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INFORMATION TO USERS - McGill Universitydigitool.library.mcgill.ca/thesisfile33306.pdf · Malgré...

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INFORMATION TO USERS This manuscript has been reproduced from the microfilm master. UMI films the text directJy trom the original or copy submitted. Thus, sorne thesis and dissertation copies are in typewriter face, while others may be from any type of computer printer. The quality of this reproduction is dependent upon the quality of the cOPY submitted. Broken or indistinct print, colored or poor quality illustrations and photographs, print bleedthrough, substandard margins, and improper alignment can adversely affect reproduction. ln the unlikely event that the author did not send UMI a complete manuscript and there are missing pages, these will be noted. Also, if unauthorized copyright material had to be removed, a note will indicate the deletion. Oversize materials (e.g., maps. drawings, charts) are reproduced by sectioning the original, beginning at the upper left-hand comer and continuing from left to right in equal sections with small overlaps. ProQuest Information and Leaming 300 North Zeeb Road, Ann Arbor, MI 48106-1346 USA 800-521-0600
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INFORMATION TO USERS

This manuscript has been reproduced from the microfilm master. UMI films

the text directJy trom the original or copy submitted. Thus, sorne thesis and

dissertation copies are in typewriter face, while others may be from any type of

computer printer.

The quality of this reproduction is dependent upon the quality of the

cOPY submitted. Broken or indistinct print, colored or poor quality illustrations

and photographs, print bleedthrough, substandard margins, and improper

alignment can adversely affect reproduction.

ln the unlikely event that the author did not send UMI a complete manuscript

and there are missing pages, these will be noted. Also, if unauthorized

copyright material had to be removed, a note will indicate the deletion.

Oversize materials (e.g., maps. drawings, charts) are reproduced by

sectioning the original, beginning at the upper left-hand comer and continuing

from left to right in equal sections with small overlaps.

ProQuest Information and Leaming300 North Zeeb Road, Ann Arbor, MI 48106-1346 USA

800-521-0600

RÔle des mythèmes

dans la lecture de trois Nouveaux Romans

par

Marie-Élaine Mineau

Mémoire de maîtrise soumis à la

Faculté des études supérieures et de la recherche

en vue de l'obtention du diplôme de

Maîtrise ès Lettres

Département de langue et littérature françaises

Université McGill

Montréal, Québec

Juillet 2000

© Marie-Élaine Mineau, 2000

1+1 National Libratyof Canada

Acquisitions andBibliographie serviceS395 w.-ngean Str_oea-ON K1A0N4c.n.a

Bibliothèque nationaledu Canada

Acquisitions etservices bibliographiques

385, rue WeIingIDn0IIfte ON K1A 0N4c..da

The author bas granted a non­exclusive licence allowing theNational Libnuy ofCanada toreproduce, 10an, distnbute or sencopies oftbis thesis in microform,paper or electronic formats.

The author retains ownership ofthecopyright in tbis thesis. Neither thethesis nor substantial extracts nom itmay he printed or otherwisereproduced without the author'spemusslon.

L'auteur a accordé une licence nonexclusive permettant à laBibliothèque nationale du Canada dereproduire, prêter, distnbuer ouvendre des copies de cette thèse sousla forme de microfiche/film, dereproduction sur papier ou sur formatélectronique.

L'auteur conserve la propriété dudroit d'auteur qui protège cette thèse.Ni la thèse ni des extraits substantielsde celle-ci ne doivent être imprimésou autrement reproduits sans sonautorisation.

0·612·70614-1

Canadl

Abstract

Alain Robbe-Grillet's Les Gommes, Michel Butor's

L'Emploi du temps as weIl as Claude Simon's La Bataille de

Pharsale are aIl New Novels in which Greek and Latin

<anythemes» play various roles in the reception of the text by

its reader. These raIes represent our object of study. As a

result of the possibilities and, more specifically, the Many

difficulties involved in reconstructinq the original

mythological plot, the reader realizes that the mythemes form

a sort of «secondary plot» which both reflects the «first

plot» (the novel's narrative) and determines its complexity .

In this way, the mythemes guarantee a certain balance in the

reader's level of understanding. However, they still bring

out important problems: for example, they contribute to the

redefining of certain familiar classical concepts and to the

production of manifold interpretative choices. It follows

that the mythemes are instrumental in making the reader the

privileged spectator of the reconstruction of the horizon of

expectations .

ii

Remerciements

Je tiens à remercier le Professeur Gillian Lane-Mercier

pour sa grande efficacité et ses judicieux conseils. Je

remercie également pour leur support infaillible les amis et

la famille qui m'entourent .

iii

Table des matières

Rés'UItlé .....•.••......•.......•............•..........•.•.•.. i

.Abstract •••........•......•.........••.• ,. ................•. ii

Remerciements ...•...••.....•.......•...•••••••••••••..•.•• iii

Table des matières ........•..............................•. i v

INTRODUCTION ..•.•..•••.......••••........•.....•.•••.....••• 1

CHAPITRE I: POSSIBILITÉS ET PROBLÈMES DE RECONSTRUCTION DU

RÉCIT MYTHOLOGIQUE D'ORIGINE ...•......•••.•.•..••...•.•.•••• 9

Le cas de L'Emploi du temps 10

Le cas des Gommes . .........•............................... 16

Le cas de La Bataille de Pharsale ........................••20

Une lecture laborieuse .........•......•.....•.•............ 23

CHAPITRE II: RÉCIT PREMIER ET RÉCIT SECOND.............•... 25

Fonctions du «réci t second» .........••.....•............... 2 6

Effets du «récit second» sur le schéma actantiel

de L'Emploi du temps . ..................•.........•.•....... 28

Récit second et schéma actantiel dans Les Gommes 36

Le cas de La Bataille de Pharsale: une exception .•.......•• 38

Une question d'équilibre .••............•...•.•...•.......•• 39

iv

CHAPITRE III: ÉCLATEMENT DE CONCEPTS CLASSIQUES ••••••...... 45

Remaniement des limites temporelles •..••.•..••...••••••.... 46

Éclatement du concept d'espace ..•.....•••.....•.•••.•..••.. 51

Une fusion: l'espace-temps ...•..•...•••••......•.•..••..... 54

Une confusion utile ..•.•..........•.....•••...••.••........ 56

Remise en question de l'identité individuelle .••••••••...•• 57

Brouillages entre les concepts de profane et de sacré •...•• 60

Une écriture duparadoxe •••..•...•.••.•..••.......•.......• 64

L'étonnement du lecteur .••..•.........•......•............. 66

CHAPITRE IV: PASSAGE À UNE NOUVELLE RÉCEPTION•.....•...•.•. 69

Démultiplication des mondes possibles .•..••.......••....... 70

Prolifération des fils interprétatifs .•..•••....•..•....... 77

Réalisme renouvelé et lecture interactive ..••......•....... a6

Les mises en abyme: des instructions destinées au lecteur •. aa

Le rôle global des mythèmes •.....................••...••... 93

Des «erreurs» salutaires .........•..•...••.........•.•..... 95

Les mythèmes dans le Nouveau Roman: un faux paradoxe 96

Les compétences du lecteur .••..........•....•...•.......... 97

CONCLUSION...•.......••..................•.... ., ...•...•... 101

Bibliographie 109

v

INTRODUCTION

Quelques années après la parution des Gommes en 1953, la

présence du mythe d'Œdipe dans ce roman - qui se démarquait

justement par des procédés inhabituels et innovateurs

faisait encore couler beaucoup d'encre parmi la critique

littéraire qui continuait à soumettre diverses hypothèses

destinées à expliquer cette présence particulière. Certains

alléguèrent qu'en insérant le mythe d'Œdipe dans son roman,

Alain Robbe-Grillet faisait faux bond à son modernisme en

utilisant une formule rabâchée1 • D'autres y découvrirent

plutôt un récit ironique2 , un anti-Œdipe3 , une version moderne

du mythe 4 ou encore un encombrant procédé de connotations.

John Fletcher, «Alain Robbe-Grillet: Obsessional Objectivity»,Kolokon 2, l, Spring 1967, pp. 34-40. Selon l'avis de ce critique,Robbe-Grillet a suivi une formule en s'inspirant du mythe d'Œdipeet son roman Les Gommes est un demi-échec.

2 Olga BernaI, «Les Gommes: roman de liquidation» dans Alain Robbe­Grillet: Le roman de l'absence, Paris, Gallimard, 1964, 257 p., p.52.

B. G. Garnham, «The Temptation of Mytholoqy» dans Les Gommes andLe Voyeur, London, Grant& Cutler, 1982, 79 p., pp. 18-24.

Bruce Morrissette, «Œdipe ou le cercle fermé» dans Les romans deRobbe-Grillet, Paris, Éditions de Minuit, 1963, 217 p., p. 53.

«Il me semble (•.• ] que c'est cette disparité entre le contenunouveau et la forme encore partiellement renouvelée qui amèneRobbe-Grillet à rappeler dans toute une série de détailspériphériques ce qu'il a voulu dire. C'est tout le problème desallusions au mythe d'Œdipe que l'auteur multiplie de manière plusou moins extérieure au corps même de l'ouvraqe [ ••• ] pour attirerl'attention du lecteur sur le fait qu'il ne s'aqit pas d'un simple

6

7

2

Bref, la critique s'avisa de comprendre la signification du

mythe dans le roman et de déceler les intentions de l'auteur.

La notoriété d'un tel sujet est compréhensible puisqu'il

soulève le problème épineux de la nouveauté en littérature,

notion étrange, critiquée par certains 6, revendiquée par

d'autres', jamais purement donnée dans quelqu'œuvre que ce

soit.

Malgré tout, l'impact des mythes sur le Nouveau Roman

gagnerait à être examiné sous un angle différent - celui de

la réception - ainsi que dans une plus grande diversité

d'ouvrages. C'est pourquoi notre corpus se compose de trois

œuvres de romanciers différents. Nous envisagerons le

problème de la sorte: il s'agira de définir le rôle des

mythèmes 8 gréco-latins respectivement dans La Bataille de

roman policier de type courant, mais d'un livre dont le contenuessentiel s'apparente à celui de la tragédie antique. Bienentendu, ces allusions auraient été inutiles (et nous neretrouvons plus rien d'analogue dans les ouvrages ultérieurs deRobbe-Grillet) si la forme de l'ouvrage avait été suffisammentadéquate pour mettre en évidence le contenu.» Lucien Goldmann,«Nouveau roman et réalité», Pour une sociologie du roman, Paris,Gallimard (coll. «Idées»), 1964, p. 305, 372 p.

On pense entre autres à Valéry.

C'est le principe même de toutes les avant-gardes •••

Que l'on peut définir comme étant des «unités (minimales]constitutives du discours mythique (qui] n'acquièrent designification que parce qu'elles sont groupées en paquets (,J cespaquets eux-mêmes se [combinant].» Cette citation provient deRoland Barthes, «Introduction à l'analyse structurale des récits»dans Communication, Paris, Éditions du Seuil (coll. «Points»),1966, 1981, 178 p., p. Il. Barthes faisait lui-même référence àClaude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, p. 233.

3

Pharsale de Claude Simon, L'Emploi du temps de Michel Butor

et Les Gommes d'Alain Robbe-Grillet, cela par l'entremise de

leur réception par le lecteur. Notre corpus se justifie,

évidemment, par la grande concentration de mythèmes dont les

œuvres qu'il contient font preuve, mais aussi parce que

chacune d'elles représente un aspect bien précis du

traitement des mythèmes dans le Nouveau Roman.

Dans les trois romans étudiés, les mythèmes, que le

lecteur tente de relier en utilisant les compétences acquises

lors de la lecture de textes antérieurs, offrent une

résistance à la reconstitution du récit mythologique dont ils

proviennent. On compte quatre rôles principaux des rnythèmes

qui rejoignent tous un rôle plus global: tout d'abord, ils

entravent la reconstitution du récit mythologique d'origine;

en second lieu, ils réfléchissent l'intrigue et le schéma

actantiel du roman en les complexifiant s'ils sont

relativement simples à saisir, ou encore en les simplifiant

s'ils sont complexes; ensuite, ils introduisent l'éclatement

de certains concepts classiques (le temps, l'espace,

l'identité et le sacré), transformant ainsi le répertoire du

lecteur en y insérant des idées non familières; enfin, ils

démultiplient les prédictions et interprétations possibles du

texte par le lecteur tout en guidant ce dernier dans son

processus de réception par des mises en abyme de l'énoncé et

4

de la réception, ce qui lui permet d'assimiler de nouvelles

compétences. Les échecs successifs du lecteur, dont les

recours intertextuels s'avèrent inefficaces, se situent au

centre de la problématique du Nouveau Roman: afin de

permettre le passage à un nouveau type de lecture, il doit

lui donner l'occasion de mettre à l'épreuve ses anciennes

connaissances, de sorte qu'il puisse mieux comprendre leur

inutilité et redéfinir son approche. Ainsi, le rôle global

des mythèmes, qui offrent une résistance générale à la

lecture, réside dans la transformation du processus de

réception. C'est dans le cadre même de son activité que le

lecteur doit se départir de certaines propriétés qu'il

attribuait aux mythèmes et accepter leurs propriétés

actuelles. La réception se fait alors selon des normes

renouvelées.

Afin de mesurer avec exactitude l'impact des mythèmes,

nous utiliserons certains concepts énoncés par Wolfgang Iser

dans L'acte de lecture, par Hans Robert Jauss dans Pour une

esthétique de la réception et par Umberto Eco dans Lector in

fabula. À la suite d'Iser, nous postulons que l'activité du

lecteur, en constante interaction avec le texte et les

directives qu'il fournit, consiste en un ensemble de

perceptions et d'opérations imaginatives destinées à combler

les zones d' ambiquï. tés (les «blancs») et à échafauder des

• interprétations constamment reformulées en

5

vertu des

nouvelles informations lues. De cette façon, les mythèmes

perçus par le lecteur renvoient au répertoire du texte,

composé d'un ensemble de conventions issues de l'intertexte

et des normes socioculturelles en vigueur à son époque. Ces

conventions, extraites de leur contexte originel, sont

transplantées dans le texte où elles se mettent à fonctionner

différemment. Tout en conservant en arrière-plan quelques-

unes de leurs anciennes propriétés, elles acquièrent dans le

texte de fiction de nouvelles fonctions, dont une certaine

capacité relationnelle. Ainsi fonctionneront les mythèmes,

éléments provenant à la fois d'une réalité intertextuelle et

de normes socioculturelles. Le lecteur, en les rencontrant

dans le texte, a tendance à actualiser leurs anciennes

propriétés, tout en s'efforçant de découvrir et de manier

leurs nouvelles fonctions.

Or, afin d'acquérir la compétence nécessaire à

l'exploitation de cette nouveauté, il est impératif que le

lecteur modifie ce que Jauss nomme son horizon d'attente,

véritable système de référence qui résulte des «expériences

préalables que le public a du genre dont [l' œuvre lue]

relève, la forme et la thématique d'œuvres antérieures dont

elle présuppose la connaissance9». Au cours de sa lecture, le

Jauss, Hans Robert, Pour une esthétique de la réception, Paris,Gallimard (coll. «Tel»), 1978, 333 p., p. 54.

6

lecteur doit constater la relative inefficacité de son

système de référence: ainsi, la frustration causée par une

lecture qui tente, sans jamais complètement y parvenir, de

relier les segments mythologiques de manière à ce qu'ils

composent un récit cohérent qui fasse sens à l'intérieur du

texte est salutaire. Elle permet au lecteur de prendre

conscience du déplacement de l'horizon d'attente, provoqué

par l'écart esthétique, notion définie par Jauss comme étant

«la distance entre l'horizon d'attente préexistant et l'œuvre

nouvelle dont la réception peut entraîner un «changement

d'horizon» en allant à l'encontre d'expériences familières ou

en faisant que d'autres expériences, exprimées pour la

première fois, accèdent à la conscience10».

Notre recherche croise de nombreux travaux critiques. À

propos du mythe gréco-latin dans Les Gommes, les articles

depuis quinze ans sont assez rares puisque l'on s'intéresse

davantage aux romans ultérieurs de Robbe-Grillet. Toutefois,

nous avons décidé de revenir sur ce suj et quelque peu

délaissé depuis les années soixante en raison de l'impact

considérable des mythèmes sur la réception: leur étude

soulève de nombreux problèmes de réception, tels que les

difficultés concernant les prévisions et les valeurs à

attribuer aux différents éléments du texte. Quant au mythe

• 10 Ibid., p. 58.

• dans L'Emploi du temps,

7

il a beaucoup occupé la critique

littéraire des dernières années ll , tout comme le mythe qréco-

latin chez Claude Simon qui demeure un sujet choyé par les

critiques; ici encore, l'étude du rôle des mythèmes dans la

réception du texte par le lecteur permet d'aborder des

problèmes particuliers, dont la multiplicité d'avenues

possibles qui se présentent au lecteur, la lecture

nécessairement interactive et l'éclatement de certains

concepts classiques. Une autre tendance, concernant cette

fois l'ensemble du Nouveau Roman, a grandement influencé nos

recherches: il s'agit de l'étude des clichés, stéréotypes et

archétypes (ainsi que d'autres éléments conventionnels) .

Entre autres, le numéro spécial de la revue Lettres Modernes12

témoigne de la vigueur du sujet. Il convient de noter que,

parmi les trois romans étudiés, La Bataille de Pharsale est

à la fois le plus récent et celui qui propose la

déconstruction formelle la plus violente. Il va sans dire que

devant des romans qui présentaient autant de différences,

nous avons surtout considéré, dans la détermination des rôles

des mythèmes, leurs ressemblances.

•11

12

La preuve en est la parution relativement récente du recueil de1995, Analyses et réflexions et du livre de Pierre BruneI, Butor:L'Emploi du temps, également sorti en 1995.

Dirigée par Roger-Michel Allemand: «Le "Nouveau Roman" enquestions. L'Archétype» dans La Revue des lettres modernes;1052-1057, Paris, Lettres modernes, 1992.

8

Dans chacun des trois romans, le lecteur, guidé par

certaines stratégies du texte, prend conscience de

l'impossibilité d'une lecture que certains textes modernes

permettent pourtant, comme par exemple les pièces de

Giraudoux, Anouilh, Cocteau et Sartre dont l'intrigue

s'inspire de la mythologie antique et où le mythe fournit sa

structure, ses rebondissements et ses personnages à l'œuvre

nouvelle. Bref, entre la lecture que le lecteur croit pouvoir

faire et ses possibilités réelles, la distance est grande:

c'est dans la prise de conscience de cette distance que

réside toute la dynamique du Nouveau Roman. C'est là le

repoussoir, commun à chacun des textes étudiés, qui permettra

de déplacer l'horizon d'attente .

CHAPITRE I:

POSSIBILITÉS ET PROBLÈMES DE RECONSTRUCTION DU RÉCIT

MYTHOLOGIQUE D'ORIGINE

S'il est vrai que le lecteur perspicace peut relever

dans L'Emploi du temps, Les Gommes et La Bataille de Pharsale

la présence d'un certain nombre de mythèmes - puisant pour ce

faire dans ses connaissances sur la mythologie gréco-latinell

- il reste qu'il risque de se heurter à de nombreux problèmes

s' il cherche à reconstituer dans l'un de ces trois romans

l'ensemble des récits mythologiques desquels ces mythèmes

sont issus. Par ailleurs, ce problème de réception se

complique, car certains mythèmes donnent justement au lecteur

l'illusion qu'il peut aisément procéder à cette

reconstitution: jamais totalement isolés les uns des autres,

ils semblent favoriser cette lecture et offrent en ce sens

plusieurs prises au lecteur. L'existence de liens explicites

entre les mythèmes, les parallèles que certains mythèmes

entretiennent avec le récit du roman (octroyant à celui-ci le

rôle de remplir les blancs entre les mythèmes) ou, encore,

les références intertextuelles qui transforment une allusion

•11 Qu'elles aient été acquises en lisant de la littérature antique,

les auteurs classiques français, des tragédies du vingtièmesiècle, des manuels de mythologie ou tout autre ouvragesusceptible de contenir des mythes antiques.

10

mythologique autrement obscure en un mythème bien défini sont

autant d'indices donnant l'illusion que la reconstitution du

récit mythologique est possible. Cependant, les facteurs qui

font entrave à cette reconstitution abondent. L'éparpillement

des mythèmes, par exemple, peut contrecarrer le remplissage

des blancs laissés entre eux, blancs tout aussi malaisés à

combler à l'aide du contenu de l'intrigue du roman puisque

celui-ci entretient généralement peu de parallèles avec les

éléments issus du récit mythologique de départ. De plus, la

variété de la provenance des mythèmes et leur mutuelle

incompatibilité peuvent encore freiner l'exercice de

reconstitution tout autant qu'une surabondance de mythèmes

renvoyant à un même récit mythologique (du moment que ces

mythèmes inscrivent de trop nombreuses variantes d'une même

composante du mythe d'origine). Nous analyserons donc

L'Emploi du temps, Les Gommes et La Bataille de Pharsale de

manière à déterminer comment et à quel point ces possibilités

et difficultés de reconstitution du récit mythologique

viennent régir la réception des textes par le lecteur.

Le cas de L'Emploi du temps

Dans L'Emploi du temps, le nombre de mythèmes rattachés

Il

au mythe de Thésée est considérable, tant et si bien que la

description et l'analyse de ce mythe, dans le journal de

Revel, occupe de nombreuses pages. Le narrateur y procède à

un travail qui dépasse la simple allusion et que l'on

pourrait rapprocher de l'activité du mythographe. Pierre

Brune~12 a d'ailleurs souligné à quel point Butor donne, par

l'entremise de Revel, une version à la fois documentée et

simplifiée du mythe. Malgré ces transformations mineures, les

dix-huit tapisseries du «Bleston Museum of Fine Arts»,

sources d'inspiration pour les digressions mythologiques du

narrateur, représentent l'ensemble des épisodes importants de

la vie du héros athénien:

L'enfance de Thésée, le meurtre de Sinnis, le meurtre deSciron, le meurtre de Cercyon, le meurtre de Procuste,Thésée reconnu par son père, le meurtre des Pallantides,l'enlèvement d'Hélène, l'enlèvement d'Antiope, le départpour la Crète, le meurtre du Minotaure, l'abandond'Ariane, la mort d'Égée, Thésée roi d'Athènes, ladescente aux enfers, Phèdre et Hippolyte, la rencontred'Œdipe, et l'exil de Thésée13 •

Ce mythe, presque entièrement reconstitué dans le roman, même

si la priorité est accordée à certains épisodes, partage

l'imaginaire du narrateur avec d'autres mythes qui, eux, se

trouvent plus succinctement évoqués: aussi, les éléments

•12

13

Pierre BruneI, Butor: L'Emploi du temps, Paris, Pressesuniversitaires de France, 1995, pp. 87-92, 173 p •

Michel Butor, L'Emploi du temps, Paris, Éditions de Minuit,1956, p. 203.

• 12

manquants sont nombreux. Il ne reste du mythe d'Ulysse que

des comparaisons entre Bleston (qui retient Revel) et Circée

(qui emprisonne Ulysse); entre Revel (qui rêve au jour où il

pourra quitter Bleston, «reprenant sa forme humaine14»), et

les compagnons d'Ulysse (transformés en porcs par Circée);

entre Revel voyageur et Ulysse; et, enfin, entre Revel (qui

écrit son journal) et Pénélope (qui tisse le linceul de

Laërte). Plusieurs épisodes majeurs du mythe tels que la

Guerre de Troie, la victoire sur les prétendants et la

plus qu'un très minime ensemble d'éléments: le meurtre de

éludés. Le mythe d'Œdipe, tout aussi tronqué, ne représente

plupart des aventures de voyage avec les compagnons sont

• Laïus (mis en parallèle avec l'accident de Burton1S );

15

Ibid., p. 149.

Paul-Laurent Assoun (Assoun, Paul-Laurent, «De l'énigme œdipienneà l'écriture de la ville» dans Analyses et réflexions, Paris,Ellipses,1995,128 p., pp. 86-94.) conclut que Revel, comme Œdipe,tue (symboliquement) «celui auquel il doit son titre», c'est-à­dire Burton, l'auteur du Meurtre de Bleston, auquel il doit sontitre d'écrivain. Pour Revel, Burton représente un père spirituelpuisqu'il l'a accueilli, pris sous son aile et, par son livreMeurtre à Bleston, lui a appris à mieux conna1tre l'aspect hostilede Bleston. Toutefois, Revel a l'impression d'être en quelquesorte le meurtrier de ce père spirituel car il se sent responsablede l'accident dont il a été victime (il a été renversé par uneMorris noire) et qui ressemble à un attentat. En effet, Revel aremis en question l'anonymat de l'auteur de Meurtre à Bleston,roman policier injurieux à l'endroit de la ville et de sa NouvelleCathédrale, en disant qu'il le cannait personnellement et enrévélant son nom. Il croit que cette confidence faite aux soeurs aété ébruitée et est à l'origine de la colère qui inspiral'attentat.

• l' aveuglement16;

13

l'épisode de la rencontre entre Thésée et

Œdipe et, enfin, le sentiment de culpabilité d'Œdipe, torturé

par les Érinyes17• Le cas particulier des Érinyes, ces déesses

du remords qui tourmentent les criminels, souligne

l'importance des indices fournis par l'intertextualité: ce

sont des mouches qui harcèlent ici Revel. Quant au terme lui-

même d'Érinyes, il n'est mentionné nulle part dans le roman,

de sorte qu'un lien intertextuel s'avère nécessaire pour

reconnaître l'allusion: en effet, dans la pièce Les Mouches

de Jean-Paul Sartre, Oreste est poursuivi par des Érinyes qui

apparaissent sous forme de mouches. C'est d'une façon

similaire que Revel est assailli par une nuée de mouches lors

de sa visite à Burton dans sa chambre d' hôpital lB. En ce qui

concerne le mythe d'Arachné, sa présence est impliquée par

une comparaison faite entre le journal de Revel et une toile

qu'on tisse. Or, tel Arachné prisonnière de sa propre toile19 ,

16

17

18

19

Ce terme est repris sans cesse dans la complainte de Revel,désespéré d'avoir donné priorité à la rédaction de son journal, cequi a fait en sorte qu'il a négligé Rose qui s'est ensuite fiancéeà Lucien.

Qui prend, dans la narration de Revel, l'allure de sa culpabilitéenvers Burton, victime d'un attentat.

Michel Butor, qp. cit., p. 231.

Arachné était une jeune femme qui croyait que ses talents detisseuse surpassaient ceux d'Athéna. La déesse, jalouse, lui jetaun sort qui la transforma en araignée. Nous avons emprunté cerapprochement peu évident à Pierre BruneI (qp. cit., pp. 25-26),qui utilise, pour ce faire, les passages suivants: «Je sens, toutautour de moi, les fils de la chaine envahir la trame comme unemarée» (p. 218).

14

Revel est victime de son projet d'écriture qui détourne son

attention de Rose. Stupéfié par la nouvelle des fiançailles

de la jeune femme avec Lucien, chose qu'il n'a pu prévenir en

raison de l'isolement que lui procure l'écriture, Revel,

dorénavant esseulé, se voit réduit à continuer cette

rédaction qui lui a été si nocive. A l'inverse du mythe de

Thésée, donc, certains récits mythologiques sont, dans

L'Emploi du temps, escamotés et transformés de telle manière

qu'ils compliquent le processus de réception du texte par le

lecteur.

Les liens de correspondance établis entre les mythèmes

et le récit du roman renforcent la teneur des mythes et

comblent certains vides. Ainsi, les confidences de Revel (qui

s'identifie à Thésée) à propos de son amour pour Ann

(comparée à Ariane) puis pour Rose (comparée à Phèdre)

apportent des précisions sur l'épisode - plutôt négligé par

les mythèmes - du triangle amoureux entre Thésée, Ariane et

Phèdre. En revanche, ces liens entre mythèmes et récit, qui

parfois se dédoublent, s'entrecroisent et se contredisent,

peuvent tout aussi bien compliquer la réception du texte par

le lecteur et la reconstitution du réci t mythologique. Il

arrive effectivement qu'un même personnage soit

successivement ou simultanément associé à plusieurs figures

mythologiques. Par exemple, Revel est tour à tour comparé à

15

Thésée, Ulysse, Pénélope, Arachné, Œdipe, Pirithoos, Dionysos

et Héphaistos. Certaines de ces comparaisons apparaissent

explicitement dans le texte, énoncées par le narrateur lui­

même, tandis que d'autres peuvent être déduites par le

lecteur, mais toutes doivent être intégrées au répertoire du

texte qui, par conséquent, se complexifie.

Une autre complication possible réside, non plus dans le

lien qu'entretiennent les mythèmes avec le monde représenté,

mais dans la valeur que ce monde représenté accorde aux

mythèmes. Les mythes généralement se trouvent à la proximité

des domaines religieux et artistique: ils possèdent un aspect

sacré et le fait qu'ils représentent le monde leur procure

également une vocation esthétique. Tout ceci leur confère une

certaine autorité, une valeur qui commande le respect à leur

égard. Mais qu'advient-il des mythes lorsqu'ils sont

récupérés par la vie quotidienne, lorsqu'ils apparaissent

dans un environnement profane, lorsqu'ils sont moqués,

altérés? Le lecteur doit-il récupérer de tels mythes dans le

schéma interprétatif qu'il élabore? Dans L'Emploi du te~s,

si les mythes conservent un statut honorable, il reste que la

représentation de ces mythes ainsi que leur environnement

(par exemple, leur lieu d'origine) atteste en général une

très faible valeur artistique. Exemple fort significatif, le

«Bleston Museum of Fine Arts» incarne, avec ses colonne

16

ioniques noircies et sa frise panathéenne en moulages sur un

fond bleu lessive2o , le symbole d'un monde qui singe la Grèce

antique, la travestit et la réduit à quelques clichés (frise,

colonnes). De plus, la valeur artistique des tapisseries que

ce musée contient est particulièrement douteuse. Les

mythèmes, dans ce décor, ne subissent-ils pas, par contagion,

la même dégradation? Bleston n'est-elle qu'une Athènes de

pacotille? Revel est-il un Thésée déchu? Le lecteur doit

considérer ces données, car ces transformations dans la

valeur des mythèmes constituent une nouvelle complication

dans le processus de réception •

Le cas des Gommes

Dans Les Gommes, la présence de mythèmes issus du mythe

d'Œdipe se fait relativement discrète; aussi, le mot «Œdipe»

n'apparaît nulle part. Évidemment, certaines allusions sont

assez facilement intelligibles pour que le lecteur, même avec

un bagage culturel peu considérable, puisse les capter. Bruce

Morrissette, l'un des premiers critiques à voir dans Les

Gommes «une version moderne de la tragédie d' Œdipe21», a

• 20

21

Michel Butor, qp. cit., pp. 86-87.

Bruce Morrissette, qp. cit., p. 53.

••

17

d'ailleurs recensé plusieurs des mythèmes que contient le

roman, dont certains sont difficiles à discerner, et il

s'attarde à toutes les allusions au thème de la divination,

relié lui-même au mythème d'Apollon. Ainsi, les allusions

mythologiques dans Les Gommes constituent un corpus assez

important pour qu'il soit possible d'établir des liens de

correspondance entre les personnages, les éléments du roman

et ceux du mythe. Comme c'est le cas dans L'Emploi du temps,

les liens de correspondance entre les schémas actantiels

apparaissent d'abord fort simples à établir: Wallas est

Œdipe, Dupont est Laïus et Évelyne est Jocaste. Mais plus le

lecteur avance dans sa lecture, plus il réfléchit aux

éléments mis en place dans le texte et plus le schéma

actantiel se complexifie. Par exemple, l'ivrogne représente

à la fois le Sphinx (il pose des énigmes) et Tirésias (il

révèle à Wallas son identité d' «enfant trouvé22»); de plus, il

y a plusieurs meurtriers et enquêteurs23• Les rôles éclatent

et les éclaircissements recherchés ne surviennent jamais: le

lecteur s'attend à lire une révélation sur la paternité de

Dupont à la fin du roman, mais rien ne vient confirmer aussi

nettement l'Œdipe. Aussi faut-il noter que le fait d'avoir

•22

23

Alain Robbe-Grillet, Les Gommes, Paris, Éditions de Minuit, 1953,p. 121, 264 p .

Il sera question de cette complexification du schéma actantielplus en détail dans le chapitre II.

18

détecté la présence du mythe d'Œdipe n'aide nullement le

lecteur à mieux comprendre le roman. En voulant absolument y

lire l'Œdipe et y appliquer son schéma actantiel, le lecteur

pratique une lecture fautive. Il veut faire du roman ce qu'il

n'est pas, c'est-à-dire une reprise d'Œdipe roi. Pour sa

défense, il faut évidemment avouer que la plupart des

épisodes de la vie d'Œdipe se trouvent évoqués, mais ils ne

le sont qu'au prix d'une atténuation radicale du tragique. Le

mariage avec Jocaste, dans la version modifiée, est résumé

dans la réaction de Wallas, séduit par Évelyne. De la même

manière, l'aveuglement et la fuite d'Œdipe ne sont plus pour

Wallas qu'un simple échec professionnel.

Conséquemment, ces épisodes ne sont plus que le

simulacre de ceux de la pièce Œdipe Roi de Sophocle, avec

laquelle le roman entretient effectivement de nombreux liens

intertextuels, sans pourtant aller jusqu'à constituer une

reprise de celui-ci. L'épigraphe, tel que le fait remarquer

Bruce Morrissette24 , est extrai te de la pièce antique. Par

ailleurs, la forme du texte, disposé en cinq chapi tres

encadrés entre un prologue et un épilogue, rappelle celle de

la pièce de Sophocle. Malgré ces similitudes, il reste que le

mythe d'Œdipe dans Les Gommes est considérablement

transformé, non seulement sur le plan de son schéma

• 24 Bruce Morrissette, qp. cit., p. 53.

• 19

actantiel, mais aussi, tel que l' a souligné Jean Ricardou25,

dans sa structure narrative. Selon Ricardou, le meurtre, dans

Œdipe Roi, est déjà consommé et son rapport avec l'enquête

est extrinsèque puisque celle-ci le dévoile et ce dévoilement

fait passer le protagoniste de l'erreur à la vérité. Dans Les

Gommes, en revanche, le meurtre est en voie de se produire et

son rapport avec l'enquête est intrinsèque puisque celle-ci

l'engendre et cette transformation fait passer le

•protagoniste de la fiction à la réalité.

Ici encore, la déchéance du statut des mythèmes vient

complexifier la réception. Ces unités perdent leur aspect

sacré et esthétique: elles en sont réduites à apparaître sous

la forme d'objets du quotidien, comme par exemple le dessin

qui orne un rideau. Apollon lui-même est ridiculisé par cette

brève description d'une figurine le représentant, victorieux

de Python à Delphes: «un beau lutteur s'apprête à écraser un

lézard26». Malgré tout, le lecteur n'est sans doute pas

répréhensible s'il perçoit, traque et assimile les mythèmes

reliés à l'Œdipe dans Les Gommes, mais c'est certainement une

grave erreur de sa part de vouloir forcer le sens du roman

afin d'attribuer au mythe le même rôle que chez Sophocle.

• 25

2&

Jean Ricardou, «Colncidences pour un Œdipe inversé», dans LeNouveau Roman, Paris, Éditions du Seuil, 1990, pp. 44-50.

Alain Robbe-Grillet, qp. cit., p. 217.

".

20

Le cas de La Bataille de Pharsale

Dans La Bataille de Pharsale, la reconstitution du récit

mythologique s'avère presque impossible. Si le lecteur peut

effectivement reconnaître quelques séries de mythèmes, les

problèmes de reconstitution surpassent en nombre les

possibilités. Le roman témoigne d'un grand éparpillement de

mythèmes qui, variés de surcroît, entravent la constitution

de réseaux de liens entre eux. Certains mythèmes, pourtant,

se rattachent à un même récit, comme ces deux passages qui

font référence à l'épisode de la naissance des enfants de

Gaia, sortis directement de la terre: des gens émergent d'une

bouche de métro comme s'ils en naissaient27 et, plus tard, les

éléments d'un paysage semblent aussi issus d'une <cnonumentale

déesse aux multiples mamelles d'argile et de rochers qui

donnait au père dévorant des cailloux enveloppés de langes2B».

Les mythèmes concernant les héros déchus sont également

omniprésents et faciles à relier: Arès, Hercule, Persée et

Achille apparaissent tous sous le même angle et se

confondent. Enfin, plusieurs allusions aux monstres fabuleux

peuvent être groupées en un même ensemble thématique - qu'ils

soient Méduse, Chimère, Gorgone, Minotaure ou une sirène -

• 27

28

Claude Simon, La Bataille de Pharsale, Paris, Éditions de Minuit,1969, p. 14.

Ibid., p. 163.

• 21

mais il ne s'agit ici que de rares instants de répit pour le

lecteur qui tente de rassembler les divers mythèmes que

contient le texte. Cet éparpillement et cette variété des

mythèmes sont typiques du récit simonien de cette époque,

sans réelle unité narrative, mais avec une forte unité dans

les images. Les allusions mythologiques sont parfois

masquées: c'est avec ambiguïté que la description d'une

machine avec les <<mancherons dressés vers le ciel comme des

cornes29» rappelle le Minotaure. D'autre part, il est parfois

difficile de décider si certains passages doivent vraiment

être intégrés dans la catégorie des mythèmes: lorsque le

narrateur désigne un personnage en disant «l' hercule30», ce• mot, tout compte fait, est vidé de sa signification

mythologique, passé au langage courant et devenu un simple

nom commun.

Fréquemment rencontrés par le lecteur dans ce roman

particulier, les mythes dégradés apparaissent selon diverses

modalités. Parfois, ce sont les héros qui déchoient et qui

s'avèrent impuissants, engagés dans un combat absurde,

«géants condamnés à d'impossibles travaux3l». Leur fureur de

vaincre, combinée à l' immensité de leur tâche, les rend

2g Ibid. , p • 95.

• JO Ibid. , p. 69.

Ji Ibid. , p. 64.

• 22

parfois ridicules, comme ce guerrier à la carrure d'Arès qui,

selon la description, est armé d'une épée de carton32 •

Introduits dans la culture populaire, certains mythèmes sont

réduits au statut d'objets de consommation et font le

portrait d'un milieu pour le moins vulgaire: ainsi en est-il

d' Hercule devenu le protagoniste d'une bande dessinée qui

décrit, à l'aide de personnages stéréotypés (le boxeur et la

femme fatale), une sombre histoire de jalousie et de crime33•

Enfin, les mythèmes sont parfois intégrés à la vie

•quotidienne, confondus avec des objets usuels qui sont

généralement perçus comme diamétralement opposés à tout ce

qui est sacré, comme c'est le cas pour le dessin d'une tête

de Gorgone ornant un billet de banque34• Le lecteur, devant

ces mythes dégradés, se demande s'il lui faut conclure à

l'anoblissement du prosaïque et de la culture populaire par

le voisinage des mythes ou s'il doit en déduire que les

mythes sont déchus en raison de leur voisinage avec la

culture populaire et le prosaïque. La hiérarchie entre chaque

élément de l'existence, régie par les catégories du sacré et

du profane, est détruite et les mythèmes se retrouvent sans

aucun moyen de se distinguer des autres composants du roman.

32 Ibid. , p • 19.

• 33 Ibid. , p. 69.

34 Ibid. , p. 258.

23

Une lecture laborieuse

Nous pouvons conclure que le lecteur tente en vain de

relier entre eux des mythèmes souvent trop minimaux, trop

éparpillés dans le texte, sans lien vraiment cohérent avec le

récit du roman ou trop dégradés pour que l'on puisse

reconnaître en eux le récit mythologique d'origine. Butor,

Robbe-Grillet et Simon ne sont pas des mythographes et ils ne

cherchent pas davantage à donner des mythes une version

modifiée selon le goût du jour, où des personnages possèdent

un mode de vie et une conception du monde qui soient

contemporains, et où la structure narrative du mythe demeure

inchangée. Ils n'offrent pas au lecteur ce type de version

que certains dramaturges (comme Sartre, Giraudoux, Anouilh et

Cocteau) de la première moitié du vingtième siècle ont

popularisé. Ici, ce n'est pas seulement la signification du

mythe qui est transformée, mais aussi sa structure.

Déconstruit et fractionné en de multiples mythèmes, le récit

mythologique passe à l'arrière-plan et laisse toute la

prépondérance aux mythèmes individualisés. Le lecteur doit

effectivement prendre conscience, par la difficulté qu'il

éprouve à reconstituer le récit mythologique d'origine, que

chaque mythême joue son propre rôle et peut signifier, dans

le roman, indépendamment des autres mythèmes. Toutefois, les

24

possibilités de reconstruction du récit mythologique

d'origine sont assez considérables pour que le lecteur

persiste longtemps (lors de sa lecture) à croire qu'il peut

relier tous les mythêmes et prendre des libertés dans son

interprétation de l'intrigue du roman afin qu'elle puisse

correspondre au récit mythologique. Il va sans dire que ces

efforts, doublés de nombreux échecs successifs, rendent la

lecture particulièrement laborieuse •

CHAPITRE II: RÉCIT PREMIER ET RÉCIT SECOND

Lire les mythes gréco-latins dans le Nouveau Roman pose,

nous l'avons vu, des problèmes considérables. Mais une fois

perçus, ces mythes, sous forme de rnythèmes, rendent, par les

rôles qu'ils jouent dans le roman, la réception plus ardue

encore. L'un des rôles des rnythèmes dans la réception

constitue le sujet du présent chapitre: comment les mythèmes,

par les comparaisons qu'ils introduisent dans le texte,

influencent-ils la compréhension du texte par le lecteur?

L'ensemble de ces comparaisons forme ce que nous nommerons

«récit second», ce récit parallèle au «récit premier» et qui

en régit la lecture et la compréhension. Les notions de

«récit premier» (le texte, purgé de ses mythèmes) et de

«récit second» (les mythèmes, tels qu'expulsés du texte) ne

sont évidemment pas des absolus puisque ces deux «réci ts»

sont en vérité imbriqués l'un dans l'autre et ne sauraient

exister l'un sans l'autre, mais cette distinction, quoique

frustre, facilitera notre approche du rôle des mythèmes dans

le texte .

• 26

Fonctions du «récit second»

Les mythèmes, le plus souvent, apparaissent afin d'être

mis en relation de comparaison avec un événement, un

personnage, ou tout autre élément du roman. Cette situation

se retrouve dans les trois romans étudiés, mais elle n'est

évidemment pas commune à toutes les œuvres qui comportent des

mythèmes. Dans Les Mouches de Jean-Paul Sartre, par exemple,

le personnage principal de la pièce n'est pas comparé à

Oreste, il est Oreste. De la même manière, l'intrigue ne fait

pas seulement qu'évoquer les épisodes du mythe d'Oreste, mais

est constituée par les épisodes du mythe d'Oreste. Ainsi dans

cette pièce, le mythe structure l'intrigue et nomme les

personnages: seul le discours tenu par les personnages

diffère, proprement contemporain (plus précisément,

existentialiste) . Dans cette pièce, des éléments

contemporains sont ajoutés au récit mythologique, alors que

dans les romans qui nous occupent, un récit contemporain est

parsemé de rnythèmes gréco-latins. C'est pourquoi les mythèmes

y apparaissent toujours en surplus, comme le dédoublement des

éléments d'un récit «déjà là»: en minorité par rapport au

récit premier, difficiles à relier en un récit mythologique

complet, ils ne constituent pas le cadre du récit, mais

27

plutôt des additions. Bref, c'est à l'aide de ces remarques

préliminaires que nous aborderons les questions suivantes:

quels rapports le récit second entretient-il avec le récit

premier? Quels rôles ces rapports jouent-ils dans la

réception du texte par le lecteur? Enfin, nous tenterons de

déterminer si ces mythèmes qui dédoublent le récit premier

peuvent être considérés comme des mises en abyme.

Illustrée dans le chapitre précédent, la tentative de

reconstituer le récit mythologique d'origine à partir des

mythèmes rencontrés dans les romans étudiés souligne

l'importance des obstacles qui entravent l'établissement de

parallèles entre le récit du roman et les mythèmes, puisque

ceux-ci viennent, par leur multiplicité, complexifier les

schémas interprétatifs constitués par le lecteur durant son

processus de lecLure, notamment en attribuant à un personnage

du roman des caractéristiques l'associant à toute une

panoplie de figures mythologiques différentes et

contradictoires. Or, cette tendance à la démultiplication

n'influence pas seulement la reconstitution par le lecteur du

récit mythologique d'origine, mais entrave également sa

compréhension du roman par la complexification du récit

second qui entraîne, par contagion, la complexification du

récit premier. Ainsi nous permettrons-nous, dans les

prochains paragraphes, de revenir sur certains de ces

exemples.

28

Effets du «récit second» sur le schéma actantiel

de L'Emploi du temps

Dans L'Emploi du temps, on relève plusieurs cas de

complexification du récit premier par le récit second. Dans

ces cas, les mythèmes reprennent des éléments du récit

premier d'une manière éclatée (un même élément pouvant être

associé à plusieurs mythèmes différents à la fois), comme si

la mythologie était un miroir craquelé reflétant un récit

premier qui y apparaîtrait à la fois démultiplié et

déconstruit. De la sorte, un personnage peut tout d'abord

être associé (par le lecteur ou le narrateur) à un mythème

particulier, mais à mesure que la lecture progresse, d'autres

mythèmes interviennent et prennent le relais: ils excluent du

champ de perception du lecteur le mythème précédent pour le

transférer à l'arrière-plan, ou, 5' unissant à ce mythème

«précédent», renouvellent son aspect. En fait, ces mythèmes

associés à un élément du récit et qui se bousculent au gré de

la progression de la lecture, touchent, dans le roman de

Butor, l'ensemble des éléments et personnages principaux. Le

personnage de Revel, acteur pri.ncipal et narrateur du récit,

bénéficie de nombreuses comparaisons avec des éléments

mythologiques. Thésée, tout d'abord, lui est assimilé: c'est

ce que le lecteur conclut lorsque Revel, qui est épris d'Ann

29

et surtout de Rose, les compare à Ariane et à Phèdre, deux

amours de Thésée. Ce lien est plus tard explicité par le

narrateur qui écrit «j'étais moi-même Thésée35». La figure

d'Ulysse se profile également afin de caractériser Revel, ce

qui semble aller de soi, Revel étant lui aussi un voyageur

retenu loin de chez lui par ses obligations. Mais un indice

encore plus convaincant réside dans la comparaison que fait

le narrateur entre Bleston et Circée36• Nous avons vu comment

la responsabilité que Revel s'attribue concernant l'accident

de Burton, son père spiritue137, engage une série de liens

comparatifs entre le narrateur lui-même et ~pe, parricide.

Or ces liens sont renforcés par un passage du j ourna138 où

Revel, qui s'identifie à Thésée, élabore une série de liens

entre Thésée et Œdipe: les deux ont involontairement tué leur

père (l'un par l'ignorance de l'identité de sa victime et

l'autre par sa négligence, ayant omis de mettre les voiles

blanches à son retour, trop préoccupé par Phèdre, devenu

ainsi «traître et aveugle39»), tué des monstres et résolu des

énigmes.

35

31

39

39

Michel Butor, qp. cit., p. 227.

Ibid., p. 149.

Voir la note 14, chapitre I.

Michel Butor, qp. cit., p. 228-229 •

Notons que, justement, c'est en raison de sa volonté d'épater Roseque Revel a révélé le nom de l'auteur du Meurtre à Bleston.

30

Par contre, à un certain moment du roman, c'est plutôt

le personnage de Dionysus que le lecteur peut choisir pour

représenter la situation de Revel qui, ayant échoué à former

un couple avec Rose, songe à récupérer Ann qu'il a

abandonnée, comme Dionysus le fit pour Ariane à Naxos. Ne

pouvant plus incarner Thésée en raison de son échec amoureux

avec Rose, désormais fiancée à Lucien, Revel peut être

associé, par les déductions du lecteur, à Pirithoüs. Ainsi

peut-on souligner ici un phénomène répandu: lorsqu'un

personnage du roman cesse d'être associé à un mythème pour

l'être à un autre, ceux qui étaient présents dans le même

schéma a~tantiel que lui sont également susceptibles d'être

mutés à une autre position. Dans ce cas-ci, Revel, ami de

Lucien, conçoit cette relation d'amitié comme un duo

semblable à celui que formaient Thésée et Pirithoüs. Amoureux

de Rose (qu'il compare à Phèdre), il s'était identifié à

Thésée, laissant le rôle de Pirithoüs à Lucien, incapable de

prévoir ce qui allait éventuellement se produire, soit les

fiançailles de Lucien avec Rose, ce qui permet à Lucien

d'accéder au rôle de Thésée, provoquant ainsi le déclin de

Revel, désormais Pirithoüs.

Tout autant que sa vie amoureuse, le rôle de narrateur

de Revel fournit de nombreuses occasions de comparaisons avec

des personnages mythologiques. Revel écrit: «l'hiver que je

m'étais forcé d'arrimer par cette longue chaîne réticulée de

31

phrases, dont la forge m'avait épuisé et perdu, cette longue

chaîne de phrase inachevée4Q», ce qui évoque automatiquement

le fameux forgeron Héphaïstos. De plus, les passages où le

journal est comparé à un filet 41 et à une toile42 tissés

supposent soit une allusion à Pénélope, tissant éternellement

le linceul de Laërte, soit à Arachné, tissant la toile qui

lui attire la jalousie d'Athéna qui, aussitôt, transforme la

jeune fille en araignée prisonnière de ses œuvres.

Autre élément d'une importance cruciale dans le roman,

la ville de Bleston est d'abord comparée au labyrinthe en

raison de la difficulté que Revel éprouve pour s'y retrouver,

mais plus tard on lui assimile aussi Circée, les Enfers 43,

Charybde44, la Crête45

, Athènes, puis Thèbes 46• En ce qui

40

45

46

Michel Butor, Op. cit., p. 338.

Ibid., p. 351.

Ibid., p. 354.

«Je m'enfonçais de plus en plus sous la terreur léthéenne», Ibid.,p. 347.

«J'échappais ainsi un peu à l'enlisement de Bleston, qui m'auraitenglouti», Ibid., p. 145.

«Les jours enfin de plus en plus souvent presque bleus {mais qu'onest loin encore [ ... l de la Crète», Ibid., p. 148. Lescomparaisons sont nombreuses entre certains événements qui ontlieu à Bleston et ceux que l'on attribue à la Crète. De plus,Bleston est comparée au Labyrinthe, ce qui la met immédiatement enrapport avec l'lle grecque.

Ces deux dernières comparaisons doivent également être attribuéesaux comparaisons nombreuses faites entre les événements de Blestonet ceux d'Athènes (le règne de Thésée) et de Thèbes (le règned'Œdipe) •

• 32

concerne le journal de Revel, il entraîne pour sa part des

associations avec des mythèmes fort contradictoires. Nombreux

sont les liens entre sa rédaction et un parcours

labyrinthique: «j'inscrivais dans le coin supérieur droit le

numéro «1», l'entourais d'une enceinte pour le protéger du

désordre des phrases futures 47 .» Le livre est confusion

spatiale comparable à celle du Labyrinthe. Il constitue par

ailleurs un labyrinthe temporel de plus en plus complexe à

mesure que Revel se relit et écrit à propos de ses

relectures, tout en poursuivant son double récit du passé et

du présent. Par contre, quelques pages plus loin, le journal

est devenu fil d'Ariane:

Le cordon de phrases qui se love dans cette pile et quime relie directement à ce moment du 1er mai où j'aicommencé à le tresser, ce cordon de phrases est un fild'Ariane parce que je suis dans un labyrinthe, parce quej'écris pour m'y retrouver, toutes ces lignes étant lesmarques dont je jalonne les trajets déjà reconnus, lelabyrinthe de mes jours à Bleston, incomparablement plusdéroutant que le palais de Crète, puisqu'il augmente àmesure que je le parcoure, puisqu'il se déforme à mesureque je l' explore48

Cette minutieuse occupation, qui le distrait et lui voile la

réalité de l'intrigue amoureuse qui se tisse entre Lucien et

Rose, devient alors néfaste: à partir de cet instant, le mot

«aveuglement» s'impose et évoque le mythe d'Œdipe. Revel

écrit: «J'aurais voulu brûler mes yeux qui ne m'avaient servi

• 48

Michel Butor, qp. cit., p. 244-245 •

Ibid., p. 247.

33

qu' à me leurrer, ces yeux, ce texte, brûler toutes ces

pages 49...... » et comme Œdipe, il veut détruire ses yeux dès

qu'il a compris combien il était aveugle à la réalité, tout

en s'estimant clairvoyant.. Le journal leurre Revel par

l'exigeant travail de rédaction qu'il commande, mais aussi

par ses digressions mythologiques répétées où celui-ci se

représente tel Thésée, assuré par cette identité {dont il

s'est convaincu qu'elle est sienne} que Rose lui est octroyée

d'avanceso .. Ici le journal joue donc le même rôle que, dans

Œdipe Roi, la confiance d'Œdipe en ses propres capacités de

discernement (puisqu'il a vaincu le Sphinx) et sa conviction

d'être le fils du roi de Corinthe: il prodigue une certitude

trompeuse .. Enfin, les deux citations concernant le journal,

«que mon départ aura posé la maille finale de ce long filet

de phrases51» et «cette toile que je tisse52», l'assimilent au

linceul de Laërte que tisse Pénélope ainsi qu'à la toile

d'Arachné ..

Nous avons déjà expliqué que Revel avait relié

l'écrivain Burton au roi Laïos. Or, par déduction, le lecteur

Ibid., p. 334.

•50

51

52

s'il avait été moins assuré de cet état de choses, peut-êtreaurait-il été plus prudent â l'égard de Lucien et plus présentauprès de Rose.

Michel Butor, qp. cit., p. 351 .

Ibid., p. 354.

• 34

peut également associer Burton au personnage d'Égée, tué, lui

aussi, par la négligence de son fils Thésée auquel, nous

l'avons vu, Revel s'identifie aussi. Quant à James, il se

rattache à la fois à Dionysus, car il se fiance à Ann

délaissée, et à Œdipe, en raison de sa relation ambiguë

(selon le point de vue de Revel) avec sa mère. Autre

protagoniste importante dans cette histoire, Rose,

explicitement comparée à Phèdres3 , l'est également à

Perséphones4 • Enfin, nous avons déjà démontré comment Lucien

était passé du personnage de PirithoüsS5 à celui de Thésée.

En conséquence de ce foisonnement de mythèmes, les

personnages et le schéma actantiel s'avèrent difficiles à

définir et la compréhension du texte par le lecteur s'en

trouve influencée. Nombreux et reliés, les mythèmes régissent

les éléments du texte qui, multidimensionnels, deviennent,

pour le lecteur, presque impossibles à synthétiser sans

53

54

ss

«Les cheveux presque roux de ma Rose, de ma Crétoise, de ma petitePhèdre», Ibid., p. 151.

«Rose, ma Perséphone», Ibid., p. 274.

«que j'étais moi-même Thésée, qu'il était lui-même ce jeune princeque dans le quinzième panneau, la descente aux enfers, je guidaisdans la conquête de l'épouse de Pluton, de la reine de l'empiredes morts, Proserpine», Ibid., p. 227. Il est intéressant de noterque Revel distribue ainsi les rôles en ce mois de mai, selon ceque la réalité lui laisse voir. S'ensuit la description de cetenlèvement dans les enfers, sauf que le nom de Proserpine estremplacé par «cette Phèdre, cette Rose». Revel confond donc lesdeux épisodes. Comme l'épisode de l'enlèvement de Proserpine etcelui de Phèdre sont confondus, les héros Thésée et Pirithoüs lesont aussi, ce qui semble un présage pour ce qu'il adviendra deRevel (comme Pirithoüs, enchalné sur la chaise de l'oubli, Revelsera oublié).

35

rejeter quelques-uns des aspects simultanés ou successifs

qu'ils prennent au cours de sa lecture. Il serait pourtant

important de pouvoir le faire: Revel (par exemple), à la fin

du livre, ne doit pas être uniquement associé à Arachné, la

dernière allusion mythologique le concernant, car son

identité intègre toujours les autres mythèmes auxquels il a

été rattaché, représentatifs de la complexité de sa

personnalité, de son aventure, et faisant en sorte que le

roman de Butor ne puisse être réduit à n'être que aventure

d'un homme qui tisse la toile de son malheur ...

Ceci étant dit, le rôle des mythèmes, loin d'être un fil

d'Ariane aidant à comprendre le récit et à en faire la

synthèse, réside plutôt dans une complexification destinée à

remettre en question les efforts de compréhension du lecteur,

rôle résumé par l'incipit du roman: «Les lueurs se sont

multipliées56». Ces lueurs, dont la compréhension du texte est

tributaire et qui auraient dû souligner en les éclairant

certains éléments du récit, sont tellement multiples que l'on

s' y perd. Dans L'Emploi du temps, le narrateur essaie de

mettre de l'ordre dans sa vie, mais plus il tente de la

comprendre, plus les hypothèses se démultiplient et rendent

le réci t chaotique. Ici, le mythe intervient et si, en

apparence, il semble contribuer à ordonner l'expérience de

• S6 Ibid . . , p. 9.

36

Revel, il s'emploie en vérité à déconstruire et morceler la

réalité en divers points de vue et aspects. Or, bien qu'une

véritable complexification ait lieu, il reste qu'elle ne

constitue pas une nuisance, mais qu'elle participe plutôt à

une lecture plus ardue, certes, mais aussi plus aiguë et

révélatrice.

Récit second et schéma actantiel dans Les Gommes

Un phénomène semblable se produit dans Les Gommes: les

mythèmes fournissent au récit premier un miroir déformant,

surtout au niveau du schéma actantiel. En associant les

personnages du récit à ceux du mythe d'Œdipe, le lecteur crée

un réseau complexe d'associations où les rôles du schéma

actantiel d'Œdipe roi sont confondus: l'ivrogne est à la fois

Sphinx (il pose des énigmes57 ) et Tirésias (il «révèle» son

identité d'«enfant trouvé» à Wallas59 ). Les meurtriers sont

nombreux: Garinati, André VS, Wallas et Dupont59• De plus,

57

58

5'

«j'ai une devinette pour vous [ ... l. Personne la connait. [ ... lQuel est l'animal qui, le matin •.• ». Alain Robbe-Grillet, qp.cit., p.17.

«On mot qui ressemble à enfant trouvé y revient à plusieursreprises». Ibid., p. 119 .

Ce dernier peut être considéré comme un meurtrier en ce sens qu'ilse suicide - en quelque sorte - en tenant à prendre lui-même sespapiers, trop assuré de sa süreté.

• 37

tous ces meurtriers ont tué (ou tenté de tuer) un Dupont. On

remarque plusieurs figures paternelles puissantes et

imposantes, dont Bona, Fabius60 et Dupont. On retrouve aussi

plusieurs fils: spirituels (Wallas, fils spirituel de Fabius

qu'il admire, et Garinati, fils spirituel de son patron Bona)

et «naturels» (Wallas, de père inconnu, et le fils illégitime

de Dupont). Les enquêteurs prolifèrent: le patron, le

commissaire, Wallas, le jeune enquêteur et Dupont (qui ne

cache pas lui-même une certaine curiosité). De nombreux

se tromper sur le nom de la victime (Antoine), les motifs du

émettent de fausses conjectures sur le crime, allant jusqu'à

meurtrier (Laurent) et les responsables du crime (le jeune•aveugles au sens figuré - parsèment le roman, car tous

enquêteur) 61. Dans cet ordre d'idées, il est certes

intéressant de noter que la difficulté qu'éprouve Wallas à se

rappeler son enfance ainsi que son obsession pour les gommes

peuvent être interprétées comme un aveuglement volontaire, un

besoin d'effacer certains éléments de son existence.

Les rôles éclatent donc, partagés entre plusieurs

personnages, un peu comme dans L'Emploi du temps où l'on

•60

61

Fabius obsède tellement Hallas que ce dernier, à chaque hésitationqu'il éprouve sur son comportement, s'imagine ce que Fabius feraità sa place. Alain Robbe-Grillet, qp. cit., pp. 60 et 108-109.

~ipe roi contient un personnage aveugle au sens propre, maisclairvoyant au sens figuré (Tirésias) et un aveugle au sens figuréqui le devient au sens propre dès qu'il commence à «voir clair» età comprendre sa situation.

38

retrouve plusieurs Thésée. Le mythe qui, finalement,

n'explique rien (à part peut-être avec quelle énergie le

détective, par son acharnement à trouver le meurtrier,

devient le tueur), fait partie de tout un processus de

déconstruction du récit et n'offre apparemment aucune prise

pour une meilleure compréhension du roman.

Le cas de La Bataille de Pharsale: une exception

L'exemple de La Bataille de Pharsale s'avère particulier

puisque contrairement aux deux romans précédemment étudiés,

les mythèmes que le lecteur y retrouve, loin de complexifier

le récit premier, semblent plutôt le simplifier à l'extrême.

Par exemple, lorsque l'un des personnages du roman se voit

associé à un personnage mythique, c'est inévitablement à

l'aspect le plus archétypal de ce dernier et ce lien

comparatif fait de lui une figure unidimensionnelle à

identité minimale. Réduit à n'être que caricatures ou dessins

à gros traits, sans subtilité ni profondeur aucunes, les

personnages prennent ainsi un aspect universel par leur

manque de définition. Par exemple, un fêtard ainsi que les

femmes qui l'accompagnent sont associés à Dionysus et à ses

bachanales; par conséquent, ces personnages apparaissent au

39

lecteur comme pur délire, sans passé, ni avenir, ni

caractéristiques propres. Il en de même pour la description

d'un couple d'amants surpris où un filet est évoqué,

rappelant l'aventure d'Arès et Aphrodite lesquels Héphaïstos,

cocu, avait capturés en flagrant délit dans un filet de métal

de sa conception. Ce mince épisode mythologique étant évoqué,

le lecteur peut désormais associer le couple aux figures

d'Arès et Aphrodite et le cocu qui les écoute derrière la

porte à Héphaïstos. Mais ces comparaisons ne mettent en

relief qu'un aspect mineur de ces divinités, soit le triangle

amoureux, et aucune autre de leurs caractéristiques n'est

actualisée. Ainsi, contrairement à L'Emploi du temps et Les

Gommes, La Bataille de Pharsale ne multiplie pas les

comparaisons avec de nombreux mythèmes, mais offre plutôt des

comparaisons limitées à des éléments de mythologie fort

minimaux62•

Une Question d'éguilibre

Du reste, puisque, dans La Bataille de Pharsale, les

doit-on abandonner la perspective d'une explication globale

mythèmes ne produisent pas de phénomène de complexification,

• 62 Ainsi en est-il du boxeur associé à Hercule, n'actualisant quel'aspect «force physique» des deux personnages.

40

du rôle des mythèmes dans la compréhension du roman? Pas

nécessairement, car que le récit second soit trop complexe ou

trop simple en comparaison avec le récit premier, il reste

qu'il Y a dichotomie et déséquilibre entre ces deux récits.

Les mythèmes, qui ne semblent aptes qu'à proposer l'un ou

l'autre des deux extrêmes, soit démultiplier jusqu'au

parasitage complet des informations ou simplifier le récit

jusqu'à une quasi insignifiance, jouent en fait un rôle bien

plus intéressant. Les deux cas où le récit second complique

la réception du récit premier (Les Gommes et L'Emploi du

temps) présentent un récit premier relativement simple. En

effet, dans L'Emploi du temps comme dans Les Gommes,

l'intrigue présente peu d'événements et de personnages63• Par

contre, dans La Bataille de Pharsale, les intrigues que met

en scène le récit premier sont particulièrement difficiles à

reconstituer tant la narration est peu conventionnelle:

rarement chronologique sans toutefois s'avérer

véritablement chaotique - elle mène de front plusieurs récits

dont les segments sont entremêlés au gré d'associations

(assez masquées d'ailleurs) d'idées, de thèmes ou de sémèmes.

Ainsi, il est plausible de croire que la simplicité du récit

second vient parer à la confusion causée chez le lecteur par

• 63 Ce qui ne signifie pas que ces récits premiers sont simplistes,car il reste que leur minutieuse narration â la temporalitécomplexe vient déjà compliquer la lecture.

41

le récit premier.

Cet effet d'équilibre, mis en place par le texte pour-

réajuster le niveau de compréhension du lecteur, rappelle une

théorie émise par Lucien Dallenbach sur la mise en abyme

comme remplissant les fonctions suivantes:

Structure autonyme par excellence puisqu'elle se définitd'entrée comme un équivalent du récit, la mise en abymeconstitue le signal textuel et l'organe de lisibilité leplus puissant qui soit dans la mesure où elle s'avèretout à la fois capable de repraqmatiser le texte parartifice, d'en suturer directement ou indirectement lespoints de fuite, d'en offrir un condensé qui permet d'enprendre une vue cavalière, et d'en accroîtrel'intelligibilité par redondance et métalangageintégré64

Cette «fonction compensatrice et réparatrice65» peut autant

servir à combler les trous d'un récit complexe qu'au forage

de trous dans le cas d'un texte qui n'en comporterait pas

assez: «Pour être lu avec plaisir, tout porte donc à croire

qu'un texte ne doit franchir ni le seuil de tolérance de

l'illisibilité, ni celui de la lisibilité66 .» Ainsi,

«le récit se réfléchissant», s'il est à même de sedésambiguïser par cette autoréflexion, a aussi pouvoirde s'en servir à des fins de forage plutôt que deremplissage de trous et, par ce creusement, deproblématiser sa lecture rendue active en vertu, et nonen dépi t de la mise en abyme 67

64 Lucien Dallenbach, «Réflexivité et lecture», dans Revue desSciences humaines, 49: 177, 1980, pp. 23-37, p. 30.

65 Ibid. , p. 31.

• 66 Ibid. , p. 35.

67 Ibid. , p. 35.

42

Par conséquent,

La leçon de la fable est que seul se prête à la lectureun texte ajouré et que la mise en abyme [ ..• l est cetoutil ambigu qui permet aussi bien de combler les<<blancs» quand ils abondent, de les creuser quand ils seraréfient, ou de les creuser en les comblant [ ... l envue de lui assurer, quant à sa lecture, une manièred' autoréglage68 •

Dallenbach est également l'auteur d'un livre sur les romans

de Michel Butor32 où, à propos de L'Emploi du temps, il écrit

que les tableaux racontant l'histoire de Thésée

ne sauraient être considérées comme mises en abyme. Bienqu'ils constituent eux aussi des miroirs du livre, cesont des miroirs tournés vers l'extérieur, qui neproduisent dans l 'œuvre ni réduplication interne, niapparition d'un «ailleurs» qui serait le propre durécit69

Cet argument, effectivement pertinent en ce qui concerne le

mythe de Thésée comme mise en abyme des aventures de Reve170

et celui d'Œdipe comme modèle de l'enquête que mène Wallas71,

puisqu'ils sont sans réelle correspondance avec la réalité

des personnages, ne s'applique pas lorsqu'il s'agit du récit

second dans sa totali té. Dans ces deux romans, le récit

second, par la variété de ses mythèmes, révèle effectivement

158

69

70

71

Ibid., p. 37.

Lucien Oallenbach, Le livre et ses miroirs dans l'œuvre romanesquede M1chel Butor, Lettres Modernes, 1972, 119 p., pp. 69-70.

Car ce choix ne sert qu'à leurrer le narrateur et le lecteur quicroient ainsi pouvoir prévoir les suites de l'intrigue alors qu'iln'en est rien •

Car il est également trompeur pour le lecteur de tirer ce genre deconclusion.

43

en la reflétant la complexité des schémas tant événementiels

qu' actantiels. Quant à La Bataille de Pharsale, c'est le

contraire qui se produit: le récit second agit comme une mise

en abyme en bouchant quelques trous dans le récit premier.

Malgré cet équilibre apporté par les mises en abyme, il faut

avouer qu'il n'existe pas vraiment de niveau

d'indétermination idéal commun à tous les styles littéraires.

Or, dans le Nouveau Roman, ce niveau d'indétermination

demeure élevé, par l'effet des mises en abyme, comme dans les

romans de Butor et de Robbe-Grillet, ou par une présence trop

rare des mises en abyme simplificatrices, comme chez Claude

Simon.

Il est donc vrai que la compréhension du texte par le

lecteur se trouve entravée: aussi, le lecteur a du mal à

reconstituer l'intrigue, mais ce mal qu'il se donne est, dans

le Nouveau Roman, justement un aspect constitutif de la

réception. Le lecteur doit accepter, comprendre et apprécier

cette difficulté qu'il éprouve à comprendre le texte

puisqu'en réalité, elle fait partie d'une compréhension

correcte. Bref, le lecteur - même confus - du Nouveau Roman,

ne «rate» rien puisque sa confusion est non seulement prévue,

mais nécessaire de surcroît. Que ce soit de la part du

lecteur ou des personnages, la prise de conscience de la

complexité d'une réalité que l'on croit pourtant simple est

44

l'un des sujets (et objectifs) de prédilection dans le

Nouveau Roman. En ce sens, les mythêmes participent à une

déconstruction72 du récit premier par le récit second, mais

incidemment ici, il le fait pour le bien du lecteur .

Nous constatons combien La Bataille de Pharsale, dans le présentchapitre, offre un exemple marqinal puisque contrairement aux deuxautres romans, les mythèmes y sont utilisés pour simplifierl'intrique. Cependant, ce roman est tout de même concerné parnotre conclusion sur la nécessaire difficulté de la compréhensiondans le Nouveau Roman. Or, dans le cas qui nous occupe, ce ne sontpas les mythèmes qui font prendre conscience de cette difficulté(au contraire, malgré leur nombre limité, leur variété et lemanque de liens entre eux, ils minimisent, par leur effetcaricatural la confusion), mais plutôt le récit premier. Le rôledes mythèmes est donc différent, mais le principe de réception estsimilaire.

CHAPITRE III: ÉCLATEMENT DE CONCEPTS CLASSIQUES

Bien que d'une importance considérable, les innovations

formelles dont fait preuve le Nouveau Roman n'occupent plus

aussi exclusivement la critique littéraire qu'elles ne l'ont

fait durant les années soixante-dix. C'est durant les années

quatre-vingts que les critiques se sont peu à peu intéressés

aux référents des Nouveaux Romans. Dans ce chapitre, nous

traiterons des concepts et reconceptualisations en jeu dans

les trois Nouveaux Romans étudiés. À l'instar de son intérêt

pour les structures complexes et sa méfiance envers les

interprétations univoques, le Nouveau Roman entretient une

prédilection pour l'éclatement de certains concepts qui lui

servent de référents, tels que le temps, l'espace,

l'identité individuelle et le sacré. Directement ou

indirectement inspirés par la philosophie contemporaine qui

découle des maîtres du soupçon, les Nouveaux Romanciers

révèlent, par l'entremise des mythèmes, une vision du monde

particulière, dominée par la défiance à l'égard de la

perception traditionnelle de ces concepts. Que l'on puisse

retrouver dans le Nouveau Roman des redéfinitions du temps,

de l'espace, de l'identité et du sacré ne constitue pas une

véritable innovation, mais il reste que le Nouveau Roman est

46

le premier courant littéraire français qui procède à une

déconstruction systématique de ces notions, d'où

l'incompréhension du lecteur à son égard. Avec cette

technique, le Nouveau Roman réussit encore à se situer aux

limites de la compréhension du lecteur qui se familiarise

mal avec la redéfinition de ce qu'il prend depuis longtemps

pour acquis, c'est-à-dire les notions de temps, d'espace,

d'identité et de sacré. Ces positions philosophiques

adoptées par le Nouveau Roman auront un impact décisif sur

la réception du texte par le lecteur .

Remaniement des limites temporelles

c'est ainsi que par l'intermédiaire des mythèmes,

certains concepts, que l'on distingue normalement les uns

des autres, se confondent en un paradoxe et se trouvent, par

le fait même, transformés: les limites entre eux deviennent

floues. C'est le cas du passé et du présent, deux temps que,

en raison des mythèmes, l'on distingue mal dans les Nouveaux

Romans étudiés. La présence même des mythèmes introduit,

comme en écho, le passé dans le présent. De plus, dans

L'Emploi du temps conune dans Les Gommes, le mythème du

labyrinthe bouleverse aussi bien l'espace que le temps .

• 47

c'est en observant la représentation du mythe de Thésée au

«Bleston Museum of Fine Arts» que Revel comprend la

complexité du temps: il tarde à découvrir que les panneaux

représentent des actions successives et non pas

s imultanées13 • Son journal lui-même fait figure de

labyrinthe, un peu comme le roman policier qui

superpose deux serles temporelles: les jours del'enquête qui commencent au crime, et les j ours dudrame qui mènent à lui, ce qui est tout à fait naturelpuisque, dans la réalité, ce travail de l'esprit tournévers le passé s'accomplit dans le temps pendant qued'autres événements s'accumulent74

De la même manière, l'avènement des faits ainsi que leur

transcription constituent les deux séries temporelles que

contient le journal de Revel. Toutefois, lorsque ce dernier

relit son journal et y rapporte ses commentaires concernant

sa relecture, on voit apparaître une troisième série

temporelle, ce qui occasionne un profond désordre auquel le

narrateur tente de parer en créant une prolifération de

repères textuels, fils d'Ariane qui se démultiplient et

complexifient le labyrinthe plus qu'ils ne le simplifient.

Certaines phrases sont uniquement destinées à nous situer

dans le temps:

• 73

74

c'était la seule [maison] alors qui me fût ouverte danstoute la ville; je déjeunais presque tous les jours desemaine avec Ann, au Sword, mais je n'avais pas encore

Michel Butor, qp. cit., p. 87

Ibid., p. 225.

48

rencontré Rose, et je n'étais jamais allé chez elles75

D'autres extraits reviennent constamment, comme pour

confirmer un état de choses: «la Morris noire de chez

Matthews and Sons, dont la garde lui est confiée à cause du

garage libre qu'il a dans son immense maison [ .•• ]76». Revel

répète plusieurs fois ces informations précises à propos de

la Morris noire, comme s'il voulait se donner des repères

fixes dans un récit qu'il ne contrôle plus. De plus, le

récit perd sa rigueur temporelle à mesure qu'il progresse:

parfois, en l'espace d'une seule page, trois mois différents

sont traités, de sorte que le livre devient un véritable

labyrinthe temporel. Ainsi, le labyrinthe, présent dans le

texte en tant que mythème, contribue, par la configuration

complexe qu'il évoque, à influencer la perception du texte

par le lecteur de manière à ce qu'il soit plus attentif aux

brouillages dont le temps est victime, c'est-à-dire à la

confusion entre le présent et les divers niveaux de passé,

au refus, dans ce roman, du temps linéaire.

Dans Les Gommes, les temps se superposent en raison de

la forte présence des mythèmes: l'ombre de Thèbes plane sur

la ville, ou inversement, comme le démontrent les deux

différentes descriptions de la vitrine de la papeterie

• 75

7'

Ibid., p. 218 •

Ibid., p. 175.

49

Victor-Hugo. En effet, on y voit tout d'abord un mannequin

représentant un homme contemporain qui utilise la propriété

de Dupont comme modèle pour peindre les ruines de Thèbes 77•

Plus tard, on rencontre une autre description de cette même

vitrine (cette fois, la description est transmise par

l'intermédiaire de la mémoire de Wallas) où un homme se

tenant parmi les ruines de Thèbes peint la propriété de

Dupont 78• À l'instar de L'Emploi du temps, le mythème du

labyrinthe gère la conception du temps dans Les Gommes mais,

cette fois, la forme qu'il lui confère, bien plus qu'à une

multiplicité d'issues et de culs-de-sac, ressemble plutôt à

un cercle (à l'image du boulevard Circulaire) dans lequel on

se perd. Tout ceci explique pourquoi la balle tirée par

Garinati se perd, alors que 24 heures plus tard, une autre

balle, tirée par Wallas, atteint la cible visée au départ.

Ces deux moments du tir, à la fois différents et semblables,

donnent l'impression que l'intervalle de temps contenue

entre eux ne constitue, finalement, qu'un détour. De la même

manière, passé et présent se rejoignent dans l'activité du

peintre représenté dans la vitrine de la papeterie et

l' Histoire fait figure, elle aussi, de détour. Le temps

linéaire est ici encore écarté au profit du temps

• 71

Alain Robbe-Grillet, qp. cit., p. 131 •

Ibid., p. 178.

50

circulaire.

Dans La Bataille de Pharsale, le passé et le présent se

confondent avec encore plus de violence: aussi, plusieurs

récits sont menés de front et s'entremêlent allégrement. Or,

ces récits se situent à des époques diverses (temps de

guerre, temps de paix, enfance, âge adulte, etc.) à un point

tel que le lecteur ne peut plus situer chronologiquement ou

historiquement les segments narratifs qu'il lit, de sorte

qu'il se retrouve sans repères temporels. En ce sens, les

mythes constituent de véritables éléments subversifs au sein

de la narration: omniprésents dans la vie quotidienne des

personnages, ces incursions d'un passé lointain dans le

présent ou le passé récent viennent mettre de la confusion

dans les divers concepts rattachés à la temporalité. «On

perçoit donc le passé en filigrane de chaque événement

présent qui devient répétition d'un archétype fabuleux79 .»

Comme le souligne Genin, ces répercussions des mythèmes

dénotent un rejet de l'histoire en ce sens que les récits à

teneur historique chez Claude Simon, souvent riches en

références à la mythologie, suscite une impression de

Jean-Claude Vareille, «À propos de Claude Simon: langage ducosmos, cosmos du langage» dans Fragments d'un imaginairecontemporain (Pinget, Robbe-Grillet, Simon), José Corti, 1989, 142p., pp. 77-111, p. 91.

51

récurrence et d'éternel retour80•

Éclatement du concept d'espace

L'éclatement du concept d'espace se traduit dans Les

Gommes d'une manière similaire à celui du temps: des lieux

différents se superposent de sorte que la ville où Wallas

enquête semble hybride. En effet, le détective y croise une

rue nommée «Corinthe», quelques colonnes qui évoquent la

Grèce antique dans la maison de Dupont, ainsi que le

labyrinthe que forme le boulevard Circulaire qui évoque la

Crète. La ville inconnue où se déroule l'action permet

d'autant mieux cette cohabitation spatiale qu'elle n'a pas

elle-même d'identité ferme: elle peut se plier à tous les

parallèles et ainsi permettre aux mythèmes d'unir

paradoxalement l'ici et l'ailleurs. Les mythèmes font

vaciller les repères spatiaux du lecteur à un tel point

qu'il ne sait plus trop s'il doit lire le roman comme si

l'intrigue prenait place dans une ville de la France

contemporaine ou dans la Grèce d'Œdipe, et ce, jusqu'à ce

qu'il se résigne à lire comme si Wallas dépendait des deux

•ID Voir Christine Genin, Lre~érience du lecteur dans les romans de

Claude Simon : lecture studieuse et lecture poignante, Paris, H.Champion, 1997, pp. 262-65, 433 p.

• mondes à la fois,

52

se trouvant dans une sorte d'univers

intermédiaire ou paradoxal où deux réalités distinctes se

rencontrent.

C'est également le sentiment que le lecteur peut avoir

dans L'Emploi du temps lorsqu'il lit les nombreuses

comparaisons que Revel ébauche entre certaines cités

grecques et la ville de Bleston. Il en va de même lorsqu'il

constate la complexité de la topographie de Bleston, qui

rappelle quelque peu le labyrinthe crétois. Par ailleurs, le

Bleston Museum of Fine Arts représente l'endroit par

excellence où tous les lieux se confondent: la Grèce antique

est représentée sur les tapisseries car on y retrouve les

aventures de Thésée. Par contre, le décor choisi par

l'artiste français rappelle plutôt l' Ile-de-France au XVIIIe

siècle81• Enfin, ces œuvres se retrouvent en plein musée

anglais, lui-même décoré de frises qui rappellent quelque

peu l'Antiquité. Le labyrinthe complexifie l'espace: «ici»

et «là-bas» se confondent, pour l'étranger qu'est Revel

(comme pour Wallas), en un même «ailleurs».

L'autre sortilège de Bleston, est celui de la villetentaculaire: on a beau marcher droit devant soi, ainsique Descartes le conseillait au voyageur égaré dans laforêt, on ne sort jamais de la Cité82

• u

Cet exemple fait aussi référence aux superpositions temporelles.Michel Butor, qp. cit., p. 89

Mireille Calle-Gruber, La ville dans L'Emploi du temps de ~chel

Butor, Paris, Nizet, 1995, p. 61, 124 p.

53

Ainsi, Revel évolue sans jamais aller nulle part.

C'est d'une manière à la fois semblable, mais plus

radicale que, dans La Bataille de Pharsale, les mythèmes

causent un grand dépaysement chez le lecteur en évoquant

partout le monde de la Grèce antique. Un passage en ce sens

est particulièrement significatif:

cortège une fois comme ça une soirée de juin traversantavec superbe entre les voitures sur le boulevardburlesque [ ... l ils reprenaient en choeur les refrainshurlant merde bite trou du cul d'un air pénétréconvaincu l'un d'eux [ ... ] gigantesque barbu rouIantdes yeux terribles soulevant son péplum par-devant avecquelque chose d'énorme pointé comme un manche à balaisous le nez des femmes poussant des cris rianteffarouchées83 •

Dans cet extrait se manifeste le même excès qui préside aux

légendaires bacchanales: on y retrouve même un phallus

disproportionné, attribut habituel du dieu Priape (qui

figure dans le cortège de Dionysus84 ). L'«air pénétré

convaincu» qu'arborent les participants du cortège annonce,

de pair avec le terme même de «cortège», une solennité qui

confère à la fête l'aspect d'un rituel sacré. Le lecteur a

par conséquent l'impression que cette scène, qui semble

directement issue de l'Antiquité grecque, a été

«transplantée» dans une ville moderne (car il y a des

automobiles qui circulent) et il se trouvé dépaysé. Mais

•Il Claude Simon, qp. cit., p. 62

Pierre Grimal, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine,Paris, P.O.F., 1951, p. 394.

54

voilà que la scène prend un tout autre aspect:

Ils firent cercle l'un d'eux s'agenouilla au milieu dela chaussée mouillée ( .•. ] le barbu l'avait sorti desous ses jupes c' était plus grand qu'un machin decheval [ ... ] s'en servant comme d'un sceptre ou d'uneépée frappant l'agenouillé [ ... ] in nomine patri etfilii ( ... ] te sacre chevalier taste con [ ..• ] lesfilles retroussaient leur traîne à la grecque souilléesde boue brunâtre par défi ou inconsciemment une montramême ses fesses [ ... ] 85

Juste avant de se retransformer en bacchanale, le cortège

est devenu adoubement, faisant ainsi référence à une

cérémonie du Moyen Âge occidental. Le lecteur subit donc un

deuxième dépaysement. Mais voici que le paragraphe se

termine sur ces mots:

je suis descendu boire un pot ou j'attends chez Mimile[ ••• ] 86

qui font comprendre que toute l'action se déroulait en

France8i•

Une fusion: l'espace-temps

Ainsi donc, les notions d'espace et de temps éclatent

15

n

Claude Simon, qp. cit., pp. 62-63.

Ibid., p. 63.

C'est fort probablement le cas étant donné le surnom «Mimile». Deplus, les paroles énoncées par les personnages dans cet extraitsont rapportées en français, ce qui constitue un indice valablepour situer la scène compte tenu du fait que, dans ce roman, lesparoles dites en langues étrangères sont méticuleusementrapportées comme telles et non traduites.

55

dans La Bataille de Pharsale. On pourrait même dire qu'ils

sont parfois fusionnés:

( ... ] 0 glissant de droite R à gauche l en clignotanto s'enfuyant avec N une inexorable régularité O-R-I-O-Nséparées par les intervalles mouvants de temps etd'espace88

Ce passage s'insère dans la description de ce que peut voir

un voyageur par la fenêtre d'un train qui défile: des

lettres à une distance d'environ une centaine de mètres les

unes des autres, qui bornent la route, se confondent avec le

paysage et y inscrivent «Orion aveugle89». Tout se passe

comme si temps et espace s'unissaient en une même chose: la

vitesse, le mouvement. Cette confusion du temps et de

l'espace se retrouve également dans Les Gommes et L'Emploi

du temps: dans l'un et l'autre de ces romans, le mythème du

labyrinthe explique à la fois la configuration de l'espace

et celle du temps (circulaires dans Les Gommes90 et réseau

complexe de voies dans L'Emploi du te~s).

..u

'0

Claude Simon, qp. cit., p. 164 .

Géant rendu aveugle en raison d'un sort jeté par Œnopion, Oriondut marcher vers le soleil levant pour recouvrer la vue. Pour leguider, il reçut l'aide d'un jeune enfant qu'il mit sur sesépaules (Pierre Grimal, qp. cit., p. 331). Ainsi c'est encore unmythème qui se trouve mêlé à l'éclatement des concepts .

«Le «boulevard Circulaire» est l'image du temps dans Les GOmmes.Il s'agit, ici, d'un renversement absolu de l'ordre littéraireclassique des choses.» (Olga BernaI, qp. cit., p. 50.)

56

Une confusion utile

Les Nouveaux Romans effectuent donc une remise en

question de ces concepts, confondant le lecteur qui cherche

pourtant attentivement à savoir si la narration traite du

passé ou du présent et si, par exemple, l'action se situe en

France ou en Grèce. Un survol rapide du contenu de n'importe

quel petit ouvrage de niveau pré-universitaire sur une

oeuvre littéraire suffit pour faire comprendre à quel point

la situation spatio-temporelle de l'action constitue l'un

des points majeurs sur lesquels le lecteur s'appuie afin de

comprendre un roman. Qu'il ne puisse obtenir des

informations fiables lui permettant de reconstruire une

intrigue cohérente et se raccrocher à une époque ou à un

lieu précis comme à une certitude immuable peut lui paraître

agaçant, mais il devra peu à peu se résigner à accepter

cette difficulté. Cette déconstruction et ce dépaysement du

lecteur font, après tout, partie des l'enjeux principaux du

Nouveau Roman. Ensuite et seulement ensuite, il pourra

apprécier sa lecture .

57

Remise en ~uestiQn de l'identité individuelle

Fréquenunent au cours du vingtième siècle, on a vu

vaciller le statut du personnage: de Jarry à Camus, en

passant par Ionesco et Beckett, le personnage littéraire est

devenu de plus en plus mince, sa part d'identité ne relevant

plus que de la caricature et son prénom étant souvent d'un

commun confondant. Si le Nouveau Roman ne fait pas exception

à cette tendance, il use toutefois dans sa réalisation de

techniques qui lui sont spécifiques. Il assigne une valeur

archétypale à ses personnages par l'entremise de mythèmes

qui représentent des situations universelles et

intemporelles, de manière à étouffer chaque personnage dans

une action unique qui le dépasse et qui, loin de le

distinguer du reste de l ' humanité, l' Y noie. Que ce soit

«les trois Espagnols bavards compagnons d'Ulysse conunis

voyageurs ou quoi?» dont la seule caractéristique relevée

est justement le fait d'être voyageurs; l'ivrogne dans Les

Gommes qui pose sans cesse des énigmes, rappelant ainsi le

Sphinx; ou Ann, dans L'Emploi du temps, qui, comme Ariane,

joue le rôle de la femme abandonnée, plusieurs personnages

jouissent d'une personnalité très peu étoffée.

Les procédés destinés à illustrer cette remise en

question de l'identité des personnages sont particulièrement

58

surprenants dans La Bataille de Pharsale. Encore moins

qu'archétypaux, les personnages sont unidimensionnels: ils

se trouvent parfois véritablement réduits à un seul de leurs

gestes, un unique attribut. L'exemple, fort révélateur, du

couple adultère illustre bien nos propos. «(E]nfermés tels

quels immobilisés dans un filet de métal chiens collés

penauds 91», à l'image d'Aphrodite et Arès, capturés dans les

filets d' Héphaïstos, la raison d'être de cet homme et de

cette femme se résume dans la seule caractéristique d'être

adultère. Ils sont d'ailleurs si confinés à cette unique

identité que la narratian les y «fige»: elle passe de la

description de ce couple de corps vivants à celle d'une

peinture représentant une situation similaire à la leur, et

ce, sans crier gare:

Une grêle de coups résonne contre la porte. Sur lesdeux corps nus et figés la sueur commence à serefroidir, les glaçant. Une teinte d'un brun verdâtre,passée au lavis, ombre le ventre, la poitrine et ledessous des cuisses de l' homme. Sur ses fesses, sondos, ses épaules, le peintre a posé d'épaisses touchesde gouache blanche [ ... ]~.

On passe ainsi d'une scène (le couple surpris par le mari

jaloux qui cogne à la porte) à une autre (un peintre peint

les corps enlacés de deux amants) comme si les personnages

•u

tZ

Claude S~on, qp. cit., p. 24.

Ibid., pp.24, 216, 226. On rencontre aussi ce phénomène durantcertaines descriptions de batailles qui passent souvent d'un récitde querrier en mouvement à un commentaire sur une oeuvre picturaleillustrant une querre, et vice versa.

59

étaient véritablement «fixés» dans leurs actes et devenaient

un tableau.

L'identité individuelle est chose tellement éludée dans

le roman de Claude Simon que le lecteur confond les

personnages: ceux-ci n'étant pas nommés la plupart du temps,

le lecteur tente de se raccrocher le plus possible à

d'autres indices. Or, un indice tel que la rousseur, trait

habituellement distinctif, est invalidé par le fait que la

plupart des personnages de La Bataille de Pharsale le

possède. Dès qu'il y est question de pilosité, la couleur

est presque inévitablement le roux. Cet éclatement de

l'identité se fait d'une toute autre manière chez Robbe­

Grillet et Butor: leurs personnages sont effectivement

associés à des archétypes issus de la mythologie grecque,

mais, comme nous l'avons vu dans les chapitres précédents,

les différents archétypes sont souvent tellement nombreux à

se rattacher à un même personnage (Revel est à la fois

Thésée, Œdipe et Pirithous tandis que Wallas est à la fois

Œdipe et Thésée) qu'il en résulte plutôt une mosaïque de

types.

Encore là, le lecteur est confus puisque le personnage

est un élément important (surtout en ce qui concerne le

genre romanesque) sur lequel il s'appuie habituellement:

aussi découvre-t-on que, souvent, le résumé d'un roman

60

coïncide parfaitement avec l'énumération des événements

auxquels le personnage principal prend part. Pourtant, dans

le Nouveau Roman, le personnage possède le même statut que

tout autre élément du récit93 , comme une machine agricole,

une gomme à effacer ou une bague dont le chaton referme une

mouche.

Brouillages entre les concepts de profane et de sacré

Enfin, dans le Nouveau Roman, on retrouve, grâce aux

mythèmes, l'union paradoxale du profane et du sacré. Les

techniques déployées par les trois auteurs étudiés visent à

ridiculiser des éléments généralement considérés sacrés par

l'entremise de formes d'humour variées, ou encore à octroyer

une valeur sacrée à certains éléments profanes94 •

Évidemment, un personnage de roman n'est jamais qu'uneconstruction textuelle: il en va ainsi pour tous les romans. Laparticularité du Nouveau Roman est d'obliger le lecteur àreconna1tre que tout n'est que texte et l'empêcher de s'adonner àl'illusion référentielle. Il plonge ainsi le lecteur dans uneprise de conscience qui peut, pour certains, s'avérer passablementviolente.

Pour faire ces distinctions, nous nous référons à l'ouvrage deMircea Eliade s'intitulant Le sacré et le profane {Paris,Gallimard, (coll. «Idées»), 1965, 181 p.). Alors qu'au sacré serattache la «crainte religieuse» (Eliade, p. 13), «lamanifestation de quelque chose de «tout autre», d'une réalité quin'appartient pas à notre monde [ ••• ]» (Eliade, p. 15), le profanecontient tout le reste - objets, actions, lieux et êtres qui, loind'être touchés d'une grâce surnaturelle et spéciale, font partieintégrante du monde routinier et prosalque. Cependant, il convientde noter qu'il existe un paradoxe du sacré. Ainsi, «pour ceux qui

• 61

Nous avons déjà vu ce passage dans Les Gommes où on

représente Apollon en «athlète écrasant un lézard95». Il y a

lieu d'ajouter à cet exemple certaines réflexions

incongrûment pragmatiques de la part de Wallas devant des

sujets mythologiques (ici c'est le jeune Œdipe nourri par

une chèvre), telles que «ça ne doit pas être très sain de

faire ainsi boire un bébé à la mamelle des brebis: anti-

hygiénique au possible96». De la même manière dans La

Ba taille de Pharsale, l'humour s'attache à certains

•mythèmes: on y voit des héros burlesques et des dieux

déchus, comme ce guerrier nu, arborant un casque de pompier

et tenant une épée de carton, ainsi que cette femme drapée

avec un rideau de fenêtre 97 qui lui tient lieu de péplum. De

nombreux mythèmes dans La Bataille de Pharsale s'insèrent

• "

ont une expérience religieuse, la Nature toute entière estsusceptible de se révéler en tant que sacralité cosmique» (Eliade,p. 16), de telle sorte qu'«en manifestant le sacré, un objetquelconque devient autre chose, sans cesser d'être lui-même, caril continue de participer à son milieu cosmique environnant». Cecivient confirmer que les paradoxes déployés dans La Bataille dePharsale ne sont pas aussi incongrus que nous pourrions le croire.Ils procèdent de l'essence même du sacré qui consiste à octroyerune valeur à un objet, un lieu, une série d'actes ou une personne.Tout peut être sacralisé et acquérir par conséquent une valeurnouvelle. À la défense de la surprise du lecteur face à une bouchede métro ou une usine «mythifiées», nous pouvons toutefoisadmettre que Claude Simon sacralise, dans son roman, des élémentsqui ne reçoivent habituellement pas ce genre de traitement.

Alain Robbe-Grillet, qp. cit., p. 220.

Ibid., p. 108.

Claude Simon, qp. cit., p. 195.

62

dans un contexte vulgaire: on lit, entre autres, cette

description d'un «cortège» dionysiaque où les participants

pratiquent l'outrance et disent des grossièretés avec

superbe et conviction98 • Il en résulte un mélange étrange de

vulgarité et de solennité qui vient brouiller les

distinctions classiques entre le sacré et le profane.

Une autre transfiguration du sacré se produit par le

biais du commerce et de la culture populaire. Dans Les

Gommes, «les rideaux s'ornent d'un sujet allégorique de

grande série: bergers recueillant un enfant abandonné99 .» On

retrouve l'équivalent de cette commercialisation du mythe

par l'insertion dans un secteur d'activités profanes dans

L'Emploi du temps où des films de mauvaise qualité montrent

les ruines des anciennes cités grecques, ce qui donne de

l'ampleur au mythe de Thésée dans l'imaginaire de Revel,

mais le rabaisse au domaine de la culture de masse. Dans La

Bataille de Pharsale, les associations entre mythèmes et

consommation de masse sont nombreuses: on y voit par exemple

des poupées, «crapuleuses et commerciales réincarnations de

Vénus sous forme de petites femmes frisottées moulées par

bataillons et étiquetées, comme les tours Eiffel, selon la

Ibid., pp. 62-63.

Alain Robbe-Grillet, qp. cit., p. 50.

• 63

grandeur [ ..• ] 100», et des dieux figurant sur des billets de

banquel01•

C'est non seulement le secteur du commerce qui côtoie

le mythe gréco-latin, mais aussi ceux de la production, de

la technologie et de l'utilitaire. Ainsi, le métro est

mythifié, qualifié de «jupitérien102» et les gens qui en

sortent émergent «du sein de la terrel03», un peu comme, dans

la mythologie grecque, toute chose sort de Gaïa.

L'impression étrange que causent les escaliers roulants

prend une valeur surnaturelle: les passagers remontent,

immobiles, du métro104 , comme s'ils sortaient à la fois de la

terre, mais n'en sortaient pas vraiment puisqu'ils sont

immobiles, de telle sorte que la technologie semble

permettre aux paradoxes de se réaliser. Quant à la terre,

qui est comparée à une (<monumentale déesse10S» (on songe à

Gaia), elle porte des usines munies de leurs cheminées28, de

la même manière que Gaïa porte ses rejetons. Des domaines

habituellement fort profanes de l'activité humaine subissent

100

101

10Z

101

• toc

105

Claude Simon, Op. cit. , p. 139.

Ibid. , pp. 194, 258.

Ibid. , p. 39.

Ibid. , p. 14.

Ibid. , p. 14.

Qui «semblent sortis de terre même». Ibid., p. 161-162.

64

ainsi un processus de sacralisation.

Une écriture du paradoxe

Une écriture favorisant ces phénomènes pourrait être

qualifiée d'écriture du paradoxe, car on y voit se réaliser

l'inconcevable conciliation des contraires: ce qui est passé

est aussi présent, ce qui est ici est aussi ailleurs, ce qui

est individuel est aussi universel, archétypal, et ce qui

est profane est également sacré. Le paradoxe est au centre

de La Ba taille de Pharsale106 et il constitue un élément

fondamental dans Les Gommes et L'Emploi du t empsl07.

Avec le nivellement des hiérarchies et l'abolition des

dichotomies, le texte subit un processus général de

désémantisation:

le Nouveau Roman n'a rien à dire, au sens sartrien del'expression, mais cherche à dire le rien. Cettecaractéristique est le trait dominant d'une écrituremoderne qui, depuis Mallarmé, s'inscrit dans l'absence

•106

101

Son exerque, «Achille immobile à grands pas», vient d'ailleursappuyer cet argument.

Metka Zupancic le faisait d'ailleurs remarquer (dans l'article«Artiste holistique - Art globalisant: lecture orphique de MichelButor», La création selon Marguerite Bourgeoys: réseaux,frontières, écart, colloque de Queen's University, Nizet, Paris,1991, 326 p., p. 197): il y a chez Butor une tendance orphique àvouloir réconcilier les contraires.

• 65

des choses et des significations préétablies1oa •

Le Nouveau Roman propose un monde insaisissable, fragmenté

et contradictoire. L'indécidabilité qui en résulte

s'explique ainsi:

Par une écriture qui refuse les distinctions classiques

Mais les différents niveaux de signification du langage[ •.. ] ont entre eux des interférences multiples. Et ilest probable que le nouveau réalisme détruira certainesde ces oppositions théoriques. La vie d'aujourd'hui, lascience d'aujourd'hui, réalisent le dépassement debeaucoup d'antinomies catégoriques établies par lerationalisme des siècles passés. Il est normal que leroman, qui, comme tout art, prétend devancer lessystèmes de pensée et non les suivre, soit déjà entrain de fondre en eux les deux termes d'autres couplesde contraires: fond-forme, objectivité-subjectivité,signification-absurdité, construction-déconstruction,mémoire-présent, imagination-réalité, etc109 ..

• entre certains concepts, le Nouveau Roman postule

l'étrangeté

insaisissable:

du monde, contradictoire, relatif et

•lOI

lOt

ce phénomène ne concerne pas uniquement Robbe-Grilletmais trouve ses origines dans un questionnement généralde la réalité qu'on peut faire remonter à la secondemoitié du XIXe siècle, époque fondatrice d'unemoderni té qui oscille constamment entre maîtrise dumatériau et de ses significations, d'une part, etsentiment d'incapacité à exprimer l'essence du monde,d'autre part. Face à une réalité qui se dérobe auxsens, «l'oeuvre doit être la métaphore d'un chaos

Roger-Michel Allemand, Le Nouveau Roman, Paris, Ellipses, 1996,118 p .. , p. 5 •

Alain Robbe-Grillet, Pour un Nouveau Roman, Paris, Gallimard(coll. «Idées»), p. 181.

66

proliférant et tentaculaire11o», dont elle adopte les«systèmes compliqués de séries, de bifurcations, decoupures et de reprises [ ... ] 111.» [ ••• ] l'artiste nepeut prétendre classer, limiter et circonscrire uneréalité diffuse aux ramifications complexes [ ... ] 112.

Le lien avec la réalité, loin de celui de l'illusion

référentielle par la représentation classique, est celui

d'une compréhension et d'une révélation du chaos du monde.

Comme le paradoxe de Zénon qui exprime l'impossibilité de

décrire une réalité concrète sans l'escamoter ou, du moins,

l'altérer lors du passage à l'abstraction, Les Gommes,

L'Emploi du temps et La Ba taille de Pharsale permettent

l'énonciation ainsi que la lecture de l'indicible .

L'étonnement du lecteur

L'introduction de paradoxes revient en grande partie

aux mythèmes et consti tue l'un de leurs impacts sur la

réception du texte par le lecteur. La difficulté principale

du lecteur réside dans le fait que les idées véhiculées par

le Nouveau Roman ne lui sont pas familières puisqu'il y a

•110

lU

112

Allemand cite Vanina Costa, «le fraqment en détail» in Beaux Arts,no 77, mars 1990, p. 74.

Allemand cite Alain Robbe-Grillet, Le miroir qui revient, Paris,Éditions de Minuit, 1984, 231 p., p. 30 •

Roger-Michel Allemand, Alain Robbe-Grillet, Paris, Seuil, 1997,251 p., p. 232.

67

fort à parier qu'une étude plus poussée de la seconde moitié

du XXe siècle démontrerait qu'elles sont absentes des divers

discours ambiants. Pratiquement inexistant en ce qui

concerne les scènes publique, politique et économique,

l'éclatement des concepts de temps, d'espaces, d'identité et

de sacré ne se retrouve que dans les universités. Les

esprits sont plutôt captivés par les questions d'éthique

soulevées par les événements reliés à la Seconde Guerre

mondiale, l'impératif d'engagement qui caractérise la gauche

française ainsi que la vague pragmatique qui découle de

l'avènement de la modernité et de l'influence mondiale

grandissante de l'Amérique du Nordl13 • Peut-être sommes-nous

confrontés à un phénomène qu'Iser explique ainsi:

La littérature compense les déficits d'orientation parles systèmes dominants de l'époque. [ ... ] La fictiondit quelque chose à propos de ce que les systèmesdominants mettent entre parenthèses et qu'ils nepeuvent par conséquent introduire dans la viequotidienne qu'ils organisent1l4 •

Le Nouveau Roman propose donc au lecteur l'éclatement de

lU

114

Deux des notions remises en question par le Nouveau Roman - letemps et l'espace - sont d'ailleurs au centre de cette penséepragmatique: les temps est de plus en plus compté (on ne compteplus seulement les jours, mais aussi les minutes et les secondes)et il en va de même pour l'espace (qui, encore récemment, étaitmesuré avec minutie, territoire par territoire, en raison del'obsession impérialiste issue de la guerre froide). Comment peut­on être à la fois citoyen de ce type de société et s'avérercapable d'envisager le temps et l'espace comme des notionsrelatives sans un effort intellectuel considérable?

Wolfgang Iser, L'acte de lecture, Bruxelles, Pierre MardagaÉditeur, 1976, 405 P., p. 135.

68

concepts qui lui sont familiers et influence les schémas

interprétatifs qu'il élabore en le contraignant à tenir

compte de cet environnement philosophique auquel il est

probablement réticent. Au fil de sa lecture, le lecteur

étonné115 apprend à se méfier des concepts tels que le temps,

l'espace, l'identité et le sacré et doit cesser de se

questionner d'une manière obsessive à propos de la situation

spatio-temporelle du récit, l'identité des personnages et la

valeur (sacrée ou profane) des éléments présentés: il

pénètre ainsi l'univers du Nouveau Roman. De plus, il ajoute

à ses propres connaissances socio-culturelles (et donc à son

répertoire) ces redéfinitions de concepts qui agissent ainsi

non seulement sur les normes esthétiques qu'il connaît, mais

également sur les normes extra-esthétiques qu'il assimile.

•115 «De ce point de vue, la «technique» de Robbe-Grillet a été, à un

certain moment, radicale: lorsque l'auteur pensait qu'il étaitpossible de «tuer» directement le sens, de façon que l'œuvre nelaissât filtrer que l'étonnement fondamental qui la constitue (carécrire, ce n'est pas affirmer, c'est s'étonner).» (Roland Barthes,«Préface» dans Bruce Morrisette, qp. cit., p. 14.) En ce sens,lire aussi, c'est s'étonner.••

CHAPITRE IV: PASSAGE À UNE NOUVELLE RÉCEPTION

En complexifiant le processus de réception du texte par

le lecteur, les mythèmes, dans le Nouveau Roman, visent à

redéfinir les compétences de ce dernier qui, participant à

une expérience de lecture jusque là inusitée pour lui, est

confronté à une multiplicité de possibilités tant au niveau

de ses prédictions concernant les événements à venir (mondes

possibles) qu'à celui des interprétations qu'il échafaude à

partir des rapports effectués entre les divers segments

textuels. Ainsi, la perception de l'acte de lecture s'en

trouve transformée. Quant au texte, dans lequel les mythèmes

contribuent à introduire un réalisme renouvelé en mettant

l'accent sur la complexité et la nature chaotique de la

réalité, il génère également une perception de lui-même en

émettant, par le biais de mises en abyme de la réception, des

informations sur les stratégies qu'il met en place ainsi qu'à

propos du type de réception qu'il commande. Ce faisant, il

offre au lecteur l'occasion de réfléchir à sa propre

activité, tout en préservant son plaisir esthétique. Un

déplacement de l'horizon d'attente résulte de ces facteurs

et, ainsi, la présence des mythèmes gréco-latins, loin de

signifier un refus de la nouveauté, permet de la mettre en

• 70

scène.

Démultiplication des mondes possibles

Afin de parer à la part de non-dit1l6 que contient le

récit, le lecteur utilise son encyclopédiell7• Dans les

Nouveaux Romans qui nous occupent, les mythèmes sont

grandement responsables de l' apparition de non-dits: leur

brutale - provoque une certaine confusion chez le lecteur qui

voit ainsi apparaître un élément de l'Antiquité gréco-latine

dans un récit traitant de l'époque contemporaine. Ces «trous»•insertion dans le récit qui prend souvent une allure

générés par les mythèmes doivent être comblés par la

compétence encyclopédique du lecteur. Cette compétence se

compose de plusieurs spécialités dont l'une, qui nous

intéresse particulièrement, se voit octroyer par Umberto Eco

le nom de «inférence de scénarios intertextuels1l8». Cette

spécialité permet au lecteur d'effectuer des promenades

•116

117

118

Selon Umberto Eco (qp. Cit., p. 62), le non-dit désigne ce quin'est pas manifesté en surface, au niveau de l'expression.

L'encyclopédie (Ibid., p. 95) est constituée par le savoir dulecteur qui per.met d'associer un ter.me à ses connotations dans letexte.

Ibid., p .. 101.

• 71

inférentielles1l9 afin de boucher des trous en faisant le lien

entre les mythèmes et le récit où ils apparaissent. Par

exemple, dans Les Gommes, le lecteur veut déterminer le rôle

des mythèmes dans le récit et comprendre à quel type de roman

il est confronté. Il cherche donc à hiérarchiser selon leur

importance les informations qu'il rencontre120 ainsi qu' à

classer les données qu'il accumule dans son schéma

interprétatif121 • Pour ce faire, il doit mettre a l'œuvre ses

connaissances intertextuelles et c'est ce qui le convainc

inférentielle, aboutit à la composition par le lecteur de

d'utiliser le récit mythologique d'Œdipe comme guide pour sa

«passages fantômes 122» permettant de boucher les trous du récit•lecture. Ce type de choix, issu d'une promenade

119

120

121

122

«Ces échappées hors du texte (pour y revenir riche d'un butinintertextuel), nous les appelons les promenades inférentielles.Et, si la métaphore est désinvolte, c'est que l'on veut justementmettre en relief le geste libre et désinvolte avec lequel lelecteur se soustrait à la tyrannie - et au charme - du texte pouraller en trouver les issues possibles dans le répertoire du déjà­dit.» Une promenade est toutefois «dirigée et déterminée par letexte [ •.• ]» qui exerce ainsi une certaine pression sur lesprévisions du lecteur. (Ibid., p. 151)

Cette difficulté à distinguer l'essentiel de l'accessoireconstitue en elle-même un élément non dit.

Ce processus est évidemment nécessaire si le lecteur veut arriverà bien suivre l'évolution du récit.

La définition du concept de «passage fantôme» se modèle sur cellede «chapitre fantôme» proposée par Umberto Eco (Qp. Cit., p. 268):«[ ... ] souvent, les fabulae, étant donné une succession a ••• e,introduisent l'état a, et, après quelques atermoiements discursifs(qui peuvent être substitués par des subdivisions textuelles, desintervalles entre chapitres), se mettent à parler de l'état e,étant sous-entendu que, sur la base de ses propres promenadesinférentielles, le lecteur a «écrit» tout seul, comme deschapitres fantômes, tout ce qui concerne les événements b, c et

• 72

(par exemple en postulant un lien entre récit et mythème qui

justifie la présence de ce dernier) et de formuler des

prédictions en déterminant quelques mondes possibles123•

C'est ainsi que dans chacun des trois romans étudiés, de

nombreuses attentes du lecteur s'élaborent à partir des

mythèmes. Dans La Bataille de Pharsale, par exemple,

l'apparition de certains mythèmes en cours de texte entraîne

dans l' esprit du lecteur celle des récits mythologiques

desquels ils sont issus, avec toutes les possibilités que

celui du sens. Ainsi, le lecteur peut s'attendre à ce que le

ceux-ci impliquent, autant sur le plan des événements que sur

(que l'on compare au couple Arès etcouple adultère

entourage;sonréprobation delasubisseAphrodite)•toutefois, cette prédiction suscitée par le recours au

scénario intertextuelU4 avorte: le couple est surpris, mais

n'est soumis à aucune vengeance de la part du mari. Il en va

de même pour tous les autres mythèmes évoqués: ils incitent

l'intervention d'une connaissance encyclopédique concernant

d.»

123

124

Ibid., p. 146. Les mondes possibles sont des configurations faitespar le lecteur sur «un cours d'événements possible ou état dechoses possible. [ ••• } [I}l hasarde [donc} des hypothèses sur desstructures de mondes».

Ici, la référence intertextuelle peut renvoyer à l'Odyssée où estracontée l'histoire des amours coupables d'Arès et Aphrodite et oùl'événement qui suit la capture des amants dans les filetsd'Héphalstos est la raillerie générale de la part de tout l'Olympe(Chant VIII) •

• 73

les scénarios intertextuels, ce qui déclenche le surgissement

de nombreux mondes possibles ne s'actualisant jamais. Ici,

les mythèmes n'impliquent qu' eux-mêmes125, et les informations

sur les suites d'événements possibles qu'ils sembleraient

devoir entraîner ne servent finalement qu'à parasiter le

travail de réception effectué par le lecteur, parasitage qui,

pourtant utile à sa manière, ne valide aucune des hypothèses

du lecteur.

De la même manière, le lecteur, en constatant

•l'omniprésence des divinités dans ce roman, peut s'attendre

à Y rencontrer les événements que comportent habituellement

les récits auxquels ce type de personnage participe:

révélations prophétiques, aide apportée au héros, damnation,

tentation, vengeance .•. Bref, le lecteur s'attend à percevoir

une influence durable des dieux sur la vie des mortels, mais

rien de tout cela ne se produit et ces mondes possibles

demeurent en suspens dans l' espri t du lecteur. En résumé,

aucune des décisions du lecteur concernant les suites

d'événements possibles ne s'actualise, car les segments qui

composent le roman ne sont que scènes minimales, figées et

sans suite: le lecteur se retrouve en quelque sorte devant

• 125 Par exemple, on présente volontiers GaYa en mère universelle, maisnon Gala machinant avec Cronos la castration d'Ouranos; Achillecombattant, mais non pas endeuillé auprès de Patrocle •••

• 74

une fabula ouverte126• Selon Eco, on peut dire d'une fabula

qu'elle est ouverte quand plus d'une hypothèse est validée.

Par contre, chez Claude Simon, elles sont toutes invalidées,

ce qui revient presque au même: le lecteur reste déçu, sans

conclusion véritable à se mettre sous la dent.

L'Emploi du temps présente, tant au niveau de

l'élaboration des mondes possibles que de leur actualisation,

des problèmes similaires. Le lecteur, confronté encore ici à

une multiplicité d'options est par ailleurs témoin de

l'actualisation de nombreux mondes possibles qui semblent

diverger entre eux. Nous avons déjà vu comment les

personnages de ce roman supportent successivement ou

parallèlement la comparaison avec des personnages

mythologiques multiples . Revel, par exemple, permet

l'actualisation des mondes possibles fournis par la

«biographie» de Thésée. Or, ce mythe ne génère pas

suffisamment de mondes possibles pour véritablement rendre

justice au personnage de Revel: il est vrai qu'à l'image de

Thésée, ce dernier arrive dans un lieu étranger (Bleston)

pour y démêler un labyrinthe (les artères, sinueuses et

complexes, de la ville) et devenir amoureux de deux soeurs

qui y habitent avant de retourner chez lui. Pourtant, il

échoue à ramener l'une des deux soeurs avec lui (comparable

• 126 Omberto Eco, qp. cit., p. 154.

75

en cela à Pirithous qui ne réussit pas à kidnapper Perséphone

et demeure prisonnier des enfers), il est ensorcelé par

Bleston (comme Ulysse le fut par Circée) et il met en danger

la vie de son père spirituel, pour être ensuite aveuglé par

la culpabilité qu'il ressent (devenant alors semblable à

Œdipe). Le lecteur qui, au cours de sa lecture, parvient à un

carrefour où il do:i.t choisir parmi de multiples scénarios

intertextuels afin de formuler des mondes possibles

concernant les événements qui toucheront Revel, voit se

profiler les figures de Thésée, de Pirithous, d'Œdipe et

d'Ulysse, comme autant d'options différentes et

contradictoires. Capturé dans ce dédale de voies à suivre, il

tente de choisir la voie la plus susceptible de lui permettre

de prédire la suite des événements ainsi que le dénouement du

récit, mais il lui aurait fallu suivre toutes ces voies

parallèlement afin de ne pas escamoter une part de la

personnalité complexe de Revel. L'émission de mondes

possibles, trop considérable, provoque par conséquent la

confusion.

Le lecteur, mis en présence d'un phénomène similaire

dans Les Gommes, doit choisir un scénario intertextuel lui

permettant de formuler des prédictions parmi les trois

registres différents engendrés par la présence du récit

mythologie d'Œdipe: soit, en premier lieu, un registre où la

• 76

dimension policière du mythe prédomine sur sa dimension

religieuse et tragique. Dans ce cas-ci, le lecteur émet une

série de prédictions simples à propos de la conclusion du

roman: «Wallas élucidera tous les mystères et sera

récompensé» ou «wallas demeurera dans l'ignorance et sera

encore méprisé par ses supérieurs» . Le deuxième registre

consiste à faire prévaloir l'aspect fataliste et tragique du

mythe. Le lecteur élabore ainsi un monde possible où Wallas

tue Dupont qui se révèle être son père, a une aventure avec

Évelyne (sa «belle-mère») et sera affreusement puni pour ses

méfaits involontaires. En troisième lieu, les contextes dans

lesquels apparaissent les allusions à l'Œdipe instaurent un

registre parodique car ils contribuent à la dégradation du

mythe127: ils dénotent une certaine part de dérision et

signalent au lecteur qu'il est probablement plus prudent

d'émettre des prédictions qui tiennent compte de ces

connotations anti-tragiques et d'envisager un dénouement en

cul-de-sac, sans révélation, ni grande catastrophe. S'il peut

sembler à la fin du roman que c'est ce dernier registre qui

prédomine, il reste qu'à l'instar de L'Emploi du temps, les

trois voies entre lesquelles le lecteur s'est cru en devoir

•127 On voit, entre autres, le Sphinx dans des détritus flottant à la

surface de l'eau (p. 37), l'image du jeune Œdipe brodée dans desrideaux (p. 50), le char de La1us dans une sculpture sans valeurartistique aucune et le mot «Œdipe» (p. 32), d'ailleurs incomplet,sur une gomme à effacer (p. aS).

77

de choisir se trouvent validées. Les trois scénarios

possibles - policier, tragique et parodique - s'entremêlent:

certains faits sont élucidés alors que d'autres - les actions

de Bona et de son groupe - demeurent dans l'ombre; Dupont est

véritablement tué par Wallas, mais aucune révélation ne

viendra confirmer qu'il était son père; Wallas n' a aucune

«aventure» avec Évelyne et, enfin, il n'est pas sérieusement

puni pour sa piètre enquête. Le roman contraint ainsi le

lecteur à accepter tous les registres et, par conséquent, à

formuler un grand nombre de mondes possibles. Le lecteur voit

alors les possibilités se démultiplier et, envahi par un

surplus d'informations, il se trouve dans l'impossibilité

d'effectuer un véritable tri parmi elles. Ce «parasitage»,

moins considérable dans cette œuvre-ci que dans les deux

autres, est certainement peu violent en comparaison avec les

romans ultérieurs de Robbe-Grillet, mais il n'empêche que sa

présence complique le processus de réception.

Prolifération des fils interprétatifs

Une même prolifération se produit dans le cas des choix

interprétatifs du lecteur. Par contre, il s'agit cette fois

non pas de monde possibles, mais de fils interprétatifs. Or,

afin de définir cette dernière notion, il faut tout d'abord

78

traiter de certains gestes que pose le lecteur en cours de

lecture. Selon IserUB , la réception procède d'une interaction

entre le texte et son lecteur. Le lecteur reçoit les

informations véhiculées par le texte, procédant, au gré des

passages, à des corrections au niveau des informations

précédemment reçues à la lumière des informations nouvelles.

Voici donc que l'esprit même du lecteur se scinde en deux.

D'une part, il y a l'arrière-plan:

Ensemble de conventions nécessaires à l'établissementd'une situation, [ ... ] le répertoire contient desconventions dans la mesure où le texte absorbe deséléments connus qui lui sont antérieurs. Ces éléments nese rapportent pas seulement à des textes antérieurs,mais également - sinon bien plus - à des normes socialeset historiques, au contexte socioculturel au sens leplus large d'où le texte est issu, soit à ce que lesstructuralistes de Prague ont désigné comme la réalitéextra-esthétique. [ ... ] [Les éléments du répertoire]forment l'arrière-plan d'où ils sont issus et, dans lenouveau contexte, se trouve libérée leur capacitérelationnelle, alors que dans leur contexte d'origineils étaient liés par leur fonction129

De plus, nous pouvons inclure dans cet arrière-plan toutes

les informations recueillies par le lecteur depuis le début

de sa lecture de l'œuvre donnée, dont certaines possibilités

de sens momentanément écartées. D'autre part les nouvelles

informations et interprétations - celles qui sont activées

par le passage que le lecteur est en train de lire - forment

l'avant-plan, en constante interaction avec l'arrière-plan

• 128

129

Wolfgang Iser, qp. cit .

Ibid., pp. 128-129.

• 79

dans lequel il puise les informations qu'il souhaite

réactiver alors que d'autres informations de l'avant-plan

peuvent perdre leur importance immédiate à mesure que la

lecture avance et être reléguées à l'arrière.

Cette manière de concevoir la réception s'applique à la

lecture de n'importe quelle œuvre littéraire. Or, les

Nouveaux Romans sont souvent construits de telle sorte que le

lecteur est constamment obligé de modifier son point de vue

selon le fil 130 interprétatif qui prédomine au moment présent.

Chacun des passages que lit le lecteur valide un ou plusieurs

130 On pourrait donc définir le fil interprétatif comme une séried'éléments textuels que le lecteur réunit dans un même schémainterprétatif afin de s'expliquer l'un des aspects du texte qu'illit. Notre concept de «fil interprétatif» a beaucoup à voir avecle concept d'isotopie qu'Umberto Eco a emprunté à Greimas afind'en préciser la définition (Umberto Eco, qp. Cit, pp. 117-129).Ainsi, «Iisotopiel se réfère toujours à la constance d'un parcoursde sens qu'un texte exhibe quand on le soumet à des règles decohérence interprétative [ •.. ]» (Ibid., p. 125). Si l'onsemblerait pouvoir dire autant des fils interprétatifs, il resteque certains éléments de la définition d'Eco posent un problème detaille. Tout d'abord, la «constance» qui caractérise le parcoursde sens ne s'applique pas au parcours particulier des filsinterprétatifs qui peuvent disparaître, réapparaltre, faiblir(c'est-à-dire être de moins en moins suscités ou justifiés par lespassages) et être contredits par d'autres fils d'une égaleimportance. De plus, le texte n'est pas vraiment, avec les filsinterprétatifs, soumis à des règles de cohérence mais plutôt à desrègles de classement (il voit ses éléments classés selon diversaspects). Le terme de «cohérence» donnerait trop l'impressionqu'un fil pourrait à lui seul suffire à régir les interprétationsdu lecteur. Or, la notion même des fils interprétatifs insiste surla diversité de ceux-ci dans le tissu du texte. Il faut avouer quel'aspect métaphorique du concept de fil interprétatif y est pourbeaucoup dans la faveur que nous lui accordons au détrimentd' «isotopie». Les images qu'il évoque rendent nos explicationsplus limpides, permettant à notre lecteur de bien se fiqurer leurentrecroisement dans le tissu global du texte (phrase qui nousrappelle un passage de «La mort de l'auteur» de Roland Barthes:«le texte est un tissu de citations, issues des mille foyers de laculture». Le bruissement de la langue, 1984, p. 65)

80

fils interprétatifs de sorte qu'à chaque nouveau passage, le

lecteur doit, dans un double mouvement, reléguer ou conserver

à l'arrière-plan les fils interprétatifs qui furent en

vigueur dans un ou plusieurs des passages antérieurs (mais

qui ne le sont plus dans le nouveau passage qui occupe le

lecteur) et ramener à l'avant-plan ou créer (dans le cas d'un

passage qui lancerait son propre fil interprétatif) le fil

interprétatif qui lui convient. À la différence des

isotopies, il est nécessaire que le lecteur suive le plus

grand nombre possible de ces fils d'Ariane s'il doit faire

signifier chacun des passages et pratiquer une lecture qui

rende bien justice au roman, toile complexe dont on ne peut

pas dire qu'elle soit véritablement lue par un lecteur si

celui-ci se contente de ne suivre qu'un nombre restreint de

fils et de réduire le roman à quelques-uns de ses aspects: il

est de fait impossible, à la lecture d'un Nouveau Roman, de

procéder à une telle réduction sans quelques acrobaties

interprétatives particulièrement malhonnêtes et une large

part d'inattention.

L'un des intérêts fondamentaux des Nouveaux Romans

réside justement dans les entrecroisements, contradictions et

rivalités introduits par les multiples fils interprétatifs

possibles avec lesquels le lecteur «jongle», tous pertinents

et nécessaires à la construction de l'œuvre ainsi qu'à la

mise en place de sa réception. Dans le Nouveau Roman, il y a

81

de nombreux fils possibles qui permettent de grouper

certaines informations recueillies en un même schéma

interprétatif. À la clôture du texte, il résulte de chaque

fil un schéma interprétatif qui tente d'établir le sens

global du roman. Toutefois, aucun de ces schémas n'y parvient

exhaustivement et, d'autre part, il ne saurait être question

d'additionner tous les schémas différents en un même schéma

global et cohérent puisqu'il n'est pas rare que parmi les

différents fils qui s'alternent, plusieurs soient rivaux.

Ainsi, selon certains schémas, l'aventure de Revel à

Bleston se solde par un échec - échec de sa vie amoureuse et

de son projet d'écriture -, alors que pour d'autres, Revel a

réussi ce qui constitue l'épreuve ultime de tout voyageur,

c'est-à-dire qu'il a réussi mieux que Burton et Horace Buck,

Blestoniens de longue date, à entrer en communion avec

Bleston, à capturer dans ses écrits une partie de son esprit

et de son identité, l'étape décisive de cette réussite étant

le moment où il commence à apprécier la Nouvelle Cathédrale

et montre de la sorte qu'il accepte la ville avec toutes ses

contradictions. Il s'ensuit que dans L'Emploi du temps, les

fils sont nombreux et se relaient tout au long de la lecture

(certaines scènes libèrent le fil «amour» et d'autres, le fil

• 82

«labyrinthe») et cohabitent parfois en avant-planI31 • Plusieurs

fils doivent leur origine à un mythème. Le fil «œdipien», par

exemple, conduit le lecteur à émettre l'interprétation

suivante à la fin du récit: la trahison du «père» (Burton) a

provoqué, évidemment, un sentiment de culpabilité indélébile

chez Revel, mais aussi, paradoxalement, la «naissance» du

«père», en ce sens que Burton, grâce à l'indiscrétion de son

ami français, sort de l'anonymat. De l'adoption de ce fil, il

résulte une interprétation de L'Emploi du temps comme étant

Pourtant, le roman de Butor n'est pas que cela: le mythème de

le récit d'un Œdipe optimiste et radicalement transformé.

concurrence. Il Y a deux fils «amour132», deux fils inspirés• Thésée engendre d'autres fils, dont certains se font

par la lutte contre le Minotaure (transposée en lutte contre

Bleston133) et, enfin, quatre fils «labyrinthel34».

131

132

133

Par exemple, le fil «amour» et le fil «œdipien» cohabitent dans la«gaffe» de Revel, car si celui-ci commet l'impair de révélerl'identité de Burton, quitte à lui attirer la haine de certainsBlestoniens, c'est d'abord et avant tout pour impressionner Roseet Ann. On peut songer de la sorte à une interaction entre lesdivers fils.

Suivant l'un d'entre eux, le lecteur interprétera L'Emploi dutemps comme le récit d'un homme qui finit par perdre ses deuxamours par négligence; suivant l'autre, le récit devient celuid'un homme qui voit ce qu'il avait prévu se produire, mais paspour lui: il avait échafaudé une configuration correcte (unFrançais épouse Rose et l'emmène loin de Bleston) mais à laquelleil n'a pas su s'intégrer, dans laquelle il n'a pas su «sauter»comme on saute dans un train.

Deux fils, deux conclusions: premièrement, Bleston, culturellementséduisante, conquiert Revel qui, outrepassant la haine qu'il luivouait, finit par apprécier ce qui est le plus blestonien - et ce,sans compromis -, ce qui résiste le plus au regard étranger parce

83

Les Gommes présente un cas semblable, car les mythèmes

œdipiens donnent lieu à plusieurs fils qui engendrent tous

des schémas interprétatifs différents: le fil de l'identité

révélée135, celui de la fatali té136, celui du parricide137

, celui

qu'elle souligne la dignité de Bleston, soit la NouvelleCathédrale. Deuxièmement, le journal, qui était supposéreprésenter un fil d'Ariane, un rempart contre Bleston est devenulabyrinthe, instrument de confusion, inachevé et lacunaire.Instrument même de la plongée dans Bleston, ce journal lui faitperdre ses amours et comprëndre la complexité de la réalité, seszones d'ombres, ses incendies volontaires ••• Grâce à lui, Revels'identifie quelque peu à Bleston et voit la réalité de Bleston,complexe et sombre, s'imposer à lui ••.

134

135

136

137

L'un, temporel, où Revel finit par se perdre dans le temps; ledeuxième, spatial, où Revel apprend peu à peu à se retrouver dansla ville de Bleston; un troisième, littéraire, où Revel, qui tented'écrire un récit de voyage, découvre l'impossibilité de toutrécit exhaustif; et le dernier, littéraire encore, où Revel seperd à mesure qu'il tente d'être plus précis.

Tout d'abord, Wallas retrouve dans les limbes de sa mémoirel'identité du parent qu'il était venu visiter dans la ville alorsqu'il était enfant. Ensuite, Wallas lui-même acquiert une identitéà la fin du récit: il passe d'un statut d'homme fantôme - étrangerdans une ville où il n'a pas été signalé au commissariat, dont levisage ne semble pas correspondre à la photo de sa carted'identité; détective qui semble davantage préoccupé par desdétails insignifiants (comme la fameuse tranche de tomate) que parson enquête et que le commissaire surpasse en perspicacité - à unstatut enfin tangible: il est le meurtrier.

Où une catastrophe ne peut être évitée.

Wallas tue son «père», car malgré que le critique Robert Brock(Lire, enfin, Robbe-Grillet, Peter Lanq, 1991, 134 p., pp. 1-30.)ait prouvé d'une manière convaincante que Dupont ne pouvait êtrele père de Wallas, le lecteur, moins attentif, pourra tout de mêmeen conclure ainsi.

• 84

de l' échec138 et, enfin, le fil mythologique139 • Tous ces fils

amènent des conclusions différentes et soulignent les

multiples dimensions du roman et les nombreux moyens dont le

lecteur dispose pour l'interpréter. Dans La Ba taille de

Pharsale, les fils sont également nombreux et permettent au

lecteur d'élaborer diverses interprétations du roman. Les

fils mnémonique140 , métaphoriquel41 , métaphysique14Z ,

historique143 et narratif144 s'entremêlent afin de complexifier

le travail du lecteur, qui s'efforce de déterminer quelles

roman.

conclusions, quelles significations il peut tirer d'un tel

138

139

140

141

142

143

lU

En raison de son obsession (plaire à son supérieur, Fabius, qu'iladmire), Hallas commet la pire bévue. Il veut trop bien faire etne s'arrête pas assez pour réfléchir, comme le fait lecommissaire. Il tâtonne, et c'est en tâtonnant qu'il se retrouveavec un pistolet en main, tirant sur Dupont.

Wallas circule parmi des mythèmes dont il ne tire aucuneconclusion, laissant ce soin aux lecteurs qui le feront rondementet s'estimeront abusés par la suite des événements.

L'instant d'un vol d'oiseau suffit au narrateur pour qu'il sesouvienne des moments forts de sa vie, comme si le temps étaitimmobile comme Achille, immobile à grands pas.

Le narrateur compare diverses scènes à l'aid.e de mythèmes quisoulignent la qualité universelle de chaque action despersonnages.

Le réeit se présente eomme une suite d'instants déeisifs,d'expériences limites, et donne l'impression d'un temps sacré,circulaire, où l'existence humaine n'est qu'une séried'archétypes.

Le récit démontre que les humains refont éternellement les mêmesqestes, ce qui fait de l'histoire une sorte de cercle vicieux.

Le récit est l'histoire d'un narrateur incapable de raconter unehistoire: trop en!e~é en elle, il ressasse sans cesse les mêmesmoments forts.

• 85

Le lecteur, utilisant les fils afin de structurer sa

lecture, doit conserver en arrière-plan toutes les

configurations successives et concurrentes qu'il a données à

son interprétation du roman. Il doit donc gérer un arrière-

plan qui, tout en ne cessant de prendre de l'ampleur à mesure

que la lecture progresse, demeure en constante interaction

avec l'avant-plan, dans un bougé incessant de toutes les

configurations:

D'une certaine manière, tous les Nouveaux Romans sontdes labyrinthes, puisque le sens et l' histoire,autrement dit les fils conducteurs du récit, y sontsystématiquement refusés au lecteur, retirés après avoirété posés, recouverts et travestis par les artifices dela narration, par le roman du roman, lesquels sontchargés de rappeler le primat du dire sur le dit145 •

Ajoutons à ces refus et travestissements la démultiplication

des fils interprétatifs, qui vient s'ajouter à l'ensemble de

tous ces problèmes constituant eux-mêmes des voies d'accès à

la compréhension du Nouveau Roman, art de l'équivoque, lequel

récuse tout sens univoque146 •

145

146

Wolf, Nelly, «L'Emploi du temps et les labyrinthes du NouveauRoman» dans Roman 20/50: Revue d'étude du roman du vingtièmesiècle, no 18, décembre 1994, pp. 139-149, p.141.

Effet que l'on peut relier à l'un des aspects de l'œuvre de Robbe­Grillet souligné par Roland Barthes (<<préface», qp. cit., p. 10):«Robbe-Grillet semble alors manier un certain contenu parce qu'iln'y a pas de littérature sans signe et de signe sans signifié;mais tout son art consiste précisément à décevoir le sens dans letemps même qu'il l'ouvre.» De la même manière, dans tous lesromans étudiés, de multiples interprétations peuvent êtreamorcées, mais ne trouvent jamais de confirmation.

86

Réalisme renouvelé et lecture interactive

En fait, ces caractéristiques formelles constituent en

un sens un réalisme renouvelé, à l'affUt de tous les procédés

capables de rendre justice à la complexité de l'existence, ce

qui explique cette tendance du Nouveau Roman à favoriser

l'indétermination, les démultiplications et le refus des

classifications conceptuelles, toutes des techniques visant

à complexifier le processus de réception. Selon Michel Butor,

il ne faut pas s'étonner de cette participation de la forme

à un réalisme renouvelé:

[I]l est évident que la forme étant un principe de choix( ... ], des formes nouvelles révéleront dans la réalitédes choses nouvelles, des liaisons nouvelles, et ceci,naturellement, d'autant plus que leur cohérence internesera plus affirmée par rapport aux autres formes,d'autant plus qu'elles seront plus rigoureuses.Inversement, à des réalités différentes correspondentdes formes de récit différentes. Or, il est clair que lemonde dans lequel nous vivons se transforme avec unegrande rapidité. [ ... ] Il en résulte un perpétuelmalaise; il nous est impossible d'ordonner dans notreconscience, toutes les informations qui l'assaillent,parce que nous manquons des outils adéquats. [ ... ]L'invention formelle dans le roman, bien loin des'opposer au réalisme comme l'imagine trop souvent unecritique à courte vue, est la condition sine qua nond'un réalisme plus poussé147 •

Ce réalisme renouvelé n'impose aucune signification immuable

au lecteur et lui permet, par sa complexité même, d'interagir

avec l'œuvre qu'il lit et qui, par la part d'indétermination

• 147 Michel Butor, «Le roman comme recherche» dans Répertoire I, Paris,Éditions de Minuit, 1960, 274 p., pp. 7-11, p. 9.

87

qu'elle contient, lui ménage une place de choix.

Le texte n'est certes plus le dévoilement progressifd'une vérité, mais l'aventure d'une liberté qui, ayanttraversé l' hermétisme du premier abord, se structuredans un rapport interactif où le lecteur doitentreprendre une démarche volontaire et constructive quilui permette d'élaborer les significations possibles del' œuvre de concert avec son auteur148

À ces propos, qui résument le rôle du lecteur dans le Nouveau

Roman, s'ajoutent nécessairement d'autres considérations

venant tracer les limites de cette liberté, car si la

compréhension du texte est

une composition, toujours précaire, imposée par lefonctionnement même du texte et qui s'enracine dans lefonctionnement de la remémoration, une restructurationprogressive et continuelle de l'expérience racontée149

[, ]

cette malléabilité de l'œuvre n'exclut pas une certaine

souplesse de la part du lecteur, qui ne doit pas astreindre

le roman à des schémas trop figés. En effet,

[i]l convient de préciser que le lecteur est amené àparticiper lui-même à cet effort de fragmentation, en nesuturant pas trop rapidement et automatiquement lesvides du texte, dans le but, avoué ou non, de le réduirede façon artificielle à un texte classique, d'éviter devoir et de lire la dissémination de la réalité1so •

Ces «vides du texte» que Dâllenbach (après Iser) nomme

•148

149

150

Roger-Michel Allemand, op. cit., p.s.

Christine Genin, Op. cit., p. 291. Genin traite ici des romans deClaude Simon, mais cette citation s'applique également aux autresNouveaux Romanciers.

Ibid., p. 290.

• «leerstellen»151, permettent au lecteur de

88

participer

simultanément à la déconstruction et à la construction du

texte, ce qui accroît par ailleurs le plaisir qu'il retire de

sa lecture.

Les mises en abyme: des instructions destinées au lecteur

Le texte cautionne cette participation du lecteur en

même temps qu'il en limite la liberté à l'aide de mises en

abyme de l'énoncé et de la réception. Il guide ains i le

lecteur en lui communiquant des indices sur la manière dont

le texte doit être lu et perçu.

Certains extraits comportent une véritable analyse du

phénomène de réception: dans L'Emploi du temps, par exemple,

on utilise l'expression «dix-huit portes de laine» pour

désigner les tapisseries du musée de Bleston signifiant ainsi

qu'elles donnent accès à d'autres mondes puisqu'elles

assistent Revel dans son exploration de la réalité. Cette

conception de la réception, transmise au lecteur par le biais

•151 «Qu'est-ce qui, dans un texte, autorise et appelle l'activité

productrice du lecteur? [•.. l 1 0 la part d'indétermination de touttexte 1ittéraire et 2 0 ses leerstellen (terme que l'on peuttraduire par places vides ou places libres ou encore [ ... l, parvides, blancs ou ellipses) - vides qui, à l'évidence, procèdent decette indétermination globale en même temps qu'ils contribuent àla provoquer.» Lucien Oallenbach, «Réflexivité et lecture», qp.cit., p. 25.

89

du personnage de Revel qui visionne des œuvres d'art,

s'applique également à la réception du roman lui-même par le

lecteur152 • Comme Revel, qui se retrouve devant les dix-huit

«portes» un peu à l'image de Thésée dans l'un des carrefours

aux multiples issues du labyrinthe, le lecteur fait face à

plusieurs mondes possibles et plusieurs fils interprétatifs.

Mireille Calle-Gruber écrivait que «l'un des sortilèges de

Bleston consiste à produire une pléthore de significations

et, par suite, la confusion mentale153 .» Il est indéniable que

ce sortilège est aussi celui du roman, qui fournit l'exemple

de Revel afin de signaler au lecteur cette particularité qui

est sienne.

Dans Les Gommes, les mises en abyme ont à peu de choses

près la même fonction: ce roman «which ceases ta point to

existinq meanings and claims instead to designate its own

construction154», déploie plusieurs mises en abymes dont l'une,

la description des ruines de Thèbes, s'avère fort éloquente:

Sur une colline qui domine la ville, un peintre dudimanche a posé son chevalet, à l'ombre des cyprès,entre les tronçons de colonnes épars. Il peint avecapplication, les yeux reportés à chaque instant sur le

152

15J

154

Dans une œuvre littéraire, il n'est pas rare qu'un passage de lasorte - où les réactions d'un personnage à l'endroit d'une œuvred'art sont rapportées - constitue une mise en abyme significative.

Mireille Calle-Gruber, qp. Cit., p. 60.

Raylene L. Ramsay, «The Modernity of Myth: From œdipus toAndromeda» dans Robbe-Grillet and Modernity, Science, Sexualityand Subversion, Gainesville, University Press of Florida, 1992,301 p., pp. 83-109, p. 103.

90

modèle; d'un pinceau très fin il précise maints détailsqu'on remarque à peine à l'oeil nu, mais qui prennent,reproduits sur l'image, une surprenante intensité1S5 •

Cette mise en abyme révèle une conception assez précise du

statut et du rôle des mythèmes dans le roman. On relève les

segments suivants: les «tronçons de colonnes», référence

presque limpide aux mythèmes, ces «fraqments» d'Antiquité:

les <anaints détails qu'on remarque à peine à l'oeil nu»

renvoient également aux mythèmes, fractions minimales de

mythes qui sont si éparpillés dans le texte qu'on ne les

remarque pas toujours aisément; enfin, la «surprenante

intensité» que procurent les détails à l'ensemble de la

peinture, comparable à l'intensité du texte, prodiguée par

les mythèmes et leur influence sur la lecture qui font de ce

roman une œuvre originale. Cette auto-dérision d'un roman où,

comme dans le tableau du peintre du dimanche, des éléments du

passé contribuent à mettre en scène le présent, pourrait

d'ailleurs constituer un avertissement de la part d'un auteur

qui veut signifier qu'il est conscient de la désuétude d'un

tel exercice et que, malgré les apparences, son lien avec le

passé n'est pas de la nature de celui qui prévaut dans toutes

ces œuvres où l'Antiquité est évoquée par pure convention,

•155 Alain Robbe-Grillet, qp. cit., p. 177. Il convient de remarquer

l'ironie dont est imprégnée cette référence à l'Antiquité (commele sont la plupart des mythèmes du roman): ici, le peintre quis'inspire du passé pour peindre le présent est qualifié de«peintre du dimanche», ce qui cantonne ce genre d'exercice dans ledomaine du kitsch.

91

pour «faire plus noble».

La Bataille de Pharsale contient aussi plusieurs mises

en abyme dont les plus éclairantes, en ce qui nous concerne,

sont fournies par la description de la machine agricole

«MacCormick». Avec ses guidons qui s'élèvent comme des cornes

et ses autres morceaux, dépareillés, provenant d'autres

machines1S6 , formant ainsi un engin fait de pièces recyclées,

la «MacCormick» illustre le statut et le rôle des mythèmes,

éléments empruntés à une culture disparue, réutilisés dans un

texte nouveau, pourvu d'une identité propre. Le mythe

originel se voit dépouillé de certains de ses attributs,

lesquels sont incorporés à un texte qui combine ces matériaux

hétéroclites. Un second passage qui réfléchit le statut des

mythèmes souligne que la répétition abusive du nom «Mac

Cormick» lui fait perdre sa consonance écossaise1S7: d'une même

manière, l'omniprésence des mythèmes dans la culture

occidentale les banalise. Ces mises en abyme transforment le

processus de réception du texte par le lecteur: elles

insistent sur l'ampleur des modifications apportées au statut

et au rôle des mythèmes. De plus, elles indiquent au lecteur

qu'il ne doit pas chercher en vain le récit mythologique

d'origine: ces mythêmes sont des éléments «recyclés». Ainsi,

• 156

157

Claude Simon, qp. cit., p. 149-150.

Ibid., p. 151.

92

La Bataille de Pharsale fournit au lecteur des directives

concernant ses procédés littéraires et la stratégie de

réception à adopter à l'égard de sa complexité. C'est en ce

sens qu'il est intéressant de remarquer à quel point le

chapitre «0», cette tentatives de rationaliser la narration

en utilisant des formules géométriques, tourne en dérision

l'aspiration du lecteur à une compréhension exhaustive et à

une clarté totale du texte en démontrant qu'il est impossible

de créer un texte complètement limpide et que toute tentative

en ce sens se solde par un accroissement de la confusion du

lecteur.

Cette auto-réflexivité, loin d'alourdir le récit avec

des considérations théoriques qui viendraient briser la

<<magie» de la fiction, vient compenser les difficultés du

texte en guidant le lecteur dans son processus d'acquisition

de compétences nécessaires à l'appréciation du Nouveau Roman.

Le roman se fait donc théorie et s'auto-analyse. Il vient

ainsi combler le surplus d'indétermination du texte1S8 en

donnant quelques instructions au lecteur, préservant ainsi le

plaisir de la lecture. D'autre part, le plaisir esthétique

que confère au texte le procédé auto-réflexif réside

•158 Rappelons ici que Oallenbach (<<Réflexivité et lecture», qp. cit.j

note qu'une part d'indétermination trop considérable dans un mêmetexte fait entrave au plaisir que l'on pourrait retirer de salecture. Selon lui, le rôle de la mise en abyme consiste justementà offrir un «organe de lisibilité» Cp. 30) au lecteur afin deparer à ce problème.

93

probablement aussi dans le bris des conventions esthétiques:

Texte de jouissance: celui qui met en état de perte,celui qui déconforte <peut-être jusqu'à un certainennui), fait vaciller les assises historiques,culturelles, psychologiques, du lecteur, la consistancede ses goûts, de ses valeurs et de ses souvenirs, met encrise son rapport au langaqe~9.

La principale convention ici brisée est la frontière entre

création et critique, transgressée par le Nouveau Romancier

qui s'avère aussi critique et théoricien littéraire,

rédigeant une fiction théorique.

Le rÔle global des mythèmes

Les rôles joués par les mythèmes occasionnent une

réception rafraîchissante: leurs effets, qui ne sont pas

seulement immédiats, transforment d'une manière durable

l' activité du lecteur qui, afin de parvenir à faire une

lecture satisfaisante du Nouveau Roman, doit acquérir les

compétences nécessaires à la reconnaissance et à la gestion

des stratégies nouvelles qu'il rencontre. Il faut donc qu'il

modifie ce que Jauss nomme son horizon d'attente, véritable

système de référence qui résulte des «expériences préalables

que le public a du genre dont [l'œuvre lue] relève, (de] la

• 159 Roland Barthes, Le plaisir du texte, Paris, Gallimard (coll.«Points»), p. 23.

• 94

forme et [de] la thématique d'œuvres antérieures dont elle

présuppose la connaissance160». En cours de lecture, il doit

constater l' inefficacité de son système de référence et,

motivé par la frustration résultant des difficultés de

lecture introduites par les mythèmes, il parvient peu à peu

à prendre conscience de l'écart esthétique, élément

responsable du déplacement de l' horizon d'attente. L'écart

esthétique se définit comme étant

la distance entre l' horizon d'attente préexistant etl'œuvre nouvelle dont la réception peut entraîner un«changement d'horizon» en allant à l'encontred'expériences familières ou en faisant que d'autresexpériences, exprimées pour la première fois, accèdentà la conscience161

L'un des grands chocs occasionnés par le Nouveau Roman réside

dans le fait qu'il ne saurait exister de lecture correcte et

définitive permettant d'expliquer, d'élucider le contenu du

roman. Ceci s'applique certes à toute littérature, même

classique, puisque toute œuvre contient, sans exception, une

part d'indétermination et engendre une multiplicité

d'interprétations possibles. Toutefois, la différence

majeure, l'écart esthétique, consiste en ceci: le Nouveau

Roman ne laisse en aucun cas au lecteur le sentiment de faire

une lecture correcte. Ses procédés, promouvant la confusion,

Ibid., p. 58.

Hans Robert Jauss, qp. cit, p. 54.•la

160

161

complexité inexorable de l' «intrique» et la

95

démultiplication des interprétations et prédictions

possibles, contraignent le lecteur à une réflexion à propos

de ses propres conceptions du texte et de la lecture.

Des «erreurs» salutaires

Incidemment, la démonstration de la caducité d'un

système de référence requiert la présence d'éléments issus de

ce système que l'on tente de surpasser. C'est ainsi que, dans

Les Gommes, les mythèmes sont introduits afin d'encourager le

lecteur à utiliser sans vergogne ses compétences «obsolètes»

pour mieux le plonger dans une lecture «fautive». À mesure

qu' il avance dans le texte, les mythèmes œdipiens

s'accumulent. Que fera-t-il de ces informations s'il ne les

intègre pas dans ses schémas interprétatifs? Que fera-t-il de

sa compétence à faire signifier les mythèmes selon le

scénario intertextuel du mythe d'Œdipe s'il ne s'en sert pas

pour faire un parallèle entre le roman et le mythe? Le

lecteur se lance donc sur cette piste et, constatant

progressivement qu'il s'est enfoncé dans l'erreur, il doit

obligatoirement revoir ses positions. S'il est vrai que Les

Gommes constitue un piège à lecteur, il reste que le roman ne

perd pas sa valeur suite au dévoilement du piège: après le

96

choc premier, il fait figure, au contraire, d'expérience

esthétique inusitée.

Les mythèmes dans le Nouyeau Romani un faux paradoxe

Ainsi, la présence de l'«ancien» sert à mettre en scène

le «nouveau». Il faut donc comprendre que, dans le cas d'un

lecteur ignorant les mythes gréco-latins, il ne saurait y

avoir de révélation de l'écart esthétique (du moins, sur ce

plan précis): la lecture, dénuée des préj ugés fautifs du

lecteur aguerri de mythes, serait incorrecte en raison de sa

rectitude dans la mesure où elle ne comporterait pas, en son

processus, la découverte, le choc et l'assimilation de la

nouveauté, laquelle n'existe pas en soi, mais exige d'être

confrontée à son contraire afin d'apparaître comme telle. De

plus,

[il] faudrait être de mauvaise foi pour prétendre que leroman d'aujourd'hui peut être nourri d'autre chose quede ceux qui l'ont précédé. La bonne littérature atoujours été éclairée, ouverte sur le passé et partant,sur l' avenir162

Par conséquent, l'utilisation des mythèmes dans le Nouveau

Roman ne constitue en rien une contradiction. Il n'existe pas

«d'oppositions manichéennes entre un «ancien» et un «nouveau»

• 162 Roger-Michel Allemand, Le Nouveau Roman, op. cit., p. 38. Allemandcite Robert Pinget (Le Figaro littéraire, 21 novembre 1963).

• qui ne sont

97

[ ..• ] jamais tout à fait séparables ni

radicalement tranchés dans l'évolution des ceuvres163 .»

Les compétences du lecteur

En ce qui concerne les décisions prises par le lecteur

en rapport avec la gestion des mythèmes164, elles proviennent

d'une compétence antérieure, généralement acquise par

•l'entremise du théâtre français de la première moitié du

vingtième siècle165 qui eut une large diffusion, utilisa

beaucoup de récits mythologiques issus de l'Antiquité grecque

et auquel il y a quelques allusions dans nos romans. Aussi,

Les Gommes se réfère deux fois à La Machine infernale: «cette

immense machine se trouve-t-elle arrêtée à cause de lui166,?»,

«cette machine d' enfer167». Une autre allusion probable

rappelle le début d'Antigone, où l'on trouve un commentaire

163

165

166

167

Ibid., p. 4.

Nous nous référons évidemment aux compétences acquises avant latransformation de l'horizon d'attente du lecteur par le NouveauRoman.

Les plus célèbres de ces pièces demeurant encore La Machineinfernale de Jean Cocteau, Les Mouches de Jean-Paul Sartre,Antigone d'Anouilh et La guerre de Troie n'aura pas lieu, Électreet Amphitryon 38 de Jean Giraudoux.

Alain Robbe-Grillet, qp. cit., p. 39

Ibid., p. 107

98

sur l' inéluctabilité de la tragédie et où l'on «révèle»

d'avance la conclusion de la pièce aux spectateurs (<<cette

jeune fille va mourir»), comme si tout était déterminé

d'avance, alors que dans Les Gommes, c'est l'aspect

inévitable et machinal du drame que l'on souligne:

Dans ce décor fixé par la loi, [ ... ] l'acteurbrusquement s' arrête, au milieu d'une phrase... [ •.• ]Autour de lui les autres personnages se figent, le braslevé ou la jambe à demi fléchie. [ l Mais comme chaquesoir, la phrase commencée s'achève [ J. Dans la fosse,l'orchestre joue toujours avec le même entrain168 •

De plus, dans L'Emploi du temps la présence des mouches lors

des scènes où un sentiment de culpabilité irrite Revel

rappelle la pièce de Sartre où Oreste, ressentant de la

culpabilité, est poursuivi par des Érinyes qui prennent

l'aspect de ces insectes inquiétants.

Toutefois, les différences entre le traitement des

rnythèmes dans les pièces et dans les Nouveaux Romans

abondent. Au théâtre, l'écaille, la forme vide des récits

mythologiques fournissait une structure narrative à la fois

intéressante et efficace qui permettait une grande souplesse

au niveau des sujets à aborder. Les mythes, alors vidés de

leurs significations (sociales, religieuses, etc.), se

voyaient attribuer des significations nouvelles souvent

politiques - en accord avec l'époque contemporaine. Dans le

• 168 Ibid., p. 23-24.

99

cas du Nouveau Roman, l'écaille elle-même vole en éclats

multiples qui sont autant de mythèmes. Ces derniers

participent à un renouvellement de la forme qui célèbre

l'équivoque et le plurivoque. Certains éléments thématiques

(par exemple, le sacré, le temps, etc) ne sont repris que

pour être redéfinis de la manière que nous avons vue au

chapitre III.

En conclusion, le Nouveau Roman procède à la mise en

scène d'un déplacement de l'horizon d'attente et le plaisir

que le lecteur éprouve provient de cette transformation dont

il est témoin et qui constitue l'un des <cnessages» principaux

de ces romans.

Dans un contexte où l'être humain n'est plus la mesurede toute chose, l'œuvre de Robbe-Grillet repose sur uneesthétique du «cataclysme» [ ... J, qui donne à voir lerenversement des certitudes passées et l'écroulement del'illusoire cohérence de l'univers présentée par lamimesis aristotélicienne. Les formes narrativestémoignent de cette catastrophe, qui se posent commeautant d'embryons avortés de démonstrations plus vastes[ .•• J, désormais impossibles. On pense à Barthes:«Écrire par fragments: les fragments sont alors depierre sur le pourtour du cercle: je m'étale en rond:tout mon petit univers en miettes: au centre de quoi?»[Roland Barthes par Roland Barthes, p. 96J. Au centre derien, a-t-on envie de répondre à la place de Robbe­Grillet, car il fonde son art sur les ruines de l'ordreancien [ .•. J169

Fragments et ruines recyclés par un texte qui, stratège,

•169 Roger-Michel Allemand, Alain Robbe-Grillet, qp. cit., p. 231.

Cette citation s'applique également à Michel Butor et à ClaudeSimon qui proposent également ce type d'expérience déconcertanteet exceptionnelle.

100

transforme l'activité du lecteur, tel est l'état et le rôle

des mythèmes dans le Nouveau Roman. Lors de ce parcours de

lecture «initiatique», nous avons vu que le lecteur apprend

entre autres qu'un choix entre les multiples possibilités de

prédiction et d'interprétation qui se présentent à lui n'est

pas nécessaire ni même souhaitable car il doit fonctionner

avec l'ensemble des virtualités du roman: le plaisir

esthétique réside justement dans le vertige que provoque

cette multiplicité. Libre d'interagir avec le texte lors de

sa lecture, le lecteur doit toutefois être attentif aux

directives que celui-ci lui transmet, et ce afin de ne pas

réduire le texte à une signification figée. Si le lecteur,

devant des textes si complexes et demandant tant d'efforts,

ne succombe pas au découragement, il est récompensé par

l'acquisition d'une nouvelle compétence, ce qui fait de la

difficulté de lire le Nouveau Roman une «épreuve» stimulante.

Malgré tout, la désaffection d'un certain public à l'égard de

ce genre de roman démontre à quel point changer ses habitudes

de lecture n'est pas chose facile. Les problèmes du lecteur

(qui, au néophyte, peuvent sembler si insurmontables)

provoqués par l'indécidabilité, le chaos et l'éclatement qui

caractérisent les Nouveaux Romans, constituent paradoxalement

les principaux générateurs du plaisir esthétique, qui réside

dans l'étonnement du lecteur et ses efforts afin de trouver

sa voie pour venir à bout de ces labyrinthes.

CONCLUSION

Par un dosage habile des possibilités et des problèmes

de reconstitution du récit mythologique d'origine, les trois

romans étudiés font en sorte que les mythèmes fournissent des

indices qui guident le lecteur de manière à ce qu'il

enrichisse son répertoire de scénarios intertextuels

susceptibles de remplir les blancs du texte et afin qu'il

comprenne à quel point sa lecture se doit de respecter

l'indépendance dont jouissent les mythèmes. Malgré

l'inférence de scénarios intertextuels, ceux-ci ont une

existence et un rôle individuels, ayant acquis dans le texte

une fonction nouvelle, différente de celle que leur présence

dans le récit mythologique de départ leur avait attribuée.

Formant un récit second qui, confronté au récit premier,

réfléchit ce dernier en équilibrant le degré de difficulté du

roman; projetant un reflet complexifié des romans dont

l'intrigue est relativement simple et un reflet simplifié des

romans dont l'intrique se démarque par sa complexité, les

mythèmes engagent de nombreuses possibilités d'interprétation

de la part du lecteur en offrant aux éléments du texte des

points de comparaison qui soulignent plusieurs de leurs

aspects .

102

Ainsi, les mythèmes enrichissent la lecture et c'est en

ce sens qu'ils la compliquent. De plus, cette complication du

processus de réception, loin d'être gratuite, fait prendre

conscience au lecteur que certains aspects de son activité

peuvent être remis en question et transformés. Le texte, par

ailleurs, s'efforce, à l'aide des mythèmes, de guider le

lecteur à travers toutes les nouveautés qu'il lui propose:

qu'il s'agisse de l'éclatement de concepts familiers, ou de

l'acceptation du plaisir esthétique qui découle de la

démultiplication des interprétations et prédictions

possibles, il met en place une série de stratégies (comme les

mises en abyme et l'insistance sur certains procédés

littéraires inusités et redéfinitions de concepts rej etées

par le discours ambiant) qui font en sorte que ces nouvelles

conventions puissent être intégrées au répertoire du lecteur

et permettre par conséquent le déplacement de l' horizon

d'attente. C'est de cette manière que le lecteur parvient à

se familiariser avec la lecture du Nouveau Roman qui

démontre, par les remaniements auxquels il procède, que ce

n'est que plongé dans l'erreur et la confusion que le lecteur

peut revoir ses positions.

Que le Nouveau Roman permette au lecteur d'être le

témoin d'une redéfinition de l'horizon d'attente n'est pas

surprenant: de nombreuses œuvres ont agi de même auparavant.

Toutefois, en raison de la présence des mythèmes, il donne

103

lieu à un phénomène remarquable. Il ne s'agit pas ici d'une

simple référence intertextuelle comme on en retrouve dans

pratiquement toutes les œuvres de fiction. Bien au contraire,

en inscrivant, par l'entremise des mythèmes, certains textes

antérieurs à l'intérieur même de son espace, ce type de

roman, puisqu'il se nomme «nouveau», lance un message: il

éveille la suspicion du lecteur et, de cette attitude, naît

alors une curiosité et une lucidité accrues à l'égard des

mythèmes qui deviennent le centre d'attention, ce qui

concourt à la mise en valeur de ce décalage que l'on constate

entre le Nouveau Roman et la littérature qui le précède. Si

ce mouvement ne s'était pas appelé «Nouveau Roman», mais

plutôt «anti-roman» ou «alittérature»17o, l'effet que provoque

la présence des mythèmes à la réception du texte aurait été

moindrel71 • Bref, là réside toute l'importance de la

110

171

«Lorsque paraissent les premières œuvres des futurs NouveauxRomanciers, la critique littéraire [ ... ] a d'abord eu quelquedifficulté à caractériser leurs entreprises. [ .•• ] Jean-PaulSartre en fait un «anti-roman» [ ••• ] [i à] propos de Robbe­Grillet, Berthes parle dans la revue Critique de «littératureobjective» (1954) et de «littérature littérale» (1955); BernardOort hasarde le terme de «romans blancs» (Cahiers du Sud, avril1956) [ ••• ]; Claude Mauriac [ ••• ] identifie à propos de Robbe­Grillet un «roman futur» (Preuves, octobre 1956), avant de forgerla même année le mot alittérature dans un article historique[ ••• ]. Parmi les plus opposés à la nouvelle forme de littérature,François Mauriac parlera de «technique du cageot» (Le Figarolittéraire, 28 juillet 1956). À cette époque, d'autresappellations sont également employées: «roman de la table rase»,«roman nouveau» et même «roman au ras du sol».» (Roger-MichelAllemand, Le Nouveau Roman, Op. cit., p. 19).

«En réalité, il faut attendre le printemps [1957] [ ••• ] pour quel'expression «nouveau roman» apparaisse [ •.. ]. L'auteur de [cetteappellation] [ •.• ] est Émile Henriot, qui [l'utilise] dans un

104

dénomination du Nouveau Roman: il fait du mythème l'élément

ancien par excellence par lequel la nouveauté arrive. Tout

ceci vient d'ailleurs invalider des propos tels que ceux de

Gertrude Stein, qui disait de James Joyce, songeant

probablement aux références à la mythologie classique que

contient son roman Ulysses:

You see it is the people who generally smell of themuseums who are accepted and it is the new who are notaccepted. ( ... ] (It] is much easier to have one hand inthe pasto That is why James Joyce was accepted and l wasnot. He leaned toward the past, in my work the newnessand difference is fundamental l72 •

Il n'existe pas de coupure radicale: les mots eux-mêmes sont,

comme les mythèmes, des matériaux qui ont existé par le

passé: est-ce à dire qu'ils appartiennent aux musées?

•172

article du Monde daté du 22 mai 1957, où tournant en dérision LaJalousie de Robbe-Grillet et Tropismes de Nathalie Sarraute [ ..• J,il affirme, de tout le poids de son appartenance à l'Académiefrançaise, la vanité et le désintérêt de ces deux ouvrages. [ .•. J[Le] terme nouveau roman était donc initialement connoté de façonnégative, avant d'être adopté puis revendiqué par les écrivainsqu'il était censé brocarder. Ce sont en effet Jérôme Lindon etAlain Robbe-Grillet qui reprennent le vocable et lui confèrent lesdeux majuscules qui vont lui faire office de lettres de noblesse.[ ..• ] (Cette] appellation triomphe à partir de 1961, date àlaquelle elle est utilisée dans les textes, notamment, de PierreAstier, Jean Bloch-Michel, Bernard Bray, Henry Chapier, Guy Dumur,Roland Gaucher, Gérard Genette, Marko Katanis, André Labarthe,Édouard Lop et André Sauvage, Jean Mistler, Yvon Toussaint etAuguste viatte.» (Roger-Michel Allemand, Le Nouveau Roman, qp.cit., pp. 20-21). Autrement dit, l'étude de l'importance du rôledes mythèmes s'applique à la réception du texte par les lecteursd'après 1961, mais non pas aux intentions d'Alain Robbe-Grillet oude Michel Butor, qui ont écrit leurs romans respectivement en 1953et en 1956.

Cette citation est extraite d'une entrevue de 1946 avec SherwoodAnderson, «A Transatlantic Interview» telle que rapportée dans APrimer for the Gradual Understanding of Gertrude Stein, LosAngeles, Black Sparrow Press, Ed. Robert Bartlett Baas, 1971, 158p., pp. 15-35, p. 21.

• 105

Ainsi, il ne s'agit pas tant «de «gommer», d'effacer cet

héritage devenu hérédité, cette loi, ce livret, ces formes

prescrites dont parle le roman173» que d'en dénoncer «les

conventions littéraires, pour en démasquer l'inanitél7t». Les

ruptures totales, les «tables rases» sont des termes

percutants et intéressants pour les critiques, toujours

avides d'annoncer (ou de dénoncer) les premiers ce qu'il se

plaisent à nommer les «nouvelles écoles». Or, une analyse

plus poussée des phénomènes littéraires vient invalider ce

sensationnalisme de la critique. De telle sorte, rejeter les

mythèmes, comme les archétypes,

• 173

174

[ce] serait enfin occulter que les «Nouveaux Romanciers»sont aussi les produits culturels d'archétypes et en ontbesoin pour manifester leur(s) différence(s): peuimporte le traitement qu'ils leur imposent, ce faisant,ils s ' inscrivent dans une tradition. Et le discourscritique de se mordre alors la queue, voué par son soucidiscriminatoire à classer sans cesse et à rattacher àl'originel l'originalité, que par là même il anéantit,la résorbant en une variation d'un thème premier, en ladéclinaison hyponymique d'un hypernyme, qui, dans lemeilleur des cas, ne peut faire figure que decontretype. [ ... ] De ce point de vue, l'utilisationd'archétypes par les écrivains du «Nouveau Roman» nepeut plus être ressentie comme un paradoxe, puisqu'elleest prise en compte d'un ombilic textuel, avec sestraces mnésiques et ses empreintes, moyen d'uneexpression singulière et d'un dialogue avec le lecteur.En fait, ces auteurs ne rejettent pas la dimensionarchétypale de leurs écritures, mais la sclérose, lasolidification lexico-sémantique par la stéréotypie quien découle et son glissement vers la notion de type, decanon transséculaire, quasi éternel, norme atemporelle

Olga Bernal, qp. cit., p. 57 .

Ibid., p. 57.

106

à respecter qui substitue à l'archétype l'archi-typetotalitaire englobant tous les sens possibles d'unetradition175

Par conséquent, l'impact du Nouveau Roman se situe au niveau

d'une «régénération» de notre perception de la littérature et

un renouvellement des compétences de ses lecteurs, ce qui

permet de lire non seulement ces romans eux-mêmes, mais aussi

de relire les œuvres antérieures avec un regard nouveau.

En faisant référence à la littérature qui lui est

antérieure, le Nouveau Roman présente directement au lecteur

son objet de comparaison. Ainsi, non seulement il propose son

propre texte, mais, à l'intérieur même de ce texte, il

représente sa distance par rapport aux textes antérieurs, la

perception de son propre décalage, la mise en scène du

déplacement d'horizon qu'il provoque. Le Nouveau Roman

contient ainsi une auto-critique, ou plutôt un appareil

critique à l'intérieur même de ses textes. Il fait ainsi la

démonstration des transformations qu'il apporte au processus

de réception. Il dépasse les frontières de l'espace «fictif»

pour investir l'espace «critique» et s'y assurer une

mainmise. En ce sens, le Nouveau Roman présente non seulement

un éclatement formel, mais pousse la subversion jusqu'à

commenter cet éclatement. Ces œuvres qui s' auto-

réfléchissent, se représentent également leur passage, le

17S Roqer-Michel Allemand, «Avant-propos» dans La Revue des lettresmodernes; 1052-1057, Paris, Lettres modernes, 1992, pp. 7-8.

• 107

signifient: œuvres de l'étonnement par excellence, les

Nouveaux Romans se regardent eux-mêmes et se positionnent

dans un contexte plus vaste qui est celui de la littérature

en général176•

Plusieurs travaux pourraient évidemment croiser le

nôtre; il serait par exemple intéressant de procéder d'une

manière plus expérimentale et de vérifier quels sont les

points tournant de chaque récit - c'est-à-dire ces moments

privilégiés lors desquels la méfiance du lecteur s'installe

- afin d'observer de plus près la transformation de ses

abstraite et, bien que le lecteur concret soit une chose tout

aussi improbable, il conviendrait probablement d'étudier plus•compétences. Ici, le lecteur fut une notion purement

en détails l'impact d'une première lecture et, surtout, la

richesse des lectures suivantes, alors que les mythèmes ont

joué leur rôle et «initié» le lecteur. Celui-ci peut

désormais s'adonner à une lecture finalement ouverte à tous

les éléments du texte, y compris les mythèmes qui, ne pouvant

plus servir de «passeurs» - le passage étant déjà franchi -

sont libres de signifier, au même titre que les autres

éléments textuels, au sein de ces labyrinthes infinis que

•176 Plusieurs œuvres majeures de la littérature ont d'ailleurs procédé

ainsi, par distanciation (par la parodie ou la critique) enversune forme de récit antérieure, considérée comme caduque: on penseà Don Quichotte ou même à Jacques le fataliste où la narrationdéployait un discours critique envers l'histoire contée.

sont les Nouveaux Romans .

108

•1.

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