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Edmond Baudoin ou l’excellence du neuvième art brut

Date post: 05-Jan-2017
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Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2013) 14, 100—102 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com BD ET DOULEUR Edmond Baudoin ou l’excellence du neuvième art brut Edmond Baudouin or excellence of the 9th art Patrick Sichère 1 Hôpital Delafontaine, 2, rue Pierre-Delafontaine, 93200 Saint-Denis, France Rec ¸u le 17 janvier 2013 ; accepté le 17 janvier 2013 Disponible sur Internet le 2 avril 2013 « Art spontané pratiqué par des personnes ayant échappé au conditionnement culturel ». Cette définition de l’art brut proposée par le dictionnaire Larousse s’applique pleinement à Edmond Baudoin, pionnier sans le savoir du roman graphique. Autodidacte de la plume et du pinceau, son immense travail a influencé et influence encore bien des artistes. Patrick Sichère : Vous voilà illustrateur—rédacteur d’un livre sur Dali commandé par les organisateurs de l’exposition éponyme au centre d’art moderne Pompidou à Paris. Quel Dali nous présentez-vous ? Edmond Baudoin : C’est en effet un bonheur d’avoir été choisi pour travailler sur Dali. Ce n’est pas tant sa Adresse e-mail : [email protected] 1 Membre du Collège national des médecins de la douleur. peinture que j’apprécie le plus mais l’époque, riche en créa- tions artistiques. J’ai donc tourné autour de son œuvre et c’est le personnage que je me suis approprié. J’ai choisi de ramener Salvador Dali à un quidam avec ses difficultés, sa problématique. PS : De quelle fac ¸on ? EB : Tous les artistes, qu’ils soient peintres, écrivains ou auteurs de bandes dessinées, sont mort une fois. Par la maladie d’un proche, par un choc affectif. Prenez Van Gogh et Dali. Leurs parents les ont l’un et l’autre emme- ner sur la tombe de leur frère aîné décédé et portant le même prénom : Vincent pour le premier, Salvador pour le deuxième. Et Van Gogh, durant toute sa vie, n’a jamais pu dépasser la terre. Il a peint des paysans et des pay- sages, des intérieurs. Alors que Dali a toujours cherché à s’élever de la terre pour ne jamais y retourner. Et ce qui m’intéresse est de montrer que nos actions importantes viennent de nos faiblesses, pas de nos forces. L’Abbé Pierre avec lequel j’ai fait un livre n’a fait que cela toute sa vie. C’est avec nos handicaps que nous sommes grands et donc appelés à nous dépasser. Et c’est ce que j’ai recherché avec Dali. 1624-5687/$ see front matter http://dx.doi.org/10.1016/j.douler.2013.01.003
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dmond Baudouin or excellence of the 9th art

Patrick Sichère1

Hôpital Delafontaine, 2, rue Pierre-Delafontaine, 93200 Saint-Denis, France

Recu le 17 janvier 2013 ; accepté le 17 janvier 2013Disponible sur Internet le 2 avril 2013

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« Art spontané pratiqué par des personnesayant échappé au conditionnement culturel ».Cette définition de l’art brut proposée par ledictionnaire Larousse s’applique pleinement à

Edmond Baudoin, pionnier sans le savoir duroman graphique. Autodidacte de la plume et du

pinceau, son immense travail a influencé etinfluence encore bien des artistes.

atrick Sichère : Vous voilàllustrateur—rédacteur d’un livre sur Daliommandé par les organisateurs de’exposition éponyme au centre d’art

oderne Pompidou à Paris. Quel Dali nous

résentez-vous ?

dmond Baudoin : C’est en effet un bonheur d’avoir étéhoisi pour travailler sur Dali. Ce n’est pas tant sa

Adresse e-mail : [email protected] Membre du Collège national des médecins de la douleur.

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einture que j’apprécie le plus mais l’époque, riche en créa-ions artistiques. J’ai donc tourné autour de son œuvre et’est le personnage que je me suis approprié. J’ai choisi deamener Salvador Dali à un quidam avec ses difficultés, saroblématique.

S : De quelle facon ?

B : Tous les artistes, qu’ils soient peintres, écrivains ouuteurs de bandes dessinées, sont mort une fois. Par laaladie d’un proche, par un choc affectif. Prenez Vanogh et Dali. Leurs parents les ont l’un et l’autre emme-er sur la tombe de leur frère aîné décédé et portant leême prénom : Vincent pour le premier, Salvador pour leeuxième. Et Van Gogh, durant toute sa vie, n’a jamaisu dépasser la terre. Il a peint des paysans et des pay-ages, des intérieurs. Alors que Dali a toujours cherché à’élever de la terre pour ne jamais y retourner. Et ce qui’intéresse est de montrer que nos actions importantes

iennent de nos faiblesses, pas de nos forces. L’Abbé Pierre

vec lequel j’ai fait un livre n’a fait que cela toute sa vie.’est avec nos handicaps que nous sommes grands et doncppelés à nous dépasser. Et c’est ce que j’ai recherché avecali.

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Figure 1. Illustration de Edmond Baudoin pour les abonnés de Do

PS : Est-ce que le noir et blanc, que vousprivilégiez dans ce livre, comme dans laplupart de vos ouvrages, souligne mieuxvotre message que la couleur ?

EB : Ce livre est en effet surtout dessiné ou peint en noiret blanc. Seule Gala, la muse de Dali, est en couleur. Il estvrai que je colorie plutôt pour les livres destinés aux enfantscomme Peau d’âne paru chez Gallimard par exemple. Il y aune relation violente entre le noir et le blanc qui accentue lemessage de l’auteur (Fig. 1). Le blanc renvoie le noir commeune plaque d’égout, un paysage de neige. Ce duo permetd’aller à l’essentiel par le trait, d’arriver à l’essence deschoses. C’est pour cela que j’aime beaucoup les personnagesde Giacometti qui vont à l’essentiel. Si j’ai beaucoup dessinéen noir et blanc cela vient aussi, qu’enfant, avec mon frère,comme nous étions pauvres, nous n’avions pas de couleur.De plus, mon premier éditeur n’ayant que peu d’argent, lenoir et blanc était alors moins coûteux.

PS : Est-ce ce trait qui vous a conduit àillustrer Le Clezio, Tahar Ben Jelloul,Pasolini ou Jean Genet pour la collectionFuturopolis-Gallimard ?

EB : Le cheminement de ces quatre livres est amusant.Quand l’éditeur m’a contacté, j’ai évidemment choisi LeClézio car nous étions amis. Habitant Nice, nous conduisions

chacun notre fille du même âge à l’école du port. En plus,le Procès Verbal est un de mes livres préférés. Une fois finimon travail, Le Clézio me met en contact avec Tahar BenJelloul lequel souhaite confier à mon pinceau l’illustration

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’Harrouda. Puis, c’est Tahar Ben Jelloul qui m’a amené àraiter Journal du Voleur de Jean Genet. Entre temps j’airavaillé sur Théorème de Pasolini. Je voulais faire le por-rait de Pasolini, bien plus connu en Italie comme écrivain,oète que comme cinéaste, Théorème étant paru bien avant’être adapté au cinéma.

S : Comment un autodidacte tel que vous pu devenir le pionnier du romanraphique et enseigner l’art dans uneniversité du Québec ?

B : Pionnier ? J’ai inventé des choses parce que je ne savaisas que cela ne se faisait pas. Je ne pouvais pas le savoiruisque j’étais loin du monde artistique. Je me souviens’ailleurs de la réflexion d’un rédacteur en chef qui m’avaitéclaré que je faisais de l’art alors que la bande dessinée neouvait pas être de l’art. Depuis, plus personne ne se poseette question. Par la suite, j’ai en effet enseigné le dessin,e scénario et même le travail sur modèle vivant au Qué-ec car en France il faut avoir un diplôme pour enseigner.e Clézio a eu le même souci et a donc du s’expatrier auxtats-Unis.

S : Peinture, illustration, bandesessinées ? Qu’est-ce qui vous attire ?

B : Tout cela est complémentaire et m’apporte un grandlaisir. Cette liberté et ce plaisir de donner de la vie ne peutas s’arrêter. Un film va sortir à mon sujet et je l’ai intitulé

éloge de l’impuissance ». Car l’homme, c’est quoi ? Le seul

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nimal conscient qu’il va mourir. Et cette prise de consci-nce, quoique à présent on fasse tout pour qu’il l’oublie, faitu’il découvre dans son cheminement de vie une responsa-ilité : aller au bout de lui-même pour apporter sa note deusique à la mélodie humaine.

S : Est-ce ce message d’espoir que vousransmettez au lecteur à travers certainesouffrances vécues par vos personnages ?

B : Je suis un optimiste. Prenons en effet le livre que’ai fait avec Troubs, Viva la Vida. Pour cet ouvrage, nous

vons vécu dans la ville de Ciudad Juarez à la frontièrentre le Mexique et les États-Unis. Ville de 1 million00,000 habitants, 15 à 20 personnes meurent chaque jourssassinées, victimes des règlements de compte entre

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P. Sichère

arcotrafiquants. Nous nous sommes intéressés à ceux quiivent là, qui travaillent, ont des enfants qui vont à l’écolet sur lesquels aucun projecteur ne s’allume. Je dessinaiseur portrait, le leur donnais, en échange leur demandaiteur rêve de vie. Avec ce livre, certes nous avons montréa guerre, mais aussi le bonheur, la vie, l’homme vivant.uand il y a souffrance, mort, il y a humanité.

our en savoir plus

dmond Baudoin. Le premier voyage. Paris: Futuropolis; 1987.Edmond Baudoin. Couma acò. Paris: Futuropolis; 1991.Edmond Baudoin. Le Chemin de Saint-Jean. Paris: L’Association;

002.Edmond Baudoin, Céline Wagner. Les yeux dans le mur. Paris: Air

ibre, Dupuis; 2003.Edmond Baudoin. Piero. Paris: Seuil, 1998.


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