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JEFFERY DEAVER · 2012. 9. 13. · JEFFERY DEAVER DES CROIX SUR LA ROUTE Une enquête de Kathryn...

Date post: 25-Jan-2021
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JEFFERY DEAVER DES CROIX SUR LA ROUTE Une enquête de Kathryn Dance roman TRADUIT DE L’ANGLAIS (ÉTATS-UNIS) PAR PIERRE GIRARD
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  • JEFFERYDEAVER

    DES CROIXSUR LA ROUTE

    Une enquête de Kathryn Dance

    roman

    TRADUIT DE L’ANGLAIS (ÉTATS-UNIS)

    PAR PIERRE GIRARD

  • Titre original :ROADSIDE CROSSES

    Éditeur original : Simon & Schuster, New York

    © Jeffery Deaver, 2009ISBN original : 978-1-4165-4999-4

    Pour la traduction française :© Éditions des Deux Terres, octobre 2012

    ISBN : 978-2-84893-125-8

    Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisationcollective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédéque ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue unecontrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

    www.les-deux-terres.com

  • Note de l’auteur

    L’un des thèmes de ce roman est le brouillage de la frontièreentre le « monde synthétique » – la vie en ligne, le virtuel – et lemonde réel. Ainsi, si vous tombez sur l’adresse d’un site en lisantces pages, vous serez peut-être tenté de taper cette adresse sur le cla-vier de votre ordinateur pour voir où elle vous emmène. Vousn’aurez pas besoin de ce qui se trouve sur ces sites pour prendreplaisir à la lecture du roman, mais il se pourrait que vous y décou-vriez quelques indices pour vous aider à éclaircir le mystère.Comme il se peut que vous soyez simplement intéressé – ou per-turbé – par ce que vous y trouverez.

  • Internet et son culte de l’anonymat offrentune sorte de couverture d’immunité à quiconque veut dire

    quelque chose sur quelqu’un, si bien que l’on a peineà imaginer une exploitation plus tordue du concept de libre parole.

    Richard Bernstein, The New York Times

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    CHAPITRE 1

    Insolite.Le jeune agent de la police de la route californienne, dont les

    cheveux blonds frisaient sous sa casquette toute neuve, scrutait lepaysage à travers le pare-brise de sa grosse Crown Victoria PoliceInterceptor sur la Route 1 au sud de Monterey.

    Il y avait quelque chose de bizarre. Mais quoi ?Il était cinq heures de l’après-midi, sa tournée s’achevait et il

    serait bientôt de retour chez lui, mais il restait vigilant. Il dressaitrarement des contraventions, préférant – courtoisie profession-nelle oblige – laisser cela à ses collègues de la police du comté,mais il lui arrivait, quand il était d’humeur, d’arrêter quelqu’undans une voiture allemande ou italienne, et comme il empruntaitsouvent cette route à ce moment de la journée, il la connaissaitbien.

    Là-bas… C’était ça. Quelque chose de coloré, à trois ou quatrecents mètres, en bordure de la chaussée et au pied de l’une desdunes qui empêchent de voir Monterey Bay.

    Mais de quoi s’agissait-il ?Il alluma sa batterie de projecteurs – réglementaire – et s’enga-

    gea sur le bas-côté, à droite, pour s’arrêter en pointant le capot de

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    la Ford vers la voie de gauche. Ainsi, quelqu’un qui l’emboutiraitpar l’arrière projetterait la voiture loin de lui et non pas sur lui. Ily avait une croix, plantée dans le sable juste derrière la dune – unde ces petits monuments funéraires comme on en voit au bord desroutes. Haut d’une cinquantaine de centimètres, bricolé avec desbranches brisées et attachées ensemble par le genre de fil de ferqu’utilisent les fleuristes. On avait jeté au pied un bouquet deroses et on lisait au centre, sur un carton, la date de l’accidentécrite à l’encre bleue. Mais aucun nom.

    En principe, on détruisait ces mémoriaux aux victimes d’acci-dents de la route, car il arrivait que des gens soient blessés, voiretués, en venant y déposer des fleurs.

    Ils étaient généralement laids et poignants. Mais celui-ci avaitquelque chose d’effrayant.

    Bizarre, tout de même : le jeune policier ne se rappelait aucunaccident survenu à cet endroit. C’était en fait l’un des tronçons lesmoins dangereux de la Route 1. Elle le devenait au sud de Car-mel, par exemple sur les lieux du malheureux accident qui s’étaitsoldé quelques semaines auparavant par la mort de deux jeunesfilles au retour d’une fête de remise de diplôme. Mais la route, ici,filait sur trois voies et pratiquement en ligne droite, avec seule-ment quelques larges courbes en traversant le site de Fort Ord,qui abritait désormais des bâtiments universitaires, et les quartierscommerciaux.

    Le jeune policier songea à enlever cette croix, mais les prochesde la victime pouvaient revenir pour en remettre une autre, etprendre à nouveau des risques. Mieux valait ne pas y toucher. Ilse promit d’interroger son sergent le lendemain matin, par simplecuriosité, pour savoir ce qu’il s’était produit à cet endroit. Ilretourna à sa voiture, jeta sa casquette sur le siège arrière et passala main sur ses cheveux coupés ras. Quand il se coula dans la cir-culation, son esprit n’était plus aux accidents de la route. Il sedemandait ce que sa femme aurait fait pour dîner, et se disait qu’ilemmènerait bien, ensuite, les gosses à la piscine.

    Et quand son frère allait-il venir en ville ? Il regarda la date quis’inscrivait dans une petite fenêtre sur le cadran de sa montre-

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    bracelet. Et fronça les sourcils. C’était bien ça ? Un coup d’œil àson téléphone portable le lui confirma : on était le 25 juin.

    Bizarre. La date inscrite d’une main maladroite sur le disque encarton était celle du 26 – le lendemain, un mardi.

    Les malheureux qui avaient érigé ce pauvre mémorial étaientsans doute accablés par leur chagrin, ce qui expliquait l’erreur.

    Puis les images de cette étrange croix se dissipèrent, sans dispa-raître tout à fait de son esprit tandis que, sur la route qui le rame-nait chez lui, le jeune agent conduisait un peu plus prudemment.

  • 19

    CHAPITRE 2

    La faible lueur – une lueur vert pâle, fantomatique – dansaitjuste hors de sa portée.

    Si seulement elle pouvait l’atteindre.Si seulement elle pouvait arriver jusqu’au fantôme, elle serait

    sauve.La lueur flottait dans l’obscurité d’un coffre de voiture, dansait

    au-dessus de ses pieds, qui étaient ligotés avec du ruban adhésif,comme ses mains.

    Un fantôme…On lui avait collé une autre bande d’adhésif sur la bouche et

    elle respirait un air fétide par les narines, en se retenant, comme sile coffre de sa Toyota Camry n’en avait contenu qu’une quantitélimitée.

    La voiture passa sur un trou de la chaussée et une secousse bru-tale lui arracha un cri. D’autres lueurs apparaissaient de temps entemps : un éclat rouge sombre quand il freinait, la pulsation d’unfeu clignotant… Et aucune lumière venant de l’extérieur ; il étaitprès d’une heure du matin.

    La lumière fantomatique semblait bouger d’avant en arrière.C’était la poignée d’ouverture d’urgence du coffre : une main

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    phosphorescente ornée de l’image comique d’un homme s’échap-pant du véhicule.

    Mais elle était juste hors de portée de ses pieds.Tammy Foster s’était forcée à ne plus pleurer. Les sanglots

    avaient commencé tout de suite après que l’agresseur l’avait saisiepar-derrière dans la pénombre du parking du club pour lui collerdu ruban adhésif sur la bouche, lui lier les mains dans le dos et lajeter dans le coffre. Il lui avait aussi attaché les pieds.

    Pétrifiée par la panique, Tammy Foster, dix-sept ans, se dit toutde même : Il ne veut pas que je le voie. C’est une bonne chose. Iln’a pas l’intention de me tuer.

    Il veut seulement me faire peur.Elle examina le coffre, en particulier la petite lumière qui dan-

    sait. Elle tenta de l’attraper avec les pieds mais elle glissait entreses chaussures. Tammy était une fille solide qui jouait au foot etétait la mascotte de son équipe. Mais coincée comme elle l’était,elle ne pouvait pas garder les pieds levés plus de quelquessecondes.

    Et le petit fantôme lui échappait.La voiture accéléra. Chaque seconde qui s’écoulait ajoutait à

    son désespoir. Tammy Foster se remit à pleurer.Ne pleure pas, arrête ! Tu as le nez qui se bouche, tu vas

    t’étouffer !Elle fit un nouvel effort pour se calmer.Elle était censée rentrer chez elle à minuit au plus tard. Sa mère

    allait s’inquiéter. Elle se demanderait si elle n’était pas ivre, ou sielle n’avait pas eu un problème avec son dernier petit ami.

    Sa sœur allait s’inquiéter. Elle chercherait à savoir si Tammyn’était pas sur Internet, si elle n’avait pas téléphoné.

    Bang.Un choc métal contre métal. Il chargeait quelque chose sur le

    siège arrière.Elle se rappela les films d’horreur qu’elle avait vus récemment.

    Pleins de choses brutales, répugnantes. Tortures, assassinats…Avec des instruments.

    Ne pense pas à ça. Elle concentra son attention sur la serrure ducoffre.

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    Et elle entendit un bruit nouveau. La mer.Puis ils s’arrêtèrent et il coupa le contact.Plus de lumière.La voiture se balança légèrement tandis qu’il remuait sur le

    siège du conducteur. Que faisait-il ? Elle entendait maintenant lecri rauque des phoques, tout près. Ils se trouvaient donc sur uneplage qui, à cette heure de la nuit, devait être complètementdéserte.

    Une portière de la voiture s’ouvrit et se referma. Une autres’ouvrit.

    À nouveau ce choc métallique à l’arrière.Des tortures… des instruments…La portière claqua, violemment.Et Tammy perdit tout contrôle d’elle-même. Elle se mit à san-

    gloter, en luttant pour respirer dans l’air nauséabond. « Non, pitié,pitié ! » cria-t-elle, mais les mots, à travers le bâillon qui l’étouffait,n’étaient qu’un gémissement.

    Elle se mit à réciter toutes les prières qu’elle avait en mémoiretout en attendant le bruit du verrou qui allait sauter à l’ouverturedu coffre.

    Les vagues s’écrasaient avec fracas. Les phoques poussaientleurs mugissements enroués.

    Elle allait mourir.– Maman…Et puis… rien.Le coffre ne s’ouvrit pas. La portière ne se rouvrit pas. Elle

    n’entendit pas approcher des pas. Au bout de trois minutes, elleparvint à taire ses pleurs. La panique retomba.

    Cinq minutes. Il n’avait pas ouvert le coffre.Dix minutes.Tammy laissa échapper un petit rire hystérique.C’était de la terreur, et rien d’autre. Il n’allait pas la tuer ni la

    violer. C’était une farce.Elle souriait sous le bâillon quand la voiture se balança, imper-

    ceptiblement. Son sourire disparut. La Camry recommençait àbouger, sous une poussée un peu plus forte que la première. Il yeut un bruit différent – un éclaboussement accompagné d’un

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    choc –, et Tammy comprit qu’une vague venait de heurter l’avantde la voiture.

    Oh, mon Dieu, non ! Il l’avait laissée sur la plage, alors que lamarée montait !

    La voiture ne bougeait plus, l’eau devait affluer autour desroues qui s’enfonçaient dans le sable.

    Non ! Mourir noyée… rien ne lui faisait aussi peur. Et coincéedans un petit espace comme celui-ci… c’était impensable ! Elle semit à donner des coups de pied contre le couvercle.

    Mais il n’y avait, bien sûr, personne pour l’entendre, hormis lesphoques.

    L’eau battait maintenant les flancs de la Toyota.Le fantôme…Il fallait faire sauter ce verrou. Après avoir réussi à se débarras-

    ser de ses chaussures, elle reprit ses efforts, la tête bloquée contrele tapis de sol, les jambes, les pieds tendus vers la main phospho-rescente. Elle parvint à les placer de chaque côté et appuya, tousses muscles bandés tremblant sous l’effort.

    Maintenant !Elle poussa le fantôme vers le bas.Un déclic.Voilà, ça marchait !Mais elle lâcha un cri d’horreur. La poignée s’était détachée,

    sans ouvrir le coffre. Elle la regarda qui gisait à côté d’elle. Il avaitdû couper le câble ! Après l’avoir jetée dans le coffre, il l’avaitcoupé. Voilà pourquoi la poignée pendait et se balançait : ellen’était plus reliée au câble.

    Elle était prise au piège.Au secours, quelqu’un ! supplia Tammy. Elle en appela à Dieu,

    à un passant, et même à son ravisseur pour qu’il la prenne enpitié.

    Avec, pour toute réponse, le clapotis indifférent de l’eau quis’insinuait dans le coffre.

    L’hôtel Peninsula Garden se niche non loin de la vénérableRoute 66, laquelle offre sur une trentaine de kilomètres un véri-table diaporama qui pourrait s’intituler « les nombreux visages du

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    comté de Monterey ». La 66 serpente vers l’ouest à partir duNation’s Salad Bowl, ou saladier de la nation, et longe les éten-dues verdoyantes des Pastures of Heaven, les pâturages célestes,le bruyant circuit automobile de Laguna Seca, des immeubles debureaux, puis la ville poussiéreuse de Monterey et, parmi les pinset les sapins, celle de Pacific Grove. Et elle amène enfin des auto-mobilistes – du moins ceux qui ont tenu à la suivre jusqu’aubout – au légendaire Seventeen Mile Drive, terre d’élection d’uneespèce fort commune dans ces parages : les gens-qui-ont-de-l’argent.

    – Pas mal, dit Michael O’Neil à Kathryn Dance en sortant de lavoiture de la jeune femme.

    Kathryn examina à travers ses petits verres cerclés de gris ledécor espagnol du bâtiment principal et la demi-douzaine de bâti-ments annexes. Un établissement assez chic, bien qu’un peuvétuste d’apparence.

    – Pas mal. J’aime bien.Tout en regardant l’hôtel, d’où l’on apercevait au loin l’océan

    Pacifique, Kathryn Dance, experte en synergologie, ou langagedu corps, s’efforçait de « lire » O’Neil. Le shérif adjoint ducomté de Monterey n’était pas facile à analyser. Bien bâti, qua-rante ans passés et les cheveux poivre et sel, c’était un hommeaffable mais qui ne se livrait guère quand il ne vous connaissaitpas. Et même alors, il restait économe de ses gestes et de sesexpressions. Pour le synergologue, c’était tout sauf un livreouvert.

    Elle voyait tout de même à cet instant qu’il n’était absolumentpas inquiet malgré la raison qui les amenait ici.

    Elle, en revanche, l’était.Kathryn Dance, âgée de trente et quelques années et toujours

    soignée de sa personne, avait ce jour-là ses cheveux blond fauverassemblés en une tresse unique ornée à son extrémité d’unruban bleu que sa fille avait choisi et noué avec soin le matinmême. Elle portait une longue jupe plissée noire et une vestenoire sur son chemisier blanc. Aux pieds, des bottines noires àtalons de cinq centimètres auxquelles elle avait rêvé pendant des

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    mois en résistant au désir de les acheter avant la saison dessoldes.

    O’Neil portait l’une de ses trois ou quatre tenues civiles : panta-lon de coton, chemise bleu pastel sans cravate. Sa veste était endrap bleu foncé avec un discret motif écossais dans la trame.

    Le portier, un Latino jovial, les regarda s’approcher avec unsourire qui semblait dire : Vous avez l’air d’un couple sympa-thique. Bienvenue ! Je vous souhaite un agréable séjour. Il leurouvrit la porte.

    Kathryn Dance se tourna vers O’Neil avec un sourire hésitantet ils se dirigèrent vers le comptoir de la réception dans le halld’entrée.

    En ressortant du bâtiment principal, ils se mirent à la recherchede la chambre à travers le complexe hôtelier.

    – Je n’aurais jamais cru que ça arriverait un jour, dit O’Neil àKathryn.

    Elle laissa échapper un petit rire. Et s’aperçut, amusée, que sonregard s’attardait de temps en temps sur les portes et les fenêtres.C’était une réaction synergologique signifiant que le sujet pensaitinconsciemment à fuir, autrement dit qu’il était en état de stress.

    – Regardez, dit-elle en montrant du doigt une piscine.Il semblait y en avoir quatre.– C’est comme un Disneyland pour adultes. Il paraît qu’un tas

    de chanteurs de rock viennent ici.– Ah bon ?Elle fronça les sourcils.– Et alors ? demanda O’Neil.– Il n’y a qu’un étage. Je ne vois pas ce qu’il peut y avoir de

    drôle à se défoncer et à jeter la télé et les meubles par les fenêtres.– On est à Carmel, ici, lui fit remarquer O’Neil. Ce qu’ils trou-

    vent de mieux pour s’éclater, c’est de balancer des recyclables auxordures.

    Kathryn fut tentée de répondre, mais s’abstint. Ce badinage larendait encore plus nerveuse.

    Elle s’arrêta un instant à côté d’un palmier dont les feuillesétaient pointues comme des lames.

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    – Où sommes-nous ?Le shérif adjoint regarda le papier qu’il tenait à la main et mon-

    tra l’un des bungalows du fond.– Là.Ils s’approchèrent de l’entrée. O’Neil souffla et haussa les sour-

    cils.– Je pense que c’est ça.Kathryn se mit à rire.– Je me sens comme une ado !La porte s’ouvrit très vite sur un type maigre d’une cinquan-

    taine d’années, en pantalon noir, chemise blanche et cravate àrayures.

    – Michael, Kathryn. Vous êtes juste à l’heure. Entrez.

    Ernest Seybold, district attorney au comté de Los Angeles, lesinvita d’un signe de tête à s’avancer dans la pièce. Un greffier s’ytrouvait déjà, assis devant son dictaphone. Et une autre jeunefemme qui se leva pour saluer les nouveaux arrivants. Seybold laprésenta comme son assistante.

    Au cours du mois précédent, Kathryn et O’Neil avaient eu às’occuper d’une affaire à Monterey. Un certain Daniel Pell,condamné pour meurtre et pour activités sectaires, s’était évadéde prison et menaçait de faire de nouvelles victimes sur la pénin-sule. L’une des personnes impliquées dans l’affaire s’était révéléequelqu’un de tout différent de ce que croyaient Kathryn et ses col-lègues policiers. Il s’en était suivi un autre meurtre.

    Kathryn Dance voulait absolument le poursuivre, mais il yavait de nombreuses pressions pour l’en dissuader, venant depuissantes organisations. Elle avait refusé d’y céder et, après ladérobade du procureur de Monterey, O’Neil et elle avaient décou-vert que le meurtrier avait déjà tué – à Los Angeles. L’attorneySeybold, qui travaillait souvent avec Kathryn et le CaliforniaBureau of Investigation auquel elle appartenait, et avec qui elles’était liée d’amitié, avait donné son accord pour transférer le dos-sier d’accusation à L.A.

    Plusieurs témoins, dont Kathryn Dance et O’Neil, se trouvaienttoutefois à Monterey, et Seybold était venu ce jour-là prendre

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    leurs dépositions. Le caractère clandestin de leur rencontre étaitdû aux relations et à la réputation de l’homme qu’ils poursui-vaient. Ils évitaient d’ailleurs pour le moment d’utiliser le nom dece tueur. Le dossier, en interne, avait pour intitulé « Le peuplecontre J. Doe ».

    Ils s’assirent, et Seybold dit :– Nous risquons d’avoir un problème. Il faut que je vous en

    parle.Les pressentiments qui avaient assailli Kathryn revinrent :

    quelque chose allait mal se passer, l’affaire capoter.– La défense a présenté une requête visant à obtenir un non-lieu

    en invoquant l’immunité. Franchement, je ne peux pas vous dires’ils ont des chances de réussir. L’audience est fixée à après-demain.

    Kathryn ferma les yeux.– Non !O’Neil, à côté d’elle, poussa un soupir rageur.Tout ce travail…S’il s’en sort, pensa Kathryn… Mais elle se rendit compte

    qu’elle n’avait rien à ajouter à cela, sinon, sinon : S’il s’en sort,j’aurai perdu.

    Elle sentit que sa mâchoire tremblait.Mais Seybold dit :– J’ai formé une équipe pour préparer notre réponse. Ils sont

    très forts. Les meilleurs du bureau.– Il me le faut à tout prix, Ernest. Je le veux. Je le veux pour de

    bon.– Vous n’êtes pas la seule, Kathryn. On fera tout ce qu’on

    pourra.S’il s’en sort…– Mais je veux procéder comme si on allait gagner, ajouta Sey-

    bold avec une telle confiance qu’elle en fut rassurée.Ils se mirent au travail, Seybold posant des dizaines de ques-

    tions au sujet du crime. Il voulait savoir de quoi les deux policiersavaient été les témoins et quelles étaient les preuves et les pièces àconviction.

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    Seybold était un procureur chevronné et savait ce qu’il faisait.Après une heure d’interrogatoire, il se renversa en arrière sur sonsiège et déclara qu’il en avait assez pour le moment. Il attendait unautre visiteur – un agent de la police locale – qui avait lui aussiaccepté de témoigner.

    Ils remercièrent le procureur, qui promit de les appeler dès quele juge se serait prononcé.

    Comme ils revenaient vers le bâtiment principal, O’Neil ralentiten fronçant les sourcils.

    – Qu’y a-t-il ? demanda Kathryn.– Faisons l’école buissonnière.– Que voulez-vous dire ?Il montra du doigt la magnifique salle de restaurant accrochée à

    la falaise au-dessus de la mer.– Il est encore tôt. C’était quand, la dernière fois qu’un individu

    en tenue blanche vous a servi des œufs pochés au bacon sur destoasts cuits à point avec une bonne sauce hollandaise ?

    Kathryn réfléchit.– En quelle année sommes-nous ?Il sourit.– Allons-y. On ne se mettra pas en retard.Elle jeta un coup d’œil à sa montre.– Je ne sais pas…Kathryn Dance n’avait jamais fait l’école buissonnière, et moins

    encore en tant que cadre supérieur du California Bureau of Inves-tigation, ou CBI.

    Puis elle se dit : Pourquoi hésites-tu ? Tu adores être avecMichael, et tu as si rarement la possibilité de passer un moment dedétente en sa compagnie.

    – Chiche !Elle se sentait à nouveau comme une ado, mais ce n’était pas

    désagréable cette fois.Ils se retrouvèrent côte à côte au bord de la terrasse. Le soleil

    s’était levé, annonçant une belle matinée de juin.Le serveur – qui ne portait pas une tenue complète mais une

    impeccable chemise blanche au col amidonné – leur tendit la carteet versa du café. Le regard de Kathryn s’attarda sur la carte qui

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    vantait les célèbres cocktails mimosa au champagne et au jusd’orange, spécialité de l’hôtel. Hors de question, pensa-t-elle. Enlevant les yeux, elle croisa le regard d’O’Neil qui venait de voir lamême chose.

    Ils éclatèrent de rire.– Le jour où on descendra à L.A. pour le grand jury, ou pour le

    procès, dit-il, champagne !– D’accord !À ce moment, le téléphone d’O’Neil sonna. Il consulta l’écran

    minuscule. Kathryn vit tout de suite le changement dans son lan-gage du corps – les épaules qui se haussaient légèrement, les brasplus près du corps, le regard concentré au-delà de l’écran.

    – Salut, chérie.Kathryn comprit en l’écoutant parler avec Anne, sa femme,

    photographe de métier, que celle-ci devait partir plus tôt queprévu pour un déplacement professionnel et qu’elle se renseignaitsur l’emploi du temps de son mari.

    Il rempocha son téléphone et resta silencieux un moment pen-dant qu’ils étudiaient la carte.

    – Eh bien, dit-il. Des œufs Benedict pour moi.Elle avait fait le même choix et chercha le serveur du regard.

    Mais alors son téléphone se mit à sonner. Un texto. Elle le lut,fronça les sourcils puis relut, en sentant que sa propre attitudevenait de changer à son tour. Son cœur battait plus fort, elle avaithaussé les épaules et tapait du pied.

    Kathryn Dance poussa un soupir, et à la place de l’index levéqui invitait poliment le serveur à venir, elle mima à deux mains lasignature de l’addition.

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