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IMPACT PSYCHOSOCIAL DU SEISME DE 2010 EN HAITI. …...guidée dans mon organisation quotidienne et...

Date post: 25-Feb-2021
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UNIVERSITEIT GENT FACULTEIT POLITIEKE EN SOCIALE WETENSCHAPPEN Wetenschappelijke verhandeling ANNELEEN IMPENS MASTERPROEF MANAMA CONFLICT AND DEVELOPMENT PROMOTOR : PROF. DR. KOEN VLASSENROOT COMMISSARIS : PROF. BRUNO DE CORDIER ACADEMIEJAAR 2011 - 2012 IMPACT PSYCHOSOCIAL DU SEISME DE 2010 EN HAITI. ETUDE DE CAS DE JEUNES DANS DES CAMPS DE PORT-AU-PRINCE : TRAUMATISMES, SURVIE ET PERSPECTIVES D’AVENIR. Aantal woorden: 24.586
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UNIVERSITEIT GENT

FACULTEIT POLITIEKE EN SOCIALE WETENSCHAPPEN

Wetenschappelijke verhandeling

ANNELEEN IMPENS

MASTERPROEF MANAMA CONFLICT AND DEVELOPMENT

PROMOTOR: PROF. DR. KOEN VLASSENROOT

COMMISSARIS: PROF. BRUNO DE CORDIER

ACADEMIEJAAR 2011 - 2012

IMPACT PSYCHOSOCIAL DU SEISME DE 2010 EN HAITI.

ETUDE DE CAS DE JEUNES DANS DES CAMPS DE PORT-AU-PRINCE :

TRAUMATISMES, SURVIE ET PERSPECTIVES D’AVENIR.

Aantal woorden: 24.586

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Résumé

Problématique et objectif de la recherche : Le 12 janvier 2010, Haïti a connu un

tremblement de terre dévastateur et assassin : « Quels sont les impacts psychosociaux du séisme de

2010 sur des jeunes dans des camps de Port-au-Prince ? » Le but était de conduire une étude

qualitative, partant des vécus et des points de vue des jeunes haïtiens défavorisés de la tranche d’âge

de 15 à 25 ans vivant dans des camps de la capitale haïtienne.

Méthode : Pour formuler des réponses à la problématique, un travail de terrain a été réalisé

dans deux camps de Port-au-Prince : le Camp du Pétion-Ville Club et le Camp du Terrain Boulos. Un

tour exploratoire des camps, 22 interviews individuelles et un focus groupe ont été effectués. Un

entretien a également été mené avec une partie du staff de J/P HRO, l’ONG américaine qui gère les

deux camps analysés.

Résultats : Malgré le fait que les vécus du (post) séisme diffèrent d’une personne à l’autre, le

tremblement de terre a eu un impact psychologique et social sur l’échantillon étudié. Des modèles

d’expériences (sentiments, pensées et comportements) et des deuils peuvent être détectés. Par sa

violence, les pertes provoquées et la détérioration des conditions de vie, cette catastrophe naturelle a

traumatisé la jeunesse analysée. La survie quotidienne dans les camps est caractérisée par des

difficultés, mais les jeunes exercent des activités de survie et utilisent des ressources pour "se

débrouiller". Parfois, ils "bénéficient" aussi d’une aide (inter) nationale. Finalement, cette jeunesse

désavantagée a des besoins urgents et des perspectives d’avenir accompagnées de professions futures

envisagées. Elle peut prendre des initiatives individuelles et communautaires. Mais elle a des attentes

spécifiques vis-à-vis de l’Etat haïtien, de la communauté internationale et des concitoyens.

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Samenvatting

Onderzoeksvraag en doel van het onderzoek : Op 12 januari 2010 werd Haïti getroffen door

een verwoestende en moordende aardbeving : « Wat zijn de psychosociale gevolgen van de aardbeving

van 2010 voor jongeren in tentenkampen in Port-au-Prince? » De bedoeling was om via een

kwalitatief onderzoek jonge achtergestelde Haïtianen tussen 15 en 25 jaar die in tentenkampen van de

Haïtiaanse hoofdstad wonen aan het woord te laten. De studie vertrekt dus vanuit hun beleving en

perspectief.

Methode : Om antwoorden te formuleren op de problematiek werd veldwerk verricht in twee

tentenkampen in Port-au-Prince : Pétion-Ville Club Camp en Terrain Boulos Camp. Een

verkenningsronde van de kampen, 22 individuele interviews en een focus groep discussie vonden

plaats. Er werd eveneens een gesprek gevoerd met een deel van de staff van J/P HRO, de Americaanse

NGO die beide kampen beheert.

Resultaten : De beleving van de (post) aardbeving verschilt van persoon tot persoon, maar de

natuurramp heeft een psychologische en sociale impact gehad op alle deelnemers van het onderzoek.

Bepaalde ervaringen (gevoelens, gedachten en gedragingen) en rouwprocessen komen veelvoudig

terug. Door zijn kracht, de veroorzaakte verlieservaringen en de verslechterde leefcondities, heeft de

aardbeving de onderzochte personen getraumatiseerd. De dagdagelijkse overleving in tentenkampen

kenmerkt zich door moeilijkheden, maar de jongeren proberen desalniettemin te voorzien in hun

levensonderhoud door een aantal activiteiten uit te voeren en door gebruik te maken van hulpbronnen,

zoals familie, vrienden, religie en/of (inter) nationale hulp. Enerzijds heeft de bestudeerde jeugd

dringende noden en anderzijds toekomstperspectieven die gepaard gaan met professionele

vooruitzichten. Zowel individueel als communautair kunnen ze zaken verwezenlijken. Maar ze hebben

wel specifieke verwachtingen ten opzichte van de Haïtiaanse staat, de internationale gemeenschap en

de medeburgers.

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Remerciements

Ce travail de fin d’études clôture mon « Master après Master Conflict and Development à Universiteit

Gent ». Je tiens à remercier les personnes et les organisations qui m’ont assistée dans l’élaboration de

mon mémoire. Sans vous, cette étude aurait été impossible ! Merci du fond du cœur pour votre

disponibilité, votre temps, votre énergie et votre investissement ! Mèsi anpil a tout moun ki te ede

mwen reyalize pwojè sa a !

Je remercie mon promoteur, Prof. Dr. Koen Vlassenroot et mon commissaire de mémoire,

Prof. Bruno De Cordier. Vous avez été intéressés dès le départ par le sujet et vous m’avez aidée à

affiner le thème. Vous m’avez avisée dans la recherche et incitée à réaliser un travail de terrain en

Haïti. J’ai pu bénéficier d’un accompagnement personnel et vous m’avez donné de bons conseils.

Un grand merci à VLIR-UOS (Vlaamse Interuniversitaire Raad-Universitaire

Ontwikkelingssamenwerking) pour sa contribution financière. La bourse de voyage m’a permis

d’acquérir une expérience de terrain enrichissante à Port-au-Prince, tant sur le plan scolaire

qu’individuel. La recherche était accompagnée de réflexions et d’émotions ; tantôt positives, tantôt

négatives. Elle exigeait une bonne préparation, un planning, de la rigueur et de la présence, mais aussi

beaucoup de patience, de flexibilité et d’improvisation. Je suis satisfaite d’avoir eu la chance de

pouvoir faire ce travail de terrain dans le contexte analysé et je suis persuadée que cela constitue une

plus-value pour mon mémoire.

Je remercie l’organisation haïtienne URAMEL (Unité de Recherche et d’Action Médico-

Légale) et l’organisation américaine J/P HRO (Jenkins/Penn Haitian Relief Organization). Grâce à

eux, j’ai pu avoir accès aux Camps du Pétion-Ville Club et du Terrain Boulos, pour y faire des

interviews avec des jeunes haïtiens défavorisés. Rob Padberg, c’est gentil de m’avoir mise en contact

avec J/P. Benjamin Krause (country director J/P HRO) and Ira Polak (community project manager),

I’m really grateful for your assistance and the professional cooperation. Thank you for the

information about J/P HRO and the introduction to Dorémi (leader of Team Hope). Gerrit et Patricia

Desloovere, c’est sympathique de m’avoir fait connaître l’URAMEL. Je dis merci à toute l’équipe

d’URAMEL, en particulier au Prof. Dr. Jean Hugues Henrys (mon promoteur local en Haïti et membre

fondateur de l’URAMEL) et à ses collègues : Mr. Israël Petit Frère (responsable de la recherche), le

Dr. Jeanne Marjorie Joseph (coordinatrice) et Mme. Yanick G. Louis Gaston (responsable du Centre

de Psychotrauma). Ils m’ont donné un coup de main dans ma revue de littérature, mon protocole de

recherche et mon transport. Ils m’ont aussi présentée à la psychologue Claudia, qui m’a accompagnée

sur le terrain comme interprète.

J’en viens donc à exprimer mes remerciements pour mes interprètes. Christina, Claudia, Joël

et Philippe, vous avez tous été d’un grand soutien durant mes entrevues avec les jeunes ! Sans vous,

j’aurais eu beaucoup de mal à faire de bonnes interviews étant donné que mon créole est loin d’être

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parfait. Dorémi, spécifiquement merci à toi de m’avoir familiarisée avec le contexte des camps, de

m’avoir introduite à la jeunesse et de m’avoir appuyée chaque jour sur le terrain !

Je veux évidemment remercier les adolescents et jeunes adultes qui ont accepté de faire des

entretiens avec moi. Merci infiniment à vous tous pour votre accueil sympathique et votre

participation ! C’est grâce à vos interviews et aux témoignages rassemblés, que j’ai pu effectuer ma

recherche. J’espère à mon tour que cette étude permettra que vous soyez vus et entendus, que vos

traumatismes puissent être surmontés, que votre survie quotidienne soit facilitée, que vos attentes

soient satisfaites et que vos perspectives d’avenir puissent devenir réalité.

Odile Reiher, un mot spécial de remerciement pour toi. Tu es la personne qui m’a le plus aidée

pendant ces deux mois en Haïti et qui a dû endurer mes hauts et mes bas. Tu m’as hébergée et nourrie,

guidée dans mon organisation quotidienne et le côté pratique de mon travail, fourni un Assimil pour

apprendre le créole, réconfortée dans les moments difficiles, offert de la littérature intéressante et

donné des conseils judicieux. Tu as contribué à l’extension de mon réseau social et tu as fait une

lecture critique des morceaux rédigés. Tu as permis que mon projet de mémoire aboutisse. Tu es une

personne extraordinaire avec un cœur en or ! Je ne pourrais jamais assez te remercier pour ton

soutien ! Tu étais une seconde maman, une amie à qui je pouvais confier mes doutes, mes sentiments

et mes pensées.

Des remerciements spécifiques envers l’écrivaine engagée Yanick Lahens, que j’ai pu suivre à

la « Bibliothèque Dadadou » et dont le livre « Failles » m’a fortement inspirée ; Jesi, qui m’a mise en

contact avec Madame Lahens et qui m’a procuré de la bonne littérature haïtienne ; Alba Lucia, Roland

et Fladimy, qui m’ont introduite auprès des jeunes vivant dans des camps à Jacquet-Thybull et aux

Croix-des-Bouquets.

Last but not least, je veux remercier mes proches : mes parents, mes frères, ma sœur, ma

famille ainsi que mes amis. D’une part, ils m’ont encouragée à faire un travail de terrain à Port-au-

Prince ; d’autre part, ils m’ont poussée à ne pas baisser les bras quand les choses ne se déroulaient pas

toujours comme je le voulais. Par ailleurs, certains ont pris beaucoup d’intérêt à faire une relecture de

mon mémoire et à formuler des remarques constructives. Moeke, Vake, Christiane, Josiane, Cécile,

Odile, Jacqueline et Mélanie, vous m’avez tous aidée à "mettre les points sur les i". Vous savez que je

me réjouis que vous fassiez partie de ma vie et que je vous aime fort !

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SOMMAIRE

Pages

LISTE DES ILLUSTRATIONS.....................................................................................................11

LISTE DES ACRONYMES............................................................................................................12

I. INTRODUCTION ......................................................................................................................13

II. CONTEXTE (POST) SEISME A PORT-AU-PRINCE ...........................................................15

1. TREMBLEMENT DE TERRE DU 12 JANVIER 2010 A PROXIMITE DE PORT-AU-PRINCE,

CAPITALE D’HAITI .............................................................................................................. 15 1.1. Données clés .................................................................................................................. 15 1.2. Quelques chiffres ............................................................................................................ 17

1.2.1. Victimes humaines ......................................................................................... 17 1.2.2. Dégâts matériels ............................................................................................. 18

2. VULNERABILITES PREALABLES ............................................................................................ 18 2.1. Cadre géographique et contexte géologique ..................................................................... 18 2.2. Etat haïtien faible et absent ............................................................................................. 19

3. DANGERS ET OPPORTUNITES APRES LE 12 JANVIER ....................................................... 20 3.1. Etat haïtien "en faillite" ................................................................................................... 20 3.2. Aide humanitaire (inter) nationale à court et moyen terme ............................................... 22

3.2.1. Solidarité nationale ......................................................................................... 22 3.2.2. Assistance ou tutelle internationale ? ............................................................... 23

3.3. Relèvement et développement d’Haïti à long terme ......................................................... 25

4. IMPACT PSYCHOSOCIAL DU SEISME .................................................................................... 28 4.1. Santé pré-séisme ............................................................................................................. 28 4.2. Traumatismes suite à un séisme ...................................................................................... 30 4.3. Séquelles psychosociales post-séisme.............................................................................. 32

5. CAMPEMENTS DE SANS-ABRI ET DEPLACES INTERNES .................................................. 34 5.1. Cadre théorique : « Sustainable Urban Livelihoods Framework » .................................... 34 5.2. Survie quotidienne dans les camps .................................................................................. 37

5.2.1. Difficultés ...................................................................................................... 37 5.2.2. Ressources ..................................................................................................... 38

5.3. Différentes perspectives d’avenir .................................................................................... 39

III. REALITES DANS DEUX CAMPS EN SEPTEMBRE 2011 ................................................41

1. PROTOCOLE DE RECHERCHE.......................................................................................... 41 1.1. Objectif général, objectifs spécifiques et démarcation de l’échantillon ............................. 41 1.2. Questions de recherche et hypothèses .............................................................................. 42

2. METHODOLOGIE ET DEROULEMENT DU TRAVAIL DE TERRAIN .......................... 44 2.1. Analyse du contexte : Camps du Pétion-Ville Club et du Terrain Boulos.......................... 44

2.1.1. Gestion des deux camps par J/P HRO ............................................................. 45 2.1.2. Etude exploratoire des camps .......................................................................... 46

2.2. Interviews individuelles .................................................................................................. 49

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2.3. Focus groupe .................................................................................................................. 50 2.4. Avantages et inconvénients de la recherche ..................................................................... 51

3. RESULTATS ........................................................................................................................... 53 3.1. Question 1 : vécu du tremblement de terre et traumatismes .............................................. 53

3.1.1. Expériences pendant le séisme ........................................................................ 53 3.1.2. Expériences après le séisme ............................................................................ 55 3.1.3. Deuils suite aux pertes subies.......................................................................... 57 3.1.4. Expériences en septembre 2011 : traumatismes et opportunités........................ 59

3.2. Question 2 : survie quotidienne dans les camps ............................................................... 61 3.2.1. Difficultés rencontrées .................................................................................... 61 3.2.2. Activités de survie exercées ............................................................................ 63 3.2.3. Ressources utilisées ........................................................................................ 64 3.2.4. Aide (non) reçue et attendue de l’International ................................................ 66

3.3. Question 3 : perspectives d’avenir et attentes des jeunes .................................................. 67 3.3.1. Besoins urgents .............................................................................................. 67 3.3.2. Professions futures envisagées, perceptions et projets d’avenir ........................ 68 3.3.3. Attentes vis-à-vis de l’Etat et des Haïtiens ....................................................... 70 3.3.4. Initiatives individuelles et communautaires ..................................................... 71

IV. CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS .......................................................................75

LISTE DES REFERENCES ...........................................................................................................78

ANNEXES ......................................................................................................................................84

ANNEXE I : Cinq programmes gérés par J/P HRO ......................................................................... 84

ANNEXE II : Questionnaire des interviews individuelles ................................................................. 88

ANNEXE III : Schéma des 22 entrevues dans les Camps Boulos et Pétion-Ville Club..................... 91

ANNEXE IV : Transcription d’un entretien personnel .................................................................. 103

ANNEXE V : Focus groupe (29/09/2011) ......................................................................................... 107

ANNEXE VI : Citations supplémentaires........................................................................................ 113

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LISTE DES ILLUSTRATIONS

Image 1 : Carte d’Haïti avec la population exposée au séisme et l’intensité de l’exposition au 14

janvier 2010

Image 2 : Aperçu de la situation humanitaire en Haïti le 22 septembre 2011

Image 3 : Sustainable Urban Livelihoods Framework

Image 4 : Vue aérienne du Camp du Pétion-Ville Club

Image 5 : Vue aérienne des Camps voisins du Pétion-Ville Club et du Terrain Boulos avec les

quartiers résidentiels environnants

Image 6 : Epicerie dans le Camp du Pétion-Ville Club

Image 7 : "Cabane" dans le Camp du Terrain Boulos

Image 8 : Hôpital de J/P HRO dans le Camp du Pétion-Ville Club

Image 9 : Patients faisant la queue devant la pharmacie du Camp du Pétion-Ville Club

Image 10 : Latrines dans le Camp du Terrain Boulos

Image 11 : Passage pour piétons et canal d’évacuation des eaux de pluie

Image 12 : Ecole de L’espoir dans le Camp du Pétion-Ville Club

Image 13 : Déblayage des décombres dans les rues et les quartiers

Image 14 : Construction d’une maison par J/P HRO

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LISTE DES ACRONYMES

APA : American Psychological Association

BBC : British Broadcasting Corporation

B-FAST : Belgian First Aid and Support Team

CHRGJ : Center for Human Rights and Global Justice

CIA : Central Intelligence Agency of the United States

CIRH : Commission Intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti

CRESFED : Centre de Recherche et de Formation Economique et Sociale pour le

Développement

FMI : Fonds Monétaire International

HIMO : Haute Intensité de Main-d’œuvre

IDH : Indice de Développement Humain

J/P HRO : Jenkins/Penn Haitian Relief Organization

MINUSTAH : Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti

MSPP : Ministère de la Santé Publique et de la Population

MST : Maladies Sexuellement Transmissibles

OCDE-PGD : Organisation pour la Coopération et le Développement Economique-Partenariat pour

la Gouvernance Démocratique

OCHA : Office for the Coordination of Humanitarian Affairs

OIM : Organisation Internationale pour les Migrations

OMS/OPS : Organisation Mondiale de la Santé/Organisation Panaméricaine de la Santé

ONG : Organisation Non Gouvernementale

ONU : Organisation des Nations Unies

OXFAM : Oxford Committee for Famine Relief

PAM : Programme Alimentaire Mondial

PDNA : Post-Disaster Needs Assesment

PIB : Produit Intérieur Brut

PNUD : Programme des Nations Unies pour le Développement

RFI : Radio France Internationale

SIDA : Syndrome d’Immunodéficience Acquise

SSPT : Syndrome de Stress Post-traumatique

UNESCO : United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization

UNICEF : United Nations International Children’s Emergency Fund

URAMEL : Unité de Recherche et d’Action Médico-Légale

URD : Urgence, Réhabilitation, Développement

USAID : United States Agency for International Development

VIH : Virus d’Immunodéficience Humaine

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I. INTRODUCTION

Des catastrophes naturelles, dévastatrices et meurtrières, frappent souvent des populations vulnérables

dans des pays en voie de développement. Le séisme et tsunami en Asie du Sud-est, les sécheresses au

Sahel ou dans la Corne de l’Afrique et les inondations au Pakistan forment quelques exemples. Le

tremblement de terre du 12 janvier 2010 en Haïti peut être ajouté à cette liste non exhaustive.

Haïti est un pays du Tiers-Monde qui reçoit régulièrement de l’attention dans les médias

internationaux, soit à cause de l’instabilité politique et des crises socioéconomiques (histoire de

dictatures sous les Duvaliers, controverses autour de l’ex-président Aristide, « boat people »,

corruption, élections contestées et investiture du Président Martelly), soit à cause des catastrophes

naturelles et des urgences humanitaires, touchant le pays dans le passé et le marquant jusqu’à présent

(cyclones, tempêtes tropicales, inondations aux Gonaïves, glissements de terrain, séisme près de Port-

au-Prince suivi d’une épidémie de choléra). L’Etat haïtien est fragile et la communauté internationale

est omniprésente (CRESFED, 2010).

Le séisme de 2010 a davantage affaibli l’Etat d’Haïti (OCDE-PGD, 2010 ; PNUD, 2010) et mis en

péril, une fois de plus, la santé et les capacités d’ajustement du peuple haïtien (Joseph, 2011 ; Lahens,

2010 ; OMS/OPS, 2010). En effet, (sur) vivre (à) un séisme de 7 degrés sur l’échelle de Richter est

une expérience traumatisante. Un impact psychosocial est fort possible sur la population exposée, en

particulier sur les communautés déjà à risque, confrontées de nouveau à des pertes (APA, s.d. a ;

Cherblanc, 2010). Ainsi, les jeunes démunis qui vivent dans des camps, sont susceptibles de garder

des cicatrices psychosociales, car ils se trouvaient déjà dans des situations précaires et leurs conditions

de vie se sont dégradées. Cette jeunesse est "victime" du séisme. Elle se caractérise par le traumatisme,

l’assistanat et le fatalisme. Elle est aussi "débrouillarde", puisqu’elle s’organise chaque jour pour

survivre. Elle a des besoins et des perspectives d’avenir, accompagnés d’attentes envers les

concitoyens, l’Etat et la communauté internationale.

Ce mémoire part des vécus et des points de vue des jeunes haïtiens habitant dans des camps de

Port-au-Prince. Par une étude qualitative, il donne la parole aux jeunes défavorisés pour saisir

comment ils ont vécu le séisme, comment ils (sur) vivent au quotidien le post-séisme et comment ils

perçoivent leur avenir. Il tente de répondre à la problématique centrale : « Quels sont les impacts

psychosociaux du séisme de 2010 sur des jeunes dans des camps de Port-au-Prince ? » Il veut

contribuer à comprendre ce qui constitue le bien-être de cette jeunesse pour lui permettre de « vivre »

plutôt que de « survivre », parce que le droit à la vie va au-delà de la survie et devrait être universel.

Cette idée est exprimée par un adolescent haïtien anonyme (cité dans Lahens, 2010, p. 142) :

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« Yanick, c’est vrai que nous sommes forts dans l’art de la survie mais… Et si nous

commencions simplement à vivre ? »

La première partie de ce rapport expose une revue de littérature afin de situer le contexte du (post)

séisme à Port-au-Prince. La deuxième partie décrit le travail de terrain réalisé en septembre 2011 dans

deux camps de la capitale. D’une part, le cadre méthodologique est expliqué ; d’autre part, les résultats

sont présentés et argumentés. La dernière partie formule des conclusions et des recommandations.

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II. CONTEXTE (POST) SEISME A PORT-AU-PRINCE

Cette partie comprend une analyse bibliographique critique du contexte séisme et post-séisme à Port-

au-Prince. D’abord, le rapport situe le séisme du 12 janvier 2010 près de Port-au-Prince. Ensuite, les

vulnérabilités préalables d’Haïti sont évoquées. Après, les dangers et opportunités suite au

tremblement de terre sont mentionnés. Ultérieurement, les impacts psychologiques et sociaux sont

approfondis. Finalement, la situation dans les camps de sans-abri et déplacés internes est analysée.

1. TREMBLEMENT DE TERRE DU 12 JANVIER 2010 A PROXIMITE DE

PORT-AU-PRINCE, CAPITALE D’HAITI

1.1. Données clés

Mardi 12 janvier 2010, à 16 heures 53 minutes, heure locale, Haïti a connu la plus grande

catastrophe naturelle de son histoire (Adam, 2010). Le pays le plus pauvre des Amériques a été frappé

par un tremblement de terre dévastateur et assassin. Le séisme d’une magnitude de 7 sur l’échelle

de Richter a été suivi par plusieurs répliques puissantes. Les départements de l’Ouest et du Sud-est ont

été ravagés. Des villes comme Port-au-Prince, Léogâne, Grand-Goâve, Petit-Goâve et Jacmel ont été

fortement endommagées (Le Nouvelliste, 2010). L’Image 1 est une carte d’Haïti. Elle montre que

l’épicentre du séisme se trouvait à seulement une quinzaine de kilomètres de Port-au-Prince,

région métropolitaine densément peuplée et "bidonvillisée", qui centralise toutes les activités du pays.

Cette revue de littérature se concentre sur le bilan lourd en pertes de vies humaines, en blessés et en

sans-abri à Port-au-Prince, car les Port-au-Princiens ont été exposés intensément et en nombre

important au séisme.

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Image 1. Carte d’Haïti avec la population exposée au séisme et l’intensité de l’exposition

au 14 janvier 2010.

(Source : ReliefWeb, 2010)

Le séisme a duré à peine 35 secondes. Dans ce laps de temps, Haïti a basculé dans l’horreur et a

sombré dans le désarroi (paraphrase de Castor, dans CRESFED, 2010, p. 7). Face aux forces de la

nature déchaînées, le peuple a crié et pleuré ou s’est tu de saisissement et d’interrogation. La plupart

des Haïtiens ne connaissaient pas les séismes et ne comprenaient pas ce qui se passait. Ils se sont

agenouillés, ont levé les bras au ciel et ont fermé les yeux pour prier, solliciter la miséricorde de Dieu

et appeler son aide (CRESFED, 2010 ; Lahens, 2010). Après chaque nouvelle secousse, le nom de

Jésus était sur toutes les lèvres. Des rassemblements religieux s’organisaient et des cérémonies

officieuses (prières, chants, danses, répétitions de psaumes et prédications) étaient audibles partout à

Port-au-Prince. La superstition, le mysticisme, la foi et la religion jouaient donc un rôle essentiel

dans les manières de voir et de vivre le « goudougoudou » 1. Pour les catholiques, les protestants et les

vodouisants, ce désastre a été vu comme une fatalité. Le séisme a été interprété comme la main de

Dieu, comme un signe de sa colère, comme un châtiment divin infligé aux pécheurs ou comme

l’Apocalypse2. En février 2010, le Gouvernement a décrété trois jours officiels de prières et de jeûne

pour demander pardon pour les fautes commises et invoquer la grâce divine sur le pays afin d’éviter

d’autres calamités.

1 Nom donné par les Haïtiens au séisme du 12 janvier 2010. Ce mot sonne comme le bruit causé par le tremblement de terre ce jour là (Cassegrain & Cossu, 2011).

2 La fin du monde prédite dans la Bible.

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Pendant et après le séisme, la pensée des Haïtiens était très religieuse (CRESFED, 2010). Les

émotions et les croyances l’ont emporté sur la raison et la science. La stupéfaction, l’affolement, la

confusion, l’impuissance, la souffrance, la détresse, l’angoisse et l’espérance étaient des sentiments

partagés par toutes les familles (Le Nouvelliste, 2010). Des millions de personnes en Haïti et de la

diaspora ont attendu longtemps avant d’avoir des nouvelles d’un être cher, qui pouvait être enseveli

sous les décombres des bâtiments détruits. Les communications téléphoniques étaient interrompues, ce

qui amplifiait la panique.

« Dans les secondes qui ont suivi, la clameur grosse de milliers de hurlements d’effroi, de cris de douleur, est montée comme d’un seul ventre des bidonvilles alentour, des immeubles plus

cossus autour de la place et est venue me saisir à la gorge jusqu’à m’asphyxier. Et puis j’ai

ouvert le portail de la maison. Sur le commencement de l’horreur. Là, déjà, au bout de ma rue. Des corps jonchés au sol, des visages empoussiérés, des murs démolis. Avec cette certitude que

plus loin, plus bas dans la ville, ce serait terrifiant. »

(Lahens, 2010, pp. 67-68)

Le bilan recense d’innombrables pertes humaines et matérielles. Il y a des centaines de milliers de

morts et de blessés, des dizaines de milliers d’Haïtiens sont portés disparus, des milliers ont été

enterrés dans des fosses communes sans identification et des milliers sont mutilés (CRESFED, 2010).

Le séisme a affecté la communauté haïtienne toute entière, sans distinction de race, de sexe, d’âge

et de classe socioéconomique (Le Nouvelliste, 2010). Ce cataclysme restera à jamais gravé dans la

mémoire de la population. Des cicatrices psychosociales demeureront, car les Haïtiens ont été atteints

individuellement et collectivement.

« Le tissu économique, du haut au bas de l’échelle sociale, est en lambeaux. Toutes les couches

de la société sont touchées. »

(Duval, cité dans Le Nouvelliste, 2010, p. 8)

1.2. Quelques chiffres

1.2.1. Victimes humaines

On estime à près de 3.5 millions d’Haïtiens touchés par le séisme, en particulier les 2.8 millions

habitants de Port-au-Prince (OECD-PGD, 2010). Cela signifie qu’à peu près un tiers de la

population haïtienne3 a été frappé (in) directement. Les estimations concernant le nombre de morts

et de blessés varient fortement en fonction des sources consultées (BBC, 01/06/2011), mais les

chiffres exacts ne seront jamais connus. Le Gouvernement haïtien et l’ONU estiment qu’entre 220.000

et 300.000 Haïtiens ont perdu la vie, plus de 300.000 personnes ont été blessées ou handicapées, 1.5

million de personnes sont devenues des sans-abri obligés de vivre dans des campements de fortune et

plus de 500.000 sont des déplacés qui ont quitté la capitale pour se réfugier dans les provinces ou aller

à l’étranger, s’ils ont les moyens et de la famille là-bas. Des milliers de personnes ont besoin d’un

3 La population d’Haïti est estimée à environ 10 millions d’habitants (CIA, 24/01/2012).

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accompagnement psychosocial (Gouvernement de la République d’Haïti, 2010a, 2010b ; PNUD,

2010).

« Que représente le 12 janvier 2010 ? Si tu compares Hiroshima et Nagasaki qui ont résisté à

2 bombes nucléaires, nous pouvons dire qu’en 35 secondes Haïti a résisté à 4 bombes

nucléaires. Hiroshima a fait environ 100.000 morts, Nagasaki environ 40.000 morts. Si nous comptons les deux ensemble, cela fait à peu près 150.000 morts. Ici, en Haïti, nous avons

300.000 morts. »

(Traduction libre de Préval, ex-Président d’Haïti, dans The Miami Herald & El Nuevo Herald,

2011)

« De toutes les victimes de cette fin du monde sur mesure, en saura-t’on jamais le nombre un

jour ? »

(Noël, cité dans Renauld Armand, 2011, p. 59)

1.2.2. Dégâts matériels

Les destructions matérielles sont énormes, difficiles à évaluer et représentent d’immenses pertes

financières. Port-au-Prince serait démolie à 75% (Adam, 2010). Le séisme a entraîné

l’anéantissement des symboles des pouvoirs publics, du patrimoine culturel, des infrastructures4, des

villas, des bidonvilles, des centres économiques, des établissements scolaires et hospitaliers, des lieux

de cultes, etc. (CRESFED, 2010). Plus de 180.000 maisons (dans les quartiers précaires, ceux de la

classe moyenne et ceux de la bourgeoisie) ont été détruites ou ont subi des dommages importants

(Renauld Armand, 2011). Plus de 250.000 immeubles ont été évalués et partagés en trois

catégories avec un code de couleur : maisons rouges "à détruire" (22%), maisons jaunes "à réparer"

(27%) et maisons vertes "habitables" (51%). 80% des écoles de Port-au-Prince ont été endommagées

et 60% des bâtiments gouvernementaux et administratifs ont été démolis ou abîmés, y compris le

Palais Présidentiel, le Palais Législatif, le Palais de Justice et différents Ministères (Le Nouvelliste,

2010). Une grande partie des bâtiments commerciaux, symboliques et religieux est complètement

ruinée ou détériorée comme le marché Hyppolite, l’hôtel Montana et la Cathédrale. Le siège de la

MINUSTAH s’est effondré, entraînant des sinistrés étrangers. Le PNUD (2010, p. 4) estime que la

valeur totale des pertes et dommages causés est de 7.8 milliards de dollars, soit l’équivalent de

plus de 120% du PIB d’Haïti en 2009.

2. VULNERABILITES PREALABLES

2.1. Cadre géographique et contexte géologique

« Haïti, de par sa position géographique, est menacée par plusieurs catastrophes naturelles

telles que cyclone, séisme (tremblement de terre), tsunami, glissement de terrain, etc. Nous

4 Les services d’électricité, d’eau, d’assainissement et de télécommunication, le réseau routier, les transports et les médias

nationaux.

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avons une saison cyclonique chaque année, toujours à la même période. Se trouvant en bordure

de la plaque caribéenne, Haïti peut aussi être victime d’un séisme. »

(Ingénieur-géologue Prépetit en mars 2009, cité dans Le Nouvelliste, 2010, p. 76)

Port-au-Prince présente un risque sismique élevé. Depuis les séismes de 1751 et 1770, qui avaient

détruit la capitale, une grande quantité d’énergie s’était accumulée et les conditions étaient réunies

pour un nouveau tremblement de terre (CRESFED, 2010 ; Le Nouvelliste, 2010). Selon des

scientifiques comme l’ingénieur Prépetit et le professeur Calais, la menace d’un séisme dans la région

métropolitaine était réelle. Ils estimaient que l’on pouvait s’attendre à une secousse importante par le

glissement de deux plaques tectoniques5 le long de la faille d’Enriquillo, qui traverse le sud de toute

l’île Hispaniola6, de la pointe ouest de Tiburon en Haïti jusqu’à Santo Domingo en République

Dominicaine. Même si les études réalisées permettaient de pronostiquer le risque et de déterminer

l’ampleur d’une probable secousse, il était impossible de prévoir à quel moment la terre allait trembler.

En août 2010, les scientifiques avaient découvert que la faille Léôgâne, un segment de la faille

Enriquillo, était la vraie responsable du séisme de janvier 2010 (Adam, 2010).

2.2. Etat haïtien faible et absent

Il y a une relation entre les phénomènes naturels et les actions de l’homme (CRESFED, 2010).

Quelques Haïtiens7 savaient que Port-au-Prince risquait d’être dévastée par un séisme, mais

choisissaient le désintérêt, l’oubli, le déni ou le laxisme (Lahens, 2010). La majorité de la population

était peu avertie, voire ignorante, du danger qu’elle courait. La zone métropolitaine est devenue un

cimetière parce que les prévisions alarmantes n’ont pas retenu l’attention du peuple, mais aussi et

surtout des dirigeants. Aucune disposition n’a été prise par l’Etat pour réduire le nombre de sinistrés

ainsi que les dommages matériels. Malgré le dicton « Mieux vaut prévenir que guérir », la politique

du "laisser-aller" des pouvoirs publics a causé un drame (Adam, 2010 ; Le Nouvelliste, 2010). La

forte croissance démographique, l’extension des bidonvilles, la dégradation environnementale, la

construction désorganisée des maisons, l’absence de normes parasismiques, l’indifférence et la

négligence du Gouvernement rendaient Port-au-Prince particulièrement vulnérable.

La République d’Haïti est marquée par une histoire de dictatures, d’instabilités politiques, de

corruption, de clivages, de crises socioéconomiques, de catastrophes naturelles et d’urgences

humanitaires (OCDE-PGD, 2010 ; PNUD, 2010). Avant le séisme de 2010, Haïti avait toutes les

caractéristiques d’un pays du Sud. L’Etat était faible et absent. La gouvernance était

5 Il s’agit de la plaque nord-américaine et la plaque caribéenne.

6 Haïti et la République Dominicaine se partagent cette île (Adam, 2010).

7 Surtout les élites intellectuelles, politiques et économiques.

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problématique parce que les intérêts individuels primaient sur l’intérêt collectif. Le Gouvernement

investissait à peine dans le secteur social (santé et éducation). De nombreuses institutions,

infrastructures et services de base étaient déficients (OMS/OPS, 2010). Le pays connaissait et connait

des niveaux élevés de précarité, de pauvreté et d’inégalité. La société haïtienne est fracturée et divisée

en classes : classe populaire, classe moyenne et bourgeoisie. Cette hiérarchie est basée sur l’éducation,

la langue, la culture, la prospérité économique et la couleur de peau. Plus de 70% de la population vit

en-dessous du seuil de pauvreté, dont 50% dans un dénuement extrême (CRESFED, 2010). Ainsi, la

majorité connait une vulnérabilité et une dépendance démesurées.

Les problèmes du sous-développement ou « mal développement » d’Haïti et de son centre Port-au-

Prince existaient déjà avant et sont jusqu’à présent immenses (Adam, 2010 ; Assimil Evasion, 2006 ;

Cherblanc, 2010 ; CRESFED, 2010) : inexistence d’un cadre légal, juridique et institutionnel ;

paupérisation grandissante des paysans avec comme conséquences exode rural, surpopulation et

"bidonvillisation" de Port-au-Prince ; "hyperconcentration" et "surcentralisation" des activités

politiques, administratives, économiques, sociales et culturelles dans la capitale ; taux de chômage et

de sous-emploi élevés ; carence des moyens de subsistance et mauvaises conditions de vie ; pénurie

des soins de santé ; système éducatif faible et inéquitable ; absence d’un plan d’urbanisme, de

logement et de construction ; criminalité et insécurité généralisées ; pollution ; insalubrité ;

malnutrition ; écart béant entre les "riches" (peu nombreux et très éduqués) et les "pauvres" (très

nombreux et peu éduqués) ; problématiques sociales multiples ; exclusion et marginalisation ;

corruption et détournements de fonds publics ; incompétence, passivité et attentisme de

l’administration publique ; faiblesse des partis politiques et de la société civile ; diaspora nombreuse et

influente aux États-Unis, au Canada ou ailleurs, résultant dans une "fuite des cerveaux" et un manque

de ressources humaines en Haïti ; culture d’assistanat et dépendance par rapport à l’étranger et

solutions venues de l’extérieur inadaptées au contexte haïtien. Les défaillances politiques, sociales et

économiques témoignent de la fragilité et de l’absence de l’Etat haïtien ou de son incapacité à

contribuer au développement socioéconomique du pays et de ce fait au bien-être général des citoyens

(Joseph, 2011).

3. DANGERS ET OPPORTUNITES APRES LE 12 JANVIER

3.1. Etat haïtien "en faillite"

Fin 2009, il semblait y avoir un changement en Haïti : il y avait des promesses de stabilité

sociopolitique et une progression économique (The Miami Herald & El Nuevo Herald, 2011). Le

peuple était optimiste, il pensait qu’une page allait se tourner dans le pays. Par contre, le séisme est un

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bouleversement de plus pour cet Etat-nation déjà si fragile (Lahens, 2010). L’espoir de nombreux

Haïtiens s’est transformé en méfiance et en résignation.

Le tremblement de terre a été intitulé « catastrophe humaine et matérielle » par les médias (inter)

nationaux à cause du nombre élevé de sinistrés et des grands ravages matériels. Il a révélé les déficits

sur le plan politique, économique et social (Adam, 2010 ; CRESFED, 2010). Il a rappelé qu’Haïti n’est

pas pris en charge par l’administration publique. L’Etat était dépassé par la calamité, désemparé et

impuissant. Il était incapable d’assumer ses responsabilités8. Le mutisme et le manque d’action du

Gouvernement Préval/Bellerive9 ont certainement amplifié le désastre. Le fatalisme, l’attentisme, la

négligence et la dépendance constituaient des dangers importants pour Haïti. En mars 2010, deux

mois après le séisme, un plan stratégique existait sur les priorités dans les phases de l’après-séisme

(Gouvernement de la République d’Haïti, 2010a, 2010b).

Après le 12 janvier, l’Etat haïtien s’est encore plus affaibli et déstructuré qu’auparavant (OCDE-

PGD, 2010). Tous les secteurs de la vie nationale étaient touchés. Le Palais National (symbole du

pouvoir exécutif), le Parlement (symbole du pouvoir législatif) et le Palais de Justice (symbole du

pouvoir judiciaire), tous des icônes de l’Etat, n’ont pas résisté au drame qui a affecté Haïti (Le

Nouvelliste, 2010). Les infrastructures, les institutions et les services déjà faibles du Gouvernement

ont été presque entièrement anéantis. L’Etat s’est effondré sous les forces de la nature et est devenu un

Etat "en faillite" avec un avenir compromis pour ses habitants. A côté de ce douloureux bilan, les

pertes humaines pèsent lourdement en aggravant le manque de ressources humaines qualifiées dont

souffrait déjà Haïti avant le séisme. Plus de 16.000 fonctionnaires sont décédés et des milliers de

professionnels, d’étudiants et d’écoliers sont partis d’Haïti. Même si la plupart des cadres de la

fonction publique était de retour fin 2010, la force de travail du Gouvernement était réduite de 33%

(PNUD, 2010).

« Mais pire : à cette heure, dans les administrations publiques, n’étaient présents que ceux qui

en constituent l’épine dorsale. L’épine dorsale d’un corps affaibli, agonisant, mais dont le

souffle tenait du miracle quotidien. La faille nous a ravi quelques-uns de nos meilleurs cadres.

Dans ce pays qui en manque déjà cruellement. »

(Lahens, 2010, p. 51)

Pourtant, le 12 janvier aurait pu offrir des opportunités pour changer de gouvernance en Haïti,

renforcer l’Etat, transformer la nation et établir un autre modèle de coopération (inter)

nationale (CRESFED, 2010 ; Gouvernement du Canada, Gouvernement d’Haïti, Union Européenne,

Egmont & Organisation internationale de la Francophonie, 2011 ; Jean, 2011). Le meilleur du peuple

haïtien est apparu, avec une humanité, une fraternité, une générosité et une collaboration

8 Par exemple, prendre des décisions, résoudre les urgences, orienter et accompagner la population.

9 René Préval et Jean-Max Bellerive étaient respectivement le Président et le Premier Ministre d’Haïti lors du séisme (The

Miami Herald & El Nuevo Herald, 2011).

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remarquables, dignes de la devise nationale : « L’union fait la force ». Trois grands atouts de la

société haïtienne se sont profilés : 1) la jeunesse de la population, 2) le rôle majeur des femmes et 3)

l’engagement de la diaspora. Une autre force a été la mobilisation et la solidarité de la communauté

internationale. Des individus, des institutions et des organisations du monde entier ont manifesté un

large support, une certaine "philanthropie" envers les sinistrés haïtiens. Cet appui avait pour but

d’aider Haïti à se relever et à se rebâtir plus solidement sur le principe de « Reconstruire, mais en

mieux »10

. Enfin, le séisme donnait une chance au secteur public d’Haïti. Les élites avaient l’occasion

de montrer leur volonté politique, d’exhiber leur engagement et de renforcer leur capacité à gouverner

et à participer à la gestion de l’urgence, du relèvement et du développement national. Ils avaient les

cartes en main pour (re) construire une "nouvelle Haïti", plus humaine et plus durable pour les

générations futures. Cette Haïti aurait pu aboutir par l’intégration des masses populaires et de toutes

les forces vives de la nation dans un projet de société juste et équitable. La négociation avec les partis

politiques, la société civile et « l’International »11

, avec un plan d’action, pouvait orienter la

coopération et donner des responsabilités équitables à toutes les parties concernées. Malheureusement,

les opportunités exigeaient des conditions (entre autres des changements de mentalités et de

comportements chez les Haïtiens et une modification de la stratégie d’intervention de l’International)

qui n’ont pas été accomplies, faute de quoi le statu quo est plus ou moins maintenu.

3.2. Aide humanitaire (inter) nationale à court et moyen terme

3.2.1. Solidarité nationale

Dans la phase d’urgence, la priorité était d’extraire les survivants des décombres et d’assister les

blessés avec les moyens disponibles (Le Nouvelliste, 2010). Beaucoup d’Haïtiens courageux sont

venus au secours de leurs compatriotes, à mains nues ou munis d’outils de base. Grâce aux initiatives

spontanées, des proches, des connaissances ou des inconnus ont pu être sauvés ; des cadavres ont été

transportés aux cimetières ou ont été enterrés dans des fosses communes ; des sinistrés ont trouvé du

réconfort et des camps "provisoires" ont été établis. « Les Haïtiens ont été les premiers sauveteurs

d’eux-mêmes. Ils ont fait preuve de responsabilité civique, de citoyenneté et de cohésion sociale »

(Jean, 2011).

Adam (2010) explique que la population métropolitaine était livrée à elle-même, confrontée à

plusieurs répliques et à une insécurité accrue (évasion de prisonniers, pillages). Pourtant, la mégapole

a pu survivre au chaos, la vie a continué et s’est (ré) organisée. La solidarité inter-haïtienne a suppléé à

10 « Building Back Better » est un principe qui a été formulé par le Gouvernement haïtien, l’ONU et les différentes parties impliquées dans la reconstruction d’Haïti. L’objectif est de renforcer les institutions haïtiennes et de protéger les personnes

les plus vulnérables (OCDE-PGD, 2010).

11 Le mot « International » réfère à la communauté internationale, présente en Haïti sous différentes formes : ambassades,

institutions internationales et ONG étrangères.

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"la faillite" de l’Etat12

(CRESFED, 2010). Quelques témoignages, extraits du documentaire « Nou

Bouke [We’re Tired] : Haïti’s Past, Present and Future » (2011), illustrent comment l’abandon de

l’Etat est ressenti par le peuple et comment l’entraide de la communauté haïtienne est perçue et

vécue, même par les étrangers :

« Le Gouvernement ne peut rien faire, rien faire, rien du tout pour le peuple. »

(Traduction libre d’un Haïtien anonyme)

« Je n’ai pas vu des équipes de secours, seulement des gens de la rue qui aidaient des proches en les sortant des ruines. Cette situation pourrait mener à des tensions, mais moi je n’ai vu que

la coopération, la résilience de la communauté, s’aidant les uns les autres et s’aidant soi-

même. Je n’ai pas vu des gens de l’ONU, des pompiers, des policiers. J’ai vu des Haïtiens aidant des Haïtiens. »

(Traduction libre d’une journaliste du Miami Herald)

Le témoignage de Dolores Neptune (citée dans Renauld Armand, 2011, p. 61), une mère qui a perdu

son fils dans le séisme, sert d’exemple pour comprendre l’opportunité qu’offre le dévouement

haïtien dans le redressement et le développement d’Haïti à long terme.

« Toutes les différences, tous les clivages sont tombés le 12 janvier 2010. La solidarité n’aura

pas sauvé mon fils. Mais elle sauvera ce pays. »

3.2.2. Assistance ou tutelle internationale ?

Face au cataclysme du peuple haïtien, la société civile et les gouvernements du monde entier ont

manifesté leur sympathie en mettant sur pied une réponse humanitaire rapide, massive et effective13

(CRESFED, 2010 ; Gouvernement du Canada et al., 2011). Aucune nation n’aurait pu répondre seule

à une telle catastrophe. L’aide de la communauté internationale était primordiale. Cette assistance s’est

manifestée sous différentes formes. En 2010, entre 6.000 et 8.000 ONG14

étaient présentes en Haïti, ce

qui en faisait le pays à plus forte concentration d’ONG par habitant au monde (Lahens, 2010). Haïti

était une véritable « république des ONG ».

A court et moyen terme, plusieurs dizaines de milliers d’étrangers, arrivant de partout15

, sont venus

renforcer les efforts des Haïtiens pour secourir les rescapés, à travers l’envoi d’équipes de sauvetage et

la livraison de soins médicaux (Le Nouvelliste, 2010). Des distributions d’eau, d’aide alimentaire et

de tentes ont été effectuées. L’International a fait des promesses d’aides financières et a pris des

engagements de soutien au processus de reconstruction d’Haïti (Adam, 2010). En mars 2010, les pays

12 Le silence et le manque d’encadrement des autorités publiques, les services de protection déficients, l’absence de la MINUSTAH, ainsi de suite.

13 Par exemple, dans les 24 heures une équipe de B-FAST est venue au secours des Haïtiens.

14 Certaines sources évoquent même le cap de 10.000.

15 République Dominicaine, Cuba, Etats-Unis, Canada, Union Européenne dont surtout la France, Amérique Latine avec le Brésil et le Chili en tête, etc.

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donateurs ont promis près de 10 milliards de dollars pour le relèvement de la nation haïtienne.16

Plus

tard, la Banque Mondiale et le FMI ont annulé la dette extérieure. Plusieurs organisations (inter)

nationales voulaient aider le Gouvernement à se rééquiper en ressources humaines et matérielles,

nécessaires pour le fonctionnement, la gestion et le développement d’Haïti (PNUD, 2010).

Des intellectuels haïtiens critiquent "l’invasion" multiforme de la communauté internationale en

Haïti (Adam, 2010 ; CRESFED, 2010 ; Lahens, 2010 ; Jean, 2011 ). Ils clament qu’elle est

omniprésente et omnipuissante, et qu’elle n’a ni effectué le renforcement institutionnel promis, ni

favorisé le dialogue inter-haïtien. Pour eux, la frontière entre assistance et « tutelle »17

internationale

demeure floue. Le séisme semble avoir accentué un cercle vicieux. D’une part, il a permis à l’Etat

d’Haïti, quasi inexistant auparavant, de se déresponsabiliser davantage en déléguant ses

responsabilités à l’International, notamment par le biais des ONG. La mentalité d’assistanat et la

dépendance à l’aide ont fragilisé l’Etat et ont paralysé le sens de l’initiative des Haïtiens. D’autre part,

le séisme a offert un prétexte à l’International pour renforcer la mainmise sur Haïti. Certains

organismes internationaux se trouvent désemparés face au vide gouvernemental ; d’autres en profitent

pour fonctionner librement et agir comme bon leur semble puisqu’ils n’ont de comptes à rendre à

personne.

Les faits d’une souveraineté haïtienne en péril et d’intérêts géopolitiques ou économiques

motivant l’aide internationale ont été relevés par l’historienne Suzy Castor (citée dans Le

Nouvelliste, 2010, p. 86) :

« Le vide provoqué par l’absence de l’Etat et du gouvernement a alimenté la tutelle larvée que

vit Haïti. »

et par l’ingénieur-hydrogéologue Pierre Adam (2010, p. 39) :

« Le séisme du 12 janvier 2010 fait d’Haïti, la première nation nègre du monde, redevenue la

première nation occupée militairement (MINUSTAH et USA), financièrement (Banque

Mondiale pour la gestion des fonds post désastres) et politiquement (Bill Clinton et George

Bush, deux anciens présidents de la République étoilée). »

Il est indéniable que le soutien de l’International était nécessaire dans la phase d’urgence. Cet appui

s’avère également important dans la phase de redressement et de développement. Néanmoins,

l’assistance internationale doit être exécutée sous le leadership de l’Etat haïtien, parce qu’Haïti est une

République souveraine (Adam, 2010 ; CRESFED, 2010 ; Jean, 2011). La communauté internationale

n’est pas en Haïti pour dicter des règles ou se substituer à l’Etat et au peuple. Les Haïtiens doivent

16 Le coût de la reconstruction d’Haïti est estimé à 11.5 milliards de dollars (PNUD, 2010, p. 5).

17 « Tutelle » réfère au contrôle exercé par un gouvernement, une institution ou une organisation sur une nation, ce qui limite la souveraineté de la nation. Avec la militarisation de l’aide humanitaire, certaines voix parlaient de « protectorat » et d’« occupation ». La «mise sous tutelle » est un terme plus adéquat pour décrire la situation actuelle d’Haïti (CRESFED,

2010).

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rompre avec l’attitude d’attentisme, la logique d’assistanat et la culture de la dépendance. La

« perversion de l’aide » est bien exprimée par l’écrivaine Yanick Lahens (2010, p. 83) :

« Nous savons que l’aide ne nous sauvera pas. Elle est viciée dans sa logique. Elle finit par

pervertir ceux qui donnent et ceux qui reçoivent. »

Michaëlle Jean (2011), envoyée spéciale de l’UNESCO en Haïti sur les questions éducatives, souligne

la nécessité de redéfinir la gouvernance après le séisme, vu qu’elle est une condition pour un

développement durable. Elle appelle les élites haïtiennes à jouer leur vrai rôle et les incite à « sortir du

chacun pour soi et pour son clan afin de garder comme point de mire l’intérêt de la collectivité ». Elle

estime qu’il revient aux Haïtiens seuls de prendre leur avenir en main. Ils ont une responsabilité

citoyenne et sociale pour faire honneur aux devises nationales « L’union fait la force » et « Liberté,

Egalité, Fraternité ». En conséquence, le peuple et les dirigeants haïtiens doivent exercer le pouvoir

sur leur territoire et déterminer les interventions des ONG à partir des besoins (logement, emploi,

alimentation, santé, éducation) de la population. Ils doivent assumer la lourde responsabilité de la

reconstruction et du développement.

3.3. Relèvement et développement d’Haïti à long terme

Le gouvernement haïtien et les gouvernements internationaux, les ONG et les bailleurs de fonds ont

contribué, à court et moyen terme, à l’aide humanitaire. Ils font aussi des efforts à long terme pour

améliorer les conditions de vie des Haïtiens (CRESFED, 2010 ; PNUD, 2010, 2011). Plus d’un an et

demi après le séisme, la phase d’urgence est passée. L’Etat haïtien et l’International doivent

affronter les défis du sous-développement et faire face à des défis supplémentaires. Les enjeux sont

gigantesques. La reconstruction de l’Etat, la refondation de la nation et la réhabilitation de

communautés entières et des institutions, après avoir subi des pertes énormes et un traumatisme

collectif, deviennent des priorités. Pour redresser et développer Haïti, plusieurs années de travail sont

nécessaires. La participation des nationaux, de la diaspora et de l’International s’avère indispensable.18

René Préval (cité dans Gouvernement de la République d’Haïti, 2010b, pp. 8-9) affirmait que la

reconstruction devait s’articuler autour de quatre grands chantiers : 1) la refondation territoriale,

2) la refondation économique, 3) la refondation sociale et 4) la refondation institutionnelle. Il

définissait la vision du développement d’Haïti à long terme de la façon suivante :

« Nous refonderons la Nation haïtienne en transformant la catastrophe du 12 janvier 2010 en une opportunité pour qu’Haïti devienne un pays émergent d’ici 2030. »

18 Le redressement et le développement d’Haïti ne pourra se faire qu’avec une population unie, un Etat haïtien responsable et

le soutien des secteurs privé et public, de la classe moyenne, de la diaspora, des ONG et de la communauté internationale, qui travaillent en collaboration.

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Cependant, pour Suzy Castor (citée dans CRESFED, 2010, p. 9) il fallait prendre garde, car :

« L’état d’urgence à court terme pourrait se transformer en état d’exception à long terme. »

L’historienne et directrice du CRESFED estime que la politique du "laisser-aller" et les "faux-fuyants"

des autorités publiques, de même que les intérêts cachés de puissances étrangères et de certains

secteurs haïtiens, peuvent conforter le statu quo plutôt que d’opter pour le changement. Elle s’est

préoccupée de la prolongation de l’état d’urgence de 3 à 18 mois et de l’instauration de la CIRH19

, qui

est sous la responsabilité de l’ONU et du Gouvernement haïtien. Selon elle, les mesures prises à court

terme ont entravé la souveraineté nationale, gardé le pays dans l’urgence et empêché de surmonter la

crise structurelle et conjoncturelle afin d’évoluer vers un développement durable. A la fin du mandat,

cette CIRH devait être remplacée par une Agence pour la Reconstruction et le Développement en

Haïti, qui est directement placée sous la responsabilité du Gouvernement (OCDE-PGD, 2010). La

CIRH finissait en octobre 2011, mais le Gouvernement Martelly/Conille20

a plaidé pour la

prolongation d’un an du mandat (Haïti Libre, 28/10/2011).

Pour Christian Rousseau (cité dans CRESFED, 2010, p. 13) le risque du statu quo en Haïti est

également réel :

« Le pays ne peut se prendre en charge donc on sera toujours dans le court terme, dans

l’humanitaire. En fait, pour l’internationale comme pour beaucoup de nos dirigeants, Haïti est

condamné à évoluer dans le sous-développement. Il faut donc dépenser rapidement de l’argent

dans des actions qui améliorent certes le quotidien, mais qui n’ont aucun effet durable. »

La situation en Haïti s’est améliorée depuis le séisme, mais elle reste critique pour de nombreux

Haïtiens, en particulier pour les populations des camps, sans logement, sans emploi et victimes de

mauvaises conditions de vie (Schüler, 12/01/2012). Quand on fait le bilan de la reconstruction fin

2011, il faut constater que celle-ci avance certainement, mais « à pas de tortue » (Caroit,

12/01/2012). Ceci est dû à plusieurs raisons. Tout d’abord, à l’instabilité politique. Fin 2010-début

2011, Haïti connaissait de "turbulentes" élections présidentielles et législatives. La transition politique

était difficile et longue (PNUD, 2011). Finalement, l’investiture du Président Michel Martelly, alias le

chanteur populaire « Sweet Micky », a eu lieu le 14 mai 2011. Avec son programme de changement

pour Haïti, il a pu convaincre les catégories défavorisées de voter pour lui (BBC, 14/05/2011a,

14/05/2011b ; Delva, 15/05/2011). Ensuite, le lent décaissement des fonds promis par les bailleurs

internationaux ou le déboursement de ces fonds à d’autres fins que ceux promis, ont ralenti la relève

(Caroit, 12/01/2012). L’épidémie de choléra a constitué un défi supplémentaire (Le Monde,

19 La loi d’urgence pour 18 mois a été votée sous pression internationale en avril 2010. Elle a créé la « Commission Intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti » (CIRH) ou la « Commission de tutelle », chargée de coordonner l’aide et de définir des stratégies de reconstruction. Elle est co-présidée par Jean-Max Bellerive et Bill Clinton (CRESFED, 2010).

20 Michel Martelly et Garry Conille sont actuellement le Président et le Premier Ministre d’Haïti.

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12/01/2012). Enfin, le fait que le Président Martelly soit minoritaire au Parlement21

et l’absence d’un

Premier Ministre plusieurs mois après son arrivée au pouvoir ont freiné le processus de reconstruction,

faute d’un Gouvernement légitime en place (Le Point, 06/09/2011, 05/10/2011). Garry Conille a

seulement été nommé Premier Ministre le 18 octobre 2011 (CIA, 24/01/2012).

Tout de suite après le séisme, l’OIM estimait qu’il y avait environ un million et demi de sans-logis.

Deux ans plus tard, on observe une baisse. Pourtant, plus d’un demi-million de sans-abri vivent

encore dans des camps de fortune dans des conditions précaires (OIM, 20/08/2011, 17/01/2012).

Avec le « projet 16-6 »22

le Gouvernement, l’ONU et les ONG aident les sinistrés dans la réparation

de maisons endommagées ou dans le paiement du premier loyer annuel d’un nouveau logement.

L’Etat et l’International ne donnent pas directement de l’argent aux familles pour éviter qu’elles

quittent un camp pour se réinstaller ailleurs (Baron, 12/01/2012). L’Image 2 révèle les besoins

humanitaires de la population haïtienne en septembre 2011.

Image 2. Aperçu de la situation humanitaire en Haïti le 22 septembre 2011. (Source : ReliefWeb, 2011)

21 Le Parlement est surtout constitué de partisans de Préval, donc contrôlé par l’opposition.

22 Programme qui favorise la reconstruction de maisons individuelles. Le projet doit rénover 16 quartiers de la zone métropolitaine et vise de fermer ainsi 6 des plus grands camps de Port-au-Prince. Le but est d’inciter les gens des 6 camps à

retourner vivre dans leurs quartiers d’origine en réaménageant ceux-ci (Baron, 12/01/2012).

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Garry Conille a proclamé que l’année 2012 sera « l’année de la reconstruction » (Le Monde,

12/01/2012). Stéphanie Renauld Armand (2011, p. 5) rappelle toutefois qu’il ne faut pas uniquement

travailler à la reconstruction physique, mais aussi à la reconstruction psychique et sociale, puisque le

séisme de 2010 a eu un fort impact psychosocial sur les Haïtiens :

« Tous unis dans la sidération par le deuil, ils devront l’être demain dans la nécessaire

reconstruction. Celle physique, du pays et celle, mentale, de leur psyché collective. »

4. IMPACT PSYCHOSOCIAL DU SEISME

4.1. Santé pré-séisme

En 1946, l’OMS affirmait que la santé physique, mentale et sociale étaient étroitement liées. Elle

définissait la « santé » comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, qui ne

consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité » (Joseph, 2011, p. 1). Dans la

culture occidentale, un modèle biopsychosocial est utilisé pour comprendre la santé et la maladie

parce que l’on considère que des déterminants biologiques, psychologiques et sociaux jouent un rôle

dans la globalité de l’être humain. Le but d’une approche biopsychosociale est de comprendre

l’humain sur plusieurs niveaux. Dans la culture haïtienne, les problèmes de santé sont régulièrement

expliqués par des croyances culturelles, spirituelles et sociales comme le vaudou. La religion aide

les Haïtiens à affronter des problèmes psychosociaux et constitue un système parallèle de guérison

(OMS/OPS, 2010). Ici, l’attention est portée sur l’impact psychosocial du séisme. Le mot

« psychosocial » est une jonction entre le psychologique et le social, il définit la personne en relation

avec son environnement (Cherblanc, 2010, p. 26).

Plusieurs déterminants psychologiques et sociaux menaçaient déjà la santé des Haïtiens avant le

séisme, tels que la pauvreté, les mauvaises conditions de vie (selon l’IDH23

, Haïti se classe en 154ème

position sur 177 pays), les disparités socioéconomiques (le coefficient de Gini24

est un des plus élevés

au monde), le sous-emploi et le chômage endémiques (le taux de chômage atteint 49% dans les zones

métropolitaines), et la pénurie de soins de santé (OMS/OPS, 2010). Près de 70% de la population

urbaine vit dans des bidonvilles, caractérisés par la surpopulation et la promiscuité. Selon Joseph

(2011), 57% des Haïtiens vivent dans l’insécurité alimentaire. L’alphabétisation et la scolarisation ne

sont pas des droits pour tous. Environ 38% de la population de 15 ans et plus est analphabète. Selon

l’OMS/OPS (2010), 72% de la population ne possède qu’un niveau de scolarité primaire et 1% un

23 L’Indice de Développement Humain est un indicateur composite qui mesure indirectement la qualité de vie par 3 critères : 1) santé et longévité (mesurées par l’espérance de vie à la naissance), 2) niveau d’éducation (mesuré par la durée moyenne de

scolarisation pour les adultes de plus de 25 ans et la durée attendue de scolarisation pour les enfants d’âge scolaire) et 3) niveau de vie (mesuré en parité de pouvoir d’achat par habitant).

24 Le Gini mesure l’inégalité des revenus.

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niveau universitaire. Ainsi, la majorité des jeunes en âge de travailler ne possède aucune qualification

professionnelle. A Port-au-Prince, la violence figure parmi les 20 premières causes de décès et les

orphelins du SIDA sont nombreux (Joseph, 2011). La capitale doit faire face à plusieurs problèmes

sociétaux (présence de bandes criminelles organisées, violence quotidienne, vols, viols, kidnappings,

toxicomanie), qui créent une insécurité chronique et angoissent la population. Il y a peu de données sur

la prévalence des problèmes de santé mentale en Haïti et sur leurs coûts. Cependant, la santé

psychosociale est importante pour le bien-être général des individus, d’une société et d’un pays.

Haïti a toujours été marquée par des services sociaux de base insuffisants, inéquitables et difficiles

d’accès, notamment dans le domaine de la santé (Joseph, 2011). Les services existants sont inadaptés,

peu encadrés et mal coordonnées (OCDE-PGD, 2010). L’Etat (déficient) exerce une fonction majeure

pour élaborer et appliquer des politiques de santé. On distingue quatre secteurs dans le système de

santé haïtien : 1) le secteur public (MSPP), 2) le secteur privé à but non lucratif (ONG et

organisations religieuses), 3) le secteur mixte à but non lucratif (personnel payé par le gouvernement,

mais la gestion revient au secteur privé) et 4) le secteur privé à but lucratif (cabinets ou cliniques

privés). Le MSPP a plusieurs responsabilités dont la santé de la population, l’organisation et la

prestation de services et la gestion d’un budget de santé (OMS/OPS, 2010, p. 20). Le budget accordé

à la santé est minime25

et la santé mentale n’a jamais été une priorité (Joseph, 2011). Une vraie

politique et une réelle planification des services sont inexistants. Les ressources humaines et

financières sont limitées. A cause des défaillances, les instances internationales et les ONG réalisent la

plupart des interventions psychosociales, en particulier en réponse à des catastrophes naturelles

(cyclones) ou à des problématiques sociales (violences, VIH/SIDA, enfants des rues). La santé est loin

d’être disponible et accessible pour tous les Haïtiens (OMS/OPS, 2010). La situation géographique

et/ou économique peut former un obstacle dans l’usage de services. Uniquement 30% des centres de

santé sont publics et ils sont surtout situés dans les zones urbaines. Environ 50% du peuple n’a pas

accès aux services de santé formels. Le manque de ressources officielles allouées aux soins de santé

incite beaucoup d’Haïtiens à utiliser des ressources informelles, telles que des membres de la famille

ou de la communauté. Des guérisseurs traditionnels et religieux comme le « doktè fey »26

constituent

des alternatives valables, surtout pour les catégories défavorisées.

Pour conclure, la santé pré-séisme en Haïti était caractérisée par des services psychosociaux

méconnus, quasi inexistants et difficiles d’accès. La religion et la classe sociale déterminaient souvent

comment la maladie était interprétée et traitée (OMS/OPS, 2010). Les troubles mentaux et sociaux

étaient régulièrement attribués à des forces surnaturelles (Dieu, sorts jetés par quelqu’un de jaloux ou

25 En 2009, il ne représentait que 6% des dépenses publiques totales (CIA, 24/01/2012).

26 Docteur-feuille, herboriste.

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esprits fâchés de personnes décédées) ou considérés comme tabou et honteux (Joseph, 2011). Les

malades mentaux et les handicapés physiques étaient stigmatisés, discriminés et livrés à eux-mêmes.

Des groupes de soutien communautaire existaient à peine. Les Haïtiens n’aimaient pas parler de leurs

problèmes personnels et familiaux à des professionnels ou à des étrangers. De ce fait, ces problèmes

étaient réservés à la sphère familiale et religieuse, dissimulés à toute personne extérieure. La

psychologie n’était guère vulgarisée (Cherblanc, 2010). L’accompagnement psychosocial était vu

comme quelque chose pour les "fous", les "blancs", les "personnes aisées" et les "femmes". Les

Haïtiens des classes populaires ne connaissaient pas la psychothérapie. En cas de problèmes

psychosociaux, ils se référaient à la tradition et à la croyance.

4.2. Traumatismes suite à un séisme

Les cyclones, les inondations, les tsunamis et les séismes sont tous des catastrophes naturelles

(Lazarus, Jimerson & Brock, 2003). La plupart du temps, ce sont des évènements puissants qui

surviennent de manière imprévisible et soudaine. Ils ont un effet accablant et vont au-delà d’une

expérience humaine normale. Même si la personne n’est pas blessée physiquement, elle est souvent

affectée psychiquement et socialement27

. Avoir vécu, senti et subi un désastre naturel peut être une

expérience traumatisante, qui perturbe les capacités d’adaptation d’un individu ou d’un groupe et qui

suscite des émotions, des pensées et des comportements particuliers. Les séismes se différencient

d’autres catastrophes naturelles par le fait qu’il n’y a aucun signe virtuel qui permet de prévoir à quel

moment ils se produiront. L’homme n’a pas de contrôle sur ce qui se passe et n’est pas en mesure de

s’adapter. Après le tremblement de terre, les survivants doivent apprendre à vivre avec les impacts

psychosociaux, les traumatismes.

Qu’entend-on par un « traumatisme » ? APA (s.d.a) définit un traumatisme comme « une réponse

émotionnelle face à un évènement terrible comme un accident, un viol ou une catastrophe naturelle ».

APA (s.d.a, s.d.b), Brillon (2010) et URAMEL (2011) ont fait un inventaire des différents symptômes

qui peuvent survenir pendant et après un traumatisme. Trois phases peuvent être distinguées: 1) la

phase de crise, 2) la phase post-traumatique et 3) la phase de résolution. La phase de crise se déroule

pendant et immédiatement après l’évènement grave vécu par l’individu. Le choc, le déni et la peur

sont fréquents. Ces réactions protègent la personne qui se retrouve dans un "état second". Elle ne

réalise pas bien que quelque chose de très stressant lui est arrivé et est momentanément abasourdie,

désorientée et confuse. Dans la phase post-traumatique, d’autres réactions surviennent des

semaines/mois après l’évènement. Le système psychologique tente de réagir à l’évènement, de s’y

27 La personne vit des répercussions importantes au niveau personnel, familial et social.

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adapter et de le "digérer". Des symptômes de reviviscence28

, d’évitement29

et d’excitation30

sont

fréquents. La personne peut avoir des émotions intenses, inattendues et répétées (changements

d’humeur, irritabilité, anxiété, nervosité, colère, tristesse ou dépression). Ses pensées et son

comportement sont affectés (flashbacks, difficultés de concentration, de mémorisation ou de prise de

décisions, étourdissements, perturbations dans les habitudes de sommeil et d’alimentation). Ses

relations interpersonnelles se retrouvent sous tension (conflits, isolement, changements d’habitudes de

vie). La personne vit un stress qui peut être accompagné de symptômes physiques (maux de tête,

nausées, douleurs de poitrine, panique, hyperventilation). La dernière phase est celle de la résolution.

Elle peut prendre deux formes. Dans un cas, l’évènement a été "digéré" et il y a résolution

(diminution progressive en intensité et en durée) des symptômes. Dans l’autre cas, l’individu n’arrive

pas à "assimiler" l’évènement. Les symptômes restent intenses et deviennent chroniques. En

résumé, toutes ces réponses31

sont normales face à un évènement anormal et traumatisant. Elles

deviennent problématiques quand elles persistent, créent des dysfonctionnements dans le quotidien,

diminuent la qualité de vie et l’autonomie. Un appui psychosocial peut prévenir des troubles

psychosociaux en aidant la personne à intégrer l’expérience traumatique, à diminuer la détresse et à

retrouver son équilibre et sa qualité de vie. Plusieurs professionnels32

et des personnes reconnues pour

leur implication communautaire peuvent aider à trouver des moyens constructifs pour comprendre et

gérer les émotions, pensées et comportements qui résultent d’un trauma et continuer sa vie

"normalement" (Cherblanc, 2010).

Il est important de savoir qu’il n’existe pas de réponses "standard" face au stress extrême induit

par un séisme (APA, s.d.b). Les êtres humains ont différents mécanismes de survie et chaque individu

réagit différemment. Le vécu d’un séisme et l’impact psychosocial diffèrent d’un individu à l’autre.

Certaines personnes réagissent immédiatement après un trauma, d’autres ont des réactions retardées,

quelquefois des semaines/mois/années plus tard. Certains vivent longtemps des effets négatifs,

d’autres récupèrent plutôt rapidement. Les réactions peuvent changer au fil du temps. Des personnes

souffrant d’un trauma peuvent initialement être très résilientes et énergiques afin de faire face à

l’évènement. Plus tard, elles peuvent se décourager ou se sentir déprimées. Plusieurs facteurs

28 « Reviviscence » réfère à des souvenirs, des cauchemars, des hallucinations et des flashbacks de l’évènement stressant (ici le séisme) qui se répètent de façon fréquente, répétitive, envahissante et dérangeante. Par ailleurs, la crainte persiste que le drame ne se reproduise (URAMEL, 2011).

29 « Evitement » signifie éviter de manière persistante des éléments associés à l’évènement traumatisant (pensées, sentiments, conversations, places et personnes) et « émoussement des émotions » (affaiblissement et restriction des affects, sentiments de

détachement par rapport à autrui). Ces réactions ont pour but de défendre la personne traumatisée (URAMEL, 2011). 30 « L’état d’excitation ou d’hyperactivité » est marqué par l’hyper vigilance, des réactions de sursaut exagérées, des difficultés à dormir, à se concentrer ou à mémoriser, une irritabilité accrue ou au contraire une dépression (URAMEL, 2011).

31 L’ensemble des sentiments, pensées et comportements.

32 Par exemple, psychiatres, psychologues, travailleurs sociaux, éducateurs et instituteurs.

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influencent la durée nécessaire pour se rétablir d’un traumatisme, entre autres le degré d’intensité

et de perte provoqué par l’évènement33

, la capacité générale d’une personne à faire face à des

évènements émotionnellement traumatisants34

et le fait d’avoir vécu ou vivant des expériences

stressantes35

.

4.3. Séquelles psychosociales post-séisme

« Nous sommes tous des rescapés du 12 janvier 2010. Trente-cinq secondes de ce tremblement de terre, d’une magnitude de 7 degrés sur l’échelle de Richter, accusent un bilan

catastrophique : 300.000 morts, 350.000 blessés, les plus de 4.000 mutilés physiques, des

millions de traumatisés psychologiques, 1.5 million de nouveaux sans logis, plus de 500.000

déplacés, des pertes matérielles et des drames à dimension individuelle, familiale, organisationnelle et nationale. »

(Castor, citée dans CRESFED, 2010, p. 69)

Le séisme dévastateur et meurtrier a exposé le peuple haïtien à un traumatisme et à des pertes (êtres

chers, habitats, biens matériels, emplois, sources de revenus, moyens de subsistance, rôles sociaux,

liens et repères à cause du déplacement, amputations, etc.). L’évènement a un impact psychosocial

probable sur de nombreux Haïtiens, surtout ceux avec une vulnérabilité préalable ou une confrontation

antérieure à un traumatisme. Ainsi, les femmes, les enfants et les jeunes sont particulièrement

susceptibles de développer des troubles liés à un traumatisme comme des symptômes du SSPT, de

dépression, d’anxiété et de somatisation36

(OMS/OPS, 2010, p. 16).

Une étude de l’impact psychosocial du séisme a pour objectif d’avoir une meilleure compréhension

des conséquences psychologiques et sociales sur la population. Des traumatismes peuvent se

manifester chez tous les Haïtiens, car tout le monde a été fragilisé par ce désastre. La secousse de la

terre en soi est une expérience traumatisante accompagnée de pensées, d’émotions et de

comportements. Les répliques peuvent faire "revivre" le trauma en provoquant des réactions

spécifiques. Des hallucinations peuvent avoir lieu ; les rescapés ressentent des secousses imaginaires

(Lahens, 2010). Plusieurs centaines de milliers de personnes sont mortes, la plupart d’entre elles

écrasées sous le regard stupéfait et impuissant des survivants (Joseph, 2011 ; Le Nouvelliste, 2010).

Presque chaque Port-au-Princien a perdu un être cher. La population a été témoin de la mort et de

blessures. Elle a entendu les gémissements des estropiés. Elle a vu du sang et des corps. Elle a senti

33 Des évènements qui menacent fortement l’intégrité physique et psychique de la personne, qui perdurent et qui impliquent

la perte de vies ou de biens nécessiteront plus de temps pour s’en remettre. 34 La vulnérabilité et la résilience de la personne. 35 Les personnes ayant dû faire face à des problèmes de santé ou des difficultés familiales pourront avoir des réactions plus intenses face au nouvel évènement et auront besoin de plus de temps pour se rétablir. 36 « Somatiser » signifie transformer des troubles psychiques (stress, traumatisme, troubles dépressifs ou anxieux) en troubles

physiques.

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l’odeur des cadavres. Certains Haïtiens ont été gravement blessés. Les mutilés devront apprendre à

vivre avec leur handicap. D’autres ont vu leurs maisons, celles de proches ou des bâtiments du

patrimoine national s’écraser sous leurs yeux. Des gens ont été portés disparus, pendant que leurs

familles attendaient impatiemment d’avoir de leurs nouvelles. De nombreuses personnes ont été

enterrées anonymement dans des fosses communes, sans avoir été identifiées et comptées, sans rituels

mortuaires. En Haïti, les veillées (bruits, cris, larmes pour exprimer la douleur) et les rites funéraires

(cérémonies d’enterrement, inhumations appropriées) sont essentiels (Lahens, 2010 ; OMS/OPS,

2010). Il aurait été important d’identifier les victimes pour organiser des funérailles et entamer le

"travail de deuil". Ne pas retrouver et pouvoir enterrer des êtres chers disparus crée de l’incertitude

sur le sort des morts et peut entraîner des inquiétudes et des cauchemars. Sans corps, il n’y a pas de

preuve de mort et des doutes persistent. En fin de compte, les pertes, les souffrances et les deuils sont

inévitables. Chaque survivant est bouleversé et peut être traumatisé.

Cherblanc (2010) et Joseph (2011) expliquent que 9 à 18 mois après le séisme, le tremblement de terre

en tant que choc n’est plus la raison principale des demandes en activités psychosociales. Le séisme a

aggravé les problèmes préexistants en Haïti par la réduction des capacités et l’augmentation de

la vulnérabilité de la population. Jusqu’à présent, de nombreux Port-au-Princiens vivent dans des

conditions inhumaines dans des camps. Ils sont exposés à plusieurs risques, tels que des booms de

natalité et d’infections au VIH/SIDA, des grossesses chez des jeunes filles, la rupture des liens

interpersonnels et communautaires et la violence. Ces problématiques sont le résultat de

l’éparpillement des familles, de la désorganisation des réseaux sociaux, de la destruction des

ressources communautaires, des conditions de vie difficiles, de la promiscuité et de l’insécurité sur les

sites.

Dans le Plan d’action de la République d’Haïti (Gouvernement de la République d’Haïti, 2010b, p.

8), une des priorités était de construire « une société où l’ensemble des besoins de base de la

population sont satisfaits en termes quantitatif et qualitatif ». Le séisme a affecté la société haïtienne

dans sa totalité. Les besoins primaires de la population se sont accrus. Même si le cours "normal" de

la vie semble avoir repris, des craintes sont toujours présentes, par exemple « la peur du béton »37

.

Depuis le 12 janvier, des activités psychosociales ont été organisées pour les individus, les

communautés et le grand public (Cherblanc, 2010 ; Joseph, 2011). Plus d’Haïtiens consultent des

psychologues et du personnel paramédical pour un appui psychosocial, voire une « psychothérapie

cognitivo-comportementale »38

. Ceci est un phénomène nouveau, qui indique que les besoins, les

37 Un grand nombre de Port-au-Princiens a vu des bâtiments en béton s’effondrer pendant le séisme. Depuis, ils ont développé une peur pour des immeubles en béton. Cette crainte peut être si intense qu’ils n’osent plus habiter ou dormir dans leur maison en béton, même si elle a résisté au tremblement de terre.

38 Une thérapie brève (maximum 5 à 10 séances) où la stabilisation/relaxation et l’identification des besoins, des pensées, des émotions et des comportements est essentielle. L’objectif est que la personne puisse reprendre sa vie "normale" en

minimisant les réactions et émotions négatives (Cherblanc, 2010, p. 14).

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mentalités et les comportements ont changé suite au séisme. Les Haïtiens sont plus conscients que la

santé psychosociale joue un rôle important dans leur bien-être et celui de la société.

Le séisme a dévoilé en Haïti un besoin massif et urgent pour la création de services de santé

mentale et d’accompagnement psychosocial (Haïti Sommet de la Santé Mentale, 2010). Comme

souligné, avant le séisme, le système de santé haïtien était de mauvaise qualité et inaccessible pour la

majorité de la population. Aujourd’hui, il y a de nombreux intervenants sur le terrain39

(Cherblanc,

2010). Les programmes psychosociaux offerts par des ONG et instances internationales ont certes

permis de prendre en charge gratuitement des personnes qui en avaient besoin. Par contre, ils forment

un système parallèle et non coordonné vis-à-vis du secteur public haïtien et des associations nationales

et communautaires (Joseph, 2011). On peut se poser des questions sur la finalité des interventions,

leurs conditions d’exécution et leurs aspects éthiques et déontologiques, car souvent les activités se

sont déroulées sans connaissance du contexte, sans plan et sans réelle coordination. Il sera

prépondérant de fonder des appuis psychosociaux locaux, adaptés, accessibles pour tous

(physiquement et financièrement) et coordonnés avec l’aide internationale. La vulnérabilité des

Haïtiens peut être diminuée par un accès universel aux services sociaux de base. Ces services ne

doivent plus être un privilège, mais un droit pour tous. Il faut les développer, les renforcer et en faire

profiter tous les Haïtiens, également les habitants des camps. L’Etat doit adopter une politique, des

programmes et une législation sur la santé mentale. Il faut promouvoir et populariser la psychologie

par des campagnes d’éducation et de sensibilisation. Il est important d’appuyer la recherche et de

former du personnel. Enfin, il est indispensable de travailler à vaincre la stigmatisation et la

discrimination des malades mentaux et des handicapés, de même que le tabou et la honte associés aux

problèmes psychosociaux. Un groupe de travail « Santé Mentale et Soutien Psychosocial » s’est mis

en place pour élaborer un plan de santé mentale et organiser la continuité ainsi que l’appropriation des

interventions psychosociales par des instances haïtiennes.

5. CAMPEMENTS DE SANS-ABRI ET DEPLACES INTERNES

5.1. Cadre théorique : « Sustainable Urban Livelihoods Framework »

A cause du séisme, environ un sixième de la population haïtienne, soit 1.5 million d’Haïtiens sont

devenus des sans-abri et déplacés internes. Partout à Port-au-Prince, des campements improvisés

et mal localisés ont été érigés pour et par les déplacés. Certains ont élu domicile sous les bâches parce

qu’ils ont perdu leurs maisons. D’autres se sont installés dans des camps à cause de

39 L’ONU, les ONG, les universitaires, les associations haïtiennes et le Gouvernement.

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l’appauvrissement : ils n’ont plus les moyens financiers pour payer le loyer de leur maison et espèrent

avoir accès à l’aide humanitaire ainsi qu’à des services de base. D’autres encore dorment dans des

tentes pour se protéger du béton, même si leur maison a été épargnée40

(Amnesty International, 2011).

Environ deux ans après le séisme, plus de 500.000 Haïtiens sont toujours logés dans des abris

précaires dans les rues, sur les places publiques, sur des terrains privés et dans d’autres espaces

accessibles (OIM, 20/08/2011, 17/01/2012). Les camps "provisoires", initialement constitués de tentes

construites avec des bâches en plastique et des toiles, ont évolué avec le temps. Les tentes se sont

fortifiées avec du carton, du bois et des tôles pour devenir des "refuges durables" (Baron & Trouillot,

2010). Les conditions de vie diffèrent d’un camp à l’autre, dépendant de la présence et de la gestion

par des agences (inter) nationales (Amnesty International, 2011). Néanmoins, les camps "transitoires"

ne peuvent pas offrir une solution durable pour le déplacement et la pauvreté endémique. Ils

deviennent pourtant de "véritables habitats", de "nouveaux bidonvilles", où les défavorisés

s’installent de façon permanente (Schüler, 12/01/2012).

Le schéma ci-dessous (Image 3) montre le « Sustainable Urban Livelihoods Framework », un cadre

théorique utilisable pour comprendre et expliquer la survie des ménages pauvres. Les personnes

désavantagées, c’est-à-dire les habitants des camps, ne sont pas seulement des "victimes" ayant (sur)

vécu (à) une expérience traumatisante. Ce sont aussi des "acteurs" qui doivent s’organiser chaque jour

pour survivre, malgré les séquelles psychosociales et un accès difficile à des services de base et à un

revenu adéquat. Comment font-ils pour survivre ? Quels sont les moyens de subsistance ? Quelles sont

les ressources utilisées et les difficultés rencontrées ? « Un livelihood comprend les capacités, les

ressources et les activités qui sont nécessaires pour prévoir dans les moyens de subsistance »

(Chambers & Conway, 1992, p. 6). Le mot réfère donc à la survie quotidienne, aux moyens de

subsistance disponibles ou nécessaires pour survivre (Scoones, 2009). « Urban » signifie que l’on

s’intéresse aux zones urbaines comme la ville de Port-au-Prince. « Sustainable » veut dire que les

capacités, les ressources et les activités pour survivre sont durables, elles peuvent affronter le stress et

récupérer d’un choc.

40 « Crainte du béton ».

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Image 3. Sustainable Urban Livelihoods Framework.

(Source : Adapté d’Ashley & Carney, 1999, p. 47)

Une analyse des « livelihoods » ne part pas de la privation des personnes démunies, mais de leurs

capacités et de leurs forces. La pauvreté et la vulnérabilité sont définies comme dynamiques.

L’homme évolue continuellement en fonction du contexte de vulnérabilité, c’est-à-dire en fonction

de « trends, shocks, culture » (Meikle, Ramasut & Walker, 2001). Les humains se forgent un mode de

vie en s’appuyant sur plusieurs ressources dans des contextes différents. Ils peuvent utiliser le

« capital naturel » (parcelle de terre, eau, forêts), le « capital humain » (éducation, santé,

compétences, savoir-faire, main-d’œuvre), le « capital financier » (travail (in) formel, revenus, compte

d’épargne, prêts d’argent, fonds financiers envoyés par la diaspora), le « capital physique » (accès aux

infrastructures d’eau et d’électricité, logement) et le « capital social » (réseaux sociaux et religieux,

affiliation, famille, amis). Quelquefois, un sixième capital est pris en compte : le « capital politique »

(voix, pouvoir de se faire entendre et d’exprimer ses besoins). Ces ressources sont combinées dans

différentes stratégies de survie. Des facteurs institutionnels (in) formels (gouvernement, secteur

privé, cadre législatif, culturel et socioéconomique, relations au pouvoir) influencent l’accès aux

moyens de subsistance ainsi que les stratégies pour survivre (Scoones, 2009). Finalement, les

stratégies peuvent aboutir à des résultats positifs, tels que plus de revenu, un mieux-être et une

augmentation de la résilience. Par contre, le séisme est un « shock » qui a réduit les capacités et

ressources, perturbé les stratégies de survie, accru la vulnérabilité et provoqué des résultats négatifs.

Beaucoup d’Haïtiens ont perdu tous leurs biens. Par la destruction des institutions et des services

sociaux et par une rupture des moyens de subsistance, les hommes/femmes ont du mal à assumer leurs

rôles sociaux en tant que pourvoyeurs des besoins de leurs enfants (Joseph, 2011). Des couches plus

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nombreuses de la société se sont retrouvées dans des conditions de vie pénibles, dans la pauvreté, dans

l’exclusion sociale et en mauvaise santé.

5.2. Survie quotidienne dans les camps

5.2.1. Difficultés

La majorité dans les camps "vit au jour le jour". Survivre est la règle. La crise humanitaire et celle des

droits humains persistent sur les sites, puisque les habitants ont faim et souffrent du manque d’accès à

l’eau potable (Adam, 2010 ; Amnesty International, 2011 ; CRESFED, 2010). Les déplacés vivent

dans des conditions inhumaines. L’absence de logement décent, la carence d’infrastructures et de

services primaires (réservoirs d’eau, latrines, douches, poubelles, mesures d’assainissement et

d’électricité), le manque d’hygiène et les conditions sanitaires lamentables, les insectes et les rats, la

précarité, la promiscuité, l’insécurité alimentaire avec la sous-alimentation dans certaines familles, et

l’intimité mise à nu constituent des difficultés quotidiennes. Les habitants des camps sont exposés à

toutes sortes de dangers sociaux (insécurité, viols, vols, banditisme), de maladies (choléra41

, MST,

VIH/SIDA, migraine, dépression) et de conditions climatiques ardues (soleil et chaleur ; cyclones,

vents, pluies, inondations et boue). De plus, les sans-logis sont régulièrement exclus d’accès aux soins

de santé et à l’éducation. L’absence de l’Etat et des autorités publiques dans les camps ainsi que

l’incapacité des organisations (inter) nationales à répondre aux besoins de la population les obligent à

trouver des solutions à leurs problèmes.

Dans les camps, les droits humains et socioéconomiques des déplacés, en particulier ceux des femmes,

des adolescents et des enfants sont régulièrement menacés, voire violés (Amnesty International, 2011).

Ces communautés sont devenues plus vulnérables aux situations de violence, d’exploitation et d’abus

à cause du déplacement et de la rupture des réseaux sociaux qui les protégeaient auparavant. Depuis le

séisme, les violences sexuelles ont augmenté (CHRGJ, 2011 ; OIM, 17/05/2011). Les filles/femmes

sont exposées à une insécurité accrue, souvent victimes de viol ou d’attouchements. Elles vivent dans

une peur constante et se sentent humiliées et démunies de ne pas pouvoir dénoncer leurs agresseurs

(hommes armés et jeunes des gangs), qui perpétuent souvent leurs agressions masqués pendant la nuit.

De nombreux cas de violences sexuelles ne sont ni signalés, ni soignés médicalement. A cause des

moyens financiers limités de la victime, de la stigmatisation, de la honte, de la crainte de représailles,

de la méfiance envers la police et la justice, et du climat d’impunité qui règne en Haïti, les victimes

sont souvent peu disposées ou incapables de chercher de l’aide. Il y a sans doute une sous-estimation

du phénomène.

41 A la mi-décembre 2011, plus de 500.000 personnes ont été infectées par l’épidémie de choléra. D’après l’OPS, près de 7000 en sont décédées (Le Monde, 12/01/2012).

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5.2.2. Ressources

La détermination des personnes défavorisées pour affronter la réalité du post-séisme dans les camps

est frappante. Une ressource importante, pendant et après le séisme, a été la religion faisant partie du

capital social. En Haïti, il y a une diversité religieuse (OMS/OPS, 2010). Les religions les plus

répandues sont le vaudou, le catholicisme et le protestantisme. La foi s’est propagée avec un nombre

croissant de nouveaux convertis au protestantisme et une montée de différents syncrétismes42

(Lahens,

2010 ; Le Nouvelliste, 2010). Les Haïtiens cherchent un sens au séisme, une consolation et un but dans

leur vie. Pour les démunis, l’Eglise est souvent le seul groupe d’appartenance. La foi permet de

maintenir l’estime de soi et de susciter de l’espoir dans les pires conditions de vie. Les pratiques

religieuses aident à faire face aux problèmes psychosociaux. Elles représentent un système parallèle de

santé, dans lequel les chefs religieux font des "consultations" et soutiennent les pauvres en leur

donnant de la nourriture et en les aidant à trouver un logement (OMS/OPS, 2010). Un peuple sans

dirigeants, ce qui est le cas du peuple haïtien, est obligé de recourir à des explications religieuses pour

comprendre certains phénomènes et résoudre des problèmes (CRESFED, 2010) :

« A mon avis, les sinistrés sans référence matérielle, avaient pour unique recours l’appel à une

force transcendante, vu qu’ils ne pouvaient compter sur aucune prise en charge par le

gouvernement. »

(Rousseau, cité dans CRESFED, 2010, p. 12)

D’autres atouts sont le dynamisme, la créativité et la résilience des rescapés vivant dans les camps,

c’est-à-dire le capital humain. Les personnes marginalisées sont susceptibles de penser et d’agir pour

et par eux-mêmes. Ils ont des capacités d’initiative et d’organisation. Suite à la destruction des écoles,

ils se sont organisés pour ériger des tentes provisoires dans les camps pour la réouverture des classes

(Jean, 2011). Selon Stéphanie Renauld Armand (2011, p. 194), c’est cette force de vie qui fait croire à

un avenir meilleur pour Haïti :

« Les Haïtiens sont un peuple de survivants, de résistants, de résilients, habitués à survivre, à traverser les difficultés. C’est à ce miracle que l’on veut croire aussi pour le pays. »

Dû à l’absence des autorités nationales et aux lacunes des ONG, "la débrouillardise" et "la survie"

demeurent les devises de nombreuses personnes dans les campements, même si un mieux-être est

réclamé43

(Baron & Trouillot, 2010 ; Gouvernement du Canada et al., 2011). Dans la survie

quotidienne, la nourriture et le travail sont importants. Les camps sont marqués par une hétérogénéité

d’habitants et d’activités exercées. Le secteur informel constitue le poumon de l’économie haïtienne

couvrant 80% des emplois urbains (Le Nouvelliste, 2010). Certains Port-au-Princiens entreprennent

des activités de commerce informel (vente de nourriture, d’eau potable, d’alcool, de cigarettes, de

produits cosmétiques, de cartes téléphoniques), d’autres travaillent comme chauffeur-taxi, d’autres

42 Par exemple, un mélange du vaudou et de la croyance chrétienne.

43 En particulier un logement, du travail et de meilleures conditions de vie.

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encore se lancent dans des activités illégales (prostitution, vol, trafic de drogue et d’armes)

(CRESFED, 2010). En 2010, des agences onusiennes (PNUD et PAM) en collaboration avec des ONG

et des acteurs locaux ont engagé plus de 240.000 sinistrés dans des initiatives de relance économique

qui nécessitent une haute intensité de main-d’œuvre (HIMO) (PNUD, 2010). Les programmes

« Argent-contre-Travail » et « Vivres-contre-Travail » ont fourni un emploi aux populations privées

de moyens de subsistance. Ils ont permis de déblayer les rues de Port-au-Prince, de nettoyer les canaux

d’évacuation d’eau et de ramasser les ordures dans les quartiers dévastés. Cependant, ces programmes

pour soulager la pauvreté renforcent la concurrence et l’individualisme (CRESFED, 2010).

5.3. Différentes perspectives d’avenir

Une citation dans le documentaire du Miami Herald et El Nuevo Herald (2011) illustre comment les

rêves, les ambitions et les perspectives d’avenir des Haïtiens se retrouvent sous tension :

« Le tremblement de terre, de moins de 40 secondes, a disséminé les aspirations des Haïtiens

pour un avenir meilleur. Haïti a connu la catastrophe naturelle la plus dévastatrice de son

histoire. Déjà très touchée par la misère et le désarroi, l’envie haïtienne de survivre est de nouveau défiée et en danger. »

Comme souligné plus haut, malgré la démotivation, le découragement et la misère, de nombreux

Haïtiens font preuve de courage, d’une capacité à résister, à s’adapter et à retourner les épreuves en

énergie vitale et en ingéniosité. Ils restent debout, gardent l’espoir dans un bel avenir à accomplir et ne

baissent pas les bras face aux difficultés. Ils ont appris à être résilients, à s’organiser face à l’adversité.

Cette « résilience »44

peut aussi signifier la « résignation »45

(CRESFED, 2010 ; Jean, 2011 ; Joseph,

2011). Elle risque d’établir une lutte désespérée pour la survie et la gestion de la misère, sans arriver à

devenir un combat contre l’exclusion, pour plus de prospérité, pour la pleine dignité, équité et

citoyenneté, c’est-à-dire pour une "nouvelle Haïti". Il y a une grande différence entre « survivre » et

« vivre » (Lahens, 2010). La plupart des Haïtiens "se débrouillent" pour survivre chaque jour et se

résignent dans leur situation. Individuellement et collectivement, ils méritent de meilleures conditions

de vie ; ils devraient pouvoir vivre au lieu de survivre.

La religion a été citée comme ressource, puisqu’elle véhicule des notes d’espoir pour un lendemain

meilleur et procure un sentiment de contrôle sur le destin. Cependant, si la foi est une force, elle est

aussi une faiblesse. Pour de nombreux Port-au-Princiens, l’avenir est soumis à la volonté de Dieu

(CRESFED, 2010). Ainsi, la religion est « l’opium du peuple », qui déresponsabilise l’Etat et garde les

pauvres dans des mentalités de fatalisme, d’attentisme, d’assistanat et de dépendance. La "culture de

44 Capacité pour un individu à faire face à une situation difficile ou stressante. Faculté à vaincre des situations traumatiques. Efforts de résistance et d’adaptation pour que la vie triomphe dans les pires conditions.

45 Fatalisme, acceptation, renoncement, abandon.

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l’assistanat" est par ailleurs nourrie par certaines ONG et par les transferts d’argent et de nourriture de

la diaspora. Elle est présente chez le peuple haïtien, mais aussi chez les autorités, les partis politiques

et la société civile.

Les jeunes46

joueront un rôle important dans le redressement, le développement et le changement

d’Haïti. Malheureusement, ces jeunes ne sont pas assez vus, entendus et impliqués dans la

gouvernance du pays, même si une gouvernance inclusive est essentielle dans toute démocratie

(Gouvernement du Canada et al., 2011 ; Jean, 2011). A côté de la religion, l’enseignement est

considéré comme source d’espoir. Les catégories défavorisées sont persuadées que l’éducation les

aidera à sortir de la pauvreté, car les connaissances permettent d’avoir plus de contrôle sur l’avenir et

de réaliser un futur meilleur. Il sera donc primordial d’investir davantage dans ce domaine (Adam,

2010 ; Baron & Trouillot, 2010). Pour Michaëlle Jean (Gouvernement du Canada et al., 2011 ; Jean,

2011), il est indispensable de construire un système d’éducation public pour que l’instruction soit

accessible pour tous. L’UNESCO veut investir dans l’école fondamentale, les études supérieures et les

formations professionnelles afin que les jeunes ne soient pas au chômage, mais trouvent des

débouchés de travail, parce que sans emploi, ils forment des proies faciles pour les organisations

criminelles. Le Président Martelly a un programme d’éducation universelle et gratuite pour les

enfants/jeunes désavantagés. Par contre, à la rentrée 2011, ce programme n’était pas encore implanté.

Les belles paroles deviendront-elles réalité ?

46 Ceux en-dessous de 21 ans constituent 50% de la population haïtienne.

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III. REALITES DANS DEUX CAMPS EN SEPTEMBRE 2011

En septembre 2011, un travail de terrain a été effectué dans deux camps de Port-au-Prince : les Camps

du Pétion-Ville Club et du Terrain Boulos. Cette partie comprend trois sections. La première section

explique le protocole de recherche. La deuxième section développe la méthodologie et le déroulement

du travail de terrain. La troisième section présente les résultats.

1. PROTOCOLE DE RECHERCHE

1.1. Objectif général, objectifs spécifiques et démarcation de l’échantillon

La recherche veut obtenir une image diversifiée et élaborée des impacts psychosociaux du séisme de

2010 en Haïti. L’objectif général est de conduire une étude qualitative, partant des points de vue et

des expériences personnelles de jeunes haïtiens, faisant partie des couches sociales les plus démunies

et vivant dans des camps de Port-au-Prince. L’attention est portée sur un échantillon d’une vingtaine

de jeunes défavorisés de la tranche d’âge de 15 à 25 ans dans des campements, c’est-à-dire des

adolescents et des jeunes adultes, garçons et filles mélangés.

Plusieurs rapports décrivent les services psychosociaux proposés par des institutions et des

organisations (inter) nationales. Cette étude veut saisir les besoins psychosociaux des jeunes des

camps en effectuant un travail de terrain. D’abord, le chercheur veut rassembler des informations

sur le contexte par une étude exploratoire des camps. Ensuite, le but est de faire des entretiens

individuels et un focus groupe avec un échantillon limité de participants. Le chercheur espère apporter

une meilleure compréhension de ce qui constitue le bien-être général des jeunes étudiés.

L’étude a trois objectifs spécifiques :

Un premier objectif est de (re) connaître les expériences traumatisantes pendant et après le

séisme ainsi qu’en septembre 2011. Il est primordial d’écouter comment la jeunesse a vécu le

séisme et vit le post-séisme, et d’explorer avec eux des pistes pour retrouver leur santé

psychosociale et reprendre leur avenir en main.

Un deuxième objectif est de mieux comprendre l’organisation de la survie quotidienne dans les

camps : les activités de survie exercées par les jeunes, les difficultés qu’ils doivent affronter et

les ressources sur lesquelles ils peuvent s’appuyer. On examine aussi l’aide reçue, entre autres

par le biais des ONG.

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42

Un troisième objectif est de recueillir quelques-unes des perspectives d’avenir et des attentes

des jeunes vis-à-vis de l’Etat, des Haïtiens et de l’International. Ils ont des besoins, des

aspirations et des perceptions d’avenir.

Il est essentiel d’en savoir plus sur les traumatismes, la survie et les perspectives d’avenir de jeunes

haïtiens désavantagés de 15 à 25 ans habitant dans des camps. Ces jeunes ne sont pas seulement des

"victimes" passives du séisme, ils sont aussi des "acteurs" dans la reconstruction et le

développement d’Haïti. Ils seront les bâtisseurs de l’avenir d’Haïti et joueront un rôle dans la

transformation de leur pays. Par la collecte de témoignages, l’étude veut donner "une voix" aux jeunes

démunis. Elle souhaite offrir la parole à une population vulnérable, quelquefois oubliée ou négligée,

mais qui peut participer à lancer Haïti sur la voie du développement, à condition que leurs

traumatismes soient surmontés, leur survie soit facilitée et leurs attentes soient satisfaites.

Cette étude permettra une meilleure approche humanitaire et politique, notamment par une

meilleure concertation entre jeunes haïtiens victimes du séisme et professionnels humanitaires, entre

jeunes défavorisés et autorités au niveau micro, meso et macro. Une bonne synchronisation entre tous

les Haïtiens, et l’ajustement entre la communauté haïtienne et internationale sont indispensables pour

développer Haïti. Les autorités locales et nationales, ainsi que l’aide humanitaire et la coopération au

développement, seront en mesure de mieux répondre aux besoins et aux attentes des jeunes, en sachant

ce que sont leurs traumatismes, comment se déroule leur survie et quelles sont leurs perspectives

d’avenir.

En récapitulatif, cette étude désire contribuer à une concordance plus optimale entre les besoins et

les réponses47

en matière de santé et de services psychosociaux. Le secteur de la santé doit être en

mesure de répondre aux besoins des Haïtiens et être accessible pour tous. Une bonne santé

biopsychosociale chez les jeunes démunis est primordiale pour leur bien-être, celui de la société et

d’Haïti toute entière. Nous nous attarderons surtout sur l’aspect psychosocial.

1.2. Questions de recherche et hypothèses

La question principale de la recherche peut être formulée ainsi : « Quels sont les impacts

psychosociaux du séisme de 2010 sur des jeunes dans des camps de Port-au-Prince ? »

Etant donné que cette question est générale et abstraite, elle a été divisée en trois grandes questions,

subdivisées à leur tour en petites questions concrètes, regroupées dans un questionnaire (Annexe II).

47 Dans des termes psychosociaux, on parle de besoins et de réponses. Dans des termes économiques, demande et offre sont

plus appropriés.

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1) « Comment les jeunes des camps ont vécu le tremblement de terre et quels sont les

traumatismes ? »

2) « A quoi ressemble la survie quotidienne dans les camps ? »

3) « Quelles sont les perspectives d’avenir et les attentes des jeunes ? »

La première hypothèse postule que le séisme a laissé des cicatrices psychosociales auprès des jeunes

haïtiens, même s’il y a des différences d’un individu à l’autre. Dépendant de la vulnérabilité préalable

et de la personnalité, en combinaison avec le vécu et le degré de perte, des traumatismes individuels

persisteront. Il est peut-être même approprié de parler d’un traumatisme collectif au sein du peuple

haïtien. Selon cette hypothèse, il y aura des différences et des ressemblances dans les expériences

(pensées, sentiments et comportements) des jeunes désavantagés pendant et après le séisme. Il y aura

aussi des parallèles dans les pertes subies et les expériences actuelles.

La deuxième hypothèse suppose que la jeunesse haïtienne des camps exerce des activités pour

"survivre au jour le jour". Elle rencontre des difficultés et utilise différents types de ressources

(humaines, sociales, physiques, financières, naturelles et politiques). Certaines ressources sont plus

utilisées, permettent de mieux surmonter la catastrophe naturelle et davantage faire face aux défis de la

survie quotidienne. Recevoir un accompagnement psychosocial suite au séisme peut permettre aux

jeunes de comprendre ce qui s’est passé, les aider à se redresser et leur permettre de continuer à croire

dans leurs capacités et dans un futur meilleur. La religion et le réseau social forment aussi un soutien.

La troisième hypothèse estime que les jeunes démunis ont des besoins, des attentes, des aspirations et

des perspectives d’avenir. L’étude essaie d’en savoir plus sur les besoins urgents, les professions

futures envisagées, les visions et les plans d’avenir. L’hypothèse prévoit que certains jeunes

perçoivent leur avenir de façon optimiste (ils ne baissent pas les bras, gardent le courage et la

motivation), tandis que d’autres le voient de façon pessimiste (ils sont découragés, désespérés,

démotivés). Elle prédit qu’une partie des jeunes a des projets d’avenir idéalistes, alors que l’autre

partie est plus réaliste. Enfin, elle suppose que les jeunes ont des attentes envers l’Etat, les Haïtiens et

l’International (logement fixe, accès à l’éducation et à la santé, création d’emplois, précautions

parasismiques, stabilité sociopolitique, sécurité, etc.).

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2. METHODOLOGIE ET DEROULEMENT DU TRAVAIL DE

TERRAIN

2.1. Analyse du contexte : Camps du Pétion-Ville Club et du Terrain Boulos

L’objectif général de la recherche a été atteint par une étude de cas de jeunes dans deux camps de

Port-au-Prince, respectivement le Camp du Pétion-Ville Club et le Camp du Terrain Boulos. Ce

sont deux camps parmi beaucoup d’autres qui ont accueilli les sans-abri et les déplacés de la capitale

haïtienne suite au séisme. L’Image 4 révèle l’envergure et l’organisation du Camp du Pétion-Ville

Club, constituant l’un des camps les plus grands et les plus peuplés.

Image 4. Vue aérienne du Camp du Pétion-Ville Club.

(Source : J/P HRO, 2010)

L’Image 5 montre que les camps analysés sont situés à proximité des zones résidentielles. De

nombreux relogés vivant dans les camps sont originaires des quartiers environnants.

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Image 5. Vue aérienne des Camps voisins du Pétion-Ville Club et du Terrain Boulos avec les quartiers résidentiels environnants.

(Source : J/P HRO, 2010)

2.1.1. Gestion des deux camps par J/P HRO

Les camps avoisinants sont gérés par une ONG américaine sous le leadership de l’acteur et de

l’activiste "philanthrope" Sean Penn : « Jenkins/Penn Haitian Relief Organization », J/P HRO

(abrévié J/P). J’ai contacté J/P pour demander si je pouvais effectuer un travail de terrain dans les

camps qu’ils dirigent, car ceux-ci sont connus pour être relativement sécuritaires et accessibles pour

les étrangers. Avoir accès à un contexte sécurisé assurait la faisabilité de la recherche, étant donné que

je suis une jeune "blanche"48

. Le 15 septembre 2011, j’ai été invitée pour un entretien. J’ai fait

connaissance avec une partie du staff de J/P49

: Ira (community project manager), Dorémi (leader du

« Hope Team »50

dans le Camp Boulos) et deux adolescentes également impliquées sur la base du

volontariat dans le Team Hope. Des informations sur la vision et le fonctionnement de J/P dans les

camps m’ont été fournies. J’ai signé un formulaire affirmant respecter le code éthique et

déontologique.

48 "Blanc" désigne toute personne étrangère en Haïti. 49 Le staff est constitué d’environ 215 employés dont la majorité est d’origine haïtienne. 50 Comité de jeunes volontaires dans le Camp du Terrain Boulos. Les jeunes dans l’équipe ont été formés par J/P HRO pour devenir des leaders communautaires locaux et organiser des activités d’animation (artistiques, sportives, ludiques et

didactiques) pour les enfants/jeunes du camp. J/P HRO travaille beaucoup sur la base du volontariat pour tenter de renforcer et de responsabiliser la communauté du camp, et pour les inciter à prendre leur avenir en main.

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J/P est une organisation fondée quelques jours après le séisme. Elle est active sur le terrain « pour

aider les Haïtiens à se remettre de cette catastrophe et pour les aider à bâtir un avenir meilleur »

(Entretien avec Ira, Dorémi et deux autres jeunes volontaires du Team Hope dans un local de J/P HRO

à Delmas 48, 15/09/2011 ; J/P HRO, 16/09/2011). Elle dirige deux camps de taille et population

considérables. En avril 2010, elle est devenue gestionnaire du Camp du Pétion-Ville Club51

. En

décembre 2010, elle a commencé à administrer le Camp du Terrain Boulos52

. En septembre 2011,

approximativement 23.000 déplacés résidaient dans ces deux camps. La mission de J/P se résume

ainsi : « sauver des vies en apportant des solutions durables rapidement et efficacement au peuple

haïtien ». Le but ultime de l’ONG est que « les personnes déplacées des camps dont elle a la charge

retournent dans leur quartier d’origine dans des conditions viables à long terme et avec un accès à

des services de base de qualité ».

Dans la phase d’urgence, J/P donnait surtout de l’eau, de l’aide alimentaire et des soins médicaux.

D’autres organisations53

étaient également présentes. Dans la phase de reconstruction et de

réhabilitation, J/P fournit des services holistiques et intégrés. Elle est devenue la principale

responsable des deux camps qu’elle gère et elle travaille en étroite collaboration avec des groupes

communautaires locaux, le Gouvernement haïtien et des ONG « pour servir les personnes les plus

vulnérables d’Haïti et fournir des services et des ressources essentielles aux résidents des camps ».

Les priorités en 2011 étaient de continuer le déblayage des rues/quartiers, de réparer et de

reconstruire les maisons ravagées par le séisme et d’encourager les relocalisations des habitants des

tentes vers leurs zones résidentielles d’origine. La stratégie de J/P consiste à « harmoniser les

services des camps avec ceux des quartiers environnants pour encourager les 23.000 résidents à

quitter les camps, à retourner chez eux et à recommencer leurs vies ». L’Annexe I montre que ces

services s’alignent sur les cinq programmes que J/P gère.

2.1.2. Etude exploratoire des camps

Il était instructif de faire un "tour" des camps pour me forger une idée du contexte de la recherche et

pour observer ce que faisaient les jeunes durant la journée, quelles étaient leurs conditions de vie et

quelles similarités et/ou distinctions socioéconomiques existaient. Cela permettait aussi d’avoir des

conversations informelles avec des résidents. Dorémi était mon facilitateur54

. Ceci constituait un atout

important vu qu’il était leader du Hope Team et un habitant du Camp Boulos, familier avec le

51 Terrain privé faisant partie d’un club où l’élite haïtienne et les expatriés jouaient au golf. Les résidents sont logés sur la pente du terrain de golf. 52 Terrain privé appartenant à la famille Boulos. 53 Par exemple, la Croix-Rouge Internationale, OXFAM, Handicap International, OIM et IsraAid.

54 Il me guidait dans ma "visite" et m’assistait durant quelques interviews.

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contexte, en mesure de répondre à mes interrogations ainsi qu’à celles des habitants des camps55

et

capable de donner des informations.

Ce tour m’a permis d’en savoir plus sur une réalité complexe. Il s’est révélé riche en observations,

impressions et sensations. La façon dont s’était développée la vie dans les camps, malgré la pauvreté

et les conditions de vie ardues, m’a étonnée. Les deux camps sont aménagés et divisés en zones,

dirigées par des leaders communautaires. La structure s’est faite avec l’implication des résidents. Par

exemple, la construction de canalisations prévues pour l’écoulement des eaux de pluie a été réalisée

par les Haïtiens, sous la direction des ONG, dans le cadre de programmes « Cash-for-Work » ou

« Food-for-Work ». Toutefois, ces projets n’ont pas été conçus sur le long terme, l’impératif déclaré

étant de relocaliser le plus rapidement possible les déplacés dans leurs résidences et quartiers

d’origine. Même si J/P encourage les retours progressifs, je trouvais que les camps ressemblaient à

des "villages en soi", à des "nouveaux bidonvilles". Les personnes défavorisées n’y vivent pas

provisoirement, mais s’installent dans la permanence ; des arguments également avancés par Schüler

(12/01/2012). Les camps sont pourvus de marchés, d’épiceries (Image 6), de restaurants, de bars, d’un

poste de la MINUSTAH et de la Police Nationale, de garderies, de centres communautaires, d’une

école et d’une église. La plupart des infrastructures et des services sont construits et maintenus avec de

faibles moyens, prouvant l’ingéniosité et la "débrouillardise" des Haïtiens démunis.

Image 6. Epicerie dans le Camp du Pétion-Ville Club.

(Source : Photo personnelle, 2011)

55 Les résidents des camps étaient souvent curieux, hésitants ou méfiants de ma présence.

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L’autonomie apparente des habitants m’a davantage marquée que la présence et les actions de J/P,

mais les logos d’agences (inter) nationales56

sont visibles sur les tentes, l’hôpital, la pharmacie et

l’Ecole de L’espoir. Ces organisations ont installé des lumières, des poubelles et des latrines, initié des

campagnes de sensibilisation au choléra et organisé des activités socioculturelles, tant ludiques

qu’éducatives57

.

Lors de ma première visite, j’ai constaté des différences dans les "tentes". Certaines sont habitées

par 2 à 13 personnes, d’autres par 1 seul individu. Les résidents vivent avec des membres de la

famille, des amis ou des inconnus. Des distinctions dans la taille et les matériaux utilisés pour bâtir les

tentes sont remarquables. La plupart sont construites avec des bâches en plastique et des toiles,

d’autres avec du carton, du bois et des tôles. Ces observations ont été faites aussi par Baron et

Trouillot (2010). Selon moi, ces différenciations résultent d’une hiérarchie socioéconomique au sein

de la population des camps58

et exhibent la pérennisation des refuges, initialement conçus pour être

provisoires. Lors d’une intempérie, j’ai pu m’abriter sous une tente et apercevoir l’intérieur. Il faisait

chaud et sombre. L’espace de vie était restreint. Tous dormaient par terre sur un drap ou un tapis. La

famille avait peu de biens matériels. Malgré la pauvreté, elle essayait d’habiller l’habitation avec les

moyens disponibles (rideaux) pour la rendre viable et hospitalière.

Dans les conversations informelles, des résidents me confiaient qu’ils s’imaginent vivre encore

longtemps dans les camps, en dépit des relocalisations initiées. Soit les familles sont désillusionnées

par la lenteur et l’inefficacité des efforts accomplis par les pouvoirs publiques et les ONG, soit elles

n’ont point envie de rentrer chez elles. Certains habitants sont résistants à l’idée de réintégrer leurs

domiciles en béton, par crainte d’un nouveau séisme. D’autres sont récalcitrants à se reloger dans leurs

quartiers d’origine, car la vie y serait pire que dans les camps. En effet, le séisme n’a souvent pas

seulement anéanti leurs résidences, mais aussi leurs « livelihoods »59

. Malgré les difficultés, les camps

offrent des opportunités. Les plus démunis peuvent "bénéficier" de l’aide présente et des services

offerts, des "privilèges" qu’ils n’auront plus une fois qu’ils quitteront les camps. De retour chez eux, la

survie sera compliquée, étant donné qu’ils devront subvenir seuls à leurs besoins, souvent sans emploi

et avec de faibles moyens. Ainsi, ils s’inscrivent dans une logique d’assistanat, souvent cultivée par

l’aide (inter) nationale. Lahens (2010) avait signalé cette « perversion de l’aide ».60

56 UNICEF, USAID, Croix-Rouge, OXFAM et J/P HRO. 57 Par exemple, des ateliers d’artisanat et de danse, mais aussi des cours de langue et d’alphabétisation. 58 Certaines familles vivant dans les camps ont plus de moyens financiers que d’autres. La hiérarchie de classes que l’on retrouve dans la société haïtienne est aussi présente dans les camps, évidemment avec des différences plus subtiles. 59 « Livelihood » signifie les capacités, les ressources et les activités nécessaires pour prévoir dans la survie. Il s’agit des moyens de subsistance utilisés, des stratégies d’adaptation pour survivre (Chambers & Conway, 1992 ; Scoones, 2009).

60 Selon elle, par un cercle vicieux, l’aide pervertit ceux qui donnent et ceux qui reçoivent.

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2.2. Interviews individuelles

L’Annexe II montre que les entretiens personnels comprenaient trois parties : une introduction, un

développement avec plusieurs questions en rapport avec les trois questions de recherche et une

conclusion.

Dans l’introduction, j’ai fait la connaissance des jeunes. Dorémi m’introduisait, je me présentais et

j’expliquais les objectifs de l’étude. J’ai informé les jeunes que je ne travaillais pas pour une ONG,

mais que je faisais de la recherche pour rédiger un rapport final sous la forme d’un mémoire. Je leur ai

dit que leur participation était volontaire et confidentielle et que des noms fictifs61 seraient utilisés

pour garantir l’anonymat. Je les ai informés qu’un interprète nous assisterait pour faire les traductions

français-créole62

. Ainsi, nous pouvions nous entendre et nous exprimer dans une langue que nous

maîtrisions. La présence d’une tierce personne empêchait cependant un "tête-à-tête". Enfin, j’ai

demandé l’autorisation d’enregistrer la conversation sur dictaphone.63

Dans la partie centrale,, j’ai commencé par poser des questions générales afin que participant et

chercheur se sentent à l’aise et apprennent à se connaître, vu que la situation était "inhabituelle" pour

nous deux. Pour moi, il était indispensable de prendre du temps pour bâtir une relation de confiance,

parce que nous allions parler du séisme, un sujet délicat, qui emmènerait des souvenirs troublants,

susciterait de fortes émotions et ferait "revivre" la catastrophe. Une fois le malaise initial passé, j’ai

questionné les jeunes en rapport avec les trois problématiques de recherche : 1) vécu du

tremblement de terre et traumatismes ; 2) survie quotidienne dans les camps ; 3) perspectives d’avenir

et attentes. Les jeunes répondaient aux questions posées. L’Annexe II révèle que les entretiens se

faisaient à partir d’un questionnaire semi-structuré à questions ouvertes. Cela permettait d’avoir un

fil conducteur pour les interviews, mais laissait de l’espace pour approfondir des réponses pertinentes

ou dévier sur un sujet intéressant.64

En conclusion, je remerciais les jeunes pour leur participation et je leur confirmais que j’allais écrire

un mémoire à partir des données collectées. J’affirmais fournir une copie à J/P pour qu’ils puissent lire

mes conclusions et tenir compte d’éventuelles recommandations. Finalement, je prévoyais du temps

pour que les participants puissent poser des questions.

61 Uniquement Dorémi n’a pas reçu de nom fictif. Ceci pour honorer d’une part, son leadership du Hope Team ; d’autre part, son rôle de facilitateur pendant les entretiens. 62 Le créole haïtien est la langue natale de la majorité des Haïtiens. 63 Ceci n’a jamais été refusé. 64 Dépendant des participants, les entretiens duraient entre 40min et 1h50min, et les entrevues gagnaient en profondeur.

Certaines personnes étaient extraverties, parlaient facilement, disaient beaucoup et donnaient des réponses très détaillées. D’autres s’avéraient plus introverties, s’exprimaient moins et répondaient de façon plus concise.

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50

Du 19 au 28 septembre 2011, j’ai effectué 22 interviews individuelles65 avec 10 jeunes du Camp du

Pétion-Ville Club et 12 jeunes du Camp du Terrain Boulos. Au total 10 filles et 12 garçons de 15 à 25

ans ont participé. Tous les âges étaient représentés, sauf 20 ans. L’Annexe III offre un schéma des

entretiens, numérotés chronologiquement. Dans le tableau, on retrouve la date et le lieu de l’entrevue,

une description du contexte et des conditions d’interview, des données sociologiques et des

particularités sur les interviewés, et des observations et impressions du chercheur.

Comme évoqué, toutes les interviews étaient enregistrées avec un dictaphone pour permettre une

meilleure concentration pendant l’entretien et faciliter la dactylographie après. L’Annexe IV est un

exemple d’entrevue transcrite. Les entretiens n’ont pas été reproduits fidèlement mot pour mot. Ils

ont été adaptés en regroupant les informations par "thème" en fonction des trois questions de

recherche. Ceci facilitait le traitement et la détection de thématiques récurrentes.

2.3. Focus groupe

Pour clôturer, un focus groupe a été organisé le 29 septembre 2011 dans la "cabane" du Camp Boulos.

L’Annexe V présente les participants et les thèmes évoqués lors de cette discussion. Dans les

interviews, les interrogés exprimaient leurs attentes vis-à-vis de l’Etat, des Haïtiens et de

l’International. Des initiatives individuelles et communautaires étaient peu abordées. Ainsi, le focus

groupe portait sur les décisions et activités pouvant être prises et organisées par les jeunes pour

"soulager" et améliorer leurs conditions de vie. Des 22 personnes interviewées, 9 participaient à la

discussion, dont 3 filles et 6 garçons, âgés de 15 à 22 ans. Il y avait un mélange de genre et d’âge, avec

une variété d’expériences et d’états d’esprit pendant et après le séisme.

Cette discussion a permis aux participants d’échanger des points de vue, de se rendre compte qu’ils

avaient tous été marqués par le séisme et de réaliser qu’ils avaient eux-mêmes des cartes en main pour

s’entraider, affronter les défis quotidiens et réaliser leurs perspectives d’avenir. Il était intéressant

d’observer les dynamiques et d’écouter les mésententes entre garçons et filles. Les participants

attendaient leur tour pour parler et respectaient les opinions des autres, même s’ils étaient en

désaccord. Le désavantage était que certaines personnes prenaient plus la parole que d’autres. Parmi

les 9 participants, 4 s’exprimaient souvent. On entendait rarement les 5 autres.66

65 Dont 2 interviews simultanées, respectivement avec 2 filles et 2 garçons. 66 Comme on le constate dans l’Annexe IV, Dorémi, Marcel, Laura et Tamara étaient très actifs durant le focus groupe. Ces jeunes arrivaient à s’exprimer avec aisance. On n’entendait presque pas les 5 autres participants.

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51

2.4. Avantages et inconvénients de la recherche

Comme mentionné, la méthode qualitative67

a été utilisée. Cette méthode a des points forts et faibles.

En tant que chercheur, le travail de terrain m’a autorisée à voir et à "expérimenter" les conditions de

vie des résidents (intempéries, se doucher sous la pluie et récupérer l’eau dans des bassins, eau dans

les tentes, terrain glissant et boueux, vêtements/chaussures sales, chaleur, odeurs d’excréments, peu de

vie privée). L’étude m’a permis d’étudier en profondeur des cas spécifiques. Elle a livré des

témoignages uniques. Par contre, elle limitait la taille de l’échantillon analysé. Seulement 22

interviews ont eu lieu, dans deux camps gérés par la même ONG. Cela signifie que la « validité

externe »68

n’est pas garantie, mais ce n’était pas le but de cette recherche. Etant donné que la

méthode appliquée ne permet pas de généraliser les résultats à un contexte plus large et à des

populations non-étudiées, les résultats seront discutés avec prudence.

La « validité interne »69

est essentielle. Dans des interviews et focus groupes, la véracité ne peut être

assurée à 100%. On n’est jamais sûr qu’un participant réponde de façon véridique et sincère aux

questions posées.

- D’une part, des caractéristiques biologiques et sociales du chercheur70

peuvent agir sur les

données recueillies. Je suis consciente qu’être une jeune femme "blanche", originaire

d’Europe et d’un milieu "aisé", pourrait influencer les entretiens. Un cadre de références

"ancré" et des mentalités "occidentales" risquent d’avoir un impact sur ma façon de percevoir

et de ressentir la réalité sociale. En tant que "blanche", je ne suis également pas passée

inaperçue dans les camps. J’étais loin d’être un élément neutre. Les résidents me percevaient

d’une façon particulière.71

- D’autre part, la désirabilité sociale72

peut avoir influencé les réponses des participants en

pondérant ou en exagérant la version des faits.

67 Travail de terrain avec une étude exploratoire des camps, des entretiens individuels et un focus groupe. 68 Capacité de l’étude à produire des résultats généralisables à d’autres populations ou situations que la population et la situation qui est étudiée. 69 Capacité de l’étude à produire des résultats qui peuvent être attribués à l’intervention étudiée plutôt qu’à des biais ou à d’autres phénomènes. Autrement dit, la mesure dans laquelle les résultats sont une reproduction authentique de la réalité sociale. 70 Par exemple, race, genre, âge et catégorie socioéconomique. 71 Souvent, ils m’associaient au personnel de J/P HRO, m’abordaient en Anglais et me demandaient si j’étais Américaine. De nombreux habitants étaient accueillants, curieux et hospitaliers (ils me saluaient et me posaient des questions, les enfants criaient « Blanc, blanc ! » et voulaient secouer ma main, je pouvais me réfugier sous une tente pendant une forte pluie) ; d’autres étaient plutôt méfiants (« Qu’est-ce que tu fais là ? ») ou me voyaient comme un "portefeuille ambulant" (« Blanc, donne-moi de l’argent ! Donne-moi de la nourriture ! »). 72 Biais qui consiste à vouloir se présenter sous un jour favorable à ses interlocuteurs. Cela signifie que l’interviewé peut (in) consciemment modérer ou camoufler des faits (par exemple, par gêne, par honte ou par peur des répercussions) ou au

contraire exagérer des faits (par exemple, pour obtenir la sympathie, la pitié ou le soutien du chercheur).

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52

A cause des inconvénients cités, les témoignages ont été analysés avec un "œil critique", afin de

détecter d’éventuelles incohérences. Les informations acquises de sources primaires (interviewés) ont

pu être complétées avec des observations du chercheur et des renseignements obtenus de sources

secondaires (famille, amis, Dorémi, interprètes et J/P HRO).

Le problème de la langue nécessitait l’utilisation d’un(e) interprète. Ainsi, j’étais toujours

"dépendante" des autres et je n’ai jamais eu de vrai "face-à-face". Travailler avec un interprète

constitue un inconvénient dans la mesure où la traduction d’informations d’une langue à une autre

implique toujours un travail de compréhension et d’interprétation. Traduire n’est jamais "neutre", ni

complètement "objectif" : des nuances peuvent se perdre ; des questions et des réponses peuvent être

mal comprises ou interprétées, produisant des informations partiellement faussées.

La recherche a souvent eu lieu dans des conditions difficiles. Les interviews et le focus groupe se sont

déroulés dans différents endroits, généralement des endroits "ouverts" et "peu calmes", comme une

petite "cabane" avec un toit en tôle et des bancs en bois installée dans le Camp du Terrain Boulos

(Image 7), une salle de classe de l’Ecole de L’espoir ou un restaurant situés dans le Camp du Pétion-

Ville Club. Des "curieux" venaient régulièrement regarder, écouter et se mêler aux entretiens. Des

bruits de fond étaient audibles (radios, télévisions, annonces avec un haut-parleur, personnes discutant

autour, enfants jouant à proximité) et des odeurs nauséabondes étaient perceptibles (latrines, égouts,

déchets). Ces éléments compliquaient la concentration du chercheur et de l’interrogé, et dérangeaient

les conversations. Parfois, les entretiens étaient interrompus (averses ou contretemps des participants).

Image 7. "Cabane" dans le Camp du Terrain Boulos.

(Source : Photo personnelle, 2011)

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Une dernière incommodité concerne le degré de difficulté des questions posées et le faible niveau

d’éducation des questionnés. Les défaillances scolaires ont pu influencer la qualité des interviews.

Les jeunes avaient souvent du mal à comprendre les questions posées et à trouver leurs mots pour

formuler des réponses.73

Peut-être mes questions étaient parfois trop difficiles, nécessitant une trop

grande capacité d’abstraction et d’expression pour des jeunes avec une scolarisation déficiente. Il est

frappant de constater que parmi les 22 questionnés entre 15 et 25 ans, presque personne n’était dans la

classe correspondante à son âge et beaucoup avaient arrêté l’école depuis le séisme. Aucun n’avait

obtenu son diplôme d’études secondaires ; 8 jeunes ne possédaient même pas leur diplôme d’études

primaires (voir Annexe III). Or tous, à l’exception de 3 jeunes, exprimaient le besoin pressant de finir

leurs « études classiques »74

. Pour eux, l’éducation était importante pour « être une personne »,

« avancer et réussir dans la vie » et « bien vivre ». Beaucoup rêvaient même de faire des études

universitaires (infra 3.3.1 et 3.3.2).

3. RESULTATS

3.1. Question 1 : vécu du tremblement de terre et traumatismes

La première question de recherche était : « Comment les jeunes des camps ont vécu le tremblement de

terre et quels sont les traumatismes ? » On questionnait les expériences des jeunes pendant et après le

séisme et les deuils suite aux pertes subies. Enfin, on étudiait les traumatismes et opportunités en

septembre 2011, plus d’un an et demi après le séisme. Les citations illustrant les arguments avancés

sont extraites des entretiens réalisés. L’Annexe III peut être consultée pour avoir plus d’informations

sur la personne interviewée et les circonstances de l’entrevue.

3.1.1. Expériences pendant le séisme

Les jeunes se rappellent bien le 12 janvier 2010. Ils ont des images et des souvenirs vifs du séisme, car

les secousses ont été vécues de façon particulière. Même si chaque expérience est unique, des

modèles de pensées, de sentiments et de comportements peuvent être distingués. Il est crucial de

remarquer que sur 22 questionnés, uniquement 5 savaient qu’il s’agissait d’un tremblement de terre.75

Les 17 autres ignoraient qu’une catastrophe naturelle frappait Haïti. Ils tentaient de donner une

73 Par exemple, beaucoup de jeunes n’arrivaient pas tout de suite à raconter leurs sentiments et leurs pensées pendant et après le séisme, ou n’étaient pas en mesure de me dire les activités de subsistance et les ressources utilisées dans la survie quotidienne. 74 Cela réfère aux études primaires et secondaires. 75 Même s’ils étaient conscients qu’un séisme faisait trembler la terre, ils n’avaient jamais senti une chose pareille. Ils

craignaient pour leurs vies et pensaient ne pas survivre à une telle catastrophe. Ils n’avaient aucune idée des impacts (entre autres pertes humaines et dégâts matériels) sur la nation haïtienne.

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signification à ce qui se passait, souvent par des interprétations religieuses. Ceci correspond à ce que

l’on retrouve dans la littérature, puisque CRESFED (2010) et Le Nouvelliste (2010) avaient indiqué

que pour les Haïtiens, la foi et les croyances jouaient un rôle important dans la manière de voir, de

comprendre et de vivre le séisme. Une grande partie des jeunes supposait que l’Apocalypse

s’accomplissait à cause des pêchés humains. Ils ne pensaient pas survivre. Leur survie était perçue

comme « un miracle », « une grâce divine ». Selon d’autres jeunes, un camion/tracteur passait et

faisait trembler la terre, un avion s’écrasait en provoquant le « goudougoudou »76

ou une panne

d’électricité surgissait. D’autres encore imaginaient qu’une guerre se produisait. Les diverses pensées

peuvent être illustrées par quelques extraits77

. L’Annexe VI offre plus de citations pour le lecteur

intéressé.

« Je pensais que c’était une guerre menée par les Américains, qu’ils lâchaient des missiles sur Haïti et construisaient une route sous la terre, de Miami à la Citadelle du Cap Haïtien. Si les

Américains prennent le contrôle de la Citadelle, ils peuvent bombarder Cuba. C’est par la

grâce de Dieu que je suis en vie. »

(Entretien 6)

« Je m’asseyais dès que la terre tremblait. Je pensais que c’était la fin du monde, que la terre allait s’ouvrir, que nous allions tous rentrer dedans et mourir. C’était comme un miracle que je

sois vivant. »

(Entretien 7)

Les sentiments les plus courants étaient le choc, la peur, la panique, l’étonnement, l’incompréhension,

la tristesse, l’impuissance, la sensation de devenir fou ou l’impression de perdre le contrôle de soi. Les

femmes enceintes et les parents se préoccupaient de leurs enfants. L’ensemble des émotions ressenties

est lié au fait que le phénomène était inconnu et inattendu, régulièrement attribué à la main de Dieu.

Les sentiments énoncés coïncident avec ceux énumérés dans Le Nouvelliste (2010).

« Je me sentais très mal. J’étais choquée. Je pleurais. » (Entretien 3)

« Je me sentais devenir fou. Je me sentais triste et impuissant face à cette catastrophe. »

(Entretien 13)

Plusieurs comportements se manifestaient, s’accordant aux pensées et aux sentiments exprimés. Les

plus répandus étaient d’essayer de s’échapper d’un bâtiment, de courir, de pleurer, de crier et de prier.

« Je priais et criais simplement "Dieu !" »

(Entretien 4)

« Pendant le séisme, je suis descendu au 3ème

étage et j’ai sauté par la fenêtre. »

(Entretien 14)

76 Ce mot réfère au bruit causé par le séisme. Il est utilisé dans le langage courant des Haïtiens (Cassegrain & Cossu, 2011). 77 Par convention, j’ai choisi de limiter le nombre d’extraits à un maximum de deux par argument avancé.

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3.1.2. Expériences après le séisme

Après les secousses, le premier souci des jeunes était de retrouver vivants des êtres chers.

Beaucoup de télécommunications étant interrompues78

, leur tâche était ardue. Tandis que certains

jeunes ont pu rejoindre des parents après quelques heures, d’autres ont dû attendre plusieurs jours,

partagés entre l’espoir et la détresse. Chez les interviewés, 4 ont initié ou participé à des opérations de

recherche et de secours pour sauver des proches ensevelis sous les décombres. Jean (2011), Renauld

Armand (2011) et The Miami Herald et El Nuevo Herald (2011) avaient mentionné cette solidarité

inter-haïtienne. Ils déclaraient que les Haïtiens avaient été les premiers sauveteurs d’eux-mêmes. Lors

des retrouvailles avec des proches, tous les participants étaient contents de les savoir sains et saufs,

mais tristes de prendre connaissance des morts et des blessés. Un mélange de joie et de culpabilité était

donc récurrent. L’ensemble des interrogés a appris qu’un séisme avait eu lieu en Haïti, grâce aux

nouvelles à la radio ou aux explications fournies par des "adultes".

« Quand le séisme était passé, je me suis relevé. Mon premier réflexe était d’aller chercher ma

famille pour voir comment ils allaient. »

(Entretien 10)

« Le lendemain, mes 2 frères et ma sœur ont été retirés d’en-dessous des décombres de la maison, grâce à mon aide, celle de 2 cousins, un frère et un voisin. Quand ma famille était

sortie, je me sentais devenir plus calme. Ce même jour, nous avons aussi sorti mon père et j’ai

appris qu’il était mort. (…) J’étais triste et j’avais peur. J’ai pleuré pendant une semaine. J’avais envie de mourir après la mort de mon papa. »

(Entretien 13)

Des répliques étaient ressenties à Port-au-Prince le soir, la nuit et quelques jours après le séisme. Elles

faisaient "revivre" la catastrophe sous différentes formes. Parallèlement à l’inventaire fait par APA

(s.d.a, s.d.b) et URAMEL (2011), trois catégories de symptômes post-séisme peuvent être

différenciées dans les témoignages: les symptômes de reviviscence, ceux d’excitation et ceux

d’évitement. Soit les participants étaient continuellement stressés et sur le qui-vive ; ils avaient de

forts battements de cœur, craignaient le pire, sursautaient, couraient, criaient et/ou priaient à chaque

secousse (reviviscences et états d’excitation). Soit ils étaient sous le choc, tellement abasourdis qu’ils

ne ressentaient rien, ne pensaient à rien, étaient prostrés, fermaient les yeux face à la confrontation

avec les victimes et les dégâts et/ou contournaient les cadavres (évitements et émoussement

d’émotions). Soit ils souffraient d’un mélange de symptômes.

« Chaque soir je dormais dehors par peur de rester dans la maison. Quand la terre tremblait,

je courais et je criais : "Jésus !" »

(Entretien 15)

« J’essayais d’éviter de voir tous les dégâts et les victimes causés. Cela me rendait triste. Je

pensais que j’aurais pu être dans le même état que de nombreuses victimes. A chaque réplique,

j’avais peur, je sursautais et je pensais que j’allais mourir. » (Entretien 5)

78 Les communications téléphoniques étaient limitées, voire coupées. Beaucoup de jeunes qui se souciaient de leurs proches

n’arrivaient pas à les contacter parce que les télécommunications ne fonctionnaient plus.

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A cause des répliques, tous les jeunes interrogés, à l’exception d’une adolescente79

, dormaient dehors

(dans la rue, dans une voiture, sur des terrains) pendant la nuit du 12 janvier et souvent plusieurs

nuitées d’affilée. Peu d’entre eux fermaient l’œil. Ils avaient froid et peur. La majorité pensait que la

vie était finie. La religion, le fatalisme et le désespoir étaient omniprésents. La foule priait Dieu pour

implorer le pardon des pêchés. Ces données sont congruentes80

avec l’après-séisme dressé par

CRESFED (2010) et Lahens (2010).

« La nuit était terrible. Nous dormions par terre, dans le carrefour près de chez nous. De l’eau sale des égouts coulait, mais nous étions obligés de rester là. C’était dur parce que nous

n’avions rien pour nous abriter contre le froid. »

(Entretien 7)

« Je pensais que nous ne vivrions plus jamais de façon normale. Avant le séisme, la vie en

Haïti était déjà difficile. Après, la vie serait encore plus difficile. Je pensais qu’il n’y aurait plus de chance pour le pays et que la vie était terminée. »

(Entretien 3)

L’arrivée des jeunes sur les sites du Terrain Boulos et du Pétion-Ville Club varie. Certains sont

venus le soir même, d’autres le lendemain, d’autres encore des jours/semaines/mois plus tard. Parmi

les 22 jeunes qui ont pris la parole, 6 ont passé plusieurs mois en province, régulièrement logés par la

famille. Il est important de signaler que le concept de famille est élargi en Haïti. La famille s’étend au-

delà de la « famille nucléaire » 81

pour inclure cousins et cousines, oncles et tantes, grands-parents,

beaux-parents, neveux et nièces, parrains et marraines. Un « exode urbain » de Port-au-Princiens vers

les régions de province a eu lieu. Ce phénomène avait été rapporté par le Gouvernement de la

République d’Haïti (2010a, 2010b) et le PNUD (2010).

« Le lendemain, mon papa et moi avons pris le bus pour aller chez ma tante aux Gonaïves. Ma mère et les 5 petits enfants restaient à Port-au-Prince. »

(Entretien 19)

« Après quelques jours, je suis allée à l’Artibonite. Je suis retournée à Port-au-Prince en

mars. »

(Entretien 21)

Une adolescente était blessée et est "tombée dans le coma". Elle a marché deux mois avec des

béquilles pour que le pied fracturé se rétablisse.

« Un bloc de béton est tombé sur mon pied. Il était cassé. Je suis tombée par terre et j’ai perdu connaissance. »

(Entretien 9)

79 Rose (Entretien 19) dormait à l’intérieur de la maison fissurée avec ses parents, ses frères et ses sœurs. Elle disait ne pas avoir peur des répliques, car elle avait confiance en Dieu. 80 Cela veut dire que les données coïncident, s’ajustent aux ouvrages évoqués. 81 Structure familiale composée soit d’un couple marié ou non avec enfants, soit d’un couple sans enfant, soit d’un seul adulte avec des enfants.

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Finalement, le stress psychologique associé au séisme a eu des répercussions sur la santé physique de

4 participants (2 femmes et 2 hommes) sous forme de somatisations82

. Selon l’OMS/OPS (2010, p.

16), les femmes et les enfants sont particulièrement susceptibles de somatiser. Dans cet échantillon, les

hommes en souffraient autant.

« J’étais malade de même que mon enfant. Nous avions des boutons et des plaies sur notre

peau. Du sang sortait de ma bouche. Je me sentais vide dans ma tête. J’étais déséquilibrée en

esprit. J’étais presque comme une folle parce que je ne me souvenais de rien. Je vivais

seulement. » (Entretien 4)

« Je suis asthmatique. Après le séisme, j’étais tellement stressé et essoufflé que j’ai eu une crise d’asthme. Je sentais comme quelque chose qui me tenait à la gorge et qui m’étouffait. Je

me sentais vraiment affecté, même si je n’avais pas de blessures. »

(Entretien 11)

3.1.3. Deuils suite aux pertes subies

Globalement, les pertes induites par le séisme peuvent être partagées en cinq familles : 1) pertes

humaines, 2) pertes matérielles, 3) pertes de livelihoods (infra 3.2.2.), 4) pertes de liens, 5) pertes de

membres (bras/jambes). Dans cette étude, les pertes humaines et matérielles forment les plus grandes

familles. Le Gouvernement haïtien, l’ONU, Adam (2010) et Renauld Armand (2011) accordent

également beaucoup d’importance aux victimes humaines et aux dégâts matériels. Le rapport du

Groupe URD, rédigé par Marion Cherblanc (2010, p. 21), appuie la rupture des liens dû aux

déplacements post-séisme.

Les pertes subies sont accompagnées d’un processus de deuil. L’OMS/OPS (2010) et Lahens (2010)

soulignaient les défaillances dans les identifications des victimes, compliquant le "travail de deuil".

Comme le décrit cette citation, une preuve palpable (retrouver et identifier le corps de la personne

défunte) est primordiale pour le deuil des survivants.

« Le décès de ma sœur était vraiment le pire cauchemar de ma vie. (…) Nous ne voulions pas

que ma sœur reste en-dessous des décombres de son école. De préférence, nous voulions la voir

devant nos yeux pour avoir la preuve qu’elle était décédée. Jusqu’à présent toute la famille est

en deuil. Nous prions toujours. Nous allons célébrer sa mort le 12 janvier 2012. » (Entretien 4)

Sur les 22 questionnés, 18 ont connu des pertes humaines dans la famille, le groupe d’amis, le travail

ou un peu partout. Quelques témoignages :

« Ma mère était dans la rue. Un bloc de béton est tombé sur elle. Elle est morte. Certains de

mes amis étaient blessés et n’ont pas trouvé à temps des soins pour s’en sortir.»

(Entretien 7)

82 Expressions physiques de souffrances psychiques. Autrement dit, la personne qui somatise à tendance à éprouver ou à

exprimer une souffrance physique en réponse à un stress, à un traumatisme ou à des troubles psychiques.

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« Tout de suite après l’effondrement de ma maison, j’ai su que mon père était mort, car il était

resté à l’intérieur durant le séisme. Quelques amis du quartier ont aussi laissé la vie. »

(Entretien 14)

Dans l’échantillon, 18 participants disent avoir subi des pertes matérielles. Des précautions doivent

être prises dans l’interprétation, car cette large catégorie est composée de "gradations". Ainsi, 8 des 18

ont des maisons complètement effondrées et 10 ont des maisons fissurées ou abîmées. La majorité

vivait dans des maisons louées : écrasées dans le séisme, endommagées et déclarées "inhabitables" par

le Gouvernement, ou devenues "inabordables". L’effondrement des maisons et le manque de moyens

financiers pour payer le loyer ou faire des réparations, semblent avoir poussé plusieurs familles à

s’installer dans des camps (infra 3.1.4.).

« Avant je vivais dans une maison louée à Pétion-Ville. Cette maison s’est écrasée, ce qui nous

a obligés d’aller habiter dans un camp. »

(Entretien 8)

« Nous habitions dans une maison louée. Elle était fissurée, mais elle n’était pas tombée. Nous

avons dû la quitter, car nous n’étions plus en mesure de payer le loyer. »

(Entretien 16)

Parmi les jeunes, 483

ont mentionné des pertes de liens avec la famille ou des amis suite au

tremblement de terre.

« J’ai perdu beaucoup d’amis d’école : certains sont morts, avec d’autres j’ai perdu le contact

parce qu’ils sont partis d’Haïti. »

(Entretien 6)

« J’ai perdu ma maison dans le séisme et depuis ma famille est divisée et vit dans des endroits

différents : mon papa habite en province, mon fils vit chez une tante. »

(Entretien 11)

Enfin, il faut souligner qu’un adolescent a "perdu l’usage de ses deux jambes" dans le séisme. Il est

handicapé physiquement, il n’arrive plus à marcher. Son handicap va de pair avec une perte de liens.84

Le séisme a bouleversé sa vie. Depuis, il ne se sent pas bien dans sa peau et a l’impression d’être

"anormal". Il connait des périodes de stress et de dépression, car il a dû abandonner beaucoup

d’activités.

« Après le séisme, je sentais que mes jambes tremblaient encore, comme si elles répétaient la sensation des secousses. Je n’arrivais pas à me relever seul et à rester debout. Une personne

m’a alors soulevé et porté au Terrain Boulos. J’ai encore des réflexes, mais plus de sensations

dans mes jambes. Quand on me donne des coups, je ne ressens rien. Je ne me sens pas normal. Je pense que je devrais pouvoir marcher comme tout le monde, surtout que je ne suis pas né

comme ça. »

(Entretien 12)

83 Sur ces 4 jeunes, Rachelle est une « restavek » ("enfant esclave", "domestique de maison") qui n’a plus de nouvelles de sa famille depuis qu’elle vit à Port-au-Prince. La perte de liens ne peut donc pas être considérée comme une conséquence du tremblement de terre (Entretien 15). 84 Dû aux problèmes de déplacement et de la dépendance des autres (il utilise une chaise roulante ou quelqu’un le porte pour aller aux toilettes et à l’école), il voit peu ses amis.

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3.1.4. Expériences en septembre 2011 : traumatismes et opportunités

Cherblanc (2010) et Joseph (2010) affirmaient que plusieurs mois après le 12 janvier 2010, le

tremblement de terre en tant que choc n’était plus la raison principale des demandes en activités

psychosociales. Ils estimaient que le séisme avait accentué les problèmes antérieurs en Haïti, en

augmentant la vulnérabilité et en réduisant les capacités d’adaptation des Haïtiens. Les données

rassemblées confirment ce raisonnement. Les interviewés ne sont pas seulement marqués par le

séisme, ils sont aussi traumatisés par les conditions de vie dans les camps (infra 3.2.1). Chez 2

jeunes85

, la résilience (résistance, sentiment d’être plus fort qu’auparavant) s’est développée. Chez la

majorité, la vulnérabilité et la résignation (stress continu, sentiments de tristesse, de désespoir et de

fatalité) se sont accentuées. Deux extraits à titre d’exemple :

« On accepte en général la situation dans laquelle on se retrouve, même si ce n’est pas ce

qu’on aime. » (Entretien 16)

« La vie sous la tente forme tout le problème. Je suis obligée de me résigner dans ma situation, car je n’ai pas le choix. »

(Entretien 20)

En règle générale, les bouleversements induits par le séisme et la vie dans les camps sont stressants. Ils

nécessitent des stratégies d’ajustement. Des 22 interrogés, 3 hommes n’arrivent pas à s’adapter. Ils

souffrent jusqu’à présent de symptômes de traumatisme (« crainte du béton », évitements, sursauts

exagérés, cauchemars, penser au suicide).

« Aujourd’hui, le séisme m’affecte toujours. Ce jour est dans mon sang. J’ai été tellement

surpris que depuis je suis stressé dans la vie. Je suis toujours sur les nerfs. Je sursaute dès que

j’entends des petits bruits. Dans ma tête c’est comme si un nouveau séisme a lieu. Je suis découragé : d’une part, par le séisme ; d’autre part, par la situation dans laquelle je vis. »

(Entretien 5)

« Pendant plusieurs semaines, je n’osais plus rentrer dans des bâtiments en béton. Même

aujourd’hui, j’ai gardé un traumatisme par rapport à ces bâtiments. Je n’arrive pas à rester

plus de 3 minutes à l’intérieur. L’image de ma maison effondrée est gravée dans ma mémoire. Je me rappelle de tous les Haïtiens décédés sous les décombres des maisons écrasées. Le 12

janvier, j’ai failli perdre mon fils. Depuis ce jour jusqu’à présent, je ne dors pas bien. La nuit,

je me souviens de tous les gens qui se retrouvaient sous le béton et que l’on n’a pas pu aider. Je

revois les images de la catastrophe devant moi et je fais des cauchemars. Si ce n’était pas à cause de mon fils, je me serais déjà suicidé. Je reste en vie pour lui. Il est tout pour moi. »

(Entretien 11)

Tous les jeunes disent qu’il est impossible d’oublier le drame du 12 janvier : c’était « horrible »,

« catastrophique ». Ils assurent que l’on ne peut s’habituer à la vie sous les tentes. En septembre 2011,

2 jeunes ont déjà quitté les camps, 2 autres espèrent partir bientôt.

85 Il s’agit de Marie et Dorémi (Entretiens 4 et 6), qui font tous deux partie du comité de jeunes (Hope Team) et travaillent sur la base du volontariat avec le centre communautaire de J/P HRO pour aider la communauté. Ils affirment que les formations reçues, les capacités acquises et les activités exercées, les ont aidés à remonter leur moral et à devenir plus forts, malgré la

tristesse et les changements dans leur vie.

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« Nous avons décidé de retourner vivre dans notre maison puisque nous ne nous sentions pas à

l’aise dans la tente. Notre maison était fissurée par le séisme. Nous l’avons réparée et bien

arrangée pour pouvoir habiter de nouveau dedans. » (Entretien 18)

« Nous vivions dans une maison dans le quartier, constituée de deux pièces. Une pièce s’est effondrée lors du séisme. Mes parents reconstruisent la maison. Quand les portes et barrières

seront installées, nous abandonnerons la tente. »

(Entretien 4)

Malheureusement, plusieurs jeunes estiment que leur situation se détériore. Presque deux ans après le

séisme, ils ne voient aucune évolution dans leurs conditions de vie.

« Selon nous, un changement total est nécessaire en Haïti. Nous avons voté pour Michel Martelly, mais nous voyons que depuis qu’il est président nos conditions de vie sont pires. Il n’y

a pas eu d’amélioration. Aujourd’hui, nous sommes plus malheureux. Avant nous pouvions

acheter un sac de riz à un prix bas, maintenant c’est devenu plus cher. »

(Entretiens 21 et 22)

Cinq interrogés ne s’attardent pas sur les traumatismes. Ils valorisent les opportunités offertes par les

camps : que se soit par le fait que les résidents ne doivent plus payer de loyer, par le fait qu’ils ont

accès à l’aide donnée ou par le fait qu’ils peuvent occuper une position exemplaire dans la

communauté.

« La vie sous les tentes a des avantages et des inconvénients. Le plus grand avantage est que l’on peut rester dans la tente si l’on n’a pas d’argent pour payer un loyer. Mais ce n’est pas

une vie. J’aimerais bien sortir de la situation dans laquelle je vis. »

(Entretien 2)

« Je suis enceinte. Mon bébé doit naître en novembre. Les consultations à l’hôpital de J/P sont

gratuites. Je dois payer les médicaments et les examens. Je voudrais accoucher à l’hôpital. » (Entretien 22)

Il faut mentionner que plusieurs jeunes racontaient pour la première fois leurs "histoires"

relatives au (post) séisme à une personne étrangère. S’exprimer sur ce sujet suscitait des sentiments

mélangés. D’une part, c’était une "tâche" douloureuse faisant "revivre" des moments difficiles ;

d’autre part, c’était une "expérience" leur permettant de se sentir valorisés, écoutés et "libérés"

d’opinions et d’émotions qu’ils avaient sur le cœur. Autrement dit, témoigner de ce qu’ils ont vécu, de

ce qu’ils vivent au quotidien et de la vie qu’ils veulent atteindre, les aidait (Annexe V). Toutefois, la

plupart trouvaient le plus grand soulagement et réconfort dans la religion. La croyance s’est

intensifiée. Elle constitue une ressource essentielle pour survivre et croire dans un avenir meilleur

(infra 3.2.3.).

« Je ne pourrais jamais oublier le séisme. Il a changé ma vie. Il a détruit ma famille et mes amis. J’ai fini par réaliser que je devrais mettre Dieu en face de moi, le prier et aller à l’Eglise

pour le servir. »

(Entretien 16)

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3.2. Question 2 : survie quotidienne dans les camps

La deuxième question de recherche était : « A quoi ressemble la survie quotidienne dans les camps ? »

J’ai tenté d’en savoir plus sur la façon dont survivent les jeunes dans les camps analysés, à savoir : les

difficultés rencontrées, les activités de survie exercées, les ressources utilisées, l’aide éventuellement

reçue par des ONG et attendue de l’International.

3.2.1. Difficultés rencontrées

Adam (2010), CRESFED (2010) et Amnesty International (2011) ont attiré l’attention sur les

conditions de vie lamentables dans les camps. Celles-ci poussent les résidents à "vivre au jour le

jour", avec et malgré la crise humanitaire et la transgression des droits humains. Les jeunes étudiés se

retrouvent dans un contexte vulnérable dans lequel ils doivent affronter plusieurs difficultés,

coïncidant avec celles évoquées dans la revue de littérature.

Pour les 20 participants qui se sont exprimés sur ce sujet86

, les conditions physiques (intempéries,

vents, cyclones, eaux de pluie rentrant dans les tentes souvent déchirées ou trouées, boue sur le terrain,

soleil, chaleur à l’intérieur des tentes) sont jugées insupportables.

« La vie sous les tentes n’est pas une vie. C’est une vie de misère. Tu t’imagines, quand il pleut, l’eau coule sur moi. Hier soir beaucoup d’eau m’a mouillé. J’étais obligé de me mettre

dans un coin de la tente. Ce matin, je suis allé voir le comité pour demander des toiles en

plastique. Ils m’ont dit qu’ils n’en ont pas. En attendant, l’eau de pluie rentre dans ma tente à chaque averse. »

(Entretien 7)

« Pour moi, le plus difficile dans le camp est la chaleur. Le soleil de l’après-midi est terrible.

Sous les tentes il fait extrêmement chaud. »

(Entretien 18)

En combinaison avec ces dures conditions physiques, plusieurs jeunes citent les pénibles conditions

hygiéniques (latrines, faible assainissement, odeurs d’excréments, déchets par terre) entraînant

diverses maladies (migraines, infections, épidémies comme le choléra).

« Je déteste les latrines du camp parce que l’odeur des toilettes reste sur moi. Les latrines peuvent donner des infections vaginales, puisqu’elles sont construites d’une telle façon que les

matières fécales restent toujours dedans. »

(Entretien 2)

« Les conditions hygiéniques sont vraiment douloureuses, elles sont plus que difficiles. Nous

n’avons pas de personnes ou de moyens pour nettoyer les latrines. Le sanitaire en combinaison

des pluies crée le moyen pour la transmission du choléra.» (Entretien 4)

86 Paul et Rachelle (Entretiens 10 et 15) ne se sont pas exprimés sur les difficultés rencontrées dans les camps. Ainsi, sur les

22 participants, 20 ont donné leur opinion sur cette thématique.

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L’insécurité dans les camps est un sujet sur lequel les opinions sont partagées. Pour certains (6 des

20), cela est jusqu’à présent un problème majeur. Ceci correspond aux rapports d’Amnesty

International (2011), de CHRGJ (2011) et d’OIM (17/05/2011) qui estimaient que les communautés

déjà à risque étaient devenues plus vulnérables aux situations de violence, en raison des pertes de

liens.

« L’insécurité est un grand problème dans le camp. Je suis tout le temps stressée parce que j’ai

peur que des personnes mal intentionnées volent mes affaires. Des voleurs peuvent briser la

toile avec un couteau ou une lame de rasoir, rentrer dans la tente et prendre tout ce qu’il y a à

l’intérieur. » (Entretien 3)

« Je ne me sens pas à l’aise sous la tente. Il y a des vagabonds qui rentrent pour violer, voler ou kidnapper des habitants. »

(Entretien 19)

D’autres (14 des 20) apprécient les efforts faits par la communauté, J/P HRO, la MINUSTAH et la

Police Nationale pour améliorer la sécurité dans les camps. Selon eux, ces actions ont porté leurs

fruits.

« Maintenant l’insécurité a diminué parce que J/P a installé des lumières. »

(Entretien 1)

« Nous n’avons pas beaucoup de problèmes d’insécurité parce que nous créons notre propre

sécurité par une surveillance mutuelle dans le camp. »

(Entretien 6)

Quelques jeunes soulignent le difficile accès à l’eau. Soit ils n’ont pas les revenus nécessaires pour

acheter de l’eau traitée, soit ils doivent parcourir une longue distance pour s’en procurer.

« Je pense qu’une bonne gestion de l’eau devrait être faite. C’est bien d’avoir une réserve

d’eau parce que je n’ai pas la certitude d’avoir de l’argent pour acheter de l’eau chaque jour.

L’eau est cruciale pour assurer une bonne hygiène dans le camp et pour nous protéger du

choléra et d’autres épidémies. » (Entretien 3)

« Dans le camp, nous avons péniblement accès à l’eau pour boire et pour se laver. Même si nous avons de l’argent pour en acheter, il faut marcher 3-4km. »

(Entretien 6)

La promiscuité, la précarité, la faim, les problèmes pour avoir une activité de survie rentable87

,

l’incapacité à subvenir aux besoins de la famille, et la peur que les enfants grandissent dans un

environnement malsain, où ils ne sont pas nourris et soignés adéquatement, sont finalement rapportés.

87 Pour les marchandes, la vente dans le camp est rare car les habitants sont démunis.

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3.2.2. Activités de survie exercées

Comme expliqué plus haut (3.2.1.), l’ensemble des interviewés est marqué par des difficultés

socioéconomiques88

. Même s’ils doivent tous "se débrouiller" pour survivre et qu’ils "vivent

essentiellement au jour le jour", les niveaux de vulnérabilité et de résilience diffèrent. Il faut signaler

qu’une grande partie des participants se trouvait déjà dans une situation précaire avant le séisme. Etant

donné que la catastrophe a souvent affecté les livelihoods (supra 3.1.3.), l’incertitude s’est amplifiée.

Plusieurs jeunes (6 sur 22) ont perdu leur emploi (maçonnerie, petit commerce, job dans un restaurant

ou une boulangerie) et se retrouvent au chômage. Ils affirment chercher des opportunités de travail,

mais disent que la conjoncture actuelle en Haïti ne facilite pas cette recherche.

« Je me sens découragé parce que je ne fais rien. Avant je travaillais comme maçon,

maintenant je n’ai plus de travail. » (Entretien 5)

« Autrefois, j’avais un petit commerce où je vendais du riz, du lait, du spaghetti et des pois. Maintenant, je n’ai plus rien. »

(Entretien 8)

D’autres jeunes ont des activités de commerce informel (vente de denrées alimentaires, de nourriture

cuite, de vêtements, de cartes téléphoniques), en particulier les femmes. Ces données sont

concordantes à ce qui était énoncé dans l’analyse bibliographique, puisque Le Nouvelliste (2010) et

CRESFED (2010) considéraient que le secteur informel forme le poumon de l’économie haïtienne,

couvrant environ 80% des emplois urbains.

« Ma maman et mon papa sont responsables de moi. Ma mère est commerçante, elle vend de la

nourriture cuite. Mon père est ébéniste, il fait des meubles. Pour aider mes parents, je vend des

cartes de téléphone Digicel. »

(Entretien 19)

« Je survis en travaillent comme marchande. Je vends de la nourriture dans la rue. »

(Entretien 22)

D’autres questionnés (ou leurs proches) sont employés temporairement dans des projets « Argent-

contre-Travail » lancés par des ONG, ils font des petits boulots avec des amis et se partagent les

profits, ou ils travaillent dans les centres communautaires des camps. Le PNUD (2010) prétendait

que des agences (inter) nationales aidaient les populations à pourvoir à leurs besoins en les employant

en « Cash-for-Work » et « Food-for-Work ». Cependant, ces projets peuvent créer des jalousies et

renforcer la concurrence, car ils ne procurent pas assez de travail pour le grand nombre d’habitants des

camps (CRESFED, 2010).

« Grâce au Cash-for-Work, ma mère a trouvé un job. Je suis leader du Hope Team. Je

travaille volontairement dans le domaine social et culturel avec le centre communautaire de J/P. »

(Entretien 6)

88 Entre autres, la pauvreté, la malnutrition, le manque d’emploi stable, la pratique d’activités peu profitables, l’absence de

moyens financiers, etc.

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« Présentement, je n’ai pas de travail fixe. Je me promène souvent dans le camp pour voir si

quelqu’un a besoin d’aide. J’offre de l’aide et en échange je demande un peu d’argent pour

m’acheter à manger. De temps en temps, je fais des petits boulots payés avec des amis. Par exemple, je répare des motos/voitures avec mes connaissances en mécanique. Je sais aussi

conduire, ce qui me permet de travailler comme chauffeur. »

(Entretien 11)

A travers les témoignages, on constate qu’aucun des 22 questionnés ne peut s’occuper seul de sa

survie. Les jeunes sont dépendants d’autres personnes : réseau familial, cercle d’amis et/ou "famille

aisée" (infra 3.2.3).

« Je suis mère et femme au foyer. Mon mari travaille à l’hôpital et vend des ventilateurs. Mon mari, ma sœur et mon beau-frère s’occupent de moi. »

(Entretien 2)

« Ma maman a un petit commerce qui nous permet de survivre. »

(Entretien 12)

3.2.3. Ressources utilisées

Le « Sustainable Urban Livelihoods Framework » ne regarde pas uniquement le contexte de

vulnérabilité et les activités de subsistance pratiquées, l’attention est aussi portée sur les ressources

utilisées, c’est-à-dire sur les différents capitaux employés (Meikle, Ramasut & Walker, 2001). Dans

l’échantillon étudié, le capital social et financier représentent les ressources les plus importantes. Les

jeunes s’appuient sur la famille, sur des activités (in) formelles de survie, sur des transferts

financiers/matériels, sur la solidarité entre amis et le dernier mais non le moindre, sur la religion.

Sur les 22 interrogés, tous, à l’exception de 2 jeunes89

, citent la famille proche90

comme ressource

essentielle.

« Ma mère est la seule responsable des 12 enfants, avec son business91

elle amène de l’argent pour nous entretenir. »

(Entretien 13)

« Mon commerce, mon fiancé et mes parents m’aident à survivre. »

(Entretien 21)

Pour 7 des 22 questionnés, la « famille élargie » (supra 3.1.2.), vivant à l’étranger92

, travaillant à

Port-au-Prince ou habitant en province, forme un soutien remarquable. Ces membres font des

transferts de nourriture, de biens matériels et/ou d’argent.

89 Gérard et Rachelle ne vivent pas chez leurs parents. Le premier (Entretien 1) vit depuis tout petit chez son cousin et sa

cousine. La dernière (Entretien 15) est une « restavek » qui travaille pour une "famille aisée" et reçoit de la nourriture et un lit en retour. 90 Il s’agit des parents, du conjoint, des enfants, des frères et des sœurs. 91 « Business » est un créolisme pour parler d’un "petit commerce" ou d’une "entreprise". 92 Diaspora haïtienne habitant à Saint-Thomas, à Miami, à New York, à Montréal ou ailleurs.

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« Ma maman m’envoie des petites provisions de nourriture venant de province. J’ai un beau-

frère qui travaille et qui me donne de temps en temps de l’argent. Parfois, mes sœurs m’aident

aussi. » (Entretien 8)

« Notre famille s’entraide beaucoup, grâce à elle je garde le courage. Ma tante et mon oncle vivent à Miami et envoient régulièrement de l’argent. Après le séisme, ma tante était rentrée en

Haïti. Elle avait apporté des fournitures d’école, de la nourriture et de l’argent. »

(Entretien 19)

Deux tiers des jeunes accordent de l’importance au réseau d’amis. Celui-ci forme un appui par l’aide

fournie ou par les activités ludiques, sportives et/ou éducatives partagées (football, danse, fêtes, etc.).

« Mes amis m’aident quand je suis triste. Je suis quelqu’un qui a beaucoup d’amis. Ensemble nous dialoguons et nous donnons des blagues

93. Cela me permet de me sentir bien et d’oublier

mes problèmes, même si j’ai faim. »

(Entretien 7)

« Le football m’aide à me distraire. Mes amis m’aident aussi. Ensemble nous faisons des

activités : nous jouons au foot, nous donnons des blagues et nous étudions. »

(Entretien 10)

Une ressource indéniable et incontournable évoquée par de nombreux jeunes est la religion. Lahens

(2010) et Le Nouvelliste (2010) avaient signalé un renforcement de la foi après le séisme. Ils

expliquaient que l’Eglise est souvent le seul groupe d’appartenance pour les catégories défavorisées et

la religion suscite de l’espoir dans les pires conditions de vie. Dans cette recherche, beaucoup de

jeunes racontent qu’ils sont devenus plus croyants. Par la foi, ils trouvent un sens à la vie, de la

consolation et du soutien.

« Ce qui me donne le courage c’est d’aller à l’Eglise, de prier le bon Dieu et d’écouter des musiques évangéliques. Dans mes prières, je demande à Dieu de me donner la force pour faire

face à toutes les difficultés dans ma vie. Dieu me supporte, il m’aide à surmonter mes

problèmes. »

(Entretien 1)

« Après le séisme, j’allais dans des cultes de prière. Ma religion s’est renforcée. Aujourd’hui,

la prière me tient toujours forte et me réconforte. » (Entretien 8)

D’autres ressources sont mentionnées : regarder la télévision, écouter des musiques ou des matchs de

football à la radio, aller à l’école, lire et écrire, participer aux activités socioculturelles organisées dans

les camps et "bénéficier" de l’aide internationale procurée (infra 3.2.4.).

93 « Donner des blagues » est un créolisme de l’expression "faire des blagues".

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3.2.4. Aide (non) reçue et attendue de l’International

Parallèlement à ce qui était retrouvé dans la revue de littérature (Adam, 2010 ; CRESFED, 2010 ;

Jean, 2011 ; Lahens, 2010), l’ensemble des jeunes disait recevoir de l’aide alimentaire et matérielle94

après le séisme, sauf s’ils étaient en province ou en dehors des camps au moment des distributions.

L’accès à l’aide médicale était plus contesté.

« J’ai accouché de ma fille dans la tente. Je n’ai pas reçu d’aide médicale d’organisations. Un médecin-feuille, qui vit avec nous dans le camp, m’a aidée durant mon accouchement. »

(Entretien 8)

« De janvier à mars 2010, j’avais une migraine à cause du soleil et de la chaleur dans les

tentes. Je recevais de l’aide dans l’hôpital de J/P. »

(Entretien 20)

Plusieurs jeunes regrettent ne plus recevoir d’aide aujourd’hui95

, surtout de devoir payer pour l’eau.

« Avant, les ONG nous donnaient l’eau et la nourriture gratuitement. D’abord ils ont arrêté la distribution de nourriture, ensuite celle de l’eau. Maintenant, nous devons avoir un minimum

d’argent pour payer l’eau. »

(Entretien 10)

Chez les interviewés, la plupart n’ont pas reçu d’appui psychosocial. Certains estiment ne pas avoir

besoin d’accompagnement. D’autres désirent parler à des professionnels du domaine psychosocial,

mais considèrent que ce n’est pas prioritaire.

« Il y avait des psychologues pour accompagner les gens qui étaient devenus fous96

après le séisme. Moi, je n’ai pas reçu d’appui psychosocial parce que je n’avais pas de problèmes

psychologiques. »

(Entretien 20)

« On ne m’a jamais offert d’appui psychosocial, pourtant ça aurait pu m’aider. Mais ce n’est

pas l’essentiel. La priorité c’est de trouver du travail. »

(Entretien 11)

La majorité des participants formule des critiques sur l’aide offerte par les ONG, en particulier sur

le "caractère partisan" des comités et le fait que les ONG ont de belles paroles, mais des actions qui

laissent à désirer.

« Je ne crois pas trop aux promesses faites par les ONG. Elles ont par exemple promis des parcelles de terre pour les sans-abri. Jusqu’à présent, je ne connais personne qui ait reçu un

bout de terre. »

(Entretien 1)

94 Kits hygiéniques, draps, tapis et tentes. 95 Par contre, 5 jeunes signalent que J/P HRO donne encore de l’aide médicale (consultations, accouchements, soins et suivis à l’hôpital), matérielle (kits d’hygiène, tentes) et communautaire (Ecole de L’espoir, workshops d’art et de danse, projets de construction de canaux d’irrigation et de ponts) dans les deux camps. 96 En Haïti, les « maladies mentales » sont encore souvent "associées à la folie", surtout chez les catégories désavantagées et

peu éduquées.

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« L’aide des ONG se fait par partisannerie97

. Seulement les personnes avec des contacts

bénéficient d’aide. Pour moi, les comités ne sont pas une bonne chose parce que les Haïtiens

qui ont le plus besoin d’aide n’en reçoivent pas. Je ne crois pas dans les ONG et je ne vis pas sous leur responsabilité. »

(Entretien 2)

Beaucoup de jeunes veulent "encore toucher une aide", sous forme d’aide financière pour payer

l’école (infra 3.3.1.) ou sous forme d’aide alimentaire pour manger à leur faim. Quelquefois, de l’aide

matérielle et/ou médicale est exigée. Ceci accentue une fois de plus que les jeunes défavorisés ne sont

pas seulement autonomes et "débrouillards", ils sont aussi "dépendants de l’aide". Autrement dit, ils

développent une "attitude d’assistés". Ils sont « pervertis par l’aide reçue » (Lahens, 2010).

« Nous ne recevons plus d’aide aujourd’hui. J’ai entendu que la Croix-Rouge viendra bientôt.

Je pense qu’elle pourra fournir de l’aide matérielle. Nous espérons aussi recevoir de l’aide médicale contre l’épidémie de choléra. Je voudrais qu’on m’aide à avoir toutes les choses

nécessaires pour survivre (eau et nourriture) et j’aimerais de l’aide pour marcher à nouveau. »

(Entretien 12)

« Cela fait longtemps que nous ne recevons plus rien. J’aimerais continuer à recevoir de la

nourriture et de l’eau. Je voudrais aussi recevoir de l’aide financière pour l’école. Ce serait

vraiment bien s’ils payaient l’école pour moi. » (Entretien 13)

3.3. Question 3 : perspectives d’avenir et attentes des jeunes

La troisième question de recherche était : « Quelles sont les perspectives d’avenir et les attentes des

jeunes ? » L’étude examinait les besoins pressants, les professions futures envisagées et les visions et

projets d’avenir. Elle étudiait les attentes des jeunes envers l’Etat et les Haïtiens. Enfin, on désirait

voir les initiatives qui pouvaient être prises au niveau individuel et communautaire.

3.3.1. Besoins urgents

La plupart des jeunes ont trois grandes priorités : retourner à l’école et finir les "études classiques"

(de préférence avec une aide éducative, comme une bourse donnée par l’Etat ou des pays étrangers),

trouver du travail rémunéré (si possible avec le soutien de l’Etat), et quitter la vie sous les tentes

pour vivre dans une maison (éventuellement relocalisés avec l’assistance de l’Etat et des ONG). Une

partie des jeunes n’émet qu’un ou deux besoins, l’autre partie formule les trois. Quand les trois besoins

sont énoncés, l’ordre dans lequel ils sont exprimés diffère d’un jeune à l’autre. Pour certains, le besoin

le plus pressant est de terminer l’école, car ils estiment que l’éducation permet d’acquérir des

connaissances et d’apprendre une profession. Cette donnée avait été évoquée par Adam (2010) et

Baron et Trouillot (2010). Ils argumentaient que l’enseignement est source d’espoir pour les catégories

97 « Partisannerie » est un créolisme référant au "caractère partisan" des comités des ONG.

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démunies, puisqu’il permet d’accomplir l’avenir envisagé. Pour d’autres, il faut d’abord trouver un

emploi payé ; celui-ci permet de pourvoir aux besoins de base, d’être indépendant et de financer

l’école. Beaucoup d’Haïtiens ont perdu leur habitat et emploi dans le séisme, ce qui les rendait

incapables d’assumer leurs rôles sociaux en tant que fournisseurs des besoins de leurs enfants (affirmé

par Joseph (2011)). Pour d’autres encore, il est indispensable de ne plus subir les contraintes de la vie

sous les tentes. Ils veulent partir du camp, avoir un "chez-soi" pour vivre décemment et reprendre la

vie d’avant. Deux citations explicatives:

« J’aimerais pouvoir travailler et gagner de l’argent par ma propre sueur. J’ai vraiment besoin d’un emploi pour que mon fils puisse aller à l’école et que je puisse continuer mes études. »

(Entretien 3)

« Mon plus grand besoin est de trouver un endroit pour rester. Puis je veux finir l’école, pour

aller travailler après. Ma mère me disait de ne jamais laisser l’école parce que l’éducation

c’est tout. Je pense qu’elle a raison. »

(Entretien 7)

Quelques jeunes nomment des besoins primaires (eau, nourriture, vêtements, santé) ou mentionnent

des besoins religieux (Eglise, Bible) et "spirituels" (être heureux, bien vivre, avoir une meilleure vie,

avoir moins de soucis, avoir la stabilité et la paix d’esprit).

3.3.2. Professions futures envisagées, perceptions et projets d’avenir

Les Annexes III et V exposent la diversité dans les professions futures considérées par les jeunes, leurs

perceptions et projets d’avenir. Une partie des participants perçoit son avenir de façon claire et

déterminée, avec une seule profession en tête ; une autre partie est plus indécise et hésitante,

envisageant 2-3 professions. Généralement, on peut distinguer les idéalistes versus réalistes et les

optimistes versus pessimistes. Ces "catégorisations" sont arbitraires, car des mélanges sont possibles.

Des 22 participants, 8 affirment que leurs visions se sont renforcées ou adaptées après le séisme.

Certains ont des rêves ambitieux et optimistes, mais régulièrement naïfs et idéalistes, tant pour

eux-mêmes que pour Haïti. Ils perçoivent leur avenir dans 5 à 10 ans de la façon suivante : avoir

bouclé l’enseignement primaire et secondaire, vivre dans une maison, exercer un métier, gagner de

l’argent et fonder une famille. Parfois, ils désirent s’impliquer dans le développement de leur pays.98

Ils veulent exercer des professions qui exigent des études universitaires, telles que docteur (5

participants), diplomate (2 jeunes), homme/femme d’affaires (2 jeunes), économiste et ingénieur

agronome ou qui impliquent une fonction exemplaire (policière, pasteur, président(e)).

« J’aimerais entrer directement dans une université à New York pour étudier la chirurgie ou la

diplomatie. Après mes études universitaires, je voudrais vivre définitivement là-bas. »

(Entretien 9)

98 Par exemple, en soignant les malades, en créant un orphelinat pour les enfants des rues, en construisant des infrastructures,

des usines et des hôtels, ou en fondant des coopératives paysannes.

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« Je rêve de devenir docteur. J’ai toujours voulu faire ce métier. Je réussirais à atteindre mes

objectifs en allant à l’école, en priant et en croyant en Dieu. »

(Entretien 13)

D’autres gardent plus "les pieds sur terre". Ils ont des rêves plus réalistes et pragmatiques, avec une

bonne connaissance de soi-même. Ils sont conscients de la conjoncture socioéconomique et politique.

Ils projettent de faire des métiers en rapport avec leur possibilités, comme mécanicien (3 hommes),

plombier, électricien, chauffeur, DJ, comptable, informaticien(ne) (2 jeunes), infirmier/infirmière (2

jeunes), professeur d’école, commerçante (5 femmes), cuisinière (2 femmes) ou couturière.

« Je voudrais de nouveau être commerçante, parce qu’avec le niveau d’études que j’ai atteint (CM1), je ne peux rien faire d’autre. »

(Entretien 8)

« Plus tard, je voudrais être infirmière pour aider les personnes malades et participer au

développement de mon pays. »

(Entretien 19)

D’autres sont découragés et pessimistes. Ils pensent que dans une dizaine d’années, ils se

retrouveront toujours sous les tentes, parce qu’ils ne voient pas de changement depuis qu’ils sont là. Ils

sont persuadés qu’ils ne s’épanouiront qu’en dehors d’Haïti, en allant vivre à l’étranger. Ils ne croient

ni dans les relocalisations pour quitter les camps, ni dans le futur de leur pays.

« Mon plus grand rêve c’est d’aller vivre ailleurs. Ma vie sera meilleure là-bas. La vie est

difficile en Haïti : il y a de l’insécurité et beaucoup de problèmes. Le pays va de plus en plus mal. Même avec de l’argent, je ne vivrais pas bien ici. Haïti n’est pas développé et me

décourage. Tous mes rêves sont à l’étranger, ils se situent dans les pays des blancs 99

. Ici, il n’y

a pas d’avenir. Si je pouvais partir maintenant, je partirais tout de suite. » (Entretien 5)

« La situation dans laquelle je vis, me désespère. Si la situation politique reste identique et que le président ne fait rien pour les habitants des camps, je prévois que dans 5 à 10 ans, je me

retrouverai encore sous la tente. Il y a trop de problèmes structurels et gouvernementaux dans

ce pays. Je veux travailler pour gagner de l’argent et sortir du camp, mais je ne réussis pas à

trouver d’emploi. » (Entretien 11)

Remarquable, le niveau de scolarisation des jeunes semble jouer un rôle dans les mentalités et

les aspirations. Plus les jeunes sont scolarisés, plus ils croient en eux et en Haïti. Ils ne baissent pas

les bras et gardent courage. Ils ont de beaux rêves, malheureusement très utopiques et difficilement

réalisables. Les moins scolarisés sont plus démotivés, désillusionnés et freinés dans leur

épanouissement. L’enseignement haïtien véhicule certes des notes d’espoir, mais ne s’agit-il pas de

"faux espoir" ? Ne faudrait-il pas recadrer les perspectives d’avenir de certains jeunes pour qu’elles

dépassent les idéologies et puissent réellement s’accomplir ?

99 Les pays étrangers.

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3.3.3. Attentes vis-à-vis de l’Etat et des Haïtiens

L’échantillon a formulé de multiples attentes, qui peuvent être classées en trois groupes : 1) celles

envers l’Etat, 2) celles envers les Haïtiens et 3) celles envers l’International. Dans cette section, les

attentes vis-à-vis de l’Etat haïtien et de la communauté haïtienne sont discutées, des attentes résultant

d’une gouvernance faible et déstructurée (OCDE-PGD, 2010). Les espérances envers l’International,

précisément les ONG, ont été examinées plus haut (3.2.4.).

Couramment, les jeunes estiment que des changements sont nécessaires en Haïti pour qu’elle soit plus

« belle » et « accueillante ». Ce que la jeunesse attend de l’Etat peut être regroupé dans plusieurs

rubriques, restituées ici selon l’ordre d’importance100

: relocalisations et logement, éducation, création

d’opportunités de travail, santé, sécurité, compétence politique, réduction du coût de la vie,

reconstruction et protection de l’environnement et prêter attention aux individus vulnérables. Sur le

plan des relocalisations et du logement, plusieurs idées sont lancées. Certains pensent que l’Etat

devrait faire sortir les résidents des tentes en leur procurant une maison ou en leur donnant de l’argent

pour en (re) bâtir une. D’autres suggèrent que l’Etat achète un terrain et le partage en parcelles de

terre. Ensuite, il devrait relocaliser les résidents des camps dans des maisons, construites par les

habitants, l’Etat ou les ONG sur le terrain acheté. Sur le plan de l’éducation, les jeunes revendiquent

l’alphabétisation et la scolarisation pour tous les Haïtiens. Cependant, l’Etat ne doit pas seulement

investir dans la quantité et l’accessibilité aux écoles et aux universités, un enseignement de qualité doit

être proposé. Tandis que quelques-uns demandent une baisse des frais de scolarisation et davantage de

subventions de l’Etat, la majorité réclame l’école gratuite (promesse faite par le Président Martelly).

Sur le plan de la création d’emplois, les interviewés estiment que l’Etat a la responsabilité de créer

de l’activité économique et des débouchés de travail, car « Quand on ne travaille pas, on n’est rien et

on n’a rien. » (Entretien 7). Ceci peut être réalisé de différentes manières : en développant les

provinces et le tourisme, en fondant des entreprises, et en investissant dans les services et les

infrastructures. Sur le plan de la santé, les participants réclament plus d’hôpitaux, de centres de santé

et de personnel soignant, et une meilleure allocation de services. Sur le plan de la sécurité, davantage

de policiers dans les rues/quartiers sont exigés et la criminalité sous toutes ses formes doit être

réprimée. Sur le plan de la compétence politique, les questionnés requièrent un Etat capable et

structuré, qui satisfait les besoins du peuple au lieu de poursuivre des intérêts individuels. Ses

promesses doivent aboutir à des actions concrètes. Sur le plan de la réduction du coût de la vie, les

besoins de base (eau, nourriture et vêtements) sont considérés comme trop chers. Une baisse des prix

est sollicitée. Sur le plan de la reconstruction et de la protection de l’environnement, les

interrogés attendent le déblaiement des décombres et le nettoyage des déchets. Ils souhaitent la

100 Cela veut dire que les rubriques qui ont le plus été citées sont d’abord mentionnées. Par exemple, 14 des 22 jeunes considèrent que l’Etat doit investir dans les relocalisations et le logement et dans l’éducation. Or seulement 4 jeunes déclarent que l’Etat doit réduire le coût de la vie, reconstruire le pays et protéger l’environnement, et prendre soin des personnes

vulnérables. Les autres rubriques se situent entre ces extrêmes.

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reconstruction des bâtiments effondrés, en particulier celle des symboles nationaux. Finalement, des

soins spécifiques pour les personnes vulnérables sont désirés. Les orphelins, les enfants des rues, les

analphabètes, les handicapés et les malades mentaux ne doivent pas être "laissés pour compte" et

traîner dans les rues. Ils doivent être encadrés et soignés correctement. Deux citations :

« Je voudrais que tous les habitants des camps soient relocalisés parce que la vie sous les

tentes est marquée par le danger et l’insécurité. L’Etat devrait s’occuper des enfants orphelins

qui se retrouvent à la rue et ne vont pas à l’école. Tous les Haïtiens doivent pouvoir recevoir

une éducation, car il y a trop d’enfants et d’adultes qui ne savent pas lire et écrire. On devrait avoir un président qui gère bien le pays, qui enlève tous les décombres du séisme et les déchets

dans les rues, qui crée du travail pour que tout le monde puisse travailler et ne dépende plus

des autres, qui s’attaque à la criminalité et améliore la sécurité, qui prend soin des fous, folles et Chimères

101, et qui donne des parcelles aux pauvres pour qu’ils puissent construire des

maisons et avoir des moyens pour vivre. »

(Entretien 9)

« J’attends du gouvernement qu’il tienne ses promesses, telles que l’ouverture d’écoles

gratuites, la relocalisation des gens sous les tentes et la création d’emplois. Ces trois choses

sont des priorités pour moi et doivent être réglées immédiatement. Malheureusement, pour l’instant l’Etat n’a réalisé aucune de ses promesses. »

(Entretien 10)

Six interrogés ont des attentes spécifiques envers la communauté haïtienne. Ils veulent que tous les

Haïtiens fassent des efforts pour contribuer à la reconstruction et la refondation d’Haïti. Ils souhaitent

que l’union, l’entraide et la solidarité priment sur la logique du "chacun pour soi" (infra 3.3.4.).

« Pour qu’Haïti se développe en tant que pays, nous devons être solidaires. Nous devons nous

unir pour envoyer les enfants qui sont dans les rues à l’école et les aider à réaliser leurs

rêves. »

(Entretien 13)

3.3.4. Initiatives individuelles et communautaires

Dans les entretiens personnels, quelques initiatives individuelles sont abordées par les jeunes pour

réaliser les perspectives d’avenir qu’ils ont en vue. Ils disent accorder de l’importance à l’éducation et

au travail rémunéré (supra 3.3.1.). Certains choisissent de combiner les deux pour accomplir leurs

rêves ; ils veulent travailler le matin, aller à l’école l’après-midi et vice versa. Deux femmes désirent

utiliser des moyens de contraception pour éviter une nouvelle grossesse ; une adolescente veut des

relations sexuelles protégées. En revanche, l’impuissance, le fatalisme, l’attentisme, l’assistanat et

la dépendance de l’aide (bourses d’études, fonds financiers de la diaspora) sont aussi caractéristiques

dans l’échantillon:

« Je n’aime pas ma vie actuellement, mais j’y suis habituée et je ne peux rien y faire. »

(Entretien 15)

101 Les « Chimères » étaient/sont des "bandes armées" liées au clan de l’ancien président Jean-Bertrand Aristide. Ils

semaient/sèment la terreur dans la capitale haïtienne.

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« Je me demande ce qu’on fera quand les propriétaires du Terrain Boulos voudront récupérer

leur terrain. »

(Entretien 17)

Vu que les initiatives individuelles et communautaires pouvant être prises pour "soulager" et tenter

d’améliorer les conditions de vie dans les camps, s’avéraient rares, un focus groupe a porté sur ce

thème. L’Annexe V fournit le contenu de cette discussion. Les deux hommes102

qui y ont participé

activement confirment que l’unité, le partage et le volontariat dans la communauté haïtienne sont

fondamentaux.

« La meilleure façon pour réaliser des changements c’est par la solidarité. Je pense que nous, les Haïtiens, devons être solidaires. Nous devons nous unir et nous entraider. Par exemple,

lorsque des personnes sont malades, nous devons les soigner. Quand on prépare à manger, on

doit donner à ceux qui n’ont pas et qui ont faim. Le partage est très important. Il faudrait organiser des collectes de fonds pour les gens qui souffrent. Ceci permettrait de sortir des

conditions de vie difficiles, sans l’aide de l’Etat et de la communauté internationale. Selon moi,

l’union fait la force. (…) Pour être une communauté, nous devons accorder plus d’importance

au volontariat. Nous devons avoir une série de volontaires : un responsable santé, un responsable protection enfants, un responsable éducation, etc. »

(Dorémi)

Dorémi a suggéré que les habitants des deux camps se regroupent pour écrire un projet sur les

besoins des résidents103

et demander un appui à des instances (inter) nationales. Marcel et Laura

étaient sceptiques. Ils avaient des doutes sur l’union au sein de la communauté, leur expertise, leur

capacité de mobilisation, leur sécurité et leurs faibles moyens à disposition. Face aux critiques émises,

l’attention a été portée sur deux campagnes de sensibilisation à petite échelle, demandant peu

d’argent et de temps. D’une part, la protection des petits enfants nus a été discutée. Cette

sensibilisation explique les dangers (infections et abus sexuels) aux parents et aux enfants. D’autre

part, les précautions sexuelles ont été débattues, une thématique où les opinions divergent entre

hommes et femmes. Les hommes disent que ces précautions ne sont pas des priorités dans les projets

présentés ou ils mettent les déficiences sur les dos des femmes. Laura conteste cette vision. Elle

conçoit d’avoir un planning familial pour limiter le nombre d’enfants. Elle ne veut plus d’enfants

avec un mari « négligent »104

:

« Je pense que si une femme a déjà 4 enfants, elle devrait faire un planning familial sur 5 ans

pour ne plus avoir d’enfants. Après, elle devrait évaluer sa situation et faire un nouveau

planning. Si toutefois j’ai fait un enfant avec un homme et que je constate qu’il est négligent, je

ne voudrais plus enfanter105

avec lui. »

102 Il s’agit de Dorémi et Marcel. 103 Par exemple, un projet d’eau. 104 Un mari qui ne prend pas soin de sa famille (sa femme et ses enfants). 105 Faire des enfants.

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Marcel souligne immédiatement que la femme haïtienne a peu de pouvoir de décision et donc peu de

contrôle sur le nombre d’enfants. La société haïtienne est « macho »106

. Pour les hommes, avoir des

enfants est un signe de virilité, même si beaucoup abandonnent leurs familles. Ici, le départ de

l’homme est attribué au fait que la femme ne donne plus assez d’affection à son mari après la

naissance du premier enfant. Il est toutefois aussi communiqué que si une femme est mariée avec un

homme « paresseux »107

, elle a toutes les raisons de le quitter. Ainsi, la jeunesse haïtienne étudiée a

des mentalités et des habitudes fortement "enracinées" dans les façons de penser et d’agir. Cependant,

malgré les mésententes, un dialogue fructueux avec diverses opinions et visions était possible.

106 « Machisme » ou « macho » désigne la tendance de certaines personnes, communautés ou sociétés à trop accentuer la virilité des hommes et l’infériorité des femmes. 107 Un homme qui ne veut pas travailler.

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IV. CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS

L’objectif général du mémoire était d’approfondir les impacts psychosociaux du séisme de 2010 sur

des jeunes vivant dans des camps de Port-au-Prince. Un travail de terrain a été accompli dans les

Camps du Pétion-Ville Club et du Terrain Boulos. A travers les 22 études de cas de jeunes

défavorisés des camps, âgés de 15 à 25 ans, des réponses aux trois questions de recherche

peuvent être formulées.

Pour la première question (vécu du séisme et traumatismes), les jeunes interrogés ont tous été

marqués, d’une manière ou d’une autre, par le tremblement de terre. Les vécus sont propres à chaque

personne, mais le séisme est mémorable pour tous par sa violence, les expériences, les pertes et les

détériorations des conditions de vie. Nous pouvons parler de traumatismes individuels, mais aussi d’un

traumatisme collectif au sein de la jeunesse étudiée. Cette catastrophe est gravée dans l’affect et la

mémoire de tous et a compliqué la (sur) vie. Pendant et après le séisme, les pensées étaient religieuses.

Les sentiments de choc, panique, tristesse et fatalisme étaient omniprésents. Les comportements

consistaient à crier, courir, pleurer et prier. Quasiment tous les jeunes passaient la première nuit

dehors. Les répliques faisaient "revivre" l’évènement sous forme de symptômes de reviviscence,

d’excitation et d’évitement. Certains jeunes somatisaient. L’arrivée dans les camps variait : soit les

jeunes y résidaient dès le soir ou le lendemain, soit après avoir passé une période en province. Les

pertes induites par le séisme étaient considérables, avec en tête les pertes humaines et matérielles. Les

pertes de livelihoods et de liens étaient également récurrentes. Quant aux expériences en septembre

2011, pour une partie des jeunes, la vie dans les camps est traumatisante, accompagnée d’une

vulnérabilité et d’une résignation accrues. Pour d’autres, les camps offrent des opportunités et

augmentent même la résilience.

Concernant la deuxième question (survie quotidienne dans les camps), la survie se caractérise par

des difficultés. Les jeunes doivent affronter des conditions physiques et climatiques ardues ; ils sont

confrontés à de pénibles conditions d’hygiène et aux maladies ; ils ne se sentent pas toujours en

sécurité et ils ont difficilement accès à l’eau. Une partie des jeunes ne va plus à l’école et/ou est sans

emploi. Cependant, la majorité "se débrouille" pour "vivre au jour le jour", soit en exerçant des

activités de survie (commerce informel, travailler pour des ONG ou faire des petits boulots), soit en

s’appuyant sur des ressources, principalement le capital social (famille élargie, réseau d’amis, religion)

et financier (travail payé ainsi qu’argent, biens matériels et nourriture envoyés par la diaspora ou la

famille en province). L’aide (alimentaire, matérielle, médicale, psychosociale) apportée par les

organisations et institutions (inter) nationales forme aussi une ressource importante pour nombre

d’interviewés. Beaucoup expriment le désir de recevoir un soutien financier pour l’école.

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Comme réponse à la dernière question (perspectives d’avenir et attentes), la jeunesse interrogée a,

d’une part, des besoins urgents sur le court terme ; d’autre part, des perceptions et projets d’avenir sur

le moyen et le long terme. Les besoins les plus pressants sont de terminer l’école, de trouver un emploi

rémunéré et de quitter la vie sous les tentes. Concernant le futur, une multitude de professions et de

perspectives ont été abordées : certaines étaient ambitieuses, optimistes et idéalistes (médecine,

diplomatie, "business") ; d’autres s’avéraient plus réalistes et pragmatiques (mécanique, infirmerie,

petit commerce) ; d’autres encore se révélaient pessimistes (souhait de partir d’Haïti, car il n’y a pas

d’avenir). La jeunesse parlait d’initiatives individuelles et communautaires, telles qu’investir dans

l’éducation, chercher un travail, avoir des rapports sexuels protégés et faire un planning familial. De

nombreuses attentes étaient formulées envers l’Etat, les Haïtiens et l’International.

Les attentes exprimées par l’échantillon peuvent être traduites dans des recommandations.

Recommandations pour l’Etat et l’International :

­ Etre davantage à l’écoute des Haïtiens défavorisés vivant dans les camps, parce que ceux-ci

veulent et peuvent s’exprimer sur leurs vécus, vies et perspectives d’avenir, tant pour eux-

mêmes que pour Haïti.

­ Mieux écouter la science ; s’initier à la prévention et à la gestion des risques et des

catastrophes ; établir un plan de construction, d’aménagement et de décentralisation de

l’espace urbain.

­ Garantir un accès égal à l’aide pour tous les Haïtiens "nécessiteux" et ne pas faire des

promesses qu’ils sont incapables de réaliser.

­ Soutenir les communautés des camps. Par contre, ils ne doivent pas les déresponsabiliser ou

les pousser dans des attitudes d’attentisme, d’assistanat et de dépendance. Une « approche

participative » est donc indispensable ; ceci signifie que les communautés locales doivent

être impliquées dans les décisions prises et les actions menées.

­ Continuer les relocalisations des personnes dans les camps, car ceux-ci ne fournissent pas

des solutions durables. Davantage d’actions sont nécessaires dans les quartiers et

communautés d’origine des déplacés.

­ Fournir des soins de santé abordables et de qualité, poursuivre le combat contre l’épidémie

de choléra, et œuvrer pour un meilleur accès à l’eau potable, à l’alimentation et à des

conditions de vie décentes.

­ Accorder plus d’attention à l’éducation (quantitativement et qualitativement) et à la création

d’opportunités de travail. L’alphabétisation et la scolarisation ainsi que des emplois payés

sont revendiqués pour tous les Haïtiens. Une baisse des frais d’inscription, voire des

bourses d’études ou une éducation gratuite, sont aussi demandées.

­ D’autres impératifs sont : la sécurité (mesures protectrices pendant la saison cyclonique,

lutte contre la criminalité), la compétence politique (Gouvernement légitime et transparent),

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la réduction du coût de la vie, la reconstruction, la protection de l’environnement, la prise

en compte des personnes vulnérables (enfants des rues, orphelins, analphabètes, jeunes,

femmes, personnes âgées, malades mentaux et handicapés).

­ Garantir un accès universel aux services sociaux de base ; vulgariser des services

psychosociaux locaux, adaptés, accessibles pour tous et coordonnés avec l’aide

internationale.

Recommandations pour la communauté d’Haïtiens :

­ Une plus grande solidarité et entraide pour surpasser la logique du "chacun pour soi",

poursuivre les intérêts de la collectivité, et bâtir une Haïti plus prospère et plus unie, où les

citoyens peuvent s’épanouir et bien vivre au lieu d’uniquement survivre.

­ Engagement de tous les Haïtiens, selon leurs moyens et leurs capacités, à la reconstruction,

la refondation et la réhabilitation d’Haïti.

­ Rompre avec le fatalisme, l’attentisme, la "culture d’assistés" et la dépendance à l’aide.

­ Changer les mentalités et les comportements pour "vaincre le tabou et la honte associés aux

problèmes psychosociaux", pour "lutter contre la stigmatisation et la discrimination des

malades mentaux et des handicapés physiques, pour "combattre la culture machiste" et pour

"prendre des précautions sexuelles". Ceci permettrait d’inclure toutes les personnes dans la

société haïtienne, y compris les plus vulnérables, souvent "laissées pour compte".

Idéalement, ceci aboutirait à une société plus juste et plus équitable, avec une gouvernance

inclusive.

Un des buts du mémoire était d’arriver à une meilleure synchronisation entre jeunes victimes du

séisme et professionnels humanitaires. L’étude a analysé les expériences relatives au (post) séisme et

quelques attentes des jeunes des camps. Une recherche complémentaire pourrait dresser un bilan

des différentes réponses offertes par des institutions et organisations (inter) nationales dans le

domaine psychosocial. Il pourrait être intéressant de faire une comparaison entre les réponses

haïtiennes et internationales pour voir lesquelles répondent le mieux aux attentes de la jeunesse

haïtienne désavantagée.

Cette étude a analysé un échantillon de quelques jeunes. Pour pouvoir extrapoler les conclusions

obtenues à un contexte plus large et à des populations non-étudiées, plus de recherche comparative

et longitudinale est exigée. Ceci permettrait de faire des comparaisons entre différents camps, entre

genres et âges, entre la phase d’urgence et la phase de réhabilitation, ainsi de suite. Des recherches

pourraient aussi être conduites dans des bidonvilles de Port-au-Prince, pour voir s’ils diffèrent

beaucoup des camps ou sont au contraire ressemblants. Les études d’impacts ne devraient pas se

limiter à la capitale d’Haïti, mais s’étendre aux autres régions touchées par le séisme.

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Interviews individuelles/collectives et focus groupe

Entretien avec Ira, Dorémi et deux autres jeunes volontaires du Team Hope dans un local de J/P HRO

à Delmas 48, 15/09/2011.

Entretien individuel avec Claude (16 ans) devant la tente dans laquelle il vit avec sa maman dans le

Camp du Terrain Boulos, 22/09/2011.

Entretien individuel avec Dorémi (18 ans) dans la cabane du Camp du Terrain Boulos, 20/09/2011.

Entretien individuel avec Eric (15 ans) dans la cabane du Camp du Terrain Boulos, 27/09/2011.

Entretien individuel avec Eveline (25 ans) dans la cabane du Camp du Terrain Boulos, 21/09/2011.

Entretien individuel avec Gérard (18 ans) dans la cabane du Camp du Terrain Boulos, 19/09/2011.

Entretien individuel avec Jacques (19 ans) dans un restaurant dans le Camp du Pétion-Ville Club,

28/09/2011.

Entretien individuel avec Job (25 ans) dans un restaurant dans le Camp du Pétion-Ville Club,

22/09/2011.

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Entretien individuel avec Joseph (23 ans) dans la cabane du Camp du Terrain Boulos, 20/09/2011.

Entretien individuel avec Laura (19 ans) dans la cabane du Camp du Terrain Boulos, 19/09/2011.

Entretien individuel avec Lucie (17 ans) dans un restaurant dans le Camp du Pétion-Ville Club,

22/09/2011.

Entretien individuel avec Maeva (22 ans) dans un restaurant dans le Camp du Pétion-Ville Club,

28/09/2011.

Entretien individuel avec Marcel (22 ans) dans la cabane du Camp du Terrain Boulos, 27/09/2011.

Entretien individuel avec Marie (24 ans) dans la cabane du Camp du Terrain Boulos, 20/09/2011.

Entretien individuel avec Patrick (21 ans) dans la cabane du Camp du Terrain Boulos, 21/09/2011.

Entretien individuel avec Paul (17 ans) dans un restaurant dans le Camp du Pétion-Ville Club,

22/09/2011.

Entretien individuel avec Rachelle (16 ans) dans la cabane du Camp du Terrain Boulos, 27/09/2011.

Entretien individuel avec Rose (15 ans) dans un restaurant dans le Camp du Pétion-Ville Club,

28/09/2011.

Entretien individuel avec Tamara (18 ans) dans la cabane du Camp du Terrain Boulos, 19/09/2011.

Entretien simultané avec deux filles amies, Juliette (25 ans) et Mélanie (21 ans), dans une salle de

classe de l’Ecole de L’espoir dans le Camp du Pétion-Ville Club, 28/09/2011.

Entretien simultané avec deux garçons amis, Robert (15 ans) et Jérémie (16 ans), dans une salle de

classe de l’Ecole de L’espoir dans le Camp du Pétion-Ville Club, 26/09/2011.

Focus groupe avec Laura, Tamara, Dorémi, Patrick, Claude, Rachelle, Eric, Marcel et Jacques dans la

cabane du Camp du Terrain Boulos, 29/09/2011.

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ANNEXES

ANNEXE I : Cinq programmes gérés par J/P HRO

1) Programme Services médicaux : Avec sa devise « Santé pour tous », J/P HRO garantit des

services de santé gratuits (soins d’urgence, santé reproductive, soins de première ligne, et

campagnes de sensibilisation à l’hygiène, à la santé et aux maladies infectieuses). Les personnes

infectées avec le choléra sont détectées, isolées et suivies médicalement dans des tentes éloignées des camps pour éviter la propagation de la maladie. L’Image 8 montre l’hôpital

"rudimentaire" conçu par J/P sous une tente.

Image 8. Hôpital de J/P HRO dans le Camp du Pétion-Ville Club.

(Source : J/P HRO, 2011)

J/P a créé une pharmacie permettant aux personnes malades d’avoir accès à une médication adéquate (Image 9). Elle a aussi fondé une clinique communautaire.

Image 9. Patients faisant la queue devant la pharmacie du Camp du Pétion-Ville Club.

(Source : J/P HRO, 2011)

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Des points d’eau traitée, des poubelles, des "douches" et des latrines (Image 10) ont été installés pour

améliorer l’hygiène dans les camps.

Image 10. Latrines dans le Camp du Terrain Boulos.

(Source : Photo personnelle, 2011)

2) Programme Camp et Relocalisations : Une bonne gestion des camps est importante pour

préparer et aider les résidents à déménager, et pour fermer certaines zones des camps une fois qu’ils sont relogés dans leur quartier d’origine. J/P HRO collabore avec les chefs

communautaires des camps et cherche à développer leurs capacités, car ceux-ci aident à faciliter

la communication, la sécurité et la préparation aux urgences. Ils veillent aussi à ce que les

habitants des sites participent aux décisions prises quant à leur avenir. J/P travaille aussi avec les leaders de la communauté de Delmas (quartier de Port-au-Prince) pour développer des

approches holistiques pour les projets de réaménagement communautaire.

Une équipe de construction se spécialise dans la reconstruction des structures endommagées et se

charge de démonter les tentes lorsque les habitants partent. Une autre équipe s’occupe d’entretenir les

canaux (Image 11) et d’enlever les ordures pour améliorer la sécurité et l’hygiène. L’équipe de protection offre des conseils et des soins aux victimes de traumatisme, de crime et d’abus. Elle mène

également des campagnes d’information.

Image 11. Passage pour piétons et canal d’évacuation des eaux de pluie.

(Source : J/P HRO, 2010)

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3) Programme Education et Communauté : L’Ecole de L’espoir (Image 12), érigée par J/P

HRO et IsraAid, garantit une éducation primaire entièrement gratuite pour les enfants âgés de 6

à 15 ans vivant dans le Camp du Pétion-Ville Club. Environ 260 enfants y sont inscrits. Pour

doubler le nombre d’enfants scolarisés, l’école envisage d’organiser une session de cours le matin et une l’après-midi. L’école permet également aux résidents de se réfugier contre les

intempéries et les cyclones.

Image 12. Ecole de L’espoir dans le Camp du Pétion-Ville Club.

(Source : J/P HRO, 2010)

J/P gère dans chacun des camps un centre communautaire. Les programmes d’activités communautaires visent à accroître les potentiels des habitants par le biais d’activités récréatives, de

classes de langue et d’alphabétisation, de formations professionnelles ou de projets générateurs de

revenus.

4) Programme Ingénierie : Initié en juillet 2010, il s’occupe du déblaiement des décombres

dans les rues/quartiers et de la démolition des maisons inhabitables afin d’ouvrir la voie à la

reconstruction et de permettre aux résidents des camps de retourner chez eux, de rétablir leurs communautés locales et de retrouver leurs « livelihoods » (c’est-à-dire les capacités, les

ressources et les activités nécessaires pour prévoir dans la survie (Chambers & Conway, 1992) ;

il s’agit des moyens de subsistance utilisés, des stratégies d’adaptation pour survivre (Scoones, 2009)).

L’Image 13 montre que les travaux de déblayage nécessitent une haute intensité de main-d’œuvre

(HIMO). Dans cette optique, J/P a conçu un modèle rentable de « Cash-for-Performance », qui permet aux personnes participant à l’évacuation des décombres d’être rémunérées pour leurs performances.

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Image 13. Déblayage des décombres dans les rues et les quartiers.

(Source : J/P HRO, 2011)

5) Programme Redéveloppement : Un objectif vital de J/P HRO est d’augmenter les services

disponibles dans les quartiers d’origine des déplacés. L’ONG répare et reconstruit des écoles,

des cliniques, des points d’eau, des centres commerciaux et des infrastructures. Elle développe

de nouvelles options de logement, peu coûteuses, sécuritaires et adaptées au contexte haïtien (Image 14). Ces efforts doivent inciter les résidents à quitter les camps et permettre de régénérer

les communautés locales par la renaissance de la vie sociale.

Image 14. Construction d’une maison par J/P HRO.

(Source : J/P HRO, 2012)

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ANNEXE II : Questionnaire des interviews individuelles

1. Introduction et consentement

Bonjour,

Je m’appelle Anneleen. J’ai 24 ans et je suis une étudiante en Sciences de Développement à l’Université de Gand, en Belgique. J’ai amené …….. qui m’assistera comme interprète. Elle/Il traduira

ce que je dis en français dans la langue créole et ce que vous dites en créole dans la langue française.

Ainsi, nous pourrons bien nous entendre, nous exprimer et discuter.

Dans le cadre de mes études universitaires, je réalise cette recherche. Je souhaite mieux comprendre

les impacts psychologiques (pensées, sentiments, comportements) et sociaux (soutien familial,

religion, aide reçue, etc.) du tremblement de terre du 12 janvier 2010 sur des jeunes dans des camps de Port-au-Prince, capitale d’Haïti. A la fin je rédigerai un mémoire, c’est-à-dire un rapport de recherche

sur les données rassemblées.

L’objectif général est de conduire une étude qualitative, partant des points de vue et des expériences

personnelles des jeunes haïtiens de la tranche d’âge de 15 à 25 ans faisant partie des couches sociales

les plus démunies et vivant dans des camps d’hébergement. J’ai choisi d’effectuer un travail de terrain

dans le Camp du Pétion-Ville Club et le Camp du Terrain Boulos. Je veux faire des interviews individuelles avec des garçons et des filles de 15 à 25 ans qui habitent dans ces deux camps.

L’étude consiste à étudier trois volets. D’une part, en savoir plus sur le vécu d’expériences traumatisantes pendant et après le séisme ainsi qu’en septembre 2011. D’autre part, mieux comprendre

la survie quotidienne, les activités pour survivre, les difficultés et les ressources. Finalement, connaître

quelques-unes des perspectives d’avenir et des attentes des jeunes. Je voudrais te poser des questions sur les trois domaines.

Ta participation à la recherche est tout à fait volontaire et strictement confidentielle. Tu pourras me

parler librement, car je garantis de respecter ton anonymat. Cet entretien prendra environ 1h à 1h30. Merci de bien vouloir répondre à ces quelques questions. Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises

réponses. C’est ton histoire personnelle, ton témoignage qui m’intéresse.

Avec cet appareil (montrer le dictaphone) je désire enregistrer notre conversation. Cela me permettra

de ne prendre que quelques notes, m’aidera à me concentrer davantage sur l’entrevue et facilitera la

transcription de l’interview après. Puis-je utiliser le dictaphone ou ça te dérange ?

Pouvons-nous commencer maintenant ?

2. Informations générales

Je commence par te poser des questions générales pour apprendre à mieux te connaître. J’utiliserai un

prénom fictif dans mon rapport final pour assurer ta confidentialité.

1. Prénom ?

2. Age ?

3. Genre ?

4. Situation familiale (parents, frères, sœurs, mari ou femme, enfants) ?

5. Camp d’hébergement ?

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6. Combien de personnes vivent actuellement sous la tente avec toi et qui sont ces

personnes? Vis-tu seul, en couple, avec tes parents, avec de la famille, avec des amis, avec des connaissances, avec des inconnus, autre ?

7. Où vivais-tu avant le tremblement de terre ?

8. Niveau d’études (classe et école) ?

9. Activité professionnelle principale ou profession future envisagée ?

10. Autres occupations pour avoir un gagne-pain et se faire de l’argent ?

11. Loisirs ? Sports ?

12. Aspirations personnelles ?

13. Religion ?

3. Vécu du tremblement de terre et traumatismes

Là, nous allons parler du tremblement de terre. Je souhaite entendre comment tu as vécu le séisme et le

post-séisme. Je veux en savoir plus sur tes expériences (émotions, pensées, comportements). Nous allons tenter de repérer d’éventuels traumatismes qui résultent de cette catastrophe naturelle.

14. Est-ce que tu te rappelles le jour du 12 janvier 2010 ? Peux-tu me dire exactement ce qui

s’est passé ? J’aimerais me former une image de ton expérience personnelle, de comment tu as (sur) vécu le tremblement de terre.

15. Quelles souffrances physiques, psychiques et sociales as-tu enduré ? Comment tu t’es comporté ?

16. Qu’est-ce que tu ressentais, pensais et faisais avant le tremblement de terre ? Je voudrais avoir une idée de tes sentiments, pensées et activités avant le séisme.

17. Qu’est-ce que tu ressentais, pensais et faisais pendant les secousses de 35 secondes ? Je

voudrais connaître tes sentiments, pensées et comportements durant le séisme.

18. Qu’est-ce que tu ressentais, pensais et faisais après le tremblement de terre et pendant les

répliques suite au séisme ? Je voudrais savoir quels étaient tes sentiments, pensées et activités après le séisme et pendant les répliques.

19. Comment le tremblement de terre et les répliques ont bouleversé ta vie ? Qu’est-ce que tu ressens, penses et fais aujourd’hui ? Je désirerais comprendre les pertes humaines et

matérielles que tu as connu, tes cicatrices psychosociales, tes sentiments, pensées et

comportements plus d’un an et demi plus tard.

4. Survie quotidienne dans les camps, activités exercées, difficultés rencontrées et ressources

utilisées

Maintenant, je veux savoir comment tu fais pour survivre chaque jour dans le camp. Je souhaite

saisir quelles sont les activités de survie exercées et les difficultés que tu dois affronter. Je désire

comprendre les ressources sur lesquelles tu peux t’appuyer et l’aide éventuellement reçue.

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20. Après le séisme tu as petit à petit repris ta vie. Peux-tu me dire comment tu as surmonté

cette épreuve et le(s) deuil(s) ? Comment as-tu repris tes activités quotidiennes ?

21. Comment tu survis ? Quelles activités de survie exerces-tu ? Quels sont les moyens de

subsistance utilisés ?

22. Quelles sont les plus grandes difficultés de vivre dans un campement de tentes ?

23. Quelles ressources t’ont aidé à te redresser ? Quelles ressources (humaines, sociales,

physiques, financières, naturelles et/ou politiques) utilises-tu pour survivre ?

24. Recevais-tu du soutien après le séisme ? Quelles étaient les réponses offertes en termes de

soins et d’accompagnement psychosocial ?

25. Reçois-tu aujourd’hui une forme d’aide quelconque, comme par exemple de l’aide

psychosociale, médicale, matérielle ou financière ?

26. Quelles sont tes satisfactions et insatisfactions par rapport aux réponses offertes ?

5. Perspectives d’avenir et attentes des jeunes

Finalement, nous arrivons au dernier volet, dans lequel je désire appréhender tes besoins et la façon

dont tu perçois ton avenir. Je veux saisir ce que tu attends des Haïtiens, de l’Etat et de la communauté internationale, et ce que tu comptes faire pour réaliser tes projets d’avenir.

27. Quels sont tes besoins aujourd’hui ?

28. Comment vois-tu ton avenir ? Quels sont tes objectifs personnels? Quelles sont tes

aspirations ? Quelle profession envisages-tu ? J’aimerais connaître tes perspectives

d’avenir. Ont-elles profondément changées depuis (à cause du) le tremblement de terre ?

29. Quelles sont tes attentes et espérances envers l’avenir ? Qu’attends-tu de l’Etat haïtien et

de la communauté internationale en Haïti ? Que veux-tu sur le plan du logement, de l’éducation, de la santé, des opportunités de travail, de la sécurité, ou autres ? Qu’est-ce

qui doit changer pour toi ou au contraire rester et être renforcé ?

30. Que peux-tu faire pour satisfaire tes besoins et améliorer ton avenir ? Quelles initiatives peux-tu prendre individuellement ou en communauté?

6. Conclusion

Je n’ai plus de questions pour toi. Je suggère donc que nous nous arrêtons là. Je te remercie beaucoup

pour ta participation.

Une fois que je serai de retour en Belgique, j’écrirai mon mémoire sur cette recherche (un rapport

scientifique à partir des données collectées). J’enverrai une copie à J/P HRO qui gère le camp dans

lequel tu vis. J’espère qu’ils pourront tenir compte de mes conclusions et d’éventuelles recommandations. Le but ultime de nous tous étant, non seulement de t’aider à te remettre du séisme,

mais également de t’aider à bâtir un avenir meilleur.

Si tu as des questions pour moi (sur moi ou sur ma recherche), n’hésite pas à me les poser. Je suis

disposée à y répondre.

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ANNEXE III : Schéma des 22 entrevues dans les Camps Boulos et Pétion-Ville Club

# Description du contexte - Données sociologiques - Particularités - Observations et impressions - Conditions d’interview

1 19/09/2011 : Interview avec GERARD dans la "cabane" du Camp du Terrain Boulos

(Claudia comme interprète) ­ Garçon de 18 ans. ­ Situation familiale : Il est célibataire. Sa maman est vivante, son papa est décédé avant le

séisme. Il vient d’une famille avec 4 enfants (2 filles et 2 garçons). Depuis tout petit, il ne vit pas avec ses parents mais avec son cousin et sa cousine.

­ Ils sont 5 personnes sous une tente dans le Camp du Terrain Boulos, entre autres : lui, son

cousin et sa cousine. ­ Quartier d’origine : Delmas 60. ­ Education : Il ne va plus à l’école depuis le séisme. Il a atteint le niveau de CM2. ­ Religion : Protestant. Il va à l’Eglise, prie Dieu et écoute des musiques évangéliques. ­ Activités de survie : Avant le tremblement de terre, il travaillait comme maçon pour gagner de

l’argent. Depuis le séisme, il ne veut plus faire de la maçonnerie, car il a trop peur que des

maisons s’effondrent. ­ Professions futures envisagées : Mécanicien. ­ Loisirs : Il aime regarder des films à la télévision. ­ Interview en créole dans des conditions difficiles. Il parlait à voix basse et était difficilement

compréhensible. Il y avait beaucoup de "curieux" autour (comme c’était le premier entretien, des personnes étaient intéressées, venaient nous voir, et voulaient assister à la conversation

pour entendre les questions posées et les réponses données). Beaucoup de bruits de fond

étaient audibles (conversations, radio, etc.). J’avais parfois du mal à me concentrer. Je pense que le garçon était en soi déjà timide et que le monde autour l’intimidait.

2 19/09/2011 : Interview avec LAURA dans la "cabane" du Camp du Terrain Boulos

(Claudia comme interprète) ­ Fille de 19 ans. ­ Situation familiale : Elle vient d’une famille de 7 enfants (elle a 4 sœurs et 2 frères). Sa maman

vit, son papa est mort. Elle a un mari. Pendant le séisme, elle était enceinte. En février 2010

(environ un mois après le tremblement de terre), elle a accouché d’une fille. Aujourd’hui, sa

fille a 18 mois. ­ Ils vivent à 6 sous une tente dans le Camp du Terrain Boulos : sa fille et elle, avec sa sœur et

son conjoint et leurs 2 enfants. ­ Quartier d’origine : Delmas 69. Elle vivait dans une maison louée. ­ Education : Elle a quitté l’école depuis le séisme. Elle est arrivée en CM2. ­ Religion : Evangéliste. Elle croit en Dieu, mais n’est pas très pratiquante. ­ Activités de survie : Elle n’exerce pas d’activité professionnelle. Elle est femme au foyer et a

une responsabilité de mère. Son mari travaille en province pour s’occuper d’elle et de son enfant. Toutes les deux semaines il vient les voir dans le camp.

­ Professions futures envisagées : Commerçante, couturière et/ou cuisinière. ­ Elle n’a pas de loisirs. ­ Meilleures conditions d’entretien : je comprenais mieux cette participante et il y avait moins de

monde autour de nous. Claudia et moi avions demandé aux "curieux" de s’éloigner un peu

pour que l’intervenante puisse parler plus facilement des sujets délicats.

3 19/09/2011 : Interview avec TAMARA dans la "cabane" du Camp du Terrain Boulos

(Claudia comme interprète) ­ Fille de 18 ans.

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­ Situation familiale : Originaire d’une famille avec 4 enfants (elle a 2 sœurs et 1 frère). Sa

maman est morte depuis 4 ans, son papa est vivant. Elle a un mari et un fils. Lors du séisme

son petit garçon avait 3 mois, maintenant il a 2 ans. ­ Ils vivent à 4 sous une tente dans le Camp du Terrain Boulos. Elle y réside avec son mari, son

fils et sa tante. ­ Quartier d’origine : Delmas 48. ­ Education : Elle est arrivée en Sixième. Elle ne va plus à l’école depuis le décès de sa maman. ­ Religion : Catholique ­ Activités de survie : Elle travaillait comme commerçante en vendant des maillots et des jeans

au marché. Depuis 6 mois, elle ne vend plus, car elle n’a plus les moyens financiers pour aller au marché. Son mari ne travaille pas non plus.

­ Professions futures envisagées : Travailler à nouveau comme commerçante et avoir son propre

"business". ­ Loisirs : Elle court de temps en temps pour maigrir. ­ Impressions : Personne très ouverte qui parlait beaucoup et donnait de nombreux détails

pendant son témoignage. Elle se sentait à l’aise durant l’entretien. ­ Il y avait quelques éléments perturbateurs lors de l’entrevue. Son petit garçon était là, il prenait

régulièrement le dictaphone et jetait mes papiers par terre. Comme il était "taquin" et essayait

d’obtenir de l’attention, je mettais mes affaires loin de lui et demandais à la participante de

tenir le dictaphone dans ses mains.

4 20/09/2011 : Interview avec MARIE dans la "cabane" du Camp du Terrain Boulos

(Joël comme interprète) ­ Fille de 24 ans. ­ Situation familiale : Ses deux parents sont vivants. Elle a 1 grand frère qui est marié et qui a un

enfant. Elle a 1 fils de 21 mois qui n’avait que 13 jours au moment du séisme. Le père de son

enfant et elle se sont séparés après le tremblement de terre. Son fils vit avec le papa à Pétion-

Ville, mais elle le voit souvent. Elle a perdu sa demi-sœur dans le séisme (elles avaient le

même papa mais pas la même maman). Elle la considérait comme sa sœur et est toujours en deuil à cause de sa mort. Elle a de forts liens avec le frère et la sœur de sa demi-sœur, qui sont

pour elle de la "famille adoptive". ­ Elle vit sous une tente du Terrain Boulos avec son papa, sa maman et son oncle. La tente est

donc habitée par 4 personnes. ­ Quartier d’origine : Elle vivait près du Terrain Boulos. ­ Education : Elle a atteint la classe de Première. Elle n’a pas réussi la Première pendant l’année

scolaire 2009-2010 à cause de l’accouchement de son fils en décembre 2009. Elle espère retourner à l’école en octobre 2011.

­ Religion : Catholique, mais elle va de temps en temps dans des églises Protestantes. ­ Activités de survie : Cette jeune fait partie du « Hope Team », fondé par J/P HRO. ­ Elle travaille avec les enfants dans le centre communautaire du camp. Elle fait de l’artisanat

(sandales, bracelets, colliers, etc.), de la danse et des activités socioculturelles avec eux. Elle

aimerait travailler comme réceptionniste pour gagner de l’argent. ­ Professions futures envisagées : Elle voudrait faire 2-3 études universitaires pour devenir

diplomate, docteur et femme d’affaires. Elle aime beaucoup les enfants et souhaite fonder un

grand orphelinat pour encadrer les enfants des rues. ­ Loisirs : Danse folklore, lire et écrire des poèmes. ­ Impressions : Femme intelligente qui donnait des réponses pertinentes et élaborées.

Extrêmement ouverte, enthousiaste et positive. Elle avait une vision optimiste, voire idéaliste

et un peu naïve, concernant son avenir et celui de son pays. Elle ne baisse par les bras, croit dans l’avenir et veut contribuer à développer Haïti. Elle a de beaux projets pour améliorer la

situation en Haïti en investissant dans les enfants et les jeunes (orphelinat, projets éducatifs et

culturels, etc.) ­ Long interview (1h50) dans de bonnes conditions. Elle comprenait parfaitement le français et

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répondait à toutes les questions en français.

5 20/09/2011: Interview avec JOSEPH dans la "cabane" du Camp du Terrain Boulos

(Joël comme interprète) ­ Garçon de 23 ans. ­ Situation familiale : Il vient d’une famille avec 5 enfants (il a 2 sœurs et 2 frères). Ses parents

vivent en province et 1 de ses frères vit à l’étranger, à Saint Thomas. Il est papa d’une fille de 4

ans. La maman de sa fille est morte dans le tremblement de terre. ­ Il vit sous une tente dans le Camp Boulos avec ses 2 sœurs, 1 frère et sa fille. Ils sont donc 5

sous la tente. ­ Quartier d’origine : Martissant. ­ Education : Il est arrivé en Quatrième. ­ Religion : Evangéliste. ­ Activités de survie : Depuis le séisme, il n’a pas de travail. Avant, il travaillait comme maçon. ­ Professions futures envisagées : Il aimerait apprendre la plomberie pour devenir plombier. ­ Loisirs : Il joue au domino et fait du football. ­ Observations et impressions : Il parlait à voix basse. Il évitait le contact visuel et tournait

régulièrement sa tête. Tout à fait le contraire de l’interview effectué avec la participante

d’avant. Homme découragé, démotivé et négatif. Il a une vision pessimiste, il ne croit pas dans l’avenir d’Haïti. Son plus grand rêve est de quitter Haïti pour aller vivre et travailler à

l’étranger. ­ Interview en créole, mais même en s’exprimant dans sa langue natale il avait du mal à

extérioriser ses pensées et ses sentiments.

6 20/09/2011 : Interview avec DOREMI dans la "cabane" du Camp du Terrain Boulos

(Joël comme interprète) ­ Garçon de 18 ans. ­ Situation familiale : Il a 1 frère et 4 sœurs de la même maman et du même papa. Il a 1 demi-

frère du côté de son papa. Son père est décédé quand il avait 11 ans. ­ Il vit sous une tente dans le Camp du Terrain Boulos avec sa grande sœur et son frère. La tente

est donc habitée par 3 personnes. Le reste de sa famille réside dans le même camp (sa maman et ses 3 autres sœurs vivent sous une autre tente).

­ Quartier d’origine : Delmas 48. ­ Education : Il est arrivé dans la classe de Troisième. Depuis le séisme, il ne va plus à l’école.

Son école s’est écrasée. ­ Religion : Il est Protestant. Avant le tremblement de terre, il avait toujours le pressentiment

que quelque chose de mal allait se passer en Haïti. Ceci l’a poussé à se convertir au

protestantisme, à se baptiser et à aller à l’Eglise. ­ Activités de survie : Il est le leader du « Hope Team » (comité de jeunes dans le Camp du

Terrain Boulos, créé en collaboration avec J/P HRO). Il travaille dans le domaine social et

culturel avec le centre communautaire de J/P HRO. Il cherche du travail payé et a déposé son CV. Il dit que c’est difficile de trouver du travail.

­ Professions futures envisagées : Il voudrait être homme d’affaires et avoir son "business". Il

aimerait aussi fonder des coopératives paysannes. ­ Loisirs : Il a suivi une formation de premiers soins et IsraAid a donné une formation de leader

pendant 10 mois. Il aime travailler avec un groupe d’enfants. Il fait du sport et du théâtre avec

les enfants du Camp Boulos ­ Impressions : Jeune avec un grand cœur, prêt à aider les autres. Il est optimiste et a des projets

d’avenir. Pour améliorer la situation en Haïti, il rêve d’aller en province pour aider les paysans

en leur donnant des formations et en créant des coopératives paysannes. Il veut aussi travailler

comme "businessman". Grâce à son "business", il espère pouvoir employer beaucoup de monde et montrer aux paysans comment fonder un petit "business". Il est très idéaliste et naïf.

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Il pense à devenir le futur président d’Haïti ou un sénateur. ­ Interview en créole, mais il comprenait aussi le français. L’entretien a été interrompu à cause

d’une forte averse.

7 21/09/2011 : Interview avec PATRICK dans la "cabane" du Camp du Terrain Boulos

(Claudia comme interprète) ­ Garçon de 21 ans. ­ Situation familiale : Il a 1 jeune frère qui est dans une plus grande classe que lui. Il a une petite

amie. Son papa est en vie, sa maman est décédée dans le tremblement de terre. ­ Il vit sous une tente dans le Camp du Pétion-Ville Club avec son papa et son frère. Ils sont

donc 3 sous la tente. ­ Quartier d’origine : Delmas 31. ­ Education : Il est arrivé dans la classe de Quatrième. Il ne prenait pas l’école au sérieux.

Maintenant, il se rend compte que l’école est importante et qu’une bonne éducation lui

permettra de trouver du travail. ­ Religion : Il est Catholique, croyant et pratiquant. Chaque dimanche il va à l’Eglise. ­ Activités de survie : Il ne travaille pas. Il va à l’école. ­ Professions futures envisagées : Il rêve depuis tout petit de devenir ingénieur agronome. ­ Loisirs : Il aime jouer au football et au domino. ­ Impressions : Il ne se sentait pas très à l’aise. Il y avait peu de contact visuel. Par contre, c’était

un garçon ouvert qui parlait beaucoup et arrivait à exprimer ses pensées et ses sentiments. Il est

traumatisé par la mort de sa mère dans le séisme, mais il garde le courage et ne baisse pas les bras. Il a de l’espoir dans un avenir meilleur. Sa priorité est de finir ses études secondaires.

­ Bonnes conditions d’interview : Il n’y avait personne autour de nous et aucun bruit de fond.

8 21/09/2011 : Interview avec EVELINE dans la "cabane" du Camp du Terrain Boulos

(Claudia comme interprète) ­ Fille de 25 ans. ­ Situation familiale : Elle vient d’une famille avec 6 enfants (elle a 2 frères et 3 sœurs). Sa mère

vit en province, son père est mort. Elle avait un mari mais après l’accouchement de son

deuxième enfant il l’a quittée en disant que le bébé n’était pas à lui parce que sa couleur de peau était trop claire. Elle est maman de 2 enfants : 1 garçon de 4 ans et 1 fille de 5 mois. Sa

fille est née dans la tente avec l’aide d’un "docteur-feuille". Elle se résigne à prendre soin toute

seule de ses deux enfants. ­ Elle vit sous une tente sur le Terrain Boulos avec ses 2 enfants et 1 frère. Ils sont donc 4 sous

la tente. Avant, son mari vivait avec eux, mais il l’a abandonnée et laissée seule avec les

enfants. ­ Quartier d’origine : Pétion-Ville. ­ Education : La dernière classe atteinte est le CM1. Depuis sa première grossesse, elle ne va

plus à l’école. ­ Religion : Evangéliste. Elle va à l’Eglise, mais elle n’est pas convertie. ­ Activités de survie : Avant que son mari ne l’abandonne, elle avait un petit commerce.

Actuellement, elle n’a aucune occupation à part s’occuper de ses enfants. Depuis le départ de

son mari, elle "se débrouille" pour prendre soin de ses deux enfants, mais elle ne peut pas les

laisser seuls (surtout pas le bébé) pendant la journée pour aller travailler. ­ Professions futures envisagées : Elle voudrait de nouveau avoir son petit commerce, car elle

estime qu’avec le niveau d’études qu’elle a atteint, elle ne peut rien faire d’autre. Elle

souhaiterait finir ses "études classiques" pour avoir plus de connaissances. ­ Elle n’a aucun loisir. ­ Conditions d’interview difficiles : Elle parlait à voix basse, ses deux enfants étaient avec elle,

il y avait beaucoup d’enfants et d’adultes autour de nous. Il a commencé à pleuvoir fort, ce qui compliquait l’entretien. La pluie faisait du bruit sur les tôles du toit de la "cabane". Des

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habitants du camp venaient se réfugier sous la "cabane" et discutaient à voix haute.

9 22/09/2011 : Interview avec LUCIE dans un restaurant dans le Camp du Pétion-Ville Club

(Joël comme interprète) ­ Fille de 17 ans. ­ Situation familiale : Ses parents se sont séparés quand elle avait 1 an. Elle a toujours vécu avec

sa maman et son beau-père. Son papa est mort dans le séisme. Elle a 1 petit frère qui a été

adopté quand il était bébé. C’est l’enfant d’une tante habitant en plaine. Depuis 2 ans, elle a un

petit copain. Il vit et étudie aux États-Unis, mais ils sont toujours un couple. ­ Elle vivait avec 5 personnes sous une tente dans le Camp du Pétion-Ville Club : sa mère, son

beau-père, son petit frère adoptif, une cousine et un cousin. La tente était donc habitée par 6

personnes. Aujourd’hui, elle ne vit plus sous la tente, mais dans une maison avec sa cousine et son frère. Elle a quitté le camp en décembre 2010, après y avoir vécu pendant 1 an. Sa mère,

son beau-père et son cousin habitent toujours sous une tente. ­ Quartier d’origine : Delmas 87. ­ Education : En octobre 2011, elle commence la classe de Troisième. ­ Religion : Catholique. Chaque dimanche elle va à l’Eglise. ­ Activités de survie : Elle n’exerce pas encore d’activité professionnelle. ­ Professions futures envisagées : Plus tard, elle aimerait être chirurgienne ou diplomate. ­ Loisirs : Elle joue au basketball et elle danse (folklore, hiphop, jazz et salsa). Elle aime voir ses

amis et aller dans des fêtes avec eux. Elle suivait des cours d’informatique et d’anglais, mais

elle les a abandonnés parce qu’elle faisait trop de choses. ­ Observations et impressions : Elle semblait être assez "théâtrale". Elle parlait beaucoup à voix

haute, faisait des tas de gestes et attirait l’attention sur elle. Elle "faisait son show". Elle était

enthousiaste de faire l’entrevue même si elle ne vivait plus dans le camp. Elle était curieuse de mieux nous connaitre et d’en savoir plus sur nos vies. Elle n’hésitait pas à demander nos

adresses e-mail, nos accounts Facebook et nos numéros de téléphone. J’ai l’impression qu’elle

faisait partie de la classe moyenne parce qu’elle avait quitté le camp pour aller vivre dans une

maison, elle portait de beaux habits et possédait un BlackBerry. Elle était allée chercher son uniforme à l’école afin de se préparer pour la rentrée scolaire et elle nous le montrait fièrement.

Elle était très excitée à l’idée de recommencer l’école. C’était quelqu’un d’optimiste avec

beaucoup de passe-temps. ­ L’interview était en français et en créole. Elle voulait parler en anglais. Long interview (1h30)

dans lequel des sujets très sérieux ont été abordés comme une tentative de viol sur elle par un

homme de la famille de son beau-père quand elle vivait encore sous une tente. Elle dérivait

aussi sur plusieurs sujets, à ce moment il était important de réorienter l’interview. Peut-être que sa "théâtralité" résulte de son "expérience de presque viol" et peut lui permettre de cacher un

côté plus vulnérable.

10 22/09/2011 : Interview avec PAUL dans un restaurant dans le Camp du Pétion-Ville Club

(Joël comme interprète) ­ Garçon de 17 ans. ­ Situation familiale : Il est l’aîné de 4 enfants (il a 1 petite sœur et 2 petits frères). Ses deux

parents sont vivants, par contre ils sont séparés. Sa mère a un nouveau mari et vit avec lui. Son

père a une nouvelle copine et vit avec elle. ­ Ils dorment à 8 personnes sous une tente dans le Camp du Terrain Boulos : sa mère, son beau-

père, les 4 enfants, sa cousine et son cousin. Ils passent la journée dans leur maison, la nuit ils

dorment sous une tente. ­ Quartier d’origine : Delmas 48. Leur maison est située sur le Terrain Boulos. ­ Education : Il doit commencer la Cinquième. ­ Religion : Evangéliste. Un dimanche sur deux il va à l’Eglise. ­ Activités de survie : Il va uniquement à l’école, il ne travaille pas.

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­ Professions futures envisagées : Il voudrait devenir infirmier. ­ Loisirs : football et courir. ­ Impressions : Il ne parlait pas très fort et ne développait pas beaucoup ses idées. Il paraissait

avoir des difficultés à exprimer ses pensées et ses sentiments. L’interview a duré à peine

40min. Il semblait s’ennuyer un peu durant l’entretien. Je pense que ça ne l’intéressait pas trop.

Il avait l’air plutôt réservé. Quand des "curieux" s’asseyaient autour de nous, il se taisait tandis qu’il s’apprêtait à dire quelque chose. Garçon plutôt optimiste.

11 22/09/2011 : Interview avec JOB dans un restaurant dans le Camp du Pétion-Ville Club

(Philippe comme interprète) ­ Garçon de 25 ans qui voulait à tout prix participer à la recherche. Il disait : « Je suis traumatisé

depuis le tremblement de terre et j’ai besoin de parler à quelqu’un. » ­ Situation familiale : Il vient d’une grande famille avec 17 enfants (8 filles et 9 garçons), tous

du même papa mais de mamans différentes. Il a une copine et un fils de 2 ans. ­ Ils vivaient à 3 sous une tente dans le Camp du Pétion-Ville Club : sa copine, son fils et lui. A

cause de l’insécurité dans le camp, son fils est allé vivre chez une tante. Aujourd’hui, la tente

est donc occupée par sa petite copine et lui. ­ Quartier d’origine : Delmas 48. ­ Education : Depuis le séisme, il ne va plus à l’école. Il est arrivé en Troisième. ­ Religion : Catholique. Il est très croyant. ­ Activités de survie : Avant le séisme, il travaillait dans une boulangerie. Maintenant, il n’a pas

de travail. ­ Professions futures envisagées : Mécanicien ou chauffeur. ­ Loisirs : Il aime regarder la télévision mais la plupart du temps il ne fait rien de ses journées.

Même s’il a des amis dans le camp et dans son quartier d’origine, il ne passe pas trop de temps avec eux, car ils se battent souvent.

­ Impressions : Il parlait ouvertement. Il est traumatisé par le séisme et n’a plus envie de vivre.

Depuis cette catastrophe, il a des troubles de sommeil et fait beaucoup de cauchemars. Il est

découragé parce qu’il ne voit pas d’évolution depuis qu’il vit sous une tente, c’est-à-dire depuis un an et demi. Il éprouve des sentiments de résignation, de découragement et de

désespoir. Il disait que s’il ne devait pas prendre soin de son fils, il se serait déjà suicidé. Son

fils est sa seule force, sa raison de vivre. Ceci est remarquable parce que dans la société haïtienne les hommes ne prennent pas souvent la responsabilité des enfants sur eux. Plusieurs

quittent leurs femmes et leurs enfants, sans se soucier d’eux. ­ Dans l’entrevue, Job disait qu’il voyait sa vie comme Job dans la Bible. Comme lui, il devait

affronter un épisode difficile dans sa vie. C’est comme si Dieu le testait, lui faisait vivre une épreuve pénible. Ainsi, il utilisait une interprétation religieuse pour parler du dénuement dans

sa vie.

12 22/09/2011 : Interview avec CLAUDE (et sa maman) devant la tente dans laquelle ils vivent

dans le Camp du Terrain Boulos (Philippe et Joël comme interprètes) ­ Garçon de 16 ans. ­ Particularité : L’adolescent est handicapé physiquement. Depuis le séisme, ses jambes sont

paralysées et il n’est plus en mesure de marcher. Pendant une période, il a essayé de marcher

avec des béquilles avec l’aide d’un docteur. Maintenant, il se déplace surtout en chaise roulante. Quand il y a beaucoup de boue dans le camp à cause d’une forte pluie, sa maman ou

d’autres personnes doivent le porter pour l’emmener aux toilettes ou à l’école. Il est donc

fortement dépendant des autres. ­ Situation familiale : Il est enfant unique. Sa maman s’occupe seule de lui. Pour une mère

monoparentale c’est difficile de s’occuper d’un jeune avec un handicap. La maman a "un lourd

fardeau sur les épaules". ­ Il vit sous une tente dans le Camp du Terrain Boulos avec sa maman.

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­ Quartier d’origine : Bourdon. ­ Education : Il est au CM1. Il va à l’Ecole de L’espoir, l’école du camp érigée par J/P HRO et

IsraAid. ­ Religion : Protestant. ­ Activités de survie : Rien. ­ Professions futures envisagées : Plus tard, il veut exercer le métier de DJ. Son plus grand rêve

(ainsi que celui de sa maman) est qu’il puisse marcher à nouveau. Les deux espèrent en

quelque sorte "un miracle". ­ Loisirs : Avant son handicap, Claude adorait jouer au football et danser. Depuis qu’il est

handicapé, il n’a plus de loisirs. Il souffre d’avoir dû abandonner ses passe-temps et dit qu’il n’a souvent rien à faire pendant la journée.

­ Observations et hypothèse : Claude est petit pour son âge et ses jambes sont très fines. Avant le

tremblement de terre, il avait déjà des problèmes dans les jambes. Quelquefois, il n’avait plus de sensations dans ses genoux. Depuis le séisme, il est complètement paralysé, il n’arrive plus

à utiliser ses jambes. Selon moi, il s’agit d’une « maladie neurodégénérative ». Lors du

tremblement de terre, il est tombé d’un mur. Il sentait ses jambes trembler pendant et après la catastrophe naturelle. Sans doute, la chute du mur et le choc du séisme ont engendré la

paralysie totale de ses jambes. ­ Impressions : Claude était assez timide et ne donnait pas des réponses élaborées. Je sentais que

la maman avait également besoin de s’exprimer sur le handicap de son fils. Ainsi, nous avons parlé simultanément avec Claude et sa maman, ce qui a livré deux témoignages émouvants.

Nous étions touchés par l’entretien et par le courage de Claude et de sa mère pour survivre

dans le camp et "se débrouiller" malgré le handicap physique de Claude. Dans le témoignage de Claude, il y avait plus de désespoir que d’espoir. Il était très découragé et triste. Plusieurs

fois, il nous évitait du regard, tournait sa tête et devait retenir ses larmes. La maman était aussi

attristée et découragée par la situation.

13

&

14

26/09/2011 : Interview simultanée avec 2 garçons amis, ROBERT et JEREMIE, dans une

salle de classe de l’Ecole de L’espoir dans le Camp du Pétion-Ville Club

(Christina et Joël comme interprètes) ­ Robert est un garçon de 15 ans. ­ Jérémie est un garçon de 16 ans. ­ Situations familiales :

Robert vient d’une famille avec 12 enfants au total (il a 5 frères et 6 sœurs). Tous ont la même mère et le même père. Son papa est décédé dans le tremblement de terre.

Jérémie vient d’une famille avec 5 enfants au total (il a 1 sœur et 3 frères), de la même mère mais de pères différents. Son papa est mort dans le séisme.

­ Camps d’hébergement :

Robert vit sous une tente dans le Camp du Pétion-Ville Club. La tente est habitée par 13 personnes : sa maman et les 12 enfants.

Jérémie vit sous une tente dans le Camp du Pétion-Ville Club. La tente est habitée par 6

personnes : sa maman et les 5 enfants. ­ Quartiers d’origine :

Delmas 65.

Delmas 65. ­ Education :

Robert est arrivé en Sixième.

Jérémie est arrivé au CE2. ­ Religion :

Protestant.

Protestant. ­ Activités de survie :

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Rien.

Rien. ­ Professions futures envisagées :

Docteur.

Mécanicien. ­ Loisirs :

Football, bicyclette et danser sur des musiques de Michael Jackson.

Football et bicyclette. ­ Impressions : Les deux garçons étaient un peu timides et parlaient tout bas. Ils ont enduré des

expériences difficiles puisqu’ils ont tous deux perdu leur père dans le séisme. Robert parlait

plus et arrivait à s’exprimer avec plus d’aisance. Il était le moins réservé. Il pouvait bien

répondre aux questions posées et arrivait à raconter sa vie. Jérémie avait plus de difficultés à

s’exprimer et répétait parfois ce que disait Robert. Il était plus faible au niveau de l’intelligence et était dans une plus petite classe que son ami même si c’est le plus âgé des deux. Il tournait

souvent la tête et évitait le contact visuel. ­ Bonnes conditions d’interview. Dans la salle de classe il n’y avait personne autour de nous

pour nous déranger. Nous étions bien isolés. ­ Inconvénients : Je laissais d’abord répondre Robert aux questions, ensuite Jérémie y répondait.

J’aurais peut-être dû alterner de temps en temps pour que Jérémie puisse s’exprimer en premier sur un sujet particulier. Ceci aurait permis à Jérémie de parler "sincèrement" et de ne pas se

laisser influencer par les réponses de Robert. A la fin, on devait se précipiter pour terminer

l’entretien parce qu’il se faisait tard. On devait fermer le local de classe et les deux garçons

devaient rentrer chez eux.

15 27/09/2011 : Interview avec RACHELLE dans la "cabane" du Camp du Terrain Boulos

(Claudia comme interprète) ­ Fille de 16 ans. ­ Particularité : Pendant l’entretien, nous nous sommes rendues compte que Rachelle est une

« restavek », autrement dit une "domestique de maison", une "jeune esclave". Sa famille habite

en province, elle vit à Port-au-Prince. Elle fait toutes les tâches ménagères dans la maison de sa

"patronne" (cuisine, vaisselle, lessive, prendre soin des enfants, etc.). Sa "première patronne" la

maltraitait physiquement et psychiquement. Sa "deuxième patronne" la maltraite émotionnellement. Dans la vie de tous les jours elle est livrée à elle-même. Elle espère pouvoir

sortir de sa situation de dépendance et des conditions inhumaines dans lesquelles elle travaille. ­ Informations supplémentaires sur les « restavek ». En Haïti, les familles pauvres de province

envoient leurs enfants chez de la famille, des amis ou des inconnus à Port-au-Prince avec

l’espoir qu’ils auront accès aux services que la capitale offre, en particulier à l’école et à la

santé. Malheureusement, ces enfants deviennent souvent des "domestiques de maison", des "enfants esclaves", des "exclus de la société". Ils doivent faire toutes les tâches ménagères dans

la "maison d’accueil" et reçoivent en échange uniquement un logement et de la nourriture.

Pour le travail effectué, aucune rémunération n’est payée. Beaucoup d’entre eux ne peuvent

pas quitter la maison, ne reçoivent pas d’éducation, n’ont pas d’amis et presque plus de liens avec leur famille en province. Ils souffrent régulièrement d’abus de toutes sortes, tels que

maltraitances physiques et psychiques par leurs "patrons" et stigmatisation par la société

haïtienne. Ils sont vus comme des "moins que rien", des "intouchables". Ils sont traités par leurs "patrons" comme bon leur semble. Ils sont obligés de travailler dans des conditions

inhumaines, des conditions semblables à l’esclavage. ­ Situation familiale : Elle vient d’une famille avec 7 enfants (elle a 1 frère et 5 sœurs). Elle

pense que ses parents sont en vie, par contre ça fait longtemps qu’elle n’a pas eu de leurs nouvelles donc elle n’en est pas sûre.

­ Depuis le séisme, elle vit dans une petite maison en tôle sur le Terrain Boulos. Elle n’habite

pas dans une tente en toile. Dans la maison, ils sont 8 personnes : mari et femme avec leurs 5

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enfants, et elle. Elle vit chez une famille d’inconnus. ­ Quartier d’origine : Elle n’est pas originaire de Port-au-Prince. Elle vient d’une ville de

province. Ses parents l’ont envoyée dans la capitale pour qu’elle ait une vie meilleure. Avant le séisme, elle travaillait chez une autre dame qui vivait dans une maison louée.

­ Education : Depuis le séisme et depuis qu’elle vit avec sa nouvelle "patronne" sur le Terrain

Boulos, elle ne va plus à l’école. Elle est arrivée seulement au CP. ­ Religion : Catholique. Quand elle vivait en province, elle allait à l’Eglise. Depuis qu’elle vit à

Port-au-Prince, elle ne peux plus aller à l’Eglise les dimanches parce qu’elle a trop de travail à

faire à la maison. ­ Activités de survie : En tant que « restavek », elle travaille pour des gens un peu plus "aisés".

Elle prépare à manger et elle fait toutes les tâches ménagères dans la maison (aller chercher de

l’eau, aller au marché, faire la vaisselle et la lessive, prendre soin des enfants, etc.). En

échange, la famille lui donne un peu de nourriture et un lit pour dormir. Ses "patrons" d’avant payaient son école. Elle ne sait pas si la dame pour laquelle elle travaille maintenant payera son

éducation donc si elle pourra aller à l’école. ­ Professions futures envisagées : Professeur d’école ou présidente d’Haïti. ­ Loisirs : Blaguer avec les enfants à la maison, regarder la télévision, écouter de la musique et

chanter. ­ Observations : Elle marchait pieds nus et portait des vêtements déchirés et usés. ­ Impressions : Rachelle était très timide. Elle parlait à voix basse et j’avais souvent des

difficultés à comprendre ce qu’elle disait. Elle avait un regard triste. Le témoignage était

touchant. A l’école, elle n’est pas arrivée plus loin que la première année du primaire (CP).

Elle était faible au niveau de l’intelligence et n’arrivait pas à bien s’exprimer. Pourtant, elle rêve de pouvoir approfondir ses connaissances. Elle voudrait trouver un travail payé et

retourner à l’école pour « devenir une personne » et « vivre sa vie ». Son plus grand besoin est

d’apprendre à lire et à écrire. Elle voudrait bien vivre et ne plus être "une domestique".

Finalement, il convient de mentionner qu’elle-même n’a jamais dit qu’elle était une « restavek », sans doute par gêne ou par peur des conséquences.

16 27/09/2011 : Interview avec ERIC dans la "cabane" du Camp du Terrain Boulos

(Claudia comme interprète). ­ Garçon de 15 ans. ­ Situation familiale : Il est l’aîné de 5 enfants (il a 2 frères et 2 sœurs). Sa maman vit avec lui à

Port-au-Prince. Les 4 autres enfants vivent avec leur grand-mère en province. Son papa vit et

travaille aussi en province. Ses parents ne sont pas séparés. ­ Depuis le séisme, sa maman et lui vivent sous une tente dans le Camp du Terrain Boulos. ­ Quartier d’origine : Pétion-Ville. ­ Education : Il ne va plus à l’école depuis le tremblement de terre, car ses parents n’avaient plus

les moyens financiers pour payer. Son papa n’a trouvé que récemment du travail en province. Il ne sait donc pas encore s’il pourra reprendre l’école en octobre 2011. Il est arrivé dans la

classe de CM1. ­ Religion : Catholique. ­ Activités de survie : Il n’a pas encore d’occupation professionnelle. Ses parents prennent soin

de lui. ­ Professions futures envisagées : Médecin. ­ Loisirs : Chaque matin, il joue avec des amis au football. Il aime beaucoup aller à l’école

pendant la journée, il espère donc pouvoir y retourner bientôt. ­ Impressions : Finir ses "études classiques" est son premier besoin. Il estime que l’éducation est

indispensable pour atteindre son objectif de devenir médecin. ­ Conditions d’interview : Il parlait à voix basse et ne donnait pas toujours des réponses

élaborées. Mais il avait des réponses intéressantes pour un adolescent de 15 ans qui semblait

être assez timide.

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17 27/09/2011 : Interview avec MARCEL dans la "cabane" du Camp du Terrain Boulos

(Claudia comme interprète) ­ Garçon de 22 ans. ­ Situation familiale : Il est l’aîné de 5 enfants (il a 2 frères et 2 sœurs). Il est cependant le seul

enfant de sa maman et de son papa ensemble. Ses parents sont tous les deux vivants, mais

séparés. Il a une petite amie qui est enceinte. ­ Il est venu habiter sous une tente dans le Camp du Terrain Boulos trois mois après le séisme.

La tente est habitée par sa petite copine et lui. ­ Quartier d’origine : Delmas 60. ­ Education : Avant le séisme, il allait à l’école. Avec le tremblement de terre, il a perdu son

année scolaire 2009-2010 et depuis il n’est plus retourné à l’école. Il est arrivé en Quatrième. Il

espère pouvoir reprendre l’école en octobre 2011 et finir ses "études classiques". ­ Religion : Chrétien Protestant. ­ Activités de survie : Avant le séisme, il travaillait comme serveur dans un restaurant. Celui-ci a

été détruit et la propriétaire a quitté Haïti. Il a donc perdu son travail. Maintenant, il fait de

temps en temps des petits boulots. ­ Professions futures envisagées : Comptable ou informaticien. Il veut aussi apprendre la

couture. ­ Loisirs : Aller à l’Eglise et lire la Bible. ­ Impressions : Il arrivait à parler avec aisance. Il donnait des réponses très détaillées aux

questions posées. Il expliquait que sa petite amie est en « perdizion » (phénomène lié à la

croyance vaudou). Depuis janvier 2011, elle n’a plus ses menstruations, mais ce n’est que

récemment que son ventre a commencé à grossir et que l’on voit la grossesse. Marcel est très "embêté" que sa petite amie soit enceinte et qu’il ne peut pas prendre ses responsabilités

d’homme. Il cherche du travail rémunéré pour pouvoir entretenir et nourrir sa famille, mais il

n’en trouve pas. Il semblait être un garçon intelligent avec une vision et des objectifs pour lui-

même et pour Haïti. Il disait que l’interview lui avait fait du bien, il était content d’avoir pu partager ses opinions avec nous. Il était persuadé qu’Haïti se développera par l’union et la

solidarité entre Haïtiens.

18 28/09/2011 : Interview avec JACQUES dans un restaurant dans le Camp du Pétion-Ville

Club (Christina comme interprète) ­ Garçon de 19 ans. ­ Situation familiale : Son papa et sa maman sont vivants. Il vient d’une famille avec 7 enfants

(il a 2 frères et 4 sœurs). ­ Depuis 2 mois, il vit à Delmas 48 avec sa famille. Après le séisme, il a vécu pendant plus d’un

an sous une tente dans le Camp du Pétion-Ville Club. Dans la tente, résidaient 9 personnes :

ses 2 parents et les 7 enfants. ­ Quartier d’origine : Delmas 48. En juillet 2011, toute la famille a quitté le camp pour retourner

habiter dans la maison familiale. ­ Education : Après le tremblement de terre, il n’a pas été à l’école pendant une année. Il a

atteint la classe de Troisième. En octobre 2011, il reprendra l’école. Il veut terminer ses études secondaires.

­ Religion : Protestant. ­ Activités de survie : Il ne travaille pas pour gagner de l’argent. Ses parents sont responsables

pour lui. ­ Professions futures envisagées : Docteur. ­ Loisirs : Jouer au football et aller à l’Eglise. ­ Difficiles conditions d’interview. Il y avait énormément de bruit autour de nous. La télévision

était allumée dans le restaurant à cause d’un match de football. Beaucoup de spectateurs

regardaient la télé et le son était fort. De plus, on entendait de la musique dans des haut-

parleurs à côté du restaurant. Plusieurs "curieux" essayaient de suivre la conversation. Mon interprète et moi étions distraites par tous les bruits. Même si l’interlocuteur était ouvert et

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parlait bien, les bruits de fond dérangeaient beaucoup et influençaient la qualité de l’entretien.

19 28/09/2011 : Interview avec ROSE dans un restaurant dans le Camp du Pétion-Ville Club

(Christina comme interprète) ­ Fille de 15 ans. ­ Situation familiale : A la maison, ils sont 8 enfants (elle a 4 sœurs et 3 frères). Ses deux parents

sont vivants. ­ Après le séisme, elle a vécu pendant sept mois en province avec son papa. Ensuite, elle est

venue habiter sous une tente dans le Camp du Pétion-Ville Club. Ils dorment à 8 sous la tente : ses 2 parents et les 6 enfants.

­ Quartier d’origine : Delmas 42. ­ Education : Elle est arrivée en Quatrième. Après le séisme, elle allait pendant sept mois à

l’école en province. En janvier 2011, elle est retournée à l’école à Port-au-Prince. ­ Religion : Adventiste. ­ Activités de survie : Pour gagner un peu d’argent, elle vend des cartes téléphoniques de

Digicel. ­ Professions futures envisagées : Infirmière. ­ Loisirs : Courir et regarder la télévision. ­ Impressions : Elle paraissait très jeune. Elle portait un maillot rouge et blanc de Digicel

(compagnie de téléphonie pour laquelle elle vend des cartes de téléphone). Une des rares

jeunes interviewés qui faisait un petit travail pour gagner de l’argent. Malgré son jeune âge,

Rose avait déjà une certaine "maturité d’esprit" et arrivait à parler de sujets difficiles. ­ Des conditions d’interview toujours terribles avec plusieurs de bruits de fond. Elle avait par

moments du mal à s’exprimer et je ne la comprenais pas toujours bien. Mon interprète était

toujours étourdie par les bruits autour de nous.

20 28/09/2011 : Interview avec MAEVA dans un restaurant dans le Camp du Pétion-Ville Club

(Christina comme interprète) ­ Fille de 22 ans. ­ Situation familiale : Elle a 5 frères. Ses parents sont vivants et elle vit avec eux. Elle a un petit

copain. ­ Elle est venue vivre dans le Camp du Pétion-Ville Club quelques jours après le séisme. Ils

résident à 7 sous une tente : sa maman, son papa, ses 2 petits frères, 2 cousins et elle. ­ Quartier d’origine : Delmas 65. Elle habitait dans une maison louée. ­ Education : Depuis le séisme, elle ne va plus à l’école. Elle est arrivée en Première. ­ Religion : Catholique. ­ Activités de survie : Elle ne travaille pas pour avoir un gagne-pain. Sa maman et son petit

copain prennent soin d’elle. ­ Professions futures envisagées : Informaticienne. Elle disait qu’elle "se débrouillerait" pour

devenir ce qu’elle veut être. Dans son témoignage, elle affirmait que beaucoup de ses projets

sont déjà "tombés à l’eau" et qu’elle perd l’espoir parce qu’elle ne reçoit aucun soutien pour retourner à l’école.

­ Loisirs : Elle avait commencé l’informatique, mais elle a arrêté. Elle a également arrêté de

jouer au football. Pour se détendre, elle aime regarder la télévision. ­ Observations et impressions : Elle avait des cheveux teints en rouge et prenait soin de son

apparence physique. Lors de l’entretien, il y avait du contact visuel. ­ Meilleures conditions d’interview. Les bruits de fond avaient diminué. L’interprète était moins

distraite et arrivait de nouveau à mieux traduire. Maeva parlait un créole compréhensible. Elle s’exprimait bien et avait une forte voix.

21 28/09/2011 : Interview simultanée avec 2 filles amies, JULIETTE et MELANIE, dans une

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&

22 salle de classe de l’Ecole de L’espoir dans le Camp du Pétion-Ville Club

(Christina comme interprète). ­ Mon interprète et moi sommes allés demander si elles voulaient participer à la recherche.

J’avais vu que l’une des filles était enceinte et cela m’intriguait d’entendre le témoignage

d’une femme enceinte qui vit dans un camp de sans-abri. Comme les deux filles étaient amies,

elles voulaient faire l’entretien ensemble. ­ Juliette est une fille de 25 ans. ­ Mélanie est une fille de 21 ans. ­ Situations familiales :

Juliette vient d’une famille avec 5 enfants au total (elle a 3 sœurs et 1 frère). Ses parents sont vivants mais ne vivent pas avec elle. Elle a un fiancé.

Mélanie vient d’une famille avec 5 enfants au total (elle a 1 sœur et 3 frères). Elle vit avec

son papa. Sa maman est morte. Elle a un petit copain. ­ Camps d’hébergement :

Juliette vit avec 2 personnes sous une tente dans le Camp du Pétion-Ville Club (son frère et sa cousine). Ils sont donc 3 sous la tente.

Mélanie vit avec 1 personne sous une tente dans le Camp du Pétion-Ville Club (un de ses frères). Ils sont donc 2 sous la tente. Elle est enceinte depuis sept mois. Son bébé doit naître

en novembre. ­ Quartiers d’origine :

Delmas 33.

Delmas 85. ­ Education :

Juliette est arrivée en Quatrième.

Mélanie est arrivée au CE2. ­ Religion :

Baptiste.

Baptiste ­ Activités de survie :

Commerçante. Elle vend de la nourriture.

Commerçante. Elle vend de la nourriture. ­ Professions futures envisagées :

Elle veut continuer le commerce.

Elle veut poursuivre le travail de marchande. ­ Loisirs :

Rien.

Rien. ­ Interview en créole dans de bonnes conditions. La salle de classe était bien isolée, il n’y avait

pas de bruits de fond et nous avions un ventilateur sur nous. Vers la fin, il y avait de la "pression" de Dorémi et de la femme de ménage pour clôturer.

­ Impressions : Mélanie était enceinte et avait un gros ventre. Elle devait accoucher bientôt, dans

deux mois. J’essayais d’en savoir plus sur la grossesse de Mélanie, ses conditions de vie et les perspectives d’avenir pour elle et son enfant. Juliette se sentait plus à l’aise que Mélanie et

arrivait à parler plus facilement. Dès le début, Mélanie paraissait être plus timide. Quand on

posait d’abord les questions à Juliette, Mélanie répétait souvent ce qu’elle disait. Nous avons

donc alterné l’ordre des questions. De temps en temps Juliette répondait la première, de temps en temps Mélanie. Je changeais l’ordre afin que Mélanie puisse s’exprimer sans être influencée

par les opinions de Juliette. Malgré ça, Juliette parlait plus que Mélanie. Les deux jeunes

femmes travaillent comme commerçantes et veulent continuer leur commerce. Elle n’ont pas de grandes ambitions, plutôt des projets réalistes.

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ANNEXE IV : Transcription d’un entretien personnel

22/09/2011

1. Informations générales

1. Prénom ? JOB

2. Age ? 25 ans

3. Genre ? Garçon

4. Situation familiale (parents, frères, sœurs, mari ou femme, enfants) ? Nous sommes 17 enfants : 8 filles et 9 garçons. Nous avons le même papa, mais des mamans différentes.

5. Camp d’hébergement ? Depuis le 13 janvier 2010, je vis sous une tente dans le Camp du

Pétion-Ville Club.

6. Combien de personnes vivent actuellement sous la tente avec toi et qui sont ces personnes?

Nous vivions à 3 sous la tente. Je vivais avec ma petite copine et mon fils de 2 ans. A cause de l’insécurité dans le camp, mon fils est allé vivre chez une tante. Aujourd’hui, j’habite

donc uniquement avec ma copine sous la tente.

7. Où vivais-tu avant le tremblement de terre ? Avant, je vivais à Delmas 48.

8. Niveau d’études (classe et école) ? Depuis le séisme, je ne vais plus à l’école. Je suis arrivé

en Troisième.

9. Activité professionnelle principale ou profession future envisagée ? Avant le tremblement de

terre, je travaillais dans une boulangerie. Maintenant, je n’ai pas de travail. J’aimerais travailler comme mécanicien.

10. Autres occupations pour avoir un gagne-pain et se faire de l’argent ? Rien

11. Loisirs ? Sports ? Avant je jouais au basketball, mais plus aujourd’hui. J’aime regarder la

télévision. Cependant, la plupart du temps je ne fais rien de mes journées. J’ai des amis dans

le camp et à Delmas 48, mais je ne passe pas trop de temps avec eux, car ils se battent souvent.

12. Aspirations personnelles ? Je voudrais être mécanicien.

13. Religion ? Catholique. Je suis très croyant.

2. Vécu du tremblement de terre et traumatismes

Le 12 janvier 2010, jour du tremblement de terre, j’étais dans la maison d’un de mes frères avec 2 de

mes neveux. Le bâtiment était en tôle. Je regardais la télévision, quand la terre a commencé à trembler. J’avais très peur. En panique, je pensais juste à m’échapper de là. J’ai couru pour sortir dehors et

rentrer dans une autre maison, construite en béton. Quelqu’un criait que je devais sortir de là. Je l’ai

écouté et je suis sorti. Dès que j’étais à l’extérieur, la maison s’est effondrée. Elle était complètement détruite. Si je serais resté à l’intérieur au lieu de sortir, je serais sans doute mort, car 3 personnes sont

décédées sous les décombres de cette maison. La maison en tôle, dans laquelle je me trouvais au

début, a résisté aux secousses. Seulement un mur est tombé.

Je ne savais pas que c’était un tremblement de terre. Je pensais que c’était un avion qui tombait.

Beaucoup d’Haïtiens pensaient que c’était la fin du monde, l’Apocalypse.

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Je suis asthmatique. Après le séisme, j’étais tellement stressé et essoufflé que j’ai eu une crise

d’asthme. Je sentais comme quelque chose qui me tenait à la gorge et qui m’étouffait. Je me sentais

vraiment affecté, même si je n’avais pas de blessures. Je me suis couché pour reprendre mon souffle. Quelqu’un m’a donné un verre d’eau. Enfin, j’ai réussi à me calmer et à contrôler ma respiration. Je

me faisais des soucis pour mon fils et ma petite copine, qui se trouvaient tous les deux dans notre

maison au moment des secousses. Notre maison est construite en béton et vu que je venais de voir une maison en béton s’effondrer devant mes yeux, je craignais le pire. J’ai couru vers notre maison. Elle

était écrasée et il y avait beaucoup de poussière. Mon garçon, ma copine et ma belle-mère se

retrouvaient en-dessous des décombres. Je les entendais crier et pleurer, donc je savais qu’ils étaient en

vie. De 16h à 18h, j’ai tout fait pour essayer de les retirer. Des inconnus m’aidaient à enlever les blocs de béton. Je ne pensais à rien, à part vouloir sauver les personnes que j’aime. La terre continuait à

trembler de temps en temps, mais mon seul objectif était de sauver ma famille. Grâce à Dieu, nous

avons réussi à enlever mon fils, ma copine et ma belle-mère. Mon fils était encore un bébé, il n’avait que quelques mois au moment du séisme (aujourd’hui il a 2 ans). Il saignait et était blessé au bras et à

la tête. Il pleurait, parce qu’il avait mal. Il n’y avait pas d’hôpital avec des soins de santé pour le

soigner. J’ai marché avec mon fils dans mes bras vers des gens de la famille. Ils m’ont aidé à le soigner. Nous avons mis des bandages sur ses blessures. Mon fils, ma petite copine et ma belle-mère

ont survécu à l’écrasement de notre maison. Trois personnes, qui étaient aussi dans notre maison, sont

décédées.

Après avoir aidé ma famille, je suis allé à Delmas 65 pour voir si d’autres personnes avaient besoin

d’aide. Trois bons amis étaient dans la même maison lors des secousses. Un bloc de béton est tombé

sur le ventre d’un d’entre eux. Nous n’avons pas réussi à le sauver. Il a succombé à ses blessures. J’ai passé la nuit dans une voiture, avec mon fils et ma copine. De temps en temps, il y avait des

répliques. Elles me faisaient peur et m’empêchaient de dormir. Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit et ceci

pendant 3-4 nuits d’affilé.

Le lendemain, le 13 janvier 2010, nous avons continué à sauver des Haïtiens qui étaient coincés sous

les ruines de leurs maisons. Nous sommes venus nous installer sur le terrain du Pétion-Ville Club.

C’était un terrain de golf, donc il y avait juste du gazon par terre et aucune installation. Nous avons utilisé des draps pour construire des tentes improvisées. Ensuite, l’aide alimentaire, matérielle et

médicale est venue.

Pendant plusieurs semaines, j’avais peur du béton. Je n’osais plus rentrer dans des bâtiments construits

en béton. Même aujourd’hui, je ne peux pas rester longtemps dans un immeuble en béton, parce que

l’image de ma maison en ruines est gravée dans ma mémoire et je me rappelle de tous les Haïtiens qui

sont décédés en-dessous des maisons écrasées.

Le séisme a bouleversé ma vie. Avant, j’avais une maison dans laquelle je vivais avec ma petite copine

et mon fils, j’allais à l’école et je travaillais dans une boulangerie. J’ai perdu ma maison dans le séisme. Depuis, ma famille est divisée et vit dans des endroits différents : mon papa habite en

province, mon fils vit chez une tante. De plus, je ne travaille plus et je ne vais plus à l’école. Dans le

tremblement de terre, des amis de l’école et du travail sont décédés. J’ai vu des choses traumatisantes, telles que les personnes ensevelies sous les décombres de leurs maisons et des tas de morts et de

blessés dans les rues. J’ai failli perdre mon petit garçon. Du 12 janvier jusqu’à présent, je ne dors pas

bien. Quand je dors, je me souviens de tous les gens qui se retrouvaient sous le béton et que l’on n’a

pas pu aider. Je revois les images de la catastrophe devant moi et je fais des cauchemars. J’ai gardé un traumatisme aux bâtiments en béton. Je ne n’arrive pas à rester plus de 3 minutes à l’intérieur.

Je ne pense pas que je pourrais retrouver un jour ma vie d’avant le tremblement de terre. Un an et demi après le séisme, je ne sens pas d’évolution. Rien ne change, le gouvernement haïtien ne fait rien pour

nous. Jusqu’à présent, je n’ai toujours pas trouvé de travail et je ne suis pas retourné à l’école. Je suis

découragé. Je pourrais me fâcher et avoir de la peine, mais j’ai l’impression que je me résigne surtout

à vivre dans cette situation désespérée. Mon sentiment est la résignation, le fatalisme.

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3. Survie quotidienne dans les camps

Je vis dans un tente sur le terrain du Pétion-Ville Club depuis le 13 janvier 2010. Au début, nous avons utilisé des draps pour bâtir des tentes improvisées. Ensuite, les Américains sont venus pour nous offrir

de l’aide alimentaire, matérielle et médicale. On donnait des tentes. D’abord, nous recevions des

petites tentes pour 2 personnes ; 4-5 mois plus tard, des grandes tentes étaient distribuées. Celles-ci étaient plus pratiques pour abriter les familles avec beaucoup d’enfants. On donnait aussi des rations

alimentaires. L’aide donnée était souvent chaotique et pas organisée. Lors de la distribution d’eau et de

nourriture (spaghetti, riz, boites de saumon,…) les gens étaient violents. Ils se battaient, parce qu’ils

pensaient que c’était la fin du monde et qu’ils devaient avoir des provisions pour survivre. Quand un camion venait avec de la nourriture ou du matériel, les gens se précipitaient et le pillaient. Ainsi, les

plus violents et les plus forts avaient accès à l’aide, tandis que les plus faibles en bénéficiaient peu.

Moi, j’essayais de ne pas frapper les gens. Je suis contre la violence, mais je devais me battre pour donner à boire et à manger à mon fils et à ma copine. Le jour du séisme, j’’avais mis des bandages sur

les blessures de mon fils. Après 1 mois, il a reçu des soins médicaux d’un docteur américain.

Il est très difficile de vivre sous une tente dans le camp. Nous sommes confrontés à de nombreux

problèmes. Quand il pleut, l’eau rentre souvent dans les tentes, les tentes se déchirent et le camp

devient un terrain de boue. Quand le soleil est fort, la chaleur est insupportable à l’intérieur de la tente

et donne des boutons. Il y a de l’insécurité dans le camp. Par exemple, des voleurs brisent les tentes avec des lames de rasoir pour voler des affaires de valeur (une paire de chaussures, un beau vêtement,

etc.). Des gens mal intentionnés lancent des pierres sur les tentes et blessent ainsi des gens. Souvent,

les habitants sont violents et se bagarrent. Aujourd’hui, mon fils ne vit pas avec moi. Il est parti vivre chez une tante, à cause de l’insécurité dans le camp et des conditions physiques (pluies, boue, chaleur)

sur le terrain. Dans une maison, nous ne souffrions pas de tout ça. La vie dans le camp est horrible.

Présentement, je n’ai pas de travail fixe. Je "vis au jour le jour" et j’essaie de trouver des petits jobs. Je me promène souvent dans le camp pour voir si quelqu’un a besoin d’aide. J’offre de l’aide et en

échange je demande un peu d’argent. Ceci me permet d’acheter à manger. De temps en temps, je fais

des petits boulots payés avec des amis. Par exemple, je répare des motos ou des voitures avec mes connaissances en mécanique. Je sais aussi conduire, ce qui me permet de travailler comme taxi-moto

ou taxi-voiture. Malheureusement, la quête pour trouver un travail stable est difficile. Quand je dépose

mon CV, on ne me rappelle jamais. Ma petite copine est commerçante, elle a donc une source de revenus. Elle et moi essayons de nous "débrouiller" pour avoir des revenus et être le plus indépendant

possible, mais parfois nous demandons de l’aide. Je peux demander de l’aide financière à ma mère et à

mes frères. Quand ils ont de l’argent, ils m’en donnent.

Je crois dans le bon Dieu et je pense qu’il peut m’aider. Même si je ne travaille pas, j’arrive à manger

chaque jour, grâce à Dieu. Je vais à l’Eglise et je lis beaucoup la Bible. Dans la Bible, l’histoire de Job

m’inspire. Job était un homme riche qui a perdu toutes ses richesses (son bétail et ses enfants). Il vivait dans la rue, devenait malade et avait une peau pleine de boutons. Malgré tous ces tourments, il ne se

détournait pas de Dieu, mais continuait à croire en lui. Finalement, Dieu l’a récompensé pour sa foi en

lui redonnant toutes ses possessions, doublées. Je pense qu’actuellement je passe une épreuve semblable dans ma vie. Personne ne veut et ne peut vivre dans les conditions dans lesquelles je vis. Je

ne m’attendais pas à vivre comme ça. Mais si c’est la volonté de Dieu, qu’il en soit ainsi. Si c’est sa

volonté de me faire souffrir, il finira aussi par me sauver. Je me sens très dépourvu, j’ai l’impression

que je n’ai même pas les éléments de base pour m’aider à sortir de ma situation actuelle. Par contre, j’ai et j’aurais toujours Dieu et la religion comme soutien.

Mon enfant est le moteur dans ma vie. Si ce n’était pas à cause de mon fils, je me serais déjà suicidé. C’est pour mon petit garçon que je reste en vie. Je perds l’espoir et je suis très découragé, car plus

d’un an et demi après le séisme notre situation est pareille. Nos conditions de vie sont dures et ne

s’améliorent pas. Cependant, je (sur) vis et je me tiens debout pour mon fils. Il est tout pour moi et je

fais tout pour lui. Mes plus grands supports sont mon fils, la religion (Bible, cultes à l’Eglise) et la solidarité familiale.

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J’ai des amis dans le camp et à Delmas 48, mais je ne passe pas trop de temps avec eux, car ils se

battent souvent. Je ne veux pas trop m’impliquer avec les gens du camp parce que ça peut dégénérer et

mal tourner. Je n’ai pas été élevé comme ça, donc je me tiens à l’écart des "voyous". Certains de mes amis sont arrivés sur le mauvais chemin, dû aux difficultés quotidiennes pour survivre. Certains

sortent de la pauvreté par des voies illicites, comme les kidnappings et les vols. D’autres sont morts en

travaillant dans l’illégalité. Moi, je suis prêt à faire n’importe quel travail du moment qu’il est honnête et n’implique pas de violence.

Aujourd’hui, nous ne recevons que de l’aide médicale. Après avoir vécu quelque temps dans la chaleur

de la tente, mon fils avait beaucoup de boutons sur son corps. J/P HRO lui donnait des soins de santé dans l’hôpital du camp.

4. Perspectives d’avenir et attentes

L’aide offerte par les Américains était chaotique et pas organisée. Les habitants du camp ne se

mettaient pas en ligne lors de la distribution d’eau et de nourriture. Ceci créait du désordre et de la violence. Mon fils a reçu des soins médicaux pour ses blessures, mais seulement 1 mois après le

séisme. On ne m’a jamais offert d’appui psychosocial, pourtant ça pourrait m’aider. Néanmoins, ce

n’est pas l’essentiel. La priorité est de trouver du travail. J’aimerais pouvoir me lever chaque jour avec

quelque chose à faire. Cela me stresse de ne pas avoir de source de revenus. Le soir, je ne sais jamais ce que je vais amener à la maison. Souvent, je n’ai rien : pas de nourriture, pas d’argent.

Aujourd’hui, le plus important pour moi est d’avoir une maison. Si je vis de nouveau dans une maison, j’aurais la stabilité et la paix d’esprit. J’aurais moins de soucis et une meilleure vie. Un autre grand

besoin est de trouver un emploi stable et honnête, parce que j’ai promis à Dieu de ne jamais voler, peu

importe ce qui m’arrive. Je veux travailler, car j’ai la responsabilité de prendre soin de mon fils et de

ma petite copine. En tant qu’homme et père, je veux subvenir aux besoins de ma famille. Travailler est une plus grande priorité que continuer l’école.

Ma vision d’Haïti est pessimiste. Le gouvernement haïtien n’est pas en mesure de répondre aux besoins de la population et de faire les changements nécessaires pour une meilleure Haïti. Notre

président, Michel Martelly, a promis l’école gratuite et la délocalisation des habitants des camps. Ce

sont des belles paroles, mais elles n’ont pas résulté dans des actions. Comme les promesses du gouvernement n’ont pas encore été réalisées, j’ai perdu confiance. J’ai l’impression que chaque

Haïtien ne peut compter que sur lui-même. Je pense que l’Etat doit se fixer comme premier objectif de

retirer les Haïtiens des camps, car les conditions de vie y sont insupportables. J’attends de l’Etat qu’il

nous enlève des camps et qu’il nous donne une petite maison ou de l’argent pour en construire une. Cependant, sans vrai gouvernement cela ne sera jamais effectué. L’International a le potentiel de nous

aider, mais trop souvent les budgets et projets des ONG passent par le président et le gouvernement. Je

pense qu’ils ne devraient pas passer par là pour faire des choses pour la communauté haïtienne. J/P HRO (ONG active dans le camp) nous aide beaucoup, sans passer par le gouvernement.

La situation dans laquelle je vis me désespère. Je suis découragé de vivre dans une tente. Si la situation politique reste identique et que le président ne fait rien pour les habitants des camps, je prévois que

dans 5 à 10 ans, je me retrouverai encore sous la tente. Il y a trop de problèmes structurels et

gouvernementaux dans ce pays. Je veux travailler pour gagner de l’argent et sortir du camp, mais je ne

réussi pas à trouver d’emploi. De préférence je voudrais travailler comme mécanicien, car j’aime la mécanique. Je pourrais aussi travailler comme chauffeur. J’ai obtenu ma licence, mais je l’ai perdue

dans le tremblement de terre. J’aimerais surtout voir une évolution en Haïti et une amélioration des

conditions de vie pour mon fils. Je trouve qu’il ne peut pas grandir dans un camp pour sans-abri. Il signifie tout pour moi. Sans lui, je me serais suicidé. Je suis resté en vie pour lui. Je suis sur terre et je

(sur) vis pour mon petit garçon. Mon avenir et celle de mon fils sont dans les mains de Dieu.

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ANNEXE V : Focus groupe (29/09/2011) La discussion en groupe avait lieu le 29 septembre 2011 dans la "cabane" du Camp du Terrain Boulos.

Elle était guidée par Claudia (mon interprète) et moi. L’objectif était d’explorer les initiatives

personnelles et communautaires qui pouvaient être prises par les jeunes des camps pour "soulager" et

essayer d’améliorer leurs conditions de vie. Le focus groupe s’est terminé en demandant aux différents participants de partager leurs perspectives d’avenir, c’est-à-dire d’expliciter leurs rêves et leurs

professions futures envisagées.

Participants

1) LAURA : Fille de 19 ans en CM2. Mère d’une fille de 18 mois. Elle veut travailler

comme commerçante. Elle rêve d’être couturière et cuisinière.

2) TAMARA : Fille de 18 ans en Sixième. Mère d’un fils de 2 ans. Elle voudrait à nouveau

travailler comme commerçante ou être policière.

3) DORÉMI : Garçon de 18 ans en Troisième. Leader des jeunes dans le camp. Plus tard, il aimerait être homme d’affaires. Il veut devenir un "businessman" et avoir son usine. Il

veut aussi fonder des coopératives paysannes et développer les infrastructures et hôtels.

4) PATRICK : Garçon de 21 ans en Quatrième. Il voudrait devenir ingénieur agronome.

5) CLAUDE : Garçon de 16 ans en CM1. Paralysé aux jambes depuis le séisme. Il rêve de devenir DJ.

6) RACHELLE : Fille de 16 ans en CE1. « Restavek » qui fait toutes les tâches ménagères

chez une famille plus "aisée". Elle aimerait devenir professeur d’école ou présidente.

7) ÉRIC : Garçon de 15 ans en CM1. Il veut être pasteur ou docteur.

8) MARCEL : Garçon de 22 ans en Quatrième. Sa petite copine est enceinte. Il désirerait

apprendre la couture, les sciences comptables et l’informatique.

9) JACQUES : Garçon de 19 ans en Troisième. Il rêve de devenir docteur.

Comment était pour vous l’expérience de pouvoir parler du séisme et de vos conditions de

vie dans le camp dans des entrevues personnelles ?

­ Patrick : Je ne me sens pas mieux. Je me sens toujours de la même façon. Ma situation ne

change pas. Je voudrais qu’on arrange l’école pour moi.

­ Tamara : Je me sens fière d’avoir fait un interview avec vous. Partager ce qui se passe en moi

m’a fait du bien. Je me sens mieux.

­ Laura : Je me sens très fière d’avoir pu partager mes sentiments avec vous.

­ Dorémi : Je suis très content d’avoir pu parler du 12 janvier 2010. C’est la première fois que je

pouvais parler à une étudiante et une psychologue de ma situation, mes problèmes, mes sentiments et mes pensées. Nous, les malheureux, n’avons pas toujours la chance de

parler à des psychologues. Il est difficile d’y avoir accès. Je pense que c’était profitable

pour nous.

­ Marcel : Je me suis senti mieux pour la première fois. J’étais très content de parler avec vous.

Je suis fier. Merci beaucoup d’avoir fait le déplacement pour la recherche. Vous aviez

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besoin de nous pour votre mémoire, mais nous avions aussi besoin de vous. Je voudrais

que ce qui se passe dans le groupe, reste dans le groupe. Nous devons tous respecter la

confidentialité parce que nous ne voulons pas que nos secrets soient dévoilés. Personnellement, l’interview était bien pour moi. J’étais content et satisfait d’avoir pu

raconter mon histoire. Je vous souhaite bonne chance. J’espère que la recherche sera

profitable et que d’autres personnes pourront continuer dessus.

Vous qui vivez ensemble dans le camp, que pouvez-vous faire individuellement ou en tant

que communauté pour réaliser un changement, sans l’aide de l’Etat haïtien et de la

communauté internationale ? Quelles initiatives pouvez-vous prendre pour "soulager",

voire améliorer, votre situation ?

­ Dorémi : La meilleure façon pour réaliser des changements c’est par la solidarité. Je pense que

nous, les Haïtiens, devons être solidaires. Nous devons nous unir et nous entraider. Par exemple, lorsque des personnes sont malades, nous devons les soigner. Quand on prépare

à manger, on doit donner à ceux qui n’ont pas et qui ont faim. Le partage est très

important. Il faudrait organiser des collectes de fonds pour les gens qui souffrent. Ceci permettrait de sortir des conditions de vie difficiles, sans l’aide de l’Etat et de la

communauté internationale. Selon moi, "l’union fait la force".

­ Marcel : Je suis d’accord, "l’union fait la force". Sans unité, nous ne pouvons rien faire. Nous devons nous rassembler, nous mettre ensemble pour réaliser des choses. Sans unité entre

les Haïtiens, l’Etat et le président ne peuvent rien accomplir. Nous devons nous regrouper

pour avancer. Sans union, nous n’avancerons pas et les choses deviendront pires. Si quelqu’un est malade dans la rue, je ne dois pas fermer les yeux et faire comme s’il

n’était pas là. Je dois l’aider. Le mieux c’est de s’unir dans l’environnement dans lequel

on vit.

Quelles activités de sensibilisation pouvez-vous organiser ?

­ Dorémi : Je pense que l’on devrait se regrouper et organiser des activités, telles que des écoles

d’alphabétisation et des clubs littéraires pour enfants et adultes non éduqués. Ces activités sont bien pour se réunir, partager des idées et se déstresser.

­ Tamara : Dans le camp, il y a beaucoup de routine. Chaque jour vous vous levez, sans activités et sans emploi. Cela crée du stress. Pour se déstresser, on fait des activités

sexuelles. Tu rentres dans la tente, tu regardes ton petit copain et il te regarde. Ensuite,

vous faites l’amour pour libérer le stress. Des enfants naissent. On fait des enfants et

encore des enfants. On fait des pêchés, parce qu’on ne peut même pas prendre soin des enfants.

­ Laura : Quand il pleut, cela fait un bruit particulier. Tu es obligé de rester dans la tente, tes vêtements sont sales et les enfants pleurent, parce qu’ils ont faim. Qu’est-ce que tu fais ?

L’amour.

­ Dorémi : Les filles, vous dites qu’il n’y a pas assez d’activités dans le camp. Pourquoi on

n’écrit pas un projet dans lequel on explique les besoins des habitants et pour lequel on

essaie d’avoir un budget ? On pourrait voir si on ne peut pas fonder un projet pour s’unir

et créer des activités pour sortir de la routine, de l’ennui et du stress de tous les jours.

­ Laura : Si nous sommes quelques uns à être d’accord, mais les autres pas, peut-on toujours

réaliser des projets ? N’avons-nous pas besoin de toute la communauté pour que les projets réussissent? En plus, avons-nous l’expertise pour écrire des projets ? Moi, je sais

que n’ai pas assez d’expertise.

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­ Marcel : Ce n’est pas toujours facile de se mobiliser, lorsque l’on vit chez ses parents. Quand

on vit encore sous la responsabilité des parents, ils nous donnent à manger. Si l’on s’est

levé très tôt pour se mobiliser, sans avoir mangé, on risque de s’évanouir pendant la mobilisation. Par ailleurs, des gens dans le camp pensent que ceux qui prennent des

initiatives le font uniquement parce qu’ils ont reçu de l’argent pour le faire, plutôt qu’ils

le fassent par conviction et par propre volonté.

­ Dorémi : Je veux parler de projets et d’activités économiques. Il y a de l’eau dans la vallée de

Bourdon, mais pas dans les Camps du Terrain Boulos et du Pétion-Ville Club. Ne

pouvons-nous pas nous unir pour déposer un projet d’eau chez USAID ? Si ça marche, cela aiderait la communauté et pourrait créer de l’emploi. On pourrait avoir accès à l’eau

gratuitement et la revendre à 2 gourdes par gallon. A côté de l’eau, il y a l’exemple de

l’électricité. Nous sommes à Delmas, mais nous utilisons le courant de Bourdon. Ne pouvons-nous pas fonder un comité pour avoir accès non seulement au réseau

d’électricité de Bourdon, mais aussi à celui de Delmas. Ainsi, nous aurions deux réseaux

d’électricité et les gens pourraient payer l’électricité à un prix dérisoire.

­ Laura : Si nous ne trouvons pas d’argent pour acheter de quoi manger, comment pouvons-

nous trouver d’argent pour payer l’électricité ? Avant de lancer des projets, il faut tenir

compte des moyens limités que nous avons.

­ Marcel : Un comité commence petit, par exemple avec 5 personnes et un leader. Je suis

d’accord avec l’idée de l’eau, mais nous ne sommes pas les responsables du camp. Il faut d’abord faire passer le message aux responsables. Il y a aussi la réalité haïtienne. Si le

projet d’eau passe et que certains Haïtiens avaient l’habitude de vendre l’eau à 5 gourdes

par gallon, tandis que nous la vendrons seulement à 2 gourdes par gallon, il y aura des

tensions. A ce moment nous mettrons nos vies en danger. Il est crucial de se protéger d’abord et de se mobiliser en groupe après, pour affronter ceux qui feraient plus de

profits.

­ Dorémi : Les organisations internationales sont venues donner de l’aide et offrir de l’eau

gratuite. Les ONG ont créé un comité dans le camp. Celui-ci vend l’eau à 5 gourdes. Mais

on ne sait pas ce qui est fait de l’argent. Ce n’est sans doute pas dépensé en notre faveur. Moi, je ne suis pas un imbécile. Je ne dirai pas en détail tout ce que je voudrais faire dans

mon projet pour ne pas que d’autres personnes prennent mes idées. Dans la zone, il y a

beaucoup de débauchés d’eau. On devrait donc pouvoir accéder gratuitement à l’eau au

lieu de payer pour ça.

Exemples de campagnes de sensibilisation à petite échelle, qui demandent peu de moyens

et sont vite réalisables :

protection des petits enfants nus ;

utilisation de moyens de contraception et protection contre les MST.

Claudia et Anneleen : Nous voyons beaucoup de petits enfants entre 2 et 5 ans qui se promènent nus dans le camp, sans surveillance des parents. Ils jouent ensemble, souvent ils sont assis par terre ou

marchent sans culotte, complètement nus. Ceci peut créer des infections et être à l’origine de maladies.

A un âge plus élevé, les petites filles ou garçons nus peuvent être violés. Peut-être, il serait bien de

mobiliser tous les habitants du camp pour expliquer les dangers et de sensibiliser parents et enfants pour que les enfants nus portent des vêtements pour les protéger, d’une part, contre les infections et les

maladies ; d’autre part, contre les abus sexuels.

­ Marcel: Nous apprécions ce que vous dites et nous sommes d’accord, mais il y a des personnes négligentes qui ne changeront pas leurs habitudes, même si elles sont avisées

des dangers.

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Claudia et Anneleen : Une campagne de sensibilisation pourrait avoir comme but d’inciter les

familles haïtiennes à avoir moins d’enfants, en utilisant des moyens de contraception et de protection

contre les grossesses non désirées et contre les maladies sexuellement transmissibles (MST). C’est normal que vous fassiez l’amour. Quand vous êtes au chômage, que vous n’avez rien à faire et que

vous connaissez beaucoup de stress, cela peut vous détendre. Cependant, il est important d’utiliser des

moyens de contraception, si vous ne voulez pas trop d’enfants et/ou si vous ne serez pas en mesure de vous occuper d’eux. Avoir une grande famille, avec 6-7 enfants à nourrir et à éduquer, peut poser de

nombreuses difficultés : carence de moyens financiers, famine, scolarisation et soins de santé

déficients, etc.

­ Dorémi : Je suis d’accord avec ce que vous dites. J’ai été victime d’un viol, quand j’avais 5 ans et que je me promenais nu dans mon quartier. Cela m’a marqué. Le problème c’est

que l’on ne donne souvent pas priorité aux précautions sexuelles. Il y a d’autres projets

que l’on privilégie.

­ Laura : Je pense que si une femme a déjà 4 enfants, elle devrait faire un planning familial sur

5 ans pour ne plus avoir d’enfants. Après, elle devrait évaluer sa situation et faire un nouveau planning.

­ Tamara : Non, mais… Si tu as un nouveau mari et qu’il veut des enfants tandis que toi t’en

veux plus, comment fais-tu?

­ Laura : Tu ne fais plus d’enfants, car tu en as déjà 4. Tu décides que 4 enfants c’est assez pour

toi. Même si ton nouveau mari en veut plus, tu refuses.

­ Marcel : Le sujet de discussion est très important. Selon moi, certaines filles sont négligentes.

Je sais que vous avez le droit de porter ce que vous voulez, mais parfois vous portez des

vêtements qui attirent les garçons et les excitent. Je pense que les feuilletons à la télévision influencent les filles et les garçons haïtiens. Les filles sont influencées dans

leur style vestimentaire, les garçons dans leur excitation sexuelle. Les feuilletons font

oublier la tristesse et le stress de la vie de tous les jours. Certaines personnes tentent d’imiter ce qui se passe dedans. Laura, tu as dit que si t’as 4 enfants, tu n’en veux plus. Je

pense que tu dois réfléchir dès ton premier enfant, si tu seras en mesure de t’occuper toute

seule de lui le jour où ton mari t’abandonne. Si ton mari te laisse pour aller dans des cafés et pour voir d’autres femmes, tu as toute seule la responsabilité pour l’enfant et tu dois

avoir les moyens pour t’occuper de lui.

­ Laura : Si toutefois j’ai fait un enfant avec un homme et que je constate qu’il ne prend pas soin de moi et de mon enfant, je ne ferai plus d’autres enfants avec lui. Bien sur, je ferai

attention au comportement de mon mari vis-à-vis de notre premier enfant. S’il est

négligent, je ne voudrais plus "enfanter" avec lui.

Claudia et Anneleen : Nous voulons porter l’attention sur le fait qu’un enfant naît d’une femme et

d’un homme. En d’autres mots, c’est la responsabilité des deux parents. Les hommes ne doivent pas mettre toutes la responsabilité sur le dos des femmes. Pas uniquement elles sont responsables pour le

nombré élevé d’enfants en Haïti, les hommes ont aussi leur rôle à jouer.

­ Laura : Si je rencontre un homme et qu’il m’aime vraiment, mais que j’ai déjà 4 enfants d’une

autre relation, il ne voudra pas nécessairement un enfant avec moi. Il m’acceptera avec les 4 enfants que j’ai déjà, même si ce ne sont pas ses enfants. S’il m’aime, il les verra

comme ses propres enfants et il acceptera que je n’en veux plus.

­ Marcel : Ceci est très difficile dans la société haïtienne. Ici, avoir des enfants est un signe de

masculinité. Les hommes haïtiens veulent avoir leurs propres enfants.

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Claudia et Anneleen : Ne pensez-vous pas qu’un des problèmes en Haïti est le fait que les femmes ne

prennent pas assez de précautions sexuelles et que les hommes abandonnent trop souvent leurs

femmes et leurs enfants ? ­ Dorémi : Ce qui arrive généralement c’est que les femmes font en sorte que les hommes

quittent la maison. Au début, elles donnent beaucoup d’affection à leur mari. Dès que le

premier enfant est né, elles ne s’occupent plus de leur mari et ne lui donnent plus d’affection. L’homme est à la recherche d’amour et d’affection. Quand il reçoit de

l’affection ailleurs, il ira voir d’autres femmes.

­ Marcel: Les femmes devraient voir si l’homme avec lequel elles ont une relation avait un travail au début. Il y a des contrariétés dans la vie, mais la femme devrait connaître son

mari. Est-ce qu’il cherche un emploi et il n’en trouve pas ? Ou est-ce qu’il à trouvé un

emploi, mais il ne veut pas travailler ? Si le mari est un paresseux qui ne veut pas travailler, je pense que la femme peut le quitter.

Claudia et Anneleen : Le débat que l’on lance aujourd’hui ne prendra pas fin. Vous pouvez le continuer ensemble, échanger des opinions et prendre des initiatives dans le camp.

­ Tamara : Nous avons des responsabilités. Nous n’avons pas le temps de débattre tout le

temps.

Claudia et Anneleen : Nous avons parlé de quelques petites initiatives que vous pouvez prendre, sans

que cela nécessite trop de temps et d’argent. Une des initiatives serait par exemple de protéger les

enfants qui jouent nus par terre. De quelle façon vous organiserez une telle campagne de sensibilisation ?

­ Marcel: La sensibilisation consisterait à expliquer quelles infections et maladies peuvent se

développer quand des petits enfants jouent nus dans les rues et dans les camps. Il est

important de donner des informations, de dire pourquoi ce n’est pas bon de laisser jouer les petits enfants nus. Il faudrait parler avec les parents et les enfants. Une rencontre avec

les parents pourrait être organisée une fois par semaine.

­ Patrick : Les gens aiment l’apparence. Les Haïtiens qui font partie de la campagne de

sensibilisation doivent avoir des t-shirts pour que l’on puisse les identifier. Les parents

veulent reconnaître les personnes impliquées.

­ Marcel: Certains gens acceptent de nouvelles initiatives, d’autres les refusent. C’est normal

que nous ne soyons pas tous d’accord.

Vous êtes tous des jeunes entre 15 et 25 ans. Quelles initiatives pouvez-vous prendre pour

aider la communauté qui vit sous les tentes ?

­ Dorémi : Pour être une communauté nous devons accorder plus d’importance au volontariat. Nous devons avoir une série de volontaires : un responsable santé, un responsable

protection enfants, un responsable éducation, etc. Si nous voulons vraiment aider la

communauté, nous devons avoir des connaissances. Nous pouvons demander l’aide d’institutions (Etat ou OMS) pour former les jeunes, par exemple en leur donnant une

formation en secourisme. Il est essentiel de se former d’abord avant de pouvoir aider et

former les autres.

­ Tamara : Je pense que nous ne sommes pas assez performants pour former les autres. Nous

devons d’abord recevoir des formations pour pouvoir aider les autres.

Claudia : Des ONG comme J/P HRO peuvent former les jeunes. Les hommes n’ont pas que des

besoins primaires dans la vie (eau, nourriture, sexe,…), ils ont aussi des besoins secondaires, tels que

le besoin d’acquérir des connaissances et de recevoir des formations.

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­ Tamara : Les ONG devraient faire des propositions à propos d’un sujet et bien expliquer leur

projet. Il serait alors plus facile pour des personnes peu éduquées de rentrer dans le projet

et d’y participer.

Claudia : Quand vous regardez l’épidémie de choléra, vous pouvez raisonner que si vous protégez la

population et l’environnement dans lequel vous vivez, vous vous protégez aussi. Par exemple, chez les enfants, la maladie se propage souvent à cause du manque d’hygiène. Il est donc important de les

protéger.

­ Tamara : Je pense que l’on doit se protéger d’abord avant de protéger les autres.

­ Marcel : Nous devons nous mobiliser volontairement, mais nous avons aussi des

responsabilités à côté du volontariat. Certes, il est important d’aider ses concitoyens, mais

selon moi il faut d’abord combler ses propres besoins. Nous devons avoir des débouchés parce que nous avons des besoins quotidiens. Ensuite, nous pouvons nous occuper du

reste de la population. J’aime ce genre de discussions parce que nous pouvons parler sans

avoir peur des répercussions. La confidentialité est très importante. Dans ces discussions nous pouvons partager des idées et exprimer nos craintes. Par exemple, si quelqu’un veut

se suicider, le groupe peut l’aider à changer d’idée et à trouver une solution pour ses

problèmes.

Comment voyez-vous votre avenir dans 10 ans ? Quelles sont vos rêves ? Quelles sont vos

aspirations sur le plan professionnel ?

­ Dorémi : Mon rêve est de devenir un homme d’affaires et d’avoir mon propre business. L’engagement que je veux atteindre dans 10 ans est de construire des infrastructures et

des hôtels, et de fonder des coopératives paysannes en Haïti.

­ Marcel: J’aime beaucoup les sciences comptables et l’informatique. Avant, je voulais être ingénieur, mais cette ambition a échouée à cause de la géométrie. Après 10 ans, je me

vois faire de la formation continue. Je pense que l’on doit apprendre toute notre vie.

­ Jacques : Je suis quelqu’un de très positif et je pense que grâce à Dieu je pourrais devenir un

bon médecin.

­ Laura : Dans 10 ans, je serais commerçante, cuisinière et couturière.

­ Tamara : (Hésite, a du mal à se projeter dans l’avenir.) Après 10 ans, je voudrais continuer

mes études classiques. Je veux travailler à nouveau comme commerçante. Mon plus grand rêve est de devenir policière.

­ Patrick : Dans 10 ans, je veux devenir ingénieur agronome. Après, je veux juste travailler.

­ Claude : Je souhaite faire de la musique. Je rêve d’être DJ.

­ Eric : Je vais prier Dieu pour que je puisse devenir pasteur ou docteur.

­ Rachelle : (Long silence, ne disait rien pendant 5 min. Les autres participants se moquaient

d’elle, parce qu’elle n’arrivait pas à répondre à la question et était très réservée. Elle semblait avoir honte. Même quand on l’encourageait à parler, elle n’arrivait pas à

s’exprimer. Silence… A la fin du focus groupe, nous sommes retournées chez elle pour

lui demander quel était son plus grand rêve. Elle a répondu.) Après 10 ans, j’aimerais apprendre à lire et à écrire. Je veux retourner à l’école, finir mes études classiques et

travailler. J’aimerais être professeur d’école ou présidente d’Haïti.

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ANNEXE VI : Citations supplémentaires

3.1.1. Expériences pendant le séisme

Pensées

« Je ne savais pas que c’était un séisme. Je pensais que c’était le travail de Dieu, qu’il était en colère parce que nous faisions trop de pêchés. Le maire de Pétion-Ville avait donné l’ordre de détruire le

cimetière. Je pensais donc que Dieu était fâché contre lui et voulait détruire Pétion-Ville. »

(Entretien 8)

« Je pensais que le bon Dieu était venu sur terre et que c’était la fin du monde comme c’était prédit

dans la Bible. » (Entretien 9)

Comportements

« Pendant le tremblement de terre, je priais beaucoup pour que Dieu épargne les blessés à l’hôpital et qu’une telle catastrophe ne se reproduise plus jamais en Haïti. »

(Entretien 2)

« La terre tremblait et moi-même je tremblais aussi. Lors des secousses, j’ai couru, je me suis

accroché à un arbre et je me suis jeté par terre. »

(Entretien 10)

« Mes camarades et moi paniquions. Nous avons laissé la salle de classe en courant. »

(Entretien 15)

« Je ne savais pas que c’était un séisme. Je demandais à Dieu ce que c’était et je lui demandais de

faire arrêter les secousses. Je criais : "Mon Dieu, qu’est-ce qui se passe ?" et "Jésus, aide-moi à sortir

de la maison !" » (Entretien 21)

3.1.2. Expériences après le séisme

Retrouvailles avec des proches

« J’étais heureux de retrouver ma maman parce que je pensais qu’elle était morte comme mon

papa. » (Entretien 14)

Symptômes de reviviscence et d’excitation « Je sentais les répliques et elles me faisaient très peur. La nuit, je restais dans la rue. Je n’arrivais

pas à dormir. A cause des répliques, j’étais assisse. Je m’attendais au pire. Je pensais que tout le

monde allait disparaître. »

(Entretien 22)

Symptômes d’évitement et d’émoussement

« Ce qui est bizarre c’est qu’après le séisme et pendant les répliques, je voyais des morts partout, mais je ne sentais rien. Par contre, j’étais très content de rentrer chez moi et de retrouver ma famille. »

(Entretien 1)

« Je restais enfermé dans la maison de ma patronne parce que je ne pouvais pas supporter de voir

tous les morts et les blessés dans les rues. »

(Entretien 17)

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Dormir dehors, prier et croire que la vie est finie

« Pendant les répliques, je priais Dieu. Je lui disais dans mes prières : "Je t’en prie Dieu, si tu

comptes effondrer la terre d’Haïti, essaie de protéger mon garçon. Si moi je dois laisser ma vie, je n’ai pas de problème. Mais épargne mon fils pour qu’il devienne un héros en Haïti." »

(Entretien 4) « Ce jour là, je pleurais sans arrêt. Je ne pensais pas que nous vivrions encore. A chaque secousse, je

pensais que Dieu allait mettre fin à ce monde et je priais. Je ne pensais pas que les répliques allaient

terminer. Selon moi, Dieu ferait mourir tous les humains. A chaque secousse, il prendrait une partie des gens. »

(Entretien 8)

« J’ai dormi 4 jours dans la rue, sans retrouver ma famille. La terre tremblait pendant plusieurs jours.

A cause des répliques, j’avais peur de rentrer dans ma maison. Je préférais passer les nuits dehors. Je

ne me sentais pas bien, car je pensais que la terre allait fondre et des gens prédisaient des tsunamis.

En plus, je n’étais pas habituée à dormir dans la rue. Il faisait froid et je n’avais pas de drap. Je n’avais aucun espoir. Je priais tout le temps. »

(Entretien 20)

Période en province

« Le lendemain, ma maman m’a envoyée à Jérémie. Je suis allée en province avec un de mes oncles

pendant six mois. Je vivais chez ma tante. » (Entretien 14)

« Le 5ème

jour après le séisme, nous avons quitté Port-au-Prince pour passer quatre mois aux Cayes.

Mes petits frères et sœurs sont restés là-bas chez ma grand-mère. Mes parents et moi avons passé cinq mois dans une maison louée à Fond Parisien. Quand on ne pouvait plus payer le loyer, ma mère et

moi sommes venus vivre dans le Camp Boulos. Mon père est resté en province à cause du travail. »

(Entretien 16)

3.1.3. Deuils suite aux pertes subies

Pertes humaines « J’ai perdu des gens de ma famille : mon père, une cousine et un cousin. Environ 7-8 amis de ma

classe et 2-3 amies qui travaillaient comme caissières au Caribbean Supermarket sont décédés. Ma

marraine est morte dans un studio de beauté. » (Entretien 9)

Pertes matérielles « Nous habitions près d’une ravine. L’eau de la ravine est rentrée dans la maison. Après la maison

s’est écrasée. »

(Entretien 5)

« Après le séisme, nous ne pouvions plus vivre dans la maison louée. Elle était fissurée et les gens du

gouvernement ont mis une croix dessus pour dire qu’elle était trop dangereuse pour être habitée. »

(Entretien 20)

« La maison où je vivais avec ma cousine était fissurée. Nous n’avions pas l’argent pour réparer les

fissures ou louer une autre maison. » (Entretien 22)

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3.1.4. Expériences en septembre 2011 : traumatismes et opportunités

Symptômes de traumatisme « Ma maison est fissurée et depuis le séisme je n’ai plus osé dormir dedans. Le 12 janvier est aussi la

raison pour laquelle je ne veux plus jamais travailler comme maçon. J’ai trop peur. Des murs

s’étaient écrasés sur moi et j’ai vu des maisons tomber devant mes yeux. » (Entretien 1)

Opportunités offertes par les camps

« Après le 12 janvier, des organisations ont créé des activités. Je n’ai pas ressenti que le séisme m’a apporté beaucoup de dommages. Je pense même qu’il m’a fait faire beaucoup plus d’activités.

Aujourd’hui, je suis fier. Je vis avec la communauté, donc je comprends les besoins des enfants. Ils

m’aiment et disent que je suis un modèle pour eux. Le séisme a été un cadeau. J’ai pu suivre la formation de leader et acquérir des capacités. Depuis, je sais faire des choses que je ne savais pas

faire et je suis devenu leader des jeunes. »

(Entretien 6)

« Il y a des inégalités dans le camp. Certaines personnes font des économies en vivant sous la tente,

puisqu’ils ne payent pas de loyer. »

(Entretien 17)

3.2.1. Difficultés rencontrées

Insécurité dans les camps

« Je me sens en danger. Je compare la vie dans le camp à la vie dans la rue. Comme je sais que nous

sommes exposés à de nombreux dangers, je ne dors jamais bien. »

(Entretien 5)

« J’ai quitté le camp en décembre 2010, après avoir vécu un an ici. J’ai abandonné la vie sous la tente

parce qu’on a failli me violer. Le pire c’est que je connaissais la personne qui essayait de me violer. C’était quelqu’un de la famille de mon beau-père. Un docteur a fait un examen physique, mais disait

qu’il ne voyait rien. »

(Entretien 9)

Sécurité améliorée

« Autrefois, nous avions peur parce que des voleurs déchiraient les tentes et volaient nos affaires ou

des loups-garous prenaient les bébés. Maintenant, j’ai pu constater qu’il y a moins d’insécurité dans le camp. »

(Entretien 16)

3.2.2. Activités de survie exercées

Chômage « Je travaillais comme commerçante. Je vendais des maillots et des jeans au marché. Depuis six mois,

je ne vends plus. J’ai dû abandonner mon commerce parce que je n’ai plus les moyens d’aller au

marché. Il est très important que je trouve un travail pour prendre soin de ma famille. »

(Entretien 3)

« Ma maman et moi travaillions tous les deux dans un restaurant. Nous avons perdu notre travail

parce que le restaurant a été détruit dans le séisme et la propriétaire a quitté Haïti. » (Entretien 17)

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Projets « Argent-contre-Travail » et petits boulots payés avec des amis

« Parfois, les ONG donnent des petits boulots en Cash-for-Work. Je travaille alors pendant 10-15

jours, mais ça ne dure pas. Quelquefois, des amis me donnent aussi du travail et nous partageons l’argent gagné. »

(Entretien 17)

Dépendance d’autres personnes : "famille aisée"

« Je travaille pour des gens un peu plus aisés. Je m’occupe de toutes les tâches ménagères : chercher

de l’eau, aller au marché, préparer à manger, faire la vaisselle et la lessive, prendre soin des enfants,

etc. La famille pour laquelle je travaille ne me paye pas. On me donne uniquement un peu de nourriture et un lit. »

(Entretien 15)

3.2.3. Ressources utilisées

Famille proche « Mon fils est tout pour moi. Je l’aime beaucoup. Il est extraordinaire. C’est mon premier enfant et je

suis très attachée à lui. Tout ce que je veux faire et posséder c’est en fonction de lui. Quand j’ai envie

de pleurer, je prends mon enfant dans mes bras et je le sers fort. A ce moment je me sens forte. »

(Entretien 3)

« Famille élargie » : diaspora haïtienne

« J’ai un oncle et une tante qui vivent à New York. Ils m’envoient souvent de l’argent et ils payent le basket. Ils m’ont donné un BlackBerry et je reçois des vêtements chaque six mois. »

(Entretien 9)

Religion « La religion est importante dans ma vie. En premier, c’est bon Dieu qui m’aide. Il me donne l’espoir.

Il me permet d’avancer dans ma vie. Je vais à l’Eglise et je crois dans le bon Dieu. »

(Entretien 6)

« Je crois dans le bon Dieu et je pense qu’il peut m’aider. Même si je ne travaille pas, j’arrive à

manger chaque jour, grâce à Dieu. Je vais à l’Eglise et je lis beaucoup la Bible. Dans la Bible, l’histoire de Job m’inspire. (…) Je pense qu’actuellement je passe une épreuve semblable dans ma vie.

Personne ne veut et ne peut vivre dans les conditions dans lesquelles je vis. Je ne m’attendais pas à

vivre comme ça. Mais si c’est la volonté de Dieu, qu’il en soit ainsi. S’il veut me faire souffrir, il finira

par me sauver. Je me sens très dépourvu, j’ai l’impression que je n’ai même pas les éléments de base pour m’aider à sortir de ma situation actuelle. Par contre, j’ai et j’aurai toujours Dieu et la religion

comme soutien. »

(Entretien 11)

3.2.4. Aide (non) reçue et attendue de l’International

Appui psychosocial

« J’ai assez de courage et de force pour surmonter les moments de stress et les difficultés de la vie. »

(Entretien 3)

Critiques sur l’aide offerte par les ONG

« Le plus grand problème dans ce pays c’est que pour avoir accès à l’aide, tu dois être l’ami des gens

qui font partie du comité de J/P ou des comités d’autres organisations. L’aide se donne avec des partis pris. Moi, je ne suis pas le genre de personne qui va me descendre pour trouver un boulot ou

avoir accès à l’aide. Je n’aime pas faire de la partisannerie. »

(Entretien 7)

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Désir de recevoir encore une aide

« Je voudrais que l’on paye l’école pour moi. »

(Entretien 18)

« J’ai besoin d’aide lors de l’accouchement, mais je ne sais pas si on pourra vraiment m’aider. Je ne

mets pas trop d’espérance dans l’Etat et dans la communauté internationale. » (Entretien 22)

3.3.1. Besoins urgents

Terminer l’école, trouver du travail rémunéré et quitter la vie sous les tentes

« Le plus important pour moi c’est de pouvoir retourner à l’école. Après, j’espère trouver du travail.

Ensuite, je désire pouvoir partir de la vie sous les tentes. » (Entretien 1)

« J’espère que je pourrais vivre d’une autre façon, c’est-à-dire fonctionner, vivre dans une maison et exercer un métier. »

(Entretien 5)

« Aujourd’hui, le plus important pour moi est d’avoir une maison pour avoir la stabilité et la paix d’esprit. J’aurais moins de soucis et une meilleure vie. Un autre grand besoin est de trouver un emploi

stable et honnête, parce que j’ai promis à Dieu de ne jamais voler, peu importe ce qui m’arrive. Je

veux travailler, car j’ai la responsabilité de prendre soin de mon fils et de ma petite copine. Travailler est une plus grande priorité que continuer l’école. »

(Entretien 11)

« Mon plus grand besoin est de pouvoir retourner à l’école. » (Entretien 16)

« J’aimerais trouver un boulot et finir l’école. Trouver du travail est crucial pour m’aider moi-même et pour prendre soin de ma petite copine qui est enceinte. Grâce à l’argent d’un petit boulot, nous

pourrons survivre, je pourrais payer l’école pour apprendre un métier et ma copine pourra avoir un

commerce. Ensuite, il est important d’avoir un bout de terre sur lequel je pourrais construire une petite maison, où je vivrais en sécurité avec ma copine et notre enfant. »

(Entretien 17)

« J’ai besoin de sortir d’en bas de la tente et je veux continuer mes études classiques. » (Entretien 20)

3.3.2. Professions futures envisagées, perceptions et projets d’avenir

Rêves ambitieux et optimistes, mais souvent naïfs et idéalistes

« En ce qui concerne mon avenir dans 5 à 10 ans, j’espère avoir terminé mes études classiques et aller à l’université pour étudier la médecine. Ensuite, je souhaiterais travailler comme docteur. J’ai ce rêve

depuis tout petit. Je pourrais l’atteindre par des études secondaires et universitaires. Je veux être

heureux, gagner de l’argent et être en mesure d’entretenir ma famille. »

(Entretien 18)

Rêves plus réalistes et pragmatiques

« Après le séisme, mes goûts ont changé. Maintenant, je rêve de devenir DJ une fois que j’aurais fini l’école. Ce rêve s’est développé parce que je trouve les musiques à la radio très belles et je ne peux

pas faire beaucoup d’autres choses avec mon handicap. »

(Entretien 12)

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Découragement et pessimisme

« Je suis assez négative concernant mon avenir parce que je ne vois pas de changement depuis le

tremblement de terre. Dans 10 ans, je voudrais vivre à l’aise, mais je ne sais pas si je serais encore vivante. Je ne crois pas trop en un avenir meilleur. »

(Entretien 21)

3.3.3. Attentes vis-à-vis de l’Etat et des Haïtiens

« Il est crucial de baisser les prix de la nourriture pour que les Haïtiens puissent manger chaque jour.

La vie est trop chère et trop dure. Certains Haïtiens n’arrivent même pas à payer un sac de riz. L’Etat devrait aussi faire en sorte que tous les Haïtiens puissent aller à l’école. Les écoles haïtiennes sont

chères. Je n’attends pas qu’elles deviennent gratuites, mais que les Haïtiens puissent payer l’école à

des prix dérisoires, selon leurs propres moyens. » (Entretien 2)

« Je pense que l’État pourrait nous retirer d’en bas des tentes en nous donnant de l’argent pour construire des maisons. Pour qu’Haïti aille mieux, l’école gratuite devrait devenir une réalité à long

terme parce que l’éducation est très importante. Je pense que l’insécurité devrait arrêter. S’il y a plus

de sécurité, les autres pays viendront plus aider Haïti à se développer. »

(Entretien 14)

« L’Etat devrait retirer les gens sous les tentes et leur donner un endroit où vivre. Il devrait créer des

écoles gratuites pour que tous les enfants puissent aller à l’école et apprendre à lire et à écrire. » (Entretien 15)

« L’Etat savait qu’il y avait un risque sismique en Haïti. Même s’il ne connaissait pas la date exacte,

il aurait dû prendre des précautions, par exemple en interdisant les résidences sur les falaises et en faisant des inspections des constructions. L’Etat a la responsabilité de créer du travail et de

construire des entreprises. L’Etat devrait construire des hôpitaux et former plus de médecins et

d’infirmières. Je pense que beaucoup d’écoles haïtiennes gardent notre pays dans le sous-développement, car soit l’enseignement est cher, soit il est de mauvaise qualité. Je voudrais qu’il y ait

plus d’écoles d’Etat pour permettre aux parents défavorisés d’envoyer leurs enfants à l’école. Il est

essentiel de fournir un enseignement de qualité, avec des professeurs compétents, qui encadrent les enfants de façon structurée. »

(Entretien 17)

« Je pense que pour aider Haïti à sortir du sous-développement il est important de créer du travail et de faire en sorte que tous les enfants puissent aller à l’école pour recevoir une éducation de base. Au

niveau de la santé, l’État devrait fonder plus d’hôpitaux. Au niveau de la sécurité, il devrait renforcer

la police et mettre plus de policiers dans les rues pour protéger les citoyens. » (Entretien 18)

3.3.4. Initiatives individuelles et communautaires

Fatalisme et dépendance

« Je suis obligée de prier Dieu pour voir si mon avenir pourra être un peu mieux. »

(Entretien 21)

« J’espère que ma famille à l’étranger pourra m’aider pour partir de Port-au-Prince. Je les appelle

souvent pour leur demander de m’envoyer de l’argent et de m’aider avec ma demande de visa. Je ne vois pas ce que je pourrais faire pour sortir de la situation actuelle. Je ne vois également pas quelles

initiatives la communauté pourrait prendre. Il faudrait que les ONG et l’Etat proposent des choses et

que l’on puisse suivre leurs idées. »

(Entretien 5)


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