent, reculant dans leur terreur et poussant contre le lourd chariot. Leur

hurlementbrisalastupeurambiante,ettoutàcouplebruitetlechaosdéferlèrentsurlafoule.Toutlemonde semit à courir : certains pour semettre à l’abri, d’autres pour se lancer à la poursuite dutireur,etchacunsemblaitvouloirs’éloignerlepluspossibleducorps.MarcustiraIsoldederrièrelebancetlaplaquaausol.–Restelà!luilança-t-ilavantdecouriràtoutesjambesversleprisonniertombé.–Trouvezletireur!beuglalesénateurWoolf.Marcus le vit sortir un pistolet de sonmanteau, un semi-automatique noir et luisant. Les civils

fuyaient à toutes jambes, et certains soldats aussi, mais Woolf et d’autres étaient restés près desprisonniers.Unevoléed’éclatsjaillitdumurenbriquederrièreeuxetunenouvelledétonation,aussiforte que la première, traversa la cour. Marcus, sans quitter des yeux le corps affaissé deWeist,plongeaausolàcôtédeluietpritsonpoulspresqueavantd’avoiratterri.Ilnesentitpasgrand-chose,maislebouillonnementdusangdanslaplaieluiappritquel’hommeétaittoujoursenvie.Ilappuyadesdeuxmainssurlablessure,leplusfortpossible,etpoussauncridesurpriselorsqu’onletiraenarrière.–J’essaiedelesauver!–C’esttroptard,ditunsoldatderrièrelui.Allezvousmettreàl’abri.Marcus le repoussa d’un coup d’épaule et retourna en rampant vers le corps.Woolf se remit à

braillerenpointantdudoigtlecomplexehospitalier,maisMarcus,sansécouterpersonne,appuyadenouveausur laplaie.Lesmainsécarlatesetpoisseuses, lesbrasnappésdusangtièdevomiparuneartère,ilappelaàl’aide.–Qu’onm’apporteunechemiseouuneveste!Laballeatraversé,ilsaignedevantetdansledos,je

nepeuxpastoutarrêteravecmesmains!–Nesoyezpasidiot,insistalesoldatderrièrelui.Ilfautallervousmettreensécurité.Mais en pivotant pour lui parler, Marcus découvrit la sénatrice Delarosa, toujours menottée,

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recroquevilléeentreeuxdeux.–Sauvez-lad’abord,plaida-t-il.–Ilestlà-dedans!criaàcemomentWoolf,quidésignaittoujoursl’hôpital.Letireurestlà-bas,que

quelqu’unfasseletour!Lesangcoulaitàgrosbouillonsentrelesdoigtsdugarçon,maculantsesmainsetrecouvranttout

letorseduprisonnier;laplaiedesortie,elleaussi,sevidaitàflotrégulierdanssondos,formantuneflaqueetdétrempant lesgenouxet lepantalondeMarcus.C’était tropdesang, troppourqueWeistpuissesurvivre,maisilmaintintlapression.Voyantqueleprisonniernerespiraitplus,ilappeladenouveauàl’aide.–Jesuisentraindeleperdre!–Laisseztomber,jevousdis!s’impatientalesoldatd’unevoixplusagressive.Lemonde entier apparaissait àMarcus imbibé de sang et d’adrénaline, et le garçon luttait pour

garder le contrôle. Lorsque des mains surgirent soudain pour tenter d’endiguer l’hémorragie, ilconstataavecétonnementquecen’étaientpascellesdusoldat,maiscellesdeDelarosa.–Durenfort,qu’onm’amènedurenfort!s’époumonaitWoolf.Ilyaunassassinquelquepartdans

cesruines!–C’esttroprisqué,ditunautresoldataccroupidanslestaillis.Onnepeutpaschargerlà-dedanssi

unsnipernousattendenembuscade.–Ilnevousattendpas,ilviselesprisonniers.–Tropdangereux,s’entêtalesoldat.–Alorsréclamezdesrenforts.Cernez-le.Faitesquelquechose,nerestezpasplantélà!Marcusnesentaitmêmepluslecœurbattre.Lesangstagnaitdanslapoitrinedelavictime,lecorps

était inerte. Ilmaintint lapression, conscientquec’étaitvainmais trop sonnépouravoiruneautreidée.–Qu’est-cequeçapeutvousfaire,detoutemanière?demandalesoldat.(Marcusvitqu’ilparlait

ausénateurWoolf.)Ilyacinqminutes,vousréclamiezsonexécution,etmaintenantqu’ilestmort,vousvoulezcapturerceluiquil’atué?Woolffitvolte-faceetplantasonvisageàquelquescentimètresdeceluidumilitaire.–Votrenom,soldat?Celui-cisemitàtrembler.–Cantona,monsieur.Lucas.–SoldatCantona,qu’avez-vousjurédeprotéger?–Maisilest…–Qu’avez-vousjurédeprotéger!Cantonadéglutit.–Lepeuple,monsieur.Etlaloi.–Danscecas,soldat,vousferiezbienderéfléchirlaprochainefoisqu’ilvousprendralafantaisie

demesuggérerd’abandonnerlesdeux.DelarosaregardaMarcus,lesmainsetlesbrascouvertsdusangdesoncamaradedecaptivité.–C’esttoujourscommeçaqueçasetermine,voussavez.C’étaient lespremiersmotsqueMarcusentendaitdesabouchedepuisdesmois,et lechoc le fit

redescendresurterre.Ilpritconsciencequ’ilavaittoujourslesbraspresséscontreletorseinertedeWeist.Ilseredressa,pantelant,leregardfixe.

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–Commentquoisetermine?–Tout.

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CHAPITRE4

–Moi,jepensequec’estuncoupdel’armée,ditXochi.Harugrognad’impatience.–TucroisvraimentquelesForcesdedéfenseauraienttuél’hommequilesreprésentaitauparavant

auSénat!–C’estlaseuleexplication.Ilsétaient réunisausalon,en traind’achever leurdîner :cabillaudgrilléetbrocolisvapeur tout

fraisdujardindeNandita.Marcussefitlaréflexionqu’ill’appelaittoujours«lejardindeNandita»alors que celle-ci avait disparu depuis des mois ; ce n’était même pas elle qui avait planté cetterécolte, Xochi s’en était chargée à sa place. Il ne restait que Xochi et Isolde dans la maison, etpourtant,pourlui,c’étaittoujourslejardindeNandita.D’unautrecôté,cettemaisonétaittoujoursaussi«lamaisondeKira»,alorsquelajeunefilleétait

partiedeuxmoisplustôt.Àvraidire,Marcusypassaitmaintenantplusdetempsqu’elle-mêmeavantsondépart,espérantchaquefoislavoiràlaporte.Cequin’arrivaitjamais.–Réfléchis,continuaXochi.LaDéfensen’arientrouvé,pasvrai?Deuxjoursderecherches,etils

n’ontpasdégotélemoindreindicepourlesmenerautireur:pasunedouille,pasuneempreintedepas,pasmêmeuneéraflureausol.Jenesuispasfandel’armée,loins’enfaut,maiscenesontpasdesnuls. Ils trouveraients’ilscherchaient :c’estdoncqu’ilsnecherchentpas. Ilsétouffentquelquechose.–Oubienletireurestsimplementtrèscompétent,lacontreditHaru.Peut-onconsidérerquec’est

unepossibilité,aumoins,oufaut-ilvraimentsautertoutdesuiteàlathéorieducomplot?–Évidemmentqu’ilestcompétent!s’entêtaXochi.Ilaétéentraînéparl’armée!–Ontourneenrond,là,commentaIsolde.–Weistétaitdansl’armée,ditHaru.Illareprésentaitauconseil.Situpensesqu’unsoldatpourrait

tuerunautresoldat,c’estvraimentquetun’yconnaisrien.Ilsdeviennentférocesquandundesleursestagressé.Ilsnecouvriraientpasunechosepareille,ilspréféreraientlyncherlecoupable.–C’estexactementcequejeveuxdire,insistaXochi.QuoiqueWeistaitfaitparailleurs,ilatuéun

militairedesang-froid–enfin,paspersonnellement,maisc’estluiquiadonnél’ordre.Ilaorganisél’assassinatd’unsoldatplacésoussoncommandement.L’arméen’aurait jamais laissépasserça, tul’asdit toi-même : ils l’auraient traquéet lynché. Isoldeditque lenouveausénateurqui représentel’armée,Woolfoujenesaisquoi,réclamaitlapeinedemortàgrandscris;maisvuqu’ilsn’ontpaspul’obtenir,ilssesontrabattussurleplanB.– Ou, plus probablement, soutint Haru, les choses se sont passées exactement comme le dit

l’armée:c’étaitunetentatived’assassinatdirigéecontreWoolf,ouTovar,quelqu’uncommeça.Undessénateurstoujoursenposte.Iln’yapasderaisondetuerunprisonniercondamné.–Etletireurauraitratésoncoup?Cesuper-sniperincroyablementcompétent,capabled’échapper

àuneenquêteacharnéedesForcesdedéfense,voulaitsefaireundessénateursmaispasdebol,ilvisecommeunepatate?Allons:soitc’estunpro,soitnon,Haru.Marcustâchaittoujoursderesterendehorsdecesdisputes–«ces»voulantdire«lesdisputesavec

Haru ». Il avait vu de ses yeux comment les soldats avaient réagi à l’attaque, et il était toujours

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incapablededéterminers’ils’agissaitounond’uncomplot.Lesoldatavaitessayédel’éloignerdeWeist,maisétait-cepardésirdeleprotéger,lui,oupourl’empêcherdesauverleblessé?LesénateurWoolf,lui,avaitparupresquevexéparl’agression,commesil’assassinatduprisonnieravaitétéuneinsulte à sa personne, mais était-ce authentique ou jouait-il la comédie ? Haru et Xochi étaientpassionnés, mais ils en arrivaient trop vite aux extrêmes ; or Marcus savait d’expérience qu’ilsallaientargumenterainsipendantdesheures,peut-êtremêmedesjours.Illeslaissaàleurdiscussion,préférantsetournerversMadisonetIsoldequis’émerveillaienttouteslesdeuxdubébédeMadison,Arwen.Arwenétaitlenouveau-némiracle:leseulenfanthumainàavoirsurvécuauxravagesduRMen

presquedouzeans,grâceauremèderapportéparKiradelazonedesPartials,quisemultipliaitdanssonsystèmesanguin.Elleétaitpour l’heureendormiedans lesbrasdeMadison,bienemmitoufléedans une couverture en flanelle, pendant que sa mère parlait doucement à Isolde de grossesse etd’accouchement.Sandy,l’infirmièrepersonnelled’Arwen,observaitlascènesansriendire,dansuncoin : l’enfant miracle était si précieuse qu’elle était soumise à une attention médicale constante.Sandy suivait lamère et la fille partout,mais elle ne s’était jamais réellement intégrée à leur petitgroupe.Et elle n’était pas la seule à escorterMadison : pour protéger l’enfant, le Sénat leur avaitattribuédeuxgardesducorps.Lejouroùunepauvrefolle–mèrededixbébésmorts–avaittentédekidnapper Arwen, la première fois que Madison l’avait emmenée au marché, la garde avait étédoubléeetHaruréintégrédanslesForcesdedéfense.Deuxgardesétaientprésentscesoir,undevantlamaisonetunderrière.LaradiofixéeàlaceinturedeHaruémettaitunpetitbruitchaquefoisquel’und’euxsesignalait.–Etdececôté-là,desprogrès?s’enquitMadison,arrachantMarcusàsespensées.–Dequelcôté?–Letraitement.Çaavance?Ilfitlagrimace,jetauncoupd’œilàIsolde,etsecouanégativementlatête.–Rien.Onaeul’espoirdefaireunegrandedécouverteavant-hier,maisenfaitc’étaituneidéeque

l’équipeDavaitdéjàtestée.Ilsnousontditquec’étaitmort.Ilgrimaçadeplusbelle,désoléparsonproprechoixdevocabulaire,mêmesicettefoisilparvintà

ne pas regarder Isolde ; mieux valait laisser cette expressionmalheureuse disparaître toute seule,terrasséeparlahonte,plutôtqu’attirerl’attentiondessus.Isoldebaissa lesyeuxetcaressasonventre rond,comme l’avait faitMadisonavantelle.Marcus

travaillaittantqu’ilpouvait–commetoutlemondedansleséquipesquiseconsacraientàdécouvrirletraitementcontreleRM–,maisilsétaienttoujoursaussiloindeparveniràsynthétiserlamolécule.Kira avait découvert en quoi consistait le remède et avait réussi à en soutirer un échantillon auxPartialsquivivaientsurlecontinent,maisMarcusetlesautresmédecinsétaientencoreloind’arriveràlereproduireetàlefabriquer.–Unnouveaubébés’estéteintceweek-end,annonçaIsoldeàmi-voix.Elle cherchadesyeuxune confirmationdeSandy,quihocha tristement la tête. Isolde attendit un

instant,lamainsurleventre,puissetournaversMarcus.–Cen’estpastout,tusais:laloiEspoirestabrogée,nosgrossessesnesontplusobligatoires,et

pourtantilyenaplusquejamais.Toutlemondeveutavoirunenfant,toutlemondecomptesurvouspourproduire le remèded’ici l’arrivéedesbébés. (Ellebaissadenouveau lesyeux.)C’estdrôle…nous les appelions toujours « nouveau-nés », au Sénat, avant le remède, comme pour éviter deprononcer lemot«enfants».Quand iln’yavaitquedesdécès,nousnevoulionspas les imaginer

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commedespersonnes,commedesenfants,commeautrechosequelessujetsd’uneexpérienceratée.Maismaintenantquejesuis…quej’ensuislà,queje…quej’enfabriqueunmoi-même,qu’unêtrehumain est en train de grandir enmoi, tout est différent. Je ne peux pas l’imaginer autrement quecommemonbébé.Sandyconfirmadelatête.–Nousfaisionslamêmechoseàl’hôpital.Onlefaitencore.Lesdécèssontencoretropfrais,on

essaiedetenirlamortàdistance.–Jenesaispascommentvousyarrivez,murmuraIsolde.Marcuscrutentendreunsanglotdanssavoix,mais,n’étantpasfaceàsonvisage, ilnevitpassi

ellepleurait.–Vousallezbienfairedesprogrès,quandmême,repritMadison.Vousavezquatreéquipes…–Cinq,lacorrigeaMarcus.–Cinq équipes,maintenant, qui s’escriment toutes à synthétiser la phéromonedesPartials.Vous

avezl’équipement,leséchantillons,toutcequ’ilfaut.Ça…çanepeutpasmenernullepart.–Nousfaisonstoutcequiestpossible,réponditlejeunehomme,maisilfautcomprendreàquel

pointcettechoseestcomplexe.Ellenefaitpasqu’interagiravecleRM,elleestintégréedanslecyclede vie même du virus, et nous en sommes encore à tenter de comprendre comment tout celas’organise.Jeveuxdire…onnesaitmêmepasencorepourquoiilenestainsi.PourquoilesPartialssont-ilsporteursde l’antidote?Pourquoiest-ilprésentdans leursouffle,dans leursang?Enplus,d’après le peu que nous avons pu en apprendre de Kira avant son départ, ils ne sont même pasconscientsdel’avoireneux:celafaitsimplementpartieintégrantedeleurpatrimoinegénétique.–Çan’aaucunsens,commentaSandy.–Non,saufs’ilyaunplanplusvasteau-dessusdetoutcela.–Jemefichequ’ilpuisseéventuellementexisterjenesaisquelplandiabolique,ditMadison.Jeme

fichedesavoird’oùvientlaphéromone,commentelleestarrivéeicietpourquoilecielestbleu.Toutcequejeveux,c’estquevousarriviezàladupliquer.–Maispourfaireça,ilfautd’abordcomprendrelefonctionnementd’ensemble…–Onlaprendradeforce,lecoupaIsolde.IlyavaitunetensiondanssavoixqueMarcusn’avaitjamaisentenduechezelle.D’étonnement,il

haussalessourcils.–Tuveuxdire,laprendreauxPartials?– Le Sénat en parle tous les jours. Il existe un remède, nous ne savons pas le fabriquer nous-

mêmes,desbébésmeurentchaquesemaine.Toutlemondes’impatiente.Etpendantcetemps,justedel’autrecôtédudétroit,ilyaunmilliondePartialsquisécrètentlasolutionàlongueurdejournéesansmêmeleverlepetitdoigt.Laquestionn’estpas:«Allons-nousattaquerlesPartialsunjour?»,c’estplutôt:«Qu’est-cequ’onattend?»–J’ysuisallé,de l’autrecôté,ditMarcus. J’aivudequoi lesPartials sontcapablesquand ils se

battent:onn’auraitpasunechancecontreeux.–Onn’estpasobligésdeleurdéclarerlaguerre,insistaIsolde.Ilsuffiraitd’unraid:onyva,onen

chopeunetonrentre.CommeontfaitKiraetHaruavecSamm.Cesderniersmotsattirèrentl’attentiondeHaru,quicessadediscuteravecXochietrelevalatête.–Quoi,moietSamm?–OnsedemandaitsilaDéfenseallaitunjourenleverunautrePartial,luiexpliquaMadison.

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–Biensûr,répondit-il.C’estinévitable.Ilsontétéidiotsd’attendresilongtemps.Super, songeaMarcus.Mevoilà entraînédansuneconversationavecHaru,queçameplaiseou

non.–Pasbesoind’enenleverun,intervintXochi.Onpourraitsimplementallerleurparler.–Ilss’ensontprisàvousladernièrefois,objectaHaru.J’ai lulesrapports:vousavezeudela

chance d’en sortir vivants, et encore, c’était avec un Partial en qui vous aviez confiance. Je n’aiaucuneenviedevoircequisepasseraitavecunefactiontotalementinconnue.–On ne peut pas se fier à tous, reconnutXochi,mais ce qu’il faut que tu voies aussi, dans les

rapports,c’estqueSammadésobéiàsoncommandementpournousaider.Ilyenapeut-êtred’autresquiraisonnentcommelui.–S’ilsétaientvraimentdignesdeconfiance,onneseraitpasobligésdes’enremettreàunélément

isoléquichoisitladésobéissance.JenecroiraipasàlapaixaveclesPartialstantquejenelesauraipasvusfaireuneffortpournous.–Tudisça,ajoutaMadison,maismêmesitulevoyais,tuneleurferaispasconfiance.–SitutesouvenaisdelaguerredesPartials,tucomprendrais,sedéfenditHaru.–Nousvoilàderetouràlacasedépart,soupiraIsolde.Aucunresponsableneveutfairelapaixavec

eux,etaucunmédecindel’hôpitalnepeutfabriquerleremèdesanseux.Laseulesolutionquireste,c’estlaguerre.–Justeunpetitassaut,précisaHaru.Onyvadiscrètement,onenattrapeun,et ilsneserendront

comptederien.–Etlà,pourlecoup,ceseralaguerre,éclataMarcus,désoléd’êtreentraînédansledébat.Ilssont

déjàenguerrelesunscontrelesautres,c’estsansdoutelaseuleraisonpourlaquelleilsnes’ensontpasencoreprisànous.Legroupequ’onarencontrélà-basavaitcommencéàétudierKirapourtenterdeveniràboutdeleurproprefléau,leurdated’expirationintégrée.Visiblement,unepetitefactiondePartialspensequeleshumainssontlasolution:toutcequ’ilsveulent,ceux-là,c’estnoustransformeren cobayes.Dès l’instant où ils auront gagné leur guerre civile, ils nous tomberont dessus, toutesarmesdehors,pournoustuerounousréduireenesclavage.–Sic’estcommeça,laguerreestinévitable,conclutHaru.–PresqueaussiinévitablequeHaruemployantlemot«inévitable».L’intéresséignoracettepiquedeMarcus.– Alors raison de plus pour frapper. Et même, autant le faire tout de suite, pendant qu’ils ont

d’autressoucisentête;onencapturequelques-uns,onenextraitsuffisammentderemèdepourtenirle temps nécessaire, on les bute, et on se tire de Long Island avant que leurs copains viennent sevenger.Sandyserembrunit.–Tuveuxdire,quitterLongIslandpourdebon?–Si lesPartials relancent leur invasion, ce serait idiotdenepas s’enfuir.D’ailleurs, on l’aurait

déjàfaitsionn’avaitpasbesoind’euxpourfabriquerleremède.–Laisse-nousjusteunpeudetempsàl’hôpital,ditMarcus.Ontoucheaubut,jelesens.Lejeunehommes’attendaitàcequeHaruproteste,maisIsoldefutplusrapide.–On vous a déjà laissé du temps, lâcha-t-elle froidement. Jeme fiche qu’on la synthétise, cette

molécule,qu’onlavole,qu’onpasseuntraitéoutoutcequetuvoudras;maiscequejesais,c’estqueje ne perdrai pasmon bébé. Les gens ne vont pas revenir à la situation passée,maintenant qu’ils

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saventqu’unremèdeexiste.EtondiraitbienquelesPartialsnevontpasattendreéternellement.Onauradelachancesiunenouvelleinvasionnenoustombepasdessus.–C’estunecoursedevitesse, renchéritHaru. Il faut absolument fabriquerdesdosesde remède,

sansquoilaguerreserainévitable.– Ouais, lâchaMarcus en se levant. Tu l’as déjà dit. J’ai besoin de prendre l’air – savoir que

l’avenirdetoutel’espècehumainereposesurmesépaules,c’estunpeubeaucouppourmoi,là.Ilquittalapièce,soulagéquepersonneneselèvepourlesuivre.Iln’étaitpasencolère,dumoins

pascontresesamis ; l’avenirdel’espècehumainereposaitbeletbiensur lui,sureux.Étantdonnéqu’ilnerestaitplusquetrente-sixmillehumainssurTerre,iln’yavaitpasbeaucoupdechoix.Il sortit dans l’air frais du jardin. Douze ans auparavant, avant le Ravage, il y aurait eu des

réverbèresallumésdanstoutelaville,etleurlumièreauraitéclipsélesétoiles;maiscesoir-là,lecielétait empli de constellations scintillantes. Marcus les contempla en inspirant profondément, etidentifiacellesqu’ilavaitapprisesàl’école:Orionétaitlaplusfacileàreconnaître,avecsaceintureetsonépée,etaussilaGrandeOurse.Ilfermaunœiletprolongeadudoigtlemanchedelacasserolepourchercherl’étoilePolaire.–Tut’yprendsàl’envers,ditunevoixdefillequilefitsursauter.–Jen’avaispasvuqu’ilyavaitquelqu’un,souffla-t-ilenespérantn’avoirpasététropridicule.Ilseretournapourvoirquiétaitlà,sedemandantquipouvaitsecacherdanslejardindeXochi,et

poussaunpetitcridefrayeurenvoyantunefemmesedétacherdel’ombre,unfusild’assautdanslesmains. Il recula en trébuchant tout en s’efforçant de retrouver sa voix – ou simplement, déjà, dedigérercetteapparitioninattendue–,maisl’inconnueportaunindexàseslèvres.Marcusseglissasurlecôtédelamaisonets’appuyaaumurpourreprendresonéquilibre.Legestedelafemme,ainsiquelecanonluisantdel’arme,luifirentrefermerlabouche.Lafilles’avançaavecunsouriredechat.Marcusvoyaitàprésentqu’elleétaitplusjeunequ’ilne

l’avait cru au premier abord : elle était grande et mince, avec des gestes pleins d’assurance etd’autorité,maisellenedevaitpasavoirplusdedix-neufouvingtans.Sestraitsétaientasiatiques,etsescheveuxdejaistirésenunetresseserrée.Marcusluiretournaunsourirenerveux,toutengardantà l’œilnonseulement le fusilmaisaussi lesdeuxpoignardsqu’ildistinguaitmaintenant, fixésàsaceinture.Pasun couteau : une paire.Pourquoi lui faut-il deux couteaux ?Ça lui arrive souvent dedevoircouperplusieurschosesenmêmetemps?Iln’étaitpasfranchementpressédel’apprendre.– Tu peux parler, lui dit-elle. Simplement, ne crie pas, n’appelle pas au secours. Je préférerais

passerlasoiréesansavoirà…tusais,àsupprimerquelqu’un.–Excellentenouvelle,fit-ilendéglutissant,lagorgeserrée.Sijepeuxfairequoiquecesoitpour

t’épargnerdetuerdumonde,n’hésitepasàmeledire.–Jecherchequelqu’un,Marcus.–Commentconnais-tumonnom?Sansrépondre,elleluitenditunephoto.–Çateditquelquechose?Le garçon scruta le cliché – trois personnes devant un immeuble –, puis tendit lamain pour le

prendre,enregardant lafillepours’assurerdesapermission.Ellehocha la tête, rapprochaencorel’imagedelui.Illaluipritetlalevadansleclairdelune.–Ilfaitunpeu…Elleallumaunepetitelampetorchequ’ellebraquasurlaphoto.

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–…sombre,merci.Ilregardal’imagedeplusprès,gênédesentirlefusildelafilleàquelquescentimètresdelui.On

voyaitdonctroispersonnes:unhommeetunefemmeavecunepetitefilleentreeux,quinedevaitpasavoir plusde trois ouquatre ans.Derrière cespersonnages sedressait un imposant bâtiment, dontMarcus se rendit compte avec un coup au cœur qu’il arborait une grande enseigne : PARAGEN. Ilouvrit la bouche pour faire un commentaire, mais prit conscience avec un nouveau choc que lafemmeétaitquelqu’unqu’ilconnaissaitdepuisdesannées.–C’estNandita,ça.– NanditaMerchant, confirma la fille, qui éteignit sa lampe. Tu ne saurais pas où elle est, par

hasard?Marcuspivotapourluifaireface.Ilnecomprenaittoujoursrienàcequisepassait.–Personnene l’avuedepuisplusieursmois.Ceci est samaison,mais…elle avait l’habitudede

partirtoutletempsfairedelarécupetchercherdesherbespoursonjardin.Etladernièrefoisqu’elleestpartie,ellen’estpasrevenue.Ilobservadenouveaulaphoto,puisrelevalesyeuxverslafille.– Est-ce que tu travailles pour Mkele ? Oh, oublions pour qui tu travailles… Qui es-tu ? Et

commentsais-tuquijesuis?–Ons’estdéjàrencontrés,maistunet’ensouvienspas.Jesuistrèsdifficileàrepérerquandjene

veuxpasêtrevue.– C’est vrai, j’ai cette impression. J’ai aussi l’impression que tu ne fais pas partie de la police

d’EastMeadow.Pourquoiest-cequetulacherches?Lafilleeutunsourireruséetmalicieux.–Parcequ’elleadisparu.–D’accord,tum’asbieneu,concéda-t-il–toutenremarquantsoudainàquelpointelleétaitjolie.

Jevaisleformulerautrement:pourquoias-tubesoindelaretrouver?La fille ralluma la lampe torche, aveuglant d’abordMarcus avant de diriger le faisceau vers la

photoqu’ilavaittoujoursàlamain.–Regardemieux,dit-elle.Tulareconnais?–Oui,c’estNanditaMerchant.Jeviensdete…–Paselle.Lapetite,àcôté.Marcusregardaencore,tenantleclichétoutprèsdesesyeux,observantattentivementlafilletteau

centre.Sapeauétaitbrunclair,sescouettesnoirescommeducharbon,sesyeuxvifsetcurieux.Elleportaitunerobelégèreetbariolée, legenrederobequeportentlespetitesfillespourallerauparcparunebellejournéed’été.Legenrederobequ’iln’avaitpasvuedepuisdouzeans.Elleparaissaitheureuse,innocente,lestraitslégèrementchiffonnés,unœilplisséàcausedusoleil.Ilyavaitquelquechosedanscettemanièredeplisserunœil…LabouchedeMarcuss’ouvrittouteseule,etilfaillitenlâcherlaphoto.–C’estKira.(Ilrelevalesyeuxversl’inconnue,plusmystifiéquejamais.)C’estunephotodeKira

avantleRavage.Il l’observa encore, étudiant sonvisage ; elle était toute jeune, elle avait encore les rondeursde

l’enfance,maisc’étaitbienelle.OnreconnaissaitlenezdeKira,lesyeuxdeKira,etsamanièredeplisserlespaupièrescontrelesoleil.Ilsecoualatête.–Maisqu’est-cequ’ellefaitavecNandita?Ellessesontrencontréesaprèslacatastrophe.

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–Précisément,ditlafille.Nanditaétaitaucourant,etellen’enajamaisparléàpersonne.C’est unemanière bizarre de dire les choses, songeaMarcus.Pas «Nandita connaissaitKira »,

mais«Nanditaétaitaucourant.»–Aucourantdequoi?L’inconnueéteignitdenouveausalampe,laremitdanssapoche,etrepritlaphotoaugarçon.–Alors,tusaisoùelleest?–KiraouNandita?La réponseauxdeuxestnon, alors çan’apasd’importance.Kiraestpartie

chercher…KiracherchaitlesPartials,etilavaitveilléàneledireàpersonne,maisilsupposaquedanscecas

précis,celanecomptaitplus.–TuesunePartial,pasvrai?–SituvoisKira,passe-luilebonjourdeHeron.Ilhochalatête.–C’esttoiquil’ascapturée,quil’asamenéeaudocteurMorgan.Toujourssansrépondre,Heronrangealaphotoetjetauncoupd’œildansl’obscuritéderrièreelle.–Les choses sont sur le point de devenir très intéressantes sur cette île, déclara-t-elle.Tu es au

courantdeladated’expirationdontparlaitSamm?–ParcequetuconnaisaussiSamm?–KiraWalkeretNanditaMerchantontuneimportancecapitaledanslarésolutionduproblèmede

ladated’expiration,etledocteurMorganestdéterminéeàlesretrouver.Marcus,complètementperdu,fronçalessourcils.–Quelrapportavecelles?–Netelaissepasdistraireparlesdétails,luiconseillalafille.PourquoiledocteurMorganveutles

retrouver,çan’apasd’importance;l’important,c’estqu’elleleveut,etqu’elleyarrivera,etquelesPartialsn’ontquedeuxmanièresdefaireleschoses:lamienne,etcelledetouslesautres.– Je ne suis pas fanade tamanière, objectaMarcus en lorgnant le fusil. Faut-il vraiment que je

connaissecelledesautres?–Tul’asdéjàvue.Ças’appelaitlaguerredesPartials.–Bon,d’accord,jepréfèretamanière.–Alorsaide-moi,ditHeron.TrouveNanditaMerchant.Elleestquelquepartsurcette île.Jem’y

mettraisbienmoi-même,maisj’aiautrechoseàfaire.–Endehorsdel’île.TucherchesKira,hasardaMarcus.Ellesouritànouveau.–Etqu’est-ceque jedois faire si je retrouveNandita? s’enquit legarçon.Àsupposerque je la

cherche,déjà,vuquetun’aspasd’ordresàmedonner.– Trouve-la, c’est tout, dit la fille en reculant d’un pas. Crois-moi, cela vaut mieux que leur

manièredefaire.Surcesmots,elletournalestalonsetdisparutdansl’ombre.Marcusvoulutlasuivre,maisellen’étaitdéjàpluslà.

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CHAPITRE5

Kiras’accroupitdanslestaillis,l’œilrivéàsanouvellelunettedeviséepourobserverlaportedumagasind’électronique.C’était lequatrièmequ’ellevisitait,etpour l’instant tousceuxqu’elleavaitvus avaient déjà été pillés. En temps normal, cela n’aurait rien eu d’étrange,mais les bureaux deParaGen l’avaient rendueméfiante, et ses investigations avaient toutes prouvé lamême chose : lepillard,quelqu’ilsoit,étaitpassérécemment.Quelqu’un,dans lesétenduessauvagesdeManhattan,avaitrassemblédesordinateursetdesgénérateursaucoursdesderniersmois.Ilyavaitpresqueuneheureetdemiequ’elleobservaitcetendroit,concentrantsonénergie,tâchant

d’êtreaussiprudentedanslatraqueduvoleurqu’ellel’étaitpourdissimulersesproprestraces.Ellerestaencorequelquesminutesenobservation,scrutantlavitrine,lesvitrinesvoisines,lesfenêtresau-dessus : rien. Encore un coup d’œil dans la rue : déserte dans les deux directions. Il n’y avaitpersonne;ellepouvaityallersansrisque.Ellevérifiasonpaquetage,serrasacarabinecontreelle,puis traversaencourant lachausséedéfoncéeetfranchit lavitrinesaccagéesansuntempsd’arrêt ;ellescrutalesangles,lecanonlevé,prêteàtirer,avantd’inspecterprudemmenttouteslesallées.Lemagasinétaitpetit:ilvendaitprincipalementdesenceintesetdeschaîneshi-fi,dontlaplupartavaientsans doute été pillées dès l’époque du Ravage. Le seul être présent était le squelette du caissier,recroquevillé derrière le comptoir. Quand elle fut certaine qu’il n’y avait pas de danger, Kiraraccrochasonarmeàsonépauleetsemitautravail,examinantlesolavecleplusgrandsoin.Ilneluifallut que quelques minutes pour trouver ce qu’elle cherchait : des traces de pas, relativementfraîches,quinepouvaientavoirétéfaitesquelongtempsaprèsl’explosiondelavitrine,unefoislemagasin remplidepoussièreetdedébris.Lesempreintes, ici,étaientparfaitementnettes,etelleenmesuraunedelamain:c’étaitbienlapointureénormequ’elleavaitdéjàvueailleurs,peut-êtredu45oumêmedu48.Lestracesétaientétonnammentbienconservées:leventetl’humiditéauraientdûlesémousser avec le temps, surtout celles qui se trouvaient en plein centre des allées, et pourtant cen’étaitpratiquementpaslecas.Kirasemitàgenouxpourlesexaminersanslesabîmer.Toutescellesqu’elleavaitvuesjusque-làavaientétéfaitesdansl’année;celles-cin’avaientpeut-êtrepasplusd’unesemaine.Celuiquivolaitdesgénérateursétaitencoredanslesparages,etencoreactif.Kirareportasonattentionsurlesrayonnagespourtenterdedéduiredeleurétat,etdelaposition

des traces, ceque le pillard avait pris.Laplusgrande concentrationd’empreintes se trouvait, sanssurprise,danslecoinquiavaitétéceluidesgénérateurs.Maispluselleregardait,plusnettementellevoyaitunedéviationdansleursmotifs:l’inconnuavaitfaitaumoinsdeuxtrajetsjusqu’àl’autrecôtédelaboutique,l’unàpaslents,commepourchercherquelquechose,etl’autreavecplusdefermeté,imprimantdestracesplusprofondes,commes’ilavaitportéunobjetlourd.Ellejetauncoupd’œilpar-dessus lesétagèreset laissaglisser son regardau-delàdes téléphonesenplastiquepoussiéreuxencorefixésauxcadresmétalliques,au-delàdesfinestablettesetdesminusculeslecteursdemusiquesemblablesàceuxquecollectionnaitXochi.Elleremontapeuàpeu lapisteparmi lesgravatspourenfinarriverdevantunprésentoirbasetvide,danslefond.Lepillardmystèreavaitdécidémentprisquelquechose.Kirasebaissapourdépoussiérer l’étiquetteduprésentoir,etdéchiffraaveceffort lecartondécoloré:VHF?Qu’est-cequec’étaitqueça?Regardantdeplusprès,elleaperçutlescontoursd’unsecondmot,pluspetit,devant lepremier :RADIO.Une radioVHF,donc.Encoreunacronyme

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qu’elleneconnaissaitpas,commeDI.Des ordinateurs, des générateurs, et maintenant des radios. L’inconnu rassemblait une sacrée

collectiond’objetstechnologiquesdel’ancienmonde–etilétaitcertainementexpert,puisqu’ilavaitsucequ’étaitcettechoseposéesurl’étagèresansavoirànettoyerl’étiquettecommeellel’avaitfait.Deplus,ilavaitprisdesobjetstrèsprécischezParaGen,cequinepouvaitpasêtreunecoïncidence.Ilnechoisissaitpas auhasard : il assemblaitunéquipementbiendéterminé. Il s’appropriaitdevieuxordinateurs de chez ParaGen, et les générateurs nécessaires pour accéder à leur contenu. Etmaintenant, voilà qu’il prenait aussi de l’équipement radio, mais qui pouvait-il bien vouloircontacter?Manhattan était unnoman’s land, undésert, une zone tamponofficieuse entre lesPartials et les

survivantshumains.Personnen’était censévivre là,nonquece soit interdit,maisparcequec’étaitdangereux. S’il vous arrivait quelque chose ici, les deux camps pouvaient vous capturer, et aucunn’étaitenmesuredevousprotéger.Cen’étaitmêmepasunterrainidéalpourunespion,puisqu’iln’yavait rien d’intéressant à observer et à rapporter – à l’exception, probablement, des fichiers deParaGen. Elle les cherchait, et ce pillard faisait de même – mais il l’avait coiffée au poteau.Maintenant,àcausedelui,ellen’avaitplusdegénérateursàremonterdanslesbureauxdeParaGen,etpasdegarantiequelesordinateursrestés là-bascontenaient les informationsdontelleavaitbesoin.Elle avait espéré dégoter un générateur capable de rallumer les bureaux des directeurs de cetteantenne new-yorkaise, afin de voir s’ils contenaient ce qu’elle voulait, mais le mystérieux voleurcherchaitvisiblementlamêmechosequ’elleetpourtantilnes’yétaitpasarrêté.Conclusion:siellevoulaitlirecesdossiers,elleallaitdevoirdébusquerlepillardenpersonne.Il fallait qu’elle sache ce qu’avaitmanigancé ParaGen avec les Partials, avec le RM, avec elle-

même,mais si elle se trouvait là, c’était aussi pour une autre raison. La dernière note laissée parNandita lui intimait de trouver l’Alliance – les chefs des Partials, les membres du hautcommandementquidistribuaientlesordresàtouslesautres–et,mêmesiellenecomptaitpastombersur eux ici, ellepourrait peut-êtredénicherdes indicespour savoiroùcommencer ses recherches.D’un autre côté… pouvait-elle se fier à Nandita ? Kira soupira en considérant d’un œil noir laboutiquedévastée.ElleavaittoujourseuuneconfianceabsolueenNandita,maissavoirquecelle-ciconnaissait déjà son père avant le Ravage, qu’elle la connaissait, et qu’elle n’en avait jamais riendit…Nandita l’avait trompée,etKiran’avait aucunmoyende savoirquelles intentions l’animaientquandelleluiavaitécritdetrouverl’Alliance.Cependant,c’étaitleseulélémentqu’elleavaitenmain.Il fallaitqu’ellecontinuedechercherdes informationssurParaGen,pillardounon–c’était làqueseraient les réponses, et c’était chez cet inconnu qu’elle devrait les chercher. Qu’il soit Partial,humain, agent double ou autre, cela n’avait pas d’importance : il fallait qu’elle le localise et luisoutirecequ’ilsavait.Uneautrepensée la traversaalors : l’imagementaled’unecolonnede fumée.Elle l’avaitvue la

dernièrefoisqu’elleétaitvenueici,avecJayden,Haruetlesautres:unefineécharpes’élevantd’unecheminéeoud’unfeudecamp.Enallantvoirceladeplusprès, ilsétaienttombéssurlegroupedePartials auquelappartenaitSamm ;dans sahâtede fuir, elleavaitoubliéqu’ilsn’avaient jamais suprécisémentd’oùémanaitcettefumée.Elleavaitsupposéquec’étaitcelleducampementdesPartials,maiscequ’elleavaitvécuaveceuxparlasuiterendaitcetteidéepresquerisible:lesPartialsétaientbien trop futés pour donner un indice aussi flagrant de leur présence, et bien trop résistants pouravoirbesoindefairedufeu.Ilsemblaitdésormaisplusvraisemblablequecettefuméeaitétéémisepar un tiers, et que les Partials soient venus voir de quoi il retournait en même temps que leshumains ; leurs deux groupes s’étaient mutuellement combattus avant que l’un ou l’autre ait pu

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apprendre ce qui se passait.Peut-être. C’était tiré par les cheveux, mais c’était à peu près tout cequ’elleavaitpourcontinuer.Certainementmieuxqu’épierlesmagasinsd’électroniquedansl’espoirvainquelepillardviennejustementseservirdansceluiqu’ellesurveillait.Elle commencerait par le quartier où ils avaient mené leurs investigations à l’époque, et si

l’inconnuavaitdéménagé–cequisemblaitprobable,aprèslebruitqu’avaitfait leurfusilladeaveclesPartialsjusteàcôtédechezlui–,ellechercheraitdesindicespourtenterdecomprendreoùilétaitparti.Ilyavaitquelqu’undanscetteville,etelleétaitbiendécidéeàmettrelamaindessus.Localiser la sourcede l’ancienpanachede fumée futplusdifficilequ’ellene l’aurait cru.D’une

part,iln’étaitpluslà,cequiobligeaitKiraàsefieràsamémoire.Or,dansunecitéaussigigantesque,onnepouvaitpassesouvenirclairementdetout.Elleparcouruttoutlecheminverslesud,jusqu’aupontparoùilsétaientarrivés,puis,àpartirdelà,tâchaderetrouverlemêmebâtimentetderegarderpar lamême fenêtre.De là, enfin, lepaysage lui rappelaquelquechose : elledistinguait la longuerangéed’arbres,lestroisimmeublesrésidentiels,touslessignesquil’avaientmenéeàl’affrontementaveclesPartials,tantdemoisauparavant.C’étaitlàqu’elleavaitrencontréSamm–ouplutôt,qu’ellel’avait assommé et capturé.Étrange, comme tout avait changé depuis. Si elle avait euSammà sescôtés,encemoment…ehbiensavieauraitdéjàétéplusfacile.Cependant,ellesavaitquecen’étaitpastout.Leregardperdudanslesétenduesverdoyantesdela

ville,elleseredemandapour lacentièmefoissi laconnexionqu’elleavait ressentieentreeuxétaitdue au fameux lien phéromonal des Partials, ou à quelque chose de plus profond. Comment lesavoir?Était-cemêmepossible?Etcelaavait-il lamoindreimportance?Uneconnexionétaituneconnexion,etelleenétaitbienprivée,cestemps-ci.Le moment était toutefois mal choisi pour penser à Samm. Kira observa le paysage urbain en

fouillantsamémoirepourretrouverlepointexactd’oùétaitsortielafuméeetdéterminerlecheminpour y retourner. Elle alla jusqu’à prendre son calepin et griffonner un plan sommaire, mais, nesachantpasprécisément combiende rues la séparaientdubut et comment elles senommaient, elledoutaitquecelaluiserveàgrand-chose.Lestoursétaientsihautes,etlesruessiétroites,queleslieuxévoquaientunlabyrinthe,undédaledecanyonsfaitsdebriqueetdemétal.Ladernièrefois,ilsavaienteudeséclaireurspourleurmontrerlechemin;seule,Kiracraignaitdes’égarerdéfinitivement.Elleachevasoncroquis tantbienquemal,notant lesprincipauxpointsde repèresusceptiblesde

faciliter sa navigation, puis descendit le long escalier et s’élança dans la ville. Les rues étaientdifficilementpraticables, encombréesdevoituresdéfoncées etd’arbresminces aux feuilles agitéesparlabrise.Elledépassaunanciencarambolage:aumoinsunedouzainedevéhiculesencastréslesunsdanslesautres,sansdoutelorsd’unetentativedésespéréedefuirlavilleravagéeparl’épidémie;ellenesesouvenaitpasdel’avoirvuauparavant,cequiluifitcraindredesuivrelemauvaischemin,maisenfranchissantunanglederue,elleaperçutbientôtundesesrepèresetcontinuatoutdroitavecdavantaged’assurance.Leplusfacileétaitdemarcheraumilieudesrues,quiétaitmoinsjonchédedébrisquelestrottoirs,maisc’étaitaussil’espaceleplusdégagé,etKiraétaittropparanoïaquepourne pas rester à couvert.Elle rasait lesmurs, enjambant prudemment des amas de gravats glissantstombésdesgratte-ciel.C’étaitlent,maisplussûr–oudumoins,c’étaitcequ’elleserépétait.Ici et là, Kira remarquait un impact de balle dans une voiture ou une boîte à lettres qui lui

confirmaitqu’elleétaitsurlebonchemin.Ilsavaientcourudanscesrues,poursuivisparunsniper;Jaydenavaitmême reçuuneballedans lebras.Penserà lui ladégrisa, et elle s’arrêtapour tendre

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l’oreille.Desoiseaux;levent;deuxchatsentraindesebattre.C’étaitabsurdedecraindrequ’ilyaitencoreuntireurembusquédanslesparages,maisc’étaitplusfortqu’elle.Ellesebaissaderrièreunescaliercroulant,larespirationlourde,ensedisantquec’étaitsimplementlanervosité,maisellenepensait plus qu’à Jayden, blessé au bras – avant d’être touché en pleine poitrine à l’hôpital d’EastMeadowetdeseviderdesonsangparterre,lorsqu’ils’étaitsacrifiépourluisauverlavie.C’étaitluiquil’avaitpousséeàcontinuermalgrélapeur,àsereleverlorsqu’elleétaittropterrifiéepourbouger.Elleserralesdentsetseremitdeboutpouravancer.Ellepouvaitavoirpeurtantqu’ellevoulait,elleneselaisseraitpasarrêterpourautant.Lorsqu’elleatteignit legrouped’immeublesvisé, lesoleilétaithautdans leciel : ils’agissaitde

cinq tours, et non trois comme elle l’avait cru depuis son point d’observation dans le gratte-ciel.C’était bien le même endroit. Une large pelouse s’étendait entre les bâtiments et tout autour,désormaisenvahiepardejeunesarbresqu’elleécartapours’approcher.Onestpassésd’aborddevantcelui-ci,puisentrésdanscelui-là…Ellefitletouretlevalesyeux:là,ellerepéralegrostrouqu’ilsavaient fait dans le mur, à trois étages de hauteur. Une liane se lovait autour d’une poutrelle quipendaitdanslevide,etunoiseauseperchasurunferàbétontordu.Touteviolenceabolie,lanaturereprenaitsesdroits.Ilsétaientvenuslààlarecherchedelasourcedelafumée,etilsavaientchoisicetimmeubleparce

qu’ildonnaitsurcequ’ilsavaientsupposéêtrel’arrièredel’habitationoccupée.Kiragardalecanondesonfusillevédevantelleenavançantetfranchitlepremiercoin,puislesuivant.Cedevaitêtrelabonnerue,etsielleavaitbiendevinéd’aprèssonplan,lamaisonqu’ellecherchaitdevaitsetrouversixportesplusloin.Une,deux,trois,quatre…non.Kiras’immobilisa,bouchebée.Iln’yavaitplusdemaison.Iln’yavaitqu’uncratère.Toutavaitsauté.

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CHAPITRE6

–Laséanceestouverte,proclamalesénateurTovar.Noussouhaitonsofficiellementlabienvenueàtous les intervenants du jour, et nous sommes impatients d’écouter leurs rapports. Avant decommencer, onme demande de signaler qu’une Ford Sovereign verte a gardé ses phares allumésdansleparking,alorssic’estlavôtre…Il releva la tête, pince-sans-rire, et tous les adultes présents dans la salle s’esclaffèrent.Marcus,

dérouté,fronçalessourcils,etTovareutunpetitgloussement.–Toutesmesexcusesauxenfantsdel’épidémie.C’étaituneblaguedel’ancienmonde,etpastrès

bonne,enplus.(Ils’assit.)Commençonsparl’équipemédicale.DocteurSkousen?Ce dernier se leva et Marcus posa son classeur sur ses genoux, prêt à intervenir si jamais le

médecinluidemandaitquelquechose.Skousens’avança,s’arrêtapourseracler lagorge,réfléchit,puisrefitunpasenavant.–Jedéduisdevotrehésitationquevousn’avezpasdebonnesnouvellesànousannoncer,ditTovar.

Jesuggèredoncquenouspassionsaupremier intervenantquiseraprêtànepasnousdémoraliserd’entrée.–Laissez-leparler,ordonnalasénatriceKessler.Vousn’avezpasbesoindefaireuneplaisanterie

chaquefoisqu’ilyaunsilenceàmeubler.Tovararronditunsourcil.–Jepourraisenfairependantquelesgensparlent,maisceseraitmalélevé.Kessler,sansl’écouter,setournaversSkousen.–Docteur?–LesénateurTovararaison,jelecrains.Nousn’avonspasdebonnesnouvelles.Pasdemauvaises

nonplus,sicen’estuneabsencecontinuelledeprogrès…Hum,euh…Nous…nousn’avonspassubidereversmajeur,c’estcequejevoulaisdire.–Enbref,vousn’avezpasfaitunpasenavantpoursynthétiserleremèdecontreleRM,conclutle

sénateurWoolf.–Nousavonséliminécertainespistesquinemenaientnullepart,précisaSkousen.Lestraitstirés,lefrontplissé,ilbaissaencorelavoix.–Cen’estpasgrand-chose,commevictoire,maisc’esttoutcequenousavons.–Çanepeut pas continuer ainsi, éclataWoolf enpivotant vers les autres sénateurs.Nous avons

sauvéunenfant,unseul, etpresquedeuxmoisplus tard,aucunprogrèsn’estconstaté.Nousavonsperduencorequatrenouveau-nésrienquelasemainedernière.Leursdécèssontdéjàdestragédiesensoiet jeneveuxpas lesminimiser,maiscen’estmêmepasnotre souci lepluspressant.Lesgenssaventquenouspossédonsunremède– ilssaventquenouspouvons sauverdesbébés,et ilssaventquenousne le faisonspas. Ils en connaissent la raison, bien sûr,mais cela ne les apaisepaspourautant.Avoir la solution ainsi à portée demain, si prochemais toujours inaccessible, cela ne faitqu’aggraverlestensionssurcetteîle.–Alorsqueproposez-vous?voulutsavoirTovar.AttaquerlesPartialsetleurvolerdavantagede

phéromones?Nousnepouvonspasprendrecerisque.Vousrisquezbientôtdeneplusavoirlechoix,pensaMarcus.SiHeronditvrai…

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Ilsetortillasursachaiseentâchantdenepasimaginerladévastationqu’entraîneraituneinvasionde Partials. Il ignorait où se trouvait Nandita, où était passéeKira, et il n’aurait certainement pasvoululeslivreràl’ennemimêmes’il l’avaitpu.D’unautrecôté…uneinvasiondePartialspouvaitsignerl’extinctiondéfinitivedel’espècehumaine:pasdansunlenteffacementdûàl’incapacitédesereproduire,maisparungénocidesanglant.LesPartialsavaientprouvé,douzeansplustôt,qu’ilsnecraignaient pas la guerre. Mais un génocide ? Samm avait soutenu avec une telle énergie qu’ilsn’étaient pas responsables duRM !Qu’ils se sentaient coupables d’avoir provoqué,même sans lefaire exprès, les horreurs du Ravage ! Les choses avaient-elles changé à ce point ? Étaient-ilsdésormaisprêtsàsacrifieruneespèceentièrepoursesauvereux-mêmes?Ils me demandent de faire la même chose. De sacrifier Kira, ou Nandita, pour le salut de

l’humanité.Sionenarrivaitlà,leferais-je?Ledevrais-je?–Nouspourrionsleurenvoyerunémissaire,proposalesénateurHobb.Nousenavonsparlé,nous

avonssélectionnél’équipe…allons-y!–Envoyerunémissaireàqui?demandaKessler.Nousavonsétéencontactavecunseulgroupede

Partials,etilsontessayédetuerlesjeunesgensquilesontrencontrés.Nous-mêmesavonsessayédetuer les Partials qui nous avaient contactés. S’il existe une solution pacifique dans notre avenir, jepeuxvousdirequejenesaispascommentl’atteindre.Marcusserenditcompte,toutàcoup,quec’étaientlesmêmesargumentsquesesamisetluiavaient

échangésdanslesalon,chezXochi.Lesmêmespropositionstournantenrond,lesmêmesréponsesévidentes,lesmêmeschamailleriessansfin.Lesadultessont-ilsdoncaussiperdusquenoustous?Oubienn’existe-t-ilréellementaucunesolutionauproblème?–D’un point de vuemédical, dit le docteur Skousen, je crains de devoir soutenir – contrema

volontéprofonde–le…leprélèvementd’unnouveléchantillon.D’unnouveauPartial,ouaumoinsd’unecertainequantitédeleurphéromone.IlnousresteunpetitpeudeladosequiaétéutiliséesurArwenSato,etnousavonscertes lesscanset les relevésde lastructureetdufonctionnementde laphéromone,maisrienneremplaceunéchantillonfrais.Nousavonsrésoluceproblèmeladernièrefoisenremontantàlasource–lesPartialseux-mêmes–,etjesuisconvaincuquesinousvoulonsdenouveaulerésoudre,ilfaudraemployerlamêmeméthode.Quenousobtenionscetéchantillonparlaforce ou par la diplomatie, cela ne compte pas autant que notre simple besoin demettre la maindessus.La salle s’emplit alors de murmures qui évoquaient des feuilles d’arbres remuées par le vent.

«Nous»n’avonspasrésoluceproblèmeladernièrefois.C’estKiraquil’afait,etledocteurSkousenétait un de ses plus farouches opposants. Et voilà qu’il préconisait la même action sans mêmementionnerlajeunefille?–Vousvoulezquenousprenions le risquededéclencherunenouvelleguerredesPartials,dit la

sénatriceKessler.– Ce risque a déjà été pris, intervint Tovar. Nous avons déjà tiré sur les moustaches du tigre,

commeondit,etilnenousapasdévorés.–Avoirdelachancenesignifiepasêtrehorsdedanger,objectalasénatrice.S’ilexistelemoindre

moyen de synthétiser ce remède sans avoir recours à l’action militaire, nous nous devons del’explorer.Unenouvelleprovocationàl’encontredesPartialsserait…– Nous ne les avons déjà que trop provoqués ! s’emporta Woolf. Vous n’avez qu’à lire les

rapports:ilyadesbateauxaulargedeNorthShore,desnaviresdePartialsquipatrouillentlelongdenosfrontières…

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Hobbluicoupalaparoletandisquelesmurmuresdupublics’amplifiaient.–Cen’estpaslelieupourévoquercesrapports.Marcuseut l’impressiond’avoir reçuuneballedans leventre : lesPartialspatrouillaientdans le

détroit ! Eux qui s’étaient tenus tranquilles pendant onze années – une petite mission dereconnaissanceicietlà,commel’avaitfaitHeron,maistoujoursincognito,sibienqueleshumainsnes’étaientjamaisdoutésderien.Etvoilàqu’ilspatrouillaientouvertement!Legarçon,serendantsoudaincomptequ’ilavaitlaboucheouverte,larefermad’uncoupsec.– Le peuple doit savoir, protestaWoolf. Il ne tardera pas à s’en apercevoir lui-même, de toute

manière:silesnaviresserapprochentencore,touslesfermiersdeNorthShorelesverront.D’aprèscequenousensavons,depetitesescouadesontdéjàaccosté;notrelignededéfense,lelongdecettecôte,estloind’êtreimpénétrable.–Alorscommeça,laguerrefroideseréchauffe,murmuraSkousen.Il avait le teint gris et semblait fragile, comme ces anciens cadavres que l’on trouvait encore

parfoislelongdesroutes.Ilrestamuet,déglutit,etselaissatombersursachaisedansungestemalcontrôlé.–Sivousvoulezbienm’excuser, lançaalorsMarcus toutenprenantconsciencequ’ils’étaitmis

debout.Ilregardaleclasseurqu’ilavaitentrelesmains,nesachantpasbienquoienfaire,puislereferma

simplementetletintdevantlui,enregrettantquecenesoitpasunbouclier.IlobservaleSénatetsedemandasil’und’eux,ouundeleursassistants,étaitunagentPartial.Oserait-ilparler?Pouvait-ilsepermettredesetaire?–Excusez-moi,recommença-t-il.Jem’appelleMarcusValencio…–Noussavonsquivousêtes,ditTovar.Legarçonacquiesçanerveusement.–Jepenseavoirplusd’expérienceduterritoirePartialquequiconquedanscettesalle…–C’estprécisémentpourquoinoussavonsquivousêtes, lecoupaTovaren l’encourageantd’un

moulinetdelamain.Cessezdevousprésenteretvenez-enaufait.Marcusavalasasalive;soudain,ilnesavaitplustroppourquoiils’étaitlevé…illuisemblaitque

quelqu’undevaitdirequelquechose,maisilnesesentaitpasdutoutqualifiépourparler.Etpourdirequoi, au juste ? Il balaya la salle du regard, observant les visages des divers experts et politiciensréunis,sedemandantlequel–àsupposerqu’ilyenaitun–étaituntraître.IlrepensaàHeron,àsarecherche de Nandita, et comprit soudain qu’il était le seul à en savoir assez pour dire ce qu’ils’apprêtaitàrévéler.Leseulàavoirreçul’avertissementdeHeron.Ilfautjustequejetrouvecommentleformulersanspassermoi-mêmepouruntraître.Ilselançaenfin.– Je voulais juste rappeler que les Partials que nous avons rencontrés procédaient à des

expériences. Ils ont une date d’expiration – ils vont tousmourir sous peu –, et ils se préoccupentautant de résoudre ce problèmequenous nous préoccuponsde guérir leRM.Etmêmedavantage,peut-être,carl’échéancemortelleestplusprochepoureux.–Noussommesaucourantdecettedated’expiration,ditKessler.C’estlameilleurenouvelleque

nousayonsentenduedepuisdouzeans.–LameilleureavecleremèdecontreleRM,biensûr,sehâtadepréciserHobb.–Cen’estpasunebonnenouvelledu tout, lescontreditMarcus.Leurdated’expirationnousfait

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sauterdelapoêledansle…pirequedanslefeu,danslenoyauenfusiondelaTerre.S’ilsmeurent,nousmourrons;nousavonsbesoindeleurphéromonepournousguérirnous-mêmes.–C’estbienpourquoinousnousefforçonsdelasynthétiser,luirappelaWoolf.–Maiscen’estpaspossible,ditMarcusenélevantsonclasseurdevantlui.Nouspourrionspasser

deux ou trois heures à vous raconter tout ce que nous avons essayé, et toutes les raisons pourlesquellesçan’apasfonctionné,etvousencomprendriezàpeinelamoitié,d’ailleurs–sansvouloirvexerpersonne–,maiscequ’ilfautretenir,c’estqueriendetoutcelan’afonctionné.Lesraisonsdecetéchecimportentpeu.Ilreposaleclasseursurunetable,àcôtédelui,etsetournadenouveaufaceauxsénateurs.Àles

voirlefixerainsiensilence,ileutsoudainmalaucœur,etsouritpourledissimuler.–Nesautezpastoutdesuitedejoie,j’aiaussiunemauvaisenouvelle.Tovarpinçaleslèvres.–Silapremièreétaitunebonnenouvelle,j’aihâted’entendrelamauvaise.Marcus, sentant que l’attention de la salle entière pesait sur lui, ravala son envie de lancer une

nouvelleplaisanterie;c’étaitunréflexelorsqu’ilétaittropnerveux,etjamaisdesavieilnel’avaitétéà ce point. Je ne devrais pas être là, songeait-il. Je suis toubib, pas orateur. Je ne suis pas unpolémiste,jenesuispasunleaderd’opinion,jenesuispas……JenesuispasKira.C’estellequidevraitsetenirici.–MonsieurValencio?s’impatientaWoolf.Marcusacquiesçaettâchaderaffermirsadétermination.–Ehbien,puisquevousl’avezdemandé,voilà.LameneusedelafactiondePartialsquenousavons

rencontrée, celle qui a enlevéKira, était une sorte demédecin ou de scientifique ; ils l’appelaient«docteurMorgan».C’estlaraisonpourlaquelleilsontenvoyécepelotondePartialsàManhattanilyaplusieursmois:ilsontkidnappéKiraparcequeledocteurMorganpensequelesalutdesPartialsestliéd’unemanièreoud’uneautreauRM,etdoncauxhumains.Apparemment,ilsontdéjàmenédesexpériencessurnossemblablesàl’époquedelaguerredesPartials,ets’ilspensentquecelapeutleursauver la vie, ils enlèveront autant d’humainsquenécessaire, ce qui peut signifier reprendreKira,maisaussi,apriori,n’importe lequeld’entrenous.Ilssontprobablemententraindetenir lemêmegenredeséancequenousencemomentprécis,del’autrecôtédudétroit,pourtenterdedéterminercommentcapturerquelqueshumainsafindeprocéderà leursexpériences–ou,sices rapportsquevousavezmentionnéssontexacts,ilsontdéjàeuleurréunionetmettentleurplanàexécution.–Cesontdesinformationsclasséessecretdéfense,ditlesénateurHobb.Ilnousfaut…– Si vous permettez, je vais récapituler, l’interrompit Marcus. Nous avons donc un groupe de

super-soldats (il semit à compter sur sesdoigts), entraînés spécifiquementà la conquêtemilitaire,supérieursennombre,etjeparledepeut-êtretrentecontreun,suffisammentauxaboispouressayern’importequoi,etquientendentcapturerdeshumainsenvued’expérimentationsmédicalesinvasives(ildépliasoncinquièmedoigtet tintsamainouvertedevant lui).Sénateurs, l’informationestpeut-êtreclasséesecretdéfense,maisilyafortàparierquelesPartialsvontleverlesecretbienplustôtquevousnelepensez.Lesilencerégnaitàprésentdanslasalle,ettouslesyeuxétaientrivéssurMarcus.Unlongetlourd

momentplustard,Tovarrepritenfinlaparole.–Vouspensezdoncquenousallonsdevoirnousdéfendre.–Cequejepense,c’estquejesuismortdetrouille,etqu’ilfautquej’apprenneàmetairequand

toutlemondemeregardecommeça.

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–Nousdéfendren’estpasuneoptionviable, lâchaWoolf–etàcesmots, lesautressénateursseraidirentdesurprise.LesForcesdedéfensesontbienentraînéesetaussibienéquipéesquepeutl’êtreunearméehumaine.Nousavonsdessentinellespostéessurtouteslescôtes,nousavonsdeschargesexplosives sur tous lesponts encoredebout, nous avonsdes embuscades sur le qui-vive à tous lespointsd’invasionprobables.Etpourtant,quellequesoitlaqualitédenotrepréparation,elleralentiraàpeinelesPartialss’ilsdécidentd’envahir.C’estunfaitincontournable,quinepeutétonnerpersonnedanscettesalle.Nouspatrouillonssurcetteîleparcequec’esttoutcequenoussavonsfaire,maissil’ennemisedécideréellementàpasseràl’assaut,nousseronsvaincusenl’espacedequelquesjours,sinonquelquesheures.– La seule nouvelle qui soit vaguement bonne, ditMarcus, est que leur société est, si vousme

pardonnezlacomparaison,encoreplusdiviséequelanôtre.Lecontinentétaitpratiquementunezonedeguerrelorsquenousyavonsdébarqué,cequipourraitexpliquerqu’ilsnenousaientpasencoreattaqués.–Donc,ilss’entretuentetnotreproblèmeserésoutdelui-même,conclutKessler.–SauflaquestionduRM,nuançaHobb.–Sil’ontientcomptedetoutcequenousaditM.Valencio,ajoutaWoolf,nousnedisposonsque

d’un moyen d’action susceptible de réussir, avec de la chance. Première étape, nous introduirefurtivement dans cette zone de guerre sur le continent, en espérant ne pas être repérés, et capturerquelquesPartialspour lesexpériencesdudocteurSkousen.Secondeétape,évacuer l’îleetpartir leplusloinpossible.Sespropos furent accueillis par unprofond silence.Marcus se rassit.Quitter l’île était une idée

folle : Long Island était leur seul abri, leur seul refuge protégé – c’était bien pour cela qu’ils s’yétaientinstallés–,mais…celan’étaitplustoutàfaitvrai,n’est-cepas?AulendemaindelaguerredesPartials, cette île avait été commeun sanctuaire ; ils avaient échappéà l’ennemi, trouvé làunenouvellevie,etcommencéàreconstruire.Saufquecettesécuritén’avaitpasgrand-choseàvoiravecl’île elle-même, maintenant qu’il y réfléchissait. Ils n’avaient dû leur salut qu’au désintérêt desPartials,qui lesavaient laissés tranquilles.Àprésentqueceux-ciétaientderetour,àprésentqu’ilyavaitdesnaviresdansledétroit,etHeroncachéedansl’ombre,etl’horribledocteurMorgandécidéeàtouslestransformerencobayes,cetteillusiondesécuritéfondaitcommeneigeausoleil.Personnen’avait besoin de le dire tout haut, ou de prendre une décision officielle,maisMarcus savait quec’étaitdéjàfait.Il levoyaitsurtouslesvisages.L’évacuationavaitétéuneéventualité,elledevenaitunecertitude.Uneportes’ouvritsurlecôtédel’auditorium,etMarcusentraperçutlessoldatsdelaDéfensequi

montaient la garde de l’autre côté. Ils s’effacèrent pour laisser entrer un homme à la silhouetteimposante:DunaMkele,l’«officierdurenseignement».L’idéetraversaMarcusqu’ilignoraitpourqui, au juste, travaillaitMkele ; celui-ci semblait jouir d’un accès libre au Sénat et d’une certaineautoritésurl’armée,mais,pourautantquelegarçonpuisseenjuger,ilnerendaitdecomptesàaucundesdeuxgroupes.Entoutcas,Marcusnel’aimaitguère.Saprésencen’auguraitjamaisriendebon.Mkele s’approchadu sénateurWoolf et luiglissaquelquesmotsà l’oreille.Marcusauraitvoulu

essayerdeliresurleurslèvres,ouaumoinsdedéchiffrerleurexpression,maisilstournaientledosaupublic.Uninstantplustard,ilss’approchèrentdeTovaretluichuchotèrentquelquechose.Tovarécoutaavecsolennité,puisobservalafouleattentive.IlseretournaalorsversWoolfets’adressaàluid’unevoixforteetthéâtrale,visiblementfaitepourporterdanstoutelasalle.–Ilsensaventdéjàlapremièremoitié;autantquevousleurannonciezlereste.

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Marcusvitclairementl’expressiongravequipassasurlestraitsdeMkele.Woolfseretournaversluid’unaird’excuse,puisfitfaceaupublic.– Il apparaît que notre emploi du temps se précipite, dit-il. Les Partials ont débarqué sur Long

Island,prèsduportdeMountSinai,ilyaenvironcinqminutes.Un brouhaha sonore éclata dans l’auditorium, et Marcus sentit une peur terrible lui retourner

l’estomac.Celavoulait-ildire…quelafinétaitvenue?S’agissait-ild’uneforced’invasion,oud’unsimpleraidvisantàenlevereffrontémentdescobayeshumains?S’agissait-ildugroupedudocteurMorgan,desesennemis,ouencored’unetoutautrefaction?Sammétait-ilparmieux?Et cela indiquait-il que le plan de Heron avait échoué ? Ils n’avaient pas pu retrouver Kira ni

Nanditaaumoyend’uneenquêtediscrète,etpassaientdoncà l’invasionàgrandeéchelle?Marcuséprouva une bouffée de remords abominable, comme s’il était personnellement responsable del’attaque entière, pour n’avoir pas écouté lamise en garde deHeron.Mais il n’avait pas vuKiradepuisplusieursmois, etNanditadepuisplusd’unan ;qu’aurait-ilpu faire ?Pendantque la foules’égosillaitdeterreuretdeconfusion,etquelaréalitédelasituations’insinuaitlentementenlui,ilserenditcomptequec’étaitsans importance.Iln’étaitpasprêtàsacrifierquiquecesoit ; ilpréféraitencoreallersebattreplutôtquevendresonâmepourlapaix.Pourlasecondefoisdelajournée,ilselevaspontanément.– Je me porte volontaire pour faire partie de la force qui ira à leur rencontre, s’entendit-il

annoncer.Vousaurezbesoind’unmédecin…jeveuxenêtre.Le sénateur Tovar le regarda, opina de la tête, puis se retourna versMkele etWoolf. La salle

bourdonnaittoujoursdepeuretdespéculationsvariées.Marcusselaissaretombersursonsiège.Ilfaudraitvraimentquej’apprenneàlaboucler,moi.

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CHAPITRE7

Kiraavançaitavecprécautionparmilesruinesdelamaison,dontilnerestaitqu’unvastechaos:murs écroulés, planchers et plafonds effondrés, fragments de meubles déchiquetés, dispersés,regroupés en tas épars. Bois, livres, papiers, vaisselle et débris métalliques tordus, soufflés parl’explosion,emplissaientlecratèreetdébordaientloindanslarue.Aucun doute n’était possible : les lieux avaient été habités, et récemment encore. Kira avait vu

beaucoup de vestiges de l’ancienmonde dans sa vie ; elle avait grandi aumilieu d’eux, et y étaithabituée:cadresmontrantdesfamillesdepuislongtempsdisparues,petitsboîtiersnoirsdissimulantlecteurs multimédias et consoles de jeux, vases ébréchés emplis de tiges desséchées. Les détailsvariaient d’une maison à l’autre, mais l’impression était toujours la même : celle de vies et depersonnesayantsombrédansl’oubli.Maislesdébrisprésentsdanscettemaisonétaientdifférents,etrésolument modernes : stocks de boîtes de conserve, désormais éventrées et pourrissant dans lesgravats ; fenêtres condamnées par des planches et portes renforcées ; armes à feu, munitions etcamouflagebricolé.Quelqu’unavaitvécuici,longtempsaprèslafindumonde,etlorsquequelqu’und’autre–lesPartials–avaitenvahisonintimité,cetinconnuavaitfaitsautersaproprehabitation.Lesdestructions étaient trop complètes, et trop précisément délimitées, pour être dues à une attaqueextérieure.Unennemiauraitutilisésoitunexplosifmoinsviolentpourcréerunebrèchedanslemur,soitunechargeplusmassivequiauraitégalementendommagélesmaisonsvoisines;l’auteurdecetteexplosion-ci,poursapart,avaitfaitpreuvedepragmatismeetd’uneminutiedévastatrice.Plus elleypensait, plus le cratère lui rappelait uneexplosion similairequ’elle avaitvue l’année

passée–avant laguérisond’Arwen,avantSamm,avant tout le reste.ElleeffectuaitunemissionderécupérationavecMarcusetJayden,quelquepartsurlacôtenorddeLongIsland,lorsqu’unbâtimentpiégéavaitsauté.Ils’agissaitd’untraquenard,apparemmenttoutàfaitsemblableàceci:conçunonpaspourtuer,maispourdétruiredespreuves.Comments’appelaitcepetitpatelin?Asharoken;jemerappellequeJaydens’amusaitdecenom.Etpourquoifouillaient-ilscebâtiment,déjà?Parcequ’ilavaitétésignalé lorsd’unereconnaissancepréliminaire,etque lessoldatsyétaientretournéspourinspecterleslieux;ilsavaientdesspécialistesaveceux,uninformaticien,quelquechosecommeça.Unehistoired’électronique?Ellecessauninstantderespirerlorsquelesouvenirprécisluirevint:l’endroitétaitunestationderadio.Quelqu’unavaitinstalléunémetteursurlacôtesauvagedeNorthShore,puis l’avait faitsauterpournepasrévélersessecrets.Etvoiciqu’onavait faitdemêmeici.S’agissait-ildelamêmepersonne?Kira reculapar réflexe, commesi l’édificedémolipouvait conteniruneautrebombe.Fixant les

décombresdesyeux,ellerassemblatoutsoncourageetentra,enfaisantattentionauxendroitsoùelleposaitlespiedsdanscesruinesinstables.Elletombarapidementsuruncorps:unsoldatenuniformegris–unPartial–,coincésousunmurécroulé,cadavrebrisédanslesrestescabossésdesonarmureenmatériau composite. Son fusil gisait à côté de lui, etKira le sortit des débris avec une facilitéétonnante ; les piècesmécaniques étaient un peugrippéesmaismobiles, et la chambre comprenaitencoreuneballe.Faisantsauterlechargeur,lajeunefilleconstataqu’ilétaitplein:lesoldatn’avaitpas tiréuneseulecartoucheavantdemourir,etsescamaradesn’avaientni récupérésesaffairesniensevelisoncorps.Donc,labombelesaprisparsurprise,songeaKira,etellelesatoustués.Ilnerestaitpersonnepourramasserleursdépouilles.

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Kiracherchaencore,fouillantprudemmentparmilespoutresetlesbriquesquijonchaientlesol,ettomba enfin sur un spectacle familier : les fragments noircis d’un émetteur-récepteur radio,exactementcommeàAsharoken.Lasimilitudeentrelesdeuxscènesétaittropgrandepourpouvoirêtreignorée:danslesdeuxcas,ungrouped’éclaireursenquêtaitsurquelquechosedesuspect,avaitdécouvertuneplanquefortifiéeremplied’équipementdecommunication,etavaitpéri,victimed’unpiège défensif.Kira et les autres avaient supposé que le site d’Asharoken appartenait à laVoix dupeuple,maisOwenTovarl’avaittoujoursnié.EnsecondeplacesurlalistedessuspectsvenaientlesPartials, mais c’était un groupe de Partials qui avait été pris dans ce piège-ci.Une autre faction,alors? songeaKira.Mais laquelle est sous lesordresdudocteurMorgan?Cellequi a installé lastationradio,ou leséclaireursquiontattaqué?Ouni lesunsni lesautres?EtquelrapportavecParaGen?L’individuquiavaitprisdesordinateursdanslesbureauxavaitaussivolédesémetteursradiodanslesmagasins,etvoilàquedesfragmentsdesdeuxétaientréunisaumêmeendroit.Ilyavaitforcémentunlien.Ilsemblaitprobablequelafactionquiavaitrassemblélesradiossoitlamêmequiinstallaitsesstationsémettricesdanslesruines.Maisquefaisaient-ils,aujuste?Etpourquoituaient-ilssifacilementpourlesdissimuler?–Cequ’ilmefaut,c’estunindice,ditKiraàvoixhauteencontemplantlesdégâtsd’unairsombre.Elleparlaitdeplusenplussouventtouteseule,cesdernierstemps,etsesentitbêteenentendantsa

voixrésonnerdanslavilledéserte.D’unautrecôté,cettevoixétaitlaseulequ’elleaitentenduedepuisdessemaines,etelleavaituneffetcurieusementapaisant.Lajeunefillesecoualatête.–Bah,ilfautbienparleràquelqu’un,non?Mêmesiçamedonnel’airpitoyable.Ellesebaissapourexaminerlesmorceauxdepapieréparpillésdanslesdécombres.Lapersonne

quiavaitétablilesplanquesetinstallélesbombescouraittoujours.Commentlaretrouver,maintenantqu’elleavaitfaitsautertouslesindices?Impossible!Kiraeutunriresec.–Jesupposequec’étaitl’idée,justement.Elleramassaunpapierquitraînaitàsespieds;c’étaitunfragmentdejournaldel’ancienmonde,

froisséetjauni,dontlegrostitreétaitpresqueeffacé.«UNEMANIFESTATIONÀDETROITTOURNEÀLAVIOLENCE»,lut-elle.Lespluspetitscaractèresquiconstituaientl’articleétaientàpeinelisibles,maisKiradéchiffralesmots«police»et«usine»,ainsiqueplusieursmentionsdesPartials.–Alorscettefactionquirassembledesémetteursradiorassembleaussidesarticlessurlarébellion

desPartials?Ellescrutalejournalavecperplexité,puissoupiraetlelaissaretomberparterre.–Soitça,soitlesjournauxquidatentdejusteavantleRavageparlaientsanscessedesPartials,et

cecin’aaucunesignificationparticulière. Ilmefaudraitunepreuveenbéton–commecesgravats,tiens.Elledonnauncoupdepieddansunmorceaudemaçonnerie,quis’enallarebondirbruyamment

contrel’antenneradioabattue.Kira examina cette antenne ; elle était longue – elle devait avoir culminé à plusieurs mètres

lorsqu’elle était encore debout –, et fine comme un câble. Certainement robuste à l’origine,maisl’explosionetlachutel’avaienttordue,coudée,recourbée.Kiratiradessuspourtenterdel’extrairedu tasdebriquesetdeplâtrasdans lequelelleétait àdemienfouie.Ellebougead’environunpetitmètreavantdes’arrêter,coincée ; la jeune fille lutta, tiraplus fort,mais l’antennenebougeaplus.Kira,essoufflée,lalaissaretomberetcherchaencore…tout,n’importequoi.Elledécouvritd’autrescoupures depresse, trois corps dePartials endécomposition et unnœuddevipères niché sousunpanneausolaire,maisrienquipuisseluiindiqueroùétaientpartislesposeursdebombes,nimême

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s’ils disposaient d’une autre station de radio ailleurs dans la ville. Elle s’assit à côté d’un secondpanneausolairepoursereposerunpeu,sortitsagourde…etuneidéelafrappasoudain.Pourquoideuxbatteriesdepanneauxsolaires?Lespanneauxdecetypes’appelaientdesZoble,etKiralesconnaissaitbien;Xochienavaitinstallé

un sur le toit de leur maison pour alimenter ses lecteurs de musique, et il y en avait aussi àl’hôpital.Ilspouvaientproduirebeaucoupdecourantetletransporteravecunegrandeefficacité,etilsétaientd’uneraretéinouïe.Xochin’avaitpuobtenirlessiensquegrâceàsamèreadoptiveetauxrelationsdecettedernière.EntrouverunàManhattann’étaitpasnécessairementétrange–lademandeétaitmoindre,aprèstout,quandonn’étaitpasencompétitionavecd’autrespillards–,maisentrouverdeuxbranchés sur lemêmebâtiment indiquait desbesoins en électricité anormalement élevés.Ellefouilladenouveau le cratère, àquatrepattes cette fois, pour tenterde localiser l’accumulateurquistockaittoutecetteénergie,maisnetrouvaquelesdébrisd’untroisièmepanneauZoble.–TroisZoble,murmura-t-elle.Pourquoias-tubesoind’autantdejus,dis-moi?Pourlaradio?Est-

ilpossiblequeçaconsommeautant?Chezelle,elleutilisaitdestalkies-walkiesquitenaientdanslamainetfonctionnaientavecdespiles

minuscules. Quel genre d’équipement radio pouvait donc nécessiter trois panneaux Zoble et uneantennedecinqmètres?Çanetenaitpasdebout.Saufsicespanneauxalimentaientdavantagequ’unesimpleradio.Saufs’ilsfaisaientfonctionner,

mettons,uneséried’ordinateursvoléschezParaGen.Kirapromenasonregardnonplussurlecratère,cettefois,maissurlaruequipassaitdevantetsur

les immeubles froids et inanimés au-delà. Elle se sentait exposée, comme si un spot venait d’êtrebraquésurelle,etellereculadansl’ombred’unmureffondré.S’ilyavraimenteuquelquechosedeprécieux là-dessous,pensa-t-elle,celui qui protégeait ces lieux doit être déjà revenu le déterrer.Lecourantsupplémentaireservaitàalimenterlaradioet lesordis,et lepilleurétaitactifcesderniersmois:longtempsaprèsl’explosiondecettemaison.Donc,ilesttoujoursdanslesparages,etilmijotequelquechosedelouche.Ellerelevalesyeuxverslalignedestoitsetverslecielquis’assombrissait.Ettoutcequej’aià

fairepourdébusquercettepersonne,c’esttrouvercedontelleabesoin:uneantennegéanteetassezde panneaux solaires pour faire fonctionner sa radio. S’il existe d’autres sites de ce genre dans laville,cen’estpasd’ici,aurasdusol,quejelesverrai.–Ilesttempsdeprendredelahauteur.

Le plan de Kira était simple : gagner le sommet de l’immeuble le plus haut qu’elle trouverait,

offrantunevuedégagéesurlaville,etobserver.Avecunpeudechance,elleremarqueraitunautrepanachedefumée,mêmesiellesupposaitquesacibleavaitretenulaleçondeladernièrefois;plusprobablement,illuifaudraitsimplementscruterl’horizondesonmieux,danstouteslesdirectionsetsoustouslesanglesdusoleil,enespérantapercevoiruneantennegéanteetunouplusieurspanneauxsolaires.–Ensuite,ilmeresteraàprendredesrepères,situerl’endroitsurmacarteetallervoirenpersonne

dequoiilretourne,dit-elle,separlanttoujoursàelle-même,toutenmontantunescalier.Etespérernepassauterdansuneexplosion,commetouslesautresjusqu’àprésent.Legratte-cielqu’elleavaitchoisiétaitrelativementprochedel’immeubleParaGen,àunpeuplus

d’un kilomètre et demi vers le sud-ouest : un immense édifice en granit qui proclamait fièrement

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s’appelerl’EmpireStateBuilding.Àl’extérieur,ilétaitcouvertdeplantesgrimpantesetdemousse,commelamajeurepartiedelaville,maislastructureintérieuresemblaitencoreassezstable,etKiran’avaiteuqu’unverrouàfairesauterd’uneballepourseretrouverdansl’escalierprincipal.Ellesetrouvaitàprésentautrente-deuxièmeétage,etcontournaitlentementlarampepoursedirigerversletrente-troisième ; à en croire les panneaux du hall d’entrée, elle en avait encore un peu plus desoixanteàgravir.–J’aitroislitresd’eau,sedit-elle,récitantlalistedesesprovisionsenchemin.Sixboîtesdethon,

deuxdeharicots,etunedernièrerationdecombattrouvéedanslaboutiquedesurplusmilitairedelaVIIeAvenue.Ilfaudraitquej’entrouveuneautre,d’ailleurs.(Arrivéesurlepalierdutrente-quatrièmeétage,elletiralalangueetcontinua.)Cettenourritureaintérêtàdurerunpetitmoment,parcequejeneveuxpasmetapercettegrimpetteplussouventquenécessaire.Des heures plus tard – c’était dumoins son impression –, elle se laissa enfin tomber au sol au

quatre-vingt-sixièmeétage,cherchantsonsouffleets’arrêtantpourboireavantdevisitersonsupposé« observatoire ». La vue était formidable, mais les parois étaient vitrées et presque entièrementbrisées, si bien que l’étage entier était venté, glacial. Elle regagna l’escalier d’un pas traînant etterminasonascensionjusqu’aucentdeuxièmeétage,àlabased’uneflècheimmensequisedressaitencore sur une dizaine de mètres. Une plaque fixée sur la porte la félicitait d’avoir gravi 1 860marches,etellehochalatêteenreprenantsonsouffle.–C’estbienmaveine,ronchonna-t-elle.Jevaisavoirlesfessierslesplusmusclésdelaplanète,et

iln’yaurapersonnepourlesvoir!Si lequatre-vingt-sixièmeétageétaitvasteetcarré,cernéd’une fine rambarde, lecentdeuxième

étaitcirculaireetexigu,presquecommelesommetd’unphare.Laseuleprotectionsedressantentrelesobservateursetlesruesloinencontrebasétaituncercledefenêtres,pourlaplupartintactes,maisKiraneputs’empêcherdesepencherparl’unedecellesquiétaientcasséespoursentirlesouffleduvent et le frisson insensédecette altitudevertigineuse.Elle avait toujours imaginéque lesgensdel’ancienmondevoyaientceladeleursaéroplanes,lorsqu’ilspouvaientvolerassezhautpourquelemondeleurparaisseinsignifiant.Plusimportant,celieuluioffraitunpointdevueextraordinairesurla ville : d’autres immeubles étaient plus hauts encore,mais ils étaient très peu nombreux, et ellen’auraitpaseuunmeilleurpanoramadepuisleursommet.Kiralaissatombersessacsparterreetensortit ses jumelles, commençant par le sud et scrutant attentivement les antennes qu’elle repérait àl’horizon. Il y en avait beaucoup plus que ce à quoi elle s’attendait. Elle souffla longuement,lentement,ensedemandant,dépitée,commentelleallaitfairepourlocaliserlebonbâtimentparmilesmilliersquicouvraientl’île.Ellefermalesyeux.–Laseulemanièred’agir,sedit-elleàmi-voix,c’est…depasseràl’action.Elle reprit soncalepindans sonsac, choisit l’antenne laplusprochedans ladirectiondusud,et

commençaàprendredesnotes.

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CHAPITRE8

L’antennelapluséloignéequerepéraKirasetrouvaitsiloinaunordqu’elleétaitpeut-êtresituéeendehorsdel’îledeManhattan,danslarégiondénommée«leBronx».Lajeunefilleespéraitqu’ellen’auraitpasàfairetantdechemin,carlamenacedesPartialsl’inquiétaittoujours;maisellesejuraque s’il le fallait, elle ne flancherait pas. Ce qu’elle avait à y gagner valait largement la prise derisque.Laplusprocheétaitl’immenseflèchequicoiffaitsonpropregratte-ciel,maisKiraétaitseulesur

place.C’étaitdumoinssonimpression,maisellen’oubliaitpasquelatourétaitgigantesque.– Je suis peut-être unpeuparano, songea-t-elle enmontant voir l’antenne.Peut-être unpeu trop

parano,secorrigea-t-elleuninstantplustard.Unepointedeparanoïaestsansdouteunetrèsbonnechose.Il s’avéra que l’antenne n’était branchée à rien du tout, etKira s’étonna du soulagement intense

qu’elleenconçut.Elleobservaencorelavilleenprenantdesnotesàchaquenouvelleantennequ’ellerepérait,etrestaenobservationpendantquelesoleilcouchantrévélaitunàundenouveauxpanneauxsolaires,quiluisaientsubtilementaumomentoùlesrayonsobliqueslesfrappaientjustesouslebonangle, avant de sombrer de nouveau dans l’obscurité.Une fois la nuit tombée, elle redescendit dequelques étages pour se trouver une pièce fermée et se pelotonna chaudement dans son sac decouchage.Àcettealtitude,lesédificesétaientd’unepropretéremarquable:pasdeterreapportéeparlevent,pasdepoussesquibourgeonnaient,pasdetracesdepattesdanslapoussière.Celaluirappelasonîleettouslesbâtimentsqu’elleetlesautresrescapésavaientnettoyésauprixd’undurtravail:samaison,l’hôpital,l’école.Ellesedemanda,etpaspourlapremièrefois,siellereverraittoutcela.Le quatrième jour, se trouvant à court d’eau, elle redescendit jusqu’au niveau de la rue pour

renouvelersesréserves.Unparcsituéauboutd’unlongblocd’immeublesretintsonattention,etelletrouvacequ’ellecherchait:pasunbassinniunemare,maisunebouchedemétrodontlesmarchess’enfonçaientdansuneeausombre.Dansl’ancienmonde,lemétroservaitautransport,maisils’étaitretrouvé inondé ; ses tunnels étaient désormais une rivière souterraine, au flux lentmais régulier.Kirasortitsonpurificateuretpompatroislitres,remplissantsesbouteillesenplastiquesanscesserdesurveiller la ville autour d’elle. Elle localisa aussi une épicerie où elle commença à préleverplusieursboîtesdelégumes,maiss’arrêtaetfitlagrimacelorsqu’elleentrouvaunequiavaitgonfléet éclaté : ces conserves étaientmaintenant vieilles de plus de onze ans, la dernière limite pour laplupartdesalimentsenboîte.Siquelques-unesétaientdéjàgâtées,mieuxvalaitneprendrederisquesavecaucune.Ellesoupiraetlesreposaensedemandantsielleavaitletempsdechasserdugibier.–Jepourraisaumoinsposerquelquescollets,décida-t-elleavantd’installerdesimplespiègesen

ficelleprèsdelabouchedemétro.Il y avait des empreintes autour de cette entrée, et elle comprit que les élans et les lapins des

environsyvenaient sedésaltérer.Elle regagna le sommetde songratte-ciel,posaencorequelquespiègesàoiseauxetseremitautravail.Lesurlendemainsoir,elleputdégusterdel’oiesauvagepourledîner,rôtiesurunréchaudantifuméeetembrochéesurdevieuxcintresenfildefer.C’étaitdeloinsonmeilleurrepasdepuisdessemaines.

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Cinqjoursettroisravitaillementseneauplustard,ellefitsapremièreobservationprometteuse:une lueur à une fenêtre, une minuscule étincelle rouge qui dansa pendant une petite seconde etdisparutaussitôt.Était-ceunsignal?N’avait-ellefaitquel’imaginer?Elleseredressapourobserverl’endroitàtraverssesjumelles.Uneminutes’écoula.Cinqminutes.Alorsqu’elleétaitsurlepointderenoncer, lephénomènese répéta :unmouvement,uneflamme,uneportese refermant.Quelqu’unlaissaitéchapperdelafumée;peut-êtreavait-ildumalàcontrôlersonfeudecamp.Ellesedémenapouridentifierlebâtimentavantquelanuitnesoitcomplètementtombée,etrevitlaflammedansanteàtroisreprisesaucoursdelademi-heurequisuivit.Lorsquelaluneseleva,elleguettadelafumée,maisiln’yavaitrien:lapersonneouleventl’avaitdispersée.Kirase leva, lesyeux toujoursbraquésdans ladirectiondubâtimentdésormais invisibledans le

noir.C’étaitundesnombreuxédificesqu’elleavaitidentifiéscommeciblespossibles:sontoitétaitcouvertdepanneauxsolaires,disposésencercleautourd’uneantennecentralesigrossequ’ilavaitdûs’agir d’une vraie chaîne de radio. Si quelqu’un avait remis ce vieil équipement en marche, ildisposaitd’unémetteurpluspuissantquelesdeuxdontelleavaitretrouvélesvestigesexplosés.–J’yvaismaintenant,ouj’attendsdemainmatin?Scrutantlesténèbres,ellepritconsciencequ’ellen’étaitpasencorecertainedesonplan:savoiroù

seterraitl’adversaireneluiapporteraitriensielledéclenchaitunebombeaussitôtqu’ellemettraitlepiedà l’intérieur.Ellepourrait tenterdecapturerundes inconnus,peut-être à l’aided’uneversionagrandiedesespiègesàlapins,etl’interroger;oubienessayerdeseglisserdanslebâtimentàunmoment où la bombe ne serait pas armée – c’est-à-dire, supposait-elle, uniquement lorsque lesmystérieuxartificiersseraienteux-mêmesprésentssurplace.Cequin’avaitrienderassurant.–Lemieux,chuchota-t-elleensebaissantencoreunpeuderrièrelafenêtre,estencoredecontinuer

exactement ce que j’ai fait jusqu’àprésent : observer, attendre, et espérer découvrir quelque chosed’utile.(Ellesoupira.)C’estaveccetteméthodequejesuisarrivéejusqu’ici.Maislaquestiondemeurait:valait-ilmieuxqu’elleyailledèscesoirouqu’elleattendelematin?

Un trajetdans laville serait plusdangereuxdans lenoir, certes,mais ses cibles avaient apporté lapreuvedeleurextrêmeprudence.Silesinconnussavaientqu’unéclairlumineuxetunfiletdefuméeavaient révélé leur position, ils risquaient de se replier ailleurs en laissant derrière eux leur localpiégé, etKira perdrait leur trace. Le feu qu’elle avait aperçu était-il accidentel ? Si oui, l’incidentétait-il de nature à les faire fuir ? Kira n’avait aucun moyen de le savoir, et cette incertitudel’inquiétait.C’étaitundesrarescasoùl’approchelenteetprudenteétaittroprisquée:elleavaitdéjàperducinqjours.Mieuxvalaitpartirtoutdesuite,décida-t-elle,plutôtquerisquerdeperdresaseuleetuniquepiste.Elleremballadoncsesaffaires,vérifiasonarme,etentrepritlalonguedescentedanslesentraillesobscuresdelacaged’escalier.Deschatsefflanquésrôdaientdanslesétagesinférieurs,cherchantleurpitancegrâceàleurvision

nocturne affûtée. Kira les entendait se déplacer dans l’ombre, guettant avant de bondir : lescrachementsdesprédateurs,lafuiteéperduedesproies.Kira observa attentivement la rue avant de sortir de l’Empire State Building, puis avança à pas

feutrésdevoitureenvoiture,enrestantlepluspossibleàcouvert.Lebâtimentoùelleavaitaperçuunfeudecamp,àquelqueskilomètresdansladirectiondunord,étaitdangereusementprochedelavasteforêtdeCentralPark.Lavilleentièreétaitpeupléedebêtessauvages,maisc’étaitdans leparcquevivaientlesplusgrosses.Kirasedéplaçaitaussivitequ’ellel’osaitsansallumersalampetorche:sonseuléclairageétaitlefaibleéclatdelalune.Lalumièrepâlerendaitlesombresencoreplusnoiresetmenaçantes;ellefaisaitaussiparaîtrelesolpluslissequ’ilnel’était,etKiratrébuchaitsurceterrain

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accidentéchaquefoisqu’elleessayaitdepresserlepas.Évitantd’entrerdansleparc,ellelecontournaendirectionde l’ouest toutenguettant lesanimaux,maisaucunnesemontra.C’étaitunemauvaisenouvelle:s’ilyavaiteudesbiches,parexemple,celaauraitaumoinsdonnéauxprédateursquelquechosedemieuxqu’elleàchasser.Leschatsn’étaientpaslescréatureslesplusférocesdelaville,loins’enfallait.Uneombrebougeaàlalimitedesonchampdevision,etKirapivotavivement.Ellenevitrien.Elle

tendit l’oreille…oui…pas d’erreur possible.Ungrondement sourd, presque tropgravepour êtreaudible.Nonloind’elle,quelquechosedetrèsgrosrespirait…non,ronronnait,feulaitpresque.Unecréatureexperteencamouflage.Kiraétaittraquée.Devantelles’ouvraitunevasteplacerondeausolcraquelé,défoncéetparsemédetouffesdehautes

herbessombres.Unestatuesedressaitaucentre,solennelleet immobile.Surtoutelacirconférenceétaient arrêtéesdesvoituresdont lespneusétaient àplatdepuisbelle lurette.Kira recula lentementcontreunmur,demanièreàcouperlaligned’attaquedesonprédateur,etretintsonsouffle,l’oreilleaux aguets. La respiration sourde était toujours là, un grondement de poumons géants quis’emplissaientetsevidaient.Ellen’auraitsudired’oùvenaitcebruit.Ilyadespanthèresdanslaville,sedit-elle.J’enaivupendantlajournée:despanthères,deslions

etmême,unefois,jejurequej’aiaperçuuntigre.Desréfugiésd’unzoooud’uncirque,grassementnourris par les troupeaux de cervidés sauvages et de chevaux qui errent dansCentral Park. Il y amêmedeséléphants, je lesaientenduslapremièrefoisquejesuisvenue.Est-cequ’ilsmangentdesbiches,euxaussi?Concentre-toi.C’esttoiquifinirasdévoréesitunetrouvespaslemoyendefilerd’ici.Parunlion,

unepanthèreoumêmepire.Unepanthère.Unepensée terrifiante la frappa soudain :Normalement, les panthères chassent de

nuit,pourtant jen’enaivuquedans la journée.Sont-ellesnaturellementdevenuesdiurnes,oubiencettechosequisecachedanslenoirest-elledangereuseaupointquelesfélinsontdûchangerleurshabitudespourluiéchapper?Suis-jetraquéeparunepanthèrenocturne,oulespanthèressecachent-elles pour échapper à la créature qui me pourchasse ? Des souvenirs de la brochure de ParaGenrevinrent la hanter : dragons et chiens intelligents, lions génétiquement modifiés, et quoi d’autreencore? Ils avaientcréé lesPartialspouren faire les soldatsultimes…avaient-ils aussi inventé leprédateurultime?Kira jeta un coup d’œil dans la rue par laquelle elle était arrivée, dépitée par la longue file de

voitures et camionnettes de livraison déglinguées ; cette créature pouvait être dissimulée derrièren’importequel véhicule, à attendrequ’ellepassepour lui bondir dessus. Il en allait demêmeavecl’esplanadequis’étendaitdevantelle.Sonmeilleurespoirsetrouvaitdel’autrecôtédelarue,danslehalldecequiavaitdûêtreunjouruncentrecommercial:onvoyaitlàdesmannequinscouchéssurleflanc,desaffichesdélavéesmontrantdescorpsetdesvisages,etuneinfinitédevêtementsdéfraîchissurdescintres.Labêtesauvagepouvaitaussisetrouveràl’intérieur–aprèstout,c’étaitpeut-êtresonantre–,maisilyavaitaumoinsdesportes,àtaillehumaineetfermées:sielleparvenaitàenfranchiruneetàlaclaquerderrièreelle,elleseraitsauvée.Sauvéejusqu’àcequelacréatures’enaille,sauvéejusqu’aumatins’ilfallaitattendretoutcetemps.Elleentenditdenouveaulegrondement,plusprocheencore,etrelevafièrementlementon.–C’estmaintenantoujamais.Ellebonditalorssursespieds,chargeaendirectionducentrecommercial,etsebaissaderrièreune

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voiturelorsquequelquechoselafrôlapar-derrière.Elleimaginadesgriffesénormesbalayantlevideà quelques centimètres de son dos, et se remit péniblement sur pied pour traverser en courant lavitrine saccagée du bâtiment. Des débris dégringolèrent bruyamment dans son sillage – bien plusqu’ellen’auraitpuendélogerseule–,maisellen’osapasseretournerpourregarder;ellepointasonfusilpar-dessussonépauleettiraauhasardderrièreelle,puispritunnouveauviragelorsqu’elleeutatteintunecolonnefissurée.L’intérieurducentrecommercialétaitplusvastequ’ellenel’auraitcru:des escaliersmécaniques luisaient deux par deux côte à côte, et le rez-de-chaussée donnait sur unimmensepatioouvertencontrebas. Il faisait tropnoirpourqu’elleaperçoive lepieddesescaliers.Tropsombrepourqu’elleyvoiegrand-chose,d’ailleurs.Laportequ’ellevisaitsetrouvaitdel’autrecôtédupatio;ellepritàdroitepourcontournerlafosse,ramenalecanondesonarmedevantelleetenallumalapetitelampe.Lacréaturesemblaitglissersurlesollisse.Kirafiladroitverslaporte.Lefaisceaulumineuxoscillaitfollementdanssacourse,dehautenbas,d’avantenarrière,reflété

parlesolcarrelé,lecuivredesescaliersetlesmiroirsquiornaientlesmurs.Dansunéclair,laparoiqui se dressait devant elle lui renvoya sa propre image ainsi qu’une forme noire et massive luifonçant dessus par-derrière, puis la lumière sauta de nouveau et la scène disparut, cauchemarstroboscopique fait de lumière, d’ombre et de terreur mêlées. Elle fixa son regard sur la porte,courant comme elle n’avait jamais couru, et un instant avant d’y arriver elle rabaissa son arme,repéra la serrure et tira une rafale automatique. La serrure sauta, le battant pivota, et Kira s’yengouffra sansperdreuneseconde,plaquant sesmainscontre lemurdegauchepour sepropulservers ladroiteetversuneautreporteouverte.Elleagrippacelle-cien la franchissant,et s’yadossajusteàl’instantoùquelquechoseheurtaitlebattantdepuisl’autrecôté,lefendillantàgrandbruit;iltint bon, cependant, et alors que Kira s’y appuyait de tout son poids, la chose revint donner unnouveaucoupdeboutoir.Kira regarda autour d’elle, fébrile, braquantmaladroitement son armepour éclairer la pièce, et

avisa un grand bureau en bois. La créature griffait à présent la porte, sans parvenir encore à ladétruire,etKiraprit le risquedebondirpar-dessus lemeublepour lepousserde toutes ses forcescontrel’issue.Lesgrattementsfurentremplacéspardescoups;laportefutviolemmentsecouée,puissoudain,unterriblerugissementéclataauxoreillesdelajeunefille.Elleenperditl’équilibre,lâchasonfusiletseruaunenouvellefoissurlebureaupourleplaquercontrelaporte,àl’instantmêmeoùlacréatures’yprécipitaitdetoutsonpoids,secouantlapièceentière.Lebureautintbon.Kirareculaettenditlebrasverslalampedufusil,qu’ellerelevapouréclairerlamoitiésupérieuredelaporte,enpartie déchiquetée et détachée de son chambranle. Quelque chose bougeait derrière, presque aussihautqueleplafond;lefaisceausereflétadansunœilimmenseetambré,dontlapupilledevintunefente lorsque le rayon l’aveugla. Kira, impressionnée par sa taille, eut un mouvement de reculpresqueinvolontaire.Unepatteénormes’attaquaitautroudelaporte.Sesgriffesgéantesbrillèrentd’unéclatargentédanslerayondelumière,etKiratiraunerafaledecartouches.Lacréature,touchéeàundoigt,rugitdenouveau,maiscettefoisKirarugitelleaussi,acculéeetfurieuse.Ellegrimpasurlebureau,visatoutdroitàtraverslaportebriséeettiradanslemurdefourrureetdemusclesquisedressaitdevantelle.Labêtepoussaunhurlementderageetdedouleuretsedéchaînacontrelebattant.Kiraéjectalechargeurvide,enenclenchaunautreettiraencore.Cettefois,lemonstrefitvolte-face,s’enfuitetdisparutdanslanuit.Kira restaparalyséedans l’encadrementde laporte, les jointuresdesdoigtsblanchescommede

l’os,crispéesursonarme.Unesecondes’écoula,puisuneminute,puisdeux:labêtenerevintpas.Lapousséed’adrénalinepassaetKirasemitàtrembler,d’abordimperceptiblementpuisplusfort,plusvite,demanièreincontrôlée.Elledescenditdubureau,faillittomberausolets’écrouladansuncoin,

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secouéeparsessanglots.La lumière de l’aube n’entrait pas si loin dans le dédale du grandmagasin, mais les bruits du

matin–oiseauxchantantpouraccueillirlesoleil,abeillesbourdonnantparmilesfleursdel’asphalte,et, oui, même le coup de trompette lointain d’un éléphant – parvinrent jusqu’à Kira. Elle se mitlentementdeboutpourallerjeteruncoupd’œilparletroudelaporte.Lalampedufusilétaittoujoursallumée,mêmesi lespilescommençaientà faiblir ; le solduhall était couvertd’éclaboussuresdesang,maislacréaturen’étaitpluslà.Lajeunefilletiralentementlebureauenarrièreetsortitdesonrefuge.Ilfaisaitplusclairdanslegrandhall,etunrayondesoleiltombaitsurlesoljonchédedébris.Destracesdepasbrun-rougemenaientjusqu’àlasortie,maisKiranepritpaslapeinedelessuivre.Ellebutàsagourdeetsepassarapidementdel’eaufroidesurlevisage.Sortirdenuitavaitétéunegrossebêtise,ellelesavait,etellesepromitdenejamaisrecommencer.Elle secoua la tête et remua ses bras, ses doigts et son dos ankylosés. Les inconnus qu’elle

pourchassaitétaientprobablementtropéloignéspouravoirentendulafusilladedelanuit,maissiellen’avaitpaseucettechance,quipouvaitdirecequiseraitarrivé?Celanechangeaitrienàsesplans:elle était déjà pressée de trouver leur cachette auparavant, elle l’était encore plusmaintenant. Ellesortitsacartedesonsacàdos,sesitua,localisasonobjectifetdéterminalemeilleuritinéraire.Aprèsunsoupiretuneautregorgéed’eau,elleseremitenchemin.Kirasedéplaçaitavecprudence:désormais,elledevaitseméfiernonseulementdespatrouillesde

Partialsmaisaussidegigantesquesmonstresvelusetgriffus.Ellevoyaitdesmouvementsdanstouteslesombres,etdutseforceràgardersonsang-froid.Unefoisatteintlequartiervisé,ellemitquelquesheuresà identifieraveccertitude l’édificeéquipéde l’antenne,principalementàcausedesacrainted’êtrevue.Ellefinitparmonterdansunautrebâtimentpourbénéficierd’unevuepanoramique;delà, elle repéra l’antenne sans difficulté. Les immeubles étaient moins hauts ici : la plupart necomptaientquedeuxoutroisétages.Sachantcequ’ellecherchait,ellen’eutpasdemalàdécelerdesindicessubtilsprouvantquelabâtisseétaithabitée:beaucoupdefenêtresétaientcondamnéespardesplanches,surtoutaudeuxièmeétage,etdefaiblestracesdanslapoussièremontraientquequelqu’unétaitrécemmentpassésurlesmarchesduperron.Leplusdifficileétaitàprésentdevantelle.Ellen’osaitpasbougeravantdesavoirquivivaitlà,où

se trouvaient les habitants et si les bombes étaient armées, prêtes à exploser. Le scénario le plusprobable,àsonavis,étaitqu’ils’agissaitlàd’unesortedeposteavancépourunefactiondePartials–etpasunefactionamiedudocteurMorgan,vucommeleurdernièrerencontre,àl’autreavant-poste,avaitétédestructrice.Or,touslesPartialsn’étaientpasbiendisposésenversleshumains,etKiranevoulait surtout pas mettre le pied dans un piège. Elle allait observer, attendre, et voir ce qui sepasserait.Ilnesepassarien.Kirasurveillal’immeubletoutelajournéeettoutelanuit,réfugiéedansl’appartementd’enface,de

l’autrecôtédelarue.Ellesenourritdeboîtesdeharicotsfroidsetsepelotonnasousunecouverturemangéeauxmites,pouréviterdefairedufeu.Personnen’entraninesortit,etlorsquelanuittombaaucuneflammenebrilladerrièrelesfenêtres,nullefuméenes’élevaentrelesplanches.Ilnesepassariennonplus ledeuxièmejour,etKiracommençaàs’inquiéter :peut-êtreavaient-ils fuiavantsonarrivée ou s’étaient-ils faufilés par une porte à l’arrière. Elle descendit dans la rue et explorarapidementlepérimètre,cherchantd’autresentréesetsorties,maisriennesemblaitutilisé,quecesoit

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engénéraloutoutrécemment.Sicesgensétaientpartis,ilsl’avaientfaitparlaportededevant.Elleseréinstalladanssaplanquepourreprendresasurveillance.Cettenuit-là,quelqu’unsortit.Kirasepenchaenavant,enveillantàéviterleclairdelunequientraitparlafenêtre.L’hommeétait

immense : il mesurait au moins deux mètres dix, avec une corpulence et un tour de taille àl’avenant.Ildevaitpeserfacilementcentkilosdeplusqu’elle.Sapeauétaitsombre,maissansdoutepas plus que celle de la jeune fille : c’était difficile à dire dans la pénombre nocturne. Il ouvritprudemment la porte d’entrée, souleva un petit chariot pour aller le poser en bas desmarches duperron,puisremontafermersoigneusementàclé.Lechariotétaitempliderécipients,etKiradevinaque l’homme s’en allait chercher de l’eau. Il portait aussi un gros sac à dos plein de matérielimpossibleàidentifier,etsonarmen’étaitpasvisible.Mieuxvautdoncsupposerlepire,seditKira,carunpistoletàgroscalibreouunemitraillettepouvaienttrèsbienêtredissimulésdanslesplisdesonlargepardessus.Kiraramassasansbruitsesaffaires,rebouclasonsacdanslenoiretdescenditcommeuneombre

poursuivrel’homme.Ilétaitdéjàaucoindelaruelorsqu’ellesortit,etelleattenditqu’ill’aitfranchiavantdeselanceràsapoursuite,sedéplaçantlepluslégèrementpossibleparmilesgravats.Passantla tête à l’angle, elle le vit quimarchait lentement en traînant son chariot derrière lui. Il avait unemanièrebizarredesedéplacer,presquecommeundandinement,etKirasedemandasic’étaitjusteàcausedesonfardeauous’ilyavaituneautreraisonàcela.Arrivéauboutdublocd’immeubles,ils’engageadanslaruesuivantesansunehésitation,commes’ilnecraignaitpasuninstantd’êtrevuou,pire,dévoré.Commentavait-ilsurvécusilongtempssansrencontrerlemonstrenocturne?Ildisparutderrièreunmuret,etKiralesuivitensilence.Deboutdevantunebouchedemétro,ilremplissaitsesbidonsenplastiqueàl’aided’unlongtuyau

semblableausien. Il soufflaiten travaillant,commesi l’exercice l’épuisait,maissesgestesexpertstrahissaientunelonguehabitude.Ilavaitfaitcelaassezsouventpours’yprendreàmerveille.Était-ce unPartial ?Kira demeura immobile dans l’ombre à l’observer, s’efforçant de…pasde

l’écouternideleflairer,maisdeleressentir,delamêmemanièrequ’elleavaitréussiàsentirSamm.Lelien.Ilétaitplusémotionnelqu’informatif;àsupposerqu’elleparvienneàselieràcetindividu,ceseraitenéprouvantcequ’iléprouvait.Elleexaminaattentivementsespropresémotions.Ellesesentaitcurieuse ; fatiguée ; sûre de son but. Y avait-il là-dedans quelque chose qui vienne de lui ? Quepouvait-il bien ressentir ? Il marmonnait dans sa barbe, pas avec colère mais pour se parler,simplement, tout comme elle-même avait pris l’habitude de le faire. Elle ne distinguait pas sesparoles.Pluselle l’observait,en trainde remplirméthodiquementsesbidons,plusellese rendaitcompte

quesahaute taille indiquaitpresqueàcoupsûrunenaturehumaine.LesPartialsavaientétéconçuspourfairedessoldats,etpasn’importequelssoldats:lesfantassinsétaienttousdejeuneshommes,les généraux des messieurs d’un certain âge, et Samm avait dit que leurs médecins étaient desfemmes,et leurspilotes,des fillesaucorpsmenu, faitespourentrer facilementdansdesvéhiculesétroitsetdescockpitsexigus.Lesfournisseursdel’arméeavaientainsipuéconomiserdesmilliardsenfabriquantdesavionsdechassedetailleréduite.Detouteévidence,ilyavaitdesexceptions:KiraignoraitparexemplequelrôleétaitcenséetenirHeron,lagrandefillesuperbeettouteenjambesquil’avaitcapturéepourledocteurMorgan;maisyavait-ileudesmodèlestelsquecethomme?Ilétait

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immense,encoreplusimpressionnantmaintenantqueKiranelevoyaitplusd’enhautmaisduniveaudusol.Une sortede super-soldatparmi les super-soldats?Unspécialistedesarmes lourdes,peut-être,ouunexpertducombatrapproché?Sammn’avaitjamaisparléd’individusdecegenre,maisilyavaitbeaucoupdechosesqu’iln’avaitpasmentionnées.Kiraseconcentraleplusfortpossiblepourtâcherdedétectercegéantparlebiaisdecequifaisaitchezelleofficedelien,maisellenesentitrien.Endehorsdesataille,safatiguemanifesteétaitunautreindice.Iln’avaitparcouruquedeuxblocs

d’immeubles,etpourtantilsoufflaitcommes’ilavaitcouruunmarathon.Cen’étaitpaspossiblepourunsuper-soldatphysiquementparfait;enrevanchecelacorrespondaitexactementàlaréactiond’unhumainensurpoids.Il était assez bien éclairé, grâce à une grosse lune et à un ciel sans nuages, et Kira sortit

silencieusementsesjumellespourmieuxl’observer.Ellesetrouvaitàmoinsdetrentemètresdelui,accroupiederrièreunevoiturerouillée,maisellevoulaitàtoutlemoinsavoirconfirmationdesonarmement. Il n’y avait rien sur ses jambes ni sur ses hanches, pas de holster ni de couteaux, et lechariot ne semblait contenir que des bidons. L’homme acheva d’en remplir un et le souleva. Il setournaversellelorsqu’illedéposadanslechariot,etl’espaced’unbrefinstantsonmanteaus’ouvrit,offrantunevuedégagéesursontorseetsesflancs:pasd’armelànonplus,pasdeholsterniriendetel.Kirafronçalessourcils.Personnenesedéplaçaitsansarmedanslesespacessauvages:lasiennedevaitdoncêtredissimulée,maispourquoiladissimulerquandonsecroyaitseul?…Avecuncoupaucœur,Kiraserenditsoudaincomptequ’elleavaitmislepieddansuntraquenard:

cethomme,immense,lentetnonarmé,avaitétéenvoyédehorscommeappâtpendantquelesautresl’encerclaientpourl’empêcherdefuir.Elleselaissatomberausol,baissantlatêteaucasoùonauraitvoulu l’abattre sur place, et chercha fiévreusement l’ennemi des yeux. Il faisait trop sombre ; ilpouvait y avoir des tireurs derrière toutes les fenêtres, les portes et les ombres qui la cernaient etqu’ellenepouvaitpercerduregard.Sonseulespoirétaitdeprendreses jambesàsoncou,commeaveclemonstre,aucentrecommercial.L’immeublequ’elleavaitdansledosprésentaitunesortedevitrine : un ancien comptoir de pizzas à emporter, peut-être. Il devait bien y avoir au moins unearrière-salle,probablementensous-sol,et,avecunpeudechance,unescalierquidonnaitaccèsaurestedel’édifice.Ellepourraitseglisseràl’intérieur,trouveruneautresortieetfileravantquesesadversairesaientunechancederefermerleurpiège.L’hommequisetenaitdevantlabouchedemétros’étira,sonsacàdosposéparterreàcôtédelui.

Sepréparait-ilavantl’assaut?Ilfallaitqu’ellepartetoutdesuite.Elleseremitdeboutetseruaverslavitrine,sepréparantàl’impactdesballesdanssondos.Aufonddel’anciennepizzeria,ilyavaituneminceporteenbois,etau-delà,unbureau;Kirayplongeaetclaqualaportederrièreelle,allumantsalampepourchercherunesortie.Iln’yenavaitpas.Elleétaitcoincée.

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CHAPITRE9

Kira balaya d’un grand geste la surface qui occupait le centre de la pièce, dégageant d’épaissespiles de papiers et une poussière vieille de dix ans. Il y avait aussi un mince écran d’ordinateur,qu’elle renversa avant de coucher le bureau sur le côté et de plonger derrière pour s’abriter. Elles’aplatitausolcontrecettebarricadedefortune,sacarabineluientrantdanslajoue,lecanonbraquédroitsurlaporte;silapoignéeavaitlemoindrefrémissement,ellepourraitviderunchargeurentiersurlapersonnequisetiendraitderrière.Elleattendit,osantàpeinerespirer.Elleattendit.Uneminutepassa.Cinq.Dix.Elleimaginaituntireurdel’autrecôtédelaporte,tapidansl’ombre,

aussi attentif qu’elle-même.Lequel d’entre eux craquerait le premier ?L’ennemi était supérieur ennombre,etilavaitl’avantage;enoutre,ildisposaitdeplusd’espacepourmanœuvrer.Maiselleneserendraitpassifacilement.S’ilslavoulaient,ilsdevraientvenirlachercher.Dixminutess’écoulèrentencore,etKira,ankylosée,fitpassersonpoidsd’unejambeàl’autre.Elle

clignadesyeuxpourenchasserlasueur:ilsétaientrougesetàvif,ellelesentait,maisellerefusaitdefairelemoindregeste.Elleavaitlagorgesècheetdouloureuse,lesdoigtscrispéssurlacrossedesonarme.Riennebougeait.Aucunbruitnetroublaitlanuit.Sa lampe clignota, n’émettant plus qu’une lumière jaunâtre etmaladive.Les piles étaient faibles

depuisquelquesjours,etlajeunefillen’enavaitpasencoretrouvéd’autrespourlesremplacer.Dixminutesplustard,latorches’éteignitpourdebonetKirafermainutilementlesyeuxpouréchapperàcesténèbrespuresetécouterdetoutessesforces:lapoignéedeporte,ungrincementsurleplancherouuncrissementdechaussures,uncliquetisd’armeà feusepréparantà tirer.Encoredixminutes.Vingt.Uneheure.Étaient-ilsvraimentsipatients?Oubienn’yavait-ilpersonne?Kirasefrottalesyeuxenrepensantàl’attaque.Elleavaitsupposél’existenced’unpiège–c’était

l’explicationlapluslogique–,maisenréalitéellen’avaitvupersonne.Était-ilpossiblequel’homme,désarméetretirédansunevillemortepleinedemonstres,soitcomplètementseul?C’étaithautementimprobable,maisoui,c’étaitpossible.Kiraétait-elleprêteàjouersaviesurcettehypothèse?Elle abaissa son arme, gémissant de douleur en sentant ses épaules raidies. Elle gagna le plus

silencieusement possible un côté de la pièce, hors de portée des balles qui pourraient traverser laporte,ettenditdenouveaul’oreille.Silencetotal.Elledressaunemainenavant,s’appuyantaumurdel’autre, et ses doigts rencontrèrent la poignée de la porte. Personne ne lui tira dessus. Elle prit sarespiration,refermalesdoigtssurlapoignée,ouvritlebattantd’ungestevif,retirabrusquementsamainets’éloignadel’ouvertureenroulantsurelle-même.Pasdefusillade,pasdecris,aucunbruithormislegrincementdescharnières.Ellecontemplafixementl’ouverturebéante,tâchantdetrouverlecouragedecontinuer,etdécidad’essayerencoreuneruse:elleramassal’écranqu’elleavaitjetéausoletleprécipitadetoutessesforcesàtraverslaporteouverte,dansl’espoirdedévierlestirssijamaisquelqu’unétaittapidel’autrecôté.L’écranretombabruyammentparterreensefissurant,etlesilencerevint.–Netirezpas!lança-t-elleavantdefranchirlentementl’encadrementdelaporte.Laboutiquedepizzasétait toujoursaussidéserte,etdehors,danslarue, lesrayonsdela lunese

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reflétaientsurlescarcassesdevoitures.Kirasortitsurlapointedespieds,prêteàfairefeu,vérifianttouslescoinsetguettantuneembuscade,maiselleétaitbienseule.Del’autrecôtédelaruesedressaitlabouchedemétro,et toutprès, lechariotdugroshomme, immobile,abandonné.Unbidongisaitnon loin, renversé, vidé de son eau. À quelques pas, le sac à dos bourré à craquer était toujoursappuyécontrel’entréedumétro.Kirafittoutletourducarrefourencourantd’unevoitureàl’autreavantdes’approcherdusac.Il

était énorme, presque aussi gros qu’elle, et elle ne put s’empêcher de repenser aux deux cratèresd’explosionsqu’elleavaitdéjàvus.Voulait-elleréellementouvrirlesacd’unposeurdebombes?Ilpouvait l’avoir laissé là en guise de piège, pour la tuer… mais honnêtement, il avait eu tantd’occasionsplussimplesdel’abattres’ilavaitvoulusamort…Àmoinsquelesexplosifsnesoientlaseulearmequ’ilconnaissait?Peut-êtren’avait-ilpasd’armeàfeudutout.Elle contourna le sac avecméfiance, se frottant le visage du plat de lamain, en s’efforçant de

prendreunedécision.Celaenvalait-illapeine?Lemonstrenocturnelahantaitencore:laseulefoisoùelleavaitprisungrosrisque,elleavaitfailliyrester.Maissaprudenceluifaisaitperdredutemps,et le temps n’était pas une ressource qu’elle pouvait se permettre de gaspiller en cemoment. Lesréponsesàsesquestions–Qu’est-cequel’Alliance?QuelestlerapportentrelesPartialsetleRM?Quisuis-je,etdequelplanfais-jepartie?–étaientdecellesquipouvaientsauverl’espècehumaineoul’anéantir.Sipérilleusesquesoientsesdécisions,ilfaudraitbienqu’ellelesprenne.Ellebasculasonfusilderrièresonépaule,tenditlamainverslesac……etentenditunevoix.Ellesehâtaderamperà l’abri,derrière lemuretde l’entréedumétro.Lavoixétaitdouce,mais

elleportaitloindanslesilencedeminuit:unfaiblemarmonnementvenud’uneruelatérale,àpeut-êtreundemi-blocdedistance,etquiserapprochait.Elleagrippasonarme,cherchantunendroitoùfuir,mais l’espace autourd’elle était dégagé.Elle choisit doncde ramper lentement sur le côté engardanttoujourslabouchedemétroentreelleetceluiquiparlait.Àmesurequ’ilserapprochait,sonmurmuredevintplusdistinct,jusqu’aumomentoùellecompritenfinsesparoles.–Nejamaislaisserlesac,nejamaislaisserlesac.C’étaitlamêmephrase,répétéeàl’infini:«Nejamaislaisserlesac.»Risquantuncoupd’œil,ellevitl’immensebonhommequiremontaitlarueavecsondandinement

decanard.–Nejamaislaisserlesac.Sesmainstressaillaient,etsesyeuxbalayaientlarueàpetitscoupsrapides.–Nejamaislaisserlesac.Kiranesavaitpasbiencequec’était,maisquelquechosedanssadémarche,ousafaçondeparler,

ou la manière dont il frottait ses mains ensemble – probablement la combinaison de tout cela etd’autres indices encore – emporta sa décision.Assez perdu de temps, il fallait qu’elle agisse. Ellesuspenditdenouveausonfusilàsonépaule,écarta largementlesmainspourmontrerquecelles-ciétaientvides,etsortitdesacachettepours’avancerentrel’hommeetlesacàdos.–Bonjour.L’hommefitunbonddesurprise,lesyeuxécarquillésd’horreur,puistournalestalonsetrebroussa

cheminencourant.Kirafitquelquespaspourlesuivre,sanstropsavoirsic’étaitraisonnable,maissoudainils’arrêtanetetsepliaendeuxcommes’ilétaitblessé,toutensecouantviolemmentlatête.–Nejamaislaisserlesac,marmonna-t-ilensetournantverselle.Nejamaislaisserlesac.Larevoyant,ilrefitquelquespasencourant,commemûparunréflexeinvolontaire,maiss’arrêta

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unefoisdeplus,seretourna,lorgnalesacàdosavecuneexpressionpeinée,terrifiée.–Nejamaislaisserlesac.–Toutvabien,ditKira,jenevousveuxaucunmal.Ellesedemandaitbiencequisepassait:elles’étaitattendueàtoutsaufàcela.Elletâchadeprendre

sonairleplusinoffensif.–J’aibesoindusacàdos,gémit l’hommed’unevoixtremblantededésespoir.Jenedoisjamais

laisserlesacàdos,jel’emportepartoutavecmoi,c’esttoutcequej’ai.–Ilcontientvosaffaires?demandaKiraenfaisantunpasdecôté.Sondéplacementpermitàl’inconnudemieuxvoirlesac.Ilfitcinqpasdanssadirection,lesmains

tenduesenavantcommepourl’attraperàquinzemètresdedistance.– Je ne suis pas là pour vous voler, dit lentementKira. Je veux juste parler. Il y en a combien

d’autres?–C’estleseul,gémitl’hommed’unevoixsuppliante.J’enaibesoin,jenepeuxpasleperdre,c’est

toutcequej’ai…– Je ne parlais pas du sac. Je voulais dire, combien de personnes ? Combien êtes-vous dans la

planque?–Jevousenprie,rendez-moilesacàdos,insistal’hommeenavançantlentement.Ilsortitdel’ombre,etKiracrutvoirbrillerdeslarmesdanssesyeux.Savoixétaitrauqueetpleine

dedésespoir.–J’enaibesoin,j’enaibesoin,j’aibesoindusacàdos.S’ilvousplaît,rendez-le-moi.–Cesontdesmédicaments?Vousavezbesoind’aide?–S’ilvousplaît,rendez-le-moi,murmurait-ilenboucle.Nejamaislaisserlesac.Kira réfléchitun instant,puiss’écartadecinqmètres, jusqu’à l’autrecôtéduchariot :assez loin

pourqu’ilpuissevenirramassersonsacsansrisque.Ilseruaenavantets’écrouladessus,leserradans ses bras en pleurant, et Kira chercha de nouveau des yeux une embuscade : des tireurs auxfenêtres,oudeshommesarrivantderrière l’hommedans la rue. Il semblaitpourtantcomplètementseul.Que se passe-t-il, ici ?Ce bonhomme peut-il être le poseur de bombes qui était si difficile àlocaliser, l’auteurdepiègessiastucieuxquemême lesPartialsn’ontpassu les repéreravantqu’ilsoittroptard?Ilnesemblaitpaspressédeparlerdequoiquecesoitendehorsdusacàdos, sibienqu’ellese

concentralà-dessus.–Qu’ya-t-ildedans?Illuiréponditsansmêmeleverlatête.–Tout.–Votrenourriture?Vosarmes?–Pasd’armes,affirma-t-ilensecouantlatête.Pasd’armes.Jesuisuncivil,vousnepouvezpasme

tirerdessus,jen’aipasd’armes.Kirafitunpetitpasdanssadirection.–Desprovisions,alors?–Vousavezfaim?Àcetteidée,ilparutunpeuragaillardietrelevalatête.Kiraréfléchitavecprudence,puisfitouidelatête.–Unpeu.

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Ellefitungesteverssonproprepaquetage.–J’aidesharicotssivousenvoulez,etdel’ananasenboîtequej’aitrouvédansuneépicerie.–J’enaiplein,del’ananas,dit-ilenseremettantlentementdebout.Ilsefrottalesmainsetenfilalesacàdossursesépaules.–Cequejepréfère,c’estlasaladedefruits:ilyadel’ananasetpuisdespêchesetpuisdespoires

etdescerises.Venezchezmoi,jevaisvousmontrer.–Chezvous,répéta-t-elleenrepensantauxcratères.Elleétaitàprésentcertainequecetypen’étaitpasunPartial;àvraidire,ilressemblaitplutôtàun

enfantgéant.–Quid’autreya-t-illà-bas?–Personne.Personnedutout.Jesuisuncivil,vousnepouvezpasmetirerdessus.Onvamangerde

lasaladedefruitsdansmamaison.Kira prit encore un peu le temps de réfléchir, puis acquiesça. Si c’était un piège, c’était le plus

bizarrequ’elleavaitjamaisvu.Elleluitenditlamain.–Jem’appelleKiraWalker.–AfaDemoux.Ilreposalebidonrenversésurlechariot,ramassasapompeetcommençaàtracterletoutversla

maison.–VousêtesunePartial,etjesuisledernierhumainsurTerre.

Il s’avéra qu’Afa vivait dans les locaux d’une ancienne chaîne de télévision, si ancienne qu’elle

contenaitdeséquipementsremontantàl’époqued’avantlesdivertissementssurordinateur.Kiraavaitdéjà accompli des missions de récupération dans les locaux de quelques chaînes d’informationlocales,àLongIsland.Leurmatérielétaitmystérieux,maisdetailleréduite:descaméras,descâbles,etdespetitsappareilsinformatiquesquienvoyaienttoutdanslesnuages.Icisetrouvaientlesmêmesobjets–commedanstoutesleschaînesdetélévision,sansdoute,étantdonnél’obsessiondel’ancienmondepourInternet–,maisilyavaitaussidesappareilsplusanciens:delargesconsolesdemixagemanuelles,etunepièceremplied’émetteursconçuspourexpédierlesprogrammesàtraverslescieuxafinqu’ils soient captéspardesantennes lointaines, au lieud’être transmisdirectementpar liaisonsatellite.C’étaitpourcelaquel’édificeétaitencoresurmontéd’uneimmenseantenne,etc’étaitaussipour cela qu’Afay avait élu domicile.Kira le savait parce qu’il le lui répéta sans relâchependantpresqueuneheure.–Lenuages’estdésactivé,luidit-ilunefoisdeplus,maislaradion’apasbesoindunuage:c’est

un système de liaison point à point. Il suffit d’un émetteur-récepteur, d’une antenne, et desuffisammentdecourant.Avecça,jepeuxémettreversn’importequi,etn’importequipeutémettreversmoi:pasbesoindenuagenideréseaunideriendutout.Avecunesigrandeantenne,jepeuxdiffuserdanslemondeentier.–C’estformidable,maisavecquicommuniquez-vousainsi?Quivitlà-bas?Il devait bien exister d’autres survivants hors deLong Island : elle l’avait toujours espéré, sans

jamaisoserycroire.Afasecoualatête–salargetêtebasanée,porteused’unebarbebroussailleuse,bruneetlargement

parseméedegris.Kiradevinadesoriginespolynésiennes,maiselleneconnaissaitpasassezbienles

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îlespourdéterminerdequelarchipelilvenait.–Iln’yarien,personne,admit-il.JesuisledernierhumainsurTerre.C’était donc vrai qu’il vivait seul ; cela, au moins, était la vérité. Il avait fait de la chaîne de

télévisionunvéritabledédaled’équipementsempiléspartout:générateurs,radiosportables,stocksdenourritureetd’explosifs,etdespilesetdespilesdepapiers.Ilavaitdestasdedossiersetdeclasseurs,des liasses de coupures de presse maintenues par de la ficelle, des boîtes de sorties imprimantejauniesquicôtoyaientd’autresboîtespleinesdeboutsdepapiers,dereçusetd’actesnotariés.D’épaisclasseursdébordaientdephotos,dontcertainessurpapierglacéetd’autresimpriméessurduvieuxpapierdebureau;d’autresphotosencoredébordaientdecartonsousedéversaientmêmeparlaportedecertainespièces:desbureauxentiersremplis,dusolauplafond,deboîtesd’archivesetd’armoiresderangement,ettoujours,partout,plusdephotosquetoutcequeKiraauraitpuimaginer.Lesraresmursquin’étaientpascachéspardesplacards,pardesrayonnagesoupardehautestoursdecartonsétaiententièrementcouvertsdecartesgéographiques :descartesde l’ÉtatdeNewYorketd’autresÉtats, des cartes des États-Unis, des cartes de l’alliancemilitaire internationale appeléeNADI, descartesdelaChine,duBrésil,dumondeentier.Etcescartesétaientelles-mêmescouvertesd’undenseréseaudepunaises,defils,depetitsfanionstordus:Kiraavaitletournisrienqu’àlesregarder.Etenpermanence,surchaquesurface,etmêmecraquantsouslespieds,partoutilyavaitdespapiers,despapiers, encore des papiers. Papiers qui, selon toute apparence, définissaient et délimitaientl’existenced’Afa.Kiraposasaboîtedefruitsausiroppourlepresserdenouvellesquestions.–Quefaites-vousici?–JesuisledernierhumainsurTerre.–IlyadeshumainssurLongIsland,voussavez.–DesPartials,dit-il rapidementenagitant lamainpourchassercette idée.RienquedesPartials.

Toutestlà,toutestdanslesdossiers.Il fit un geste circulaire, comme si les tas de paperasses en désordre constituaient une preuve

flagrantedelavéritéuniverselle.Kirahochalatête,absurdementsoulagéeparcetéclairdefolie:lapremièrefoisqu’ill’avaittraitéedePartial,celal’avaiteffrayée,troubléeauplusprofonddesonêtre.Ilavaitétélepremierêtrehumainàluidirecesmotstouthaut,etl’accusation–laconsciencedufaitque quelqu’un pouvait réellement le savoir, pouvait réellement le dire – l’avait remuée jusqu’à lamoelle.Maissavoirqu’Afaétaitjustedélirant,qu’ilcroyaitlemondeuniquementpeuplédePartials,rendaitlachoseplussupportable.Kirainsistaencore,enespérantquedesquestionsplusprécisesprovoqueraientdesréponsesmoins

vagues.–VousêtesunancienemployédeParaGen.Ils’immobilisa, lesyeuxplongésdanslessiens,lecorpstendu,puisseremitàmangeravecune

nonchalanceforcée.Ilneréponditpas.–J’aivuvotrenomsuruneporte,dansleursbureaux.C’estdelàquevousavezrapportéunepartie

devotreéquipement. (Elle indiquadugeste lesrangéesd’ordinateursetd’écrans.)C’estpourquoi,toutça?Afane répondit pasdavantage, etKira s’immobilisaune fois depluspour le regarder.Quelque

chose ne tournait pas rond dans sa tête, elle en était convaincue : c’était visible à sa manière debouger,deparler,mêmeàsaposturelorsqu’ilétaitassis.Ilnepensaitpasaussivite,oudumoinspasde la mêmemanière, que les autres gens qu’elle connaissait. Comment avait-il fait pour survivre

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ainsi,toutseul?Ilétaitprudent,sansaucundoute,maisseulementàproposdecertaineschoses;sonlogementétaitmiraculeusementbiendéfendu,remplidepiègesingénieuxetdedispositifsdesécuritéquiluipermettaientderestercachétoutenprotégeantsonéquipement;d’unautrecôté,ilétaitsortisansarme.Lameilleureexplication,raisonnaKira,c’estqu’ilyaquelqu’und’autreaveclui.D’aprèsce que j’ai vu, c’est impossible qu’il soit capable de se défendre aussi bien, et absolumentinimaginablequ’ilaitsuinstallertoutcetéquipement.Ilestcommeunenfant.Lapersonnequidirigetout, dans cettemaison, l’utilise peut-être commeassistant ?MaisKira avait beau essayer, elle neparvenaitpasàvoirniàentendrequiquecesoitd’autredanscebâtiment.S’ilyavaitquelqu’un,ilsecachaitbien.Dès que je parle de ParaGen, il se referme comme une huître, remarqua-t-elle. Il va falloir que

j’essaieuneautretactique.Voyantqu’illorgnaitsaboîtedefruitsentamée,ellelaluitendit.–Vousvoulezlereste?Ils’enemparaprestement.–Ilyadescerisesdedans.–Oui,c’estvrai.Vousaimezlescerises?–Biensûrquej’aimelescerises.Jesuisunhumain.Kira faillit s’étranglerderire,mais réussitàse retenir.Elleconnaissaitbeaucoupd’humainsqui

détestaientlescerisesausirop.Maispeuimportait:voyantquesonoffrandedefruitssemblaitapaiserletroublecrééparsonallusionàParaGen,elletentadelancerunnouveausujet.–C’esttrèscourageuxdevotrepart,desortircommeçadanslenoir,avança-t-elle.Ilyaplusieurs

nuitsdecela,quelquechosed’énormem’aattaquée;jem’ensuistiréeàuncheveu.–C’étaitunours,avant,précisaAfalabouchepleine.Fautattendrequ’ilaitattrapéquelquechose,

c’esttout.–Etquesepasse-t-ilquandilaattrapéquelquechose?–Illemange.–Oui, d’accord,mais je veuxdire, pourquoi faut-il attendre que cela arrive ?Que voulez-vous

dire,précisément?–Quandilamangé,iln’aplusfaim,lâchaAfaenregardantparterred’unairabsent.Fautattendre

qu’ilaitmangé,ensuiteonpeutsortirchercherdel’eaupendantqu’ildigère.Commeça,ilnevousmangepas.Maistoujourspenseràprendrelesacàdos!ajouta-t-ilenpointantsacuillerdevantlui.Ilnefautjamaislaisserlesac.Kiras’émerveilladelasimplicitédesonstratagème.Cependant,saréponseentraînaitunemultitude

denouvellesquestions:commentsavait-ilàquelmomentlemonstreavaitmangé?Etquesignifiait:«C’étaitunours,avant»?Qu’yavait-ildesiimportantdanslesacàdos?QuiavaitenseignéàAfatoutescesstratégies?Ladernièredecesquestionsétaitlapluspressante,décida-t-elle.–Quivousaditdenejamaisvousséparerdusac?–Personne.Jesuisunhumain.Personnenemecommande,parcequejesuisledernier.– Bien sûr que personne ne vous commande, concéda Kira, frustrée par cette conversation qui

tournait en rond,maisquiestvotreami?Celuiquivousa recommandédenepasperdre le sacàdos?–Pasd’amis,affirmaAfaensecouantlatêted’unemanièreétrange,molle,quifitremuertoutson

torseparlamêmeoccasion.Pasd’amis.Jesuisledernier.–Est-cequ’ilyenaeud’autresavant?D’autresgensavecvous,ici,danscetteplanque?

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–Rienquevous.Sa voix changea lorsqu’il le dit, et Kira commença à croire qu’il était peut-être bien seul,

complètementseul…Elleétaitpeut-êtrelapremièrepersonneàquiilparlaitdepuisdesannées.Celuiquil’avaitsauvéetluiavaitenseignélasurvie,quiavaitinstallétoutcedispositifetlesautresstationsderadio–etquilesavaitbourrésd’explosifs–étaitprobablementmortdepuislongtemps,tuépardesPartials ou des bêtes sauvages, mort de maladie ou par accident, laissant ce grand enfantquinquagénairelivréàlui-mêmedanslesruines.C’estpourçaqu’ilditêtreledernier,pensa-t-elle.Ilavumourirsonderniercompagnon.Elles’adressaalorsàluiavecdouceur,presqueavectendresse.–Est-cequ’ilstemanquent?–Lesautreshumains?(Ilhaussalesépaulesetdodelinalégèrementdelatête.)C’estpluscalme.

J’aimebienlecalme.Kira se rassit, le front plissé. Tout ce qu’il disait ne faisait que la troubler davantage, et elle se

sentaitplusloinquejamaisdesaisirsasituation.Leplusincompréhensibledetoutétaitqu’elleaitvulenomdel’hommechezParaGen:AfaDemouxavaiteuunbureau,unbureaubienàlui.ParaGennefaisaitpourtantpas l’effetd’uneentreprisequi auraitdonnéun emploi àun attardémental. Il avaittravaillé là-bas : à une époque, il avait dû occuper une fonction importante, être quelqu’un quicomptait.Qu’yavait-ild’écritsursaporte,déjà?Ellefituneffortdemémoire,puishochalatêtelorsquele

sigle lui revint :DI.Direction des Imbéciles ? Pouvait-il s’agir d’une blague cruelle ?Cela auraitexpliquéqu’ilneveuilleplusentendreparlerdeParaGen.Maisnon,celan’avaitpasdesens.RiendecequeKirasavaitdel’ancienmondenelaissaitimaginercegenredecomportements,dumoinspassiofficiellement, dans une grosse entreprise. Les lettres avaient forcément un sens plus sérieux. Elleobservasestraitspendantqu’ilterminaitsaboîtedefruits,enessayantdedevinersonétatémotionnel.Pouvait-elle tenter d’aborder à nouveau le sujet de ParaGen, ou s’enfermerait-il encore dans lemutisme?Peut-êtrequesielleneprononçaitpaslenomdel’entreprise,etneparlaitquedeslettres…–Tuasl’airdet’yconnaîtreen…enDI.Ellefit lagrimace,espérantquesaquestionn’étaitpascomplètementridicule–oupire,vexante.

Maisleregardd’Afas’alluma,etKirafrissonna.– J’étaisDI,oui, avoua-t-il. Je faisais tout, tu sais !Sansmoi, ils étaientperdus. (Avecungrand

sourire, il embrassa d’un grand geste les ordinateurs disposés dans la pièce.) Tu vois ? Je m’yconnais,çaoui,onpeutledire.Questioninformatique,jesuisincollable.–Jesuisimpressionnée,ditKira,incapableàprésentderéprimersonsourire:enfin,elleavançait.

(Ellesepenchaverslui.)Parle-moidetoutça.De…DI.– Il faut savoir comment ça fonctionne. Il faut savoiroù sont les choses ; certaines sontdans le

nuage,certainesdanslesdisquesdurs,maissicenesontpaslesbons,ilfautducourant.C’estpourçaquej’ailesZoblesurletoit.–Lespanneauxsolaires.Afaconfirmad’unhochementdetête.– Les Zoble et les Hufong, même si c’est bien plus dur à trouver, les Hufong, et ça se casse

beaucoup.J’aiconvertilesgénérateursdelasalleCenaccumulateurspourpouvoirfairemarcherlesHufong, et ils peuvent tenir là-dessus pendant un moment, mais il faut les faire tourner enpermanence, sinon ils tombent en panne. Mais voilà, ajouta-t-il en s’inclinant avec une modestiefeinte:aveclebontypedecourant,onpeutaccéderàtouslesdisquesqu’onveut.L’essentieldece

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quej’aiiciestimprimé,maislesgros,là,ceuxquisontdanscecoin,cesontdesserveursàdisque–ilsconsommentbeaucoupd’électricité,maisonpeutystockerbienplusdedonnées,etc’estlàquesetrouventlaplupartdesséquences.Etilcontinuaainsi,parlantplusrapidementetavecplusd’animationquejamais.Kiraétaitunpeu

assomméepar cette soudaine avalanched’informations : elle comprenait laplupartdesmots,maispas plus de la moitié des concepts ; l’homme parlait visiblement d’archives numériques et desdifférentesmanières dont elles étaient stockées, alimentées et accessibles,mais il parlait si vite, etKiraavaitsipeudebagagesurlesujet,quel’essentieldecequ’ildisaitluipassaitloinau-dessusdelatête.Cequilafrappaitsurtoutétaitsacompétencesubite,presqueextraordinaire,aussitôtqu’ilabordait

ce sujet.Elle l’avait cru lent, troppuérilpour fairegrand-chosedeplusqu’aller chercherde l’eausouslesordresdequelqu’und’autre,maisellecomprenaitàprésentquesapremièreimpressionétaitcomplètementfausse.Afaavaitsesbizarreries,sansaucundoute,et ilavait indéniablementquelquechosequinetournaitpasrond,maisdansundomaineaumoins,ilétaitbrillant.–Stop,dit-elleenlevantlesmains.Attends,tuvastropvite.Commençonsparlecommencement:

qu’est-cequeçasignifie,DI?–Directioninformatique.C’étaitmoi,ledirecteurinformatique.Jefaisaistournerlesordinateurs

detoutlemonde,j’installaislesserveurs,jeveillaisàlasécurisationdunuage,etjesupervisaistoutcequipassaitparleréseau.(Ilsepenchapourlaregarderintensément,ettapotaleplancherduboutdel’index.)J’aitoutvu.Ças’estdéroulésousmesyeux.Ilserenversaenarrièreetécartalesbrascommepourenglobertoutelapièce,peut-êtrelebâtiment

entier.– J’ai tout rassemblé ici, presque tout, et je lemontrerai, tout lemondeconnaîtra l’histoire.Les

genssaurontprécisémentcommentc’estarrivé.–Commentquoiestarrivé?–Lafindumonde.Afadéglutitetcontinua,sonvisagevirantaurougecarilenoubliaitderespirer.–LesPartials,laguerre,lesoulèvement,levirus.Tout.Kirahochalatête,tellementsurexcitéequ’elleenavaitdespicotementsdanslesdoigts.–Etàquivas-turévélertoutça?Lestraitsd’Afas’affaissèrentd’uncoup,etsesbrasretombèrentsurlescôtés.–Àpersonne.JesuisledernierhumainsurTerre.–Non,c’estfaux,assenafermementKira.IlyaunecommunautéentièresurLongIsland:ilreste

environtrente-sixmillehumainslà-bas,etDieusaitcombienencoresurlesautrescontinents.Ilyenaforcémentd’autres.Etmoi,alors?–TuesunePartial.L’accusation,une foisdeplus, lamitmalà l’aise,d’autantplusqu’ellenepouvaitpas lanieren

bloc.Elletentauneapprocheplusoblique.–Qu’est-cequiterendsisûrquejesuisunePartial?–LeshumainsneviennentpasàManhattan.–Tuyesbien,toi.–J’étaislàavant,cen’estpaslamêmechose.Kiraserralesdents,denouveauentraînéedanslesraisonnementscirculairesd’Afa.

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–Alorspourquoim’as-tu laisséeentrer chez toi ?Si lesPartials sont siméchants,pourquoimefaireconfiance,àmoi?–LesPartialsnesontpasméchants.–Mais…Kira se renfrogna, exaspérée par ses réponses simples et directes qui semblaient n’avoir aucun

sens.–Tuesicitoutseul.Tutecaches,tuteprotègescommeunfou,tufaissautertesstationsderadio

chaque foisquequelqu’uns’enapprocheunpeu trop.Tuasune immensecommunautéà l’est,uneimmensecommunautéaunord,ettunerejoinsnil’unenil’autre.SilesPartialsnesontpasméchants,pourquoiresteràl’écart?Tout en parlant, elle prit conscience que la question s’appliquait tout aussi bien à elle.Elle était

seuledanslesparagesdepuisdesmois,évitantaussibienlesPartialsqueleshumains.Non, jene lesévitepas, se raisonna-t-elle, je les sauve. Je suis làpour sauver lesdeux espèces.

Maisl’idéeladérangeaitquandmême.Afapêchalesderniersmorceauxdefruitsdanssaboîte.–Jeresteiciparcequej’aimelecalme.–Tuaimeslecalme.Kira eut un accès d’hilarité, plus désespérée qu’amusée, et se leva pour s’étirer et se frotter les

yeux.–Jenetecomprendspas,Afa.Turassemblesdesinformationsquetuveuxetneveuxpaspartager;

tuvisdansuneimmensetourdediffusionradiophonique,etpourtanttun’aimespasparlerauxgens.Etpourquoilaradio,d’ailleurs?Est-cequeçafaitsimplementpartiedetacollected’informations?Tuessaiesjustedetoutsavoir?–Oui.–Ettunet’esjamaisditquecesinformationsqueturassemblespourraientpeut-êtreaiderd’autres

gens?Afasemitdebout.–Ilfautquej’ailledormir.–Attends,ditKira,intriguéeparsonembarrasmanifeste.Quelquesinstantsplustôt,ellesedisputaitaveclebrillantdirecteurinformatique,luicriaitpresque

dessus, emportée par son impatience ;mais voilà qu’elle se retrouvait de nouveau face à l’enfant,gaucheetlent,untoutpetitespritdansuncorpsdegéant.Ellesoupira:elleaussiétaitépuisée.–Excuse-moi,Afa.Pardondem’êtreénervée.Elle tendit unemain vers la sienne, hésitant tout en surveillant ses yeux. Ils ne s’étaient encore

jamaistouchés,Afaavait toujours timidementgardésesdistances,etelleserenditcompte,dansuntorrentd’émotions,qu’ellenonplusn’avaittouchépersonnedepuisdessemaines.Pasunseulcontacthumain.Afa, si elle comprenait bien sa situation, n’avait approchépersonne depuis des années. Samainrestaun instantau-dessusdecellede l’homme,etellevitdanssesyeux lemêmemélangedepeuretdemanquequecequ’elle-mêmeressentait.Elleabaissasapaume,laposasursesdoigts,etiltressaillitmaisne retirapassamain.Elle ressentit lapressiondesesos, ladouceurdesachair, latexturetannéedesapeau,lebattementtièdedesonpouls.Ellesentitunelarmemonteretlachassad’unclignementdepaupière.Afasemitàpleurer;depuis

dixans,ellen’avaitvupersonneressemblerautantàunenfantperdu,etellel’attiradanssesbras.Il

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luirenditsonétreinte,fort,ensanglotantcommeunbébé–labroyantpresqueentresesbrasénormes.Kira laissa libre cours à ses larmes. Elle lui tapota doucement le dos, l’apaisa de son mieux, ets’adonnasansréserveàlasimpleprésenced’uneautrepersonne,réelle,chaleureuse.Vivante.

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CHAPITRE10

Marcuscouraitleplusvitepossibledanslaforêt,entâchantdenepassecognerlespiedsetlatêtedanslesbranchesbassesetlespoteauxcouvertsdelierre.Lesoldatquil’accompagnaittombad’unseulcoup,etunetacheécarlates’épanouitdanssondos:ilétaittouché.Marcusfaiblituninstantetsetournainstinctivementverslesoldatpourl’aider,maisHarul’agrippaetletiraenavant,fonçanttêtebaisséeentrelesarbres.–Ilestfini,criaHaru.Neralentispas!D’autresballesleursifflèrentauxoreilles,filantdanslesfeuillagesetexplosantcontredestroncs

etdevieillesplanches.CettezonedeLongIslandétaitdéjàdensémentboiséeavantleRavage,etaucours des douze années qui s’étaient écoulées depuis, la nature avait reconquis les quartiersrésidentiels, abattant les clôtures pourries et faisant tomber les toitures et lesmurs, emplissant lespelousesetlesjardinsd’unevégétationnouvelle.Mêmelestrottoirsetlesruesétaientfissurésparlegeletledégel,etdesarbresavaientpoussédanschaquecraquelure,danslamoindrecrevasse.Marcusfranchitd’unbondcequirestaitd’unmurdebriquesetsuivitHaruàtraversunliving-roomtellementenvahiparleslianesetlesarbustesqu’onledistinguaitàpeinedumondeextérieur.Ilsebaissapouréviterunarbrisseauquiavaitcrevéleslattesduparquet,etsecrispalorsqu’unenouvelleballetiréepar les Partials le frôla avant d’aller fracasser le verre d’une affiche encadrée, à moins de troismètresdevant lui.Haruviradansuncouloir, laissant tomberunegrenadeà l’angle, et lesyeuxdeMarcus s’agrandirent de terreur lorsqu’il sauta par-dessus, puisant en lui-même une énergie qu’ilignoraitposséderafind’accélérerencoreunpeu.Iljaillitenroulé-bouléparl’autreboutdelamaisonaumomentoùlagrenadeexplosait.Harulehissasursespiedsavecungrognementd’impatience.–S’ilssontaussiprèsdenousquejelecrois,onadûenavoiraumoinsun,dit-il,couranttoujours,

la respiration sifflante. En tout cas, ça va ralentir ceux qui sont entrés dans cette maison, et ilsréfléchirontàdeuxfoisavantdenoussuivredanslaprochaine.–Sato,çava?fitunevoixdefemme,netteetclaireentrelesarbres.MarcusreconnutGrant,lafemmesergentdecetteescouadedel’armée.Harucourutunpeuplusvitepourlarattraper,etMarcusgémitd’épuisemententâchantdesuivre.–J’ailâchéunegrenadeoffensivedansladernièrebaraque.Letoubibetmoi,onestindemnes.–Lesgrenades,c’estmarrant,maisellestemanquerontquandt’enaurasplus,soufflaGrant.–Cen’étaitpasdugaspillage,insistaHaru.Unautresoldat,àcôtéd’eux,sevrillaetchutaenpleinecourse,fauchéluiaussiparuneballe,et

Marcussebaissaparréflexeavantdeseprécipiterdenouveauenavant.Ilscouraientainsidepuisprèsd’uneheure,etlaforêtétaitdevenueunvraicauchemar,undéferlementdemortétrangerauxrègleshabituellesdes rapportsde causalité.Lesballes surgissaientdenullepart, desgensbienvivants seretrouvaientmortsd’unesecondesurl’autre,etiln’yavaitrienàfaire,àpartcourir.–Ilvafalloircontre-attaquer,lâchaHaru.IlétaitenmeilleureformequeMarcus,maislafatigueétaitaudibledanssavoix.Grantsecoualatêtedemanièrepresqueimperceptible,concentranttoutesonénergiephysiquesur

lacourse.–Onadéjàessayé,tuterappelles?Onaperdulamoitiédel’escouade.

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– On n’avait pas de bon point d’embuscade. Si on peut trouver un emplacement correct, ourejoindred’autressoldats,alorsonaurapeut-êtreunechance.Laseulechosequ’onaitréussieaétédebienvoirleurseffectifs,etilsnesontpasénormes.Noussommessupérieursennombre,etnousconnaissonsmieuxleterrain…ondoitpouvoiryarriver.Uneautreballesiffla,etMarcusseretintdecrier.–Tonoptimismefaitchaudaucœur,dit-il.–Ilyaunefermedeprisonnierspasloind’ici,leurappritGrant,surleterraind’unanciengolf.

Onpourracontre-attaquerdelà-bas.Ils redoublèrent leurs efforts, semant des grenades derrière eux sans cesser de courir, espérant

gagnerquelquesprécieusessecondesd’avancegrâceàleursexplosionsdésordonnées.Marcusrepéral’enseignedu terraindegolfets’émerveillade laprésenced’espritdeGrant :poursapart, ilétaittrop terrifié et paniqué pour observer les lieux, sans même parler de les reconnaître. Une voixdescenduedesarbresleurintimades’arrêter,maisilscontinuèrentd’avancer.–DesPartialsderrièrenous!criaGrant.Restezenpositionetfaitesfeu!Marcussuivitlessoldatsau-delàd’unefiledevoituresquidélimitaitlebordduparking,etplongea

ausolderrièreleplusgroscamionqu’iltrouva.Unhommeentenuedetravails’accroupitàcôtédelui,unfusilentrelesmains.–On a entendu les rapports à la radio, dit-il, les yeux écarquillés par la peur.Alors, c’est bien

vrai?Ilsnousenvahissent?Grant prépara son fusil d’assaut, vérifiant que le chargeur était plein avant de l’enclencher d’un

coupsec.–Uneinvasionàgrandeéchelle,répondit-elle.LabasemilitaireduQueensestpartieenfumée,et

lespostesdeguetdeNorthShorerapportentqu’ilsdébarquentsurtoutelacôteentreicietWildwood.–SaintemèredeDieu,marmonnalefermier.–Ilsarrivent!braillaunsoldat.Grant et Haru ainsi que les autres reculèrent, s’abritant derrière les voitures pour tirer avec

frénésie entre les arbres.Une dizaine de fermiers, déjà réunis grâce aux informations captées parradio,sejoignirentàeux,laminesombre.Marcussecouvritlatêteàdeuxmainsets’aplatitencoreplus,conscientqu’ilauraitdûcombattremaistropterrifiépourfaireungeste.LesPartialstirèrentenretour,etlesimpactsdeleursballessecouèrentlesvoitures.Grantcriad’autresordres,maissetutenpleinephraseavecungargouillementàvous lever lecœuret s’écrouladansunebrumerougeâtre.Marcusfitminedeseporteràsonsecours,maiselleétaitmorteavantmêmed’avoirtouchélesol.–Recule,crachaHaruentresesdents.–Elleestmorte.–Jesaisbien!Recule!Haruvidasonchargeurendirectiondelaforêt,puisplongeasemettreàcouvertpourrecharger.Il

dévisageaMarcusd’unairfarouche.– La ferme se trouve quelque part là-bas derrière, et quiconque y est encore n’est pas un

combattant:s’ilsl’étaient,ilsseraientdéjàici.Valeschercheretfais-lessortir.–Etjelesemmèneoù?GrantdisaitquelesPartialsétaientpartout.–Dirige-toiverslesud.Onessaieradevousrattraper,maisévacuedéjàlescivils.Tuaurasbesoin

detoutel’avancepossible.–Allervers le sud,çane suffirapas,objectaMarcus.Cecin’estpasun raid, c’estune invasion.

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MêmesionparvenaitàrallierEastMeadow,ilsseraientsurnostalons.–Tupréfèresresterici,peut-être?Jenesaispass’ilssontlàpournouscaptureroupournoustuer,

maisnil’unnil’autrenefaitenvie.–Jesais,jesais.Lejeunemédecinjetauncoupd’œilverslesbâtimentsdeferme,tâchantdetrouverlecouragede

continuer.Haruseleva,pivota,ettiraunenouvellesalveentrelesarbres.–Onm’yreprendra,àmeportervolontaire,grommelaMarcus.Etilpartitencourantverslaferme.

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CHAPITRE11

Afadormaitdansunlitkingsize,ausixièmeétagedel’immeuble,dansunepiècequisemblaitêtreunanciendressingdestinéauxcomédiensdesshowstélévisés.Kiralebordacommeunenfantavantde se chercher une chambre. Elle finit par dénicher un ancien studio de tournage plongé dans lapénombre, avec des sièges à strapontin d’un côté et un décor évoquant un demi-living-room del’autre.Unplateaudetalk-show,devina-t-elle,mêmesilelogoaccrochéaumurdufondneluidisaitrien.Elle connaissait l’existencedes talk-showsparcequequelqu’un, chez elle, en regardait quandelleétaitpetite–sababy-sitter,peut-être–,maisellen’auraitmêmepasreconnuletitredecelui-là.Afaavaitcouvert lessiègesdecartons, toussoigneusementétiquetés,mais lecanapédudécorétaitlibre.Ellevérifiaqu’iln’yavaitpasd’araignéesentrelescoussinsavantdedéroulersontapisdesoletdes’yendormir.EllerêvadeMarcus,puisdeSamm,etsedemandasiellelesreverraitunjour.Iln’yavaitpasdelumièrenaturelledanslebâtiment–àcaused’Afaquiinsistait,nonsansraison,

surl’importancedesrideauxnoirs–etencoremoinsd’éclairagedanslestudio,maiscelan’empêchapasKiradeseréveillerensursautàlamêmeheurequed’habitude.Elletrouvasoncheminjusqu’àune fenêtre et jeta un coup d’œil à l’extérieur, où elle découvrit la même vue familière : desimmeubles en ruine couverts de plantes grimpantes, teintés d’une lumière bleuâtre sous le cielpâlissant.Lesilencesemblaitindiquerqu’Afadormaitencore,etKiraenprofitapourfureterunpeudansses

dossiers,encommençantparlescartonsentreposésdanslestudio.Ilsétaientnumérotésde138à427:uncartonparsiège,etencored’autresposéscôteàcôteaupieddesmurs,sansinterruption,surtoutlepourtourdelapièce.Ellecommençaparleplusproched’elle,leno221,ets’emparadelapagedudessus:unesortieimprimantepliéeetfrappéed’unen-têtemilitairedécoloré.«Àquidedroit»,lut-elle.«Jesuisl’adjudantCoreyChurch,etj’appartenaisau17erégimentde

cavaleriearméelorsdelaSecondeInvasionnippone.»LaPremièreInvasionnipponeavaitétél’unedespremièresdéfaitesmajeuresdesforcesalliéesduNADIlorsdelaguerred’Isolation,latentativeratée dumonde occidental pour reprendre le Japon à une Chine soudain devenue hostile. Kira serappelait avoir appris cela à l’école à East Meadow, mais elle n’avait pas retenu les détails. LaSecondeInvasionétaitcellequiavaitréussi–celleoùilsétaientrevenusavecdeuxcentmillesoldatsPartials et avaient repoussé les isolationnistes sur le continent, donnant le coup d’envoi de lacampagnequiavaitmisfinàlaguerre.C’était laraisonpourlaquellelesPartialsavaientétécréés.Kiracontinuaunpeusalecturedelalettre,unesortederapportdemissionsurleterrainquirelataitl’expériencede l’hommeauxcôtésdesPartials. Il enparlait commede«nouvelles armes» et lesdécrivait comme « bien entraînés et précis ». Kira, pendant toute son enfance, n’avait connu lesPartialsquecommed’effrayantscroque-mitaines,desmonstresquiavaientdétruitlemonde,etmêmeaprèsavoir rencontréSamm–etensachantqu’elle-mêmeétaitplusoumoinsunePartial–,c’étaitétrangedelesvoirmentionnésdansdestermessipositifs.Etenmêmetemps,demanièresiclinique,comme s’ils avaient été un nouveau modèle de jeep envoyé par l’intendance. L’adjudant précisaitqu’ilsétaient«peucommunicatifs»,qu’ilsrestaiententreeuxetneparlaientpasauxsoldatshumains,maiscen’étaitpasdutoutuncommentairenégatif–unpeuinquiétantàlalumièredeleurrébellionultérieure,certes,maispasimmédiatementmenaçantnieffrayant.

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– C’est ainsi que ça a commencé, dit-elle à voix haute, posant la lettre et prélevant un autredocumentdanslemêmecarton.C’était encore un rapport demission de combat, cette fois rédigé par un certain sergent-major

Seamus Ogden. Il évoquait les Partials dans les mêmes termes, les présentant non comme desmonstresmaiscommedesoutils.Ellelutencoreunautredocument,puisunautre,et l’attitudeétaittoujourslamême:cen’étaitpasqueceshommesaientconsidérélesPartialscommeinoffensifs,non,mais on aurait dit qu’ils pensaient à peine à eux. Ce n’étaient que des armes, de même que lescartouchesdansunchargeur,destinéesàêtreutiliséesetoubliées.Kirapassaàunautrecarton, le302,etensortitunecoupured’unjournal intitulé leLosAngeles

Times :MANIFESTATIONEN FAVEURDESDROITSDESPARTIALSDEVANTLECAPITOLE.Endessous,dans lecarton,elletrouvaunarticlesimilairedécoupédansleSeattleTime,etunautreduChicagoSun.Lesdates,danscetteboîte,remontaienttoutesàlafindel’année2064,soitquelquesmoisavantlaguerredesPartials.Kiraallaitavoircinqans.Iln’yavaitriend’étonnantàcequelesPartialsaientfaitlaunede tous les journauxà l’époque,maisellenesesouvenaitpasd’avoirentendusonpèreenparler ;maintenantqu’ellesavaitqu’ilavaitétéemployéchezParaGen,c’étaitpluscompréhensible.S’ilavaittravaillé aveceux, etmêmepeut-être contribuéà leur création, il nepouvaitqu’avoirunepositiondifférentedurestedumonde…unepositionsansdouteassezimpopulaire.Dumoins, j’espèrequ’ilavaitunepositiondifférente, songea-t-elle.Sinon, pourquoi en aurait-il élevé une comme sa fille ?Elle avait aussi de vagues souvenirs de sa nounou, et d’une femme deménage, mais celles-ci neparlaientjamaisdesPartialsnonplus.Était-cesonpèrequileuravaitdemandédesetaire?Savaient-elles,àl’époque,cequ’étaitKira?Lajeunefillesetournaverslesboîtesportantlesnuméroslesplusbas:ellelocalisalecarton138

et en sortit le premier papier. C’était encore une coupure de presse, cette fois issue de la section«finances»d’unpériodiqueintituléleWallStreetJournal,quidécrivaitdansdes termesvagues lasignatured’unénormecontratmilitaire:enmars2051,legouvernementdesÉtats-Unisavaitpasséunaccord avec ParaGen, une jeune compagnie de biotechnologie, qui devait produire une armée de« soldats biosynthétiques ». L’article ne s’intéressait qu’au coût financier du projet, à sesramifications pour les actionnaires et à ses conséquences pour le reste de l’industriebiotechnologique. Il ne faisait aucune allusion aux droits civiques ou à des risques sanitaires, ni àaucundesénormesproblèmesquiavaientfiniparredessinerlemondejusteavantleRavage.Iln’étaitquestionqued’argent.Kirafouillaleresteducartonetytrouvad’autresdocumentsdemêmenature:uneinterviewdudirecteurfinancierdeParaGen;unmémointernedeParaGenàproposducontratexceptionnellementjuteuxpasséavecl’armée;unmagazineintituléForbesportantencouverturelelogodeParaGenetlasilhouettebiennetted’unsoldatPartialarméàl’arrière-plan.Kirafeuilletalemagazineetytrouvatoutessortesd’articlesparlantd’argent,detechnologiesutiliséespourproduireencore plus d’argent, et du fait que la guerre d’Isolation, bien qu’étant une « terrible tragédie »,contribueraitàredresserl’économieaméricaine.L’argent,encorel’argent,toujoursl’argent.L’argentavaitsaplacedanslasociétéd’EastMeadow,maisc’étaituneplaceextrêmementréduite.

Presque tout ce dont on avait besoin était disponible gratuitement : si vous vouliez une boîte deconserve,unpantalon,unlivre,unemaisonouquoiquecesoitd’autre,ilsuffisaitpourl’obtenirdesortirlechercher.L’argentétaitutilisépresqueexclusivementpourseprocurerdesalimentsfrais,desdenréescommeleblédesfermesetlepoissondesvillagescôtiers–toutcequicoûtaitdutravail–,etencore, tout cela s’obtenait souvent contre des dons en nature, par le biais d’un système de troc.NanditaetXochiavaientmontéuneaffaireflorissanteenéchangeantdesherbescontredesproduits

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frais, grâce à quoi Kira avait toujours bien mangé. L’argent en tant que tel servait surtout àrécompenserdesheuresdetravail:desbonsluiétaientaccordésparlegouvernementenéchangedutempspasséàl’hôpital,ouengratificationpourunservicevitalquineproduisaitpasréellementunedenréeéchangeable.Cela lui suffisaitpouravoirdupoissonfraisetdes légumesdanssonassiette,mais pas grand-chose d’autre. L’argent était un aspectmineur, presque insignifiant, de sa vie. Lesdocumentsducarton138décrivaientaucontraireunmondedanslequeliljouaitunrôleessentiel:cen’étaitpasseulementunmoyend’améliorerunpeul’ordinaire,maisuneraisondevivreensoi.Elletâcha de s’imaginer comblée par la guerre contre les Partials ou contre la Voix du peuple, seréjouissant parce qu’elle lui rapportait plus de bons d’achat, mais cette idée lui était si étrangèrequ’elleenéclataderire.Sic’étaitainsiquefonctionnaitl’ancienmonde,sic’étaitlaseulechosequiintéressaitlesgensàl’époque,c’étaitpeut-êtreunebonnechosequecemonde-làsesoitécroulé.Oupeut-êtreétait-ceinévitable.–Tuesréelle,ditsoudainAfa.Kirafitvolte-face,surprise,etcachaaussitôtlemagazinedanssondosd’unaircoupable.Luien

voudrait-ild’avoirfouillédanssesarchives?–Tuviensdedirequej’étais…réelle?–J’aicruquetuétaisunrêve,clarifial’homme,quientradanslapièceentraînantlespieds.Ils’arrêtadevantuncartonetpassadistraitementlesdoigtsdessus,presquecommes’ilcaressaitun

animal.– Ilyavait tellement longtempsque jen’avaispasparléàquelqu’un…Etvoilàqu’hiersoir ily

avait quelqu’unchezmoi, et j’ai cruque je l’avais rêvé,mais tu es toujours là. (Unhochementdetête.)Bienréelle.– Oh oui, je suis bien réelle, le rassura-t-elle tout en reposant lemagazine dans le carton 138.

J’admiraistacollection.–Ilyatout.Presquetout.Mêmedesvidéos,maispasdanscettepièce.J’aitoutel’histoire.Kirafitunpasverslui,ensedemandantcombiendetempsilseraitd’humeurbavardecettefois-ci.–Toutel’histoiredelaguerredesPartialsetduRavage,dit-elle.– Ce n’est qu’une partie, ça, précisa Afa en s’emparant de deux liasses de papiers agrafées,

examinantsespropresmarquesaustylodanslescoinssupérieurs,puislesrangeantànouveaudanslecarton.Ceciestl’histoiredelafindumonde,del’apogéeetdelachutedelacivilisationhumaine,delacréationdesPartialsetdelamortdetoutlereste.–Ettuastoutlu?Afaconfirmadelatête,lesépaulesmolles,toutensedéplaçantdecartonencarton.–Tout.Jesuisleseulhumainsurlaplanète.–Alorsjesupposequec’estlogique.Kira s’arrêta devant un autre carton – numéroté 341 –, et en sortit une sorte de décret ; une

ordonnance de tribunal, tamponnée d’un cachet circulaire dans le coin. Elle voulait des réponses,maisellehésitaitàlepresser,craignantdel’effaroucherenparlantdequelquechosequ’ilnevoulaitpasserappeler.Jevaisrestervaguepourl’instant.–Commentas-tufaitpourtrouvertoutceci?–Jetravaillaisdanslesnuages,avant,dit-ilavantdesecorrigeraussitôt:danslenuage.J’aipassé

toutemavielà-haut,jepouvaisallern’importeoùettrouvern’importequoi.(Ilindiquadumentonuncartondedocumentspoussiéreux.)J’étaiscommeunoiseau.

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J’ai vu ton nom chez ParaGen, avait-elle envie de lui rappeler. Je sais que tu possèdes desinformations sur l’Alliance, sur le RM, sur la date d’expiration, sur ce que je suis. Il y avait silongtempsqu’elle cherchait ces réponses, et voilàqu’elles étaient là, devant elle, rangéesdansdescartons et coincées dans un cerveau déficient. Est-ce simplement la solitude ? Peut-être que soncerveaufonctionnetrèsbien,maisqu’ilaoubliécommentonfaitpourcommuniquer,depuisletemps.Elleauraitvoululefaireasseoirpourluiposerunmilliondequestions,maisaupointoùelleenétait,ellepouvaitbienattendreencoreunpeu.Gagned’abordsaconfiance,nel’effraiepas,mets-ledanstapoche.Ellelutunpassagedudécretqu’elletenaitàlamain:ilyétaitdéclaréquel’expression«Nation

desPartials»étaitdésormaisunsignedesympathiesterroristes.Lesétudiantsn’avaientplusledroitdel’écrirenidelaprononcerdansl’enceintedescampus,etquiconqueseraitsurprisàlagraffitersurles murs serait poursuivi en justice pour atteinte à la sécurité nationale. Elle agita légèrement lafeuilledemanièreàcapterl’attentiond’Afa.–Tupossèdesbeaucoupdechosessurlapériodequiaprécédélaguerre,dit-elle.Tuasdûabattre

untravailfoupourréunirtoutcela.As-tuquoiquecesoit…Ellesetutsoudain,presquetropprudentepourposerlaquestion.Ellevoulaitensavoirdavantage

sur l’Alliance,qui,d’aprèsSamm, faisaitpartiede lagouvernancedesPartials,maisellecraignaitquesielleabordaitlesujetsansambages,commeellel’avaitfaitavecParaGen,ilserefermecommeunehuître.–…quoiquecesoitsurlesPartialseux-mêmes?Surlamanièredontilssontorganisés?–C’estunearmée,réponditAfa.Ilsontuneorganisationmilitaire.Àprésentassisparterre,ilexaminaitdeuxdesescartonsetlespapiersqu’ilscontenaient;tousles

troisouquatredocuments,ilfronçaitlessourcilsetpassaitaucartonsuivant.–Oui,maisjeveuxdire…lesdirigeantsdel’armée,lesgénéraux.Sais-tuoùilssetrouventence

moment?–Celui-ciestmort,luiappritAfaenbrandissantunpapiersansleverlenezdesescartons.Kiraallaleluiprendreavecdouceur;c’étaitunarticleduNewYorkTimes, semblableàd’autres

qu’elleavaitvus,maisimpriméàpartird’unsiteInternetetnondécoupédansunjournal.Letitreétaitlesuivant:«LAFLOTTEDUNADICOULÉEÀLOWERBAY.»–IlsontcouléuneflottedePartials?– Les Partials n’avaient pas demarine, ditAfa, qui triait toujours ses papiers. C’était une flotte

humaine, coulée par l’armée de l’air des Partials, juste devant Brooklyn. La plus grosse frappemilitairedelaguerre,enreprésaillespourlamortdugénéralCraig.J’aiunarticlesurlui,aussi.Iltendituneautrepage,queKiraluiarrachadelamainpoursejetersurlesinformations:–«LegénéralScottCraig,chefdelarébelliondesPartialsetancienporte-paroleduMouvement

pour les droits des Partials, a perdu la vie hier soir lors d’un assaut audacieux lancé par descommandoshumains…»Onl’atué?–C’étaitlaguerre.–Etenreprésailles,ilsontdétruituneflotteentière.Ellecomptalesnaviresmentionnésdansl’article,uneforcemassivefaisantrouteverslenordpour

allerattaquer lesforcesPartialsconcentréesdans l’ÉtatdeNewYork.Leshumainsétaientensous-effectifs,leséquipagesétantdéjàravagésparl’épidémie.–Vingtvaisseaux,etilsont…tuétousceuxquiétaientàbord.

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–C’étaitlaguerre,répétaAfaenluireprenantlespapierspourlesremettredanslecarton.–Maiscelaauraitpuêtreévité,ditKiraenlesuivantdanslapièce.LesPartialsnevoulaientpas

massacrer tout le monde : tu as dit toi-même qu’ils n’étaient pas foncièrement mauvais. Ilsréclamaientl’égalitédesdroits,ilsaspiraientàunevienormale,etilsauraientpul’obtenirsanstuercesmilliersdemarins.–Ilsonttuédesmilliardsdegens.– En es-tu certain, Afa ? Tu possèdes tous ces documents, tous ces articles et le reste…As-tu

quelquechosesurleRM?Sais-tud’oùilestsorti?–Jesuisledernierhumainsurlaplanète,clamalegroshommed’unevoixforte,pressantlepas

pourresterdevantelle,etKiraserenditcomptequ’elleluiavaitpresquecriédessus.Elle se força à se calmer ; il détenait forcément des informations sur le virus,mais elle ne les

obtiendraitjamaissanssonaide.Ilnefallaitsurtoutpasqu’ellel’énerve,niqu’elles’énerve,elle.–Pardon.Pardond’avoirparléfort.Jesuistrès…(Elleinspiraàfondpourseressaisir.)Jesuisà

la recherche de réponses cruciales, et toi tu les as découvertes, c’est pourquoi jeme suis un peuemportée.–Tuestoujoursréelle,murmura-t-ilenreculantdansuncoin.Tuesencorelà.– Je suis là et je suis ton amie, le rassura-t-elle avecdouceur.C’est extraordinaire, ce que tu as

fait…tuasrassemblétouteslesinformationsdontj’aibesoin.Maisjeneconnaispastonsystèmedeclassement.Veux-tubienm’aideràtrouvercequejecherche?Afaréponditluiaussid’unevoixdouce.–J’aitout,déclara-t-ilendodelinantdelatête.J’aipresquetout.–Peux-tumedirequiacrééleRM,alors?Elleserralespoingsens’exhortantànepashausserlavoixnideveniragressive.–Ça,c’estfacile!C’estl’Alliance!– Oui, souffla Kira en hochant la tête avec ardeur. L’Alliance. Continue. L’Alliance, c’est le

commandementdesPartials,lesgénéraux,lesamiraux,lesgensquiprenaientlesdécisions,pasvrai?TudisquecesonteuxquiontfabriquéleRM?C’étaitexactement lecontrairedecequ’avaitprétenduSamm; ilavaitsoutenumordicusque les

Partialsn’avaientrienàvoiraveclevirus,maiselleavaitdéjàenvisagéquecesoitunmensonge…pasdelapartdeSamm,maisracontéparsessupérieurs.SileremèdecontreleRMétaitprésentdansleursouffle,fabriquéparleursproprescorps,c’étaitbienquelelienentrelesPartialsetlevirusétaitindéniable.Delààdirequ’ilsl’avaientcréé,puisdiffusésimplementenrespirant…iln’yavaitqu’unpas.Etpourtant,Afasecouaitnégativementlatête.–Non,dit-il.L’Alliance,cenesontpaslesgénérauxPartials.CenesontmêmepasdesPartials.Ce

sontlessavantsquiontfabriquélesPartials.Kiraenrestabouchebée.–Lessavants?ParaGen?Deshumains?Ellenetrouvaitmêmeplussesmots.Afaacquiesça.–LesgénérauxPartialsobéissenttoujoursàl’Alliance;jenesaispaspourquoi.C’estauprèsd’elle

qu’ilsprennenttousleursordres.–L’Alliance,répétaKira,hébétée.C’estl’AlliancequiacrééleRM.

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Afahochaittoujourslatête,sanss’arrêter,ettoutsoncorpsoscillaitlentementd’avantenarrière.–Maisalors,ceuxquiontdétruitl’humanitéétaient…deshumains?Elletenditlamainversunsiège,serenditcomptequ’ilsétaienttousoccupésparlesdocuments,et

selaissatomberparterre.–Mais…pourquoi?–Jesaistout,ditAfa,quisebalançaittoujourssursespieds.Presquetout.

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CHAPITRE12

KiraregardaitfixementAfa.–Commentça,tusaispresquetout?–Personnenesaittout.–Ça,c’estsûr,s’impatientalajeunefilleenfaisantdegroseffortspournepasexploser.Jelesais

bien,quetunesaispastout,maistuensaisdéjàtellement…(Ellepêchaunepoignéededocumentsdanslecartonleplusprocheetl’agitadanssamainserrée.)Tuasdescentainesdecartonsrienquedanscettepièce,etencored’autresdanstoutlebâtiment.Tuasdesdossierspartout,tuasdesarmoiresdanstouslescouloirs,tuasaumoinsvingtordinateursrécupérés,danslasalleoùonadînéhiersoir.Commentpeux-tupossédertantdechoses,l’histoirecomplètedesPartials,etpasunebribed’infosurceuxquilesontcréés?–Desbribes,ça,j’enai!lacontreditAfaenlevantunemain.(Ilsortitducoinoùils’étaitréfugié

ettrottinagauchementverslaportelaplusproche.)J’aidesbribesdansmonsacàdos…Jenedoisjamaislaissermonsacàdos.Ilpartitencourantdanslecouloir,criantpar-dessussonépaule,etKiraluiemboîtalepas.–Jenedoisjamaislaissermonsacàdos.Ilyatoutdedans.Kira le rattrapadans la salled’informatique, celleoù ils avaientmangéde la saladede fruits la

veille.Ils’accroupitdevantsonénormesacàdosetl’ouvrit,révélantd’épaissesliassesdepapier.–C’estdoncçaquetuavaisdanstonsac?s’étonnaKira.Encoredesdocuments?– Les plus importants. Toutes les clés de l’histoire, les événements cruciaux, les personnages

principaux.Il feuilleta sespapiersà lavitessede l’éclair, sesdoigtsétantvisiblementguidésparune longue

habitude.–Etlespersonnageslesplusimportantsdetous,c’étaitl’Alliance.Ilsortitunechemiseencartonbrunetlaluiprésentaavecemphase.–L’Alliance.Kira la prit avec hésitation, comme elle aurait touché un bébé dans l’ancienne maternité. Cette

chemise était fine, contenant tout au plus vingt ou trente feuillets… d’une minceur pitoyable,comparéeàl’énormemassedepapiersquidébordaitdusac.Ellel’ouvritetconstataquelepremierfeuilletétaitune-mail imprimé,encadréparplusieursrangéesdesymboles illisibles.Enhautde lapages’étalaitlenomqu’ellen’osaitespérerlireunjour:ArminDhurvasula.Armin.Sonpère.Lemessageélectroniqueétaitdatédu28novembre2051,etlalistedesdestinatairesétaitillisible:

unesuitedesignescabalistiquesincompréhensibles.Ellelutlemessage,lesoufflecourt.– « C’est donc officiel. Le gouvernement a passé commande pour 250 000 BioSynths 3. Nous

mettonssurpiedl’arméequiprovoqueralafindumonde.»EllerelevalesyeuxversAfa.

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–Ilsavait?–Continue.Afa semblait plus lucide à présent, comme si ce sujet qu’il connaissait bien avait régénéré ses

neurones.–«Unquartdemilliondesoldats»,poursuivit-elle.«Vousrendez-vouscompteàquelpointc’est

grotesque?Lapopulationd’unepetiteville,constituéed’êtresentièrementnouveaux,pasréellementhumainsmaisnéanmoinsintelligents,conscientsd’eux-mêmesetcapablesdesentiments.C’étaitunechosedefabriquerquelquesmilliersdeChiensdegarde,maisnousparlonsicid’unenouvelleespècehumanoïde.»C’étaientlàsesmots…lespropresmotsdesonpère.Elleluttacontreleslarmespourcontinuerdeleslire.«Legouvernement–etmêmenotreconseild’administration–enparlecommedebiensdeconsommation,maiscen’estpasainsiquelesverrontlamajoritédesgens,etcen’estpasainsiqu’ilsseverronteux-mêmes.Aumieux,nousrégressonsjusqu’auxpiresexcèsdesthéoriesdu“sous-homme” et de l’esclavage humain. Au pire, nous rendons l’être humain complètementobsolète.»Kirasecoualatête,lesyeuxrivéssurlapage.–Comment pouvait-il savoir tout cela ?Comment a-t-il pu tout voir venir et ne rien faire pour

l’arrêter?–Continue,répétaAfa.Kiraravalaseslarmes.–«J’ignorecommenttoutcelaseterminera,maisjesaisqu’àcestadenousnepouvonsplusrien

fairepourempêcherquecelacommence.Lesrouagessontdéjàenmouvement,lestechnologiesontfaitleurspreuves–Michaelsetlerestedeladirectionsontenmesured’avanceravecousansnous.Nousnepouvonspasl’arrêter,maisilnousfautfairequelquechosepourperturberleprocessus.Jene veux rien dire de plus ici, même sur un serveur crypté. Retrouvons-nous ce soir à 21 heures,bâtimentC.Monbureau.Lapremièrechosequenousauronsàfaireseradedéterminerprécisémentàquinouspouvonsnousfier,etavecquinouspouvonsformernotrealliance.»Kira resta muette, à lire et relire le message jusqu’à ce que les mots se brouillent et semblent

perdretoutleursens.–Jenecomprendspas,soupira-t-elle.–C’estlàquelemotapparaîtpourlapremièrefois,ditAfa,quiselevapourdésignerladernière

phrase.Ilditqu’ilsdevaientsavoiravecquiilsvoulaients’allier.D’aprèscequej’aipucomprendre,ilsont formé legroupecesoir-là,pendant cette réunion secrète, et c’est làqu’ilsont commencéàemployer«l’Alliance»commenomdecode.– Il parle d’essayer de perturber un processus, se rappela-t-elle. Qu’est-ce que ça veut dire ?

S’efforçaient-ilsdesaboterlesplansdesPartials?OudesaboterlesPartialseux-mêmes?–Jenesaispas,avouaAfaenluireprenantlachemisecartonnée,aprèsquoiils’assitetsemità

étalerlespapiersparterre.Toutcequ’ilss’écrivaientétaitcrypté–c’estça,toutcecharabia,ici,etlà.J’ai essayé d’en déchiffrer le maximum, mais ils étaient très prudents. (Il disposa soigneusementd’autres sorties imprimante devant lui.)Ça, là, c’est le suivant,mais ça ne dit pas grand-chose. Jesupposeque c’est rédigé en code,mais pas un code créépar unemachine, car j’aurais réussi à ledécrypter. Ils se donnaient des mots de passe et des expressions à eux, pour se parler sans êtrecomprisdeleurspatrons.Kira s’assit faceà lui et retourna ledocumentverselle.C’était encoreuncourrier électronique,

émanantdesonpèrecommeleprécédent,maiscelui-ciévoquaitlesplacesdeparkingréservéesaux

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employés.Afaavaitencercléplusieursmots:Alliance.Parallèle.Sécurité.–Qu’est-cequeçaveutdire?–Jesuisquasimentsûrque«Parallèle»étaitlenomdeleurplan.Celuiqu’ilsavaientesquisséce

soir-là. Ou peut-être un deuxième, conçu pour accompagner le premier. En ce qui concerne la«Sécurité»,jenesuispascertain,parcequ’ilsenparlentdeplusieursmanières:parfoisilsessaientdecréerundispositifqu’ilsappellentla«Sécurité»,parfoisilsontl’airdetravaillercontre,etjen’ycomprendsrien.–Alors,queditcete-mail?Afaleluipritdesmainsettouchaunàunlesmotsencerclés.– Si j’ai bien compris leur code, ils disent que le plan est en route, et qu’ils ont commencé à

travailler sur laSécurité, et quemaintenant ils doiventgarderunprofil bas et attendre avantde seréunirunenouvellefois.(Ilhaussalesépaules.)Jenepeuxpasenlireplus.Jesuisledernierhumainenvie.Kirareconnutàcettephrasequesonmomentdeluciditéétaitentraindepasser;encorequelques

minutes, etAfa serait de nouveau une pauvre épave bredouillante.Elle tenta de le presser pour enapprendrelepluspossibleavantqu’ilneluiéchappe.–Oùas-tutrouvéça?–Jel’aisortidunuage.C’étaitcrypté,maisjeconnaissaislaplupartdesmotsdepasse.–ParcequetuavaistravailléchezParaGen.Elleretintsonsouffleenpriantpourqu’ilneserefermepasenentendantcenom.Ils’immobilisa,

leregardfixe,etKiraserralespoings,exaspérée.– J’étais directeur informatique de l’antenne de Manhattan, dit-il, et elle poussa un soupir de

soulagement.J’avaisvutoutçagrandirdepuisdesannées,pièceparpièce.Jenesavaispasoùçanousmènerait.Jenesavaispasjusqu’oùçairait.–Tuastrouvécesinformationsdanslesordinateursdubureau,luirappelaKira,enlevantlesyeux

verslesPCalignésdanslacafétéria.Existe-t-ilunmoyend’obtenirlereste?–Cen’estpasdanscesordinateurs,c’estdanslesnuages.(Ilsecorrigea,etKiravituneautrefaille

dans sa lucidité commencer à s’élargir.)Dans le nuage. Le réseau. Sais-tu comment fonctionne lenuage?–Dis-le-moi.– C’est un nuage qui n’est pas dans le ciel, expliqua-t-il. Chaque donnée est rangée dans un

ordinateur quelque part – un petit comme ceux-ci, ou un gros qu’on appelle un serveur. C’estcomme… une fourmilière. Est-ce que tu as eu une fourmilière vitrée à observer, quand tu étaispetite?–Non,ditKiraenluifaisantsignedecontinuer.Raconte.–Tuvois,c’estcommes’ilyavaitdespièces,reliéesentreellespardestasderoutes.Tupouvais

faire quelque chose sur un poste, et tout lemonde pouvait le voir depuis les autres, parce que lesdonnéesvoyageaientenpassantparlespetitesroutes.Chaqueposteavaituneroutequimenaitjusqu’àlui.Maislenuageesttombé.Ilregardaparterreetconsidéralespapierscommes’illesremarquaitpourlapremièrefois.Ilse

mitàlesranger.Ilgardalesilencependanttroplongtemps,etKirarepritlaparolepourtenterdelesortirdesatorpeur.–Sitoutesceschosessontdanslenuage,commentlesenfait-onredescendre?

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–Onnepeutpas,lança-t-ild’unevoixencoreforte–encore«présente».Iladisparuàjamais,enmêmetempsqueleréseauélectrique.Lenuagenefonctionnequesitoussesélémentsfonctionnent:touslesordinateursentreicietceluiauqueltuveuxparler.C’estcommeunechaîne.Quandlecouranta disparu, le nuage a disparu avec. Toutes les routes de la fourmilière se sont bouchées, et lacommunicationentrelespiècesaétécoupée.–Maisellesexistenttoujours,cespièces,ditKira.Lesdonnéessonttoujourslà,dansunordinateur

quelquepart,àattendrequ’onlerallume.Siontrouvaitlebonordinateuretqu’onlebranchaitsurungénérateur, tupourrais lirecequ’ilyadedans,pasvrai?Tuconnais le systèmedes fichiers,et lecryptage,ettout?–Jesaistout,confirma-t-il.Presquetout.–Alors,oùestleserveurdeParaGen?Parici,quelquepart?Danslatourdebureaux?Allonsle

chercher…Jepeuxyallertoutdesuite!Dis-moijusteoùletrouver.Afasecoualatête.– Les bureaux de Manhattan n’étaient que le siège financier. Le serveur qu’il nous faudrait se

trouvetroploin.–Danslacampagne?Écoute,Afa,jepeuxallerdanslacampagnes’il lefaut.Ilfautabsolument

qu’onmettelamainsurcesdonnées.–Jenepeuxpas,insistaAfa,serrantledossiercontrelui,leregardrivéausol.Jesuisledernier

humainenvie.Ilfautquejeveillesurlesarchives.–Maisilfautdéjàlestrouver.Dis-moioùellessont.–Jesuisledernierhumain…–Jesuislà,Afa,ditKiraenespérantl’inciteràretrouversacohérence.Onpeutyarriverensemble.

Tun’espasseul.Dis-moijusteoùsetrouveleserveur.– À Denver, lâcha Afa. C’est à l’autre bout du continent. (Il regardait toujours par terre.) Ça

pourraitaussibienêtreàl’autreboutdumonde.«…traverseencemomentlazoned’atterrissage…»La voix faisait surface dans une mer de crachotements électriques, telle une baleine montant

respirer,quiselaisseapercevoiruninstantavantdereplongerdanslesprofondeurs.Lebruitblancemplitdenouveaulapièce,unedouzainedesignauxdifférentssefondantetsemélangeantdanslesoreillesdeKira.Afas’étaitcomplètementrefermé,tropeffarouchéparleurconversation–ouparlespenséesquecelle-ciluiavaitmisesentête–poursongeràquoiquecesoitd’important.Ellel’avaitaccompagné dans le garde-manger et lui avait servi des fruits au sirop en espérant que cela lerassérénerait,puisl’avaitlaisséseulletempsqu’ilseremettedoucement.Elleavaitfouillépendantunmoment dans ses archives, mais sans les explications d’Afa, le système de classement étaitimpénétrable. Alors même qu’elle était en train d’explorer, les crépitements d’électricité statiquel’avaient amenée jusqu’à la salle de radio, et elle écoutait, impuissante, un chuchotis de voixdésincarnées.Depetitesampoulesluisaientcommedelointainesétoilesvertessurlaconsole,etdescentainesdeboutons,decadransetdecurseurssedéployaientdevantelle.Ellen’avaittouchéàrien.Elleécoutait.«…danslaCompagnieB.Ne…jusqu’àcequ…»«…ordresdeTrimble.Cen’estpaspour…»

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«…partout!Dites-luiquejem’en…»La dernière voix était humaine.Kira avait appris à faire la différence entre les communications

radio humaines et Partials, ce qui n’avait rien d’un exploit : les Partials parlaient d’une voix plusprofessionnelle, froide et impersonnelle. Ce n’était pas qu’ils soient privés d’émotions, mais ilsn’avaientpaspourhabitudede lesexprimerverbalement.Le lien transmettaitdemanièrechimiqueleursréactionsémotionnelles,etleurscommunicationsradioétaienttropdisciplinéespourlaisserlaplaceàdesémotionsquellesqu’ellessoient,detoutefaçon.Ellesdemeuraienttoujourspragmatiques,mêmeenpleincombat.Etdescombats,ilyenavait.Beaucoup.LesPartialsavaientenvahiLongIsland.La transmission radiohumaineavaitune tonalitédésemparée, terrifiée, aupointqueKira l’avait

d’abord trouvée difficile à comprendre, hachée comme elle l’était en petites bribes dépourvues desensoudecontexte.LeshabitantsdeLong Islandétaient tendusetépouvantés, sansqueKira sacheprécisémentpourquoi.Maisbientôt,elleavaitcommencéàentendredescoupsdefeudans lefond,dessifflementsetdesclaquementsdeballesqu’ellenereconnutquetropbien.Était-ceencorelaVoixdu peuple ? Une nouvelle guerre civile ? Plus elle avait écouté, cependant, et plus c’était devenuévident:lacausedecetteterreur,c’étaientlesPartials.Lesvoixavaientcommencéàmentionnerdeslieuxqu’elleconnaissait,desvillesqu’elleavaitvisitéessurLongIsland,et l’ordredans lequelcesendroits étaient mentionnés indiquait que l’ennemi progressait régulièrement depuis les rives deNorthShore,endirectiond’EastMeadow.EtKiranepouvaitrienyfaire.Ellenepouvaitqu’écouter.Elle repensaàAfa, et auxmoyensde le ramener àunétatnormal.Avec le recul, samanièrede

prendre parfois congé de la réalité s’expliquait très naturellement : il avait passé presque douzeannéesd’affiléeseuldepuis leRavage,et fairecommes’il l’étaitànouveauétaitpeut-être l’uniquemoyen dont il disposait pour se calmer. L’ironie de la situation la fit rire : un homme qui savaitprécisémentcequ’elleavaitbesoindesavoir,maissiperdu,si fou,qu’iln’arrivaitpasàenparler.Autourd’elle,lesvoixaffluaientetrefluaienttoujours.«…plusdeplace,retournezau…»«…lafermehiersoir,nousn’avonspascompté…»«…renforts.AllezmechercherSato…»Kirarouvritlesyeuxd’uncoup,brutalementarrachéeàsarêverie.Sato?IlsparlentdeHaru,là?

Lorsqu’elle était partie d’EastMeadow, il ne travaillait plus pour l’armée, ayant été déchu de sesfonctions militaires à cause du rôle qu’il avait joué dans l’enlèvement de Samm. Avait-il étéréenrôlé?Oubienparlaient-ilsd’unautreSato?Pitié,pria-t-elle,faitesquecenesoitpasMadison.FaitesquecenesoitpasArwen.Siellesontdesennuis…Ellenevoulaitmêmepasypenser.Elleobserva laconsoledecontrôle,quin’étaitpas réellementunappareiluniquemaisplutôtun

méli-mélo d’émetteurs-récepteurs récupérés à droite et à gauche, tous reliés les uns aux autres àl’aidedecâblesetdechatterton.Ilyavaitunevieillestationderadio,danscefatras,maisAfal’avaitapparemment reconstruite à partir de presque rien. Il faisait trop sombre pour que Kira y voieclairement,etelleessayasalampetorche,envain,avantdes’approcherdelafenêtre,àboutdenerfs.Afalesavaittoutescondamnéesavecducartonetducontreplaqué,etKiraarrachaunedesplaques.Lalumièredujourinondalapièce.Lajeunefillerejoignitalorsencourantlaconsoleradioetl’étudiacette fois attentivement, en s’efforçant de comprendre duquel des nombreux amplis était sorti lemessage.Quiadit«Sato»?Ilétait impossiblede lesavoirprécisément,maisenprocédantparélimination,elleseconcentra

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sur deux appareils. Elle scruta leurs boutons de contrôle à la recherche de quelque chose qu’ellepuisse reconnaître.Elle avaitdéjàutilisédes radios,bien sûr,despetits talkies-walkiespendant sesmissions de récup, mais ils étaient très simples : un bouton pour le volume, un autre pour lafréquence. Parmi tout le bric-à-brac, il devait bien y avoir les deux aussi là-dessus, non ? Elleidentifiaquelquechosequiressemblaitàunboutondefréquence,surlerécepteurqu’ellepensaitêtreceluioùonavaitparlédeSato,etletournaavecprécaution.Lebruitblanccontinuadesedéverser,inchangé,brisé ici et làpar lesbribesdecommunicationdesautres radios ; elle sepenchavers lehaut-parleur,seconcentrantsurlesonauméprisdetoutlereste.«…pasencoretraversé,jerépète,letroisième…»Des Partials. Elle lâcha le bouton et passa à l’appareil d’à côté pour explorer la bande des

fréquences.Unsignal radioétait chosedélicate,unevoix invisible tombéeduciel.Pour l’entendreclairement, il fallait qu’elle règle la radio sur la fréquenceprécise, avec suffisamment de courant,dans des conditions atmosphériques parfaites, et il ne lui restait plus qu’à espérer que l’appareilémetteuravaitluiaussisuffisammentdepuissance.Mêmelatailleetlaformedel’antennepouvaientjouerunrôle.Dénicherunfaiblesignalisoléaumilieudetoutcevacarmeétait…«…sergent,montezsurcettebutteimmédiatement,nousdevonscouvrirlefeusurleflancdroit.À

vous.»«Reçu,onyva.Terminé.»C’étaitlavoixdeHaru.–Oui!s’écriaKira,lançantlepoingenl’air.Le signal était encore faible– ils se servaient probablementdepetites radiosportatives, comme

cellesdontelleavaitapprisàseservir,quin’avaientpasunepuissancesuffisantepourenvoyerunsignalclairàunesigrandedistancedel’île.Ilsdoiventêtreassezproches,pensa-t-elle,quelquepartducôtéouestdeLongIsland.LabasemilitairedeBrooklyn,peut-être?Est-celàquelesPartialsontattaqué en premier ? Elle tâcha de se rappeler ce qu’elle avait appris en cours d’histoire sur lestactiquesdesPartials,sedemandantquellespouvaientêtrelesconséquencesd’untelassaut.Unpetitdébarquementsurlacôtenord,c’étaitunechose,maiss’ilss’enprenaientauxquartiersgénérauxdel’armée, c’était le signe qu’ils préparaient une attaque à grande échelle.Annihiler la défense, puisenvahir l’île sans encombre. Elle écouta attentivement tout ce que disait l’équipe de Haru, puiscontinuadepasserenrevuelesfréquences,captantdesbribesd’émissionsdePartials,jusqu’àcequel’uned’ellesretiennesonattention.«…ausommetdelabutte.Tireursenposition.»Kirapoussaunjuron.Ils’agissaitlàd’unecommunicationentrePartials,sortied’unautreappareil.

Tous lesmessages dePartials sortaient de radios différentes, y compris ceuxqui avaient lamêmevoix, dans la même bataille : ils changeaient sans cesse de fréquence pour éviter les oreillesindiscrètes,mais c’était compter sans l’installationparanoïaque et suréquipéed’Afa.Kira entendaittout.Ilssavaientversoùsedirigeaitl’unitédeHaru,ilsétaiententraindeluitendreuneembuscade…etelleseuleétaitaucourant.Elletenditlamainpours’emparerd’unmicro,maisnetrouvarien:nitalkie-walkie,nimicrode

plafond, rien.Elle chercha sous la console, puis derrière.Toujours rien !On aurait dit qu’Afa lesavaitretirésexprès–cequi,sedit-elleaprèsréflexion,étaitsansdoutelecas.Elleétaitfurieuse.Iln’essayait pas de communiquer avec quiconque, mais juste d’écouter. Pour rassembler desinformations.«…approchedusommet,lavoieestlibre…»

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Denouveau,lavoixdeHaru.Kirajura,d’unevoixfortecettefois:moitiécri,moitiégrognementexaspéré.Elleselaissatomberàgenouxdevantunepiledeboîtesposéedanslecoinetlesdéchiquetapourychercherunmicrophone.Lapremièreétaitvide,etellelajetasurlecôté.Ladeuxièmeétaitrempliedecâbles,qu’ellesortitbrutalement,unnidgéantd’épaiscordonsdecaoutchouc,etaussitôtcertaine qu’il n’y avait pas de micro là-dedans elle les balança par-dessus son épaule, encoreemberlificotéedanslescâbles.Ilfautquejel’avertisse.Latroisièmeboîtecontenaitdesamplis,desprisesetdesmanuels;laquatrièmeetlacinquièmeabritaientdevieuxémetteurs-récepteurséventrés,dépouillés de leurs pièces détachées.DerrièreKira, un vacarmede coups de feu, de hurlements etde puissants grésillements explosa soudain dans les haut-parleurs, etKira poussa une exclamationdépitéeenfouillantladernièreboîte,oùellenetrouvarien:quedescâbles,encore.«…essuyonsdestirsennemis!»hurlaHaru.«Nousessuyonsdestirsausommetdelabutte!J’ai

perduMurrayet…»Lesignalmourutavecunclaquementetunrugissementd’électricitéstatique,etKiras’effondraausol.«Sato!SergentSato!Vousm’entendez?»Lavoixducommandanthumainrésonnadanslasalle

deradio,hachée,s’éloignantdéjà.Kira imagina Madison et Arwen, à présent veuve et orpheline. Cela n’avait rien de nouveau,

évidemment:toutlemonde,àEastMeadow,étaitorphelin,etceladepuisplusd’unedécennie…maisc’étaitprécisémentleproblème.LesSatoétaientuniques, lespremiersreprésentantsd’unenouvellegénération : une vraie famille, enfin, après onze longues années. Ils représentaient l’espoir. Avoirperducela–etl’avoirentenduendirect–brisaitlecœurdeKira.Ellesanglotaitsurlesol,lesmainscrispéessurlesrouleauxdecâblesinutilescommes’ilsavaientlepouvoirdelaréconforteroudelaprotéger.Ellereniflaets’essuyalenez.Jen’aipasletempspourcesbêtises.Kira essayait encore de trouver quoi faire des renseignements glanés jusque-là.Une chose était

claire:elleallaitdevoirsortirplusd’informationsdesarchivesd’Afaavantdepouvoirformulersaprochaine action. Mais dans l’immédiat, tout ce qu’elle essayait de sauver subissait une nouvellemenace.SilesPartialsetleshumainss’entretuaientavantqu’elleaitobtenusesréponses…Elle se remit péniblement debout, laissant tomber les câbles emmêlés. La console radio était

compliquée, oui, mais pas indéchiffrable. Kira voyait à quoi correspondaient les boutons et lescommandes,commentétaient faits lesbranchements.Quelquepartsur le toit, ilyavaitunebatteried’antennes,chargéesetprêtes;chacundesémetteurs-récepteursinstalléspardizainesendessousétaitréglé sur une fréquence différente. Avec cet équipement, elle pouvait entendre toutes les radiosprésentes dans un rayon de presque deux mille kilomètres – même plus, si Afa avait autant depuissance qu’il le disait. Et dès qu’elle aurait trouvé un micro – pas si elle en trouvait un, maisquand–,ellepourraitcommuniquerenretour.Ilyenavaitsûrementaumoinsundansl’immeuble,unvestigedel’ancientemps,etsiAfalesavaittousdétruits,alorsilyenauraitbienundanslaville,dans les magasins d’électronique et d’équipement stéréo. Quelque part, il y avait un micro.Forcément.Kiraallaitmettrelamaindessus.Etellecomptaitbiens’enservir.

–Ilmefautunmicro.Afan’étaitpasprêtpourunenouvelleconfrontation,maisKiran’avaitpas le tempsd’attendre–

des gens mouraient, il fallait qu’elle les aide. Le gros homme farfouillait dans ses provisions,

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scrutantsesboîtesdeconservedesonregarddemyope.–Jeneparlepasauxgens,dit-il.J’écoute,c’esttout.–Jesais,luiréponditKira.Maismoi,si,jeleurparle.LesPartialsontenvahiLongIsland,etj’ai

desamislà-bas.Ilfautquejelesaide.–Jen’aidepaslesPartials…–J’essaied’aiderleshumains.Ellepassa lamaindans sescheveux,déjà fatiguéeetusée.Elle se sentaitdéchirée,mêmeparce

problèmesimpleenapparence:ellenevoulaitpasqueleshumainsmeurent,maisnedésiraitpasnonplusvoirmourirlesPartials.Elleauraitvoulusauverlesdeuxespèces,maismaintenantquecelles-ciétaientengagéesdansuneguerreouverte,quepouvait-elleyfaire?–Avecunmicroettonantenne,jepourraisleurdonnerdesinformations,lesfairetournerenrond

sansqu’ilsserattrapentlesunslesautres.Dumoins,letempsdetrouvermieux.Afadénichauneboîtedeharicotsfritsetpartitensedandinantverslaporte.–Tunepeuxpasaiderd’humains.Jesuisledernier…–Maisnon!s’emporta-t-elleenluibarrantlaroute.Il ladépassaitde la têteetdesépaules,etpesaitplusde trois fois sonpoids,mais il sedégonfla

devantellecommeunballondebaudruche, lesyeuxbaissés, lementonrentré, lesépaulesvoûtées,prêtàendureruncoup.Elleadoucitsavoixmaiscontinuadeluitenirtête.–Ilyatrente-sixmillepersonnessurLongIsland,Afa,trente-sixmillehumains.Ilsontbesoinde

notre aide – besoin de ton savoir. Tout ce que tu as réuni ici pourrait leur servir. Ils essaientd’éradiquerleRM,et ilsnesaventriensurlevirus,alorsquetoi tuensais tant.Siçasetrouve, tudétiens la solutionpour fabriquer le remède, ici,quelquepart,pour résoudre lemystèrede ladated’expirationdesPartials,éviterunenouvelleguerre. Il reste touteunesociétéhumaine,Afa,et cesgensontbesoindetesconnaissances.(Elleledévisageaitsévèrement.)Ilsontbesoindetoi.Afa remua un peu d’un pied sur l’autre, puis pivota brusquement pour retourner dans le garde-

manger,contournaunepiledeboîtesetrevintparl’alléed’àcôté.Kirasoupiraetsedéplaçapourluibarrerànouveaulechemin.–Oùsontlesmicros?Afa s’arrêta encore, regardant nerveusement par terre, puis refit demi-tour et repartit dans la

réserve.Kirarestaàcôtédelaporte,sûreainsiqu’ildevraitrepasserdevantelletôtoutard.–Tunepourraspastecacheràjamais,luidit-elle,etjeneparlepasseulementdecettepièce,jete

parledumondeentier.Ilfautavancer,oureculer,enfinfairequelquechose.Tuas rassemblé toutesces informations afin de pouvoir un jour les montrer à quelqu’un. Ce jour est venu, allons lesmontrer.–Iln’yapersonneàquilesmontrer,répliqua-t-il,tournicotanttoujoursdansledédaledecaisseset

deboîtesempilées.Jesuisledernierhumainenvie.–Tu sais ce que je pense ? demandaKira d’une voix plus douce que jamais. Je pense que si tu

répètessanscessequetuesledernier,c’estparcequetuaspeurderencontrerquelqu’und’autre.Sitousleshumainssontmorts,alorsilneterestepersonneàquiparler,personneàaider,etpersonnequeturisquesdedécevoir.Ilétaitaufonddelapièce,plongédansl’ombre.–Jesuisledernierquireste.–Tuesledernierdirecteurinformatique,ditKira.Dumoinsledernierquejeconnaisse.Avectout

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cequetusaissurlesordinateurs,lesréseaux,laradioetlespanneauxsolaires…sérieusement,Afa,tuesunesortedegénie.Tuesungénie.Tuesseuldepuis tellement longtemps…mais tun’esplusobligé.Tum’aidesbien,moi,pasvrai?Tumeparles,etjenefaispaspeur.–Si,tufaispeur.–Jesuisdésolée.J’essaiedenepast’effrayer.Maisilfautquetuvoiesleschosesenface.Dequoi

tecaches-tu,Afa?Dequoias-tupeur?Afagarda lesilenceunmoment, le regardfixe,avantdesoufflersaréponse,d’unevoixabîmée

pardesannéesdepeineetdeterreur.–Delafindumonde.–Lafindumondeestdéjàarrivée,luirappelaKira.Lefléauestvenuetreparti.(Elleavançatrès

lentementvers lui.)ÀEastMeadow,oncélèbrecemoment :pas la fin,mais lecommencement.Lareconstruction.L’ancienmondeestmortetenterré,etjesaisquec’estencorebienplusdurpourtoique pourmoi. Je l’ai à peine connu,moi, cemonde-là.Mais celui-ci est devant nous. Il a tant dechosesànousdonner,etilatantbesoindenotreaide.Cessedet’accrocheràl’ancienmonde,etaide-nousàenreconstruireunnouveau.Levisagedel’hommeétaitperdudansl’ombre.–C’estcequ’ilsdisaientdansleurse-mails.–Qui?–L’Alliance.Savoixétaitencorechangée:cen’étaitplus lecharabiaconfusethésitantniunedesesfenêtres

d’intelligence et de clarté, mais un murmure distant, presque hanté, comme si l’ancien mondes’exprimaitàtraverslui.– Dhurvasula, Ryssdal, Trimble et tous les autres : ils savaient qu’ils construisaient un monde

nouveau,etilssavaientqu’ilsdétruisaientl’ancien.Ilsl’ontfaitexprès.–Maispourquoi? insistaKira.Pourquoiavoir tué tout lemonde?Pourquoiavoircachéleseul

remède possible dans la physiologie même des Partials ? Pourquoi avoir lié des humains auxPartials?Etpourquoinouslaisseravectantdequestions?–Jenesaispas,réponditAfaàvoixbasse.J’aiessayédesavoir,maisc’estraté.–Alorstâchonsdetrouver,ensemble.Maisd’abord,ilfautquenouslesaidions.Elle se tut, se rappelant soudain les paroles du sénateur Hobb, des paroles qui lui avaient paru

inconcevablesquandillesavaitprononcées.EllelesrépétapourtantàAfa,abasourdiedevoiràquelpointsasituations’étaitretournée.–L’humanitéabesoind’unfutur,etnousallonsdevoirnousbattrepour,maisnousnepouvonspas

fairecelasanssauverd’abordleprésent.(Elleluiposaunemainsurlebras.)Aide-moiàtrouverunmicro,quenoussoyonssûrsd’avoirencorequelqu’unàquidonnertoutescesréponses.Afal’observaitavecanxiété;iln’étaitplusqu’unesilhouetted’enfantdanslenoir.–Tuesunehumaine?luidemanda-t-il.Kirasentitsavoixsecoincerdanssagorge,soncœurbondirdanssapoitrine.Qu’avait-ilbesoin

d’entendre?Celal’aiderait-ilsielleseprétendaithumaine?Entendreautrechoseluiferait-ilpeuraupointdelefairerentrerdanssacoquille?Non.Cequ’ilavaitbesoind’entendre,c’étaitlavérité.Ellerespiraàfond,serrantlespoingspour

trouverlecourage.Ellenel’avaitjamaisdittouthaut,pasmêmeàelle-même.Elleseforçaàparler.–JesuisunePartial.

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Lesmotsluisemblaientjustesetfaux,vraisetinterdits,terriblesetmerveilleuxàlafois.Direunevérité,endéchargersapoitrine,luiprocuraunfrissondelibération,maislanaturedecettevéritélafit aussi trembler.Elleeutd’abord l’impressionquec’étaitmalde ledire,puisculpabilisaaussitôtd’avoirhontedesavraienature.Ellen’avaitpasàavoirhonte.–Mais j’ai donnémavie entière, donné tout ce que j’avais, pour sauver l’espècehumaine. (Ses

lèvres formèrent un fin sourire, elle faillit même éclater de rire.) Toi et moi, nous sommes lemeilleurespoirqu’elleait,encemoment.Afaposalaboîtedeharicotsqu’iltenaitàlamain,larepritetlareposa.Ilfitunpas,s’arrêta,hocha

latête.–D’accord.Suis-moi.

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CHAPITRE13

Marcus s’accroupit à l’abri d’unmur de parpaings à demi effondré – celui d’un ancien garage,apparemment.Ilyavaitunevoitureàl’intérieur,visibleàtraversuntroudanslemur,lesqueletteduconducteurtoujoursassisauvolant.Marcustentad’imaginerpourquoicethommeétaitmortlà,danssa voiture, à l’intérieur d’un garage fermé ; mais quoi qu’il en soit, cela n’avait plus aucuneimportance.EtsilesPartialsmettaientlamainsursapatrouille,Marcusseraitbientôtaussimortquecesquelette.–Onn’apaslesmoyensdeprotégerlesfermes,ditlesoldatCantona.Savoixn’étaitqu’unchuchotement,etilnequittaitpaslaforêtdesyeux.Marcusenétaitvenuàle

détester,maisilnepouvaitpasnierquec’étaitunsoldatefficace.–Etlesfermiersnonplus,acheva-t-il.–Onnevapaslesabandonner,crachaHaruentresesdents.IlavaitreprislecommandementdepuisqueGrantétaittombée.Iljetaunbrefcoupd’œilauxquatre

fermierscachésderrièrelessoldats:deuxhommesetdeuxfemmes,absolumentterrifiés.–Pourcequej’ensais,lesPartialscapturenttousleshumainssurlesquelsilsparviennentàmettre

lamain.Noussommeslàpourprotégerlesgens,alorsc’estcequenousallonsfaire:protégercesgensetlesrameneràEastMeadow.–Noussommeslàpourprotégerlescivils,nuançaCantona.Ça,c’étaituneferme-prison:siçase

trouve,ceux-làétaientdesreprisdejustice.–SilesPartialslesveulent,lecontraHaru,jemourraiplutôtquedeleslivrer.Marcusobservalesfermiers,maigrementarmésdetroispistoletsàeuxquatre.Ilétaitimprobable

quedesprisonniersaientaccèsàdesarmes,maisquandunearméedePartialsvoustombaitdessus,aprèstout,allezsavoircequipouvaitarriver?Pourmapart,jelesarmeraistousetjecroiseraislesdoigts,sedit-il.Quandl’ennemiestunPartial,touthumainestunallié.–Ilsvontnousfairetuer,insistaCantona.Leurunité,fortedevingtsoldatsaudépart,étaitréduiteàsept,pluslesfermiers;lamoitiéavaient

étémassacrésdansl’embuscadeetlesautrespendantlaretraite,lorsqu’ilsavaientcourutêtebaisséedanslaforêtpourgarderunpeud’avancesurlesenvahisseurs.– Ils sont capables de tenir le rythme, ce n’est pas le problème, ditCantona.Le problème, c’est

qu’ilssontbruyants.Ilsnesaventpasresterdiscrets.Lesfermiersavaientlevisagetannéetbrûléparlesoleil,maisMarcuslesvitpâlirenentendantles

soldatsdébattredeleursort.Ils’invitadanslaconversation.–Ilsnesontpasplusmauvaisquemoidanscedomaine.–Jenevaispasabandonnernotremédecin.–Maisilaraison,ditHaru.AvecMarcusdanslatroupe,onferaassezdebruitpourêtreretrouvés,

qu’onaitdescivilsavecnousounon.–Hé,ho!Jenesuisquandmêmepassinul!–Detoutemanière,c’estsansimportance.S’ilsnenousontpasentendusparler,noussommeshors

de danger pour l’instant : la nuit tombe, et ils n’ont aucune raison de pourchasser un groupe de

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militaires armés qui risquent de leur tendre un piège. Il est plus que probable qu’ils se soientregroupésetretirés,etjevouspariequ’ilssontenroutepouruneautreferme.–Alorsonn’aplusbesoindeprotégerlescivils,conclutCantona.Onn’aqu’àlesrelâcher, leur

diredesedirigerversEastMeadow,etessayerderetrouvernotreunité.–Jen’arrivepasàlacontacterparradio,ditHaru.Nousn’avonsplusd’unitéàrejoindre.L’undesautressoldats,ungarscorpulentnomméHartley,levalamain,etlegroupesetutaussitôt.

C’était un signe qu’ils ne connaissaient que trop bien, et Marcus tendit attentivement l’oreille enserrantsonfusil.LesPartialsavaientdessensplusdéveloppésqueleshumains–unemeilleureouïe,unemeilleurevue–etpouvaientdétecterlegroupedeMarcusdebienplusloin,maisdansuneforêtdense commecelle-ci, ils devaient tout demême se rapprocher pour engager le combat, et à cettedistanceleshumainsarrivaientparfoisàlesentendresedéplacer.Avertisoupas,cependant,ilsétaientincapablesderivaliseravecunetroupedePartials;leseulennemiqu’ilsavaientréussiàabattreavaitétédistraitpardesforcesplusvastes.Marcusetsongroupeavaientdétalé,purementetsimplement,etmêmeainsiilsavaientétédécimés.Ils restèrent immobiles et muets, l’oreille aux aguets, les armes prêtes. Un silence de tombeau

régnaitdanslaforêtalentour.Marcus entendit une des sentinelles pousser un juron, crier les premières syllabes d’une alerte,

aprèsquoiunpetitdisquenoirclaquacontrelemuràsespieds.Ilbaissalesyeuxjusteàtempspourlevoirexploserdansunéclairaveuglant,etsoudainlapatrouilleentièresemitàhurler.Marcusserralespaupières,saisid’unedouleurlancinante,nevoyantplusrienquedestachesvivementcolorées.Ily eut des coups de feu ; Haru poussa une exclamation ; d’autres braillaient ; Marcus perçut uneéclaboussuredeliquidechaudsursesmainsetsebaissavivement,puisserecroquevillaentremblantcontrelemur.Uncorpss’écroulacontreluietilreculaenrampant,lesoufflecourt,terrifié.Lorsquesavues’éclaircit,lecombatétaitterminé.La sénatrice Delarosa se tenait debout devant lui, un fusil dans une main, une épaisse capuche

rabattuesurlatête.Marcustâchaderéfléchir.–Hein?– Vous avez de la chance qu’ils n’aient été que deux, lui dit Delarosa. Et que nous ayons eu

l’avantage,ajouta-t-elled’unairsévère.Etquenousayonseudesibonneschèvres.–Deuxquoi?–DeuxPartials,expliquaHarutoutensetapantsuruneoreillecommesiellesifflaitfortement.Et

nenoustraitezpasdechèvres,merci.–Jenevoispasquelautrenomvousdonner,protestaDelarosaenretournantuncorpsavecson

pied.Marcus vit alors qu’il y en avait plusieurs : des soldats, une silhouette encapuchonnée comme

Delarosa,etdeuxPartialsinertesdansleurarmuregrisesireconnaissable.CeluiquiétaitauxpiedsdeDelarosagémit,etellel’achevad’uneballe.–VousfaisiezassezdebruitpourattirertouslesPartialsàunkilomètreàlaronde.–Vous nous avez utilisés comme appâts ! s’écriaHaru en se remettant péniblement debout. (De

touteévidence,lessuitesdelamystérieuseexplosionledéséquilibraientencore.)Voussaviezqu’ilsétaientici?Vousguettiezdepuiscombiendetemps?–Assezlongtempspourêtrefinprêtsquandilssontarrivés,réponditDelarosa.Noussavionsque

vousfiniriezparattirerunetroupeennemie,alorsnousnoussommescachésenattendant.

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Elles’agenouillaàcôtéducorpset ledépouilla rapidementdeseséquipementsutiles :cuirasse,chargeurs,etplusieurssacochesattachéesauxépaulesetautorse.Elleseretournatoutentravaillantpourdésignerd’uncoupdementonledisquenoirquigisaitauxpiedsdeMarcus.–Ça,c’estleurarmeincapacitante.Commeilsvouscroyaientneutralisés,ilsontbaissélagarde.Marcus tentadese lever,mais s’aperçutque,commeHaru, il avait le tournis. Il se raccrochaau

mur.Unsoldatglissaausolàcôtédelui,etMarcusserenditcomptequelemalheureuxavaitreçuuneballeenpleinvisage.–Vousauriezdûnousprévenir.Delarosaempilasoigneusementl’équipementdupremierPartial.–Ilsvousauraienttrouvésquandmême;ainsi,aumoins,ilssontarrivéstroptard.–Nousaurionspuprépareruneembuscade,s’entêtaHaru.Ilpromenasonregardautourdeluipourévaluerlesdégâts,etMarcusfitdemême:troissoldats

morts,plusundeshommesdeDelarosa.Ilyenavaitaumoinsdeuxdeplusdanslesarbres,unpeuplusloin,quisurveillaientlepérimètre.–Nousaurionspuêtreprêtsetsubirmoinsdepertes.– Nous étions prêts, lâcha Delarosa en se déplaçant vers le second cadavre. Et c’était une

embuscade. Nous avions la configuration idéale, la diversion idéale, et nous avons tout demêmeperdu quatre hommes, sans compter les deux fermiers blessés. (Elle les indiqua du geste.) Nousavions des conditions idéales et ils ont quand même tué deux fois plus que nous. Vous voudriezréessayersansladiversion?–Votrediversion,c’étaientmeshommes!–Vouscomptez réellementdiscuter, là ? s’énervaDelarosaen se relevantpour lui faire face. Je

viensdevoussauverlavie!–Vousavezlaissémourirtroisdenoshommes.–Si je n’avais pas fait ceque j’ai fait, vous seriez tousmorts à l’heurequ’il est.Oupire, vous

auriezétécapturés.Nousaffrontonsunennemisupérieurennombre,mieuxéquipé,mieuxentraîné,dotédemeilleursréflexes.Sivousvoulezprendrelerisqued’uncombatàlaloyale,c’estquevousêtesaussiaveuglequeleSénat.– Le Sénat vous a condamnée aux travaux forcés, intervint Marcus, qui retrouvait enfin son

équilibre.Envoyéedansuneferme-prison.(Ilfronçalessourcils.)Danscetteferme-ci?DelarosaseretournaverslesecondPartial,empilantsonéquipementàcôtédupremiertas.–Àl’époqueoùc’étaitencoreuneferme-prison,oui.Maintenant,cen’estplusqu’une…scènede

crime.Toutcequiyrestaitdevivantaétédispersé.–Vousêtes-vousévadéependantl’attaque,ouavant,envolantunearme?voulutsavoirHaru.–Jenesuispasicipourtuerdeshumains,répliquaDelarosaquiserelevaetseplantafaceàlui.

C’est vrai, oui : j’ai été condamnée aux travaux forcés dans une ferme.Mais vous rappelez-vouspourquoi?–Pouravoirtuédesêtreshumains,ditMarcus.Cequimineunpeuvotrecrédibilité.–Pouravoirfaitcequ’ilfallait,lecorrigea-t-elle.Elleindiquaundesescompagnons,vêtuluiaussid’ungrandmanteauàcapuche,quivintramasser

l’équipementdesPartials.–Nousfaisonsfaceàl’extinctiondenotrepropreespèce,déclara-t-elled’untonsansappel.Voilà

cequipasseavanttout–avantlabonté,lamoralité,laloi.Deschosesquevousn’auriezjamaisfaites

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ilyadouzeanssontencemomentnonseulementacceptables,maisindispensables.Ellesconstituentun impératifmoral. Je tuerais cent ShaylonBrown plutôt que laisser la victoire aux Partials. J’entueraismilles’illefallait.–C’estexactementcequejevoulaisdire,l’approuvaCantona.C’estleseulmoyendesurvivreàce

quinousattend.– Si vous tuez mille de vos semblables, les Partials n’auront même plus besoin de combattre,

protestaMarcus.Vousfaitesleurtravailàleurplace!Unoiseaupoussauntrillestridentdanslaforêt,etDelarosarelevalatête.–C’estlesignaldudépart.Ondiraitquecesdeux-làavaientdesrenforts.Ellerejoignitencourantl’oréedelaclairière,maisHarusecoualatête.–Onnevientpasavecvous.–Moi,si!clamaCantona,quiprélevaunsecondfusilsurladépouilled’unsoldathumain.Allez,

Haru,voussavezbienqu’ellearaison.–Jen’abandonneraipascescivils!–Enfait,ditalorsundesfermiers,jecroisquejevaispartiravecelle,moiaussi.C’était un hommed’un certain âge, amaigri et buriné par le travail. Il leva en l’air son fusil de

chasseetpritunearmedepoingsurlecorpsd’unautresoldat.CantonaregardaDelarosa,quihochalatêteetsetournaversHaru.–Nousnevousutiliseronspluscommeappâts,promit-elle.Surquoielletournalestalonsetsefonditdanslesbois.Seshommesdisparurentavecelle,suivis

dufermier,etenfindeCantona.Cederniers’arrêtauninstant,lessaluadelamain,ets’enallaàsontour.MarcusregardaHaru,puisHartley,puislestroisfermiersrestants.Ilss’étaientappropriélesfusils

etlesmunitionstrouvéssurlessoldatsmorts.–Deuxd’entrevoussontblessés?–Nouspouvonsmarcher,ditunedesfemmesd’unairfarouche.–Formidable,grommelaHaru,maispouvez-vouscourir?

Ilsfirenthaltedansunecourd’école,épuisésetpantelants.LesPartialsàleurstroussesavaientfait

deux victimes de plus, ce qui ne laissait queMarcus, Haru et deux civils – dont une femme auxcheveuxchâtainsprénomméeIzzy,blessée.Elles’appuyalourdementcontrelemur,lesyeuxfermés,larespirationsifflante.Haruétaitàcourtdemunitions,etMarcusluitenditsondernierchargeur.–Tuenferasunmeilleurusagequemoi,dit-ilenreprenantsonsouffleavantdedésignerIzzy.Elle

n’irapasbeaucoupplusloin.–Oblige-laàs’asseoir,luiintimaHaru,cachédanslesbuissons.Ellevanousfairerepérer.–Sijefaisça,ellen’arriverapasàserelever.–Alorsjelaporterai.Marcus et le dernier fermier, un dénommé Bryan, firent doucement asseoir la femme et

l’adossèrent aumur, la tête entre les genoux.Marcus examina ses pansements : une balle lui avaittraversé l’épaule, passant parmiracle à côté des os et des artères vitales,mais la plaie n’était pasbelle, et la femme avait perdu beaucoup de sang. Il avait déjà changé deux fois les compresses, àl’occasiondebrèveshaltescommecelle-ci,et luiavaitdonné tous lesanalgésiquesqu’ellepouvait

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supporter sansperdre connaissance.Lebandageétait trempéde sang, et tandisqu’il le changeait ànouveau,savisionsebrouillasouslecoupdel’épuisement.– Je commence à regretter qu’on ne serve pas d’appât à toute une bande de guérilleros, en ce

moment,ditHaru.Marcusserenfrogna.–Cen’estpasdrôle.–Çanecherchaitpasàl’être.–Vouspourriezyarriver,intervintBryan.Jeparledel’embuscade.Assezd’armes,desboispour

vouscacher,unchampdetirbiendégagé,etvousn’auriezmêmepasbesoind’appâts.–Onpourraitcertainement,réponditHaru,toujoursessoufflé.Sansdoute,sansdoute.Ilsortitsaradioetl’essayaunenouvellefois,lavoixrauque.– IciHaruSato, j’aiavecmoiunmédecinetdeuxcivils, sommesendétresseauniveaude…(Il

releva les yeux.)… l’école élémentaire Huntsman. Je ne sais pas dans quelle ville. Si quelqu’unm’entend,n’importequi,jevousenprie,répondez.Nousignoronsl’importancedel’attaqueetnousnesavonspasoùnousreplier.Nousnesavonsmêmepasoùnoussommes.Izzytoussa:unequinterâpeuse,douloureuse,quisecouatoutsoncorpsjusqu’aumomentoùelle

vomitparterre.Marcuss’écarta,puisachevadeluibanderl’épaule.–Jecroisquevotreradionemarcheplus,ditBryan.Àquandremontevotredernierappel,entrant

ousortant?–Iln’yarieneudepuislessnipers,reconnutHaruencontemplantl’appareild’unairdémoralisé.Celui-ci ne portait aucun impact de balle,mais il semblait enmauvais état.Marcus songeaqu’il

étaitsansdouteeneffethorsservice.–Laissez-moiyjeteruncoupd’œil,ditBryanenselevantpourleprendre.Sa tête s’éleva au-dessus des taillis environnants et son corps tressaillit soudain tandis qu’une

brumerougejaillissaitparsonoreille.Marcus et Haru se jetèrent immédiatement à plat ventre. Privée du soutien de Marcus, Izzy

s’effondraausolsansconnaissance.–Jecroisbienqu’onyest,lâchaMarcus.Soittatueusepréféréearriveàlarescousse,soitonva

bientôtdirebonjouraudocteurMorgan.–Tumepardonnerasd’espérerqueceseralatueuse,commetudis.–Tuvasadorer ledocteurMorgan,répliquaMarcus.Ellehait leshumainspresqueautantquetu

haislesPartials.Haruobservaitlacourdel’école.–Ilyalàpresqueunmètredebroussaillesquipoussentàtraversl’asphalte,etquiatteignentbien

deuxmètresdehautdanscettezone,sansdoutel’ancienterraindefoot.(IlregardaIzzy.)Jenepensepasqu’onpuisselatransporter.–Jelaprendssurmondosetjeparsencourant,proposaMarcus.Tumecouvres.Cesarbresun

peuplustouffusnesontqu’à…–Certainementpas,lecoupaHaru.Maisc’estpourtantexactementcequ’onvaleurfairecroire.Ilpointaledoigtderrièreeux,lelongdumurd’enceinte.Aupieddecemur,àquelquespasdelà,

Marcusaperçutunrectanglesombre:unsoupirailauxcarreauxcassés.– Tu vas la traîner là-dedans, expliqua Haru tout en rassemblant de gros morceaux d’asphalte.

Pendant ce temps-là, je ferai demonmieuxpour donner l’impressionqu’on traverse le terrain de

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foot.Marcushochalatête.–Çavanousfairegagnercombiendetemps?–Suffisamment.À supposerqueçamarche.On trouverauneporte à l’intérieur et on sortiradu

bâtimentparl’autrecôté.Marcussoufflaenobservantlabouchenoireetmenaçantedusoupirail.–Vasavoircequivitlà-dedans.Sijesuisdévorépardesblaireauxouquelqueautrebestiole,ilne

faudrapasteplaindre.–Vas-y.MarcusfitroulerIzzysurledos,luipassalesbrasau-dessusdelatête,etpritsesdeuxpoignetsde

la main gauche ; s’aidant du coude droit, il rampa sur le ventre à travers l’asphalte défoncé, endirectiondusoupirail. Ilveillaità resterbienàplatet s’efforçaitdenepas faire remuer les taillis.Haru jetadesblocs sur le terrain, selonun arc trèsbas afinque lesPartials ne lesvoient pas ; enretombant,ilsagitaientlestigesdeshautesherbes.Marcusconstataqueceladevaitfonctionner,caruntirdesniperallaseperdredanslesbuissons,inoffensif,àsixouseptmètresdumur.Ilatteignitlesoupirailetjetaunœilàl’intérieur;l’airyétaithumidecommedansunegrotte,et

sentait le chienmouillé.Àmoins qu’il n’ait été récemment abandonné, le sous-sol était devenuunantred’animaux,mêmesi leschiensn’utilisaientsansdoutepascetteentrée.Eneffet, lesolautourétaitmeuble,etnontassépardespassagesmultiples.Marcus,quin’yvoyaitpasgrand-chose,jugeaqu’ilferaitmieuxdeseglisseràl’intérieuravantdetirerlablesséeàlui.IlétaitàmoitiéentrélorsqueHarus’arrêtaendérapantàcôtédelafenêtre,larespirationlourde.–Jecroisbienquelescarottessontcuites,dit-il–etaumêmemoment,uneballevints’enfoncer

danslemurdebriquesau-dessusdelui.Ehoui.Pousse-toi.Marcus se tortilla pour finir d’entrer, se laissa tomber au sol et glissa immédiatement dans

plusieurscentimètresdebouevisqueuse.Ilseremitdeboutet tirasurlecorpsinerted’Izzy, toutenécoutantl’impactd’autresballessurlemur.Aussitôtquelesoupirailfutdégagé,Haruseprécipitaàl’intérieurpouratterrirdanslagadoueavecungémissementétranglé.–Çapuelechienmouillé,là-dedans.Marcuscherchaunelampedanssespoches,toutenretenantIzzyd’unbras.–Etquelquechosemeditquecen’estpasseulementdelaboue,ajouta-t-il.–N’allumepas,l’arrêtaHaru.Suis-moi.Il fit quelquespasmouillés, silhouette noire dans la pénombre, etMarcus le suivit avec toute la

prudencepossible.Enplusd’unedouzainedecentimètresdeboueliquide,lesous-solétaitencombrédebureauxmétalliques,depilesdelivresmangésparlesversetdemultiplesrangéesd’ordinateurs,attachéspardescâblesrouillésàdesmeublessurroulettes.Haruouvritlaroutedanscelabyrinthe,ettandisque lesyeuxdeMarcus s’accoutumaient à l’obscurité,uneporteapparutdans lemurdevanteux.Harutiradessus,lapoignéetourna,maissoudainlesténèbresdevinrentencoreplusnoires:lasourcedelumièrequisetrouvaitdansleurdosvenaitjusted’êtreobstruée,etMarcussejetaausol.Le sifflement des balles déchira le silence, des éclairs demitraillettes illuminèrent la pièce, un

vacarmeassourdissantéclata.Lafineporteenbois futdéchiquetéepar l’attaque,etMarcuseut toutjusteletempsdevoirHaruplongerderrièrel’armoireinformatiquelaplusproche.–Ilssontdéterminésàallerjusqu’aubout,soufflaHaru.J’aidéjàeudesenviesdemeurtre,mais

jamaisàcepoint.

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Ilfitfeuendirectiondusoupirail,etletireurs’écartavivement.Marcusenprofitapourseruerenavant,traînantIzzydel’autrecôtédelaporte.Lorsqu’ilfutensécurité,Harucessalefeu,soucieuxdenepasgâcherleursdernièrescartouches,etletireurrevintdevantlafenêtredéverserdanslacaveunépais tir de barrage.Haru tira ses dernièresmunitions, forçant le Partial à se remettre à l’abri, ets’engouffraàsontourparlaporteenrampantdanslesimmondices.–Jenesuispasréellementconvaincumoi-mêmedecequejevaisdire,chuchotaMarcus,maison

estensûretéici.Dumoinspourl’instant.Haruacquiesçaenessuyantsonvisagecouvertdeboue.–Tantqu’onaencoredesmunitions–ettantqu’ilssaventqu’onenaencore–,ilsnenoussuivront

pasici.Maistupeuxparierqu’ilssontentraindefaireletour.Ilrelevalatête,etMarcussentitsonregardlebrûlermêmedanslenoir.–C’estlemomentdesedécider,Valencio.Tupréfèresmourirplanqué,ouentiranttesdernières

cartouches?–Yapasuneoption«enmepissantdessus»?Harueutunrirebref.– Je suis sûr que c’est inclus dans les deux. (Il renifla.)D’ailleurs, on baigne déjà dans l’urine,

mêmesicen’estpaslanôtre.Personneneverraladifférence.–Essaiequandmêmelaradio,suggéraMarcus.Onnesaitjamais.Harulatiradesaceintureetlalevaenl’airdanslenoir.–OnaplusdechancesdejoindredirectementDieulepèrequelemoindreêtrevivantsurTerre,

aveccemachin.–Alorsprions.(Marcusluipritl’appareiletenfonçalebouton.)IciMarcusValencio,àsupposer

quequelqu’unm’entende.Jesuis…cachédansuntunnelpleindeboueetdepissedechien,avecHaruSato. Entre les deux, je ne sais pas ce qui est le pire.Nous avons un civil blessé avec nous, ainsiqu’unebrigadeentièredePartialsassoiffésdevengeanceànos trousses,semblerait-il. Ilsnousontpoursuivissurdeskilomètres,etilneresteplusquenousdeuxsurunevingtainedesoldats.J’ignores’ilscherchentàconquérirl’île,àlapiller,oujusteànoustuerpourlefun.Jenesaismêmepasquipeutm’entendre…aussibien,noussommeslesderniershumainsenviesurTerre.Illâchalebouton,etl’appareilsemitimmédiatementàgrésiller.–Siseulementjegagnaisundollarchaquefoisquej’entendsça,encemoment…fitlaradio.La voix était hachée et brouillée, et si inattendue queMarcus faillit en lâcher la radio. Haru se

redressa,lesyeuxécarquillés.–Quiestlà?demandaMarcusenregardantsoncompagnond’unairincrédule.Ilrappuyasurleboutonàplusieursreprisesetessayadenouveau.–Quiest là?Jerépète,quiest là?Nousréclamonsuneassistance immédiate,des renforts,et…

quelqu’unpournoussauverlavie.Illâchadenouveauleboutoneteutungested’impuissance.–Bon,j’espèrequ’ilsnevontpasrefusersousprétextequejen’aipasrespectéleprotocoleradio,

ajouta-t-il.L’appareilseremitàcrachoter.–LetraficradiodesPartialsconfirmequ’ilstecherchentspécifiquement,toi,Marcus.Ledocteur

Morganveuttevoirpouruneraisonprécise.Marcussefigea,comprenantsoudainpourquoicettevoixluisemblaitsifamilière.

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–Kira?–Salut,bébé.Jet’aimanqué?–Que…quoi?bredouillaMarcus.Maisoùes-tu?Qu’est-cequisepasse?Etpourquoiest-ceque

ledocteurMorganmecherche?–Probablementparcequ’ellemeveut,moi,réponditKira.Labonnenouvelle,c’estqu’ellenesait

absolumentpasoùjesuis.–Ah,quelsoulagement,persiflaHaru.CommejesuiscontentqueKiranerisquerien.Marcusrappuyasurlebouton.–Harutepasselebonjour.–Ne t’en faispas, j’ai debonnesnouvellespour lui aussi : lesForcesdedéfense avancentvers

votreposition.–Ahoui?–Sortezdel’écoleetpartezverslesud.Vousalleztombersurunbataillonquiarrivedansl’autre

sens,àdeuxminutesauplus.–Tirons-nousdecemerdier!lançaHaru.IlsoulevaIzzycommelefontlespompiersets’élançadanslecouloir.–Attends,ditMarcusàKiratoutentrottinantpourlerattraper.Oùes-tu?Quesepasse-t-il?Mais comme la radio restait muette, il se hâta de regagner sa position précédente. Les ondes

passaientsansdoutemieuxàcetendroit,carl’appareilseremitaussitôtàgrésiller.–…desuite.Jerépète,sorteztoutdesuite.Lebataillonaunpetitarsenaldelance-roquettes,etil

comptes’enservirpourdémolirtoutlebâtiment.–Attends!hurlaMarcus.Onn’estpasencoresortis!–Alorsgrouillez-vous!Ilpritses jambesàsoncou,rattrapantHaruaupieddel’escalierqu’ilsgravirentquatreàquatre

avantdedéboucherdansunlargecouloird’école.AucunPartialn’étaitenvue,etHarudésignaunepairedeportesàdemiarrachéesdeleursgonds.–Parlà!Ils sortirent par le côté suddubâtiment, et traversèrent la rue à toutes jambespour rejoindre le

couvert d’une allée résidentielle.Aucuncri ne s’élevaderrière eux, aucuneballene leurpassa au-dessusdelatête.Marcusvirabrusquementàuncoinderue,suivideprèsparHaruquiportaitIzzyentraversdesesépaules;sanscesserdecourir,ilhurladanslaradio:–Kira?Kira,tum’entends?Qu’est-cequisepasse?–J’avaisquelâgequandons’estrencontrés?fitlavoixdeKira.Remonted’autantdecanaux.Cinq, pensaMarcus,on s’est rencontrésà l’école l’annéedenotrearrivée ici. Il passa autant de

canaux, puis réfléchit. Il n’y avait pas d’école la première année.On s’est rencontrés à six ans. Iltournalecadrand’uncran.–Alors,qu’est-cequisepasse?– C’est un truc qui nemarchera pas deux fois, dit Kira. Ils écoutent vos fréquences, mais moi

j’écoutelesleurs;jet’aiditqu’ilyavaitunbataillondelaDéfensepastrèsloin,etj’aidemandéàunami de leur faire un faux rapport avec la même information. Les deux Partials qui vouspourchassaientontbattuenretraite,maispaspourlongtemps,etlebataillonquiapprocheparlesudest en fait à au moins dix kilomètres. Il va falloir le retrouver sans tarder, car les Partials terecherchentenpersonne,etilsvontvouloirtetomberdessusdèsqu’ilscomprendrontqu’ilssesont

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faitavoir.Marcusralentit,tâchantdereprendresonsouffle.–Alors…qu’est-cequejefais,maintenant?– Je vais faire toutmon possible pour t’aider, mais on n’a pas tellement le choix. Nous avons

écoutélescommunicationsdeMorgan,etvoicilamauvaisenouvelle:ilsnefontpasqu’envahirl’île,ils comptent la conquérir. D’ici à deux jours, tous les humains présents sur Long Island serontprisonniersdesPartials.

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DEUXIÈMEPARTIE

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CHAPITRE14

La première alarme sonna à quatre heures dumatin.Afa, en effet, avait équipé les portes et lesfenêtres du rez-de-chaussée de petites alarmes électriques, reliées à sa chambre et aux principalessallesd’archives,etlasonnerieréveillainstantanémentKira.Celle-cidormaittoujourssurlecanapédu studio de télé, où elle venait de passer un peu plus d’une semaine : son campement le pluspermanentdepuisbienlongtemps.Lesalarmesétaientinsistantesmaisdiscrètes,conçuesdemanièreà alerter les occupants sans apprendre aux intrus que quelque chose clochait.Kira fut sur pied enquelquessecondesetenfilaseschaussurestoutenempoignantsonfusil.Sijamaisilfallaitfuir,cettearmeétaitcedontelleauraitleplusbesoin.D’ailleurs,sachantqu’Afaétaitprêtàfairesautertoutlebâtimentsinécessaire,mêmeunefuitepiedsnusetsansarmen’étaitpaslepirescénarioimaginable.Kiraleretrouvadanslehall,ettouslesdeuxsegardèrentdefairelemoindrebruit.Iléteignitles

alarmes et tendit l’oreille. Si c’était une fausse alerte – un coup de vent, ou un chat grattant à lafenêtre–,lesilenceresteraitcomplet.Kiraécoutalesyeuxfermés,enpriantpourquerienne…Bip.Bip.Afaéteignitdenouveaul’alarme,définitivementcettefois,ettrottinad’unpaslourdjusqu’aubout

ducouloir,oùse trouvaituneautreséried’interrupteurs.Lespanneauxsolaires installéssur le toitemmagasinaient d’énormes quantités d’électricité, plus qu’assez pour alimenter toute la nuit lessystèmesdesécuritéimprovisés.Legroshommeréveillaunécranenveillejusteàtempspouryvoirune silhouette noire et entièrement cuirassée se glisser par la fenêtre. Le casque était rond et sansvisage,caractéristiquedel’arméedesPartials,bienquesonarmuresoituséeetabîméeàtelpointqueKirasedemandasicen’étaitpasunetenuerécupéréequelquepart.Lasilhouettefugacementdévoiléepar le clair de lune trahissait un individu de sexe féminin, alors que l’autre forme qui se glissaderrièreétaitprobablementmasculine.Kira lançauncoupd’œilàAfa,dont levisageentiern’étaitplus qu’un rictus d’anxiété et d’indécision. Ses autres planques, il les avait simplement fait sauterlorsqu’unemenace était apparue,mais il s’agissait ici de son quartier général, de sa bibliothèqueprincipalededocumentation,del’œuvredesavie.Ilnevoulaitpasdétruirecela.D’unautrecôté,onnepouvaitpasdirequ’ilavaitlesidéestrèsclairesdanslesmomentsdestress.KiraetAfasetrouvaientausixièmeétage,etdeuxniveauxentiers,truffésdesystèmesdesécurité,

séparaientencorelesintrusdesarchivesimportantes.Lerez-de-chausséeétaitbourréd’explosifs,enquantité suffisante pour anéantir l’immeuble entier, etKira, prudente, se positionna entreAfa et ledétonateurmanuel.Ilsobservèrent,surl’imageflouedescamérasdesurveillance,lesdeuxintrusquiprogressaient furtivement dans les pièces et les couloirs, passant d’écran en écran, les différentsanglesdevuedonnantàleurcheminementl’aspectd’unetrajectoireerratiqueetdisjointe.Degaucheàdroitesurletroisièmemoniteur;dedroiteàgauchesurlepremier.Dehautenbassurledeuxièmeetlequatrièmesimultanément,l’undevantl’autre.Ilsprogressaientlentement,leursarmesbraquéesdevanteux,silhouettessanscouleurdanslapénombre.Probablementguidéespardescasquesàvisionnocturne augmentée, elles avaient des mouvements parfaitement coordonnés. Elles offraient lespectacleimpeccabledulienenaction.C’étaientdesPartials,sansaucundoutepossible.Kira vérifia soigneusement sesmunitions, sansquitter des yeux les écransde surveillance ; elle

parviendraitpeut-être à toucher un des intrus si elle le prenait par surprise,mais les chances d’en

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vaincre deux coup sur coup étaient infimes. Si elle ne fuyait pas tout de suite, elle se réveilleraitprobablementdanslelaboratoiredudocteurMorgan,étenduesurunetabled’opérationtandisquelafemme,telunsavantfou,l’ouvriraitpourdécouvrirsessecrets.Elle fit un pas pour partir en courant, mais se força à s’arrêter. Respire, se dit-elle. Respire

profondément.Garde toncalme.Personneaumonden’estplusparanoqu’Afa : il saitprotéger sonrefuge.Laisse-luiunpeudetemps.Ilresteencoreunétageentrenous.Ladernièrecaméralesmontraaupieddel’escalier,ouvrantlaportepuismontantlentement.Iln’y

avaitaucunpiègeaurez-de-chausséeparcequ’Afanevoulaitpasquesesbombessoientdéclenchéesdemanièreintempestiveparunanimalerrant,maisKiraespéraitquelesPartialsinterpréteraientcelacommeuneabsencetotalededispositifsdesécurité.Seraient-ils,ducoup,moinsméfiantsaupremierétage ?Elle retint son souffle, et les pieds des intrus disparurent dans la pénombre au sommet del’escalier. Il n’y avait pas de caméras au premier, uniquement des détecteurs demouvement et despiègesmécaniques.Unelumièrerougeclignotasurlepanneaudecontrôle,etdansl’instant,unviolentfracassecoua

l’immeuble.–Unemineantipersonnel,précisaAfa.Ças’appelleuneBetty-Sauteuse:quandonpasseàcôté,la

minebonditàenvironunmètrevingtdehauteur,etlàelleexplose,commeça,enanneau.(Joignantlegesteàlaparole,ilmimaunhalodedestructions’élargissantàplat.)Desclous,desshrapnelsetdeschevrotines, à hauteur du ventre. Ils sont en armure,mais ça peut quandmême faire beaucoup dedégâtssanstoucheràlastructuredubâtiment.Kirahochalatête,vaguementnauséeuse,enguettantduregardlevoyantsuivantdanslarangée.Si

laBetty-Sauteuseavaitarrêtél’ennemi,plusaucunnes’allumerait.Lamenaceseraitéliminée,etAfaetellen’auraientplusqu’ànettoyer.Ellepria…Ledeuxièmevoyants’alluma.– Ils avancent dans le couloir côté est, constata Afa, les poings serrés devant lui comme un

nouveau-né,faible,levisageruisselantdesueur.–Commentfait-onpoursortir?luidemandaKira.Ilyavaitunescalierdesecoursextérieur,ellelesavait,maiscelui-ciaussiétaitbourrédepièges,et

lajeunefilleespéraitqu’ilexistaitunmoyenplusrapidededescendre.Afadéglutit,lesyeuxrivéssurlesvoyants,etKirareposasaquestion.–Commentfait-onpoursortir?– Ils sontdans lecouloirest, et sedirigentvers les fusils.Ceux-ci sontéquipésdedétecteursde

mouvement,etnondéclenchéspardesfilscommelesmines…ilsneverrontrienvenir.Le troisièmevoyant rouge s’illumina, etKira entendit une détonation lointaine.Elle attendit, les

dentsserrées,lesnerfsàvif,etlemondes’arrêtauninstant.Lequatrièmevoyants’alluma.–Non,souffla-t-elle.Afa regardait d’un bout à l’autre du couloir, ses mains s’ouvrant et se refermant sur un outil

imaginaire. Il n’avait pas d’arme à feu, et tolérait tout juste celle deKira ; il ne se servait que depièges,distantsetimpersonnels.Silesintrusarrivaientjusqu’àlui,ilseraittotalementsansdéfense.–Afa,ditKiraenl’attrapantparlecoude.Regarde-moi.Ilcontinuaitdechercherquelquechoseduregard,etKirasecampafermementdanssonchampde

vision.

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–Regarde-moi:ilsvontmonterjusqu’icietilsvontnoustuer.–Non.– Ils vont te descendre, Afa, tu comprends ce que je te dis ? Ils vont m’enlever, te tuer, puis

incendiercetimmeublepourqu’ilparteenfumée…–Non!–…ettoutestesarchivesavec.Tucomprends?Tuvastoutperdre.Ilfautqu’onsorted’ici.–J’aimonsacàdos,dit-ilens’éloignantd’ellepourramasserparterrel’énormesacquin’était

jamaisàplusdequelquespasdelui.Jenelaissejamaismonsacàdos.– Il faut qu’on le prenne et qu’on se tire, insista Kira en traînant Afa de force vers le studio

d’enregistrement.Ellen’avaitquequelquessecondespourrassemblersesaffaires,aprèsquoiilleurfaudraitfuiren

courantleplusloinetleplusvitepossible.Ellesongeaàlastationderadio,enhaut,àMarcusetàlamanièredontellel’avaitaidé.LedocteurMorganavaitprislecontrôled’EastMeadowetdetouslescentrespeuplésdel’île.Utiliser laradiopouraiderMarcusàconserverunelongueurd’avancesursespoursuivants,c’étaitlaseulechosequ’ellepouvaitfaire…etvoilàqu’elleétaitsurlepointdetoutperdre.Afarésistait, tirantenarrièrepourretournervers lepanneaumural,etKiracourutsans luijusqu’austudioafinderassemblersesaffairesenvitessepourfuir.– Ils ont dépassé la salle de réunion, annonça-t-il. Ils avancent lentement. Ils ont aussi passé la

deuxièmeBetty-Sauteuseducouloirestetsedirigentvers…Ilyenad’autres,maintenant.Kirarelevalatêteau-dessusdesonsac,danslequelelleétaitentrainderangersonéquipementde

survie.–Quoi?–Undanslecouloirest,undanslecouloirouest.Ilyaundeuxièmegroupe,couinaAfad’unevoix

deplusenplus inquièteethautperchée.Mais jen’aivupersonned’autreentrer ! Jesurveillais lesécrans…Jelesauraisvusarriver!Kirarefermasonpaquetaged’ungestesec,abandonnantsurplaceson tapisdesol,et repartiten

courantdanslecouloir.–Iln’yenapasplus,dit-elle.Cesonttoujourseux.(Elleindiquadudoigtleseptièmevoyant.)Ilya

bienungrandcorridorcentral,là,non?Lemêmeàchaqueétage.C’estunbinômedetueurs,commej’enaisuiviunedouzained’autresàlaradio–ilsn’ontpasbesoind’unesecondeéquipe,ilssesontsimplementséparés…Elles’interrompitenpleinephrase.–Ilssesontséparés,répéta-t-elle,maissuruntoncomplètementdifférent.Ilssontseuls.Afa,àquel

endroitserejoignentlescouloirsestetouest,auniveaududeuxièmeétage?–Auxescaliers.–Oui,ditKiraenseplaçantdenouveaudanssonchampdevision.Jesaisquec’estauxescaliers,

maisj’aibesoinquetusoisplusprécis.C’esttoiquiasconçutoutcesystème,Afa,donctusaisoùilsiront ensuite. Celui-ci, ajouta-t-elle en lui montrant un point rouge. À quel endroit atteint-il ledeuxièmeétage?–L’escalierdederrière,dit-il,bégayantpratiquementdeterreur.Iltenditlamainversledétonateur,maisellel’arrêtaàtemps.–L’escalierdeservice,reprit-il.Ilsremontentdudépôtdelivraisons,àl’arrière.–Parfait.

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Kiraluifitreprendresonsacàdosetl’écartadoucementdupanneaudecontrôle.–Ilfautquetusauvescesacàdos,tum’entends?Nefaispassauterlebâtiment.Situlefaissauter,

tuperdrastonsac.–Jenedoisjamaisperdrelesacàdos.–Exactement.Tuvastrouverlasortiedesecoursquetut’esménagéepourlesurgencesettuvasla

prendre…courstrèsloin,etnerevienspaspendantunesemaine.SilesPartialss’envont,jeseraiiciàt’attendre.Allez,file!Afas’éloignaaupasdecourse, tandisqueKira,saisissantsonpaquetage,s’enallaitdans lesens

contrairepourpratiquement se jeterdans l’escalierde service.Cinquième,quatrièmeétage.Si elleatteignait le deuxième avant eux, si elle y arrivait pendant que les Partials étaient encore divisés,encore seuls, exactement là où elle savait qu’ils se rendaient, elle pourrait prendre le premier enembuscadeetfuiravantquel’autren’arriveenrenfort.Elleavaitunechancedelestuertouslesdeux,maisuneseule.Troisièmeétage.Deuxième.Elle ralentit, posant soigneusement ses pieds en silence à chaque pas, tendant l’oreille à l’angle

avant de prendre chaque virage. La cage d’escalier était déserte. Elle se laissa tomber à genoux,épaula son fusil et risqua un regard vers le palier du premier. Il faisait noir, et la moquette étaitmoisie.Laporteenacieravaitétéentièrementretiréeethisséeàl’étagedudessuspourfaireofficedeblindageautourd’undesmini-bunkersd’Afa:c’étaitlàqueKirairaitsecacher,décida-t-elle.Tuerlepremier,seretirerdansunbunker,etattendrequelesecondcommetteuneerreur.ÀsupposerquelesPartialssoientfaillibles.Lepremierétageétaitdésert,maislestracesdedésordreétaientévidentes.Unesériedetrousdans

les murs et dans les rideaux noirs prouvait que les dernières Betty-Sauteuses avaient fonctionnéexactementcommeprévu,maisiln’yavaitaucuncorpsenvue.L’étageétaitvaguementéclairéparlesdéchiruresdanslesrideaux,etunepetiteflammevacillaitdanslemur,verslefond.Kiraattendittouten tâchantdese rappeleroùétait installé ledernierpiègede l’étage :undispositif incendiaire,quin’avaitapparemmentpasexplosé.LePartialétaitencorelà.Elle attendit au sommet desmarches, l’arme en position.Aussitôt qu’unPartial apparaîtrait à la

porte,ilseraitmort.Elleattenditencore.J’aipeut-être fait tropdebruit, s’inquiéta-t-elle. Ilm’aentenduearrivereta rebrousséchemin…

ou,pire,ilm’attend.Jepourraisremonterparl’escalier,maisjeperdraismonavantage.Jenepeuxpasaffronter lesdeuxPartialsd’uncoup.S’ilyaunechancepourquej’arriveàpiégercelui-ci, ilfautquejecourelerisque.Jusqu’où est allé l’autre ? Ceci est l’escalier de service, mais l’autre couloirmène à l’escalier

principal.LePartiall’a-t-ildéjàatteint?Est-ilmonté?Afaa-t-ilréussiàs’enfuir?Elleespéraitquelebonhommeavaiteulaprésenced’espritdepartir,qu’iln’étaitpasencoreassisdanslecouloir,undoigtsurledétonateur,prêtdanssaparanoïaàdétruirel’œuvredesavie–etKiraetluiavec–,justepourempêcher lesPartialsdemettre lamaindessus.Il fautque jeremonte, songea-t-elle,et il fautquejeresteici,etilfautquejemetiredelà.Jenesaispasquoi…Ettoutàcoupellesut,aveclamêmecertitudequesiellel’avaitvudesesyeux,qu’unPartialétait

entrainderamperverselleaudeuxièmeétage.Laportedudeuxième,commecelledupremier,avaitétérecycléepourrenforcerlebunkerd’Afa.

Lepassageétaitouvert,etlePartiall’auraitenlignedemireaussitôtqu’ilauraitfranchilecoin.C’est

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lelien,pensa-t-elle,iln’yaquecommeçaquejepeuxlesentirsiclairement.Le lien leur transmettoutcequenousfaisons.Jen’aipastouslescapteursqueSammdécrivait,maisapparemmentj’aidequoi percevoir leur position… et peut-être aussi de quoi trahir la mienne. Elle tapota sa veste,regrettant denepas avoir unprojectile à leur jeter –unegrenade, oumêmeun cailloupour fairediversion–,maisellenedisposaitquedesonfusil,et le tempsqu’elleviseavec, ilseraitdéjàtroptard.Elledevaitabsolumentbougerdelà.Elleseredressalégèrementsursespieds,prêteàdévalerlesmarches jusqu’aurez-de-chaussée, lorsqu’ellereçutuneseconde impression,aussiclaireque lapremière,l’informantqu’ilyavaitunautrePartialdansl’escalierendessousd’elle.Ilsn’avaientpasbêtementattendudel’autrecôtédelaporte:prenantdel’avancesurelle,ilsl’avaientcomplètementcernée.Ellenepouvaitplusfuirquedanslescouloirsdupremierétage,oùilrestaitunpiègequines’étaitpasdéclenché.Ellebonditsursespiedsets’élançaencourant.LesPartialsnesecrièrentpasd’indications,lelienleurpermettantderesterparfaitementdiscrets,

maisKiraressentitnéanmoinsleurcridanssatêtecommeuneclameurchimique:ELLES’ENFUIT!Despas claquèrent sur les marches derrière elle, et la jeune fille tira un coup de fusil dans la caged’escalier, vers le bas, empêchant ainsi le second ennemi de l’abattre lorsqu’elle se précipita encourantdanslepiègemorteldupremierétage.Ellefranchitenroulé-boulélaportebéanteetseremitaussitôtdebout,cherchantfrénétiquementdesyeuxledernierpiège–maisAfal’avaittropbiencaché.UnPartialsurgitalorsderrièreelle,etellefitvolte-faceentirantdroitverssontorse.L’intrus–lafemme,apparemment,maissonvisagerestaitinvisiblesoussoncasque–eutunbreftempsd’arrêtenlavoyant,maisprofitadesonélanpourexécuterunerouladeacrobatique;serrantsonarmecontresapoitrine, elle se roula enboule et fit un saut périlleux sous le feu deKira avant que celle-ci ait letempsdecorrigersontir.LaPartialserétablitàquelquesdizainesdecentimètresd’elle,tirapresqueimmédiatement, etKiradutplonger sur le côtépour esquiver.L’ennemie la suivit avecunevitessesurnaturelle,pressantl’assaut,etluifitsautersonfusildesmainsaumoyend’unviolentcoupdepied.Kiraentraentitubantdansunesallederéunion,retrouvasonéquilibreetfiladerrièrelatableenboispourrissantpourrejoindreunedeuxièmeporte,auboutdelapièce,avecseulementtroispasd’avancesurl’adversaire.Elleseretrouvadanslecouloiretseruaverslasortie,maiss’effondraàgrandbruitlorsquelaPartiallaplaquapar-derrière,luicoupantlesouffleparlamêmeoccasion.Kiraluttapourrespirerensedébattantcommeunefurie,parvenantmêmeàluiassenerunfortcoupdecoudedanslecôtéducasque.L’inconnueeutunmouvementdereculdontKiraprofitapours’éloignerenroulantsurelle-même,rampantsurquelquesdizainesdecentimètresencoreavantquel’ennemie,déjàsursespieds,ne lui envoieungrandcoupdans la cuisse.Ellepoussauncri dedouleur et retomba sur leflanc,et lorsqu’elle releva la tête, laPartial se tenaitàquelquespasd’elle, labotte levéeau-dessusd’unmince câble, le doigt tendu vers un point situé au-dessus de la tête de la jeune fille.Celle-ci,levantlesyeux,découvritlebecdupiègeincendiaired’Afa,unlance-flammesbraquédroitsurelle.LaPartialn’avaitplusqu’àposerlepiedpourqu’unjetdeflammeslarôtissetoutevivante.Ellesecrispa,lesyeuxrivéssurlavisièreanonymedel’ennemie,etentenditunevoixmasculinepousseruncri.–Kira!Ellesefigea.Elleauraitreconnucettevoixn’importeoù.Ellerestabouchebéelorsqu’ilsurgitde

lacaged’escalier,soncasqueentrelesmains.–Samm?

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CHAPITRE15

–Jen’allaispaslatuer,ditlafemme.Celle-ci s’éloignadu filet retira soncasque.Kira la reconnutalors,elleaussi :cheveuxde jais,

superbevisagedeChinoise,desyeuxnoirsilluminésparuneintelligenceterrifiante.C’étaitHeron,laPartial qui l’avait capturée et livrée au docteur Morgan. La fille arborait un sourire hautain, etdévisageaitKiracommequelqu’unaurait regardéunchatonperdu–quelqu’unquin’aimaitpasdutoutleschatons.–Jevoulaisjusteluifairepeur.Samm se baissa pour aider Kira à se remettre debout, et elle se leva avec des gestes hésitants,

s’efforçanttoujoursd’assimilercequiluiarrivait.–Samm?–Heureuxdeterevoir.–Mais…qu’est-cequetufaislà?–Ilest làparcequ’ont’aenfinretrouvée,ditHeronenpointant ledoigtvers leplafond.Tout le

mondesaitquetucommuniquesparradio,maisnoussommeslesseulsàavoircomprisquetuétaisàManhattan.(Ellefitunepetitecourbette,avecunfauxrespectmoqueur.)Nousavonspréférégardercetteinformationpournous,vois-tu.SammramassalefusildeKira.– Nous savions depuis quelques jours que cet immeuble était occupé, mais nous avions aussi

reconnulessignesduposeurdebombesquiadéjàfailliavoirnotrepeauàdeuxreprises,alorsnousavons pris notre temps avant d’entrer. Nous n’étions pas certains que tu étais là, jusqu’à… (Ils’interrompit,inclinantlatêtecommepourréfléchir.)…jusqu’àilyatrentesecondes.Quandjet’aivueenface.Illuitenditsonarme.Ellelaprit,perplexe.–Maisvousnem’avezpas…Elle se tut, comprenant soudain lagaffequ’elleétait sur lepointde faire : avouerdevantHeron

qu’elleétaitunePartial.ElleavaitfaillidemanderàSammpourquoiilsnel’avaientpassentieparlelien, alorsqu’elle-même lesavait si clairementperçus ;maiselle ignorait siSamml’avaitdit à lafilleounon.Elleluiposeraitlaquestionplustard,enprivé.Repoussantcespensées,elleregardadenouveauSamm.–Vousauriezpusimplementfrapper…Elle soupira.Non, ilsn’auraientpaspu frapper, car s’ils s’étaient trompés,et s’étaient retrouvés

faceàn’importequid’autrequ’elle,ilsauraientétéexposésàundangerbienplusgrand:unefactionrivaledePartials,oulamégatonned’explosifsposésparAfa.Jemedemandejusqu’oùilestallé,Afa,àsupposerqu’ilsesoitréellementenfui.–Unemeilleureréponseàtaquestion,ditSamm,c’estquenoussommesiciparcequenousavions

besoindeteretrouver.Tuesendanger.– Le docteur Morgan veut mettre la main sur toi, ajouta Heron, qui se tut ensuite juste assez

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longtempspourmettreKiramalàl’aiseavantdecontinuer:Onveuts’assurerqu’ellen’yarriverapas.Kiralaregardad’unairentendu.–Parcequetun’esplusdanssoncamp,maintenant?–Jesuisdansmonproprecamp,rétorquaHeron.Commetoujours.–Maispourquoi?LaPartialjetaàSammunregardbref,presqueimperceptible,maisneréponditpas.–Heronm’aide,expliqua-t-il.LedocteurMorganamislepaquetpourtedébusquer.Kiraacquiesçaetformulasaphrasesuivanteavecleplusgrandsoin.–Quesait-elle?– Je sais que tu es une Partial, ditHeron, si c’est ce que tu te demandes.Une espèce de Partial

complètementfarfelue,qu’aucunmédecinn’asuidentifier.(Elleeutunlégersourire.)Jeprésumequetulabouclesàcesujet?Tun’enaspasparléàtesamishumainsavantdelesquitter?–Cen’estpassifacile.–C’estlachoselaplusfaciledumonde,lacontraHeron,saufsi…Dis-moi,tuessaiestoujoursde

jouersurlesdeuxtableaux,n’est-cepas?Partialethumaineàlafois?Tuvoudraissauverlesdeuxespèces,hein?Jeteledistoutdesuite,çanemarcherapas.Kirasentitlacolèremonterenelle.–Parcequetuesuneexpertedemavie,peut-être?Heronlevalesdeuxmains,feignantdesedéfendre.–Ehbien,latigresse,d’oùtevienttoutecettehostilité?Kirafaillitmontrerlesdentsetgrogner.– La dernière fois que je t’ai vue, tu étais en train de m’attacher à une table d’opération. Tu

travaillais pour le docteurMorgan, à cemoment-là, et je ne vois pas pourquoi je devrais te faireconfiancemaintenant.–Parcequejenet’aipasencoretuée.–Jecroisquetunecomprendspastrèsbienlanotiondeconfiance.–Tupeuxluifaireconfianceparcequemoi,jelefais,intervintSamm.Àsupposerquetutefies

encoreàmoi,ajouta-t-ilensuiteaprèsuncourtsilence.Kiral’observaattentivement,enserappelantqu’il l’avait trahie…etqu’il l’avaitsauvée.Sefiait-

elleàlui?Enpartie,oui,maisjusqu’àquelpoint?Ellelaissaéchapperunlongsoupireteutungested’impuissance.–Donne-moiuneraisondelefaire.–J’aidéserté lafactiondudocteurMorganquandje t’ai libéréedesonlaboratoire,dit-il.Heron

nousasuivis,aattenduquetusoispartie,etaprèsavoirdiscutéavecmoidetoutcequenousavionsvu,elleaproposéunplan:trouvernous-mêmesunesolutioncontreladated’expiration.C’estpourcela que nous avions rejoint la faction du docteur Morgan au départ, mais ses méthodes étaientdevenues…discutables.Kirahaussalessourcils.–C’estpeudire!–Ladated’expirationnoustuerad’icimoinsdedeuxans,rappelaHeron–etKiraperçutunéclair

decolèredanssavoix.TouslesPartialsjusqu’audernier…morts.Danscecontextedegénocide,lesméthodesdeMorganneparaissentpassiextrêmes.

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Kirajetauncoupd’œilàHeron,puisrevintàSamm.–Etvousl’avezquandmêmequittée.–Nousl’avonsquittéeàcausedetoi,répondit-il.Kirasentituneboufféedetiédeurenvahirsoncorps,maissetutpourécouterSammcontinuer.–DécouvrirquetuétaisunePartialatoutchangé.Kira…tueslittéralement,encemomentmême,

cequenousavonsrêvéd’êtrependantpresquevingtans.–Perdue?–Humaine.Tuvieillis.Tugrandis.Tun’espasesclaved’unsystèmedecasteschimique.Lesscans

préliminairesdetoncorpseffectuésparledocteurMorgansuggèrentquetun’esmêmepasstérile.Kirafronçalessourcils.–Commenttusaisça?–Nousl’avonsespionnéedepuistondépart,entâchantdegardertoujoursunelongueurd’avance.

Elletecherchepartout.Toutel’invasiondeLongIslandn’estqu’uneffortdésespérédesapartpourteretrouveretacheversesexpérimentations.–Maiscommentpeut-ellenepassavoircequejesuis?–LedocteurMorganestconvaincuequelesecretdenotredated’expirationaunrapportavectoi,

expliquaSamm.Elleprocèdetoujoursàdesexpériencessurdeshumains,maisresteconcentréesurdeuxobjectifs:elleveutteretrouver,etelleveuttrouverl’Alliance.–Tuveuxdire:sescollèguesdel’Alliance.Cettefois,cefutlePartialquiaffichaunairperplexe,etKiras’expliqua.– Le docteur Morgan fait partie de l’Alliance. McKenna Morgan, spécialiste des

bionanotechnologies et des améliorations de l’humain. Elle a travaillé chez ParaGen pendant desannées…J’aisonCVcomplet,là-haut.Sammsemblaittoujoursdubitatif.–Commentpouvait-elletravaillerchezParaGensiellefaitpartiedel’Alliance?Lesmembresde

l’Alliance ne sont pas des scientifiques humains, voyons ! Ce sont des généraux et des médecinsPartialsquiontprislecommandementdenostroupesaprèsleRavage.Kirapinçaleslèvres.–Onferaitmieuxdemonter.

Afaétaitparti,ne laissantderrière luiqu’un troufumantdans lemurduseptièmeétage : ilavait

utiliséunepetitechargepourperceruneouvertureentrecetimmeubleetceluid’àcôté,ets’étaitenfuipendantqueKirasebattaitcontreHeronetSamm.Ilavaitemportésonsacàdosmaisn’avait riendétruit, et Kira savait qu’il reviendrait bientôt : il ne pouvait pas supporter d’abandonner troplongtemps sa bibliothèque. En attendant, elle guida les deux Partials jusqu’à l’une des sallesd’archives,unancienstudiodeprisedesongarnid’unelargetable,etauxmursentièrementmasquéspardesarmoiresderangement.C’étaitlàqu’Afastockaitsesdocumentslespluscompletsetlesplusprécieux concernant le fonctionnement interne de ParaGen, et Kira les avait étudiés sans relâchelorsqu’ellen’étaitpasentraindecommuniquerparradio.ÀmesurequelaprudencedesPartialsavaitaugmenté, et que l’arméehumaine s’était retirée au-delàde laportée efficacedesondes radio, cespausesétaientdevenuesdeplusenpluslonguesetfructueuses.–D’abord, ceci, dit-elle en suspendant sa lampe à huile à un crochet qui dépassait dumur pour

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déplierunvieile-maildelacompagnie,imprimésurpapier.Ils’agitd’unedemandederendez-vousémanant du directeur financier et adressé aux cadres dirigeants des laboratoires deParaGen.Cettepartie, enhaut, c’est une listed’adressesmail –unpeu commedesnomsde code, si vousvoulez,utilisésparlesystèmeinformatiquepourdistribuerlesmessages.–Onsaitcequec’estquelecourrierélectronique,s’impatientaHeron.–Oui,bon,c’estnouveaupourmoi,d’accord?J’avaiscinqansquandvousaveztoutfichuenl’air,

jeterappelle.–Continue,intervintSamm.KiraregardalesdeuxPartials,remarquantpourlapremièrefoisàquelpointilsétaientdifférents:

Samm,commetoujours,allaitdroitaubut;iln’exprimaitpaslamoitiédecequ’ilressentait,maiscequ’ildisait étaitdirectetutilitaire. Il avait toujoursexpliquéquecettenature taciturneétaituneffetsecondairedu lien :celui-ci transmettait l’essentieldes informationsémotionnelles,quiducoupnepassaientpasparlaparole.LesPartialsseservaientdeleurvoixpourpartagerdesidées,etdeleursphéromonespourcommuniquer lecontextedeces idées :comment ils lesressentaient,s’ilsétaientnerveux,détendusouexcités.Auxyeuxd’unhumainnonconnectéaulien,celalesrendaitfroidsetcommerobotisés.Heron,parcontraste,étaitremarquablementdouéepourlacommunicationàvisagehumain : elle avait recours aux tics faciaux, à lamodulationvocale, à l’argot etmêmeau langagecorporel,d’unemanièrequeKiran’avaitjamaisobservéechezunautrePartial.Dumoins,chezaucunPartialàpartmoi.Maisjesuisàpeinecapablededétecterlelien,etj’aigrandisansyavoiraccèsdutout.Jeparlecommeleshumainsparcequej’aicommuniquéaveceuxtoutemavie.EtHeron,quelleestsaraisond’être?CommeSammlaregardaitavecimpatience,Kirasetournadenouveauverslefeuilletimprimé.–J’aicroisélalistedesdestinatairesdecemessageavecd’autresarchivesquepossèdeAfaici,et

jecroisquecessixpersonnesconstituentl’Alliance…peut-êtrepasdanssonintégralité,maisjesuisconvaincue que la plupart des dirigeants de l’Alliance figuraient dans ce groupe. (Ellemontra lesadressestouràtourenlesénumérant.)GraemeChamberlain,KioniTrimble,JerryRyssdal,McKennaMorgan,NanditaMerchant,et…ArminDhurvasula.Vousconnaissezsansdoutecertainsdecesnoms.– Le général Trimble commande la Compagnie B, dit Samm. Nous savons depuis un moment

qu’elleafaitpartiedel’Alliance…mais,commejel’aidit,l’AllianceestcomposéedePartials,pasd’humains.QuantàcedocteurMorgan…ilyasûrementplusd’undocteurMorgandanslemonde,nousn’avonspasdegarantiequ’ils’agissedelamêmepersonne.– Jetteunœil à sonprofil, rétorquaKira en lui tendant unepetite liassedepapiers, imprimée à

partirdusiteWebdelacompagnie.Ilyaunephoto.Herons’emparadespapiers,Sammlisantpar-dessussonépaulependantqu’ellelesfeuilletait.Ils

s’arrêtèrentsurlaphotoetl’étudièrentattentivement;ellen’étaitpasdelameilleurequalité,maisiln’yavaitaucundoutepossible.MêmesiKiran’avaitpasséquequelquesminutesaveclemédecin,sestraitsétaientgravésauferrougedanssamémoire.Ils’agissaitbiendelamêmefemme.Heronreposalespapiers.–LedocteurMorganestunePartial.Ellepossèdelelien,nousl’avonstousressenti.Elleétaitdéjà

avecnousavantleRavage.ElleestinsensibleauRM.Enfin,voyons!Elleasurvécuàunefusilladeàbout portant au moment de ton évasion… un signe certain de réflexes augmentés, typiques desPartials.C’estimpossiblequ’ellesoithumaine.Kirahochalatêteetfouilladansuneautrearmoirederangement.–J’aiiciunrapportémanantd’unenquêteurdelacompagnie;apparemment,certainsmembresde

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l’Alliances’étaientadministrédesmodificationsgénétiquespropresauxPartials.Lesdirigeantsdelaboîteontprispeurquandilsl’ontsu.–DesmodifsdePartials?Maisqu’est-cequeçaveutdire?–Avantde se lancerdans lebusinessdesorganismesbiosynthétiques, expliquaKira,ParaGena

commencé dans les biotechnologies, pratiquant desmodifications génétiques sur les humains : ilsréparaient les défauts congénitaux, amélioraient la force et les réflexes des gens, donnaientmêmedanslamodifcosmétique,dutypeaugmentationmammaire.Àl’époqueduRavage,quasiment touslesindividusnésauxÉtats-Unisbénéficiaientdecesmodifs,fabriquéessurmesureparParaGenoupar une autre firme de biotechnologie. Ce rapport n’entre pas dans les détails, mais il y estspécifiquement précisé : «Modifications génétiques Partials. » Je pense que certains membres del’Allianceutilisaientsureux-mêmeslestechnologiesfabriquéespourvous…pournous.–Ilssesont implanté le lien,etensuite ils l’ontutilisépournouscontrôler,conclutHerond’une

voixlittéralementvenimeuse.–Maisalors,ilssesonttransformésen…semi-Partials,ditSamm.Il ne le montrait pas de manière aussi évidente, mais Kira vit clairement qu’il était tout aussi

ébranléqueHeron,quoiquepeut-êtrepasautantencolère.Ilréfléchit,puisregardaKira.–Tucroisqueçapourraitêtrecequetues,toiaussi?–J’yaipensé,mais jen’aiaucunmoyendelesavoirsansallervoirdeplusprèslebioscanque

Morganafaitdemoi.Celadit,touslesmédecinsprésentsavaientquandmêmel’airassezcertainsquej’étaisunePartial,passimplementunhybride.IlsontparlédecodesspécifiquementPartialsgravésdansmonADN.Maisjen’exclusrienàcestade.Heronreportasonregardsurlaliste.–Alorscommeça,Morganfaitpartiedel’Alliance.AinsiquetonamieNandita.EllerelevalatêtepourfixerKira,etcelle-cieutsoudainl’impressiond’êtreanalysée–pasparun

scientifique,maisparunprédateur.Elles’attendaitpresqueàcequelaPartialluisauteàlagorge.Ellebaissalesyeux,tropgênéepoursoutenirceregardinquisiteur.–Nanditam’a laisséunmessage,dit-elle. (Ellesortit laphotode lapochedesonsacàdoset la

tenditàSamm.)J’aitrouvéçadansmamaisonilyatroismois;c’estlaraisonpourlaquellejesuispartie.Elle,c’estNandita,etlà,c’estmonpère.ArminDhurvasula.Celafaisaitundrôled’effetdeledire.Pourcequ’elleensavait,cen’étaitpeut-êtremêmepasson

nom à elle. Elle n’avait jamais été officiellement adoptée, du moins elle le devinait, car tous lesarticles qu’elle avait lus datant de l’époque semblaient indiquer que les Partials n’étaient pasconsidérésparlaloicommedespersonnesàpartentière.Ellenepouvaitpasdavantageporterlenomdesonpèrequ’unchienouuntéléviseur.Sammscrutaintensémentlaphoto,sesyeuxnoirsbalayantl’image,tandisqueHeron,poursapart,

s’intéressaitauxdiversdocumentsconcernantl’Alliancequiétaientétaléssurlatable.–Donc, ton père t’a créée chez ParaGen, lâcha-t-il enfin. Il savait que tu étais une Partial. Et ta

tutriceaussi,àLongIsland.–Maisellenem’enajamaisparlé,avouaKira.Ellem’aélevéecommeunehumaine–etmonpère

aussi,jecroisbien.Entoutcas,jenetrouvedansmessouvenirsaucuneraisondepenserlecontraire.Maispourquoi?–Ilvoulaitunefille,ditSamm.

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–Tufaisaispartiedeleurplan,lecontreditHeron.Commenoustous.Simplement,nousnesavonspasencoreenquoiilconsistait,niquelaétélerôledechacundanssaconception.Ellebranditunautree-mail,unqueKiraavaitlulaveilleausoir.–IlestmentionnéiciqueledocteurMorganétaitchargéeduvolet«performancesetspécificités».–Jecroisqueçaveutdirequ’elleprogrammaitvosattributsdesuper-soldats,ditKira.Chacundes

membresdel’AllianceaapportésacontributionàlacréationdesPartials,etlasiennecouvraittouslesgadgetssupplémentairesquifontdevouscequevousêtes : réflexesaugmentés,vueaméliorée,cicatrisationaccélérée,puissancemusculairerenforcée,etainsidesuite.Lerestedel’équipe,desoncôté, tâchait de vous rendre aussi humains que possible.C’est le docteurMorgan qui vous rendaitplus…plustout!–Etellecontinueàcejour,ajoutaSamm,quiposalaphotopourregarderKirad’unairsombre.

J’aientendudesrapporteursdirequ’elle trafiquait legénomedesPartials,etHeronaffirmequ’ellel’avudesesyeux.Heronconfirmasanscesserdeparcourirlespagesétaléessurlatable.–Apparemment,ellenepeutpass’empêcherdebricoler.–Est-cequ’elleessaiesimplementdeleverladated’expiration?voulutsavoirKira.Peut-êtreque,

n’arrivantpasàaccéderauxgènesquivoustuentauboutdevingtans,elleajoutedenouvellesmodifspouressayerdelesinhiber.–Peut-être,concédaSamm,àsupposerqu’unetellechosesoitpossible.Maisprincipalement,elle

pratiqued’autres…bon,comme tu l’asdit :d’autresaméliorations.Elle rendcertainsPartialsplusfortsouplusrapides.Onracontequ’elleamisaupointunebrigadecapablederespirersousl’eau.Plusçava,pluselles’éloignedumodèlehumain.–Ondiraitqu’elleatournéledosàl’humanitéencoursderoute,ditKira.Oupeut-êtrequ’elleya

simplementrenoncé.–Elle avait de l’aide chez ParaGen, précisaHeron en ramassant une nouvelle feuille de papier.

Regardez.JerryRyssdalétaitaffectéaumêmeprojet,maispoursechargerd’uneautrepartie.Kirahochalatête,s’émerveillantdelacapacitédeHeronàtrierlesinformationséparpilléesdevant

elle.Alorsqu’elle-mêmeavaitmisdesjoursàdébusquercesconnexions,laPartialcomprenaittoutenquelquesminutes.–JenesaispasprécisémentquelétaitlerôledeRyssdal,maisjepensequetuasraison.Certains

d’entreeuxtravaillaientenbinôme.–Maispastous?s’enquitSamm.Kirahaussalesépaules.– Franchement, aucune idée. Nous parlons ici des plus grands secrets d’une compagnie

incroyablementsecrète,etd’uncercleinterneencoreplussecretquisembleavoirtravailléàlafoispour et contre la compagnie.Même les informations de base sont enfouies sous des épaisseurs desystèmesdesécuritéetdemessagesélectroniquescodés,etjenepeuxpassavoiraveccertitudesilesindices que j’ai trouvés sont réels ou si c’est de la désinformation destinée à dérouter d’éventuelsobservateurs. Afa a passé des années là-dessus, même avant le Ravage, mais c’est simplement…incomplet. Nous n’avons pas les réponses. Il est… (Kira se tut un instant, hésitant sur les mots àemployerpourdécrirel’étatdubonhomme.)Ilestseuldepuistrèslongtemps,disons-leainsi.Jecroisque ça lui a un peu endommagé la cervelle, mais même abîmé, ce type est encore un génie. Il acommencéàcollecterdesinformationssurlafindumondeavantmêmequ’ellenesurvienne.Iladumatériau sur la guerre d’Isolation, sur l’industrie biotechnologique, sur les Partials, sur… tout. Il

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travaillait chez ParaGen, il gérait en partie le système informatique de la boîte, et c’est de là queviennentlaplupartdecesdocuments.Elleembrassalapiècedugeste,etdevinaqueSammétaitimpressionné.Heron, pour sa part, accueillit ces informations de manière plus passive. Elle sembla s’en

imprégnertoutenétudiantunesérieentièrededocumentsàlafois.Sesyeuxsemouvaientdegaucheàdroitetandisqu’ellelisaitlespapiersétalésdevantelle,etunegrimacesoucieuseenvahitsestraits.–Cen’estpasbon,ça,lâcha-t-elle.Sammrelevavivementlatête.–Quoi?– Morgan est membre de l’Alliance… Nous avons deux idées contradictoires de ce qu’est

l’Alliance, mais dans les deux versions elle en fait partie. Et il semble que cette Alliance soit legroupequiacréélesPartials.–Ça,nouslesavionsdéjà,ditKira.Cenesontpasdesnouvellesenthousiasmantes,maiscen’est

pasunecatastrophenonplus.–C’estparcequetun’espasattentive,lamouchaHeron.Réfléchisunpeu,tuveux?Morganacréé

lesPartials,maiselleignoraittoutdeladated’expirationjusqu’aumomentoùlapremièregénérationacommencéàmourir,ilyatroisans.Commentsefait-ilqu’ellen’enaitriensu?LeremèdecontreleRMest inclusdans le systèmephéromonaldesPartials, et ça aussi, elle l’ignorait.Toi, tu esungenredePartialderniercri,etellen’avaitmêmepasconsciencedetonexistence.LesimplicationsfrappèrentKiracommeuncoupdepoingdansleventre,etelleselaissatomber

surunechaise.–Eneffet,cen’estpasbon.–Jenecomprendspas,ditSamm.Lestroischosesquevousvenezdementionnern’ontrienàvoir

aveclesaméliorationsphysiquessurlesquelleselletravaillait.Cen’estdoncpastrèsétonnantqu’ellen’aitpasétéaucourant.Pourquoiest-cesiimportant?–Parcequeçaveutdirequ’ilsnesontpascommenouslepensions,luiexpliquaKira.Ilsnesont

pascequenouspensionsqu’ilsétaient.Jesuisicidepuisdeuxmois,àessayerdetrouverl’Allianceparcequejecroyaisqu’ilsmaîtrisaientl’ensembleduprocessus:quec’étaitunebandedegéniesoujenesaisquoi,enpossessiond’unplanprécispourlefonctionnementexactdesPartials.GuérisonduRM,détails sur l’expiration, réponses surmonstatutdans le tableaugénéral, tout.Maismaintenantquenousensavonsenfinunpeuplussureux,ilssontjuste…(Ellesoupira,comprenantenfin.)Sicequ’estentraindedireHeronestvrai,alorsilssontaussifragmentésquetoutlemonde.Ilssecachentdeschoseslesunsauxautres;chacunsemêleensecretdutravaildesescamarades.Jecomptaissureuxpourtrouverdesréponses,maisjecommenceàcroirequ’ilsnelesontpasnonplus.–Etsieuxnelesontpas,complétaHeron,personnenelesa.Samm resta muet, perdu dans ses pensées. Kira envisagea le problème sous des angles divers,

repassantenrevuetoutcequ’ellesavaitàproposdel’Alliance.Chacundesesmembres,séparément,devait bien être toujours détenteur de certaines réponses à ses questions, pas vrai ? Elle pouvaitencore les retrouver, comme Nandita lui avait dit de le faire, et elle avait encore des choses àapprendre.S’iln’yavaitpasdeplanétabli,ellepourraitenmettreunsurpied.Etpeut-êtreexistait-ilunmembredel’Alliance,quelquepart,quisavaittout,quiavaitsuperviséleprojet,quipourraitluidirecommentlesélémentssecombinaient.Etquelleétaitsaplace.Ilfallaitqu’elleycroie.CefutSammquibrisalesilence.

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–Etlesscientifiquesquionttravaillédirectementsurtoncas?demanda-t-il.Tonpère,Nandita…quelleaétéleurcontribution?–Monpère s’occupait du systèmedephéromones, cequimeparaît logique : jen’ai pas le lien

complet,maisj’enpossèdeuneversion.Ilmel’apeut-êtrefabriquésurmesure.–Quellespartiesdulienpossèdes-tu?s’enquitHeron.–Aucune idée. J’ai suquevousm’attendiezdans l’escalier,etvoussaviezque jevousattendais,

maisencemomentmême,jenereçoisriendevous.Heroneutuneexpressionmi-moqueuse,mi-curieuse.–Nousavonssuque tuétaisdans l’escalierparceque tuesdiscrètecommeuncaribou.Aucune

donnéesurtoinenousestparvenueparlelien…pasplusquemaintenant.–Maismoi,jevousaisentis.Jesavaisprécisémentoùvousétiez.–Intéressant,reconnutlaPartial.KirapivotaversSamm.–Ettoi?Ellerepensaàlaconnexionqu’elleavaitressentieavecluiaulaboratoire,ets’inquiétasoudain.–Est-cequeturessensquelquechosevenantdemoi?Ellesesentaitbêtedeposercettequestion,commeuneécolière,etneputserésoudreàenformuler

lasuite:as-tujamaisressentiquelquechose?Ilsecouanégativementlatête.–Rien…encemoment.–Etparlepassé?voulutsavoirHeron.–Je…jenesaispastrop.Que veut dire ce regard ? se demandaKira.Pourquoi faut-il que ces idiots dePartials soient si

difficilesàdéchiffrer?–Peut-êtrequ’ellepeutseulementrecevoir,avançaHeron,maissansavoirlacapacitéd’émettre.–Àmoins que la fonction émettrice n’ait été désactivée d’unemanière ou d’une autre, suggéra

Samm.Maisjenevoispaspourquoi.–Pourm’empêcherd’êtrerepéréeparlesautresPartials,ditKira,oupourmeprotégerd’eux.Je

n’aijamaisétésoumiseaux«ordres»dontvousparliez,nonplus.QuandledocteurMorganavouluteforceràluiobéir,jen’airiensentidutout.Sammavaitl’airsombre.–Estime-toiheureuse.– Je me demande si elle est un modèle espion, s’amusa Heron. Force et réflexes légèrement

boostés, physique attrayant, intelligence accrue, talent pour la communication humaine, etapparemment,conçuepourl’indépendance.Çacolle.–Parcequevousavezdesmodèlesespions?s’étonnaKira.À cesmots, Heron éclata de rire, et Samm inclina la tête sur le côté, arborant l’expression de

confusionlaplushumainequeKiraluiavaitjamaisvue.–Àtonavis,quelleestlafonctiondeHeron?–Maissijesuisuneespionne,quelleestmamission?Vouscroyezquejevaismeréveillerunjour

avecuntéléchargementdedonnéesmedisantd’allerassassinerunsénateur?Commentauraient-ilspuplanifierunechosepareillecinqansavantleRavage?

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–Jen’enaipaslamoindreidée,avouaHeron.Jedisjustequec’estunepossibilité.– Bon, avançons, proposa Samm. Dhurvasula a conçu le programme phéromonal. Et Nandita,

alors?– Encore un grand point d’interrogation, reconnut Kira. Nandita et un dénommé Graeme

ChamberlaintravaillaientsurunélémentappelélaSécurité.DetoutcequientraitdanslafabricationdesPartials,c’estclairementl’élémentleplussecret.Jen’aiabsolumentaucundocumentexpliquantcequec’était,cequecelafaisait,nimêmequil’avaitexigé.–Quesais-tusurceChamberlain?s’enquitSamm.Jen’aijamaisentenduparlerdelui.Qu’est-ce

qu’ilestdevenu?–Ça,jepeuxteledire,maisjetepréviens,çavatefaireflipper.(Elleouvritunechemisecartonnée

dontellesortitune feuilledepapierunique :uncertificatdedécès.)Aussitôtaprèsavoirachevé laconceptiondecettefameuse«Sécurité»,ils’estsuicidé.Toustroisseturent.Kiraavaitétudiédelongenlargelesarchivesd’Afa,etl’informationdontils

avaientbesoinn’yfiguraittoutsimplementpas.Cesdocumentssoulevaientdesquestionsterriblementintrigantes, notamment à propos de Chamberlain, mais n’y répondaient pas. Les secrets les plusimportantsétaienttoujoursenfermésquelquepart:quiétaientréellementlesmembresdel’Alliance?Pourquoiavaient-ilscrééleRM?Enquoiconsistaitleurdispositifappelé«Sécurité»?Etmoi,quesuis-je?s’interrogeaKira.Quelleestmonutilitédans toutcela?Sans informations

supplémentaires,impossibledelesavoir.CefutSamm–toujourspragmatique,toujoursdirect–quibrisaunefoisdepluslesilence.–Ilfautquenouspartions.–Pouroù?luidemandaKira.–ChezParaGen.Làoùilstravaillaientlorsqu’ilsontpriscesdécisions.Silesréponsesnesontpas

ici,c’estleseulendroitoùellespeuventsetrouver.–Çanevapasêtrefacile,commentaHeron.Kiraconfirmadelatête.–LesiègedeParaGenétait àDenver. Jeneconnaispas lagéographiede l’ancienmondesur le

boutdesdoigts,maisjesuisàpeuprèssûred’unechose:cen’estpaslaporteàcôté.–En effet, c’est loin, ditHeron, et la route pour s’y rendre, selon toutes les estimations, est un

véritableenfer.–Bah, nous sommesbien arrivés jusqu’ici, lançaKira avecungrandgeste des bras.Est-ceque

Denverpeutvraimentêtrepire?–Pourêtrehonnête,nousnesavons riensurDenver,ditSammen jetantun rapidecoupd’œilà

Heron.MaislaplusgrandepartieduMidwestestimpraticable,àcausedeHouston.Ilyavaitlà-baslaplus grosse raffinerie de pétrole et de gaz du monde, à l’époque du Ravage, et en l’absence depersonnelpourl’entretenir,lesites’estdégradé.Ilafiniparprendrefeu–àcausedelafoudre,peut-être,onn’ensait rien–,et ilbrûle toujoursdixansplus tard,créantunnuagedevapeurs toxiqueslargedemillecinqcentsàdeuxmillekilomètres.ToutelarégioncentraledesÉtats-Unisestundésertempoisonné,partoutoùcesgazsontsoufflésparleventdugolfeduMexique.Kiraécarquillalesyeux.–Ettuveuxnousemmenerlà-bas?Sammgardaunvisagedemarbre.–Jen’aijamaisditqueceseraitunepartiedeplaisir,maissic’estlaseulesolution…

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–Cen’estpaslaseulesolution,protestaHeron.OnpourraitfairevenirledocteurMorgansur-le-champetmettrefinàl’affaire:latraque,laguerre,tout.Noussavonsdésormaisquemêmes’illuimanquedesconnaissancessurleRMetsurl’expiration,elleensaitplusqu’elleneveutbienledire,etlesinformationsdontnousdisposonsluisuffiraientpeut-êtrepourtrouvercommentnoussauver.Nousn’aurionspasàtraversercecauchemarempoisonné.–ElletueraitAfa,ditKira.–Probablement.–Elletueraittoutlemonde,continuaKiraavecdanslavoixunefermetéd’acier.Cequ’elleveut,

c’estrésoudreleproblèmedeladated’expiration…–C’estexactementcequejedis.–…maismoi,jeveuxrésoudrelesdeuxproblèmes.L’expirationetleRM.Lesdeuxsontliéspar

lesPartials,etparParaGen,etenmettantlamainsurlesarchivesdeParaGen,nouspourronstrouverles solutions. Alors que si nous renonçons en nous rangeant du côté de Morgan, c’est la fin del’humanité.–Leshumainsvivront,parcequeMorgancesseradelestuerentecherchant.– Alors cela prendra quelques décennies de plus, mais ils s’éteindront quand même. Le RM

continueradesévir,ilsnepourronttoujourspassereproduire,etl’espècehumaines’éteindra.–Ilnet’estjamaisarrivédetedirequel’heuredesonextinctionétaitpeut-êtrevenue?demanda

Heron.Kiraeutl’impressionderecevoiruncoupdepoingenpleinefigure.–Peut-êtrequeleshumainsontfait leurtemps,poursuivit laPartial,etquec’estaujourd’huiaux

Partialsd’hériterdelaTerre.Kiraréponditlesdentsserrées.–Jen’enrevienspasquetudisesunechosepareille.–C’estparcequetuteprendsencorepourunehumaine.–Non,c’estparcequejemesouciedesgensetquejeneveuxpasqu’ilsmeurent!–DesPartialsmeurenttouslesjours.Eteux,tut’enfiches?–Jetel’aidit,j’essaiedesauvertoutlemonde…– Et si tu n’y arrives pas ? La traversée du continent est une expédition incroyablement

dangereuse…Imagine,sionnes’ensortpas?Ousionarrivelà-bas,maisqu’onn’ytrouveaucunesolution?EtsionmettellementlongtempsquelesPartialsseronttousmortsavantnotreretour?Jenevaispasmettreleurexistenceendangersousprétextequetun’arrivespasàchoisirtoncamp!LesyeuxdeHeronflamboyaientdecolère,maisKirasoutintsonregardsanssetroubler.–J’aichoisimoncamp,affirma-t-elleavec leplusgrandsérieux.C’est lecampde tous.Etc’est

exactementquijesauverai:toutlemonde.Heronlafoudroyaitduregard;ellegrondaitpresquecommeunchien.Sammrepritlaparole,avec

sonattitudetoujoursimpassible.–Sinousvoulonspartir,ilfautlefairetoutdesuite:plustôtonseraenroute,plusviteonserade

retour.Et,Heron,nousavonsbesoindetoi.Sanstoi,nousn’yarriveronsjamais.Kiralesregardatouràtourenrassemblantsoncourage.– Si on fait ça, il faut le faire bien. Toutes les informations qui nous attendent là-bas seront

certainement enfermées dans des ordinateurs, et lourdement cryptées. Vous savez commentcontournercegenrededispositifs,vous?

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Sammfitnondelatête;Heronsecontentad’unregardmauvais.Kirasoufflalonguement,lentement.–Bon.IlvafalloirmettrelamainsurAfa.

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CHAPITRE16

Heron retrouva Afa dans un drugstore du quartier, niché au fond d’un mini-bunker qu’il avaitvisiblementpréparédesannéesplus tôt. Il refusad’ensortir, répétantsur tous les tonsqu’ilétait ledernier humain sur Terre et qu’il ne devait jamais abandonner son sac à dos. La Partial retournachercherKira–principalementparcequ’assommerAfal’auraitobligéeàletraînerjusquechezluietque cela la fatiguait d’avance –, et Kira tenta de le convaincre sans perdre son calme. Leur petitgroupepouvaitvraimentsepasserd’unenouvellecrise.–Nousavonsbesoindetonaide,luidit-elle.Ledrugstore, de taille réduite, était inclus dans unbâtiment plus grand. Il n’y avait plus rien de

comestibledanssesrayons.Lesolétaitcouvertdepoussièreetsillonnédetracesd’animaux.Afaseterrait dans l’arrière-boutique, porte fermée, et avait apparemment poussé quelque chose de lourdcontrelebattant.Kiranevitd’explosifsnullepart,maiscelanesignifiaitpasqu’iln’yenavaitpas.–Cesgenssontmesamis,etilsontbesoindetonaide.Ilfautquetunousdisescommentfairepour

alleràDenver.–Iln’yaplusdeDenver,réponditAfa.Kira reconnut dans sa voix les inflexions distantes, l’expression détachée, à demi absente, qui

indiquaientqu’ils’étaitretirédanssastupeurprotectrice–peut-êtreplusloinqu’ellenel’avaitjamaisvu.L’attaquedesonimmeublel’avaitprofondémentchoqué.–Jesuisledernierhumainsurlaplanète.–Lesgensn’yviventplus,ditKira,maislavilleesttoujourslà.Lesarchivesaussi.Nousvoulons

t’aideràachever tonœuvre–à trouver toutes lespiècesmanquantesquiconcernent l’Alliance, lesPartials,laSécurité.Tuneveuxdoncpasdécouvrircequetuignoresencore?Afaréfléchit.–J’aitoutdansmonsacàdos,dit-ilenfin.Jenemeséparejamaisdemonsacàdos.– Tu as presque tout. Tu n’as pas l’Alliance : leurs plans, leurs formules, leurs secrets, leurs

raisons,voilàcequitemanqueencore.Nousavonsbesoindecesinformations,Afa,c’estpeut-êtreleseulmoyendenoussauver,leshumainscommelesPartials.–Tropdangereux,marmottaAfaentresesdents.Tuserasbrûlée.Empoisonnée.KirajetaunregardàSamm,puissetournadenouveauverslaporte.– Nous prendrons toutes les précautions possibles. Mes amis sont les meilleurs guides que je

connaisse pour partir dans la nature, et je suis moi-même très débrouillarde. Nous savons nousdéfendre,transporternotreeau,nousgarderdesanimauxsauvages…nouspouvonsyarriver.Crois-moi,Afa,nouspouvonsobtenirlesarchivesquitemanquentencore.– Je crois que tu lui survendsunpeu la balade, chuchotaHeron.La zone toxique sera un enfer,

mêmeaveclameilleurepréparation.–Iln’estpasobligédelesavoir,luisoufflaKiraenretour.Laboutiqueétaitplongéedanslesilence.LestroisPartialsétaientsuspendusauxlèvresd’Afa,qui

réfléchissait.Desoiseauxvoletaientàl’extérieur,entrelesimmeublesdémolis,sousleregardattentifd’un chat perché sur une haute fenêtre. Le soleilmatinal transformait les carcasses de voitures enombresindistincteslelongdesrues.

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–VouspourriezalleràChicago,finitparlâcherAfa.Kiratournavivementlatêteverslaporte.–Quoi?– ParaGen se trouvait à Denver,mais les données étaient centralisées à Chicago. (Sa voix était

maintenantplusclaire,pluslucideetassurée.)Tuterappellescequeje t’aiditsur lenuage,Kira?Touteslesinformationsdunuageétaientstockéesquelquepart,physiquement,dansunordinateur,etl’essentiel de ce stockage physique était fait dans des locaux immenses qu’on appelait des datacenters,descentresdedonnées.CeluideParaGenétaitàChicago.–Maispourquoin’auraient-ilspasgardéleursdonnéesdansleurspropresbureaux?–Parcequelenuageannulaitlesdistances,expliquaAfa.Kira entendit un loquet tourner, puis un autre, puis encore deux. La porte s’entrouvrit, mais

l’hommerestacachéderrière.–Stocker les informationsnumériquesàChicago revenait aumêmeque les stocker àDenver, à

Manhattanoujenesaisquellevilleencore,puisqu’onpouvaityaccéderden’importeoù.Entantquedirecteur informatique, j’étais en liaison constante avec le centre de Chicago, pour gérer lesautorisations,lasécurité,veilleràcequepersonned’autrequenousn’aitaccèsauxdonnées.Jevousgarantisquetoutcequiétaitdématérialisésetrouvedanscecentre-là.–Sic’estsifacile,s’enquitSamm,pourquoin’es-tupasallécherchercesinfosplustôt?–C’estquandmêmeàmillecentquarante-cinqkilomètresd’iciàvold’oiseau,encoreplusquand

onnepeutpasvoler,commevousetmoi.Jenepeuxpasallersi loin : il fautquejereste icipourgardermesarchives.–Maisnousavonsbesoindetoi,Afa,insistaKira.Nousn’yarriveronspassanstoi.–Jenepeuxpasyaller.–Onn’apasbesoindelui,tranchaHerond’unevoixassezfortepourqu’ill’entende–etilsembla

àKiraquec’étaitfaitexprès.–Lescentresdedonnéesfonctionnentàl’électricité,bienévidemment,dit-elle.Ilnousfaudradonc

réactiverlegénérateurauxiliaire,quinetiendrapasbienlongtemps.Cela,déjà,seradifficile.Puisilfaudra encore trouver quels serveurs contiennent les archives de ParaGen, puis quel serveur deParaGen contient les dossiers de l’Alliance, et quels dossiers de l’Alliance contiennent lesinformationsquenousvoulons, le tout encontournant lesprotocolesde sécurité lespluspuissantsquel’argentdel’ancienmondepouvaitacheter.–Moijesaisdéjàtoutça,fanfaronnaAfa.Jetrouveraisfacilement.Heronsourit.–Alorsviensnousaider,répétaKira.–Jenepeuxpasabandonnermesarchives.–Oh, j’y arriverai très bien toute seule, se vantaHeron avec un souriremalicieux, essayant de

défierl’expertised’Afa.Onn’apasbesoindelui.–Vousn’yarriverezjamais,ditlegroshomme.–Pensez-vous!Unefoisqu’onauratrouvélesbonsfichiers,ilsuffiradedécoderlesdonnéesetde

télécharger le tout sur unportable avant que le générateur nenous lâche.Nousn’aurons sûrementdroit qu’à un essai. Ça va être quelque chose ! Extirper un fichier informatique des ruines d’unecivilisationécroulée…Ceseraunpeucommepiraterlespyramidesd’Égypte!Laportes’ouvritunpeuplusgrand,etHeroneutunhochementdetêtetriomphal.

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–Vous savezvousdébrouillerdans lanature,déclaraAfa.Vousêteséclaireurs, c’est cequ’aditKira.Maisvousneconnaissezrienàl’informatique.–J’ensaisbienassez.Laportes’ouvritencoreunpeuplus.–Ahoui?Voussavezcontournerunpare-feuNostromo-7,peut-être?Kiraentenditladifférencedanssavoix:Afas’animait,réveilléparcetteconversation.Elleavait

cruqueHerontentaitdejouersursonamour-propreenprétendantêtremeilleurequelui,maisc’étaiten réalité plus subtil que cela : elle lui présentait un défi tellement stimulant, et correspondanttellementàsondomained’expertise,qu’ilnepouvaits’empêcherdes’yintéresser.Kiraavaitfaitplusd’unefoislamêmechoseavecMarcus,aucoursdeleursrecherchesmédicales.–Çanemeplaîtpas.C’estdangereuxdel’emmener,intervintSammàmi-voix.–Cen’estpassansdangernonplusdelelaisserici,objectaKira.LedocteurMorganmecherche,

aussi,tusais?Peux-tuaffirmerqu’ellenefinirapaspartrouvercettestationderadio?Elleneserapastendresielletrouvequelqu’undedérangécommeluiici.–Iln’estpasseulementdérangé,ditSamm.C’estunposeurdebombesparanoïaque,imprévisible

etincontrôlable.Sinousl’emmenonsdanslanatureavecnous,ilyaautantderisquesqu’ilnoustuequedechancesqu’ilsoittué.– Et quelles sont les autres solutions ? Nous ne pouvons pas simplement demander de l’aide à

Morgan,primoparcequ’elleestméchante,etdeuzioparcequ’ellenesaitriensurmesorigines,surl’expirationnisurlaSécurité.SinouspouvionstrouverNandita,ceseraitsuper,maislapopulationentièredeLongIslandlacherchedepuisdesmoisetelles’estvolatilisée.–OnpourraitparleràTrimble,suggéraSamm.SilaCompagnieBnenoustirepasdessusàvue.–Àsupposerqu’ilrestequelquechosedelaCompagnieB,précisaHeron.Morganlesadébauchés

enmasse.MaisTrimblen’arienàvoiraveclesphéromones,laSécuritéoul’expiration,entoutcasrien dans les documents que tu nous as montrés ne l’indique. Elle n’en saura pas davantage queMorgan.Kira,àcesmots,ouvritdesyeuxronds.–ParcequetusaisoùestTrimble?–ElledirigelaCompagnieB,répétaSamm.Morganetellesontlesprincipalesreprésentantesde

l’Alliancedepuisdesannées…désormais,noussavonsqu’ellen’enestpasunsimpleporte-parole,maisqu’elleenfaitpartie.– La Compagnie B est à couteaux tirés avec la Compagnie D, précisa Heron. L’essentiel de la

guerrecivilequetuasvue,icisurlecontinent,estuneguerreentreellesdeux.–Ceseraittoutdemêmeplusfaciledesauverlemondesilesgensqu’onessaiedegarderenvie

évitaientdes’entretuer,soupiraKira.Laported’Afas’ouvritencoreunpeuplusgrandetilsortitlatête.–Vousnem’avezpas réponduàproposdesNostromo-7, j’endéduisquevousne savezpas les

contourner.Moi,si.Sammleregarda.–Onnedevraitpasfaireça,chuchota-t-il.–Ilaunbonfond,luiassuraKira.–Ilestfou.–Ça, je le sais !Ça neme plaît pas plus qu’à toi,mais que veux-tu qu’on fasse ?Heron, es-tu

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capabledefaireuneseuledeceschosesdonttuparlaistoutàl’heure?Est-cequ’aumoinstuconnaisquelqu’unquisaurait?Afaestimprévisible,oui,jelereconnais,maisquandsatêtetravailledanslebonsens,ilserévèleabsolumentbrillant.–Quandsatêtetravailledanslebonsens,répétaSamm.–Onlesurveillera!Onletientéloignédesarmes,detoutcequipeutexploser,onfaitlenécessaire

pour qu’il soit toujours content, lucide et amical. (Un silence.) Il n’y a que comme ça que nous yarriverons.LesPartialslaregardaientfixement.Sammseretournaverslarue.–Ilvanousfalloirdeschevaux.–Oniraplusviteàpied,objectaHeron.–Toietmoi,oui.MaispasKira,etencoremoinsAfa.Àl’écouterrespirer,jediraisqu’ilpèseau

moinscentcinquantekilos.–Tupeuxdevinersonpoidsenl’écoutantrespirer?s’étonnaKira.–Sonsouffleestlaborieuxetirrégulier.Ilsuccomberaàunecrisecardiaqueavantqu’onaitfaitla

moitiéduchemin.–IlyauncampdePartialspastrèsloinaunord-estd’ici,ditHeron.Unpostedesurveillancedela

CompagnieAdansleBronx.OnnepeutpasdirequelaCompagnieAsoitfranchementamieaveclaD,maisellenecherchepasleconflitnonplus.Sammetmoipourrionsfaireuneincursiondiscrètechezeux,leurvolerdeschevauxetvousretrouverlà-bas,surlepontGeorgeWashington.–Vousvoulezentrerpareffractiondansunpostedesurveillance?–Ilyatrèspeudemonde,siloinverslesud.Ilsnesontlàquepourgarderunœilsurvotrebase

militaire,del’autrecôtédelabaie.Nousarriveronsd’uneautredirection,ilsnesedouterontderien.– Ça me paraît quand même plus difficile que tu ne veux bien le dire. Vous êtes des Partials,

d’accord,maiseuxaussi.–Oui,maisaucunn’estmoi!lançaHeron,quitournalestalonsets’enalladanslarue,balançant

sonfusilsursonépaule.Sionestdécidés,allons-ytoutdesuite.Rendez-vousdemain,àmidi,surcepont.Soyezprêts.Etsurcesmots,ellepartit.–Midi,demain,ditSamm.Ilhésita,unemainlevéeprèsdubrasdeKira,puissuivitHeron.KiraseretournaversAfa,quisecachaittoujoursderrièresaporteentrouverte.–Tuasentendu?luidemanda-t-elle.Nousavonsunejournéeetdemiepournouspréparer.Allez,

c’estparti.–Tucroisquejesuisdérangédansmatête?Kirasentitsesjouess’embraser.–Pardon,dit-elledoucement.Jenesavaispasquetunousentendais.–J’aitoutentendu.– Je crois… (Elle s’interrompit, cherchant lameilleuremanière de le dire.) Je veux qu’on soit

réalistes,Afa.Tuesquelqu’undebrillant,etjel’aiditégalement.–J’aientendu.–Maistuesaussi…incohérent.Incohérentdanstescompétences,jesuppose.Jesaisquec’estdurà

entendre,mais…–Jesaiscequejesuis.Jefaisdemonmieux.Maisjesaiscequejesuis.

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–Tuesmonami,affirmaKira.Jeferaitoutcequiestenmonpouvoirpourt’aider.Il sortit de sa cachette. Sa brillante lucidité l’avait quitté, et il ressemblait plus que jamais à un

enfantgéant.–C’estmonsacàdos,dit-ilensoulevantlesacpourlepassersursesépaules.Jenequittejamais

monsacàdos.Kiralepritparlebras.–Rentronscheztoiremplirunsacpourmoi.

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CHAPITRE17

Marcuscouraitd’unarbreàl’autrelelongdel’ancienneruedeKira,attentifàtoutcequipouvaitsortir de l’ordinaire : un froissement de feuillesmortes, un visage ou un corps, une porte ou unefenêtre brisée. L’armée des Partials se trouvait à une heure et demie à peine, en train d’écraser ladernièrerésistancedesForcesdedéfense.Ilfallaitabsolumentqu’ils’enailled’EastMeadow,maisilavaitunechoseàfaireavant.LamaisondeXochi,commetouteslesautreshabitationsdelaville,étaitfermée,lesvoletsclos.Il

frappaàlaporte,sanscesserdesurveillerlesarbresavecsuspicion–aprèstout,c’étaitdanscejardinqueHeronl’avaitabordé.Ilentenditunloquetcoulisser,etXochiouvrit.–Entre,luidit-elleàlahâte.Ellesepressaderefermerauverrouderrièrelui.La maison baignait dans une odeur de basilic, de muscade et de coriandre, un vrai concert

d’arômesluttantpourlasuprématie.Xochiposalefusildechassequ’elleavaitdanslesmainspourseremettreàfairesesbagages,etMarcusrestagauchementplantéaumilieudelapièce.–Qu’est-cequit’amèneici?luidemandalafilleenrelevantlesyeuxdesonsac.Jet’auraiscruen

routepourlaplanque,àcetteheure-ci.XochietIsoldeavaientdésignéunpointcentralsurl’îleoùleurbanded’amispouvaitseréfugiersi

jamais la Défense abdiquait – ou plutôt, le jour où elle le ferait. Marcus ne répondit pasimmédiatement,cherchanttoujoursparoùcommencer.Lesquestionsnemanquaientpas,maisXochiaccepterait-elle seulement d’aborder le sujet ? Remarquant son indécision, elle fit un geste endirectiondelacuisine.–Tuasbesoindequelquechose?De l’eau? J’aiuncageotdecitronsque jen’emportepas, je

pourraisnouspréparerdelacitronnadeenvitesse.–Non,çava.–J’enaipourtrentesecondes,çanemedérangepassitu…–Non,merci.Marcus remua lamâchoire et les lèvres, commepour préparer sa bouche à la conversation qui

allaitvenir,maiscen’étaitqu’unetactiquepourgagnerdutemps.Ilnesavaittoujourspascomments’yprendre.Ils’assit,puissereleva,nerveux,etindiqualecanapéàsonamie.–Assieds-toi.Xochifitcequ’illuidisait.–Quesepasse-t-il,Marcus?Jenet’aijamaisvucommeça,dit-elled’unairgrave.–J’aiparléavecKira.Xochiouvritdegrandsyeuxincrédules,etilconfirmad’unhochementdetête.–Lapremièrefois,c’étaitilyatroissemaines,quandHaruetmoiétionsaufront.Depuis,ons’est

reparlésix,huitfois.Jenesaispasoùelleest,maiselleécoutaitnosfréquencesradioainsiquecellesdes Partials et elle nous a donné des informations – pas assez pour nous faire gagner la guerre,évidemment,maisdequoiéviterquenoussoyonstués,Haruetmoi.

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–Ellevabien?–Oui,çava.Elleestenmeilleureposturequenous,entoutcas,maisçachangeravites’ilsmettent

lamainsurelle.EtledocteurMorganyconsacretoutessesressources.–C’estcequem’aditIsolde,confirmaXochi.Apparemment,cetteinvasionentièren’apourseul

objetquedelaretrouver.Tusaispourquoi?– Non. Kira refuse de me le dire. Elle se comporte bizarrement depuis qu’elle est revenue du

laboratoiredudocteurMorgan,commesionluiavaitfaitquelquechosedontelleneveutpasparler.–C’étaituneexpériencetraumatisante.–Jesais,jesais,maisenfin…Jepeuxteposerunequestion?Quelesttonplusanciensouvenirde

Kira?Xochijouaitaveclessanglesdesonsac:toutenrépondant,ellelesroulaencylindresserrés.–C’étaitàl’école.L’ancienne,prèsdel’hôpital.JevivaisdanslesfermesavecKesslerdepuisdeux

ans,maisonsedisputaitcommedeschiffonnières–déjààl’époque!–,alorsquandj’aieuhuitans,ellem’aenvoyéeàl’écoleàEastMeadow.Marcussouritpresqueàl’évocationdecesouvenir.–TuastabasséBenjiHauldèslejourdelarentrée.Xochihaussalesépaules.–C’étaitmérité.J’aipassél’après-midienretenue,etKiraétaitlàaussi.Jenesaispluscequ’elle

avaitfait,peut-êtremislefeuaveclephosphoredesampoulesélectriques,oujenesaisquoi…entoutcas,unedecesexpériencesmaboulesquevousfaisieztoutletemps,elleettoi.–EtNandita?–Quoi,Nandita?–Quandas-tufaitsaconnaissance?Peuaprès?–Non,c’étaitaumoinsunanplustard.Jenevenaisjamaisiciparcequejedevaisresteràl’école–

surl’ordredeKessler–,etjenevoyaisjamaisNanditalà-basparcequejecouraismecacherchaquefoisqu’ilyavaitdesjournéesparents-professeursoucegenredemanifestations.J’avaisdéjàassezdeproblèmescommeçaavecmafaussemère, jen’allaispasenplusme tapercellesdesautres.Maispourquoimeparles-tudeNandita?Marcussepenchaverssonamie.–Jenet’aipastoutdit,avoua-t-il.TutesouviensdelaPartialquiasuiviSamm,quandonestpartis

dulaboratoiredeMorgan?Uneespècedetueuse.Sammaditqu’ellenousépiaitquandonestmontésdanslebateaupourrentrer.–Jemerappelle,oui.Etalors?–Elleestvenueici.Ilyaquatreoucinqsemaines.Danslejardin.–Ici?–EllecherchaitKira,maisaussiNandita.ElleavaitunephotodeKiraetNanditaensemble,avantle

Ravage,touteslesdeuxdevantl’immeubledeParaGen.Xochisefigea.–NanditaneconnaissaitpasKiraavantleRavage.–C’estcequejecroyais,moiaussi.Est-cequ’ellesl’ontdéjàdit,réellement?–Nanditaracontaitvolontierscommentelleavaitrecueillichacunedesfilles,bégayaXochi.Elle

avaittoutessortesd’anecdotessurlamanièredontellelesavaitrencontrées…–Etquelleétaitl’histoire,pourKira?

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Xochitirasursalèvreinférieurepourréfléchir.– Elle l’avait trouvée sur le continent, dans un camp de réfugiés.Un vaste groupe de soldats –

américainsoualliés,jenesaisplus–estarrivéunjouravecunepoignéedesurvivantsqu’ilsavaientramassésenroute,etNanditaavuKiraquiinsultaitundesgardesparcequ’iln’avaitpasdedessertàluidonner.Marcushaussalessourcils.–Ellel’insultait?Xochipouffaderire.– Tu connais Kira, non ? C’est une boule d’énergie maintenant, et elle était déjà comme ça à

l’époque.Nandita l’appelait«mapetiteexplosion», tusaisbien.D’autrepart,elleavaitcinqansetellevenaitdepasserjenesaiscombiendetempssanspersonned’autreàquiparlerquedessoldats,alorstuimagineslevocabulairequ’elleavaitdûapprendre!Lemilitaireseconfondaitenexcusesàproposdudessert…devantcettepetitemaigrichonnequiremettaitsérieusementencauselamoralitédesamère,tuvoisunpeuletableau!NanditaestintervenuepourapprendrelesbonnesmanièresàKira.(Xochieutunsourirelointain.)Jepensequ’enréalité,elleavaittrouvélasituationtropadorablepournepass’yarrêter,maiselleatoujoursprétenduqu’elleavaitfaitçapourl’éduquer.–Pourl’éduquer?–Elleneparlaitquedeça, toujours :ellesedevaitd’éduquersesfilles.Jenesaispascequ’elle

voulaitleurenseigner,pourtant:c’estàmoiqu’elleaapprisàherboriser.– Si Nandita connaissait déjà Kira avant, réfléchit Marcus, pourquoi aurait-elle prétendu le

contraire?–Tum’asbienditquelaphotoavaitétéprisedevantunbâtimentdeParaGen?–Oui.–Ehbien,sielleétaitimpliquéeavecParaGen,jecomprendsqu’ellenel’aitpascriésurlestoits.

PlusieursemployésdeParaGenontétélynchésdanslespremiersjoursquiontsuivileRavage,avantqueleSénatnes’organiseetnecommenceàimposerl’ordre.Sij’avaistravaillépourlasociétéquiavaitdonnélejourauxPartials,mêmecommefemmedeménage,jel’auraisbouclée.–MaisquelrapportavecKira?– Je cherche… Voyons, réfléchissons. Aucun de ceux qui se sont retrouvés sur cette île ne

connaissaitlesautres.LapopulationdesÉtats-Unisétaitbrusquementtombéedequatrecentcinquantemillionsàquarantemilleindividus.Àpeuprèsunepersonnesurmilledeuxcents…leschancespourquedeuxd’entreellesseconnaissentétaientinfimes,etdanslesquelquescasexistants,commeJaydenetMadison,ledocteurSkousenetsesmédecinslesontinterrogésdanstouslessenspouressayerdeleur trouver un facteur de survie commun. SiNandita était arrivée en clamant queKira et elle seconnaissaientdepuisunboutdetemps,ilsseseraientacharnésàluiextorquertouteslesinformationsjusqu’à ladernière.Et si unede ces infos était qu’elle avait travaillé chezParaGen, elle avait sansdoute peur, et non sans raison, d’être emprisonnée et interrogée, voire pire…peut-être tuée, étantdonnélacolèredesgens.–Touteslesinformationsjusqu’àladernière,répétaMarcus,àmoitiépourlui-même.Jeregrette

presquequ’ilsnel’aientpasfait.–Quoi,tuerNandita?–Non,qu’ilsnel’aientpasinterrogée.Ilposal’indexsurlatablebasse,traçantdesmotifssurlegraindubois.

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–Recueillirlamoindrebribed’informationsurlesdeuxpersonnesquelesPartialsrecherchentencemoment,quitteàdévastercomplètementnotreîle…Oui,jeregretteunpeuqu’ilsnel’aientpasfait.–IlfautquetuparlesauSénatdetaconversationavecHeron.– Je l’ai dit àMkele, expliquaMarcus. Je ne suis pas complètement idiot, quandmême.Mkele

chercheNandita,maisjenesuispaspresséderaconterauSénatquej’aieuuncontactavecl’ennemi.(Il suivit lentement de l’index les contours d’un nœud dans le bois.) Je suppose que nous avonstoujourspeurd’êtrelynchés.Peurd’êtreattrapés.Tusaiscequem’ontditlesautres?–Quelsautres?–Tesautressœurs,MadisonetIsolde.Ellesontétéévacuéesaveclepremiergroupe,pourprotéger

les enfants, et jen’aipu leurparlerqu’encoupdevent avant leurdépart.Ellesm’ontditqueKiran’étaitpaslapremièrefilleadoptéeparNandita.Xochiinclinalatêtesurlecôté.–Ahoui?Àvraidire,jen’avaisjamaissupposéqu’ellel’était.Maismaintenantquetum’asparlé

decettephoto,çameparaîtbizarre,eneffet.–À leur connaissance, lorsqu’elle a prisKira sous son aile, elle avait déjà l’autre, ditMarcus.

Ariel.Xochihochalentementlementon,commesicetteinformationavaituneprofondeurparticulière.–Ariel est partie d’ici il y a plus de trois ans. Je n’étais pas encore arrivée. Je ne l’ai pas bien

connue, mais je sais qu’elle ne s’est jamais entendue avec les autres. Elle haïssait Nandita, tun’imaginespasàquelpoint.Marcuslescomptasursesdoigts.–ArielaététrouvéeàPhiladelphie,Kira–d’aprèsNandita–dansuncampderéfugiés,Isoldeici

surl’île,etMadisonunanplustard,quandJaydenaeulavaricelle:ilétaitenquarantaine,Madisonestvenueici,etelles’esttrouvéesibienqu’ellen’estjamaisrepartie.ElledisaitqueNanditas’étaitbattuecommeunelionnepourobtenirqu’ellevivedanscettemaisonetnonailleurs.–Pourquoi?–Aucuneidée.MaisMadisonsesouvientdelapremièrechosequeNanditaluiaditeenl’amenantà

lamaison:«Maintenant,tuvaspouvoirm’apprendredeschoses.»Xochiaffichaunemineperplexe.–Qu’est-cequeçaveutdire,ça?–Jenesaispas,réponditMarcusenselevant,maisilnerestequ’unepersonneàquiledemander.

(Il rejoignit laporteetouvrit leverrou.)Va teplanqueraupointde rendez-vous.Moi, jeparsà larecherched’Ariel.

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CHAPITRE18

KiraetAfaattendaientsurlepontGeorgeWashingtonavectoutleuréquipementlorsqueSammetHeronapparurentenfinenramenantdeschevaux,pasàmidipilemaistrèspeudetempsaprès.Afa,biensûr,étaitmunidesonsacàdos,bourréàcraquerd’originauxetdecopiesdesesdocumentslesplusimportants.Sijamaislepireseproduisait,etquesesarchivesétaientvoléesoudétruites,ilavaitsuffisammentdematièredansce sacpour…Kirane savaitpas tropquoi.Pourécrireunexcellentlivre d’histoire sur la fin du monde. Ce qu’il leur fallait désormais, c’étaient les réponses quidonneraientunsensàtoutcela:qu’étaitlaSécurité?Pourquoil’Allianceavait-elledétruitlemonde?Etquelusagepourraient-ilsfairedecesavoirpoursauvercequienrestait?–Çafaittropdematériel,jugeaHeronenarrêtantsamonture,quihennitetsoufflabruyamment.Il

vafalloirenlaisserlaplusgrandepartie.–C’estprévu,ditKiraen indiquantcertainscartons.Afa tenaitàcequ’onemportedavantagede

documentation,maisjeluiaiexpliquéqu’onn’auraitsansdoutepaslaplace.Situenlèvestoutceci,cequiresten’estpastroplourd.– Il nous faut un autre cheval, déclara Afa, bien qu’impressionné par les quatre bêtes qui lui

faisaientface.Ilnousfautunchevaldebâtcomme…commeremorque.Pourtransportermescartons.–Nousallonsdevoirlaisserlescartonsici,intervintSammenmettantpiedàterre.(Ilinspectales

autresprovisionsd’unairapprobateur.)Nourriture,eau,munitions…Tiens,qu’est-cequec’estqueça?– Une radio, expliqua Kira. Je tiens à ce que nous ayons un moyen de communication, si

nécessaire.–Elleesttroppetite,commentaHeron.Onnejoindrapersonneaveccemachin-là.–Afaainstallédesrelaispartout,ditKira.LebâtimentquiasautéàAsharokenenétaitun,etcelui

prèsduquelnousavonsrencontréSammaussi.–CapturéSamm,précisaHeronavecl’ombred’unsourire.–Attends uneminute, dit Samm. Tous ces bâtiments piégés, toutes les explosions, c’étaient des

relaisdetransmissionradio?–C’estmoi qui l’ai fait ! proclamaAfa tout en réorganisant les tas dematériel. Je voulais que

personnenelestrouve.LevisagedeSammétaitdurcommelapierre.–Tuastuétouscesgenspourdumatérielradio?–Etdesdépôtsd’archives,ajoutaKira.Laplupartétaientaussidesplanquesprovisoires.–Cen’estpasuneexcuse.–Tusavaisdéjàhierquecetypeétaitunfouparanoïaque,luirappelaHeron.Quelledifférenceest-

cequeçafait?–C’estmal.–Etçanel’étaitpashier?–Pardon,ditKira,maismoiaussij’aiperdudesamisàcausedecesbombes…–Sesbombesàlui,poséesparlui.

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–…etcelanemeréjouitpasplusquevous, insistaKira. Ilapéchéparexcèsdezèleet tuédesinnocents,maistusaisquoi?Quelcampn’apastuédesinnocentsdanscetteguerreabsurde?–Cetypen’estpasuncamp.C’estunélectronlibre.–Unélectronlibredontnousavonsbesoin.Ons’estmisd’accordhier,onnevapaschangerd’avis

aujourd’hui.Iln’estpasarmé…Empêche-lejustedeposerdesbombes,ettunerisquesrien.Samm resta maussade, mais comme il n’opposait plus d’objection, Kira commença à charger

l’équipementsurleschevaux.– Il faudra installerunautre relaisdans lesAppalaches,ditAfa tout enposant soigneusement la

radiosursapropresacochedeselle.Pourl’instant,iln’yarienquipuissecapterunsignalfiablepar-dessuslachaînedemontagnes.–Etcelui-làaussi,tucompteslebourrerd’explosifs?demandaSamm.–Commentsais-tuquej’aiprisdesexplosifs?Kiram’aditquejenepouvaispasenemporter…–Non,tunepeuxpas.Samm fouilla énergiquement le matériel, et finit par extraire un pain de C-4 d’un paquet de

nourriture.IllebranditendirectiondeHeron.–Tuvois?Voilàdansquoionestentraindes’embringuer.–Ehbienfouilleleresteetassure-toiqu’iln’yenaplus,réponditlaPartialenprenantl’explosif

pourlejeterpar-dessusleparapetdupont.Ils étaient encoreau-dessusde laville etnondu fleuve : lapâteatterrit avecunbruitmat sur la

chausséeencontrebas.Sammfouillaendétail l’intégralitédesbagages,ycomprislesacàdosd’Afa.Unefoisqu’ilfut

rassuré, ils montèrent en selle et s’en allèrent vers le couchant, passant le pont pour gagner lesétendues sauvages de ce qui s’était jadis appelé le New Jersey. Kira se retourna vers les cartonsd’archivesabandonnéslelongdelaroute.– Des boîtes pleines d’e-mails de ParaGen, dit-elle. Une drôle de surprise pour celui qui les

trouvera.–Siquelqu’unlestrouve,tranchaHeron,onauracomplètementraténotredépartsecret.

Kiramontaitàchevaldepuisdesannées,principalementàl’occasiondesmissionsderécupération

menéesauxalentoursd’EastMeadow.Lespremiers joursduvoyagefurentdoncfacilespourelle ;HeronetSammserévélèrentêtreeuxaussidescavalierschevronnés.Afa,enrevanche,nel’étaitpas,ce qui n’étonna personne mais ralentit leur progression dès le départ. De plus, il tenait desconversationsétrangesetdécousuesduhautde sa selle,passant sans transitiondusujetdeschatsàceluidelaconfigurationdespare-feusurInternet.Kiral’écoutaitd’uneoreilledistraite,ayantapprisau cours des trois dernières semaines qu’Afa avait simplement envie de parler tout haut ; il avaitpassétropdetempsdanslasolitudepours’attendreàdesréponses,etellecommençaitàcomprendrequ’il aurait tout autant parlé s’il n’y avait eu personne pour l’entendre. Samm etHeron scrutaientl’horizon,surveillant la routedevanteuxet les immeublessur lescôtés,attentifsaumoindresigned’embuscade.Lerisqueétait faibledans lesparages :à leurconnaissance,personnenevivaitdececôté-làdelaville,nipeut-êtreailleurssurlecontinent–maisdeuxprécautionsvalaientmieuxqu’une.Ils passèrent la nuit chezun revendeurdepièces automobiles, en attachant les chevauxàdehautespilesdepneus.Heronpritlepremiertourdegarde,etKiraneputs’empêcherderemarquerqu’elleseméfiaitautantd’Afaetd’ellequedeséventuelsdangersextérieurs.

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Kiraseréveillaunenouvellefoisaumilieudelanuit,momentanémentdésorientée,maisletempsquesesyeuxs’accoutument,elleserappelaoùelleétait.ElleconstataqueSammmontaitàprésentlagarde,juchésurunbureaudansuncoin.Elles’assitetserrasesgenouxcontreelledanslefroid.–Salut,souffla-t-elle.–Salut,réponditSamm.Ellerestaàleregardersanstropsavoirquoidire,nicommentledire.–Mercid’êtrerevenu.–C’estcequiétaitconvenuentrenous.–Non,jeveuxdire,mercid’êtrevenumechercher.Tun’étaispasobligé.– Ça aussi, c’était convenu. On avait dit qu’on apprendrait ce qu’on pourrait, puis qu’on se

retrouveraitpourcomparernosnotes.–C’estvrai,reconnutKiraenreculantpours’adosseraumur.Alors,qu’est-cequetuasappris?–Jesaisquenoussommesentraindemourir.–Oui.Ladated’expiration.–Tudisça,maisest-cequetuterendsvraimentcomptedecequeçaimplique?–QuelesPartialss’éteignentauboutdevingtansd’existence.–LapremièrevaguedePartialsestarrivéependantlaguerred’Isolation,ilyavingtetunans.Ils

ontétécréésl’annéeprécédente.Tousnosdirigeants,tousnosancienscombattantsdufront,sontdéjàmorts.C’est-à-dire, ceux qui nous tenaient lieu d’ancêtres. (Ilmarqua une pause.) Je fais partie duderniergroupefabriqué,etj’auraidix-neufansdansquelquesmois.QuantàHeron,sesdix-neufanssontpassésdepuisunpetitmoment.Sais-tucombiend’entrenousilreste?–Cheznous,onparled’unmilliondePartials.J’aitoujoursentendudire:«Ilyaunmillionde

Partialsdel’autrecôtédudétroit.»Alors,cen’estplusvrai?–Nousenavonsperduplusdelamoitié.Kiraserrasesgenouxencoreplusfort:elleavaitsoudaintrèsfroid.Lapièceluisemblaitpetiteet

fragile,commeunecabanesurlepointd’êtresouffléeparlevent.Cinqcentmillemorts,pensa-t-elle.Plusdecinqcentmille.L’énormitédunombre–prèsdequinze

foislapopulationhumaineentière–laterrifiait.Uneautrepenséeluivintalorsspontanément:Danspeudetemps,nousseronsquittes.Aussitôt, elle culpabilisa. Elle ne voulait plus qu’il y ait demorts, humains ou Partials ; et elle

désiraitencoremoinslavengeance.ElleenavaitvoulunaguèreauxPartials,avantdecommenceràlescomprendre,maiscettecolèreétaitderrièreelle.N’est-cepas?Aprèstout,elleétaitdesleurs.Ellepritsoudainconsciencequ’elleseraitpeut-être,elleaussi,confrontéeàunedated’expiration–maispeut-êtrepas,vucombienelledifféraitdesautresPartials.Lapremièreidéelaterrifia,lasecondelaplongeadansunabîmedetristesse.Jeseraipeut-êtreledernierdesPartials.L’ultimesurvivantedemonespèce.Quelclanestlemien?EllecontemplaSamm,adosséaumur,unejambependantdubureau,sonfusilposéàcôtédelui.Il

était un protecteur, un gardien, qui veillait sur eux tandis qu’ils étaient sans défense ; si quelqu’unvenaitàlesattaquer,nonseulementilseraitlepremieràlevoir,maisaussilepremieràêtrevu.Ilsemettaitendangerpourprotégerunefillequ’ilconnaissaitàpeineetunhommedontilseméfiait.IlétaitunPartial,etpourtantunami.C’estbienleproblème,pensa-t-elle.Nousraisonnonstoujoursentermesdeclans.Ilnepeutplusy

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enavoir,désormais.Elleeutsoudainune terribleenvied’allersepelotonnercontre lui,de l’aideràmonter lagarde,

partagerunpeudechaleurhumainedans lanuitglaciale.Elleseretint, tirasacouverturesoussonmentonetsemitàparler.–Nous résoudrons leproblème,dit-elle.Nous allons trouver l’Alliance, rouvrir les archives, et

découvrir non seulement pourquoi ils ont fait ça, mais aussi comment : comment lever la dated’expiration,commentsynthétiserleremèdecontreleRM.Nousallonscomprendrecequejesuisetquel estmon rôledans tout cela. Ils savaient tout, àdiversdegrés, etune foisquenous le sauronsaussi,nousréussironsàsauvertoutlemonde.–C’estbienpourçaquejesuisrevenu,ditSamm.–Poursauverlemonde?–Jenesauraismêmepasparoùcommencer,murmura-t-il, levisagedans l’ombre.Non, jesuis

revenupourt’aider,toi,àsauverlemonde.Tueslaseuleàpouvoirlefaire.Kiraresserrasacouvertureautourdesesépaules.Laconfiancequelesautresplacentenvous, il

n’yapaspirepourvousmettrelapression,songea-t-elle.Ilsseremirentencheminauxpremièreslueursdel’aube,aprèsavoirveilléàcequeleschevaux

soient nourris et abreuvés pour la journée de voyage. À midi, ils ne voyaient déjà plus la villederrière eux, et ils passèrent l’après-midi dans la campagne, où d’épaisses forêts phagocytaientlentementmais sûrement les petites villes nichées entre les collines.Même le bavardage continueld’Afafinitparse tarir,commesi lesétenduessauvages l’intimidaient.Kira l’entendaitde tempsentempsmarmonnerquelquechose,maisnedistinguaitpassesparoles.Elleignorait,biensûr,comments’appelaientleschevauxvolés.Pourpasserletemps,elletâchade

leur trouverdesnomsqui leuraillentbien.CommeceluideSammsemblait rebelleet têtu,elle futtentéedelebaptiserHaru,maissescompagnonsn’auraientpascomprislablague.Etd’ailleurs,elleauraitaussibienpul’appelerXochi,oumêmeKira.EllesedécidafinalementpourBuddy,lesurnomd’ungarçonqu’elle avait connu à l’école et qui s’opposait toujours auxprofesseurs, par principe,parcequec’étaienteuxquidétenaientl’autorité:lamonturedeSamm,visiblement,partaitdumêmeprincipe.CelledeHeron,àl’inverse,semblaitmettreunpointd’honneuràluiobéir–maispeut-êtreétait-elle simplement dirigée d’une poigne plus ferme. Puisant dans la même réserve d’anciennesconnaissances,Kirabaptisal’animalDug,dunomd’uninterneparticulièrementzéléquiavaitfaitsesétudesavecelle.Sonproprecheval,unpeugaffeuretfumistesurlesbords,futnomméBobo.Quantàceluid’Afa,ilreçutlesobriquetdeZarb,Zarbi,Zarbouille,ouautresvariationssuivantl’humeurdeKira.SiHeronétaitsanscontestelameilleurecavalière,Afaétaitpitoyableenselle,etlapauvrebêtesemblaitparfois aussi embrouilléeque lui, remuant la tête,partantde travers et exaspérant legroshomme qui se lançait dans des ronchonnements sans fin. C’en était presque drôle, mais cela lesralentissait,etKiratentaitdeluidonnerdespetitsconseilsquandellelepouvait.Cequinesemblaitpasfranchementl’aider.Lanuittombaitpresquelorsqu’ilsentendirentappeleràl’aide.–Stop!ditSammenarrêtantsoncheval.Tous tendirent l’oreille dans le vent. Comme Zarbi tapait du sabot et soufflait par les naseaux,

HeronfoudroyaAfaduregard.Kira,enseconcentrantdetoutessesforces,réentenditlavoix.–Àl’aide!

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–Çavientdecettedirection,ditSammenindiquantuneravinesurlecôtédelaroute.Ilyavaitdesétangspartoutentrecescollines, etdepetits coursd’eauavaient tracé leurchemin

entreeuxdepuisdessiècles.Laravineenquestionétaitencombréed’arbresetdetaillis.–Ons’enfiche,tranchaHeron.Onn’apasletempsdes’arrêter.–Quelqu’unadesennuis,protestaKira.Onnepeutpaslelaissercommeça.–Si,onpeut.–C’estunPartial,affirmaAfa.Jesuisledernierhumainsurlaplanète.–Non,cen’estpasunPartial,lecontreditSamm.Jenecapterienparlelien.–Ilestpeut-êtretroploin,avançaKira.–Ouenamontduvent,ajoutaHeron.Quoiqu’ilensoit,jen’aimepasça:touthumainsetrouvant

sur notre chemin se ferait sûrement une joie de tendre un piège à un groupe de Partials, et noussavonsquenotrefactionn’estpasloind’iciversl’ouest.–Jecroyaisquevousn’aviezplusdefaction,fitremarquerKira–réflexionquiluivalutunregard

assassin.–Heronaraison,reconnutSamm.Onnepeutpassepermettredeprendrecerisque,etonn’apas

letemps.–Àl’aide!Lecriétaitlointainetindistinct,maisonauraitditlavoixd’unejeunefemme.Kiraserralesdents.

Ellesavaitqu’ilsavaientraison,mais…–Elleestpeut-êtreentraindemourir,s’obstina-t-elle.Jeneveuxpasm’endormircesoirhantée

parlescrisdedétressed’unejeunefillepoussantsonderniersouffle.–Tuveuxsurvivrejusqu’àcesoir,aumoins?persiflaHeron.Cettefois,cefutKiraquilafusilladuregard.–Avançons,suggéraSammentalonnantdoucementBuddy.Sonchevalseremitenmarche,etBobo,celuideKira,luiemboîtalepassansriendemander.–Àl’aide!–J’yvais,décidaKiraentournantlatêtedeBoboverslecôtédelaroute.Quim’aimemesuive.–Pourquoiest-cequ’ellen’arrêtepasdedire«àl’aide»?demandaAfa.–Parcequ’elleabesoind’aide,soufflaKiraenmettantpiedàterresurlebas-côté.La pente était raide et couverte de végétation, et elle ne pensait pas que son cheval puisse la

descendredanslapénombreducrépuscule.Elleattachasesrênesàuneborneetdécrochasonfusildelaselle.–Vousnepensezpasqu’elledevraitplutôtdirequelquechosecomme:«Ilyaquelqu’un?»–Elleaentendunosbruitsdesabots,répliquaSamm.Bon,tantpis,Kira,jeviensavectoi.Heron,elle,restasursoncheval.–Jepourraiavoirvosaffairesquandvousserezmorts?–C’esttoil’espionne,luiréponditSammenindiquantdescollines,surlecôté.Faisletour,prends-

lesàreverset…jenesaispas,rends-toiutile.–Lanuit tombe, fit remarquer laPartial,et ils saventdéjàquenoussommes ici,alorsquenous

ignoronstotalementoùilssetrouvent,combienilssont,quelarmementilspossèdentetcequ’ilsfontlà.Commentveux-tuquejelesprenneàrevers?Paruntourdemagie,peut-être?–Ehbien,resteicipourgarderleschevaux,luisuggéraKira.Onrevienttoutdesuite.

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Elle franchit laglissièredesécuritéqui longeait la route, suiviedeprèsparSamm,et tousdeuxdescendirent avec prudence dans la ravine. Les ronces s’accrochaient à ses bottes, et la pente étaittellementescarpéequ’elledutseretenirauxbranchagespourdescendrepratiquementsurlesfesses.Enbas,cen’étaitguèremieux:lesépaisfourréss’étendaientpresquejusqu’auruisseau.Ilsentendirentdenouveaulecri,toutaufondd’unegorgeétroite.Kiradécidaalorsqu’ellepouvait

fairedubruit,puisqu’ilsétaientcertainementdéjàrepérés.–Tenezbon,onarrive!–Jenesaismêmepascommentquelqu’unpeuts’orienterlà-dedans,ditSammtoutensedépêtrant

desroncesderrièreelle.Presqueaumêmeinstant,Kiraseretrouvasurunétroitsentier,etsoncompagnonlaheurtapar-

derrière.–Unesented’animaux,constata-t-il.Deschevreuils?–Deschienssauvages,conclutKiraenobservantlaterreécrasée.J’aidéjàvucegenredetraces.–Alorsçapourraitêtreunechasseuseblessée,maisquisuivaitunetracedechiens?Ilsréentendirentlecri,plusprochecettefois,etKiraserenditcomptequecettevoixavaitquelque

chosed’anormal : elleétaitbizarrementdiscordante.La jeune fillepressa lepas.Le ravin longeaituneimmensefalaiserocheusequisedressaitàleurdroite:entournantaubout,ilsdécouvrirentunepetite clairière, large d’à peine plus de deuxmètres, et au centre de cette clairière un grand chienjaune.Kirastoppanet,stupéfaite.Lechienl’observaitcalmement.Sammsurgitderrièreelle,vitlechienetpoussaunjuron.–Quoi?chuchotaKira.–Àl’aide!fitalorslechien,dontlesbabiness’étirèrentenunsourireépouvantablementhumain.

Àl’aide!–Onsetire,soufflaSamm.Mais à cet instant, les taillis autour d’eux semblèrent exploser : ils vomirent unemeute d’autres

chiens, de lourds monstres musclés qui leur bondirent dessus pour leur faire perdre l’équilibre.Samms’effondrasouslepoidsdedeuxmolosses;Kira,elle,parvintàserattraperjusteàtempsetàresterdebout,maisrécoltauneprofondemorsureaubras.Unautrechiens’enpritàses jambes,etelletirauncoupdefusilauhasardenchutant.Lechienleplusprochesesauvaenjappant,l’épaulecouvertedetraînéesrouges,maisunautreseruaàsaplaceetfitclaquersamâchoireendirectiondelagorgedeKira.–Samm,ausecours!Elle sentit des crocs acérés se refermer sur sonmollet et d’autres s’en prendre à sa clavicule,

arrêtésdejustesseparsonépaissevestedevoyage.Àcôtéd’elle,leschiensquis’attaquaientàSammsechamaillaient,grognaient,entrechoquaientleursdentspointues,etKirasedemandapourquoiilsnel’avaientpasencoreimmobiliséausolcommeilsfaisaientavecelle.Ellevoulutleversonfusil,maiss’aperçutquelesmolosseslebloquaientaussi:unebêteénormelepressaitdanslesolsoussonpoids.Elletiraquandmême,dansl’espoirdelefairefuir;ellevitjaillirunpanachedeterreetunchienquisetrouvaitàl’opposédelaclairièrefitunbonddecôtéenjappantdedouleur,maisl’énormeanimalcouché sur le fusil ne fit que la regarder en grondant, découvrant des crocs longs et recourbéscommedesfaucilles.Lechien jaunequi lesavaitattirésdans laclairièrebondit sur lapoitrinedeKira, luicoupant le

souffle,etcherchasagorgepour l’achever.Maisaudernier instant, il retombasur le flancetKirasentit un flot de liquide tiède lui couler sur le corps.Relevant les yeux, elle vit Sammdebout au-

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dessusd’elle,privédesonfusil,uncouteaudechassesanguinolentàlamain.Iltentadepoignarderlechienquipressaitsurl’épauledeKira,maislabêtesejetasurluietlerefittomber.Kiraenprofitapoursouleversonfusil:unautremolosseseprécipitaaussitôtpourleluiarracheretl’éloigner,lesdentsserréessurlecanon,appuyantsesgrossespattesàplatcontreletorsedelajeunefille.Pasdedoute,ilsétaienttombésdansuntraquenard.UncoupdefeurésonnaderrièreKira,etellevitlechienquiétaitàsespiedss’effondrersansvie;

une autre cartouche traversa le dos de la bête couchée sur son fusil, qui roula sur elle, raide etmassive comme un rocher couvert de pelage. Les yeux à hauteur des siens, la vie la quittantrapidement,ellesoufflaunmotunique,d’unevoixhorrible,inhumaine:–Pitié.Le chien mourut, les yeux encore ouverts à dix centimètres à peine de ceux de Kira. Elle le

contemplait, terrifiée,ouvrantet fermant labouchesansémettreunson, lesmainscramponnéesaufusil comme à une bouée de sauvetage. Il y eut encore une détonation, et soudain tous les chiensencoreenviecessèrentdegrognerpoursemettreàaboyer,communiquantparcrisbrefsethachés.Lameutetournalestalonsets’enfuit,leplusgrosdesmolossesnes’arrêtantquepourleurlanceruneinsulte–«Bâtards!»–avantdedisparaîtreentrelesarbres.Heron apparut alors, le fusil toujours en position contre son épaule. Elle hocha du menton en

directiondeKiraetrepoussad’uncoupdepiedlemolossequipesaitsursapoitrine.Mêmelibérée,Kiranepouvaittoujourspasbouger.–Est-cequececorniaudvientdemetraiterdebâtard?s’étonnaSamm.–Ilfautqu’onsetireavantqu’ilsnerassemblentleursforces,ditHeron.Allez,venez.Kiraretrouvaenfinsalangue.–Quoi?–Ilfautpartirtoutdesuite,confirmaSammenluitendantsamainboueuseetensanglantée.S’ils

reprennentl’avantage,onestmorts.Kirasaisitlamaintendueetseremitpéniblementdebout.–Maisqu’est-cequisepasse,parici?–Des Chiens de garde, lâchaHeron qui ouvrait la route, le long de la falaise. On s’en servait

pendantlaguerre.–Deschienshyperintelligents,dresséspourlechampdebataille,précisaSamm.Il récupéra son fusil et semit en routederrièreKira,marchant à reculons afinde couvrir leurs

arrières.–Ilssontplusgros,pluscostaudsquedeschiensnormaux,etdotésd’unvocabulairedebase.Ils

nousservaientàtout.J’auraisdûlesreconnaîtreaussitôtquej’aientenducettevoix,maisçafaittroplongtemps.–Vousaviezdeschiensmonstrueuxparlants?–FabriquésparParaGen,ditSamm.Apparemment,ilssontretournésàl’étatsauvage.Kiraseremémoralabrochurequ’elleavaitvuedanslesbureaux:ilyétaitquestiondeChiensde

garde…etaussid’undragon.Elle regardadans leciel,mais riennedescenditpour ladéchiqueterentredesserresimpitoyables.Elle avait déjà vu cemot ailleurs, aussi, « Chiens de garde », dans certains rapports de terrain

trouvésdanslesarchivesd’Afa.Ellesecouala tête,encoresonnée, toutentrébuchantsur lesentierdeschiens.Cen’étaitpasseulement lemot :ellesesouvenaitàprésentd’autrechose,unescènese

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déroulantdanssatête,undesseulssouvenirsqu’elleavaitdesonpère.Unchienl’avaitattaquéeunjour,unchienénorme,etsonpapas’était interposépour lasauver.S’agissait-ildéjàd’unChiendegarde,oud’autrechose?Pire encore : elle commençait à comprendre qu’elle ne différait pas fondamentalement de ces

créatures–cesmonstres inhumains,artificiels.Malgrésonaspecthumain,sesoriginesétaientplusprochesdecellesdecesChiensdegardequedetousleshumainsqu’elleavaitconnus.–TuviensdepasserpresquedouzeansàLongIsland,luirappelaSamm.C’estunenvironnement

clos.Lerestedumondeachangé.–Ilscherchentànousencercler,ditHeron.Vite!Pitié, avait imploré le chienmourant.L’expressionde sesyeuxétaitgravéedans lamémoirede

Kira.Ellecontinuaderemonterletalus.

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CHAPITRE19

ArielMcAdams s’était enfuie de chezNandita des annéesplus tôt pour aller vivre seule dans lequartiersudd’EastMeadow,maisaprèslamortdesonnouveau-né–presquetouteslesfemmesdeLongIslandenavaientperduunoudeux,enconséquencedelaloiEspoir–,elleavaitquittélaville.Marcusavaittrouvéunevagueadressedanslefichierdel’hôpital,ets’attarderdanslesparagespourla chercher avait bien failli lui coûter sa liberté. Il gardait sur lui un appareil radio portable afind’écouter les rapports militaires et de communiquer avec Kira si jamais elle le contactait, et lesnouvelles,aumomentoùilpartitd’EastMeadow,étaientsombres.Iln’avaitnullepartoùaller,maisnepouvaitpasrester.Ilvérifiaunefoisdeplusl’adressesursonmorceaudepapier:«Unecriqueducôtéd’Islip.»Cen’étaitpasgrand-chose,maisc’étaitdéjàmieuxquerien.IlavaitapprisviasaradioquelesPartialsavaientétabliunpérimètrearméautourd’EastMeadow,

capturantl’essentieldelapopulationavantqu’elleaitpufuir,etenvoyantdeséquipespasserl’îleaupeignefinà la recherched’éléments isoléspour les ramenerdansce lieucentral.LongIslandétaitnéanmoinstrèsvaste,etmêmecentmillePartialsnepouvaientpaslaquadrillerentièrement.Marcuscultivaitladiscrétion,n’allumantjamaisdefeu,netraversantjamaisd’espacesdécouverts.Ilréussitainsiàleséviterdurantlespremiersjours.Çanevapasdurer,sedisait-il,maissij’arriveàlocaliserArieletàmecacherchezelleaulieudemedéplacer,jepourraitenirbienpluslongtemps.Ledeuxièmesoir,saradiosemitàgrésiller;soncœurbattitplusvite,maisilconstatarapidement

quecen’étaitpasKira,niunrapportdel’arméeendéroute.C’étaitledocteurMorgan.«Cemessages’adresseauxhabitantsdeLongIsland»,déclara-t-elle.«Notreintentionpremière

n’était pas de vous envahir, mais les circonstances nous ont forcé la main. Nous sommes à larecherche d’une jeune fille nomméeKiraWalker, seize ans, unmètre soixante-quinze, cinquante àcinquante-cinq kilos. Type indien, peau claire, cheveux noirs qu’elle a pu couper ou teindre pourdissimuler son identité. Amenez-nous cette jeune fille, et l’occupation prendra fin sur-le-champ ;continuez de la cacher, et nous exécuterons l’un des vôtres chaque jour. Ne nous obligez pas àpoursuivrecetteactionplus longtempsquenécessaire.Cemessageseradiffusésuccessivement surtouteslesfréquences,etcelaenbouclejusqu’àcequenosinstructionssoientsuivies.Merci.»Marcus,souslechoc,continuad’écouterlebruitblancquisuccédaitaumessage.Aprèsunmoment

de silence abasourdi, il tourna le bouton des fréquences pour chercher la suivante : le mêmecommuniquéy était à présent diffusé, et il le réécouta sans en croire ses oreilles. Il suivit ainsi ladiffusionàcinqreprises,commepourseconvaincrequecen’étaitqu’unrêve,quecelanepouvaitpas être en train d’arriver. Mais chaque répétition confirmait au contraire l’horrible réalité : lesPartialsvoulaientKira.Ilsallaienttuerdesinnocentspourforcerleshumainsàladénoncer.Etriennepourraitlesarrêter.Cesoir-là,Marcusfitlescentpasdanssacachetteenrepensantaumessage.C’étaitdonccela,lebut

detoutecetteinvasion,depuisledébut:ilsrecherchaientKira,etilsétaientprêtsàtoutpourmettrelamainsurelle.Qu’est-cequipouvaitlarendresiimportante?Sinécessaire?Etpourquoin’entrait-ellepasencontactaveclui?Iln’avaitpasdepanneauxsolairespoursaradio,leSénatetl’arméelesayanttousréquisitionnés

depuislespremiersjoursquiavaientsuivileRavage,maisilpossédaitunebatterieàmanivelle,qu’il

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actionnaitavecfrénésie.Lesjours,identiques,commençaientàsemélangerdanssonesprit:marchertoutelajournéepourchercherAriel,tournerlamanivelletoutelanuitdansl’espoirderecevoirdesnouvellesdeKira.Lorsqu’ilatteignitenfinIslip,iltrouvaunemaisond’aspectbanaldanslaquellesecacheretbranchalaradiosurunvélod’appartement.Toutenpédalant,ilécoutalesondessiffleretcrachoter.Dans ses rêves les plus fous, il s’imaginait partant lui-même pourManhattan afin de laretrouver,etéchafaudaittoutessortesdescénarioshorribles:elleavaitétécapturéeparlesPartials,dévorée par des lions, ou simplement broyée sous l’effondrement d’un immeuble.C’était idiot devoyager seule, et il avait été idiot de la laisser partir.Mais de toutemanière, il n’avait jamais étécapabled’arrêterKira.La radio bourdonnait, le vélo grinçait.Au coucher du soleil, il fit une pause pour boire un peu

d’eauetcroquerunepomme,cueilliesurungrosarbredanslejardin,puisseremitimmédiatementàpédaler. Il savait que la nuit était le moment le plus propice à un appel, car les déplacementsdevenaient dangereux et Kira se cachait probablement en attendant le matin. Il pédala jusqu’aprèsminuit– jusqu’àavoir les jambesen feu, lespiedsencompoteet lesmainspresquebrûléespar leguidon.Ilsetraînaensuitejusqu’àsonlit,laradiogrésillanttoujoursàsesoreilles,ets’endormit.Aumatin,ilpédalaencore,puis,lorsqu’ilnesupportaplusd’êtreenferméentrequatremurs,sortit

prendrel’air.Ilmassasesmolletsendolorisetallafaireuntour,cherchanttoujoursAriel.Unecriqueducôtéd’Islip.Islipétaitunevilleimmense,maisdontseuleunepetitepartietouchaitleborddemer.Ill’arpentatoutelajournée,saradiodanssonsacàdos,guettantlemoindresignedeviehumaine.Ledeuxièmejour,illocalisaunecrique,etletroisièmeiltombasurunemaisonoccupée:unepelousefauchée, un jardin cultivé, un porche en bois dont on voyait qu’il avait été un jour envahi par lesplantesgrimpantes,maisquequelqu’unavaitnettoyé.Marcusgravitlesmarchesgondoléesetfrappaàlaporte.Ilnes’étonnapasd’entendrecliqueterlaculassed’unfusil:celanelefitmêmepastressaillir.–Quiestlà?–Jem’appelleMarcusValencio.Onseconnaît,maisçaremonteàquelquesannées.Jesuisunami

deKira.Unsilence,puis:–Dégage.–Ilfautquejeteparle.–J’aidit:dégage.–Nanditaadisparu…–Bondébarras.–Ariel,écoute,jenesaispaspourquoituesbrouilléeavecelles;jenesaispaspourquoituleshais

àcepoint.Jepeuxt’assurerqu’ellesn’ontpasdehaineenverstoi.Maiscen’estpaspourçaquejesuisici…cenesontpasellesquim’envoient,jenevaispasleurfairederapportnitedired’allerlesvoir, rien de ce genre. Et je n’essaie certainement pas de trouver Kira pour la livrer à Morgan.J’essaiejustedecomprendrequelquechose.Pasderéponse.Marcusattendit.Etattenditencore.Auboutd’uneminuteentière, ilseditqu’elle

vaquaitsimplementàsesaffairessanss’occuperdelui,ets’apprêtaàpartir.Maisenseretournant,ilavisa un petit banc sur le porche ; pas une balancelle, non, juste un petit banc de bois, fait pourregarderpasserletemps.Illedépoussiéraquelquepeu,s’yinstallaetsemitàparler.–Lapremièrechosequejevoudraistedemander,ensupposantquetum’écoutes,c’estcommenttu

asconnuNandita. J’aiparlé avec les autres fillesqu’elle a adoptées, et toutesmedisentquequand

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ellesl’ontrencontrée,tuétaisdéjàavecelle.IsoldeamentionnéPhiladelphie,disantquec’estlà-basque Nandita t’a trouvée. Xochi aussi vient de là-bas, mais j’ignore si c’est révélateur de quelquechose.Cequejevoudraissavoir,c’est…d’oùtuviens,aufond.Commentas-tufaitconnaissanceavecNandita ?Est-ce simplement l’histoire classique, du type : «Une petite fille perdue errait dans lesrues » ? Il y en a beaucoup à Long Island – ça fait même chaud au cœur, d’unemanière un peubizarre.Tafamilleestmorte,toustesvoisinssontmorts;tuasfaim,oupeur,oujenesaisquoi,ettusorschercherquelquechose.Pourmoi,c’étaitdulait :nousavionsdescéréalespleinlamaison,etc’étaitlaseulenourriturequejesavaismepréparerquandj’avaiscinqans,alorsj’aicommencéparenmangeràtouslesrepas,maisassezvite, jesuistombéàcourtdelait.J’aiessayédemenourrird’autrechose,demetartinerdubeurredecacahuètesetdelaconfituresurdeschipsdemaïs,cegenredechoses.Jenesavaismêmepasmeservirdel’ouvre-boîte.(Ilrit,etécrasaunelarme.)Enfinbref,jesuissortichercherdulait.Jenesaispasoùjecomptaisentrouver,etlemondeentierétaitcommeposélà,tuvois?Deuxoutroischosesétaientenfeu,genreunevoitureetuneboutique,maisc’étaitàAlbuquerque, c’est désertique par là-bas : il n’y avait pas beaucoup de feuillages pour propagerl’incendie.Deuxoutroistuyauxd’arrosageétaientouverts,ilscoulaient,coulaient,formaientunpetittorrentdansuncaniveau.Maispersonnenullepart.J’aimarchéjusqu’aumagasinleplusprochequejeconnaissais–laboutiquedemononcle,unepetiteépiceriesituéeàquelquesruesdecheznous–,maisc’étaitferméàcléetjen’aipaspuentrer,alorsj’aicontinuédemarcher,encoreetencore,ettoute lavilleétaitdéserte.Jen’aipascroiséâmequivive.J’ai finipar tombersurunsupermarchéWalmart–dansunevillecommecelle-là,ilsuffitdemarcherunpetitmoment,ontombeforcémentsurunWalmart–,jesuisentréchercherdulait,etilyavaitlàuntype,quejen’avaisjamaisvudemavie, en train de remplir une brouette de bouteilles d’eau. Il m’a regardé, je l’ai regardé, il m’asoulevé,déposédanssabrouette,etm’adonnéunpaquetdeviandeséchée.Ilamêmedénichédulaitaufonddumagasin,dulaitlongueconservationquiétaitencorebon,etj’aimangéunboldecéréalespendantqu’ilrassemblaittoutcequ’illuifallait.Ils’appelaitTray,c’étaitsonprénom,jeneconnaispas son nom de famille. Tray m’a porté jusqu’à Oklahoma City, où nous sommes tombés sur laGarde nationale. Je l’ai perdu de vue à cemoment-là, et à vrai dire je ne saismême pas s’il estfinalement arrivé jusqu’ici – j’ai honte de l’avouer, mais je n’ai pas beaucoup pensé à lui cesdernièresannées.Jesupposeques’ilestsurLongIsland,ilhabitequelquepartdanslanatureetvitdelapêcheoudel’agriculture.S’ilavaithabitéenville,jel’auraisretrouvé.Etjenesaispaspourquoijet’ai raconté toute l’histoire, si ce n’est pour dire que c’est le genre de personnes dont nous avonsbesoin–legenredepersonnesquenoussommes.Onnepeutpassurvivreàmoinsd’êtresolidaires,etc’estcequifaitduRMetduRavagelesprocessusdesélectionnaturellelesplusextrêmesdetousles temps. J’ignore comment Nandita t’a trouvée, mais elle l’a fait, elle t’a sauvé la vie, elle t’aamenéeici,etmaintenantelleadisparuet j’essaiejustedecomprendrecequisepasse.Quesavait-elle,quefaisait-elle,pourquoiétait-elleici?EtpourquoilesPartialslarecherchent-ils?–Nanditanem’apastrouvéedansunsupermarché,ditArielderrièrelafenêtre.Marcus avait fini par laisser sa propre voix le bercer, et celle de la jeune femme l’arracha

brusquement à sa rêverie. Les rideaux étaient fermés, la voix assourdie, mais ses paroles étaientclaires.–Elleestvenuechezmoi.Mesparentsétaientmortsdepuispeut-êtrevingt-quatreheures.Elleest

entréeetellem’aemmenée.Marcus,étonné,s’efforçadereconstituerlepuzzle.– Tu veux dire qu’elle savait qu’elle te trouverait là ? Qu’elle est venue te chercher, toi, en

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particulier?–Cequejeveuxdire,c’estqu’ellenem’ajamaislaisséletempsdeleurdireaurevoir.MarcuspivotapourregarderAriel,maislesrideauxétaienttoujourstirésdevantlafenêtre.–Jesuisdésolépourtoi,dit-il.Etauboutd’unpetitinstant,parcequ’iln’yavaitriend’autreàdire,ilajouta:–C’estdur.Arielneréponditpas.–LesPartialsveulent lacapturer,poursuivitMarcus.IlsrecherchentKiraàcausedecequ’ellea

faitilyaquelquesmois,jecrois,maisilscherchentNanditaparcequ’ilspensentqu’ellesaitquelquechose.Et ilsn’ontpas tort…Ariel, j’aivuunephoto :Nandita etun type, avecKira aumilieu. IlsétaientdevantdesbâtimentsdeParaGen.Quoiqu’ellesache,c’estforcémentliéàKira,etlesPartialsont mis sur pied un assaut à grande échelle afin de découvrir ce que c’est. Si tu as la moindreinformation…jet’enprie,ilfautquetunousladonnes.Il n’y eut aucune réponse, pendant un petitmoment.Marcus entendaitAriel respirer rapidement

derrièrelerideau.Ilattendit.Detoutemanière,iln’avaitriend’autreàfaire.–Nanditaétaitchercheuseenbiologie,lâchaenfinlajeunefille.Ellefaisaitdesexpériences.–SurKira?–Surnoustoutes.

Àl’intérieur,lamaisond’Ariel,commeledécouvritMarcus,regorgeaitdebacsàplantes.– Je ne savais pas que tu jardinais, dit-il pendant que ses yeux s’accoutumaient peu à peu à la

pénombre.DepuisquelesPartialspatrouillaientsurl’île,Arielavaitprissoind’occultertouteslesfenêtres.–J’aigrandiavecNandita.Lejardinageestunedesseuleschosesquejesachefaire.–C’estpourçaquetuladétestes?–Jet’aiditpourquoijeladétestais,réponditArield’unevoixsourde.–Lesexpériences.(Illaregarda.)Tutesensprêteàenparler?–Non,dit-elleenportantleregardauloindanslarue.Maiscen’estpaspourçaquecen’estpasle

momentdelefaire.Ellerefermalaporte,plongeantpourdebonlapiècedanslesténèbres.Marcusattenditd’yêtreunpeuhabitué,etseconcentrasurlasilhouetted’Ariel.–Quelgenred’expériences?Pourquoilesautresn’ont-ellesjamaisriendit?Lavoixdelafillesedurcit.–As-tulamoindreidéedeseffortsquej’aidûfournirpourtournerlapage?Pourfairecommesi

j’avais une vie normale ? J’ai pris un emploi dont je n’avais pas besoin, simplement pour avoirquelquechoseàfairedemesjournées;jesuistombéeenceintedeuxansavantquelaloiEspoirnem’yoblige.Jevaisjusqu’àsoignercesplantesidiotesparceque…parcequec’estcequefaisaientlesgens,avantleRavage.J’aifaittoutcequejepouvais,mêmeévitémespropressœurs…–Maisques’est-ilpassé?Qu’est-ilarrivédesiterrible?–Çaacommencéparlepetitdéjeuner,selançaAriel,latêtebaissée.Nanditaselevaittôtetnous

préparait des tisanes : camomille,menthe poivrée, ce genre de choses. Étant herboriste, elle avaitévidemment tout ce qu’il fallait à la maison et dans sa serre. Nous avions le droit de manipuler

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certainestisanes,commelacamomille,maiselleavaitd’autresproduits,sousformeliquide,dansdespetitsflaconsàcompte-gouttesnumérotéscommedeséchantillons.Ceux-là,nousavionsinterdictiond’ytoucher.Jen’enpensaispasgrand-choseàl’époque–onsefaisaitgronderrienquepouravoirjouédanslaserre,alorsçan’avaitriend’étonnant–,maisunmatinoùjem’étaislevéetôtetoùj’étaisdescendue l’aider à préparer la tisane, je l’ai surprise à verser quelque chose au compte-gouttesdedans. Ce qui ne m’a pas spécialement perturbée, cela dit. Sauf que quand je lui ai demandé cequ’ellefaisait,elleaeul’aircoupable–aussicoupablequemoiquandellemesurprenaitàfaireunebêtise.Elleaéludélaquestionenmedisantquec’étaitunnouvelarômeoujenesaisquoi,maisjen’aipasoubliésonexpression.Lelendemain,jesuisredescendueendoucevoircequ’ellefabriquait:ellerecommençaitsonmanège,avecd’autrescompte-gouttescettefois,enprenantdesnotesdansuncarnet.Jemesuisviterenducomptequ’ellelefaisaitpresquetouslesjours,etj’aicessédeboirelestisanes.–Est-cequetuasvucequ’ilyavaitdanscecarnet?–Unefois,oui,quandjesuisentréeensecretdanslaserre,maiselleadûs’enapercevoir,parce

quejen’aijamaispuremettrelamaindessus.Iln’yavaitpasquedesnotessurlestisanes,maisaussietsurtoutdesrenseignementssurnous:croissance,étatdesanté,vue,ouïe,cegenredechoses.Ellenousfaisaittoujoursjouer,parexempleàdesjeuxdecoordinationoudemémoire,etaprèsavoirvucecarnetjen’aiplusjamaisvoulum’yprêter.Ellenejouaitpasavecsesfilles,enréalité.Ellenoustestait.–Peut-êtrequ’ellevoulaitjuste…garderdestracesdevotreenfance,avançaMarcus.Jenesaispas

tropcommentestcensésecomporterunparentattentif,maisc’estpeut-êtrenormal.–Cen’étaitpasnormal.Toutcequ’ellenousfaisaitfaireétaituntest,donnaitlieuàuneétudeouà

uneobservation.Ellenejouaitpasàlaballe:ellenouslançaitdesballespourtesternosréflexes.Onnejouaitpasàchat:ondisputaitdesépreuvesdevitessedanslarue.Quandl’unedenoussecoupaitledoigtous’écorchaitlegenou,ellenousposaitunpansement,maispasavantd’avoirétudiélaplaiedetoutprèspournoterlemoindredétail.–Maispourquoilesautresn’ont-ellesriendit?s’étonnadenouveauMarcus.Jeleuraiposétoutes

les questions possibles et imaginables sur Nandita : tout ce dont elles se souvenaient, c’est de cequ’ellesfaisaientensemble.Ellesnem’ontjamaisrienracontédecegenre.–J’aiessayéplusieursfoisdeleurenparler,maisellesnem’ontpascrue.Ellesn’ontjamaisvules

flaconsnilecarnet,elles.Ellescroyaientqu’onfaisaitlacoursejustepours’amuser.–Maistoi,tuavaisaperçul’enversdudécoretdepuis,tuvoyaistoutsousunéclairagedifférent.–Exactement.–Mais… (Marcus prit soin de formuler la suite avec la plus grande prudence.)Ne serait-il pas

possible…Jenetetraitepasdementeuseniriendecegenre,mais…neserait-ilpaspossiblequecequetuasvuquandtuétaispetitefilleaitétécomplètementinnocent,ett’aitrendue…paranoïaque…etqu’ensuitetuaiescommencéàsoupçonnerlemallàoùiln’yétaitpas?–Parcequetuimaginesquejenemesuispasposélaquestioncentfoisparjour?Millefoispar

jour ? Jeme suis dit et répété que j’étais folle, que j’étais une ingrate, que j’inventais tout.Maischaquefoisquejemeraisonnais,jetombaissurunnouveaudétailquimerendaitméfiante.Toutcequ’elle faisaitétaitunemanœuvre tordue,perverse,pournouscontrôler,nous faireagiroupenserd’unecertainemanière,jenesaismêmepascomment.–Commentpeux-tuêtrecertainequec’étaitbiensonintention?–Parcequejel’aivuécritnoirsurblancdanslecarnet,affirmaAriel.ÇaparlaitdeMadison,et

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c’étaituneétudedecontrôle.–Qu’est-cequeçadisait?–Ilétaitécrit:«Madison:contrôle.»Pourquoias-tutantdemalàlecomprendre?Marcussecoualatête.–Jesuppose,parcequec’esttellement…tellementincongruparrapportàcequej’aiconnud’elle!

Est-cequetuenasparléàquelqu’und’autre?Arielreniflad’unairironique.–Tuasdéjàvuunegaminedehuitansexpliqueràunadultequesamamanessaiedelacontrôler?–Maistuasaumoinsessayé…–Biensûrquej’aiessayé!J’aiessayétoutcequimevenaitentête,etsij’avaissucequ’étaientdes

attouchements sexuels, je l’aurais accusée de ça aussi… tout, n’importe quoi pour sortir de cettemaison.Maisnousnousportionsbien,messœursétaientheureuses,etmoij’étaisjustelapetiteArielqui faisaitdeshistoires.Personnenem’acrue, et envoyantquemêmemes sœursnem’écoutaientpas, je me suis dit que le contrôle fonctionnait peut-être déjà, qu’elles avaient subi un lavage decerveau,voirepire.J’aifaitlaseulechosequimesoitvenueàl’esprit:j’aidétruitlaserre.Marcus,perplexe,repensaàlaserresophistiquéequisetrouvaitdanslejardindeXochi.–Ellel’areconstruitetouteseule?–Tupensesàlanouvelle,ledétrompaAriel.Non,jeteparledecelledenotreanciennemaison.Je

l’aisaccagéeavecunpied-de-biche.J’aitoutmassacréjusqu’audernierboutdeverre,audernierpot,audernierbocal,auderniercompte-gouttesquej’aiputrouver,mêmesijesavaisquetoutn’étaitpaslà.Nanditaaexplosédefureurenrentrant–j’auraisadorélavoirexploserpourdebon,d’ailleurs.Jemesuisenfuiejusqu’àunemaisonvide,àl’autreboutdelaville,etj’aitenupresqueunmoisavantqu’onmeretrouve.Jem’attendaisàcequeNandita…enfait,jenesaispascequej’attendais,maisjenepensaispasqu’ellemereprendraitchezelle.Bah,elleavaiteuletempsdesecalmer,jesuppose.Elleétaittoujoursfurax,maisellem’aramenéeàlamaison.–Parcequ’ellet’aimait,ditMarcusd’untonencourageant.– Non, parce qu’elle avait besoin de moi pour ses expériences de folle. Elle ne pouvait pas

recommencer avec quelqu’un d’autre. (Elle soupira et tambourina des doigts contre le plancher.)C’étaitl’hiver,etdèsleprintempsnousavonsdéménagédanslanouvellemaison.Elleaprétenduquec’étaitàcausedesfuitesd’eau,alorsqu’enréalitéelleavait justebesoind’unenouvelleserrepourcultiver ses herbes. J’ai encore fait plusieurs fugues, mais tu sais bien, « les enfants sont notreressourcelaplusprécieuse,etc.»,alorsilyavaittoujoursquelqu’unpourmeramenerchezelle.Lejouroùj’aienfineul’âgelégalpourpartir,jemesuistirée,etjen’yaijamaisremislespieds.– Les expériences avaient peut-être un rapport avec le RM, hasardaMarcus. Tu as vécu là-bas

jusqu’àquelâge,seizeans?–Oui.–Doncelleagardélatracedetout,chaquechangementphysique,pubertécomprise.–Jesuppose.– Je réfléchisàun truc.Madisonest la seule sur l’îleàavoirunbébéenvie.Évidemment, c’est

grâce àKira qui a trouvé le remède,mais s’il y avait aussi autre chose ?C’est tout demêmeunesacrée coïncidence.Tu penses que ça pourrait être lié à une intervention deNandita ?Un systèmeimmunitairerenforcé,ouunfœtusplus…Jenesaispas,jeréfléchisenparlant…C’étaitpeut-êtreliéàlareproduction,cesexpériences.

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–Jen’ensaisrien,reconnutAriel.Çafaitdesannéesquej’essaiedenepasypenser.–Etmaintenant,Nanditaadisparu.Volatilisée,effacéedelaplanète.Ettusaiscequeçaveutdire.Arielrelevalatête.–Quoi?–Çaveutdirequ’ellenesurveillepassamaison.Elleapeut-êtrelaissédesnotesenpartant.Arielplissalespaupières.–C’estàEastMeadow…unezonecontrôléeparlesPartials.Marcusacquiesça,etunsouriremalicieuxluimontaauxlèvres.–C’estlàqu’ilsjettenttousceuxqu’ilsattrapent.Cequivasacrémentnousfaciliterletravailpour

yretourner.

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CHAPITRE20

–Jenedoispasperdremonsacàdos,ditAfa.Jesuisledernierhumainsurlaplanète.–Ilnes’arrangepas,constataSamm.Buddy lechevalétaitpluscalmedésormais,et il soufflapar lesnaseaux tandisque lePartial lui

flattaitl’encolure.KiraétaitpersuadéequeBoboetluiétaientfrères,maisc’étaitpeut-êtrejusteparcequ’ilsavaientlamêmerobe.Lapetitetroupeétaitenroutedepuisunesemaine,etilstraversaientlachaînemontagneusedesAppalaches.Afaavaitétudiélescartessansrelâche,entourantetsoulignantde petites routes, villes, sommets, pour finalement soutenir qu’ils devaient faire un détour afin defranchir le mont Camelback, un géant imposant qui leur promettait une grimpette de trois centsmètresdedénivelée.Ilyavaitunrelaisradiophoniqueausommet,clamait-il,etavecundesesmini-panneauxsolairesZobleilpourraitleremettreenfonctionnementafinqu’ilsgardentlecontactaveclesondesémisesdepuisLongIsland.Heron,ilfallaitluireconnaîtrecela,n’avaitpasfaitd’objection,et ils gravissaient à présent une route en lacets qui desservait, selon toute apparence, une anciennestationdesportsd’hiver.Malheureusement,lesommetleurapportaunegrandedéception:cen’étaitpasdutoutunecimemaislerebordd’unimmenseplateauquis’étendaitversl’ouestàpertedevue–même avec des yeux de Partials.Heron fouilla les environs à la recherche dematériel utilisable,tandis qu’Afa s’effondrait dansun fouillis de cartes géographiques et de calculs faussés, soutenantque ce n’était pas possible, que la montagne se trouvait bien à sa place et que c’étaient eux quin’étaientpasaubonendroit.Illeurfallutpresquedeuxheurespourlecalmer,etensuiteseulementilsse mirent d’accord pour bivouaquer sur place et brancher quand même le Zoble. Montagne ouplateau, peu importait au fond : il y avait bien un relais radiophonique, une structure en treillismétalliquedontlegigantismeémerveillaKira.Afaleurassuraqu’ilavaittoutinstallédanslesrèglesdel’art,maiscommelanuitétait tombéeavantqu’ilait terminé, ilsn’enauraientpasconfirmationavantlelendemainmatin.L’attente,l’impossibilitédefairequoiquecesoitdeproductif,mettaitKirasurlesnerfs.ElledécidadebrosserlarobedeBobo,etSammsejoignitàelle.–Jesaisquenousavonsbesoindelui,ditlePartialàvoixbasse.Maisjemedemandes’ilvanous

êtrebienutileàcestade.–C’estcommeçaquetuleconsidères?Commeunesorted’outil?–Tusaisquecen’estpascequejeveuxdire.Jetedissimplementquejem’inquiète.Noussommes

enroutedepuisunesemaine,et ilnousenfaudraencoreaumoinstroispouratteindreChicago.Letempsqu’onarrivelà-bas,ilserafouàlier.–Alorsnousdevonsl’aideràsetranquilliser.Commeparunfaitexprès,Afaselevaàcemoment-làets’approchadeschevaux,serranttoujours

sonsacàdosdanssesbras.– Il faut qu’on rentre, dit-il en essayant de ramasser d’une main la selle de Zarbi. Toutes mes

archives…toutcequ’oncherche,jel’aidéjàtrouvé,onn’apasbesoind’alleraucentrededonnées,ilfautrentrer.Toutestlà-bas,àl’abri…–Calme-toi,Afa,luimurmuraKiraenluireprenantlaselleleplusdoucementpossible.Sonagitationgagnaitleschevaux,etSamms’efforçadelesapaiser.–Viensici,ditKiraenprenantlegroshommeparlamainetenleramenantprèsdufeu.Parle-moi

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detacollection.–Tul’asvue,maistun’aspastoutvu.Tun’aspasvulestudiod’enregistrement.– J’ai adoré le studio d’enregistrement, le rassura-t-elle d’une voix monocorde pour mieux le

bercer.C’estlàquetugardaistouslese-mailsdeParaGen.Elles’efforçadelefaireparler,espérantquelesujetluiremonteraitlemoral,etauboutdepresque

une demi-heure il sembla retrouver la paix.Elle déroula son tapis de sol pour lui, et il dormit enserrantsonsacàdosdanssesbrascommeunoursenpeluche.–Ilnes’arrangepas,insistaSamm.–Etcen’estpasrien,ajoutaHeron,vul’étatdanslequelilétaitdéjàaudépart.–Jem’occupedelui,assuraKira.Iltiendralecoupjusqu’àChicago.– Tu parles comme si le pire qui puisse arriver était qu’il devienne complètement bon à rien,

protestaHeron.Cequejecrains,moi,c’estqu’ilpiquesacriseetnousmassacretous.Hier,ilacruqueSammvoulaitluivolersonsacàdos;avant-hier,quetuessayaisdeliredanssespensées.Ilm’aaccuséedeuxfoisd’êtreunePartialaujourd’hui.–Cequin’estpasfaux,pointaSamm.–Raisondeplus:jen’aipasenviequeçaluidonnedesidéesdeviolence.Cerelaisradiocontient

aumoinstroissubstanceschimiquesquipourraientserviràfabriquerunebombe,etjevousgarantisquecetidiotsavantsaitutiliserlestrois.Ilestabsolumentbrillant,c’estvrai,maiscomplètementfêléaussi,etcettecombinaisonnemerassurepasbeaucouppourvoyageraveclui.Kira observa Heron à la lueur du feu de camp, dans la danse des étincelles orangées et de

l’obscuritébrune.Elleparaissaitfatiguée,etcesimplefaitl’alarma.Jusque-là,Herons’étaitmontréeinvulnérable, plus efficacequeKiran’avait osé l’espérer.Mais si elle cessait dedormirde crainted’êtreagresséeparunfou…–Queveux-tufaire?luidemanda-t-elleàvoixbasse.–Moi?JeveuxrentrerchezmoietsauverlesPartials.Jecroyaisavoirétéclaire.–Ilaunordiportabledanssonsac,ditSamm,etunTokaminpourlefairemarcher…cequipeut

aussiexpliquersesproblèmesmentaux,silesradiationsl’ontcontaminé.Enfinbref,ilpourraitpeut-êtrenousmontrermaintenantcequenousdevronsfaireunefoisarrivésàChicago,aucasoùilnetiendraitpasjusquelà-bas.–Jeluienparleraidemain,ditKira.Ilestmoinsméfiantavecmoi.–Évitejustedeliredanssespensées,persiflaHeron.Ilparaîtqueçal’énerve.KiraregardalesdeuxPartials–lesdeuxautresPartials,dut-ellesecorriger–ets’interrogea.Que

sepasserait-ilunefoisqu’ilsseraientàChicago?Lavilleserait-elleinfestéedeChiensdegarde,oudedragons,oupire encore?Afa les trahirait-il, ouHeron le ferait-elle ? Ils avaientbeaudiscuterbeaucoup, Heron gardait toujours une certaine froideur distante, se posait en observatrice plutôtqu’enparticipante.Maisqu’observait-elle,aujuste?Etpourquoi?Kiras’endormitcontreunarbuste,dosau feu, lesmainssursonfusil.Aumatin, ils testèrent les

panneaux solaires : le relais radiophonique s’alluma instantanément. Afa avait tout monté sans lamoindreerreur.Sammhochalatêteet,mêmes’ilneditrien,Kiraeutlasensationtrèsnettequ’ilétaitimpressionné–étonné,sansaucundoute,maisadmiratif.KiradonnaàAfaunetapedansledos.–Bienjoué.–LesZoblesont increvables, répondit-il,d’unevoixqui semblaitunpeuàcôtéde laplaque. Ils

fonctionnent avec une matrice de vache folle dopée aux cristaux de silicone pour améliorer le

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rendement.Kiraacquiesçasanstropsavoirsicequ’ellevenaitd’entendreétaitdujargonscientifiqueoudupur

charabia.Lafaceintelligented’Afacommençaitàsemélangeravecsafaceenfantine,cequipouvaitêtrebonoumauvaisàlongterme.Kiracraignaitquelefragileéchafaudagementalquiluipermettaitdefonctionnernecommenceàs’effondrer.–Essayonslaradio,proposa-t-elle.Ils’exécuta,allumantl’appareilettournantleboutonavecprécaution,accomplissantavecaisance

lestâchestechniquesqu’ilconnaissaitsurleboutdesdoigts.Iltourna,écouta,tourna,écouta,jusqu’àtomber enfin sur un signal d’origine humaine – ou Partial. Kira se pencha pour mieux entendrependantqu’Afaaffinaitleréglage.«…enretraite.Nossourcessurl’îledisentquecen’est…»–DesPartials,conclutHeron.–Saurais-tureconnaîtrelesquels?luidemandaKira.Afalesfittaired’ungeste,latêteinclinéeversleshaut-parleurs.«…entuerunparjour.»–Ceuxdunord.LeshommesdeTrimble,delaCompagnieB.–Dequoiparlent-ils?Heronplissalesyeux.–Probablementdeladated’expiration.–Ilfautqu’ontrouveMarcus,ditKira,quiéloignadoucementAfaduboutondesfréquences.Marcus et elle avaient établi un programme de rotation des fréquences lorsqu’ils avaient

communiquépendantl’invasion,enespérantquecelalesrendraitplusdifficilesàespionner.Ellefitmentalement lecomptedes joursquis’étaientécoulés,calculantsurquelcanal ilsétaientcensésseparlercejour-làetpriantpourqu’ilsoittoujoursàl’écoute.Ellefitsonréglageetallumalemicro.–Tête-Plate,iciCruciforme,tueslà?Àtoi.Elleéteignitlemicroetattendituneréponse.Heroneutunrictusdédaigneux.–Tête-PlateetCruciforme?–C’étaitsonsurnomàl’école,Tête-Plate.Queveux-tuquejetedise?Ilalatêteunpeuplate.J’ai

commencéàl’appelercommeçailyaquelquessemaines,parcequejesavaisqu’ilsereconnaîtrait,lui et personne d’autre. Encore une couche de précautions paranoïaques, ajouta-t-elle avec unhaussementd’épaules.Ducoup,Cruciformeestvenutoutnaturellement.–Cesontdeuxtypesdetournevis,précisaAfa.Ilyaaussiletournevistesteur,ledynamométrique,

le…–Oui,lecoupaSammenluiposantunemainrassurantesurl’épaule.Onsait.–Nemetouchepas!braillaAfaenbondissantsursespieds.SammreculaetAfaseremitàcrier,rougedecolère.–Jenet’aijamaisautoriséàmetoucher!– Tout va bien, Afa, s’interposa Kira. Tout va bien, calme-toi… Je vais retenter un appel, j’ai

besoindesilence.Cette allusion àunenécessité technique sembla faire effet, et l’hommese rassit.Kira ralluma le

micro.–Tête-Plate, iciCruciforme,est-ceque tum’entends?Allez,Tête-Plate.Je t’enprie, réponds.À

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toi.Ilsécoutèrentlebruitdefriture.–Etl’autobloquant,ditdoucementAfa,etletête-carrée,etlePozi,etleMortorq…–Cruciforme,iciTête-Plate.La voix deMarcus grésillait, brouillée, et la main d’Afa surgit comme l’éclair pour régler la

fréquence.Lavoixrésonnaparintermittence.–…trèsfaible,où…toidepuisplusd’unesemaine.Àtoi.Le son devint soudain très clair, et Kira attendit que Marcus ait terminé avant d’actionner son

micro.–Pardondenepasavoirdonnédenouvelles,Tête-Plate,onétaitunpeuoccupés.Onadû…Ellesetutpourréfléchiraumeilleurmoyendeluidireoùilssetrouvaientsansrienrévéleràdes

oreillesindiscrètes.–…onadûbouger.Déplacernotrecampdebase;ilsétaienttropprèsdenoustrouver.Àpartirde

maintenant,noscommunicationsserontplusespacées.Àtoi.–Contentdet’entendre,ditMarcus.Jecommençaisàm’inquiéter.Ilyeutunlongsilence,maisiln’avaitpasdit«àtoi»etKiranesavaitpassielledevaitparlerou

pas.Aumomentoùelleallaitrappuyersurlebouton,Marcusrepritlaparole.–Tusurveillestoujoursletraficradio?Àtoi.–Onaunaccèstrèsintermittent,commejetel’aidit.Ettoi,commentçava?Àtoi.Ilyeutencoreunsilence,etc’estd’unevoixpeinéequeMarcusrépondit.–LedocteurMorganaconquistoutel’île.Ellen’apasprislecontrôle,pascommeDelarosaquand

ils ont pris le pouvoir, non, c’est plutôt comme…commeun zoo, presque.Commeune ferme. Ilsrassemblenttouslesgensqu’ilstrouvent,ilslesenfermentici,àEastMeadow,etensuiteilslestuent.Unepersonneparjour.(Savoixn’étaitplusqu’unchuchotementhaché.)Àtoi.Kiraréprimauneexclamation.–C’estdeçaqueparlaitl’autrepersonnequ’onaentendue,ditAfa.Kiralefittaired’ungesteimpatient.Ellepressaleboutonpourparler,connaissantdéjàlaréponse

àsaquestion,maisnepouvants’empêcherdelaposerquandmême.–Pourquoiest-cequ’ilstuentlesgens?–elleeutunehésitationavantd’ajouter:Àtoi.–IlsrecherchentKiraWalker.Marcusrefusaittoujoursderévélersonidentitésurlesondes,maiselleentenditladouleurdanssa

voix,etespéraquepersonned’autren’écoutaitcettefréquence.–Jevousavaisditqueçaneseraitpasbeauàvoir,commentaHeron.Luiaussi,jel’avaisaverti,

ajouta-t-elleavecungesteverslaradio.–Tais-toi.–Ilfautquetuterendes.–Jetedisdetetaire!éclatasoudainKira.Laisse-moiuneminutepourréfléchir.–Jen’aiditàpersonneoùellesetrouvait,continuaMarcus.D’ailleurs,jen’ensaisrien,maisje

n’aiditàpersonnecequejesavais.Si jamaisellese livre…c’estàellededécider.Jenepeuxpasprendrecettedécisionpourelle.Àtoi.Kira garda les yeux fixés sur la radio, comme si celle-ci allait s’ouvrir pour révéler quelque

solutionmiraculeuse cachée à l’intérieur.Elle tue une personne par jour, se répéta-t-elle.Une parjour ! Cela paraissait terrifiant, horrible, épouvantable,mais… était-ce réellement pire que ce qui

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arrivaitaumêmemomentauxPartials?D’accord,ilsnesefaisaientpasexécuter,maisilsmouraientquandmême.Elle avait soutenuàHeronque laquêtedans laquelle ils se lançaientpassait avant lesalutimmédiatdesPartials;qu’ilétaitplusimportantdetrouverParaGen,decomprendrecequ’étaitlaSécurité.Devoirquellesréponsessetrouvaientlàetderésoudreceproblèmeàjamais,pourlesdeuxcamps:pasavecunsimplepansement,maisparuntraitementvéritableetpermanent.Sielleétaitprêteàabandonner lesPartialsquis’éteignaient,elledevaitêtrepréparéeàfairedemêmeavec leshumains,sansquoitoutcelan’auraitétéqu’unemascarade.Unramassisdemensonges.Ellefrémit,faibleetnauséeuseàl’idéedetantdemorts.–Jeneveuxpasmetrouverdanscetteposition,dit-elleàmi-voix.Jeneveuxpasêtrecellequetout

lemondepourchasse,cellequidécidedequivivraetquimourra.–Tupeuxcontinueràpleurnichersurtonsort,outupeuxrésoudreleproblème,luirappelaHeron.

Retourne là-bas tout de suite, et tu sauveras les deux camps : nous aurons une chance de stopperl’expirationdesPartials,etMorgancesseradetuerdeshumains.–Maisçaneferaitquelesépargnertemporairement.Moi,jeveuxlessauverpourdebon.Ellesetut,lesyeuxtoujoursrivéssurlaradio,puissetournaversHeron.–Pourquoies-tulà,toi?–Parcequetuestroptêtuepourfairedemi-tour.–Maistun’étaispasobligéedenousaccompagner.Tuescontrecettemissiondepuisledébut,ettu

esvenuequandmême.Pourquoi?HeronregardaSamm,puisdenouveauKira.–Pour lamêmeraisonque toi.Laraisonpour laquelle tum’asfaitconfiance :parcequeSamm

avaitconfianceenmoi,etqueçat’asuffi.Ehbien,Sammaconfianceentoi,etçamesuffit.Kirahochalatêtesanscesserdel’observer.–Etsioncontinuelaroute?–Jetetrouveraiidiote,maissiSammconsidèreque…–Jeperdslesignal,ditsoudainMarcusd’unevoixpresqueinaudible.Oùêtes-vous?Àtoi.–Onnepeutrientedire.Jenepeuxmêmepastedireavecquijesuis.–Oncherchequelquechose,etj’aimeraisbient’endireplus,mais…(Ellemarquaunepause,ne

sachanttropcommentcontinuer,etfinitparrenoncer.)Àtoi.Ilsattendirentuneréponse,maisenvain.– Une perturbation météo passagère, expliqua Afa. La réception peut être temporairement

amélioréeoubrouilléepardesnuages,desoragesoutoutautrephénomèneatmosphérique.–Jetefaistoujoursconfiance,ditSamm.Situpensesquec’estcequ’ilfautfaire,jetesuis.Kiraleregarda,longuement,attentivement,ensedemandantcequ’ilvoyaitenelleetqu’elle-même

nevoyaitpas.–EtlaSécurité?–Quoi,laSécurité?demandaSamm.–Onnesaitpascequec’est,maislemotévoqueundispositifprévupourempêcherleschosesde

maltourner–oupourrattraperlecoupsiellestournentmal.Peut-êtrequelaSécuritépeutrésoudretousnosproblèmes,qu’ilnoussuffitdelacomprendreetdel’activer?Elle pensa alors àGraemeChamberlain, lemembrede l’Alliancequi avait travaillé dessuspuis

s’étaitsuicidéaussitôtqu’ilavaitterminé,etfrissonnamalgrélachaleur.

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–Maissi,aucontraire,c’estquelquechosed’abominable,etquejusteaumomentoùoncroitavoirtoutrégléellerevienttoutruinerunefoisdeplus?Onnesaitpasdequoiils’agit.Çapourraitêtren’importequoi.–Etqu’est-cequitefaitcroirequeçaalamoindreimportance?voulutsavoirHeron.–C’estforcé.L’Allianceavaitjenesaisquelprojet.Leremèdecontrelamaladiedeshumainsest

inclusdanslesphéromonesdesPartials.Etpuisilyamoi:unePartiald’ungenreparticulier,vivantenimmersiondansunecoloniehumaine.Riendetoutcelan’estarrivéparhasard,etilfautquenoussachionscequeçaveutdire.Illefaut,tucomprends?C’estexactementledifférendquej’avaisavecMkele : leprésentou l’avenir.Parfois, il faut traverser l’enferauprésentpourobtenir le futurquel’onveut.Kiraportalaradioàsabouche.–Oncontinue,lâcha-t-ellesimplement.Terminé.

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CHAPITRE21

UneautremeutedeChiensdegarde les suivit dumontCamelbackau fleuveSusquehanna,maissansjamaispasseràl’attaque.Sammsuspendaitleursprovisionsetleuréquipementdanslesarbreschaquesoir, tandisqueHeronetKira faisaientde leurmieuxpourprotéger leschevaux.AfacessacomplètementdeparleràSamm,ets’adressaitàpeineàHeron; lesraresfoisoùil lefit, lesdeuxfilleseurentl’impressionqu’illaconfondaitavecKira.Ilétaitenmeilleureformelematin,l’espritreposé,mais ildevenaitchaquejourplussuspicieuxetcachottier.Kiracommençaitàvoirémergerchez lui une troisième personnalité, un croisement dangereux entre l’enfant perdu et le géniepsychopathe. Ce fut cette version d’Afa qui vola un couteau dans les affaires de Kira et tenta depoignarder Samm lorsque celui-ci s’approcha un peu trop de son sac à dos. Ils lui retirèrent lecouteau,maisKiracraignaitquecetteluttenefasseencoreplusdedégâtsàlongterme,alimentantladéfianceetlaparanoïa.Toutencheminant,Kirarepensaàsonexpériencedulien:auxfoisoùelleavaitressentiquelque

chose,etàcellesoùellen’avait rienperçudutout.Ellen’arrivaitpasàcomprendrecommentcelafonctionnait.Cequi nevoulait pas dire qu’il n’y avait pas de logique,mais simplement qu’elle nedisposaitpasencoredetouslesélémentspouryvoirclair.Elletâchadeseconcentrer,deseforceràcapter les émotions de Samm ou de lui transmettre quelque chose, apparemment sans succès. Lesixièmesensnesemblaitfonctionnerpourellequedanslessituationsdestressintense,parexempleuncombat.Auboutdequelquesjoursd’essaisinfructueux,elles’enouvritàSamm.–Jeveuxquetum’apprennesàmeservirdulien.Illaregarda,apparemmentimpassible,maisellesedoutaqu’illuienvoyaitdesdonnéesreflétant

sesémotions.Était-ilperplexe?Sceptique?Elle tâchadehumer l’airdesonmieux,maisneflairariendutout.Oualors,ellenefaisaitpasladifférenceentrelesphéromonesetsasimpleintuition.– Ça ne s’apprend pas, lui répondit-il. Ce serait comme… apprendre à voir. Soit tes yeux

fonctionnent,soittuesaveugle.–Alorspeut-êtrequejelefaisdéjàsansm’enapercevoir.Dis-moiqueleffetçafait,pourquejele

reconnaissequandçam’arrive.Samm chevaucha en silence pendant un moment, puis secoua la tête : un geste étonnamment

humain,qu’ilavaitdûcopiersurelleousurHeron.–Jenesaispasprécisémentcommentteledécrire,parcequejen’imaginepasenêtreprivé.Jetele

répète,ceseraitcommeêtreprivéd’yeux.Tutesersdetesyeuxpourtout:lavueestsiimportantedanslefonctionnementdeshumainsetdesPartialsqu’ellecoloretouslesautresaspectsdenosvies.Mêmececi,tiens:leverbe«colorer»pourparlerduressenti.C’estunemétaphorevisuelleutiliséepourdécrirequelquechosequine l’estpas.Quandtuessaiesde tefigurercequedoitéprouverunaveugle,voilàcommentj’imaginequelqu’unfonctionnantsanslelien.–Maislavuenoustrahitsouvent,ditKira.Pourtant,lesaveuglesparviennentàvivreensociété,et

jetepariequ’ilscomprennentunemétaphorecommeleverbe«colorer».–D’accord,mais la cécité est quandmême considérée comme un handicap.Dumoins chez les

Partials.–Chezleshumainsaussi.

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–Ah, tu vois. Et personne ne soutiendrait que la cécité est une simple nuance stylistique : c’estréellementunedéfaillancesensorielle.–Regarde-moi,ditsoudainKira.Elle écarquilla les yeux pour afficher une expression de surprise exagérée. Samm n’eut aucune

réaction.–Tuasvu?–Quoi?–Jeviensd’ouvrirlesyeuxtrès,trèsgrand.–Tufaisçatoutletemps.Lespartiesdetonvisageetdetoncorpsn’arrêtentpasdebougerquand

tuparles.Heronaussifaitça.Avant,jecroyaisqu’elleavaitdestics.Kiraéclataderire.– C’est ce qu’on appelle le langage corporel, Samm. La plupart des indications sociales que tu

communiquespar lesphéromones,nous les communiquonspardepetitsmouvementsduvisageetdesmains.Ceciveutdireque je suis sceptique. (Ellehaussaunsourcil.)Etceci,que jene saispasquelquechose.(Ellehaussalesépaulesetécartalesmains,paumesenl’air.)–Maiscomment…Samm se tut, le temps qu’auraitmis un humain à froncer les sourcils ou pincer les lèvres – un

signeindiquantlaconfusion–,etKirasupposaqu’illuienvoyaitlemessage«jesuisperplexe»avecsesphéromones.– … comment apprenez-vous tous ces signes ? Un nouvel arrivant dans votre culture, ou un

enfant…combiendetempsmet-ilàapprendretouscescurieuxpetitsgestes?Ilessayad’imiterlehaussementd’épaules,demanièreraideetmécanique.–Ça,c’estcommedemanderàunhispanophonepourquoiils’embêteavectouscesmotsbizarres

alorsqueceseraittellementplussimpledeparleranglais.Etvous,devez-vousenseignerlesdonnéesdulienauxnouveauxPartials?–Iln’yapaseudenouveauxPartialsdepuisdesannées.Maisnon,biensûrquenon,etjecroisque

je commence à voir où tu veux en venir. Es-tu vraiment en train de me dire que ce « langagecorporel»estaussiinhérentauxêtreshumainsquelelienl’estauxPartials?–C’estexactementça.–Mais alors… (Une fois de plus, il marqua une pause, et Kira ne put que s’interroger sur les

donnéesinvisiblesqu’illuienvoyait.)J’allaistedemander:commentpouvez-vousvouscomprendreparradiosilamoitiédevotrecommunicationestvisuelle?Maisaprèstout,leliennepassepasnonplusparradio,cequinousmetàégalitédececôté-là.Enrevanche,lesPartialssecomprennentdanslenoir.– Je te l’accorde,maisnousavonsaussibeaucoupd’indicesverbauxquivousmanquent.Écoute

biencesdeuxphrases:«Tuvasvraimentmangerça?»Etmaintenant:«Tuvasvraimentmangerça?»Sammladévisagea,toujoursaussiinexpressif.–Jesupposequetuvasmedirequeladifférencedevolumedecertainsmotsnuancelesensdela

phrase?Nousnousservonsdulienpourfaireàpeuprèslamêmechose.– Voilà qui nous donne un avantage dans la communication par radio, dit Kira en agitant les

sourcils.C’estpeut-êtrelesecretpourgagnerlaguerre.Samms’esclaffa,etKiraseditquelerire,aumoins,semblaitassezrépanduchezlesPartials.Ils

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n’en avaient probablement pas besoin, puisqu’ils avaient d’autres moyens d’exprimer la joie oul’humour, mais ils riaient quand même. Peut-être était-ce inscrit dans la partie humaine de leurgénome?Oubienuneréactionarchaïque,unbrind’ADNfossile?–Maisassezparlédelangagecorporel,décida-t-elle.Jeveuxm’entraîneràressentirlelien,alors

vas-y,attaque.–T’attaquernerendrapaslelienplusfacileàdétecter.– C’est une façon de parler ! Je voulais dire : envoie-moi des données…Vas-y, émets quelque

chose.Jeveuxapprendreàlecapter.Ils passèrent les jours suivants à pratiquer cet entraînement, Samm lui envoyant des messages

simplesavecsesphéromonesetKirafaisantsonpossiblepourlescapteretreconnaîtrelesémotionsqu’ilsportaient.Àdeuxoutroisreprises, il luisemblapercevoirquelquechose,mais laplupartdutempsellerestaitdanslebrouillardlepluscomplet.Ils traversèrent les Appalaches sur une large autoroute portant le numéro 80, endommagée et

croulanteàcertainsendroits,maispourl’essentielenassezbonétat.Ilsavancèrentplusviteunefoislarivièretraversée,laissantloinderrièreeuxlameutedechienset,ilsl’espéraient,toutautreintrusquiauraitpulesépier.Craignantmoinsd’êtreagressés,ilspouvaientsedéplacerplusouvertement,maislesvastesétenduesdeterresagricolesnefaisaientqu’accentuerchezAfalessymptômesdecequiétait,commeKira l’avaitcraint,uneagoraphobiedeplusenplusprononcée. Ilvouluts’arrêterdanspresquetouteslesvillesqu’ilstraversaient,pourallerseréfugierdansunebibliothèqueouunelibraire et y trier les volumes de manière obsessionnelle. Une grande partie de la région étaitcouvertedelonguescollinesbasses,etilallaitmieuxlorsqu’ilspouvaientavancerentredeuxdecesreliefs, rassuré par leurmasse qui, aumoins, limitait la portée de son regard.Kira espérait qu’ilsrencontreraient ce genre de terrain jusqu’àChicago,mais plus ils allaient vers l’ouest, plus le soldevenait plat. Lorsqu’ils eurent traversé la rivièreAllegheny et que la vaste plaine duMidwest sedéployadevanteux,lesmarmonnementsd’Afasefirentplussporadiquesetdésorganisés.QuandilsenfurentàfranchirlalimiteentrePennsylvanieetOhio,Kiraserenditcomptequ’ilnefaisaitpasqueparlermaisqu’ilsedisputait,grommelantfurieusementàl’encontred’unchœurdevoixqu’ilétaitleseulàentendre.L’uniqueréconfortd’AfapendantlatraverséeduMidwestfutlesvilles,quiétaientlàplusvasteset

plus rapprochées ;Heron,en revanche, semontraitplusméfiantedanschacune,craignant toujoursd’êtreattaquéeparquelqueennemiinvisible.Ilsrestèrentlepluspossiblesurlaroute80,traversantYoungstown puis obliquant vers le nord jusqu’à une cité nomméeCleveland. Les deux étaient desvilleslugubresetvides,dépourvuesdukudzuquidonnaitunaspectdejungleàlavilledeKira,surlacôteest.NewYorkaussiétaitimmobileetsilencieuse,maislavégétation,aumoins,luiconféraitunpeudevie.Ici,enrevanche,lesavenuesétaientmortes,nuesetcroulantes,érodéesparleventetleséléments,monuments s’éteignant dansuneplaine infinie etmonotone.Kira se sentait esseulée rienqu’à les regarder,etelle futaussisoulagéequeHeronde lesquitter.Leur itinéraire leur fitensuitelongerlarivesudd’unemergriseetagitée,dontSammsoutenaitquecen’étaitqu’unlac;mêmeenlevoyantsurunecarte,Kiraeutdumalàcroirequecen’étaitpassimplement leprolongementdel’océanqu’elleavaitlaisséderrièreelle.Ellen’avaitjamaisaimécetocéan,tantellesesentaitpetiteetexposéesursonrivage,maisàprésentilluimanquaitterriblement.Sesamisaussiluimanquaient–Marcus, enparticulier.Bobohennitdoucement et secoua sa crinière, et elle lui caressa l’encolure

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avecreconnaissance.Commentl’ancienmondeavaitpufonctionnersanschevaux,voilàquidépassaitsonimagination.Onnepouvaitpascaresserunevoiture!DansunevillenomméeToledo,unelargerivièrequiserpentaitdepuislesudsejetaitdanslelac,et

ils arrêtèrent leurs chevaux au bord du vide, à quinze mètres au-dessus des eaux furieuses. Lachausséestoppaitnetdevanteux : lesdécombresdupontde la route80s’entassaientdans lecoursd’eauencontrebas.–Ques’est-ilpasséici?s’étonnaKira.Cepontal’airtropneufpourêtretombésansraison.Leprécipicedonnaitlevertige,etleventfouettaitsescheveux.–Regardez lespoutres,ditSammendésignant l’infrastructuremétallique, complètement tordue,

quidépassaitdubétonàleurspieds.Onl’afaitsauter.–Çadevraittefaireplaisir,glissaHeronàAfa.Celui-citournaitenrondsursonchevalsansfaireattentionàeux,grommelantdesmenacesdont

Kiradevinaitqu’ellesnes’adressaientpasseulementàZarbi.–Ilvafalloirqu’onfasseletour,conclutSammendirigeantlatêtedeBuddyverslagauchepour

fairedemi-tour.Kirarestaaubordpourscruterl’autrerive.Lepontécrouléavaitforméunesortedebarricadeà

traverslecoursd’eau,pasassezhautepourarrêtersonflux,maissuffisammentpourfairerouleretbouillonner la rivièrepar-dessus lesdébris avantqu’ellene s’apaise ànouveauune fois l’obstaclefranchi.–Quiauraitpufaireça?demanda-t-elle.–Ilyaeuuneguerre,tusais,ditHeron.Tunedoispast’ensouvenir,tuétaistroppetite.Kiradutprendresurellepournepasluilancerunregardhaineux.–Jelesais,qu’ilyaeuuneguerre.Maisjenecomprendspasquelcamppouvaitavoirunebonne

raisondefairesauterunpont.Tum’asditquelesPartialsseconcentraientsurlesciblesmilitaires,doncçanepeutpasêtreeux,etleshumainsn’auraientpasdétruitleurspropresinfrastructures.–C’estexactementl’attitudequiadéclenchélaguerre,pourtant,lâchaHeron,surprenantKirapar

lacolèrequigrondaitdanssavoix.–Jenecomprendstoujourspas.Heronlatoisaavecunmélangedecalculetdedédain,puissetournaverslarivière.–Votrefaçondeconsidérerquevousrégnezsurtout.CepontappartenaitautantauxPartialsqu’aux

humains,enréalité.–LesPartialsontobtenuledroitdepropriétéen2061,intervintAfa,quiregardaitfixementlaroute

sans cesser de tourner en rond sur le dos de Zarbi.Mais ce droit n’a jamais été reconnu par lestribunauxd’État, etde toutemanière, lesPartialsn’arrivaient toujourspasàobtenirdesprêtspouracheterquoiquecesoit.NewYorkTimes,éditiondudimanche24septembre.–Lavoilà,taréponse,ditSammendésignantlalignederemousforméeparlesdébrisdupont.Là,

dépassantdel’eau,àunevingtainedemètres.Kira suivit la direction indiquée par son doigt en protégeant ses yeux des reflets étincelants du

soleil:àl’endroitquemontraitSamm,unetigemétalliquecrevaitlasurface,parmilesgravats.Ellesortit ses jumelles, fit le point, et comprit qu’il s’agissait du canon d’un char d’assaut. L’habitacleformaitunebossejusteendessousdesflots,logéentredeuxgrosamasdebétonetd’acier.Surlecôtéétaitinscritlechiffre328.–Ilyavaituncharsurlepontquandilasauté.

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–Probablementdesdizaines,ajoutaSamm.Le328eétaitunpelotonblindédePartials.Jesupposequelamilicelocaleapiégélepontetl’afaitsauteraumomentoùilstraversaient,pourfaireleplusdedégâtspossible.–Ilsn’auraientpasfaitça.–Ilsontfaitçaetbienpire,ditsèchementHeron.LavoixdeSammétaitplusdouce.–Àlafindelaguerre,ilsétaienttellementauxaboisqu’ilsauraientfaitn’importequoi.Lavictoire

Partialétaitdéjà irrévocable,et lapropagationduRMaencoreenvenimélasituation.Leshumainsmouraientparmillions.Quelques-unsétaientdécidésà faire sauter tout cequ’ilspouvaient– leursponts, leurs villes, jusqu’à eux-mêmes –, du moment que cela pouvait tuer ne serait-ce que l’und’entrenous.–Bellementalité,ironisaHeron.–EtlaflottedelabaiedeNewYork,alors?lamouchaKiraenpirouettantpourluifaireface.J’ai

vu ça dans les documents d’Afa : vingt navires humains coulés, pas un survivant, l’attaque la plusmeurtrièredetoutelaguerre.–Vingt-trois,précisaAfa.–Légitimedéfense,lâchaHeron.–Tutefousdemoi?ContrequoilesPartialsauraient-ilspuvouloirsedéfendre?Heronarronditunsourcilhautain.–Pourquoidis-tuçasansarrêt?–Quoi?–Tudis«eux»aulieude«nous».TuesunePartial…tuesdifférente,maistuesdesnôtres.Ettu

n’es certainement pas des leurs. Tu l’oublies sans arrêt, mais tes amis les humains, eux, nel’oublierontpas.Ilsfinirontpardécouvrirlavérité.–Etalors?Quelrapport?–Àtoidemeledire.QuepenseratonpetitcopainMarcusquandilsauracequetues?–Ducalme,intervintSamm.Calmez-vous,touteslesdeux.Cettedisputenenousmèneranullepart.–Cepontnonplus,maugréaKira.Ellefitfairedemi-touràsamonture.Elleavaitenviedecrier,dehurlerauxoreillesdetous,même

d’Afa–deleurdirequetoutétaitleurfaute,qu’ilsavaientfaitcetteguerreetdétruitlemondeentieravantmêmequ’elleaitl’âgedeledéfendre.Maispourladestructiondupont,ellenepouvaitmêmepasleurenvouloir.Etc’étaitlepiredetout.–Trouvonsunautrechemin.

Chicagoétaitinondé.Ils avaient mis presque unmois à rallier la ville, plus impatients à chaque jour qui passait. Ils

avaient semé tous leurs panneaux solaires sur leur chemin afin d’alimenter une chaîne de relaisradiophonique derrière eux. Ainsi, si les archives qu’ils découvriraient contenaient un moyen delever la date d’expiration ou de synthétiser un remède contre le RM, ils pourraient transmettrel’informationenquelquessecondesaulieudemettreencoreunmoisàlarapporter,àleursrisquesetpérils. Afa était devenu plus impatient lorsque la ville était apparue devant eux : une métropolegigantesquequisemblaitencoreplusimmensequeNewYork.Ellesetrouvaitaubordd’unautrelac

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géant,épousant la formedes rivesestet sud,et s’étendait sur laplaineaussi loinqueKirapouvaitvoir : gratte-ciel vertigineux, métros aériens et monorails, vastes usines et entrepôts, alignementsinfinisdemaisons,debureauxetd’appartements.Letoutàmoitiéeffondré,sereflétantdansuneeauhuileuseetmarécageuse.–C’estàçaquec’estcenséressembler?demandaKira.–Çam’étonnerait,ditSamm.Ilssetenaientausommetd’uncomplexedebureauxenborduredelaville,etobservaientlascène

aveclesjumellesdugarçon.–Tout n’est pas inondé, annonça-t-il, seulement lamajeurepartie ; ondirait qu’il y a despetits

reliefs,mais rien d’énorme. Je parie que presque partout, il n’y a que quelques centimètres d’eau,peut-êtreunmètreoudeuxdanslesendroitslespluscritiques.C’estsimplementquelelacestunpeusortidesonlit.–DesdizainesdecanauxtraversaientChicago,leurappritHeron.Certainesdecesruesquetucrois

peuinondéesserontenfaitdeprofondesrivières,maisellesdevraientaumoinsêtrefacilesàrepérer.–Cescanauxconstituaient leplusgrandréseaudevoiesnavigablesartificiellessurTerre,clama

fièrement Afa comme s’il les avait creusés en personne. Les ingénieurs de l’ancien monde ontcarrément inversé le cours d’une rivière : eh oui, notre puissance allait jusque-là, à l’époque oùl’hommecontrôlaitlanatured’unemaindefer.Il avait les yeux brillants, et Kira ne pouvait qu’imaginer ce que lui évoquait cette idée ; après

quatre semaines passées dans une nature retournée à l’état sauvage, une ville si farouchementtechnologiquedevaitluifairel’effetd’uneprièreexaucée.–Eh bien, la nature s’est rebiffée, rétorquaHeron.Espérons qu’elle n’a pas noyé ton centre de

données.–Voici l’adresse, ditAfa avec ardeur en sortant une feuille pliée de son sac à dos – encore un

documentimprimé,avecuneadresseencercléeenrougetoutenbas.Commejenesuisjamaisvenuici,jenesaispasoùc’est.Sammregardalafeuille,puislacitégargantuesque.–CermakRoad.Jenesaismêmepasparoùcommenceràchercher.Ilvanousfalloirunplandela

ville.–Cettetourdoitêtrecelled’unaéroport,ditKiraenindiquantunhautpilierdebéton,prochedes

rivesdulac.Ilyaurasansdouteunvieuxcomptoirdelocationdevoituresoùondevraitpouvoirentrouverun.Les autres acquiescèrent, et ils descendirent retrouver les chevaux. Les routes qui menaient à

l’aéroportétaientàpeuprèssèches,maisquelquesmaresserévélèrentquandmêmeproblématiques.Certaines rues étaient couvertes d’une eau stagnante peu profonde, d’autres simplement boueuses,mais ici et là, une voie était transformée en torrent furieux.Certaines bouches d’égout refoulaientl’eaudu lac qui empiétait sur la ville, la chaussée était par endroits soulevéepar des canalisationsfuyardes, et parfois des rues entières s’étaient affaissées, l’asphalte balayé au loin, à cause desinondationssouterraines.Unelourdeodeurrégnaitdansl’air,maisc’étaitcelledulac,pasdeségouts.L’humanitéavaitdisparudepuissilongtempsquemêmesesmauvaisesodeursétaientparties.Illeurfalluttoutelajournéepouratteindrel’aéroport,etilscampèrentpourlanuitdansunbureauenrez-de-chaussée.LeschevauxfurentattachésàunemachineàrayonsXrouillée.CommeKiras’enétaitdoutée,lecomptoirdeslocationsdevoituresdisposaitd’uncertainnombredecartesdesenvirons.IlslesétudièrentàlalumièredelalampetorchedeHeron,planifiantleuritinérairedulendemain.

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–Voicilecentrededonnées,ditSammenindiquantunpointprochedelacôte,enpleinmilieuduquartiercentralleplusdense.Aveclelacici,etlescanauxdesdeuxcôtés,jepensequ’onauradelachancesionnefinitpasparyalleràlanage.Resteàespérerquel’eaun’estpasempoisonnée,siprèsdesfrichesindustriellestoxiques.–Leschevauxn’yarriverontjamais,préditKira.Heron,poursapart,consultal’échelleinscriteenbasdelapagepourévaluerladistance.–Letrajetseralong,sanseux.Apparemment,onpeutfairepresquetoutlecheminparlaroute90;

si elle est surélevée, comme certaines que nous avons vues, on ne devrait pas avoir de problèmesavecl’inondationjusqu’auxderniersblocsd’immeubles.–Etensuite?fitKira.Onlaisseleschevauxattachéssurl’autoroute?SiChicagoressembleuntant

soit peu à Manhattan, ils seront dévorés par des lions dans les heures qui suivront. Ou par cesabominableschiensparlants.Sammensouritpresque.–Tuesencoreterrifiéeparcesbestioles,hein?–Jenecomprendspascommentvousfaitespournepasl’être.–Sionlaisseauxchevauxlalibertédefuirlesprédateurs,ilsneserontpluslàànotreretour,dit

Heron.Sivousnevoulezpasrentreràpied,ilvafalloirprendrelerisque.–C’estàquelledistance?demandaKiraenregardantlacartedeplusprès.Onpourraitpeut-être

les laisser ici, ou à l’étage… enfermés, ils serontmoins en danger, et on aura une chance de lesretrouver.–Moi,jeneveuxpasmarcher,lançaAfadel’autreboutdelasalletoutentripotantsonordinateur

portable.Kiranes’étaitmêmepasrenducomptequ’ilécoutait.–Tuyarriverastrèsbien,luidit-elle.MaisSammsecoualatête.–Jen’ensuispassûr.Ilmesembleplusfaiblequ’audébutduvoyage.–S’iln’arrivepasàmarcherjusquelà-bas, ilnepourrajamaisrentreràNewYorknonplus,dit

Kira.Onvalaisserleschevauxenlieusûr,etonlesreprendraauretour.Heronexaminalacarte,suivantl’itinérairedudoigt.–Onsorticietonfilesurla90;c’estunerouteàpéage,maisj’aidespiècessurmoi!plaisanta-t-

elle. Elle rejoint ici la 94, qui nous mènera directement au centre-ville. On en sort par ce groséchangeur,etdelàc’esttoutdroitjusqu’àParaGen:ildoityavoiràpeineunkilomètreetdemiderouteauniveaudusol.Lacarte,conçueavanttoutpourlestouristesetleshommesd’affaires,permettaitdifficilementde

savoirquelgenredebâtimentslongeaientlaroute.Quelqueshôtelsetcentresdecongrèsimportantsétaientsignalés,ainsiqu’unepoignéederestaurants,maisrienquiparaissecorrespondreàcequ’ilscherchaient. Enfin, Heron repéra un édifice arrondi, juste à côté de l’autoroute, légendé : « USCellularField».Unstadedebase-ball.–Ilyauraforcémentunebretelled’accès,ditHeron,etpleindeplacepourenfermerleschevaux.

Ilsaurontdequoibrouter,ilsnepourrontpass’enfuiretilsserontprotégés.Kiraétudialacarte,puishochalatête.–Jesupposequec’estnotremeilleureoption,etsileschosesnesepassentpascommeprévu,eh

bienons’adapteraenroute.Prenonsunpeudesommeil,etpartonsdemainàlapremièreheure.

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L’aéroport disposait de plusieurs restaurants, et ils réussirent à dénicher dans les cuisinesdifférentesboîtesdeconservehermétiquementscellées–principalementdegrosbidonsdefruitsausirop,maisaussidesboîtesdepouletcuisiné,ainsiqued’autresdeharicotsetdesauceaufromagedansunrestaurantmexicain.Laplupartdesfruitsétaientpourrisetlesharicotsdégageaientuneodeurjuste assez suspecte pour qu’ils décident de ne pas s’y risquer, mais le poulet et le fromage leurfournirent un repas goûteux, quoique pas très appétissant. Ils allumèrent un feu dans une poubellemétallique et réchauffèrent les plats dessus avant de les servir sur des plateaux en polystyrène – tellementbienconservésqu’ils avaient l’airneufs. Ilsdégotèrentdes cuillers enplastiquedansunancienstanddesandwichs.Afa,ignorantsescompagnons,gardalesyeuxrivéssursonécran,etneconsentitàmangerquequandKiradéposaunplateaujustesoussonnez.Ilmarmonnaitquelquechoseàproposdecodesdesécurité,etlesautreslelaissèrenttranquille.Kira assura le premier tour de garde, parlant d’une voix douce à Bobo qui grignotait des

mauvaisesherbesdansunejardinièred’intérieur.Afaétaitencoreautravail lorsqueHeronpritsontouràdeuxheuresdumatin,maisquandKiraseréveillaàseptheuresildormaitdanssonfauteuil,effondré sur son écran en veille. Kira ne put s’empêcher de se demander s’il avait sombrénaturellementdanslesommeilousiHeronl’avaitdiscrètementassommé.Ils refirent leursbagages et reprirent la route, suivant la carte et découvrantqueHeronavait vu

juste : l’autoroute était surélevée. Ils traversèrent ainsi Chicago pendant des kilomètres et deskilomètres,surlelongruband’asphaltecommejetéau-dessusd’unvastemarécage,regardantsouseuxlesmaisons,lesparcsetlescoursd’écoleinondésettrempés,etlasurfacehuileusedel’eauquimiroitaitvivementsouslesoleilmatinal.Icietlà,unevraierivièrecirculaitenpleineville,trahissantunniveauhydrostatiqueextrêmementélevé,etKiras’étonnaqueChicagoaiteuautrefoislespiedsausec.L’ancienmondeavaitdûfourniruneffortimmensepourmainteniràdistancelelac,lesrivièresetmêmel’humiditédusol.Lajeunefilleéprouvaituneétrangefierté,commeAfalaveille,àl’idéededescendre d’une civilisation aussi extraordinaire – une espèce si intelligente, si capable et sivolontaire qu’elle avait su retenir la mer et inverser le cours des rivières, prendre cette côtemarécageuseetlatransformerenmégalopole.Ilyavaitdequois’enorgueillir.Uneautrepartied’elle-même,enrevanche,songeaitàl’orgueildémesurédeceshommes.N’était-

ce pas une tentation, pour une civilisation si évoluée, d’aller juste unpeu trop loin ?De faire unechosequ’ellen’auraitpasdû?Unsacrifice,uncompromisouunerationalisationdetrop?Quandonétaitcapabled’édifierunecitésimajestueuse,qu’est-cequivousempêchaitdevouloirfabriquerunêtre vivant ? Quand on savait maîtriser un lac, qu’est-ce qui vous retenait de maîtriser unepopulation ? Quand on pouvait subjuguer la nature elle-même, comment imaginer qu’un viruspourraitunjouréchapperàvotrecontrôle?Kira pensa à l’Alliance : à leurs plans secrets, leurs intentions cachées. Elle pensa aussi à la

Sécurité:qu’était-ce?Avaient-ilsvoulusauverlemonde,ouledétruire?Lesréponsessetrouvaientdanslecentrededonnées,etlecentrededonnéesétaitpresqueàleurportée.Ilssuivirentlaroute90endirectiondunord-ouest,jusqu’aumomentoùellerejoignitla94.Àleur

granddésarroi,celle-cis’inclinaitverslebas,neperdantpasseulementsonélévationmaisplongeantcarrémentsousleniveaudelaville–pasdansuntunnel,maisdansunelargetranchéeàcielouvert.Àpartirdelà,cen’étaitplusuneroutemaisunfleuveparesseux,dontnedépassaitqueletoitdesplusgroscamions.–Onvadevoirfairedemi-tour,constataSamm.–Etpuisquoi,partirdanslesrues?grommelaHeron.Tuasvulestrousqu’onadûfranchiren

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allantàl’aéroport:avecautantd’eaurecouvranttout,onnesaurajamaissionmetlepiedsurunsolfermeoudansunefosseprofonde.Kiraregardaderrièreeux,scrutalepaysageurbain,puiscontempladenouveaularivière.–C’esttroplongpourqueleschevauxcontinuentàlanage.–Ilyenapourdeskilomètres,renchéritHeron.–Trouvonsunbateau,proposaalorsAfa.Kiraleregarda,stupéfaite.–Tuparlessérieusement?–Tuasbienditquecetteroutemenaitaudatacenter,non?Onsaitquec’estassezprofondpourun

bateau,alorslaissonsleschevauxicietallonsenchercherun.Sammacquiesça.– Je dois reconnaître que c’est unebonne idée.Trouvonsquelque chosequi flotte et qui pourra

nousporter.KiradirigeaBoboverslecôtéetregardapar-dessusleparapet,observantlavilleautourd’eux.À

cet endroit, l’autorouteurbaineétait d’une largeur inouïe,presqueabsurde–desdizainesdevoiescôteàcôte–,etprocheduniveaudusol.Ducôténord,onvoyaitunesortededépôtdechemindefer,maislesudressemblaitàunquartierrésidentiel,etc’étaitsansdoutelemeilleurendroitoùdénicherunpetitbateau.Elleselaissaglisserdudosdesoncheval,étirasesjambesetempoignasacarabine.–L’und’entrevousvaveniravecmoi.Voyonscequ’onpeuttrouverparlà.–Jet’accompagne,décidaSamm.Il mit pied à terre et la suivit, la rattrapant rapidement de ses grandes enjambées souples. Ils

franchirentunparapetenciment,puisunautreetencoreunautre:unnombreincalculabledevoiessecroisaientetpassaientlesunespar-dessuslesautres.–C’estunebonneidée,dit-il.Kirasehissapar-dessusunmuretdeséparation.–Lebateau?Oui.Afan’estpasunimbécile,tusais.–Jecroisquej’aiétéinjusteenverslui.Kirasouritlargement.–Tunevasquandmêmepast’envouloirsimplementparcequ’ilaeuunebonneidée!–Cen’estpasseulementça,c’estaussi tout lereste. Ilestplusfortquejene l’auraiscru.Oudu

moinsplusrésistant.Sammfranchitàsontourlemuret.Kirahochadistraitementlatête,scrutantlesfrondaisonsquilongeaientlaroute.–Ilatraversébeaucoupdechoses.–Presquedouzeannéespasséestoutseul,ditSamm,àfuiretsecachersanspersonnepourl’aider

nipourrienpartager…Pasétonnantqu’ilaitl’espritenmiettes.Cen’estquandmêmequ’unhumain,ajoutalePartialavecunhaussementd’épaules.Kiras’arrêtanetetpivotaverslui.–Minute.Tuesentraindedireque…quecen’estpasgravequ’ilsoitfou,parcequecen’estqu’un

humain?–Jedisjustequ’ils’estbienmieuxdébrouilléquebeaucoupdevoscongénères.–Maistupensesqu’êtrehumainestunefaiblesse.Qued’unecertainemanière,sanaturehumaine

excusesesdéficiencesparceque,bah,onpeutdéjàs’estimerheureuxqu’ilnefassepasdanssonfroc

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enpermanence.–Cen’estpascequej’aidit.–C’estcequetuvoulaisdire.C’estcequetupensesdemoi,aussi?Pasbête,pourunehumaine?–TuesunePartial.–Tunelesavaispasaudépart.– Nous sommes conçus pour être parfaits, lui rappela Samm. Nous sommes plus forts, plus

intelligentsetpluscapablesparcequenousavonsétéfabriquésainsi–jenevoisriendemalàledirehautetfort.Kirasautapar-dessusledernierparapet,atterrissantdel’autrecôtédansdeséclaboussuresdeboue.–Etvousvousdemandezpourquoileshumainsvousdétestent!–Attends,ditSamm,qui lasuivaitdeprès.Pourquoicettecolèresoudaine?Tune t’énervespas

commeça,d’habitude.–Ettoi,d’habitude,tunefaispasderéflexionsracistessurlastupiditédeshumains.–Heronnes’enprivepas,elle.Ettuneluisautespasàlagorgepourautant.Elleseplantasoussonnez.– Alors tu devrais te sentir autorisé à nous détester, toi aussi ? C’est ça, le problème ? Tume

trouvesinjusteavectoi?–Maiscen’estpas…Ah.–Ah?Quoi,«ah»?–Jevoiscequinevapas,etjetepriedem’excuserd’avoirabordélaquestion.–Jet’aiditcequin’allaitpas.N’essaiepasdedéplacerleproblème,ilreposebiensurtesépaules

«parfaites».– Tu n’arrêtes pas de dire « nous » en parlant des humains, lui fit-il doucement remarquer. Tu

t’identifiesencoreàeux.–Biensûrquejem’identifieàeux!Ças’appellel’empathie,figure-toi.C’estcequ’onfait,entre

humains:ons’identifielesunsauxautres…onsesoucielesunsdesautres.Heron,visiblement,n’apasdecœurdutout;maistoi,jetecroyaisdifférent.Tu…LavoixdeKiras’éteignit touteseule.Commentpouvait-elleexpliquersonsentimentde trahison

lorsqu’ilparlaitainsidesgensqu’elleaimait?Lorsqu’ilcontinuaitànepascomprendrecequesonattitudeavaitd’horrible?Elleluitournaledosetseremitenmarche.–Jesuisdésolé,dit-ilderrièreelle.MaisHeronaraison:tuvasdevoirdéciderdequitues.Lajeunefillelevalesmainsenl’airetcriasansseretourner.–Alorscommeça,jedoischoisirmoncamp?Ellepleurait,àprésent,etseslarmesluibrûlaientlesjoues.–Situveuxêtreheureuse,oui.Parcequelà,tutedéchiresendeux.

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CHAPITRE22

Ilsmirentuneheureàtrouveruneembarcation,enn’échangeantguèreplusquedesmonosyllabes.Ici.Là.Non.Voilà.C’étaitunpetitbateauàmoteur,longd’environquatremètres,pasplus,posésuruneremorqueetrangédansunecourpleinedecamionsetdevéhiculestout-terrain.Kiraenfitletouren pataugeant dans quelques centimètres d’eau, tâchant de comprendre comment il était attaché,commentledécrocher,àquelendroitilspourraientpousseruncamionoubriseruneclôturepourlesortirde lacour. Ilnesemblaitpasyavoird’issue.Ellebouillait toujoursde rage, furieusecontreSamm,maisfinitpars’adresseràluisansleregarder.–Jenepensepasqu’onpuisselesortird’ici.–Jesuisd’accord.LavoixduPartialétaitplateetdénuéed’émotions,maisilétait toujourscommeça.Était-ilaussi

fâchécontreellequ’ellel’étaitcontrelui?Elleendoutait,cequilarendaitencoreplusfurieuse.–Celuiquivivait iciétaitapparemmentunadeptedugrandair,ditSammenobservant lesvélos

tout-terrain et les caravanes qui gisaient près du bateau impossible à déplacer. Il avait peut-êtrequelquechosedepluspetitdanssongarage.–Ilouelle,lecorrigeaKira.Elleregrettaaussitôtl’agressivitédesavoix.Tupeuxluienvouloirsanspourautanttecomporter

commeuneidiote,Kira.Ellepréféraseconcentrersurleproblèmeimmédiat,étudiantdenouveaulesrouesducamion,sedemandantcequisepasseraitsielleessayaitdeledémarrer:lespneusétaientàplat,etl’essencequirestaitdansleréservoirétaitvieillededouzeans.Àsupposerqu’ildémarre,iln’iraitpasbienloin.Jusqu’auboutdelarue?Del’allée?Ilsnesetrouvaientqu’àunpâtédemaisonsde l’autoroute, là où elle se transformait en fleuve ; si seulement ils arrivaient jusque-là, ilspourraientmettrelebateauàl’eauetramersurlerestedutrajet.Elleessayad’entrerdanslamaison,supposantquesilespropriétairesétaientmortschezeux,lesclésducamionseraientàl’intérieur.Laporteétait fermée,etKirasortit sonpistolet.Elleallait fairesauter laserrure lorsque, toutàcoup,Sammsurgitdugarageencognantbruyammentunpetityouyouenaluminiumcontrel’encadrementdelaporte.–Ilyaaussidesrames,annonça-t-ilenlançantunregardderrièrelui.–C’estunpeupetit,disdonc.–C’estlemieuxquej’aitrouvé.Jenesuisqu’unPartial,tusais.Iln’yavaitpasdefieldanssavoix,cariln’yenavait jamais,maisKiracrutrecevoirunepetite

boufféedecolèrequiauraitpuvenirdulien…oudesonpropreespritpleinderage.Quoiqu’ilensoit,Sammpensaitencoreàleurdispute,c’étaitévident,etcetterévélationprocuraàKiraunétrangefrisson de colère et de triomphemêlés. Elle se força à garder un air détaché et alla chercher lesrames.Ilsrejoignirentl’autoroute,d’abordenramantlelongdelaruepuisenportantlabarquedansune

petitecôte,etretrouvèrentHeronetAfaqui,deboutl’unàcôtédel’autre,lesattendaient.–J’aiattachéleschevauxdansledépôtferroviaire,annonçaHeron.–Ellem’afaitdescendredecheval,précisaAfa.Jedétestececheval.–Alors tudevraisêtrecontentd’enêtredébarrassé, luiditKira,qui regardaensuiteHeronavec

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insistance.Ilssontensécurité?–J’aidonnéunflingueautien,justeaucasoù.–Parfait!Bon,toutlemondeestprêt?Heronjetauncoupd’œilàSamm,puisrevintàKira,calculantensilence.–Ques’est-ilpasséentrevousdeux?–Rien,réponditSamm.Heronsembladubitative.Ilsremirentlabarqueàl’eau,aidantAfaàmonterenlepositionnantbienaumilieu.L’embarcation

s’enfonçasoussonpoidsmaistintbon,etilserrasonsacàdoscontresapoitrine.–Ilnousfaudraitunplusgrosbateau.J’aiemportétoutelasauceaufromage.–Miam,fitKira.ElleavaitenviederegarderSamm,pourvoirs’ilmontraitdessignesd’agacementoudemépris

enverslecomportementpuérild’Afa,maisellen’osapas,etdetoutemanièreellesavaitqu’iln’auraitrienlaisséparaître.–Ellevaêtremouillée,lasauce,ditAfa.–Onvafaireensortequeçan’arrivepas,lerassuraSamm.Ilspoussèrent labarquelàoùl’eauétaitplusprofonde,etHeronetKiraymontèrentà leurtour.

Ellesprirentlesrames,puisSammlespoussaencoreunpeuavantdegrimperàbord.Trempéjusqu’àlataille,ildégoulinaitdanslefonddubateau;Afa,l’airabsent,fitminedelerepousseràl’eau,maisKiraretintsongeste.Touss’installèrent,répartissantleurpoidslemieuxpossible,etilssemirentàramer.Larivièreurbainedevintdeplusenplusprofondeàmesurequ’ilsavançaient.Lesfilesdevoitures,

arrêtéesouaccidentéeslorsdesderniersinstantsdeleurspropriétaires,évoquaientdegrosanimauxcourtssurpattesbarbotantlentementdansleurtroud’eau:ici,l’unen’avaitquelespneusmouillés;uneautreavaitsonmoteursubmergé;d’uneautreencorenedépassaientqueletoitetl’antenne.Ilsramèrentsansunmot,l’eauvenantlécherlesflancsdelabarque,etbientôtmêmelessemi-remorquesdiesel et les énormespoids lourds furent submergés :onnevoyaitque lemiroitementde leur toitaffleurantsousl’eau,telsderaidesbancsdesablemétallisés.Des deux côtés, cette rivière urbaine était bordée d’arbres. Libérés de la supervision humaine,

ceux-ciavaientenvahilesjardins,lesparcsetmêmecertainesportionsdelaroute.Tousleshuitcentsmètresenviron,labarquepassaitsousunpont,souventcouvertdemousseetdelianes:pasdukudzu,mais une espèce à feuilles plus petites et plus sombres queKira ne connaissait pas. Arrachant unrameauaupassage,elleconstataquelaplanteétaitcireuseautoucher.Ellelafrottadoucemententresesdoigtsensedemandantquelétaitsonnom,puislalaissatomberdansl’eau.Le plus grand danger, sous les ponts, venait des colonies d’oiseaux de mer qui y avaient élu

résidence,couvrantlespiliersenbétondefientesblancjaunâtre.Sousletroisièmepont,ungroupeperché,dérangépar leurpassage,prit son envol, plongeantd’abordvers lebas avantde remonterhautdanslesairs.Afaleschassaàgrandsgestes,surprisparlespectacleetlebruitdecentvolatilesgrouillants,etfaillitfairechavirerlabarque,maisKirapassasarameàSammetréussitàlecalmer.Lecheminétaitlong,pluslongmêmequecequ’ilsavaientprévu,etKiracommençaàsedemandersileur carte était fiable. Juste au moment où elle allait proposer de faire demi-tour, certaine qu’ilsavaient dû rater le virage, ils passèrent devant le stade que Heron avait repéré sur la carte. Kiraannonça qu’ils étaient bientôt arrivés, et écouta Afa décrire les particularités techniques du datacenterenhochantlatêtepourl’encourager.

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Larouteneremontaau-dessusduniveaudel’eauqu’àunendroit:ledernieréchangeuravantdequitter l’autoroute et de pénétrer dans les rues. Ils durent porter le bateau, en profitèrent pourobserverlesenvirons,etKirapointadudoigtl’immeublequ’ellepensaitêtrelecentrededonnées:un gros bâtiment en brique doté de deux tours carrées. Une fois redescendus de l’autre côté del’échangeur, ils remontèrent à bord, mais ne purent ramer que sur quelques blocs avant que laprofondeurdeviennetropfaiblepourquecelaenvaillelapeine.Là,ilsdébarquèrentdenouveauetmarchèrentlespiedsdansl’eausurledernierkilomètre,tâtantlesoldevanteuxavecdesbâtonsdepeurdetomberdansuntrou.Ilyeneutdeuxsurleurchemin,et ilsdurentcontournertoutunblocpour éviter le second. Lorsqu’ils eurent enfin atteint le centre de données, Kira sourit fièrement :c’était bien l’immeuble qu’elle avait repéré depuis le sommet de la bretelle. L’eau leur arrivaitpresqueauxgenoux,etSammlevalesyeuxverslesétages.–J’espèrequel’ordinateurquevouschercheznesetrouvepasaurez-de-chaussée,lâcha-t-il.Niau

sous-sol.– Je ne le saurai que quand on les aura allumés, répondit Afa en pataugeant vers le coin de

l’immeuble.Legénérateurd’urgencedoitêtrequelquepartà l’extérieur.Trouvez-moidudiluantàpeinture.Kira jeta un regard à Samm, puis détourna aussitôt les yeux, dirigeant plutôt sa question vers

Heron.–Dudiluantàpeinture?Heronsecoualatêteensigned’ignorance.–Ilcomptepeut-êtrerefaireladéco.Laréponsed’Afaseperditlorsqu’ilfranchitl’angledubâtiment,etKiraetlesPartialssehâtèrent

delerattraper.–…ça liquéfie la résine,disait-il.Cen’estpasunesolutionefficaceà long terme,parcequeça

dégagedesvapeurstoxiques,maisçadevraitfairedémarrercemoteur.Ilétaitdenouveauenmodelucide,etmêmepluslucideetardentquejamais:ici,danssonélément,

onnevoyaitquesongénie,etl’enfantquivivaitenluin’étaitpluslàpourleralentir.Parcontraste,Kiraavaitl’impressionquec’étaitellequiétaitlente.–Dequoiparles-tu?luidemanda-t-elleentrottinantpourlerattraper,tâtanttoujourslesoldevant

elleavecsonbâton.–Deça!ditAfaencontournantl’autreangledubâtiment.Derrièrelecentrededonnéessetrouvaitunesériedepoteauxélectriques,decâblesetdeblocsde

ferraillegéants,autrefoispeintsengrismaisdésormaistachésderouille.Ilpataugeajusqu’auportailetsebattitaveclesserrures.–Ilfautqu’onlesfassedémarrer,enfinaumoinsun.Etlemieuxpouryarriver,c’estlediluantà

peinture!–Laisse-moifaire,luiintimaHeron.Elletiradesaceintureunepairedefinestigesmétalliques,lesinséradanslaserrureduportail,les

fit légèrementpivoter,et laserrures’ouvritavecunclaquementsec.Afaseruaàl’intérieur,sivitequ’ilmanquades’étalerdansl’eau.Lesblocsmétalliquesétaientmarquésdesymboles,étiquettesetavertissementsvariés.Mêmeenlesregardant,Kiranecomprenaitpasbienàquoiilsservaient.–Cet endroit était un des plus grandsdata centers dumonde, expliquaAfa. S’il était tombé en

pannedecourant, lamoitiéde laplanèteauraitperdusesdonnées. Il tiraitsonélectricitéduréseau

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général,commetoutunchacun,maisilavaitaussicessystèmesdesecours.Commeça,s’ilarrivaitquoiquecesoitauréseaugénéral,ilyavaitdixautresgénérateurssurplacepourprendrelerelais.Ilsfonctionnentaudiesel,doncilsuffitdetrouverle…Mais…Jenecomprendspas.Ilpataugeadansuneautredirection,etKiralutlesétiquettesdublocleplusproche.–Cenesontpasdesgénérateursd’électricité,dit-elle,cesontdesappareilspourfaire…dufroid?–Oui,c’estunsystèmederefroidissement,luicriaAfa.Ilrevintàgrandeséclaboussuresetfaillitdenouveautomber.–Jen’enaijamaisvudesigros.Maisoùsontlesgénérateurs,alors?–Allonsvoiràl’intérieur,proposaHeron.Ils lasuivirent.L’édificeétaitmieuxdécoréqueKirane l’auraitcru,dansunstyled’architecture

ancienàbasedebrique,deplâtreetdeboiseries,avecdesplafondsvoûtés.Lerez-de-chausséen’étaitpasmoinsinondéquel’extérieur,àcausedesvitresbriséesetdesjointsabîmésdesportes;ilsavaientde l’eau jusqu’au-dessus des genoux, et une couche de poussière et de débris flottait comme unecroûteàlasurface.Ondistinguaitquelquesbureaux,maisl’essentieldel’espaceétaitoccupéparunesalleimmenseremplie,d’unboutàl’autre,derangéesd’ordinateurs:pasdesécrans,commelepetitportablequ’Afa transportaitpartoutavec lui,maisdesbriquesgéantes, remplies demémoire et deprocesseurs,chacuneplushauteetpluslargequeKiraelle-même.Lerez-de-chausséeencomptaitdescentaines,alignées tellesdesobélisques,entouréesde longueursdecâbleetdematériau isolantquiflottaientsurl’eau.–C’estmalparti,ditSamm.Onn’arriverajamaisàlesremettreenmarche.–Alorsespéronsquecequ’oncherche se trouveàunautreétage, répliquaAfaquidépassaune

rangéedeserveurspouratteindreungrosréservoirenacier.Etespéronsqu’ilyenad’autrescommeçalà-haut.–C’estunréservoird’essence,compritKira.Afaopinaavecenthousiasme.–Etlegénérateurestjusteàcôté.C’estlàqu’onvaavoirbesoindediluantàpeinture.–Jenepigetoujourspas.–L’essencesedégradeavecletemps,expliquaSamm.Lepétrolesefigeetsetransformeenrésine,

semblableàunegommeépaisse.C’estpourçaquelesvoituresnemarchentplus.–Ça,toutlemondelesait,lâchaKira.–Et c’est pour ça aussi qu’Afa cherche du diluant.Cela liquéfie la résine et la retransforme en

essence.Lesvapeurssonttoxiques,commeill’adittoutàl’heure,maislemoteurdémarre.–Dumoinsletempsqu’onrécupèrenosdonnées,complétaAfa.Grimpantsurunescabeau,ilcommençaàpesercontrelavalveduréservoir.–Laisse,jevaisl’ouvrir,ditSammenpoussantdoucementlegroshommesurlecôté.Vousdeux,

allezplutôtchercherdudiluant.–Ouichef,lançaKirad’untonmoqueur–elleseretintnéanmoinsdefaireunerévérenceavantde

tournerlestalons.Heronlasuivitàl’extérieuretluiparlaàmi-voixaumomentoùellesquittaientlebâtiment.–Contentedevoirquevousvousentendezsibien,touslesdeux,ironisa-t-elle.Tuasquelquechose

àmedireavantd’étriperSamm?Kira ne répondit pas, scrutant les vitrines à la recherche de lamoindre boutique susceptible de

vendredesarticlesdebricolage.Ellepritsarespirationets’efforçadegardersoncalme.

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–Est-cequetuconsidèresleshumainscommeinférieurs,toi?–Jeconsidèretoutlemondecommeinférieur.KirapivotapourregarderlaPartialavecdureté,puisrepritsonchemin.–Ettucroisquec’estlaréponsequej’attendais?–C’estunfait,ditHeron.Lesfaitssemoquentdecequetuenpenses.–Maistoituesunepersonne,pasunfait.Qu’est-cequetuenpenses,toi?– Les Partials vivent dans un système de castes. Les soldats sont les meilleurs combattants, les

généraux lesmeilleurs dirigeants, lesmédecins les plus savants et les plus habiles de leursmains.Nous sommes fabriqués comme ça – il n’y a pas de honte à savoir qu’on estmoinsmalin qu’ungénéral, puisqu’ils sont conçus dès le départ avec un intellect supérieur. (Elle s’inclina trèslégèrement,unsourireimmodesteauxlèvres.)Maismoi,jesuisunmodèleespion,etnoussommesfaits pour être meilleurs que tout le monde dans tous les domaines. Nous sommes des agentsindépendants de la hiérarchie, conçuspour affronter des problèmesde tout ordre et les surmontersansassistanceextérieure.Commentpourrais-jenepasmesentirsupérieurealorsque,objectivement,jelesuis?(Ellemarquaunepauseetsonsouriredevintplussérieux.)Quandj’aiémisl’idéequetupouvaisêtretoiaussiunmodèleespion,c’étaitàpeuprèsleplusgrandcomplimentquejepouvaisfaire,vois-tu.–Tunecomprendspas,ditKira.Nitoi,niSamm,niaucunPartial.(Elles’arrêtaunefoisdepluset

leva lesmains, exaspérée.) Comment crois-tu que tout ça va finir ? Vous nous tuez, on vous tue,jusqu’àcequ’ilnerestepluspersonne?–Jesuisassezcertainequenousgagnerons.–Et ensuite ?Deux ans deplus et vous aurez tous dépassé votre limite devingt ans.Vous allez

mourir.Etmêmesiquelques-unsd’entrenoussurviventàlaguerre,nouspérironsavecvous,parcequenous avonsbesoindevotre phéromonepour subsister.Et si on évite la guerre ?Si on trouvequelque chose dans ce centre de données, qu’on supprime le RM et la date d’expiration, et qu’onpoursuitnosexistences?Nousresteronsenvielesunsetlesautres,etennoushaïssantmutuellement,ettôtoutardilyaurauneautreguerre,etonn’ensortirajamaisàmoinsdechangernotrefaçondepenser. Alors non,Heron, je n’aime pas tes faits ni ton attitude ni ton explication vertueuse de laraison pour laquelle c’est bien d’être un abruti de facho raciste. Bon Dieu, mais où sont lesquincailleriesdanscetteville?Elles tournèrentdansuneautre rue,etKiraaperçutunpanneauquisemblaitprometteur.Elles’y

précipita,courantavecsesgrosseschaussuresrempliesd’eau.EllenepritpaslapeinederegardersiHeronlasuivait.Lemagasinétaitcurieux:unesortedemélanged’animalerieetdeboutiquedebricolage.Maisil

contenait biendudiluant, etKira se chargeadequatre gros bidonsdequatre litres.Lorsqu’elle fitdemi-tour,Heronétaitjustederrièreelle.Elleaussipritquatrebidons.Ellesrebroussèrentchemin,enveillantàemprunterlemêmeitinérairequ’àl’aller,aucasoùilyauraiteudeseffondrementsoudestroussurlaroute.Àleurretour,SammetAfaavaientréussiàouvrirlerobinetd’essence,etAfatouillaitlecontenu

duréservoiràl’aided’unlongferàbéton.–C’estpratiquementprisenmasse,dit-il.Onrisqued’enavoirpourunboutdetemps.–Ilyaencorequelquesbidonsaumagasin,encasdebesoin,luiappritKiraenposantseslourdes

trouvaillessurlagrillequisetrouvaitàcôtéduréservoir.J’aiaussirapportéunentonnoir.–Ilfautd’abordqu’ons’assurequec’estlebonréservoir,ditAfa.Sammavisitéleslieux:ilyena

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plusieursautresaurez-de-chausséeet,vu l’aspectdececâblage,sûrementd’autresencoredans lesétages.–Çaveutdirequ’onnepeutplustraîner,ajoutaSamm.Ilvafalloircomprendresurquelserveurse

trouventlesdonnéesdeParaGen.Afaconfirma.–Le registre des serveurs est sans doute dans un des bureaux de l’administration.Certainement

danslesétages.Ilsgravirentl’escalierleplusproche;Kiraexultalorsqu’elleeutenfinlespiedsausec.Lepremier

étagenecontenaitquedesserveurs,ledeuxièmeaussi,maisautroisièmeilstrouvèrentunesériedebureauxexigus,alignéscontreunerangéedefenêtresbrisées.Afaposasonsacetl’ouvrit.Ilensortitun Tokamin : une batterie pas plus grosse qu’un téléphone, qui fournissait une énergie presqueperpétuellemaisseulementenpetitesquantités.Cetappareilnemanquaitpasd’avantages,maisilavaitaussi un inconvénient de taille : il était quelque peu radioactif. Pour cette raison, l’ancien monden’était jamais allé au-delà du prototype, et bien que les survivants de Long Island aient joué avecl’idéed’enrelancerlaproduction,ilsl’avaientjugéetropdangereusepourunusagepratique.Quandon n’est plus qu’une poignée d’humains, on évite les inventions hautement cancérigènes. Afa,semblait-il,s’étaitbricolélesien.Kira,d’instinct,s’enéloignad’unpas,etelleremarquaqueSammetHeronfaisaientdemême.AfaappuyasurleboutondemiseenmarcheetKirasecrispa,s’attendantpresqueàuneexplosiond’énergiegazeuseverte,maisunpetitvoyants’allumaaucentreduboîtieretcefuttout.Illebranchasurl’ordinateurdebureau–unmodèlevitrifiéàcadrenoir,commeceuxqueKiraavaitvusdansl’immeubleParaGendeManhattan–,etl’alluma.Lebureau,unpanneaudeverretranslucided’unmètrecinquantedelong,semitàclignoter.Dans

undernieréclairdelumièrebleue,sasurfaces’illumina.Semblable,enplusgrand,àl’écranportatifd’Afa, elle évoquait soudainune fenêtreouverte surunautremonde.Laplaquedeverreunie étaitremplacée par une vue de jungle verdoyante, si nette et si claire que Kira tendit la main pour latoucher.C’étaitpourtanttoujourslamêmevitre,couvertedetraînéesdecrasseetdepoussière.Icietlà,l’imageétaitlégèrementpixellisée.Aucentres’ouvritunepetitefenêtrededialoguequiexigeaitunmotdepasse.Afaessayaquelquesmotssimplesavantderetourneràsonsacàdospourfouillerdedans.– Cherchez des bouts de papier, dit-il avec un geste vague en direction du reste de la pièce.

Soixante-dix-huit pour centdes employésdebureaugardent leurmotdepassenotéquelquepart àcôtédeleurordinateur.Kira et Samm retournèrent toute la pièce à la recherche de papiers, même si douze années

d’exposition aux éléments derrière les fenêtres brisées avaient mis un désordre qui laissait peud’espoir de dénicher quoi que ce soit d’utile. Heron préféra s’intéresser aux quelques photos quitraînaient, les retournant pour voir si certaines portaient un nom inscrit au verso. Pendant qu’ilss’activaient,Afapritunebarredemémoiredanssonsacàdosetl’inséradansunportdissimulédanslecadredubureau.Avantquequiconqueaitputrouverunmotdepasse,ilpoussaunbrefaboiementderire.–Gagné!Kirarelevalatête.–Lemotdepasse?–Non,maiscesbureauxdisposentd’unmode«maintenance»,etj’airéussiàl’activer.Impossible

delire lesdonnéesoudemodifierquoiquecesoit,mais jevaispouvoirconsulter lesréglageset,

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plusimportant,l’arborescence.Surl’écran,lajunglefitplaceàdeslignesdetextequisesubdivisaientenbranchesetenpousses

secondaires, telunsystèmeracinairecomposédemots.Lesdoigtsd’Afavolèrentsurcette liste, ladéveloppantici,laréduisantlà:ilfitainsidéfilerdesrangéesinnombrablesdenomsetdefichiers.–C’estparfait.–AlorstuvaspouvoirnousdirelesquelssontlesserveursdeParaGen?s’enquitSamm.Afaacquiesça,lesyeuxrivésàl’écran.Sammattenditencoreuninstantavantd’insister.–Combiendetempsest-cequeçavaprendre?–Àmoinsd’ungroscoupdechance, laplusgrandepartiede lanuit.Vouspourriezm’apporter

encoreunpeudesauceaufromage?

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CHAPITRE23

Sammtouillaleréservoird’essence,etKiraentenditunclapotissatisfaisantcontrelesparois.–Ondiraitquec’estprêt.–Çadevrait nousdonner assezde jus pour faire tourner l’étage entier pendant presque toute la

journée,confirmaAfa.Samm revissa soigneusement la valve, ils reculèrent tous, et Afa pressa l’interrupteur. Au

quatrième essai, l’appareil, encore grippé, toussa et hoqueta, et au septième il démarra dans unrugissement assourdissant. Presque immédiatement, l’éclairage d’urgence s’alluma – dumoins lesampoulesencoreintactes–,etquelquesinstantsplustardlessirènesduplafondsemirentàhurler:deuxd’entreellesclaironnaientquel’alimentationélectriqueducentrededonnéesétaitendommagéetandis que la troisième se contentait de siffler, le filet d’air soulevant au passage un nuage depoussière.LesyeuxdeHeronseréduisirentàdeuxfentes.–Çavaêtrepénible,ça.–Allons-y,ditAfa.Onn’apasbeaucoupdetemps.–Jecroyaisqu’onavaitducourantpourlajournéeoupresque,s’étonnaKira.Cen’estpasceque

tuviensdedire?–Ducourant,oui,maisdelaréfrigération,non.Toutlebâtimentd’àcôtén’apourseulefonction

quedegardercelui-ciau frais,etonnepourrapas le remettreen route :mêmesionyarrivait, ilfonctionneavecdesproduitschimiquesraresqu’onnetrouverapaschezlequincaillierducoin.Etsanssystèmederefroidissement,cesserveursrisquentdegrillerassezvite.Le serveur de ParaGen se trouvait à trois rangées de là, vers lemilieu de l’étage, non loin du

générateurquil’alimentaitetd’environquatre-vingtsautresmachines.Mêmeunefoislegénérateurallumé, les serveurs ne semblaient pas disposer d’assezde courant pour tourner.Afa envoyadoncKiraetSamméteindretousceuxquiétaientbranchéssurlemêmecircuit.Kiramitunpetitmomentàcomprendrelequeldesnombreuxcâblesétaitceluidel’électricité,maisunefoisqu’elleeuttrouvélepremier, le reste alla tout seul. Elle en avait fait vingt, toujours sans parler à Samm, lorsqu’Afapoussauncridevictoire.–C’estbon!Sammsemitdeboutpourallerlerejoindre,maisKirapoursuivitsatâche.Sidébrancherlamoitié

des serveurs était utile, débrancher les autres le serait encore plus ; d’autre part, elle en voulaittoujoursàSammcommeàHeron,etn’avaitaucuneenviederesterprèsd’eux.Commentpouvaient-ilsavoirl’espritaussifermé?LeracismeavaitcomplètementdisparuaprèsleRavage:deshumainsdetouteorigineetdetoutecouleurtravaillaientlibrementensemble,vuqu’iln’yavaitpluspersonned’autre.Kira se rappelaitun incident survenudansunvillagedepêcheurs isolé,unhommequ’elleavaitcroisé lorsd’unemissionderécupetqui l’avait traitéed’enturbannéeàcausedesesoriginesindiennesvisibles.Maisc’étaitunbonhommesiseuletsiaigri,etelleavaitvécusilongtempssanssubir lamoindrehaineethnique,que l’insulteavaitglissésurelleen lafaisantpresquerire.C’étaituneblague,uneanecdotedontelleriaitavecsesamis:çaexistevraiment,destypescommeça?SurLong Island, tout lemonde travaillaitmaindans lamain, tout lemondes’entendait,quellequesoit

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votrecouleurdepeau,l’essentielétantquevousayezfigurehumaine……sauf,biensûr,sivousétiezunPartial.Elles’immobilisa,uncâbledébranchéàlamain,envisageantsoudainlasituationdupointdevue

opposé.DemêmequeSammetHeronseconsidéraientcommesupérieursdenaissance,leshumainsvoyaient tous lesPartials commemonstrueuxde naissance : si différents, et si inférieurs qu’ils nepouvaient même pas prétendre à la qualité de personnes. Quelques mois plus tôt encore, elle nepensaitpasautrement.Maistoutavaitchangélorsqu’elleavaitrencontréSamm.Samm.C’était lui qui l’avait convaincue, en paroles et en actes, que les Partials étaient tout aussi

intelligents, aussi empathiques, aussi désemparés et fragiles que… que les humains, en fait. Leurphysiologieétaitdifférente,certes,maisleurspenséesetleurssentimentsétaientpresqueidentiquesàceux de l’humanité. Elle-même en était la preuve vivante : elle s’était crue humaine pendant desannées…etc’étaittoujourslecas.Qu’était-elle,àlafin?Subitement,elleressentitlepoidsdechaquekilomètreparcourupourvenirjusqu’ici,dechaquerivièrequilaséparaitdesesamis,dechacunedesmontagnes qui les empêchaient d’être ensemble. Les larmes lui montèrent aux yeux : elle sedemandaitsoudaincequ’ellefaisaitlà,cequ’elleessayaitdechanger.Sesamis,sessœurs,Marcus,tousensemble:celaavaitétéuneépoqueheureuseetsimple.Oui,ilsavaientétéheureux.Elles’assitparterre,ensanglots,seule.Legénérateurcessadebourdonner,etlapiècefutsoudainreplongéedanslenoir.Delourdssouliersmartelèrentlesol,etlavoixalarméed’Afarésonna.–Jel’aiperdu!Relevantlatête,ellelevitchercherdanslesespacesentrelestoursd’ordinateursàlafaiblelueur

desonécran.Elleouvritlabouchepourdemandercequisepassait,maisavantqu’elleaitpuproférerun son, une rafale de coups de feu déchira l’atmosphère et l’écran s’éteignit dans un tintement deverrebrisé.Kiraplongeaausoletseblottitderrièreunetourdedisquesdurs.Lessallesducentrededonnéesétaientisoléesdetouteinterférenceextérieure;ellesn’avaientpas

de fenêtre, si bien qu’en l’absence d’éclairage artificiel il y faisait un noir d’encre.Des bribes dedonnéesdulien,toujoursplusfacilesàdétecterdansunesituationdestressintense,assaillirentKirapêle-mêle : la stupéfaction d’avoir été pris en embuscade, la confusion de ne pas savoir d’oùprovenaitl’attaque,lapeurd’uncamaradeblessé.Kiratâchadecomprendre.Ilsétaientagressésparquelqu’und’incroyablementcompétent,maisqui?Ilsn’avaientrienvuindiquantqueChicagopuisseêtreoccupé.Ungroupeseterrait-ildanslaville?Oubienlesavait-onsuivis?Etsioui,desindividusdequeltype?HumainsouPartials?Elleétaitencoreterriblementdébutanteendéchiffrementdesdonnéesdulien,maiselles’efforça

derepenseraumomentoùelleavaitdétecté laprésencedeSammetHeronchezAfa,àNewYork,pourcomparer.Toutcequ’ellecaptaitàprésent luisemblaitprovenird’eux,etnondesagresseurs.Donc,cesderniersétaientsoitdeshumains,soitdesPartialsmunisdemasquesàgaz–unetactiquerépanduedans leurs rangs lorsqu’ils sebattaiententreeux.Kiracontinuad’écouter sansbougerenessayantdedéterminerlapositiondechacun.Quelqu’unavaitéteint,oumêmedétruit,legénérateur.Conclusion:undesattaquantsétaitlà,toutprès.L’écrand’Afaavaitégalementprisuneballe:undesennemisl’avaiteuenlignedemire,cequileplaçaitsansdouteàdeuxrangsversladroitedeKira–maisdevantouderrièreelle,ça,ellel’ignorait.Afaavait-ilététouché,luiaussi?Ellesentaitparlelienqu’undesescompagnonsétaitblessé,maiselleignoraitlequeletoùilsetrouvait.Quelqu’unbougeasursagauche:amiouennemi?Impossibleàdire.Elletenditl’oreille,tâchant

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de comprendre dans quelle direction les pas se déplaçaient, et perçut un bruit de succion qui netrompaitpas.Unechaussuremouillée,maiscelledequi?Àmoinsd’êtrearrivésparletoit,lesintrusavaient forcément les chaussures aussi mouillées que Samm et Heron. Peut-êtremême davantage,étant sortis de l’eau plus récemment. Cela pouvait être un indice en soi, mais sans informationssupplémentaires, Kira ne pouvait rien en savoir. Elle-même se déchaussa discrètement, puis sedébarrassadeseschaussettestrempées.Piedsnus,elleseraitlaseuledanslapièceàsedéplacersansunbruit.Unautreéclairdedonnéesjaillitdanssatête–ILSM’ONTTROUVÉ(E)–suivi,quelquessecondesplus

tard,parunerafaled’armeautomatique.Unautrebruitrésonna,unpeusemblableàuncoupdefusil,maisdifférent.Kiranecomprenaitpascequec’était,maisl’armecessadetireretuncorpss’affalalourdementausol;Kiraestimaitqu’ildevaitêtreàunpeumoinsdedixmètres,derrièreellesursagauche.Elleéprouvasoudainlasensationdéroutanted’êtreenmêmetempsensommeilléeetéveillée,etl’interprétacommeunnouveaumessagedesphéromones:undesescompagnonsavaitétédroguéavec un somnifère. Compris ! L’espèce de fusil qu’elle avait entendu avait tiré une seringue detranquillisant.Çaveutdirequ’ilsnecherchentpasànous tuer.Qui veutnous capturer?LedocteurMorgan?

Maiscommenta-t-ellesuqu’onétaitlà?Kira se remit debout, le dos pressé contre la tour de disques durs.Elle jeta un coup d’œil dans

l’alléeoùellesetrouvait,nevitrien,etseglissalepluslégèrementpossiblejusqu’àlasuivante.Sespiedsnusnefirentaucunbruitsurlesolenciment,maisellesentitdesgouttesfroidestombersursesjambesetbaissalesyeux,contrariée;seschaussuresétaientrestéesderrièreelle,maissonpantalonétait encore trempé, et elle laissait une trace d’eauqui trahissait sa position.Elle perçut encore uncouinementmouilléderrièreelle,àsadroitecettefois.Quelqu’unserapprochait.Elles’accroupitensilenceetessorasonpantalon,tordantl’étoffeleplusfortpossibleafindeladébarrasserdel’excèsd’eau. C’était presque impossible, avec ses jambes à l’intérieur. Le bruit se rapprocha : l’inconnun’était plus qu’à trois mètres. Elle serra les dents, essora de son mieux sa deuxième jambe depantalon.Encoreunbruitmouillé.Elle se remitdebout.Sonpantalonétait froidcontre ses jambesmais ne coulait plus, et elle fila discrètement jusqu’à la rangée suivante.Cette fois, elle ne laissaitaucune trace.Elledépassaencoreuneallée,puisuneautre, se faufilantdeprofil, tâchantdemettreautant de distance que possible entre elle et l’ennemi et de partir dans la direction à laquelle ils’attendaitlemoins.Un grand vacarme éclata de nouveau dans la pièce : des cris, des armes automatiques, et le

claquementsecdesballess’enfonçantdanslestoursinformatiques.Deuxcorpstombèrentcettefois,etKira perçut encore une faible bouffée de sensations : sommeil, douleur et victoire. Son derniercompagnonétaittombé,maisilavaitabattuaumoinsunattaquantdansleprocessus.Kirademeuraitseule,etelleignoraitcombiend’ennemislatraquaient.Elle entendit des pas pressés,mais sans savoir d’où ils venaient.Unevoix, trop basse pour être

comprise.Unesoudainedéterminationpragmatiquel’assaillit:trouverladernièrecibleetacheverlamission.Maisétait-cevenud’elle,oudel’ennemi?Kiraétaitfrustréedenepasmaîtriserlelienassezbienpourlecomprendre.Elleinspiraàfond,recroquevilléedanslenoir,ettâchadefaireletridanssesconnaissanceslimitées:sicettedernièreinformationétaitunedonnéedulien,alorslesennemisétaient bien des Partials, et au moins un d’entre eux avait retiré son masque à gaz. Les Partialstravaillaient en général par groupes de deux – elle avait constamment entendu leurs binômes à laradiopendantleraidsurLongIsland–,maisilspouvaientconstituerdeséquipesplusnombreusessi

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lamissionl’exigeait.Kiraétaitpeut-êtreconfrontéeàuncombattantisolé,oualorsàunedouzaine.Le silence qui régnait dans le bâtiment laissait penser que seule une toute petite équipe s’y étaitinfiltrée;s’ilyenavaitd’autres,ilsdevaientattendredehors.Elleréfléchitencoreà toutcequipourrait luidonnerunavantage.Sonfusilétaitrestédel’autre

côtéde lapièce,maiselleavait toujourssonarmedepoingsurelle.Celle-ciavait-elle lamoindreutilité?LessoldatsPartialsbénéficiaientd’unevueperçante,surtoutdenuit;ilétaitraisonnableaussidepenser,puisqu’ils avaientcommencé l’attaqueendétruisant l’éclairage,qu’ils avaientunmoyensupplémentairedevoirdanslenoir,peut-êtredeslunettesdevisionnocturne.Danscecas,Kiraétaitnettement lésée,maispeut-êtrepourrait-elle tournerce fait à sonavantageen lesaveuglantavec lefaisceaudesalampe;ellepouvaitespéreravoirunechance,alors,detoucherlacibleavantquecelle-ci ne retrouve ses esprits. Elle saisit son pistolet de la main droite. De la gauche, elle empoignasalampetorcheetvisadroitdevantelle,ledoigtsurl’interrupteur.Unebotteécrasaquelquechose,et lebruit résonnadans lesilence.Undesennemisavaitmarché

sur un débris, probablement un fragment de l’écran d’Afa. Comment allait Afa, d’ailleurs ? Ellesecoualatête.Resteconcentrée,Kira.Siquelqu’unavaitmarchésurlesmorceauxdesonécran,alorselle savait où il se trouvait, et elle pouvait le débusquer. Elle se faufila d’une tour à l’autre en sebaissantpournepasêtreaperçue.Uninstantplustard,lelienluienvoyauneréponseretardée:PARICI.Pasdedoute,c’étaitunPartial,voireprobablementdeux,quiseservaientde leursphéromonespour se coordonner en silence.Deux contreune, et tousdeuxdesPartials. Ils allaient la cerner, lapiéger,labourrerdetranquillisantetl’ameneraudocteurMorgan.Àmoinsque…KiraserappelacequeSammetHeronluiavaientditaprèsleurarrivéedansl’immeubled’Afa:

elle lesavait sentisgrâceau lien,maispaseux.Ellecommençait tout justeàapprendreà l’utiliser,mais il était possible qu’elle ne dispose que de récepteurs, et qu’elle-même n’émette rien. Cettefaiblesse,encemoment,étaitsonplusgrandavantage.Ellepouvaittoutpercevoir,eteuxriendutout.Sauflesmouvements,songea-t-elleenregrettantsonmanqued’entraînementàladiscrétion.Heron

m’a facilement localisée sans le lien, rien qu’à l’oreille. Par conséquent, elle résolut de bouger lemoinspossible.Ellecherchaàtâtonsunchargeurdanssaceintureet,avecmilleprécautions,ensortituneballe.Celles-ciétaientcompresséesparunressort,demanièreàseglisserenplaced’uncoupsecchaque fois qu’une autre était tirée, etKira se servit de son doigt pour empêcher ce ressort de sedétendre brusquement. Elle le fit remonter avec lenteur, puis fourra la balle dans sa poche etrecommençaaveclasuivante,l’oreilletoujoursauxaguets.Unetroisièmeballe.Unequatrième.Ellelesmitchacunedansunepochedifférentepourlesempêcherdes’entrechoquer.Enfin,aveclamêmeprécaution,elleélevalapremièredanssamainet la lançahautau-dessusdes tours,vers lemurdufond.Laballeheurtaleplâtreavecunbruitmatetrebonditavantderoulerpuiss’arrêterausol.LelieninformaKiraquesesennemiss’yintéressaientvivement,alertésparlebruit,puisunefractiondesecondeplustard,luitransmitunavertissementtactique:C’ESTUNERUSE.Elleeutenviedesoupirer:commentavait-ellepucroirequ’ils tomberaientdans lepanneau?Maisaussitôtaprès,elleeutunenouvelle idée. Elle sortit la deuxième balle d’une poche et la lança légèrement sur la tour la plusproche d’elle, l’écoutant rebondir sur la paroi puis sur le ciment. Le lien s’activa de nouveau,envoyantlemêmemessage:ENCOREUNERUSE.Lespass’éloignèrentd’elle.Sadoubleastuceavaitfonctionné.Elle se vrilla sur le côté pour regarder derrière les disques durs qui l’abritaient.Unedes tours,

peut-êtreàdixrangéesd’elle,avaituneformebizarredanslenoir:unebosseendépassait.Legenou

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oulecouded’unennemi,pensa-t-elle.Elles’allongeaàplatventre,préparantdenouveausa lampetorche et observant la forme. Celle-ci bougea, grandit, et adopta un contour vaguement humainlorsquelePartialsortitdederrièrelesdisquesdurs.Ils’éloignaitdeKira,unfincanondressédevantlui:lepistoletàtranquillisants.Kiraseremitdeboutetlepritenchasse,sedéplaçantsansunbruitsursespiedsnus. Il avançadedeux rangées,elle fitdemême ; si elleparvenait àcontinuerainsi, elleseraitbientôtassezprochepourluitirerdessus.Maisilyenavaitunautre,etcelui-là,elleignoraitoùil se trouvait. Chaque fois qu’elle franchissait la largeur d’une allée, elle courait le risque des’exposer.Aupas suivant, sonpied se posa sur quelque chose et elle se figea, ne voulant pas appuyer son

poidsdessus.Ellebaissa lesyeuxet entrevitdes lignesdans lenoir : des courbes etdesméandresévoquant de minuscules serpents. Elle jura intérieurement. C’est une des rangées qu’on adébranchées. Le sol est couvert de câbles. Elle déplaça son pied sur le côté. Le sol, à cet endroit,n’était plus qu’un labyrinthe de fils électriques qui formaient des boucles en tous sens, ce qui laforçait à poser ses pieds demanière stratégique pour les éviter : ici, tourné comme ceci, orientécommecela.Chaquepassemblaitluiprendreuneheure.Pendantcetemps,saproies’éloignait.Kirasortitsatroisièmeballeetlajetacontrelemurdevant

lePartial.Ils’immobilisa,etelleenprofitapourregagnerduterrain.Laconversationentrelesdeuxennemis entrait à flots dans son cerveau : J’AI ENTENDU QUELQUE CHOSE. C’EST ENCORE UN PIÈGE. UNPIÈGE,VRAIMENT?L’inconnucompritunedemi-secondetroptard.Ilfitvolte-facejusteaumomentoùelles’avançaitderrièrelui.Elleenfonçalecanondusemi-automatiquedanslafenteentresoncasqueet sa cuirasse et fit feu. Il s’écroula au sol, tirant une seringue inoffensive dans le plafond.Instantanément,Kirareçutunmessagephéromonallancinant–LAMORT!–etentenditdespascourirverselle.Elleplongeasurlecôté,lâchasalampe,pritsonchargeurdanssaceintureetfittomberlesballesdanssesmainsàtouteallure,sansplussesoucierdubruit.Ellejetatoutelapoignéeenl’air,ledosappuyécontreunetourdedisquesdurs,puiss’enfuitàlahâtelorsquelesballesretombèrentenpluie,masquantsesmouvementssous leurcacophoniemétallique.Elle reçutdesbribesdedonnéescourroucées:UNHOMMEÀTERRE.CIBLEPERDUE.COLÈRE.Kiraserenditcomptequ’elleavaitégarésalampetorche,etque,ayantjetétoutessesballes,elle

n’avaitplusdepiègeàtendreauPartial.Elletâtasespochespourycherchertoutcequipourraitluiservir,n’importequoi…

TROUVÉE.ELLEVAMOURIR.

Ellegrinçadesdents.Commentl’avait-onretrouvée?Ellen’émettaitpasparlelien; lepremiern’avaitriensenti,àmoinsd’unmètred’elle!

MOURIR.

Ellel’éprouvadenouveau,cesentimentécrasantdemortimminente,etjuraensilence.C’estmoi,pensa-t-elle.Lesdonnéesduliensontconstituéesdephéromones–desparticulesmicroscopiques–etj’étaisjusteàcôtédeluiquandilenarelâchétoutunnuage.Lesparticulesdemortpermettentàsoncopaindemesuivreàlatrace.Elleregardasonpistolet,troppetitpourveniràboutd’unPartialenalertelorsd’unassautdirect.C’étaittoutcequ’elleavait.Siseulementjen’avaispasperdumalampe!Labottedel’ennemicliquetasurlesol,plusprochequ’auparavant.Ilétaitpresquesurelle.Jen’ai

qu’unechanceetune seule.Elle ferma les yeux et visualisa la dispositionde la pièce, en espérantqu’ellen’étaitpasdésorientée.Puisellelesrouvritetpartitencourant.Elle entendit un souffle d’air et quelque chose passa juste à côté d’elle, la ratant de quelques

centimètres.Elle sebaissa,viradansuneallée,puis sebaissadenouveau.Encoreun souffled’air,encoreuneseringuequiallas’enfoncerdansunetourjusteaumomentoùellepassaitdevant,assez

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près d’elle pour la faire tressaillir. Elle sauta par-dessus un corps, sentant plutôt que voyant qu’ils’agissaitdeSamm.Despascouraientderrièreelle,martelant lourdement lesol,chargeantàhautevitesse.J’ysuispresque.LePartialsavaitqu’elleétaitàsamerci,qu’ellen’avaitplusnullepartoùaller.Une volumineuse forme ronde gisait là, dans le noir, et elle se glissa tout contre, cherchantfrénétiquementàtâtonsl’épaislevierdugénérateur.Elleletrouva,l’abaissad’unseulcoup,etreculadansl’allée.La pièce s’illumina et le Partial trébucha, àmoins de deuxmètres d’elle, ébloui par ce soudain

déferlementdelumièrequisaturaitseslentillesdevisionnocturne.Kiralevasonpistoletettiratroisfoisdanslecasque:uneballepourlefendre,unepourl’ouvriretunequitraversalatêtedel’ennemi.Lequels’effondracommeunsacdesable.

MORT.

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CHAPITRE24

Afaavait reçuuneballedans la cuisse– le seulvéritable coupde feu tirépar les attaquants, lesautresprojectilesayantétédesseringuesdetranquillisantconçuespourneutraliserleursvictimesdemanièretemporaire.C’étaitlamêmeballequiavaitfracassél’écrandesonordi,etKirasedemandaquiavaitétélavraiecible:l’hommeoulesdonnées?LesPartialslesavaient-ilssuivisicipourlescapturer,oupourlesempêcherd’accéderaucontenudesordinateurs?Oubienlesdeux?Kiranepouvaitsedéfairedel’idéequecen’étaitpeut-êtrenil’unnil’autre.Ellejetauncoupd’œil

àHeron, qui reprenait lentement connaissance sur le sol. Était-ce elle qui avait tiré surAfa ?OuSamm?Quelmotif pouvaient-ils avoirde faireune chosepareille, et pourquoimaintenant ?S’ilsétaient de mèche avec les agresseurs, pourquoi avoir fait semblant d’être endormis par lesseringues?Celanetenaitdeboutques’ilssavaientdéjàqu’ilsperdraientcontreelle.Maisdanscecas,pourquoi lancer une attaque ? Non, ce n’était pas possible, et elle le savait ; l’explication la plussimple était que les intrus étaient venus dans le but de supprimer Afa et de capturer les autres.Pourtant, Kira avait toujours des soupçons. Comment les Partials avaient-ils pu les localiser, sipersonneneleuravaitdonnél’information?Elles’envoulutdenepasenavoirgardéunenviepourl’interroger,maisforceétaitdeconstaterqu’elleavaitdéjàeudumalàsauversapeauen les tuanttouslesdeux.Elle acheva de panser la plaie d’Afa pendant qu’il était encore inconscient, puis s’approcha de

chacundesagresseursetpritleursarmespourcompterlesmunitions.Uneballemanquaitbiendansunde leurspistolets.Kira était incapablededéterminer àquand remontait le dernier coup tiréparcette arme, mais il paraissait improbable qu’un soldat entraîné entreprenne un combat avec unchargeurincomplet.Ildevaitdoncbiens’agirdelaballequiavaitblesséAfa.C’étaitvraisemblable.Maisellerestaitpleinementconscienteque«vraisemblable»neveutpastoujoursdire«vrai».–Turécupèresdesmunitions?demandaHeron.Kira,seretournantbrusquement,découvritl’espionnederrièreelle,unpeuécheveléemaisalerte.

Kiraremitlechargeurenplaceetlaissatomberl’armesurletorseduPartial.–C’estcelui-ciquiatirésurAfa,dit-elleenselevant.Àtonavis,pourquoiluiont-ilsréservéune

ballealorsqu’ilsonttirésurnousavecdesseringues?interrogea-t-elleens’efforçantd’afficherunecuriositétranquille.–Ilsvisaientsansdoutel’écranpoursupprimertoutelumière.Ilsétaientpréparéspourlenoiret

pas nous… C’est une procédure d’embuscade standard. Ces seringues n’ont pas un pouvoir depénétrationsuffisantpourbriseruneplaquedeverrecommecelle-là.–Çasetient,reconnutKira.Etc’étaitvrai…peut-être.Entirantdansl’écran,ilspouvaientdifficilementéviterAfa.– Mais s’ils essayaient de nous avoir vivants, insista-t-elle, pourquoi prendre le risque de lui

envoyerunprojectilemortel?Heron eut un sourire narquois et retira le casque de la Partial à terre. Celle-ci avait des traits

chinois,commeelle,etelleétaitd’unebeautétoutaussisaisissante.–Unmodèleespion.Iln’yavaitpasderisque.–Combienétaient-ils?demandasoudainSamm.

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Il apparut au coin d’une tour de disques durs, encore tremblant des effets du sédatif ; il étaitgroggy, labouchepâteuse.Kiraajouta«seremettred’unesédationmassive»à la longuelistedeschosesqueHeronfaisaitmieuxquelesautresPartials.Elleneplaisantaitpasendisantqu’elleétaitconçuepourêtresupérieure.– Trois, dit Kira en observant le corps de la fille. Une espionne et deux soldats, je crois, bien

qu’évidemmentjeneconnaissepasaussibienlesdifférentsmodèlesque…ouah!Elle s’agenouilla : elle avait aperçu quelque chose d’étrange sous les cheveux de la fille. Les

repoussant,ellerévélatroisfentesonduléesdanssoncou.–Heron,est-cequetuasdesbranchies,toiaussi?Herons’accroupitetfitpivoterlatêtedelafillepourmieuxvoir.– Ce sont des modèles créés par Morgan, dit-elle. Des agents spéciaux, dotés de récentes

«adaptations»desoncru.Allezvoirlesautres.Ilsretirèrentlescasquesdesdeuxmâlesetytrouvèrentlesmêmesbranchies.Heronsiffla.–Cenesontdoncpasdessoldatsordinaires.Ettuenastuédeux,Kira?–Parmiracle.Dites,regardez:ondiraitdescombinaisonsdeplongée,sousleurscuirasses.Vous

pensezqu’ilssontvenusàlanage?OnestauborddulacMichigan,etàmoinsqu’iln’existeaussidesrequinsd’eaudouceparlantsquevousn’avezpasmentionnés,voyagerparleseauxestsansdoutebien moins dangereux qu’en surface. En passant par les rivières et les lacs, ils auraient pu fairequasimenttoutletrajetdeNewYorkàici.–Une partie du chemin, oui, reconnutSamm.Mais dans ce cas il faut quandmême traverser le

Michiganàpied.– Ils semblent parfaitement capables de respirer dans l’atmosphère, ditKira. Ils ont pu faire les

deux.–Çanecollepas,objectaHeron.S’ilsnousavaientsuivisdepuisManhattan,ilsneseseraientpas

embêtés à envoyer des agents amphibies, puisqu’ils n’auraient pas su à l’avance quelle était notredestination : pour ce qu’ils en savaient, nous partions vers la plaine, ou à l’ouest, dans le déserttoxique. En revanche, si Morgan avait eu des agents sur place – une sorte de poste avancé àChicago–,quoidemieuxquecesmodèlespoursurveillerunecitéinondée?Kiraacquiesça.–C’estvrai.Oualors…Elles’interrompitaussitôt,nevoulantpasproposersibrutalementl’autreexplicationpossible:Ou

alors,l’undevousestunespion,etillesatenusinformésdenosdéplacementsparradio.–Oualorsquoi?lapressaHeron.–Rien.KiraobservadenouveaulesbranchiespouréviterleregarddelaPartial,mêmesiunlégercontact

phéromonalluidonnaituneidéedesessentiments.MÉFIANCE.RESTERSURSESGARDES.PERPLEXE.KiraétaitpresquesûrequecelavenaitdeSamm,etenfutintensémentsoulagée.S’ilétait

perplexe,c’estqu’ilnecomprenaitpas.ElledevraittrouverunmoyendeluiparlerenprivéavantqueHeronladevance.–Prenezleursaffaires,dit-il.Jebalancerailescorpsdansunearmoireàl’étage.Heronetluisemirentendevoirdefairedisparaîtrelestracesdel’affrontement,maisKira,poursa

part,retournavoirAfa.Ilrespiraitmieux,grâceauxantalgiquesqu’elleluiavaitadministrés,maisiln’avaitpasreprisconnaissance.Lesdébrisdesonécranétaientéparpillésautourdelui,etl’appareil

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encorebranchéauserveur.Commepourlebureauqu’ilsavaientalluméunpeuplustôt,lapartieenverren’étaitquel’écran;leprocesseuretlamémoire,eux,étaientlogésdanslapoignéelatéraledecet écran. Quant au serveur, il paraissait intact et rien n’empêchait de penser que le transfert dedonnées était toujours en cours, déversant les secrets de ParaGen dans la poignée en question.Seulement,sansécran,ilsnepourraientpasleslire.Noussommesdansuncentrededonnées,raisonna-t-elle.Cebâtimentestbourréd’ordinateurs,et

puisquetousceuxquiytravaillaientétaientsûrementdesdinguesdetechnologiecommeAfa,ildoitêtrepleind’équipementsvariés.Onvabientrouverunécranderechangequelquepart.Elleregardadenouveaulegroshommeafindes’assurerqu’ilallaitbien,etéloignadeluileséclatsdeverreavantderemonterdans lesbureaux.Ellecommençaparceuxquiavaientplusieurs fenêtres,espérantqueleurprestigesupplémentaire iraitdepairavecunoudeuxordinateursdeplus,maisne trouvariend’intéressant :plusieursstationsd’accueil,oui,maispas lesécransquiallaientavec.Toutestconçupour les portables. Ceux qui en possédaient les emportaient sans doute chez eux. Elle continua dechercher, vérifiant tous les bureaux un par un avant de s’attaquer aux plus petits boxes. Cela luirappela les locaux qu’elle avait fouillés à Manhattan, et ce souvenir lui donna une idée. Sur uneintuition,elledélaissalesboxesetchercha,danslescouloirsetlespiècesdufond,lamoindreplaqueportantlamention«DI».Directioninformatique.Ellefinitpartrouverlebureaucorrespondantaurez-de-chaussée, où l’eau lui arrivait aux genoux. Le directeur informatique était encore là, mortderrièresonbureau,lehautducorpsrecouvertd’unematièrevisqueuseetlebasdénuédetoutechair,unsquelettebiennet.Elleretintsonsouffleletempsdepassersesétagèresaupeignefin,etfinitpardénicherunécranlégèrementpluspetitqueceluid’Afadansletiroirdubureau.Elleressortitàtoutesjambes,prisedespasmesnauséeux,refermalaportederrièreelle,etveillaàserincerdansl’eauplusclaireavantderemonteraupremier,oùelledécouvritqu’Afaétaitréveillé.–Monécranaprisuneballe,dit-il.Savoixétaitfaibleethébétée:denouveau,iln’étaitplusqu’unenfantperdu.Kirasoupira,sachant

bien que c’était inévitable après une telle frayeur, et s’assit à côté de lui pour le réconforter. Il laregardad’unairinquiet.–Oùestmonsacàdos?– Juste ici, tout près, répondit-elle en prenant son pouls – un peu rapide, mais pas anormal.

Commenttesens-tu?–Monécranaprisuneballe,répéta-t-ilenessayantdeselever.Aussitôtquesonpoidsportasursajambe,ilpoussauncridedouleuretretombalourdement.– Oublie l’écran, j’en ai trouvé un autre.Mais toi aussi, tu as reçu cette balle. Il faut que tu te

ménages.–Jeveuxmonsacàdos.–Tuasprisuneballe,Afa,là,danslacuisse…–Jeveuxmonsacàdos!Ilavaitleslarmesauxyeux,etKiraallaluicherchersonsac,ensedemandants’iln’avaitpasun

autreécrandedansetsiellen’avaitpaspassétoutcetempsaveclecadavredudirecteurinformatiquepour rien.Elle traîna le sac jusqu’à lui, et il le serra contre son torsepour sebalancer d’avant enarrière.–Jenedoisjamaislaissermonsacàdos.Jesuisledernierhumainsurlaplanète.–Iln’apasl’airbien,commentaSamm.Kiraconfirmad’unhochementdetête,tropépuiséepoursesoucierdecequeSammpensaitd’Afa;

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etd’ailleurs,ilavaitraison.–Ils’estretranchédanssatête.Ilfaudraunpetitmomentpourl’enfaireressortir.Sammindiquadumentonleserveuretlapoignéedel’écranquiyétaittoujoursreliée.–Onaobtenuquelquechose?Kiralevalapoignéeenl’air.Unvoyantvertluisaittoujourssurlecôté.– Aucune idée. Je n’ose pas le débrancher, au cas où les données seraient encore en cours de

transfert.–Çavaprendreencorecombiendetemps?Kirahaussalesépaulesetfitungesteendirectiond’Afa.–Leseulquilesacheestentraindechanteruneberceuseàsonsacàdos.Etilperddusang,etje

n’aipaslesantibiotiquesqu’ilmefaudraitpourl’aider,etmonpantalonesttrempédejusdecadavre,etjecommencevraimentàregretterquetoutçanesesoitpaspasséautrement.Elleinspiraàfond,étonnéedesonpropremouvementd’humeur.–Tuestrèsstressée,constataSamm.Kirasentitleslarmesmonteretenchassauneducoindesonœil.–Non,tucrois?Sammgardalesilenceuninstant,etramassal’écranqu’elleavaitrapportédurez-de-chaussée.–Tucroisqu’onpourraitbranchercelui-ciàlaplacedel’autre?–Iln’yaqu’uneprise,ditKiraens’essuyantdenouveaulesyeuxetenseredressant.Onnepourra

connecter lenouvelécranqu’aprèsavoirdébranché le serveur,et jeneveuxpasy toucher sic’estencoreentraindecharger.–Alorsnousallonssécuriserlepérimètreetnousinstallerpourlanuit.Sammpromenasonregarddanslapièce:lestoursdedisquesdursobstruaientlavuedanstoutes

lesdirections.–Maisnousnepouvonspasresterici:iln’estpaspossibledemontercorrectementlagarde,eten

pluslegénérateuraétéendommagédanslabataille.Leconduitdeventilationaussi:ilestentrainderemplirlebâtimentdevapeursdediluant.–Super,lâchaKira.C’estvraiquelavien’étaitpasencoretoutàfaitassezdifficile.Sammsemit debout et lui tendit lamain.Elle la prit, se leva et se retrouva face à lui. Ils ne se

détournèrent pas. Elle le regarda dans les yeux et ressentit… quelque chose. Le lien était encoredifficileàinterpréter.Sammfutlepremieràbaisserlesyeux.–Jeprendslesbras,dit-ilenallantseplacerderrièreAfa.Emmenons-leensûretéquelquepart.

Kiraseréveillaensursautàtroisheuresdumatin,certainequequelquechosenetournaitpasrond.

Ellelançadesregardsfébrilesautourd’elleetempoignasonfusil.–Quiestlà?Est-ceuneattaque?–Ducalme, luiditHeron.Legénérateurvientde s’éteindre.C’est sansdoute l’arrêtdubruitde

fondquit’aréveillée.–Jevaisallervoir.–Ildoitêtreenpannesèche,etonn’estpasprèsdelefaireredémarrer.–Alorsjevaischercherl’ordi.Sionarécupérétoutcequ’onpouvait,jepréfèrelesavoirici,avec

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nous,quesanssurveillanceenbas.–Prendstonarme,luirecommandaHeron.Aucasoùilyauraitencoredesmonstresaquatiques.Sonexpressionétaitindéchiffrabledanslenoir,etlelien,pourcequ’enressentaitKira,étaitmuet.–Merci.Ellepritlepoulsd’Afaetvérifiasarespiration,presqueparréflexeàcestade,puisdescendit.Ils

avaient découvert que le gaz toxique était plus lourd que l’air : l’endroit le plus sûr était donc ledernierétage.Kiraallumalalampedesonfusil,réconfortéequesoncanonouvrelamarche,aucasoù ilyaurait réellementquelqu’unenbas.Lescorridorsétaientplongésdans lenoir, lesescaliersdéserts, l’immeuble restait silencieux à l’exception d’un faible clapotis de gouttelettes et devaguelettes.Les tours de disques durs qui culminaient autour d’elle projetaient de longues ombreslorsquelefaisceaudelalampedansaitdessus.Lestachesdesanglaisséesparlabatailleajoutaientàcetteambiancedéjà lugubrequelquechosedemenaçant, etKiramarchaàpas feutrés, retenant sonsouffle lorsqu’elle traversait lesallées.Lesvapeursméphitiques s’enroulaientenvolutesautourdeseschevillesetdesesmollets,etl’airavaitungoûtamer.Ellelocalisal’ordinateur,ledébranchaduserveur,etremontaleplusvitequ’ellel’osa.Lorsqu’elleeutregagnéleurbivouac,elles’assitsursontapisdesol,saisitlenouvelécranetlebranchasurlapoignée.–Tuvaslireçamaintenant?s’enquitHeron.–Pourquoiattendre?–Tun’aspastort.EtlaPartials’assitàcôtéd’ellepourvoirpar-dessussonépaule.Kira battit des paupières, éblouie, quand l’écran s’anima, et baissa le réglage de la luminosité

jusqu’àundegrétolérable.Uneicôneaucentredel’écranluiindiquaqu’ilétaitencoreentraindeseconnecter, et elle retint son soufflependantque lepetithexagone tournait sans fin. Il s’arrêta,puisrepartit.–Allez,s’impatienta-t-elle.Une minute plus tard, il s’immobilisa. CONNEXION RÉUSSIE. Elle ouvrit le dossier des

téléchargements et fit défiler la liste. Celle-ci était énorme. Elle finit par renoncer et cliquersimplementdanslaboîtederecherche.–Qu’est-cequejecherche,aujuste?–L’Alliance?suggéraHeron.LeRM?L’expiration?Tonnom?Kiratapasonprénometcliquasur«rechercher».Lepetithexagonetourna,tourna,maisnetrouva

rien.–Mais…–Tuyespeut-êtresousunautrenom.–Jevaisessayermonpère.Elle entra son patronyme : D-H-U-R-V-A-S-U-L-A. L’hexagone tournoya encore, la machine

réfléchit à toute vitesse, et elle ne tarda pas à recracher des résultats. Les fichiers défilaient sirapidementqueKiran’arrivaitmêmepasàenlirelestitres.Ellearrêtaauboutde3748résultatsetannulalarecherche.–Ilvafalloirdonnerdescritèresplusprécis.Quedis-tude…Elleréfléchitensemordillantlalèvre,puistapaunnouveaumot:–S-É-C-U-R-I-T-É.L’hexagonerepritsadansetournoyante.Douzerésultats.Ouvrantlepremierfichierdelaliste,Kira

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découvrit que c’était un e-mail adressé à son père par BethanyMichaels, directrice financière deParaGen.Ellelelutàvoixhaute.– « Le Comité des chefs d’état-major de l’armée nous a fait part d’une dernière exigence

concernantl’arméedesBioSynths:ilréclameundispositifdesécurité.Vousavezbeaunousassurerde la loyauté sans faille des BioSynths – elle fait partie intégrante de leur cerveau, etc. –, cettedemandem’apparaîtparfaitementfondée,étantdonnéleurscapacités.Enaucuncasnousnepouvonsnégligercetaspect.»Parallèlementàcettearméeartificielle,ilnousfautprévoirlaconceptiond’unvirusdesynthèse

activableàdistance,desortequ’encasdedysfonctionnementdes troupes,oude rébellion,ousi lasituationnouséchappaitd’unemanièreoud’uneautre,ilnoussuffiraitd’appuyersurunboutonpourlesneutraliser.IlnousfautunviruscapablededétruirelesBioSynthssansfairedemalàquiconquenidétruire quoi que ce soit, hormis eux-mêmes. Je suis certaine que votre équipe n’aura aucunedifficultéàlecréeretàlesendoter.»Kiracontemplaitl’écran,médusée.–LaSécurité,c’estleRM,ditHeron.C’estvotregouvernementquil’acommandé.–Etils’enestprisàlamauvaisecible,complétaKiradansunsouffle.

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CHAPITRE25

Se faire capturer par les Partials avait été un jeu d’enfant.Ariel etMarcus avaient bouclé leursbagages,étaientpartisàpiedlelongdel’autoroutelapluslargequ’ilsavaienttrouvée,ets’étaientfaitramasserparunepatrouilledanslesdeuxheures.LebinômedePartialslesavaitfouillés,désarmés,etescortésdansladirectiond’EastMeadow;quelqueskilomètresplusloin,ilsavaientrencontréuncamion,déjààdemipleindeprisonniershumains,dans lequel ilsavaientfait lerestedutrajet.Leshumains étaient assis en silence à l’arrière, le visage hagard de terreur, etMarcus n’avait pas eubesoin de feindre sa propre peur d’une occupation par les Partials. Ils s’étaient fait prendrevolontairement,maisilsignoraientquelsortleursgeôliersleurréservaient.UnefoisarrivésàEastMeadow, ils avaient de nouveau été fouillés et interrogés.LesPartials ne parurent pas reconnaîtreMarcus–ous’ilsl’avaientidentifié,ilss’enmoquaient.Peuavantminuit,Arieletluifurentrelâchésdanslavillesansriend’autresureuxquelesvêtementsqu’ilsavaientsurledos.Ilsdégotèrentunemaisonvideets’ycachèrentjusqu’aumatin.Craignant d’être suivis, ils attendirent la nuit suivante pour se risquer à gagner la maison de

Nandita. Ils découvrirent que les Partials l’avaient déjà saccagée, et qu’ils avaient tout retournéjusqu’aumoindrerecoin.–Çam’étonneraitqu’ilsaientlaissépasserquoiquecesoit,ditMarcus.Ilssemirentquandmêmeàlatâche,aucasoùlesPartialsauraientratéunindicerévélateursurles

projetsdeNandita.Ilsnesavaientpasprécisémentcequ’ilscherchaient.Ils passèrent leurs journées dans la maison vide, en la fouillant le plus prudemment et le plus

silencieusementpossible, et leursnuits dissimulésdans leshabitationsduvoisinage, unedifférentechaquenuit,s’efforçantderesterinvisibles.Les gens qui attiraient trop l’attention sur eux se retrouvaient invariablement victimes de

l’exécutiondusoir.IlscommencèrentparlachambredeNandita:toussestiroirs,sesplacards,lesboîtesrangéessous

sonlit,l’espaceentrelapenderieetlegrandmiroirenpied,ledessousdesmatelas,lespochesdesesvêtements. Ils explorèrent aussi la serre, même si Xochi l’avait largement investie depuis ladisparition de Nandita et s’il ne restait que très peu d’endroits qui ne soient pas envahis par sacollectiond’herbesetdepousses.N’ayantrientrouvé,ilssemirentàfouillerlerestedelamaison,regardant d’aborddans lesmeubles avant de finalement arracher les lamesduparquet, éventrer lecapitonnagedesfauteuilsetmêmecreuserdestrousdanslejardin.Ilsrestèrentbredouilles.–Voyonsleschosesenface,ditMarcusauboutdeplusieursjours,appuyéd’unairlasaucomptoir

delacuisine.Soitcesnotesd’expériencesn’existentplus,soitellesnesontpluslà.–Ellesexistent.Jelesaivues.–Nanditaapulesemporteravecelle.Marcuscontemplaitletroubéantqu’ilsvenaientdepratiquerdanslemurdelacuisine;Nanditay

avaitréparéunesectiondeplacageunanplustôt,chosequelesPartialsignoraient,maisenl’ouvrantilsn’yavaienttrouvéquequelquesclouségarés.– C’est peut-être même pour ça qu’elle est partie, pour poursuivre ses études ou analyser les

résultats,jenesaispas.

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–Oupourlescacher,ditAriel.Oumêmepoursimplementlesdétruire.Maisjemedemandecequiauraitpulapousseràlefaire.Marcussecoualatête.–Tuparsduprincipequ’elleestpartiedesonpleingré.Etsionl’avaitenlevée?Elleetsesnotes?

Çaparaît…(Ilralentiteteutunriresec.)J’allaisdirequeçaparaîtinutilementparanoïaque,maisauvudescirconstances,çapourraitbienêtrevrai.Jenem’étonneplusderien.–S’ilsl’avaientenlevée,ilsneseraientpasrevenusàsarecherche,tunecroispas?–LesPartialssonttrèsdivisés.Ils’agissaitpeut-êtred’unefactionennemiedeMorgan.–NanditaetledocteurMorganonttouteslesdeuxétudiélaphysiologiedeKira.Pourcequ’onen

sait,ellestravaillaientpeut-êtreensemble.–J’ainettementeul’impressionqu’elletravaillaitpourMorganquandHeronestvenuemeparler,

c’estvrai,ditMarcus.D’unautrecôté,Heronn’estpasfranchementlaplusfiabledessources.Quandmême, réfléchis à ça : c’est peut-être par pure coïncidence queMorgan a fait des expériences surKira.Ellevoulaitunefillehumaine,etàmaconnaissanceellen’apasfaitd’effortspourenobteniruneenparticulier.–Àtaconnaissance.– À ma connaissance, en effet. Mais j’étais là. J’ai vu Kira vivre toute l’histoire, prendre ses

décisionsàsamanièretrèspersonnelle.SiMorganavaitvouluquelqu’unenparticulier,illuisuffisaitd’envahirl’îlecommeellelefaitmaintenant,aulieudemettresurpiedunstratagèmeridiculementcompliquépourlapousseràserendresurlecontinent.–Maisquefais-tudecettephotodonttum’asparlé?TuasvuKiraetNanditaensembleavantle

Ravage,cequiestdéjàassezbizarreensoi,maisdevantl’immeubleParaGen,enplus?Etçanetefaitpasl’effetd’ungrosvoyantrougetedisantqu’ilsepassedeschosesétranges?Ilyaforcémentautrechosedanscetterelation.–Oui,mais quoi ?Bien sûr que c’est un gros voyant rouge,mais indiquant quoi ?Ça fait des

semaines que j’essaie de tout démêler, c’est pour ça que nous venons de démanteler ton anciennemaison,maisqu’est-cequeçaveutdire?LefaitquejelesaievuesdevantlesbureauxdeParaGensignifie-t-ilqueKiraestdifférente?Laplupartd’entrenousontsubidesmodificationsgénétiquesàla naissance–Kira en aurait-elle uned’ungenreparticulier ? Je suis de ton côté,Ariel,mais trèsfranchement,jen’ycomprendsrien.Ils entendirent alors un grondement, et reconnurent aussitôt le bruit d’unmoteur, probablement

assezgros.LesPartialsavaientapportédesvéhiculesmotorisésàEastMeadow,richesenressourcesetenénergiecommeilsl’étaient,etleshumainsavaientapprisàguetterlebruitdela«police»desPartials en approche. Ils se jetèrent au sol, tâchant de se rendre aussi invisibles que possible.Celafonctionna.–C’était lapluschaudealerteque j’aie jamaisconnue,ditAriel. Jepensequ’ilssaventquenous

sommesici–quenousnousservonsdecettemaison,jeveuxdire.– Les documents que tu as vus dans la serre de Nandita, lançaMarcus. Tu ne te rappelles rien

d’autreàleursujet?–Jetel’aidéjàdit.Ilétaitécrit:«Madison:contrôle.»Ilyavaitbeaucoupdenotesphysiques:

taille,poids,tensionartérielle,cegenredechoses,avecleurévolutiondansletemps.Madisonetmoidevions avoir dix ans, peut-être bientôt onze, notre puberté commençait tout juste, alors il y avaitbeaucoupdechangementsàsuivre.Maisaumoinslamoitiédesnotes,probablementplus,parlaientde substances chimiques : elle avait aussi griffonné des choses sur les différentes propriétés de

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chaqueherbe,etlesdifférentsdosagesdanssescompte-gouttesd’unefoissurl’autre.Elleessayaitdetrouverlabonnerecettepour…quelquechose.Jenesaispas.Le«contrôle»,quoiqu’elleaitvouludireparlà.–Oh,merde,soufflaMarcus,lesyeuxrivésausol.(Ilfermalespaupièresensecouantlentementla

tête,comprenantpeuàpeu.)Merde,remerdeetreremerde.Arielsourit.–Attentionàvotrelangage,monsieurValencio.–Ilnes’agitpasdecontrôle,dit-ilenrelevantlatêteverselle.Tuasdesnotionsdeméthodologie

scientifique?–Jesuissûredecequej’aivu.–Oui,d’accord,maistuavaisdixansettunesavaispasl’interpréter.Vois-tu,quandunscientifique

lanceuneexpérience,ilatoujoursaumoinsdeuxsujets:lesujetd’expérimentation,qu’iltraficote,etlecontrôle,auquelilnefaitrien.C’estunrepère,unsujetnonmodifié,quin’estlàquepourfournirunélémentdecomparaisonaveccequiarriveausujetdel’expérience.NanditaapuutiliserMadisoncommesujetdecontrôle,afindemieuxcomprendresesobservationssurKira.Arielcommençaitàvoiroùilvoulaitenvenir.– Elle n’avait jamais élevé d’enfants. SiKira avait un comportement bizarre, elle n’avait aucun

moyendesavoir sic’étaitparceque lesenfants sontparfoisbizarres,ousic’étaitàcausede…decette fichueparticularité qu’on ignore sur elle.Donc…nous étions toutesdes sujets de contrôle…Troiscontrôlespourunsujetd’expérience.(Ellefronçalessourcils.)Çasetient,jesuppose,maisçanerésout rien.Onnesait toujourspassurquoiportaientses tests,pourquoielle les faisait,niquelrapportcelaavaitavecParaGen.Marcushaussalesépaules.–Iln’yaquetroispersonnesquilesachent.Kira,NanditaetledocteurMorgan.Jeteparietoutce

quetuveuxqueMorganconnaîtaumoinsunepartiedel’histoire,sansquoielleneseraitpasentraindemettrecetteîleenpiècespourretrouverlesdeuxautres.–Oui,ehbienjenevaispasallerleluidemander.–EtKiraneveutrienmedire.J’aidesesnouvellesenvironunefoisparsemaine,etjamaispendant

plusdequelquessecondes.Jenesaispasoùelleest,maislesignalradioesttrès,trèsfaible.Arielcontemplalamaisonsaccagée.–S’ilrestaitunetracedeNanditaici,lesPartialsl’onttrouvéeavantnous.Mêmesiondécouvrait

un indice sur sa destination, nous aurions des semaines de retard sur eux, et ils sont bien plusnombreuxquenous.NousneretrouveronsjamaisNanditaavanteux.– Ne baisse pas les bras tout de suite, ditMarcus en agitant son appareil radio. La plupart des

nouvellesquejereçoislà-dessusémanentdebataillesentrePartials:uneautredeleursfactionss’enprendtoujoursàcellequioccupel’île.–TuveuxdirequenoussommesprisentredeuxarméesdePartials?Etmoiquicroyaisque tu

voulaismeremonterlemoral!–Cequejeveuxdire,c’estqu’ilssontperturbés.Ilsnepeuventpasconsacrertouteleurénergieà

retrouverNandita,parcequ’ilspassentlamoitiédutempsàsebattrecontred’autresPartials.–Etnous,onpassetoutnotretempsàsecacherdesPartials.Ilsontquandmêmel’avantage.Marcus,songeur,poussaunprofondsoupir.–J’essayaisjustedevoirleboncôtédeschoses,maiseneffet,çadevientdifficile.

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IljouaitaveclesdébrisdePlacoplâtre,lessoulevantduboutdupied.Unepenséeluivintpeuàpeu.–Enfait,peut-êtrequesi.–Siquoi?Ilyaunboncôté?–IlyaunesecondearméedePartials.Arielluilançaunregardincrédule.–C’estlepireboncôtéquej’aiejamaisentendu.–Non, s’échauffaMarcus. Réfléchis : le docteurMorgan a levé une énorme armée de Partials,

expressémentpourenvahirnotre îleetnousprendreenotages, etuneautrearméedePartials s’enprendà elle à causede ça.LesPartials n’attaquentpas sans raison : ce sontdes soldats, pasdes…barbares. Et la seule raison qu’ils aient de traverser le détroit et de s’en prendre aux forces deMorgan, c’est de vouloir les arrêter, et s’ils veulent arrêter cette invasion, c’est qu’ils sont endésaccord.Arielserembrunit,visiblementsceptique.–TuveuxdirequeledeuxièmegroupedePartialsseraitdenotrecôté?–SiAdétesteBetqueCdétesteB,alorsAetCsontdesalliés.C’estla…lapropriététransitivede

l’éthiqueduchampdebataille,unconceptquejeviensd’inventer.Maisquiestvrai.–Lesennemisdemesennemissontmesamis,résumaAriel.–Ah,voilà!Jesavaisbienqu’ilexistaitundictondecegenre.–Etenquoiçanousaide?Àlarigueur,l’undenouspourraitréussiràsortird’EastMeadowetà

franchirlespatrouillesdeMorgan,pourpeuquelesautreslesdistraientsuffisamment,maisensuite?Partirvers lenorden traversant le territoire leplus lourdementoccupéde l’île, enpleinezonedebataille inter-Partials, et espérer reconnaître les bons des méchants ? Tu serais ramené icimanumilitarienmoinsdevingt-quatreheures,enimaginantquetusurvivesàtoutça.–Nousallonsquitterl’île,ditMarcus.Onlaisselessoldatssebattreentreeux,etonlescontourne

pourallerparleraucommandement,àl’arrière.–Tuveuxtepointersurlecontinent,toutseul,ettrouverungroupedePartials…Marcuséclataderire.–Tumeprendspourqui?PourKira?Jenevaispasfaireçatoutseul,jevaisallerenparlerau

Sénat.–LeSénatafuiEastMeadowaudébutdel’invasion,ditAriel.Qu’est-cequitefaitcroirequetu

vasleretrouver?– Le fait que le sénateur Tovar soit l’ancien chef de laVoix du peuple. Et que je connaisse les

anciennesplanquesdelaVoix.Aide-moijusteàm’échapper,ilfautquej’ailleàl’aéroportJFK.

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CHAPITRE26

Kiraregardasestroiscompagnons,hochantlatêtecommepourseconvaincreelle-mêmequ’elledisaitvrai.–LaSécurité,c’étaitleRM.CrééparParaGen,surinstructiondugouvernement,commemoyende

contrôledel’arméedesPartials.LevisagedeSammétaitsolennel.–LeRMdevaittuerdesPartials?–C’étaitundisjoncteur,ditHeron.SijamaislesPartialséchappaientaucontrôle,boum!Activezla

Sécurité,problèmeréglé.– C’est une très bonne idée, commenta Afa, bien assommé par les antalgiques mais encore

relativementlucide.Sespenséessemblaientclaires,maisilavaitlalanguepâteuseetdisaittoutcequiluipassaitparla

tête.–Àpartlecôtégénocide,biensûr,précisa-t-il.Neleprenezpasmal.–Biensûrquenon,pensez-vous!luiditHeronsuruntonquidémentaitcomplètementsesparoles.– Alors comme ça, la Sécurité était présente en nous dès le départ, reprit Samm. C’était un

dispositifd’autodestructionbiologique.–Quin’apastuélesbonnespersonnes,précisaAfa.–Jenecroispasquecesoitça,ditKira.Elleredressal’écranetfitdéfilerl’arborescence,cherchantunfichierenparticulier;lorsqu’ellele

trouva,ellelemontraàtous.–Voici un e-mail datant des tout débutsde l’épidémiedeRM, avec enpièce jointeun article de

pressesurunemystérieusemaladiesurgiedenullepart;lesarchivesnedisentpasprécisémentquandla Sécurité a été activée ni par qui, mais je devine que cela remontait à environ trois jours. CecourrierestdeNandita,etadresséàmonpère.(Elleretournal’écranverselleetlutlapiècejointeàhaute voix.) « Un nouveau supervirus fait sept morts à San Diego. Des dizaines d’autres casapparaissent.»(Ellerelevalesyeux.)Danslecorpsdel’e-mail,Nanditaaécrit:«Plusrapidequ’onne le pensait. » Pas : «Oh non, il ne s’attaque pas aux bons ! » Juste : « Plus rapide qu’on ne lepensait.»–Ilsauraientvolontairementviséleshumains?s’étonnaSamm.Çan’a…absolumentaucunsens.– Non, en effet, et c’est pourquoi je n’adhère pas encore complètement à l’idée. Je fais juste

remarquerquec’estunepossibilité.–Etest-cequetuvasspéculercommeçasurtouteslesinformations?s’enquitHeron.Oujustesur

celle-ci?Prévenez-moiquandjepourraiànouveaum’intéresseràcequeturacontes.Kiraeutenviedeleverlesyeuxauciel,maiss’abstint.–C’estça, leproblème,dit-elle.Laplupartdesautres informationssont relativementclaires.On

n’a pas trouvé de formule virale ni rien de ce genre, mais il y a là-dedans des documents quidétaillent presque tout le reste. Nous savons comment ils ont procédé : ils ont conçu les glandesphéromonalesde tellemanièrequ’ellesdiffusentdes sporesvirales lorsqu’elles sont stimuléespar

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unesubstancechimiqueparticulière.Noussavonspourquoiilsl’ontfait:parcequ’ilscraignaientquel’armée des Partials ne se soulève un jour, ou pire, et qu’ils voulaient avoir unmoyen simple del’anéantir.Cen’estpasladécisionlapluséthiquequ’ilsaientprise,maisenfinc’estcommeça.(Elleposaunemainsurl’écranquiluisaitdoucement.)Ilyalà-dedansdesdocumentsdanslesquelsilsendébattent, d’autres dans lesquels ils planifient tout, d’autres encore dans lesquels ils analysent lesdétailsspécifiquesdelacontagion,pourtâcherdeprévoiràquellevitesseellesepropagerait.MaistoutescesdiscussionsconcernentlesPartials.Leviruss’enestprisauxhumains,etpourtantpasunmaildanslelotnes’étonnedecettebizarrerie.Aucundeceuxdel’Alliance,entoutcas.IlyabienunmessagedeNoahFreeman,lePDGdeParaGen,adresséauconseild’administration,quilaissepenserque c’est plus compliqué. (Elle afficha le message en question.) « Nous n’avons pas de preuveformelle que l’équipe responsable des Partials ait le projet de saboter le dispositif de Sécurité.Toutefois,danslesoucidepareràtouteéventualité,nousavonsengagédenouveauxingénieurspourl’installer sur les derniers modèles. Ainsi, même en cas de trahison de l’équipe scientifique, laSécuritésedéploieraittoutdemême.»–Cequisembleconfirmercequetuviensdedire,commentaSamm.– Voilà. On sait que l’Alliance a inclus le RM dans le génome des Partials, et cet e-mail nous

indiquequeladirectiondeParaGenconnaissaitcettepartiedel’histoire.Maisnoussavonsaussiquel’Allianceaprévul’antidoteenmêmetempsquelevirus.Etcelaensecret,puisquecen’est jamaismentionnédans lemoindre échangedemails entre l’Alliance et ladirection.Comme leprouve cemessage-ci,lePDGsavaitquel’AllianceessayaitdesaboterlaSécurité,mêmes’ilignoraitparquelmoyen.Le«sabotage»enquestiondevaitdoncêtrel’antidote.Iln’estmentionnéquedeuxoutroisfois dans lesmessages entremembres de l’Alliance, et seulement demanière lourdement cryptée.SansAfapourfairesauterlesprotections,nousn’aurionsjamaispuleslire.L’intéresséseredressa.–Ilsseservaientd’uncodeurPaolo-Scalininiveausixavecdesdynamiquesde…–Ons’enfiche,lecoupaHeron.L’importantestquec’étaitsecret.C’estbizarre.Endéfinitive,ils

cachaient à leurs patrons qu’ils étaient en train d’inventer un deuxième dispositif pour annuler lepremier.–Maisdanscecas,ditSamm,lapremièreSécurité–leRM–adûêtreconçuevolontairementpour

s’attaquer auxhumains. Si c’était dû à unemutation de la souche, l’antidote serait impuissant à laneutraliser.–Absolument,l’approuvaKira.Toutsegoupilleunpeutropbienpourquecesoitunhasard.–Etl’expiration?demandaHeron.C’estbienl’autreraisondenotreprésenceici,pasvrai?Avez-

voustrouvécommentymettrefin?– Ça aussi, c’était sans doute secret, répondit Kira. Messages cryptés et tout et tout. Certains

membresde l’Allianceétaientaucourant ;d’autres, commeMorgan,apparemmentpas.Comme jen’aipaseuletempsdeliretoutesleursconversations,jenepeuxpasvousdireaujustepourquoi.–Sans doute parce qu’ils n’étaient pas tous d’accord, intervint Samm.Tu as dit qu’il y avait eu

débatàproposdelaSécurité,pasvrai?Jesupposedoncquecertainss’yopposaient?Kiraacquiesça.–Certains,oui.Monpère,parexemple,trouvaitqu’àpartirdumomentoùl’oncréaitdenouvelles

formesdevie,ilétaitimmoraldeprévoirdelestuersurcommande.Elleneputs’empêcherdesouriredecettemanifestationdebontéchezsonpère,heureusedesavoir

qu’il s’était opposé à une chose qu’elle-même haïssait si fort. Même si elle n’avait pas de lien

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biologiqueaveclui,oupeut-êtrejustementparcequ’ellelesavait,lespointscommunsentreeuxn’enavaientqueplusdepoids.Afa hocha la tête, de manière presque compulsive, dessinant des motifs dans la poussière en

parlant.– Donc, l’Alliance avait un plan qu’elle cachait à la direction de ParaGen, mais ses membres

n’étaientpasd’accordentreeux,ouchacunavaitsonpropreprojetqu’ilcachaitauxautres.Peut-êtrelesdeux,oupeut-êtrequelquechoseentrelesdeux.–C’estça,ditKira.Ilyavaitunplan…aumoinsun.–Maisladated’expiration,danstoutça?insistaHeron.Tuasditqu’ilyavaitquelquechoselà-

dedans…quoidonc?–Rienquedesthéoriesetdesprojections,réponditKiraenluitendantl’écran.Tupeuxlireçatoi-

mêmesi tuveux :de longsdiscourssur lanécessitéd’unedated’expiration,et sur laduréedeviequ’il fallait leur accorder, la manière dont elle devrait fonctionner, qui allait s’en charger. Çacontinue sans fin.Mais pas de formules, pas de codes génétiques, pas lemoindre détail purementmédical.– Comme pour le virus, fit remarquer Samm. Je croyais que tous les dossiers de ParaGen se

trouvaientdanscecentrededonnées?Afadessinaittoujoursavecsondoigt.–Moiaussi.–Alors,oùestlereste?s’interrogeaKira.Surunautreserveur?Jenesaispassionréussiraà

rallumerlegénérateur.–Non,j’aibienétudiéleregistre,ditAfa.ToutcequiappartenaitàParaGenestsurcedisquedur.–Detouteévidence,cen’estpasvrai,lecontreditHeron.Oùpeutêtrelereste?–Jenesaispas.–Ilfaudraitpeut-êtrerevérifierleregistre,suggéraSamm.MaisKirasecoualatête.– Ils ne voulaient certainement pas que les pièces les plus importantes de leur plan secret se

baladent«danslenuage»,commeditAfa.Àmonavis,cesarchives-làsetrouventexactementlàoùonlepensaitdèsledébut.(Ellepritsarespiration,pleined’appréhension.)Etnousallonsyaller.–TuneveuxquandmêmepasparlerdeDenver,soufflaHeron.–Biensûrquesi,jeveuxparlerdeDenver.–Onnevapas àDenver, tranchaHeron.On a essayé ceci, çan’apasmarché,maintenant il est

tempsd’êtreraisonnablesetderentrercheznous.–Plusriennenousattendcheznous.–Si,lavie!s’emportalaPartial.Lesalut,laraison!Onenadéjàparlé…–Etonadécidéd’alleràDenver,lacoupaKira.C’étaitleprojetdepuisledébut.Onacrupouvoir

toutrécupérerici,maisc’estraté.Onajoué,onaperdu.Maintenant,ilfautcontinuer.–J’ailajambecassée,luirappelaAfa.–Jesais.–Laballeatouchéletibia…– Je sais ! Je sais, et je suis désolée.Mais quepouvons-nous faire d’autre ?Tourner les talons,

renoncer,simplementparcequ’onafaitunparifouetqu’onl’aperdu?–Leparifou,c’étaitDenver,affirmaHeron.Chicagoétaitlaseulepartieraisonnableduprojet.

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– Nous avons fait ce chemin pour tenter de trouver l’Alliance, argumenta Kira. Pour trouverParaGen,lesplans,lesformules,etletoutafind’éliminercesmaladies…–C’estenrentrantcheznousqu’onpourraleséliminer,soutintHeron.– Non, on ne pourra pas. À la rigueur, on parviendra à en différer l’issue, à contourner

temporairement le problème ; peut-être qu’avec beaucoup de chance, en m’étudiant, le docteurMorganarriveraàbricolerquelquechosecontreladated’expiration.MaisleRMseratoujourslà,lesbébéshumainscontinuerontdemourir,etnousseronstoujoursaussiimpuissants.Heronréponditd’unevoixfroidecommelaglace.–Doncsitunepeuxpassauverlesdeuxespèces,tuvaslaissermourirlesdeux.– Je peux sauver les deux. Nous pouvons sauver les deux, ensemble, en allant à Denver et en

mettantlamainsurlesdossiers.–Ets’ilsn’ysontpas?–Ilsysont.–Etoniraoù,après?Jusqu’àlacôte?Au-delàdel’océan?–Ilsysont,jetedis.–Maiss’ilsn’ysontpas?–Alorsoncontinuera!explosaKira.Parcequ’ilssontquelquepart,jelesais!–Tunesaisriendutout.C’estjustetapauvrecervelleembrouilléequiseraccrocheàcetteidée,

parpurdésespoir.–C’estlaseuleexplicationquifasselelienentretoutcequenousavonstrouvéjusqu’àprésent.Je

nebaisseraipaslesbras,etjeneferaipasdemi-tour.Lesilences’abattitsurlapièce.KiraetHeronsedéfiaientduregard,farouchescommedeslionnes.–Jeneveuxpastraverserl’enfer,geignitAfa.–Tuvastousnousfairetuer,ajoutaHeron.–Tun’espasobligéedevenir.–Alors là, tu serais tuée à coup sûr, et si tu es la clé pour comprendre comment lever la date

d’expiration,çarevientaumême.–Viensavecnous,danscecas.Onpeutyarriver,Heron,jetelejure.Toutcequ’afaitl’Alliance,

lesformulesutilisées,lesgénomesqu’ilsontcréés,toutçanousattendlà-bas.Nousleretrouverons,etnouslerapporterons,etnoussauveronstoutlemonde.Lesdeuxespèces.–Lesdeuxespèces,répétaHeron,quiinspiraàfond.Tuasintérêtàtedémener,alors,parcequesi

jamaisunseulcampdoitsurvivre,jet’assurequeceseralenôtre.(Elletournalestalonsetsortitd’unpasfurieux.)Siondoitpartir,partonstoutdesuite:àchaqueminutequipasse,quelqu’unmeurtcheznous.Kiraelle-mêmerespiraprofondément,lesveinesencoresaturéesd’adrénaline.AfaregardaHeron

partir,puisparlatropfort.–Jenel’aimepastellement.–C’estledernierdesessoucis,lerassuraKira.Samm,onnet’apasentendupendanttoutcetemps.–Tuconnaismaposition,répondit-il.J’aiconfianceentoi.Kirasentitmonterdeslarmes,qu’elleessuyasursamanche.–Pourquoi?fit-elleenreniflant.Jemetrompesouvent.–Oui,maissituasunechancemêmeinfimederéussir,tuesprêteàdéplacerdesmontagnespour

yarriver.

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–Toutestsisimple,avectoi.Sammsoutintsonregard.–Simpleneveutpasdirefacile.–Ondevraitd’abordappelercheznous,ditAfa.Cetypeàquituparlestoujours:ilfautleprévenir

qu’onrentreraenretard.–Non,déclaraSammense levant.Onvientdese faireattaquer…Jenesaispas sic’étaientdes

gardespostésàChicagoous’ilsnousontsuivis,maisquoiqu’ilensoit,noussommesplusendangerquenousnelepensions.Nousnepouvonslaisserpersonnesavoirquenoussommesenvie,etencoremoinsoùnousallons.–Pasbesoindedireoù,précisaAfa.Onpourraitutiliserunnomdecode.Comme«Mortorq»:

c’estuntournevis.–Non, insistaKira.Quoiquenousdisions,ceseraunindicedetrop.Onyva,etensecret.(Elle

regardal’écrandanssamain,puislefourradanssonsacàdos.)Toutdesuite.

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CHAPITRE27

Les ruines de l’aéroport JFK étaient entourées d’une large étendue de tarmac qui obligeait toutintrusàapprocheràdécouvert.Unassautciblé,menéavecdesvéhiculesblindés,l’auraitfacilementconquis,maisilrestaitpeudeblindésdanslemonde,etl’arméedeguérilladudocteurMorgann’enpossédaitaucun.Dutempsdelarébellion,laVoixdupeupleavaitréussiàtenirl’aéroportcontrelesForces de défense avec juste une poignée de guetteurs et de snipers ; à présent, les hors-la-loi etl’arméeunissaientleursforcescontrelesPartials.Marcustraversalespistesexposées,malàl’aise,enpriantpourquelesdéfenseurslereconnaissentcommeunhumain.Etpourqu’ilsprennentlapeinedel’identifier,déjà.L’accèsàl’aéroportavaitétédynamité,ainsiquel’essentielduterminal8,afindelaisserlemoins

decachettespossible àune forced’invasion.Marcuspréféra sedirigervers le terminal7.Tout enavançant,ildistinguadestireursdansl’ombre,quilesuivaientlentementdelapointedeleurscanons.–Halte-là,criaunevoix.Marcuss’arrêta.–Jettetesarmes.–Jen’enaipas.–Alorsjettetoutlereste.Marcus n’avait pas grand-chose sur lui : rien qu’un sac à dos qui contenait des bonbons durs

commedescaillouxetdeuxlitresd’eau.Illeposaparterreets’enéloigna,tendantlesmainsdevantluipourmontrerqu’iln’avaitriendedans.–Tourne-toi,fitlavoix,etMarcuss’exécuta.–Jenesuisrienqu’unpetitMexicainmaigrichon,dit-il.Oh,attendez!J’oubliais.Plongeantlamaindanslapochedesonjean,ilensortitunpapierpliéetuncrayonusé.Illestint

devantluipourinspection,puislesposaparterreavecprécaution.–Tutemoquesdenous?fitlavoix.–Oui.Il y eut un long silence, jusqu’aumoment où, enfin, unhomme lui fit signedans l’encadrement

d’une porte. Il trottina jusque-là et découvrit des soldats de la Défense qui l’attendaient avec desmitraillettes.Illesregardaavecappréhension.–Vousêtesbiendeshumains,hein?–Jusqu’auboutdemesonglesdetueurdePartials,réponditlesoldatquiluiavaitfaitsigne.Tues

undesgarsdeDelarosa?–Quoi?–LasénatriceDelarosa.Tutravaillespourelle?Tuasunmessage?Marcusaffichaunairperplexe.–Attendez,vousvoulezdirequ’elleestencore…Ilserappelaitl’avoirrencontréedanslaforêt,alorsqueHaruetluifuyaientlapremièreattaquede

Partials.Ellesecachaitdanslesboisetattaquaitlespatrouilles.–…ellesebatencorecontrelesPartials?

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–Aveclesoutientotaldel’armée,ditlesoldat.Etellelefaitfichtrementbien,enplus.Marcussoupesacetteidée:ill’avaittoujoursvuedavantagecommeuneterroristequecommeune

combattantepourlaliberté.Jesupposequ’ilvientunmomentoùtoutserejoint,pensa-t-il.Quand lasituationestsuffisammentdésespérée,toutestbon……Non,cen’estpasvrai,sereprit-ilfermement.Àla finde laguerre, il faudraquenoussoyons

aussibonsquequandnousl’avonscommencée.–Jenesuisqu’untypecommeça,dit-il.Pasdemessagenidelivraisonspéciale,rien.–Lazonedesréfugiésestenbas,l’informalepremiersoldat.Essaiedenepastropmanger,ilne

nousrestepasgrand-chose.–Nevousenfaitespas,jenevaispasresterlongtemps.Est-cequeparhasardjepourraisparlerau

sénateurTovar?Lessoldatsseconsultèrentduregard,puislepremierseretournaversMarcus.–M.Mkeleaimedébrieferlesnouveauxarrivants.Tuleverrasd’abord.Ils guidèrentMarcus dans l’aéroport, quittant presque immédiatement la surface pour descendre

dans le vaste réseau souterrain qui sillonnait le complexe entier.Marcus s’étonna de découvrir unvéritablecampderéfugiésdanslessous-sols:iln’étaitpaslepremieràavoireul’idéedevenirici!–LesPartials savent-ilsquevousêtes regroupés là? s’enquit legarçon. Ils seraientprêtsà tuer

pourmettrelamainsurcetendroit.– Ils ont envoyé deux ou trois patrouilles. Jusqu’à présent, on a réussi à leur rapporter plus

d’ennuisqu’onn’envalaitlapeine.–Çanedurerapas.– Ils sont attaqués parDelarosa sur un flanc, et par une autre faction de Partials sur l’autre.Ça

occupetropleursforcespourqu’ilss’embêtentavecnous.–C’estexactementpourçaquejesuisvenuici,confirmaMarcus.Lesoldatl’emmenajusqu’àunpetitbureauetfrappaàlaporte.MarcusreconnutlavoixdeMkele

lorsquecelui-cileurditd’entrer.Lesoldatobéit.–Unnouveauréfugié,annonça-t-il.Ilditqu’ilveutparlerauSénat.Mkelerelevalatête,etMarcuséprouvaunpincementdefiertémalicieuseenvoyants’agrandirles

yeuxdel’expertensécurité.–MarcusValencio?Surprendreunhommequiseflattaitdetoutsavoirétaitvraimentunplaisirsansprix.Mais la fierté fit aussitôt place audécouragement : voir queMkele était dépassépar la situation

était,d’unecertainemanière,plusinquiétantquetout.–Bonjourmonsieur,luiditMarcusenentrant.J’aiune…unerequêteàvoussoumettre.Ouplutôt

uneproposition,jedirais.Mkelejetauncoupd’œilincertainausoldat,puisrevintàMarcusetluiindiquaunechaise.–Asseyez-vous.Lesoldats’enallaenrefermantderrièrelui,etMarcusinspiraàfondpourcalmersesnerfs.–Ilfautquenousfassionsuneincursionsurlecontinent,annonça-t-il.Mkeleouvritdegrandsyeux,etMarcuséprouvadenouveaulemêmesentimentdetriompheetde

gêne en voyant qu’il venait encore d’étonner le chef du renseignement.Au bout d’un bref instant,celui-cihochalatête,commes’ilcomprenait.–VousvoulezallerchercherKiraWalker.

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–Sûrquej’aimeraisbienlatrouver,maiscen’estpasellelebut.Ilnousfautenvoyerungroupevers le nord, une ville appeléeWhite Plains, pour discuter avec les Partials qui s’en prennent audocteurMorgan.Mkeleneréagitpas.– Je ne sais pas précisément de quelle faction il s’agit, continua Marcus, mais je sais qu’ils

combattentcelledeMorgan.Ilsontlancéunassautcontrel’hôpitaldanslequelKiraétaitprisonnière,il y a quelques mois : c’est ce qui nous a permis de la libérer, pendant qu’ils s’entretuaient.Maintenant,ilss’enprennentdenouveauauxforcesdeMorgan:ilslesontsuiviesàtraversledétroit,cequilaisseentendrequ’ilscherchentàstoppercetteinvasion.–Etvouspensezquecelaenfaitnosamis.–AestégalàB,quiestégalà…bon,écoutez,Arielformulaitçabienmieuxquemoi, jeneme

rappelle plus. Mais oui, nous avons un ennemi commun avec eux, et nous pourrions sans douteobtenirleuraide.Mkelel’observaencoreunmoment,puisparlalentement.– Je reconnais qu’il a pu nous venir des idées dumêmeordre,mais nous ne savions pas où ni

commentprendrecontactaveceux.Êtes-voussûrquec’estbienàWhitePlainsqu’ilfautaller?–Sûretcertain.Sammnousenaparlé:ilsontunréacteurnucléairequifournitducourantàtoute

la région, si bien qu’ils restent sur place pour l’entretenir. Si nous parvenons jusque-là, ce qui, jel’admets, ne sera pas facile, ils seront peut-être disposés à s’associer avec nous pourmettre fin àl’occupation,voireànousdonnercertainesréponsesavantqu’ilnesoittroptard.Çavautlapeinedetenterlecoup.–Descoups,c’estexactementcequevousrécolterez,objectaMkele.Vousmeparlezd’unemission

àl’aveugle,enterritoirehostile,sansgarantiedesécurité.Sivouspersévérezdanscesens,voussereztué.–C’estbienpourçaquejesuisvenuvousvoir.JenesuispasKira…Jenesuispasprêtàprendre

lecommandementd’uneexpéditionpareille,jenefaisqueproposerl’idée.–Commeça,lorsqu’ilyauraunmort,ceseramoiaulieudevous.–Dansl’idéal,personnenemourra,répliquaMarcus,maisvousfaitescequevousvoulez.Jevous

recommandequandmêmederesterenvieassezlongtempspourréussir.Mkeletambourinadesdoigtssurlebureau,ungesteétonnammentbanalquihumanisaunpeucet

hommeauxyeuxdeMarcus.–Ilyaunan,jevousauraischâtiépourvotreirresponsabilité,dit-il.Aujourd’hui,ilsetrouveque

noussommesprêtsàtoutessayer,oupresque.J’avaisuneunitédesoldatsquisepréparaitdéjàpourunemission sur le continent, etmaintenant que vous nous donnez un objectif clair, nous pouvonsdéclencherlesopérations.Ilsetrouveaussiquenousavonsbesoind’unmédecin,etd’unepersonneayantdéjàuneexpériencederrièreleslignesdesPartials.–Etjesupposequevousdésirezunvolontaire,biensûr.–Nous sommes les Forces de défense, ditMkele.Nous n’attendons pas que les gens se portent

volontaires.Vouspartezdemainmatin.

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CHAPITRE28

KiraetsescompagnonsétaientenroutepourDenver.Ils avaient quitté le centrededonnées auxpremières lueursdu jour, après avoir bandé la jambe

blessée d’Afa le plus serré possible, puis l’avoir aidé à patauger sur un bon kilomètre dans l’eauimmonde. Ils retrouvèrent la barque là où ils l’avaient laissée et ramèrent en silence jusqu’à leurschevaux,Sammdonnantdelongsetpuissantscoupsd’avirontandisqueHeronetKirasurveillaientlesarbresensurplomb,guettantlessignesd’uneattaque.Unchiensolitairelesregardapasserdepuisunpont,mais ilneparlanin’aboya,etKiran’aurait sudires’il s’agissaitd’unChiendegardeoud’unsimplecaboterrant.Les chevaux étaient indemnes mais terrifiés, et Samm et Heron mirent plusieurs minutes à les

apaisersuffisammentpourqu’ilsselaissentseller.Kirarefitlepansementd’Afaavecdesbandagessecs,etilsunirentleursforcespourlehissersurledosdeZarbi,oùlechangementdepressionsursonmuscle déchiqueté le fit chanceler et grimacer de douleur.Kira semordit la lèvre, contrariéequ’ilssoientobligésd’emmenerAfaencoreplusloindechezlui–ellen’étaitpasfâchéecontrelui,ni contre personne,mais juste en colère.Fâchée que la vie soit si dure, pensa-t-elle.Nanditam’aélevéemieuxqueça.«Situaslaforcedegeindre,tuaslaforced’yfairequelquechose.»Chicagosesituaitàpeuprèsàmi-distancedeDenveretdeLongIsland,etilleurfaudraitencore

deuxgrandsmoispourramenerAfachezlui;deuxmoisqu’ilsn’avaientpas.Ilsnepouvaientpaslelaisser sur place, évidemment : ils étaient donc obligés de l’emmener, quelles que soient lesconditions.D’autre part, songea-t-elle, s’il y a encore un système informatique dans les labos deDenver,nousauronsbesoinde luipouryaccéder. Ilest leseulàsavoircomments’yprendre. Ilnenousresteplusqu’ànousdébrouillerpourlegarderenvie.Unefoisqu’ilsfurenttousenselle,prêtsàpartir,Kiralesmenanonversl’autoroutemaisversun

grandhôpitalsituédel’autrecôtédudépôtferroviaire.–«Saint-Bernard»,lut-ellesurunpanneaudélavé,àl’entréeduparking.–Faut-il aller chercher des antibiotiques dans la pharmacie ? s’enquitHeron.Ou un gros chien

poiluavecunpetittonneauaccrochéaucollier?–Dumomentquecenesontpasdeschiensquiparlent,toutmeva,réponditKira.Cescréaturesl’épouvantaientencore,elleenavaitfaitdescauchemarslanuitprécédente:dansson

rêve, elle vivait avec eux, sauvage et féroce, rejetée par les deux sociétés, humaine et Partial.Ellesavaitquec’étaitinjustedesapartdeleshaïr.Commeelle,ilsn’étaientpasresponsablesdecequ’ilsétaient.Ellechassacespenséesdesatêteetentradansl’hôpital,montrantàSammcommenttrierlesmédicamentsdontilsavaientbesointandisqueHeronsurveillaitAfaetleschevaux.Ilsremplirentunemalletteentièred’antibiotiquesetd’analgésiques,puis remontèrentensellepoursemettreenrouteversl’ouest.Verslevastedésertempoisonné.

Lemoyenleplusrapidedequitterlavilleétaitunevoieferréequitraversaitl’autorouteinondéeet

partaitenlignedroiteverslesud-ouest,perchéesurdesrailssurélevésquilamaintenaientlargement

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au-dessusdel’inondation.Ilslasuivirentsurdeskilomètres,dépassantdesdépôtsdechemindefer,descoursd’école,devieillesmaisonseffondrées,deséglisesinondéesetdesbâtimentsécroulés,etfranchissantunerivièreencrue.Lesrailsétaientrectilignesetlecheminessentiellementsec,maislescailloux du ballast ralentissaient les chevaux. Ils n’avaient pas encore rejoint la route que déjà ilfaisaittropsombrepourvoyager.Ilss’abritèrentdansuneanciennebibliothèquemunicipale,laissantleursmonturesbrouterleshautesherbesquipoussaientsurunterrainmarécageuxavantdeleurfaireprudemmentgravir la ramped’accèspour lesmettre au sec à l’intérieur.Kira inspecta le bandaged’Afa, lui fit une grosse piqûre d’antalgiques, puis nettoya sa plaie pendant qu’il dormait. Heronattrapadesgrenouilles et des lézardsdans lesmarais, dehors, et les fit rôtir surun feudevieilleschaisesetdemagazines.Leslivresdelabibliothèqueétaientvieux,pourris,etilnerestaitpersonneaumondepourleslire,maisKiraveillaàcequ’aucunnefinissedanslesflammes.Illuisemblaitqueç’auraitétémal.Aumatin, ils se rendirentcomptequ’ils se trouvaientàcourtedistancede la route80, lagrande

voie rapide qu’ils avaient suivie depuisManhattan, mais environ cent cinquante kilomètres plus àl’ouest que quand ils l’avaient quittée en entrant dans Chicago par l’est. Ils revinrent dessus, latrouvant plus haute et plus sèche que la voie de chemin de fer, et bien plus confortable pour leschevaux. Ils la suivirent toute la journée. La ville s’étirait toujours à l’infini où que l’œil porte :unevasteétendued’immeubles,deruesetderuines.Lesbanlieuespassèrentetdisparurent–Mokena,NewLenox,Joliet,Rockdale–,leurslimitesthéoriquessefondantenunemétropoleunique.Lorsquela nuit tomba de nouveau, ils atteignaient les abords de Minooka, que la route contournait ens’incurvantverslesud.Là,Kiravitpourlapremièrefoisuneplaineherbeusequis’étendaitsansfinendirectiondel’ouest.L’horizonétaitplatetinforme:unocéandeterre,d’herbeetdemarécages.Ilsdormirentdansunhangargéant, dans cequeKira supposa êtreunevieille sallede repospour lescamionneurstranscontinentaux,etécoutèrentunepluied’oragetambourinerfurieusementsurlavastetoiture en tôle. La plaie d’Afa n’allait pas mieux que la veille, mais au moins elle ne s’était pasinfectée.Kirasepelotonnasursontapisdesoletlutàlalueurdelaluneunromanàsuspensequ’elleavaitprisàlabibliothèque.D’accord,lehérosestpourchassépardesdémons,sedit-elle,maislui,aumoins,ilpeutprendreunedouchechaudelematin.Elles’endormitlenezdanslelivre,ets’éveillabienbordéedansunecouverture.Àlaporte,Samm,

quiregardaitlesoleilseleversurlepaysageurbain,luijetauncoupd’œilavantdeseretournerverslecielpâlissant.Kiras’assit,étirasondosetsesépaulesetfitcraquersanuque.–Bonjour!lança-t-elle.Mercipourlacouverture.–Bonjour,luiréponditSammsansbouger.Derien.Elle se leva et prit le temps d’aller suspendre sa couverture au dossier d’une chaise avant de

s’accroupirpourouvrirsonpaquetage.HeronetAfadormantencore,elleparlaàvoixbasse.–Qu’est-cequiteplairait,pourlepetitdéjeuner?J’aidubœufséché,uneautremarquedeviande

séchéeàl’arômeindéfinissable,et…descacahuètes.Rienquedesvictuaillespré-Ravage,récupéréesdans ce magasin où on s’est arrêtés en Pennsylvanie. Il ne nous reste plus grand-chose, commeprovisions.–Ondevraitallerauravitaillementenvilleavantderepartir,suggéraSamm.Onn’estpasloinde

lazonetoxique,etjenesaispass’ilfautsefieràcequ’ontrouveralà-bas.–Onestpassésdevantuneépiceriehier soir,ditKira,qui sortitdusac tous lesalimentsqu’elle

avaitmentionnéspourlesposersurunetable,àcôtédeSamm,puiss’assitdel’autrecôtéetouvritle

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paquetdecacahuètes.Onpourrayretourneravantdeleverlecamp,maisenattendant,sers-toi.Samm étudia la nourriture, choisit un sachet de bœuf au hasard et le déchira. Il le renifla

méticuleusementavantd’ensortirunmorceaudeviandenoir,tordu,durcommedelasemelle.–Quefaut-ilfaireàlaviandepourqu’ellesoittoujoursbonneauboutdedouzeans?–Qu’entends-tupar«bonne»aujuste?Tuvasdevoirmâchouillercetructoutelajournéeavant

qu’ilsoitassezmoupourêtreavalé.Ilendéchiraunelanière,longue,fine,etfilandreuseaupointquec’enétaitpresquedrôle.– Il va falloir la faire bouillir, observa-t-il en remettant les fibres dans le sachet. Mais quand

même…unesubstancecomestiblepresqueaussivieillequenous!Cebœufavaitpeut-êtredéjànotreâgequandilestmort,etcetarbren’existaitmêmepasencore.(Ilindiquaitunpeuplierhautdecinqmètresquiavaitcrevé l’asphalteduparking.)Etpourtant,onpeutencore lemanger.Nousn’avonsrien, dans le monde d’aujourd’hui, qui permette de conserver la nourriture si longtemps. Çan’existerapeut-êtreplusjamais.– Jene saispas si c’est souhaitable,pointaKira.Parle-moiplutôtde labonneviande fraîchede

Riverhead.–C’estjusteque…toutsedégrade,unechoseaprèsl’autre.Desvoituresquineroulentplus.Des

avionsqui ne reverront plus jamais le ciel.Des systèmes informatiquesquenouspouvons à peineutiliser, et encore moins recréer. On dirait que… que le temps s’est inversé. Nous sommes desarchéologuespréhistoriquesfouillantlesruinesdufutur.Kira ne dit rien, mastiquant les arachides ramollies tandis que le soleil pointait au-dessus des

sommetsdelaville,loinderrièreeux.Elledéglutitavantdeparler.–Jesuisdésolée,Samm.–Cen’estpastafaute.–Paspourl’histoiredeshommespréhistoriques,nipourlebœufséchéou…Non,jesuisdésolée

dem’êtrefâchéecontretoi.Jeregretted’avoirditleschosesquifontquetum’enveux.Ilobservalesoleilsansriendire,etKiraessaya,envain,deflairersespensées.–Moiaussi,jeregrette,lâcha-t-ilenfin.Jenesaispascommentréparer.–Noussommesenguerre.Nousnesommesmêmepasdansuneguerrequenouspouvonsgagner

–leshumainsetlesPartialss’entretuent,etsetuenteux-mêmes,ettuenttoutcequileurtombesouslamain,parcequec’estlaseulemanièrequ’ilsconnaissentderésoudrelesproblèmes.«Sionnesebatpas, onmourra. »Cequenous devonsvoir en face, c’est que nousmourronsmême si nous nousbattons, et nous ne voulons pas affronter ça parce que c’est trop terrifiant. Il est plus facile deretomber dans les vieux schémasdehaine et devengeance, parcequ’aumoins, commeça, on faitquelquechose.–Jenetehaispas,ditSamm,maisjet’aihaïe.Quandtum’ascapturé,quandjemesuisréveilléet

quejet’aivue,etquej’aicomprisquetousceuxdemonunitéétaientmorts.Tuétaislà,etdoncjet’aihaïeavecuneforcedontjenemecroyaismêmepascapable.Jesuisdésolépourça,aussi.– Ce n’est pas grave. Je ne suis pas complètement innocente non plus. (Elle sourit.) Ce qu’on

devraitfaire,c’estenvoyertousleshumainsetlesPartialsdansuneéquipéemortellecommecelle-ci,pourqu’ilsapprennentàsefaireconfianceetàsecomprendre.–Jesuiscontentqu’ilexisteunesolutionaussisimple.Samm demeurait impassible, mais Kira crut percevoir, par le lien, comme une impression de

sourire.Ellesemitdanslaboucheuneautrepoignéedecacahuètes.

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–C’estcequetuveuxvraiment,n’est-cepas?luidemanda-t-il.Elleleregardaaveccuriosité.– Un monde uni, poursuivit-il, le regard toujours perdu au-dehors. Un monde dans lequel les

Partialsetleshumainsvivraientensembleenpaix.Illuijetaunregardencoin.Kiraacquiesça,toutenmâchonnantd’unairpensif.Oui,c’étaitexactementcequ’ellevoulait–ce

qu’elle voulait depuis… depuis qu’elle avait appris ce qu’elle était. Une Partial, élevée en tantqu’humaine,reliéeauxdeuxgroupessansvraimentfairepartied’aucun.–Parfois,jemedis…Elle s’interrompit. Parfois, je me dis qu’il n’y a que comme cela que je serais acceptée. Je

n’appartiensplusàaucungroupe,mais si lesdeuxs’unissaient, jene seraisplusunphénomènedefoire.Jeferaispartiedutout.Ellesoupira,tropgênéepourlediretouthaut.–Parfoisjemedisquec’estleseulmoyendesauvertoutlemonde,reprit-elleàmi-voix.Detous

nousrassembler.–Ceserabienplusdifficilequesimplementguérirnosmaladies.–Jesais.NousallonstrouverlelabodeParaGen,trouverlesplansetlesformules,nousvaincrons

leRMet ladated’expiration…et riende toutcelanecomptera,parcequenosdeuxpeuplesne seferontjamaisconfiance.–Un jour, il le faudrabien,ditSamm.Quand iln’yauraplus lechoixqu’entre laconfianceou

l’extinction, la confiance ou la disparition totale, ils verront qu’il le faut bien, et ils se feront uneraison.–C’estunedeschosesquej’aimecheztoi,Samm.Tuesunoptimisteinvétéré.

Àpartirdelà,pendantplusieursjours,laroutefutabsolumentrectiligneetplate,àunpointpresque

perturbant. On voyait parfois, d’un côté ou de l’autre, des fermes reconquises par la prairie etrestituéesauxtroupeauxdechevauxetdebovinssauvages,maislepanoramanechangeaitpas:c’étaittoujourslamêmefermerépétéeàl’infini,jusqu’aumomentoùKirafinitparavoirl’impressiondefairedusur-place.Detempsentemps,larivièreIllinois,ausud,pouvaitêtreaperçuedepuislaroute,et Kira commença à l’utiliser comme repère. Ils avançaient lentement, en veillant à nourrir etabreuver les chevauxet àbiendonner sesmédicaments àAfa.Saplaie cicatrisait trèsmal, etKirafaisaitdesonmieuxpourluiremonterlemoral.TroisjoursaprèsêtresortisdelabanlieuedeChicago,ilsatteignirentunevilleentouréed’eau,au

confluent de deux rivières ; ils traversèrent la Rock River pour entrer dans une agglomérationnomméeMoline, qu’ils trouvèrent marécageuse même s’ils pouvaient y circuler. Au centre de laville,toutefois,unautrefleuvelesarrêtanet.C’étaitleMississippi,etlespontsn’étaientpluslà.–Çavamal,ditKiraenobservantl’imposantcoursd’eau.ElleavaitentenduparlerduMississippi, largedeplusd’unkilomètreetdemiàcertainsendroits.

Ici,ilétaitmoinsénorme,maissemblaittoutdemêmeavoiraumoinshuitcentsmètresd’empanencertainspoints.C’étaitbeaucouptroppourqueleschevauxs’yengagentàlanage,surtoutavecAfa.–Vouscroyezquec’estdûàlaguerre,oujusteàl’usuredutemps,cettefois?demandaKira.–Difficileàdire,réponditSamm.Heroneutunriredédaigneux.

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–Quelleimportance,detoutemanière?Kira,quiregardaitl’eaubouillonner,soupira.–Aucune,jesuppose.Bon,qu’est-cequ’onfait?–OnnepeutpasfairetraverserAfasanspont,affirmaSamm.Etpuisonmouillerait laradio,et

mêmesielleestcenséeêtreétanche, jenem’yfiepas trop.Jeproposequ’onsuive la rive jusqu’àtrouverunpontintact.–Verslenordouverslesud?s’enquitHeron.Ça,parcontre,c’estimportant.–D’après notre carte, nous sommes encore légèrement au nord par rapport àDenver, ditKira.

Partonsverslesud.Ils tournèrent bride,Kiramurmurant des encouragements àBobo et lui caressant l’encolure.La

rive était impraticable sur une largeur de plusieurs mètres, parfois même sur presque un demi-kilomètre:lesolétaitsoittropescarpé,soittropmarécageux,soittropboisé,voirelestroisàlafois.Ils suivirentunepetite routeétroiteautantqu’ils lepurent,mêmes’ilsdécouvrirentplusd’une foisqu’elles’approchait tropdufleuveetplongeaitsoudaindanslecourant.Lorsquecetteroutepritungrand virage, ils en empruntèrent une autre. Là, c’était la même chanson, parfois pire, mais ilsn’avaient pas le choix. Le premier pont qu’ils dénichèrent rejoignait la ville la plus grande qu’ilsavaient vue depuis Chicago, mais il était tombé, comme le précédent. Le deuxième jour, ils seretrouvèrentcoincésàunendroitoùlesflotsavaientcomplètementemportélaroute,flanquésd’uncôtéparlefleuveetdel’autreparunlac,etdurentrebroussercheminsurplusieurskilomètres.Là,leterraindétrempés’étendaitsurplusd’unkilomètreetdemi,peut-êtremêmetrois,entrefleuveetlac:Kira ne savait plus si cette estimation était juste ou si elle émanait de sa frustration impuissante.L’endroitétaitsuperbe,pleind’oiseaux,defleursetdelibellulesquidécrivaientdescerclesparesseuxau-dessusdesmarais,maisl’obstacleétaitinfranchissable.Ilstrouvèrentunenouvelleroute,prièrentpourqu’ellelesmèneàunpont,etlasuivirentendirectiondusud.Auboutdedeux jours, ilsarrivèrentauvillagedeGulfport,quiavaitplusdesurfacesous l’eau

qu’au-dessus. De gros piliers de pierre marquaient l’emplacement d’un pont qui avait autrefoistraversé jusqu’à la ville bien plus grande située de l’autre côté, mais à part quelques poutrellessolitaires qui dépassaient au-dessus des rapides, il n’en restait rien. Kira poussa un juron et Afas’effondra douloureusement sur sa selle.MêmeZarbi, d’habitude toujours content d’errer pendantleurspausesàlarecherchedepoussesvertesàgrignoter,semblaittropdéprimépourbouger.–C’estforcément lefleuvequiaemporté lepont,ditSamm.Cespatelinsétaient troppetitspour

avoir la moindre importance stratégique pendant la guerre. Je crois que le Mississippi estsimplement…troppuissantpoursonbien.–Pourlenôtre,surtout,soulignaHeron.–Quelqu’unabienétélepremieràletraverser,non?ditKira.Elle talonna légèrementBobo pour lemener plus près du bord de l’eau, scrutant la courbe des

arbresleplusloinpossibleverslesud.–Jeveuxdire,quelqu’unlesabienconstruits,cesponts,etavantcela,quelqu’unatraversé.–PasavecAfa,soulignaHeron.Letondesavoixsemblaitsous-entendrequ’ilsdevaientl’abandonnerpoursauverlamission,mais

Kiranepritmêmepaslapeinedelaregarder.Ellejetacependantuncoupd’œilàAfaquidodelinaitde la tête, plus oumoins endormi, attaché à sa selle, reprenant parfois conscience pour retomberaussitôtdanssastupeur,ballottéentrel’effetdesanalgésiquesetsapositioninconfortable.–Onpourraitconstruireunradeau,ditKira.Ilyadesarbrespartout,etenfouillantdanscetteville

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submergée,çanedoitpasêtrebiendifficiledetrouverdesplanches.Avecunradeauassezgrand,onpourraitfairetraverserleschevaux,etAfaaussi.– Le courant est bien plus puissant qu’il n’y paraît… commença Samm,maisKira lui coupa la

parole.–Jesais,dit-elle,plussèchementqu’ellenel’auraitvoulu.C’estpourquoinousn’avonspasessayé

detraverseravant,maisavons-nouslechoix?Letempspressaitdéjàavantqu’onperdedeuxjoursàfaire un détour. Notre destination se trouve à l’ouest, alors… allons vers l’ouest ! C’est ça oucontinuerverslesudpendantencoreaumoinsdeuxsemaines.–Tun’aspastort,concédaSamm,maisneconstruisonsunradeauqu’endernierrecours,etsion

enarriveàcepoint,ceseravraimentlesignequetoutestdécidémentcontrenous.Maisçanedevraitpas être nécessaire : regarde l’autre rive. Toutes les villes comme celle-là étaient des ports decommerce,car lefleuveservaità transporterdelamarchandise.Ilnoussuffitderepérerunbateauquiflotteencore,etdegrimperàbord.–Saufquejusqu’àprésent,touteslesgrandesvillesquenousavonsvuesétaientsurl’autrerive,fit

remarquerHeron.ÀmoinsquetuneveuillesrefairedeuxjoursderoutepourremonteràMoline.Jenemesouvienspasd’avoirvudegrossesembarcationslà-bas.– Alors continuons vers le sud, décida Samm, poussant déjà son cheval. Au point où nous en

sommes,autantcontinuer.–Est-cevraimentunebonne raisonpourcontinuer?protestaHeron.Maisoui,c’estvrai,onest

tellementdouéspourl’échec,surtoutnechangeonsrien!–Tusaisquejenecomprendspasbienl’ironie,lamouchaSamm.Heronémitungrognementderage.– Alors je vais dire les choses plus clairement : c’est complètement idiot, ton idée. Kira a ses

raisons de venir ici,maismoi, je suis là à cause de toi. Je t’ai fait confiance, et je fais toutmonpossible pour te conserver cette confiance, mais regarde-nous. Nous sommes en plein marécage,perdusdansunpaysmort, en traind’attendre laprochaineattaque,ou laprochaineblessure,ou laprochainepetiteroutebourbeusepourtomberdanslarivièreetnousnoyer.–Tueslameilleured’entrenous,répliquaSamm.Tupeuxsurvivreàtout.–Jesurvisparcequej’aiassezdecervellepournepasmefourvoyer.Parcequejenememetspas

dansdessituationsoùjerisquelamort,etfranchement,c’esttoutcequenousconnaissonsdepuisdessemaines.–Onpeutyarriver,assuraKira.Maispourça,ilvafalloirvouscalmerunpeu.–Jelesais,qu’onpeutyarriver,soupiraHeron.J’aibeaurâler,jenesuispasidiote.Jelesaisbien,

qu’onpeuttraversercefichufleuve.Jevoudraisjustequetumeprouvesquec’estlabonnechoseàfaire.Kiravoulutrépondre,maisHeronneluienlaissapasleloisir.–Cen’estpasàtoiquejeparlais.C’estàSamm.Etjet’enprie,dis-moiquecen’estpasàcausede

cette…cetteje-ne-sais-quoi!conclut-elleavecunvaguegesteendirectiondeKira.SammregardaHeron,puistournalesyeuxversl’autrerive.–Çanesuffitpas,tucomprends?Desuivre,simplement;defaireconfianceàquelqu’undeplus

grand,plusmalinetmieuxinforméquesoi.C’estainsiquenoussommesfaits,c’estainsiquesontfabriquéstouslesPartials–suivrelesordresetsefieraucommandement–,maisçanesuffitpas.Çan’a jamais suffi. (Il pivota de nouveau vers Heron.) Nous avons obéi à nos chefs, et parfois ils

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gagnent,parfoisilsperdent;nousfaisonscequ’ilsdisentetnousjouonsnotrerôle.Maisauboutducompte,ladécisionnousappartient.C’estnotremission.Etquandnousauronsterminé,lavictoireoula défaite sera la nôtre. Je ne veux pas échouer,mais si c’est le cas, je veux pouvoir regarder enarrièreetdire:«Voilàcequej’aifait.J’airaté.J’assumetout.»Kira l’écouta en silence, s’émerveillant de la force de ses paroles et de la puissance de ses

convictions.C’étaitlapremièrefoisqu’ils’exprimaitréellement–au-delàdesessimples:«JefaisconfianceàKira»–,et ilenressortait l’opposéde«Jefaisconfianceàn’importequi.»Ilétait làparce qu’il voulait rester maître de ses décisions. Était-ce donc si important pour lui ? Était-cevraimentsirare?Etcommentcelapouvait-ilfairedouterHeron,ellequiétaitdéjàsifarouchementindépendante?Kiraétaitpeut-êtreunePartial,commeeux,maisSamm,encemoment,faisaitappelàune expérience commune qui lui échappait – elle s’en rendait soudain compte. Samm etHeron seregardèrentlonguement,etKiraneputquedevinerlesdonnéesmuettesquicirculaiententreeux.–D’accord,ditenfinHeron,quitournabridepourlesuivre.Ils semirent en route vers le sud, Zarbi les talonna, et Kira ferma le cortège, perdue dans ses

pensées.LeMississippilesmenaversd’autresagglomérationsinondées,dontlaplupartétaientencoreplus

minusculesqueGulfport:DallasCity,Pontoosuc,Niota.ÀNiota,lesvestigesd’unpontsetendaientverslespremiersreliefsnotablesqu’ilsavaientvusdepuisdessemaines:unpromontoireetunevillenomméeFortMadison.Niotaétaitenmoinsmauvaisétatquelestroisderniersvillagesrencontrés,etilspataugèrentleplusloinqu’ilsl’osèrentenguettantduregardtoutcequipouvaitêtresusceptibledelesaideràtraverser.Sammrepérabienunemoitiédepénichequidépassaitàl’obliquedelasurface,maisàpartcela, rienquipuisseencore flotter.Lecourantétaiteffectivementplus fortqueKiranel’auraitcru,etellesortitdeceseauxsinistresaussitôtqu’elleleput.–Bien,ditHeronenselaissanttomberdansl’herbederrièreelle.Noussommestoujourscoincés,

maisensupplément,nousvoilàtrempés.Rappelle-moienquoic’estunprogrès,déjà?–Ne t’en fais pas. Il fait chaud, on va sécher en un rien de temps,mais je suis sûre que tu vas

trouverunnouveauprétextepourteplaindred’iciquelquesminutes.– Allons rejoindre Afa et les chevaux, dit Samm. Nous pouvons encore avancer de quinze

kilomètresaujourd’hui,sinousneperdonspasdetemps.–Attends,soufflaKira,quiobservaitlesvestigesinondésdelaville.Quelque chose avait bougé. Elle scruta attentivement, unemain en visière pour se protéger des

éclats de lumière reflétés par les eaux.Une vague déferla et lemouvement se répéta : cela venaitd’unegrossemassenoiresurfondd’eauscintillante.–Lapénichebouge.SammetHeronregardèrentaussi,etKiraleurchuchotad’attendre,attendre,attendre…enfin,une

nouvellevaguevints’écraserdessusetelleremuaencore,presqueaveclégèreté.–Elleflottetoujours,constataSamm.Jelacroyaisplantéedanslefond.– Exact, elle bouge trop librement pour être envasée, dit Heron. Elle est peut-être simplement

amarrée?–Etenladétachant,terminaKira,onpourraitnaviguerdessus.Abandonnant leurs armes et leur lourd équipement, ils retournèrent patauger dans la ville,

continuantcettefoisàlanagelorsqu’ilsn’eurentpluspied.Lecourantétaitpuissant,maisilsprirent

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soindesetenirenavaldesbâtiments,s’accrochantunemainaprèsl’autreauxtoitsquidépassaientpour s’approcherde lapéniche.Celle-cioscillait faiblement,ballottéepar les eaux.C’étaitunedeschoses lesplus éloignéesdu rivage. Ils sehissèrent sur lamaison laplus avancéepour l’observerdepuisletoit.–Pasdedoute,ellebouge,confirmaKira.Dèsqu’onl’auralibérée,ellevaremonterd’uncoupet

partirdanslecourant.–Avanttout, ilvafalloir l’amarreràautrechoseavecuncordagepluslong,ditSamm.Detoute

manière,nousn’ironspaslà-bassansnousencorder.–Jevouspréviens,cen’estpasmoiquim’ycolle,annonçaHeron.Mais jeveuxbienallervous

chercher une corde. Il y avait un magasin de bricolage dans le dernier bâtiment que nous avonsdépassé.Elleredescenditdansl’eauetKiralasuivit,soucieusedenelaisserpersonne–mêmepasunefille

dontelleseméfiaitvaguement–entrerseuldansunédificeenruineet inondé.Aussitôtqu’ellessedétachèrentdumur,lecourantlesentraînaverslesud,entred’autresmaisons,alorsmêmequ’elless’efforçaient de progresser vers l’est pour se raccrocher à un mur. Heron agrippa une gouttièrerouillée d’unemain et tendit l’autre à Kira, la saisissant au passage. Kira sentit quelque chose desolidesoussespieds,probablementletoitd’unevoitureoulacabined’uncamion,ets’enaidatandisqueHeron la tirait vers lemagasindebricolage.Kira s’accrochaà l’appuide la fenêtre, soulagéequ’iln’yaitpasd’éclatsdeverre,etplongeasousl’eaupourpasseràl’intérieur.Ilyavaitenvirontrentecentimètresd’airdanslebâtiment,entrelasurfacedufleuveetleplafond.

Unefaiblebriseainsiqu’unraidelumièreindiquaientquecetairétaitrenouvelé,grâceàaumoinsuntroudanslatoiture.L’humiditéambianteavaitcouvertdemousseleplafondetlaportionvisibledesmurs,etKiraétaitoccupéeàenretirerdesescheveuxlorsqueHeronfitsurfaceàcôtéd’elle.–Jecroisbienquelefleuveatoutemporté,luiannonçaKira.Ilétaitclair,eneffet,quelaplusgrandepartiedurevêtementmural,ainsiquetoutcequiyavaitété

fixé,avaientdisparudepuislongtemps.–Ildoitbienresterdeschosesplusbas,grommelaHeron.Ellessedirigèrentverslaportionlapluslargedumursud–àcetendroit,lesobjets,ainsiqu’elles-

mêmes,risquaientmoinsd’êtreentraînésversl’aval.Heronplongealapremièreetrestasousl’eauassez longtemps pour queKira commence sérieusement à s’inquiéter.Mais elle finit par crever lasurfaceetécartersescheveuxdejais.–Pasdecorde,annonça-t-elle,maisjecroisquej’aitrouvédeschaînes.–Jevaisallervoir.Kiraplongeaàsontourlelongdumur.Elletentad’ouvrirlesyeux,maisl’eauétaittropsombreet

boueusepourqu’onyvoiequoiquecesoit.Elletâtaquelquechosedelourd,lové,plusglissantquedelacordemaispluslissequ’unechaîne,ettentadelesoulever.Celabougeavaguement,maisc’étaitbientroppesantpourqu’elleleremonteseule.Elleregagnalasurfaceets’accrochaaumur.–Jepensequec’estuntuyaud’arrosage.–Assezsolide,tucrois?–Ildevraitfairel’affaire,pourvuqu’ilsoitsuffisammentlong.Heron dégaina son couteau, l’ouvrit, et le prit entre ses dents avant de replonger. Presque une

minuteplustard,elleétaitderetour,lecouteaudansunemainetl’extrémitédutuyaudansl’autre.–Combiendetempspeux-turetenirtarespiration?l’interrogeaKira.

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–Biologiquementsupérieure,luirappelaHeron.Jemetueàteledire.Prendsça,l’autreboutesttoujoursfixéàl’étagère.–Çaexpliquequ’iln’aitpasétéemporté,ditKira.MaisHeronétaitdéjàrepartie.Elle reparutunpetitmomentplus tardethocha la tête :gagné.Kiracommençaà lover le tuyau,

maiscessaauboutd’unevingtainedetours.–Ildoitmesureraumoinstrentemètres.–Alorsallons-y,ditHeron,quiempoignauneportiondu tuyau tandisqueKira ressortaitpar la

fenêtre.Elle fut emportée plus loin vers le sud qu’elle ne l’aurait voulu, et chercha des yeuxSammqui

l’observait depuis son toit. Souriait-il de la voir ? Bien sûr, il s’était inquiété, les sachant partiesdepuissilongtemps,maisKirasesurpritàespérerqu’ils’étaitfaitdusoucispécialementpourelle,plutôtquepourlesuccèsoul’échecdeleurmission.Ellerepoussacettepenséeetbranditunboutdutuyau.–Tuyaud’arrosage,dit-ellesimplement,essoufflée,enluttantcontrelecourant.Elleremontapeuàpeujusqu’autoitoùsetenaitSamm,etillahissaàcôtédelui.Herongrimpa

derrièreelle,l’airnettementmoinsépuiséequeKira.Sammhissaaussileslongueursdetuyauetleslovadenouveausurlestuilesmoussues.Ildésignalarive,derrièrelevillageenglouti,oùlechevaldeHeronlesregardaitd’unairsolennel.–Jepensequec’estlemeilleurendroitpouressayer,expliqua-t-il.L’espaceestdégagé,etbiensûr

il nous faut un peu de profondeur, mais la péniche a l’air assez plate, donc ça devrait passer.Retournonslà-basetattachonsunboutdecetuyauà…(Ilsetutuninstantpourobserverlesvestigesdemobilierurbainquidépassaientdel’eau.)…àcelampadaire.Delà,jerejoinslapénicheàlanage,jel’attacheàl’autreboutdutuyau,puisjen’auraiplusqu’àcoupercequilaretientetonlahisserajusqu’àlarive.–C’estaussisimplequeça,hein?fitKira.– À moins qu’elle ne soit amarrée avec des chaînes en métal, oui. Le plus difficile sera de la

manœuvrer,chargéedeschevaux,sansqu’elleaillesecoincerentrelesbâtiments.–Ilfautdirequenoussommessûrementlespremiersàtenterdepiloterunepénicheenpleinerue,

ironisaHeron.Jedoutequelavilleaitétéconçuepourça.–On se repoussera contre le fond avec des perches, proposaKira.Contre le courant ravageur,

destructeurdeponts,dupuissantfleuveMississippi.–C’estaussisimplequeça,hein?fitSamm.Kira, relevant la tête, vit qu’il souriait –un sourire hésitant, comme s’il essayait unenouveauté.

Elleleluiretourna.–Ehoui!Aussisimplequeça.Cela ne l’était pas. Une fois noué autour du lampadaire, le tuyau n’atteignait pas tout à fait la

péniche,sibienqu’ilfallutlafairepivoterpourlarapprocher.Puis,unefoisqu’ellefutsolidementarrimée, Samm eut toutes les peines du monde à lutter contre le courant pour plonger vers lesamarres – car il n’y en avait pas une, comme ils l’avaient espéré,mais cinq. Il passa presque unedemi-heure sous l’eau, à trancher tant qu’il pouvait, ne remontant que de temps en temps pourreprendreunerapidegouléed’air.Kiranelevoyaitpastrèsbien,maistoutdemêmeassezpourserendrecomptequ’ilavaitperdutoutecouleuretgrelottaitdefroid.Chaquefoisqu’ilreplongeait,elle

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sesurprenaitàretenirsarespiration,parsolidaritéetaussipourvoircombiendetempsellearrivaitàtenir.Chaqueplongéeluiparaissaitpluslonguequelaprécédente.Ladernières’éternisaàtelpointqueKira finit par être certaine qu’il s’était noyé.La péniche bougea brusquement, de plus en plusinstable à mesure qu’elle était libérée de ses amarres, et Samm ne remontait toujours pas. Kiracompta jusqu’àdix.Rien.Elleentradans l’eau,comptaencore jusqu’àdix, jusqu’àvingt,etbientôtHeronfutàsescôtés,seretenantautuyaud’arrosagetendupresqueàcraquer.Lapénichebougeadenouveau,tournoyajusqu’àallerheurterlesbâtimentssituésenaval,etSammjaillitenfindufleuve,cherchant désespérément de l’air.Kira le rattrapadans ses bras et tint sa tête au-dessus de l’eau letempsqu’ilseremette.–C’estfait,dit-ilenclaquantdesdents.Iln’yaplusqu’àlahalerjusqu’àlarive.–Ilfautd’abordqu’onteréchauffe,protestaKira.Tuesauborddel’hypothermie.–Cetuyauvaserompresionattendencore,intervintHeron.–Sammestendangerdemort,insistaKira.–Çavaaller,ditlegarçonenfrissonnant.JesuisunPartial,tusais.–Allez,onyretourne,déclaraHeron.Sinon,onaurafaittoutçapourrien.Ilsregagnèrent lebordensetenantautuyaudecaoutchouc,KiraobservantSammetpriantpour

quesesgrelottementsnedeviennentpasdesconvulsions.Aussitôtqu’ilspurentsetenirdeboutsurlarive,elle lui frictionna ledoset le torse,avecdesgestes rapideseténergiquesqui firent sûrementplusdebienàsaconscienceàellequ’àl’étatphysiquedeSamm.Cecontactaveclescontoursfermesdesontorsemuscléluidonnaunpetitfrisson,etcelaluiparutsiterriblementdéplacéqu’ellelaissaaussitôt retomber ses mains, effarouchée par ce sentiment incongru. Elle était médecin, pascollégienne : elle devait pouvoir toucher les pectoraux d’un homme sans se pâmer ! Comme iltremblaittoujoursetclaquaitdesdents,elleluiadministraunenouvellefriction,passantlesmainsdebasenhautsursapoitrineetsonsternumpourforcerunpeudechaleuràentrerenlui.Uninstantplustard,toustroisempoignèrentletuyauetcommencèrentàtirerlapénichedanslarue

principale. Afa, assis au sec, les regardait avec indifférence. Il était presque trop étourdi par lesantalgiquespoursetenirdebout.Lapénicheglissalentementverseux,etlorsqu’ilseurentgagnéseptou huit mètres de mou, Kira détacha le tuyau du lampadaire et alla en pataugeant l’arrimer ausuivant.Ilsprogressèrentdelasorte,enrépétantcemanège.Lapénicheraclaitcontrelesmaisons,ets’accrocha une fois si fermement que Heron dut aller à la nage la déloger à l’aide d’une vieilleplanche.Auboutdeplusdedeuxheuresd’efforts,ilsavaientpresqueassezrapprochél’embarcationdelaterrefermepouryfairemonterleschevaux.Ilsavaientparcouruàpeinecentmètres.Ilsladétachèrentunedernièrefois.Àcemoment-là,letuyaucassaetilsfaillirentlaperdre;Samm

enroulaleboutquitraînaitautourd’undesesbrasetagrippaunmurenbriquedel’autre,levisagerougi par l’effort et la douleur, tandis que Kira et Heron s’empressaient de rattacher solidementl’embarcation.Unelourdeporteenbois,arrachéeàsonchambranle,fitofficedepasserelleescarpéepourembarquer, et ilsyguidèrent leschevauxunàun,Kira lesencourageantavecdesmotsdouxtandis que SammetHeron les encadraient sur les côtés pour qu’ils restent bien dans l’axe. Sammgrelottaittoujours,cequirenditsonchevalBuddynerveux:l’animalpiétinaetreculasibrutalementque la porte se fendit. Ils l’encouragèrent à monter avant qu’elle ne se brise complètement, puisdurententrouveruneautrepourfaireembarquerZarbiaprèslui.Afafutledernieràpasser,levisagemou,sesbrasénormesserréssursonsacàdoscommesurunebouéetropgonflée.–Jenedoispaslaissermonsacàdos,dit-il.Jenedoispaslaissermonsacàdos.–Onnevapaslelaisser,lerassuraKira.Assieds-toilà,nebougepas,ettoutirabien.

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Après qu’ils eurent récupéré leur proprematériel et leurs armes,Heron trancha leur amarre defortune et se hâta de gagner la proue, sur le côté, l’atteignant juste à temps pour empoigner uneplanche et la pousser contre la rangée de bâtiments dans lesquels le courant voulait les encastrer.Sammétaitdumêmecôté, lamainet lesbrasencorelividesdefroid.Kirasetenaitaumilieupourcalmerleschevaux;ilshennissaient,effarouchésparl’instabilitédelapénichequitanguaitcommelaterre ferme ne le fait jamais, et s’effrayèrent encore plus lorsque l’embarcation heurta le petitmagasindebricolage.–Essaied’éviterlesbâtiments!criaKiratandisqueBobotentaitdes’enfuirenlançantdesruades.–Vatefairevoir!grinçaHeronenretour,lesdentsserrées,sanscesserdelutterpourempêcherla

pénichedesefracasserunesecondefoiscontrelaboutique.Le courant implacable les emportait entre les maisons de la ville, pas très vite, mais avec

puissance ; ce n’étaient pas des rapides, mais Kira commençait à se rendre compte qu’un fleuve,même paresseux, lorsqu’il était si vaste, déployait une puissance incommensurable. Samm allarejoindre Heron, qui était passée à l’arrière, et ils unirent leurs forces pour empêcher la pouped’accrocher ledernierbâtimentqui leurbarrait la route.Soudain,sans transition, ils furent libres :libérésdelavilleengloutie,desdébrisquiencombraientlesrives,maisaussidelarelativestabilitéquelesconstructionsleuravaientofferte.Lapénichetournoyalentementsurleseaux,etleschevauxrenâclèrentettapèrentdupied.SammcourutaiderKiraàlescontrôlertandisqueHeronsedéplaçaitlelongdubordagedemanièreàrestertoujoursducôtédel’aval.–Unbancdesable!cria-t-elleens’agenouillantpoursereteniràlacoque.Lechocdel’impactsecoualapéniche,bousculantKiraquifaillittomber.Afabasculasurleflanc,

fermantlesyeuxetserrantplusfortsonsacàdos.SammetKiraseséparèrent,chacunprenantdeuxchevauxparlesrênesetlesécartantlesunsdesautres.Lebancdesablelesenvoyatournoyerdanslesensopposé, aprèsquoi la barge se stabilisaun instant.Kira retrouva son équilibre et resserra lesdoigtssurlesrênesdeschevaux.Heroncriadenouveau.–Unpontécroulé!–Quoi?braillaKira.–Cramponnez-vous!Et tout à coup, la pénicheheurta violemment unebarrière de poutrelles d’acier tordues, à peine

visibleàfleurd’eaumaisimmuableetmeurtrièresouslasurface.Leschevauxhurlèrent,etlapénichehurlaaveceux,métalcontremétal.L’embarcations’inclinadangereusementd’uncôté,puisbasculadel’autre,ballottéeautourdesvestigesdupont.Kiraluttait toujourspourgarderlecontrôledeseschevaux.–Ilnousfaudraitungouvernail!clama-t-elle.–C’estvrai,criaSamm,ilfaudrait,maiscen’estpasauprogrammepourl’instant.–Attention,çavarecommencer!annonçaHeron.Kira s’accrocha tandis que la péniche tanguait, roulait et se faisait secouer en tous sens. Ils se

trouvaientmaintenantaucentredufleuve:lecourantyétaitencoreplusrapideetprofond,etKiravitavecdétressequ’ilsemblaitlesemporterdroitverslesautresdébrisdupont.Ilsflottaientcommeunbouchon, précipités d’une roche à l’autre, d’une poutre d’acier à la suivante. Un coupparticulièrementrudeprovoquaungrandfracas,etKiralançadesregardsfrénétiquesautourd’ellepour voir si rien n’avait été brisé.Heron traversa la péniche à quatre pattes et releva la tête aveccolère.–Onprendl’eau.

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–Demieuxenmieux,réponditKira.Faisquelquechose!Heronluilançaunregardmeurtrier,maisdénichauneplancheinutiliséeettentadeboucherletrou.

Par chance, celui-ci se situait au-dessus de la ligne de flottaison, sans quoi ils auraient sans doutesombrépresqueimmédiatement.Laplanchen’étantd’aucuneutilité,Herontâchaplutôtdes’enservircommegouvernail.Lapénichen’entintaucuncompteetcontinuadesuivrelavolontédufleuve.Ilsfurentsecouésparunnouvelimpact,puisparunautre,etKirapoussauncrilorsquelesolsemitàondulersoussespieds.Cen’estpasnormal,ça.–Lesolbouge,dit-elle.Sammtenaitfermementsesdeuxchevaux,quisemblaientpourtantprêtsàl’écarteler.–Ilbougeouilsetord?–Jecroisquec’étaitjuste…Unnouveauchoc:lastructuremétalliquedubateauprotestaengémissant.–Ilsetord,ditHeron,appuyantsaplanchecontrelesolpoursestabiliser.Çavamalfinir.–Malcomment?demandaKira.J’espèreaumoinsqu’onseretrouveraduboncôtédufleuve?–Trèsmal.Onvaperdredumatériel,peut-êtrepresquetout.Unchevalsionn’apasdechance,Afa

sionena.–PasquestiondeperdreAfa,protestaSamm.Jeletireraijusqu’àlarivemoi-mêmes’illefaut.–Illefaudra.Cetasderouilleestentraindesedisloquersousnospieds,etlefleuvefaittoutce

qu’ilpeutpouraccélérerleprocessus.–Essaiedenousrapprocherdelaberge,ditKira.Heronlaregardaavecdegrandsyeuxincrédules.–Etqu’est-cequetucroisquej’essaiedefaire,depuiscinqminutes?–Tunefaisrienencemoment.–J’espèrepourtoiquetusaisnager, luirétorquaHeronavecunregardglacialenbondissantde

nouveau vers le bordage, parce que Samm va être occupé à sauver Afa, et il ne faut pas que tucomptessurmoi.Ellereplongealaplanchedansl’eau,atténuantunpeuleurtournoiementmaiséchouantàguiderle

bateaudansunedirectionparticulière.Ilsfaillirentpercuterunpromontoiresurl’autrerive,maislecourant qui les avait éloignés du côté est travaillait maintenant à les empêcher d’atteindre le côtéouest.Mêmelorsqu’ilseurentenfindépassélechampdedébris,leurembarcationgrinçaittoujours,s’enfonçaitetdemeuraitàlamercidupuissantcourant.L’eauléchaitdéjàlespiedsdeKira.Observantversl’aval,celle-cidécouvritalorsunlargecoudequis’incurvaitversl’est.–Tiensbonlabarre!cria-t-elleàHeron.Onaunechanced’êtrejetéssurlabonnerivegrâceàce

virage,droitdevant.–Cen’estpasunerive,c’estunquaiendur,ajoutaSamm.Çavafairemal.–Occupe-toide…desauverAfa,ditKira,lesyeuxrivéssurlaberge.Le fleuvesedéplaçait avecune lenteurétonnantepourquelquechosedesipuissant, et il sembla

mettreuneéternitéàlesemmenerjusqu’auvirage.Kiracraignaitqu’ilsn’aientpasassezd’élanpourdériverdanstoutesalargeur,maislariveouestserapprochapeuàpeu,leurpénichealourdieparlesvoiesd’eauayantjusteassezd’inertiepourêtreprojetéedanslabonnedirection.Onvaaccoster, sedit-elle.Enpleinmilieudecettepetitebourgade!Elleétaitassezprochepourlavoir,àprésent:desmaisonsetdesquaisdépassantdelabergeenvahieparlavégétation,masquésparlesarbresetpardehautsroseaux.Lavilleparaissaitstratégiquementplacéepourrattrapertoutcequelefleuvecharriait

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dans ce virage, et Kira se demanda si elle n’avait pas été bâtie là précisément dans ce but. Sesréflexionss’accélérèrentàmesurequelabergeserapprochait,etl’espoirdetoucherlarivesemuaencertitudedes’écrasercontrelequaiquigrossissaitdevanteux.Lepetitportétaitinondé,commeceuxde toutes lescitésduborddu fleuve,etKiradevinaque leur trajectoire lesprécipiteraitdroitdansunenchevêtrementdebateaux,detroncsetd’autresdébrismêlésàunfouillisdevieuxmagasinsetbâtiments.–Est-cequ’onpeutencaisserencoreunchoc?demanda-t-elle.–Non,onnepeutpas,ditHeron,quiselevaetjetasongouvernaildefortunedansl’eau.Sauvezce

quevouspouvez!EllearrachaàKiralesrênesdeDug,etparutpréparerlechevalàsauterpar-dessusbord.Samm,

anticipantlechocimminent,lâchalesdeuxbridesqu’iltenaitpourcourirauprèsd’Afa.Leschevauxlibérésreculèrentencaracolantnerveusement,etlesoudainchangementderépartitiondupoidstorditl’embarcation déjà endommagée, faisant tomber Kira et expédiant Zarbi dans l’eau. Kira seraccrochaitauxrênesdeBobopourtâcherdeseremettredeboutlorsquelapénicheentraencollisionavec la masse de débris et fut broyée comme une maquette en fer-blanc. Kira chuta, et le fleuvel’engloutit.

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CHAPITRE29

Lamer clapota contre les flancs du navire lorsque les soldats le repoussèrent du quai.Marcusagrippa le bastingage de ce qui avait été un yacht de luxe, reconverti par la Défense en vaisseaumilitaireetéquipéd’unréservoirremplidel’essencelaplusproprequ’ilsavaientpuseprocurer.Ilsétaientdixàbord,ycomprisMarcusetlesénateurWoolf–quetousleshommesprésentsappelaient«commandantWoolf»:Marcusvoyaitqu’ilétaitbienplusdanssonélémentici,entantquesoldat,quedanssonrôledepoliticien.Ilssortaientencemomentd’unebaieindustriellesituéeàl’extrêmepointesud-ouestdeLongIslandetappeléeGravesendBay,cequiressemblaitàunmauvaisprésage1.Marcustâchad’oubliercegenred’associationsd’idées.Leurplanétaitsimple.QuelquesPartialshostilespouvaientéventuellementêtrepostésàManhattan,

mais toutcequ’avaitditSammsuggéraitqu’ilsne s’étaient jamaisaventurésplus loinvers le sud,étanttropoccupésàsécuriserleursavant-postesdansl’ÉtatdeNewYorketdansleConnecticut,deuxzones situées au nord. L’itinéraire établi par le commandant Woolf passait très au sud, à traversLowerBay,c’est-à-direàdeskilomètresdessentinellesdeManhattan,encontournantlacôtesuddeStatenIslandpourrejoindrel’embouchureducanalArthurKill.Delà,ilsremonteraientcapaunordàtraverslesruinesduNewJersey,horsdevuedetoutobservateurplacéàManhattan,etcelajusqu’aupontdeTappanZee,d’oùilspourraientrejoindreWhitePlainsparlaterre.SilesPartialsdeMorganlesrepéraient,ilsétaientmorts;sil’autrefactiondePartialslesvoyaitaumauvaismomentousousun mauvais éclairage, ou simplement dans un instant d’humeur meurtrière, ils étaient morts. Lessoldats de laDéfense étaient armés jusqu’aux dents,maisMarcus était conscient que cela n’auraitaucuneimportances’ilstombaientsurunpelotondePartialsmallunés.C’étaitprécisémentpourcelaqu’ilsfaisaientunsigranddétour:afin,sipossible,den’enrencontreraucun.Le détroit de Lower Bay était un véritable labyrinthe de mâts, de structures métalliques et

d’antennes radar, qui dépassaient des eaux telle une forêt de ferraille incrustée de berniques. Leurpilote, lemeilleurqu’ilsavaientputrouversur l’île,naviguaitdans lazoneavecuneconcentrationintensequiluiblanchissaitlesjointuresdesdoigts.Leuryachtn’étaitpasleplusmaniabledesnavires,et les commandes étaient grippées. Marcus traversa le pont étroit – un acte plus courageux qu’iln’aimait à l’admettre – pour aller empoigner le bastingage à côté deWoolf, lequel observait lesépavesentrelesquellesilssefaufilaient.– Je vous en supplie, dites-moi que ces débris ne sont pas tout ce qui reste de vos missions

précédentes,soufflaMarcus.–D’unecertainemanière,si,admitWoolf.Maiscesmissionsontéchouéilyadouzeansdecela.

Cequevousvoyez làétait lagrande flotteduNADI,voguantvers lenordpourassailliruneplacefortedePartialsdansl’ÉtatdeNewYork–peut-êtrebiencelleverslaquellenousnousdirigeons,àWhitePlains.LesavionsdesPartialsl’ontenvoyéeparlefondavantmêmequ’elleaitquittéleseauxlibres.– Et elle est restée là, comme ça ? s’enquitMarcus, songeur. Certains de ces navires dépassent

tellementde l’eauque jene saismêmepas sionpeut les compter commecoulés :ondiraitplutôtqu’ilssontéchoués.–Labaie,parici,n’avaitqu’unedouzainedemètresdeprofondeur–etunpeuplusaumilieu,làoù

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on l’a draguée pour dégager une routemaritime – et probablement beaucoupmoins aujourd’hui,parcequ’elles’estenvaséependantdixans.Lesvaisseauxlesplusimportantssetrouventlà-bas,ditWoolfenpointantledoigtverslesud-est.Poséssurunhaut-fond,justeausuddeLongIsland.Tousceuxquiétaienttropgrospourremonterjusqu’ici.–Maisaufait,pourquoiessayaient-ilsderemonterainsi?tentadecomprendreMarcus.Mêmes’ils

nes’étaientpasdirigésversunerivièreétroite,uneflottedecettetaille,c’étaitunpeuécrasant,non?–Écraser,j’imaginequec’étaitexactementcequ’ilsvoulaientfaire,lâchaWoolfenobservantun

autremonstred’acierrouillélelongduquelilspassaientlentement.Jesaisquec’étaitlecaspourmonunité,entoutcas.Lesdébrisévoquaientdestentaculesgéants,vestigesimmobilesd’unkrakenrouillé.Ils quittèrent la zone la plus encombrée en contournant Staten Island par le sud pour passer de

Lower Bay à Raritan Bay.Maismême là, il y avait encore des épaves et des obstacles. Le pilotescrutait la rive, au nord, de son œil entraîné. Il les fit pénétrer dans une petite embouchure quis’étranglarapidementdansunesortedemarécage.–Pourquoiest-cequ’ons’arrête?demandaWoolf.–Onyest,ditlepilote.LecanalArthurKill.–Ça,uncanal?Vousêtessûr?On aurait plutôt dit un parc traversé par une rivière sinueuse, et non l’ample voie maritime

dessinéesurlacarte.–Faites-moiconfiance,réponditlepilote.J’habitaisparici,avant.Là-bas,àl’ouest,c’estlarivière

Raritan…etceciestlecanalArthurKill.Fabriquédemaind’homme.AvantleRavage,ilsdevaientledraguer tous les ans pour qu’il conserve sa profondeur. Maintenant qu’il n’est plus entretenu, jesupposequ’ils’esttoutsimplementremplidevase…–Oui,assezpourquelesroseauxypoussent.Pouvons-nousquandmêmepasser?–Jepeuxtoujoursessayer,réponditlepilote,quibaissalesgazpouravanceràvitesseréduite.Ils remontèrent presque tranquillement dans l’étroit passage, parmi les oiseaux des marais qui

criaient,chantaientetcaquetaientautourd’eux.Marcussesentaitcommeensafaridansunimmensecanyon artificiel : les immeubles qui se dressaient des deux côtés avaient un aspect industrieloppressant. Ce n’étaient pas là les tours autrefois brillantes de Manhattan, mais les raffineries etusinesdelazoneappelée«lacôtedelachimie».Partoutautourd’eux,l’eauétaitcouverted’unfilmirisé, etMarcus sedemandacomment lesoiseauxsurvivaient là-dessus.Unpoissonénormebonditdevanteuxpourattraperquelquechoseprèsdelasurface,etMarcusneputs’empêcherd’imaginerdescrocodilesmutantsgéantstapisdanslesroseaux.Lepilotelesconduisitainsijusqu’àl’embouchuredelarivièreRahwayavantdefaireundétour;la

Rahwayinjectaitassezd’eaudans l’anciencanalpourquecelui-cisoit relativement limpidevers lesud,mais les affluents situésplus loinvers lenordavaient sansdoutedemeilleurs exutoirespourleurseauxquecefosséartificiel,et legouletquilesséparaitencoredelabaiedeNewarksemblaitcomplètementbouchéparlesplantesetlessédiments.Ilsvirèrentdoncversl’ouest,s’engageantdanslaRahway, cernés à présent par de hauts silos de produits chimiques, et serpentèrent ainsi jusqu’àpassersousunesériedepontsénormes:unevoiedechemindeferetuneautoroutetellementlargequ’ilfallaitquatrechausséesparallèlespourluifairefranchirlarivière.– L’autoroute duNew Jersey, annonça le pilote en passant dessous. J’habitais juste à côté de la

sortie17E.Woolfluienjoignitdegagnerlarive.Lessoldatsrassemblèrentleuréquipement,sautèrentdubord

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etcommencèrentàrejoindrelaberge,del’eaujusqu’auxgenoux.Marcussurveillaencoreunefoislesroseauxavecméfiance,s’attendanttoujoursplusoumoinsàvoirsurgirunsaurienféroce,aprèsquoiilleuremboîtalepas.L’autorouteduNewJerseyfilaitdroità traverslavillequisetrouvaitsurlarive,unemétropole

géanteséparéedeManhattanparuneautre.– Soit ils ne surveillent pas si loin vers l’ouest, ditWoolf, soit ils nous verront quoi que nous

fassions.Jeproposedoncqu’onoublieladiscrétionetqu’onavanceleplusvitepossible.

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Note1.«Gravesend»pourraitsetraduirepar«ducôtédestombes».(Notedelatraductrice)

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CHAPITRE30

–Plusquequelquesminutes,ditHaru.Ilsserontaurendez-vous.–EtlesPartialsaveceux,ajoutalesoldatKabza.–Çavaaller.Combiendefoisavons-nousfaitcegenredelivraison,etcombiendefoisavez-vous

ététuépardesPartials?–Cen’estpastoutàfaithonnête,commemanièrededécrireles…–Jevousdisquetoutirabien,lecoupaHaru.Reprenezdesnouvellesdel’arrière.Kabza envoyaunbrefmessage codépar radio à leurgardeposté en arrière, chuchotant dans le

micropuisécoutantattentivementlaréponse.Ilmitfinàl’échangeetseretournaversHaru.–Lavoieesttoujourslibre.Jerépètequ’ondevraitlâchertoutcebazaretfuirleplusvitepossible;

laVoixpourraletrouvertouteseulesansqu’onsoitlàpourleluidonnerenmainpropre.Onn’estpaspayéspourfaireça,àlafin.–Vousavezdit«laVoix»?s’offusquaHaru.–Évidemment!Vouslesappelezcomment,vous?–DelarosahaïssaitlaVoixdupeuple.Ellenereprendraitcetteappellationpourrienaumonde.La radio clignota et Kabza la porta à son oreille. Au bout d’un instant, il souffla un rapide

«Confirmé,terminé»etregardaHaru.–Lasentinellelesarepérés.Ilsdevraientêtreicidansquelquesminutes.–Sont-ilspoursuivispardesPartials?–Iln’apasprécisé,réponditKabzad’untonpincé.Jepensequ’ilnousenauraittouchédeuxmots

s’ilyavait euunproblème,mais jepeux le rappelerpour luidemander s’il aoublié.C’estçaquevousvoulez?–Ducalme,lançaHaru.Toutsepassecommejevousl’aidit.Ons’entireratrèsbien.–Fantastique.Non,vraiment,jesuiscontentquevousfassiezuneconfianceaveugleàcettebonne

femme. (Il se tut, scruta la forêt.) À propos, on peut savoir pourquoi vous êtes si sûr d’elle ? Jecroyaisquevousnepouviezpaslavoirenpeinture.–Delarosaetmoi…avonsnosdifférends,admitHaru.Dans lespremiers tempsdesa fuite,elle

utilisaitdescivilsinnocentscommeappâts–ycomprismoi-même:vouscomprendrezquecelam’aitmisen rage.Mais je suiscomplètementenphaseavecsesprincipes fondamentaux : l’idéequenoscôtesontbesoindeprotection,quelesPartialsdoiventêtredétruits,etquenotreépoquedésespéréeappelledesmesuresdésespérées.Delarosaestprêteàfairelenécessaire,etellesaitquetantqu’ellen’exposerapastropd’humainsàdesrisquessuperflus,elleauramonsoutien.–Précisez-moicequevousentendezpar«superflus».Jeviensdepassertroisjoursenterritoire

hostile,àmetournerlespoucesenespérantquepersonnenedécideraitdemecanarder,toutçapourlivreràDelarosadumatérielquenousaurionssimplementpulaisserendépôt.C’estsuperflu,ça,parexemple?–Elleademandéquelquechosede…d’inhabituel,cettefois,ditHaruenscrutantentrelesarbres.

Çam’intéressedesavoircequ’ellecompteenfaire.Un instantplus tard, la sentinellepostée sur lepérimètre leur fitun signede lamain, etHaruet

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Kabzaregardèrenttroissilhouettesencapuchonnéessortirducouvertdesarbres.Delarosabaissasacapucheets’immobilisapourattendreensilence.Haruselevaetallaàsarencontre.–Vousêtesenretard.Delarosagardaunvisagedemarbre.–Vousêtesbienimpatient.Vousavezmonéquipement?SurunsignedeHaru,Kabzaetunautresoldatapportèrentdeuxlourdescaissespleinesdematériel

de plongée : masques, palmes, combinaisons, et quatre bombonnes d’air comprimé, récemmentremplies.–Lesbouteillessontpresqueà l’étatneuf,précisaHaru.Vousne trouverezpasmeilleurequalité

surtoutLongIsland.Prélevéesàmongrandpérilpersonneldanslesruinesdel’armureriedesForcesdedéfense.Delarosafitsigneàsonescorted’avancer,maisHarus’interposapourleurbarrerlaroute.–Avantquevouslesemportiezoùquecesoit,jeveuxsavoiràquoiellesvontservir.–Àrespirersousl’eau.Harun’eutaucuneréaction,etDelarosainclinalatêtesurlecôté.–C’estbienlapremièrefoisquevousm’interrogezsurmesprojets.–Parcequejusqu’àprésent,toutcequevousm’avezdemandéavaitunemploiévident.Munitions,

explosifs,panneauxsolaires,matérielradio:toutcelaestcomplètementstandardpourunebandedeguérilleros.Maisvousconnaissezmesrègles,etvoussavezàquellesconditionsjevousapportecessurplus.Vousdevezdoncm’assurerqu’aucunciviln’auraàsouffrirdevosactions.–Descivilssouffrentàchaquesecondequenousperdons,encemomentmême,répliquaDelarosa.MaisHarunebaissapaslesyeux.–Àquoidoitservirl’équipementdeplongée?–Àfairedelarécupération,réponditsimplementDelarosa.Endouzeans,nousavonsengrande

partieratissécetteîle,maisilrestebiendeschosesàtrouveraularge.Enmefournissantceci,vouspouvezêtresûrquejen’auraiplusàvousdemandertantdefaveursàl’avenir.–Qu’est-cequipourraitêtreencoreutileaprèsdouzeannéespasséessousl’eau?insistaHaru.Il

mesemblequedumatérieloudel’armementimmergépendantsilongtempsdoitêtreoxydédepuisdeslustres.–Ehbien,nousverrons.Haru la dévisageait fixement, sans bien savoir ce qu’il en pensait. Il finit par se détourner et

s’éloigner.–Nemefaitespasregretterdevousavoiraidée.Ilallarejoindreseshommesetleurindiquaqu’ilétaittempsdepartir.LesoldatKabzaluiemboîta

lepas.–C’estunsoulagement,dit-il.Plus ilschercherontdumatérieleux-mêmes,moinsnousauronsà

nousmettreendangercommeça.–Peut-être,convintHaru,quipensaittoujoursàcequeluiavaitditDelarosaetàlamanièredont

ellel’avaitdit.–Qu’est-cequevousallezfaire,maintenant?Haruplissalefront,formantdéjàunplandanssatête.–Nousallonslessuivre.

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TROISIÈMEPARTIE

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CHAPITRE31

Kiraetsescompagnonsavaientperdul’essentieldeleuréquipementdanslenaufrage:lefusildeSamm,laradiod’Afa,etpresquetousleursvivres.Afademeurafermementaccrochéàsonsacàdos,maislesdocumentsqu’ilcontenaitfurentrendusillisiblesparl’eauquilesimprégnait:lepapiersedésintégraitetl’encredétrempéedégoulinait.Sonordinateur,parchance,survécutauvoyage,maislabatterieTokaminquil’alimentaitfutemportéeparlesflots.Kirasavaitquec’étaitpeut-êtrelapertelaplusgrave,maiscenefutpascellequi l’attrista leplus.Car lechevaldeHeron,Dug,eut lesdeuxmembres antérieurs brisés par le choc. Il survécut, mais ne pouvait que hennir de douleur et defrayeur, le souffle frénétique et la bouche pleine d’écume. Samm dutmettre fin à ses souffrancesd’uneballedanslatête.Ilsreprirentleurrouteaussitôtqu’ilsfurentsuffisammentremisdeleursémotions.Samm,Heron

etKiraserelayaientpourmonterBuddyetBobotandisqu’Afa, toujoursblesséetpresquedélirant,dutêtreattachésurlaselledeZarbipournepastomber.Kiraétantconvaincuequesajambes’étaitinfectée,ilspillèrenttouteslespharmaciesqu’ilstrouvèrentsurleurroutepourtenterderemplacerlesmédicaments perdus. En chemin,Kira fut étonnée par sa propre capacité à tenir le rythme desautres:nonseulementleurvélocité,puisqu’ilfallaitmarcheraussivitequeleschevaux,maisaussileur endurance.Elle avait toujours suqu’elle était forte, et elle avaitmis cela sur le compted’uneexistenceentièrepasséedansdesconditionsdesurvie–elleavaitdû travaillerpourobtenir toutcequ’elleavait–,maisellecomprenaitàprésentqu’ilyavaitautrechose.Elleégalait lesPartialspasaprèspas,kilomètreaprèskilomètre.C’étaitunesurprisedivine,maisperturbanteaussi.Encoreunepreuvedesanatureprofondémentinhumaine.Leur itinéraire les emmena vers le nord sur plusieurs kilomètres, jusqu’à l’autoroute 34, sur

laquelle ils s’engagèrent pour filer droit vers l’ouest. Le paysage, ici, ressemblait davantage à cequ’ilsavaienttraverséàl’estduMississippi:uneplaineàpertedevue,seméedebouquetsd’arbresoudetaillisquidessinaientdeslignessombresmarquantunravin,unfossé,unevieilleferme.Kiratrouvacelajoli,surtoutlorsquelesoleilcommençaàsecoucheretquelascèneentière,terreetciel,s’embrasadetonsrouges,jaunesetorangeflamboyants.EllesetournaversSamm,tropéblouieparcettebeautépournepaspartagersonémotion,mais ilavait le regardsombreet levisagemorose.Elleamenasonchevalversluietattirasonattention.–Qu’est-cequetuas?luidemanda-t-elle.–Quoi?Rien.–Samm.Ildirigeasesyeuxverselle,puisverslemagnifiquecoucherdesoleil.–Rien,juste…toutça.Kirasuivitsonregard.–C’estsublime.–Oui,maisaussi…J’aiétéenposteici,oupeut-êtrequej’ai justetraversélarégion,pendantla

révolution.C’était…(Ilsetutdenouveau,apparemmentbouleverséparunsouvenirdouloureux.)Tusais,cheznous,dansl’est,toutestcassé,effondré,lesbâtimentssontenruine,couvertsdekudzuetd’herbesfolles,ettoutal’air…vieux,tuvois?Noussommesentourés,àchaqueminutedenotrevie,

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par lespreuvesdecequenousavons fait,decequenousavonsdétruit.Alorsqu’ici…(Ilmarquaencoreunsilence.)…Regardeça.Pasunehabitationsurdeskilomètres,rienqu’unerouteplatequiestencoreenassezbonétat.C’estcommesilaguerren’étaitjamaispasséeparlà.–Etçatemanque,lesrappelsdeladestruction?–Non,cen’estpasça,mais…Avant,jepensaisquelemondeavaitsouffertdecequenousavions

fait,nosdeuxespèces.Maisici,j’ail’impressionqu’iln’enarienàfaire,decequenoussommes.Oudecequenousétions.Noussommesvenuset repartis, lavie suit soncours, et la terrequiexistaitavant nous sera encore là bien longtemps après notremort.Les oiseaux continueront de voler.Lapluiecontinueradetomber.Lemonden’apasprisfin,enfait.Ils’estjuste…réinitialisé.Kiragardalesilence,pensive.Cesparolesétaientsipures,d’unecertainemanière,siinattendues

venantduSammqu’ellecroyaitconnaître…Ilétaitsoldat,c’étaitunguerrier,unmurdestoïcisme,etpourtantilmontraitlàunaspectplussensible,unefacettepresquepoétique,dontellen’avaitjamaissoupçonnél’existence.Ellel’observalonguementenchevauchantàcôtédelui : ilavait lephysiqued’ungarçondedix-huitans,commetouslesfantassins,maiscelafaisaitdix-neufansqu’ilavaitdix-huitans.Celavoulait-ildirequ’ilavaitenfait…trente-septans?Cescalculsluifaisaientdesnœudsdanslatête:ellen’arrivaitpasàsefigurerquelâgeilavaitintérieurement,commentilsevoyaitlui-même,etcommentillavoyait,elle.Sespenséesindésirablesétaientderetour,etKiras’ébrouaengrognantpourleschasser.Qu’est-ce

queSammpensedemoi?Qu’est-cequejepensedeSamm?Elleserépétaquec’étaitsansimportance,qu’ilsavaientdesproblèmesbienpluspressants,maissoncœurnesemblaitpass’ensoucier.Elleseditencorequ’ilétait inutilede tenterdedéchiffrer leurs relationspuisque,nesachantmêmepascequ’elle en attendait, elle n’avait aucun cadre de référence. Son cœur, cependant, ignorait tous sesraisonnements.Satêtetravaillaitfurieusementdesoncôté,réfléchissantàlapersonnalitédeSamm,àcequ’ilétait,d’oùilvenait,cequ’ilvoulaitetquelrôleelle,Kira,lafillequil’obligeaitsanscesseàrisquersavie,jouaitdanstoutcela.Ilparlaitdumondequiserégénérait,ettoutcequ’ellesouhaitait,c’étaitexisterdanscemondeaveclui.ElleavaiteucentfoiscettediscussionavecMarcus,etchaquefoiselleavaitaspiréàautrechose.MaisavecSamm…Non.Jenesuispaslàpourça.Cen’estpascequejesuisentraindefaire.Penseràunaveniravec

Samm,alorsqu’ilseratuéd’iciunanparladated’expiration,estunexercicedénuédesens.Trouveles réponses.Résous les problèmes. Tu n’auras pas de vie tant que tu n’en auras pas créé une quivaillelapeined’êtrevécue.Chevauchanttoujours,elleregardalesoleildisparaître,lecielécarlatevireraurosetendre,puisau

bleu, et enfin au violet sombre le plus somptueux qu’elle avait jamais connu. Elle vit les étoiless’allumeretscintiller jusqu’àilluminerlaprairieentière.Ilscampèrentenpleinchamp,firentrôtirdeslapinsqueHeronavaitprisaucollet,etKirafermalesyeuxpourimaginerquelafindumonden’avait jamaiseu lieu,quecen’étaitqueledébut,que lorsqu’elleseréveilleraitaumatin lemondeentierseraitcommecelieu:sainetcomplet,viergedetouteinterférencehumaine,detouterébelliondePartialsetdetoutsignedecivilisation.Elles’endormitetrêvadesténèbres.Lelendemain,ilsvirentlepremierarbreempoisonné.Letempschangeait, lalonguebrised’estsouffléeparlesGrandsLacsétantpeuàpeuremplacée

pardesventsdesudquiremontaientdugolfeduMexique.Lasituationn’étaitpasencoredramatique,maiscetarbretordu,rabougri,d’unblancimmaculé,étaitlapremièreindicationquelesbeauxjours

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étaientderrièreeux.Ilspénétraientdansledéserttoxique.Ledeuxièmejour,ilsleflairèrentdansl’air–rienqu’unebouffée,unpetitcoupdeventapportant

un relent jusqu’à leurs narines : la puanteur aigre, presque métallique, de l’air empoisonné. Unmélangedesoufre,defuméeetd’ozone.Rienqu’unsoupçon,etpuisplusrien.Lelendemain,Kirafuttiréedesonsommeilparcetteodeur,quiperdurapresquetoutelajournée,eticietlàilyeutd’autresarbresdécolorés,dresséstelsdessquelettesdanslesbosquetsquilongeaientparfoislaroute.L’herbequis’accrochaitauxdébrisdespiquetsdeclôtureétaitpluspâle,plusclairseméeettriste,etcelanefitqu’empirerdejourenjour.L’agglomérationsuivantequ’ilsatteignirents’appelaitOttumwa,unlieudésolé où ils trouvèrent les rues, les murs, les toits striés de résidus chimiques, comme si leruissellement de la pluie elle-même était acide etmortel.Un cours d’eau traversait le centre, bienmoinsimmensequeleMississippimais,parconséquent,dotédepontsbienmoinsimposants.Touss’étaienteffondrés,sansqueKirapuissedevinersic’étaitàcausedesabotagesanciensoudelanaturesanspitié.L’eau,aumoins,semblaitfraîche,coulantdunordoùlanatureétaitpluspropre.Ilsfirentune halte de quelques heures, fouillant les magasins et restaurants délabrés à la recherche demédicamentsetdelamoindreboîtedeconservequiparaisseencorevalable.Heronétaitassezbonnechasseuse, mais maintenant qu’ils voyageaient dans la zone toxique, il aurait été dangereuxd’absorberdugibier.Kiraexaminaunefoisdepluslaplaied’Afa,laquellen’allaitnimieuxniplusmalquedepuislenaufrage,etluimurmuradesparolesrassurantesàl’oreille.–On va traverser,maintenant, dit-elle doucement en laissant couler le peu d’eau fraîche qui lui

restaitdanslablessure.Ilvafalloiryalleràlanage,maisçan’arienàvoiravecladernièrefois.Ceserafacile.– On va bousiller la radio, objecta Afa, le regard brouillé par le mélange de douleur et

d’analgésiques.Ilnefautpaslamouiller,sinonelleserafichue.–Nousavonsdéjàperdularadio.Net’enfaispaspourça.–Onentrouverauneautre.–Maisoui,dit-ellecalmementenenduisantlaplaiedeNéosporine.Unefoislarivièretraversée.–Jeneveuxpastraverserlarivière,onvaencorefairenaufrage.Etleurdialoguesepoursuivitainsi,tournantenrondpendantqueKiraserraitunbandageautourde

sa jambe, puis la couvrait de sacs en plastique et de bande adhésive, faisant de sonmieux pour larendreétanche.Unefoisqu’elleeutterminé,elleallarejoindreSamm.– Il ne saitmêmepasoùnous sommes, dit-elle. Il ne faut pas l’emmenerplus loin…nousn’en

avonspasledroit.–Maisonnepeutpaslelaissercommeça…–Jelesaisbien,qu’onnepeutpaslelaisser,s’énerva-t-elleavantdebaisserànouveaulavoix.Je

saisqu’onfaittoutcequ’onpeutpourlui,maisçanemeplaîtpas,c’esttout.Quand«toutcequ’onpeutfairepourlui»consisteàletraînerdeforcedansundésertempoisonné,c’estqu’ilyaquelquechosedesévèrementtordudansladécisionquinousaamenésici.–Sic’étaitàrefaire,quevoudrais-tuchanger?Kiraluienvoyaunbrefregardnoir,contrariéeparsoninfatigablesenspratique,maisconcédasa

défaite.–Rien,jesuppose,àpartpeut-êtrenepasmefaireattaqueraucentrededonnées.Etnousn’avions

aucuncontrôlelà-dessus.Çamedéplaîtdedevoirluifairesubirtoutça,etd’ailleursçanemeplaisaitpasdedevoirl’emmener,dèsledépart,maisnousnepouvonspasréussirsanslui,etilnepeutpassurvivresansnous.Simplement…jemesensmalpourlui.Pastoi?

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ElledévisageaitSamm,cherchantsursestraitsunetracedecompassion.–Si,répondit-il.C’estplusfortquemoi.Kiraregardalarivièreavecunpetitsourirenarquois.–Onpourraitpourtantcroirequ’ilsauraientconçucessuper-soldatssansaucunsentiment,pouren

fairedemeilleurs…tueurs,jesuppose.Demeilleursguerriers.– À vrai dire, ils ont fait exactement le contraire. Tu ne savais pas ? dit-il en voyant son air

perplexe.C’estundespremiersprincipesquiontguidéParaGendanslaconceptiondesBioSynthsdetypemilitaire.AfatrimballeunecopiedelarésolutiondesNationsuniesdanssonsacàdos–sansdoute illisible, à l’heurequ’il est. Ils avaient eudesproblèmes avecdesdrones et autresvéhiculesmilitaires entièrement automatisés qui avaient pris sur le terrain des décisions… moralementdiscutables, disons. À partir de là, les seules entreprises autorisées à passer des contrats pourfabriquerdumatérielmilitaireautonomeontétélesfirmesdebiotechnologiecapablesdecréerdesarmesdotéesderéactionsémotionnelleshumaines.Kirahochalatête.–Jesupposequec’estlogique.Jeveuxdire,jemesenstoujourscomplètementhumaine,dupoint

devuedesémotions,alors…Ellehaussa les épaules, ne sachantplus tropoù ellevoulait envenir.Elle se tut, puis fronça les

sourcilsetleregardadenouveau.–Situ…sinousavonsétéconçuspourdifférencierlebiendumalettoutça,celadoitnousrendre

moinssusceptiblesdefranchirlalignerouge,aucombat.–Ilsnousontenseignélebienet lemal,puisilsnousontmisdansdessituationsoùlemalétait

terriblementprésent.Larébellionaétélaplushumainedetoutesnosactions,jepense.Ilfautquetucomprennes…Penseàtavie,c’estlemeilleurexemple.Tutesenspoussée,àchaqueinstant,àfairelebien:tuvoisdesgensendifficulté,ilfautquetulesaides.Tut’essentieobligéedem’aider,mêmequand tout lemonde, y compris toi-même,me prenait pour un ennemi juré, impardonnable.Nousn’avons pas seulement été créés avec une conscience, Kira, nous avons reçu une consciencehyperactive, un sens de l’empathie augmenté qui se déclenche automatiquement pour nous fairesauver des vies, réparer les torts, aider les opprimés.Alors, le jour où nous sommes devenus lesopprimés,commentvoulaient-ilsqu’onréagisse?Kira opina de nouveau, mais, comprenant peu à peu les implications de ce qu’il disait, elle le

regardabouchebée,stupéfaite.–Ilsvousontdonnéuneempathieamplifiée,etensuiteilsvousontenvoyésàlaguerre?CefutautourdeSammdedétournerlesyeuxverslarivière.–Cen’estpastrèsdifférentd’envoyerdeshumainsaucombat,enréalité.Jesupposequec’étaittout

l’intérêt.Herons’approchaàcemoment-làetlaissatomberunpaquetdematérielausolentreeuxdeux.– C’est tout ce qui nous reste : poulet et thon en boîte, légumes déshydratés, et un nouveau

purificateurd’eau.Ilétaitencoresousemballage,lefiltrem’al’aircommeneuf.–Parfait,ditSamm.Ilesttempsderepartir.Ils fourrèrent leurs paquetages dans des sacs-poubelle trouvés à l’épicerie, en double et triple

épaisseurpourobteniruneprotectionmaximale,etlesscellèrentdeleurmieuxàl’aided’unrouleaud’adhésif.IlshissèrentensuiteAfasurlaselledeZarbi,l’attachèrent,etchargèrentleursaffairessurledosdeBuddyetdeBobo.L’eauétaitfroide,maislecourantrelativementfaible,etlatraverséene

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leur réserva aucunemauvaise surprise. De l’autre côté, l’herbe était verte et saine, nourrie par lecours d’eau propre, mais à six ou sept mètres de la rive la végétation redevenait déjà jaune etmaladive.Les bâtiments étaient tout aussi rongés par les produits chimiques que sur l’autre berge.Kira vérifia la jambe d’Afa, constata que son pansement était resté étanche, et décida de laisser leplastiqueenplacepourl’instant.Les nuages s’amoncelaient, etKira craignait qu’il ne pleuve. Ils étaient sortis de la ville depuis

peut-êtredeuxheures,toujourssurl’autoroute34,lorsquetombalapremièregoutte.Ellesifflaens’écrasantsurlachaussée.Les troisPartialsallaientàpied, laissant leschevauxporter lessacs.Kirasebaissapour tâter la

température de l’asphalte : la route était à peine tiède. Le soir approchait, et le ciel couvert avaitpermisausoldeconserverunerelativefraîcheur.–Lesoln’estpasbrûlant.Jenecomprendspascesifflementdevapeur,dit-elleenserelevant.Unenouvellegouttedescenditduciel,suivied’uneautre.–Cen’étaitpasdelavapeur,répliquaHeron.C’estdel’acide.UnegouttetombasurZarbi,quipoussaunhennissementdedouleur.Aussitôtaprès,Kirasentitune

vivebrûluresursonbras:elleytrouvaunepetitemarquerouge,deplusenpluscuisante.Ellerelevalatêteversleciel.–Cesnuagesviennentdusud,c’estbiença?–Fuyons!criaSammensaisissantlabridedeZarbi.Afahurladesouffranceetdeterreur,lesbrasserréssursonsacàdosdétrempé.Kiracherchasa

vestedesyeux,maisellel’avaitenlevéepourtraverserlarivière:levêtementétaitenfermé,avectoutlereste,danslessacsplastiquequeportaientleschevaux.ElleattrapaBoboetpartitencourantàlasuite deSamm, tirant le cheval derrière elle et tâchant de lemaîtriser tandis que la pluie acide luibrûlaitlatêteetlesflancs.HeronlesdépassaentraînantBuddy,etKiras’efforçadegarderlerythme.Lapluiedevenaitplusdense,etlajeunefilleeutbientôtlesbrasetlevisagecinglésparl’acide.Lesdémangeaisons et les brûlures apparurent en quelques secondes. De samain libre, elle détacha saqueue-de-chevaletsecouaseslongscheveuxafinqu’ilsformentuneprotectionsursesoreillesetsesépaules.Elleentiraaussidevantsafigure,terrifiéeàl’idéederecevoirdesgouttesdanslesyeux,etavançaainsipresqueàl’aveuglette.Sammavaitrepéréunbâtimentdefermeàquelquedistancedelaroute.Iltentadeforcerlaclôture

debarbelésqui longeait lechamptandisqueZarbi tiraillaitfollementsesrênes,hennissantàpleinspoumons,presséd’échapperàcetatrocedéluge.HeronlesrejoignitetbousculaSammenluitendantla bride de son propre cheval ; elle avait fait commeKira avec ses cheveux,mais Samm, qui nejouissait pasdece luxe, avait levisage striéde longues traînées rouges, lesyeux injectésde sang.Heronprit un couteaudans chacunede sesmains et trancha lesbarbelésd’ungrandgeste furieux,coupantlesquatrefilsd’uncouppourouvrirunpassagedanslaclôture.Kirafonçadansl’ouvertureavec Bobo, empoignant les rênes de Buddy au passage. Heron suivit avec Zarbi et Afa, et SammrattrapaKirapourluireprendrelesrênesdeBuddy.–Laisse-moit’aider!luicria-t-il.Tunepeuxpascontrôlerlesdeuxàlafois.Leschevauxruaientavecfureur,maisKiranelâchapasetrepoussalegarçonavecsonpied.–Vat’abriter!Tuvasfiniraveugle!–Jenetelaisseraipasici!

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–Ouvrecettebaraque,qu’onentre!Ellelepoussaunenouvellefois,et,aprèsunedernièrehésitation,ilpivotaetfilaverslebâtiment,

trébuchantdanslechampenjachère.Kiraserralesdentsensedemandantcommentilpouvaityvoirettiraleschevauxdetoutessesforces,prenantappuisurl’unpourgarderl’autreenligne,etespérantque ses épaules survivraient à cette épreuve. Au bout d’une courte lutte, ils parurent comprendrequ’ellelesexhortaitàavancer,etaussitôtentrésdanslechamp,ilsprirentlelarge,rentrantlatêteetgalopantàfonddetrainvers laferme.Kirafutentraînéedansleursillage; la tractiondesrêneslapoussaverslessabotstambourinantsdeBuddy,sibienqu’ellelâcha,partitenroulé-bouléetfinitpars’arrêter dans la boue toxique. Les chevaux faisaient la course pour atteindre le bâtiment, chacunluttantpourgagneruneencolured’avance,etKirabonditsursespiedspourlessuivre,comprenantpendantsacoursequ’ellehurlait–moitiécridedouleur,moitiécrideguerre.KiraatteignitlafermejusteaumomentoùSammetHeronattrapaientleschevaux,etellefranchit

laporteenproieàunedouleuratroce.Lapiècedudevantcontenaituncanapéetun fauteuil relax,chacungarnid’unsquelettequicontemplaitunvieuxtéléviseurfixéaumur.Kirasesentaitbrûléeparl’acidesurchaquecentimètredesapeau.Baissantlesyeux,elleconstataquelapluieavaitpercéuntroudanssonchemisier.Elleleretiravivementet,trouvantencoreunedemi-douzainedetrousdansle dos, jeta le vêtement à travers la pièce. Samm et Heron étaient entrés aussi, claquant la portederrièreeuxpourempêcherleschevauxdefuirsouslapluie.Lesbêtes,encoreterrifiées,lançaientdesruadesetsaccageaienttoutdanslapièce:latélé,lesmeubles,mêmelessquelettesfurentpiétinéssans relâche. Kira voulut aider Afa, toujours attaché sur la selle de Zarbi, mais ne parvint pas às’approcher.HeronfitletourdelapièceenguidantSamm,quiavaitlevisagecramoisietlesyeuxhermétiquement fermés, plongeant en avant quand les chevaux laissaient une ouverture et reculantlorsqu’ilsrevenaients’ébrouerdevantelle.QuandelleeutrejointKira,celle-cipritégalementSammpar le bras et l’entraînapar la porte du fond, dans la cuisine, à l’écart des sabotsmeurtriers.Kiraentendait encore l’acide grésiller sur leurs vêtements. Elle arracha la chemise de Samm, qui sedéchiracommedupapiermouillé,déjààdemiconsuméeparlapluie,etfutjetéedecôté.Heronaussisedéshabillait, et leurshardes formèrentbientôtun tas fumantdansuncoinde lapièce.Leurpeauétaitmouchetéedetachesécarlates.Samm,quiserraittoujourslespaupières,trituraitsaceinturesansarriveràrien.Kiral’aidaàretirersonpantalonavantd’enleverlesienpropre.Ilsseretrouvèrenttoustroisensous-vêtements,lesoufflecourt, tâchantderéfléchiràcequ’ilsallaientfairetandisqueleschevauxsedéchaînaienttoujoursdanslasalledeséjour.Afahurlaitsansinterruption,secouédesanglotshystériques,maisaumoins,ilétaittoujoursenvie.

Kira fouilladu regard lacuisine,à la recherchede toutcequ’ellepourraitutiliser–des serviettespouressuyerleschevauxoudelanourriturepourlesapaiser–,etvitquel’évieravaitdeuxrobinets,l’un normal et l’autre étrange : on aurait dit une pompe àmain de type industriel. Elle l’observa,intriguée,puiscomprit.–Onestdansuneferme!cria-t-elleenfilantverslesplacards.Ilyaunpuits!–Quoi?fitHeron.–C’est trop loinde lavillepourêtre reliéau réseaud’eau,donc ilyaunpuits. Ilsavaient leur

proprenappephréatique,etleurproprepompepouryaccéder.Faisantclaquerlesportesdesplacards,elleensortitleplusgrandseauqu’elleputtrouveretserua

surl’évier.–J’enaidéjàvudeuxoutroisdansdesfermes,cheznous:cesontlesseulsendroitsdel’îleoùily

aitl’eaucourante.Cespompessontcomplètementisolées:celle-cidevraitencorefonctionner.

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La jeune fille s’activa sur la poignée, mais sans résultat : elle était grippée. Ouvrant leréfrigérateur,Kiraensortitunbocaldecornichonsrances,etversalejusodorantsurlapompe.Ellelamanœuvradenouveau,dehautenbas,debasenhaut.Heronvint l’aider,etsoudain, l’eau jaillitdans le seau. Kira le remplit tandis que Heron en prenait un autre, et lorsqu’il fut plein elles lesoulevèrentensemblepourjeterl’eausurleschevaux,rinçantunepartiedel’acide.Ellesrépétèrentl’opérationetdéversèrentungrandnombredeseauxsurlesanimaux,jusqu’aumomentoùKirafutsûreque lepuitsallait se tarir.Petit àpetit, leschevauxsecalmèrent,débarrassésde l’acide,et lesdeuxfillescoururentlibérerAfapourletraîner,encoresanglotant,jusqu’àlacuisine.Sesvêtementsétaient presque entièrement rongés et son dos n’était qu’une masse de cratères, de brûlures et decloques.Heronpompaencoreunseaud’eau,etKiraretournaauprèsdesbêtespourlesdébarrasserdessellesetdessacs,etsurtoutrécupérerlatrousseàpharmacie.Afa,lavoixtropbriséepourcrierencore, ne faisait plus que se balancer d’avant en arrière sur le sol. Samm, pour sa part, semblaitinconscient,ouplongédansuneméditationvisantàcontrôlerladouleur,etKirasedemandajusqu’àquelpointsesyeuxétaientbrûlés.Elles’arrêta,épuisée,etregardaHeron.Celle-ciluirenditsonregard,toutaussiexténuée,etsecoualatête.–Tupensestoujoursavoirprislabonnedécision,Kira?Non,songea-t-elle,maiselleseforçaàrépondrelecontraire.–Oui.–Espérons.Onn’aencoreparcouruqu’unetrentainedekilomètresdanscetterégionempoisonnée.

Plusqueseptcents,etonestarrivés.

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CHAPITRE32

Marcusetlessoldatsvoyageaienttoujoursverslenord,traversantlesruinesdeJerseyCityetdeHobokenainsiquelavastemétropolequis’étendaitàl’ouestdel’Hudson.Désireuxderesteràbonnedistance des éventuels avant-postes de Partials présents à Manhattan ou dans le Bronx, ilss’obligeaient à faire un grand détour avant de retraverser l’Hudson dans l’autre sens.Au nord deManhattan, le fleuve s’élargissait demanière significative, aupoint de ressembler davantage àunebaiequ’àuncoursd’eau,et lepontqu’ils finirentparatteindre le traversaitpresqueàsonpoint lepluslarge.Unelongueflècheblanchesuspendueàl’horizontaleau-dessusdeseaux:c’estàcelaqueressemblait le pont deTappanZee.Marcus n’en avait jamais vu d’aussi rutilant ; il devina que saconstructionavaitprécédédepeu leRavage. Il était longdeplusieurskilomètres, et sa traverséeàpiedprendraitsûrementpresqueunejournée.Qu’ilaittenuétaitensoistupéfiant;qu’ilaittoujoursun aspect neuf après toutes ces années était un témoignage de la splendeur de l’ancienmonde. Legarçonsedemandasilesgénérationsfutures,àsupposerqu’ellesexistentunjour,considéreraientcetexploitarchitecturalaveclamêmedéférenceetlamêmeadmirationquelespyramidesd’ÉgypteoulaGrandeMuraille de Chine. Une chaussée dans le ciel. Ils trouveront sûrement quelque explicationreligieuse absurde, se dit-il,du genre : ces hommes ont bâti une route pourmonter au paradis, etchaquepilereprésenteunaspectdeleurscroyances,etlalongueurdupontmultipliéeparsahauteurindiquel’équinoxedeprintemps.Lepontétaitcouvertdevoitures,dontbeaucoupétaientcouchéessurle flanc ou inextricablement entremêlées, si bien qu’ils durent avancer avec lenteur dans ce chaos,s’arrêter,repartir,escaladerlesreliquesdemétalbrûlant,complètementcuitesparlesoleil.Lavillesituéeaubouts’appelaitTarrytown,et,alorsqu’ilsdescendaientdupontverssesrues,une

voixpuissantes’élevadesruines.–Halte-là!Lessoldatslevèrentleursfusils,maislecommandantWoolfleurfitsignedelesrabaisser.–Nousvenonsenpaix!annonça-t-ilenréponse.Noussommesvenuspourvousparler!–Vousêtesdeshumains,constatalavoix.Woolfconfirmadelatête,empoignasonfusilparlecanonetlebranditenl’air,montrantleplus

clairementpossiblequ’ilnetouchaitpasàladétente.–Nous ne portons des armes que pour nous défendre, ajouta-t-il.Nous ne souhaitons pas nous

battre.Nousvoulonsparleràvotrecommandement.Il y eut un long silence, et lorsque la voix inconnue résonna de nouveau, Marcus la jugea…

hésitante.–Dites-moicequevousvoulez.–UnPartial,unefemmenomméeMorgan,aattaquénotrecolonieetprisnotrepeupleenotage.Or,

noussavonsqu’elleestvotreennemieautantquelanôtre.Nousavonsunvieuxdictonhumainquidit:« Les ennemis de mes ennemis sont mes amis. » Nous espérions que cela nous rendrait assezsympathiquesàvosyeuxpourquevousconsentiezànousécouteruneminute.Ilyeutencoreunlongsilence,aprèsquoilavoixrépondit.–Déposezvosarmesetéloignez-vous-en.–Faitescequ’ildit,ordonnaWoolfensebaissantpourposersonfusilausol.

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Marcus s’exécuta et tous les autres autour de lui suivirent son exemple, certains avec plus deréticencequed’autres. Ilsétaientdix,plusWoolfetMarcus,mais les troisPartialsqui sortirent deleurcachettepourveniràleurrencontresurlepontsemblaientpersuadésdepouvoiraffronterdouzehumainssansproblème.Etd’ailleurs,Marcusn’endoutaitpas.Lepremierétaitunjeunehommedel’âgedeSamm–maisMarcusserappelaquec’étaitnormal:lesfantassinsPartialsétaienttousfigésdéfinitivementà l’âgededix-huitans.Jesupposequ’onrencontrera lesgénérauxune foisarrivésàWhitePlains.–Jem’appelleVinci,annonçalePartial.Àsavoix,Marcusreconnutceluiquilesavaithélésquelquesminutesauparavant.–Noussouhaitonsnégocieruntraité,ditWoolf.Uneallianceentrevotrepeupleetlenôtre.SiVinciétaitsurpris,iln’enmontrarien–maisMarcusavaittoujourstrouvélesPartialsdifficiles

àcerner.L’hommejetauncoupd’œilàleurtroupe,puisrevintàWoolf.–Jecrainsquenousnepuissionsrienfairepourvous.Marcusensursautad’étonnement.–Comment?C’esttout?fitWoolf.Vousnousentendez,maisvousnevoulezmêmepasréfléchirà

nospropositions?–Jenesuispaslàpourréfléchir.Jesuissentinelle,pasgénéralnidiplomate.–Alorsprésentez-moiauxgénérauxetauxdiplomates.Amenez-nousjusqu’àquelqu’unquivoudra

biennousécouter.–Jecrainsdenepaspouvoirfairecelanonplus.– Est-ce parce que vous ne devez laisser personne pénétrer sur votre territoire ? Dans ce cas,

envoyezunmessager–nouscamperonsici,mêmesurlepontsivouspréférez–,maisinformezunresponsabledenotreprésenceetdenotreproposition.Jevousenprie,faitesaumoinscela.Vinci réfléchit, sans laisser paraître s’il songeait à accepter ou s’il cherchait juste une autre

manièrededirenon.–Jesuisnavré,trancha-t-ilenfin,c’estsimplementtropdangereuxencemoment.Laguerrecontre

lesforcesdeMorganest…estentraindenouséchapper.–Noussommesprêtsàprendrelerisque,insistaMarcus.–Pasnous.–Maispourquoirefusez-vousdenousécouter?s’emportaWoolfens’avançant.Aussitôt,lesPartialslevèrentleurscanons.Woolfbouillaitderage.Marcusvitqu’ilétaitprêtàengagerlecombat,enespérantqu’illuireste

assezd’hommesensuitepourchercherquelqu’undepluscoopératif.Le jeunehommesecreusa lacervellepourtrouvercommentdésamorcerlacrise;ilpensaàSamm,àsamanièredeparler,àcequifonctionnaitounonaveclui.LePartialétaitunindécrottablepragmatique,etd’uneloyautésansfailleenversseschefs,mêmequandiln’étaitpasd’accordaveceux.Marcusrepensaàtoutcela,puisbonditdevantWoolfjusteaumomentoùlevieilofficiersemblaitsurlepointdepasseràl’action.–Uninstant!ditlejeunehommed’unevoixinquièteens’attendantpresqueàrecevoiruncoupde

poing en pleine figure – ou venu de derrière. Je m’appelleMarcus Valencio. Je suis un peu leurconsultantenrelationsaveclesPartials.(Celas’adressaitautantàWoolfqu’auxautres:ilespéraitquel’étonnementlesralentirait,etqu’ilauraitainsiunechancedeparler.)Sivousmepermettezdeposerune question politiquement sensible : que voulez-vous dire, au juste, quand vous prétendez ne paspouvoirnousaider?

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–Qu’ilneveutpasnousaider,grondaWoolf.Vincineréponditpas,maisfinitparacquiescerd’unhochementdetête.–Moi,voyez-vous,jenepensepasquecesoitréellementleproblème.Vinci, qui le regardait déjà avant, se concentra cette fois sur lui avec une précision de laser :

différenced’intensitéquinepouvaitéchapperàMarcus.Ileutunsourirenerveuxenserépétantqueceregardféroceétaitunbonsigne:ilyavaitbienunsecretlà-dessous,etVinciétaittroployalpourl’admettre.–Vous êtes en train demourir, reprit-il. Pas vous personnellement, dumoins pas encore,mais

votrepeuple.Vosdirigeants.TouslesPartialsontuneduréedevielimitéeàvingtans,etvousn’ensaviez rien jusqu’à la première vague de décès. À ce jour, vous avez perdu une deuxième, unetroisième,peut-êtremêmeunequatrièmegénération,etsijedevinecorrectement,celainclutpresquetousvosgénéraux.Touslesresponsables.Vincineconfirmapas,maisneniapasnonplus.Marcusobservaattentivementsestraits,guettantle

moindrechangementd’émotion,maisleursvisagesétaienttellementinexpressifsqu’ilnedevinapascequepensaitcelui-ci.Ilpoursuivit.–Cequevousêtesentraindenousdire,c’estquenousnepouvonspasnégocieruneallianceparce

qu’ilnerestepersonnechezvousquiaitautoritépourlefaire.La troupe ne disaitmot.Marcus continua de scruter le visage deVinci, sans oser jeter un coup

d’œilderrière luipourconnaître laréactiondeWoolf.Levieilhommepoussaunsoupiretparlaàmi-voix.–BonDieu,mongars,sic’estçavotreproblème,laissez-nousvousaider…–Nousn’avonspasbesoindevotreaide.–Vousêtesunenationsanstête,unenationdejeuneshommes…– … de jeunes hommes qui vous ont vaincus, s’échauffa Vinci, et qui n’hésiteront pas à

recommencersivousleurdonnezdesraisonsdelefaire.–Loindenouscetteidée,intervintMarcusens’avançantentreeux.Ilétaitsursesgardes,anticipantuneattaquequipouvaitvenird’uncôtécommedel’autre,maisil

tintbon,lestraitscrispés,enespérantqu’ilssemaîtriseraient.–Vinci,moncommandanticiprésentn’ajamaisvoulusous-entendrequevousétiezincapablesde

décider par vous-mêmes et que vous aviez besoin d’un vieux bonhomme humain pour venir toutrégenterchezvous.(IlenvoyaunregardentenduàWoolf.)Ilsaittrèsbienqueceseraituneingérenceintolérable,etjamaisilnediraitoun’insinueraitunechosepareille.Pasvrai,commandant?Woolfacquiesça,vaguementpenaud,maisMarcusentenditsesdentsgrinceravantqu’ilreprennela

parole.–Absolument.Jenevoulaispasvousoffenser.–C’estgentil,ditMarcus,quijetaunbrefregardàVinciavantdeseretournerverssonsupérieur.

Maintenant,etdesurcroît:commandantWoolf,Vinciiciprésentn’apasvouluinsinuerqueleuraideétaitentièrementinenvisageable,niqu’ilaimeraitmieuxdéclencherunnouveaugénocideplutôtqueformeruneallianceavecvous.–Vousnepouvezpasparlerensonnom,objectaWoolf.MarcuspivotaversVinci.–Est-cequejemetrompe?Vousnevouliezpasdutoutdirecegenredechoses,n’est-cepas?Je

veuxdire,vousvousrendezcomptequeceseraituneagressiontoutaussiinsupportable,pasvrai?

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Vinci inspira à fond, donnant ainsi son premier signe de communication nonverbale, et secouanégativementlatête.–Nousnevoulonspasd’unenouvelleguerreavecleshumains.– Alléluia ! s’écria Marcus. Et maintenant, pensez-vous tous deux être capables de mener une

conversationcourtoise,ou faut-ilque je fasse lemédiateurd’unboutà l’autre?Parceque jepeuxvousdirequejenesuispasloindemouillermonfroc,là.VinciregardaWoolf.–Vousn’avezpasmieux,commeconseillerdiplomatique?–Ilestoriginal,certes,maisefficace,réponditlecommandantensefrottantlementon.Maisest-ce

vrai,cequ’iladit?Quevosofficierssonttousdécédés?–Pastous,admitVinci–etMarcusentenditdanssavoixhésitantequ’illuiencoûtaitdeformuler

la suite.Mais la plupart d’entre eux, oui. Il nous en reste un, ou plutôt une. Comme ont dû vousl’apprendrenosopérationssurLongIsland,noussommesengagésdansuneguerreàpetiteéchelleavec la faction de Morgan. Nous voulons tout autant qu’elle faire disparaître cette « dated’expiration»,commevousdites.Maissesméthodessontdevenuestropextrêmes.–Letempspresse,pourtant,ditMarcus.Nouspensonspouvoirvousaider:nousavonsparminous

certainsdesmeilleursmédecinsdumonde–ausenspropre–,qui travaillentd’arrache-piedsuruntraitementcontrenotrepropreextinction.Avecvotreaide,nouspourrionsvaincreleRMenl’espacedequelquessemaines,dumoinsnouslepensons,aprèsquoitoutecetteintelligencemédicalepourrasefocaliserentièrementsurvotredated’expiration.Nouspouvonsnoussauverlesunslesautres.–Maisilnousfautparleràcetofficierquevousavezmentionné,ajoutaWoolf.Pouvez-vousnous

emmenerauprèsdelui–oud’elle,commej’aicrulecomprendre?–Jepeuxvousemmenerlavoir,concédaVinci,maisjenegarantispaslerésultat.Woolfserembrunit.–Est-ellemourante,elleaussi?Son…sonheureest-ellevenue?– Elle fait partie de l’Alliance, répondit Vinci. Ce sont nos chefs et, pour ce que j’en sais, ils

n’expirentpas.MaislegénéralTrimbleest…enfin,vousverrez.Suivez-moi,maisneprenezpasvosarmes.Etc’estdangereux,comme jevous l’aidit : sansvouloirvousvexer,ungrouped’humainsn’estqu’unpoidsmortsurunchampdebataillePartial.Sivousvoyezouentendezquoiquecesoitquiressembleàdescoupsdefeu,cachez-vous.Woolffitlagrimace.–Nouscacher,c’esttout?Vincihaussalesépaules.–Cachez-vousetpriez,sivouspréférez.

White Plains ne ressemblait à rien de ce queMarcus connaissait,même si le trajet pour y aller

auraitdûlepréparer:ilsnelefirentpasàpiednienchariot,maisàl’arrièred’uncamion!Unvraicamion,avecunmoteur.LechauffeurétaitunePartialnomméeMandy,sansdouteunedecesfemmespilotes dont Samm leur avait parlé, et elle les lorgna avecméfiance pendant tout le voyage, bienqu’ils aient été désarmés, fouillés etmême dépouillés de quasiment tout leur équipement.Marcusavaitdéjàvudesvéhiculesautomobilesenmarche,biensûr,maisqu’ilssoientutiliséssicourammentétaitstupéfiant.ÀEastMeadow,onnes’enservaitquepourlesurgences,lorsquelavitesseétaitun

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élémentcapital.Ici,oncheminaitdanscesenginscommes’iln’yavaitriendeplusbanalaumonde.Ilsencroisèrentunsurlaroute,puisunautre.Etensuite,ilsatteignirentlavilleelle-même.Marcusavaitpassétellementd’annéesdansunecitéenruinequ’envoiruneenparfaitétatluifitun

choc.C’étaituneexpériencetroublante.Aulieudepiétons,lesruesétaientpleinesdevoitures;aulieude bougies et de lampes à pétrole, les habitations étaient éclairées à l’électricité : des ampoulesextérieures,desréverbères,desplafonniers,etmêmedesenseigneslumineusessurlesbâtiments.Lavilleentièreenétaittoutilluminée.Plussubtil,maisplusextraordinaireunefoisqu’ill’eutremarqué:toutes les constructions étaient dotées de vitres. Les vitres avaient été une des premières choses àdisparaîtreaprèsleRavage:lescyclesdegeletdedégelavaientvoilélesfenêtresdesbâtimentsnonchauffés,etlesoiseauxetautresanimauxavaientachevéletravail.ÀEastMeadow,seuleslesmaisonsoccupéesétaientvitrées,ainsiquelesétagesinférieursdel’hôpital,oùl’ontravaillaitàlesentretenir.Partoutailleurs,carreauxetvitrinesétaientenmiettes.Presquetouteslesfenêtresqu’ilsavaientvuesàBrooklyn, àManhattan et dans leNew Jersey l’étaient aussi.Mais ici, non.On aurait dit une villed’avantleRavagetransportéedansletemps,épargnéeparl’apocalypsequiavaitanéantilerestedumonde.Maismêmecela,notaMarcus,n’étaitpasentièrementvrai.LesPartialsconstituaientunearmée,et

ceciétaitunecitéenguerre,sansuncivilenvue.Saufmoi,sedit-il.Jesuislepremiernon-combattantquecettevilleaitconnuendouzeans.Ehbien,j’espèreleresterassezlongtempspourterminercettemissionetmetirerd’ici.Mandylesconduisitjusqu’àunvastebâtimentsituédanslecentre-ville,cernédebarricadesdesacs

de sable et surmonté de projecteurs et de tireurs d’élite. L’ambiance était lugubre. Tout lemondesemblaitguetterquelquechose–uneattaque,probablement,mêmesiMarcusnepouvaitqueredoutercequirendaitdesPartialssiinquiets.Vincilesfitentrerenexpliquantàchaquebarrage–etilyeneutuncertainnombre–qu’ilamenaitdesémissaireshumainsdésireuxdeparleraugénéralTrimble,etqu’il leur avait déjà confisqué leurs armes.Marcus, à l’inverse, se sentaitmoins rassuré à chaqueposte de garde franchi, comme s’ils étaient en train d’entrer en prison et non dans un bâtimentgouvernemental.Unéclairageindirectluisaitdoucementdanslesmursetleplafond,conférantaulieuuneambianceirréellequinelerassurapasdavantage.Vincilesamenajusqu’àunevastepiècesituéeaudernierétage,unesorted’esplanadeintérieuredotéedebanquettesetdetablesbasses,donnantsuruneséried’appartements,etsurmontéed’unelargeverrièreentreillagemétallique.Ungarderefermalaporteàcléderrièreeux.–C’esticiquevouslogerez,ditVinci.Cen’estpasunlieudeséjouridéal,maisàlaréflexion,c’est

sansdoutemieuxquecedontvousavezl’habitude.–Sansaucundoute,convintMarcus.Oùestlafontainedechocolat?Franchement,jevaisêtreun

peudéçusiellen’estpasattachéesurledosd’unourspolairemagique.– Nous ne comptons pas rester, intervint Woolf. Nous sommes venus voir Trimble. Est-elle

présente?–Elleestoccupée,réponditVinci.Vousattendreziciqu’ellepuissevousrecevoir.–Combiendetemps?s’enquitMarcus.Uneheure?Deuxheures?L’unedesportesdupourtours’ouvrit,révélantunappartementpetitmaispropreetbienrangédont

sortitunefemmed’unairenthousiaste.Enthousiasmequisevolatilisalorsqu’ellelesvit.–Vousn’êtespasleshommesdeTrimble?–Etvous,vousn’êtespasTrimble?répliquaWoolfsurlemêmeton.Vinci,quesepasse-t-il?

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–Moi,j’attendsdepuishier,déclaralafemme.Elles’approchad’eux,etMarcusdevinaqu’elledevait friser la soixantaine :encoreen formeet

séduisante, comme l’étaient apparemment tous les Partials, mais très éloignée des jeunes femmespilotes commeMandy ou des tueuses en série top-modèles du genre Heron. Cela indiquait, à saconnaissance,quecettefemmeétaitmédecin,etilluitenditlamain.–Bonjourdocteur.Ellenepritpaslamaintendue,secontentantdelesregarderavecsévérité.–Vousêtesdeshumains.–Vousattendezdepuishier?luidemandaWoolfavantdesetournerversleurguide.Vinci,Morgan

tuenoscongénères,nousmourons,surleterrainetdansnoshôpitaux,chaquejour.Chaqueheure.Ilfautquevousnousobteniezuneaudienceplusvitequeça.–Mais pas avant moi, dit la femmemédecin. Nous avons tous des affaires qui ne peuvent pas

attendre.Vous ! (Elle s’adressait àVinci.)Vous êtes son assistant.Vous pouvez lui faire passer unmessage?–Jenesuisqu’unsimplesoldat,madame.–Maisellen’estpasici?demandaMarcus.Jeveuxdire,elleestaufrontouquelquechosecomme

ça?Dansuneautreville?Nouspouvonsalleràelle,sic’estplussimple.–Elleestbienici,ditlafemmeenindiquantunedoubleportedanslemurnord.Simplement,elle

n’estpas…visiblepourl’instant.–Quepeut-ellebienfairequil’empêchedenousécouter?demandaWoolf.Elleestoccupée?À

quipeut-elleparler,sielleneveutpasrecevoirceuxquiontbesoind’elle?–Noussommesenpleineguerre,réponditVinci.Elledirigelesopérationsdepuisuneplate-forme

centrale;ellenepeutpass’enabsenterchaquefoisquequelqu’undésireluiparler.L’undessoldatshumains,unemontagned’hommeauxmusclessaillants,ricana.–Onpourraitentrerdeforce,suggéra-t-il.–Cen’estpaslameilleuretactiquequandonessaied’êtrediplomate,lecontreditWoolf.–Vous ne pourriez pas faire quelque chose pour activer un peu ? insistaMarcus. Je veux dire,

j’imaginequevousavezdéjàpenséàtout,mais…jenesaispas,nepourrait-onpasluifairepasserunmessage?Luifairesavoirpourquoinoussommesici?Noussommeslespremiershumainsàmettrele pied dans la ville depuis douze ans, nous venons proposer un traité de paix et une alliancemédicale…Çadoitbienavoirunpeudepoids,toutdemême.–J’aiconsciencequec’estimportant,ditVinci.C’estpourcelaquejevousaiamenésici.Maisje

vousaiprévenusqueceseraitdifficileetquevousdevriezvousmontrerpatients.–C’estjuste,concédaMarcus.Nousattendrons.–Saufquec’estexactementcequ’onm’adithier,lançalafemmemédecin.Monrapportestd’une

importance tout aussi vitale, voire probablement plus, mais Trimble reçoit les gens quand ça luichante,etpasavant.–Alorsnousattendrons,répétaWoolf.Letempsqu’ilfaudra.Marcus se demanda combien de gens allaient mourir, ici comme chez lui, pendant qu’ils

attendraient.

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CHAPITRE33

Lafemmeseprésenta:docteurDiadem,maisellen’enditpasplus.SonhostilitéenversMarcusetl’ensemble des humains était palpable et, apparemment, pas seulement due au fait qu’ils l’avaientdoubléedanslafiled’attentepourvoirTrimble.Ajoutezàcelalasurveillanceconstantedesgardesarmés,plus lamenacedeguerre imminente : l’ambiancedans lasalleévoquaitdeplusenplusunecocotte-minute. Marcus avait peur que les soldats humains qui l’accompagnaient n’explosent siTrimbletardaitencoreàlesrecevoir.Lesminutesdevinrentdesheures.Àchaquesonneriedelapendule,ilslevaientlesyeuxaucielou

poussaientunsoupir, tant le tempspassait lentement ;chaquefoisqu’uneportes’ouvrait, toutes lestêtes se redressaientbrusquementpourvoir si leur tour était enfinvenude rencontrerTrimble.Lesoleiltraçaitlentementsonarcpar-dessuslaverrière,etdessoldatsPartialsentraientetsortaientenéchangeantàvoixbassedesproposanxieuxdontMarcusnepouvaitquedevinerlateneur.Etcequ’ildevinaitn’avaitriendejoyeux.LecommandantWoolfdevenaitcommefou:ilfaisaitlescentpasets’efforçait,envain,dedemanderauxgardescequisepassait.Ceux-cinelelaissaientmêmepaslesapprocher, le chassant d’abord d’un geste de la main, puis, lorsqu’il se faisait plus insistant, lemenaçantdeleursfusils.L’activitédefondaugmentait,etMarcusressentaitlatensionprésentedanslapiècecommeunespritencolère,échaufféetvociférant.IlessayaderéengagerlaconversationavecledocteurDiadem,luidemandantcequisepassait,maisellenefitqueregarderfixementlessoldatsavecuneexpressionqueMarcusbaptisa,ensonforintérieur:«lemauvaisœilPartial».–Ilssepréparentaucombat,finit-elleparlâcher.LaguerrearriveàWhitePlains.–Mais toutes les forces deMorgan sont àLong Island, s’étonnaMarcus.Contre qui vont-ils se

battre?Diademrefusaderépondre.Quandlanuitcommençaàtomber,MarcusenétaitàdésespérerdevoirunjourTrimble.Ilsejura

denepass’endormir,depeurdelaisserpassersachanceenpleinenuit.Ils’occupaenexaminantlesdiversobjetstechnologiquesprésentsdanslapièce–desobjetssimystérieuxqu’ilavaitdumalàlesidentifier,mais que les Partials semblaient utiliser au quotidien. Sur une petite table, il trouva unesortedebâtonenplastiqueetleramassa,certaind’avoirsuunjourcequec’étaitmaisincapabledes’ensouvenir…quelquechosequidataitdesonenfance,illesavait,maisquoi?L’objetétaitcouvertdetouches,etilenpressadeuxoutroispourvoircequisepassait:rien.Diademl’observaitavecleregardcalculateurd’uninsecteaffamé.–Vousvoulezregarderquelquechose?finit-elleparluidemander.–Nonmerci.J’essaiedecomprendrecequec’estquecemachin.–C’estcequejevoulaisdire.Ceciestunetélécommande,pourregarderl’holovid.–Ah, jesavaisquej’enavaisdéjàvu!Ilyadespostesmurauxdanspresquetoutes lesmaisons

d’EastMeadow,quiétaientactivésàlavoixouaumouvement…quandilyavaitencoreducourant;jen’avaispasvuunetélécommandemanuellecommecelle-cidepuisl’enfance.–J’aiunpostemuralchezmoi,ditDiadem,apparemmentenclineàbavarderunpeu,cequiretint

toutel’attentiondeMarcus.Maislasalled’attenteesttellementvaste…Ilyatropdemondepourquedescapteursdevoixoudemouvementpuissent servir.C’estassezamusantd’utilisercesantiquités

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primitives,d’ailleurs.Dumomentqueçamarche…– Ce que vous appelez « primitif », moi, j’appelle ça « futuriste », répondit Marcus, les yeux

toujours rivés sur la télécommande. Vous avez des centrales nucléaires qui vous donnent plusd’énergiequevousn’enaurezjamaisl’usage.Nous,unepoignéedepanneauxsolairesquipermettentà peine de faire fonctionner notre hôpital.Mon amie a un lecteur demusique,mais je n’ai pas vumarcherunholoviddepuisdouzeans.Ilselevasoudain,cherchantunprojecteur.–Oùest-il?–Vousmarchezdessus.Diadem, se levant à son tour, lui prit la télécommande et la pointa en direction de la verrière ;

d’unepressionsurunbouton,ellerenditleverreopaque,etd’uneautre,ellefitapparaîtreunebrumeholographique lumineuse,projetéepardescentainesdeminuscules loupiotes logéesdans le treillismétallique. Marcus et Diadem se tenaient au milieu de cette brume photonique qui bougeaitdoucement, différentes icônes vidéo se mouvant avec lenteur, tels des sédiments dans un étang.Marcussortitdelazonepourmieuxvoirl’ensembleetsouritd’uneoreilleàl’autre,commeunpetitgarçon,lorsqu’ilreconnutd’aborduntitre,puisundeuxième.Ilréalisaavecamusementquetouslestitresqu’ilconnaissaitétaientceuxdeprogrammespourenfants–SouffleventleDragon,L’Écoledescauchemars,Robotsmaispas trop–, ceuxdont il gardait unvague souvenir d’avant leRavage.Lemenu proposait en majorité des films « pour les grands » : les polars, romances médicales ethistoires terribles d’invasions extraterrestres que ses parents ne l’avaient jamais laissé regarder.Pendantqu’ilfaisaitdéfilerlestitres,lesautreshumainss’étaientagglutinésautourdelui,partageantsa fascination. Marcus se rendit compte qu’ils devaient être parfaitement risibles : une bande decrétins à l’œil torve, abasourdis par un gadget banal, et il se demanda si Diadem avait allumél’holoviduniquementpours’amuserdeleurréaction.Maisdanslemêmetemps,ilserenditcompteaussiqu’ils’enfichaitcomplètement.Ceciétaitunepartiedesaviequ’ilavaitperdue,etlarevoirluibrisaitpresquelecœur.–Quevoulez-vousregarder?luidemanda-t-elle.Sapremière impulsion futde réclamerSoufflevent, sondessin animépréféréquand il était petit,

maisavectouscessoldatsquiattendaientderrièrelui,ilsesentitunpeuridicule.Ilcherchaunfilmd’actiondanslabrumemouvante,maisavantqu’ilaitputrouversonbonheur,lesoldatquisetenaitàcôtédelui,legéantdetoutàl’heure,souritlargementetdit:–Soufflevent!J’adoraiscedessinanimé.Ilestsoldatmaintenant,pensaMarcus,mais iln’avaitqueseptouhuitansquandlemondes’est

écroulé.Diademmanœuvra la télécommande, dispersant la brume holographique et attrapant l’icône de

Soufflevent.Alors, unmignon dragon violet, immense, emplit le centre de la pièce, bondissant aumilieu du générique. La chanson retentit : « Soufflevent ! » etMarcus joignit sa voix à celle dessoldats pour chanter la suite en chœur : «Ouvre tes ailes et vole dans le vent ! » Ils regardèrentl’épisode entier, poussant des rires et des acclamations. Le temps d’une courte demi-heure, ilsrevécurentl’enfancequ’ilsavaientperdue…mais,minuteaprèsminute,lamagiesemblasetarir.Lescouleursétaienttropvives,lamusiquetropforte,lesémotionstropgrandes,lescoupsdethéâtretropprévisibles. C’était creux et sirupeux, comme un excès de sucre, et Marcus n’arrêtait pas de serépéter:C’estvraimentçaquimemanquait?Cen’étaitqueça, l’ancienmonde?Laviedepuis leRavageétaitdure,etlesproblèmesqu’ilsrencontraientétaientdouloureux,maisaumoinsétaient-ils

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réels.Enfant, il avait gobédesheuresd’holovid, enchaînant lesprogrammes, gavédeplatitudes etd’effets faciles. L’épisode se termina, et lorsqueDiadem l’interrogea du regard, la télécommandepointéepourfaireapparaîtrelasuite,ildéclinad’unmouvementdetête.Elleéteignit.–Vousavezl’airterriblementtristepourquelqu’unquivientderegarderungentildragonmauve

précipiterunsorcierdansunlacdeguimauvefondue,luifit-elleremarquer.–Oui,sansdoute.Désolé.Ellerangealatélécommande.–Vousavezsembléapprécieraudébut,maisplusàlafin.Marcus,avecunegrimace,selaissatombersurlecanapé.–Pasvraiment,non.C’estjusteque…Commentleformuler?Cen’estpasréel.–Biensûrquenon,cen’estpasréel,c’estundessinanimé.(Ellevints’asseoiràcôtédelui.)Un

dessinaniméen3Ddansdesdécorsphotoréalistes,maisquandmême…cen’estqu’unehistoire.–Jesais,ditMarcusenfermantlesyeux,cen’estpaslebonmot,maiscommentdire…J’adorais

voirleméchantsorciersefairechâtier.Touteslessemaines,ilavaitunnouveauplandiabolique,ettoutes lessemainesSoufflevent l’arrêtait.Niunenideux,problèmerégléenvingt-deuxminutes.Jetrouvais ça fantastique, mais… ce n’est pas la réalité. Le gentil est toujours gentil, et le méchantsorcieresttoujours,ehbien…méchant.Çafaitmêmepartiedesonnom.–Voussavez,iln’yavaitpasbeaucoupdeprogrammespourenfantsquisoientambigus,parlantde

dilemmesmorauxinsolubles,ditDiadem.Jenepensepasquelaplupartdesenfantsdecinqansaientétéprêtspourcela.Marcussoupira.–Jepensequepersonnenel’était.Vinci revint leur parler à la nuit, s’excusant qu’ils ne puissent toujours pas voir Trimble, et

apportant des nouvelles du monde extérieur : la guerre se présentait très mal et se rapprochaittoujoursplusdelaville.–Maisquisebatcontrequi?redemandaWoolf.TouteslesforcesdeMorgansontàLongIsland!–Ilyad’autres…problèmes,lâchaVinci.–Desproblèmes?répétaMarcus.Jecroyaisquevousalliezdire«d’autresfactions»!Qu’est-ce

queçaveutdire,«d’autresproblèmes»?Vinci ne répondit rien, etMarcus n’arriva pas à deviner s’il réfléchissait à une réponse ou s’il

refusait justede s’exprimer. Ils attendaient en essayantdedéchiffrer ses réactions, lorsqu’unevoixs’élevadel’autreboutdelasalle.–Trimblevavousrecevoir.Touslevèrentlatêteetbondirentsurleurspieds.Diademrejoignitentoutehâtelegardeenfaction

devantladoubleporte,maisill’arrêtad’unregardet,sansdoute,d’unesalvedephéromones.–Pasvous.Leshumains.–J’étaislàavant.– C’est eux que Trimble veut voir. (Il regarda Vinci.) Amenez-moi leur commandant et leur

«conseillerdiplomatique»,etsuivez-moi.Le couloir sur lequel donnait la double porte était large et propre, presque dépouillé,

conformémentàcequeMarcuscommençaitàreconnaîtrecommelestylepragmatiquedesPartials:ilsn’avaientnulbesoindeplantesvertes,detableauxoudejoliespetitestablesdanscecorridor,donc

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il n’y en avait pas. Au bout se trouvaient d’autres portes, dont une laissait passer un vacarmeétonnammentsonore;Marcusentendaitdeséclatsdevoixet…oui,etdescoupsdefeu.Pourquoidescoups de feu ? Le garde ouvrit justement cette porte-là, et une énorme cacophonie les enveloppaaussitôt : des cris, des pleurs, des chuchotements, de la bagarre. Marcus identifia un mélangechaotiquederadiosquiémettaienttoutesàlafois,lesonpousséaumaximum.Lesmursdelasalleétaientcouvertsd’écransmuraux,d’écransportablesetdehaut-parleursdetoutestaillesetdetoutesformes;ilyavaitmême,dansuncoin,unautreholovidquiprojetaituneimmensecartelumineusedel’État de New York, comprenant Long Island ainsi que certaines portions du New Jersey, duConnecticut, du Rhode Island et d’autres régions situées plus loin encore vers le nord. Il s’étaittrompé:cen’étaitpasunemultitudedetransmissionsradio,maisdetransmissionsvidéo.Despointsrouges clignotaient sur la carte, des visages et des corps traversaient les écrans en tous sens, desjeeps,descamionsetmêmedescharsfranchissaientdesmurailles,desvillesetdesforêtstélévisées.Etaucentredetout,baignéedanslalumièreetlebruitdecentécransdifférents,unefemmesetenaitseuleàunbureaucirculaire.–C’estelle,ditlegarde,quis’écartaetrefermaderrièreeux.Attendezqu’ellevousparle.WoolfetVincis’avancèrent ;Marcus,plus intimidé,s’attardaàcôtédugarde.Commelafemme

leur tournait le dos,Woolf se racla bruyamment la gorge pour attirer son attention. Soit elle nel’entenditpas,soitellel’ignoraouvertement.Marcusregardaitlesécransaccrochésauxmurs.Beaucoupmontraientlamêmescène,souventvue

depuis lamêmeperspective,mais ildevinaitque lacentained’écransdevaientbiensepartagerunedouzainedetransmissionsdistinctes.Laplupartdécrivaientdesscènesdebataille,et ilsupposaquec’était du direct ; Trimble suivait le déroulement de la guerre depuis une plate-forme centralisée,commel’avaitfaitKiraavecsesradios.Kira…Ilsedemandapourlamillièmefoisoùelleétaitpartieet s’il la reverrait un jour. La plupart des gens d’East Meadow la considéraient comme morte,personnenes’étaitprésentépourmettrefinà l’occupationmeurtrièredel’îlepar laCompagnieD,maisils’accrochaitencoreàl’espoir–probablementvain,illesavait–,qu’elleaitsurvécu.Surl’undesplusgrandsécransserépétaitenboucleunescèneunique:unsoldatcourait,ilyavait

uneexplosiondeboueetd’herbe,aprèsquoil’imageserembobinaitenaccéléré:onvoyaitl’hommecouchéêtresoulevé,volerversl’avant,atterrirendouceursursespiedsetcouriràreculonspendantqu’ausollaterreserefermait.Puis,sanstransition,laséquencereprenaitdudébut,l’hommecourait,lesolexplosaitsousluietleprojetaitsurledos.Auboutdequatrecycles,Marcuspritconsciencequela vitesse et les points d’arrêt variaient légèrement à chaque reprise : ce n’était pas une boucle,quelqu’unmanipulaitcesimages,enavant,enarrière,cherchant…quelquechose.Ils’avançadanslapièce en obliquant un peu sur le côté, et vit que Trimble était assise devant un écran de bureaufaiblement lumineux, ses doigts glissant sur une série de cadrans et de curseurs digitaux. Ellezoomait,dézoomait,rembobinaitlavidéo,lafaisaitrejouer,etchaquefoislejeunehommeétaittuéparl’explosion,encoreetencoreetencore.–Excusez-moi,ditWoolf.–Attendezqu’ellevousparle,luisoufflalegarde.–J’aidéjàbienassezattendu,rétorquaWoolfens’avançantd’unpasdécidé.Legardefitminedelesuivre,maisVincil’arrêtad’ungeste.–GénéralTrimble,jem’appelleAsherWoolf,jesuiscommandantdanslesForcesdedéfensede

Long Island et sénateur dans le gouvernement de l’île. Je me présente devant vous en tant quereprésentant dûment appointé de la dernière population humaine sur Terre, afin de négocier avec

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vousuntraitédepaixetdepartagedesressources.Trimble n’eut aucune réaction, et ne sembla même pas avoir conscience de sa présence. Il fit

encoreunpas.–Lesvôtressontauxabois,dit-ilenembrassantdugeste toute ladestructionquis’étalaitsur les

écransmuraux.Monpeupleaussi,etnoussavonsl’uncommel’autrequecen’estpasseulementaucombatqu’ilspérissent.Noussommesstérilesetmalades,vouscommenous.Encorequelquesannéesetnousseronstousmorts,quoiquenousfassions–quelsquesoientlesguerresgagnéesouperdues,lescoupstirésourendus,lesarmesdéposées.Votrepopulationn’enaplusquepourdeuxans,àcequejecomprends;lamiennevivrapluslongtemps,maisnes’éteindrapasmoinsauboutducompte.Il va nous falloir travailler ensemble si nous voulons changer les choses. (Il fit encore un pas.)M’entendez-vous?Legardesursautaetsecrispa,surprisparcetéclatdevoix,maisVincicourutrejoindreWoolf.–Mercibeaucoupdenousrecevoir,général,dit-il.Nouscomprenonsquevousêtestrèsoccupéeà

coordonnertantdeguerresàlafois…–Ellenecoordonneriendutout!tranchalecommandantavecungestedédaigneuxversl’écrande

Trimble.Ellenefaitqueregarder.–Faitesattentionàcequevousdites,oujedevraivousdemanderdesortir,l’avertitlegarde.–Vousvoudriezquejerestelàsansriendire?C’esthorsdequestion.J’aidéjàpatientépendantune

journéeetunenuit,nousn’avonsplusletemps…–Taisez-vous,lâchasoudainTrimbleàmi-voix.Marcusreculadesurprise,tandisqueVincietlegardechancelaientsouslepoidsdesavolonté.Le

garde retrouva l’équilibre et fixaWoolf en silence ; Vinci ouvrit la bouche, le visage rougi parl’effort,maisfutincapabledeprononcerunmot.MarcusavaitassistéaumêmephénomèneentreledocteurMorganetSamm:lechefdonnaitlesordres,etleliennelaissaitpaslechoixauxPartials.Ilsnepouvaientqu’obéir.–Nous ne sommes pas desPartials, ditWoolf.Vous ne pouvez pas faire plier notre esprit avec

votre«lien».–Moinonplus,lâchaTrimble.CestroismotsclouèrentlebecdeWoolf.Ilétaitperdu.Marcuslevitchercherlabonneréactionet

s’avançaaveclapremièreréflexionquiluivenaitentête.Toutétaitbonpourlafaireparler.–Vousêteshumaine?demanda-t-il.–Jel’étais.–Qu’êtes-vous,maintenant?–Coupable,ditTrimble.Cettefois,cefutMarcusquigardaunsilencestupéfait. Ilcherchaquelquechoseàajouter,et,ne

trouvant rien, alla simplement se placer entre Trimble et son écran, pour la forcer à le regarder.C’étaitunefemmed’uncertainâge,lasoixantainebientassée,peut-être,lemêmeâgequeNandita,etdotéede lamêmecouleurdepeau.Nanditaest l’autreraisonpour laquelle jesuis ici,pensa-t-il. Ilfautqu’onlaretrouve,elleaussi,commeKira.Ilseraccrochaàcetteidée,etlorsqueleursregardssecroisèrentenfin,ilparlaàvoixbasse.–Jechercheuneamie,dit-il.Unehumaine,commenous.UnefemmenomméeNanditaMerchant.

Laconnaissez-vous?Unéclairs’allumadansl’œildeTrimble,etMarcusrepensaàl’aveuqu’ellevenaitdefaire:elle

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avaitbienétéhumaine.AucundesPartials qu’il avait rencontrésn’était visuellement expressif.Sesmainsmontèrentjusqu’àsonvisage,couvrantàdemisabouche,etsesyeuxs’agrandirent.–Nanditaestenvie?– Jene saispas, dit doucementMarcus, encore étonnéque la femmeait l’air de savoirqui était

Nandita.Ilyadesmoisquenousnel’avonspasvue.Savez-vous…quoiquecesoitsurelle?Peut-êtreavez-vousvuquelquechosesurvosécransquipourraitnousaideràlaretrouver?Il observa les traits de la femme, vit ses yeux semouiller de larmes. Il décida de pousser son

avantage.–NousnesavonspasnonplusoùsetrouveKiraWalker.Une expression étrange passa sur le visage de Trimble, comme si elle était plongée dans un

souvenirlongtempsrefoulé.– Nandita n’avait rien à voir avec Kira, dit-elle en inclinant la tête sur le côté. La sienne

s’appelait…Aura,jecrois.Aria.Non,Ariel;c’estça,Ariel.Marcus ouvrit des yeux comme des soucoupes, mille questions se pressant dans sa tête, si

nombreusesqu’aucuneneparvintà sortir.Ariel?Trimble savaitdeschoses surNanditaetAriel?Celanepouvait signifierqu’unechose :Nanditaavaitétéencontactavecelleàunmomentdonné.Peut-êtremêmeétait-ellevenueici.Etpourtant,TrimbleavaitdemandésiNanditaétaitenvie,sous-entendantquemêmesielleétaitdéjàvenueici,ellen’yétaitplus.Tandisqu’ilcherchaitsesmots,unealarmerésonna,etTrimble,pivotantsursachaise,enfonçaunboutondesaconsolequienvoyaunecascadeondulantesurlesmursd’écrans.Vingtvidéoset imagesnouvellesapparurent:untonnerred’artillerie, des bâtiments s’écroulant, de longues listes de noms et de chiffres défilant si vite queMarcusnepouvaitmêmepasespérerleslire.–Unnouvelassaut,constatalegarde,apparemmentremisdesonsilenceforcé.Ils’avançapourallumerlui-mêmeunepetiteconsole,et jetauncoupd’œilàlacarteenholovid

quiapparut.–Àl’intérieurdelaville,cettefois,ajouta-t-il.–Unassaut,ici?demandaWoolf.Ilportalamainàsaceinturepourattraperunobjetquin’yétaitpas,etMarcussesurpritàfairede

même : chercher son arme, par réflexe. Si une armée de Partials passait à l’attaque, leur trouped’humainsseraitpriseentredeuxfeuxsansmêmeunbâtonpoursedéfendre.Et ils ne nous ont toujours pas dit qui attaquait, pensaMarcus. Savoir qu’ils cachaient quelque

choseluifaisaitpluspeurquetout.–Cecin’estpascenséarriver,ditTrimble,leregardvague.Riendetoutcelan’estcenséarriver.–Ilfautquevousnousaidiez!l’imploraWoolf.Nousdevonsnousentraider!–Laissez-moi.Aussitôt qu’elle eut lâché ces mots, les Partials se dirigèrent vers la porte, saisissantWoolf et

Marcus au passage. Leur poigne était de fer, et ils traînèrent les humains au-dehors comme desenfants ;WoolfetMarcussedébattirentàgrandscris sur tout lechemin,maisenvain.Lesgardesrefermèrent solidement la porte derrière eux, et Marcus vit à présent que Vinci était pantelant. Ilouvrait et refermait ses mains vides, le regard rivé au sol ;Marcus n’aurait su dire si c’était delacolère,del’épuisementouautrechose.Delahaine?Delahonte?–Jesuisnavré,balbutialePartial.J’avaisespéré…vraiment,désolé.Jevousavaisprévenus,mais

toutdemême,j’espéraisautrechose.

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CHAPITRE34

–Laissez-nousyretourner!grondaWoolf.– Nous sommes en pleine guerre, répondit Vinci. On se bat dans la ville… et si les choses se

passentmal,onsebattraici,danscebâtiment.Ellen’apasletempsdevousparler.–Maisellenefaitrien,insistaMarcus.(Iltournalesyeuxverslesautres,etlesPartialsévitèrent

son regard.) Nous l’avons tous vu, c’est un cas typique de stress traumatique. Elle n’est pasconcentrée,elleagitmachinalement,lamoitiédutempsellenesemblemêmepasconscientedecequisepasseautourd’elle.Vousnepouvezquandmêmepaslalaisserdirigervostroupes!LesPartialsrestèrentmuets.–Elleaditqu’elleétaithumaine, fit remarquerWoolf.Pire,elleaditqu’elleavaitété humaine.

Qu’est-cequeçasignifie?Jecroyaisqu’elleétaitungénéralPartial.–Saufque tous lesgénérauxPartials sontde sexemasculin,nuançaMarcus,qui se rappelait les

explicationsdeSammsur le systèmedescastes.Chaquemodèleaétécultivéenvuede sonmétieridéal.LesfemmesPartialsd’uncertainâgesonttoutesmédecins.– Ce que nous avons vu là n’était pas une femme Partial, ditWoolf, le regard brûlant. Elle est

humaine…oul’aété.Dites-nouscequevoussavez.–Jesuisnavréd’avoirdûvousfairesortir,s’excusaVinci.Nousn’avionspaslechoix.–Vousauriezpudésobéir.–Non,ilsnepouvaientpas,compritsoudainMarcus.Elles’estserviedulien.Elleleuraintiméde

sortiretilsontétéforcésd’obéir,qu’ilsleveuillentounon.Woolffronçalessourcils.– Quel genre de femme humaine devient général chez les Partials et peut utiliser le lien

phéromonal?s’interrogea-t-il.(IlregardaVincietsoncollègue.)Quesepasse-t-il,enfin?LorsqueVinciouvritlabouchepourparler,l’autreluiposaunemainsurlebraspourl’arrêter;

Vinciréponditquandmême.– Il y a un moment qu’elle est comme ça. Nous combattions Morgan depuis des années,

principalement dans de petites échauffourées, qui découlaient toutes du même désaccordfondamental :que fairedevous, leshumainsdeLong Island?Fallait-il considérervotreexistencecommeunemenace,ouaucontrairecommeunenécessité?Avions-nousledroitd’exterminervotreespèce, ou était-il dans notre intérêt de maintenir une population en vie… Mais quand la dated’expirationest arrivée etquenos semblablesont commencéà tomber, la situation s’estdégradée.Morgan a voulu utiliser les humains comme cobayes, faire des expériences sur eux, et Trimbletrouvaitquec’étaitmal.Oudumoins,ellenepensaitpasquecesoitlebonmoment.MaistandisqueMorgandevenaitdeplusenplusforte, ralliaitdeplusenplusdePartialsàsacauseetadoptaitdesméthodes de plus en plus violentes, Trimble s’est mise à refuser d’agir. Les rares fois où elles’exprime, c’est pour dire qu’elle ne veut pas cautionner un comportement qui risque d’aboutir àl’éradicationdel’espècehumaine.Maiselleneproposeaucunealternative,paslamoindrestratégie,etcommedesPartialscontinuentdemourirchaquejour,saprudencecommenceàressemblerplutôtàdelapeuretàdel’indécision.NousavonseuunehémorragiedesoldatsquisesontralliésàMorgan,etellenefait toujoursrienpour l’empêcher.Marcus,nousvoulonsvousaider.Nousavonsenvoyé

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autant de brigades que possible pour harceler les forces deMorgan sur leur flanc droit, pour laperturber et empêcher l’élimination de la dernière population humaine, mais sans véritablecommandementdelapartdeTrimble…Savoixs’éteignit,etMarcusentendituneexplosionauloin.–Maisqui combattez-vous ici, alors ?Çanepeut pas être la compagniedeMorgan, vousnous

l’avezdéjàconfirmé.–Ilssebattententreeux,ditWoolfàvoixbasse.Marcus leregardaavecétonnement,puisseretournavers lesdeuxPartials.Quigardèrent la tête

baisséesansrépondre.–Votrefactionsebatcontreelle-même?LesconséquencesterrifiaientMarcus,quin’avaitpasoubliélesémeutesd’EastMeadow,lorsquele

conflitentreleSénatetlaVoixdupeupleavaitfiniparéclater.Ilserappelaitcommec’étaitdevenuaffreux quand des amis s’étaient soudain retournés les uns contre les autres, enflammés par desdifférendsidéologiques.–Labataillequinousarrivedessus,dit-il,c’estunerévolution?Dessoldatsdevotrecompagnie

quisoutiennentàprésentMorgan?Cettevillevasedéchiqueterelle-même!–Noussommesensûretéici,réponditVinci,quieutunehésitationavantdepoursuivre.Enfin,en

principe.TousceuxquisetrouventdansceslocauxsontfidèlesaugénéralTrimble.Woolfserenfrogna.– Pourquoi ? Même si vous êtes en désaccord avec Morgan… Trimble est hors d’état de

commander.– Nous sommes fidèles parce que nous avons été fabriqués ainsi. Parce que c’est ce que nous

sommes.Unenouvelle explosion secoua l’immeuble, etVinci et le garde adoptèrent uneposture attentive

danslaquelleMarcusavaitapprisàreconnaîtreuneattitudedecommunication:ilsseconcentraientsurlelienpoursavoircequisepassait.Marcusentenditdescoupsdefeu.–Lescombatsserapprochent,ditVinci.Allezrejoindrevoshommes,ilfautquejeparleàceuxqui

défendentleslieux.Ilsenfilèrentlecorridoràlahâte.–Nouspouvonsvousaider,proposaWoolf.J’aidixsoldatsentraînésavecm…–Jevousenprie,lecoupaVinci.CeciestunebatailleentrePartials.Vousneferiezquenousgêner.Il les raccompagna jusqu’à la salled’attente et lesy laissa avantde s’enfoncerplus loindans le

complexe. Le garde de Trimble referma soigneusement les portes à clé derrière eux. Seul un dessoldatsdeWoolfétaitencorelà,àcôtédel’appartementquileuravaitétéattribué;aussitôtqu’illesvit,illeurfitsigne.–Vite,commandant!cria-t-ild’unevoixpressée,ilfautquevousvoyiezça.WoolfetMarcuscoururentdanssadirection,etillesfitentrer;lesautres,agglutinéscommedes

enfantsàlafenêtre,observaientlavilledansunsilencesubjugué.–Éloignez-vousd’ici,ditWoolf,lescombatsse…Il n’acheva pas sa phrase : les soldats lui avaient fait une place à la fenêtre, et il vit ce qu’ils

regardaient. Des milliers de Partials, apparemment sans ordre de bataille, couraient, criaient ets’entretuaientdans laville encontrebas,dans les rues, sur les toits.La fenêtre se trouvait àquinzeétagesdehauteur,offrantunevisiond’ensemblesurlabatailleetsaterribleampleur:ellefaisaitrage

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littéralement à perte de vue.Mais ce qui était plus terrifiant encore que sa taille, c’était sa nature.Mêmelepluspetit,blesséetmaléquipédesPartialsaccomplissaitdesexploitsquiauraientfaitd’unhumain le héros incontesté des Forces de défense.Marcus,médusé, regarda un fantassin courir lelongd’untoit,tirantd’unemainversdessniperspostéssurl’immeubled’àcôté.Lorsqu’ilatteignitlebord,ilbonditsurunautretoitsituéàdixmètresdeluietatterritsurunniddemitrailleusesquitiraitdans une autre direction. Et plus impressionnants encore étaient les individus qu’il visait et qui,malgré sa précision sans faille, réussirent à s’écarter avec une vélocité surhumaine, esquivant lesballesdequelquesmillimètresetripostantd’unairpresquetranquille.Leniddemitrailleusesdevintunetornadedecouteauxetdebaïonnettes,chacunmanipuléavecunefureurcontrôléequifitblêmirMarcus, et chaque coup fut détourné avec une aisance presque dédaigneuse. C’était une guerre desurhommes,sibienquechacunétaitàlafoistropprécispourratersacibleettroprapidepourêtretouché.Marcuspointa ledoigtvers lesaéronefsqui stationnaientou filaientdans lecielau-dessusde la

ville, chasseurs monopilotes ou appareils mitrailleurs transportant chacun cinq hommes. Ilsévoquaientunessaimd’abeillesexcitées.–IlsontdesRotors?Iln’avaitpasvuunvéhiculevolantdepuisleRavage.–Cette ville ne nous apporte que des révélations plus horribles les unes que les autres, grogna

Woolf.Commepourluidonnerraison,unautreRotor,bienplusgrosquelesautres,apparutaucoind’un

hautimmeuble.–Celui-ci estunvéhiculede transport,dit lecommandanten reculantde la fenêtre. Ilvientvers

nous…ildoitenavoiraprèslegénéralTrimble.Lessoldatss’éloignèrentdelafenêtre.Uneballesolitairetransperçalavitreetfitungrostroudans

lemurau-dessusdelatêtedeMarcus,quisejetaàplatventreparterre.–Debout,sortons!lançaWoolf.Replions-nousdanslasalled’attente.Les soldats franchirent la porte au pas de course, en formation, le corps voûté, et se mirent à

couvert avec une fluidité et une compétence qui avaient toujours rassuré Marcus, mais qui neressemblaient plus qu’à une pâle imitation de la précision supérieure des Partials. Il les suivit enrestant proche deWoolf, regrettant de ne pas être armé tout en sachant que cela ne lui aurait rienapporté.Un petit Rotor fila au-dessus de la verrière, tirant avec sesmitraillettes, etMarcus entendit une

explosion:l’appareilousacibleavaitétéabattu.Ilignoraitlequeldesdeux,etnesavaitmêmepasàquelle faction appartenait chacun. Impossible de distinguer les engins à leur couleur, ils luiparaissaienttoussemblables.Ilentenditencoreuneexplosion,dansuneautrepartiedelaville,etlefracas des canons et de l’artillerie afflua et reflua en bruit de fond. Marcus se sentait aveugle etimpuissant,blottiderrièreunebanquette,conscientqu’ilsepassaitquelquechosesanssavoirquitiraitsurquoi,nipourquoinioù.UnautreRotorlégerpassaau-dessusdelaverrière.Ungrosappareilmitrailleursuivituninstant

plus tard, sur une trajectoire perpendiculaire.Une ombre noire tomba sur la salle d’attente, et unevibrationpuissantevenued’au-dessusfittremblertoutlebâtiment.–Nerestonspaslà,ditWoolf.Le gros Rotor de transport apparut à leur vue, emplissant l’espace de la verrière, et Marcus

comprittroptardqu’ildescendait,rapideetpuissant.Sacoquedemétalfracassalaverrièreàl’instant

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mêmeoùlesportesdufonds’ouvraientetoùlesdéfenseursdel’immeublefaisaientirruptiondanslasalle.Une tourelle installée sur l’enginvolantprojetaunegrêlede feu sur lesdéfenseurs,mais ilss’étaient déjà écartés sur le côté une seconde plus tôt.Des portières s’ouvrirent dans les flancs del’appareilavantmêmequ’ilait touchélesol,etdesPartialscuirassésensortirent,mitraillantàtoutva.–Àterre!criaWoolf.Lessoldatsplongèrentausolderrièrelestablesetlescanapés,tâchantderegagnerl’appartement

dontilsvenaientdesortir.Marcusremarquauneconfusionpassagèrechezlesassaillants,unebrèvepause le temps qu’ils évaluent la nouvelle situation. Pour une raison inconnue, ils semblèrentidentifierleshumainsenfuitecommeunemenace.Unedemi-secondeplustard, ils lesmitraillaientavecuneférocitéglaçante.Lessoldatstremblèrentethurlèrentlorsquelesagresseursdéchiquetèrentleur troupe, etMarcus ferma les yeuxpour nepas voir ses compagnons retomber sansvie autourdelui.D’autres renforts surgirent des entrailles du bâtiment, tandis que les Partials continuaient de se

déverserduRotorenunflotininterrompu.Marcusjetaunœilàlabataille,futépouvantéparcequ’ilvitetsecachadenouveaulatête,enespérantqu’ilpourraitcontinuerdefairelemortjusqu’àcequelecombatsoitterminé.Lebruitétaitassourdissant,desdizainesd’armesautomatiquestiranttoutesenmêmetempsaupointqu’ilcraignitdeperdredéfinitivementl’audition.Lorsqu’unemainluiagrippalajambe,ilneputreteniruncrideterreur.Roulantsurlui-mêmepourvoirquil’avaitattrapéainsi,ilreconnutlecommandantWoolf.L’hommeluiparlait,maisMarcusn’entendaitrien.Derrièrelui,ilyavaitencoredeuxsoldatshumainsaccroupis,uncanapé leuroffrantsamédiocreprotection.Woolfditautrechose,puisfitsigneàMarcusdelesuivreetsemitàramperverslaportelaplusproche.Lessoldats firent de même, etMarcus les imita. Une balle toucha celui qui se trouvait devant lui : ilretombatelunsacdeviande,etMarcuscontinuaderamper,éperonnéparunepeurinfinie,prêtàtoutpouratteindrelaporteouverte.Ilperçutunebrûlurecinglantedanssonbras,puisfranchitlaporte,haletantetahananttandisqueWoolfetlederniersoldatrepoussaientlebattantderrièreeux.Woolf dit encore quelque chose queMarcus ne put entendre, tant ses tympans carillonnaient. Ils

allèrents’accroupirderrièreunmur,espérantmettreleplusdebarrièrespossibleentrelafusilladeeteux-mêmes.Marcus ne pouvait plus se servir de son bras droit. En l’examinant, il découvrit unelongueentailledanslachairdesontriceps:unetracedeballequiavaiteffleurélasurfaceetdéchiréle muscle, mais sans atteindre l’os. Il se releva, hébété, et voulut aller chercher une trousse depremierssecours,maisWoolfletiraenarrièreencriantquelquechosequeMarcusn’entenditpas.Ildésignasespropresoreillesensecouantlatêtepourfairesavoiraucommandantqu’ellesétaienthorsd’usage;Woolfeutl’airperplexe,puispoussauneexclamationvisiblementrageuseetfouilladanssapochedepoitrine : ilensortitunepairedebouchonsd’oreillesorangequ’ilpressadans lapaumedeMarcus.Woolf et le dernier soldat, un dénomméGalen, se consultèrent, etMarcus enfonça lesboulesdemoussedanssesoreilles.Nous allonsmourir, se dit-il.Pasmoyen d’en sortir… quelle que soit la faction qui gagnera la

batailledelasalled’attente,lavilleentièreestunezoneenguerre.Ilréfléchitencoreàlaforcequ’ilsaffrontaient :unearméedesoldatsparfaits.Leshumainssontmoinsagiles, ilsontdesréflexespluslents,sontmoinscoordonnés,dépourvusdelien…–Nousn’avonspaslelien!cria-t-ilsoudainenagrippantWoolfparlebras.Le commandant le regarda sans comprendre, etMarcus lui exposa son idée. Sa propre voix lui

paraissaitdistanteetassourdie.

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–Lelien…lesystèmedephéromonesdontilsseserventpourcommuniquer…Ilspratiquenttouslatélépathie.Mettonsquel’und’euxprennesonfusilpourtirer:surunchampdebatailleiltireettuesa cible.Mais dans des lieux exigus commecelui-ci, l’adversaire est assez prochepour capter sesdonnées,ilestprévenuquel’autres’apprêteàtirer,etils’écarte.C’estpourçaqu’ilsn’arriventpasàsetoucherlesunslesautres.Woolfréponditquelquechose,maisMarcus,encoresourd,continuasursalancée.– Les Partials se servent du lien pour se pourchasser ; s’ils veulent se cacher ils utilisent des

masques à gaz. Quand les phéromones sont filtrées, ils peuvent avancer masqués. Au pays desPartials,tantqu’ilsnenousvoientpas,noussommes…indétectables.UnéclairdecompréhensionallumaenfinleregarddeWoolf,quiseretournaversGalenpourlui

parler rapidement. Marcus ne l’entendit pas, mais constata que son ouïe revenait peu à peu. Lerugissementsourdquipeuavantressemblaitàunbruitblancétaitredevenuunconcertdecoupsdefeu : les échos de la bataille qui se déroulait dans la salle d’à côté. Il se baissa au sol, tâchantd’imaginercommenttourneràleuravantageleurabsencedelienets’enfuir.Sammavaitditquelelienfaisaittellementpartied’euxqu’ilsavaientoublié,auboutdedouzeans,commentcombattreunennemiquinel’avaitpas.Ilyaforcémentunmoyen…Woolf l’attrapa par son bras intact et fit un geste en direction de leurs paquetages entreposés à

l’autreboutdelapièce.Marcussepenchaverslui,unemainencoupeautourdel’oreille,etWoolfcriadedans.–Nousavonsdespellesdansnotreéquipementdesurvie…nousallonsessayerdepercerlemur.–Qu’ya-t-ildel’autrecôté?Woolffituncroquisdanslamoquetteavecsondoigt,représentantquelquechosequiressemblait

vaguementàlasalled’attenteetauxportesquisetrouvaientautour.–Simescalculssontbons,nousnesommesqu’àdeuxpiècesdedistanceducouloirdeTrimble.

Traverserestlemoyenleplusrapidedesortirdel’immeuble.Marcushochalatête.–Etsilesmurssontblindés?–Alorsnoustrouveronsautrechose.Lestroishommesrejoignirentleursaffairesencourant,ledoscourbé.Lespetitespellesdesurvie

comptaientparmilesraresobjetsqu’onlesavaitautorisésàgarder;ilsn’auraientpaspufairegrandmalauxPartialsavec,mais ilspouvaient trèscertainementprovoquerdesdégâtsdans lesmurs.Labataillefaisaittoujoursragedanslagrandesalle,etWoolfprofitadelacacophoniepourmasquersonassautcontrelacloison.–Allez,c’estparti.Ildonnaungrandcoupdepelledanslemur……elles’yenfonçacommedansdubeurre.–Cen’estqueduPlaco,seréjouitWoolf.Ilretirasapelle,donnaunnouveaucoup,etarrachaungrosblocdumur.Àl’intérieur,ilyavait

unecouched’isolant rose, etderrière,uneautreplaquedeplâtre.WoolfditunechosequeMarcusn’entenditpas–apparemment,uneexclamationtriomphanteetgrossière–,ettenditd’autrespellesàGalenetàMarcus.Personnen’apparutà laportepour lesarrêter ; lesPartialsétaient tropoccupéspourleschercher,etsanslelienpourtrahirleurprésence,ilspouvaienttravaillerentouteimpunité.Marcus semit à l’ouvrage sur lemur, et ils ne tardèrent pas à dégager un trou assez grand pour

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pouvoirsefaufilerdel’autrecôté.La pièce dans laquelle ils débouchèrent était vide, intacte à l’exception d’une série d’impacts de

ballesquiavaienttouttraversédepuislesitedelabataille.Ilsrejoignirentencourantlaparoidufondetsemirentaussitôtautravaildessus,ménageantuneouvertureirrégulièreparlaquelleWoolfjetauncoupd’œil.Ilfitungrandsourire.–C’estlecouloir,etilestdésert.Allez!Ils s’activèrent de toutes leurs forces sur la cloison.Marcus frappaitmaladroitement de lamain

gauche, ladroitependanttoujoursinerte(etdouloureuse)lelongdesoncorps.Ilauraitbienvoulus’arrêterpourbander sonbras,ouaumoins s’administrerunepiqûred’antalgiques,mais le tempsleur manquait. Il déchiqueta le mur comme s’il devait s’évader de l’enfer, poursuivi par tous sesdémons.Ilsrampèrentdanslecorridor,seremirentdeboutetcoururentendirectiondelasalledeTrimble,

entenantleurspellescommedeshaches.Levacarmedelabatailleétaitencorepuissantdansleurdos.Vinci,quisetenaitauboutducouloir,cachéderrièreunabriblindé,leshélaenlesvoyantapprocher.–Oùallez-vouscommeça?–IlsontposéunRotordetransportdanslasalled…–Jesais.Àcemoment-là,justement,ladoubleportes’ouvritd’uncoupetVincileurfitsigned’approcher,

oubliantsesquestionspourleurtendredespistolets.–Pasletemps!cria-t-il.Repliez-vousavecTrimbleetenfermez-vousbien!Woolf attrapa Marcus par son bras blessé. La douleur fut atroce, et il se laissa traîner par le

commandantdansleQGdeTrimble.WoolfseretournapourverrouillerlaporteetVinci,semblantseraviser,sefaufilafinalementàl’intérieurtoutenpassantsonfusilsursonépaule.Ilsclaquèrentlebattantetpoussèrentleverrouàfond.Presqueaussitôt,ilsentendirenttambourinerdel’autrecôté.–Cesportestiendrontencorequelquesminutes,maisilnousfautuneautreissue,ditVinci.–Est-cequ’ilyenaune,aumoins?s’enquitWoolf.–Espérons.–Super,gémitMarcus.Leseultypequ’ontrouvepournousaidern’apasmieuxcommestratégie

que:«Espéronsunmiracle!»–GénéralTrimble!criaVincientrottinantjusqu’aucentredelapièce.La femme hagarde était toujours assise aumême endroit, occupée à regarder sur des centaines

d’écranslarévolutionravagerlaville,vuesousdesdizainesd’anglesetdepointsdevuedifférents.–Ilfautqu’onvousfassesortird’ici!–Vousavezbienuneissuedesecours,ajoutaWoolf,justederrièreVinci.Marcussehâtadelesrejoindreettenditl’oreille.–IlyaunRotordanslapièceau-dessus,soufflaTrimble.Savoixétaitfaible,aupointqueMarcusfaillitnepassaisir.Elleparaissaitencoreplusdéconnectée

delaréalitéquetoutàl’heure,ets’exprimaitdansunebrumedeconfusion.–Ilfautquevousarrêtiezça,dit-il.Ilsedébattaittoutenmarchantavecunbandageprisdanslatroussemédicale,tâchantd’envelopper

sonbraspourstopperl’hémorragie.– Ne fuyez pas, faites quelque chose. Envoyez des ordres, coordonnez les combats, faites…

quelquechose,quoi!

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Ils’arrêtadevantelle,etlesyeuxdelafemmefirentplusoumoinslepointsurlui.Elleparaissaithébétée,oupeut-êtreplongéedansundemi-sommeil.–Cesgensvoussontfidèlesdepuisdesannées,ilsattendentdevousquevouslesguidiez.Ilsfont

preuve d’une abnégation que je n’avais jamais même imaginée… s’ils étaient humains, ils vousauraient envoyée balader depuis des années, mais ce sont des Partials, et les Partials sont loyauxenverslachaînedecommandement.Àunpointridicule,d’ailleurs:voyezoùilsensont,àcausedeça.Ilssontprêtsàvoussuivren’importeoù,maisencorefaut-ilquevouslesmeniezquelquepart.La tête de Trimble pivota lentement, etMarcus se rendit compte qu’elle lui accordait toute son

attention,uneattentionintenseetvagueàlafois.–J’aidéjàdétruitlemondeunefois,dit-elle.Jenecautionneraipasunestratégiequiledétruiraità

nouveau.–Nepasagirn’estpasmoinscriminelqu’agirensetrompant,intervintWoolf–maislaseconde

moitiédesaphrasefutnoyéeparunedétonationsoudaine:c’étaitlaporteverrouilléequiexplosait.DesPartialssedéversèrentparl’ouverture,prenantleurspositionsavecuneprécisionsansfaille.

LorsqueVinciépaulasonfusilpour tirer,unedouzainedecanonssebraquèrentsur lui.Marcusselaissa tomber au sol et sa vie entièredéfila réellement devant ses yeux enun éclair : son travail àl’hôpital ;Kira ; l’école ; leRavage.Sesparents,plus clairs encemomentquependant toutes cesannées.–Pardon,maman,dit-il.Jecroisquejevaisterevoirbientôt.LesPartialsrebellesmugirentunesentencedemortcontreTrimble.Vincivoulutlaprotégerdeson

corps;WoolfetGalendégainèrentleurspistolets.Trimbleseleva,pivotapourfairefaceauxenvahisseursPartials,etproféraunmotunique.–Arrêtez.Marcuseutl’impressionqu’unevagueinvisiblelesfrappait,déferlantsurlatroupeetarrêtantnet

leursgestes.Àpeine immobilisés, ils étaient devenus rigides commedes statues.MêmeVinci étaitclouésurplace:onauraitditquesachairs’étaitpétrifiée.Lelien,songeaMarcus.Jenel’aijamaisvusipuissant.–J’aiunRotordanslapiècedudessus,ditTrimbleensetournantverslui.Sauriez-vouslepiloter?–Moi,oui,lançaWoolf.–Alorsallons-y.Iln’apasbeaucoupd’autonomie,maisildevraitpouvoirvousconduireaumoins

àManhattan.(Elletapauncodesurl’écranleplusproche.)Personnenevoussuivra.–Etvous?s’enquitMarcus.Elleindiquad’unhochementdumentonlesPartialsstatufiés.–Ilsmetueront.–Maisilsnepeuventmêmepasbouger.– J’espérais les commander, mais je ne peux que les retenir momentanément. Je ne suis plus

capablequedecela.Allez,partez,maintenant.–EtVinci?demandaMarcus.Vont-ilsletuer,luiaussi?–Jenepourraipaslesenempêcher.MarcusregardaWoolf,quihochalatête.–Nousallonsl’emmener,décidalecommandant.–Dépêchez-vous,soufflaTrimble.Marcus empoigna sa trousse de secours et se dirigea vers un escalier, dans un coin de la salle.

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WoolfetGalensoulevèrentVinci,dontlecorpsétaitraidecommeuneplanche,etleportèrentpourgravirlesmarches.Marcuss’arrêtaausommet.–Merci.–SivoustrouvezNandita,soufflaTrimbleàmi-voix,dites-lui…quej’aiessayé.–Nousn’ymanqueronspas.Franchissant une porte, il entra dans un petit hangar et attendit queWoolf etGalen apparaissent

avecVincipour refermerderrièreeux.LeRotorétaitpetit,maissemblaitpouvoiremporterquatrepersonnesàconditionqu’ellesseserrentunpeu.Vinci,pendantqu’ilstâchaientdel’installer,devintsoudaintoutmou,cherchadel’airetcroassaunesupplique.–Ilfautqu’onyretourne.Unchœurdevoixs’élevaitderrièreeux,signequelesautresPartialsaussiétaientlibérés.–Ilfautallerl’aider,ilssontentrainde…Descoupsdefeuéclatèrentderrièrelaporte,etVincibaissabrutalementlatête.–Tant pis, oubliez,murmura-t-il.Ouvrez les fenêtres et répandez les données. Faisons savoir à

tousqu’ungénéralesttombé.

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CHAPITRE35

Toutencheminant,Kiragardaitunœilsurlecielpourguetterlapluie,etl’autresurlarouteetleschampsautourd’eux.Enthéorie,ilsn’auraientjamaisdûs’éloignerd’unabridanscedéserttoxique;maisdanslesgrandesplainesduMidwest,ilsétaientsouventloindetout.La première averse d’acide leur avait coûté encore un cheval.Mais non, se répéta Kira, nous

n’avonspasperduBuddysousl’averse,nousl’avonsperdudanslamaison…lamaisondanslaquelleje l’avais amené. Les folles ruades des bêtes, qui avaient tout saccagé de leurs sabots pendant quel’acide leur brûlait les chairs, avaient détruit la pièce et tout ce qu’elle contenait.Le temps qu’elleparvienneàlesrinceretàlescalmer,Buddyavaitpris tropdecoups, tropfort ; ilavaitunejambeantérieurecassée,deuxcôtesbriséesetlamâchoirebroyée.C’étaitKiraelle-mêmequiavaitmisfinàses souffrances. Je n’aurais rien pu faire d’autre, se dit-elle pour la centième fois. C’était soitl’ameneràl’intérieur,soitlelaissermourirbrûléparl’acide,etjen’allaistoutdemêmepasluifaireça. Cela n’apaisait pas sa conscience,mais elle tenta quandmême d’oublier. Sans compter que cen’étaitmêmepaslepiredesessoucis.KiraetHeronavaienttouteslesdeuxdesbrûlures,bienquelescloquessesoienttransforméesen

simplesrougeursauboutdequelquesjours.Sammétaitbienplusmalenpoint.IlavaitétéquasimentaveuglependanttroisjoursavantquelarégénérationaccéléréedesPartialsnepermetteàsescornéesdeseréparer.Afa,leseulhumaindugroupe,étaitceluiquiavaitleplussouffert:ilavaitsurvécuauquartd’heureépouvantablequ’ilavaitpasséattachésursonchevaldéchaîné,maispendantcetemps,sondos, sesbras et ses jambes avaient été atrocement rongéspar l’acide, et sesyeux, encoreplusbrûlésqueceuxdeSamm,nemontraientaucunsignedecicatrisation.Kiras’arrêtaitdanschacunedesagglomérationsqu’ilstraversaientpourchercherdespommadesetdesantalgiques,maislaplupartdutemps ils legardaientdroguéet attaché sur ledosdeZarbi et tâchaientd’alléger aumaximumsessouffrances. Ils ignoraient ce qu’ils trouveraient dans le complexe ParaGen deDenver,maisKiraespéraitqu’ilyaurait là-bas,aumoins,unabricorrectetunecliniquequ’ilspourraientpiller.Afaméritaitmieuxquelepeuqu’ilsluidonnaientenroute.L’autoroute34leurfit traverser l’Iowa,unvasteetplatdamierd’exploitationsagricolesdont les

limitesn’étaientplusmarquéesquepardesclôturesblanchiesetdesarbresmaladifsetjaunâtres.Leventempoisonnésoufflaitrégulièrementdusud,interrompudetempsentempsparuneaverseacideou, encore plus terrifiant, par d’énormes tornades de poussière, noires, qui traversaient les terrescommedesvolsdecriquets, cachant le soleil et arrachant lesdernières feuillesdes raresbuissonsassez robustespour avoirpuisé leur forcedans le sol toxique.Kira avaitd’abordessayéd’utiliserleurpurificateurd’eauaveclesruisseauxjaunesethuileuxquitraversaientlepaysicietlà,maisilsabandonnèrent quand le filtre lui-même commença à être rongé par les produits chimiques. Ilspréférèrent alors retourner toutes les épiceries et tous les centres commerciaux qu’ils virent à larecherched’eauenbouteilles,enchargeantlepluspossiblesurleurdosetutilisantBobo,désormaisleurseulchevalavecZarbi,pourporterlesdernièresaffairesquileurrestaient.Lefourrageproprepourleschevauxétaitencoreplusdifficileàdénicher,etKirasevoyaitforcéedepasserdeplusenplusdetemps,pendantleurshaltes,àlesempêcherdebrouterlesherbestoxiquesquidépassaientdelapoussière.Leursbonsvêtementsdevoyageétantrestésenuntasfumantsurlesoldelapremièreferme, ils avaient revêtu les hardesde la famille des fermiers.Celles-ci étaient tropgrandes,mais

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Kiradisaitenplaisantantqu’aumoins,maintenant,ilsétaientcorrectementvêtuspourlarégionruralequ’ilstraversaient.Illuisemblaitquec’étaitlegenredeblaguequeMarcusauraitfaite.Lorsque la rivièreMissouri apparut devant eux,marquant une frontière large et traîtresse entre

l’IowaetleNebraska,Herongémit.–Sijenerevoisplusuneseulerivièredemonvivant,ceseraencoretroptôt.–D’unpointdevue linguistique,çan’aaucunsens,fit remarquerSamm,maisKira luicoupala

parole.–C’estuneexpression,dit-elleencontemplantfixementlecoursd’eau.(Ellesoupira.)Etpourcette

fois,jesuisd’accord.LeMissouriétaitépaisetputride,avecdeseauxglauquesstriéesdejauneetderose.Ildégageait

uneodeurdedétergentbrûlé,etl’airauxalentoursavaitunesaveurétrangementmétallique.–Cecoursd’eaun’estpasaussi largeque ledernier,mais jen’aipas tropenviedeprendredes

risques,nonplus.Oùestlepontleplusproche?–Jecherche,ditSamm.Ilavaittrouvéunenouvellecartedansunelibrairie,pourremplacercellequ’ilsavaientperdueen

traversantleMississippi,etilladépliaitsoigneusementencemomentmême.Kiraflattal’encoluredeBobo, l’apaisant d’une voix douce, puis se rapprocha deZarbi et d’Afa.Le gros hommedormait,oscillantenéquilibreprécairedansleharnaisqu’ilsavaientbricolépourl’attacheràlaselle.Iln’étaitpasencoretombé,maisKiravérifiaquandmêmelessanglestoutenparlantdoucementàAfa.–Vousvoulezallerverslenordouverslesud?demandaSammenscrutantsacarteroutière.Ilya

unpointdetraverséeaunord,àOmaha,etunautreausud,àNebraskaCity,etnoussommesàpeuprèsàmi-cheminentrelesdeux.–Omaha,c’estplusgrand,ditHeron.Ilyaplusdechancespourquelespontsaienttenu.–Mais cela nous détourne du but, objectaKira tout en vérifiant le bandage de la jambe encore

casséed’Afa.Ilfautquenousquittionslaplaineleplusvitepossible,sansquoiAfamourra.Detoutemanière,nousdevronsobliquervers le sudàunmomentouàunautre, alors je suispour le fairemaintenant.–Sinousn’avonspasletempsdefaireundétour,ditHeron,nousauronsencoremoinsletempsde

remonterverslenordunefoisquenousauronstrouvélepontdeNebraskaCityaufonddel’eau.Ilvautmieuxjouerlasécurité.–Prendreverslenordnousobligeàtraverserunedeuxièmerivière,intervintSamm,quiétudiait

toujourslacarte.LaPlattesejettedansleMissouriàquelqueskilomètresaunordd’ici,etsionvaàOmaha,ilfaudrafranchirlesdeux.–Bon,verslesud,alors,concédaHeron.Ladeuxièmerivièrepeutallersefairevoir.–Tout à fait d’accord, conclut Sammen repliant la carte.NebraskaCitym’a l’air quandmême

assez grand, et s’il n’y a plus de ponts, on pourra pousser jusqu’àKansas City. Les ponts étaienténormes,là-bas.Sûrement.–Saufsiquelqu’unlesafaitsauterpendantlaguerredesPartials,ditKira.Ellepassa lesmainsdanssescheveux–quiétaientgras,aprèsdessemainesdevoyagesanseau

clairepourleslaver.Elleétaittropépuiséepourréfléchir.–J’espèrejustequelapollutionnevapasempirerverslesud.

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LepontdeNebraskaCity,heureusement,étaittoujourslà,etKiradituneprièrederemerciementsilencieusependantqu’ilsletraversaient.Unesortededigue,légèrementenaval,avaitramassétouslesdébris,sibienquelarivièreavaitenflésouslepontjusqu’àformerunpetitlacquiempestaitlesproduitschimiquesetsurlequelflottaitunecouchedemoussestagnante.Leseulfaitderespirerl’airau-dessus faisaitmal auxbronches, etKiranouaunechemise sur sabouche–et sur celled’Afa–pourtâcherdelefiltrerunpeu.Àlamoitiédupont,ilssetrouvèrentcoincésparunamasdevoituresencastréesdetellemanièrequ’ellescoupaientcomplètementlaroute.KiraetSammlespoussèrentdetoutesleursforcespendantqueHeronpartaitdevantenéclaireuse,etletempsqu’ilsaientdégagéunpassageassezlargepourleschevaux,laPartialétaitderetour,rapportantquecertainesportionsdupont étaient instables, rongées par la rivière ou par la pluie au point que des morceaux avaientcommencéàs’endétacher.Ilsavancèrentaveclaplusgrandeprudence,enretenantleursouffle;àunmoment,Kiraputmêmeregarderparlesfissuresentresespiedsetvoirleseauxmulticoloresglisserlentement, iridescentes sous le pâle soleil. Elle retenait les rênes de Zarbi d’une poigne ferme,espérantqu’iln’yauraitplusdetrouscommeceux-là.Ilsatteignirentl’autreriveauboutd’unedemi-heure,etsilaterren’avaitpasététoxique,Kiral’auraitembrassée.Ilsn’auraientpasimaginéquecesoitpossible,etpourtant:lepaysageàl’ouestdelarivièreétait

encore plusmonotone qu’à l’est. Ils suivirent la carte pour rejoindre la route 80 au niveau d’unebourgadeappeléeLincoln,etavancèrentrapidementsuruneportiond’autoroutetellementrectilignequ’ellenedéviapasdeplusdedeuxcentimètresenplusieursjours.IlsrejoignirentlarivièrePlattemais n’eurent pas à la traverser, et lorsque la route s’incurva vers le nord ils la quittèrent etplongèrentverslesud,pourfinirparretrouverlaroute34surlesbergesdelarivièreRepublican.Ilscontinuèrent de cheminer entre ces deux cours d’eau, avançant dans un large corridor de champsdécolorésetdevillesoxydées.Pendantlajournée,lesoleilrôtissaitlessubstancestoxiquessurlesoletunefuméeâcres’élevaitenfinesvolutes,commedesspectresflottantsurlesprés.Lanuit,lepaysétaitplongédansunsilencelugubre,dénuédecriquets,d’oiseauxetdeloupshurlants.Ilnerestaitquelevent,quisoufflaitsurlesherbeslividesetsoupiraitàtraverslesfenêtresbriséesdesmaisonsdanslesquelles ils campaient.Kira guettait la pluie sans relâche, en pensant àBuddy et au visage enfléd’Afa.Cedernierpassaitdésormais l’essentieldeses joursendormi,avecousanssédatifs,etKiraétait

plussoucieusequejamais.Sajambecasséerefusaitdecicatriser,commesitouteslesforcesdesoncorpsétaientoccupéesparunautreobjectif.DansunevilledunomdeBenkelman,lajeunefilleusapresquetouteleureauàlelaver,delatêteauxpieds,nettoyantsescheveuxetlesplaiesduesàl’acideavant de lui faire une énorme injection d’antibiotiques ; elle ignorait si cela aurait un effetquelconque, car les plaies de surface, à tout le moins, ne semblaient pas infectées, mais de toutemanièreellenevoyaitpasquoifaired’autre.Àl’hôpitald’EastMeadow,elleauraiteudavantagedechoix,maisdansunbâtimentdefermecroulantaumilieudenullepart,iln’yavaitplusqu’àespérer.Elle le banda serré et l’emmitoufla dans des couvertures, et le lendemain ils le rattachèrent sur sasellepourrepartirendirectionducouchant,quittantlaroute–quitraversaitlarivière,saufqu’iln’yavaitplusdepont–pourchevaucheràtraverschamps.IlsfranchirentunpatelinnomméParks,uneagglomération plus grande nomméeWray, après quoi la rivière se réduisit à rien et les champss’étirèrentdanslenéantdetouscôtés,commesilemondeétaitcomplètementàcourtdepaysageetqu’ilnerestaitquelaterrenueetleciel,deslimbesperdusremplisd’unnéantimmuable.Afamourutquelquesjoursplustard,alorsquelesvoyageursétaientencoreperdusdanslafriche

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jaunepâle.Ilsl’inhumèrentdansuneterrequidégageaituneodeurdebatteriecrevée,ets’accroupirentdans

unabrienfibredeverrependantquelapluieacides’abattaitpourdissoudresachairetblanchirsesos.–Qu’est-cequ’onfaitlà,bonsang?demandaHeron.Sammrelevalatêteverselle;Kira,tropépuiséepourbouger,reposaitdansuncoin,lesyeuxclos.–Onsauvedesgens,réponditSamm.–Etquidonc?fitHeron.Kiralevalesyeux,latêtemollesursoncou,tremblanteetmalcoordonnéeaprèscessemainesde

malnutrition,defatigueextrêmeetdepeur.–Avons-noussauvéquiquecesoit?Jusqu’ici,nousavons tuéunhomme.Etdeuxchevaux.Afa

avaitréussiàsurvivredouzeansparsespropresmoyens,complètementseul,dansundeslieuxlesplusdangereuxdumonde,etmaintenantilestmort.(Ellecrachaparterreets’essuyalabouchesursamanche.)Voyonsleschosesenface:c’estunéchecsurtoutelaligne.Sammscrutadanslapénombresacarteauxplisusés,quitombaitenpièces.Lapluieempoisonnée

tambourinaitsurlafibredeverre,au-dessusdeleurstêtes.–NoussommesarrivésdansleColorado,dit-il.Nousysommesdepuisplusieursjours.Jenesais

pas où exactement, mais en me fondant sur notre vitesse de déplacement, je dirais que noussommes…ici.Ilindiquaunpointsurlacarte,éloignédetouterouteetdetouteville.–Youpi,lâchaHeronsansmêmeregarder.J’aitoujoursrêvéd’yaller.–Heronestfatiguée,ditKira.Elle-mêmeétaitauborddeslarmes,broyéeparlamortd’Afa.Maisellenepouvaitpasabandonner

maintenant.Elles’assitpourprendrelacarteàSamm.Cesimpleeffortfittremblersamain.–Nous sommes touscrevés,dit-elle.Nous sommespar essencedes super-soldatsparfaits, créés

pourtenirdanslesconditionslesplusdures,etnouspouvonsàpeinebouger.Ilnousfautpréservernosforcessinousvoulonsarriverjusqu’àDenver.–Tuplaisantes?s’offusquaHeron.Tunecomptespast’acharnerdanscettemissionabsurde,quand

même?Samm!Tulesais,toi,qu’ilesttempsdefairecequ’onauraitdûfaireilyadessemaines.Demi-tour.–Sijenemetrompepas,répondit-il,noussommesàpeineàunejournéedetrajetdeDenver.Nous

pourrionsyêtredemain.–Etpourfairequoi?Trouverencoreunbâtimentenruine?Risquernosviesàfairedémarrerun

générateur?Noustaperlatêtecontrel’ordinateurparcequetoutcequenousvoulonslireestbloquépardespare-feu,descryptages,desmotsdepasseetjenesaisquelsdispositifsdesécurité?Afaétaitleseulàsavoircontourner toutça ; sans lui,nousnesavonsmêmepascommentnaviguerdans lesystèmedeclassement.–Onesttropprèsdubutpourrenoncermaintenant.–Onn’estprèsderiendutout.Onvayaller,etonnetrouverarien,etcevoyageentierauraétéune

pertedetempspourtoutlemonde.OnneguérirapasleRM,onnerésoudrapasleproblèmedeladated’expiration,onneferaquecreverdansunefricheperdue.Ellebonditsursespieds.–Jenevaismêmepasledire,ajouta-t-elle.

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–Direquoi?s’emportaKira.«Jevousl’avaisbiendit?»«Onauraitdûfairedemi-touraprèsChicago?»«Onn’auraitjamaisdûquitterNewYork?»–Choisis,çam’estégal.Kiraselevaavecdifficulté,essouffléeparl’effort.–Tutetrompes.Onestvenusiciavecunetâcheàaccomplir.Sionrenonce,Afaseramortpour

rien.Commenoustous.Etlaplanèteentièrepériraavecnous.–Allons,ditSamm.Maislesfillesnel’écoutaientpas.HeronfutsurKiraavantmêmequecelle-ciaitcomprisqu’elle

bougeait,etsonpoings’écrasacommeunmarteaudeforgerondanslementondelajeunefille.Kirareculaentitubant,sepréparantdéjààcontre-attaqueralorsquesonespritn’avaitpasencoreaccusélecoup,maisavantqu’elleaitpufairequoiquecesoit,Samms’interposaentreelles.–Çasuffit!Arrêtezçatoutdesuite.–Elleestfolle,crachaHeron.Onauraiteuunechancesionétaitrepartisversl’estaprèsChicago.

On serait allés voir le docteurMorgan, on auraitmêmepu aller trouverTrimble.N’importe quoinousauraitdonnédemeilleureschancesquececi.Qu’est-cequetucherches,hein,Kira?lança-t-ellepar-dessusl’épauledeSamm.Quelesttonbut,aufond?S’agit-ilseulementdesauvernotreespèce?Ouleshumains?Oubientoutecetteexpéditioninsenséedoit-ellejusteteserviràcomprendrecequetupeuxbienêtre?Espècedepetitegarceégoïste.Kiran’enrevenaitpas.Ellen’avaitqu’uneenvie:cognerlatêtedeHeronparterre,maisSammse

tenaitfermemententreelles.IlsetournafaceàHerond’unairsolennel,toutenretenantKiradesonbras.–Pourquoinousas-tuaccompagnés?luidemanda-t-il.–Tudisaisquetuluifaisaisconfiance!grognaHeron.Tum’asditdevenir,alorsjesuisvenue.–Depuisquejeteconnais,tunet’esjamaissoumiseàmesordres.Tufaiscequetuveux,quandtu

veux,etsiquelqu’unsemetsurtonchemin,tut’endébarrasses.Tuauraispunousarrêteràn’importequelmoment.Tuauraispumeneutraliser,enleverKira,l’ameneràMorganettoutfaireexactementcommetulevoulais,maiscen’estpascequiestarrivé.Dis-moipourquoi.Heronletoisad’unairfarouche,puissetournaversKira.– Parce que je l’ai sincèrement crue, lâcha-t-elle. Elle parlait d’étudier les archives de ParaGen

pourtrouveruntraitement.Etmoi,commeuneidiote,j’aicruqu’elleétaitsincère.–Maisc’estvrai,jel’étais,protestaKirabienqu’elleaitperdutouteenviedesebattre.Ellesesentaitvidée,aussicreusequel’abridanslequelilssetrouvaient.–Ettoi,crachaHeronenregardantSamm.Jen’enrevienspasquetuprennesencoresadéfense.Je

te croyais plus intelligent que ça… Je croyais pouvoir me fier à toi. Voilà comment je suisrécompenséed’avoircruenquelquechose.Les paroles deHeron étaient de toute évidence destinées à blesser profondément Samm, et cela

brisalecœurdeKiradelesentendre,sachantl’effetqu’ellesdevaientavoirsurlui.Maiss’ilenfutaffecté,ilnelemontrapas.Aulieudecela,illevaunemainpourlafairetaireetpivotafaceàKira,lesyeuxassombrisparlafatigue.–Tuviensdedirequetuétaissincère.Est-cequetupensestoujourspouvoirréussir?Kira,encoresouslechocdesaccusationsdeHeron,sesentitplusépuiséequejamaisencherchant

quoirépondre.Était-ellevraimententraindefairecela–deleurfairetraversercetenfer,affamantsesamis, torturant leschevauxet tuantAfa–uniquementpourdesraisonségoïstes?Ellenesavait

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plusquoidire,etilsrestèrentfigés,dansunsilencetendu,pendantuneéternité.–Desintentions,c’esttoutcequimereste,finit-ellepardéclarer.Nousallonsnousrendrelà-bas,et

quoiquenoustrouvions,ceseratoujoursplusquecequenousavonsmaintenant.Aumoins,ilyaunechance.Aumoins…Elleétaitàcourtdemots.–Tuescomplètementcinglée,conclutHeron.Mais elle se tut lorsqueKira se laissamollement tomberassise.Ses jambesne laportaientplus.

Elles’allongeaparterreetregrettadeneplusavoirdelarmes.

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CHAPITRE36

HaruSatosefaufiladansledédaledetunnelsquis’étendaitsousl’aéroportJFK,restantàdistancedesautressoldatsquandillepouvaitetleuradressantunvaguesignedetêtelorsquel’étroitessedescorridors l’y obligeait. Il gardait son vieux chapeau tiré bas sur son front, évitant de croiser lesregards,enespérantquepersonneneluiparleraitnineluidemanderaitoùilallaitcommeça.Siondécouvraitqu’ilavaitfuisonunité,ilseraitarrêté,voirepire.L’époqueétaitmalchoisiepourfairepreuved’indiscipline.LebureaudeM.Mkeleétaitdesserviparunlongcouloir.C’étaitapparemmentunancienlocalde

courrier,àprésentreconvertipourdevenirlederniercentrenerveuxdelacivilisationhumaineauxabois.LesforcesdeMorganavaientconquisEastMeadowetemprisonnétousleshumainsqu’ellesavaienttrouvéssurl’île;d’iciquelquesjours,elless’enprendraientàcettecachetteetc’enseraitfinide l’humanité. Son règne en tant qu’espèce dominante touchait à sa fin. Et le peu de résistancepitoyablequeleshommespouvaientopposeràcelaétaitgérédepuiscebureaumoribond.Ouplutôt,pensaHaru,depuiscebureauetlecampdebaseambulantdeDelarosa.EtDelarosaest

plusdangereusequenousnel’avonsjamaisimaginé.Un soldat montait seul la garde devant la porte fermée, en uniforme sale et chiffonné. L’heure

n’était plus aux finasseries. Haru jeta un regard rapide vers les deux extrémités du corridor, etconstataqu’ilétaitrelativementdésert.Lesdernierssoldatsdeleurcampsetrouvaientpresquetousenhaut, en position de défense, ou à l’extérieur, en train d’attaquer les flancs de Morgan. Pour lemoment, Haru et le garde étaient seuls. Haru observa une fois de plus les environs, affirma sarésolution,ets’approchadusoldat.–M.Mkeleestoccupé,luiannonçacedernier.–Laissez-moivousposerunequestion,ditHaruens’arrêtanttoutprèsdelui.Àladernièreseconde,ilpivotaversladroiteetlevalebras,commepourdésignerquelquechose.

Aumomentoùlegardetournaitlatête,Haruluienfonçasongenoudansleventretoutenrabattantsonbrasgauchederrière luipour saisir le fusil suspenduà sonépaule.Le jeunehommevoulut lerattraper, toujours plié en deux et trop stupéfait pour respirer,maisHaru le fit prestement pivoterpour lui assener un nouveau coupde genou, cette fois en plein visage.L’homme s’effondra.Haruouvritlaporte,poussalegardeinconscientàl’intérieuretentraàsasuite.Mkelebonditsursespieds,maisHaruavaitdéjàrefermé.–N’appelezpas,dit-il.Jenevousveuxaucunmal.–Àmongarde,parcontre…–J’aidésertéhiersoir,expliquaHaru.Jenepouvaispasprendrelerisquequ’ildonnel’alerte.(Il

étenditl’hommeavecdouceurdansuncoin.)Accordez-moicinqminutes.LebureaudeMkeleétaitemplidedocuments–pasencombré,commeceluidequelqu’unquine

saitrienjeter,maispleinàcraqueret,apparemment,organiséavecunegrandeefficacité.Cethommeutilisait son bureau non pour le spectacle ou pour accumuler des papiers, mais pour y passer delonguesheuresd’étude.MkeleavaitunecartedeLongIslandétaléedevantluisursatabledetravail,surlaquelleétaientindiquéslessitesd’attaquesPartials,descontre-attaquesdelaDéfenseet–Haruneput s’empêcher de le remarquer – de quelques-unes de ses activités supposément secrètes avec

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Delarosaetsescombattantsclandestins.Jesupposequejenesuispasaussidiscretquejelecroyais.Peut-êtrequ’ilsaitdéjà.Non.S’ilsavaitcequeprépareDelarosa,ilneseraitcertainementpasaussicalme.–Vousêtesvenupourvousrendre,ditMkele.–Si vousvoulezvoir les choses ainsi. Jeviens livrer des renseignements ; et si certainsde ces

renseignementssontàmondésavantage,jesuisprêtàenassumerlesconséquences.–Çadoitêtretrèsimportant.–Quefaisiez-vousavant?demandaHaru.AvantleRavage?Mkeleledévisageauninstant,commepourdéciderdesaréponse,puisindiqualacartedéployée

devantlui.–Ceci.–Durenseignement?–Delacartographie,réponditMkeleavecunlégersourire.Danslesillagedel’apocalypse,nous

devonstrouverdenouveauxdomainesd’excellence.Haruhochalatête.–Connaissiez-vouslaDernièreFlotte?J’ignoresonvrainom,j’avaisseptansquandc’estarrivé.

LaflottequiestentréedansleportdeNewYorketquiaétébombardéeetplongéedansunvéritableenferparlesPartials–etdontladisparitionasignélafindelaguerre.–Jesaiscela,ditMkele.Sonvisageétaitcalme:attentifsansparaîtrenerveux.Harupressasonavantage.–Savez-vouspourquoilesPartialsl’ontdétruite?–Nousétionsenguerre.–C’estpourcelaqu’ilsl’ontattaquée,ditHaru.Maissavez-vouspourquoiilsl’ontpilonnéeavec

uneforcetellementécrasantequ’ilsontcoulétouslesbateauxettuétouslesmarinsàbordjusqu’audernier?Ilsn’avaient jamaisrienfaitde telaucoursdetoute laguerre.J’aientendumillefois lesrécitsdesvétéransdesForcesdedéfense,racontantquelesPartials,quis’étaienttoujoursbienplusintéressés à la pacification et à l’occupation, ont soudain décidé d’anéantir une flotte entière. Ilsprétendent que c’était un message, une manière de dire : « Cessez le feu maintenant, ou vous leregretterez.»Celam’avaittoujoursparusensé,c’estpourquoijenel’avaisjamaisremisenquestion.Maishier,j’aiapprislavérité.–Delabouchedequi?–DeMarisol Delarosa. Elle s’étaitmise àme réclamer dumatériel étrange, des choses qui ne

cadraientpasavecsesméthodeshabituelles,sibienquejel’aisuivie.–Quelgenredematériel?–Dumatérieldeplongée.Destorchesàacétylène.Deschosessansaucunrapportlogiqueapparent

entreelles,maisquiontcommencéàpointerversunemêmeidée.– Récupération sous-marine, déduisit Mkele en hochant la tête. Je suppose qu’elle explore la

DernièreFlotte,donc?–LadestructiondelaDernièreFlotten’étaitpasunmessage,ditHaru.Cetteflottetransportaitun

missilenucléaire.LevisagedeMkelesetenditimmédiatement,etHarucontinua.–C’étaitla«solutionfinale»dugouvernementdesÉtats-Unis:lancerunebombenucléairesurle

quartiergénéraldesPartialsàWhitePlainsetbalayer lamajoritéde leursopérateursmilitairesen

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uneseulefrappe,quitteàrayerdelacarteunedeszoneslesplusdensémentpeupléesdetoutlepays.Ilsdevaients’approchertoutprèspourcontournerlessystèmesdedéfenseantimissilesdesPartials;c’étaitunemissionsuicide.Unvieilhommede l’équipedeDelarosaétaitaumônierdans lamarineavantleRavage,etilenaparlé.C’estcequiadonnél’idéeàDelarosa.Illuiaappristoutessortesdechosesunefoisqu’elleacommencéà luiposer lesbonnesquestions.Lemissilese trouvaitsurundestroyerdeclasseArleighBurke–leSullivan.(Harusepenchaenavant.)J’aiessayédevousavertirparradio,maismongroupeaprislepartideDelarosa.Jenepeuxpasl’arrêterseul,c’estpourquoijesuisvenuaussivitequejel’aipu.Sirienneratedansleuropération,ilsaurontlatêtenucléaireenmaind’iciàcesoir.–Dieutout-puissant,ayezpitiédenous,soufflaMkele.

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CHAPITRE37

Ils virent d’abord les montagnes : des pics immenses qui s’élevaient au-dessus des plaines duMidwesttellemurduborddumondedeslégendesantiques.Lescimesétaientblanchesdeneige,bienquel’onsoitenété.Ilsatteignirentpeuaprèslesfaubourgsdelaville:unebourgadeappeléeBennett,décoloréeparlespluiesacides,auxruesteintéesenjaunedesoufreetàlavégétationbrune,sèche,cassante. Les plaines mortes venaient lécher le bord de la ville comme une mer d’herbesempoisonnées,etaucunoiseaun’étaitperchésurlespoutresoulesfilsélectriques.LescitésqueKiraavait connues jusque-là, même énormes comme Chicago et New York, se dressaient tels desmonuments auxmorts dans un cimetière envahi par la végétation,marquant le site des décèsmaiscouvertsdelianes,demousseetdesignesdevienouvelle.Denver,parcontraste,étaitunmausolée,mortetnu.Lesvoyageursavaientréparti leurmatérielsur leschevaux,KiramenantBobotandisqueSamm

tenaitlabridedeZarbi.LajumentsemblaitmorosesansAfaattachésursondos,etKirasedemandasilerégimedelégumesenboîteetdefloconsd’avoineinstantanésauquelétaientsoumiseslesbêtes–laseulenourritureproprequ’ilstrouvaientdanscetteimmensitétoxique–necommençaitpasàleurcoûter.S’ilsavaientperduAfaàChicago,ou l’avaient renvoyé toutseul, ilsauraientpu libérer leschevaux et leur auraient épargné les horreurs de ce voyage, mais les lâcher dans le désertempoisonnéauraitété lecombledelacruauté,etKiranevoulaitpasenentendreparler. IlsavaientperduAfa,maisellesauveraitsonchevalmêmesielledevaitlepayerdesavie.Saufque jesaisquec’est faux, sedit-elle.Sionenarrivait là, jesaisque jesauveraismapeau.

Cetteidéeluidonnaitdesremordsetlarendaitnauséeuse,etelleseforçaàpenseràautrechose.L’agglomération dans laquelle ils étaient entrés semblait encore plus vaste que Chicago. La

banlieuedeBennettsefondit,àl’ouest,danscellenomméeNieveen,puisLawrence,Watkins,WatkinsFarmetainsidesuite:unocéandelotissements,decentrescommerciauxetdeparkings.Unebriselugubre soufflait sur les tas de feuilles sèches et de verre pilé qui s’amassaient contre lesconstructions croulantes. Heron était partie en éclaireuse loin devant, plus par habitude que parnécessité,revenantverseuxà intervallesrégulierspourrapporterqu’ilsapprochaientd’abordd’unaéroport,puisd’unautre,puisd’unterraindegolf.Iln’yavaitriendeparticulieràraconter;rienàvoir hormis les squelettes blanchis et les cadres métalliques oxydés des millions de personnes etd’édificesanéantisparleRavage.Sammavaittrouvéuneautrecarteroutièredansunestation-servicedéglinguéeetl’avaitdépliéesurlecapotd’unevoiturevide.Lesroutess’entremêlaientsurlapage,semblablesàunréseaudeterminaisonsnerveuses.–D’aprèslesarchivesd’Afa,ditKira,lecomplexeParaGensetrouvaitici,aupieddesmontagnes.

(Elle désigna une zone, à l’extrémité ouest de la ville, dont elle lut le nom sur la carte :Arvada.)Réserve naturelle de Rocky Flats. Pourquoi aurait-on bâti des installations industrielles dans uneréservenaturelle?Sammidentifialeurpositionactuelleetmesuraladistance.–C’estàsoixante-quinzekilomètresd’ici.C’estfou!Quelletaillefaitdonccetteville?–Soixante-quinzekilomètresdelarge,ditHeron.Onvalatraverseràpiedd’unboutàl’autre.Elle

faitaumoinsledoubledansl’axenord-sud,alorsréjouissons-nousd’êtrearrivésparl’est.

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Kiraregardalecielpourestimerlapositiondusoleil.–Ilestdéjà…3heuresdel’après-midi?3heuresetdemie?Nousn’allonspasparcourirsoixante-

quinzekilomètresd’iciàcesoir.–Nimêmed’iciàdemainsoir,sileschevauxneseréveillentpasunpeu,renchéritHeron.Jevous

disqu’ilvaudraitmieuxlesabandonneretavancer.–Pasquestiondelesabandonner,protestaKira.–TesremordsneferontpasrevenirAfa,tusais.–Et ton indifférence ne raccourcira pas les distances, trancha Samm en repliant la carte.Allez,

marchons.Kira avait vaguement espéré que le paysage serait moins toxique ici, peut-être protégé par les

montagnes, les immeubles ou quelque particularité hydrologique, mais la ville se révéla plusdangereusequelesterressauvagesprécédemmenttraversées.Desfuitesd’acides’amassaientdanslesnids-de-poule et les creux de la route, formant des lacs caustiques là où les grilles d’évacuationétaient tropbouchéespar lesordurespourdrainer cetteboue.Les remorquesde camionsouvertesauxquatreventsavaientformédessalinesminiatures,distillantlapluiepourconcentrerlesparticulesempoisonnéesenuncyclesansfin,jusqu’àseremplirdemassescristallinesquisedressaientdansleventetbrûlaientlesyeuxetlagorgedesvoyageurs;ilss’enroulèrentlevisagedansdesvêtementsennelaissantqu’unefentepourlesyeux, toujoursattentifsaudanger.Certainsdesproduitschimiquesqui saturaient la ville étaient inflammables : des feux se consumaient ici et là sur le passage desvoyageurs,parfoisrallumésparlachaleur,etdiffusantlepoisondansl’airviauncourantsansfindefuméeetdecendres.Ils firent halte pour la nuit dans les ruines d’un hôtel de luxe ; la riche moquette verte de la

réception était décolorée dans les coins et couverte de poussière apportée par le vent. Ils firentfranchir aux chevaux une large double porte etmontèrent leur camp dans l’ancien restaurant cinqétoiles de l’établissement, en scellant bien les issues pour éviter le plus possible le vent toxique.Sammconstruisitauxchevauxunenclosenvieilles tablesd’acajou,et ils lesnourrirentgrâceàunénormestockdecompotedepommesqu’ils trouvèrentà lacuisine.Kiramangeadu thonenboîte,qu’ellemélangeaàdubouillondebœufpourenmasquerlegoût;siellenerevoyaitjamaisuneboîtedethondesavie,elles’estimeraitheureuse.Ilsneprirentpaslapeined’établirdestoursdegarde,ets’écroulèrentsurl’épaissemoquettesansmêmeétalerleurstapisdesol.En se levant le lendemain matin, Kira s’aperçut que Heron était déjà partie, sans doute en

éclaireuse,àmoinsqu’ellenelesaitcomplètementabandonnés.Ellesnes’étaientplusbeaucoupparléaprèsleurdispute,etsiHeronavaitparuserésigneràlesaccompagnerjusqu’àDenver,ellen’avaitplusétélamêmedepuis.Sammfouillaitlesréservesempiléeslelongdumurdelacuisine,àlarecherchedetoutcequ’ils

pourraientemporter.–Laplupartdesconservesonttourné,dit-ilenjetantversKirauneboîtedesaucetomateenflée.De

toutemanière,leshôtels,c’esttoujoursnul:ilsutilisaienttropdeproduitsfrais,etquandilsontdesboîtes,cesontdesformatsénormespourcollectivités.Kiraindiquad’uncoupdementonlebidondevingtlitresdesaucetomateposésurlatableàcôté

delui.–Ahbon,tun’aspasenviedetraînerçasurcinquantebornesaujourd’hui?

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–Ehnon,siincroyablequeçaparaisse.Ils’interrompitdanssontravailpoursetournerverselle.–JesuisdésolépourAfa.–Moiaussi.–Non,cequejeveuxdire,c’estquejesuisdésoléd’avoirétési…prétentieux.Audébut.–Tun’asjamaisétéprétentieux.–Arrogant,alors,situpréfères.LasociétédesPartialsesttellementhiérarchisée…Noussavons

toujoursàquirendredescomptesetquidoitnousenrendre,quiestau-dessusdenousetquiestendessous.Jenel’aipastraitéenégalparceque…jesupposequejenesuispashabituéauconcept.Kiraeutunrirecreuxetselaissatombersurunechaise.–D’accord,c’estvraiqueçasonneunpeuprétentieux!–Tunemefacilitespaslatâchepourm’excuser.–Jesais,ditKiraenbaissantlatête.Jesais,etj’ensuisnavrée,etjenelevoulaispas.Tut’esrendu

plusqu’utile,etAfan’étaitpasfranchementlapersonnelaplusfacileàprendreausérieux.–Cequiestfaitestfait,conclutSamm,quiseremitàchercherdesprovisions.Kira le regarda s’activer, pas seulement parce que c’était intéressant mais aussi parce qu’elle

n’avaitpasenviededétournerlatête.–Tucroisqu’onvatrouvercequ’oncherche?demanda-t-elle.Sammcontinuadetraquerlesboîtesdeconserveutilisables.–NemedispasquetucommencesàécoutercequeraconteHeron.– Avant, je pensais qu’il devait y avoir un plan. Que même si j’ignorais comment le RM,

l’expirationettoutças’articulaientensemble,ilslefaisaientd’unemanièreoud’uneautre.Maiss’ilyavraimenteuunplan,jenepeuxpasm’empêcherdepenserqu’ilaratéilyabienlongtemps.Sammposalesboîtesetallalarejoindre.–Ne dis pas ça.On n’en saura rien tant qu’on ne sera pas chez ParaGen. Inutile de douter dès

maintenant.Pourinfo,moi,jen’aijamaisdouté.Kirasourit,endépitde tout.ElleavaitcommencéàsedemandersiHeronn’avaitpas raison,en

effet:était-ellemotivéeparl’envied’apprendresitoutesonexistenceétaitissued’unaccident,d’unplandiaboliqueoud’unmensonge,plutôtqueparledésirdesauverlesdeuxpeuples?Etpourtant,Sammluiconservaittoutesaconfiance.Ellenesavaitplusquoidire.Iltenditunemainverssajoue.Unbruitrésonnaducôtédelaréception,etSammeutsonarmeenmainavantmêmequeKirase

rendecomptequ’illaportaitsurlui.Ill’abaissaaussitôt,toutefois,quandHeronapparut.Elles’arrêtauninstantsurleseuilenlesvoyantensemble.Maisuninstantseulement.–Rassemblezvosaffaires,dit-elle.Onsetiretoutdesuite.Sammlaregardaensilence,puisselevaprestementpouracheverd’emballerlesprovisions.Kira

suivitHerondanslagrandesalledurestaurant,oùellesemitàsellerZarbi.–Tuasvuquelquechose?luidemanda-t-elle.HeronserrafermementlasangleduchevaletpassaàBobo.–Duvert.–Commentça,«duvert»?–Lacouleur.Tuenasdéjàvu,jesuppose?–Tuasvuduvert?Tuveuxdire,delaverdure?

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Heronacquiesça,etKiraenrestaabasourdie.–Tuesalléeloin?–Vingtétages,ditHeronenterminantdesellerlecheval.Tuvasm’aider,ouquoi?–Biensûr,soufflaKiraquiallacherchersontapisdesoletrassemblasesmaigresaffairesaussi

vite que possible.Continue juste d’expliquer, que je n’aie pas àm’arrêter toutes les cinq secondespourteposerdesquestions.–Ceciestundesplushautsimmeublesdesenvirons.Donc,aulieudepartirdanslaville,jesuis

montéeausommet,histoiredevoircequejepourraisdécouvrir.Ehbien,j’aivuduvert–desarbres,de l’herbe, tout – dans la directiondeRockyFlats.Unepetite tachedeverdurenichée aupieddesmontagnes.–JustementlàoùParaGenestcensésetrouver?demandaalorsSamm.– Jene sauraisdire, avouaHeronenhissant sonpaquetage sur sondos.Mais je suis àpeuprès

certained’avoirvudelafuméelà-bas,aussi.–Ilyadelafuméepartout,commentaKira.Lamoitiédelavilleestenfeu.–Cesontdesfeuxchimiques.Celui-làressemblaitétonnammentàunfeudecamp.C’estpourquoi

jeveuxêtresûred’arriveravantlanuit:s’ilyadesgenslà-bas,ilsnoustrouverontavantquenousnelestrouvions,etcelapourraitêtreunproblème.Vouspouvezessayerdetenirmonrythme,maisjenevaispasvousattendre.Surcesmots,elleempoignasonfusiletsortitd’unpasvifdanslaville.KiraregardaSamm.–Desgens?–Jenesaispas.–Ehbienallonsvoir.Ils achevèrent fiévreusement leurs préparatifs, grimaçant lorsque leurs muscles raides et

courbaturésprotestaient,ets’enallèrentdanslesrues.Ilavaitplupendantlanuit,etlacitén’enétaitqueplusdangereuse:desfiletsd’eauacidedégoulinaientdestoits,etdesplantestordues,inconnues,s’étaientépanouies tellesdes tumeursdans les fentesde l’asphalte,absorbant lepoisoncommedesépongesetinfligeantdesbrûlurescruellesauxjambesquileseffleuraient.Ilscalèrentleurroutesurlemeilleurpointderepèrequ’ilstrouvèrent:unehautetoursombrequi

semblait s’élever plus ou moins dans la bonne direction. À mesure que la journée avançait, ilscommencèrentàsoupçonner legratte-cielenquestiond’être justement l’immeubleParaGen:nichésolitaire au pied des montagnes, il paraissait leur faire signe. Samm et Kira se hâtèrent le pluspossible,poussantleursmonturesau-delàdeleurslimites,maislorsquelanuitretomba,ilsn’étaientencorequ’à lapériphéried’Arvada.Lacité,àcetendroit,étaitaussi rongéed’acideetdésoléequepartoutailleurs.–Onnepeutpass’arrêtermaintenant,ditKira.Onyestpresque!Elledésignalatournoireetlesmontagnesau-delà,siprochesqu’ellessemblaientlestoiser.–Jenepeuxpasm’installerpour lanuitensachantquecequ’ona tantcherchéestdevantnous,

sousnotrenez,ajouta-t-elle.Ilfautcontinuer.–Onn’yvoitrien,objectaSammenindiquantvaguementlesinnombrableslampadaires, inutiles

dans un monde privé d’électricité. Il fait noir, les chevaux sont à bout de forces, et ces nuagesannoncentdelapluie.Kiragrondadefrustrationetserralespoingsenseretournant,cherchantn’importequoiquipuisse

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résoudresonproblème.EllerepéraunesupéretteettraînaBobodanscettedirection.–Tiens,regarde.Onvalaisserleschevauxicietpartiràpied.Ilsretirèrentlessellesdansunesallederepossituéeaufonddumagasin,remplirentunbaqueten

plastiquedetoutel’eauenbouteillequ’ilsdégotèrent,etrefermèrentlaportepourempêcherlesbêtesdesesauver.Kiravidaaussipresquetoutsonpaquetagepourn’emporterquel’essentiel :de l’eau,unebâcheépaisseafindeseprotéger,etl’ordinateurportableprivéd’énergie,quirenfermaittouteslesdonnéesprélevéesàChicago.Horsdequestiondes’enséparer.Sammpritsonfusiletplusieurschargeurspleins,etKiracompritqu’elledevaitfairedemême.Enfinprêts, ilsseglissèrentdanslanuit.Lecielsedégageait,etlalueurdesétoilesrendaitlacitéplusblafardeetlividequejamais.Arvada était moins industriel que la plupart des quartiers qu’ils avaient traversés, et offrait un

spectacle encore plus déprimant sous les retombées toxiques : au lieu de bâtiments délabrés, ilstraversèrentdesparcsdesséchésetpoussiéreux,desruesrésidentiellespleinesdemaisonspenchéesetd’arbresrabougris,malformés.Sammsemblaitplusinquietqu’impatient,maissonhumeurchangealorsqu’ilstombèrentsurunvastelacd’eaufraîche–passeulementdoucemaislittéralementfraîche,complètement exempte de poisons et de produits chimiques.Une brise soufflait desmontagnes, etKiraflairadel’airproprepourlapremièrefoisdepuisdessemaines:uneodeurdefeuillesvertes,defruitsfraiset…Oui,songea-t-elle,commeunfumetdepainsortantdufour.Quesepasse-t-il,parici?Au-delàdulacpoussaitdelaverdure–ilsn’envoyaientrien,maisilslereniflaientdansl’airetle

percevaientaumoelleuxdusolsousleurspas.Contretoutelogique,ilyavaitaupieddesmontagnesune tache d’herbe saine, qui commençait à la clôturemarquant les limites de la réserve deRockyFlats.Kirafronçalessourcilsets’approchaprudemmentdecetteclôture.Sirouilléeetdélabréesoit-elle,lanaturequ’ellerenfermaitétaitricheetverdoyante,celasesentaitmêmedanslenoir.Uneoasisdevieflorissanteaumilieudeladésolation.Latournoirebarraitlecieltelleunegrandebalafre.Deslumièresvacillaiententrelesarbres,etKira,prudente,levasonfusil.Sammdonnauncoupdementonvers ladroite,et ilssuivirent laclôture leplussilencieusement

possible, se glissant entre l’herbe grasse et les taillis qui entouraient le mystérieux complexe. Ilsatteignirent bientôt un large portail, ouvert et désert, et l’observèrent cachés dans l’ombrependantpresquedixminutesavantd’êtresûrsqu’iln’étaitpasgardé.Lavégétationquipoussaitavecvigueurau-dessousdonnaàKiral’impressionqu’iln’avaitpasétéfermédepuisdesannées.–Est-cequequelqu’unvitlà?chuchota-t-elle.Sammsemblaitàcourtdemots.–Je…Jen’enaipaslamoindreidée.–Tucroisqu’ilyaunavant-poste?Unesortede…debasedePartialsou…–Sijesavaisquelquechose,jetel’auraisdit.–Alors,quiçapeutêtre?Ilsobservaientencoreleportailouvert,tâchantderassemblerassezdecouragepourentrer.–Onn’atoujourspasretrouvéHeron,ditSamm.Elleestpeut-êtrelà-dedans,oupeut-êtrecachéeà

nousattendre.–Iln’yaqu’unmoyendel’apprendre.Kirarampaenavant,lefusilprêtàtirer.Ellenecomptaitpasrenoncer,pasàprésentqu’ilsétaient

siproches,pasmêmesiunecoloniedePartialsoccupaitleslieux.Auboutd’uninstant,Sammsemblasefaireuneraisonetlasuivit.

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Ilsfranchirentlaclôturepourpénétrerdanscetétrangeparadis.Kiras’émerveillait,abasourdieparlavievégétaleintensequilesentourait,etellerevitleslumières:desfeux,elleenétaitcertaine,maisà ladifférencedesdésastres fumantséparpillésdans laville,ceux-là semblaientpetitsetcontrôlés,commeHeron l’avait dit. Des feux de camp, ou des feux de joie. Ils rampèrent dans le noir… etbientôt,ilsentendirent.Desvoix.Desvoix joyeuses, riantetchantant,avecunautrebruitaumilieu,unechosequeKira

avaitcrunejamaisréentendredesavie.Ellesemitàcourir,oublianttouteprudence,etenlesvoyantelletombaàgenoux,tropsubmergéeparl’émotionpourfuir,parleroumêmepenser.Desenfants.Lefeucraquaitetbondissaitaumilieud’uneclairièreentouréedebâtimentsbasetd’unefoulede

gensquidansaient,etentreeuxs’ébattaientlesenfants:despetitsetdespréadolescents,desgaminsdedix ans et des bambins.Des dizaines d’enfants de tout âge et de toute taille qui riaient, criaient ettapaientdansleursmains,chantantausond’unpetitorchestredeflûtiauxetdeviolonsàlalueurdesflammes.Kira se laissa tomberdans l’herbe et pleura à chaudes larmes tout en essayantdeparler,maissanspouvoirformerlemoindremot.Samms’agenouillaàcôtéd’elleetelles’accrochaàlui,leretenant, désignant les enfants. Il tentait de l’en éloigner mais tout ce qu’elle voulait était serapprocher,lesregarderdeprès,lestoucher,lesprendredanssesbras.Ilsl’avaientvue,àprésent:lesenfants,lesadultes,toutlemonde.Lamusiqueavaitcessé,ainsiqueleschants,etilssehaussaientpourmieuxvoir,stupéfaitsetchoqués.SammtentaencoredehisserKirasursespieds,etelleréussitenfinàparleràlafouled’inconnusquiserapprochaitd’ellepeuàpeu.–Vousavezdesenfants.Undemi-cercled’étrangers se formadevanteux,etKira remarquaqu’ilsavaientdes lances,des

arcset,de-cide-là,unpistolet.Unejeunefemmequidevaitavoirl’âgedeKiras’avançaavecunfusildechasse,qu’ellebraquaexpertementsursapoitrine.–Lâchezvosarmes.

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QUATRIÈMEPARTIE

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CHAPITRE38

–Quiêtes-vous?demandaSamm.LafillegardasonfusilbraquésurlapoitrinedeKira.–J’aidit:lâchezvosarmes.Sammlaissa tomber lasiennepar terre.Kira, fascinéepar lesenfants,étaitencore tropmédusée

pourbouger;Sammdécrochasonfusildesonépauleetlejetadansl’herbe.–Nousnesommespaslàpourvousfairedumal,déclara-t-il.Nousvoulonsjustesavoirquivous

êtes.La filleabaissa légèrement lecanondu fusildechasse ;ellene les tenaitplusvraimenten joue,

maislegardaitquandmêmepointédansleurdirection.Elleavaitdelongscheveuxblondsattachésenqueue-de-cheval,etsavesteencuirparaissaitgrossière,faitemain.–Vousd’abord,dit-elle.D’oùvenez-vous?Personnen’atraversélamontagnedepuisdouzeans.Kiraretrouvaenfinsalangue.–Nousnesommespasvenusparlamontagne,maisparlaplaine.NousarrivonsdeNewYork.La blonde écarquilla les yeux et la foule qui l’entourait murmura, incrédule. Une femme d’un

certainâges’avançaalors,unpetitenfantdans lesbras,etKiradévisagea legarçonnetcommes’ilavaitétéunmiraclesousformehumaine:troisansàpeine,dodu,lesjouesroses,levisagemaculédepoussièreetencorepoisseuxdesondîner.IlobservaKiraavecunairdeparfaiteinnocence,commesielleétaitlachoselaplusnormaleaumonde,ets’illuminadejoielorsqu’ilcaptasonregard.Kiraneputqueluiretournersonsourire.–Alors?insistalafemme.Allez-vousrépondre?–Vousdisiez?demandaKira.–J’aiditquevousnepouviezpasavoir traversé la régiondesBadlands,carcen’estplusqu’un

déserttoxique.Sammposaunemainsurl’épauledeKira.–J’ail’impressionquetuespartietrèsloindenousenregardantcetenfant.–Oui,pardon,murmura-t-elleenselevant.Lafoulerecula,toutengardantsesarmesprêtesàservir.KiraseraccrochaàlamaindeSamm.–C’est simplement que… nous avons beaucoup de choses à expliquer, apparemment. Des deux

côtés.Recommençonsdudébut.(Elles’adressaàlablonde.)Commençonsparleprincipal:êtes-vousdeshumainsoudesPartials?La femme âgée plissa les paupières, exprimant une colère indéniable. Kira sut immédiatement

qu’elleétaithumaine.Mieuxvautfairecommesinousl’étions,nousaussi.– Jem’appelle KiraWalker, et voici Samm. Je suismédecin dans la colonie humaine de Long

Island,surlacôteest.Jusqu’àilyacinqminutes,nouspensionsêtrelesderniershumainssurTerre,etjesupposequevouspensiezlamêmechosedevotrecôté.Nousn’avionsaucunmoyendesavoirqu’il y avait des survivants ici, mais… vous voici. Et nous voilà. (Elle tendit la main à la fille.)Salutationsdelapartde…Elles’interrompitjusteavantdedired’unautreêtrehumain,etéprouvasoudaindanssestripesun

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sentiment de perte. Elle ne pouvait plus dire cela. Elle déglutit et bredouilla une fin de phrasealternative.–…d’uneautrecommunautéhumaine.Kiragardaunemaintendueetécrasaunelarmedel’autre.Lescolonsarméslafixaientensilence.

Auboutd’unmoment,lablondedonnauncoupdementonendirectiondel’est.–VousaveztraversélesBadlands?–Oui,c’estbiença.–Vousdevezêtreaffamés.Elle abaissa complètement son arme et prit la main de Kira ; leurs deux paumes étaient aussi

calleusesl’unequel’autre.–Jem’appelleCalix.Venezprèsdufeumangerquelquechose.Samm ramassa leurs fusils, etKira et lui suivirentCalix en direction du feu de joie ; certaines

personneslesobservaientencored’unairméfiant,maisavecplusdecuriositéquedepeur.Kiraneput s’empêcher de tendre la main vers l’enfant le plus proche, une fillette âgée d’une dizained’années,maislaretiraavantdetouchersescheveuxnoirsetfrisés.Lapetitevitsongeste,sourit,etluipritspontanémentlamain.–Jem’appelleBayley,dit-elle.Kiraéclataderire,tropsubmergéeparlajoiepoursavoircommentréagir.–Enchantéedeteconnaître,Bayley.Tumerappellesmasœur.Elles’appelleAriel.–C’estunjoliprénom,ditBayley.Moi,jen’aipasdesœurs,rienquedesfrères.Tout,enceslieux,semblaitmagique:queKirasoitentraindeparleràuneenfant,quecetteenfant

aitdesfrères.–Combien?luidemandaKiraavecardeur.–Trois.L’aîné,c’estRoland,maismamanditquejesuisplusresponsablequelui.–Jen’endoutepasuneminute.Kira s’assit sur un banc devant le feu. Une poignée d’enfants coururent observer les nouveaux

arrivants,puiss’égaillèrent,tropdébordantsd’énergiepourtenirenplace.Unhommerepletportantuntabliergraisseuxluitendituneassiettedepuréedepommesdeterreabondammentgarnied’ailetde fines herbes, et couverte d’une cuillerée de fromage fondu fumant. Avant qu’elle ait pu leremercier,ilversadessusunelouchéedechiliricheensauceetenviande.L’odeurdespimentsfortslui chatouilla le nez et elle semit à saliver,mais elle était encore trop assomméepour avaler unebouchée.Uneautrefilletteluiservitunverred’eaufraîche,queKiraengloutitavecgratitude.Sammremerciaaimablement tout lemondeetprit quelquesbouchéespolies,mais resta concentré sur lesgensetsurl’espacequilesentourait,toujourssursesgardes.Calixetlafemmeplusâgéequileuravaitparléapprochèrentunbancets’assirentdevanteux.Le

garçonnetqu’elle tenaitdans sesbras se tortillapourdescendreet courut rejoindre les jeuxde sescamarades.–Mangez,ditlafemme,maisessayezaussideparlerentredeuxbouchées!Votrearrivéeest…eh

bien,c’estcommevousl’avezdit.Nousnepensionspasqu’ilrestaitd’autreshumains.Etcen’estpasparce quenous partageons notre repas avecvous quenous vous faisons confiance.Dumoins, pasencore. (Elle eut un sourire contraint.) Je m’appelle Laura ; je suis un peu le maire de cettecommunauté.Kiraposasonassiette.

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–Désolée pour tout à l’heure,Laura… Je ne voulais pas vousmanquer de politesse,mais c’estjusteque…commentfaites-vouspouravoirdesenfants?Lauraéclataderire.–Commetoutlemonde,mafoi!–Maisjustement:nous,nousnepouvonspas.Une pensée soudaine la fit bondir sur ses pieds, terrifiée par ce qu’elle risquait d’avoir apporté

danscettecolonie.–Vousn’êtespasporteursduRM?–Biensûrquesi,ditCalix.Nouslesommestous.EllemarquaunsilenceetregardaKira,lessourcilsfroncés.–Êtes-vousentraindemedirequevousn’avezpasletraitement?s’enquit-elle.–Commentavez-vousfait?soufflaKira.Est-celaphéromone?Vousavezréussiàlasynthétiser?–Quellephéromone?–LaphéromonedesPartials;c’étaitnotremeilleurepiste.Est-ceainsiquevousyarrivez?Jevous

ensupplie,ilfautmeledire…ilfautquenousrapportionsçaàEastMeadow…–Une phéromone de Partials ? Certainement pas ! s’exclamaLaura. Eux aussi sont tousmorts.

(ElleregardaalternativementSammetKira.)Àmoinsquevousn’ayezdesmauvaisesnouvellespouraccompagnerlesbonnes.–Jenelesqualifieraispasnécessairementdemauvaises…commençaSamm,maisKiraluicoupa

laparoleavantqu’ilpuisseenrévélerdavantage:cesgensétaientdéjàassezméfiants,paslapeinedeleurannoncerdebutenblancqueleursnouveauxhôtesétaientdesPartials.–Certainssontencoreenvie,ditKira.Pastous,peut-êtreundemi-million,grossomodo.Ilyena

quisont…plusgentilsqued’autres.–Undemi-million,répétaCalix,visiblementchoquéeparcenombreénorme.C’est…Elleserenversaenarrière,commesiellenesavaitplusquoidire.–Etcombiend’humains?demandaLaura.–Jelesavaisplusprécisémentavant,maiscesjours-cijediraisenvirontrente-cinqmille.–Dieumerci,soufflaLaura.Kiravitdeslarmesroulersurlesjouesdelafemme.MêmeCalixsemblaitcontente,commesile

secondchiffrecompensaitlepremier.Onauraitditquelajeunefillenecomprenaitpasréellementlaportéedecesnombres.Kirasepenchaenavant.–Etvous,combienêtes-vousici?–Presquedeuxmille,luiappritLauraavecunefiertéteintéed’amertume.Nousdevrionsfranchir

labarredansquelquesmois,mais…trente-cinqmille!Jen’auraisjamaisrêvéqu’ilyenaittant.–Commentest-ce,là-bas?s’enquitCalix.(LaquestionétaitadresséeàKira,maisellelançaitsans

cessedesregardsàSamm.)Àquoiressemblelemondeau-delàdelaréserve?Nousavonsunpeuexploré les montagnes, et nous avons tenté de visiter les Badlands, mais c’est trop vaste. Nouspensionsqueledéserttoxiquecouvraitlemondeentier.– Non, juste leMidwest, la détrompa Samm. Et encore, pas totalement. L’espace entre ici et le

Mississippi,àpeuprès.– Parlez-moi du remède, dit Kira, tâchant de remettre la conversation sur les rails qui

l’intéressaientleplus.SivousneletenezpasdesPartials,qu’est-cequec’est?Commentlefabriquez-

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vous?Etcomment,audépart,avez-voussurvécuauRavage?–Ça, c’est l’œuvredudocteurVale, réponditLaura.Calix, coursvoir s’il est encore réveillé, il

voudrafaireconnaissanceavecnosvisiteurs.Lablondeseleva,lançaundernierregardàSammetpartitencourantdanslanuit.Laurapivota

versKira.–C’estluiquinousasauvésquandleRMs’estmisàsévir…enfin,pastoutdesuite.Auboutde

quelques semaines, vers le moment où tout le monde a commencé à comprendre que c’étaitréellement la fin. Il a rassemblé tous lesgensqu’il a pu trouver, des amisd’amis et tous ceuxquiétaientencoreenvie.Etilnousaadministrésontraitement:unerecettedesoninvention,jesuppose.Ensuite,nousnoussommesterrésici,danslaréserve.–Vousavezl’antidotedepuistoutcetemps?s’étonnaKira.Elle bafouilla pendant une minute, ne sachant comment formuler la question suivante sans être

impolie.Ellefinitparrenoncerauxprécautionsoratoirespourlaposerdirectement.– Pourquoi ne l’avez-vous dit à personne ? Pourquoi n’avez-vous pas sauvé le plus de gens

possible?–C’est cequenousavons fait. Jevous l’aidit,nousavons rassemblé tousceuxquenousavons

trouvés,jeunesetvieux,tousceuxquin’avaientpasdéjàététuésparlaguerreouparlevirus.Nousavons sillonné la ville pendant des semaines, envoyé des camions dans toutes les directions.Nousavonsramenétousceuxquenoustrouvions,maisiln’enrestaitdéjàplusbeaucoup.Jenevousaipasmenti,Kira,nouspensionssincèrementêtrelesderniershumainsvivantsaumonde.–Noussommestouspartisversl’est,ditKira.Lepeuquirestaitdel’arméenousarassemblésen

unmêmelieu.Laurasecoualatête.–Apparemment,ilsenontratéquelques-uns.–Etqu’est-cequivousafaitcroirequelesPartialsétaientmorts?s’enquitSamm.Savoixétaitdénuéed’émotion,commetoujours,maisKirasentaitquequelquechoseleperturbait,

etceladepuisleurarrivéedanslaréserve.Ellefitsonpossiblepourflairersessentiments,mais,horsdessituationsdecombat,sessensétaienttropfaibles.–Etqu’est-cequiauraitpunousfairecroire lecontraire?s’étonnaLaura.LeRMles tuaitaussi

sûrementquenous.–Attendez…Quoi?s’exclamaKira.Voilàquiétaitnouveau…passeulementnouveau,maisabsolumentstupéfiant.–LeRMn’affectepaslesPartials,continua-t-elle.Ilssontimmuniséscontre.C’est…c’esttoutle

problème,justement.Elleconnutalorsunaccèsdepanique:sicettepartiedumondeabritaitunesouchemutanteduvirus

quituaitlesPartials,sescamaradesetelle-mêmecouraientunterribledanger.Maissic’étaitlecas,alorsilsyétaientdéjàexposés.Mieuxvalaitgardersoncalmeetapprendrece

qu’ilspourraient.–C’étaitvraiaudébut,reconnutLaura,maisensuitelevirusamuté.C’estarrivéici,àDenver:une

nouvellesoucheapparuedenullepart,quis’estpropagéedansl’arméedesPartialscommeunfeudebrousse.Kiraneputs’empêcherdejeteruncoupd’œilàSamm,maisilrestaitplusimpassiblequejamais.

L’attention extrême avec laquelle il écoutait cette histoire lui fit penser qu’il l’entendait pour la

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premièrefois,maisellenepouvaitenêtrecertaine.Quoiqu’ilensoit,ellenepouvaitpasluiposerlaquestiondevanttoutlemonde.Ellelagardapourplustard,etsetournaversLaura.– Si une nouvelle souche a frappé Denver, ils ont dû isoler leurs troupes cantonnées ici pour

prévenir lacontagion.Sur lacôteest,personnen’aentenduparlerd’unesouchequis’attaquaitauxPartials.Calixrevintencourantdanslalumièredufeu.–LedocteurValeestréveillé,annonça-t-elleenreprenantsonsouffle.Ildésirevousvoir.Kiraselevad’unbond.SicedocteurValeavaitéradiquéleRM,peut-êtreensavait-ilplusqu’elle

surlaphysiologiedesPartialsetsurcelledeshumains;peut-êtreavait-ildéjàtrouvélesdocumentsqu’ils étaient venus chercher, et pourrait-il leur en dire davantage sur l’Alliance, et sur la dated’expiration,etpeut-êtremêmesurcequ’étaitKira.EllecourutpresquedevantCalix,quilesguidaitàtraverslevillage.Enfaitdevillage,ils’agissaitd’unvastecampuscomposéd’immeublesdebureauxconvertis en appartements. Il y avait là des gensqui ne s’étaient pas rendus autour du feu,mais lanouvelle s’était apparemment répandue, et Kira se retrouva observée par des centaines d’yeuxcurieux,surlespasdesportes,auxfenêtresetauxcoinsdesrues.IlsfixaientKiraetSammaveclemêmeétonnementquecequ’elle-mêmeavaitressentienlesvoyantpourlapremièrefois,etelleleurfitdessignesamicauxenpassant.Ilexistaitd’autresgens,etilsdétenaientunremède,etilsvivaientdansunparadis!C’étaitpeut-êtreleplusbelespoirqu’elleavaitjamaiseudetoutesonexistence.Au loin,derrière lesanciens immeublesdebureaux,s’élevaitune tour immense,aussihauteque

cellesdeManhattan.Elleétaitd’unnoird’encre,teluntroudanslecielnocturne,etKiranelavoyaitquecommeunetachedeténèbressedéplaçantsurfonddemontagnesenneigées.Ellecrutquec’étaitlà que Calix les emmenait, mais celle-ci s’arrêta devant un bâtiment bas qui semblait avoir étéautrefoisunentrepôt,reconvertienhôpital.–Ilestlà,ditlafilleenouvrantlaporte.Kiravitquecelle-ciétaitenverre,etpritsubitementconsciencequepresquetouteslesfenêtresde

laréserveétaientencorevitrées:unsigneclassiqued’occupationhumaine,etunphénomènequeKiran’avait jamais observé qu’à EastMeadow. Elle se sentit décidément chez elle, et pénétrer dans unhôpitalnefitquerenforcercette impression.Samm,enrevanche, traînaitderrière.Aprèsuninstantd’hésitation,Kirafitdemi-tourpourallerlechercher.–Viens,luidit-elle,onyest.C’estcequenoussommesvenuschercher,tuterendscompte?–Onaabandonnéleschevaux,rechigna-t-ilàvoixbasse.Onnedevraitpasleslaisserseulstoutela

nuit…allonsleschercher,etnousparleronsàcetypedemain.–C’estçaquit’ennuie?s’étonnaKiraenletirantparlebras.Allons,leschevauxsonttrèsbienlà

oùilssont,oniraleschercherdemainmatin.–Ilsnousontlaissénosarmes,soufflaSamm.Jesaisqueçapeutdonnerl’impressionqu’ilsnous

fontconfiance,maisc’est tropbizarre,çamefichelesjetons…Ilsn’ontaucunmoyendesavoirsinousdisonsvrai.Donc,celaindiquequederrièreleurssouriresetleursamabilités,ilyaunniveausupérieur de sécurité que nous ne voyons pas, et ça neme dit rien qui vaille, vraiment.Revenonsdemain,jetedis.Kiraprit le tempsde ledévisagerattentivement.Ellecrutpercevoir son inquiétude.Pourqu’elle

puisselasentir,ilfallaitquecelle-cisoittrèspuissante.–Tuasvraimentpeur,hein?–Pastoi?Kiraregardaautourd’elle;ilsétaientencoreobservés,etCalixlesattendaitàlaporte.Personne

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n’étaitassezprochepourlesentendre–dumoinspasavecdessenshumains.Ellesepenchaversluipourluiparlertoutbas.–Ceque jevois,moi,c’estungroupedegensquisontenvie,quiont trouvéunremède.Etces

gens vivent autour du bâtiment qui détient les secrets duRM, de l’expiration et de ce que je suis,Samm…C’estexactementcequenouscherchions.–Ilyaquelquechosequinetournepasrond,ici.–Personnenenousamenacés…–EtoùestHeron?Elleestpartiedevantnous,pourobserverprécisémentcetendroit,etpourtant

ellen’estpasici…Cequinepeutavoirquedeuxexplications:soitelleavuquelquechosequineluiapaspluetelleresteenretrait,soitilsl’ontrepéréelespremiersetl’ontabattue.Jeveuxdirequ’ilsn’ontrienpuluifairedebons’ilsnousfontcroirequ’ilsnel’ontpasvue.Etjeneveuxpasmejeterdanslesbrasd’unennemiquiestcapabledevoirHeronlepremieretdelaneutraliser.Il a raison, comprit Kira. C’est suspect, c’est dangereux, c’est trop beau pour être vrai. Et

pourtant…–Ilsontleremède.Quelsquesoientleursmensonges,ilsnemententpassurcepoint-là…Ilyades

enfantspartout.Ets’ilsontça, ilsontpeut-êtrebiendavantage. Il fautque j’entredanscebâtiment,Samm,illefaut.Situveuxm’attendredehors,çameva.–Jenevaispas te laisserseule, trancha-t-ilencontemplant l’hôpitaléclairédevanteux.Entrons,

alors.

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CHAPITRE39

Calixlesguidadanslescouloirs,etKiradécouvritquel’hôpitaln’étaitpasunancienentrepôtmaisun ancien laboratoire, bourré d’équipement sophistiqué : sans doute le matériel de ParaGen. Lescorridors étaient relativement déserts, mais le cœur de Kira bondit dans sa poitrine lorsqu’elleentendit des pleurs de bébés. Pas des nouveau-nésmalades etmourants comme ceux qu’elle avaittoujours connus à East Meadow, mais des nourrissons heureux et en pleine santé, et des mèresattendries.Elleeutenviedecourir lesvoir,mais ravala ses larmesd’émotionet suivitCalix. Il luifallaitd’abordleremède;ensuiteseulement,elles’occuperaitdureste.Sammseraiditsoudainettournalatêtecommepourchercherquelquechose.Parréflexe,Kirase

mit en positionde combat. Samm inspira à fond sans cesser de scruter le couloir, puis croisa sonregard.Ellevoulutparler,maisilsecoualatêteetindiquadiscrètementCalix.Lablonde,quis’étaitarrêtéedevantlaported’unbureau,lesregardaitbizarrement.–Est-cequetoutvabien?Kiraneput s’empêcherde remarquerqueCalixadressait saquestionàSamm.Celui-ciouvrit la

bouchepourrépondre,maiselleneluienlaissapasleloisir.–C’estsonbureau?s’enquit-elle.–Oui,ditCalixavantdefrapper.Unevoixbourruelespriad’entrer,etilssuivirentleurguideàl’intérieur.LedocteurValeétaitde

petite taille,dotéd’unphysiquebanal,pas jeunemaisen forme.Kiran’aurait sudire s’il étaitplusvieux ou non que le docteur Skousen, et se demanda s’il bénéficiait des modifs génétiques delongévitéquecertainespersonnesrichesetâgéess’étaientfaitadministreravantleRavage.Sic’étaitlecas,iln’existaitpasvraimentdemoyensdeconnaîtresonâge,quipouvaitallerdesoixanteàcentvingt ans. Samm l’observa fixement un instant, et Kira fut traversée par un soupçon fugace. Soncompagnonn’aimaitpaslemédecin,ellen’avaitmêmepasbesoindulienpourlevoir.Elles’éclaircitlesidéesetsepréparapourlaconversation,prêteàfairefaceàtoutcequipourraitsurvenir.–Jevousenprie,asseyez-vous,dit ledocteurValeenindiquantleschaisesdisposéesdevantson

bureau.Calixfitminedes’asseoiraveceux,maisill’arrêtad’unsourireaimableetesquissaungesteen

directiondelaporte.– Auriez-vous la gentillesse d’attendre dehors, ma chère ? Nos hôtes vont avoir beaucoup de

questionsàmeposer,etjeveuxm’assurerqu’ilsneserontpasdérangés.Calixnesemblapasraviedecettedemande,maissoupiraetquittalapièce–nonsansenvoyerun

bref sourire à Samm au passage. Ce dernier ne parut même pas s’en rendre compte tant il étaitconcentrésurVale,etKiraenconçutunesatisfactioninexplicable.Calixrefermalaportederrièreelle,etValeregardaSammetKira.–Alors,dit-il.Vousêteslesdeuxvoyageursvenusdepar-delàlesBadlands.–Oui,docteur,confirmaKira.Nousavonsfaitlecheminjusqu’icipourchercher…desréponses.Il

nous faut trouver un traitement contre le RM, et nous croyons comprendre que vous en avezsynthétiséun.–Eneffet,eneffet.Dites-moi,combienêtes-vous,déjà,là-bas?

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–HumainsouPartials?Valesourit.–Lesdeux.–Trente-cinqmillehumains,ditKira.Àpeuprès.Etenvironundemi-milliondePartials.Valesemblaitéclaterdejoie.–Cetterencontreestdoncendemi-teinte,n’est-cepas?Apprendreenunepetitesecondequetoute

votre image dumonde est obsolète, c’est un choc. Je reconnais que je n’étais pas préparé à cetterévélation,etpourtantjemevanted’êtretoujoursprêtàtout.–Jevousenprie,parlez-nousdutraitement.–Ilfonctionne,ditValeavecunhaussementd’épaulessatisfait.Quedired’autre?Nousinoculons

touslesenfantsàlanaissance,etleRMnepeutplusjamaisleurfairedemal.Cen’estpaslameilleuresolutionàlongterme,jevousl’accorde–jedétestel’idéequedanscentansnousensoyonstoujoursàpiquer chaquenouveau-néquivient aumonde–,mais après tout, c’est cequenous faisionsdéjàavantleRavage,n’est-cepas?Lesvaccins,lesantibiotiques,unvrairagoûtchimique.MêmeavantleRM,lemondeétaitdevenubienplushostileenversnotreespècequenousn’aimonsàlereconnaître.Il y avait dans l’attitude de cet homme quelque chose de bizarre queKira n’arrivait pas bien à

définir. Elle avait été interne enmédecine, avait passé toute sa vie au contact desmédecins, et cedocteurValeétait…différent.Ilnes’exprimaitpascommeundocteur.–Cequ’ilnousfaut,continua-t-ilavecungesteendirectiondelafenêtrenoire,derrièrelui,c’est

untraitementquifonctionneraitcommenotreréserve.–Quevoulez-vousdireparlà?Ilsouritunefoisdeplus.–Leparadisdanslequelnousvivonsétaitautrefoissimortelquel’accèsenétaitinterdit:l’endroit

étaitvidenonseulementd’humains,maisaussidefauneetdeflore.Cen’étaitqu’unefrichedésolée,trèssemblableàcellequevousvenezdetraverser.Maisàprésent,c’estautrechose,n’est-cepas?Cequelenucléaireadétruit,lesbiotechnologiesl’ontressuscité.LestraitsdeKirasechiffonnèrent.Elleétaitperdue.–Cetendroitareçuunebombenucléaire?–Non,nonnon,oudumoinspascommevouslepensez.LacentraledeRockyFlatsétaituneusine

d’armement nucléaire construite pour la Seconde Guerre mondiale, le premier site choisi pourproduiredesbombesàhydrogène. Ilestpassépar iciplusdematériau radioactifquedans toute lavilled’Hiroshima!Maislatechnologie,commenousl’avonsvu,atendanceàéchapperaucontrôlede ses créateurs. Le site a fini par représenter un tel danger sanitaire qu’il a été complètementdémantelé,etaprèsdesdécenniesd’effortsdenettoyage, ila finalementétédéclaréhabitable–paspardeshumains,biensûr,cen’étaitpassainàcepoint…maisjevousledemande,quis’intéresseauxchevreuils?Dumomentquenousne leurpayonspasuneassurancemédicale,qui se souciequ’ilsattrapentdescancers?Etc’estcommeçaqu’estnée,enl’an2000,laréservenaturelledeRockyFlats.Et elle est restée ainsi pendant des décennies : assez propre pour apaiser notre conscience, sanstoutefoisêtreréellementnettoyée.Ainsival’altruismehumain.–Vousavezparlédebiotechnologies,ditKira.C’estlàqu’intervientParaGen,j’imagine.Ellenevoyaitpasbienoùilvoulaitenvenir,maisaumoins,ilparlait.Kiratentadelepousserdans

sesretranchementspourenapprendredavantage.–C’estbiendeviné.ParaGen,leleaderd’uneindustrietoutenouvelle.Notresiègen’apastoujours

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étéici–nousavonsdémarrédanslesud,àParker–,maisnotrepremièreincursiondansledomainede la biotechnologie était une série de micro-organismes affamés, conçus pour dévorer ce dontpersonned’autrenevoulait…–VousétiezemployéchezParaGen?s’étranglaKira.–Naturellement.(L’hommejetaunregardàSamm,quisetenaittoujoursraidesursachaise,puis

revintàKira.)Cesontmesconnaissancesenbiotechnologiequiontrenduleremèdepossible.Kiradutfaireuneffortpournepasbondirdesachaise.Uningénieurenbiotechnologietravaillant

pour ParaGen ?Mais alors… faisait-il partie de l’Alliance ? Elle débordait de questions,mais nesavaitpasencorequelleapprocheadopter:siellesedévoilaitetl’interrogeaitfrancosurlesPartials,ladated’expiration,laSécuritéouautre,luirépondrait-il?Sefermerait-ilaucontrairecommeunehuître?Semettrait-ilencolère?Ellepréféracontinueràlefaireparler,letempsdemieuxcernersapersonnalité.–Vousavezfabriquédesmicro-organismes?–Desmicrobesmangeursdedéchets,oui,dit-il, enivrépar sonsujet.Affamésde radiations.De

métauxlourds.Desubstancestoxiques.Touteschosestrèsdifférentes,maischacuneconstituantàsamanièreuneparfaitesourced’énergiepourunorganismeconçuàceteffet.Quelquescontratsavecl’État, quelques années pour laisser les micro-organismes accomplir leurs miracles, et voilà quesoudainlapauvrerégiondésoléedeRockyFlatsestdevenueunjardind’Éden.Uneréussitecommecelle-làapported’autrescontrats,deplusgrandsprojets,desfondsplusimportants.Encorequelquessuccès, et vous pouvez commencer à signer vos propres chèques. L’un d’eux s’avéra être pour laréserve elle-même : une vaste étendue de terrain parfait, dont personne d’autre ne voulait. Notrerécompensekarmiquepourl’avoirsauvé!Etàcejourencore,lesmicrobesprolifèrentdanslesol:ilsmaintiennentledéserttoxiqueàdistanceetentretiennentnotrepetitcoindeparadis.Iladoreparlerdetoutça,songeaKira.Comment fairepour lepousserencoreunpeuplus loin?

Elles’éclaircitlagorge.–Sijecomprendsbien,vousfaisiezpartied’uneéquipedechercheursquiacréédesorganismes

entièrementnouveaux.–Eneffet.ValejetaunautreregardàSamm,quidemeuraitfroidetmuetcommeunestatue.Kirasedemanda

cequin’allaitpas,maislemédecinluiadressaunbonsourire.– Je suis généticien, dumoins dans lamesure où il est possible de faire de la génétiquedenos

jours.Leremèdequejepossèdeestexploitablepourlemoment,maiscequ’ilmefaudrait,ceseraitunemolécule qui fonctionne comme cesmicrobes : une entité autonome, capable de se propagerspontanément,etquinousprotégeraitsansinterventionextérieure.Etquisetransmettraitdelamèreàl’enfant.–Maiscequevousavezactuellementest toutdemêmeunremède,ditKira.Cela fonctionne.Là

d’où nous venons àNewYork, nous n’avons pas vu un enfant vivre plus de trois jours depuis leRavage.Nousavonsréussiàenguérirunilyaquelquesmois,maisc’esttout.Nousavonsunenfantmiracle,alorsquevousenavezdescentaines.Nousavonsessayédedupliquernotreremèdeetnousn’yarrivonspas.Maisvous,vouspourrieznousdonnerunavenir.Jevousenprie,jesuismédecin,jemesuisforméetoutemaviepourcemomentprécis.Emmenez-moidansvotrelaboratoire,montrez-moi comment vous procédez, et nous pourrions sauver des dizaines de milliers d’enfants. Unegénérationentière.Nousaurionsdenouveauunavenir,conclut-elle,leslarmesauxyeux.–Leremèden’estpastransportable,lâchaVale.

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–Quoi?Maiscommentest-cepossible?–Vousverrez.Kiraseleva.–Toutdesuite.–Unpeudepatience,déclaralemédecinenluifaisantsignedeserasseoir,cequ’ellenefitpas.Je

suisdisposéàvousaider,maisilnousfautêtreprudents.–Commentça,prudents?– L’équilibre de la réserve est une chose délicate. Je vous aiderai, mais je dois le faire sans

compromettrecetéquilibre.–Alors laissez-nous vous aider, répondit-elle avec enthousiasme. J’ai étudié leRM, nous avons

traversélafrichetoxique,nousconnaissonsleterrain,lapolitiqueettoutlereste.Quedésirez-voussavoir?–Rienpourcesoir,tranchaVale.Jevousreverraidemain.Kira,exaspérée,serralespoings.–Etladated’expiration?lança-t-elle.L’hommerelevalatête,lesyeuxécarquillés,commes’ilnecomprenaitpas.–Ladated’expirationdesPartials,répéta-t-elle,lemécanismeprésentdansleurgénomequilestue

au bout de vingt ans. Savez-vous quelque chose là-dessus ? Avez-vous trouvé comment celafonctionne?–Lesautresvoustrouverontunendroitoùloger,ditValeenselevantpourlesraccompagneràla

porte.Savoixétaitsoudainmoinsassurée,sajoiedeparlerdesmicrobesremplacéeparunbalbutiement

hésitant.–Ilvapleuvoircesoir,et,microbesounon,mieuxvautnepasêtredehorsquandçatombe.–Pourquoirefusez-vousdemerépondre?–Jevousrépondraidemain.SuivezCalix,etjevousenverraichercheràlapremièreheure.Ilouvritetleurindiqualecouloir.–Àlapremièreheuredemainmatin,insistaKira.Promettez-le-nous.Sammselevapourlasuivre.–Biensûr.Àlapremièreheure.Calix,quilesattendaitassiseparterredanslecouloir,bonditsursespiedsenlesvoyant.– Il faut faire vite, dit-elle. Les pluies acides arrivent ; les autres sont déjà tous rentrés. (Elle

regardaSamm.)Vouspouvezdormirchezmoi,touslesdeux,maisdépêchez-vous.KirajetaunregardenarrièreàVale:sonsourireexaspérantétaittoujoursplaquésursonvisage.–Àlapremièreheure,répéta-t-elle,aprèsquoiellesuivitCalixquicouraitdanslecouloir.Ils rejoignirent la porte d’entrée et leur guide sortit prudemment la tête pour observer les gros

nuagesd’oragequiemplissaientleciel.–Ilnepleutpasencore.Venez.Ellesortitencourant.Kiravoulutlasuivre,maisSammlarattrapaparlebras.–Attends,dit-ilavantdesepencherverselle.Tul’assenti?souffla-t-ilalors,d’unevoixsibasse

qu’elleeutdumalàl’entendre.–Quoidonc?

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–LedocteurVale.Jel’aisentiparlelien.C’estunPartial.

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CHAPITRE40

Calix vivait à quelques bâtiments de là, et ils arrivèrent juste avant que les premières gouttesd’acidenes’écrasentausol.Ungrandcostaudquisetrouvaitsurlepasdelaportelaleurtintouverte,etlesréprimandad’avoirprisuntelrisque.–Tucherchesàtefairetuer,Calix?– Je n’ai encore jamais pris une goutte, répondit-elle en lui donnant une tape affectueuse sur le

bras.Mercipourlaporte.–Maisjet’enprie.Alors?Cesonteux,lesvoyageurs?Sammobservalehalldel’immeuble,quiétaitemplidecurieux.Ilreportasonregardsurl’homme

etacquiesça.–C’estnous,oui.Nousaurionsbesoind’unechambrepourlanuit,sivousenavez.–Ilveutdire«s’ilvousplaît»,ajoutaKira.Etmercibeaucouppourvotrehospitalité.–J’aitoutelaplacequ’onveut,lesrassuraCalixenappelantl’ascenseur.Kira la dépassa, cherchant l’escalier, et sursauta légèrement lorsque les portes de l’ascenseur

s’ouvrirent.–Oh,c’estdingue!Calixhaussalessourcils.–Est-cequetoutvabien?–Làd’oùjeviens,je…(Kiraseressaisitetlasuivitd’unpasprudentdanslacabine.)Nousn’avons

pasassezdecourantpourfairemarcherlesascenseurs.Jen’enaijamaisprisun.–Moinonplus,ditSamm.Kirasavaitquec’étaitunmensonge.Ils’efforçaitsansdouted’éviterqu’onseposedesquestions

sursonpassé.Calixappuyasurunboutondanslaparoidelacabine–celuidudernierétage–etlesportescoulissèrent.–Lecomplexeentierestalimentéenélectricité,constataKira.Passeulement l’hôpital,mais tous

lesbâtiments.D’oùtirez-vouslecourant?–ParaGenestdevenucomplètementautosuffisantquelquesannéesavantleRavage,expliquaCalix.

Nous avons l’électricité, l’eau courante, et bien sûr la réserve elle-même pour nous protéger dudéserttoxique.Ilyauraitmêmeassezdeplacepouréleverdubétail,siseulementnoustrouvionsdesbêtesenvie.–Ilyavaitdubœufdanslechilidudîner.–Enfait,c’étaitdelabiche,leurappritlafilleendécochantàSammunregardfier.Jel’aichassée

moi-même.Jesuischasseuseàpartentièredepuisdeuxans.Sammhochalatête:unemanifestationd’émotionintense,chezlui.–Impressionnant.Kira tâchadenepasbouder.Cen’étaitpascommesiCalixavaitchasséunmonstredugenrede

celuiquil’avaitpoursuivieàNewYork,toutdemême.L’ascenseur les déposa au dernier étage, dans lequel Kira reconnut immédiatement d’anciens

bureaux,mêmesi laplupartdespostesde travail avaientété retirés.Les tablesqui restaient étaient

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pousséeslelongdesmursetcouvertesdeplantesenpots,delivresetdejeuxdesociété.Ilyavaitdesballonsetdesballesencaoutchoucdanslescoins.–Ceciestlasallecommune,expliquaCalix.Chezmoi,c’estlà-bas:lasallederéunionno2.Chacun des bureaux et des salles qu’ils longèrent avait été transformé en petit appartement.

Beaucoupétaientoccupés,etCalixsaluafamilièrementsesvoisinsenpassantdevanteux.Lesvoisinsenquestionobservèrentlesnouveauxvenusavecunecuriositénondissimulée,maisn’approchèrentpas.Lasallederéunionno2étaitaménagéedemanièreplusrudimentairequelaplupartdesautres,etKirasedemandasiCalixs’intéressait simplementmoinsà ladécoration intérieure,ousielleavaitmoinsd’expérience,ous’ilsepouvaitqu’ellesoitpluspauvre.Leursociéténesemblaitpasutiliserd’argent,maisellecommençaitàcomprendrequepresquerien,ici,n’étaittelqu’ilyparaissait.CommelefaitqueleurmédecinsoitunPartial.Il y avait un lit une place, que Calix proposa gracieusement à Kira, mais celle-ci insista pour

dormirparterre–àl’autreboutdelapièce,oùSammetellepourraientseparlerenprivélorsqueleur hôtesse dormirait enfin. Sauf qu’après une heure de questions passionnées sur le monde endehorsdelaréserve,KiraserenditcomptequeCalixavait toutesleschancesdeteniréveilléebienpluslongtempsqu’eux.Auboutdeladeuxièmeheure,elleétaittropépuiséepours’ensoucier,etellesentitsesyeuxsefermertandisqueSammcontinuaitderépondresanslassitudeapparente.Ellesombra lentementdans lesommeil,pelotonnéedanssescouvertures,àquelquescentimètres

seulement de Samm. Sa respiration devint profonde et régulière, et là, elle sentit quelque chosetouchersesdoigts.Ilavaitposélamainsurlasienne.

Lelendemainmatin,elleseréveillaensursaut,s’assittoutedroiteettenditinstinctivementlebras

versquelquechose,sansmêmeserappelerquoi.Lesoleilfiltraitentrelesrideaux,etlelitdeCalixétaitvide.Sammdormait,raidecommeuncadavre,parterreàcôtédeKira.Elleseleva,jetauncoupd’œildanslecouloir,puisrefermalaporteavecsoinetsecouasoncompagnon.–Samm!Il se réveillacommeunprédateur,adoptantaussitôtuneattitudedecombat, sivitequ’elledut se

baisserpouresquiveruncoup.Ils’immobilisa,observantlapièce,puisregardaKira.–Désolé,dit-il.Cetendroitmemetlesnerfsenpelote.–Àmoiaussi.Ilfautquel’oncomprennecequisepasse;onestseulspourl’instant,maisjene

saispasdanscombiendetempsCalixvarevenir.–Lemédecinn’estpasunPartial,affirmaSammsanstransition.–Tum’asditlecontrairehier.– Il ne correspondà aucunmodèleque je connaisse. J’y ai réfléchi toute lanuit : cen’estniun

général,niunmédecin,ni riend’autre,cequine laissequedeuxpossibilités.Soitc’estunmodèledanstongenre,unquenousn’avonsjamaisvuetquin’apasétéproduitenmasse.Jepensequec’estimprobable,principalementparcequetoitun’émetspasdedonnéesparlelienalorsqueluioui,etpuistoituvieillis:ilnepourraitpasêtresivieuxs’ilétaitnébébé,commetoi,ilyaunevingtained’années.Ledeuxièmescénario,leplusprobable,c’estqu’ilestcommeMorgan:unhumaindotédemodifsgénétiquesluipermettantd’utiliserlelien.Cequinousmèneàuneconclusionévidente.– C’est aussi un membre de l’Alliance, souffla Kira. Étant donné ce qu’il nous a dit sur son

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historiqueavecParaGen,c’esttoutàfaitvraisemblable;iltravaillaitchezeuxdepuisledébut.Ilétaitsansdouteundeleursscientifiqueslespluschevronnés.–Celasignifieaussiqu’ilpeutmeneutralisers’ilenaenvie,lâchaSamm.(Savoixétaitcalmeet

pragmatique,malgrélagravitédecequ’ilénonçait.)Ilnem’apasdonnéd’ordreshiersoir,maissijamaisildécidedelefaire,jenesaispassijepourrailuidésobéir.–TuasbiendésobéiàMorgan.– Et il m’a fallu plusieurs minutes pour y arriver, au prix d’une concentration extrême. Leur

contrôleestpresqueimpossibleàsurmonter,celuidel’Allianceencoreplusqueceluidesofficiersnormaux.S’il s’y appliquevraiment, enposition rapprochée, jene suispas sûrdepouvoiry fairequoiquecesoit.Mêmedanslemeilleurdescas,ilseraitcapabledemeneutraliserassezlongtempspours’attaqueràtoi.–Etdanslescénariocatastrophe,ilpeutmecontrôleraussi.Àsupposerqu’ilsachecequejesuis.–Morgan l’ignorait.Maisçaneveut riendire :évidemment, tonpèreetNandita savaientque tu

étaisunePartial,etpasMorgan.NousignoronscequesaitVale.–Jecommenceàmerendrecomptequel’Alliancen’étaitpastrès…hum…soudée,ditKira.On

diraitqu’ilyavaitdèsledébutaumoinsdeuxgroupesanimésd’intentionsopposées.Sammacquiesça.–Cequiexpliqueenpartie l’existencedepreuvescontradictoires,maispascequesignifientces

preuves.Ilnousfautplusd’informations.–Qui se trouvent probablement dans cette tour centrale, complétaKira.Lebâtiment dans lequel

nousétionshier semblait exclusivement consacré à lamédecine.SiVale essaie encorede sepayernotretête,cettetourseranotreprochainepriorité.Sammindiquaqu’ilétaitd’accord,puisrestasongeuruninstant.–Est-cequeNanditat’ajamaiscontrôlée?–Tuveuxdireaveclelien?–Oui,acquiesçaSamm.As-tujamaiseul’impressiond’êtreforcéeàfairequelquechose?–Pasquejemesouvienne.Kiraleregarda,envahieparuneboufféedetristessepourlesépreuvesqu’ilavaittraversées.–Quelleimpressionest-cequeçafait?voulut-ellesavoir.Ilsoupira.–Çapeutêtredifficileàsentir,avoua-t-il,aprèsquoil’ombred’uninfimesourireluiretroussales

lèvres.Biensûr,chezquelqu’undesipathologiquementindépendantquetoi,çaseremarquepeut-êtredavantage.Kiraluidonnaunetapesurlebras.–JenesavaispasquelesPartialspouvaientêtretaquins.–J’apprendsvite.–Quoiqu’ilensoit,jenepensepasqueNanditam’aitjamaiscontrôléeparlelien,etj’ignoresi

Valeessaiera.Maisqu’ilsoitounonaucourantpourmoi,ilsaitforcémentquetuesunPartial,non?ajouta-t-elle,soudaininquiète.– Jenepeuxpas imaginer le contraire,mais enmême temps, jenepeuxpas imaginernonplus

pourquoiiln’enariendit.Qu’a-t-ilàgagnerengardantlesecret?Saufsi…peut-êtresait-ilquenoussommestouslesdeuxdesPartials,maissanssavoirsinoussavonsqu’ilsait?Kirajetadenouveauuncoupd’œilàlaporte:toujoursfermée.

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–C’esttrèspossible.Jepensequenousdevrionspartirduprincipequ’ilcachequelquechose,neserait-ce que pour sauver sa peau. Il ne pourrait pas révéler qu’il connaît ta nature dePartial sansrévélerpubliquementqu’ilfaitpartiedessavantsquinousontcréés.LesgensquiviventicinesontpasaussiremontéscontrelesPartialsquenouslesommesàEastMeadow,maisilsnesemblentpaslesappréciernonplus.S’ilsdécouvraientqueleurmédecinacontribuéàconstruirel’arméerebelle,ilsneleprendraientsansdoutepastrèsbien.–C’estcequejemedisaussi.Maisquoiqu’ilensoit,cesontdesmauvaisesnouvellespournous.

Toutroulepourluiici,uneparfaitepetitesociété,etnotrearrivée–voirenotreexistence–menacel’ensemble.SidesPartialsnoussuiventjusqu’ici, ilestcuit.Sideshumainsnoussuivent, ilestcuitaussi.Silavéritésurtoiousurmoiousurluisortunjour,toutsonsecrets’écrouleetilestcuit.Sesmeilleuresoptionssontencoredenoustueroudenousgardericià jamais.C’estpeut-êtrepourçaqu’iln’apasproposédenousaideràcomprendreleremèdecontreleRMhier.Kiraplissalefront,troubléeparuneincohérenceapparente.–Saufs’ilétaitsincèreavant.Iladitqueleremèden’étaitpas«transportable».Celapeutsignifier

qu’il doit être réfrigéré, par exemple : dans ce cas, en effet, on ne pourrait pas traverser tout lecontinentavec.Celadit,ilpourraitaumoinsnousdonnerlaformule,oumemontrerleprocessusdefabrication.Pourtant,ilarefusé.Quoiqu’ilsepasse,tuasraison,noussommesendanger.–EtnousnesavonstoujourspasoùestHeron.–Exact. (Kira tambourinadesdoigts sur le sol, tâchantdedémêlerce fouillisd’éventualités.)Si

elles’esttropapprochée,ill’adétectée.Ilapeut-êtreutilisélelienpourlacapturer.–Heronsesituebienplushautquelaplupartd’entrenousdanslahiérarchiedulien.Unegrande

partd’autonomieestinclusedanslesmodèlesespions.Ilréfléchitensilence,puissoupira:uncomportementdistinctementhumain,qu’ilavaitdûacquérir

àforcedepasserdutempsavecKira.Elletrouvacelafascinant.–Maisquandmême,poursuivit-il,elleétaitsubordonnéeàMorgan,etj’imaginequeValejouitde

lamêmeautorité.Alors,oui,c’estpossiblequ’ill’aitemprisonnéequelquepart.–Possibleaussiqu’ellel’aitrepérélapremièreetqu’ellesoitrestéeàl’écart.ConnaissantHeron,

çameparaîtplusprobable.Pourcequ’onensait,elleestpeut-êtreentraind’essayerdetrouverlesréponsesdansuneautrezoneducomplexe.– La tour centrale. Puisque tous les bâtiments ont l’électricité, elle pourrait assez facilement

accéder aux ordinateurs. Mais ça ne veut pas dire qu’elle soit en mesure de récupérer lesinformations.SansAfapourcontournerlessystèmesdesécurité,jenevoispasdutoutcommentonvaarriveràfaireça.– Elle a dû commencer par les archives sur papier. Du moins, si le docteur Vale ne les a pas

détruites : s’il s’efforce de dissimuler son identité, il se peut qu’il ait fait disparaître beaucoup devieuxdocuments.–Àsupposer,déjà,qu’ilsecache,précisaSamm.Ilyatoujoursunechancepourquenousayons

interprétécomplètementdetraverstoutcequisepasseici.Peut-êtrequetoutlemondesaitquiilest.Nous pourrions en apprendre beaucoup plus si nous avions une personne de confiance à quidemanderdesréponsesclaires.– Je neme fie pas àCalix, se hâta de direKira de peur qu’il ne fasse cette suggestion.Elle est

clairementdévouéeàVale.–Ilestleurchef.Pourquoineluiserait-ellepasdévouée?–C’estexactementcequejedis.Jeneprétendspasqu’ellesoitunespionniriendecegenre,mais

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simplementque…sinousposonsbeaucoupdequestions,celareviendraauxoreillesdeVale.–Alorsmaintenant, tuenvisagescarrémentuncomplot.Cen’estpasparcequeValen’estpasnet

quetoutlemondeiciestnotreennemi,nonplus.Leplusprobableestquechacunicisoitcontentdesavieetsefichedureste.Kirasecoualatête.–Probable,maispasgaranti.Jeneveuxfaireconfianceàpersonnetantquejenesaispascequise

passe.–Etc’estlaseulechoseàlaquellecettesociéténesoitpaspréparée,ditSamm.Ellerelevalatêteverslui,maisilluisourit,justeunpeu,ducoindelabouche.–Tuesunerebelle,KiraWalker.Mêmequandiln’yariencontrequoiserebeller.Elleluiretournasonsourire.–Peut-êtrequej’aiétéfabriquéecommeça.Est-cequeçaexiste,desmodèlesdePartialsrebelles?–NousavonsdéclenchélaguerredesPartials,luirappela-t-ilsimplement.Larébellionestceque

nousavonsdeplushumainennous.La poignée de la porte cliqueta etKira releva aussitôt la tête,momentanément terrifiée à l’idée

d’êtrepriselamaindanslesac,avantdeserendrecomptequeriendecequ’ilsfaisaientnepouvaitparaîtresuspect.Pourquoilesdeuxnouveauxvenusn’auraient-ilspasdiscutéentreeux?Elleespéraitseulementqueleursproposn’avaientpasétéentendus.Calix poussa la porte d’un coup de hanche, lesmains chargées de deux assiettes généreusement

garnies d’œufs brouillés et de galettes de pomme de terre, le tout assaisonné de piments verts etrouges.Après lechilide laveille,Kiraeut lanette impressionque lecuistot localadoraitmangerépicé.–Vousvoilàréveillés,constataCalix.Elleposalesassiettessurunesortedeconsolebricolée–visiblementtailléedansl’immensetable

deréunionquiavaitautrefoisoccupélapièce–,sortitdesfourchettesdesapocheetleurprésentaleurrepasavecemphase.–Lepetitdéjeunerestservi!Etj’aiinvitéunami,siçanevousdérangepas;jenepouvaispastout

portertouteseule.Commeparunfaitexprès,aumêmeinstant,onfrappadoucementàlaporte.Calixlarouvritpour

révéler un jeune homme de petite taille, au visage large et au souriremalicieux. Il avait les braschargésdegobeletsenplastiqueetd’unelourdebombonned’eau.–Merci,Cal.Salut!Jem’appellePhan.–Bonjour,ditKira.Sonestomacgargouilla,etelleeutunsourireembarrassé.–Pardon.Ilyadesmoisquenousn’avonspaseudevraienourriture.Çam’al’airfameux.Phanéclataderire.–Pasdeproblème,attaquez!Ildévissalebouchondelabombonneetleurservitàboire.Kiraserenditcomptequ’endépitdesa

petitetaille,ilavaitàpeuprèssonâge.– Désolé de m’incruster dans votre petit déj’, mais vous êtes ce qui nous est arrivé de plus

formidablementintéressantdepuis,euh…depuistoujours,enfait.Kiraritdoucement.– Je pourrais dire la même chose de vous. Nous avons toujours espéré qu’il y ait d’autres

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survivants,maisn’avionsjamaisréussiàencontacter.– Asseyez-vous et mangez, intervint Calix en guidant Samm jusqu’à la table avec une légère

pressionsursonbras.Nevousenfaitespaspournous,onadéjàdéjeuné.–Maismangezà tourderôlepourpouvoirparler,ajoutaPhanendistribuant lesgobeletsd’eau.

Commencez par raconter comment vous avez bien pu traverser le désert toxique. Pour notre part,nousn’avonsjamaisdépasséleKansas.Ons’esttoujoursditquesiontrouvaitunecolonie,ceseraitàl’ouest,del’autrecôtédesmontagnes.Kiraavalasabouchéedepommesdeterre–incroyablementpimentées,maislacuisinedeNandita

l’avaitbienpréparéeàcela–etposaunequestiondesoncru.–Est-cequequelqu’unestdéjàallélà-bas?–Sioui, il n’enest jamais revenu,ditCalix.Onest allés assez loinpour savoirque lesdéchets

toxiquesnes’étendentpastellementversl’ouest.Lesmontagnesfontbarrageauventetmaintiennentl’essentiel des poisons ici, sur la plaine. Mais même sans les pluies acides, les montagnes sontdangereuses.Ilfautfranchirdescolsenaltitude,etlaplupartdesroutesontétéemportées.–Lemieuxseraitdepartirenexcursionverslenord,ajoutaPhan,etdetraverserleWyomingpour

contourner lachaînepar là-haut,maisValeneveutpas.C’estaussidésertqu’ici, et iln’yapasdelieuxsûrspours’abriterdelapluie.Ilestobligéd’édictercegenrederègles,vuquedesgenscommeCalixseraientassezidiotspouressayer.–Tais-toi!s’exclamaCalixenluijetantàlatêteunechaussetterouléeenboule.–Devez-voustoujoursfairecequeditVale?demandaKira.JecroyaisquelemaireétaitLaura.– Je ne suis pas devenu chasseur en ignorant les bons conseils, expliqua Phan.Vale, Laura, les

autresadultes,ilss’efforcentsimplementdenousgarderenvie.Sammsemitunegrosse tranchedepimentdans labouche,apparemment indifférentà sa saveur

brûlante.–Parcequetoiaussi,tueschasseur?–C’estmoiquiluiaitoutappris,précisaCalix.– Et ensuite, jeme suis amélioré, rétorqua Phan avec un grand sourire. Et toi ? demanda-t-il à

Samm.–Nousn’avonspasvraimentdechasseurs,dumoinspasentantquecaste.Jesuissoldat.Calixfronçalessourcils.–Lasituationest-elleterribleàcepoint?AveclesPartials,jeveuxdire…Ilsvousattaquentassez

souventpourquevousayezbesoind’unearméeàpleintemps?–Noussommesobligésdegarderunesortedeforcededéfense,sehâtad’intervenirKira,maisla

plupartd’entrenousexercentunautremétier:fermiers,médecins,cegenredechoses.Nousn’avonspasleremède,commevous,sibienqu’unegrossepartiedenotreactivitéconsisteàenchercherun.–Commentfaites-vouspourêtreenviesivousnel’avezpas?s’enquitalorsPhan.– Comme vous, nous sommes juste immunisés. Ce sont les nouveau-nés qui ont besoin d’un

traitement.–Vousêtesimmunisés?s’étonnaCalix.Commeça,sansrienfaire?Kirainclinalatête,intriguée.–Pasvous?–Non,touslesmembresdelaréserveontétéinoculésilyadouzeans,peuaprèsleRavage.Nous

n’avionsjamaisentenduparlerd’une…d’uneimmuniténaturelle.JecroyaisqueleRMtuaittoutle

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monde.Kiran’enrevenait toujourspasque lespersonnesvivant iciaientdisposéd’unantidotedepuissi

longtemps–pasparcequ’ilauraitétépossibledel’obtenird’elles,cequin’étaitpaslecas,maislesimple faitde savoirqu’il était là,qu’il existait,que tous lesnouveau-nésqu’elleavaitvusmourirauraientpuêtresauvésluibrisaitlecœur.–Sidesgenssontnaturellementinsensiblesauvirus,ilsepeutqu’ilexistedessurvivantsailleurs,

réfléchitPhan.Onpourraitenfairevenirdetoutlecontinent…dumondeentier,même.KirajetaunbrefregardàSamm.–Vousaccepteriezdesnouveaux?Sinousamenionsdumondeici?– Tu plaisantes ? s’exclama Phan.Ce serait un rêve !On tisserait un tapis rouge rien que pour

pouvoirvousledérouler!–Maisnousn’avonsjamaiseuledroitd’explorertroploin,ajoutaCalix.Son visage et sa voix étaient plus sombres, soudain, et elle regardait Kira en parlant – c’était

pratiquementlapremièrefoisqu’ellelefaisaitaulieudes’adresseràSamm,depuisleurarrivée.–Onréclamesanscessedepouvoirmonterd’autresexpéditionsdanslesBadlands,surtoutlajeune

génération,mais les chefsn’aimentpasça. Ils tiennent à cequ’onne s’éloignepas,qu’on reste ensécurité.Ilsdisentquenousavonstoutcequ’ilnousfautsurlaréserve,mais…vousdeux,vousêteslapreuvevivantequecen’estpasvrai.C’estpourçaqu’ilfautquevousnousdisiezcequ’ilyalà-bas,etquiyvit,pourqu’onarriveàlesconvaincredenouslaisserpartirenexploration.Paradisounon,nousnepouvonspasrestericiàjamais.–J’aidéjàentenduçaquelquepart,s’amusaSamm.Kiraneréponditpas.Pourgagnersaconfiance,Calixdevraitdonnerplusdegagesqu’unevague

méfianceenverslesautorités.–Parlez-nousdesPartials,ditPhan.Onnousaracontédestasd’histoiressureuxquandnousétions

petitsetquenousnouscachionsiciaprèsleRavage.C’estvraiqu’ilssontassezfortspoursouleverunevoiture?

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CHAPITRE41

MarcusetlessoldatsfuirentleplusloinpossibledansleRotorvolé,maisl’arméedesPartialsneleslâchaitpasd’unesemelle.Unprojectilelestouchaàl’ailegauchequelquepartau-dessusdeNewRochelle, etWoolf réussit à arracher encore quelques kilomètres à l’aéronef avant qu’unebatterieantiaériennepostéesurlacôtenelesforceàeffectuerunatterrissaged’urgenceàPelhamBay.Vincivoulaitpartirverslesud-ouestettraverserlepontdeThrogsNeckpourrejoindreLongIsland,maisWoolfobjectaquec’étaittropdangereux:lespontsétaientcouvertsdeminesetd’explosifs,ilétaitimpossible de les franchir sans risquer sa vie. Ils dénichèrent un bateau àmoteur àCity Island, yentassèrentautantdebonneessencequ’ilspurententrouver,etfirentainsilatraversée;lesPartialslesvisèrentdepuislarive,maissanslestoucher.IlsaccostèrentdansleQueens,nonloindesruinesdelabasedesForcesdedéfense,dontilnerestaitqu’unecoquillevideetnoircie,bombardéejusqu’àl’annihilationcomplèteetcarboniséejusqu’ausol.–Bienvenuedansledernierrefugehumain,ironisaWoolf.Commevouspouvezlevoir,nousne

sommespasbienéquipéspourrecevoirdesvisiteurs…–Formidable,commentaGalen.NousavonséchappéàunearméedePartialspourfinirderrière

leslignesd’uneautre.–Maisaumoins,nousavonsréussiàfuir,luirappelaMarcus.Qu’est-cequ’onfait,maintenant?–Ilmesembleraisonnabledepenserquelafactionpro-Morganagagnélaguerrecivile,là-bas,

ditVinci.UnefoisdébarrasséedeTrimble,elleapuconsolidersonautoritésurlarégion,maisilyad’autresfactions,quisympathiserontpeut-êtreavecnous:mêmesiellesn’ontpasprispartiavant,lesexactionsdeMorganpeuventlesfairepencherennotrefaveur.–Suffisammentpourmettresurpiedunmouvementderésistance?s’enquitWoolf.–Peut-être,peut-êtrepas.Toutdépendde larapiditéavec laquellenouspourrionsunir toutes les

factions restantes–et sicertainessesontdéjà ralliéesàMorgan.J’aibienpeurdenepasavoirderenseignementsfiableslà-dessus.–AlorsilfautretournerversWhitePlains,conclutMarcus.Ilfautleslocaliser,etlesrecruter.–Àconditionqu’elles s’opposent encore àMorgan, précisaWoolf.Vinci, il y adouze ans, vos

semblablesontbienfailliexterminernotreespècelorsd’unerébellion.Croyez-vousvraimentqu’ilss’allieraientàdeshumains,maintenant?Contreleurproprepeuple?Vinciréfléchitavantderépondre.– J’ai récemment appris à choisirmes alliances en fonction de critères idéologiques plutôt que

raciaux.C’estuneleçonquevousm’avezenseignée.JesuisendésaccordavecledocteurMorgan,etj’ignoresijeseraid’accordaveclevainqueurdelaguerreciviledeWhitePlains,maisentoutcas,jesuisdevotrecôté.Vousavezditquevousvouliezcoopéreravecnouspournousguérirdetousnosmaux–notredated’expirationcommevotremaladie.Est-cequeçatienttoujours?Woolfneréponditpas,maisMarcushochavigoureusementlatête.–Absolument.Nousferonslemaximum.–Alorsjesuisavecvouspourl’instant.(Ils’adressaensuiteàWoolf.)Nousavonsdéclenchéune

guerre,maisnousn’avonsjamaiseul’intentiondeprovoquerlafindumonde.Levirusnevientpasde nous. Nous avons énormément de remords pour ce qui est arrivé depuis douze ans. Il reste

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beaucoup de Partials qui cherchent peut-être une raison de refaire confiance aux humains, ou aumoinsuneraisondevivreenpaixaveceux.L’enferauquelnousvenonsd’échapperdevraitvousleprouveramplement.(Iltenditlamain.)JenepeuxpasparleraunomdechacundesPartials,maissivousêtesprêtàm’accordervotreconfiance,jesuisprêtàvousaccorderlamienne.Woolf hésita, le regard rivé sur la main de Vinci. Marcus observa les yeux du vieux soldat,

imaginantlabatailledesouvenirs,dehaineetd’espoirquidevaitfaireragedanssatête.Enfin,ilpritlamaintendueetlaserra,avantderegarderl’autrebienenface.– Je n’aurais jamais cru voir ce jour arriver.En tant que commandant desForces de défense et

sénateurdeladernièrenationhumaine,jevouspriedeconsidérercecicommeuntraitéofficiel.–Vousavezmonsoutien, luiassuraVinci,etceluide tous lesautresPartialsquenouspourrons

recruter.–Jevoudraisvousembrasser tous lesdeux, lançaMarcus,maiscette scène touchantenevoudra

riendiretantquenousn’auronspasplusdemondedansnosrangs.Alors,qu’est-cequ’onfait?Woolfcontemplalesruines.–Avantd’essayerdeleverunearméedePartials,nousdevrionsaumoinsreprendrecontactavec

les forceshumaines : nousavonsété absents assez longtempspournemêmeplus savoir cequi sepasse par ici. Mais même si nous trouvions une radio, je ne sais pas ce que nous pourrionscommuniquer.LesforcesdeMorganécoutenttouteslesfréquences,etilnefautsurtoutpasqu’ellesedoutequenouslevonsunearméemixte.– Dans ce cas, où aller ? s’enquit Vinci. Avez-vous encore une base que Morgan n’ait pas

conquise?–Franchement,jen’ensaisrien.LeSénatafuipourseréfugierdansunevieilleplanquedehors-

la-loi,maissijedevaisdeviner,jediraisqueMorganl’adéjàprise.Notremeilleuratoutestencoreunecombattanteembusquée,nomméeDelarosa.–Vousêtes sûr? s’inquiétaMarcus.Elle risquedemalprendre laprésencedePartialsdansnos

rangs.VincisetournaversWoolf.–Vousvoulezfaireallianceavecuneraciste?–Plutôtuneextrémiste,précisaWoolf.Aprèsl’invasion,sesméthodesradicalesontfaitd’elleune

de nos forces les plus efficaces sur le terrain. Elle connaît l’îlemieux que les envahisseurs, et siquelqu’unaréussiàresterlibre,ceseraelle.–Etvousêtescertaindepouvoirluifaireconfiance?Sûrqu’ellenevapastireràvuedèsqueje

vaismepointer?– C’est une grande pragmatique. Elle utilisera les armes dont elle dispose, et cela avec toute

l’efficacité possible. (Woolf donna àVinci une grande tape dans le dos.)Et quellemeilleure armepourrait-elledésirerqu’unPartial?

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CHAPITRE42

Calixécartalargementlesbraspourindiquerlatotalitédelaréserve.–Quevoulez-vousvoirenpremier?–LedocteurVale,réponditKira.–Ceneserapasavantcetaprès-midi.J’aivérifiéavecl’hôpital,ilaunenaissancecematin.Cette nouvelle emplit de joie le cœur de Kira. Elle aurait bien voulu assister en personne à

l’inoculationduremède,maisseforçaàresterconcentrée.Ilsavaientbiend’autreschosesàétudier.–Alorscettegrandetournoire,aumilieu,là.– Trop dangereux, intervint Phan. C’était le bâtiment principal de ParaGen, et les Partials l’ont

bombardécommedesdinguespendantlarébellion.Jem’étonnequecetructienneencoredebout.Bah,çavalaitlecoupd’essayer,seditKira.MaissiHeronn’apasétécapturée,c’estsûrementlà

qu’ellesecache.Samm se baissa pour examiner l’herbe, la tâtant prudemment du doigt avant d’appuyer toute sa

maindessus.–Commentl’herberésiste-t-elleauxpluiesacides?s’enquit-il.–Grâceauxmicro-organismesquiprolifèrentdanslesol,expliquaCalix.Ilsabsorbentlepoison

avantqu’ilpuisseabîmerlavégétation.Kiraaussis’agenouillapourpassersesdoigtsdansl’herbericheetdouce.–Ellen’estmêmepasdécolorée.Cesmicrobesdoiventremonterjusqu’auboutdesfeuilles.–Possible.Jenesuispasunescientifique,tusais,j’ignoretotalementcommentçamarche.–Maisonvousenseignebienlessciences,s’étonnaKiraenserelevant.Jeveuxdire,vousavezune

école,n’est-cepas?–Biensûr.Çavousditdelavisiter?Kirajetaencoreunregardverslahautetourcentrale,quidominaitlaréservetelunnoirmonument

funéraire.C’était làqu’ellevoulait se rendre,mais il leur faudrait attendre lebonmoment.Elle sesentaitsurlepointd’exploserdefrustration,maisinspiraprofondémentetespéraqueCalixetPhannepercevaientpassonstresset son impatience.L’heureviendra, se répéta-t-elle. Ilnous fautavanttoutgagnerleurconfiance.–D’accord,allonsvoirl’école.–L’école,c’estsuper,approuvaPhanenluiemboîtantlepas.Jamaisellen’avaitvuunindividuplusdébordantd’énergie:ilpartaitenavant,revenaitenarrière,

souriaitetsaluaittoutlemonde,inspectaitchaquearbreetchaquemurdevantlequelilspassaient,toutenpoursuivantlaconversation.– On apprend d’abord les bases : lire, écrire, calculer, tout ça. Vale a sauvé une poignée

d’enseignants,ilssaventcequ’ilsfont.D’ailleurs,j’étaisaveclesinstituteursaumomentduRavage.Je me trouvais au jardin d’enfants, et nous nous sommes tous cachés dans un abri anti-bombardementsaprèsuneattaquedePartials,pendantlapremièrevaguedelaguerre.Lesfrappesontétésisoudainesqu’ilsn’ontmêmepaseuletempsdefermerlesécoles,sibienquejenesaispascequ’estdevenuemafamille.Maisc’estsansdouteàcetabriquejedoislavie.Mesparentsn’ontpaseu

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cettechance,vuqu’ilsn’étaientpasàl’écoleetquenousnelesavonsjamaisretrouvésaprès…maissi vous dites que certaines personnes sont naturellement immunisées, il y a un espoir qu’ils aientsurvécuquelquepart.C’estgénial!C’estlameilleurenouvelledumonde!Kira ne put s’empêcher de sourire ; elle avait du mal à suivre le rythme étourdissant de sa

conversation.–Jesuisdésoléequetuaiesperdutesparents.Phanlaregardad’unairperplexe.–Tuasencorelestiens,toi?–Non,tuasraison…Jepensequenousavonstousperdunosparents.–Certains ont encore les leurs, dit Phan avec unhaussement d’épaules.Des familles queVale a

réussiàdénicheretàinoculertoutesensemble.Maisçanemedérangepas:jen’auraisjamaistenupendant douze ans si j’avais passé tout mon temps à pleurer les morts. Il faut tourner la page etavancer.Kirajetauncoupd’œilàSammetCalix,quiétaientplongésdansuneconversationdumêmeordre.

ElleespéraqueSammparviendraitànepasgaffersursonidentité;Calixfaisaitentoutcasdesonmieuxpour le distraire, souriant, riant, lui touchant le bras ou l’épaule, juste unpeu.Kira eut unepetitepousséedeparanoïa,convaincuequeCalixtâchaitdeleséduirepourapprendrelavérité.Maisaumoment même où elle le pensa, elle se rendit compte que c’était idiot. Calix était simplementétourdie par l’irruption soudaine d’un adolescent sexy dans un groupe très limité de gens qu’elleconnaissaitdéjàparcœur.Cequi,d’unecertainemanière,nefitquelamettreencoreplusencolère.– Chasseur n’est peut-être pas le poste le plus capital, continua Phan, mais c’est tout de même

important,carlachasseestunedenosseulessourcesdeprotéines.Deprotéinesquinesoientpasdesœufs, jeveuxdire.IlyadescervidésdanslesRocheuses,desélansetdescabris,etc’est iciqu’ilstrouventlesmeilleursherbages,sibienquenousgardonslesportailsouvertsetavonsmêmearrachéunepartiedelaclôture,afinqu’ilsentrent.Çaparaîtfaciledelescapturercommeça,maisparfoisilsneviennentpas,etnousavonsaussidesloupsquienlèventlespoulesoulesenfants.Alors,cesontleschasseursquiposentdespièges,quisuivent les tracesetquiveillentàceque lachaînealimentairefonctionnedanslebonsens.Il y avait quelque chose d’incroyablement joyeuxdans samanière de parler : il ne semblait pas

arrogantniprétentieux,maisjustefierdecequ’ilfaisaitetauthentiquementheureuxdelefaire,etsonenthousiasmepour tous lesnouveauxsujetsdeconversationétaitpluscontagieuxquepénible.Kirarenonçaassezviteàplacerunmotdansle torrentdesesbavardages,et l’écoutaparlerdetout,desfientesdeloupàlasurviedansledéserttoxiqueenpassantpardesquestionspluspointuescommelaconversion d’espaces de bureaux en logements. Ils dépassèrent encore plusieurs gros édifices, etmêmeunefontainedansunecourherbue,etKiras’émerveilladel’étrangemélanged’opulenceetdesurviequiimprégnaitleursociété:ilsavaientl’eaucouranteetl’électricité,desdouchesetmêmeuneéquipedejardiniers,quitondaientlespelousesettaillaientlesbuissonsavecminutie,maisd’unautrecôté,ilsnedisposaientpasdumatérielderécupaveclequelKiraavaitgrandi.Touslesmagasinsdevêtements du coin avaient été ravagés par des pluies acides ou carbonisés dans des incendieschimiques, si bien que les gens se vêtaient de tricots faits main, de peaux de bêtes et de hardesbricolées,tailléesdansdevieuxdrapsourideaux.Kiraserenditcompteques’ilsétaientvenuschezelle,ilsauraienttrouvésaculturetoutaussibizarre:undéfilédegravuresdemodes’éclairantàlabougie et au poêle à bois dans d’immenses demeures croulantes. Existait-il encore un endroit au

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mondeoùlaviesoitnormale?L’adjectif«normal»avait-ilmêmeencoreunsens?L’école se trouvait dans un autre immeuble de bureaux dont elle occupait les deux niveaux

inférieurs,qu’elleemplissaitdejoyeuxcrisd’enfants.LecœurdeKirabattitplusviteàl’approchedece bruit : elle n’était pas encore remise de leur existence, et encore moins du nombre d’enfantsprésentssurlaréserve.C’estpourçaquej’aitravaillétoutemavie,sedit-elle.Cebruit…cechaosfouetmerveilleux.Unenouvellegénérationdécouvrantlemondeetsel’appropriant.Leslarmesluimontèrent auxyeux, et elle fut tiraillée entre le désir de s’arrêter pour savourer, pour absorber lebonheurlepluslentementpossibleafindelefairedurer,etceluidecourir,pousserlesportesetsenoyerdanslajoied’avoirtantd’enfantsautourd’elle.SarêveriefuttranchéenetparSamm.–Entre,luidit-il.Jevaisallerchercherleschevaux.Kiraleregardaavecétonnement.–Toutseul?Laisse-moiyalleravectoi,lesruinessonttropdangereusespourunindividuseul.–Çaira,répondit-il.Jevoisbienquetuveuxresteraveclesenfants.Calixvam’accompagner:àsi

courtedistancedelaréserve,elleconnaîtbienlesruines.Calixsouriait,etKirafuttellementstupéfaitequ’ellenesutpasdéchiffrersonexpression.Lajeune

fille était-elle contente ? Trop contente ? Victorieuse ? Kira bafouilla pour tâcher de former uneréponse. D’un côté, Calix connaissait certainementmieux le terrain qu’elle, en effet, et pour cetteraisonelleseraitunemeilleurecompagnedevoyage.Del’autrecôté,uneexpéditiondanslesruinesauraitoffert àKiraetSammunenouvellechancede separler enprivéetdechercherHeron–oud’être contactés par elle. Si la Partial tenait à rester invisible, elle n’approcherait pas Samm enprésencedeCalix.Etpuis…KiranefaisaitpasconfianceàCalix,pourdesraisonsqu’ellen’arrivaitpasbienàcerner.Bon,ellen’allaitpascontinueràsementir:lecoupdecœurévidentdelajeunefillepourSammneluifaisaitpasplaisir.Maisilyavaitaussiautrechose.–Toutirabien,ditCalix.Jesuisalléelà-basdesdizainesdefois.Jecroissavoirexactementdans

quelmagasinvouslesavezlaissés.Etjen’aipasrevuunchevaldepuisl’époqued’avantleRavage.Jemeursd’enviedelescaresser.– Le ciel est dégagé, ajouta Phan. Si vous partez tout de suite, vous serez de retour pour le

déjeuner…Jepariequecescanassonsvontêtrecontentsdebrouterdelavraieherbe,pourchanger,aprèslatraverséedelafriche.Combiendetempsavez-vouspassélà-dedans?–Euh…Troisouquatresemaines,réponditKira.Elle s’efforçait toujours de formuler une objection plausible, mais déjà Samm et Calix

s’éloignaient.– Viens, entrons, lui dit Phan. C’est super, tu vas voir, tu vas adorer. Ils jouent une pièce

aujourd’hui,touslesenfantsdehuitàneufans.Unehistoiredefées,jecrois:ilsfontçatouslesans.IlentraînaKiradansl’école,etellelesuivitcommeunautomate,toutenlorgnantSammetCalix

quidisparurentaucoindubâtiment.Laville d’Arvada n’avait plus lemême aspect à la lumière du jour : elle paraissait encore plus

désolée,souslesoleilquibrillaitdansuncielsansnuages.Samminspiraitprofondément,àl’affûtdumoindresignedelaprésencedeHeronparlelien,maisilneflairaitquedelapoussière,dusoufreetduchlore.L’odeurdelafricheempoisonnée.Calixleguidajusqu’àunvastecarrefourbrumeux,pointantledoigtversdepâlesvolutesdefumée

qu’ellerepéraitd’unœilexpert.

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–Desvapeursdangereuses,dit-elle.Lapluied’hier soir entreen réactionaveccertainsproduitschimiquessecsquiserassemblentdanslescuvettescommecelle-ci,cequidégagedesgaztoxiques.Quandleventestmalorienté, il lessoufflejusquedanslaréserve,maisparunjourcalmecommecelui-ci,onpeutlescontourner.Elle continua d’avancer, parlant parfois à mi-voix de la ville – de ses dangers comme des

occasionsqu’elleoffrait–oumarchantsimplementensilence.Saconnaissancedelapollutionetdeson fonctionnement était impressionnante, et Samm se dit qu’elle aurait été bien utile pendant leurlong trajet. Ils auraient voyagé avec beaucoup plus de facilité, et auraient peut-êtremême réussi àpréserverlavied’Afa.Jemedemandesielleaimeraitrentreravecnous,songea-t-il.Elleaditqu’elleavaitdéjàessayédepartir,etelle seraitunatout sur la route :elleest fortepoursurvivredans ledésert.Biensûr,ellenevoudraitpeut-êtrepasvenirsiellesavaitcommentc’estlà-bas.Ceseraitungrandchangementpourelle,depasserdubonheurdelaréserveauxhorreursdelaguerresurlacôteest.JedemanderaisonavisàKiraavantdeleluiproposer.–C’estça,là-bas,non?demanda-t-elleenindiquantunelargeruedélabrée.Sammreconnutlecentrecommercialduboutdelarueetacquiesça.Ilsavancèrentaisément,sanscraindred’ennemisnideprédateurspuisqu’iln’yenavaitaucundans

les environs.Le désert ravagé qui les emprisonne les protège aussi de toute autremenace. Il leurpermetderesterensûretéetd’avoirlaviefacile,maissijamaisunvraidangerapparaît,ilsneserontpas prêts à l’affronter. Il observa lamanière dont ellemarchait, sûre et confiantemais seméfianttoutefoisdecertainsdangerstrèsspécifiques:ellesavaitrepérerlesgaztoxiques,parexemple,maispouvait passer devant un site parfait pour une embuscade sans même s’en rendre compte. Ils netiendraient pas une journée contre un véritable ennemi. Ils ont intérêt à prier pour que le docteurMorgannelestrouvejamais.Les chevaux hennirent avec appétit à l’approche de Samm ; ils n’avaient plus rien àmanger, et

presque plus d’eau non plus. Il leur parla simplement en s’efforçant d’imiter les intonationsapaisantesdeKira,maissesparolesétaientencoretropdirectesetterre-à-terre.–Pardond’avoirdisparudepuishier,dit-il.NousavonstrouvédesgensaucomplexeParaGen.Ils

ontdelavraieherbeetunvergerdepommiers,etdel’eauclaireàboire.Noussommesvenusvouschercherpourvousamenerlà-bas.Elle,c’estCalix.C’estuneamie.Les chevaux le contemplèrent de leurs yeux sombres et profonds, en tapant du sabot avec

impatience.–Ilssontimmenses,ditCalix.Plusgrandsquetouslesélansquej’aivus.–Ilsontfaim,etilsontenviedesortir.Ilsdétestentêtreenfermésavecleurcrottin,celui-cisurtout.IlcaressalechanfreindeZarbietlerepoussadoucement.–Celui-cis’appelleZarbi,etcelui-là,Bobo.C’estKiraquileuradonnéleursnoms.Il lui montra comment les calmer, puis comment les charger de l’équipement : d’abord une

couverture, puis la selle, sanglée assez serré pour tenirmais sans les pincer ni leur fairemal. IlsavaientmaigridepuisledépartdeNewYork,etSammespéraitqu’unpetitséjourdanslaréserveleurpermettraitdereprendredupoildelabête.Ilsenauraientbesoinpourlevoyageduretour.Calixpensaitapparemmentlamêmechose,carelleluiposaunequestiontoutensellantBobo.–Combiendetempsallez-vousrester?–Jenesaispas,répondit-il,bienquelaquestionl’aitminédepuisqu’ilsavaienttrouvélacolonie–

maisildevaitfaireattentionàtoutcequ’illuirévélait.Nousnepouvonspasresterlongtemps.NoussommesvenusàlarecherchedusiègedeParaGendansl’espoirdetrouverunremèdecontreleRM,

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et maintenant que nous savons que ce remède existe, il faut que nous le rapportions le plus vitepossiblecheznous.Notrepeupleestenguerre,etnousavonsbesoin…(Ilhésita,désireuxdenepasdonnertropd’informations.)…Pourêtrehonnête,nouscherchonsdavantagequeletraitementcontreleRM.IlnousfautdesinformationssurlesPartialseux-mêmes.Nousessayonsde…Jusqu’oùseconfier?Jusqu’àquelpointCalixétait-ellepréparéeàl’entendre?Leshabitantsdela

réserve ne semblaient pas avoir d’idées bien arrêtées sur les Partials, mais ils leur en voulaientsûrementencorepourleRavage.Commentréagirait-elleàl’idéedefairelapaixentrelesespèces?Elle le regardait attentivement, les yeux pleins de… de confiance ? D’amitié ? Il ne savait pasdéchiffrerlesémotionsdeshumains,etsedemandaunefoisdepluscommentceux-ciarrivaientàsecomprendresanslelien.Ilavaitdéjàvucetteexpressionsursestraits,surceuxdeKiraaussi,maisnesavaitpasprécisémentcequ’ellesignifiait.Ilrésolutd’êtredirect,dumoinsenpartie.Peut-êtreCalixétait-elleplusdignedeconfiancequene

lecroyaitKira.–Nousessayonsd’aiderlesPartials,avoua-t-il.Ilsonteux-mêmesunproblème,unemaladiequi

lestue,etsinousparvenonsàlaguérir,celapeutconstituerunechanced’arriveràlapaixentrenosespèces. C’est pour ça que nous sommes venus chez ParaGen, pour voir si nous y trouverionsquelquechosequipuissenousaider…etlesaideraussi.–IlfaudraquetuenparlesaudocteurVale,réponditCalix.IlsaitdestasdechosessurleRMetsur

lesmaladies.Ilestpeut-êtreaucourantdecequiarriveauxPartials.–Nousavonsdesmédecinstrèssemblablescheznous,ditSamm,quipensaitàMorgan.ValeetMorganseconnaissent-ils?Valefait-ilvéritablementpartiedel’Alliance?–SaufqueledocteurValeaéradiquéleRMdepuisaumoinsdouzeans.Vosmédecinsàvousn’ont

pasencoreétécapablesdefaireça.–Etçaneteparaîtpasunpeubizarre?s’enquitSamm.Qu’ilaittrouvéuneparadecontreleRM

presqueaussitôtquelevirusestapparu?Enl’espacedequelquessemaines?–Jesupposequepersonneneluiaposélaquestion.Jenevoispasbienoùtuveuxenvenir…Tu

insinuesqu’ilavaitdemauvaisesintentions?Quelmalpeut-ilyavoiràsauverlaviedesgens?Ehbien,parexemple,s’ilavaitdéjàunantidotetoutprêtavantleRavage,etl’avaitgardépourlui

etsa«réserve».Maislerestedel’Alliancenel’avaitpas,n’est-cepas?Morgan,Nandita,TrimbledelaCompagnieB…Oùétaitleurremède,àelles?Celan’avaitaucunsens,etSammtrouvaitcetteincohérenceintensémenttroublante.Ilsepassaitplusdechosesqu’ilnepouvaitl’appréhender,etcelaneluidisaitriendebon.– Je suis désolée que vous ayez dû vivre si longtemps sans traitement, dit Calix s’éloignant de

Bobopours’approcherdeSamm.Immuniténaturelleounon,çaadûêtrehorribledevoirmourirtousceuxquevousconnaissiez,deregardercesbébés,annéeaprèsannée…–Oui,sûrement,lacoupaSamm.Ilserenditcompteaussitôtdecequ’ilvenaitdedire:parsaformulation,ils’excluaitdelasociété

humaine.MaisCalixneparutpass’enapercevoir;aucontraire,ellepritsamaindanslasienne,rêcheetcalleusemaisaussitièdeettendre.Iltâchademasquersonerreursousuneaffirmationplusnette.–Touslesnouveau-nésconçusdepuisleRavagesontmorts.–Vousn’avezpasd’enfantsdutout?PasétonnantqueKiraaiteul’airsibouleversée,ditlajeune

fille, leregardvoiléd’uneprofondetristessependantqu’elle imaginait lavieàEastMeadow.(EllemarquaunepauseenobservantlamaindeSamm.)Est-cequevousêtes…?ToietKira…?

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–Quoi,prêtsàrepartir?–Ensemble?Est-cequevousêtes…mariés?Est-cequec’esttacopine?Samm répondit par la négative.Mais avant qu’il ait pu ajouter unmot, Calix déjà l’embrassait,

pressantseslèvresdoucesetmoelleusescontrelessiennesetsoncorpstièdecontrelesien,unbraspassé derrière sa tête, l’attirant à elle. Sammse figea de surprise.La sensationde ces lèvres le fitfondre,maisilrepritlecontrôleetlarepoussadoucement.–Désolé,dit-il,jenesuispastrèsdouépourça.–Jepourraist’apprendre.–Jeveuxdirequelacommunicationn’estpasmonfort.Jenecomprendspastoujours…Bah,c’est

sansimportance.Cequejeveuxdire,c’est…pardonsije…sijet’ai…donnédesidéesfausses.LestraitsdeCalixexprimaientunmélanged’étonnementetdeconfusion.–Excuse-moi,souffla-t-elle.Tuparaissais…intéressé.–Jesuisnavré,insista-t-il.Jecroisquejesuisamoureux…Jenepensemêmepasqu’ellelesache.Calixeutunrire,unbruitcreuxquiparutplustristequ’amusé.Ellechassaunelarmedesesyeuxet

ritànouveau.–Bon.J’aivraimentl’aird’uneparfaiteidiote,là,pasvrai?–C’estmoil’idiot.Tun’asrienfaitdemal.–C’esttrèsgentildemedireça,lâcha-t-elleenécrasantunenouvellelarme.Situpouvaismefaire

lafaveurdenedireàpersonnequeje,euh…quejet’aisautéaucoucommeuneandouille,ceseraitsympa,aussi.–Biensûr.Samm,soudaingênédelaregarder,cherchaquelquechosepouroccupersesyeux.Ilchoisitlesol,

etlecontemplad’unairgauche.–Tuesbienplusdirectequ’elle.–Apparemment!s’exclamaCalix.Ducoindel’œil,illaregardarejoindreleschevaux.–Vousaveztraversétoutlecontinentensemble,etnil’unnil’autren’afaitlepremierpaspendant

toutcetemps?(Elleeutunautrerirebref.)Jenem’étonneplusquevousn’ayezpasd’enfants.–Cen’estpaslaraison…commença-t-il,maisellelecoupad’unnouveléclatderirenerveux.–Jesais,jesais,cen’étaitqu’uneblagueidiote.Pardon.J’aivraimentlechicpourmeridiculiser,

aujourd’hui,pasvrai?Ahlàlà,cettebonnevieilleCalix!–Tuestrèsattirante,ditSamm.–Cen’estpascequej’aienviedet’entendredire,là,gémit-elle.Samm se sentait horriblementmal, d’abord parce qu’elle-même était mal, et encore plus parce

qu’ilignoraitcommentluiparler.Fichulien,pensa-t-il.Jesaiscommentm’yprendreavec les fillesPartials,maisleshumainessonttellement…C’estbiensimple,ondiraitunetoutautreespèce!Ils’envoulait d’avoir envoyé des signaux d’encouragement à Calix sans le savoir, et voilà qu’il étaitincapabledelaconsoler.– J’aimerais savoir quoi te dire, avoua-t-il. Comme je te l’ai expliqué, je suis nul en

communication.Jenesuispasdouépourparleraux…–Çanefaitrien,souffla-t-ellerapidement.–Si,c’estennuyeux.J’enaimarre.Jevoudraism’améliorer,maisjenesuistoutsimplementpas

fait pour. Jen’ai pasvoulu traverserun continent entier avecKira sans rien lui avouer,mais c’est

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pourtantcequej’aifait,parcequejenesaispascommentledire.Ilyabeaucoupdechosesquejegardeenmoi,mais…Jesuisdésolé,vraiment.Relevant les yeux, il vit que Calix avait cessé de travailler avec les chevaux et le dévisageait

fixement.Elleluiparlad’unevoixdouce.–Qu’est-cequetuveuxdireàKira?Sammresta immobile,émettantmilledonnéesdifférentesdontCalix ignorait jusqu’à l’existence.

Ce n’était pas le moment de parler sentiments avec Kira, ils avaient plus important à faire. Etpourtant…Kirame prend pour une statue, pensa-t-il.Unmannequin dépourvu d’émotions. Il imitadélibérémentlesattitudesindiquantlatristesseetlarésignation,tellesqu’illesavaitobservéeschezleshumains,inspirantdel’airpourlerejeterlentement:unsoupir.–Jenesaispascequ’elleveut,finit-ilparavouer.Tuasététrèsclaireavectesémotions.Kira,elle,

estunmystèrepourmoi.–Tunesaispassiellet’aime.–Noussommestropdifférents,ditSamm.(C’étaitdifficiledeparlersansenrévéler trop.)Jene

saispassiellevoudraitde…cequejesuis.–Biensûr, réponditCalix.Siçase trouve,ellenepeutpasencadrer lesgarçonsquisontbeaux,

compétents,sympasetadorables.–Tuestrèsgentille.–Pour cequeçame rapporte…soupira la jeune fille à son tour avantd’aller s’asseoir surune

vieilletableusée.Écoute.Kiraettoi,cen’estpaslarelationdontj’espéraisparleraujourd’hui,maisj’ai fait ça je ne sais combien de fois avec Phan et je suis assez sûre d’avoir des tuyaux que tupourraisutiliser.Toutd’abord,tudisquetunesaispascequ’elleveut?Jevaisteledire,moi:ellepartageexactementtessentiments–ellenem’enapasparlénirien,maisjetelegarantis.C’estdubéton!Jet’observedepuisquetuesarrivécheznous,ettun’asjamaisdonnélamoindreindicationqu’ellet’intéressait.C’estpourçaquej’aitentémachance.Simoijen’airienvu,ellen’apaspuvoirquoiquecesoitnonplus.–Jesuisnulencommu…– Je sais. Je commence même à le savoir par cœur. Nous sommes d’accord là-dessus, alors

avançons. Étape deux : tu m’as remerciée d’être si franche au sujet de mes sentiments, et je teremercied’avoirétéfrancàproposdestiens.Dumoinsunefoisquejet’yaiobligé.J’aimemieuxsavoir clairement ce que tu ressens plutôt qu’espérer,me torturer,me faire des idées pendant dessemaines…c’est-à-direexactementcequ’ellefait.–Tunepeuxpasenêtrecertaine,objectaSamm.–Biensûrquesi.Toutlemonden’estpasaussiempotéquetoi,Samm.Ilsuffitd’avoirdesyeux

pourvoirqu’ellecraquepourtoi.Samm restait absolument figé, mais toute tentative de liaison phéromonale avec lui aurait été

coupéenetparl’intensitédesesémotions.Ilsedemandaitsic’étaitbienvrai,siKiraavaitréellementdessentimentsamoureuxpourlui,unPartial,undeceuxquiavaientagressésonpeuple,ungarçonquil’avaittrahiepourobéiràunefolle,etluiavaitapportéplusd’ennuisqu’ilnevoulaitypenser.Unhommeàquiilrestaitàpeineunanàvivreavantquesadated’expirationn’effacesavieetsonavenird’unseulcoup.Ilnepensaitpasquecesoitpossible.–Elleauncopain,dit-il.Ilestmédecin,commeelle,àNewYork.–C’estloin,NewYork.

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–Maisonvayretourner.–Etsitufaistoutelaroutesansrienluidire,tuméritesdelaperdre.Sammnepouvaitqu’êtred’accord.–Marcuslafaitrire,ajouta-t-il.J’ensuisincapable.– Tu n’as qu’à essayer de l’embrasser, dit Calix avec un sourire penaud. Ça n’a pas trop bien

marchépourmoi,maisonnesaitjamais.–Jenecroispasquecesoitmonstyle.–Tonstyle,c’estlecélibatsilencieux,etjetegarantisqueçanemarcherapasnonplus.Parle-lui!–Jeluiparletoutletemps.–Maissansluidirecequ’elleveutentendre.Ilseraittempsdet’ymettre!

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CHAPITRE43

–Valeneveuttoujourspasnousrecevoir,annonçaKira.Ils étaient assis dans un petit jardin : quelques tables à pique-nique dans un bosquet d’arbres, à

l’intérieur de la réserve.SammetCalix étaient rentrés à tempspour le déjeuner, etCalix les avaitabandonnéspresqueaussitôtpourallerjoueraufootballavecungrouped’adolescents,surleterraintoutproche.Phanaussijouaitdansl’équipe,etentrelespartiesilrevenaitessayerdelesconvaincredesejoindreàeux,maisKiraavaittropdechosesàvoiravecSammetsefélicitaitdecetteintimitérelative.Samm,poursapart,semblaitencoreplusréservéqued’habitude,maisKirapritcelapouruneconcentration renouveléesur la tâchequi lesattendait. Il luiassuraqueCalixn’avaitmanifestéaucuneintentioncachée,maisneditpasgrand-chosed’autresurleurexpéditiondanslesruines.–C’estévidentqueValedissimulequelquechose,continuaKira,etmêmesionrestesagementà

attendrequ’ilnousaccordel’entretienpromis,ilvasansdouteencorenousbalader.Sescachotteriesnemeplaisentpas,etnousn’avonstoujoursaucunenouvelledeHeron.J’enaimaclaquedetoutça.Ilesttempsd’entrerdansleSaintdessaints.(Ellejetauncoupd’œilàlahauteflèchenoirequidépassaitderrière les autres bâtiments.) Phan m’a emmenée visiter le complexe tout à l’heure, et certainsbâtiments sont tout proches de la tour. On pourrait faire presque tout le trajet sans attirer lessoupçons,etensuite,jenesaispas…essayerdes’yfaufilersansêtrevus.Honnêtement,jenesaispassiquelqu’uns’ensoucierait:PhanditquelastructureestfragiledepuislesbombardementsPartials,maislesgensneparaissentpasnonplustrèsinquietsdevivrejusteàcôté.Ondiraitqu’ilsn’ypensentpasdutout.–Est-cequ’ilyauneclôture?– Une sorte de muret, ou plutôt une barricade de détritus et de vieux meubles. Ils tâchent

d’empêcher lesenfantsd’aller jouerpar là,mais ilsnesemblentpasprotégeractivement les lieux.C’estasseztypiquedecettesociétédanssonensemble,d’ailleurs:ilsnes’attendentpasdutoutàuneattaque,niàdesrebelles,niàcequequelqu’unenfreignelaloi,etapparemment,çan’arrivejamais.–Etnaturellement,çaterendméfiante.–Çarendraitn’importequiméfiant,ditKira.Unesociétéparfaite,çan’existepas:ilyaforcément

toujoursde l’agitation,oude lacriminalité,oudemauvaises intentionsquelquepart.Peut-êtrequeValeutilisejenesaisquelleformedecontrôlementalpourgardertoutlemondedanslerang.Unesortedelien,maispourleshumains.Samm fit un réel effort pour exprimer visuellement son scepticisme, ce qui donna une grimace

assezcomique.Elleréagitparunsourirenarquois.–Jenesaispas,c’estuneidéecommeça.Uneclameur triomphale s’élevadu terrainde football, etKira, relevant la tête, vit lamoitiédes

joueursbondirdejoie.Unjeunehommegisaitàterre,gémissantdoucement,leballonposéàcôtédelui,etCalixs’éloignaitdecequiavaitdûêtreuneviolentemêlée.Elleavaitunepetitegriffureàlajoue.–Ehbien!Jenemedoutaispasqu’ellepouvaitêtresibrutale,s’étonnaKira.–Elleadesproblèmesàrégler,ditSammenscrutantleterrain.J’espèrequ’ellen’afaitdemalà

personne.

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–C’estnotrechance!soufflaKiraenluiposantunemainsurlebras.Attendsqu’ilscommencentunenouvellemi-temps,etensuite, suis-moi.Enpassantderrièrecesarbreseten tournant àgaucheverscebâtiment,onserahorsdevueavantqu’ilsaientremarquénotreabsence.–Etsiquelqu’und’autrenousvoit?–Bah,onnenousajamaisspécifiquementdéfendud’allerparlà-bas.Siquelqu’unnousvoit,on

joueralesidiotsetonleremercieradenousavoirprévenusquecettetourétaitdangereuse.Etonyretourneradenuit.Maissionaunechanced’yentrerdèsmaintenant,jeveuxaumoinsessayer.–D’accord.Tuesarmée?–J’aimonsemi-automatiqueàlaceinture.–Etmoiunholsterdecheville.Espéronsqu’onn’enaurapasbesoin.Ils restèrent assis sans rien ajouter, observant lematch ; Phan se plaça dans l’alignement de la

mêlée,cettefoissanss’arrêtercommeill’avaitfaitàplusieursreprisespourinciterKiraetSammàvenir jouer. Les autres s’alignèrent également, le quart-arrière mit le ballon en jeu, et les deuxPartialss’éclipsèrent.Ilsavaientfranchilecoinavantmêmequelamêléesesoitdisloquée.–Parici,soufflaKiraenouvrantlamarchelelongdubâtiment,verslecentreducomplexe.Latourapparutderrière,sihautequ’elleétaitvisibledepratiquementpartoutdanslaréserve.Des

genslessaluaienticietlà,maispersonnequeKirareconnaisseaprèssabrèvevisiteencompagniedePhan. Elle leur rendit leurs salutations en espérant qu’aucun ne s’arrêterait pour bavarder. Deuxbâtimentsplusloin,ilsétaientauborddelalargeclairièrecentrale.Au-delàsetrouvaitlemuretdeprotection, un méli-mélo de tables et d’armoires déglinguées, et ici et là un rocher ou un troncd’arbre.Derrièrecettelimitesedressaitl’énormeédificenoir.Lerevêtementextérieurressemblaitàceuxdebeaucoupd’autresgratte-cielqueKiraavaitdéjàvus:autrefoiscouvertdevitres,désormaisdamier deverre brisé et dedébris accrochés à une armature squelettique.Mais à la différencedesautresbâtiments,celui-ciavaitétédirectementattaqué,puisnoyésousdesannéesdepluiecorrosive,si bien que des portions entières en étaient noircies, tordues ou criblées de cratères grotesques. Ilavaitaussiuneformebizarre,s’amincissantavecdessailliesetdesanglesétrangesquiavaientpeut-être un jour été modernes et magnifiques, mais ajoutaient désormais à son aspect menaçant etlugubre.Kiraimaginaitpresquevoirdeslumièresàl’intérieur,etsefigurauninstantquec’étaientlesfantômes des anciens employés de bureau, trimant sans fin dans leur tombe oubliée. Elle seréprimandapoursabêtise,etréfléchitàdesexplicationsplusplausibles.Lecourantquialimentaitlecomplexeétait-ilaussienservicedanslatour?Etàquoiservirait-il?Laclairièreétaitenvahieparunevégétationsauvage,commesipersonnen’yétaitentrédepuisdesannées.–Heronestvenueici,annonçaSamm.–Etelleyesttoujoursouelleestrepartie?–Lesdonnéessonttropfaiblespourquejepuisseledire.–Maintenant, on est sûrs queVale cache quelque chose, ajoutaKira. Si on arrive à franchir ce

muret,onseracomplètementdissimulésparlesbuissons.Çadoitêtrepossibled’entrersansêtrevus.–Mieuxvaudraitattendrelanuit.– Et avoir de nouveau Phan et Calix sur les bras ? Non, ceci est la meilleure occasion qui se

présentera jamais. (Elle jeta un regard circulaire.) Je ne vois personne… ils sont tous en train depique-niquer,oudejoueraufoot,oudefairecequefontlesgensdanscetendroitsinistre.–Ças’appelle«vivreuneexistencenormale».–Etc’estpeut-êtrejusteunshowrienquepournous,ditKira.

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–Tucroisvraiment…Bah,laissetomber.Allons-y.–Pardonpourtoutça,soufflaKira,quisentitsoudainlepoidsdeleurquêteinterminablepesersur

sesépaules.Désoléedet’avoirentraînélà-dedans.–Tusaisquej’ycroisautantquetoi,larassura-t-il.Lavienormaledesautresestcequifaitque

nosviesdedinguesvalentlapeined’êtrevécues.Kirafuttraverséeparuntorrentd’émotions.–Jeteprometsquedèsqu’onaurafinidesauverlemonde,onpique-niqueraetonjoueraaufoot.–Marchéconclu.Kiralevalesyeuxverslaflèche.–Prêt?–Essaiedemesuivre!ditSamm.Illançadesregardsprudentsautourdelui,puisrelevalatêteverslesommetdelatouretplissales

yeux.–Go!Ils traversèrent à toute allure la clairière à découvert, évitant les souches d’arbres tombés qui

parsemaientlaprairie.Sammfutlepremieràatteindrelemuretetbonditpar-dessuspourretomberdans les hautes herbes ; Kira le suivit de près et atterrit à côté de lui dans les taillis. Ilss’immobilisèrent,guettantdescrisd’alarmeoudesbruitsdepoursuite,maisKiran’entenditrien.Sammétaitessoufflé.–Tufatigues?luichuchotaKira.Jecroyaisqueçanepouvaitpast’arriver.–Onestencoreaffaiblisparlatraverséedelaplainetoxique.Noscorpsnesontpasautopdeleurs

capacités.–Moi,çava,ditKira.–Moiaussi.Allons-y.Ils rampèrent parmi les taillis, restant hors de vue dans les hautes herbes. Samm semblait avoir

retrouvéunétatnormal,etKiraavançatêtebaissée,déterminéeàatteindrelatourleplusrapidementpossible : cachés ou pas, ils risquaient encore d’être découverts tant qu’ils ne seraient pas àl’intérieur,àl’abridesregardsindiscrets.Ellecraignaitqueleurdéplacementfurtifnesoittroplong,etseredressaunpeupourjeteruncoupd’œilau-dessusdesherbes.Lecomplexeparaissaitcalmeetsilencieux.Ellese remitàquatrepatteset filaplus rapidementvers l’avant, la tourétantdésormaispresqueàsaportée.Sammlasuivit,levisagesombreetvolontaire.Lorsqu’ilsarrivèrentaupieddela tour, il respirait encore d’unemanière inhabituelle : il ne haletait pas,mais inspirait à longuesgouléeslentes.–Çava,tuessûr?–Jemesensbizarre.Épuisé,commesij’avaisenchaînéplusieursnuitsblanches.Kira ne put s’empêcher de culpabiliser.Moi, je ne suis pas fatiguée du tout… Samm s’est-il

réellementdépensébienplusquemoi?Aurais-jefaittellementpeud’effortspendantcevoyage,sansmêmelesavoir?–Tuasbesoindetereposer?–Pasici.Ilfautqu’onentre.Les hautes broussailles s’étendaient pratiquement jusqu’au pied de l’édifice, où ils pourraient

pénétrerparn’importelaquelledesbaiesvitréesréduitesenmiettesparl’attaquedesPartials.Presquetoutlerez-de-chaussée,soutenuparunesériedepiliers,étaitouvertauxquatrevents.Ilnerestaitque

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le bureau de la réception et une zone d’attente ; s’il y avait des dossiers à trouver, ils étaientprobablementdanslesbureauxdesétages,etKirarepéralaporteentrouverted’unecaged’escalier.Elle lamontraàSamm,quihocha la têteenrespirantsurunrythmelentetdélibéré.Ellecomptaàvoix basse : «Un, deux, trois », après quoi ils bondirent et coururent, filant sur le sol couvert dedébris.Kirafut lapremièreàatteindrelaporte,avecplusieurspasd’avancesurSamm,et lorsqu’ill’eutfranchieentitubant,ellelaclaquaderrièrelui.Ils’adossalourdementaumur,cherchantdel’air,lesyeuxfermés.–Jenepensepasqu’onnousaitvus,ditKira.Onpeutsereposericiuneminuteavantdemonter.–Sijemerepose,jevaism’endormir,objectaSamm.Ilvoulutrouvrirlesyeux,maissespaupièreslourdesneréagirentpas.–Continued’avancer,souffla-t-il.–Maistoi,çavaaller?–Ilfautqu’onavance,detoutemanière,doncçan’apasd’importance.Kiratentadeprotester,dedirequ’ilspourraientrevenirplustard,maisilnevoulutrienentendre.–Nousn’auronspasd’autreessai.Jepeuxyarriver.Ilempoignalarampeàdeuxmainsetlevaunejambelourdecommeleplomb.Kiraseglissasous

un de ses bras et le prit par la taille pour l’aider à rester debout. Il respirait plus fort à présent,presquecommequelqu’unquidortprofondément.Sespasétaientarythmiques,etilluifallaitparfoistroisouquatretentativespourtrouverlabonnehauteur.–Tutedébrouillesbien,l’encourageaKiratoutensachantquequelquechosen’allaitpasdutout.

Maisqueluiarrive-t-il,bonsang?Plusquequelquesmarches.Elleletenaitfermement,portantpresquetoutsonpoidspourgrimperaveclui.–C’estça,onyestpresque.Arrivéeaupremierétage,elleouvritlaporteetillafranchitens’effondrantausol.Uneodeurde

terreetdeplantesemplissait l’atmosphère,etellevitdesempreintesdepattesdechatsetd’oiseauxdanslapoussièrequicouvraitlamoquette.Personnenepouvaitlesrepérerdel’extérieur:c’étaitunecachettequienvalaituneautre.–Samm,est-cequeçava?Samm,parle-moi.–Pas…Savoixétaitlenteetfaible,commes’ildevaitfairepasserchaquemotdeforceàtraversunlourd

écrandetoile,etqu’ilsn’avaientplusdeforceenressortantdel’autrecôté.Satêteroulaitd’avantenarrièreetilouvritlesyeuxleplusgrandpossible,luttantpournepasperdreconscience.Elleattenditqu’ilterminesaphrase,maislorsqu’ilreparlaenfin,cefutpourdireautrechose.–Heron…ici.(Encoreunsilence.)…Vaisdormir.Iltournalatêteverselle,maissonregardétaitflou,hébété.–Trouve…le.–Trouve-le?Trouverquoi?Ellelesecouaetluiparlafarouchementàl’oreille,maisrienneputleréveiller.Ildort…Ilm’adit

qu’ildormait.Etd’aprèslui,Heronesticiquelquepart.Kirarassemblatoutesaconcentrationpourutiliserlelien,pourdétecterdesphéromonesenprovenancedeHerondansl’airquil’entourait.Ellen’avaitjamaisréussiàlefairesurdemande;ellenepouvaitcomptersurcesensqu’enpleincombat,quand l’adrénaline amplifiait ses effets.Mais j’ai une bonne poussée d’adrénaline en ce moment,pensa-t-elle.CequiarriveàSammme ficheune frousse terrible,etpourtant jenedétecterien.Les

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phéromonesproduitespendantuncombatsont-ellessimplementplusfortes?Oubienest-cemoiquisuisconçuepourdétecterseulementcelles-làetaucuneautre?Elle vérifia le pouls et la respiration de Samm : il n’y avait rien d’inquiétant.Maintenant qu’il

s’abandonnait au sommeil sans plus résister, ses fonctions vitales paraissaient s’être normalisées.Kira se leva en réfléchissant à ce qu’elle devait faire : rester auprès de lui en attendant qu’il seréveille?Lelaissersurplaceetcontinuer?Ladernièreoptionsemblaitêtrelaseuleviable,maisellene lui plaisait pas : et si quelque chose arrivait àSammpendant son absence ?Elle le traîna pourl’appuyerdosaumur, sur le flanc, retenupardeux toursd’ordinateurs trouvéesdansdesboxesdetravail non loin. Son sommeil était si profond qu’elle craignait qu’il ne réagisse pas en cas devomissements,etqu’ils’étouffejusqu’àlamort.Ellepouvaitaumoinsleprotégerdecela.Ondiraitpresquequ’ilareçudessédatifs,pensa-t-elle.Maispourquoiest-cequ’onluiauraitfait

ça…etcomment?Calixluiaurait-ellefaitabsorberunesubstance?Etpourquoiledroguerpuislequitter ?Bah, je le lui demanderai quand il se réveillera.Pour l’instant, je suis dans les lieux, autermedenotrequête,et jenesaispascombiende temps ilnousresteavantqu’onnouscherche.Sinouspartonsmaintenant,Sammaraison,iln’yaaucunegarantiequenousayonsuneautreoccasiondetrouvercequenousvoulons.Ilfautquejemettelamainsurlesarchives.Elleluifitdesexcusesmuettes,puisfouillalesbureauxdel’étageàlarecherched’unrépertoire,

d’unplan,d’unindicepoursavoirparoùcommencer.Évidemment,l’Allianceneseraitmentionnéenullepartsouscetteappellation,dumoinsellenelepensaitpas,maiselleconnaissaitdésormais laliste de la plupart de ses membres. Elle les répéta une nouvelle fois dans sa tête : GraemeChamberlain, Kioni Trimble, Jerry Ryssdal, McKenna Morgan, Nandita Merchant, ArminDhurvasula.Monpère.Elledénichaunpetitrépertoireetycherchacesnoms,envain.Elle décida d’approcher le problème sous un angle différent : quels indices avait-elle déjà

rassemblés,etquesavait-elle?Illuifallutunmomentpourorganisersespensées;elleavaitététropoccupée à autre chose au cours des dernières semaines, où elle n’avait songé qu’à la survie oupresque.Elledutseremémorerlesmystèresqu’elles’efforçaitd’élucider.Morganavaitétéchargéede concevoir les incroyables attributs physiques des Partials : leur force, leurs réflexes, leurrésistance aux maladies et leur étonnante faculté de cicatrisation. Jerry Ryssdal avait travaillé surleurs sens. Le père deKira avait créé le lien ainsi que tout le système de communication par lesphéromones.Elle ignoraitquelavaitété lerôledeTrimble.Enfin,GraemeChamberlainetNanditaavaientétéchargésduprojetSécurité.L’épidémiemeurtrièreconnuesous lenomdeRM.SammetKiraavaientapprisàChicagoquelaSécuritéavaitétéconçuepourexterminerlesPartialssijamaisils échappaient au contrôle humain – à la demande du gouvernement des États-Unis, et sous lasupervisiondesdirecteursdeParaGen,etquecettedemandesemblaitêtrel’incidentdéclencheurquiavaitpoussélesprincipalestêtespensantesscientifiquesdel’entrepriseàformerl’Alliance.Et,pouruneraisoninconnue,lorsquelevirusétaitapparu,ilavaittuéleshumainsàlaplacedesPartials.Celanepouvaitpasêtrelevœudel’Alliance:Kiranepouvaitserésoudreàimaginerquequiconque–etencoremoinssonpèreetlaseulefigurematernellequ’elleavaitjamaiseue–auraitvolontairement,entouteconscience,assassinétantdegens.EtGraemeavaitmisfinàsesjours,cequineluiapprenaitrienmaislaperturbaitnéanmoinsprofondément.Toutdemême,sedit-elle,l’Allianceétaitdivisée,mêmependantqu’ilsélaboraientleursplans.Le

docteurMorgan,parexemple,ignorait toutdeladated’expiration,etpourtantquelqu’unavaitbiendûlaprogrammerdansleurADN,quelqu’unquiavaituneidéederrièrelatête.Ilyenavaitd’autres,aussi:lesnomsqueMorganavaitprononcéslorsqu’elleavaitprisKirapouruneespionne:Cronus,

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Prométhée. Étaient-ce des noms de code pour désigner certains des membres de cette liste ? Oud’autrespersonnesencore?EtoùintervenaitledocteurValedanstoutcela?Kirasetournadenouveauverslerépertoire,cherchanttoutmot-cléquiauraitpuêtreliéauplande

l’Alliance:expiration,Sécurité,virus,virologie,pathologie,épidémiologie…Ellecherchasoustouslessynonymesquiluivenaiententête.Ellecherchaà«laboratoire»,«recherche»,«génétique»,etmêmeà«RM»…Minute.Ellerelut.Iln’yavaitpasdeRM,maisuneentrée«RD,niveauC».Serait-ceune référenceau virus?Peut-êtreune versionantérieure?Maisnon, cen’est paspossiblequequelquechosedesisecretfiguredansunregistresigénéral,quinecontientmêmepaslesnomsdesdirecteursscientifiques.Elleserappelaletempsqu’elleavaitmisàcomprendreletermeDI,etlefaitqu’il s’agissait en fait d’un acronyme : directeur informatique.RD, c’est peut-être lamême chose,peut-être…Référencesdesdonnées?Recherchededirection?Rechercheetdéveloppement.Si l’Alliance se trouvait quelque part, c’était là.Mais où se situe le niveauC ?Les étages sont

numérotés.Ellecherchaunplandeslocaux,ouvrantrageusementtouslestiroirsqu’ellevoyait,maisà son troisième passage dans le couloir principal, elle s’arrêta au sommet de l’escalier, le regardattirénonpar lesmarchesmaispar lesportes, justeàcôté.Troisrangéesdedoublesportes,côteàcôte.Desascenseurs.Lesiteentierjouissaitd’unealimentationélectriqueenétatdemarcheetautonome.Lesascenseurs

desautresbâtimentsfonctionnaient toujours.S’ilsétaientenservice ici, trouver leniveauCdevraitêtreaussifacilequelirelesboutons.Etl’atteindre,aussifacilequ’appuyersurundecesboutons.Ellefitunpas,ledoigthésitantau-dessusduboutond’appel,etappuya.Loindanslesentraillesdel’édifice,unmoteurs’animaenbourdonnant,etKirasentitlesolvibrer

sousl’impulsiondesrouagesetdesengrenages.Desclaquementsetdesgémissementss’élevèrentdelacage,etKirareculalorsquelaportesituéedevantelles’entrouvritavecungrincementstrident.Lacabinen’étaitpascomplètementalignéeaveclaporte,laissantunlargetrouténébreuxenbas.Cen’estpas parce qu’ils ont du courant pour les fairemarcher qu’ils les ont entretenus depuis douze ans.C’étaitdéjàstupéfiantquelesascenseursfonctionnentencore,mêmemal.Lesportestentèrentdeserefermer,maiselless’étaienttroptorduesens’ouvrant.Kirahésitasurleseuil,tâchantdedécidersiellesefiaitassezàlastabilitédelamachineriepourmonteràbordetregarderlesboutons.Ellejetauncoupd’œilprudentdanslafosseendessous,etaperçutdeslumièresrougesombreaupiedd’unpuitsquisemblaitdescendresuraumoinsseptétages.Çafaitcinqniveauxensous-sol,réfléchit-elle.Ildoityenavoirunpourl’entretien,peut-êtredeux.Ettroisétagesenfouis.A,BetC.Ellerésolutfinalementd’éviterl’ascenseur,etpréféraregarderdanslepuitsetdanslescoinsàla

recherched’uneéchelledemaintenance.Elleenrepéraunequ’ellepouvaitatteindreavecunerelativefacilité,maiselleéprouvatoutdemêmeuninstantdevertigeterribleensepenchantau-dessusdelafossenoire.Unefoislesmainsfermementaccrochéesauxéchelons,elleramenalerestedesoncorpsdanslevide,trouval’échelleavecsonpied,etcommençaàdescendre.Lesétagesétaientindiqués,etellesoupiradesoulagement lorsque,après le0,elle trouvaleAendessous.Ellecontinuajusqu’auniveauC,puischerchaunesortie.Àcôtédel’échellesetrouvaituneporteréservéeàl’entretien;elletournalapoignée,etlebattantpivotasansrésister.Le couloir sur lequel donnait cette porte était violemment éclairé. L’air y était frais et bien

renouvelé.Auloin,faibleéchodanstoutcevide,elleperçutunbruitdepas.

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Soncœur lui bondit dans la gorge, et elle se retrouvaparalyséepar la terreur.Était-ceHeron ?Quelqu’und’autre?Avait-onentenduleraffutdel’ascenseur?Yavait-ilunepersonne,ouplusieurs?Arrivantoupartant?Ellen’ensavaitrien,etc’étaittropterrifiantpourqu’ellepuissefaireungeste.Auboutd’unmoment,elleseforçaàseraisonner.Quoiquecesoit,ilfautquejecontinue.Jenepeuxpassimplementtournerlestalons:ceciestpeut-êtremaseulechancededécouvrircequejesuis.Ellehésita,tâchantdesedonnerducourageetsedemandants’ilyavaitàl’intérieurunsystèmedesécuritéquis’enprendraitàelle.Ellen’avaitdéclenchéaucunealarmeenouvrantlaporte.Elleinspiraàfondetlafranchit.Ilfaisaitclairdanslecouloir,passeulementenraisondelalumièremaisaussiparcequelesmurs,

lesoletleplafondétaiententièrementblancs,commeàl’hôpital.Kiraressentaitunefaiblevibrationdans le sol, comparable à celle de la machinerie de l’ascenseur mais constante, comme unbourdonnementdefond.Legénérateurélectrique?Oubienuneventilation. Ilyavaitbienunlégercourant d’air, ni chaud ni froid, simplement de l’air enmouvement. Elle entendit encore des pas,faibles, qui ne devaient pas venir de plus d’une personne. Elle se concentra sur le lien, tâchant desavoirs’ils’agissaitdeHeron,maisnesentittoujoursrien.Ellefouillasaceinturepourcherchersonpistolet,qu’ellepritenmain;ellevérifialachambreetlemagasinpours’assurerqu’ilétaitchargéetprêtàtirer.Puiselleletintdevantelleavecprudenceetavançasurlapointedespieds.Elleentendaitquelqu’unmarcher,maiselleétaitbiendécidéeànepasêtreentendue,elle.LeniveauCétaitunvaste laboratoire,beaucoupmieuxconservéque lesétagessupérieurs.Quoi

quelesPartialsaientfaitàcetendroit,ladestructionn’avaitpaspénétrésiprofond.Kirapassadevantdes bureaux et des salles de réunion, des laboratoires et des douches, de vastes salles blanchesemplies dematériel qu’elle n’identifiaitmême pas. Était-ce là queVale fabriquait son traitement ?C’étaitprobable:l’immeubleParaGenétaitsansaucundoutelemieuxéquipédelaréserve.Était-celaraisonpourlaquellel’antidoten’étaitpas«transportable»?C’étaitpeut-êtreValequ’elleentendaitdanslesparages.Elleaccéléra.Elle entendit de nouveau les pas, et, se rapprochant, perçut une voix, un murmure indistinct,

quelqu’unquiparlaitbas.Kiraavançaleplussilencieusementpossible,redoutanttoujourscequ’ellerisquaitdedécouvriretcequ’ilouelleseraiten trainde faire.S’enprendraient-ilsàune intruse?Considéreraient-ils sa présence comme une menace ? Quel matériel utilisaient-ils, et de quellemanière?Iraient-ilsjusqu’àlatuerpourprotégerleursecret?Peuimporte.J’aifaittoutcechemin,ilfautquej’enaielecœurnet.Ellepritunderniervirageetentradansunevastepièce.Là,elleréprimauncri.Alignéesdevant

elle, en deux longues rangées, se trouvaient dix tables métalliques. Sur chacune était étendu unhommeémacié,presquesquelettique.Tousétaientbranchéssurunamasdetubes,defilsélectriquesetdecâblesfixésauplafond,dontcertainsinjectaientaugoutteàgouttedesnutrimentsdanslescorpstandis que d’autres évacuaient apparemment des déchets ou du sang recyclé. Leurs visages étaientdécouverts, mais un petit tuyau dépassait du cou de chacun, traversant directement la peau et serecourbantvers l’enchevêtrementde tubessuspenduau-dessusd’eux.Dansn’importequellesautrescirconstances, elle les aurait crusmorts,mais elle voyait lemouvement régulier et frêle de leurstorses, voyait leurs cœurs battre lentement dans leurs poitrines fragiles. C’étaient des cadavresvivants,inconscientsetperduspourlemonde.Ilssemblaientêtrelàdepuisdesannées.–Quesepasse-t-il,ici?souffla-t-elle.–CesontdesPartials,réponditledocteurVale.Kira,relevantlesyeux,ledécouvritàl’autreboutdelapièce;ellebraquasonarmesurluidansun

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gestepresqueinvolontaire,etildressalesmainsenl’air.–Vousvouliezsavoircomment je synthétisais le traitement,dit-il. Jene le synthétisepas…je le

récolteàlasource.(Ilembrassalestablesd’ungrandgeste.)Jevousprésente…letraitementcontreleRM.

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CHAPITRE44

Kiraenrestaestomaquée.–Qu’est-cequec’estqueça?–Lesalut,réponditVale.Tousceuxquevousavezrencontrésici,chacundesenfantsquevousavez

vus,quevousavezqualifiésdemiracles…IlssontlàgrâceàcesdixPartials.–Maisc’est…Elles’arrêta,fitunpas,etsecoualatête,luttanttoujourspourdigérercequ’ellevoyait.–Est-cequ’ilsdorment?–Ilssontsoussédatifs,ditVale.Ilsnepeuventpasvousvoirnivousentendre,quoiquenosvoix

s’insinuentprobablementdansleursrêves.–Parcequ’ilsrêvent?–Peut-être.Leuractivitécérébralen’estpasunélémentimportantdansleprocessus;jen’yaipas

faitparticulièrementattention.Kirafitencoreunpasverseux.–Ilsneseréveillentjamais?–Pourquoifaire?Jepeuxlescultiverplusfacilementdans leursommeil–c’estbienmoinsde

souci.–Vousneles«cultivez»pas.Cenesontpasdesplantes.–D’unpointdevuestrictementbiologique,non,eneffet,maislacomparaisonestpertinente.Vales’approchad’unspécimenpourvérifier lebonétatdes tubesetdescâblesqui le reliaientà

l’appareillagesuspendusousleplafond.–Cenesontpasdesplantes,reprit-il,maisilssontunjardin,etjelescultiveavecsoinpourobtenir

larécoltequimaintientl’espècehumaineenvie.–Laphéromone.– La particule 223, selon son appellation technique – même si j’ai pris l’habitude de l’appeler

«l’Ambroisie».(Ilsourit.)L’alimentdelavie!–Vousnepouvezpasfaireça,sesurpritàdireKira.–Biensûrquesi.–Biensûr,oui…nousavionstoujourssuquec’étaitunepossibilité,mais…c’estmal.–Allezdireçaauxmilliersdeviesqu’ilsontsauvées,etauxcentainesd’autresqu’ilssauveront

rienquecetteannée. (Valecessadesourirepouradopteruneexpressionplussolennelle.)Dixpourdeuxmille,celafaitdeuxcentsvieschacun.Nousdevrionstousêtreaussiutilesquecela.–Mais…cesontdesesclaves!Pirequedesesclaves,ilssont…votrehorriblejardinhumain.– Pas humain, assena fermement Vale, ce sont des choses. Des choses vivantes, oui, mais

l’humanité utilise des organismes vivants comme outils depuis sa première pensée consciente.Unbuissondans lanaturen’estqu’unbuisson ; soumisauxsoinshumains ildevientunehaie,unmurprotecteur.Lesbaiesdeviennent de l’encre et des teintures, les champignonsdesmédicaments.Lesvachesnousdonnentdulait,delaviandeetducuir,leschevauxtirentnoscharruesetnoscarrioles.Mêmevous,vousvousêtesservisdechevauxpourtraverserledésertempoisonné:unemploiqu’ils

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n’auraientpaschoisid’eux-mêmes,j’ensuissûr.–Cen’estpaslamêmechose.– C’est absolument la même chose. Un cheval, au moins, fait partie intégrante du monde. Ils

existentaujourd’huiparcequ’unmilliond’annéesdesélectionnaturellen’apasréussiàlestuer.Ilsontgagné ledroitdevivre.Tandisque lesPartialsont étécultivésen laboratoire, fabriquéspar etpour l’humanité. Ce sont… des pastèques sans graines, des plants de maïs transgénique. Ne vouslaissezpasabuserparleursvisageshumains.–Iln’yapasque leursvisages,s’échauffaKira,maisaussi leurconscience, leuresprit.Vousne

pouvezpasparleràl’und’euxetmedirequecen’estpasunepersonneàpartentière.–Mêmelesordinateursparlaient,surlafin.Celanefaisaitpasd’euxdesgens.Kira ferma les yeux et soupira de colère et de frustration.Elle était tellement révulsée par cette

révélationqu’ellearrivaitàpeineàréfléchir.–Vousdevezleslibérer.–Etensuite?s’enquitVale.Ilembrassad’unlargegestenonseulementlelaboratoire,maistoutelaréserve,peut-êtrelemonde

entier.–Voulez-vousquenousrevenionsàvotrefaçondevivre?Lutterenvainpourguérirunemaladie

incurable, voir mourir vos enfants par milliers afin que dix hommes – dix ennemis, qui se sontrebellésetvousontmassacrés–n’aientpasàsouffrir,c’estçaquevousvoulez?–C’estpluscompliquéqueça.Valehochalatête.– C’est exactement ce que je dis. Vous prétendez que c’est cruel de les maintenir dans cet état,

inconscients et amaigris ; je dis que ce serait encoreplus cruel, et pour davantagedegens, de leslibérer.Savez-vouscommentjelesgardeendormis?Venezparici.Ilrejoignit leboutdelapremièrerangée.LePartialallongésur ladernièretableétaitsemblable

auxautres,maissonéquipementétaitdifférent.Aulieudutuyaupointantsoussamâchoire,sagorgeentière était équipée de ce qui ressemblait à un poumon artificiel. Kira s’approcha lentement, sonpistoletoubliédanssamain,etputconstaterqu’unepetitesériedeventilateursétaitinstalléedanssoncou.–Qu’est-cequec’est?–Unsystèmedeventilation.J’appellecePartial-ciWilliams,ilaétémadernièrecréationavantque

letempsetl’usuren’aientraisondenotreéquipementdemodificationgénétique.Aulieudeproduiredel’Ambroisie,ilsécrèteuneautreparticuledemoninvention,unsédatifextrêmementpuissantquin’affecte que les Partials. La biomécanique à l’œuvre derrière tout cela estmonumentale, je peuxvousl’assurer.Kiraenrestacoite,songeantàSamm,etValehochalatêtecommes’ildevinaitavecprécisionce

qu’ellepensait.–JesupposequevotreamiPartialestquelquepartenhaut,profondémentendormi?(Ileutungeste

versleplafond.)Lesystèmedeventilationinstallédanslatourfonctionneencoreadmirablement,ildiffuse le sédatif Partial dans tout le bâtiment et peut même le souffler sur toute la réserve. Celam’intéresseraitdesavoirjusqu’oùilatenuavantdesuccomber;ceWilliamspourraitbiendevenirnotreprincipal systèmededéfense si jamais les autresPartialsdontvousavezparlévenaientnousattaquer.

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Kiraréfléchit:Sammn’avaitpasressentileseffetsdelamoléculeavantqu’ilsn’approchentdelaclairière centrale – à cinquantemètres de la tour,maximum –,mais il s’étaitmontré étrangementléthargiquetoutl’après-midi.Était-cedûausédatif,ouàautrechose?Etàquelledistancedevrait-ellel’emmeneravantqueseseffetsnefaiblissent?EllerelevalesyeuxversVale.–Vousnepouvezpasfaireça.–Vousvousrépétez.–Vousnepouvezpassimplementtransformerunepersonneenarme.–Monenfant.Àvotreavis,quesontlesPartials?–Ehbien…oui,biensûr,c’estcequ’ilssont,etregardezcommentcelas’estterminé.N’avez-vous

doncrienapprisdelafindumonde?–J’aiapprisàprotégerlaviehumaineàtoutprix,ditVale.Nousavonsdansétropprèsdugouffre,

parcequenousvoulionslebeurreetl’argentdubeurre.– Vous ne faites pas ceci pour protéger les humains, cracha Kira, qui recula et releva son

pistolet.Vouslefaitespourlepouvoir.Vouscontrôlezleremède,doncvouscontrôleztout,ettoutlemondedoitmarcherdroit.Valeéclataderire,demanièresi inattendueetavecunamusementsiauthentiquequeKiraneput

s’empêcherdereculerd’encoreunpas.Quelquechosem’échappe,maisquoi?sedemanda-t-elle.–Avez-vousvulemoindresigned’oppressionparici?s’enquit-il.Queltalondeferai-jeaupied,

quepersonnenepeutvoir?Leshabitantsdelaréserveseraient-ilsmalheureux?–Çaneveutpasdirequ’ilssoientlibres.–Biensûrqu’ilslesont.Ilspeuventalleretveniràleurguise,nousn’avonsnigardesnipolice.

Nousn’avonspasdecouvre-feu,hormislesdangersinhérentsauxpluiesacides;nousn’avonspasdemurs,hormisl’étenduemortelledesBadlands.Jen’exigeaucuntribut,jenecontrôlepasl’école,jenecacheaucunsecret…àpartcelui-ci,conclut-ilenindiquantlesPartialsdanslecoma.Kirasehérissa.–PhanetCalixprétendentquevousrefusezdeleslaisserpartir.–Évidemment, je leur ai dit denepas s’en aller.C’est dangereux.Phan,Calix et tous les autres

chasseurs ont une importancevitale pour notre communauté.Mais ils sont tout demême libres departirquandilslesouhaitent.Cen’estpasparcequejeneleurrecommandepascechoixquejesuisun tyran. Même vous, vous êtes libres de partir depuis le début, vous, la nouvelle arrivanteprovocatrice de trouble et son dangereux copain Partial. Personne ne vous a empêchés de partir,personnen’asuivivosdéplacements.Dites-moi,Kira:contrequoivousrévoltez-vous,aujuste?Ellesecoualatête,perdueetsurladéfensive.–Vouscontrôlezcesgens.– Selon une interprétation très large, oui, je suppose. Vous venez d’une région où le contrôle,

d’aprèscequej’aicompris,s’exerceàcoupsdefusil,etoùlegouvernementachètevotreobéissanceenorganisantlapénurie.Enmaîtrisantcequ’ilcacheetretient.Moi,jemaintiensl’ordreendonnantaux gens précisément ce qu’ils veulent : un remède contre le RM, le logis et le couvert, unecommunauté à laquelle appartenir. Ils acceptent que je les dirige parce que je le fais bien, avecefficacité.Toutefigured’autoritén’estpasnécessairementmaléfique.–Voilàundiscoursbienvertueuxdelapartd’unhommequisetrouvedansunlaboratoiresecret

pleindeprisonniersàdemimorts.

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Valesoupiraetlaregardalonguement.Ilfinitparsedétournerpours’approcherd’uneconsole,etemplituneseringued’unliquidetranslucideprissurunplateau.–Venezavecmoi,Kira,jeveuxvousmontrerquelquechose.(Ilgagnauneportequisetrouvaitau

fonddelapièce.Aprèsuninstantd’hésitation,ellelesuivit.)Touslesbâtimentsdececomplexesontreliés entre euxpar des souterrains.Avant que nous allions rejoindre les autres, permettez-moi devousrappelerqu’ilsignorenttoutdel’existencedecesPartials.J’apprécieraisvotrediscrétionsurcepoint.–Parcequevousenavezhonte?–Parcequebeaucoupd’entreeuxréagiraientcommevousl’avezfait,etqued’autrestenteraientde

châtierencoreplusgravementlesPartials.–Vousnemeconnaissezpastrèsbien,docteur,maisjenesuispasvraimentdugenreàmetaire

quandjevoisquelquechosequinemeplaîtpas.–Enrevanche,vousêtesdugenreàgarderdessecrets.Elleleregardadetravers.–VousparlezdeSamm?–Vousenavezd’autres?Elle l’observaun instantpour tenterdedeviner s’il savait, oumêmes’il soupçonnait, cequ’elle

était.Sansdoutepas,conclut-elle,sinonilm’auraitdéjàdemandépourquoijenesuispasaffectéeparlesédatif.Saufs’ilensaitplusquemoisurmaphysiologie…Biensûrqu’ilensaitplus, sedit-elleensuite, il faitpartiede l’Alliance. Il sait toutcequenous

sommes venus apprendre ici. Je ne peux pas l’arrêter seule, pas maintenant, mais si j’obtiens lesréponsesqu’ilmefaut,jen’auraipeut-êtrepasàlefaire.Elleréfléchitencoreavantderépondre.– Je protégerai votre secret – pour l’instant –, mais vous devez me donner quelque chose en

échange.–Leremède?Commevouslevoyez,c’estceluiquevousavezdéjàdécouvert–et,commejevous

l’aidéjàdit,iln’estpasexactementtransportable.–Non,pasleremède.C’estuneabomination,ettoutcequevouspourrezmemontrernemefera

paschangerd’avis.–C’estcequenousverrons,ditVale.Kirapersista.–Cequejeveux,cesontdesinformations.–Quelgenred’informations?–Tout.VousavezcontribuéàcréerlesPartials,cequisignifiequevousétiezaucourantpourle

RMetpourladated’expiration,etaussipourlaSécurité.Jeveuxsavoirquelsétaientvosprojetsetcommenttoutcelasegoupille.–Toutesmesinformationssontàvous.Enéchange,commevousmel’avezpromis,dusecret.–Entendu.–Trèsbien,ditVale,quis’arrêtadevantuneportedanslecouloir.Maisd’abord,montons.Kiralutlaplaquefixéesurlaporte.–Bâtiment6.C’estceluiquevousavezconvertienhôpital.–Eneffet.–J’aidéjàvul’hôpital.Valeouvritlaporte.

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–Cequevousn’avezpasvu,c’estlebébéquiestnéaujourd’hui.Suivez-moi.IlgravitunevoléedemarchesetKiraluiemboîtalepas,soudainnerveuse.Biensûrqu’ilyavait

unnouveaubébé:pourquoi,sinon,serait-ilalléchercheruneseringued’antidotedanslatour?Sonventre se crispa involontairement : elle avait passé une telle portion de sa vie à l’hôpital d’EastMeadow,trimantàlamaternitépendantquedesnouveau-nésmouraientetquedesmèreshurlaientdedésespoir,qu’ellese raidissaitdéjàcontre ladouleur.Pourtant,cettesituationétaitdifférente :Valeavait le remède.Cetenfantn’auraitpasàmourir.Saufqu’elle savaitd’oùvenait le traitement.Elleferma les yeux et revit les visages émaciés, livides, des Partials. C’était mal de les garder ainsi,quellesquesoientlesexcusesdeVale.Etpourtant…Ilsdébouchèrentdansunnouveaucorridoretrefermèrentsoigneusementlaportederrièreeux.Des

genspassaient en tous sens, etKiravit avecunchocque laplupartd’entre euxétaient joyeux : ilsriaient, parlaient et souriaient en câlinantdepetitspaquets tièdesdans leursbras.Desmères et despères,des frèresetdes sœurs.Des familles, réelles,des famillesgénétiquementunies, commeellen’enavaitjamaisvu.Lamaternitéoùelleavaittravailléétaitunlieudemortetdechagrin,unlieudeluttesépuiséescontreunennemiimpitoyable,implacable.Ellen’avaitjamaisrienconnud’autre.Ici,en revanche, tout était différent.Lesmères qui venaient accoucher savaient que leur enfant vivrait.C’étaitunlieupleind’espoiretderéussite.Kiraduts’arrêteruninstantpours’appuyercontrelemur.C’est tout ce que j’ai toujours désiré, sedit-elle.C’est exactement ce que je veux créer chez nous,c’estcequejeveuxleurapporter.L’espoiretlesuccès.Lebonheur.Etpourtant…Derrière toute cette activité résonnait un bruit que Kira ne connaissait que trop bien : le

vagissement d’un enfantmourant. Elle savait précisément comment le virus allait progresser, elleconnaissaitcelaparcœur;ellesavaitcommentilattaqueraitl’enfantd’uninstantàl’autre.Silepetitétaitvenuaumondequelquesheuresplustôt,commesemblait l’indiquerVale,alors leRMétaitentraindesepropagerdanssonsystèmesanguin.L’enfantavaitdelafièvre,maispasencoreàundegrémortel ; le virus se dupliquait lentement, cellule par cellule, fabriquant de plus en plus de sporesvirales,dévorantlepetitcorpsdel’intérieurjusqu’àcequ’enfin–demain,peut-être–,lebébéfinisseparêtreconsumétoutvivantetcessederésister.Àcestadeprécoce,ladouleurpouvaitêtretenueàdistance, la fièvre contrôlée, mais le processus ne pouvait être stoppé. Sans le remède à base dephéromones,lamortétaitinévitable.Valeparcouruttoutlecouloirendirectiondesvagissementsensaluantpolimentdelatêtelesgens

qu’ilcroisait.Kiralesuivaittoujours,hagarde.Était-celàcequ’ilvoulaitluimontrer?L’antidoteenaction, en train de sauver une vie innocente ? Elle ignorait ce qu’il comptait prouver ainsi – elleconnaissait déjà les enjeux, probablement mieux que lui, du fait d’avoir vécu si longtemps sansremèdeaucun.Celanelaferaitpaschangerd’avissur lacaptivitédesPartials,n’achèteraitpassonsilence ni sa complaisance. Le docteurVale poussa la dernière porte, entra dans la chambre, et lamèrefaillittomberàlarenverse,touteàsajoiedelevoirarriver.Lepère,nonmoinsreconnaissantetinquiet,serralamaindumédecinavecardeur.Valelerassuradequelquesproposanodinsetd’unsourire,puispréparalaseringue,etpendanttoutcetempsKirarestaledosaumur,àregarderlebébéhurleretsetordredanssonberceau.Lesparentsluijetèrentuncoupd’œilmaissedésintéressèrentaussitôtd’elle,pourconsacrer toute leurattentionà l’enfant.Kira lesobservaprendre lepetitdansleursbras:ilsressemblaienttraitpourtraitàMadisonetHaru.Etàtouslescouplesdeparentsqu’elleavaitvusdanssavie.Çan’empêche,s’entêta-t-elle.Ilsnepeuventpasjustifiercequiestfaitàceshommes,ausous-sol.

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Si ces parents savaient que des êtres vivants souffrent de la sorte, seraient-ils si heureux de voirarriverletraitement?L’accepteraient-ils?Elleavaitenviedeleurdire,detoutleurraconter,maiselleétaitcommeparalysée.Valeachevadepréparerl’injectionetseretournaverslesparentspourleschasserdelachambre.–Jevousenprie,dit-ildoucement,nousdevonsresteruninstantseulsavecvotreenfant.Lapeuragranditlesyeuxdelamère.–Est-cequ’ilvas’ensortir?–N’ayeznullecrainte,larassuraVale,j’enaipouruninstant.Ilshésitaient à sortir,mais ils semblaient se fier à lui, et après s’être encoreunpeu faitprier et

avoir jeté un dernier regard dubitatif àKira, ils quittèrent la pièce.Vale ferma la porte au verrouderrière euxet s’approchaavec la seringue–pasde l’enfant,maisde la jeune fille. Il la lui tenditcommeuncadeau.–Jevousaiditquejedirigeaiscesgensenleurdonnantcequ’ilsvoulaient.Maintenant,jefaisde

mêmeavecvous.Prenez-la.–Jeneveuxpasdevotretraitement.–Jenevousdonnepasletraitement.Jevousdonnelechoix:lavieoulamort.C’estbienceque

vousvouliez,non?Déciderpourtoutlemondedecequiestbienoumal.Decequiestjustifiableetdecequiestimpardonnable.(Illuiprésentadenouveaulaseringueenl’élevantteluncalice.)Parfois,aiderunepersonnerequiertdefairedumalàuneautre.Cen’estjamaisagréable,maisilnousfautlefaireparcequel’alternativeseraitpire.J’aidétruitdixviespourensauverdeuxmille:unmeilleurrendement,jecrois,quecequepeuventespérerlaplupartdesnations.Nousignoronslacriminalité,lapauvreté,neconnaissonsaucunesouffranceàpartlaleur.Etlamienne,ajouta-t-il,etmaintenantlavôtre.(Illuitendaittoujourslaseringue.)Sivouscroyezsavoirmieuxquemoicommentpeseruneviecontreuneautresurlabalance,sivouspensezdevoirdéciderdequivitetquimeurt,alorsfaites.Sauvezcetenfantoucondamnez-leàmort.–Cen’estpasjuste.– Ça ne l’est pas non plus quand c’est moi qui dois le faire, répliqua Vale avec dureté. C’est

pourtantnécessaire.Kiraregardalaseringue,etlebébéhurlant,puislaporteferméequiluicachaitlesparents.–Ilssauront,dit-elle.Ilssaurontquelchoixj’aifait.–Biensûr,confirmaVale.Oubienseriez-vousentraind’insinuerquevotrechoixseraitdifférent

s’ilsl’ignoraient?Lamoralenefonctionnepasainsi.–Cen’estpascequejedis.–Alorsdécidez-vous.Kiraregardadenouveaulaporte.–Pourquoilesavez-vousfaitsortiralorsqu’ilssauront,detoutemanière?–Pour quenouspuissions avoir cette conversation sansqu’ils voushurlent dessus.Allez, faites

votrechoix.–Cen’estpasàmoidelefaire.–Celanevousdérangeaitpas,ilyadixminutes,quandvousmedisiezquecequejefaisaisétait

mal.Vousm’avezaffirméquelesPartialsdevaientêtrelibérés.Qu’est-cequiachangédepuis?–Vouslesavezbien!éclataKiraenpointantledoigtversl’enfanthurlant.–Cequiachangéestquevotremoralitésupérieureestsoudainconfrontéeàsesconséquences.Eh

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oui, toute décision implique des conséquences. Nous affrontons la menace de l’extinction del’humanité,etcelarendleschoixencoreplusdouloureux,lesconséquencespluslourdes.Etparfois,avecdesenjeuxsihauts,unedécisionquel’onn’auraitjamaispriseavant,quel’onn’auraitenvisagéeenaucuncas,devientlaseulesolutionmorale.Leseulactequel’onpuisseaccomplirpourpouvoirencoreseregarderdanslaglace.(Ilpressacettefoislaseringuedanssamain.)Vousm’aveztraitédetyran.Àprésent,tuezcetenfantoudevenezvous-mêmeuntyran.Kiraregardalaseringuedanssamain:lesalutdel’espècehumaine,maisseulementsielleosait

s’en servir. Elle avait tué des Partials au combat : ceci était-il différent ? Prendre une vie pour ensauveruneautre.Pourensauvermilleautres,oupeut-êtredixmille lorsqu’ilsenauraient terminé.Parcertainsaspects,c’étaitplusmiséricordieuxquelamort,carlesPartialsn’étaientqu’endormis…Maisnon, se dit-elle. Je ne peux pas excuser ceci. Je ne peux pas le justifier. Si j’administre le

remèdeàcetenfant, jesoutiens la tortureet l’emprisonnementdePartials–depersonnes.Degenscommemoi.Jenepeuxpasfairecommesic’étaitacceptable.Sijefaiscechoix,jedevrail’affronterpourcequ’ilest.Est-cetoutcequ’ilreste,auboutducompte?Unedécision?Ellesaisitlepieddubébé,yenfonçal’aiguilleetpoussalepiston.

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CHAPITRE45

Arielsurvivaità l’occupationdesPartialscommeellesurvivaità tout :dans lasolitude.L’arméeconquéranteavaitpoussébeaucoupd’habitantsd’EastMeadowterrifiésàseregrouperdansdesabriscommunautaires,àseserrerlescoudes,etàrassemblerleursprovisionsetleureau.Celan’avaitfaitque faciliter leur capture lorsque les Partials avaient commencé à lancer des raids sur la ville,s’abattant pour enlever des victimes puis les déporter au loin afin de procéder sur eux à leursexpériencesoulesexécuter–personnenesavaitplus,aujuste,cequisepassait.Lesimplevolumedecesgroupesetlebruitqu’ilsfaisaientlesrendaientfacilesàlocaliseretàenlever,surtoutqu’aufond,descivilsnonentraînésn’avaientaucunechancede repousseruneattaquedePartials.Marcusétantparti,Arieldemeuraseule,sedéplaçantdemaisonenmaison,senourrissantdesresteslaissésparlesautres et gardant toujours une tête d’avance sur l’ennemi. Elle était restée cachée, et avait évité ledanger.Jusqu’aujouroùilslatrouvèrent.Ariel, pantelante, continuait de fuir. Elle connaissait la ville comme sa poche,mais les Partials

étaient plus rapides qu’elle, et leurs sens plus aiguisés.Elle entendait leurs piedsmarteler la routederrièreelle,letonnerredeleurslourdssouliers,unrythmeinfatigablequiserapprochaitàchacunede ses respirations étranglées. Elle vira brusquement à gauche dans un trou de la clôture, coupaaussitôtversladroitepuisdenouveauverslagauchepourfaireletourd’uneautrepalissade.Sespasétaient plus discrets que les leurs, à peine un chuchotis dans le noir, et elle retint son souffle entraversant l’étendue d’herbe à pas de loup, tâchant de percer l’obscurité à la recherche de toutebrindille,brancheoubouteillesurlaquelleellerisqueraitdeposerlepiedetquilatrahiraitaussitôt.Despasladépassèrentencourant,aprèsavoirtraverséletroudumur,etpiétinèrenténergiquementdanslejardinau-delà.Unedeuxièmepairedepiedssuivit,etellehochalatête.Plusqu’un.Plusqu’unPartialàberneretjesuislibre.Elleavançaensilencepresquejusqu’auboutdelapelouse;unefoisarrivée,là,elledescendraitunescaliermenantàl’abriensous-solqu’elleavaitdéjàutiliséunefoisoudeux,etyresteraittapiejusqu’àcequesespoursuivantsrenoncentetaillentsechercheruneproieplusfacile.Ilneluirestaitqu’àatteindrelesmarches…LespasdutroisièmePartials’arrêtèrent,presqueàsahauteur,del’autrecôtédeladoubleclôture.

Ariel se figea, sans émettre le moindre bruit, sans même respirer. L’ennemi fit un pas dans unedirection,s’arrêta.Unpasdansl’autresens,ets’arrêtadenouveau.Qu’est-cequ’ilfabrique?Maisaumomentmêmeoùelle seposait laquestion, elle sut, sanscomprendrecomment, cequ’il faisait. Ils’étaitarrêtéparcequ’ilavaitrepéréquelquechose.Etilsavaitoùelleétaitpartie.Elleentenditunricanementgrave.–Oh,tuesdouée,s’esclaffalePartial,aprèsquoiilbonditpar-dessuslaclôture,pileàsonniveau.Ariel juraentresesdentsetrepartitaupasdecourse,oubliant toute idéedediscrétionetprenant

simplementses jambesàsoncou.LePartial sauta ladeuxièmeclôtureet se lançaàsapoursuite,àquelquesmètresàpeinederrièreelle,presqueassezprochepourpouvoirtendrelebrasetl’attraperpar lecou.Arielcourut leplusvitequ’elle leput,sonesprit tâchantdésespérémentdecomprendrecommentill’avaitlocalisée:ellenefaisaitaucunbruit,elleétaitcachée,elleavaitfaittoutcequ’elleavaitapprisàfaire,etpourtantonauraitditqu’ilsavaitqu’elleétaitlà,presquecommes’ilavaiteuun

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sixièmesens.Marcusluiavaitparlédulien,etdelamanièredontillesavertissaitdelaprésencedeleurssemblables,mais tout cequ’il avait dit laissait entendreque celane fonctionnait pas avec leshumains,quecesderniersétaientcommeunetacheaveugledansunsystèmesensorielsurlequelilss’appuyaient trop.Elle s’étaitdéjà serviedecette informationà sonavantagedans lepassé, et celaavaittoujoursfonctionné.Alors,comments’était-elletrahie?LePartial était presque sur elle, il lui soufflait pratiquement aux oreilles, et elle était persuadée

qu’iljouaitavecsaproie.Elleflairaitsapropresueuretlapuanteuraigredesonhaleinedansl’air.Çayest,sedit-elle,jesais:c’estmonodeur.J’aitellementcouru,etjemecachedepuissilongtempsquejedoispuer.Ilnem’apasvue,nientendueniperçueparlelien:ilm’aflairée,commeunchiendechasse.Maisjen’abandonneraipas.Ellebaissalatêtepourselancerdanslesprintleplusenragédesavie,mais,soudainprised’un

spasme,ellefutprojetéeenavant,trahieparsesmuscles,pourfinirparunroulé-bouléspectaculaire.Sessensvacillèrentetclignotèrent;lemondeétaitsensdessusdessous.Ellevoulutserelever,maissoncorpsentierétaitperclusdedouleurs.C’étaitcommesielleavaitétéviolemmentheurtéeparunebattedebase-ball,maisellen’auraitsudired’oùétaitvenulecoup.Lentement,sesyeuxrefirent lepoint,etellevitlePartialdeboutau-dessusd’elle,unematraqueélectriqueàlamain;illafitcliqueterdeuxoutroisfois,créantunarcélectriquebleuvifentrelescontacts.–Tuescombative,dit-ilenraccrochantl’armeparalysanteàsaceinture.(Ilmitungenouenterre

etluidécochaunsouriretrèsblancdansleclairdelune.)Jevaispeut-êtredevoirm’amuserunpeuavantdetelivreraupatron.Ariel voulut bouger,mais sesmembres ne lui obéissaient toujours pas. Son agresseur tendit la

mainverssoncou.–Stop!fitunevoix.LePartialsefigeaaussitôt.Samainrestasuspendueàquelquescentimètresduvisaged’Ariel,sans

bouger.–Lève-toi.C’était une voix de femme,maisAriel ne voyait pas à qui elle appartenait.Elle la reconnaissait

vaguement,maissanspouvoirlasituer.LePartialseleva,leregardfixédanslevidedevantlui.–Sorstonarme.Ilobéit.–Donne-toiunchoc.Le Partial alluma l’arme paralysante, l’éleva vers son propre torse, mais s’arrêta à quelques

centimètres.Sonregardsemblaitàprésentplusdur,commes’ilétaitenproieàunelutteinterne,etArielvitlasueurcoulersursestempes.–Vas-y!luiordonnalavoix.Sesdéfensescédèrent.Ilappliqual’armeélectriquecontresontorseets’écroulaaussitôtausol,les

membres tressaillant : son système nerveux faisait un court-circuit. Sa main parvenait toutefois àgarder lamatraque pressée contre son torse, alorsmême que le reste de son corps était agité deconvulsions,jusqu’aumomentoùilperdittoutcontrôleetsombradansl’inconscience.L’armetombainerteausol.C’estledocteurMorgan,pensaAriel,quis’efforçaittoujoursdebouger.Elleparvintàs’appuyer

surunbrasetàreleverlégèrementlatête,maissavisionétaitfloueetelleavaitdumalàgarderlaposition.QuandMorgancontrôlaitSamm,lamêmechoseestarrivée:c’estexactementcequeMarcus

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etXochidécrivaient.LedocteurMorganestici.Elleestvenuemechercherelle-même,telunvampiredanslanuit.Elleappuyasonautrebrassouselleetseprojetaverslehaut,encoregroggy,leregardvague.Enpivotant,ellevitunesilhouettedanslenoirderrièreelle,maissajambeluifaisaitunmaldechienetellenepouvaitpascourir.–DocteurMorgan,essaya-t-elled’articuler.Maissavoixnonplusneluiobéissaitpasetlesmotssortirentenpuréeincompréhensible.Lasilhouettes’avançadansleclairdelune.C’était une femme âgée, au dos voûté, sombre de peau, pas un vampiremais une sorcière aux

cheveuxenbataille.–Toi!soufflaAriel.–Bonsoir,monenfant,ditNandita.Viens, ilnous faut trouver tessœurs.Notremondeest sur le

pointdefinirunefoisdeplus.

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CHAPITRE46

Kiraavançaitensilencedanslessouterrainssombres,conscientedupoidsdelaseringuedanssamain.Elleluisemblaitpluslourdevidequepleine.–Jenesaispascommentvousfaites,dit-elle.–Ça,jel’aibiencompris,réponditVale:vousn’avezpascessédemerépéterquejenedevraispas

lefairedutout.Maintenant,jepensequevoussaisissezmieuxcequ’ilencoûted’êtreunchef.–C’étaitmal,s’entêta-t-elle.Cen’étaitpaslabonnechoseàfaire.Mais…jen’aipaseulechoix.– Pensez ce que vous voulez, si ça vous aide à mieux dormir. (Vale soupira et sa voix devint

distante,pensive.)Endouze longuesannées, toutes lesheuresque jen’aipaspasséesàcultiver lesPartialsetàrécolter l’antidote, je lesaipasséesàcherchercommentarriveraumêmerésultatsanseux.Ilsnedurerontpaséternellement,maiscettecolonie,elle,doitperdurer.Cesenfantsvontgrandir,donner eux-mêmes la vie, et à ce moment-là, qu’est-ce qui les sauvera ? Je peux stocker assezd’Ambroisiepourunenouvellegénération,peut-êtredeux,maisaprès?Mêmeunhumain«guéri»estencoreporteur:leRMestennousàjamais.–Ilvousresteunanpourtrouverlasolution,luiannonçaKira.Dix-huitmoisaumaximum,avant

quelesPartialsmeurentjusqu’audernieretquenouslesperdionsàjamais.–Ladated’expiration,dit-ilenhochantlatête.C’estaussitragiquequelaSécurité.Seulel’AllianceestaucourantpourlaSécurité.Letempsestvenudelemettreaupieddumur.–Vousêtesl’und’eux,n’est-cepas?demanda-t-elle.LescréateursdesPartials.L’Alliance.Vales’arrêtanet.Lorsqu’ilseremitàmarcher,savoixétaitchangée,bienqueKiraneparvienne

pasàdiscernersonétatd’esprit:était-ilcurieux?Surladéfensive?L’avait-ellemisencolère?–Vousavezbeaucoupdeconnaissancessurcequejecroyaissecret,constata-t-il.–L’Allianceestlaraisondenotreprésenceici,luiavoua-t-elle.Je…Ellehésitaune foisdeplusà tout lui révéler.Décidant finalementde jouer la sécurité, elle resta

aussivaguequepossible.–J’aiconnuunefemmenomméeNanditaMerchant.Ellem’aditde trouver l’Alliance,et j’enai

déduitquecelle-cipossédaitlesinformationsnécessairespoursauverlesdeuxespèces.Elleadisparuavantquejepuisselaquestionnerdirectement.–NanditaMerchant,répétaVale.Cettefois,Kiran’eutaucunedifficultéàliresesémotions:ilétaitfrappéd’unetristesseprofonde.–Jecrainsqu’ellenepuissejamaisseremettredecequ’elleafaitaveclaSécurité.Elleestaussi

coupablequenoustous.Cettefois,cefutKiraquis’arrêtanet.– Attendez. C’est l’Alliance qui a fait ça ? La Sécurité était un virus, nous l’avons compris à

Chicago,maisvousêtesentraindemedire…vousêtesentraindemedirequeNandita,etvoustous,l’avezconçupourqu’ils’attaqueauxhumains?Volontairement?– Non, je n’ai eu aucune part dans sa conception, déclara Vale sans cesser de marcher. Je

m’occupaisducycledeviedesPartials,deleurcroissanceetdeleurdéveloppement,deleurmanièreaccéléréed’atteindreunâgeidéalpouryresterindéfiniment…jusqu’àladated’expiration,biensûr.

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Delapoésiepure,jevousassure,unedesbiotechnologieslesplussophistiquéesdetoutleprojet.LabouchedeKiras’ouvrittouteseule.–C’estvousquiavezcrééladated’expiration?– C’était leur rendre service, je vous assure. Quand le gouvernement a exigé un dispositif de

sécurité,j’aiprésentéladated’expirationcommeunealternativeplushumaine…–Qu’ya-t-ild’humainàlestuer?–Jen’aipasdit«humaine»,j’aidit«plushumaine».Lesêtreshumains,biensûr,onteuxaussi

une date d’expiration naturelle. C’est le même principe. Et l’expiration ne met aucun humain endanger, ce qu’un autre dispositif aurait risqué de faire – et a fini par faire, d’ailleurs. Mais mesarguments concernant la Sécurité et la date d’expiration remontent au tout début, avant que nousayonsle tableaugénéral.GraemeetNandita,quiétaientchargésdecréer laSécurité, l’ontcomprisbienlongtempsavantnoustous.CesonteuxquiontconçuleRM.–JeconnaissaisNandita,protestaKira.Je…(Ellehésitaencore,maisconclutqu’aupointoùilsen

étaient,unpetitsupplémentd’informationnepouvaitpasfairedemal.)J’aivécuavecellependantdesannées–elledirigeaitunesorted’orphelinat,etjesuisundesenfantsqu’elleaaidés.Ellen’ariendesanguinaire.–Pasplusquen’importequelhumainplacédanssasituation,ditmystérieusementVale.Maisdans

la mesure de l’imaginable, elle est bien responsable, comme nous tous, d’un génocide à grandeéchelle.–Mais enfin, ça ne tient pas debout ! s’obstinaKira, catégorique.Si elle avait voulu lamort de

l’espèce humaine, son éradication complète, elle aurait pu nous trahir en faveur des Partials, oudiffuserdupoison,ouavoirrecoursàmilleautresmoyensdetuer,etellen’enarienfait.C’estsansdoute plutôt son partenaire, continua-t-elle, le souffle court, tout en triant les indices dans sa tête.Graeme Chamberlain, celui qui s’est suicidé. Est-ce qu’il n’aurait pas pu, je ne sais pas…reprogrammerlaSécuritéderrièreledosdetoutlemonde?–Vousnevoyezpasencoreletableaugénéral,luiditValetoutencontinuantdemarcherd’unpas

vifsanslaregarder.Illuicachaitencorequelquechose,unechosequ’ilavaitdumalàavouer.Kirainsista.– Mais l’idée que Chamberlain ait agi seul ne tient pas debout non plus, poursuivit-elle en

ralentissantunpeupourmieuxréfléchirauproblème–puiscourantpourlerattraper.L’antidotefaitpartie intégrante des Partials, il est indissociable de leur patrimoine génétique. Pourquoi aurait-ilfabriquéunviruscapabledetuertousleshumainsdelaplanète,etégalementunantidoteparfaitpourl’arrêter?Çan’aaucunsens.Saufsi…La réponse était là, auxmargesde sa conscience, et elle luttapour la saisir, pour la forcer à se

matérialisersouslaformed’unepenséesimpleetcompréhensible.Ilsétaientnombreuxàtravaillersurdenombreusespiècesdupuzzle,sedit-elle.Commentcespiècess’assemblent-elles?Valefitencorequelquespasavantdes’arrêterpeuàpeu.Ilneseretournapas,etKiraduttendre

l’oreillepourentendrecequ’ildisait.–J’étaiscontreaudébut,souffla-t-il.–Maisc’estvrai?dit-elleens’approchantlentementdelui.Vousetlerestedel’Alliance…vous

avez fait ça volontairement ?Vous avezmodifié la Sécurité des Partials afin qu’elle tue plutôt leshumains,etvousavezinclusl’antidoteeneuxpourque…Pourquoi?Valepivotaafindeluifaireface,levisageànouveauteintéd’unecolèrenoire.

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–Réfléchissez uneminute à la Sécurité : à ce qu’elle est, et à ce qu’elle représente.On nous ademandé de créer une espèce entière de créatures intelligentes : des individus en chair et en oscapables de penser et, grâce à la résolution des Nations unies sur les Réactions émotionnellesartificielles,deressentir.Réfléchissezàcela:onnousaspécifiquementdemandédefabriquerunêtrecapable de penser, de sentir, conscient de lui-même, et on nous a dit de l’équiper d’une bombe àretardement pour pouvoir le tuer à volonté. Il y a dix minutes, vous vouliez libérer dix Partialsplongés dans le coma, et vous n’avez pas supporté l’idée de tuer un enfant humain. Seriez-vouscapabledecondamneràmortuneespèceentière?Kira, soudain écrasée par cet afflux de nouvelles, bredouilla en cherchant ses mots, mais il

continuasansluilaisserletempsderépondre.–Toutindividucapabledecréerunmilliondeviesinnocenteset,danslemêmetemps,deréclamer

unmoyendelestuersanspitién’estpasapteàassumerlaresponsabilitédecemilliondevies.NousavionsconsciencedecequenousétionsentraindecréeraveclesBioSynths:descréaturesentoutpoint aussi humaines que nous-mêmes.Mais la direction de ParaGen et le gouvernement, eux, nevoyaientdanscesêtresquedesmachines,une lignedeproduits.Détruire laviedeces«Partials»aurait été une atrocité aussi énorme que tous les génocides de masse observés dans l’histoire del’humanité. Et pourtant nous étions sûrs, avantmême d’avoir produit le premier d’entre eux pourtestersescapacitésaucombat,qu’ilsneseraientjamaisconsidéréscommeautrechosequedesarmes,propresàêtrejetéesunefoisqu’ellesneserviraientplus.Kira s’attendait à ce que ses traits se durcissent pendant son récit, à ce qu’il soit furieux en se

remémorantcettehorreur,maisaucontraireils’adoucit,s’affaiblit.Ilétaitvaincu.Ilrépétaitunvieilargument,maisvidédetoutesaferveur.–Auniveauleplusfondamental,l’humanitén’apprendraitpasàsemontrer«humaine»,fauted’un

meilleurterme,tantquesaproprevienedépendraitpasdecescréatures.Alors,nousavonscrééleRM, et avec lui son antidote, tous deux inclus dans leur physiologie. Si la Sécurité n’était jamaisactivée–sil’humanitén’enarrivaitjamaisaupointdevouloirdétruiretouslesPartialsd’uncoup–,alorstrèsbien,personnen’auraitàenassumerlesconséquences.Maissijamaisl’humanitédécidaitd’appuyer sur le bouton, eh bien… (Vale inhala profondément.) Le seul moyen qu’auraient leshumainsdesurvivreseraitalorsdemaintenirlesPartialsenvie.DemêmequepriverlesPartialsdeleurs droits civiques coûterait aux humains leur humanité, les détruire comme des produitsdéfectueuxleurcoûteraitlavie.Kiran’arrivaitpresqueplusàréfléchir.–Vous…(Ellecherchaittoujourssesmots,envain.)Toutcelaétaitintentionnel.–Jelesaisuppliésderenoncer,ditVale.C’étaitunplanextrême,avecdesconséquencesterribles–

encorepires,enfindecompte,queceàquoijem’étaispréparé.Maisvousdevezcomprendrequenousn’avionspaslechoix.–Paslechoix?Sivousaviezdesifortesobjections,pourquoin’êtrepasallésvoirladirection,ou

legouvernement?Pourquoinepasleuravoirexpliquéàquelpointleurprojetétaitinacceptable,aulieud’infligerceterrible…châtiment?– Vous croyez peut-être que nous n’avons pas essayé ? Bien sûr que si. Nous avons parlé,

argumenté, gesticulé, hurlé. Nous avons tenté d’expliquer aux administrateurs de ParaGen cequ’étaient réellement les Partials, ce qu’ils représentaient : une nouvelle forme de vie intelligente,miseaumondesansunepenséepourlamanièredontvivraientcesêtresunefoislaguerreterminée.Nousavonstentéd’expliquerquelegouvernementn’avaitrienprévupourleurassimilation,qu’iln’y

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avait pas d’autre issue possible que l’apartheid, la violence et la révolte, et qu’il valait mieuxabandonnertoutleprogrammequecondamnerl’humanitéàcequisepréparait.Maislesfaits,commeilslesvoyaient,étaientsimples:un,l’arméeavaitbesoindesoldats.Nousnepouvionspasgagnerlaguerre sans eux, il fallait bien que le gouvernement les trouve quelque part.Deux : ParaGen étaitcapable de produire ces soldats, de les construire mieux que n’importe quelle entreprise dansn’importe quelle autre branche. Nous étions des employésmiracles ; nous fabriquions des arbresgéantsauxfeuillessemblablesàdesailesdepapillon,délicatesetparfaites,etquandleventsoufflaitelless’agitaientcommeunnuaged’arcs-en-ciel,etquandlesoleilsecouchaitderrière,lemondeétaitilluminé de leurs teintes iridescentes. Nous avions fabriqué un traitement contre la malaria, unemaladiequituaitmilleenfantsparjour,etnousl’avionséradiquéedumonde.Cen’estpassimplementdelacompétence,mapetite,c’estlepouvoir,etcegenredepouvoirs’accompagnedecupidité.Cequinous amène au fait numéro trois, le plus accablant de tous. Le PDG, le président, le conseild’administration…Legouvernementvoulaitunearmée,etParaGenvoulaitluienvendreune.Àvotreavis,quepesaientlesargumentsdel’Alliancefaceàcinqtrillionsdedollarsdebénéfice?Sinousnefabriquions pas leur armée de Partials, ils nous trouveraient des remplaçants à la morale plusmalléablepour le faireànotreplace.Vousnevoussouvenezpasde l’ancienmonde,mais l’argentétaittout,àl’époque.L’argentétaitlaseulechosequicomptait,etriendecequenousfaisionsnelesempêcheraitd’acheter,nin’empêcheraitParaGendevendre.»Nousvoyionsparfaitementcequisetramait.Cettearméeseraitfabriquée,etiln’yauraitaucun

projetpourdonneràcesPartialsdesdroitségauxàceuxdeshumains. Iln’yavaitquedeux issuespossibles : soit lesPartials seraient tuésaumoyende laSécurité lorsd’ungénocidecomparableàl’Holocauste, soit une violente révolution éclaterait, que les Partials, supérieurs en tout point,gagneraient, détruisant l’humanité telle que nous la connaissions. De quelque manière qu’on leregarde,l’unedesdeuxespècesseraitdécimée,etlamortdel’unecoûteraitàl’autresonâme.Ilnenousrestaitqu’àessayer,commenouslepouvions,detrouverunmoyenpourquelesdeuxespècestravaillentensemble,pourqueleursurviedépendedeleurcollaboration.Etc’estainsique,lejouroùArminnousaexposésonplan,nous…bon,celanenousapasplu,niaudébutniplustard.Maisnoussavions que notre responsabilité était d’aller jusqu’au bout.C’était le seul scénario dans lequel lesdeuxespècess’ensortaientvivantes.LagorgedeKiraseserra.–ArminDhurvasula.–Vousleconnaissez,luiaussi?Ellesecouarapidementlatêteenespérantquesestraitsn’enrévélaientpastrop.–J’aientenduparlerdelui.–Un génie parmi les génies. Tout ce plan est sorti de sa tête : c’est lui qui a conçu le système

phéromonaletmisaupointlesinteractionsentrelaSécurité,letraitementetlereste.Unchef-d’œuvredelascience.Maisendépitdesaprévoyanceetdetousnosefforts,lepireestarrivé.Jevousjurequenousn’avonsjamaissouhaitéunetelledévastation;nousnecomprenonsmêmepascommentleRMapuse révéler simeurtrier. Je supposequec’estunebienmaigreconsolationdesavoirqu’au fond,toutceciétaitinévitable.ÀpartirdumomentoùnousavonscréélesPartials,oùnousavonsimaginédelescréer,iln’yapluseud’autrerésultatpossible.L’humanitéestvouéeàsedétruire,corpsetâme,avantderetenirunesimpleleçon.Kira était trop assommée pour parler. Elle s’était attendue à un plan, elle avait prié pour que

l’Alliance en ait un,mais apprendreque c’était unplanvisant à l’annihilationmutuelle– fait pour

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forcer les deux espèces à travailler ensemble ou à mourir chacune de son côté –, c’était trop.Lorsqu’elleretrouvasalangue,savoixétaitminusculeetterrifiée,plusenfantinequ’ellenel’avaitétédepuisdesannées,etlaquestionqu’elleposan’étaitpascellequ’elleauraitcruposer.–L’avez-vous…vu?N’importeoù?(Elledéglutitenluttantpourparaîtremoinsnerveuse.)Savez-

vousoùsetrouveArminDhurvasulaencemoment?Valefitnondelatête.– Je ne l’ai pas revu depuis leRavage. Il a dit qu’il devait quitter ParaGen,mais j’ignore pour

quelledestination,etcequ’ilfait.Àmaconnaissance,Jerryetmoisommeslesderniersquirestent…etmaintenant,Nandita,jesuppose.Kiraseremémoralalistedel’Alliance.–JerryRyssdal.Ilétaitavecvous,luiaussi.Oùest-il?–Danslesud.Aucœurdudéserttoxique.–Commentfait-ilpoursurvivre?–Desmodifsgénétiques.Ilestvenuiciunefois,enpleinenuit,etj’aifaillinepaslereconnaître.Il

estplus…inhumain,maintenant,quelesPartialseux-mêmes.Ils’efforcedeguérirlaTerre,pourquelesbonnesâmespuissenthériterdequelquechose;jeluiaiditqu’ilferaitmieuxdem’aideràluttercontreleRM,maisilatoujoursététêtu.–Et il y enadeuxautresdans l’est, ajoutaKira.Deux factionsdePartials sontdirigéespardes

membresdel’Alliance:KioniTrimbleetMcKennaMorgan.– Elles sont en vie ? s’étonna-t-il, visiblement stupéfait. (Kira n’aurait su deviner s’il en était

heureux ou non.)Vous dites qu’elles dirigent les Partials ?Qu’elles ont pris leur parti, contre leshumains?–Jecrois.Elles…Jen’aijamaisrencontréTrimble,maisMorganestdevenuecomplètementfolle:

elleenlèvedeshumainspourtenterdelesétudierafindeleverladated’expirationdesPartials.Ellen’était pas au courant jusqu’au jour où ils ont commencé à mourir, apparemment, mais elle estpersuadéedepouvoiryarrivergrâceàlabiologiehumaine.Etgrâceàmoi, pensa-t-elle en son for intérieur sans le dire tout haut.Elle ignorait toujours ce

qu’elleétait,etcommentValeréagirait lorsqu’il l’apprendrait.Pourtant, ilfallaitqu’elleluiposelaquestion.Elleétaitdéchiréeentrelaparanoïaetledésespoir.–Trimbleétaitaucourantdenotreplan,ditVale.MorganetJerry,non;ilsontconçul’essentielde

la biologie des Partials, mais nous n’étions pas sûrs de pouvoir leur confier le problème de laSécurité,etcommecelan’affectaitpasleurtravail,nousn’avonspaseubesoindelefaire.–Quisontlesautres?demandaalorsKira.–Quelsautres?–J’aitrouvéleursnomsaucoursdemesrecherches,maisjenesuisjamaistombéesurlevôtre;

j’aientenduparlerdedeuxautrespersonnesausujetdesquellesjenesaisrien.–MonnomcompletestCronusVale,luiapprit-il,etKirareconnutleprénom.–Cronus,ça,jel’aidéjàentendu,dit-elleenl’étudiantavecprudence.LedocteurMorgansemble

vousconsidérercommeunemenace.–Nemeditespasquevousl’avezrencontrée.–Çan’apasétél’expériencelaplusagréabledemavie.–Elleestmesquine,arroganteetsanscœur.Surlafin,elleavaittotalementrenoncéàl’humanitéen

tantqu’espèce.

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–Çaluiressemble,eneffet.–Sijamaiselledécouvrecetendroit,noussommescondamnés.Maphilosophie,commevousavez

pulevoir,estquelquepeuéloignéedelasienne.–Vousvousefforcezdeprotégerl’humanité,mêmeauprixdel’esclavagedel’espècePartial,dit

Kira,àquilavéritécommençaitàapparaître.Quesontdevenusvosidéaux?Etquelestvotreprojet,maintenant,pourlasurviedesdeuxespèces?–Aprèsdouzeannées,j’ensuisvenuàcomprendreunechose.L’extinctionvousobligeàchoisir

votrecamp.Jeneveuxfairedemalàpersonne,maissijenepeuxsauverqu’unedesespèces,j’aifaitmonchoix.–Iln’yapasforcémentàchoisir,ditKira.Ilyamoyendesauverlesdeux.–Ilyavait.MaiscerêveestmortavecleRavage.–Vousvoustrompez,insistaKira,quisentaitleslarmesluimonterauxyeux.Vous,Armin,Nandita

etGraeme…votretravailnevisaitqu’àcela,àfairesurvivrelesdeuxespèces.Jedoispouvoirfairequelquechose!–Jevousaipromisdesinformations,etjesuisunhommedeparole.Dites-moicequevousavez

besoindesavoir,etjevousrévéleraitoutcequejepourrai.Ilsremontèrent jusqu’aulaboratoirecachésous la tour,etKiraprit le tempsde laréflexion.Des

questions,ilyenavaittant!Paroùcommencer?EllevoulaitsavoircommentfonctionnaitleRM,etquelleétaitprécisémentlarelationentrelevirusetsonantidote.Silesmêmesêtresproduisaientlesdeux,commentcesélémentsréagissaient-ilsentreeux?Ellevoulaitaussiensavoirdavantagesurladated’expiration:commentellefonctionnait,commentilspourraientlacontourner.Valen’ensavaitrien,apparemment,maisilnesemblaits’intéresserqu’auRM.Ildisposaitpeut-êtred’uneinformationprécieusequeKiran’avaitpasencoreexplorée.–Parlez-moideladated’expiration,dit-elle.–En fait, cen’estqu’uneextensiondemon travail sur lecycledevie. J’aiconçu lesPartialsde

manièrequ’ilsatteignentenmodeaccéléréuncertainâgeetqu’ilsyrestent,gelant leprocessusdevieillissement en régénérant sans cesse leurADN.Aubout devingt ans, ce processus s’inverse, etl’ADNestactivementdégénéré.Engros,ilsvieillissentdecentansenquelquesjours.– Samm ne m’a pas dit qu’ils vieillissaient, fit-elle remarquer, simplement qu’ils… se

décomposaient.Commes’ilspourrissaientvivants.–À cette vitesse, l’effet est lemême.Ce n’est pas lamanière la plus agréable demourir,mais

c’étaitlapluséléganted’unpointdevuebiologique.Kirafronçalessourcils,cherchanttoujourslespiècesmanquantespourcompléterlepuzzle.–Commentavez-vousfaitpourcacherladated’expirationàMorgan?– ParaGen était un vrai labyrinthe de secrets. Personne ne se fiait à personne, et le conseil

d’administrationsefiaitencoremoinsànosprincipauxscientifiques.C’estpourcelaquenousavonsdûconcevoirdeuxdispositifsdesécurité.Kiraécarquillalesyeux.–Deux?– Un virus tueur de Partials, comme ce qu’ils voulaient, et la grippe humaine que Graeme et

Nanditaontimaginéedanslecadredenotreplan.Nousn’avonsjamaismisenfabricationlaSécuritéanti-Partials,biensûr,maisjel’aiquandmêmecréée,commecouverture,afindemasquerlerestedenotreprojet.Ladirectionpouvaitlavoir,recevoirdesrapportsetdesrésultatsdetests,etserassurer

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surlefaitquenoussuivionslesordres;pendantcetemps,c’estl’autredispositifdesécuritéquenousavonsfinalementmisenplacedanslesmodèlesdePartialsproduitsenmasse.–Attendez.Kiraouvritsonsacàdosetycherchalavieillepoignéedel’ordinateurd’Afa,quicontenaittoutes

lesinformationstéléchargéesàChicago.–Vousavezunécransurlequeljepourraisbrancherceci?–Biensûr.Illuitendituncordonélectrique,etelleallumal’appareil.–Avantdevenirici,expliqua-t-elle,nousavonsrécupérétoutuntasd’informationsdansuncentre

dedonnéesdeChicago.L’uned’ellesétaitunmémoémanantd’uncadredeladirectiondeParaGen;nous l’avons lu parce que la Sécurité y était mentionnée, mais nous n’avons pas compris surlemoment.Maisàlalumièredecequevousvenezdemedire…Lalistedesfichiersapparutàl’écran,etKiralesfitrapidementdéfilerpourchercherlebon.–Voilà,c’estcelui-ci.«Nousn’avonspasdepreuveformellequel’équiperesponsabledesPartials

aitleprojetdesaboterledispositifdeSécurité.Toutefois,danslesoucidepareràtouteéventualité,nousavonsengagédenouveauxingénieurspourl’installersurlesderniersmodèles.Ainsi,encasdetrahison,laSécuritésedéploieraittoutdemême.»Valeenrestacommeassommé.–Ilsontagidansnotredos.–C’esteneffetcequenousavonspenséenlisantcela,maisaprèscequevousm’avezdit,jecrois

quecen’estpastout.Sileconseild’administrationignoraittoutduvirusdestinéauxhumains,alorsleseulqu’ilsaientpuajouterauxnouveauxmodèlesétaitvotreleurre.CeluiquituelesPartials.Cequiveut dire qu’il est peut-être encore en circulation. Et s’il tue les Partials, il tuera tout le monde,puisqu’ilssontnotreseulesourced’antidote.–Trèsjuste,reconnutVale.Maisregardezladate:21juillet2060.C’est-à-diredeuxannéesentières

aprèslacréationdeladernièrefournéedePartialsmilitaires.Toutcequej’imagine,c’estquecete-mailseréfèreàdeuxquin’ontjamaisétéproduitsenmasse.–Lesnouveauxmodèles…soufflaKira.C’estmoi,songea-t-elle.C’estcequejesuis:unPartialnouveaumodèle.C’estmêmel’annéede

manaissance,cinqansavantleRavage.Cemessageparledemoi.JesuisporteusedelaSécuritéanti-Partials.–Vousavezl’airterrifiée,remarquaVale.Ellechassasescheveuxdesonvisageentâchantdecontrôlersarespiration.–Jevaisbien.–Onnediraitpas.Kiraregardalesdixprisonniersquigisaientinertessurlestables.Siquelquechoseactivelevirus

que je porte, je les tuerai.Et je tuerai Samm. Elle s’efforça d’empêcher sa voix de trembler pourrépondre.–Quelétaitledéclencheur?–L’élémentquirendaitlevirusactif?C’étaitunesubstancechimique,administréesoitparlavoie

des airs soit par injection directe. Seuls certains Partials en étaient porteurs : des facteurs viraux,essentiellement,quipouvaientêtrestimulésàunmomentprécis.Nouspouvionsactiverleremèdedelamêmemanière.

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– Oui, d’accord, mais quel est le déclencheur ? Précisément ? Et serait-il le même pour lesnouveauxmodèles?–Celan’aaucune importance.Leprésidentaactivé laSécuritéafind’arrêter lesoulèvementdes

Partials,etquandj’aivuàquelpointleRMétaitdevenuagressif,j’aidemoncôtéactivél’antidote.C’estfaitetterminé.Cesnouveauxmodèlesmentionnésdanslemailn’étaientquedesprototypes,etàmaconnaissanceaucunn’asurvécuauRavage.C’étaientdejeunesenfantsàl’époque.–Mais s’ilsavaient survécu? insistaKira.Et siquelquechose lesactiveparaccident,détruisant

touslesPartialsquirestentsurlaplanète?Valelacontemplafixement,l’airperplexeetpensif.Peuàpeusonexpressionchangea,etKirane

puts’empêcherdefaireunpasenarrière.Valeaussirecula.–Vousm’avezditquevousaviezvécuavecNandita,n’est-cepas?Qu’elleavaitmontéunesorte

d’orphelinat?Comment,aujuste,a-t-elleréunilesfillesqu’elleavaitadoptées?Kira scruta ses traits avec méfiance, tâchant de déceler s’il avait deviné ce qu’elle était

réellement.Ilsemblaitsuspicieux,maisquellescertitudesavait-il?Qu’avait-ilbesoindesavoiravantd’agir, et quelles mesures prendrait-il alors ? S’il voyait en elle une menace, la tuerait-il sur-le-champ?Elleouvrit labouchepourparler,maisneput rien trouverquine la trahissepas.Jenepeuxpas

avoirl’aird’ensavoirtrop,maisjenepeuxpasnonpluséviterlesujet.–Elleavaitquatrefilles.Ellenousatrouvéescommetouslesautresparentsd’accueildel’île.Je

croisquecertainsd’entrenousontétéplacéschezdesadultesparleSénat.(Ellen’étaitpascertainequecesoitvrai,maiscelasonnaitbiensansrévélerdeconnaissancesparticulières.)Pourquoicettequestion?–Certainsenfantsétaientplacés.Maispastous?–Nanditanousaélevéescommen’importequi,répondit-elle.Maissoudain, lesquestionsdeMarcussurdesexpériencesluirevinrentàl’esprit.C’estça,c’est

moi,pensa-t-elle,toutsetienttropbien.Vale l’observa attentivement et fit encore un pas en arrière. Kira jeta un coup d’œil par-dessus

l’épauledumédecin:reculait-ildevantunemenace,ouserapprochait-ilinsensiblementd’unealarmequelconque?Combiendetempsmereste-t-il?Latensiondanslapièceétaitétouffante,etKirasentitunépaisfiletdesueurluicoulerdanslebasdudos.– Vous rendez-vous compte, demanda-t-il d’une voix douce, des dégâts que pourrait faire la

Sécuritéanti-Partialssielleétaitlibéréeaugrandairencemoment?Dumalqu’ellepourraitfaireàlaréserve,àEastMeadow,aumondeentier?–Jevousenprie,réfléchissezàcequevousfaites…Maiscen’étaitpas labonnechoseàdire,etellesut,à l’instantoù lesmotsquittaientsabouche,

qu’unesuppliqueéquivalaitàunaveu.Valefitvolte-face,plongeantverslatablesituéederrièrelui,etKiran’attenditmêmepasdevoir cequ’il attrapait.Elle fitdemi-touretpartit encourant, fuyant lapièce à toutes jambes. Un coup de feu résonna derrière elle, et des étincelles jaillirent del’encadrementdelaporteàquelquescentimètresdesatête.Ellefranchitlecoinetseruaversleboutducouloir.Il y eut encore des coups de feu derrière elle, mais elle était plus rapide que lui, et déjà trop

éloignéepourcetireurinexpérimenté.Elleprenaittouslesviragesentrébuchant,ralentissantàpeinepour changer de direction, filant vers la cage d’ascenseur par laquelle elle était descendue. C’est

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seulement en l’atteignant qu’elle se rappela qu’elle avait laissé l’ordinateur portable dans le labo,branchésurceluideVale.–Pas le temps,souffla-t-elleenbondissantsur l’échellepoursehisser.Jereviendrai lechercher

plustard.Ellepouvaitpeut-êtretriompherdeVale–toutdépendaitdesesmodifsgénétiquesàlui–,maisil

avaitpudéclencherunealarmeetappelerdes renforts,etelleétait incapabled’affronter la réserveentière. Son seul espoir était de rejoindre Samm et de le porter dehors, avant que quiconque àl’extérieurcomprennecequisepassait.Mais à quelle distance devrait-elle l’éloigner pour qu’il échappe à l’influence du sédatif ? Et

combiendetempsavantqu’ilélimineladoseprésentedanssonorganisme?Elle atteignit le premier étage et sortit en rampant par les portes de l’ascenseur toujours

entrouvertes.Sammgisaitnon loin, exactement làoùelle l’avait laissé, et ellepassa sonsacàdospar-dessuslesienavantdelehissersursespieds.Ilétaitmouetlourddanssesbras:quatre-vingt-dixkilosdemusclestransformésenpoidsmort.EllepassalesbrasduPartialpar-dessussesépaulesetlesouleva, grognant sous l’effort, sans cesser de guetter des bruits de poursuite. Il n’y avait rienderrièreelle,etellen’entendait rienà l’extérieur.Elleclopina jusqu’à l’escalier,portantet traînantSamm.Elle atteignit le rez-de-chaussée et s’adossa à unmurpour se reposer, tout enobservant laclairièrebroussailleusequientouraitlatour.Deuxtypesdiscutaientàl’ouest,abritésàl’ombreàcôtéd’undesbâtiments reconvertis en logements,mais ilsne semblaientpasparticulièrement enalerte.KirarajustasaprisesurSammetletraînajusqu’àl’autreboutduhallpoursortirdiscrètementparlecôtéest,oùpersonnen’attendait.Lesolétaitirrégulier,pleinderacinesetdetaupinières,etelleétaitforcéed’avanceràpasdefourmi,ralentieparSamm.Siseulementjesavaisoùsontleschevaux,sedit-elle,maisellen’avaitpasletempsdelestrouver.

SielleétaitporteusedelaSécuritéanti-Partials,alorscelapouvaitsignerlamortdesPartialsdeVale,lamortde la réserve, et à terme lamortde tous leshumains etde tous lesPartials.Kira était unebombe à retardement ambulante, et neutraliser cette menace était une priorité absolue. Valesacrifierait son secret, son autorité, tout ce qu’il faudrait pour préserver l’espèce humaine. Ellen’avaitplusqu’àfuiroumourir.Elleatteignitl’oréedelaclairièreàl’instantprécisoùunhommeapparutàl’angledubâtimentle

plusproche.Ils’arrêta,étonné;elleserralesdents,presqueentraînéeausolparlepoidsdeSamm,etfiladevantlui.–Bonjour,dit-il.Est-cequ’ilvabien?–Ilafaitunmalaise,réponditKira.Ilajustebesoind’airfrais.Ilsuffitd’atteindreleportailetonserasauvés,pensa-t-elle.–Vousêteslesnouveaux,compritl’hommeenluiemboîtantlepas.Vousêtesentrésdanslatour?–Onsepromenait,lâchaKiraenregardantdevantelle.Une autre clairière s’ouvrait devant eux, puis un autre bâtiment, et au-delà, la clôture et les

faubourgsdelaville.Siseulementonpouvaitarriverjusquelà-bas,onpourraits’ycacher…maisilfautquejemedébarrassedecebonhomme.–VousconnaissezCalix?demanda-t-elle.–Biensûr!– Trouvez-la, et dites-lui que nous avons laissé unmédicament précieux dans nos sacs, dans sa

chambre:unflaconrouge,triangulaire,avecunanneauvertautourdubouchon.Cen’étaitqu’unantibiotique,maiscethommen’étaitpasobligédelesavoir;elleavaitjustebesoin

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de l’éloigner. Il hocha la tête et partit en courant, et Kira continua d’avancer péniblement. Elleatteignitlebâtimentsuivant,etmaintenantilyavaitplusdemonde,desadultesetdesenfants.Plusquetrentemètres.Onyestpresque.Quelquespersonness’enquirentdelasantédeSamm,l’airsoucieux,etKirafitdesonmieuxpournepasattirerencoreplusl’attention,maisl’attroupementcommençaàgrandir.–Qu’est-cequ’ila?–Oùallez-vous?–Qu’est-cequisepasse?Etpuisuneautrevoix,auloin,derrièreeux.–Arrêtez-les!Lesbadaudsrelevèrentlatête,perdus.Kirasefrayaunpassageentreeux.–Arrêtez-les!lançadenouveaulavoix.C’étaitVale.Kira continua d’avancer, luttant pour empêcher Samm de tomber. Une femme dans la foule lui

agrippalebras.–LedocteurValeveutquevousvousarrêtiez,dit-elle.Kirasortitsonpistolet,etlafemmereculavivement.–LedocteurValeveutnoustuer.Laissez-nouspartir.Plusquequinzemètres.Lafemmebattitenretraite,lesmainsenl’air,etKiras’enfuitlentement,penchéesurlecôtépour

garder lepoidsdeSammcentrésurelle.Elle leretenaitd’unemain,etde l’autre tenait lafouleenrespectavecsonpistolet.Jetantuncoupd’œilenarrière,ellevitValeapprocheravecungroupedechasseursarmés.Sammgémit,groggymaiséveillé.–Onestoù?–Danslesennuisjusqu’aucou,ditKira.Tupeuxmarcher?–Qu’est-cequisepasse?–Fais-moiconfiance.Réveille-toi.–Arrêtez-les!criaunenouvellefoisVale.Cesontdesespions,ilssontvenusdétruirelaréserve!–Ons’enva,ditKiraentresesdentsserrées,luttantpasàpaspourrejoindreleportailouvert.Samms’appuyait toujours lourdementsurelle, tâchantdemarchermais tropfaiblepour le faire

avecefficacité.Lesvillageois,quinecomprenaientrienàlasituation,nes’étaientpasinterposéspourlesarrêter.–Laissez-nouspartir.–Sivousleslaissezpartir,ilsreviendrontavecmilleautrescommeeux!clamaVale.Cesontdes

Partials!Sammavaitlavoixpâteuse.–Alorsl’expédereconnaissancenes’estpaspasséecommeprévu?–Tunem’aidespas,ditKira.Bon,tupeuxmarcher,maintenant?Sammessayadesetenirsursespieds,oscillantlégèrement,etretombasursonépaule.–Pasbien.–Est-cequec’estvrai?fitunevoix.

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Kira, tournant la tête, se retrouva nez à nez avec Phan, et son expression d’homme trahi luitransperçalecœur.–Jesuisunepersonne,dit-elle.LesPartials…–Les Partials ont détruit lemonde, déclaraVale en les rattrapant. Etmaintenant, ils sont venus

terminerletravail.–Vousmentez,crachaKira.C’estvousquil’avezdétruit,etdepuisvousvivezdansunfantasme,à

essayerdefairecommesilepassén’étaitjamaisarrivé.–N’écoutezpasleurstromperies!Lafouleserapprochad’eux,etl’étroitcheminmenantauportaildevintdeplusenplusétroit.Kira

balançafollementsonpistoletautourd’elle,toutenretenantSammdel’autrebras.–S’ilteplaît,Samm,j’aibesoinquetuteréveilles,là.–Jesuisréveillé,dit-ilalorsquelafoulen’étaitplusqu’àquelquespas.Jepeuxmarcher.Kiralelâcha,etiltintdebout.–Ilfautqu’on…Valefitfeu.

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CHAPITRE47

–Toutesmesexcusespourmonabsence,j’essayaisdesauverlemonde,ditNandita.Elle se tenait dans le salon de son ancienne maison – celle qu’Ariel avait fuie tant d’années

auparavantenjurantdenejamaisyrevenir.Arielserralespoingsetréponditsèchement.–Tunousasdéjàmenti,dit-elle.Pourquoiontecroiraitmaintenant?–Parcequevousêtesdesadultes,oupasloin.Lesenfantsdoiventêtreprotégésdelavérité,mais

lesadolescentspeuventl’affronterenface.Quatrevisageslaregardaientfixement,touteslesfemmesdelavied’Ariel:sessœursMadisonet

Isolde, son amie Xochi, et la mère de Xochi, la sénatrice Kessler. Même Arwen était là, le bébémiracle. Toutes prises au piège par l’armée des Partials, ramenées là pour attendre, s’inquiéter etmourir.Elless’étaientrassembléesdanslamaisondeNanditaparcequec’étaitleseulfoyerquileurrestait.Etencore:s’ilssavaientàquelpointnousavonsétéprochesdeKira,seditAriel,nousserionsencoreplusdanslepétrin.–LaDéfensevouscherchedepuisunan,intervintKessler.Oùétiez-vouspassée,etquelssontvos

liensavecl’arméedesPartials?–Jel’aicréée,lâchaNandita.–Qu…quoi?bafouillaKessler.Elleétaitlapremièreàpouvoirarticulerunmot.Ariel,poursapart,étaittropchoquéepourdire

quoiquecesoit.–VousavezcréélesPartials?–Jefaisaispartiedel’équipequiaconçuleurcodegénétique,ditNanditaenenlevantsonmanteau

etsonchâle.Sesmainsétaientridées,maisn’avaientpluslescalsqu’Arielleuravaittoujoursvus.Oùqu’elleait

été,ellen’avaitpasjardiné,nifaitdetravailmanuel.Kesslerbouillaitdecolère.–Etvousl’avouez?Commeça?Vousavezcrééunedesplusgrandesforcesdedestructionquece

mondeaitjamais…–J’aicréédesêtresvivants,ditNandita,commetouteautremère.EtlesPartials,commen’importe

quelsenfants,ontlacapacitédefairelebienoulemal.Cen’estpasmoiquilesaiélevés,cen’estpasmoiquilesaioppriméssidurementqu’ilsontétéforcésdeserebeller.–Forcés?s’étranglaKessler.–Vousn’auriezpas fait autrement à leurplace, tranchaNandita. Jene connaispersonnedeplus

promptquevousàcombattrecequineluiplaîtpas.ÀpartKira,peut-être.– Laisse-la parler, Erin, dit Xochi (qui n’avait jamais appelé sa mère autrement que par son

prénom).–Donc,vousavezcréélesPartials,repritIsolde.Çan’expliquepaspourquoituasdisparu.–Lorsquenouslesavonscréés,nouslesavonsconçuspourqu’ilssoientporteursd’uneépidémie,

ditNandita.PasexactementcequiaensuiteétéappeléleRM,notezbien:lamaladiequiaétédiffusée

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s’estavéréeplusvirulentequenousnel’avionsvoulu,etpourdesraisonsquenousnecomprenonspaspleinement.Maisnousavionsaussiprévuunantidote,présentcheztouslesPartials,quipouvaitêtre activé par un second déclencheur chimique. Et puis, comme vous le constatez, tout a viré àl’enfer.–Tunenousdistoujourspasoùtuétaispassée,soulignaAriel,lesdoigtsserréssurlapoitrine.Elle avait tellement l’habitude de haïr Nandita que ce chapelet de confessions la perturbait

profondément:d’uncôté,celaluidonnaitencoreplusderaisonsdeladétester,enjustifianttoussessoupçonsetsesaccusations.Del’autre,cependant,commentpouvait-ellesefieràlamoindredesesparoles?Mêmes’ils’agissaitd’aveux?–Patience,j’yviens.Ilvousfautd’abordlescirconstances.–Non,pasdutout,aboyaAriel.Cequ’ilnousfaut,cesontdesréponsesfranchesetdirectes.–Jet’aienseignédemeilleuresmanièresqueça.–Tum’asenseignéàmeméfierde toutceque tudisais.Cessed’essayerdenousmettredans ta

poche et réponds juste à nos questions, sans quoi toutes les femmes présentes dans cette pièce seferontunplaisirdetelivreràMorgan.Nanditalacontempla,sesyeuxâgésilluminésparuneflamme.ElleregardaAriel,puisIsolde,puis

denouveauAriel.–Trèsbien.J’étaispartieparcequej’essayaisderecréerledéclencheurchimiquedel’antidote.–Çaparaît assez facile à comprendre, en fait, ditXochi.Cen’était pas la peinede faire tant de

mystères.–C’estparcequejevousaidonnélecontexte.J’aitravaillélà-dessuspendantonzeans,enfaisant

demonmieuxaveclematérielquej’avais,utilisantdesherbespourdistillerlesproduitschimiquesdontj’avaisbesoin.L’andernier,alorsquej’étaispartiechercherdesingrédients,jesuistombéesurunechosedontjen’auraisjamaisimaginéqu’elleexistaitencore:unlaboratoirepleindematérieldemanipulation génétique en état de marche, et suffisamment de courant pour le faire tourner. J’aiessayéderevenirpourvousramenerlà-bas,toutvousexpliqueretrésoudreleproblèmeunebonnefois pour toutes, mais une guerre civile et maintenant une invasion de Partials ont rendu lesdéplacementstrèsdifficiles.–Maispourquoinous?demandaAriel.Pourquoinousemmenerdanstonlabo…pourquoinous

utiliserpourtesexpériences?–C’estlàqu’ilvousmanqueducontexte,ditNandita.Ledéclencheurchimiquevousétaitdestiné,à

vous…leremèdeestenvous.Kira,ArieletIsolde.–Quoi?aboyaMadison.Isolde, sous le choc, couvrait de sesmains sonventre enflé – elle était enceinte de neufmois –

commepourleprotégerdesparolesdeNandita.Arieleutunsourirecrispé,confuseetterrifiée,maisnepouvantquesedélecterd’unevictoiresi

longtempsattendue.–Alorstumenaisbiendesexpériencessurnous.–Jecherchaisàrecréerledéclencheuràpartirderien,cequidemandaitbeaucoupdetâtonnements.– Reviens un peu en arrière, intervint Xochi. Tu nous as dit que l’antidote faisait partie des

Partials…alorspourquoiessayais-tudel’obtenird’ellestrois?–Tuasréponduàtaproprequestion,déclaraNandita.– Nous sommes des Partials, souffla Ariel, les yeux rivés sur Nandita. Tu t’es fait ton petit

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orphelinatdePartials.La révélation était écrasante, mais sa colère lui permettait de rester concentrée : elle avait haï

Nanditapendant tantd’années, concocté tantde théories sur soncomportement, que cettenouvelle,bienquechoquante,étaittrèsfacileàcroire.–Commentas-tupunouscacherça?Nousteconsidérionscommenotremère!–JenepeuxpasêtreunePartial,dit Isoldeavecunedouleuraudible.Jenesuispas, je…jesuis

enceinte.LesPartialssontstériles.(Elletremblait,riaitetpleuraitàlafois.)Jesuishumaine,commetoutlemonde.–Jelesaivuesgrandir,intervintKessler.LesPartialsnegrandissentpas.–Ce sont desmodèles plus récents, expliquaNandita. Les premières générations ont été créées

pour la guerre, mais tout le monde savait que celle-ci ne serait pas éternelle. ParaGen était uneentreprise, lesPartialsétaientunproduit,et leconseild’administrationétait toujoursà l’affûtde lanouveauté de la saison suivante.Que fait-on avec la technologie biosynthétique quand on n’a plusbesoindesoldats?Arielavaitlanausée:ellesesentaitsoudainétrangèredanssaproprepeau.–Nousétionsdesenfants.(Ellefitlagrimace.)Vousvendiezdesenfants?–NousconcevionsdesPartialspourquedesgensleurdonnentdel’amour,ditNandita.Desenfants

fortsetenbonnesantéquipourraientêtreadoptésetélevésexactementcommedesenfantshumains:celarépondaitàunedemandedumarché,cequiétaitlemoyendeconvaincrenospatronsdefinancerleprogramme, tout enassimilant enmême temps lesPartials– et l’idéemêmede leur existence–dans les rangs de l’humanité. Les enfants que nous créions étaient le chaînonmanquant qui feraitpasserlesPartialsdustatutd’horreurvenued’ailleursàsimplepartieprenantedelaviequotidienne.Ils étaient aussi humains que nous pouvions les faire : ils pourraient apprendre et grandir, ilspourraient vieillir, ils pourraient même procréer. (Elle fit un geste vers Isolde.) Et par-dessus lemarché,ilsjouissaientdetouslesavantagesliésauxPartials:descorpsetdessquelettesplusforts,desmusclesetdesorganesplusefficaces,dessensplusaiguisésetdesespritsplusvifs.–Etunecondamnationàmortàvingtans,ditXochi.–Non,pasdedated’expirationpourceux-là.Tout,dans lesnouveauxmodèles,étaitconçupour

égalerousurpasserlaviehumaine;iln’yavaitpasdelimitations,pasderaisondesecouvriravecundispositifdesécurité.– Vous ne faisiez pas que fabriquer des enfants, dit Ariel, vous étiez en train de reconstruire

l’espècehumaine.Nanditaneréponditrien.–Cen’estpasvrai,intervintIsoldeenélevantlavoix.Riendecequetuasditn’estvrai.Tuesune

vieillefolleetunementeuse!Ariel regarda sa sœur adoptive, sa haine enversNandita cédant peu à peu la place au sentiment

d’horreurquidétruisait Isolde.SiellesétaientdesPartials, ellesétaientdesmonstres.Ellesavaientdétruit lemonde–paspersonnellement,peut-être,maisellesfaisaientpartieduprocessus.D’autresgens, tous ceux avec qui elles avaient grandi, le penseraient. Déjà, la sénatrice Kessler s’avançaitlentement pour se placer entreXochi et les créaturesmonstrueuses qui avaient été ses amies.Quecroyait-ellequ’ellesallaientluifaire?Àprésentqu’ArielsavaitêtreunePartial,allait-ellesemettreàtuerlesgens?Quepenseraitd’ellelerestedel’île:qu’elleétaitunetraîtresse?Unagentdormant?Unefolieouunemonstruosité?Ariel,aumoins,n’avaitpersonneàtrahir,déjàisoléepardesannéespassées à vivre à l’extérieur ; Isolde, elle, avait des amis, une famille, unmétier… un emploi au

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Sénat, au cœur du gouvernement humain. Allaient-ils la considérer comme une espionne ? Queferaient-ilsàuneespionnePartial,enceinteounon?Etqueferaient lesPartialss’ilsapprenaient lavérité?Laconnaissaient-ilsdéjà?Arielpourrait-

elleallerchercherde l’aideauprèsd’eux,oucontribueràmettrefinà l’occupation?Peut-êtreques’ilsl’entendaientdelabouched’unedesleurs…Une des leurs.Une Partial. L’esprit d’Ariel se cabrait contre cette idée, et elle se sentit prise de

nausée.Ellecourutàlacuisinevomirdansl’évier.UnePartial.Toutcequ’elleavaittoujourspensédeNanditaétaitvrai.C’étaitmêmeencorepire.Personnenelarejoignitàlacuisine.–Etlebébéd’Isolde?s’enquitXochid’unevoixincertaine.Ilsera…quoi?HumainouPartial?–JenesuispasunePartial!hurlaIsolde.Ariels’essuyalevisageetlaboucheetregardaparlafenêtre,lesyeuxplongésdanslanuit.–Jeprésumequ’ilestlesdeux,réponditNandita.Unhybridehumain/Partial.Noussupposionsque

cela pouvait arriver, mais… il faudra que je fasse davantage de recherches pour comprendreexactementcequeçaveutdire.Arielrevintdanslapièce.Ellesesentaitdifférente.Exclue.Plusqu’ellenel’avaitjamaisressenti

avant.– Alors comme ça, tu as passé des années à chercher à réactiver l’antidote, lâchaMadison, et

ensuite…quoi,tuespartiel’activerailleurs?Sanslesfilles?– J’avais trouvé un laboratoire, comme je l’ai dit, répondit Nandita. Relié à l’électricité et

autonome. Je voulais revenir chercher les filles, mais le climat politique n’était plus franchementfavorableàcemoment-là.Kesslergrogna.–Nousnesommespasidiotes…sivousnousaviezditquevoustravailliezsuruntraitement…–Vousaurieznoyélepoisson,commevousavezfaitavecKira.Etsijevousavaisdittoutcequeje

viensdevousraconter,vousm’auriezjetéeenprisonoutuéesur-le-champ.–Alorsarrêtedediscuteretfais-le,tranchaIsolde.Tuesrevenueparcequetuasleremède,non?

Tupeuxledéclencher,etonpourrasauvertoutlemonde.ElletouchadenouveausonventreetArieléprouvauneboufféed’espoir,maisNanditasecouala

tête.–Quoi?fitXochi.Tunel’aspastrouvé?–Biensûrquejel’aitrouvé.J’avaisonzeannéesdedonnéesbiologiquessurlesfilles,j’aitravaillé

surleprojetd’origine,etjedisposaisd’unlaboratoireidéal.Jesavaisqu’ilyavaitundéclencheur,etj’aitrouvéexactementlemélangechimiquepouryarriver.Ellesortitunpetitflaconenverred’unsachetqu’elleportaitautourducouetlelevaenl’air; il

miroitadanslalumière.–Maiscen’estpas le remède.Quelqu’un l’adéjàdéclenché,chez tous lesPartialsquienétaient

porteurs.(ElleregardaMadison.)Kiral’adécouvertpendantmonabsence,c’estcommeçaqu’elleasauvétonbébé.–Alorsqu’est-cequetuastrouvé?demandaIsolde.Àquoisertceflacon?–J’aimapetiteidéelà-dessus,ditNandita.Maiscen’estpasunebonnenouvelle.

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CHAPITRE48

–Jecroisqu’onlesasemés,chuchotaKira,àboutdesouffle,épuisée.Ils couraient dans les ruines depuis presque une heure, avec apparemment toute la réserve aux

trousses.Elleétaittellementfatiguéequ’ellenepouvaitpresqueplusmarcher,etilss’étaientréfugiésdansuneanciennebanque.– Je ne suis pas sûre de pouvoir faire encore un pas, ajouta-t-elle.Maintenant, je sais ce que tu

ressentaistoutàl’heuredanslatour.Ils’effondracontrelemuretglissalentementausol,laissantsursonpassageunetraînéerouge.–Cequejeressensencore,dit-il.Jenesaispasquelsédatifilautilisélà-dedans,maisjetejureque

çacoupelesjambes!Répare-moiunpeu.Kirarestapresqueuneminuteàcôtédelafenêtre,surveillantlarouteàlarecherchedumoindre

signe demouvement ou de poursuite. Encore inquiète, elle recula jusqu’aumur près de Samm etsortitdesonsaccequirestaitdesatroussedesecours–pasunetroussecomplète,carcelle-ciétaittoujoursdans lachambredeCalix,mais lesélémentsessentielsqu’elleavaitgardésdanssonsacàdosaveclesautreschosesqu’ellenevoulaitpasperdredevue:sonpistolet,désormaisenpannedemunitions ; une poignée de documents décolorés ayant appartenu à Afa ; et en principe l’ordiportable,malheureusementrestédanslelaboratoiresecretdeVale.ElletamponnalaplaiedeSamm,unebalafre sanglante laisséepar la balle qui lui avait effleuré le triceps, et lui donnaunepoignéed’antibiotiquesàavaler.–Tun’enassansdoutepasbesoin,dit-elle,étantdonnécequej’aivudetonsystèmeimmunitaire,

maisprends-lesquandmême.Jepréfère.–Cen’estpastafaute.–C’estmoiqu’ilvisait.C’estmoiquil’aimisencolère.–Etjemesuisinterposéexprès,rétorquaSamm.Jetel’aidit,ilcommuniqueparlelien:j’aisu

surquiilallaittireravantqu’illefasse.–Çanemeconsolepas,tranchaKira,fouillantsonsacàlarecherchedebandagesetdécouvrant

qu’elle n’en avait pas. Tout est resté là-bas, souffla-t-elle. Attends, laisse-moi voir ce que je peuxdénicherdanslecoin.Ilssecachaientdanslesbureauxdufonddelabanque,loindelarue,etelleselevaafindechercher

untissu,unchiffon,quelquechose.–Maintenant qu’on a un peu le temps de respirer, lança Samm, tu peuxme dire pourquoi il a

soudainvoulunoustuer?Jesupposequ’ilnousasurprisàrôderdanslatour.–J’aidécouvertsonsecret,révélaKiraenouvrantlestiroirsd’unvieuxmeubleenbois.Etiladécouvertlemien,ajouta-t-ellepourelle-même–maisellenevoulaitpasencorepartager

celaavecSamm:quedirait-il s’il savaitque jeporteenmoi lamaladiequipourrait tuer tous lesPartialsdumonde?– Il n’a pas de nouvel antidote. Il récolte la phéromone sur un groupe de Partials enfermés et

endormisdanslatour.L’und’euxaétémodifiédemanièreàproduireunsédatifpuissantquiaffectelesPartials:c’estpourçaquetuastournédel’œildèsquetuasmislespiedsdanslebâtiment.C’estcommeçaqu’illesneutralise.

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Sammgardalesilenceunmomentavantdeparler.–C’esthorrible.–Jesais.–Ilfautqu’onl’arrête.– Je sais, répétaKira,mais il y ad’autrespriorités.Par exemple, éviterque tu finisses saigné à

blanc.Elle trouva une veste de costume dans une petite armoire et la sortit pour l’examiner. À Long

Island,elleauraitétécomplètementmoisieaprèsdouzeanspassésdansl’airhumide,maisici,dansunevilledudésert,elleétaitplutôtbienconservée.KiralarapportaàSammets’assitparterreavecsoncouteaupourladécouperenlargesbandelettes.–J’aitoujoursrêvédetevoirencostard!–Ilfautqu’onleslibère.Kiras’arrêtaenpleingeste.–Cen’estpassisimple.–Onpeutyretourner.Denuit.IlfauttrouverunmoyendesauverHeron,detoutemanière;ellea

disparudepuistroplongtempspournepasêtrelà-bas,quelquepart.OnvalaretrouveretlibérerleshommesqueValeacapturésetfairesortirtoutlemondedelà.–Jesais,ditànouveauKira,maiscen’estpassisimple.LesPartialscaptifssontpratiquementdes

squelettes. Je ne sais pas s’ils pourraient survivre en dehors du labo, alors une tentative d’évasionnocturne…–Tudiraislamêmechosesic’étaientdesprisonniershumains?Kiraeutl’impressiond’avoirreçuunegifle.–Jenedispasquetun’aspasraison,jedisjustequecen’estpassisimple.Pourquoim’enveux-tu

commeça?– C’est exactement ce que le docteur Morgan a essayé de te faire. Transformer un humain en

cobaye vivant pour une expérience scientifique. J’ai risqué ma vie et détruit mes amitiés pour telibérer.–Tuasaussicontribuéàmacapture.–Etensuite,jet’ailibérée.IlyaunepossibilitétrèsréellepourquecequeMorganvoulaittefaire

ait été valable : elle aurait peut-être pu apprendre quelque chose, dans ta physiologie, qui auraitpermis de lever la date d’expiration. Pourtant, je t’ai aidée à t’enfuir. Dis-moi : si tu refuses deretournerlà-basavecmoi,ceneseraitpasplutôtparcequecesPartialssontutiliséspoursauverdesvieshumaines?Kiraouvritlabouchepournier,maiselleenfutincapable.EllenepouvaitpasmentiràSamm.–Tupréfèresqu’onlaissemourirtouslesenfantsquisontici,lâcha-t-elle.Elleneleformulapascommeunequestion.–Tunepeuxpasaffirmerquec’estcequiarriverait…–Jesaistrèsbienquec’estexactementcequiarriverait, lecoupa-t-elle.ÀEastMeadow,c’estce

quiarrivetouslesjoursdepuisdouzeans,etj’aipasséunedecesannéesdanslamaternité,àvoircelasedéroulersousmesyeux.SionfaitsortircesPartialsdecelabo,lesprochainsenfantshumainsquiviendrontaumondemourrontaussitôt.Iln’estpasquestionquejelaissefaire.–MaistuacceptesquecesPartialssoientutiliséscommedesmachines?Ellenel’avaitjamaisvusiencolère.Encemoment,ilsemblaitpresque…humain.

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–TuesunePartial,Kira.Ilesttempsquetucommencesàtefaireàl’idée.–Cen’estpaslaquestion.–Tuparles!Qu’est-cequec’est,alors?Lahonte?Tuashontedecequetues?Decequejesuis?

Jecroyaisquetufaisaistoutçapoursauverlesdeuxespèces,maispousséedanstesretranchements,tu retournes toutdroit auxhumains.Heronexpliquaitdepuis ledébutquenouspourrionspeut-êtresauverlesPartials,maistunevoulaispas;ilafalluquetuviennesicichercherunmoyendesauverd’abordleshumains.–Cen’estpassisimple!éclatacettefoisKira.SionvalibérercesPartials, lesenfantshumains

mourront.Cettecommunautés’éteindra.Jen’aimepaslesstatistiques,maisc’estbiençalesujet:dixpersonnes contre deuxmille, dixmille ou vingt mille, à mesure que la communauté grandira. Sic’étaient des humains, dans ce labo, quimaintenaient en vie un hôpital plein d’enfants Partials, jediraislamêmechose.–Alorspourquoinepaslestraiterenhumains?Aprèstout,lesPartialsresteraientpeut-êtredeleur

pleingré.Est-cequ’il leuraposé laquestion,aumoins?Est-cequ’il leuraexpliqué lasituation?Nousnesommespasdesmonstressanscœur,Kira,etnousneméritonspasd’êtretraitésainsi.–Et toi, turesterais? luidemanda-t-elle,retournant leraisonnementcontrelui.Turenonceraisà

toutcequetuas,àtoutespoirettouteambition,pourdevenirune…unevacheàlait?Turesteraisiciànerienfaireettuleslaisseraisrécoltertesphéromones?Remarque,tuauraisCalixpourtetenircompagnie!–Kira,tunesaispluscequeturacontes.–Etqu’est-cequetudisdeça?enchaîna-t-elle,tropfurieusepoursetaire.LePartialquiproduitle

sédatif… il s’appelleWilliams. Il est une arme vivante qui ne peut, par définition, coexister avecaucun autre Partial. Vale a modifié son ADN, et il ne peut plus rien y changer parce que sonéquipementaétédétruit.Leseulmoyenderéellementleslibérer,enfait,serait…Elles’arrêtasoudain,comprenantqu’elleneparlaitplusseulementdeWilliams.Elleparlaitd’elle-

même.L’armevivantequimenaçaittouslesautresPartialsparsaseuleexistence.–Leseulmoyendeleslibérer,reprit-elleàmi-voix,c’estqu’ilmeure.Savoixsebrisa,etelleseforçaàposerlaquestionfinale.–Queferais-tudelui?Pitié,nedispasquetuletuerais.Pitié,nedispasquetumetuerais.–Jecrois…(Ilsetut,etKiravitqu’ilréfléchissaitprofondément.)Jen’yavaispasencorepensé.

Cen’estpassimple,maisc’est…Pitié,faitesqu’ildisenon,pensa-t-elle.–Jesupposequeparfois,unepersonnedoitsouffrirafinquetouteslesautressoientlibres,lâcha-t-

ilenfin,etKirapâlit.–Alorstuletuerais?–Çanemefaitpasplaisir,maisquelleestl’alternative?Sacrifiertouteunecommunautépourune

personne?Ilfautagiraumieuxpourlegroupe,ouneplusavoirquedestyrans.–Alorstusacrifieraisuntypepourlesneufautres,enchaînaKira,maisturefusesdesacrifierdix

hommespour en sauver quelquesmilliers.C’est unpeu incohérent, tu ne trouvespas ?Cevillagepleind’humains,n’est-cepasundecesgroupespourlesquelsilfautagiraumieux?–Cequejedis,c’estqu’onnepeutpasutiliserlesêtresvivants,parcequ’ilsnesontpasdeschoses.

Mêmesijenedevraispasm’étonner,vuquec’estexactementcommeçaqu’onatraitéAfa.

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–Pardon?C’estmoiquil’aidéfendu…C’estmoiquiaiprissadéfensetoutletemps,quiaifaittoutcequej’aipupourlegarderenbonnesanté,pourêtregentilleaveclui…–Nousl’avonsentraînédansunesituationoùiln’avaitrienàfaire,soutintSamm,parcequenous

avionsbesoindelui.Ons’estservisdeluipourarriverànosfinsetjenedispasquec’esttafaute:c’estnotrefauteàtous,onl’atousemmené.Maisonaeutort,etmaintenantilestmort,etilfautentirerlesleçons.–Etnotreleçon,c’estdelaissermourirencoreplusdegens?s’insurgeaKira.Jesaisquelamort

d’Afaestnotre faute, lamienneplusquecelleden’importequi,et jeneveuxpasavoirça surmaconscience,maismêmesijen’aipaspulesauver,jepeuxsauverlaprochainegénérationd’enfantshumains.Çanemefaitpasplaisir,etàValenonplus,maisledilemmeestinsoluble.Toutcequenouschoisissons de faire sera une tragédie horrible et douloureuse pour quelqu’un, quelque part,maisavons-nouslechoix?Faut-ils’abstenirdechoisir?Croiserlesbrasetlaissertoutlemondemourir?Ceseraitlepiredetout.LavoixdeSammsefitplusdouce;ellen’étaitplusagressive,maissimplementtriste.–Jenecroispasauxdilemmesinsolubles.–Alorsquelleestlasolution?–Jenesaispasencore,maisjesaisqu’elleexiste.Etnousdevonslatrouver.Kira se rendit compte qu’elle pleurait, et chassa ses larmes avec le dos de sa main. Elle tenait

encoreunebanded’étoffedelaveste,qu’elleagitafaiblement.–Donne-moitonbras.Ilfautencorequejelebande.–Vas-ydoucement,fitsoudainlavoixdeCalix.KiraetSammbondirentenl’air.Ilsdécouvrirentlablondederrièreeux,unpistoletbraquésureux.

Sonfusilétaitaccrochédanssondos.– Merci d’avoir des conversations si animées, dit-elle. Ça m’a permis de vous retrouver plus

facilement.–Jen’aiplusdecartouches,annonçaKiraenjetantunregardàsonpistoletetàsonsac,del’autre

côtédelapièce.–Moij’enaiencoreune,luiappritSamm,maisjesuisassezsûrqueCalixauraitletempsdenous

tuertouslesdeuxavantquejel’attrape.–C’estlachoselaplusvraiequetuaiesjamaisdite,lâchal’intéressée.Etsituposaiscepistoletpar

terre,bienlentement,etquetumel’envoyaisavectonpied?Sammpritsonpistoletentredeuxdoigts,sansapprocherdeladétente,etlelaissatomber.–C’estça,ditCalix.Versmoi.Il le poussa du pied,maladroitement, de sa position avachie, et elle se baissa pour le ramasser,

gardantsonsemi-automatiquebraquésureuxenpermanence.Elles’assuraquelasécuritédeSammétaitenclenchée,etglissalepistoletdansunesacochequ’elleportaitàlaceinture.– Et maintenant, répondons à quelques questions avant que je vous ramène à la réserve. Tout

d’abord(savoixtremblalégèrement),êtes-vousvraimentdesPartials?–Eneffet,ditKira,maisçanefaitpasdenousdesennemis.–LedocteurValeprétendquevousessayezdenousvolernotreremèdecontreleRM.KiraregardaSamm,puisdenouveauCalix.–C’est…nousnevoulonsvoirmourirpersonne.–Vousparlezdesaccagersonlabo.

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–Est-cequetusaisenquoiconsisteletraitement?s’enquitSamm.–C’estunepiqûre.–Maissais-tucommentillefabrique?LaperplexitédeCalixs’effaçadesonvisage,quiretrouvasonimplacablesévérité.–Quelleimportance?–L’antidoteprovient dePartials, révélaKira. Il en adixdansun labo au sous-sol, où ils vivent

depuisdouzeansdansuncomaartificiel.–Cen’estpasvrai.–Jelesaivus.–Tumens.–LedocteurValeacréélesPartials,ditSamm.Ilyabeaucoupdechosessurluiquetuignores.–Levez-vous.Jevaisvousramener,etoniraparleraudocteur,commeçailpourramontreràtout

lemondeàquelpointvousvoustrompez.–Ceserabienplusrévélateurquetunelecrois,ditKiraenselevant.Aumêmeinstant,uncoupdefeurésonnadanstoutlebâtimentetelleselaissatomberausolense

couvrantlatête.Est-cequ’ellem’atirédessus?Samm?Elleentendituneautredétonation,puisuncri,aprèsquoi

Calixs’effondraausol.Kirarelevalatête,étonnée,etjetauncoupd’œilàSamm;ilétaitvisiblementaussi perplexe qu’elle. Calix roulait par terre dans une flaque de sang, les mains crispées sur lapoitrine.Kirapoussauneexclamationetcourutàelle.–Calix!Lablondegémitentresesdents,avecunegrimacededouleuretdecolère.–Qu’est-cequetuasfait?–Maisrien!Quit’atirédessus?Elle écarta les mains de Calix de sa poitrine ensanglantée, cherchant un impact de balle, et

découvritquelablessureétaitàlamain.Lesangenexcèsvenaitd’unsecondtrou,danslacuissedelafille.–Gardelapressionlà-dessus,dit-elleenrepliantsesmains.Samm,j’aibesoindetonaideavecsa

jambe.–Quiatiré?demandaSammentenantlesépaulesdeCalixpourl’immobiliser.–Àvotreavis?clamaalorsHeron.Kirafitvolte-faceetlavitarriverencourantdelaruedévastée.–C’étaituntiràlongueportéeetcepistoletn’estplusaussiprécisqu’avant.Poussez-vous,queje

l’achève.–Onneveutpasquetul’achèves,protestaKiraenseprécipitantdevantl’arme.Oùétais-tupassée?–Jefaisaismontravail,lâchaHeron.Vousavezvulatour?–Biensûr,etlelaboausous-sol.–Jen’aipaspumerapprocherassez,ditHeron.Ilyaunesortedesomnifèrequipasseparlelien.

MaisjefileuntypenomméValedepuisdeuxjours,etjesuisraisonnablementsûrequ’ilfaitpartiedel’Alliance.IlyaaussidesPartialsdanslecoin,quelquepart.Est-cequecebâtimentestbiencequejecrois?– Ça dépend, tu crois que c’est une ferme de phéromones avec dix Partials dans le coma,

transformésenlégumes?

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– En fait, non, dit Heron, l’air surprise. C’est… je savais que ça allait mal, mais ça, c’est…épouvantable. D’ailleurs, je déteste avoir raison. (Elle regarda Calix, qui gémissait toujours et setortillaitsurlesol.)Sérieusement,laissez-moimettrefinàsessouffrances.–Onnetuepluspersonne!assenaSammavecforce.KiraetHeron le regardèrent toutes lesdeux. Il avait surmonté ladouleurdesablessure,et il se

leva.Kirahochalatête.–Absolument,onnetueplus.Aide-moiàtenirCalixpourquejepuisseexaminercetteblessure.–Pourquoivoulez-voussauver…cettehumaine?s’étonnaHeron.Samm, jesupposeque jen’ai

mêmeplusbesoindeteledemander,pasvrai?–C’estunechasseuse,répondit-il.Cen’estpasuneennemiecombattante.Ilsn’ontpasdesoldats–

avantnotrearrivée,ilsnesavaientmêmepasquelaguerreexistaitencore.Etpersonneàpart leurchefn’étaitaucourantpourlesPartialsdusous-sol.JenevaispaspunirCalixpourcequeValeafait.Kirasentituneboufféed’émotions’épanouirdanssapoitrine.–Exactement.–Alorsonn’entueraaucun.Onpeuts’introduirelà-basdenuit,quandilsbaisserontleurgarde,et

Sammetmoiontecouvrirapendantquetuiraschercherlesprisonniers,Kira.Tueslaseuled’entrenousquisoitinsensibleausédatif.SammparlaavantqueKiraaitpudireunmot.–Onleslibérera,déclara-t-ilavecfermeté,maisonnepartirapas…dumoins,pasmoi.–Quoi?firentKiraetHeronenmêmetemps.IlregardaKira.–C’estlasolutionaudilemme.Jevaisfairecequetuasdit:resteraveceux.–Maisc’estidiot,s’insurgeaHeron.–Jenepeuxsacrifierlaviedepersonne,lalibertédepersonne,sijenesuispasprêtàsacrifierla

mienne.Nousallons libérer lesPartialscapturés,et leshumainspourrontobtenir laphéromonedemoi.Kiraétaitsonnée.Ellecherchaitunargumentvalable,n’importelequel.– Tu… tu n’as plus qu’un an à vivre, dit-elle. Tu ne pourras les aider que pendant un an avant

d’expirer.–Alorstuasunanpourtrouverlasolution.Mieuxvautsemettreautravailsanstarder.–Toutcelafaitchaudaucœur,lâchaHeron,maisçan’aaucunsens.Tunevaspasresterici,Samm.Kira ouvrit la bouche pour parler, mais s’arrêta en voyant la tête du garçon. Il avait dû sentir

quelquechoseparlelien.Heronn’exprimaitpasundésaccordaveclui:elleexposaitunfait.–Heron,dit-il.Qu’est-cequetuasfait?–Cequej’auraisdûfaireilyaunmois,déclaralaPartiald’unairsombreetpénétrant.Unrapport.Unsilenceabsolus’abattitsurlapièce.MêmeCalixsetaisait,lesdentsserrées,lesmainscrispées

sursesblessures.Kira regarda Samm, mais elle savait déjà ce qu’il pensait. Sa perplexité, lourdement mêlée de

colère,brûlaitdefaçonsivivequeKiralasentaitclairementdansl’air.Calixpritlaparole,lesdentstoujoursserrées.–Dequelrapportparle-t-elle?–TuasappeléMorgan?s’offusquaKira.Tunousastrahis?

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–Si tuveuxappelerçacommeça,ditHeron. J’ai supportéassez longtemps tesétatsd’âmeet taquêted’identité.Ilétaittempsd’arrêterdeparleretdepasseràl’action.SiledocteurMorganpeutseservirdetabiologiepourrésoudreleproblèmedel’expiration,alorsjevaislaluidonner.–Mais quandvas-tu enfin comprendre ?C’est exactement ce quedisait Samm : onne peut plus

choisiruncampcontrel’autre!–Eneffet,etilétaittrèspassionné,lançaHeron.–Qu’est-cequetuasfait?redemandaSamm.Dis-le-nousprécisément.–J’ailocaliséuncanalradioenétatdemarcheetj’aicontactélaCompagnieDenpassantparles

relaisqu’ona installés.Kira, je t’aidonnétachance,et j’aifait toutcequejepouvaispour t’aider,maislesréponsesnesontpasici.J’enaiassezdefairen’importequoi.–Notrecommunautéestpacifique,plaidaCalix.SivousamenezunearméedePartialsici,ilsvont

nousmassacrer.–Ellearrive,ditsoudainSammenrelevantlatête.Kiraregardaauplafond,nevit rien,etobservaSamm,qui inclinait la tête. Ilneregardaitpas, il

écoutait.Perplexe,ellel’imita.–Qu’est-cequ’ilya?demandaCalix.–Jen’entendsrien,ditKira…Justeun…unesortedebourdonnement.Trèsfaible.–C’était un des bruits les plus reconnaissables de la planète, déclaraHeron. Simplement, il y a

presquedouzeansquetun’enaspasentendu.–Maisqu’est-cequec’est?–Unréacteur.Unréacteurd’avion-cargo.L’arméedeMorganarrivesurzone.

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CHAPITRE49

Kiracourutramasserlapiledebandelettesqu’elleavaitdécoupéespourlebrasdeSamm.–Pardon,Samm,tuvasdevoirattendrecebandageencoreunpeu.–Lesmédicamentsétaientsuffisants,grogna-t-il.KirareplongeaauxcôtésdeCalix.Ellepressaunemancheducostumerouléeenboulecontresa

plaieàlajambe,puisl’enveloppaleplusvitepossibleavecdesbandagesimprovisés.–Pourquoiprendrecettepeine?demandaHeron.Tunesaismêmepas…–Toi,tais-toi.Kiranouafermementlesbandes,mettantsurletrousaignantautantdepressionqu’ellel’osaitsans

transformerlepansementengarrot.–Commenttutesens?–Çava,ditCalix.Combiendetempsavantquejepuissemettreuncoupdepiedauxfessesdecette

Partial?Heron,stupéfaite,ouvritdesyeuxronds.– Reste ici, souffla Kira en passant une autre bandelette autour de la main de Calix. J’ai des

antalgiquesdansmonsac…n’enprendspastrop.Quelqu’unvarevenirtechercher.–Oùvas-tu?Kirasecoualatête.–À leur rencontre. Si personne ne vient, cherche des antibiotiques, et prends le plus de forces

possibleavantderepartirdanslesruines.Ellesnesontpastendresaveclesblessuresauxjambes.–Pitié,ditCalix.Jet’enprie,neleslaissepasfairedemalàquiquecesoit.Kirapritsonfusilàlafilleetsortitencourantdanslarue,suiviedeprèsparSammetHeron.–Qu’est-cequetuespèresréussir,aujuste?luidemandaHeronenlarattrapant.Kirascrutaleciel,cherchantlaprésencedel’aéronef.–Là!ditSammenpointantledoigtversl’est.Kirasuivitladirectionindiquéeettrouvacequ’ildésignait:unepetitecroixnoiresurfonddeciel

grispâle.–Ilal’aird’êtreloin,maisilserapprochevite.–Alorscourons,décrétaKira.Rentronsà la réserve. ImpossiblededirecequeMorganvafaire

dessurvivantsqu’elleytrouvera.Ilfautqu’onensortelepluspossibled’ici.–Trèsintelligent,commemanièredepassersesdernièresminutesdevie,persiflaHeron.–Ont’aposédesquestions,àtoi?–Jenedésirepasplusleurmortquevous,mêmesi,d’accord,jemeficheaussiqu’ilsvivent.Àma

connaissance,toutcequeveutMorgan,c’esttoi.–Tunesaispascequ’ellevafaireàcesgens,ditKira.–Ondevraitpartirencourantdansl’autresens,suggéraSamm.C’estencorepossibledesecacher

danscesruinesetdetesauver,Kira.–J’aimeraisvousvoiressayer,semoquaHeron.–C’est horsdequestion, tranchaKira. J’ai déjà fui quandMorgana envahiLong Island, et elle

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s’estmiseàtuerdesotagespourmedébusquer.Jecroyaisfairelebonchoix,mais…jenelalaisseraipasrecommencer.–Qu’est-cequetudis?demandaSamm,maisKiradésignal’énormeRotorquivolaitbasdansle

ciel.–Ilfautqu’onregagnelaréserve,toutdesuite!Elle courait dans les rues,maintenant familières, quimenaient vers les faubourgs du côté de la

réserve,avecSammetHeronjustederrièreelle.Kiraregardaitsanscesseenl’air,tâchantd’évaluerlavitesseetladistancedel’appareil.Onn’yserajamaisàtemps,pensa-t-elle,ilarrivetropvite.Elleseforçaàavancer,n’osantniralentirnidévierdesoncap.L’aéronefgranditdansleciel,plusprochedusol,etbientôtellel’entendit:ungrondementétoufféquimontadansuncrescendoassourdissantaumomentoùelleatteignaitenfinlaréserve.Ilyavaitdesgardesàcôtéduportail,etunnouveauvigilepourempêcherlesintrusd’entrer,maisilsétaienttroppréoccupésparl’énormeenginquifondaitsureuxpourremarquerKiraetlesautres.L’appareilavaitdelargesrotorsdanslesailes,destinésàunatterrissagevertical, et il descendit au-dessusde la clôture aumomentoùKira fonçait à travers leportail.Ellecriapourattirer l’attentiondesgardespostésà l’intérieur,mêmesielleentendaitàpeinesa

proprevoixdanslevacarmedesmoteurs.Elleattrapalegardeleplusprocheetlefitpivoterdeforcepourluihurlerdansl’oreille.–C’estune troupedePartials ! Il fautquevous fassiezsortir tout lemondede la réserveetque

vousleurdisiezd’allerdanslesruines,toutdesuite!Legardebalbutia,regardantalternativementKiraetleRotor.–Noussommes…censés…– Vous ne voulez pas être là quand ils se poseront, cria Kira. Rassemblez tous ceux que vous

trouverezetcachez-lesdanslaville!Elle lâcha lebrasdugardepourcourirplus loindans la réserve.Ducoinde l’œil,elle levit se

ressaisiret filervers lebâtiment leplusproche ;bientôt,unefoulesedéversadehors :desenfantsterrifiés et des parents avec des bébés dans les bras, braillant de terreur et courant vers les ruinestoxiquesdeDenver.KiraetSammseprécipitèrentvers l’aéronefencriantà tousceuxqu’ilscroisaientd’évacuerles

lieux.Heronralentitderrièreeuxpourgênerlacoursedesfugitifs.DessoldatsPartialssautaientdéjàdel’appareillorsqu’ilseposadansl’herbe.Ilsétablirentunpérimètredesécuritéavecuneefficacitésans faille, puis l’agrandirent en se relayant, chaque équipe veillant sur la suivante. Ils braquèrentleursarmessurSammetKira,maisnetirèrentpas.–Ilsm’ontrepéréparlelien,annonçaSamm.Ilssaventquec’estnous.–Lâchezvosarmes,lançaunsoldat.Le vent des rotors étouffait leurs paroles. Il cinglait le visage de Kira, chargé de poussière, et

agitait ses cheveux comme des fouets. La jeune fille fit la grimace, mais laissa tomber son fusil.Sammn’étaittoujourspasarmé.–Nefaitespasdemalauxcivils!criaKira.–KiraWalker,tonnaalorsunevoix.Levant les yeux, Kira vit le docteur Morgan descendre de l’avion. Sa blouse blanche était

remplacéeparunimpeccabletailleurnoir.–Heureusedevousrevoir.

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–Neleurfaitespasdemal,insistaKira.Cesgenssontinnocents.–Tiensdonc,Samm! lançaMorganens’avançantdevanteux.Cen’estpas tous les joursque je

rencontreunsoldatrebelleàmoncommandement.–Vousneluiavezpasrépondu,grognaSamm.–Etjen’enaipasl’intention.Vousêtesuntraître,etelle,unennemicombattant;pasvraimentle

genredepersonnesquejemesensobligéed’écouter.–Jeneveuxpasmebattrecontrevous,ditKira.Morgansourit.–Jenelevoudraispasnonplus,àvotreplace.Vousnousavezeusparsurpriseladernièrefois,

maismaintenant,vousn’avezplusd’arméerebellepournousattaquerpar leflancpendantquevosamisselancentdansuneexpéditiondesecoursdésordonnée.Toutlepouvoirestdemoncôté,cettefois-ci,etjevoussauraisgrédenepasl’oublier.–Non,pastoutlepouvoir,intervintVale.Ilapprochaitdepuisl’autreboutdelaclairière.QuelquesPartialsvenusavecMorganl’entouraient

d’unemanièrequiressemblaitplusàunegarded’honneurqu’àl’escorted’unprisonnier.–Jedoislereconnaître,vossoldatssonttrèsobéissants!ajouta-t-il.Morgan se renfrogna, et Vale serra les dents. Kira ne comprenait pas bien ce qui se passait,

jusqu’aumomentoùellevit lesoldatqui la tenaitenjouepassergauchementd’unpiedsur l’autre,tiraillédansdeuxdirectionsparlesautoritésrivalesdedeuxmembresdel’Alliance.Samm,poursapart,oscilla,uneperledesueurroulantlentementsursonfront.Elleluisaisitlamain.–Tuesplusfortqu’eux,souffla-t-elle.Tun’aspasàleurobéir,niauxunsniauxautres.Illuipritlesdoigtsetlesserrafort,sifortquelleeutpeurqu’illesbroie.Labatailledevolontéssepoursuivit.ValeetMorgansedéfiaientduregard,etlessoldatshésitaient

entre euxdeux.Kiravit les jointuresde leursdoigtsblanchir tandisqu’ils serraientdésespérémentleursfusils,etl’und’euxlevalamainpourseprendrelefront.–Çasuffit!éclataKira.Toutçanevanullepart.DocteurMorgan,quevoulez-vous?MorganfixaValeencoreuninstant,puisdétournalatêteetpoussaunsoupirlas.Valefitdemême,

etlessoldatsalignésneparurentpasavoirchangédutout.Chacunrestaitloyalàceluidesdeuxquisetrouvait leplusprèsdelui.KiraregardaSamm,maisnelutriensursonvisage.Soncœurbattaitàtoutrompre;l’idéequeMorganaitreprislecontrôlesurluilaterrifiait,maisilluipressalamain.Ellecomprit,àcetinstant,qu’ellen’avaitjamaisétésisoulagéedesavie.–Jesuisicipourvoirmonestimécollègue,ditMorgan,quiregardaValeetsourit.J’aidécidéde

reformer le groupe, Cronus ! Ça suffit, maintenant, il est temps de lever la date d’expiration unebonnefoispourtoutes.–Essayez-vousd’yarriveravecdesmodifsgénétiques?demanda-t-il.Vousavezvucequecelaa

faitàGraeme;etàJerry,aussi.(Ilposaunemainsurl’épauledusoldatquisetenaitdevantlui.)Nosespritsnepeuventappréhendercela,etlesleursnonplus.–Nouspouvons les transformer en cequenousvoulons, ditMorgan.Nous l’avonsdéjà fait, et

nouspouvonsrecommencer.Ilssontlefutur.Nosenfants.Créésàl’imagedenotrechoix.–Lathérapiegéniquen’estpaslasolution.–Vousêtesbienplacépourlesavoir.Maisjen’aipasletempsderésoudremoi-mêmevosénigmes

génétiques. (Elle regardaKira.)C’estpourquoi jesuisvenuevouschercher,et lachercher,elle.Lenouveaumodèle.Cellequin’apastoutesceslimitationsgénétiquesidiotes.

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–Jenevouslaisseraipasl’emmener,laprévintSamm.Morgancommençaàrépondre,maisKiraluicoupalaparole.–J’irai,sehâta-t-ellededire.Sammvoulutprotester,etMorganeutl’airauthentiquementsurprise,maisKirahochalatêteetprit

unegrandeinspiration.–LesavoirdudocteurVale,lesrecherchesdudocteurMorgan,mabiologie.Heronavaitraison.

C’estlaseulechancevéritablequenousayonsdeleverunjourladated’expiration.Samm,c’estcedont tuparlais toutà l’heure : le seulchoixqui soitmoralestdese sacrifier.Quelqu’undoit fairequelquechose.ElleétaitvenueàDenverpourchercherdesréponses,unplan,lemoindreespoirdefairepartiede

quelquechosedeplusvaste,unechosequipuissesauveràlafoisleshumainsetlesPartials.Maisceplanavaitéchouédepuislongtemps,etellen’étaitrien.Uneexpérienceratée.Elleavaitconsacrésavie à sauver le monde, mais à présent elle comprenait que consacrer sa vie ne suffisait pas. Elledevraitladonner.ElleregardaMorgan.–Jesuisprête.–Je…(Lavoixdelafemmemourutdanssagorge,etelleobservaattentivementKira.)Cen’estpas

dutoutceàquoijem’attendais.–Moinonplus,réponditlajeunefilleenravalantleslarmesquiluimontaientauxyeux.Allons-y,

ajouta-t-elleàmi-voix.Dépêchons,pendantquej’enaiencorelecourage.–Vousn’avezpas intérêtàfaireça,McKenna, lançasoudainVale.UneexpérimentationsurKira

risqueraitdedéchaînerlaSécurité.Morganleregardaavecperplexité.–Pardon?–LaSécuritéanti-Partials.LeleurrequenousavionsconçupourtromperParaGen,celuiqui les

tue.Noschersdirecteursl’ontimplantéànotreinsudansunenouvellegammedeprototypes.Sivoustombezparhasardsurledéclencheurchimique,vousrisquezdel’activer.–Àquoijouez-vous,Cronus?demandaMorgan,bienqueKirapuissediscernerunelueurdedoute

dans sesyeux. J’aivu ses scansmédicaux. J’aipasséaupeigne fin toutes lescellulesde soncorpspendantdesmois.S’ilyavaitunautrepackviral,jel’auraisvu.–Vousnesaviezpascequevouscherchiez.Morganlecontemplafixement,puisjetauncoupd’œilàKira.–C’estvrai,cequ’ildit?Kiragardalesyeuxrivéssurlafemme,tropeffrayéepourregarderSamm.–Je…Jecrois,oui.Morganhochavaguementlatête,leregarddistant.–Alorsnousferonsattention.(Elleseretournaversl’avion.)Emmenez-la.Tirons-nousd’ici.–Qu’allez-vousfairedenotreréserve?s’enquitVale.Les soldats qui l’entouraient, complètement soumis à l’influence de son lien, exprimèrent sans

doutepossibleparleurposturequ’ilsétaientprêtsàsebattres’ilendonnaitlesignal.Maisilsétaientcernés, etKiradoutait que cepetit groupe, si loyal soit-il, puisse réellement empêcherMorgandefairequoiquecesoit.Lafemmeregardaautourd’elle,observalesbâtimentsintacts,l’herbeverdoyante,lesarbresetles

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familles,commesielleremarquaittoutcelapourlapremièrefois.–Àconditionquevousveniez avecmoi, je nevois aucune raisondenepas laisser votrepetite

fourmilières’éteindrepeuàpeuenpaix.–Bien,jevousaccompagne.–Etmoi,jereste,annonçaSamm.Morganlevalesyeuxauciel,clairementagacée.–Qu’est-cequivousfaitcroirequevouspouvezfairedesdemandes,vous?Sammrestafermementcampésursesjambes,l’airplusfarouchequejamais.–Cen’estpasunedemande.Morganréfléchituninstantavantderépondre.–Trèsbien,lâcha-t-elleenfinenlecongédiantd’ungestedelamain.L’exiliciestpirequeceque

j’avais prévu pour vous, de toutemanière. Et vous,Heron ? Je dirais que vous avez gagné votreretourdanslepremiercercle,machère.–Jeresteaussi.CelasurpritMorganencoreplusquetout.–Etvotredated’expiration?–Jeseraideretouràtempsdansl’est.Heronjetauncoupd’œilàSammendisantcela.Kiranepouvaitenêtrecertaine,maisonauraitdit

qu’ils partageaient quelque chose par le lien. Elle s’attendait à ce que la Partialmentionne les dixprisonniersdelatour,etfutdoncétonnéedecequ’elleajouta.–J’aideschosesàrégleravant.–Trèsbien.Morganpivotaversl’avionenfaisantsigneauxsoldatsd’amenerValeetKira.Leshumainsdela

réserve, pétris de terreur et de fascination, regardèrent en tremblant cet ennemi descendu du cielemporterleurchefetleslaisserseuls.Allez, il est temps, seditKira. Il faut que je fasseunpas, puisunautre, puisque jemontedans

l’avionetquejem’envolepour…jenesaismêmepasoù.Lafin.Ellesecoualatête.Jeveuxyaller,mais…jeneveuxpaspartir.–Kira,soufflaSamm.Etellesentitunelarmeperleraucoindesonœil.–Samm,je…jesuisdésolée,jenesaispas…Ellepivotafaceàlui,s’efforçantdechercherlesmotspourluidirecequ’elleéprouvait,maiselle

nelesavaitpaselle-même.Etsoudainellefutdanssesbras,etillaserraitetl’embrassaitavecplusdepassionquetoutcequ’elleavaitconnudanssavie.Elleluirenditsesbaisers,sentantleurscorpssefondre l’un dans l’autre, lèvres et bras et poitrines et jambes, une seule personne dans un instantd’unitéparfaite.Elle le retint leplus longtempspossible, et lorsqu’il se reculapour reprendre sonsouffle,elleenfouitlevisagecontresontorse.–Pardondenousavoiramenésici,pardonpourtoutcequej’aifait,dit-elle.Jesuisdésolée.–J’aichoisidetesuivre,répondit-ild’unevoixgraveetriche.Etjeteretrouverai.Ilss’embrassèrentencoreunefois,aprèsquoilessoldatsPartialslapoussèrentversl’avion.Ellese

retournapourleregarderdepuislemarchepied,etilluirenditsonregard,parfaitementimmobile.Les portières se refermèrent et les rotors géants se mirent en route avec une vibration qu’elle

ressentitjusquedanssesos.

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CHAPITRE50

Isolde mit son bébé au monde deux jours plus tard, dans sa chambre, chez Nandita. Lesenvahisseurs Partials avaient depuis longtemps pillé l’hôpital à la recherche d’équipement et demédicaments,sibienqu’ellesn’avaientd’autre ressourcequ’elles-mêmespour l’aider.Madison luitint lamain, laguidantet l’encourageant ; lasénatriceKessler fitofficedesage-femme,etNanditaexaminalamèreetl’enfantpourguetterlemoindresignedetraumatisme.C’étaitungarçon.IsoldelenommaMohammedKhan.Quelquesheuresplus tard, ilétaitdéjàmalade.Sapeausecouvritd’uneinflammationécailleuse,quidurcissaitparplaquestelleunepeaudebovin,puisenflaitpourformerdes cloques. Isolde observait le phénomène, en larmes, berçant son enfant sans aucun espoir de lesauver.Maiscecin’étaitpasleRM.LasénatriceKesslerétudialescloques,protégéeparunmasqueenpapier.–C’estunepremière,dit-elleens’efforçantderepousserlapeur.Desdizainesdemilliersdecasde

RM,etjen’aijamaisrienvudetel.–LepremierhybridePartial/humaindepuis l’enfant d’Ariel,mort à la naissance, lâchaNandita.

NousnesavonspascommentilseraaffectéparleRM…oucommentluil’affectera.Nandita,perduedanssespensées,contemplaitlebébéhurlant.–«Etsonheureenfinrevenue,quellebêterugueuse…»,dit-elle,citantlepoèmedeYeats.Ellesedétournaets’enalla.Arielobserval’enfant,ettrembla.

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REMERCIEMENTS

J’adore écrire ces remerciements parce que j’ai énormément de gens pour m’aider, dont tousméritent toute lareconnaissancequejepeuxleurdonner.Dans lemêmetemps, jedéteste lesécrireparce que je suis terrifié à l’idée d’oublier quelqu’un. Je serai bref pour cette fois.Merci àmonéditeur, Jordan Brown, mon agent, Sara Crowe, mon attachée de presse, Caroline Sun et tout lemondechezHarperCollinsetBalzer+Bray.Vousêtesformidables.Merciàtouslesauteursquiontbienvouluquejelesaccompagnedansdestournéesetsignatures,

etmerciauxnombreuxmerveilleuxlibrairesquiorganisentcesévénementsetsontdevenus,avecletemps,debonsamis.Par-dessustout,merciauxlecteursquisontvenus.C’estgrâceàvousquecesrencontressontsiagréables.Surunplanpluspersonnel,ce livren’existeraitpassansmonépouse,Dawn, lapersonne laplus

forte que je connaisse. Ce livre existerait quand même, mais ne serait pas très bon, sans lescommentairesdemonfrère,Rob,etdemonamiBenOlsen,quim’onttousdeuxdonnédesidéesenor.J’aimeraisvousdirelesquelles,maisceseraitunpeugâcherlesuspense.Enfin,jetiensàremercierl’espècehumained’êtrestupide,exaspérante,merveilleuseetinspirante.

Lesgenssontcequel’universacréédeplusextraordinaire.Accueillezavecjoievotrecomplexité,étendezaumaximumvotrecréativité,etsoyezàlahauteurdevotrepotentiel.Vousêtescequifaitlasplendeurdumonde.

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