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Introduction Philosophie Analytique

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Paul Franceschi

INTRODUCTION LA PHILOSOPHIE ANALYTIQUEPARADOXES, ARGUMENTS ET PROBLMES CONTEMPORAINS

De P. T.

Introduction la philosophie analytique

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Paul Franceschi

INTRODUCTION LA PHILOSOPHIE ANALYTIQUEPARADOXES, ARGUMENTS ET PROBLMES CONTEMPORAINS

dition 2.2 2011Tous droits rservs

(C) Paul Franceschi http://www.paulfranceschi.com

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Il est galement disponible en version papier classique : - CreateSpace (USA) - paperback - TheBookEdition (France)

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TABLE DES MATIRESINTRODUCTION...................................................................5 1. LE PARADOXE DU MENTEUR.....................................11 2. LE PARADOXE SORITE................................................15 3. LE PARADOXE DE RUSSELL.......................................21 4. LE PARADOXE DE L'EXAMEN-SURPRISE...............25 5. LE PARADOXE DE GOODMAN....................................31 6. LE PROBLME DE NEWCOMB...................................37 7. LE DILEMME DU PRISONNIER ..................................41 8. LE PARADOXE DE CANTOR........................................45 9. LE PARADOXE DE GRELLING....................................49 10. LE PARADOXE DES DEUX ENVELOPPES .............53 11. LE PARADOXE DE MOORE........................................57 12. LE PARADOXE DE LB...............................................61 13. LE PARADOXE DE LA COURSE................................65 14. LE PARADOXE DE LA PIERRE..................................69 15. L'ARGUMENT DE L'APOCALYPSE..........................73 16. LE PROBLME DU NAVIRE DE THSE................79 17. LE PROBLME DE HEMPEL......................................83

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18. L'ARGUMENT DE MCTAGGART..............................87 19. L'ARGUMENT ONTOLOGIQUE................................91 20. L'ARGUMENT DU RGLAGE OPTIMAL.................95 21. L'ARGUMENT DU RVE.............................................99 22. L'EXPRIENCE DES CERVEAUX DANS UNE CUVE ................................................................................103 23. L'ARGUMENT TLOLOGIQUE.............................107 24. L'ARGUMENT DU PARI DE PASCAL.....................111 25. L'ARGUMENT SELON LE MAL...............................117 26. LE COGITO CARTSIEN...........................................121 27. L'ARGUMENT DE LEWIS CAROLL........................125 28. L'EXPRIENCE DE PENSE DE LA TERRE JUMELLE............................................................................129 29. L'ARGUMENT CONTRE LE PRINCIPE DE VRIFIABILIT.................................................................133 30. L'ALLGORIE DE LA CAVERNE............................137 31. L'ARGUMENT DE LA SIMULATION......................145 32. L'ARGUMENT DUALISTE EN VERTU DE LA DIVISIBILIT.....................................................................149 33. LE PROBLME DE LA BELLE AU BOIS DORMANT ...............................................................................................153 34. L'ARGUMENT DU MAUVAIS GNIE......................157 35. L'ARGUMENT DE LA CHAMBRE CHINOISE DE SEARLE...............................................................................161

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36. LE TEST DE TURING .................................................165 37. LE PROBLME DE GETTIER...................................171 38. LE PROBLME DE FREGE RELATIF AUX PROPOSITIONS D'IDENTIT.........................................175 39. LE PARADOXE DE L'ANALYSE...............................179 40. LE PROBLME DE LA RIVIRE D'HRACLITE. 181 CONCLUSION....................................................................183 BIBLIOGRAPHIE..............................................................185 SITES INTERNET..............................................................195 CRDITS.............................................................................197 AUTRES OUVRAGES DE L'AUTEUR............................198 TABLE DES MATIRES...................................................199

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Introduction

Le prsent ouvrage se propose de constituer une introduction la philosophie analytique. Il est essentiellement destin au lecteur familiaris avec la philosophie dite continentale et qui souhaite dcouvrir la philosophie analytique. Car ce style philosophique est souvent mconnu, en France notamment, o l'enseignement de la philosophie procde essentiellement d'une tradition nourrie par la philosophie continentale . Pour ma part, j'ai dcouvert pour la premire fois les problmes de philosophie analytique travers les articles de Jean-Paul Delahaye publis dans la revue Pour la Science. Je me souviens encore avec quel merveillement j'ai dcouvert alors une faon d'apprhender la philosophie jusque l ignore, qui correspondait la tournure d'esprit qui, de manire naturelle, tait la mienne. Si cette introduction, par bonheur, parvenait faire partager au lecteur un peu de cet merveillement, je crois qu'elle aurait alors atteint son but.

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Le prsent livre se propose ainsi de prsenter un nombre significatif de problmes contemporains en philosophie analytique. Il s'agit ici d'illustrer comment la dmarche qui y est poursuivie consiste en la description prcise de problmes, clairement identifis, et dont la prsentation ne souffre pas d'ambigut. La dmarche suivie tout au long de cet ouvrage consistera donc en la description d'un nombre important de problmes philosophiques contemporains, illustrant ainsi la mthodologie utilise en philosophie analytique qui consiste dcrire avec prcision souvent tape par tape un certain nombre de problmes bien identifis, pour lesquels il n'existe pas, l'heure actuelle, de solution consensuelle. Il apparat utile, cet effet, de classer les problmes philosophiques contemporains en trois catgories distinctes : les paradoxes, les arguments et les problmes proprement dits. Chacun de ces trois types de problmes se trouve ici expos, et accompagn le plus souvent d'une ou plusieurs solutions qui lui ont proposes dans la littrature contemporaine. Je m'attacherai tout d'abord dcrire ainsi un certain nombre de paradoxes. Les plus clbres d'entre eux trouvent leur origine dans l'Antiquit et ne sont toujours pas rsolus : le Menteur, le paradoxe sorite, etc. Les paradoxes sont des arguments bass sur des prmisses et un raisonnement qui apparaissent tout fait fonds, mais dont la conclusion conduit une contradiction. Une excellente dfinition nous est fournie par Mark Sainsbury, dans son ouvrage Paradoxes, publi en 1995 : Les paradoxes sont des conclusions inacceptables rsultant d'arguments apparemment acceptables partir de prmisses apparemment acceptables . Je prsenterai ensuite un certain nombre d'arguments qui sont frquemment dbattus dans la littrature philosophique contemporaine. Le plus souvent, ces arguments constituent des raisonnements dont les

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prmisses et les dductions qui les accompagnent paraissent tout fait acceptables, mais leur conclusion s'avre contraire l'intuition. Les problmes de ce type se distinguent des paradoxes en ce sens qu'ils ne conduisent pas vritablement une contradiction. A la diffrence des paradoxes, on n'observe pas dans ce type d'arguments de contradiction proprement dite, mais seulement une conclusion qui se rvle contraire au bon sens et l'ensemble de nos connaissances. Les arguments dont la conclusion se rvle contraire l'intuition sont proches des paradoxes, en ce sens qu'il est trs probable que le raisonnement qui les sous-tend soit fallacieux. En revanche, ces arguments se distinguent des paradoxes en ce sens que l'on ne peut carter d'emble la possibilit que notre intuition soit prise dfaut. Si tel tait le cas, la solution apporte au problme pos par ce type d'argument se devrait alors d'expliquer pourquoi la conclusion en apparat de prime abord contraire au bon sens. Enfin, je dcrirai un certain nombre de problmes proprement dits qui ont donn lieu des discussions rcentes en philosophie analytique. Parmi ces problmes bass sur des raisonnements, certains ont une origine trs ancienne, alors que d'autres n'ont t dcrits que trs rcemment. La philosophie analytique se caractrise essentiellement par une exigence de clart dans l'exposition des ides et par un souci marqu de rigueur au stade de l'argumentation. La clart des ides exprimes a pour but d'viter l'ambigut et les difficults lies l'interprtation des textes. Elle permet galement une meilleure valuation critique des ides mises. Une telle exigence de rigueur ncessite parfois de faire appel un formalisme mathmatique, qui ne doit toutefois pas aller jusqu' ncessiter des connaissances avances en mathmatiques. On le voit ici, la philosophie analytique constitue essentiellement un style philosophique.

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Il est coutumier d'opposer la philosophie analytique et la philosophie continentale. La philosophie continentale se rfre ainsi aux crits philosophiques d'auteurs franais et allemands des XIXme et XXme sicles, parmi lesquels on peut citer sans prtendre l'exhaustivit : Friedrich Hegel, Sren Kierkegaard, Friedrich Nietzsche, Karl Marx, Herbert Marcuse, Martin Heidegger, Jean-Paul Sartre, Maurice Merleau-Ponty, Michel Foucault, etc. Les crits de ces philosophes se caractrisent par une forme littraire plus marque et souvent un engagement politique plus pouss. On associe parfois la philosophie analytique aux pays anglo-saxons et la philosophie continentale au continent europen. Un tel point de vue apparat cependant assez rducteur. En effet, il est exact que la philosophie analytique constitue actuellement le style dominant au Royaume-Uni, aux tats-Unis, au Canada, en Australie ou en Nouvelle-Zlande. Pourtant, elle s'avre galement reprsente en Europe, et notamment en France, en Italie, en Allemagne, en Espagne, au Portugal, en Grce, en Belgique, etc. De plus, si l'on prend en considration l'antiquit et les philosophes classiques, il apparat clairement qu'un tel point de vue se rvle erron. Car on retrouvera notamment un style analytique trs pur sur les bords de la Mditerrane, dans les crits de plusieurs philosophes de l'antiquit. Les philosophes grecs classiques, inventeurs de paradoxes clbres et non rsolus tels que le paradoxe du Menteur, le paradoxe sorite, mais aussi les paradoxes de Znon d'Ele, en constituent des exemples remarquables. Chez Platon galement, on retrouvera aussi la clart de l'argumentation dans la clbre allgorie de la caverne. En outre, on trouvera chez Pascal, avec l'argument du pari, tous les critres d'une argumentation dtaille, prcise et claire, qui satisfait tous les canons de la philosophie analytique contemporaine. Et surtout, on pourra constater que Descartes pratiquait avant

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l'heure un style analytique tonnamment pur. Nombre des arguments de Descartes auraient pu figurer sans changement dans la littrature analytique contemporaine. Dans le prsent ouvrage, on trouvera ainsi le clbre argument du cogito, l'argument du mauvais gnie, l'argument ontologique de Descartes, ainsi qu'un argument en faveur du dualisme corps/esprit. Il serait plutt maladroit et manichen d'opposer les deux styles analytique et continental en considrant que l'un est meilleur que l'autre. De manire moins ouvertement subjective, on peut estimer qu'il s'agit l de deux styles diffrents de pratiquer la philosophie, qui possdent chacun leurs avantages et leurs inconvnients. Il apparat trs certainement ncessaire de prserver la fois l'un et l'autre, compte tenu de leurs mrites respectifs et de leur complmentarit. Finalement, il apparat que la coexistence des deux styles constitue essentiellement l'expression d'une diversit culturelle qui se rvle ellemme synonyme de richesse.

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1. Le paradoxe du Menteur

Le paradoxe du Menteur constitue l'un des plus anciens et des plus profonds paradoxes connus. Il est attribu au philosophe grec Eubulide de Milet, qui vivait au IVme sicle avant J-C. Le paradoxe du Menteur peut tre exprim trs simplement, car il nat directement de la prise en compte de l'affirmation suivante : Cette phrase est fausse . Le paradoxe provient du fait que si cette dernire phrase est vraie, alors il s'ensuit qu'elle est fausse ; mais si cette mme phrase est fausse, alors il est faux qu'elle est fausse et donc qu'elle est vraie. Ainsi Cette phrase est fausse est fausse si elle est vraie, et vraie si elle est fausse. En conclusion, Cette phrase est fausse est vraie si et seulement si elle est fausse. Et cette dernire conclusion se rvle paradoxale. On dnote souvent Cette phrase est fausse par (). Il est utile ce stade, de dcrire de manire dtaille les diffrentes tapes du raisonnement qui conduisent au paradoxe du Menteur (le symbole dnote ici la conclusion) :

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() (1) (2) (3) (4) (5) (6) (7) (8)

() est fausse () est soit vraie soit fausse si () est vraie alors il est vrai que () est fausse alors () est fausse si () est fausse alors il est faux que () est fausse alors () est vraie () n'est ni vraie ni fausse

bivalence hypothse 1 de (),(2) de (3) hypothse 2 de (),(5) de (6) de (4),(7)

La conclusion (8) est ici paradoxale, car il s'ensuit que () n'est ni vraie ni fausse, en contradiction avec le principe (1) de bivalence. Le problme que soulve le Menteur est ainsi le suivant : quelle est donc la valeur de vrit de la proposition (), tant donn qu'on ne peut lui attribuer, sans contradiction, la valeur de vrit vrai ou faux ? Une premire tentative de solution pour le Menteur consiste considrer que la valeur de vrit de () n'est ni vrai ni faux, mais une troisime valeur de vrit : indtermin. On considre ainsi une logique tri-value, qui comporte ainsi les trois valeurs de vrit suivantes : vrai, faux, indtermin. Le Menteur se trouve alors rintroduit sous la forme suivante : (3) (3) est fausse ou indtermine Dans ce nouveau contexte, une proposition peut dsormais prendre trois valeurs de vrit diffrentes : vrai, faux ou indtermin. Le principe de tri-valence stipule alors que (3) est soit vraie, soit fausse, soit indtermine. Cependant, le fait de considrer tour tour que (3) est vraie, fausse, ou bien indtermine ne conduit toujours pas une solution satisfaisante, car il s'ensuit, en vertu du mme raisonnement qu'avec le Menteur simple, la conclusion selon laquelle (3) n'est ni vraie, ni fausse, ni

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indtermine. Il en rsulte ainsi l'impossibilit d'assigner valablement une valeur de vrit la proposition (3). Plus encore, il apparat que le problme resurgit de la mme manire si on considre non plus trois, mais quatre valeurs de vrit : vrai, faux, indtermin1 et indtermin2. On utilise alors une logique 4-value. Cependant, il en rsulte la variation suivante du Menteur : (4) (4) est fausse ou indtermin1 ou indtermin2 qui conduit de mme que prcdemment l'impossibilit d'attribuer une valeur de vrit (4). Une autre tentative de solution consiste alors rejeter le principe de bivalence, de tri-valence, et plus gnralement de n-valence sur lequel est bas le raisonnement auquel conduit le Menteur. Cependant, une telle tentative de solution choue galement, car elle se heurte une variation plus puissante encore du Menteur, le Menteur renforc, qui ne ncessite pas de faire appel un quelconque principe de bivalence, de 3-valence, ..., ou de n-valence : (s) (s) est non-vraie

Car le Menteur renforc conduit au raisonnement suivant : (s) (9) (10) (11) (12) (13) (14) (s) est non-vrai (s) est soit vrai soit non-vrai si (s) est vrai alors il est vrai que (s) est non-vrai alors (s) est non-vrai si (s) est non-vrai alors il est non-vrai que (s) est nonvrai (15) alors (s) est vrai (16) (s) n'est ni vrai ni non-vrai dichotomie hypothse 1 de (s),(10) de (11) hypothse 2 de (s),(13) de (14) de (12),(15)

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Enfin, une autre tentative de solution pour le paradoxe du Menteur consiste considrer que la structure du Menteur est auto-rfrentielle, puisqu'une telle proposition fait directement rfrence elle-mme. Selon ce type de solution, il suffirait d'interdire la formation des propositions auto-rfrentielles pour empcher l'apparition du paradoxe. Cependant, une telle solution apparat trop restrictive, car il existe de nombreuses propositions dont la structure est auto-rfrentielle, mais pour lesquelles l'attribution d'une valeur de vrit ne pose aucun problme. Il suffit de considrer pour cela le Menteur contingent : (c) soit cette proposition est fausse, soit 0 = 0 Or il s'avre que l'on peut attribuer valablement la valeur de vrit vrai au Menteur contingent. Ainsi, bien que le Menteur contingent prsente une structure autorfrentielle, on peut lui attribuer sans contradiction, la diffrence du Menteur, une valeur de vrit. Dans ce contexte, il apparat que le fait de proscrire purement et simplement toutes les propositions auto-rfrentielles conduirait payer un prix trop lev pour rsoudre le paradoxe du Menteur, et ne constitue donc pas non plus une solution satisfaisante.

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2. Le paradoxe sorite

Le paradoxe sorite (ou paradoxe du tas) est un des plus anciens et des plus importants paradoxes connus. On attribue son origine Eubulide de Milet, le philosophe grec de l'antiquit auquel on doit galement le paradoxe du Menteur. Le paradoxe peut tre dcrit, de manire informelle, de la faon suivante. Il est tout d'abord communment admis qu'un ensemble comportant 100000 grains de sable est un tas. De plus, il apparat que si un ensemble comportant un nombre donn de grains de sable est un tas, alors un ensemble comportant un grain de sable de moins est galement un tas. Compte tenu de ces prmisses, il s'ensuit la conclusion selon laquelle un ensemble comportant un seul grain de sable est galement un tas. En effet, si un ensemble comportant 100000 grains de sable est un tas, il s'ensuit qu'un ensemble comportant 99999 grains de sable est un tas ; et il en va de mme pour un ensemble comportant 99998 grains de sable, puis 99997, 99996, 99995, ..., et ainsi de suite, jusqu' un seul

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grain de sable. Le paradoxe provient du fait que le raisonnement correspondant apparat tout fait valide, alors que la conclusion qui en dcoule se rvle inacceptable. Les diffrentes tapes qui conduisent au paradoxe sorite peuvent dtailles de la manire suivante : un ensemble comportant 100000 grains de sable est un tas (2) si un ensemble comportant n grains de sable est un tas, alors un ensemble comportant n - 1 grains de sable est un tas (3) si un ensemble comportant 100000 grains de sable est un tas, alors un ensemble comportant 99999 grains de sable est un tas (4) un ensemble comportant 99999 grains de sable est un tas (5) si un ensemble comportant 99999 grains de sable est un tas, alors un ensemble comportant 99998 grains de sable est un tas (6) un ensemble comportant 99998 grains de sable est un tas (7) si un ensemble comportant 99998 grains de sable est un tas, alors un ensemble comportant 99997 grains de sable est un tas (8) un ensemble comportant 99997 grains de sable est un tas (9) ... (10) un ensemble comportant 1 grain de sable est un tas La conclusion du paradoxe rsulte de l'utilisation rpte d'un principe logique communment admis qui est dnomm modus ponens, et qui prsente la forme suivante : p, si p alors q, donc q (o p et q dnotent deux propositions). (1)

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On rencontre dans la littrature de nombreuses variations du paradoxe sorite. Une autre version du paradoxe avec le prdicat grand est ainsi la suivante : (11) un homme qui mesure 200 cm est prmisse grand de base (12) si un homme qui mesure n cm est prmisse grand, alors un homme qui mesure d'induction n - 1 cm est grand (13) ... (14) un homme qui mesure 140 cm est grand De mme, on peut galement construire des variations du paradoxe avec d'autres concepts vagues tels que riche, vieux, rouge, etc. Ceci conduit mettre ainsi en vidence la structure suivante du paradoxe (o P dnote un prdicat vague) : (15) P(100000) (16) si P(n) alors P(n - 1) (17) ... (18) P(1) On peut observer ici que la structure du paradoxe est rversible. En effet, les versions prcdentes du paradoxe procdent par dcrmentation. Mais le paradoxe peut galement oprer par incrmentation, de la manire suivante : (19) un homme qui possde 1 cheveu est prmisse chauve de base (20) si un homme qui possde n cheveux prmisse est chauve, alors un homme qui d'induction prmisse de base prmisse d'induction

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possde n + 1 cheveux est chauve (21) ... (22) un homme qui possde 100000 cheveux est chauve La structure du paradoxe est alors la suivante (P dnotant un prdicat vague) : (23) P(1) (24) si P(n) alors P(n + 1) (25) ... (26) P(100000) De nombreuses solutions ont t proposes pour rsoudre le paradoxe sorite. Cependant, aucune d'entre elles ne s'est rvle jusqu' prsent satisfaisante. Ainsi, le paradoxe sorite demeure toujours l'un des paradoxes contemporains les plus tudis. Une solution qui met en cause l'tape d'induction a notamment t propose pour rsoudre le paradoxe. Un tel type de solution est bas sur une approche par degrs et fait valoir ainsi que l'tape d'induction n'est vraie que pour certaines instances les instances propres de la notion de tas. Une telle analyse repose sur le fait que la notion de tas constitue une notion vague. Une notion de ce type se caractrise ainsi par l'existence d'instances propres (par exemple une valeur de n gale 1000000), de contreinstances propres (par exemple une valeur de n gale 2), mais aussi de cas-limites (par exemple une valeur de n gale 100) qui constituent une zone de pnombre entre les notions de tas et de non-tas. Selon l'approche par degrs, la valeur de vrit de l'tape d'induction est 1 lorsqu'on est en prsence d'instances propres. Mais lorsqu'il s'agit de cas-limites, sa valeur de vrit est prmisse de base prmisse d'induction

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infrieure 1. Il s'ensuit finalement que la valeur de vrit de l'tape d'induction, lorsqu'on prend en compte toutes les valeurs possibles de n, est lgrement infrieure 1. Et ceci suffit bloquer partiellement le processus dductif et empcher de parvenir finalement la conclusion finale. L'tape d'induction est galement vise dans un autre type de solution qui considre que l'tape d'induction n'est pas ncessairement vraie. Il suffit par exemple de considrer une pile constitue de cubes empils les uns sur les autres. Une telle pile peut comporter par exemple jusqu' 20 cubes empils. Maintenant, le raisonnement qui conduit au paradoxe sorite peut galement s'appliquer cette pile, car intuitivement, si on enlve les cubes un par un partir du haut, on se trouve toujours en prsence d'une pile. Pourtant, en ralit, on ne peut enlever certains cubes d'importance stratgique sans que tous les autres ne tombent d'un seul coup en dtruisant en mme temps l'ensemble de la pile. A l'inverse, certains cubes notamment ceux du dessus apparaissent moins stratgiques, de sorte qu'on peut les enlever sans compromettre l'existence mme de la pile. Une telle analyse du paradoxe sorite suggre qu'il existe d'autres facteurs qu'il convient de prendre en compte tels que la position de chacun des cubes, leur alignement, etc. Cependant, un tel type de solution choue galement, car il se heurte une variation purement numrique du mme problme qui constitue le paradoxe de Wang : (27) 100000000 est grand (28) si n est grand alors n - 1 est grand (29) ... (30) 1 est grand prmisse de base prmisse d'induction

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En effet, un tel problme constitue une instance du paradoxe sorite, pour laquelle le type de solution prcdent ne trouve dsormais plus s'appliquer. Enfin, selon une autre approche, de nature pistmologique, il existe vritablement une frontire prcise au niveau du nombre de grains permettant de diffrencier un tas d'un non-tas, mais il ne nous est pas possible de connatre prcisment o se situe une telle frontire. La cause du paradoxe rside donc dans une dficience au niveau de nos connaissances, qui constitue ainsi une sorte de zone aveugle. Une telle frontire prcise existe galement, selon ce type d'approche, au niveau des notions de jeune/non-jeune, petit/non-petit, chauve/nonchauve, etc., en permettant ainsi de les distinguer. On le voit, un tel type de solution tend rejeter l'tape d'induction comme fausse. Cependant, une telle solution ne se rvle pas non plus satisfaisante, car l'existence pour chaque notion vague, d'une coupure numrique prcise permettant de distinguer les instances des contre-instances propres, apparat plutt contraire l'intuition. Et un tel type de solution ne permet pas de rendre justice l'intuition selon laquelle il existe, pour chaque concept vague, une zone de pnombre correspondant des caslimites.

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3. Le paradoxe de Russell

Le paradoxe de Russell constitue l'un des paradoxes les plus fameux de la thorie mathmatique des ensembles. Le paradoxe, nonc par Bertrand Russell rsulte, de manire informelle, de la prise en considration de l'ensemble de tous les ensembles qui ne se contiennent pas eux-mmes. L'existence mme de cet ensemble conduit directement une contradiction. En effet, il s'ensuit d'une part que si cet ensemble appartient lui-mme, alors il n'appartient pas lui-mme. Et d'autre part, s'il n'appartient pas lui-mme, alors il appartient lui-mme. Ainsi, un tel ensemble, la fois n'appartient pas lui-mme et appartient lui-mme. Une variation classique du paradoxe de Russell est le problme du barbier. Un tel barbier rase tous les hommes qui ne se rasent pas eux-mmes, et seulement ceux-l. La question qui s'ensuit est la suivante : ce barbier se rase-t-il lui-mme ? Si le barbier se rase lui-mme, alors par dfinition, il appartient la classe des hommes qui se rasent eux-mmes et par consquent, il ne se rase pas lui-

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mme. En revanche, si le barbier ne se rase pas lui-mme, alors par dfinition, il appartient alors la classe des hommes qui ne se rasent pas eux-mmes et par consquent, il se rase lui-mme. En conclusion, si le barbier se rase lui-mme, alors il ne se rase pas lui-mme ; et sil ne se rase pas lui-mme, alors il se rase lui-mme. Ainsi, que lon considre lune ou lautre des hypothses, il s'ensuit une contradiction. Une autre version du paradoxe de Russell se prsente sous la forme suivante : on considre le catalogue de tous les catalogues qui ne se mentionnent pas eux-mmes. Il s'ensuit la question suivante : ce catalogue se mentionne-t-il lui-mme ? Sil se mentionne lui-mme, alors il ne fait pas partie de ce catalogue et ne se mentionne donc pas lui-mme ; et sil ne se mentionne pas lui-mme, alors il fait partie du catalogue et se mentionne donc luimme. Dans les deux cas, on se trouve en prsence d'une contradiction. Le paradoxe de Russell peut tre nonc ainsi de manire plus formelle. Soit R l'ensemble de tous les ensembles qui ne se contiennent pas eux-mmes. On a ainsi la dfinition suivante de R (o dnote l'appartenance un ensemble et la non appartenance) : (1) xR|xx

Maintenant, compte tenu de cette dfinition gnrale, on considre le cas particulier de l'ensemble R. Deux cas sont possibles : soit R appartient lui-mme, soit R n'appartient pas lui-mme. Dans l'hypothse o R appartient luimme, le raisonnement s'tablit comme suit : (2) (3) RR RR hypothse 1 de (2)

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Et de mme, dans l'hypothse o R n'appartient pas luimme, il s'ensuit, par dfinition : (4) (5) RR RR hypothse 2 de (4)

La conclusion qui en rsulte est que l'ensemble R appartient lui-mme si et seulement s'il n'appartient pas lui-mme. Les diffrentes tapes du raisonnement peuvent ainsi tre dtailles : (6) (7) (8) (9) (10) (11) (12) (13) xR|xx RR RR si (R R) alors (R R) R R RR si (R R) alors (R R) R R et R R dfinition hypothse 1 de (6),(7) de (7),(8) hypothse 2 de (6),(10) de (10),(11) de (9),(12)

Ainsi, la prise en compte de l'existence de l'ensemble R de tous les ensembles qui ne se contiennent pas eux-mmes conduit directement une contradiction. Le paradoxe trouve son origine dans la thorie nave des ensembles, dans laquelle il est permis de dfinir un ensemble sans restriction. La thorie nave des ensembles s'avrait ainsi trop librale, en autorisant la construction de certains ensembles dont la nature se rvlait finalement contradictoire, tels que l'ensemble R. En particulier, il est apparu que l'axiome de comprhension de la thorie nave des ensembles se trouvait l'origine de l'mergence du paradoxe de Russell. L'axiome de comprhension permettait en effet la construction de tout ensemble qui rpondait au schma suivant :

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(14) x E | P(x) o P(x) dnote une proprit quelconque prsente par un objet x, de sorte que tout x prsentant la proprit P appartient l'ensemble E. Aussi, la solution pour rsoudre le paradoxe de Russell, a-t-elle consist restreindre le pouvoir d'expression de la thorie des ensembles. Les axiomes de la thorie des ensembles ont ainsi t modifis de manire rendre impossible la construction de l'ensemble R de tous les ensembles qui ne se contiennent pas eux-mmes. En 1908, Ernst Zermelo proposa ainsi une thorie des ensembles comportant un axiome de comprhension modifi, qui ne permettait plus la construction de l'ensemble R. Il en est rsult la thorie des ensembles de Zermelo-Fraenkel, qui est toujours en vigueur actuellement, et dont les axiomes rendent impossible la construction de l'ensemble R, vitant ainsi la contradiction qui en rsulte.

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4. Le paradoxe de l'examen-surprise

Le paradoxe de l'examen-surprise trouve son origine, diton, dans une annonce faite par les autorits sudoises durant la dernire guerre mondiale. Selon cette annonce, un exercice de dfense civile tait programm pour la semaine suivante, sans que le jour prcis n'en soit toutefois rvl, afin que l'exercice ait vritablement lieu par surprise. Le professeur Lennart Elkbom comprit le problme subtil qui rsultait de cette annonce et en fit part ses tudiants. Par la suite, le problme se rpandit dans les cercles universitaires et donna ensuite lieu de nombreuses discussions. Le paradoxe de l'examen-surprise est classiquement dcrit de la manire suivante. Un professeur annonce ses tudiants qu'un examen aura lieu la semaine prochaine. Cependant, le professeur ajoute qu'il ne sera pas possible aux tudiants de connatre l'avance la date de l'examen, car celui-ci aura lieu par surprise. Un tudiant intelligent raisonne alors ainsi : l'examen ne peut se drouler le

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dernier jour de la semaine vendredi car sinon je saurai, de manire certaine, que l'examen aura lieu le vendredi. Ainsi, le vendredi peut-il tre limin. De mme, poursuit l'tudiant, l'examen ne peut se drouler l'avant-dernier jour de la semaine jeudi car sinon je saurai que l'examen aura lieu le jeudi. Ainsi, le jeudi est-il galement limin. Par le mme raisonnement, l'tudiant conclut que l'examen ne peut avoir lieu ni le mercredi, ni le mardi, ni le lundi. Finalement, l'tudiant conclut que l'examen ne peut avoir lieu aucun jour de la semaine. Pourtant, cela n'empche pas l'examen d'avoir lieu par surprise, par exemple le mercredi. Le paradoxe nat ici du fait que le raisonnement de l'tudiant semble valide, alors qu'il se rvle finalement en contradiction avec les faits, puisque l'examen a finalement bien lieu par surprise. Le raisonnement de l'tudiant qui conduit au paradoxe de l'examen-surprise peut tre dtaill de la manire suivante : si l'examen a lieu le vendredi hypothse 1 alors je saurai que l'examen aura de (1) lieu le vendredi (3) alors l'examen n'aura pas lieu par de (2) surprise (4) l'examen ne peut avoir lieu le de (1),(3) vendredi (5) si l'examen a lieu le jeudi hypothse 2 (6) alors je saurai que l'examen aura de (5) lieu le jeudi (7) alors l'examen n'aura pas lieu par de (6) surprise (8) l'examen ne peut avoir lieu le de (5),(7) jeudi (9) si l'examen a lieu le mercredi hypothse 3 (10) alors je saurai que l'examen aura de (9) lieu le mercredi (1) (2)

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(11) alors l'examen n'aura pas lieu par de (10) surprise (12) l'examen ne peut avoir lieu le de (9),(11) mercredi (13) si l'examen a lieu le mardi hypothse 4 (14) alors je saurai que l'examen aura de (13) lieu le mardi (15) alors l'examen n'aura pas lieu par de (14) surprise (16) l'examen ne peut avoir lieu le de (13),(15) mardi (17) si l'examen a lieu le lundi hypothse 5 (18) alors je saurai que l'examen aura de (17) lieu le lundi (19) alors l'examen n'aura pas lieu par de (18) surprise (20) l'examen ne peut avoir lieu le de (17),(19) lundi (21) l'examen ne peut avoir lieu aucun de (4),(8), (12),(16),(20) jour de la semaine Plusieurs solutions ont t proposes pour rsoudre le paradoxe de l'examen-surprise. Aucune d'entre elles ne fait toutefois actuellement l'objet d'un consensus. Une premire tentative de solution est apparue avec O' Connor, dans un article paru en 1948 dans la revue Mind. Selon lui, le paradoxe est d au caractre contradictoire qui rsulte de l'annonce du professeur et de sa mise en oeuvre. Pour O' Connor, l'annonce du professeur selon laquelle l'examen doit survenir par surprise se trouve en contradiction avec les donnes connues de la mise en oeuvre de l'examen. Ainsi, l'nonc du paradoxe de l'examen-surprise est-il, selon O' Connor, auto-rfutant. Cependant, une telle analyse ne s'est pas avre satisfaisante, car il est apparu que l'examen pouvait finalement survenir par surprise, sans contradiction, par

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exemple le mercredi. Et le fait que l'examen puisse en dfinitive survenir par surprise, confirmait bien l'annonce du professeur, sans la rfuter. Une second type de solution a galement t propos par Quine, qui a mis en vidence le fait que quatre possibilits se prsentent (en dnotant le dernier jour de la semaine par n) : (a) (b) (c) (d) l'examen aura lieu le jour n et l'tudiant saura que l'examen aura lieu le jour n l'examen aura lieu le jour n et l'tudiant saura que l'examen n'aura pas lieu le jour n l'examen n'aura pas lieu le jour n et l'tudiant saura que l'examen aura lieu le jour n l'examen n'aura pas lieu le jour n et l'tudiant saura que l'examen n'aura pas lieu le jour n

Selon Quine, le problme provient du fait que l'tudiant, au moment o il tablit son raisonnement, n'envisage que les cas de figure (a) et (d), sans tenir compte des possibilits (b) et (c). En particulier, il ne prend pas en considration le cas de figure (b) qui est la situation relle dans lequel il se trouve finalement, en permettant ainsi l'examen de se drouler finalement par surprise. Mais si l'tudiant avait envisag cette possibilit ds le dbut, conclut Quine, il ne serait pas parvenu une conclusion errone. Au titre des solutions, il a galement t propos que le paradoxe de l'examen-surprise se rduit au paradoxe sorite. Un tel point de vue a notamment t expos, avec des nuances diffrentes par P. Dietl en 1973 et J. W. Smith en 1984. Ces deux auteurs font valoir que les deux paradoxes prsentent une structure commune, de sorte que le paradoxe de l'examen-surprise se rvle finalement quivalent au paradoxe sorite. Selon une telle analyse, les diffrentes tapes des deux paradoxes sont quivalentes et

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le paradoxe de l'examen-surprise trouve ainsi son origine dans le fait que la surprise constitue une notion vague. Mais une telle analyse a toutefois t critique par Roy Sorensen, dans son ouvrage Blindspots, publi en 1988, o il fait valoir que les deux problmes ne sont pas rellement de mme nature. En premier lieu, fait en effet valoir Sorensen, la version du paradoxe sorite quivalant au paradoxe de l'examen-surprise serait bien trop rapide. Et en second lieu, ajoute Sorensen, les prmisses de base des deux paradoxes ne peuvent pas vritablement tre considres comme quivalentes.

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5. Le paradoxe de Goodman

Le paradoxe de Goodman a t prsent par Nelson Goodman dans un article paru en 1946 dans la revue Journal of Philosophy. Goodman y expose son paradoxe de la manire suivante (avec quelques adaptations mineures). On considre une urne qui contient 100 boules. Chaque jour, une boule est extraite de l'urne durant 99 jours, jusqu' aujourd'hui. A chaque tirage, il s'avre que la boule prleve dans l'urne est rouge. A ce stade, on s'attend, de manire intuitive, ce que la 100me boule tire soit galement rouge. Cette prdiction est base sur la gnralisation selon laquelle toutes les boules prsentes dans l'urne sont rouges. Le raisonnement sur lequel est base cette dernire conclusion constitue une induction numrative. On peut traduire le raisonnement inductif prcdent de manire plus formelle de la faon suivante. Soit R le prdicat rouge. Soient galement b1, b2, b3, ..., b100 les 100 boules dans l'urne ( dnotant le connecteur logique et). (1) Rb1 Rb2 Rb3 ... Rb99 numration

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(2) (3)

Rb1 Rb2 Rb3 ... Rb99 Rb100 Rb100

de (1), induction de (2)

A ce stade, si on considre maintenant la proprit S tir avant aujourd'hui et rouge ou tir aprs aujourd'hui et nonrouge , on constate que cette proprit est galement vrifie par les 99 instances dj observes. Mais la prdiction qui en rsulte cette fois, base sur la gnralisation selon laquelle toutes les boules sont S, est que la 100me boule sera non-rouge. Et ceci est contraire la conclusion prcdente, qui est elle-mme pourtant conforme notre intuition. Le raisonnement correspondant peut tre ainsi dtaill : (4) (5) (6) Sb1 Sb2 Sb3 ... Sb99 Sb1 Sb2 Sb3 ... Sb99 Sb100 Sb100 numration de (4), induction de (5)

Mais ici, la conclusion selon laquelle la 100me boule est S quivaut au fait que cette dernire sera non-rouge. Or ceci est en contradiction avec la conclusion rsultant du raisonnement inductif prcdent selon laquelle la 100me boule sera rouge. Le paradoxe merge ici cause du fait que les deux conclusions (3) et (6) sont contradictoires. Intuitivement, l'application de l'numration inductive (4) parat errone. Mais la difficult rside ici dans le fait de localiser avec prcision o se trouve l'erreur de raisonnement l'origine de cette fausse conclusion. Goodman donne aussi dans son ouvrage Faits, fictions et prdictions, paru dans sa version originale en 1954, une version lgrement diffrente de son paradoxe, applique cette fois aux meraudes :

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Supposez que toutes les meraudes examines avant un certain temps t aient t vertes. Dans ce cas, au temps t, nos observations confirment l'hypothse selon laquelle toutes les meraudes sont vertes ; et ceci est en accord avec notre dfinition de la confirmation [... ] Maintenant laissez-moi introduire un autre prdicat moins familier que vert . C'est le prdicat vleu et il s'applique toutes les choses examines avant t si elles sont vertes mais aux autres choses si elles sont bleues. Ainsi au temps t nous avons, pour chaque constatation matrielle rapportant qu'une meraude donne est verte, une constatation matrielle rapportant de manire parallle que l'meraude est vleu .

Cette version du paradoxe de Goodman est clbre et base sur le prdicat vleu (dans le texte original: grue). La dfinition de vleu est la suivante : vert et observ avant T ou non-vert et observ aprs T. Il en rsulte deux types de raisonnements concurrents. Un premier raisonnement met en uvre une numration inductive classique : partir de l'observation selon laquelle toutes les meraudes observes avant T taient vertes, on conclut que la prochaine meraude observe sera galement verte (V dnotant vert, et e1, e2, e3, ..., e100 dnotant les meraudes) : (7) (8) (9) Ve1 Ve2 Ve3 ... Ve99 Ve1 Ve2 Ve3 ... Ve99 Ve100 Ve100 numration de (7), induction de (8)

Le raisonnement alternatif est bas sur le mme type d'numration inductive appliqu au prdicat vleu . Du fait que toutes les meraudes observes avant T taient vleues , on conclut cette fois que la prochaine meraude

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observe sera galement vleue ( vleu tant dnot par G) : (10) Ge1 Ge2 Ge3 ... Ge99 (11) Ge1 Ge2 Ge3 ... Ge99 Ge100 (12) Ge100 numration de (10), induction de (11)

Il s'ensuit alors une contradiction, puisqu'en vertu de (9) la 100me meraude sera verte, alors qu'il rsulte de (11) que la 100me meraude sera non-verte. Les deux problmes prsents par Goodman constituent deux variations du mme paradoxe, car le prdicat S utilis par Goodman dans son article de 1946 prsente avec vleu , une structure commune. En effet, P et Q tant deux prdicats, cette dernire structure correspond la dfinition : (P et Q) ou (non-P et non-Q). Le paradoxe de Goodman a engendr une norme littrature et de nombreuses solutions de nature diffrente ont t proposes pour le rsoudre. Goodman a ainsi propos lui-mme une telle solution, qui est base sur la notion d'enfouissement (entrenchment). Goodman, dans Faits, fictions et prdictions considre ainsi que le problme se ramne celui d'tablir une distinction entre les prdicats qui sont projetables, et ceux qui ne le sont pas. Les prdicats projetables peuvent valablement servir de support une induction numrative, alors que les autres, au nombre desquels se trouve vleu , ne conviennent pas pour cela. Selon Goodman, les prdicats projetables sont ceux qui sont intgrs, enfouis dans notre pratique inductive courante. Il sagit l dun usage inductif qui se trouve ainsi avalis par la pratique. Les prdicats projetables sont ceux qui sont en quelque sorte valids par lusage courant, commun et pass. A l'inverse, les prdicats non projetables tels que vleu ne sont pas adapts l'usage inductif. Cependant, la solution de

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Goodman base sur l'enfouissement dans le langage et l'usage courant ne s'est pas rvle satisfaisante. Car il s'avre que de nouveaux prdicats apparaissent chaque jour. De nombreux nologismes sont en effet crs, qui s'intgrent trs vite dans le langage courant et dans la pratique inductive commune. Mme le prdicat vleu l'origine si dcri nous est devenu quelque peu familier. Une autre solution qui a notamment t propose pour rsoudre le paradoxe de Goodman est base sur le fait que le prdicat vleu comporte une rfrence temporelle, la diffrence du prdicat vert . Selon ce type de solution, il convient de ne pas utiliser pour l'induction des prdicats tels que vleu , qui comportent de telles clauses temporelles. Toutefois, ce type de solution s'est avr trop restrictif, car il existe des prdicats qui comportent une rfrence temporelle mais dont la projection inductive ne pose aucun problme. Considrons ainsi une tomate : celle-ci elle est verte avant maturit, et rouge aprs. Une telle proprit s'applique aux 99 tomates que je viens de trouver dans mon jardin, mais aussi la 100me tomate qui se trouve dans le jardin de mon voisin. En second lieu, il s'avre tout fait possible de construire une version du paradoxe de Goodman qui est dpourvue d'une telle clause temporelle. Il suffit alors de construire un prdicat G bas par exemple sur l'association couleur-espace, en remplacement de l'association couleur-temps, pour obtenir une variation du paradoxe de Goodman qui s'affranchit d'une rfrence temporelle. Enfin, la rponse apporte par Nelson Goodman lui-mme par rapport ce type d'objection est que le prdicat vert peut galement tre dfini avec une rfrence temporelle si l'on utilise vleu comme concept primitif. Il suffit ainsi de mettre en parallle d'une part les prdicats vert et bleu et d'autre part vleu (vert avant T et bleu aprs T) et bert (bleu avant T et vert aprs T). Dans ce cas, il est tout fait possible de dfinir vert et bleu l'aide

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des notions primitives de vleu et bert . Un objet vert est alors dfini comme vleu avant T et bert aprs T ; et de mme, un objet bleu est dfini comme bert avant T et vleu aprs T. Ainsi, les dfinitions de vert , bleu et d'autre part vleu , bert se rvlent parfaitement symtriques et comportent de manire identique une rfrence temporelle.

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6. Le problme de Newcomb

Le problme de Newcomb a t dcrit en 1960 par le physicien William Newcomb et a t introduit ensuite dans la littrature philosophique travers un essai publi en 1969 par Robert Nozick. On peut dcrire le problme de Newcomb de la manire suivante. Deux boites, A et B, se trouvent places devant vous. L'une d'entre elles la boite A est transparente et contient 1000 euros. Vous tes plac devant le choix suivant : soit prendre uniquement le contenu de la boite B ; soit prendre la fois le contenu de la boite A et de la boite B. Vous savez galement qu'un devin, dont les prdictions se sont rvles extrmement fiables jusqu' prsent, placera un million d'euros dans la boite B s'il prdit que vous ne prendrez que cette dernire. En revanche, s'il prdit que vous prendrez la fois les boites A et B, le devin laissera la boite B vide. Maintenant, choisissez-vous de prendre uniquement la boite B, ou bien de prendre les boites A et B ? En vertu d'un premier raisonnement (I), il apparat que les prdictions effectues dans le pass par le devin se sont rvles trs fiables, et il

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n'y a pas de raison pour que la prdiction qu'il va effectuer avec vous ne se vrifie pas une fois de plus. Par consquent, il apparat prudent de ne prendre que la boite B, de manire encaisser un million d'euros, ce qui reprsente dj une trs belle somme. A ce stade, il apparat cependant qu'un raisonnement alternatif (II) peut galement tre tenu. Car au moment o vous prparez ouvrir la boite B ou les deux boites, le devin a dj effectu son choix. Par consquent, si le devin a prdit que vous ouvrirez uniquement la boite B, il a alors plac un million d'euros dans la boite A. Ne serait-il alors pas absurde de laisser les 1000 euros qui se trouvent dans la boite A. Car cette dernire boite est transparente, et vous pouvez en observer le contenu. Vous raisonnez, et vous constatez que cela ne peut plus affecter le choix du devin. Par consquent, mieux vaut ouvrir les deux boites, et encaisser ainsi 1001000 euros. A ce stade, il apparat que chacun des deux raisonnements (I) et (II) semble fond. Pourtant, tous deux conduisent des conclusions contradictoires. Et l'nigme pose par le problme de Newcomb est prcisment de savoir lequel des raisonnements (I) et (II) est valable. Il est intressant de formaliser quelque peu les donnes du problme de Newcomb, de manire mettre en vidence certains lments de sa structure interne. Il apparat ainsi que la structure de l'nonc est celle d'un double conditionnel : (1) (2) si alors si alors

De mme, le raisonnement (I) peut tre dcrit de manire dtaille de la faon suivante :

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(3) (4) (5) (6)

(7) (8)

les prdictions effectues dans le prmisse pass par le devin se sont rvles trs fiables les prdictions effectues par le gnralisation devin sont trs fiables cette fois galement, le devin de (4), devrait prdire mon choix induction si le devin a prdit que j'ouvrirai de (1) uniquement la boite B, alors il a plac 1000000 euros dans la boite B si le devin a prdit que j'ouvrirai de (2) les boites A et B alors il a plac 0 euro dans la boite B de (6),(7) j'ai intrt ouvrir la boite B

Et on peut de mme formaliser ainsi le raisonnement (II) : (9) au moment ou j'effectue mon choix, prmisse les sommes d'argent sont dj places dans les boites, et celles-ci ne seront pas affectes par mon choix si le devin a plac 1000000 euros de (9) dans la boite A, alors en prenant galement la boite B, je gagnerai 1001000 euros au lieu de 1000000 euros si le devin a plac 0 euro dans la boite de (9) A, alors en prenant galement la boite B, je gagnerai 1000 euros dans les deux cas, j'obtiens un gain de (10),(11) suprieur en prenant galement la boite A de (12) j'ai intrt ouvrir les boites A et B

(10)

(11) (12) (13)

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Le paradoxe de Newcomb a donn lieu un formidable engouement et a engendr une vaste littrature. Parmi les solutions qui ont t proposes pour rsoudre le paradoxe, l'une d'elles met l'accent sur le fait que la situation correspondant au paradoxe est en ralit impossible et s'avre telle qu'on ne peut la rencontrer en pratique. Selon cette analyse, la partie de l'nonc selon laquelle le devin peut prdire avec prcision le choix du sujet n'est pas vraisemblable. En vertu de cette analyse, une telle clause fait appel des proprits extravagantes qui ne sont pas celles de notre monde physique, telles que la causalit rtrograde (la fait qu'un effet puisse agir sur sa propre cause) ou l'absence de libre-arbitre des individus. Une telle solution, cependant, ne s'est pas avre satisfaisante. Car s'il est permis de mettre en doute l'existence de la causalit rtrograde ou l'absence de libre-arbitre, on peut nanmoins mettre en vidence d'autres variations du paradoxe de Newcomb qui ne font pas appel de telles proprits singulires. Il suffit pour cela de considrer une version probabiliste du paradoxe o la prdiction du devin est le plus souvent exacte. Car le devin pourrait bien se fonder sur des considrations d'ordre purement psychologique. Une tude mene sur le paradoxe de Newcomb a montr que 70% des gens choisissent de ne prendre que la boite B. Le devin pourrait ainsi possder d'un programme d'ordinateur simulant de manire trs performante le comportement et la psychologie humaine face ce type de situation et effectuer ses prvisions en consquence. Dans ce contexte, la clause de l'nonc selon laquelle les prvisions du devin sont trs souvent exactes serait tout fait respecte.

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7. Le dilemme du prisonnier

Le dilemme du prisonnier a t dcrit par Merrill Flood et Melvin Dresher en 1950. Il peut tre formul de la manire suivante. Deux prisonniers, Jean et Pierre, sont interrogs par un juge qui les souponne d'avoir commis un crime. Le juge propose chacun d'eux le march suivant : Vous disposez de deux possibilits : soit avouer, soit ne pas avouer. Mais attention, le choix que vous effectuerez aura une consquence trs importante sur la peine qui vous sera inflige. Ainsi, si l'un d'entre vous avoue mais que l'autre n'avoue pas, celui qui aura avou sera libre alors que celui qui aura refus d'avouer se verra infliger 10 ans de prison. En revanche, si vous avouez tous les deux, chacun d'entre vous n'aura que 5 ans de prison. Enfin, si aucun de vous n'avoue, je vous infligerai tous les deux 1 an de prison. Maintenant, rflchissez, puis dterminez-vous. Je vous ferai ensuite connatre ma sentence .

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A ce stade, il apparat utile de dcrire plus en dtail la structure du dilemme du prisonnier. Il s'avre ainsi que les quatre cas suivants sont possibles : (a) (b) (c) (d) Jean avoue et Pierre avoue Jean avoue et Pierre n'avoue pas Jean n'avoue pas et Pierre avoue Jean n'avoue pas et Pierre n'avoue pas

De plus, l'annonce du juge peut tre dcrite l'aide de la matrice suivante, qui dfinit les peines attribues chacun des deux prisonniers en fonction de leur attitude : (a) (b) (c) (d) Jean avoue et Pierre avoue Jean : 5 ans Pierre : 5 ans Jean avoue et Pierre n'avoue pas Jean : 0 an Pierre : 10 ans Jean n'avoue pas et Pierre avoue Jean : 10 ans Pierre : 0 an Jean n'avoue pas et Pierre Jean : 1 an n'avoue pas Pierre : 1 an

Le problme inhrent au dilemme du prisonnier provient du fait que deux types de raisonnements diffrents apparaissent tous deux valables. En effet, en vertu d'un premier type (I) de raisonnement, il apparat que le fait de ne pas avouer est ce qui donne chacun le maximum de chances d'tre libre. En effet, si l'un des prisonniers avoue, il en rsulte une peine qui est de 5 ans (si l'autre avoue galement) ou nulle (si l'autre n'avoue pas) ; ainsi, la peine qui en rsulte est en moyenne de 2,5 ans : (5 + 0) / 2. En revanche, si le prisonnier n'avoue pas, il s'ensuit une peine de 10 ans (si l'autre avoue) ou de 1 an (si l'autre n'avoue pas galement) ; ainsi, il en rsulte une peine qui est en moyenne de 5,5 ans : (10 + 1) / 2. Il

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apparat donc beaucoup plus rationnel d'avouer. Cependant, un autre type de raisonnement apparat galement possible. Selon un autre point de vue (II) en effet, il s'avre que le fait de ne pas avouer se rvle trs intressant pour chacun des deux prisonniers. Car il n'en rsulte qu'une peine d'un an pour chacun d'eux. Finalement, on se trouve en prsence d'un dilemme, car chacune des options qui rsulte des deux raisonnements (I) et (II) en comptition se rvle, d'un certain point de vue, optimale. Le dilemme du prisonnier correspond une situation concrte, pratique, qui possde des rpercussions dans le domaine de la thorie des jeux, de l'conomie, de la science politique, de la biologie, etc. Au niveau de la thorie des jeux, on distingue ainsi classiquement entre les jeux somme nulle et ceux somme non nulle. Pour les jeux somme nulle, il existe un gagnant et un perdant, mais pas de situation intermdiaire (tel est le cas par exemple pour le tennis). A l'inverse, pour les jeux somme non nulle, il existe un gagnant, un perdant, et une ou plusieurs situations intermdiaires (les checs, o la possibilit de la partie nulle existe, en constituent un exemple). Dans ce contexte, le dilemme du prisonnier apparat comme un jeu somme non nulle, puisqu'il existe deux cas o les deux prisonniers reoivent une peine identique : (1) s'ils avouent tous les deux ; et (2) s'ils n'avouent pas tous les deux. On peut observer que le dilemme du prisonnier donne lieu une importante variation lorsque le dilemme est rpt. Il s'agit alors du dilemme itr du prisonnier. Dans ce contexte, plusieurs stratgies apparaissent alors possibles. Il en rsulte ainsi les stratgies lmentaires suivantes : toujours avouer, ou bien ne jamais avouer. Mais d'autres stratgies plus complexes sont possibles, bases notamment sur l'option choisie par l'autre prisonnier lors des coups prcdents. Dans ce cas, les

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itrations conduisent alors analyser la succession de coups jous par le prisonnier comme un type de comportement. A ce stade, les possibilits deviennent multiples. Une stratgie qui s'est avre trs performante a ainsi t dnomme tit-for-tat. La stratgie sur laquelle elle est base est la suivante : avouer au premier coup, puis jouer au coup n + 1 ce qu'a jou l'autre prisonnier au coup n. Pour le dilemme itr du prisonnier, il n'existe pas non plus de stratgie dont on puisse dire, de manire certaine, qu'elle est meilleure que les autres.

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8. Le paradoxe de Cantor

Le paradoxe de Cantor a t dcouvert par Georg Cantor en 1899, mais n'a toutefois t publi quen 1932. L'ide gnrale du paradoxe rside dans le fait que la prise en considration de l'ensemble de tous les ensembles conduit une contradiction. En effet, si l'on appelle C l'ensemble de tous les ensembles, il s'ensuit alors qu'il existe un ensemble C*, qui est lui-mme dfini comme l'ensemble compos des parties de l'ensemble C. Par dfinition, l'ensemble C qui est l'ensemble de tous les ensembles inclut donc galement l'ensemble C*. Ceci implique que le cardinal c'est--dire le nombre d'lments de l'ensemble C est suprieur ou gal au cardinal de l'ensemble C*. Or un thorme, tabli par Cantor, tablit qu'tant donn un ensemble E, le cardinal de E est infrieur au cardinal de l'ensemble E*, qui est constitu de toutes les parties de E. Ainsi, en vertu du thorme de Cantor, il s'ensuit que le cardinal de l'ensemble C*, qui

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inclut toutes les parties de C, est ncessairement plus grand que le cardinal de l'ensemble C. Il en rsulte donc une contradiction. Le raisonnement correspondant au paradoxe de Cantor peut tre ainsi dtaill de manire plus formelle (card dnote ici le cardinal d'un ensemble) : (1) (2) (3) (4) (5) (6) C est l'ensemble de tous les ensembles C* est l'ensemble de toutes les parties de l'ensemble C card (C) card (C*) pour tout ensemble E, l'ensemble E* de toutes les parties de E est tel que card (E) < card (E*) pour l'ensemble C, l'ensemble C* de toutes les parties de C est tel que card (C) < card (C*) card (C) card (C*) et card (C) < card (C*) dfinition prmisse de (1) thorme de Cantor de (4) de (3),(5)

Le paradoxe de Cantor appartient, de mme que le paradoxe de Russell, la catgorie des paradoxes ensemblistes. A l'instar du paradoxe de Russell, il apparat au sein de la thorie nave des ensembles, o la construction de l'ensemble C de tous les ensembles se trouve autorise. Dans la thorie actuelle des ensembles, celle de ZermeloFraenkel, le paradoxe est vit car on ne peut construire l'ensemble C. En effet, un des axiomes de la thorie de Zermelo-Fraenkel, l'axiome de comprhension, a t conu de manire plus restrictive que dans la thorie nave des ensembles, afin d'interdire la construction de l'ensemble C de tous les ensembles. Mais une telle dmarche peut paratre ad hoc, c'est--dire qu'il s'agit d'une restriction de la thorie des

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ensembles qui a pour seul but d'viter les paradoxes et la contradiction qui en rsulte. Dans ce contexte, de mme que pour le paradoxe de Russell, on ne peut considrer vritablement que l'on dispose actuellement d'une solution authentique pour le paradoxe de Cantor.

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9. Le paradoxe de Grelling

Ce paradoxe a t invent par Kurt Grelling. Il est galement appel paradoxe des mots htrologiques. Le paradoxe de Grelling peut tre nonc de la manire suivante : certains adjectifs dcrivent des proprits qui s'appliquent eux-mmes, tels que polysyllabique , franais . De tels adjectifs peuvent tre qualifis d'autologiques. D'autres adjectifs, l'inverse, dcrivent des proprits qui ne s'appliquent pas eux-mmes. Par exemple, long , italien , monosyllabique . On peut qualifier de tels mots d'htrologiques. Ceci conduit classer les mots en deux catgories : (a) autologiques ; (b) htrologiques. Une telle distinction conduit toutefois un paradoxe. Compte tenu des dfinitions prcdentes, le paradoxe apparat en effet lorsquon sinterroge sur le statut du prdicat htrologique lui-mme. Ainsi, htrologique est-il autologique ou bien htrologique ? Car si htrologique est htrologique,

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alors par dfinition, htrologique est autologique. Et inversement, si htrologique est autologique, il en rsulte quil est htrologique. La conclusion est paradoxale, car il s'ensuit qu' htrologique est htrologique si et seulement s'il est autologique. Les dfinitions et le raisonnement qui conduisent au paradoxe de Grelling peuvent tre prsentes de manire plus dtaille de la manire suivante (H et ~H dnotant respectivement htrologique et non-htrologique c'est-dire autologique et dnotant une proprit donne) : (1) (2) (3) (4) (5) (6) (7) H( ) si et seulement si ~( ) ~H( ) si et seulement si ( ) si H( H ) alors ~H( H ) si ~H( H ) alors H( H ) H( H ) si et seulement si ~H( H ) dfinition 1 dfinition 2 hypothse 1 de (1) hypothse 2 de (2) de (3),(4), (5),(6)

Et il apparat que l'on ne peut attribuer valablement au prdicat htrologique ni la proprit htrologique ni la proprit autologique. A ce stade, il est intressant d'tudier galement le statut du mot autologique lui-mme. Ainsi, autologique est-il htrologique ou bien autologique ? Le raisonnement concernant autologique s'tablit comme suit : (1) (2) (8) (9) (10) (11) (12) H( ) si et seulement si ~( ) ~H( ) si et seulement si ( ) si H( ~H ) alors ~~H( ~H ) alors H( ~H ) si ~H( ~H ) alors ~H ( ~H ) dfinition 1 dfinition 2 hypothse 1 de (1) de (9) hypothse 2 de (2)

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Ici, l'tape particulire (10) est justifie par l'limination de la double ngation. Et dans ce cas, il apparat que si autologique est htrologique alors il est htrologique ; et de mme, si autologique est autologique alors il est autologique. Ainsi, il s'avre que l'on ne parvient pas non plus dterminer valablement si autologique est htrologique ou non. Parmi les solutions qui ont t proposes pour rsoudre le paradoxe de Grelling, l'une d'entre elles conduit observer que la structure du paradoxe est trs similaire celle du paradoxe de Russell. Ainsi, les deux paradoxes prsenteraient une structure commune et conduiraient une solution de mme nature. Une autre solution conduit, de mme que pour le paradoxe du Menteur, rejeter les dfinitions de tous les prdicats qui prsentent une structure auto-rfrentielle. Pourtant, une telle solution ne s'avre pas non plus satisfaisante. En effet, elle apparat beaucoup trop restrictive, car il s'avre que l'on parvient tout fait valablement dterminer le statut de nombreux prdicats auto-rfrentiels tels que par exemple polysyllabique. Proscrire purement et simplement tous les prdicats dont la structure est auto-rfrentielle serait payer un prix beaucoup trop fort pour la seule limination du paradoxe.

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10. Le paradoxe des deux enveloppes

Le paradoxe des deux enveloppes s'nonce de la faon suivante : devant vous se trouvent deux enveloppes qui contiennent chacune une somme d'argent et vous savez de manire certaine que l'une d'entre elles contient le double de l'autre. Vous prenez l'une des deux enveloppes au hasard. Maintenant, vous avez le choix entre garder l'enveloppe que vous avez en main, ou bien changer avec l'autre enveloppe. Que dcidez-vous de faire ? Un premier type de raisonnement (I) vous vient immdiatement l'esprit : la situation concernant chacune des deux enveloppes est tout fait identique. En choisissant seulement l'une des deux enveloppes, vous n'avez obtenu aucune information nouvelle. Par consquent, le choix de l'une ou l'autre est quivalent. Vous dcidez donc de conserver l'enveloppe que vous avez initialement prise. Cependant, il apparat qu'un autre type de raisonnement (II) se rvle galement possible : soit x la somme contenue dans l'enveloppe que vous avez entre les mains.Introduction la philosophie analytique

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L'autre enveloppe contient donc une somme qui est gale soit 2x, soit 1/2x. Ces deux situations sont quiprobables et chacune d'elles peut se voir attribuer une probabilit de 1/2. Par consquent, la probabilit gnrale peut tre calcule ainsi : 2x x 1/2 + 1/2x x 1/2 = 5/4x. Il s'ensuit que dans le cas gnral, l'autre enveloppe contient une somme gale 5/4x c'est--dire 1,25 x. Ainsi, il s'avre que l'autre enveloppe contient une somme qui est d'un quart suprieure celle que vous avez dans les mains. Par consquent, vous avez intrt changer avec l'autre enveloppe. Cependant, une fois l'enveloppe change, un raisonnement de mme nature vous conduit changer nouveau l'enveloppe, et ainsi de suite ad infinitum. Dans le paradoxe des deux enveloppes, c'est clairement le raisonnement (II) qui est en cause, puisqu'il conduit la conclusion absurde qu'il convient d'changer les enveloppes l'infini. Pourtant, la tche qui consiste dterminer avec prcision l'tape fallacieuse dans le raisonnement (II) s'avre trs difficile. A cette fin, il est utile de formaliser davantage les diffrentes tapes inhrentes au raisonnement (II) : (1) (2) (3) (4) (5) l'autre enveloppe contient soit (a) la somme 2x soit (b) la somme 1/2x la probabilit de chacune des situations (a) et (b) est 1/2 la probabilit gnrale est que l'autre enveloppe contienne: 2x x 1/2 + 1/2x x 1/2 la probabilit gnrale est que l'autre enveloppe contient 1,25x j'ai intrt changer avec l'autre enveloppe prmisse prmisse de (1),(2) de (3) de (4)

Parmi les solutions qui ont t proposes pour rsoudre le paradoxe, l'une d'elles fait valoir que l'assertion (2)

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selon laquelle la seconde enveloppe contient 2x ou 1/2x avec une probabilit gale 1/2, n'est pas vraie dans tous les cas. Ainsi, Franck Jackson et ses coauteurs ont fait valoir dans un article publi en 1994 qu'en ralit, les valeurs de x et les paires de valeurs qui en rsultent n'ont pas toutes la mme probabilit de se trouver dans les enveloppes. En effet, il existe certaines valeurs limites soient trs petites, soit trs grandes que l'on n'a que trs peu de chances, pour des raisons pratiques, de rencontrer. Ainsi, les deux valeurs qui peuvent se trouver dans l'autre enveloppe ne sont pas quiprobables et par consquent, la prmisse (2) n'est pas exacte. Toutefois, une telle solution n'est pas apparue satisfaisante. En effet, ainsi que l'on fait remarquer McGrew et ses coauteurs dans un article paru en 1997, on parvient faire resurgir le paradoxe en considrant une variante de ce dernier, o dans les enveloppes ne sont pas places des sommes d'argent, mais de simples morceaux papier o sont inscrits des nombres.

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11. Le paradoxe de Moore

Le paradoxe de Moore a t dcrit par G. E. Moore dans un texte paru en 1942. Si l'on considre ainsi la proposition suivante : (1) Il pleut et je ne crois pas qu'il pleut

il s'ensuit qu'une telle proposition est a priori absurde. Intuitivement, une telle proposition prsente une nature contradictoire. Pourtant, il s'avre qu'il existe certaines situations o une assertion telle que (1) peut tre valablement exprime. Une telle situation correspond par exemple au cas o une personne possde une croyance justifie qu'un vnement donn ne surviendra pas, mais o cet vnement survient finalement, en rendant finalement fausse la croyance initiale. Ainsi, une personne peut croire fermement qu'il ne pleut pas aujourd'hui en se basant sur des prvisions mto entendues la veille, alors

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qu'il pleut en ralit. Dans ce contexte, l'assertion (1) apparat alors nouveau plausible. Il s'avre utile ici d'analyser plus en dtail la structure de (1). Si l'on considre ainsi une proposition quelconque P, il s'ensuit que l'assertion (1) prsente la structure suivante : (2) P et je ne crois pas que P

On le voit, la structure logique de (2) est la suivante (Q dnotant je crois et ~ la ngation) : (3) P ~Q(P)

On distingue habituellement deux variations du paradoxe de Moore : le paradoxe de Moore de Hintikka, et le paradoxe de Moore de Wittgenstein. Le paradoxe de Moore de Hintikka prsente une structure qui est celle de (2) et correspond la version originale du paradoxe de Moore. En revanche, le paradoxe de Moore de Wittgenstein porte sur la proposition : (4) P et je crois que non-P

qui prsente la structure logique : (5) P Q(~P)

Selon certains auteurs, le paradoxe de l'examen-surprise s'assimile au paradoxe de Moore. Tel a t notamment le point de vue mis par Robert Binkley, dans un article publi en 1968, o il a fait valoir que si la priode dans laquelle l'examen peut avoir lieu n'est que d'un jour, l'annonce du professeur prsente alors la structure du paradoxe de Moore. Car l'annonce du professeur faite aux tudiants est alors la suivante : Il y aura un examen

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demain mais vous ne saurez pas que cet examen aura lieu demain . Ds lors que les tudiants concluent que l'examen ne peut avoir lieu, ils se trouvent alors, le jourmme de l'examen, dans une situation qui permet l'annonce du professeur d'tre valide. Et il en rsulte alors une situation relle qui correspond, sans contradiction, la proposition (1).

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12. Le paradoxe de Lb

Le paradoxe de Lb est mentionn dans l'ouvrage The Liar, de Jon Barwise et John Etchemendy, paru en 1987. Les auteurs indiquent que le paradoxe a t port leur attention par Dag Westerstahl. Le paradoxe de Lb, partir d'une proposition qui semble inoffensive, conduit la conclusion dvastatrice que toute proposition est vraie. La proposition qui constitue le point de dpart du raisonnement est la suivante : (1) si la proposition (1) est vraie, alors 0 =1 prmisse

Une telle proposition prsente la structure d'une proposition conditionnelle (c'est--dire qui revt la forme : si alors ) dont l'antcdent est la proposition (1) est vraie et le consquent est 0 = 1 . Le paradoxe apparat ds lors que l'on considre l'hypothse selon laquelle l'antcdent de (1), c'est--dire

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la proposition (1) est vraie , est vraie. Si l'antcdent de (1) est vrai, il s'ensuit alors que 0 = 1. Mais cette dernire proposition n'est autre que (1) elle-mme. Il en rsulte donc, par application du modus ponens (un principe logique en vertu duquel si P, P Q, alors Q), que la proposition (1) elle-mme est vraie. En consquence, la proposition (1) vient d'tre prouve. Il s'agit l d'un cas d'application de preuve conditionnelle. Cependant, si (1) est vraie, une nouvelle application du modus ponens conduit enfin au fait que 0 = 1. On peut dcrire de manire plus dtaille les diffrentes tapes du raisonnement qui conduisent au paradoxe de Lb : (1) (2) (3) (4) (5) (6) si la proposition (1) est vraie, alors 0 =1 si la proposition (1) est vraie alors 0 = 1 si la proposition (1) est vraie, alors 0 =1 (1) est vraie 0=1 prmisse hypothse de (1),(2) de (2),(3) de (4) de (1),(5)

Le paradoxe de Lb conduit ainsi prouver, partir d'une proposition qui semble pourtant inoffensive, n'importe quelle proposition. De mme que pour les autres paradoxes contemporains, la tche qui consiste dterminer la cause prcise du paradoxe s'avre trs difficile. Une tentative de solution conduit observer que la structure de (1) est auto-rfrentielle. Il s'agit l d'un point commun avec d'autres paradoxes, et en particulier le paradoxe du Menteur. Mais la solution qui consiste interdire les propositions prsentant une structure autorfrentielle ne convient pas non plus ici. En effet, il s'agit l d'une mesure trop radicale et restrictive, qui conduit

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liminer des propositions dont la structure est autorfrentielle, mais qui ne prsentent pourtant pas de problme pour se voir attribuer une valeur de vrit. Ici encore se pose le problme de la dfinition du critre qui permet de distinguer entre : (a) les propositions autorfrentielles qui admettent valablement une valeur de vrit ; (b) les propositions auto-rfrentielles auxquelles on ne peut assigner valablement une valeur de vrit.

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13. Le paradoxe de la course

Le paradoxe de la course constitue un des clbres paradoxes dus Znon dEle. On en trouve la mention trs claire dans la Physique d'Aristote :Tu ne peux pas franchir en un temps fini un nombre de points infini. Tu es oblig de franchir la moiti d'une distance donne quelconque avant de franchir le tout, et la moiti de cette moiti avant de pouvoir franchir celleci. Et ainsi de suite ad infinitum, de sorte qu'il y a un nombre infini de points dans n'importe quel espace donn, et tu ne peux en toucher un nombre infini l'un aprs l'autre en un temps fini.

De manire informelle, le paradoxe peut tre dcrit de la faon suivante. Un coureur dsire parcourir la distance qui spare un point A d'un point B. Pour aller jusqu B, le coureur doit dabord parcourir la moiti de la distance qui spare le point A du point B. Mais une fois quil a parcouru la moiti de cette distance, le coureur doit encore

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parcourir la moiti de la distance qui le spare de larrive en B. Une fois arriv ce point, le coureur aura parcouru les trois-quarts de la distance qui le spare de B. Mais de l, il devra encore parcourir la moiti de la distance le sparant de larrive, et ainsi de suite ad infinitum. Ainsi, le coureur devra parcourir un nombre infini de fois des distances qui sont elles-mmes finies. Or ceci devrait prendre un temps infini. Par consquent, le coureur ne parviendra jamais en B. Il s'ensuit ainsi que tout mouvement est impossible. On peut dcrire le paradoxe de manire un peu plus formelle. Soit d la distance sparant A de B. Dans ce cas, le coureur doit d'abord parcourir 1/2 de d, puis 1/4 de d, puis 1/8, puis 1/16, et ainsi de suite ad infinitum. Le raisonnement qui conduit au paradoxe de la course peut donc tre dcrit ainsi : (1) pour aller d'un point un autre, un coureur doit dabord parcourir la moiti de la distance qui spare les deux points le coureur dsire parcourir la distance d qui spare le point A du point B pour aller de A B, le coureur doit dabord parcourir 1/2 d une fois parvenu 1/2 d, le coureur doit ensuite parcourir 1/4 d une fois parvenu 3/4 d, le coureur doit ensuite parcourir 1/8 d ... le coureur devra parcourir un nombre infini de fois une fraction de d il est impossible de parcourir un nombre infini de distances en un temps fini prmisse

(2) (3) (4) (5) (6) (7) (8)

prmisse de (1),(2) de (1),(2), (3) de (1), (2),...,(4) de (1), (2),...,(5) de (3), (4),...,(6) prmisse

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(9)

le coureur ne parviendra jamais au point B

de (7),(8)

Une premier type de rponse qui peut tre apporte par rapport au paradoxe, est formul par Aristote par l'intermdiaire de Simplicius : chacun sait par l'exprience individuelle que l'on peut se dplacer d'un point un autre. Par consquent, on peut galement se dplacer d'un point A un point B dans le cas correspondant l'nonc du paradoxe. Le coureur parviendra donc au point B, de la mme manire que nous parvenons l'endroit o nous souhaitons nous dplacer dans la vie courante. Une telle objection, toutefois, ne se rvle pas convaincante. En effet, la constatation empirique qu'elle met en vidence s'avre bien sr vraie. Cependant, il s'agit prcisment d'une des composantes du paradoxe. Car ce qui constitue ici le cur du paradoxe, c'est que le raisonnement inhrent au paradoxe de la course conduit une conclusion qui contredit les donnes courantes de l'exprience. Ainsi, cette objection ne fait que mettre l'accent sur un des lments du paradoxe. Ce qui s'avre ncessaire en revanche, c'est de dterminer avec prcision l'tape fallacieuse dans le raisonnement dcrit par Znon. Une autre rponse, que beaucoup considrent comme une rsolution convaincante du paradoxe de la course, rsulte directement des travaux de Cauchy et de sa thorie des sries infinies. En effet, Cauchy a montr que la somme d'une srie infinie tait parfois finie. En l'espce, il s'avre que la somme de la srie infinie 1/2 + 1/4 + 1/8 + 1/16 + ... + 1/2n est gale 1. Dans ces circonstances, chaque distance intermdiaire se trouve ainsi parcourue en un temps fini. La distance d est donc parcourue un temps fini, qui est gal la somme des temps intermdiaires.

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14. Le paradoxe de la pierre

Le paradoxe de la pierre est un paradoxe qui trouve son origine dans les discussions sur la notion d'omnipotence inities par Thomas d'Aquin. Dans sa forme moderne, le paradoxe de la pierre a t dcrit par W. Savage en 1967, dans un article publi par la revue Philosophical Review. Il peut tre nonc de la manire suivante : soit tout d'abord la dfinition selon laquelle Dieu est un tre omnipotent. Considrons ensuite une pierre qui prsente la caractristique suivante : elle est tellement lourde que Dieu ne peut la soulever. A ce stade, il existe deux possibilits : soit Dieu peut la crer, soit Dieu ne peut pas la crer. Envisageons tout d'abord la premire hypothse. Si Dieu peut crer une telle pierre, il s'ensuit donc que Dieu ne peut la soulever. Par consquent, si Dieu peut crer une telle pierre, il existe ainsi une tche que Dieu ne peut accomplir. Considrons maintenant la seconde hypothse, en vertu de laquelle Dieu ne peut crer une telle pierre. Dans ce cas, il s'ensuit galement qu'il existe une tche que Dieu ne peut accomplir. Ainsi, la prise enIntroduction la philosophie analytique

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compte de chacune des deux hypothses conduit la conclusion que dans chacun des cas, il existe une tche que Dieu ne peut accomplir. Et ceci se rvle en contradiction avec le fait que Dieu est omnipotent. Il s'ensuit donc que Dieu n'existe pas. Les tapes de l'argument peuvent tre dcomposes de la manire suivante : (1) (2) (3) (4) (5) (6) (7) (8) (9) Dieu est un tre omnipotent soit Dieu peut crer une pierre qu'il ne peut soulever, soit Dieu ne peut pas la crer Dieu peut crer une pierre qu'il ne peut soulever Dieu ne peut soulever une pierre il existe une tche que Dieu ne peut accomplir Dieu ne peut pas crer une pierre qu'il ne peut soulever il existe une tche que Dieu ne peut accomplir il existe une tche que Dieu ne peut accomplir Dieu n'est pas un tre omnipotent dfinition dichotomie hypothse 1 de (3) de (4) hypothse 2 de (6) de (5),(7) de (8)

Une solution qui a t formule pour rsoudre le paradoxe de la pierre repose sur le fait que la notion de pierre que Dieu ne peut soulever prsente elle-mme une nature contradictoire. Le statut d'une telle pierre, si elle existait, serait ainsi contradictoire par nature. Et il n'est donc pas tonnant que l'utilisation d'une notion contradictoire dans un argument entrane des consquences illogiques. La notion de pierre que Dieu ne peut soulever peut tre ainsi compare un cercle carr

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ou un clibataire mari . Car on peut en effet avoir exactement le mme type d'argument avec un cercle carr , conduisant de la mme manire une consquence contradictoire. Selon un autre point de vue, qui rsulte des crits de Thomas d'Aquin, le concept d'omnipotence ne peut pas tre utilis sans restriction. Car la notion d'omnipotence divine ne doit tre envisage que par rapport aux choses qui sont rellement possibles. En aucun cas, la notion d'omnipotence n'entrane la capacit d'accomplir des choses impossibles. Un tel point de vue peut tre appliqu directement au paradoxe de la pierre. Il s'ensuit alors que le fait de soulever une pierre que personne ne peut soulever, constitue prcisment une tche impossible.

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15. L'argument de l'Apocalypse

L'argument de l'Apocalypse est un raisonnement qui a t nonc par l'astrophysicien Brandon Carter, au dbut des annes 1990. Ce type de raisonnement a galement t dcouvert de manire indpendante par Richard Gott et H. Nielsen. L'argument de l'Apocalypse a ensuite t dvelopp de manire dtaille et dfendu par le philosophe canadien John Leslie dans une srie de publications. La caractristique principale de l'argument de l'Apocalypse et que les prmisses du raisonnement correspondant semblent tout fait acceptables, alors que la conclusion se rvle inacceptable pour la plupart des gens. Le raisonnement sur lequel est bas l'argument de l'Apocalypse est le suivant. On considre tout d'abord une urne qui comprend soit 10, soit 1000 boules. Les boules sont numrotes 1, 2, 3, 4, 5, .... Les hypothses en comptition sont ainsi les suivantes : (H1) l'urne comprend 10 boules numrotes

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(H2) l'urne comprend 1000 boules numrotes On considre que la probabilit initiale que l'urne contienne 10 boules ou 1000 boules est 1/2. Maintenant, vous tirez au hasard une boule dans l'urne et vous dcouvrez que celle-ci possde le numro 5. Ce tirage rend-il plus probable l'hypothse selon laquelle l'urne contient 10 boules, ou celle selon laquelle elle en contient 1000 ? Compte tenu de l'information nouvelle selon laquelle la boule extraite de l'urne porte le numro 5, il apparat qu'une rvision la hausse de la probabilit initiale de l'hypothse selon laquelle l'urne contient seulement 10 boules, doit tre effectue. En effet, le tirage au hasard de la boule numro 5 rend beaucoup plus probable cette dernire hypothse. Car si l'urne ne contient que 10 boules, il existe 1 chance sur 10 de tirer la boule numro 5. En revanche, si l'urne contient 1000 boules, il existe 1 chance sur 1000 de tirer la boule qui porte le numro 5. Un calcul prcis l'aide du thorme de Bayes conduit revoir 0,99 la probabilit initiale que l'urne contienne 10 boules. Un tel raisonnement, bas sur le contenu d'une urne, se rvle consensuel. A ce stade, on fait maintenant le parallle avec la situation humaine. On considre ainsi deux hypothses concernant l'volution de l'humanit. On peut envisager ainsi que la population totale des humains ayant jamais exist atteindra soit 100 milliards, soit 10000 milliards. On formule ainsi les deux hypothses suivantes concernant l'avenir de l'humanit : (H3) l'humanit comptera au total 100 milliards d'humains (H4) l'humanit comptera au total 10000 milliards d'humains

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La premire hypothse correspond une extinction prochaine et rapide de l'humanit, alors que la seconde correspond une dure de vie trs longue de l'humanit, qui pourrait ainsi coloniser d'autres plantes et s'tendre travers la galaxie, etc. On attribue, pour simplifier, une probabilit de 1/2 chacune de ces deux hypothses. A ce stade, je suis amen prendre en considration mon rang depuis la naissance de l'humanit. Considrant ainsi que je suis le 70000000000me humain, je suis donc amen raisonner de la mme manire que je l'ai fait auparavant avec l'urne. Et ceci conduit rviser la hausse la probabilit initiale selon laquelle la population totale des humains ayant jamais exist n'atteindra que 100 milliards. Finalement, ceci plaide pour la probabilit beaucoup plus grande qu'on ne l'aurait imagin de prime abord d'une extinction prochaine de l'humanit. Mais la diffrence du cas prcdent concernant l'urne, cette dernire conclusion apparat cette fois tout fait inacceptable et contraire l'intuition. Dans le raisonnement qui a conduit la conclusion selon laquelle l'humanit devrait rencontrer une extinction prochaine, une tape parat tre dfectueuse. Mais la tche de dterminer avec prcision le point faible dans l'argument de l'Apocalypse s'avre une entreprise trs difficile, pour laquelle les avis divergent considrablement. Une premire approche pour essayer de rsoudre le problme pos par l'argument de l'Apocalypse est simplement d'accepter sa conclusion. Selon certains auteurs, et en particulier John Leslie, l'argument est correct et la conclusion qui en rsulte doit tre accepte (avec une rserve importante toutefois, qui concerne le cas o notre univers n'est pas entirement dterministe). Leslie se base pour cela sur le fait qu'il a rfut, dans deux articles publis en 1992 dans la revue Mind et dans son ouvrage The End of the World paru en 1996, de manire souvent convaincante, un nombre impressionnant d'objections

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l'argument de l'Apocalypse. Cependant, l'acceptation de la conclusion de l'argument de l'Apocalypse demeure tout fait contraire l'intuition. D'autre part, l'acceptation que la simple connaissance de notre rang de naissance conduit rvaluer la hausse la probabilit de l'extinction prochaine de l'humanit, conduit une conclusion de mme nature dans nombre de situations courantes analogues. Il sensuit par exemple une rvision la hausse de la probabilit de la disparition prochaine de l'association laquelle je viens d'adhrer, etc. Un autre type de solution, que j'ai dveloppe dans un article publi en 1999 par la revue Canadian Journal of Philosophy, consiste considrer que la classe de rfrence sur laquelle porte l'argument de l'Apocalypse, c'est--dire l'espce humaine, n'est pas dfinie avec prcision. Car doit-on assimiler cette dernire la sousespce homo sapiens sapiens, lespce homo sapiens, au genre homo, etc. ? On peut ainsi choisir la classe de rfrence de manire diffrente, en oprant par restriction ou par extension. Dans lnonc de largument de lApocalypse, aucun critre objectif permettant de choisir la classe de rfrence, nest prsent. Il sensuit donc un choix arbitraire de cette dernire. Supposons alors que jassimile, de manire arbitraire, la classe de rfrence la sous-espce homo sapiens sapiens. Il sensuit alors, par application de largument de lApocalypse, un dcalage bayesien en faveur de lhypothse selon laquelle la sousespce homo sapiens sapiens est promise une prochaine extinction. Toutefois, lextinction de la sous-espce homo sapiens sapiens peut aussi bien saccompagner de lapparition dune ou plusieurs sous-espces nouvelles, telles que homo sapiens supersapiens. Dans ce cas, la disparition de la classe de rfrence qui sidentifie, par restriction, la sous-espce homo sapiens sapiens, saccompagne de la survie dune classe de rfrence plus tendue, qui sassimile lespce homo sapiens. Un tel

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raisonnement a pour effet de rendre largument de lApocalypse inoffensif et den neutraliser la conclusion initialement dvastatrice. On peut objecter toutefois une telle solution quelle admet toujours la validit de largument vis--vis dune classe de rfrence restreinte telle quhomo sapiens sapiens, alors mme qu'une telle conclusion bien quinoffensive apparat contraire lintuition. Une autre solution qui a t propose rcemment par George Sowers, dans un article publi en 2002 dans la revue Mind, est la suivante. Selon l'auteur, l'analogie avec l'urne qui sous-tend l'argument de l'Apocalypse n'est pas valable, car notre rang de naissance individuel n'est pas obtenu de manire alatoire comme le sont les numros des boules extraites de l'urne. En effet, notre rang de naissance est index sur la position temporelle qui correspond notre naissance. Par consquent, conclut Sowers, le raisonnement qui sous-tend l'argument de l'Apocalypse est fallacieux, car il est bas sur une fausse analogie. Pourtant, l'analyse de Sowers n'est pas entirement convaincante. En effet, on peut trs bien imaginer une analogie avec une urne lgrement diffrente, o le tirage de la boule s'effectue de manire alatoire, mais o le numro de la boule est index sur la position temporelle correspondante. Il suffit pour cela de considrer un dispositif comportant une urne dont la boule n n par exemple se trouve extraite au hasard. Ensuite le mcanisme expulse la boule n 1 au temps T1, la boule n 2 au temps T2, la boule n 3 au temps T3, la boule n 4 au temps T4, ... et pour finir la boule n n au temps Tn. Le dispositif s'arrte alors. Et dans ce cas, il apparat bien que le tirage de la boule a t effectu de manire alatoire, alors mme que le numro de la boule est index sur la position temporelle correspondante.

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16. Le problme du navire de Thse

Dans la littrature, on trouve la trace pour la premire fois du problme du navire de Thse dans l'uvre de Plutarque. Le problme peut tre dcrit de la manire suivante. Thse possde un navire avec lequel il prend un jour la mer, accompagn de plusieurs de ses compagnons. Soit A ce dernier navire, qui est donc le navire de Thse . Pendant le voyage, des avaries multiples rendent ncessaires de nombreuses rparations et c'est ainsi qu'assez souvent, des pices du navire doivent tre remplaces par des pices neuves. De longues annes s'coulent ainsi et alors que l'heure du retour approche, il s'avre que toutes les pices du navire ont finalement t remplaces. Ainsi, lors du retour de Thse en Grce, le navire ne comporte aucune de ses pices originales. Appelons B le navire qui est celui de Thse lors de son retour en Grce. Maintenant, la question est : le navire A est-il identique au

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navire B ? Autrement dit, le navire B est-il toujours le navire de Thse ? Il est intressant de modliser ce problme de manire plus prcise. On peut considrer ainsi que le navire A possde n pices (planches, pices mtalliques, cordes, etc.) qui sont autant de parties, qui peuvent tre dnotes par a1, a2, a3, ..., an, an. De mme, les parties du navire B sont b1,


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