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inflexions_32

Date post: 28-Feb-2018
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    Le soldataugment ?

    Inflexionscivils et militaires : pouvoir dire

    Lindustriel et le robot entretien avec Gunal Guillerme

    Des forces spciales Bruno Baratz

    Performance et ressources humaines Didier Danet

    La tentation de lHubris Brice Erbland

    Implicationsde laugmentation cognitive Frdric Canini et Marion Trousselard

    Faut-il laisser pleurer le soldat augment ? Aurlie on

    quoi rvent les soldats lectroniques ? Yann Andrutan

    Du bon dosage du soldat augment Michel Goya

    Lhomme simplifi entretien avec Jean-Michel BesnierHomme augment, volont diminue entretien avec Caroline Galactros

    Un regard de croyant Paolo Benanti

    Le temps du shabbat Ham Korsia

    POUR NOURRIR LE DBATLurgence littraire : penser la complexit du rel Christophe Junqua

    Arme et jeux vido de guerre :quelles utilisations ? Rodolphe Moindreau

    Prserver la stabilit de lespace euro-atlantique Petr Pavel

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    Inflexionscivils et militaires : pouvoir dire

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    La revue Inflexions

    est dite par larme de terre.cole militaire 1place Joffre Case 09 75700Paris SP 07Rdaction : 0144424286 e-mail : inflexions.emat-cab@terre-net.defense.gouv.frwww.inflexions.frFacebook : inflexions (officiel)

    Membres fondateurs :

    M. le gnral de corps darme (S) Jrme Millet Mme Line Sourbier-PinterM. le gnral darme (S) Bernard Thorette

    Directeur de la publication :M. le gnral de division Franois Lecointre

    Directeur adjoint :

    M. le colonel Herv Pierre

    Rdactrice en chef :

    Mme Emmanuelle Rioux

    Comit de rdaction :

    M. le mdecin en chef Yann Andrutan M. John Christopher Barry Mme le professeurMonique Castillo M. le mdecin chef des services (er) Patrick Clervoy M. le colonel (er)Jean-Luc Cotard Mme le professeur Catherine Durandin M. le gnral de brigadeBenot Durieux M. le commandant Brice Erbland M. le lieutenant-colonel (er) HuguesEsquerre M. le colonel Frdric Gout M. le colonel (er) Michel Goya M. le professeur

    Armel Huet M. le grand rabbin Ham Korsia M. le gnral de brigade Thierry MarchandM. le gnral darme (S) Jean-Philippe Margueron M. le commandant Guillaume

    Roy M. lambassadeur de France Franois Scheer M. le professeur Didier Sicard M. lecolonel (er) Andr Thiblemont

    Membres dhonneur :

    M. le gnral darme (S) Jean-Ren Bachelet M. le gnral de corps darme (S)Pierre Garrigou-Grandchamp

    Secrtaire de rdaction : adjudant-chef Claudia Sobotka

    Les manuscrits soumis au comit de lecture ne sont pas retourns.Les opinions mises dans les articles nengagent que la responsabilit des auteurs.Les titres des articles sont de la responsabilit de la rdaction.

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    Le soldataugment ?

    Inflexionscivils et militaires : pouvoir dire

    La violence nazie entretien avec Johann Chapoutot

    Le feu nuclaire :une expression de la violence absolue ? Jean-Louis Vichot

    Tu massacreras tes frres ! Herv Pierre

    Et la foule crie mort ! Patrick Clervoy

    La violence, une fin ou un moyen pour ltat islamique ? Wassim NasrLa mdiatisation de la violence totale en Centrafrique :rcit par les images, rcit par les mots Bndicte Chron

    Regain de violences ? entretien avec Robert Muchembled

    Rvolution franaise et violence totale Jean-Clment Martin

    Illgitime violence Jean-Philippe Immarigeon

    Justifier la violence extrme ? Monique Castillo

    Force et violence Pierre de Villiers

    Kakanj 1992 : les sapeurs dcouvrent la violence Jean-Luc Cotard

    Le processus homicide.

    Analyse empirique de lacte de tuer Brice ErblandQuand tuer blesse. Rflexion sur la mort rouge Yann Andrutan

    Le lien la violence des commandos Marine Jacques Brlivet

    Messieurs les insurgs, tirez les premiers ! Yohann Douady

    POUR NOURRIR LE DBATLe rebelle et le soldat : quelle thique ? Monique Castillo

    Larme et le maintien de lordrelors de lapplication des lois laques (1902-1906) Xavier Boniface

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    NUMRO 32

    LE SOLDAT AUGMENT ?DITORIAL

    C HERV PIERRE 7DOSSIER

    LINDUSTRIEL ET LE ROBOTC ENTRETIEN AVEC GUNAL GUILLERME 13

    Dans le domaine de la robotique et des systmes automatiss appliqus la dfense

    et la scurit, linnovation ouvre des perspectives extrmement intressantes, maisparfois inquitantes. Le point de vue du directeur gnral du groupe ECA.

    DES FORCES SPCIALESC BRUNO BARATZ 19

    Engages avec de faibles effectifs et une protection minimum, les forces spcialesdveloppent des modes daction sinscrivant dans une logique du faible au fort.Ainsi, ont-elles appris mettre profit les nouveaux outils offerts par les progrstechnologiques. Cependant, la performance croissante des quipements est loin deplacer lhomme hors-jeu.

    PERFORMANCE ET RESSOURCES HUMAINESC DIDIER DANET 29

    La recherche de supriorit des armes occidentales sest longtemps fonde sur lesavances des sciences et des techniques de larmement. Avec le human enhancement,le facteur humain est replac au cur de laction. Lhomme y gagne un surcrot dematrise de cette activit sociopolitique quest le conflit arm. Une transformation quiinvite une rvision de la politique demploi de la ressource humaine.

    LA TENTATION DE LHUBRISC BRICE ERBLAND 47

    Lhubris nallant pas sans linvitable punition quest la nmsis, le rvedaugmentation du combattant saccompagne de drives morales qui pourraientremettre en question lintrt oprationnel du concept. Ds lors, cest dans un cadrethique, donc humain, quil faut chercher lamlioration du soldat et avoir la sagessede fixer des limites.

    IMPLICATIONS DE LAUGMENTATION COGNITIVEC FRDRIC CANINI ET MARION TROUSSELARD 57

    Les progrs des sciences et des technologies rendent envisageable, si ce nestpossible, lamlioration des capacits cognitives de lhomme. Cette possibilit offrelespoir dune arme de super-combattants, bien au-del du simple maintien de lacapacit oprationnelle. Si elle pose le dsir dun individu capable de surpasser seslimites, elle questionne galement la lgitimit de son usage.

    FAUTIL LAISSER PLEURER LE SOLDAT AUGMENT ?C AURLIE ON 73

    Les motions peuvent tre modifies par la mdecine et la technologie, en particulierdans le but dinhiber les plus gnantes et dainsi accrotre lefficacit du soldat aucombat. Mais les faire totalement disparatre ne ferait-il pas courir le risque de perdre

    une limite thique ?

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    QUOI RVENT LES SOLDATS LECTRONIQUES ?C YANN ANDRUTAN 79

    La science-fiction naime pas la guerre, mais celle-ci la fascine. Le combattant yoccupe une place singulire : il incarne le rapport la technologie, la confrontation lAutre dans sa radicalit reprsente par lextraterrestre, ou encore les excs desmodifications physiques et psychiques.

    DU BON DOSAGE DU SOLDAT AUGMENTC MICHEL GOYA 93

    Le soldat est une cration artificielle obtenue par la transformation dun individunaturellement rticent devant la mort en un tre capable dvoluer dans une ambiancede peur intense. Chacun deux est un Icare que lon croit capable datteindre leshauteurs de linvincibilit par le biais dune alchimie la fois ancienne et toujourschangeante. Il sagit en fait l dune ralit toujours renouvele.

    LHOMME SIMPLIFIC ENTRETIEN AVEC JEAN-MICHEL BESNIER 107

    Les technologies, dans la mesure o elles secrtent la vision dun posthumain,nous contraignent dfendre ce que nous voyons en lhomme comme une richesse.Notamment sa capacit dcider dans lincertitude. Disqualifier celle-ci, cestruiner limage de soi du soldat. Or, de plus en plus, ce dernier doit se soumettre des machines qui fonctionnent linformation. Prenons garde ne pas remplacerlintelligence par linstinct !

    HOMME AUGMENT, VOLONT DIMINUEC ENTRETIEN AVEC CAROLINE GALACTROS 117

    Pour Caroline Galactros, la surpuissance technologique des armes occidentalesnest nullement synonyme de suprmatie sur le terrain. Au-del de la simple questionscientifique, elle souligne en quoi lmergence du transhumanisme dans la choseguerrire constitue un vritable dfi lanc une philosophie politique souvent fragile

    dans les socits modernes.UN REGARD DE CROYANTC PAOLO BENANTI 123

    La possibilit indite offerte lhomme de se livrer des manipulations sur sonespce, au risque de perdre sa propre identit, ainsi que les transformations socialesquune utilisation de plus en plus rpandue des biotechnologies pourrait introduirerendent pertinent un approfondissement de cette question par les croyants.

    LE TEMPS DU SHABBATC HAM KORSIA 135

    Lhomme a toujours cherch slever et tous les moyens lui sont bons. Face cedsir domnipotence, le judasme apprend lhomme sabstenir de crer, un jour par

    semaine, le jour du shabbat. Il sagit de se retrouver soi-mme, de reprendre sa justeplace au sein de la cration, ni trop haut ni trop bas.

    POUR NOURRIR LE DBAT

    LURGENCE LITTRAIRE PENSER LA COMPLEXIT DU RELC CHRISTOPHE JUNQUA 139

    Notre socit technicienne tend faire de laccs linformation et la connexionau rseau, quil soit informatique ou social, la condition ncessaire et suffisante de laconnaissance et de lautonomie. Or la littrature, parce quelle introduit une relation lautre et ne se limite pas une conception utilitariste du langage, invite unepense complexe du monde et de nous-mmes. Elle na jamais t aussi ncessaire.

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    ARME ET JEUX VIDO DE GUERRE QUELLES UTILISATIONS ?C RODOLPHE MOINDREAU 145

    Premire industrie culturelle du monde en termes conomiques, le jeu vidopartage des liens avec le champ militaire. Il est utilis des fins de formation etdentranement. Mais bien plus, il est devenu un vecteur de communication et derecrutement. Peut-il toutefois influencer les reprsentations des joueurs et lgitimerles orientations stratgiques des pays occidentaux ?

    PRSERVER LA STABILITDE LESPACE EUROATLANTIQUEC PETR PAVEL 153

    Prsident du comit militaire de lOTAN, ancien chef dtat-major de la Rpubliquetchque, le gnral Pavel livre ici sa vision du monde puis poursuit sa rflexion travers la description analytique des menaces identifies. Se fondant sur ces constatset descriptions, il dtaille quelques rponses politico-militaires ralistes et ralisables,susceptibles de rpondre aux dfis et enjeux majeurs de nos socits occidentales.

    TRANSLATION IN ENGLISHON ACHIEVING THE RIGHT BALANCEIN THE ENHANCED SOLDIERC MICHEL GOYA 165

    COMPTES RENDUS DE LECTURE 179

    SYNTHSES DES ARTICLES 189TRANSLATION OF THE SUMMARY IN ENGLISH 193BIOGRAPHIES 197

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    HERV PIERRE

    DITORIAL

    Gnral, ltre humain est trs utile,Il est capable de voler et de tuer

    Mais il a un dfautIl est capable de penser

    Bertolt Brecht

    Homme augment est aujourdhui la formule consacre pourdsigner la modification des performances physiques commementales de ltre humain, que cette amlioration soit lersultat dune intervention mcanique (greffe de prothse), dunetransformation chimique (prise mdicamenteuse), voire, pourquoipas lavenir, dune manipulation gntique. Et le sujet ne manquepas de faire dbat comme en tmoigne le vocabulaire utilis pouraborder la question : amlioration pour les uns, manipulation pour les autres, modification ou transformation pour ceuxdont lopinion sur le sujet reste faire ou consolider. Mais la

    formule ne laisse pas indiffrent, non seulement considrer que lascience puisse en effet crer des surhommes , mais que, ce faisant,elle gnre du mme coup dans le corps social une nouvelle catgoriedtres qui viendrait sintercaler sur lchelle aristotlicienne desespces entre les dieux et des humains au naturel. Mi-hommemi-dieu, ni homme ni dieu ; mi-homme mi-robot, ni homme nirobot, ltre augment serait avant tout cet hybride dont il fautbien aujourdhui penser lessence (quest-ce ?) autant que lexistence(quelle serait sa place ?).

    Quelle soit perue positivement ou ngativement, laugmentationsentend ainsi, au sens qui simpose chaque jour davantage, commelajout dun artefact qui transforme : du quantitatif doit natre lequalitatif. Symboliquement, cest dailleurs tout le sens dune formulecompose de deux mots irrductibles, homme et augment ,comme si la transformation ne pouvait senvisager sans une formedhybridit, articulant lartificiel au naturel en une curieuse alchimie.Pourtant, bien y rflchir, laugmentation pourrait aussi sentendretout autrement, sans artefact, comme tant exclusivement qualitative,cest--dire dabord et essentiellement comme un accroissement

    dhumanit dans lhomme. Que lon envisage simplement, titredillustration, le conatusspinoziste ou de la recherche thomiste dactua-lisation de ltre au monde.

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    8 LE SOLDAT AUGMENT

    Mais dans lacception dsormais entendue d homme augment ,point de tout cela, puisquune intervention externe se propose

    de compenser les manques et faiblesses de lindividu. Or lidecontenue dans lHuman Enhancement, si elle suppose amlioration ,non seulement sous-entend un ajout, donc une forme dapportextrieur, mais ne dit en ralit pas grand-chose de la nature de cetteaugmentation. En effet, sur quels critres, partir de quel rfrentiel,

    juger, estimer quune telle transformation est une amlioration ?Certes, offrir une personne mobilit rduite pour reprendrel encore une formule consacre de rcuprer lventail complet deses capacits sentend aisment comme une amlioration ; mais quepenser dun athlte qui sestime (ou que lon estime) plus performantavec des jambes artificielles ? comparer les deux situations, ny a-t-ilpas franchissement dune limite entre laugmentation qui compensele handicap et celle qui fournit une performance posthumaine ? Sansattendre dtre confront une vague de demandes damputation, sansdoute faut-il sinterroger, en socit, sur le critre qui semble fonderle rfrentiel : la performance.

    Tout cela pourrait rester thorique, ne pas susciter de dbat pourne soulever quindignation et protestation, si cette question de laperformance ne faisait pas sens adopter un autre point de vue, plus

    pratique, plus pragmatique, plus terre terre. Car, trs concrtement,pour un soldat engag au combat, la capacit lemporter sur sonadversaire est non seulement une question defficacit oprationnelle(ce quau demeurant exige collectivement la socit), mais, avant toutautre considration, une question de vie ou de mort. Augmenterle soldat, cest donc dabord lui fournir les moyens de neutraliserlennemi (efficacit offensive) tout en se protgeant de ses attaques(efficacit dfensive). Et le constat na rien de nouveau : lhomme qui,pour la premire fois, sest saisi dune pierre ou dune perche pouren attaquer un autre sest de factoimpos comme le premier soldataugment , amorant le cycle vicieux de linaltrable comptitionentre glaive et bouclier.

    On peut certes regretter cet enchanement et se demander si lalimite nest justement pas atteinte quand laugmentation devientirrversible, mais, admettre que nos engagements militaires ontvocation protger le monde dans lequel nous souhaitons vivre,comment reprocher ceux qui arment nos soldats de chercher lesrendre toujours plus efficaces, loffensive comme la dfensive ?La socit ECA, qui dveloppe lexosquelette, ne mnage pas ses

    efforts pour allger ceux des hommes, qui, engags dans desconditions trs rustiques, sont contraints de se dplacer avec descharges dquipement qui ne cessent de salourdir. Bruno Baratz

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    9DITORIAL

    tmoigne, en tant quancien chef de corps dun rgiment de forcesspciales, de lindiscutable avantage comparatif que la technologie

    transmissions, capacit de vision nocturne offre aux petitesquipes engages dans des conditions toujours trs difficiles,et le plus souvent dans un rapport de force qui leur est a priorinumriquement dfavorable. Didier Danet va sans doute encore plusloin en arguant que chercher dvelopper le soldat augment ,cest galement replacer lhomme au cur du combat, linstar dece que prconisait Ardant du Picq, contre la recherche systmatiquede lavantage technologique dont le robot combattant serait, nonsans ironie, la plus pure incarnation. Il nest dailleurs pas decontributeurs ce numro qui ninsistent sur la ncessit de dfinirdes limites pour conditionner les dveloppements scientifiques : deBrice Erbland, pilote de combat, qui dnonce les risques de lhubris,aux chercheurs en science cognitive, Marion Trousselard et FrdricCanini, qui appellent une confrontation rflexive entre thiquemilitaire et thique mdicale pour borner laction. Rappelant enloccurrence le rle des motions, Aurlie on nous invite ainsi laisser pleurer le soldat augment ...

    Si imposer des limites semble par consquent faire lunanimit enlespce le passionnant dtour par la science-fiction que propose Yann

    Andrutan devrait convaincre les ventuels partisans dune sciencesans conscience , daucuns sinterrogent plus fondamentalement surlefficacit mme de ce soldat augment . Rappelant que tout soldatest un agrgat, mlange de comptences, dquipements et de faonsde voir les choses lintrieur dun embotement de structures ,Michel Goya met en garde contre lillusion dinvincibilit et dinvul-nrabilit. Lefficacit du soldat ne se comprenant que relativement lenvironnement dans lequel il volue, toute recherche dabsolu quine tiendrait pas compte du contexte, en particulier de ladversaire,est voue lchec. Bien plus critiques, Jean-Michel Besnier etCaroline Galactros inversent mme les charges de la preuve : lepremier soulignant la rgression que constituent autant lautomationtechnique que llmentarisation animale et la seconde lillusionde lavantage comparatif, tous deux attribuent la figure du soldataugment une part de responsabilit dans les conflits contemporains.Lhyper-technologie serait un leurre car totalement inadapte auxmodes daction de nos adversaires ; plus encore, elle loignerait nossocits des rponses, en particulier sociales, apporter la crisescuritaire, accentuant toujours un peu plus le foss entre eux

    et nous . Point dorgue de ce renversement des perspectives,Caroline Galactros conclut sans dtour que la sophistication sembleinversement proportionnelle lefficacit.

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    Comme toujours, ce numro dInflexionsne prtend pas apporter Larponse, mais ouvrir un espace de dbats. Certes, le point dinter-

    rogation dans le titre souligne combien la notion mme d hommeaugment mrite dtre interroge, la production technologiquene pouvant senvisager sans une profonde rflexion thique. Enloccurrence, les robots du champ de bataille ou les hommesaugments sont autant de projets qui, mettant la technique au servicede la guerre, entendent garantir la suprmatie du combattant soit enlui offrant des capacits surnaturelles, au sens propre, sinon en letenant distance de la zone ltale, celle o le feu tue. Dans les deuxcas, lhomme expose ou utilise la machine pour chapper au risquede mort, sans doute au bnfice de la prservation de sa vie maispeut-tre en sacrifiant paradoxalement une part de son humanit.

    Il nest pas question de condamner en bloc, mais de disputer, au sensancien du verbe, si besoin en convoquant toutes les dimensions, ycompris spirituelles ou religieuses, linstar des textes proposs parle pre Paolo Benanti et par Ham Korsia, grand rabbin de France.Dans le mcanique et le programmatique du tout-technique, aussiperfectionn soit-il, des brches ne se font-elles pas jour que seuleslintelligence de situation, la capacit dadaptation et la sensibilithumaine pourraient combler ? toute science de la guerre, aussi

    techniquement labore soit-elle, ne doit-on pas admettre une part dart , avec toute la subjectivit dont est satur ce mot, commeexpression du caractre irrmdiablement humain de laffrontementguerrier ? Car lhomme augment de technologie pourrait doncbien, ny prendre garde, se retrouver tre un homme diminu dunepartie de son humanit. Dans nos combats modernes, lhomme-robotet lhomme-kamikaze ne sont-ils pas des figures totales, ultimes,daugmentation qui sont autant de mutilation, sinon dannihilation,dhumanit ? Signe des temps, les deux figures sopposent voiresalimentent lune lautre dans une asymtrie croissante et destructrice.Dans tous les cas, prserver ou rintroduire une part de sensibilitrflexive ne nous semble par consquent pas aberrant. Cest toutlobjet de ce numro. Mais le dbat est ouvert C

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    DOSSIER

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    ENTRETIEN AVEC GUNAL GUILLERME

    LINDUSTRIEL ET LE ROBOT

    Inflexions :Le groupe ECA, spcialis dans la conception, la fabrication, la commercia-lisation et la maintenance dquipements et de systmes robotiss oprant en milieu hostile,a t cr en . Pouvez-vous nous prsenter en quelques mots lvolution des activitsde la socit, de la veille du second conflit mondial nos jours ?

    Gunal Guillerme : La socit tudes et constructions aronautiques(ECA) a en effet t fonde en par messieurs Rosicki et Gianoli,et fte donc ses quatre-vingts ans dexistence cette anne. M. Gianoli,ingnieur aronautique, travaillait ds les annes dans les ateliersLetord, Meudon, o taient fabriqus les avions Arc-en-ciel, dontun modle permit notamment Jean Mermoz de traverser lAtlantiqueSud en . Chez ECA, laccent est mis demble sur linnovation :entre et , une centaine de brevets, tournant tous autour dupilotage ou de la gestion dun objet volant, sont dposs par la poignede personnes qui constituent alors la socit. la fin des annes ,celle-ci dispose dune vritable expertise dans le domaine des ciblesariennes remorques. Dix ans plus tard, une premire cible arienne

    tlcommande pour lentranement des pilotes est dveloppe et livre la Marine, marquant ainsi les prmisses de la robotique. Entre-temps,ECAest devenu un industriel de rfrence dans la construction depices forges en aluminium, fournissant notamment les fabricants depices de trains datterrissage davion. Elle restera donc une entrepriseessentiellement aronautique jusquau milieu des annes .

    Lorsque le gnral de Gaulle lance le programme nuclaire franais etle dveloppement de sous-marins nuclaires lanceurs dengins dans lesannes , la ncessit apparat de crer un modle libre au diximecapable de naviguer afin de tester les diffrentes formes hydrody-namiques du navire avant de le concevoir et de le construire. CommeECAmatrise les cibles tlcommandes ariennes, et que larody-namique subsonique et lhydrodynamique sont sujettes aux mmes loisphysiques, elle intgre logiquement en lespace de deux ans le domainesous-marin, dont elle demeure depuis le dbut des annes ungrand acteur pour la partie robotique. Le dveloppement des premiersrobots de dminage sous-marin de type Poisson autopropuls pilot (PAP) estalors confi la socit en sous-traitance de la Dlgation gnrale delarmement (DGA). Ces robots deviennent une rfrence et rencontrent

    un trs grand succs lexportation. Ils marquent lentre en forcedECAdans le domaine de la robotique. Quarante ans plus tard, ilsquipent toujours la Marine franaise.

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    14 LE SOLDAT AUGMENT

    la fin des annes , ECA conduit toujours ses activitsaronautiques (fabrication mcanique), mais devient au fil des ans

    une socit plus axe sur la robotique, en particulier dans le domainesous-marin civil et militaire. Lentreprise est alors vendue et reprisepar le groupe Gorg, qui, partir de , fait dECAlacteur que lonconnat aujourdhui dans le monde de la robotique, avec prs dequatre-vingts pays clients.

    Grce ses innovations et lacquisition de plusieurs entreprises,ECApropose aujourdhui une offre diversifie dans le domaine dela robotique terrestre, dans les drones ariens, dans les drones desurface et sous-marins, dans linspection des canalisations deau,linspection nuclaire Cette gamme est vendue pour un tiers dans ledomaine civil, pour les deux autres tiers dans le domaine de la dfense,et reprsente du chiffre daffaires de lentreprise.

    Elle a, par ailleurs, acquis une division simulation, qui reprsenteenviron de son chiffre daffaires. Elle est dote dun ensemblede comptences civiles ou de dfense, dans les domaines naval(simulateurs sonar, radar, Central Operations, Wargame), terrestre(conduite automobile civile ou pilotage de vhicules blinds lgers)ou aronautique (simulateurs de pilotage).

    La division aronautique dorigine, dont lactivit dclinait quelque

    peu au dbut des annes , sest galement davantage oriente versla robotique, en fournissant des socits comme Airbus dimmensesmachines dassemblage pour produire des avions. Cette divisionreprsente aujourdhui du chiffre daffaires du groupe.

    Plusieurs brevets sont dposs chaque anne et plus de deseffectifs de lentreprise sont employs linnovation et la recherche. des effectifs dtudes et de dveloppement se trouvent en Franceet des entits commerciales existent dans diffrents pays : tats-Unis,Brsil, Singapour

    Inflexions :Quelles sont les grandes volutions en cours et venir dans les domaines dela robotique et des systmes automatiss en appui du combattant ?

    Gunal Guillerme : Dans ce domaine, les volutions sont de deuxordres. Le premier : les robots terrestres de dminage/dpigeage,

    vendus diffrentes armes et la scurit civile. Ces robotstl-oprs nont que peu de squences dautonomie, contrairement,par exemple, aux robots sous-marins, en raison notamment dunterrain demploi plus complexe et moins homogne. Loprateur peutcependant aujourdhui tre libr du mouvement et de la supervision

    du robot entre deux points pour le rendre moins vulnrable. Cesmodes dautonomie, permis par un certain nombre de capteurs, detechnologies et dalgorithmes dj existants, peuvent encore faire

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    15LINDUSTRIEL ET LE ROBOT

    lobjet de nombreuses avances. Nous sommes l dans le court terme(amlioration des robots existants et de leurs performances dans les

    cinq annes venir).Second ordre : les exosquelettes et la robotique humanode.Lexosquelette va permettre au fantassin de supporter des chargesquil ne peut supporter aujourdhui. Cette technologie avance vite et

    va apporter normment dans le monde de la Dfense comme danscelui de la logistique, industrielle notamment. Cependant, ECAestaujourdhui assez peu engage dans ce domaine. En revanche, elle apris une participation en juin dans lentreprise Wandercraft, quifabrique dj un exosquelette vocation mdicale, permettant unparaplgique de marcher. Lexosquelette, dans ce cas, se rapprochedavantage de la robotique humanode que dun appareillage qui neferait quassister le mouvement. Les technologies et algorithmesmis en uvre appartiennent dailleurs au domaine de la robotiquehumanode. La joint ventureECADynamics, en partenariat avec

    Wandercraft, a donc pour vocation de dvelopper une robotiquehumanode pour la dfense et la scurit. En caricaturant, Wandercraftapporterait les pattes (deux ou quatre), ECAle corps et la tte (capteurs, actionneurs du robot, tl-opration). Les applicationsvises sont essentiellement logistiques (port de charges), en particulier

    dans des milieux difficiles ne permettant pas la mise en uvre deroues ou de chenilles. Ces systmes pourront, ds quils serontsuffisamment fiables, efficaces et autonomes, assister les combattantssur le champ de bataille. Le dveloppement des algorithmes ettechnologies dans le domaine de la robotique humanode depuisdix ans permet aujourdhui de construire des robots dix fois plusendurants. Pour ECA, lobjectif est de produire dici trois quatreans un dmonstrateur dun quadrupde capable de porter plusieursdizaines de kilos de charge pour assister des fantassins, notammentdans le franchissement dobstacles. Ces robots humanodes viendronten complment de toute la gamme de robots roues ou chenilles,qui resteront plus efficaces et autonomes sur les terrains carrossables.Nous nourrissons lespoir que, contrairement ce quil sest produitpour la robotique arienne notamment (drones), la France ne ratepas cette volution.

    Inflexions :Quest-ce qui spare aujourdhui ces robots humanodes facilitant lesoutien et la logistique du combattant de vritables robots de combat ?

    Gunal Guillerme : La marche humanode est une action simple.

    Lacte de combattre, lui, suppose la prise en compte dun grandnombre de paramtres danalyse. Il existe donc un foss technologiqueimmense, notamment en matire dintelligence et de capacit de

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    16 LE SOLDAT AUGMENT

    dcision. Le robot humanode suit quelquun ou une trajectoiredans le cadre dune mission trs simple. Un robot portant une arme

    supposerait une capacit de dcision, de scurit qui, si elle peutparatre simple en thorie, se rvle extrmement complexe dunpoint de vue technologique. Il ne sagit donc pas du mme horizon.

    Si les robots humanodes servant de mules peuvent treraisonnablement imagins en srie lhorizon de dix ans, lesrobots arms ncessitent encore des progrs dans un grand nombrede domaines (intelligence, communication, capacit de dcision,rsistance au brouillage, scurit), qui repoussent leur hypothtiquedveloppement au-del des dix ans.

    Le sujet de laction partir dune arme nest pas pour autant li lamarche humanode. Si, dans linconscient collectif, on pense systma-tiquement lhumain lorsquil sagit dutiliser une arme, on peut trsbien imaginer ces armes sur un robot roues ou chenilles. Or cesrobots existent depuis prs de quinze ans et nont jamais t arms, cequi rvle toute la complexit technologique.

    Inflexions : trop vouloir augmenter le combattant par des apports extrieurs,pensez-vous que celui-ci pourrait, terme, se retrouver diminu dune part de sonhumanit ?

    Gunal Guillerme : On peut se rendre esclave de nimporte quel outilcomme, par exemple, un tlphone portable Cela sera vrai aussipour la robotique. Il faudra voir lusage et tirer les enseignementsafin que lemploi se stabilise. Les armes devront, comme elleslont toujours fait, apprendre utiliser les diffrents outils que latechnologie met leur disposition. Elles sont dailleurs rputes pourtre particulirement sages en la matire et votre rflexion actuellele dmontre : elles squipent dabord de prototypes, dveloppentdes concepts demploi, tudient la manire dont ces nouveaux objets

    vont entrer dans leur organisation et ventuellement la perturber,les adaptations qui vont savrer ncessaires Cest pourquoi, parprcaution, il se passe toujours entre cinq et dix ans avant quunenouvelle technologie nentre vritablement sur le champ de bataille.

    Inflexions :Vous nen tes donc pas encore vous fixer un cadre et des limites thiquesdans le dveloppement de vos projets ?

    Gunal Guillerme : La limite existe dj. Elle est trs simple ettrs claire : les robots conus par ECAvisent protger lhumain enlloignant du danger. Le groupe ne produit pas de systmes arms.

    Dans tous les domaines pour lesquels nous travaillons (dfense,nuclaire, hydrocarbures), nos systmes visent diminuer ladangerosit pour lhomme. Les moyens de lutte contre les mines et les

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    17LINDUSTRIEL ET LE ROBOT

    piges incarnent bien cette volont, qui est la ntre depuis quaranteans. Nos robots terrestres de dminage et de dpigeage lillustrent

    galement, tout comme nos drones ariens, qui permettent davoirune meilleure image du champ de bataille pour le chef militaire ou delincendie pour les pompiers, afin de prparer la dcision.

    Propos recueillis par Guillaume Roy C

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    BRUNO BARATZ

    DES FORCES SPCIALES

    En quelques annes, la physionomie des combattants occidentaux,et notamment des forces spciales, a fortement volu. Les images quipassent en boucle sur les chanes dinformation montrent des soldatsquips de casques dots de jumelles de vision nocturne, de moyens detransmission individuels et de gilets de combat, qui viennent renforcerlimage de puissance de feu darmes dotes daccessoires plus ou moins

    volumineux, le tout surplomb par des drones qui semblent capablesde dceler les moindres dtails de ce qui se passe au sol. Le warrior-robotfait dj partie de notre quotidien. Et ce croisement entre lhommeet la haute technologie apparat aux yeux du plus grand nombrecomme le gage de lefficacit oprationnelle, comme lassurance dela domination tactique des armes qui ont su intgrer des progrstechniques toujours plus coteux.

    Ces images constituent la partie visible de la profondetransformation quont apporte les technologies rcentes dans laconduite des oprations militaires. Le mouvement perptuel dedomination de ladversaire par lutilisation de nouvelles armes na pas

    ralenti. Nous vivons toujours dans cette dynamique, car cest elle quipermet aujourdhui aux armes occidentales de ne craindre aucuneconfrontation directe sur le plan tactique.

    La recherche incessante de la supriorit ou du maintien au plushaut niveau des capacits militaires a conduit une course lasophistication, une dbauche de technologies dans les quipements,qui pourraient pousser considrer que, dsormais, il fauttravailler sur ce que certains estiment tre le maillon faible de lachane des combats : lhomme. En effet, ne voit-on pas apparatredes rflexions sur le fait que le pilote limite les capacits de vol decertains avions, que le processus de dcision demploi de moyensdinterception devrait tre automatis pour bnficier de dfensesefficaces face aux missiles balistiques, que les drones terrestres,maritimes et ariens automatiss permettraient de retrouver cettecapacit de frappe distance et en scurit que les armes tententde maintenir depuis quelles existent ? Autant de questionnementsqui tendent marginaliser lhomme, avec ses limites physiologiqueset intellectuelles, dune machinerie de guerre bien huile. Cestcette mme logique qui pousse envisager lemploi des nanotech-

    nologies et des progrs gntiques pour amliorer les capacitsdes combattants afin quils puissent tenir leurs rangs au milieu desrobots de combat.

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    20 LE SOLDAT AUGMENT

    Mais quelle est la ralit des apports de ce mouvement demodernisation sur le terrain ? Les volutions technologiques ont-elles

    un quelconque intrt dans la conduite de ce combat si particulier quiest celui des forces spciales ?

    A Pallier les faiblesses

    De prime abord, la rponse est naturellement positive. Lestechnologies modernes, et surtout la mise en synergie de leurs effets,procurent une incontestable domination des armes occidentales dansce duel que constitue la confrontation tactique.

    En lespace dune vingtaine dannes, larrive de moyens decommunication plus performants et le dveloppement de moyensde renseignement intgrs jusquau niveau des quipes ont permisde compenser les faiblesses intrinsques des forces spciales. Eneffet, leur combat se fonde sur le principe dun rapport de forceglobalement dfavorable, dun combat du faible au fort. Ce principefondateur ne doit jamais tre perdu de vue, car cest lui qui maintienten tension les units dans la recherche de solutions audacieuses,innovantes et parfois dcales face une situation donne. Cest la

    raison pour laquelle certaines units inscrivent la formation initiale deleurs soldats dans la tradition des SASde la Seconde Guerre mondiale :une action conduite par petites quipes isoles en zones dinscurit.Ce socle de formation sert de point de dpart indispensable laconstruction des autres capacits : tireur dlite, contre-terrorisme,patrouille motorise, reconnaissance spciale, combat en milieufluvial et lacustre Et cest une fois ces capacits acquises quelles sontadaptes pour agir dans les divers milieux du combat : zone urbaine,montagne, jungle, dsert, mise en place par les airs, infiltrationnautique

    La conscience de la place centrale de ce principe est plus ou moinspartage selon la culture tactique des pays et des units. Cependant,toutes les forces spciales sont confrontes un mme dfi : agissantavec un faible effectif pour tre les plus discrtes et les plus ractivespossible dans lapproche dun objectif de haute valeur, elles doiventcrer ponctuellement une situation dascendant sur lennemi. Lasurprise demeure le meilleur atout pour cela. Une surprise qui reposeessentiellement sur lexploitation des failles techniques ou organisa-tionnelles de ladversaire et sur une action qui laisse entrevoir trs

    peu de signes de prparation. La contrepartie de ce type daction estque le faible volume et la lgret des quipements des combattantsrendent ces derniers particulirement vulnrables une fois la surprise

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    dissipe. Les forces spciales nont aucune aptitude tenir le terrainou conduire des phases de combat de trs haute intensit. Cest pour

    ces raisons quelles agissent dans un cadre espace-temps qui nest pascelui des autres composantes. Et cest pour ces mmes raisons quellesconsacrent une bonne partie de leur temps penser lopration et chercher anticiper les difficults possibles lors de son excution.

    Lirruption de technologies toujours plus performantes compensepartiellement cette faiblesse. En effet, si elles ne viennent pas leursecours pour contrler un espace terrestre et humain, en revanche,lintgration des moyens dappui leur accorde une puissance de feu etune mobilit qui assurent leur protection lors dune action. Ainsi, ilest possible de sinfiltrer en toute discrtion dans une zone tenue parlennemi grce aux moyens de golocalisation et de vision nocturne,de conduire laction sur lobjectif tout en anticipant les mouvementsadverses dans lenvironnement immdiat grce la retransmission desimages des drones et en dclenchant, si besoin, les feux de lartillerie,de laviation ou des hlicoptres grce aux moyens de communicationqui permettent de dialoguer directement.

    Les rseaux de communication modernes sont dailleurs au curde la domination de ladversaire. Ce sont eux qui permettent lacirculation rapide des informations. Ils favorisent lexploitation des

    renseignements dlivrs par les divers capteurs du champ de bataille,quils soient techniques ou humains. Ils facilitent lintgration desdivers appuis et soutiens au profit du combattant qui se retrouve aucontact de lennemi. Le dfi est ensuite de disposer du personnel quimatrise ce nouvel environnement et qui sait jongler entre les outilsen fonction de ses besoins.

    Sur ce plan, les forces spciales font figure de prcurseurs, car leurcaractre foncirement interarmes les a pousses comprendre lescapacits des autres et composer au mieux avec leurs contraintes. Lechoix de la France de crer le commandement des oprations spcialesau lendemain de la guerre du Golfe de sest accompagn dune

    volont dintgration de lensemble des composantes. Aujourdhui,le travail et les entranements communs ont abouti une fluiditremarquable dans la conduite des oprations. Le ravitaillement denuit dhlicoptres au milieu du dsert malien directement sur lesrservoirs davions de transport tactique se fait avec une facilit quicache les nombreuses heures dentranement ncessaires et qui traduitsurtout une tournure desprit qui porte lintgration et linteractionde lensemble des moyens. Cet tat desprit a naturellement conduit les

    forces spciales tirer profit de tous les moyens mis leur disposition :drones, imagerie satellitaire, appuis ariens de toutes sortes, capteursde renseignement dorigine lectromagntique... Mais cela ne sest

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    pas fait sans difficult. Les transformations culturelles ncessitent dutemps et se heurtent souvent aux habitudes.

    Dautant que lapparition des hautes technologies sur le champ debataille a ajout deux difficults au mouvement dintgration descomposantes des forces spciales : la question de la formation descombattants lemploi de ces technologies tout dabord et celle delorganisation des processus de dcision ensuite, pour que la miseen rseau des moyens puisse tre la plus efficace possible au servicede celui qui est au contact de lennemi et qui est le seul en mesuredvaluer correctement la situation.

    Cette mise plat des processus de dcision et de circulation delinformation est indispensable pour exploiter pleinement lescapacits des armements modernes. Cest une tape souvent ngligealors quelle est centrale pour envisager une intgration des moyens decombat qui permette la plus grande efficacit des dispositifs.

    En outre, il apparat clairement que les moyens modernes procurentaux combattants un sentiment de supriorit relative qui accrot laconfiance et la performance individuelles. Lorsquun dtachementdune quinzaine dquipiers sinfiltre dans une valle afghane larecherche dun chef taliban et que chacun dispose de moyens de visionnocturne qui permettent dvoluer quasiment comme de jour, que

    des drones observent tout ce qui se passe dans votre environnementimmdiat et que le groupe sait pouvoir compter sur lappui rapidedavions ou dhlicoptres de combat en cas de coup dur, il existetoujours une invitable apprhension au moment de la confrontationavec lennemi, mais attnue par un sentiment de puissance bienrelle. Ainsi, au-del de la srnit et de lefficacit que procurentles nombreux entranements ou la rptition incessante de certainsgestes, la technologie rassure le combattant en lui accordant desmoyens de supriorit de type physiologique quipements de visionnocturne, lunettes de tir ou de type cognitif drones ou capteursde renseignement lectroniques qui permettent de voir au-del delhorizon et de comprendre la manuvre tactique de ladversaire.

    A Mieux remplir les missions

    Lexploitation des nouvelles technologies et la mise en rseau desmoyens ne font pas que compenser les faiblesses tactiques des forcesspciales. Elles leur permettent galement de mieux remplir leurs

    missions et renforcent leur caractre stratgique.La mise en rseau des capteurs de renseignement, quelle quen soitlorigine imagerie, lectromagntique, informatique, humain ,

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    laisse entrevoir un formidable accroissement de lefficacit de lamanuvre oprative. La fusion des renseignements favorise lanalyse

    de ladversaire. Elle permet de dcrypter partiellement ses intentionset ses centres nvralgiques. La prise de dcision du chef militaire quiconduit les oprations sur un thtre est facilite. Dautant que, siles capteurs de renseignement sont orients en liaison troite avecla conduite des actions sur le terrain, ils autorisent la mise en uvredun tempooprationnel lev qui dsquilibre ladversaire et permetde disposer de linitiative et dimposer sa volont.

    La mise en rseau des quipements modernes permet galement dedsquilibrer ladversaire en exploitant rapidement ses failles. En effet,larticulation et la reconfiguration des dispositifs aroterrestres enfonction du renseignement dopportunit sont grandement facilitespar les moyens de communication. Cela facilite la destruction oula neutralisation des points nvralgiques de ladversaire ds quilsapparaissent porte daction. Ainsi, dans le cadre de la traque decertains criminels de guerre ou de la neutralisation de chefs terroristes,les fentres dopportunit pour tenter de les capturer sont souventtrs courtes. La mise en rseau des dispositifs de renseignementavec les moyens daction permet dexploiter rapidement celles quiapparaissent. La conduite des oprations a gagn en souplesse et en

    ractivit. Cette aptitude des forces spciales intgrer les capacitsles plus varies leur confre un rel atout en matire dexploitationdu renseignement opratif. La plus-value des technologies rcentesest ainsi maximale si elle est articule de la manire la plus efficacepossible par lintelligence humaine.

    Lintgration particulirement russie des capacits derenseignement et daction sur certains thtres a ainsi permisdaccrotre considrablement la performance des groupements deforces spciales. Si les quipements modernes ne permettent pas, etne permettront jamais, de dissiper le brouillard de la guerre, bienagencs, ils accroissent la ractivit des dispositifs et facilitent la prisede lascendant sur ladversaire.

    En outre, le dveloppement des technologies de communicationa considrablement accru la rversibilit. Ce critre dterminantdans de nombreuses oprations spciales consiste maintenir unfort contrle du commandement sur les actions les plus sensibles.

    Aujourdhui, les communications satellitaires permettent le plus hautniveau de contrle jusqu pouvoir autoriser ou arrter une opration

    jusquaux dernires minutes avant laction. Mme lorsquun raid est

    lanc, tant que lobjectif nest pas atteint, la mission peut tre annule.La possibilit dune conduite troite rassure le dcideur. Elle luidonne le sentiment de contrler les vnements. Ce lien troit qui

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    sest progressivement renforc explique en partie le positionnementdes forces spciales comme outil stratgique.

    A Les limites

    A Le milieu naturelCependant, la haute technologie prsente des limites qui ne sont pas

    propres aux oprations spciales. La premire est lie aux difficultspotentielles dquipements trop sophistiqus dans certains milieux.En effet, les combats ne se mnent pas toujours dans des environ-nements climatiques ou gographiques favorables. Dans le Sahel, lestempratures extrmement leves pnalisent les moyens de transportarien tout en mettant le personnel et les matriels rude preuve.La poussire et le sable sinfiltrent partout et accroissent le nombrede pannes. La chaleur use prmaturment llectronique individuelle,quil sagisse des optiques de tir ou des outils de localisation. Leshlicoptres affichent parfois des capacits demport ridiculementfaibles, obligeant les dtachements dvelopper des modes dactionsappuyant sur une mobilit tactique fortement contrainte. De mme,

    le fort cloisonnement des zones urbaines pose des difficults enmatire de communication. Des solutions alternatives doivent tremises en uvre pour compenser une circulation de linformationmoins fluide ainsi quun isolement accru des quipes. Enfin, certainsmilieux, comme la jungle, rduisent trs fortement lintrt decertaines technologies. Les combats sy droulent trs courtesdistances, limitant lutilit des dispositifs de dtection et de vise.Le couvert vgtal rend impossible toute observation arienne, toutcomme il contraint fortement la mobilit tactique.

    Pour faire face, les entranements des units spciales mettent laccentsur la connaissance des milieux et sur la rusticit ncessaire pour yvoluer sereinement. Cette connaissance de lenvironnement physiqueest essentielle. Dans les milieux difficiles, cest elle qui accorde unavantage comparatif ou qui, pour le moins, vite den faire un handicapface un adversaire. Ainsi, les units de jungle composes ou guidespar des militaires disposant dune parfaite matrise de la fort disposentdun atout matre en matire de combat. Les claireurs fort employs en Guyane accroissent considrablement lefficacit des unitsengages dans la lutte tactique contre les chercheurs dor clandestins.

    Ces derniers, souvent issus de zones forestires, sont capables de dcelerla moindre anomalie dans leur environnement et den profiter pourdisparatre. La connaissance de la jungle permet alors de se fondre

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    place primordiale la capacit discriminer. Cest le cas des actionsde libration dotages bien videmment. Ce type daction est particu-

    lirement complexe grer car, lorsque les quipiers entrent dans unepice, ils disposent de trs peu de temps pour analyser la situation,identifier ladversaire et apporter la solution la plus adapte. Il enallait de mme lors des oprations de capture des criminels de guerreconduites en Bosnie. Il sagit alors de ne pas se tromper dindividudans un groupe de personnes. Il est dailleurs intressant de soulignerque, pour aider la conduite de ce type de mission, les analystes durenseignement jouent des rles essentiels dans la comprhension descomportements des criminels arrter. Ils font appel des notionscomportementales, une cartographie des lieux et des personnes quiconstituent lenvironnement, des rflexes culturels ou professionnelspour retrouver leurs traces et les localiser. Si linformatique facilite letri et le recoupement des donnes, ce sont bien souvent des notionsdifficiles modliser et foncirement humaines qui permettent deretrouver des personnes recherches. Des individus souvent conscientsdes capacits quoffrent le renseignement technique (coutes, goloca-lisation, informatique...) et qui ont appris laisser le moins de tracespossible. Ce besoin croissant de discriminer nest pas propre auxforces spciales. La lutte contre des terroristes ou des insurgs noys

    dans la population en fait une capacit clef dans le combat moderne.Dans ce domaine, la robotisation ou la haute technologie trouventrapidement des limites.

    Dautres oprations spciales ne mettent en uvre que trspeu de technologies. Cest le cas notamment des dtachementsdinstruction ou dassistance auprs de forces trangres. Ces missionstraditionnelles des units spciales ncessitent souvent de revenir desnotions basiques du combat tout en cherchant exploiter au mieux laculture tactique et la connaissance du milieu de larme partenaire. Dece point de vue, il convient de saligner sur le plus petit dnominateurcommun possible pour assurer une interoprabilit efficace. Dans denombreux pays soutenus par ces dtachements, cela se rsume sur leplan technologique la fourniture de quelques postes radio destins maintenir la liaison avec les troupes franaises pour viter les tirsfratricides et faciliter les appuis mutuels.

    Une partie non ngligeable des missions des forces spciales imposeune prsence humaine pour tre mene bien. Lintelligence desituation, la capacit discriminer, tablir des relations de confianceavec les acteurs dune crise comme les actions de formation et de

    liaison au profit darmes partenaires sont difficilement envisageablesdans un environnement de combat robotis.

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    A Lefficacit tactiqueSur un autre plan, lirruption de la haute technologie tous

    les niveaux fait peser un risque sur lefficacit tactique. Le plustechnologique implique souvent, toujours, plus de contrle de lapart dchelons qui sont loin du terrain et qui ne peroivent la ralitquau travers du prisme de ce que veulent bien leur donner voirles moyens de communication modernes. Ainsi, il nest pas rare de

    voir les hommes en charge du commandement de niveau opratif cest--dire supposs mener les oprations sur lensemble dunthtre et sassurer de la bonne coordination des divers acteurs dela rsolution dune crise rester devant limage dune opration encours retransmise par un moyen arien et, parfois, intervenir dans laconduite de laction, oubliant quil ne sagit l que dun point de vuede la ralit, crasant des niveaux de commandement qui sont souventmieux informs de la situation locale et des volutions possibles, etperdant de vue leur rle qui est danticiper les rpercussions delopration en cours sur la situation de lensemble du thtre. Uncontrle trop centralis des oprations rduit la prise dinitiative.Or celle-ci est indispensable pour le bon fonctionnement des forcesspciales, en particulier dans le cadre des nouvelles formes de conflic-tualit qui placent souvent les units face des situations indites.

    A Lefficacit stratgiqueLa supriorit technologique actuelle fait galement peser un

    risque sur lefficacit stratgique. En effet, face lillusion dunetoute-puissance accorde par les moyens de combat occidentaux, latentation peut tre forte dutiliser les armes pour remporter une

    victoire tactique en cachant labsence de vritable stratgie pourrsoudre une crise. Le souhait dune guerre rapide apparat dailleursde manire rcurrente dans les discours. Or le rglement dun conflitprend du temps et ne peut se rsumer la mobilisation des seulescapacits militaires. Cest ce que le gnral Beaufre soulignait djdans son Introduction la stratgie(). Laction doit tre globale et nepeut pas se rsumer la seule action de la force arme.

    Car, au final, la guerre nest pas un simple duel tactique. Sans allerjusqu reprendre lapproche clausewitzienne de la trinit, il nendemeure pas moins que lhomme est au cur de la conflictualit. Cestavant tout la confrontation de volonts entre des communauts pourle contrle dun espace physique ou humain. Ainsi, la technologie apermis aux armes occidentales de dominer le champ de bataille avec

    une telle supriorit que nul ne saventure les affronter sur ce terrain.En revanche, leurs nouveaux adversaires ont su dvelopper des modesdaction alternatifs pour imposer leur dtermination et contourner

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    la force militaire. Dans ces nouvelles formes de conflits, il devientdifficile dvaluer des situations toujours plus confuses et imbriques.

    La technologie ne permet pas dentrevoir la moindre solution. Ilsagit avant tout de comprendre un ennemi qui sappuie sur unepopulation ; un ennemi qui exploite son profit des ressentimentsou des attentes. Pour trouver une issue favorable au conflit, il convientavant toute chose daffaiblir les ressorts de ladversaire. Ainsi, sur unplan militaire, les armes sont capables de contenir une insurrection,mais ne peuvent en venir bout. Les clefs se trouvent en dehors dela confrontation des armes. Cest tout le sens de lapproche globaledes crises, qui vise agir sur la totalit du spectre socioconomique.Pour les forces spciales, cela se traduit avant tout par un soutienaux armes ou aux factions locales capables dincarner une solutionpolitique la crise qui demeure acceptable pour notre pays.

    La guerre au milieu des populations nous ramne au fondementde la conflictualit. Il sagit pour des communauts humaines defaire valoir leur point de vue, leur systme de valeurs. Aujourdhui,certaines le font en employant des moyens et des voies qui sinscriventde moins en moins dans le cadre patiemment labor par les nationsoccidentales pour rgler leurs diffrends. Face cette dterminationde lennemi, la technologie des armes occidentales permet de le

    contenir, de compenser certains manques, mais srement pas denvenir bout.Cependant, le mouvement dintgration permanente de nouvelles

    technologies ne doit pas tre rejet. Il est invitable et indispensable abstraction faite de son cot financier , car il permet de disposerdune supriorit crasante qui lui accorde un rle dissuasifindniable. Il facilite laction militaire sur le terrain et vite desconfrontations douloureuses face des ennemis qui disposeraientde moyens quivalents. En revanche, il faut conserver lesprit quela haute technologie et les armes ne rgleront jamais elles seulesles crises et nviteront pas les guerres que dautres voudront menercontre nous. La confrontation des volonts et la violence demeurentau cur des relations entre les communauts humaines, mme si ellesprennent aujourdhui des voies diffrentes. Lhomme, quil soit desforces spciales ou non, paul par la technologie ou non, resteraau cur de la rsolution des conflits, tant cette activit foncirementhumaine ncessite autant dintelligence que de force. C

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    DIDIER DANET

    PERFORMANCEET RESSOURCES HUMAINES

    Longtemps cantonn au domaine du mythe et des lgendes, Icare oule Golem parmi dautres, ou de la science-fiction, comme Terminatorou

    Avatar, lhomme augment est aujourdhui une ralit1et, plus encore,un fait de socit2.

    Les performances sportives dOscar Pistorius remettent en cause lafrontire entre sportifs valides et handicaps, obligeant le tribunalarbitral du sport intervenir afin de trancher le point de savoir silconvenait ou non dassimiler les prothses du coureur sud-africain une aide technique illicite, comparable aux chaussures paisses dusauteur en hauteur Yuri Stepanov, interdites car considres comme un tremplin miniaturis et portatif . La rponse, finalementngative, tait dautant plus discute que plusieurs rapports dexpertsavaient tranch dans des sens diffrents, certains jugeant que leslames de carbone utilises par Pistorius lui apportaient un avantagenon ngligeable tandis que dautres, dont limpartialit pouvait tre

    questionne, estimaient le contraire. Aime Mullins, atteinte dumme handicap quOscar Pistorius et elle aussi sportive accomplie,remet en cause une autre frontire, celle des canons de lesthtique,puisquelle participe des dfils de haute couture o ses prothsessont mises en vidence, et lui permettent de moduler sa taille et sonapparence sa guise.Au-del de ces deux sportifs largement mdiatiss, le cas de

    Neil Harbisson est plus intriguant encore puisque cet artisteanglais, daltonien de naissance, sest quip dune camra frontaledirectement relie la bote crnienne qui lui permet non pas de voirles couleurs, mais dentendre les vibrations sonores qui leur ont tconventionnellement associes. Dans ce cas, la dmarche entreprisene vise pas seulement compenser une dficience par le recours auxmeilleurs moyens technologiques disponibles, mais crer de toutespices une aptitude encore inconnue de lespce humaine : entendreles couleurs.

    Dune intervention prothtique compensant ou surcompensant unedficience biologique et permettant son bnficiaire de porter ses

    1. P.-Y. Cusset, Les technologies damlioration des capacits humaines , La Note danalyse,vol. 310, Centre danalysestratgique.

    2. N. Le Dvdec, Retour vers le futur transhumaniste , Esprit, 2015(11), et N. Le Dvdec et F. Guis, Lhumainaugment, un enjeu social , SociologieS, 2013, sociologies.revues.org/4409?lang=en.

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    30 LE SOLDAT AUGMENT

    capacits au-del des standards habituels la cration dune aptitudetrangre lespce humaine, le spectre de ce quil est convenu

    dappeler le human enhancementse trouve rassembl dans les cas dePistorius, Mullins et Harbisson.Cette ambition dintervenir sur les corps afin damliorer les

    performances au-del de ce dont la nature a pourvu chaque individunest assurment pas nouvelle. Elle prend cependant aujourdhuiune dimension particulire en raison des progrs spectaculaires desciences et de techniques dont la convergence ouvre des perspectivesradicalement nouvelles3. Linstitution militaire ne saurait resterindiffrente un mouvement qui concerne le combattant aussi bienque le sportif ou lartiste.

    Est-il possible et souhaitable, voire lgitime, de modifier le corps dessoldats pour leur permettre de mieux faire face aux exigences de leursmissions, quil sagisse de performances physiques, de gestion du stressou de capacits de perception et danalyse ? En quoi ces techniquesdu human enhancementont-elles une relle porte oprationnelle ?Sont-elles de nature impulser une nouvelle articulation des hommeset des quipements dans le contexte de la robotisation du champ debataille ? Les questions sont nombreuses. Nous nous proposons iciden aborder trois.

    La premire tient la ncessaire dlimitation des termes du sujet.Le human enhancementsest impos comme un thme de science-fictionautant que de science proprement dite. Les lucubrations les plusfuturistes voisinent avec les approches les plus cliniques. Les partispris idologiques abondent, greffant sur des avances scientifiquesquils enrlent au service de thses prdfinies des visions souventempreintes de nostalgie pour une suppose nature humaine en

    voie de dprissement ou bien encore dun darwinisme spencriencul. En bref, les forces armes ne sauraient prendre bras-le-corpsla question du soldat augment sans se garantir contre les drivesqui la guettent par une approche rationnelle de la dfinition et desfrontires de lobjet dtude.

    La deuxime est celle, classique, du rapport de lhomme latechnique sur le champ de bataille4. Les forces armes occidentalesont longtemps privilgi les progrs des systmes darmes et desquipements comme moyen de dvelopper leur supriorit sur leterrain. Or les techniques daugmentation permettent denvisagerle relchement des limites inhrentes la personne des combattants

    3. G. Wolbring, Why NBIC? Why Human Performance Enhancement , Innovation: The European Journal of SocialScience Researchn 21, 2008.

    4. J. Henrotin, Le retour du chevalier ? Une vision critique de lvolution bionique du combattant , Hermesn 8, 2009.

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    31PERFORMANCE ET RESSOURCES HUMAINES

    que lon pourrait rendre plus rsistants la fatigue, plus matresdeux-mmes face aux actions de lennemi, voire capables de percevoir

    de nouveaux types de signaux De ce fait, le niveau de performanceglobal des forces armes pourrait bnficier des amliorations ralisessur la ressource humaine autant que sur la ressource technique. Lesoldat augment retrouverait ainsi la place centrale qui tait la sienneavant que les progrs de la robotique militaire nincitent faire de luile contrleur de boucles de dcision dont lacteur majeur tendait devenir la machine elle-mme.

    Enfin, le dveloppement et la banalisation des techniquesdaugmentation humaine appellent une rflexion sur lesusages sociaux qui en seront faits, et les ncessaires politiqueset mcanismes de rgulation qui devront tre mis en place. Demultiples drives individuelles ou collectives se constatent dj dansdes secteurs o lenjeu de la performance est exacerb. Ainsi, dansle domaine sportif, les cas de dopage sont rcurrents (le cyclismeet lathltisme pour les plus connus), mettant en cause des quipesou des nations et pas seulement des individus isols. Moins connu,le phnomne existe galement dans les entreprises et le systmeducatif. Le haut niveau dexigence qui pse sur les combattants doitconduire rflchir ds aujourdhui aux limites que linstitution

    militaire entend poser si elle veut instaurer un cadre demploi destechniques daugmentation qui soit conforme ses valeurs et sesprincipes.

    A Le soldat augment, entre fantasmes et ralit oprationnelle

    Plus que jamais, la dfinition des termes du sujet et la dlimitationdu champ dtude doivent faire lobjet dun examen attentif tant laquestion du human enhancementest entoure de fantasmes, didologie,de confusions en tout genre. Des dlires transhumanistes les pluscontemporains leugnisme le plus archaque ou lternelle qutedu philtre de jouvence, le terme est associ un foisonnement detechniques, de pratiques, de thories qui produisent un fatras mystico-culturel, un sotrisme dauberge espagnole o rgnent des prophteset des gourous qui seraient souvent risibles sils ne disposaient pas desmilliards de lindustrie californienne pour mener leurs programmesde recherche et leurs campagnes dendoctrinement.

    Si le human enhancementdoit retenir lattention des forces armes, cest

    dans la dfinition quen donne Alfred Nordmann dans un rapportrdig pour la Commission europenne. La notion daugmentationsentend de toute modification visant amliorer la performance

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    32 LE SOLDAT AUGMENT

    humaine et permise par des interventions sur le corps humain fondessur des principes scientifiques et technologiques 5.

    Pour les forces armes, la question nest pas tant de savoir si, partirde , elles remplaceront leurs troupes par des super-ordinateursdans lesquels auront t transplantes des identits humaines, maisde prendre la mesure et, le cas chant, de tirer parti des perspectivesouvertes par la convergence des progrs enregistrs dans lesnanotechnologies, la mdecine, les sciences cognitives, lintelligenceartificielle

    Trois critres doivent donc tre cumulativement runis pour que larflexion sur le human enhancementne sengage pas dans des voies sansissue : une pratique (lintervention sur le corps humain) qui sinscritdans une dmarche techno-scientifique (soumise aux exigencespistmologiques) et qui vise un rsultat (porter les performancesdun individu au-del des capacits standard de ltre humain).Chacun de ces trois critres permet de dresser des digues contre lesvagues dlucubrations qui ont envahi lespace mdiatique et cultureldurant la dernire dcennie.

    A Lintervention sur le corps humainDans la longue liste des pratiques visant augmenter les

    performances de ltre humain en gnral et du combattant oudu guerrier en particulier, le human enhancementisole une catgorieparticulire, celle des interventions qui portent directement sur lecorps humain et qui visent le modifier pour le doter de capacitsspcifiques.Au sens troit, le human enhancementse dfinit donc comme une

    anthropotechnie, cest--dire lart ou la technique de transformationextra-mdicale de ltre humain par intervention sur son corps 6.Contrairement la mdecine o la relation mdecin/patient se nouedans lurgence dapporter au second les soins qui lui permettront deretrouver un tat de sant dgrad par la survenance dune maladie oudun accident, lanthropotechnie a pour ambition de rpondre unedemande de modification des caractristiques de lindividu en dehorsde tout contexte curatif7. La mdecine sefforce de lutter contre lespathologies qui frappent le malade pour len dlivrer et lui permettrede retrouver un tat de sant normal. Lanthropotechnie lui permetde satisfaire lenvie de se dpasser lui-mme et, le cas chant, les

    5. A. Nordmann, Converging Technologies. Shaping the Future of European Societies, Bruxelles, European Commission,

    Directorate K2.6. B. Claverie, V. Lespinet-Najib, P. Fouillat, Pervasion, transparence et cognition augmente , Revue des interactions

    humaines mdiatisesn 10, 2009.7. J. Goffette, Naissance de lanthropotechnie : de la mdecine au modelage de lhumain, Paris, Vrin, 2006.

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    33PERFORMANCE ET RESSOURCES HUMAINES

    autres, en accdant un niveau de performance suprieur qui pourralui confrer un avantage dans le domaine de la vie professionnelle, du

    sport (dopage), des relations sociales (chirurgie esthtique) ou de toutautre champ de la vie en collectivit.Certaines pratiques anthropotechniques se trouvent en parfaite

    contradiction avec les principes et la finalit de la mdecine. Ainsi,le sportif qui accepte de se gaver de strodes anabolisants obtientune augmentation de sa masse musculaire, parfois au-del de toutenorme humaine, mais compromet lourdement sa sant : hypertensionartrielle, lsions hpatiques, malformations cardiaques linverse,il peut exister des liens de proximit entre mdecine et anthropo-technie 8. Les mmes progrs de la technique qui permettent defaire face des pathologies plus ou moins handicapantes (une vueinsuffisante, lamputation dune jambe, une anxit maladive)peuvent tre sollicits pour permettre un individu daugmenter sesperformances au-del des normes communes. Le plus souvent, lestechnologies seront duales et pourront servir concomitamment lesambitions de la mdecine et de lanthropotechnie.

    Il est galement difficile de sparer nettement lanthropotechniede lappareillage. En principe, la premire suppose une interventionsur le corps, intervention qui en modifie temporairement ou

    dfinitivement certaines caractristiques internes structureanatomique, composition chimique linverse, lappareillagedemeure un artefact externe qui quipe lindividu dont il netransforme pas le corps. Larmure du Moyen ge ou lexosquelettecontemporain se chaussent et se retirent une fois leur officerempli. Les appareillages, aussi perfectionns soient-ils, demeurentextrieurs au combattant. Ils devraient donc faire lobjet dapprochescomplmentaires mais distinctes. Ici aussi cependant, la frontire estdifficile tablir, notamment du fait de la gnralisation d objetstechnologiques communicants, qui se reconnaissent, se localisent,sorganisent en rseaux ad hoc, et ceci sans action particulire delutilisateur . La gnralisation des dispositifs persuasifs donnenaissance un homme augment intgr dans des systmes de plusen plus hybrides o la cognition est rpartie au sein de lensemblehomme/machine. La distinction entre le corps et son environnementest donc appele seffacer, ce qui rend la limite entre lanthropo-technie et lappareillage plus difficile dfinir.

    Par le brouillage des frontires auquel il contribue, le humanenhancementdoit tre considr comme le cur dun certain nombre

    8. L. Bourdon, Aptitude au mtier des armes. Les perspectives ouvertes par lanthropotechnie , DSI n 45(hors-srie),2015.

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    dvolutions qui affectent les forces armes et qui doivent dsormaistre envisages comme faisant systme. Il nen reste pas moins que

    ltude du soldat augment doit prendre pour point de dpart lestechniques dintervention sur le corps humain.

    A Une dmarche techno-scientifiqueOn ne saurait tre plus trivial en crivant que lomniprsence de

    la mort dans les guerres ou la confrontation avec des situations quidpassent lentendement humain poussent les combattants de toustemps et de toutes origines chercher une forme de rconfort etde motivation dans des pratiques surnaturelles qui sont supposesleur confrer des pouvoirs extraordinaires aussi bien quune totaleinvulnrabilit face aux coups de leurs adversaires. Des Berserkersislandais dont les transes leur laissaient accroire que leurs forcestaient dcuples et quils pouvaient traverser le feu, aux soldats de

    Jeanne dArc galvaniss par la personnalit de leur chef ou aux groupesarms que lon rencontre aujourdhui en Afrique centrale, chaquepoque a connu les mmes phnomnes dirrationalit propres autemps de guerre : sorcellerie, ftichisme, croyance, superstition

    Jean-Yves Le Naour rappelle le foisonnement des pratiques magiquesdans les tranches de la Grande Guerre : amulettes et gris-gris

    des tirailleurs africains, sachets de pollen cousus dans luniformedes soldats du Wurtemberg, chanes de prire recopies en neufexemplaires, billet de mtro aller-retour pris la station Combat etpoinonn uniquement laller9

    Peu importe la qualification de ces exutoires surnaturels. Ils onten commun dchapper aux exigences de mthode qui fondent ladmarche scientifique : exprimentation, rfutabilit, vrification endouble aveugle Ils noffrent pas de prise au progrs des scienceset des techniques, et ne peuvent, ce titre, entrer dans le champ duHuman Enhancement.

    A La qute de performanceDs le dbut des annes , Alain Ehrenberg montrait que la

    vie en socit se trouvait sous lemprise croise de deux cultures,entrepreneuriale et athltique, dont les principaux moteurstaient la mode du sport, le poids croissant de lentreprise commecellule de base de la vie sociale, la glorification de la russitematrielle et financire, et lomniprsence de laventure commemodle daccomplissement humain 10. Cette combinaison dun

    9. J.-Y. Le Naour, Nostradamus sen va-t-en guerre, 1914-1918, Paris, Hachette, 2008.10. A. Ehrenberg, Le Culte de la performance, Paris, Calmann-Lvy, 1994.

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    modle daction collective (lentreprise) et dune injonction devie (individuelle, centre sur leffort et le rsultat mesurable)

    saccomplit dans la notion de performance, devenue le conceptcentral de la gestion des entreprises puis, par extension, dumanagement des services publics, au premier rang desquels lesforces armes, dsormais soumises la double injonction delefficacit et de lefficience.Augmenter le combattant doit alors tre envisag comme lune des

    dclinaisons de lidologie de la performance. Elle est le complmentau plan individuel des politiques et des pratiques managriales visant dgraisser les structures, crer les incitations adquates, contrlerles rsultats obtenus en vue dun seul et mme objectif : amliorerla performance globale de lorganisation. Grce aux techniques duhuman enhancement, lindividu somm dtre performant peut saffranchirde certaines des limites qui sont les siennes ds lors quil accepte,spontanment ou sous la contrainte institutionnelle, de se soumettreaux interventions destines le doter des capacits requises pouraccomplir au mieux des ressources disponibles les missions que lonentend lui confier.Au sens strict, le human enhancementsentend bien dune volont

    daugmentation des performances allant au-del des standards de

    lespce humaine. Il sagit de porter des capacits existantes unniveau inconnu en matire deffort physique (vitesse, endurance,charge), mais aussi psychologique (matrise de la peur, rsistance la douleur) ou intellectuelle (capacit de perception, danalyse, dedcision, de communication). Il concerne donc tous les acteurs desforces armes, du fantassin au chef dtat-major. Il rpond un besoinpermanent et universel : Augmenter les capacits de perception,daction, et la survie des soldats par lamlioration de leurs capacitstechniques (protection, agression, communication, observation),physiques et cognitives11.

    Dans une version plus audacieuse, il peut galement sagir de doterles combattants de capacits qui sont naturellement trangres lespce humaine et que les techniques dappareillage rendent peuou pas praticables pour des raisons diverses : complexit, poids,nergie On pourrait songer par exemple donner aux hommes surle terrain des capacits de vision dans linfrarouge ou de perceptiondes ultrasons. Ces combattants augments disposeraient ainsi dunavantage certain sur leurs adversaires.

    Mais, plus banalement, le human enhancementvisera sans doute dans

    un premier temps viter la dgradation trop rapide ou trop brutale

    11. T. Noizet, Le soldat augment : quel intrt pour les forces ? , DSIn 45(hors-srie), 2015.

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    des capacits actuelles des combattants. De nombreux travaux ontdj trac la voie, par exemple en ce qui concerne la gestion du

    sommeil en opration. Le National Training Center (tats-Unis)sest ainsi attach mesurer leffet de la privation de sommeil surles aptitudes physiques et cognitives des soldats et des commandantsdunits lmentaires. Sans grande surprise, les combattants nayantpas dormi pendant quatre ou cinq jours perdent une grande partiede leur efficacit oprationnelle : moindre conscience situationnelle,perte dadaptabilit et dagilit cognitive, dgradation de la capacit anticiper une situation Or les conditions dans lesquelles sedroulent les oprations militaires sont le plus souvent prjudiciables un sommeil rparateur : manque de confort des campements,prparation et temps de transport, changements de fuseauxhoraires12 Des techniques permettant aux soldats de conservertoutes leurs facults seraient donc du plus grand intrt oprationnel.Larrive de la pilule miracle grce laquelle les combattants desforces armes occidentales vont pouvoir combattre sans dormir estdailleurs annonce avec tellement de rgularit quelle constitue unmarronnier de la presse spcialise.

    Au total, lengouement que lon constate parfois pour la thmatiquedu soldat augment doit tre quelque peu relativis. Il nest certes

    pas question de nier que des progrs techniques spectaculaires etconvergents vont ouvrir des perspectives assez largement indites enmatire daugmentation des capacits de lhomme au combat. Pourautant, le processus de dcantation reste encore accomplir quipermettra de faire la part des fantasmes et des avances susceptiblesdavoir une relle porte oprationnelle. La rflexion partir destrois critres noncs prcdemment nous semble de nature ycontribuer. Surtout, la rflexion sur le soldat augment doit sinscriredans la problmatique tout fait classique de lintgration du progrstechnique dans la manire de concevoir et de conduire laction desforces armes. cet gard, lattrait du soldat augment ressemblepar bien des cts celui qui avait conduit faire de la supriorittechnologique le nud de la puissance militaire dans les annes .Il conviendrait de ne pas oublier que cette supriorit technologiquedes forces occidentales est aujourdhui tenue en chec sur bien desterrains. La manire dont les armes vont tirer parti des opportunitsoffertes par le human enhancementpour revoir lquilibre actuel desressources quelles emploient est donc centrale dans la rflexion surle soldat augment.

    12. A.L. Peterson, J.L. Goodie, W.A. Satterfield et W.L. Brim, Sleep Disturbance During Military Deployment, MilitaryMedicinen 173(3), 2008.

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    A Soldat augment et performance conomique des forces armes

    Avec le dferlement des thses du nouveau management public ,les grands services de ltat sont dsormais considrs comme desorganisations productives qui doivent justifier leur existence de lamme manire que les entreprises en tablissant la preuve de leurefficacit et de leur efficience. Le ministre de la Dfense nchappepas la logique de la performance. Bien au contraire, il est mmesouvent le fer de lance de ces nouveaux discours managriaux quelmergence et le dveloppement du Human Enhancementne sauraientlaisser indiffrents.

    A La porte du human enhancementsur la fonction de production militaireDans leurs diffrentes acceptions, plus ou moins futuristes, les

    applications du human enhancementdans le domaine militaire soulventun grand nombre dinterrogations et de dbats dordres trs divers.Ces derniers sont particulirement nourris pour ce qui touche la dimension thique13. Beaucoup plus rares sont les travaux quianalysent ces applications sous langle de leur contribution laperformance globale des forces armes.

    Comme on le sait, la fonction de production est cette relation qui

    stablit entre les facteurs utiliss comme inputs(gnralement le capitalet le travail) et la quantit de produit ou de service obtenu en outputpar lorganisation. Lhistoire militaire est celle dune transformationconstante de cette fonction sous linfluence du progrs technique (quiaccrot lefficacit du facteur capital) tandis que le facteur humaindemeure globalement dune plus grande stabilit. Sans doute unmeilleur niveau de formation gnrale et professionnelle, une santplus robuste, un moral mieux affermi ont pu contribuer une plusgrande efficacit des ressources humaines au sein de la fonction deproduction.

    Mais ces amliorations ne prsentent pas le caractre cumulatifdu progrs technique et ne sont pas aussi substantielles que lesgains de productivit engendrs par les innovations de la rechercheet le dveloppement des techniques de larmement. Autrementdit, dans la combinaison des facteurs capital et travail qui sontmobiliss par linstitution militaire pour les besoins de son action,lhomme est le maillon faible du systme darmes. Les gains deproductivit viennent en grande partie des quipements et non pasde la main-duvre. Celle-ci demeure soumise des limitations

    physiques, cognitives ou psychologiques. Les bornes des mcanismes

    13. G. Lucas, Lthique biomdicale part en guerre , DSIn 45(hors-srie), 2015.

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    de perception et danalyse de ltre humain, son endurance limitedans des univers un tant soit peu hostiles et ses ingales aptitudes

    lanalyse des situations complexes en font un facteur limitatif dans denombreuses hypothses : charge utile limite pour les troupes pied,contraintes physiologiques dans la conception des avions de chasse

    Il tait donc logique que la tendance lourde en matire de fonctionde production militaire se caractrist par une substitution dufacteur capital au facteur travail et par une augmentation constantedu poids relatif de lquipement dans la combinaison productive desgrandes armes occidentales. Confrontes une ressource rare, chre,fragile et dont les gains de productivit taient limits, les forcesarmes trouvaient dans une technologie toujours plus performanteun moyen dconomiser la main-duvre, notamment dans lesmissions caractrises par lennui, un environnement hostile ou unedangerosit exceptionnelle14.

    Cest ainsi quont t conues et dveloppes des machinespermettant dloigner lhomme de la zone de danger immdiat et deprserver la ressource humaine (robots dmineurs, drones). Certes,cette substitution du capital au travail a pu tre critique au motifquelle aboutissait une forme de tentation technologiste , undsquilibre entre les hommes et les quipements, les performances

    unitaires et les volumes disponibles15

    Nul ne contestera que la loides rendements dcroissants sapplique au monde militaire comme aumonde civil. Il nempche que, sur le fond et sous rserve de lexamendes cots de production, lingale croissance de la productivit desfacteurs induit invitablement le remplacement du moins productifpar le plus productif, traditionnellement des hommes par lesquipements.

    Cest cette tendance sculaire et universelle, dans les paysdvelopps du moins, que le human enhancementremet en cause. Grceaux techniques prcdemment voques, linstitution militairepeut escompter une modification significative des conditionsdans lesquelles sopre le choix de sa fonction de production. Laproductivit du facteur travail est susceptible de connatre desprogrs aussi spectaculaires que celle du facteur capital. La correctionde certaines imperfections naturelles, la possibilit de rparer lesdommages physiques causs par le combat, la plus grande durabilitdes capacits individuelles dans des situations difficiles, la possibilitde renforcer des capacits au-del des standards habituels, voire de

    14. D. Danet, J.-P. Hanon et G. de Boisboissel, La robotisation du champ de bataille : volution ou robolution ? , LaGuerre robotise, Paris, Economica, 2012.

    15. V. Desportes, Armes : technologisme ou juste technologie ? , Politique trangren 2, 2009.

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    donner des aptitudes nouvelles des individus, vont modifier substan-tiellement les conditions du calcul conomique de la performance.

    Dune part, les viviers de ressources disponibles sont susceptiblesde saccrotre dans des proportions importantes. Que lon songe, parexemple, aux consquences des progrs de la chirurgie ophtalmiquesur la gestion des emplois rservs aux personnels dont lacuit visuelleest excellente. Sil est possible de corriger la myopie, voire de doterun grand nombre dindividus de facults visuelles allant au-del dela norme exige comme seuil dentre dans ces emplois, le rservoirdes ressources slargira et il deviendra possible de faire porter laslection sur des aptitudes qui ne sont plus seulement des conditionsphysiques minimales mais sur dautres plus essentielles pour la russitedans lemploi, les capacits psychologiques et les aptitudes cognitivesnotamment.

    Dautre part, linvestissement ncessaire pour obtenir des gains deproductivit du facteur humain sera probablement, au moins dansun premier temps, moindre que celui ncessaire pour obtenir desgains comparables dans la productivit du facteur capital. Il est permisde penser que le human enhancementen tant encore ses dbuts, lesefforts se concentreront dans un premier temps sur les domaineso les avances seront rapides, faciles et spectaculaires. Des gains de

    productivit seront possibles moyennant des efforts et des cots limits.La performance globale de linstitution militaire sera plus affectepar lallocation de crdits la recherche sur la productivit du facteurhumain que sur celle du facteur capital. Un certain dplacement danslallocation des crdits de recherche et dveloppement est donc attendre dans les annes venir.

    En permettant ainsi aux forces armes de faire jouer le progrsscientifique sur les deux facteurs qui dterminent lefficacit de laproduction et non plus seulement sur le seul facteur capital, le humanenhancementcontribue relcher les tensions existant aujourdhui surla ressource rare et fragile quest le facteur travail.

    A Les consquences sur laction globale des forces armesLa diminution des effectifs militaires, notamment des forces

    terrestres, combine avec un nombre important doprationsextrieures, induit une forte tension quantitative dans lemploi deshommes sur le terrain. Pilotes et mcaniciens sont aux limites ,crivait par exemple Nathalie Guibert dans Le Mondedu dcembre. En dplaant le curseur de ce qui est normal et de ce qui

    est exceptionnel , laugmentation des combattants produit un effetcapacitaire. Les mmes hommes sont disponibles plus longtemps,et leur niveau de performance individuel et collectif est plus lev.

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    effectif gal, linstitution peut remplir davantage de missions. Lacapacit daction dune mme entit et son niveau de performance

    conomique sen trouvent dmultiplis.De mme, le renforcement des capacits physiques et intellectuellesdu soldat augment doit lui permettre de faire face des situationsprilleuses avec des chances accrues de succs : plus grande capacitdattention et dinformation face la complexit et au brouillard dela guerre, lucidit accrue dans la prise de dcision, moindre fatigueau moment de lengagement

    Le human enhancementpropose sur ce terrain des solutions quil seradifficile de lui prfrer. Il nen existe gure que deux.

    La premire serait lacceptation du goulet dtranglementconstitu par les limites de la ressource humaine dans la mise enuvre de laction globale des forces. Le rejet des solutions offertespar les techniques daugmentation des combattants peut toujourstre envisag, pour des raisons thiques ou lgales par exemple. Ilconduirait cependant prenniser la situation actuelle de tensionextrme sur les ressources humaines dont disposent les armes. Silon postule que les menaces ne sont pas susceptibles de disparatreou de diminuer fortement dans les annes venir et que la tendance la diminution des effectifs ne se renversera pas, cette tension ne fera

    que saccrotre. Les pouvoirs publics seront en outre confronts unedemande sociale grandissante, de la part des militaires et de lopinionpublique, pour doter les forces armes des moyens susceptibles deles aider accomplir leurs missions. On pourrait mme imaginerque des recours contentieux puissent tre mis en uvre si, la suitedoprations de combat, les soldats soutenaient que les techniquesdaugmentation disponibles mais rejetes par linstitution auraientt en mesure de contribuer la limitation des pertes et des prjudices.

    La seconde solution pouvant concurrencer le human enhancementestlaccroissement de leffort portant sur lquipement des combattants.Cest la tendance choisie par les armes occidentales, et il est permis depenser que les sciences et les techniques de larmement ont encore desmarges trs importantes de progression et dinnovation devant elles.Mais, comme cela a dj t soulign, il est fortement vraisemblablequune solution qui tend porter leffort de productivit sur un seuldes deux facteurs sera moins efficace quune solution dans laquelleleffort se porte sur les deux la fois, et ce dautant que les techniquesdaugmentation se trouvant lore de leur dveloppement, il estpermis den attendre beaucoup.

    Les forces armes vont probablement devoir rexaminer enprofondeur les quilibres actuels en ce qui concerne leur fonctionde production, cest--dire la manire dont elles articulent le

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    41PERFORMANCE ET RESSOURCES HUMAINES

    facteur capital et le facteur travail, les ressources en quipementet les ressources humaines. La perspective de gains indits dans la

    productivit du facteur travail remet en cause la tendance lourde laccroissement indfini du premier par rapport au second.Cela ne signifie bien videmment pas la fin de la recherche et dudveloppement des sciences et techniques de larmement. Mais cecidevra saccommoder dune augmentation substantielle de leffortconsenti pour dvelopper les solutions de human enhancementdont il estpermis dattendre une amlioration significative de la performanceglobale des forces armes.

    A Le soldat augment et la politique RH

    De telles perspectives font que la question nest pas de savoir sil fautou non sengager dans la voie ouverte par le human enhancement, maiscomment encadrer ce processus qui adviendra ncessairement. Nullearme ne pourra se passer des possibilits offertes dlargir ses viviersde recrutement, de renforcer les aptitudes physiques ou mentalesde ses hommes, de doter certaines forces de capacits leur assurantun avantage spcifique pour la ralisation dune mission. Les forces

    armes doivent donc se prparer revoir en profondeur les diffrentespolitiques ayant pour objet la gestion des ressources humaines.Or elles doivent galement se proccuper de la tentation qui ne

    manquera pas de se manifester chez les individus eux-mmes. Denombreuses tudes font tat du fait que, dans des domaines varis,les personnes soumises des exigences de performance levesnhs