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Date post: 25-Apr-2018
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106
LE THEME DU MEANT DAMS LA P03SIE DE STEPHANE APPROVED! Z£s„ LIajor Professor I'iinor Prooessor ... L ...7 (ima/2^,r JiWctor of xne Department ox^'oreign [Languages Deanvof the Graitiate School
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LE THEME DU MEANT DAMS LA P03SIE DE

STEPHANE

APPROVED!

Z£s„ LIajor Professor

I'iinor Prooessor k±

... L...7(ima/2 ,r JiWctor of xne Department ox^'oreign [Languages

Deanvof the Graitiate School

IbM /

Hindsley, Donald H., Jr., Le Theme du Neant dans la Poesie

de Stephane Mallarme". Master of Arts (French). December,

1972, 98 pp., bibliography, 3^ titles.

Stephane Mallarme, 18^-2-1897, was driven by a yearning

for the ideal, and felt an immense despair when his human

attempts to reach up to it, through his poetry, fell far too

short. The void (le Neant) into which he fell is the subject

of the present study, which is divided into six chapters.

Sources used were the writer's poetry, as well as all critical

works which seemed pertinent to the study of this poet whose

symbolism is so wonderfully and yet frighteningly deep and

meaningful.

Chapter I, while tracing the literary current of the

nineteenth century, concludes that Mallarme is the culminating

point of the period, and that the theme of the void, found

early in the century, also culminates with Kallarme.

Chapter II sketches a biographical and esthetic picture

of Mallarme, before the more detailed study of his work in

chapters III, IV and V. The poems of Mallarme are divided

into GWG chronological categories. The first consists of

those poems composed from 1862 to 1869, which are treated in

enapcer 111? and the second those written between I870 and

1897, year or h.ls death, which are treated in chapters IV" and

Chapter III finds that Mallarme, pursuing the ethereal

blue (1' azur), or the ideal, is haunted by it, because of his

inability to express it and he feels a void, growing within and

without him.

Chapter IV shows how the poet begins to find some hope,

by plunging even deeper into the void, which began as the

counterpart to the ideal, and yet chapter ¥ brings out that

in the final result, the ideal and the void merge for

Hallarme, who sees therein the poet's salvation from despair.

The concluding chapter, expanding this last idea, shows

that Mallarme believed that the poet, although perhaps

inadequate to the task, by the very act of becoming involved

in a creative attempt, has at least cast the dice, and may

come up with the eternal number, literary immortality.

j /

LE THEME DU NEANT DANS LA POESIE DE

STEPHANE MALLARME

THESIS

Presented to the Graduate Council of the

North Texas State University in Partial

Fulfillment of the Requirements

For the Degree of

MASTER OF ARTS

By

Donald Hugh Hindsley, Jr., 3. A.

Denton, Texas

December, 1972

TABLE DES MATIERES

Chapitre Page

I. INTRODUCTIONt LE COURANT D'UN SISCLE . . . . . 1

II. STEPHANE MALLARMEi L'HOMME ET

L'ESTKETIQUE 17

III. FOEMES JUSQU'EN 1869 28

IV. POEMES JUSQU'EN 1897i PREMIERE PARTIE . . . . 50

V. POEMES JUSQU'EN 18971 DEUXIEME PARTIE . . . . 83

VI. CONCLUSION 95

BIBLIOGRAPHIE 99

CHAPITRS I

INTRODUCTIONi

LB COURANT D'UN SIECLE

Stephane Mallarme, poete, termine un siecle piein

d'activite. II fut elu Prince des Poetes a la mort de

Verlaine, continuant une lignee qui comptait recemment Victor

Hugo et 5heophile Gautier. Ge fait, avec tant d'autres qui

seront presentes dans le deuxieme chapitre,, montre que • / / /

Mallarme etait bien au plein milieu de I'activite litteraire

de son epoque et de plus etait bien verse dans les oeuvres

precedentes du siecle. Pour cette raison, et pour rn.ieux

comprendre par la suite son oeuvre, surtout en ce qui concerne

le theme du Meant, il convient de tracer les grandes lignes

du siecle menant a Mallarme, avec une concentration placee

sur le traitement et le developpement du theme du Neant.

Le dix-neuvierae siecle en litterature franca is e est

complexe, bien plus difficile a caracteriser que le dix~

septieme siecle du classicicme ot le dix-huitieme de la

pensee philosophique et religieuse qui se libere,1 Mais le

courant du sxecle prend certains tournants bien marques par

de notable differences •> II est pre--romantique jusqu'en

1Frangois"Denoeus Sonnets Litteraires francais (Boston, 1967), p. 2^1. ~ -i.

1820 (Les Meditations Poetiques de Lamartine), puis romantique

jusque vers 18^0. C'est alors que se forment deux grands

courants! l'un, formant avec le romantisme les categories de

la poesie frangaise du dix-neuvieme siecle,^ c'est "l'art

pour l'art", qui versera dans le Parnasse et deviendra le

symbolismej 1'autre, s*interessant plus au roman, c'est

le realisme, dont les eaux se font troubles avec le

naturalisme * / V

Ces deux courants, formes a la chute du romantisme, A A /v O

tantot se melent et ta.ntot s'opposent,-^ maintenant une sorte

de libre dependance, avec des echanges feconds

Nous parlons de courants de litte'rature. Mais tout

comrae une riviere reelle, notre courant litteraire, prenant

des affluents en chenin, et se transformant dans la raeme

mesure, retient toujours quelque chose quand meme de la

source. Ainsi, au moment ou il s'apprete a verser dans le

vingtieme siecle, le courant a change de caractere et pour-

tant garde des traces du debut du siecle. Nous sommes en

pie.in symbol is me, qui n'est pas un etat isole, ma is le pro-

duit de tout un siecle d'evolution, evolution qui commence

avec 1e romantisrao,

2 J. S. GaHand and Roger Cross, ed., Nineteenth Century

French Verse (New York, 1931), p. vi. ~ " "

^Denoeu, p, 24l,

''"Andre Lagarde and Laurent Richard, XlXeme Siecle (Paris, 1962), p. 10.

Ce premier mouvement est peut-etre le trait le plus

accuse de ce dix-neuvieme siecle trop complexe pour etre

facilement catalogue'. Les ecrivains tels que Flaubert, qui

l'ont maudit, en sont tout impre'gnes? le romantisme a legue

sa musique aux poetes Baudelaire et Verlaine, ses vives

couleurs a Leconte de Lisle, et sa reverie au symbolisme.^

En declarant abolies toutes les regies classiques, Les chefs

d'e'cole ouvraient le cherain a 1'expression libro et complete

de tout sentiment personnel, recherchaient la "couleur"

precise, et demandaient le droit de trouver la beaute jusque

dans 1'horrible. Mais le mouvement romantique, posant tou-

jours les questions sans trouver de re'ponse satisfa.isante,

fait place aux Parnassiens et realistes. L'enthousiasme et

I'elan poetique des romantiques sont remplaces par une analyse, • / y

une perspicacite penetrantes et la plainte douleureuse du coeur

' * 7 par 1 etude de ce meme coeur#

/

Ge mouvement de reaction contre le romantisme, faisant

1*effort pour echapper au romantisme, qui contenait en sa

vaste confusion tous les elements dont la nouvelle e'cole

alia it s' emparer pour de Lruire un ca.davre, eu beau faire.

^Denoeu, p. 2kl»

6-, E. Abry, C „ Audic and Grouzet, Histoire Illustree

kk Mtterature Francaiqo (Paris, 192,6')

^Albert Thibaudet, VVonch Literature from .1795 to Our Era (New York, 196?)t p. 268. — - ~ L^ L --

Dans tous ses efforts pour le nier on retrouve quelque chose

du romantisme.S La liberte d*expression, la recherche du

mot propre, 1 'attra.it du laid, de 1'exceptionnel et de

I'infini, comme tant d'autres traits, marquont tous les

mouvements legataires du romantisme.^ Et comme les roman-

tiques, idealistes mais infeconds, durent ceder aux Parnassiens

qui, plus conscients de leur art mais encore plus steriles,-^

furent suivis par les realistes, ces derniers furent remplaces

par une nouvelle ecole qui resultait de transformations subies *

par la theorie realiste. Les Naturalistes, dont le chef

supreme fut Ernile Zola, prirent le gout de la peinture de ce

qui est, et limiterent ce gout a ce qui est bas. On a vu ce

mouvement comme decrivant "la hideur desesperante d'enlisement

en pie in mare cage ,"1-1 pre sen tant uniquement le cote animal de

I'humanite, mais, en particulier chez Zola, on sent encore le

souffle puissant de l'idealisme et de la justice sociale.12

Dependant, la reponse ne s'y trouve pas non plus. Au

debut de ce siecle, Mme de Stael, dans De La Litterature et

De L'Allema^ne, avait avance le me'rite des litteratures du

Q

Georges Lanson, Hiatoire de la Litterature Francaise (Paris, 1952), p. IO29," . *

^Denoeu, pp. 2'H-2^2,

10Andre Barre, Le Symbolisme (New York, 1911), p, 6.

" •JJarre, p, 8,

~2Denoeu, p, 368,

nord.^3 Maintenant, dans la seconde moitie de ce siecle , / /

grouillant de theories litteraires, ces pays nordiques

exercent une importante influence sur les lettres frangaises:

"C'etait d'Angleterre le mysticisme utilitaire, religieux ou

paradoxal, de Russie l'humanitarisme, d'Allemagne le synthe-, 1^

tisme ideorealiste,"

Les naturalistes d'Angleterre, quittant 1'idee que

l'oeuvre litteraire a pour fin de naturaliser la realite,

pensaient qu'elle devait offrir une consolation aux miseres

de la vie quotidienne, et qu'en prenant son objet dans le

reel, l'oeuvre devait idealiser la realite,1^ La ou le

romantique voulait rendre re'el 1*ideal, ou le Parnassien

etait vide d'emotion et avare de pensee,"^ ou le realiste

voulait decrire ce qui est, et le naturaliste cherchait la

verite dans les egouts de I'humanite, on tend maintenant a

lier etroitement ce reel a 1'ideal.

Un element d'une importance majeure a cette progression

vers le symbolisme fut le philosophe de correspondances,

Swedenborg, dont I'oeuvre etait une synthese de tous les

culteo cabal ib oiques et a o rmo t iques du pa s s e » C e t t e not ion -^Abry, p „ £j48;

-^.Barre, p. 10

1^ibid.

16, Barre, p, 6,

? 12.

17 Anna Jiaxakian, .symbol 1st Mouvement (New York, 1967),

d'une liaison etroite entre les elements materiels et spiri-

tuels date au moins des "idees" de Platon. Bien que de'ja

familier aux romantiques, Swedenborg commen^a a exercer sa

grande influence avec Baudelaire ("Les Correspondances"). En

grand contraste avec 1*effusion du "moi" par les romantiques,

voici un poete qui se tourne vers 1•interieur; au lieu d'une

conviction de grandeur, c'est la conscience de souffranee,

de vice et de peche; la musique n'est plus splendiae mais

fait echo au coeur sombre de .1 'homme • Certes , d1 autres tels

que oainte-Beuve (Poesxes de Joseph Delorme , 1829) avaient

ressenti ces sentiments, mais sans le genie de Baudelaire.

Celui-ci fait de la poesie une activite intellectuelle au

lieu d*emotive, et ainsi le poete n'est plus troubadour,

mais prophete et sage. II ne se contente plus de chanter

1 enigme de la vie, mais veut en trouver la solution, la

d e c n i f f r e r D a n s "Le Poerne du Hashish" nous trouvons les

nymphes, les palais, I'eau (fontaines, cascades, eaux mortes,

etangs stagnants, la rner, tou.s rapproches au miroir), la

choreograpnie symboliquo, les fragiles paysages inte'rieures,

le renouveau des myths classiqu.es, les horizons chime'riques,

la nostalgie du temps et de L'espace qui vont devenir une

si grande par tie de la poesie syrnboliste.^ Outre cela,

ISThibaudet, p. 2(35,

9 Balak ian, p. 7,

20Balakian, p, U-?..

Baudelaire met a la mode, en 1856, le poete ame'ricain Edgar

Poe, en commen^ant la publication de ses traductions des

PI ' • A

Histoires Bxtraordlnaires» Mallarme lui-meme contmuera

la traduction de Poe des I876.

Son influence sur la jeunesse litteraire est considerable. Non seulement cette derniere n'a connu que par lui les poetes anglais avec lesquels elle allait se decouvrir des affinites, mais encore elle a trouve en lui formule'es et demontrees quelques-unes des theories qui devaient servir de base a la nouvelle esthetique,22

Rejetant toute poesie qui s'adresse soit a 1'intelligence (la *

raison), soit a 1'emotion, ces poetes vont au-dela du reel et O Q

du personnel, chercher la beaute, etrange, mais ideale.

Avec cette influence du poete americain, il y en eut

egalement des Anglais. G. Eliot veut corriger la realite,

et les Pre-raphaelites, Rosetti, Burne-Jones, et Watts,

adopterent la formule de la perfection de la nature, vue 9I1

telle qu'elle est, sans notions precon^ues.~ Les romanciers

russes, Tourguenief, Dostoievsky et Tolstoi, ont leur influence

2 sur les lettres fran§aises. "L'art, dit Tourguenief, n'est

pas la stricte imitation de la nature. 11 faut e'lever le reel N ^ p A a la hauteur de la poesio." ' lis expriment dans leurs oeuvres

^Lanson, p. 1067,

22, Barre, p. .12.

Denoeu, p. 'j?6,

^Barre, p. 11,

25

Guy d e Maupassant, Pier-re et Jean (Paris, 1959), p. lxxxvi.

^Barre, p4 14,

la double realite de la viei une qu'on voit, et une qui se

derobe aux regards.27 Mais il n*y a qu'une e'lite pour qui

ces protestations contre le naturalisme atteignent le coeur

apres avoir touche 1*esprit. Rendre la protestation popu-

laire va etre l'oeuvre de 1'Allemagne. Apres Herder, Schiller,

Goethe et Schelling, Wagner surgissait, les resumant tous,

et initiant par son action musicale le grand public au gout 28

d'un art nouveau. Chez lui, on constate avec surprise que

la musique est mele'e aux motifs de l'action par une partici-

pation intime, que 1'auteur-musicien traite sa langue comme

une musique ou les mots n'ont pas d'autre valeur que les notes

de musique.2^

La France deviant dans la seconde moitie du dix-neuvieme

oiecle un carrefour ou viennent se meler toutes les theories

recentes et nouvelles d'art. Ce qu'il imjiorte de voir c'est

comment tous les elements du symbol.isme se sont installe's \

peu a peu. II convient de signaler avant de parler des deux

auteurs principaux du mouvement, Verlaine et Mallarme,

plusieurs autres qui contribueront en grande partie a

I'avenement du symbolisme.

Poete romantique, mais bien a part, Gerard de Nerval

etait oriente vers les problemes do 1'au-dela, Voulant

27Ibid., p. 16.

28Ibid., p. 17. 2Q

Ibid., pp. 19-20,

retrouver l1unite fonciere de toutes les religions, il vint

a creer un vaste syncretisme. Mais si I'objet qu'il se

proposait etait obscur, 1'expression chez de Nerval etait

la limpidite meme,^

11 en fut de me me de Theophile Gautier, artisan

meticuleux qui apporta cependant du nouveau. Dans Emaux et

Gamees sa pensee est celle d'un artiste. II y associe les

formes presentes a des formes eloignees. Son importance est

qu"'il a degage le romantisme excentrique, malsain, nauseabond,"

et ainsi a engendre Baudelaire; aussi a-t-il "renonce au

lyrisme subjectif pour s'asservir a I'objet, au m o d e l e . " 3 1

Nous avons deja parle de Charles Baudelaire, poete

romantique attarde a qui il ne restait pas beaucoup de

"terrain vierge", II est facile de reconnaitre sa parente'

avec Gautier, a qui il dedia Les Fleurs du Mai.3 2 Gomme lui,

Baudelaire tena.it a 1' originalite, au prix de la facilite de

composition remunerative. Son oeuvre, de seulement quatre

mille vers, est a la base du symbolisme.33

Tant d'autres auteurs, precurseurs de mouvements litte-

raires et; surtout precurseurs de symbolisme, qui remplissent

3^Lanson, p. 968.

-^Lanson, pp. 965-967«

3? -"Charles Baudelaire, Oeuvres Comnletes (Paris.

p, ii-2. ' *

33d onoeu, pp. 3^6-3^7.

10

ce dix-neuvieme siecle, pourraient etre pre'sentes ici si la

longeur de 1"etude le permettait. Mais ceux deja cites

devront suffire pour marquer les grandes lignes dans 1'evo-

lution des lettres.

II reste Dependant deux poetes qui sont indispensables

au developpement du symbolisme. Une grande partie de leur

oeuvre fut composee avant que 1'appellation *symboliste* ne

devint un titre official, Malgre, et grace a cela, Paul

Verlaine et Stephane Mallarme, de bons amis, ne peuvent

qu'etre porteurs en duo du titre "Chef du symbolisme".^

Bien que Mallarme eut certainement autant d*influence,

sinon plus, que Verlaine, celui-ci porta pour tous le titre

de chef car Mallarme se croyait trop sterile, et etait trop

independant pour aspirer a cette place.^5 c ' e s t avec Verlaine

que pour la premiere fois la poe'sie fran§aise tend delibe're'ment

vers la musique. Gomrne avait fait V / a g n e r , les mots ont une

etroite parente avec les notes de musique, jouees par un

artiste, et qui prennent des ailes.

Prends 1*eloquence et tords lui son coul

De la musique encore et toujours! Que ton vers soit la chose envolee Qu'on sent qui fuit d'une ame en allee Vers d'autre yeux a d*autre amours.3°

^Denoeu, p. 380.

^Balakian, p. 72,

^Galland, p. 286.

11

Ainsi parla Verlaine dans son "Art Poetique". Ce poeme

occupe la meme place par rapport au symbolisme que l,MArt" de

Gautier a 1'ideal parnassien et la preface de Cromwell de

Victor Hugo au romantisme. Pourlui, la poe'sie doit suggerer,

non pas decrire; elle doit traduire les sensations, les senti-

ments et les reves de 1'homme. Cette the'orie pratique de

Verlaine fut compose'e sous 1'influence de Rimbaud, un jeune

jprecoce qui entra dans la litterature frangaise comme un

coup de vent, puis passa, evadant les grandes questions qui

tourmentaient les symbolistes, en laissant inusite's ses

talents de poete. Mais sa seule influence sur Verlaine lui

vaut deja une place de reconnaissance. Et c'est Verlaine qui

fournit la forme, le vocabulaire, les themes, les symboles

principaux et tant d'autres choses aux poetes symbolistes.37

Mais si Verlaine etait la source de tout cela, par quel

moyen Hallarme a-t-il pu etre 1*influence qu'il a ^te? La

ou Verlaine etait I'exemple pratique de ce qu'on peut faire

en symbolisme, Stephane Mallarme' e'tait le theoricien. Trop

conscient de son "grand oeuvre", son ideal poe'tique, sa plus

Importante contribution est possiblement d'avoir ete en

quelque sorte un apotre ou prophete autour dequel les jeunes

poetes se reunissaient pour ses causeries delicates et dis-

cretes aux "Mardis".38 Son esthetique, sa philosophie seront

traitees plus loin, dans le chapitre qui suit.

3?Baiakian, p. 70.

38Galland, pp. 297-299.

1 a.

. „ / s / „

Amsi ll a ete demontre en esquisse comment le courant

litteraire du siecle a vire, s'est elargi, s'est etendu.

Mais a part ces transformations et metamorphoses d'art

poetique, il est un autre aspect plus specifique qui indique

une dette, et un echange, entre les e'coles, ou diffe'rentes / / x ^

generations. On peut suivre certains themes a travers le

siecle, qui le marquent, le distinguent des siecles precedents.

Une pre'occupation avec l'ide'e de la mort, le theme de 1'ennui, /

du neant et tant d'autres qui se lient ensemble, forment le

caractere de ce siecle.^9 Certains dominent cependant, comme

le neant, qui continue bien loin dans le vingtieme siecle

avec Jean-Paul Sartre Z1"0 dont la pre'occupation avec cette

grande question philosophique se traduit en un volume bien ^ X * s

connu. Ce neant, fui par les uns, recherche par les autres, constitue une bonne partie du noyau central de la litte'rature

f \

engagee, ou l'auteur recherche et expose une philosophie

personnelle. Et pour m.ieux voir par la suite ce qu'en dit

Mallarme, il nous importe de regarder les etapes dans le

developpement du theme a travers le siecle.

Ce siecle multicolore de'bute avec Chateaubriand. C'est

lui qui en grande partie "ouvre la bolte de Pandore" pour le

romanxisme avec 1 * introduction de 1'exaltation du 'moi', 39Denoeu, p. 2'l2.

Robert M. Adams, Nil (New York, 1966), pp. 3-Zj.

^1Voir Jean-Paul Sartre, VBtre et le Neant (Paris, 19^3).

-

exaltation a la fin inquiete et orgueilleuseLe "mal de

Rene" devient "le mal du siecle", caracteristique du siecle

en gros. Chateaubriand le definit lui-meme ainsii

II reste a parlor d'un etat d'ame qui, ce nous sernble, n'a ^as encore ete observe'» c'est celui qui precede le developpement des passions, lorsque nos facultes, jeunes, actives, mais renfermees, ne se sont exercees que sur elles-rnemes, sans but et sans objet. Plus les peuples avancent en civilisation, plus cet etat du^"vague" des passions augmente; . . . . On est detrompe sans avoir joui; il nous reste encore des desirs, et l'on n'a plus d'illusions. L'imagination est riche, abondante et merveilleuse; 1'existence est pauvre, seche et desenchantee. On habite avec un coeur plein, un moride vide.^3

Et son heros Rene traduit cette philosophici "J'avais essaye'

de tout, et tout m'avait ete' fatal. . . . quand la solitude

vint a me manquer, que me restait-il? C'etait la derniere

planche sur laquelle j'avais espere me sauver, et je la sentais

encore s'enfoncer dans I'abime."^ Et quand une tempete

agite la mers "Je m'assied sur un rocher • . . une ame

orageuse comme 1*ocean? un naufrage plus affreux que celui

du marinier. Pour Chateaubriand, comme pour les poetes

romantiques (voir us Lac" de Lamartine> "Dans la nuit eter—

nelle emportes sans retour/ . . . / Eternite, neant, passe,

sombres abimes,"^^), ce ne'ant repre'sente ce qu'il y a de vide,

[to Lagarde, p, 10.

U O P. -A. Chateaubriand, Atala, Rene (Paris, 1962), p. xxxiii.

^ .

Ibid., p. 216.

^Chateaubriand, pp. 239-24-0,

Galland, pp. 11-12,

1^

d*inutile ou de gache dans la vie d'une personne. C'est a

fuir, en contraste avec le bel azur qui est a rechercher.

Chez Stendhal et Balzac, on sent egalement avec les

heros ce neant, mais c'est un neant un peu plus attrayant.

Julien Sorel, par exemple, y voit l'eternite et le repos,^"?

car le monde est cruel et l'homme sensible doit avoir un

refuge quelque part. Les personnages de Balzac s'anean-

tissent dans la vie pour trouver le repos et la paix. Le

pere Goriot s'avilit merne, afin de tout donner a ses cheres «

filles, et la il trouve de la satisfaction, mais c'est a

peine si dans la raort il trouve la paix, le neant. L'inconnu,

Vautrin, dit Tronpe-la-Mort, trouve aussi une paix en s'anean-

tissant, en perdant son identite.^8 Et chez Maupassant, la

mort ou 1*ennui fatal qui hante ses personnages prend sans

cesse une nuance cosmique, En introduisant la lointaine

perspective de l'au-dela, il dirninue 1 * importance de ce

monde-ci et de ses peines.^

Flaubert aussi voit le neant comme un moyen de secours,

une idee attrayante. Lorsqu'Emma Bovary se voit abandonnee

par son amant, que sa vie lui parait ennuyeuse, elle se trouve

fortement attiree par "1'abime"i

.Le rayon lumineux qui montait d'en bas directement tirait vers l'abime le poids de son corps . . . Elle se

^7, Stendhal, Le Rou^e ot le Noir (Paris, i960), up, 500-1.

^8t H. de Balzac, Le Pere Goriot (Paris, 1963), p. 23.

Z|9 . Adams, p. 65.

15

tenait tout au bord, presque suspendue, entouree d'un grand espace. Le bleu du ciel 1'envahissait, l'air circulait dans sa t§te creuse, elle n'avait qu'a ceder, qu'a se laisser prendre . . . .

De plus en plus maintenant, nous voyons chez les grands

auteurs un attrait etrange pour cette idee du neant. Dans

l'oeuvre de Baudelaire, 1'aneantissement est le seul espoir

du desespere, qu'il attire et repousse a la fois. Attraction

parce qu'il represerite une possible delivrance, raais repulsion

a cause de l'horreur de la corruption du cerceuil et 1'incer-

titude de la d e l i v r a n c e D a n s "Le Gouffre" il gemiti "Et

mon esprit, toujours du vertige hante, jalouse du neant

1' insensibilite .

Le trait d'union entre Baudelaire et Mallarme' est court

et direct.53 Ce dix-neuvieme siecle, variant en bien des

aspects, mais demeurant toujours le meme en sa liberte

d*expression, est arrive a un des sommet des lettres frantjaises,

a un homme pour qui la poesie tient le secret et qui s'y plonge

completement,-^ peut-etre plus qu'aucun autre, au poete

Stephane Mallarme. Avec lui, le neant sera explore haut

(l'azur) et bas (l'abime) dans 1*espoir de decouvrir qui est

1'homme, ce qu'il peut faire, ce qu'il doit faire, et ce dont

CTQ Gustave Flaubert, Madame Bovary (Paris, 1961), p. 192.

51 Galland, p. 198.

52 Baudelaire, p. 88. ]

5 r

^Lagarde, p. 12,

Galland, p. 299.

16

il ne sera jamais capable. Le neant finira par donner la

solution a toutes ces questions. C'est le but de cette etude

de tracer a travers sa poesie les etapes que prend et les

transformations que subit la philosophie personnelle de

Stephane Mallarme.

CHAPITRE II

STEPHANE MALLARME«

L*HOMME ET L'ESTHETIQUE

J'ai toujours reve et tente autre chose, avec une patience d'alchimiste, pret a y sacrifier toute vanite et toute satisfaction, comme on brulait jadis son mobilier et les poutres de son toit, pour alimenter le fourneau du Grand Oeuvre.l

"Oui, ne a Paris, le 3.8 Mars, 184-2 . . . "2 C'est avec

ces mots que Mallarme commence le re'cit de sa propre vie dans

sa lettre autobiographique a Paul Verlaine, son ami. On y

trouve peu d'autre faits car l'artiste, toujours conscient

de la position superieure par droit de 1'essence d'une chose

par-dessus les formes ou le cadre exterieurs, prefere

expliquer son art et ses intentions pour faire voir et com-

prendre le vrai sens de sa vie. Mais avant d'en parler,

regardons tout de meme les faits de cette vie d'artiste

dedie a son a.rt.

Henri Mondor est reconnu aujourd'hui, grace a ses longues

annees de recherche, pour le biographe de Stephane Mallarme',

1Stephane Mallarme, Qouvres Completes (Paris, 1965), p. 662. (Ci-apres cite comme llallarme, Oeuvres)

2Ibid., p. 66l.

18

et ce sera de son livre, Vie de Maliarme. que nous tirerons

le trace biographique de notre poete.^

Destine des sa naissance a suivre une carriere de fonc-

tionnaire, Mallarme naquit dans une de ces families plus

bourgeoises que toute autres ses aieux travaillaient depuis

des siecles dans les bureaux gouvernementaux, donnant a la

France sa continuite a partir du regne de Philippe II, au

moins, au treizieme siecle,^ Dans ce milieu sans richesse,

mais bien etabli, le jeune Stephane perdit sa precieuse mere

a I'age de cinq ans. Au remarlage du pere, il se trouva

separe encore, de sa soeur bien-aimee Maria, qui alia vivre

chez les grands-parents maternels, tandis que Stephane fut

mis en pension. Cette situation ne fit qu'accentuer son

sentiment d'etre orphelin, et a la mort de la jeune Maria en

1857* a I'age de treize ans, il lui resta un vide dans la

vie qu'il ne parvint a remplir completement. II suffit de

lire quelques lignes ecrites par le jeune homme pour sentir

son tourment. Tres pieux a cette epoque, Stephane adressait

prieres et cantates a Dieu. Dans "La Priere d'une Mere" il

parlait ainsis

. . . Sur la dalle Seule, une female est a genoux.

%enri Mondor, Vie do Mallarme (Paris, 19^1).

^F. C. St. Aubyn, Stephane Mallarme7 (New York, 1969), pp • 11-12 * ~ .

19

Est-ce l'ange pieux qu'aupres du sanctuaire Le Seigneur a place pour porter la priere De I'orphelin au ciel parmi les flots d'encens? Nom fils, c'est une mere . . . . 5

E't plus fort encore a la mort de sa soeuri

Et moll . . . n'etait-ce assez pour ta faux deploree, Dieu, d'avoir moissonne ma soeur, rose egaree ,

Dans les epis que I'age a courbe's vers le sol?°

Mais cette derniere citation ferait paraitre qu'un

autre malheur aurait frappe le poete. En effet, grace au

travail de Mondor, nous pouvons etre assez certains que cette

Harriet dont il parle dans "Sa Fosse est ouvertel • . . " et

"Sa Fosse est fermee" n'est autre qu'une jeune fille

americaine, Harriet Smyth, qui faillit prendre la place de

la soeur morte. Mais elle mourut d'une maladie de la poi-

trine comme Maria.7 Deux ans s'etaient ecoulees depuis la

mort de cette derniere.

Ayant obtenu avec quelques difficultes son baccalaure'at,

au lyce'e de Sens, il passa deux ans en apprentissage dans le

"bureau de son grand-pere, C'est a cette e'poque qu'il fit la

connaissance d'un jeune professeur, Emmanuel des Essarts,

ainsi que de Maria-Christina Gerhard, qui devait devenir sa

femme.

•%allarme, Oeuvres» p. 10.

^Ibid,, p. 9.

^Adile^Ayda, Le Ifcame Interieur de Mallarme (Istanbul. 1955), PP. 63-75.

20

A travers l'oeuvre de Baudelaire, Mallarme rencontra le

travail de Poe, et il voulut par la suite ameliorer son anglais

pour mieux le lire, et en meme temps se trouver une vocation.

Avec Maria, il partit pour 1'Angleterre. Sa carriere d'enseigne-

ment, sans distinction, dura trente annees a partir de son

retour, passant de Tournon a Besan^on, de la a Avignon, puis

au Lycee Fontanes a Paris. D'apres les te'moignages laisses

par ses superieurs et ses eleves, Mallarme e'tait bien irial

e'quipe' pour cette profession, et cette faillite le poussa *

peut-etre encore plus a chercher la solitude des veillees et

a se plonger tout entier dans sa poesie. II ne trouvait le

temps pour son avocation que tres tard la nuit, et il

travaillait a la lumiere d'une lampe, de longues heures.

Avant de s*installer a Paris, il avait e'tabli sa repu-

tation en faisant publier dans Le Parnasse Contemporain,

edite par son ami poete Gatulle Mendes, onze de ses poemes.

Arrive' a Paris, en 1871, il s'etablit l'annee suivante 871

rue de Rome, ou il ve'cut vingt-trois annees, et ou, a partir

de 1880, amis, ecrivains, musiciens et artistes se reunirent

pour les "Mardis" si populaires, ou Mallarme causait tout

bas, fumant son e'ternello cigarette, et qui demontraient la

puissance du genie de cet homme qui ne publierait son premier

receuil de poe'sies qu'en 1887. Ges "Mardis" sont reconnus

comme le grand evenement de la vie artistique fran^aise des

trente dernieres annees du sieele.

®St. Aubyn, p. 13

21

L'annee I883 marque sa nomination a l'Academie par le

gouvernernent, ainsi que son inclusion par Verlaine dans une

serie d'articles intitules Les Poetes Maudits. Son tres bon

ami Manet mourut aussi, lui laissant libre les quelques

heures qu'il s'etait habitue a passer dans son atelier.

Mallarme donna ces heures a Mery Laurent, et si jamais une

action aurait pu noircir la purete de sa vie, cette liaison

aurait du le faire. Mais les trois femmes de sa vie d'homme,

sa femme Maria, sa fille "Veve", et Mery ne firent que se

complimenter pour remplir les besoins de son intense vie

interieure, et tous quatre resterent toujours amis,

Transfere en 1884 au Lyce'e Janson-de-Sailly, puis l'anne'e

suivante au College Rollin, Mallarme donna des discours en

Belgique sur son ami Villiers de 1'Isle-Adam. Puis, lorsqu'il

prit sa retraite en 189^, il alia a Oxford et a Cambridge, ou

il eut peu de succes, car apres avoir enseigne I'anglais

pendant trente annees, il etait encore incapable de faire un

discours dans la langue. En I896, il fut elu Prince des

Poetes, dans la succession immediate de Hugo, Leconte de

Lisle, et Verlaine,

Deux annees plus tard, age de cinquante-six ans, notre

poete mourut,9 ayant enrichi la litterature de son pays, et

laissant de nombreux disciples pour porter 1 ' etendard dans

%1ondor, pp. 1-ff..

2,'i

le vingtieme siecle. Ses connaissances s'etendaient a tous

les poetes, ecrivains, e'diteurs, et une grande partie des

autres artistes de son jour, mem© ceux qui n'etaient pas de

premier rang. De la vieille generation , il connaissait les

Parnassiens Theodore de Banville, Theophile Gautier, Lecon"te

de Lisle, et Villiers de 1'Isle-Adam, ainsi que le Provencal,

Frederick Mistral. De sa gene'ration il etait pres de Catulle

Mendes et Verlaine, comme egalement de Francois Coppe et

Jose-Maria de Heredia. Parmi les jeunes, il avait rencontre'

Rimbaud, et parlait souvent avec Emile Verhaeren, Jules

Laforgue, Henri de Regnier et Viele-Griffin. Dans le nombre

de ses disciples et successeurs on a pu compter Pierre Louys,

Andre Gide, Paul Valery, et Paul Glaudel. Un de ses eleves

en anglais etait Leon-Paul Fargue, et Mallarme avait au moins

fait la connaissance de l'Irlandais Oscar Y/ilde, comme du

poete symboliste allemand, Stefan George.10 Nous n'avons

parle' que de ses amis poetes, mais il connaissait tous les

artistes en France de son jour. Parmi ses proches amis les

norns Manet, Whistler, Monet, Renoir, Degas, Gauguin, Pissarrd,

Rodin, Redon, Debussy, Lugne-Poe, et Maeterlinck apparaissent.11

Gette abondance de noms maintenant celebres signifie que

Mallarme etait consta.mment au milieu des courants artistiques,

10St. Aubyn, pp. 15-17.

-^-Wallace Fowlie, Mallarme (Chicago, 1953)» pp. 15-16•

que ce soit en peinture, musique ou litterature, au milieu

des melees d'attaque et contrattaque, et il y maintint un

calme exterieur qui dementait l'intensite' de ses emotions

t / I O

interieures. Tant d'amis occupaient une grande partie de

son temps, et avec les heures perdues a ses devoirs d'instruc-

teur d'anglais, il lui restait peu de temps a consacrer a la

poursuite du Grand Oeuvre.

L*oeuvre de Mallarme consiste en quelques quatre mille

lignes en poesie, medallions et portraits de ses amis, essais e

et articles sur divers sujets, et un peu de prose. S'il

consentait parfois a mettre sur papier des mots plus ordinaires,

ou comme il disait, a "faire des besognes p r o p r e s " s a vraie

vie, celle qui lui donnait sa force, cette force qui en a

fait un maitre, etait sa doctrine poetique, exemplifiee par

les vers si purs compose's tard dans la nuit, a la pauvre v I L

lumiere d'une lampe."

Nous parlerons plus loin de tous ses poemes, mais il

nous faut citer ici. trois de ses creations qui marquerent

de fa§on tres claire son developpement> Mallarme enseignait

encore en province, a Tournon puis a Besan^on, quand il

formula les grandes lignes de son art poetique. i/azur le

12St. Aubyn, p. 17„

13Mallarme, Oeuvres, p, 663.

^St. Aubyn, p, 17,

hante maintenant1^ et son tourment est accentue par les

difficultes presentees dans la composition d*"Herodiade".

Ces diff icultes la lu.i firent abandonner, pour se mettre a

ecrire "L'Apres-midi d'un faune", en 1865« "J'ai laisse

'Herodiade' pour les cruels hiversi cette oeuvre solitaire

m'avait ste'rilise' et, dans 1'intervalle, je rime un intermede

16

heroique, dont le heros est un faune." Ces deux poemes

marquent une periode de transition dans sa vie. On verra

desormais une conception plus definie d'art poetique. Cela

ne signifie pas qu'il va pouvoir ecrire d'avantage maintenant,

au contraires ses idees plus fixes rendront plus difficile

encore sa tache de poete,-1*'7 Une troisieme oeuvre en sortira,

en 18971 Un Coup de Pes.

Mallarme etait un ouvrier absorbe' dans son travail. II

ecrit en 1865s " . . . le vide papier que la blancheur

defend , . . ".18 H se trouve obsede' par sa propre

ste'rilite, qui sort de sa ma.niere de composition, Cherchant

une explication orphique de la terre,19 il prend cependant

sa technique aux Parnassiens, a ces artistes du mot qui

15l.lallarme, Oeuvres, p. 38.

l6Ibld., p. lM-9.

"^Guy Michaud, Mailarme' (New York, 1965), p. 20.

-^Mallarmo, Oeuvres, p. 38.

3-9ibid., p. 663.

25

pouvalent ne rien dire avec toute la beaute possible a un

poete. Mallarme' composait difficilement ses quelques lignes

de vers, avec la dedication d'un sculpteur fagonnant une

statue. II lui faut uri plan, il faut reunir toutes les

images qui conviennent, y reflechir, et en tirer celles qui

vont evoquer I'effet recherche.20

I/Ia inte nan t vien b pour Mallarme la partie la plus

compliquee et difficilei e'crire le poeme, mettre sur papier

des pensees qu'aucun mot ne saurait exprimer, mais que le

poete doit faire ressortir a travers et malgre' les mots dont

il se sert.21 Mallarme' agonise de savoir que les visions

qui lui viennent ne peuvent qu'etre imparfaitement exprimees22

par les mots impurs de la tribu.

Le poete triomphe de ces difficulte's en usant de ce

qu'on appelle le proclde evocatoirei "Nommer un objet, c'est

supprimer les trois quarts de lajouissance d'un poeme qui

est faite du bonheur de deviner peu a peu; le sugge'rer, voila

le reve."2^ Pour accomplir cela, il Prend des liberte's,

heureuses, avec tout ce qui constitue la poe'sie traditionnelle.

20Barre, pp. 205-206,

21Barre, p. 206.

22 /

Fowlie, Mailarme. pp. 20-22,

2^Maliarme, Oeuvres, p. 70.

Barre, p. 207.

26

Sa syntaxe, au lieu de suivre les regies des grammairiens,

se conforme blen peu en fin de compte a toute syntaxei ordre

de mots et punctuation suivent le mouvement du poeme. C'est

difficile, laborieux, et Mallarme a passe toute sa vie de

longues heures a r^crire, a corriger ses poemes pour mieux

evoquer ses visions. • • A ( \ /

Son vocabulaire est choisi de la meme manieres Mallarme

recherchait soigneusement ses mots, afin de ceuillir ceux dont les images pouvaient s'etendre en toutes directions, vers »

d'autres mots et images. Ses mots choisis possedent tant de

2 S nuances, de couleurs, d'ambiguites J que le lecteur se trouve

. . . * ' . \ . 26

invite a y voir les images propres a son experience a lui.

II paraitrait que le poete se sert de tous les sens possibles / 9*7

aux mots, du "mirage Interieur". '

De meme, avec le vers il fait ce qu'il. veut dans l'interet

d'impression, sans egard pour les regies arbitraires. Au

debut ce sont de petites transformations faites aux vers

assez traditionnels, mais a la fin, Mallarme produit le chef-

d'oeuvre Un Coup de Pes qui n'est conforme ni a I'ide'e

conventionnelle de prose ni a celle de vers, C'est la liberte

complete de 1"expression poetique. 25Robert G. Cohn, Toward the Poems of Mallarme (Berkelv. 1965), PP. 3-^« ™

q X ^ , ~ "Albert Thibaudot, La Poesie de Ste*ohane Mallarme (Paris.

1912), p. 278. . ~ — — — — — —

^St. Aubyn, p. 25.

2?

Mais tout ceci n'est que mecanique. Pourquoi ecrit-il?

II cherche le Grand Oeuvre, la pierre philosophale, qui

donneraient la verite absolue, 1*explication orphique de

la terre. Hous avons deja parle de sa hantise de l'azur.

C'etait pour lui l'absolu et il voula.it s'y echapper des

.laideurs et peines de la terre. Mais il ne pouvait y

parvenir et se tourne vers I'oppose', son inte'rieur, le

Ne'ant

C*est le but de cette e'tude d*examiner 1*expression

dans la poesie de Mallarme de cette idee, de ce theme du

Neant.

2%dams, p. l6l,

CHAPITRE III

PGEMES JlfSQU'EN 1869

J'ai encore besoin, si grands ont ete les humili-ations de mon trioraphe, de me regarder dans ce miroir, afin de penser, et s'il n'etait pas devant la table ou j'ecris cette lettre, je redeviendrais ne'ant. Geci pour vous apprendre que je suis maintenant impersonnel et non plus le Stephane que vous connaissiez, mais une aptitude que 1'univers spirituel a de voir et de se developper a travers celui que j'etais.l

Mallarrne, hante par I'azur, le symbole de 1'ideal qu'il / / . O

desesperait de reproduire, passa par une grande crise dans

les annees 186^ a 1869. Lorsqu'il commen^a la composition

de la triade de poemes "Herodiade" en octobre, 186k, il se

jeta dans un essai de produire quelque chose d'unique en

poesie.3 Dans sa lettre celebre a Cazalis, il ecrivaiti

"J'invente une langue qui doit necessairement jaillir d'une

poetique tres nouvelle, que je pourrais de'finir en ces deux

mots: peindre non la chose, mais I'effet qu'elle produit."^

Cette realisation consciente de son art poetique, au

lieu de 1'aider, de faciliter son travail de poete, rendit

sa tache encore plus difficile. Maintenant, l'ouvrier

p. ^

2

•^Stephane Ma liarme, Coi-respondance I (Paris, 1969), kZ, (ci-apres cite o o rnmo~Maliarme, Corr. I),

Galland, p. 299*

^St. Aubyn, p. 18. Zj. Maliarme, Corr, I, p, .137,

28

PQ

fastidieux qu'est Maliarme devra travailler avec autant plus

d'ardeur que son idee du Grand Oeuvre commence a se definir /

plus precisement.

Ge poeme si difficilement compose' ("He'rodiade") fait suite

a une abondance de poemes, abondance du moins pour un poete

tel que Mallarme, et pre'cede une douzaine d'annees de grande

seche'resse poetique, Les faits seront examines plus en

detail plus loin, mais il suffit de souligner pour le moment

qu*"Herodiade" marque une fin et un debut» la fin d'un style

parfois plus imitatif que personnel, 1*imitation etant des

Parnassiens, de Victor Hugo, puis de Poe et Baudelaire, et

le debut d'un art plus difficile, pour lui comme pour le

lecteur,^ mais qui appartient bien a lui.

Les poemes compose's a partir de 1862 seront pris en

consideration dans cette etude. Cette date a e'te choisie

par I'auteur lui-meme, qui des I887 marquait ainsi la

division entre ses poemes d'enfance et ses poe'sies serieuses,^

Partant de cette date, 1'etude de ses poemes sera divisee en

deux parties. La premiere est le sujet de ce chapitre, et

comprend les poemes composes entre 1862 et 1869 et qui portent

un interet sur la recherclie du developpement du theme central

de Mallarme'. Cette derniere date marque la fin de la

5St. Aubyn, p. 18.

^Mallarme} Oeuvre3 , p, 139 4.

Emilie Noulet, 1»'Oeuvre Poetique de Stephane Mallarme (Paris, 19^0), p. 3 . — —

30

composition de la partie centrale d*"Herodiade" et le debut

de la secheresse deja indiquee. A part eette seule division

chronologique majeure, la date de composition ne sera que

d'une importance tres minime. De premier interet plutot

seront I'azur et la ste'rilite', sources du Neant mallarmeen.

L'azur, c'est 1'ideal, la vision qu'un artiste peut

avoir de ce qui est parfait et pur, en contraste avec ce

monde qui a plus en commun avec la sterilite qu'il cause.

Ainsi, malgre son reve, le poete se trouve impuissant, *7

incapable de reproduire la beaute qu'il voit dans l'azur. /

Tourmente par ce fait, il en cherche la raison, ainsi qu'un

remede ou une solution qui puisse enlever la hantise de

voir et ne pas pouvoir exprimer. II convient de repeter

ici que le but de cette etude est de montrer que le Neant,

terme dont d'autres se sont servis, devient chez Mallarme

cette solution, et en meme temps d*examiner la nature de ce

Ne'ant.

Le noyau de la plus grande partie des poemes de cette

e'poque ('62 a '69) est l'azur, Le dix poemes ou le Neant ~~

joue un role assez signifiant pour aider dans une interpre'-

tation ont ete places dans une des trois categories suivantesi

la premiere comprend ceux ou le desir pour I'azur attire le

poete fortement a poursuivre son reve? la deception de ne

?Galland, p. 299,

pas pouvoir l'atteindre les colore d'un teint grisatre. La

seconde est composee des poemes ou Mallarrne', toujours hante

par le raeme azur, cherche a le fuir, a trouver un refuge.

La troisieme consiste en un seul poemei "He'rodiade", la

somrne totale de cette periode de la vie tourmentee d'un

artiste qui ne se contentait pas, meme a ce jeune age (il a

vingt-sept ans en 1869), de composer de beaux poemes sonores

cornme tant d'autres "poetes". II lui faut, a Mallarrne,

plonger au fond de la nature de l'homme, de lui-meme, afin

de comprendre . . . .

Dans la composition de ses poemes, Mallarrne etait un

ouvrier constant, et chaque aspect qui pouvait contribuer a

une meilleure presentation du sujet etait explore'. La dis-

cussion dans ce chapitre et celui qui suit comprendra les

aspects suivants de la composition ou ils s'appliquent a

chaque poemei les symboles dont se sert l'auteur, avec le

contexte ou ils fonctionnent; la forme des vers, et la

ponctuation dans les poemes ou ces aspects jouent un role

important dans 1'impression creee, et enfin les couleurs,

formes et paysages qu'utiliao Mallarrne pour representer,

accentuer, ou contraster avec le Meant.

"Les Fenetres" montre deja une grande partie du vocabu-

laire qui deviendra si important pour comprendre I'oeuvre du

maitre symboliste, et 1'abtra.it do I'azur en est le sujet.

Un homme, ma lade et a I'hopita.l, trouve le moyen d'oublier

un instant son malheur en regardant vers le ciel a travers

32

les fen&tres de sa chambre d'infirme. Ges fenetres, que

seuls le regard et la pensee traversent, marquent pour le

poete la barriere entre l'homme et 1'ideal qu'il peut bien

concevoir.

Get homme, le poete lui-meme (voir comment il change du

pronom personnel de la troisieme personne a la premiere, a la Q ^

ligne 25) » est "las du triste hopital (1. 1), las du monde

ou il se voit oblige de vivre. Sa chambre, son monde, n'a

de remarquable qu'un grand crucifix (dore), qui pend "ennuye' o

du mur vide (1, 3)"* L'etat de cet homme et de son monde

est de'peint davantage par les mots fetide, banal, moribond,

sournois et vieux, qui sont d'un teint plutot sombre. En

contraste, le lecteur voit avec le poete les couleurs claires

associees a l'azur, a travers les fenetresi " . . . voir du

soleil sur les pierres , , . . un beau rayon clair

d'azur bleu vorace » , , , les

tiedes carreaux d'or . . . . l'horizon de lumiere

• • • " . . . galeres d'or . . . cygnes . . . " . . .

1'eclair fauve et riche . . . C'est au moyen de cette

clarte, qu'il voit en trainant "sa pourriture" aux fenetres,

que l'inflige echappe quelques moments de cette prison ou il

s'aneantit.

A ce moment de sa vie, il n'y a que deux choix pour

Mallarme et un seul est acceptable. I/attrait de l'azur

Mallarme, Qeuvros, p. 32.

33

domine tout et constitue la scu.le evasion, L'autre / x

possibilite, ouverte a ceux qui n'ont pas la force, ou du

moins la qualite inte'rieure qu'il faut avoir, d'atteindre et

de saisir cet azur (L'ideal et la Perfection), c'est l'anean-

tissement final. Au jeune poete ce dernier choix est a prendre en horreur, inspire la crainte.

/ /

Les mots dont Mallarme se sert evoquent bien cette

attitude car tel est son but. On peut lire dans une de ses

lettresj " . . . le vers ne doit pas maintenant etre compose

de mots, mais d'intentions, et tout mot doit faire place aux

sensations."^ II a deja ete vu comment Mallarme a cree

l'atmosphere de la chambre d'hopital, endroit ou l'anean-

tissement de I'homme a lieu, mais le poete montre aussi

autrement cette condition d'avilissement qui ne se guerit

qu'avec une dose d'azur.

Attire par l'azur, "d'azur bleu vorace", ce n'est pas un

corps qu'il mene a la fenetre mais sa pourriture qu'il y traine,

et le "beau rayon clair veut haler" sa maigre figure. Aussi,

au contact avec un element de l'azur, un rayon de soleil,

cette pourriture prend un air un peu plus sain. Et encore,

la, il s' enivre d'azur, et peut oubl ier sa cond.it ion. Ses

visions dans cet etat, decrivant l'azur, vent servir a cre'er

cette sensation plus tard dans 1'oeuvre du poete, et le

vocabulaire important so centre en grande partie sur les

%aliarme, Gorr^ I, p. 137. St. Aubyn, p. 19.

3lf

couleurs telles que clair, bleu, or, fauve et blanc.

'Lumiere' derpsure un mot central et le cygne se fait voir

ici pour la premiere fois. Cet animal de eouleur blanche

cree la forte impression de perfection, et pourtant de

ste'rilite, curieuse combinaison dont 1'exposition est bien

plus etendue dans un poeme de la seconde periode ("Le vierge,

le vivace . . « ")^, et sera vu comme symlbole representant

la jeune fille d * "Herod.'lade" . 1 1

Mais le malade continue a revert " . . . pris du degout

de l'homme a I'ame dure je fuis . . . "(11. 21,

25), et ici le lecteur peut constater ce debut d'une expres-

sion plus personnelle, I'usage du pronom de la troisieme

personne faisant place a la premiere, avec des points d'excla-

mation pour renforcer la transformation. Le poete se mire

dans les fenetres (1 * image futur du miroir), y meurt, et

renait au ciel antorieur," (1. 32) a 1 *etat pre-terrestre

de purete et de beaute. L'evasion ne dure qu'un instantt

"Mais, helasI Ici-bas est mattre . . . , " (it 33),

Un autre se serait arrete la, mais Mallarme' ne veut

pas subir une de'faite trop aise'e pour le vainqueur. II lui

®Mallarme', Oeuvres, p. 67.

1 1 Ibid., pp. ij-l-i.i-9.

35

faut encore poser la question!

Bst-il un moyen D'enfoncer le cristal . Et de m'enfuir • .

Au risque de tomber pendant l'eternite? (11. 37-^0)

Gette evasion parait dependre autant de sa force de volonte'

que de la possibilite d'une evasion quelconque, car la question

demeure a la fin: Pourrais-je le faire, connaissant la grande

possibilite d'une chute eternelle? La crainte de cette

chute, qui est l'action inverse de la poursuite de l'azur,

montre eftcore a quel point Mallarme est absorbe dans sa

recherche de l'azur, et que faute de l'atteindre il croit

retomber dans un neant, ou I'existence l'entrainait deja

peut-etre. Alors, pourquoi essayer?

La re^onse a cette question, et surtout a la plus grande

qui termine "Les Fenetres," se rencontre dams deux autres

poemes ou l'azur est l'objet d'un desir ardent, "Les Fleurs"

est le premier, "Pitre Chatie" le second.

Dans le premier, le poete parvient a joindre symboliquement

une mort (un ane'antissement) par empoisonnement a cet azur

souhaite. II arrive a cela par un transfert de qualite^s:

en voyant les fleurs, telles que le glai'eul, l'hyacinthe, la

rose et le lys, comme creations de l'azur personnifie, il

leur donne les qualites de l'azur, soit la virginite, la

perfection, la purete, la pudeur, et aussi la feminite d'une

Kerodiade cruelle. Mais ces fleurs, cre'ees lorsque la terre

J>

' . 12

etait encore "vierge de desastres", sont aussi des fioles

de poisons, car c'est un fait que I'on peut en tirer des

poisons par divers moyens. Mallarme dit aussi que l'azur

cre'ateur a pourvu aux besoins du poete "las que la vie etiole"

en lui laissant un moyen d'^chapper a cette vie si cruelle.

II n'a qu'a se servir des "grandes fleurs avec la balsamique

Mort" pour se guerir des plaies et injures inflige'es par le

monde.

La m§me lassitude avec ce monde terrestre se rencontre

dans le poeme "Pitre Chatie", ou un histrion, acteur mediocre,

ne pouvant plus supporter n'etre qu'un mauvais "Hamlet", troue

le mur de toile de la tente, y creant une "fenetre", et

s*evade dans 1'onde ou il se met a nager. La nature exacte

de cette eau n'est pas specifiee, mais il est possible de

voir par comparaisons que lire ici une image de l'azur (la

couleur, et le miroitement) ne sera.it pas y voir un fait

unique, car cette eau purifie le fuyard quand il s»y plonge

et qu'il .innove "Mille sepulchres pour y vierge disparaitre.

Le malade de "Les Fenetres", piein d'amertume, avait

pense enfoncer le "cristal" et s'envoler dans l'azur sur ses

deux a lie o sans pluifie (c es> c—a—dire le poete incapable d'ecrire),

et avait reve de rctourner "au ciel anterieur" de purete. St 12 / Mallarme, Oeuvres, p, 33,

13ibid., p. 31.

ici, le pitre est aussi amer, mais prend 1'action seulement

pense par le malade,^ en plongeant par la fenetre. Le

soleil (i.e. I'azur) le frappe durement quand l'eau a lave

tout le fard d'acteur de son corps, et qu'il se trouve d'une

nudite pure de "fraicheur de nacre". Mais alors une

decouverte est faite par le fuyard qui se voit traitre a son

arti " . . . c'eta it tout mon sacre/ Ce fard noye dans l'eau

perfide des glaciers." (11. 13-1^) En retournant a un e'tat

vierge, de purete prenatale, le courageux aventurier trouve

qu'il a perdu en chemin son sacre, son genie, ce qui le

rendait artiste.

L'aneantissement joue ici un grand role. La torabe, par

laquelle il faut pa.sser avant de renaitre, apparait dans

I'iraage des sepulchres crees en nageant. En laissant derriere

lui, peu a peii dans chacun des mille sepulchres, son fard de

"mauvais Hamlet", c'est-a-dire, en perdant son etat terrestre

au moyen d'un aneantissement, d'une transformation totale,

1'artiste a perdu ce qui le rendait capable du peu qu'il

accomplissait comme artiste.

Ce poeme presents pour la premiere fois la conception du

neant qui sera approfondie et elargie dans "He'rodiade". II

faut constater aussi quo ce poeme, comme tant d'autres, a

l^Michaud, p. 26.

38

ete largement remanie avant d'etre publie en 1887 mais

egalement qu'une lecture de la premiere forme du poeme rend / / /

evident le fait que Mallarme n'en a pas change le message

essentiel.

II parait qu'ici Mallarme' commence a comprendre que

I'artiste ne peut atteindre "I'azur" qu'au sacrifice de son

art. Cette fois, au lieu d'avoir I'azur et le Neant comme

opposes, le poete reussit encore a montrer que 1*ideal

presuppose un ane'antissement personnel. La poursuite de

I'azur, accapare tout le temps d'un homme, mais la re'ussite,

atteindre I'azur, vide sa vie de tout interet, de tout "but.

II ne vivra plus, car le poete nu n'est plus poete, et

fmalement la pure poesie n'est peut-etre qu'un mirage et une

illusion.-*-

Le dernier poeme de ce premier groupe fut presqu'un

repos, un divertissement pour Mallarme j-l7 "L'Apres-midi d'un

faune," "J'ai laiose 'Herodiade' pour les cruels hiversj

cette oeuvre m'avait sterilise, et, dans 1'intervalle, je

rime un intermede heroi'que, dont le heros est un faune . . . " 1 8

-^Mallarme, Oeuvres, p. 1^16.

1(%Iichaud, p. 10.

( P a r i s ^ 0 ^ t i q u e . Stephano Mallarme

I O ,

Mallarme, Gorr,, p. 295.

39

Ce faune est un etre qui a touche a son "azur" et se contente

maintenant de revivre, Le recit est simples le faune se f

reveille, et se souvient de deux nymphes. Seulement, il

ne se rappelle pas si elles e'taient re'elles ou ont existe'

uniquement dans le raonde de son sommeili Les nymphes e'chappees, le Faune se complait

dans le souvenir,^ ou illusion, desir, memoire melent leurs images. Dedaignant la scene de seduction, toute action amoureuse terrainee, son intermede commence au moment d'une action qui n'est qu'intel-lectuelle. Questions de 1*esprit sur la realite des evenements et leur^transposition en matiere de chant. Absence plus feconde^que la double et fragile presence des nymphes enamourees.19

Un grand nombre des syraboles qui seront signifiants

lorsque la hantise du Ne'ant aura remplace' celle de l'azur

se trouvent dans ce poeme. Quelques phrases donneront

l'essentiel.

20 "Hon doute, amas de nuit ancienne . , . . " La source

* \ /

de sa fantaisie ou de la realite reste pour le moment sous

I'ombrage d'un doute qui est le re'sultat de son e'tat ensom-/

meille. Et .lorsqu'il regarde autour de lui, le faune ne

remarque aucun mouvement, une absence totale de nymphes, de

bruit (a part son propre chant, et le son de sa flute), de

motion.

^Noulet, p, 222,

2°Mallarme, Oeuvres, pp. 50-52, 1. 6.

' -** <

"Mon sein, vierge de preuve, atteste une morsure/

Mysterieuse . . . " (1, il-0- -1) Le manque de preuves pour

a,ffirmer 1* interlude des nymphes devient la preuve elle-

meme, II sait en son coeur, car la est sa realite, que son

reve est reel,

"Ainsi, quand des raisins j *ai suce la clarte, . . . /

. . . Rieur j'eleve au ciel d'ete la grappe vide/ Et . . .

jusqu'au soir je regarde au travers." (11. 57-61) Cette

fascination pour ce qui est vide, pouvoir y voir quelque

chose est tres mallarraeen, Regarder "au travers", laisse

coraprendre comment il est possible au Ne'ant de servir

d'interprete, de voir la vie "au travers". Peut-etre

Mallarme laisse-t-il entendre ici qu'il aimerait filtrer

1'azur a travers ce Neant.

Mais le faune se rendort, "I'ame de paroles vacante"

(11. 104-105), et il va "voir 1'ombre que tu devins." (1, 110)

Le faune s'interesse davantage a revivre en pensee ce qu'il

a pense' ou fait (peu importe lequel), prefere ce qui est

ombre (le reflet du reel),

L'azur, ou 1'ideal que poursuit le faune, a sa maniere,

n'a pas toujours ete recherche' par Mallarme dans les poemes

de cefcfce epoque. Quatre de ses poemes, trois composes en

18o4, et un quatrieme de 1362 a 1866, serviront a expliquer

comment Mallarme essaie de fuir l'azur avec autant d'energie

qu'il mettait dans la poursuite.

M

Le poeme qui s'intitule "L'Azur" commence avec la plaintei

De l'e'ternelle azur la sereine ironie Accable, belle indolernment comme les fleurs Le poete impuissa.nt qui maudit son genie

Fuyant, les yeux fermes, je le sens qui regarde Avec l'intensite d'un remords atterrant,

Mon ame vide.21

L'ideal condamne son impuissance, sa sterilite, mais le

poete ne peut pas I'atteindre pour arreter la condamnation.

Que faire, "ou fuir?" Pour se cacher de l'azur qui I'accable,

Mallarme pense a la nuit, qui pourrait assombrir le ciel, et

en couvrir la couleur. II demande aussi aux brouillards

et a la fumee des chemine'es de noyer, d'eteindre 1'accusatrice

et de batir tin grand plafond silencieux.'

Pour un instant, il peut criers "Le ciel est mortl"

Maintenant il peut etre comme les autres hommes, "martyr

qui vient partager la litiere/ Ou le betail heureux des

humains est couche , . , La hantise n'est plus et il va

pouvoir s'ane'antir tranquillement, la 'cervelle, vide'e/

comme un pot de fard gisant au pied du raur.'

Mais Mallarme' n'avait gagne qu'une escarmouche, et non

pas la guerre.

En vain! I'Azur triomphe . . .

Ou fuir dans la revolte inutile et perverse? Je suis hante. L'Azur.* I'Azurl I'Azur.' l'Azurl (11. 29, 35-36)

2lMallarme, Oeuvrec. pp. 3?™38,

h o 're

Le poete montre ici a quel point la poursuite de 1*ideal qui

ne peut etre a t"tein b est; agonisante, II a.imerai"t 1'abandonner,

et "lugubrement bailler vers un trepas obsour . . . " (1,28),

raais 1 azur continue a le hanter, et le poete continue a s'en

plaindre tout en cherchant un refuge,

Un refuge possible est suggere par le sonnet "Le Sonneur,"

Le pauvre horame sonne l'angelus, mais ne peut entendre la

voix claire de la cloche, "Je suis cet homme• Helas,"^

dit Mallarme't

J'ai beau tirer le cable a sonner 1*ideal,

Sc la voix ne me vient que par bribes et creusej (11, 10,3 2)

Toute la beaute est perdue pour le sonneur, pour le poete, qui

fcravaille tant et jou.it si peu des fruits de cette labeur,

Le decouragernent le rnene a dires "Mais un jour, fatigue

d avoir en vain tire,/ 0 Satan, j'oterai la pierre et me

pendrax," (11, 13-1^) Plus haut dans ce poeme, Mallarme avait

aussi parle de "nuit de'sireuse." Ici se trouvent deux des

elements qui vont jouer un grand role dans le Neant bien

developpe de iViallarmej la nuit et la mort.

Cette dermere .image de la mort se retrouve dans "Las

de 1'amer repos . . . «, mais ici le ter^e aneantissement

" lYiallarme, Oeuyres. p, 31j 1. 9

^ 3

est vraiment a propos. Les vers qui interessent cette

/

etude vont ains.ii

. . . , et plus las sept fois du pact dur De creuser par veillee une fosse nouvelle Possoyeur sans pitie' pour la sterilite, -Que dire a cette Aurore, o Reves, . . . . . . . . . . . . . . quand Le vaste eimetiere unira les trous vides?-

Le poete semble croire qu'au fur et a mesure des productions

forcees, c'est une partie de lui-rneme qu'il s'efforce de mettre

sur papier. Ce qu'il craint est de ne pas s'arreter a temps,

et un peu plus loin il parle de son metier de poete comme

/ /

"l'art vorace". II se voit devore par cet art, et se pose

la questions Que ferais-je quand ma tete ne sera qu'un vaste

neant? Done, en fuyant l'azur ici, Mallarme c'raint d'etre

aneanti, et c'est la la raison de la fuite.

Mais "Tristesse d'Ete" voit l'oubli et 1*evasion dans

un aneantissementj Mais ta chevelure est une riviere tiede, Ou noyer sans frissons l'ame qui nous obsede Et trouver ce Neant que tu ne connais pas I Je gouterai le fard Pour voir s'iJ^sait dormer , . L'insensibilitc de l'azur et des pierres.2^

Le poete n'est plus capable de supporter la force exerce'e

par '1 'arae qui nous obsede', cette invasion de l'azur en

tou b ce qu il xai t» 0o.Tinie dans "L'Azur" , ou il s ' eerie "Je

suis hante. , il '/en c (jublj.or. Cette fois au moyen de 1'amour

d'une fernme.

2^Mallarme, Oouvres. p. 35, 11. *f~lO. pli s

Ma 1 lar;no, Oeuv-rso, pp. 36-37, 11. 9-1^.

44

C'est egalement aupres d'une femme qu'il va dans

"Angoisse", mais pas pour la merne raison. II ne la cherche

pas pour une satisfaction physique ("Je ne viens pas ce soir

vaincre ton corps , . . "), mais c'est plutot I'oubli qu'il

cherche, Mais I'oubli de quoi? Les derniers vers intiment

que ce serait de la mort, car il parait craindre sa propre

raorts "Je fuis, pale, defait, hante' par mon linceul,/ Ayant

peur de mourir lorsque je couche seul."2^ Cependant, l'auteur

n'a que vingt-deux ans, et la presence d* expressions telles

que 'incurable ennui', 'remords', et 'M'a marque de sa

sterilite , . , * (1. 10), rappelle sa fa^on de parler de la

hantise de l'azur. Ce serait ainsi, comme dans "Tristesse

d'ete", ou il veut 'noyer » . . 1'ame qui nous obsede,' (1. 10)

a nouveau un essai de fuir cette hantise.

Dans le deuxieme quatrain du sonnet, l'auteur raconte

comment il cornpte fuirj

Je dernande a ton lit le lourd sommeil sans songes Planant sous les rideaux inconnus du remords, Et^que^tu peux gouter apres tes noirs mensonges, Toi qui sur le ne'ant en oais plus que les morts. (11. 5-8)

Le poete en est arrive au point ou l'azur le poursuit

inlassablement dans sgs revos, 1 *y hante, et il veut, comme

qualite' acquise par association pcut-etre, gouter le "sommeil

sans songes de la prostitute, Les rideaux sont "inconnus

25Ibid., p. 35, 11

2 J-5

du remords" parce qu'elle ne regrette pas, paralt-il, sa

vie, tandis que le poete en aimerait une toute autre que la

sienne. C'est pour la meme raison qu'elle en sait plus sur

le Neant que les morts, car elle, par son acte de prosti-

tution, s'est de'per-sonnalisee, a trouve un moyen de s'ane'antir

en se connaissant a fond et en s'acceptant telle qu'elle est.

Le poete voudrait faire de meme, et pouvoir echapper a cette

poursuite de, et par, 1'ideal.

Mais la hantise continue et Mallarrae arrive a sa grande

crise. En 186^, il se met a composer "Herodiade" dont nous

avons maintenant trois parties, et qui devait en compter

s e p t . L e poeme etait sur son bureau a sa mort. II y / / O 9

avait travaille avec toute son energie, ( et ce que le

lecteur peut apprecier aujourd'hui vaut bien la peine qu'y

mit Mallarme. Le projet 1 *enthousiasma en 1865, comme cette

lettre a Eugene Lefebure attestei La plus belle page de mon oeuvre sera celle qui ne

contiendra que ce nom divin He'rodiade. Le peu d' inspi-ration que j'ai eu, je le dois a ce nom, et je crois que si mon heroine s'etait appelee Salome', j'eusse invente' ce mot sombre, rouge comme une grenade ouverte, "Herodiade." Du reste, je tiens a en faire un etre Durement r£ve et absolument independant de 1'histoire

of A. R. Chisolm, Ma.Llarme's 'Grand Oeuvre' (Manchester.

1962), p. 68. ~~ — -

27

'St. Au'oyn, p, 52,

2%allarme', Cnrr. I., p. 299.

Chisolm, p. 66,

'46

La premiere des trois parties, qui s*intitule "Ouverture",

est une incantation faite par la nourrice d'He'rodiade. Ges

ljLgnes refletent l'etat dans lequel se trouve le palais, la

chambre surtout, et He'rodiade, fille du roi absent. Cette

absence, un abandon total, emane de chaque vers du poeme.

La couleur dominants est le noir, avec accents de rouge (roses)

et or, absents ou eteints. (L* orfevrerie, par example, est

"ete.inte",)

L'aneantissement est total, la sterilite complete, et la

nourrice s'exclame: "Abolie!" pour ouvrir 1 * incantation. Le

palais est une "lourde tombe"29 ou "I'eau reflete l1abandon"

(1. 11). Et 1'on est pcesente " . . . le diamant pur de

quelque etoile, ma is/ Ante'rieure, qui ne scintilla jamais"

(11. 15-16). Dans la chambre de la jeune fille, le lit, vide,

devient un "dais sepulchral," et

• » 9 'orce du silence et des noires tenebres Tout rentre egalement en 1'ancien passe, Fatidique, vaincu, monotone, lasse,

Comme I'eau des bassins anciens se resigne. (11, 5^-57)

Ce retour "en 1'ancien passe**, 1'act ion faite aussi par

le fauna, devient un geste d1 interiorisation, ou de se

renfermeren soi-meme, Le mot "pli" qui se repete dans le

poeme est une image de cette action, d'un repli sur soi,

pour se cacher du raonde exte'rieur. L'analogie continue

?9 / "Ma liar me, Oeiivreg, p, , 1, 6,

Vp-

dans les derniers versi / /

. . , 1*enfant, exilee en son coeur precieux Comme un cygne cachant en sa plume ses yeux,

en l'eternelle allee De ses^espoirs, pour voir les diaraants elus D'une etoile mourante, et qui ne brille plus.

(11. 91-96)

Herodiade se renferme ainsi, comme un cygne qui se met la

tete sous I'aile, s'exilant du monde exterieur.

La deuxieme partie d*"Herodiade", la "Scene", est en

forme de dialogue, entre la nourrice et la jeune fille.

Celle-ci de'clare a la fini "Et je deteste, moi, le bel

azurl" (1. 122) Silo aime au contraire sa sterilite', et

quand, trois fois, la nourrice essaie de la toucher, c'est

comme un sacrilege, un viol, G'est e'galement blaspheme de

suggerer qu'elle connaitra un homrne, car: " . . . c 'est pour

moi, pour moi, que je fleuris, deserte!" (1. 86) et plus

loin: "J'aime 1'horreur d'etre vierge . . , " (1, 103).

Depuis qu'elle a de son "reve e'pars connu la nudite" (1. 51),

elle semble vouloir rester telle qu'elle est, elle est con-

tente de son etat, Tout l'indique, sauf ces dernieres

paroles*. "Vous mentez, o fleur nue/ De mes levres." (11. 129-130)

Elle n'est pas satisfaite, elle attend quelque chose. Mais

quoi? Peut-etre si Wallarmo avait pu terminer, il 1'aurait f f /

revele, raais 11 n'y a que dos bribes pour expliquer cette /

ciX fcexa,~t 1 on dcs son cxinenis arp c i s s i s 0 s d ,H©r*odieLd.6 c[U0

48

Gardner Davies a rassemblees sous le titre "Les Noces

d'Herodiade, Mystere." La question reste ouverte, et bien

des solutions ont ete proposers.

La troisieme partie d' "He'rodiade", "Gantique de Saint

Jean", dont la date de composition est inconnue, ne fait

cependant pas partie de cette epoque. Ge jugement est fonde/

sur le fait que ces vers de Fuallarrae n'appartiennent ni en

composition ni en id^e a sa maniere de cette periode.^0

En conclusion breve, remarquons que Mallarme exprime

le Ne'ant sous la guise de plusieurs descriptions diffe'rentes.

Une fois c'est 1*oppose de l'azur, une autre un refuge

' ' * . . X

prepare par ce merne azur pour servir aux besoms du poete.

Et encore, ce Neant veut dire vivre dans le passe, s'exilant

du monde present et des maux de I'humanite. Egalement,

Mallarme montre le Neant comrne un moyen d'oublier, mais de

l'autre cote' comrne outil pour se connaitre a fond, et

parvenir a s'accepter, peut-etre.

Mallarme7 ne parvienx pas a une expression uniforme du

Neant, pas encore du moins. Cependant, il faut noter ici

qu'il est tout de meme possible de voir dans les images

du Meant de cette epoque le debut, 1»ombre, du Ne'ant qui

sortira enfin de la poesie de Stephane Mallarme'. Les faits

5%(allarme, Oeuvrev. t p, ]A^6.

h'9

seront examines dans le dernier chapltre, lorsqu'il aura / / \ /

ete vu ou Mallarme parvient enfin. II sera alors plus

mteressant et egalement mieux compris d'ou il vient.

CHAPITRE IV

LES POEMES A PARTIR DE 1870

PREMIERE PARTIS

Solitude, recif, etoile A n'importe ce qui valut . Le blanc souci de notre toile.

C'est en 1871 que Mallarme' est nomrae a un poste au

Lycee Forltanes a Paris,* quittant Avignon, et s'installant

rue de Rome a Paris, il va desormai's vivre entoure des amis

et disciples artistes dont il a ete question plus haut.

Ses premieres annees a Paris vont produire peu de poemes,

mais dans les vingt-six ans qui suivront, il parviendra a

mettre un assez grand nornbre de vers "sur le vide papier que / p /

la blancheur defend." C'est pendant ces annees que 1'on /

peut voir le Neant prendre la place de I'azur au centre de

son oeuvre, d'ou il rayonne en toutes directions, se faisant

par la suite une place principale dans la litterature du * n » \ 3 vxngtieme siecle.

Cornme le Neant dcvient le centre de la poesie de

Mallarme, presque touts bob poemes composes a Paris vont

servir a decouvrir le Neant mallarmeen. Dans les vingt-deux

-'•Ma 1 larme, Oauvron, p. 27» 2 Ibid,, p. 38.

51

poemes qui vont aider, il faut esperer, a cette decouverte,

le Ne'ant apparait sous trois formesi d'abord un Neant qui

a des dimensions, un espace; puis celui qui s'interprete a

travers le temps; et un troisieme qui est plus difficile a

titrer. Les deux premiers aspects ne sont pas toujours

distincts, et seront parfois trouves ensemble, dans un meme

poeme. II nous faudra voir et definir ce Meant spacio-

temporel, c*est~a~dire, qui appartient a 1'espace et au

temps.^ Les trois divisions (arbitraires) des poemes de / \

cette epoque vont etre les suivantesj le Neant spatial,

tempore!, et ephemere, Cette derniere constituera le chapitre

V, et sera compose des poemes qui montrent un Ne'ant plus V

difficile a categoriser, mais qui existe bien dans la poesie

de Stephane Mallarme, Ces poemes montrent un aspect du Neant

qui est a .la limifce de la perception, parfois au-dela, et qui

voltige dans l'irre'el, 1'ephemere, le le'ger et le volatile.

Commence en 1862, mais t ermine' seulement, et publie, en

I887, "Le Guignon," ou Mallarme decrit amerement la vie

persecute e de martyr que doit vivre un poete,^ meconnu par

k Paul Robert, Alphabetique et Analogique de la Lznma Claris, 19S77, pp. 1684, 1759: — -

^Cette^ attitude de me'connaissance eta it d'ailleurs recom-mandee par I.'iallarme > Dans sa lettre autobiographique il disaiti Au .corn je considere 1*epoque contemporaine comme "un interrepne pour le poete qui n'a point a s*y rneleri elle est trop en desue-tude eo en^eixervescence preparatpire pour quMl ait autre chose a ia ire qu a travailLer avec mystere en.vue de plus tard ou de jamais et de temps en temps a envoyer aux vivants sa carte de visite, stances ou sonnet, pour n'etre point lapide' d'eux, slls soup^onnaienx _de aavoir qu'ils n'ont pas lieu" (Mallarme', Oeuvres, pp. '

52

le "Betail ahuri des humains,"6 introduira la premiere partie,

spatiale, de ce chapitre, Get espace va etre presente en

plusieurs formes, ou images, differentes et il convient de

eommencer en les signalant. il sera vu un espaee bien

delimite par des frontieres precises, puis un vide avec un

minimum de limites qui n'est qu'une absence totale, et enfin

un espace qui n'est pas de cette terre, mais qui est plutot

d'un caractere cosmique.

Dans "Le Guignon" les deux premieres de ces espaees

apparaissent, avee aussi un troisieme que nous avons vu bien

souvent, l'ane'antissement. L-espace aveo forme de'finie peut

se voir dans le vers ou Mallarme, parlant de poetes, dit.

"lis pouvaient exciter aussi comme un tambour . . . (1. 25)

oi. le tambour devient le poete, vide 4 1-interieur, et qui,

voulant faire echo a l'azur. ne peut que rendre un son oreux.

Puis Mallarme dit, de'crivant ce Guignoni

Et ce squelette nain, coiffe d'un feutre a ni.me

ssnryys-ss (11."So-45)" " a o a r c a s s e qui passe au travers.

Ce squelette, ,juoi.qu'il ait une forme, et qu'il p u i s s e

etre decrit, est pourtant sans substance, car le rayon de

^Mallarme, Oeuvrea• p. 28, l. i, —— -

53

i t • «

lune (un reflet de l'azur du jour) qui pourrait, comrae pour

le malade dans "Les Fenetres," lui donner un air de vie et

de sante, ne fait que passer au travers. Cette forme est

vide et elle hante le poete, dont I'oeuvre (vers) est seul

a demeurer quand la mort a vaincu. Tout autre commentaire

sur " . . . dont I'aiselle a pour poils vrais des vers, •

avec le jeu de mots de "vers" serait une injustice a Mallarme.

Ce vide, qui est 1'espace d'une forme non remplie, est

continue avec celui du broc qui "est a sec." (1. 51) «

Quelques images du Ne'ant decrivent un espace avec une

forme tres vague, au point d'etre pratiquement sans limites.

"Toujours avec l'espoir de rencontrer la mer,/ lis voya-

geaient . . . " (1. 28) projette une image d'un vague chemin

sans fin en vue, puis Mallarme' continue! " . . . sans pain,

sans batons et sans urnes,/ Mordant au citron d'or de 1*ideal

amer." (11. 8-9) lei, le trois fois repete "sans" accentue

l'absence de ces objets, et pourtant les objets nommes laissent

une sorte d'espace vide, .inoccupe, la ou ils auraient ete".

Les voyageurs n'ont rien pour se nourir, et le citron d'or ne

parvient pas a remplir leur vague Neant interieur. De meme,

ils n'arrivent pas au bout de leur voyage, car c'est vers

1'horizon qu* ils vont, cet horizon (I'azur) qui recule a

mesure qui 1'on avanco„ Et c'est la que 1'ange attend, avec

leur defaite, "dans le nu de son glaive." (1. 1^)

Plus loin, parlant des poetes, Maliarme dit encorej

" . . . Fre'quentant les de'serts sans citernes . . * . " (1. 28)

De plus, les voyageurs n'ont pas de quoi tarir leur soif ("sans

citernes") dans les deserts, lieux d'aspect infini et sans

forme pre'cis quand on s'y trouve. Une pareille image du Neant,

sans forme et qui engloutit, se voit a la ligne 32, ou le

Guignon plonge les amants (le poete et son art) en une mare.

Cette utilisation de forme vague pour convoquer le Neant

se rencontre de nouveau a la ligne 53, ou Mallarme parle de

"ces dieux effaces." II reste done un vide, un espace qui

n*a pas ete rempli, ou ces dieux, maintenant effaces, avaient

ete.

Peut-etre 1*image du Neant qui est la plus forte de ce

poeme est celle ou le Neant est interprete par la mort. A

la ligne 12s "0 mort le seul baiser aux touches taciturnesl"

Mallarme introduit la pensee de la mort, puis l'e'tend a la

ligne suivante avec "leur defaite." Le rapprochement de ces

deux termes commence a montrer 1'attitude de Mallarme qui

voio la mort comme solution a une defaite. Le squelett© qui

represente le Guignon sera.it egalement une variation de cette

forme du Neant car, a la fin, quand les poetes ont e'te

completement ane'antis et abattus ("Nuls et la barbe a mots

bas priant le tonnerre," l» 62) c'est cet aneantissement

dans la mort qu'ils cho is is sent pour s 'e'ehapper«

Ces heros exeedes de malaises badins Vont ridioulement se pemdre au reverbere. (11. 63-6*0

Par cette rnort, aneantissement choisi, ils parviennent

a echapper au Guignon qui les tourmentait sans cesse pendant

leur vie de poete sur la terre,. En se pendant, ils se

rapprochent enfin un peu plus de l'azur qui avait ete au-dela

de leurs essais vains dans leur art.

Ainsi que dans "Le Guignon," l'art du poete est a la

fondation d"*Une dentelle s'abolit . . . . " Mallarme' se

sert d'un paysage pour interpreter comment fonctionne son

esthe'tique d'art. Ici, regardant a travers une fenetre,

c'est une scene d'hiver que voit l'auteur, qui pre'fe'rerait

un paysage plus azure'; " . . . chez qui du reve se dore . . . M? \

en parlant du poete*

A la premiere ligne du poeme, le verbe "s'abolit"

apparait, que nous avons vu auparavent dans 1 *"Ouverture"

d*"Herodiade." C'est la dentelle des rideaux qui s'abolit

(comme image le blanc de la dentelle se confond avec le

blanc de la neige), "dans le doute du Jeu supreme" (1. 2) et

la fenetre, qui se'pare deux mondes, marque ainsi un lieu de

naissance possible en laissant passer au travers pour aller

d'un monde a 1'autre; mais 1'accouchement n'a jamais lieu,

car les rideaux ne s'entr'ouvrent que sur une "absence

eternelle de lit." (1, Get "unanime blanc, (1. 5) un

7Ibid., p. 7k, l, 9,

56

paysage sans forme et sans couleur, est aussi sans substance

(sans poids), car il "flotte plus qu'il n*ensevelit." (1. 8)

Dans le premier tercet de ce sonnet, nous rencontrons

un Neant ayant une forme de'finie. Chez celui qui se dore

du reve (c'est une image d'inactivite, de contemplation de

I'azur), une mandore dort tristement. Cet instrument de

musique n'est pas joue, il dort. Et aussi a I'interieur, ou

resonnerait la musique si elle prenait existence, on ne trouve

qu'un "creux ne'ant musicien." (1.11) L'ide'e negative qu'apporte

ce creux neant au Neant est un peu attenuee par le deuxieme

tercet ou la mandore est decrite comme: " . . . telle que

vers quelque fenetre/ Selon nul ventre que le sien,/ Filial

on aurait pu naitre." (11. 12-14) Un "si" reste en l'air a

la fin du poeme. L'aspect negatif, l'absence d'une naissance,

de musique ou de creation quelconque, demeure, mais la

possibilite d'une naissance est affirmee et demeure egalement.

Un jeu de mots qui parait ailleurs aussi se montre dans le

double-entendre de "naitre" et "n'etre,"

La neutralite, de couleur et de forme, de ce sonnet est

accentue par Kallarme au moyen da 1'usage de la voyelle "e".

II faut remarquer surtout la ligne 12t "Telle que vers

quelque fenetre, ou c'est la seule voyelle dont il se sert•

Le paysage de "Mes bouquins refermes sur le nom de

Paphos . . . " ressemble beaucoup a celui d'"Une dentelle . , .

57

car nous voyons encore au deuxieme quatrain le froid hiver

avec sa neige qui "denie/ A tout site l'honneur du paysage 8

faux." Ce paysage faux etait imagine par le poete sous

1"influence du "nora de Paphos" rernpli d'azur, de blanc et

d'or, comrne tout paysage grec, A la ligne 3, "Une ruine,

par mille e'curaes benie," introduit une image de l'azur et

du Neant qui servira a une grande fonction dans plusieurs \ /

autres poeraes. Reraarquons seulement qu'ici l'ecume est

associee avec une ruine.

Mais ce paysage est faux, et a sa place existe un vrai

ou "coure le froid avec ses silences de faux," (1. 5) qui

coupe ("denie") "au ras de sol." Et le ne'nie (chant funebre)

du poete n'est pas vide, car il pleure une vraie absence.

Cette absence continue avec les "aucuns fruits" (1. 7) dont

sa faim (un vide inte^ieur) ne se regale pas. Mais I'auteur

trouve autant de saveur ("Trouve . . , une saveur egale"

1, 10) dans leur absence ("en leur docte manque" 1. 10).

L*image qui lui est venue du paysage grec rappelle aussi

par association une autre image, de la mythologie grecque.

H pense aux amazones, ces femmes guorrieres qui se brulaient

le sein droit afin de mieux tiror a 11arc« G'est ce sein qui

n'est plus qui tire 1'attention du poetei "Je pense plus

8Mallarme/, Oeuvres, p. 76, 1, 8.

58

longtemps peut-etre eperduraent/ A l1autre, au sein brule' d'une

antique amazone." (11, 13-1^)

Gette utilisation de et fascination pour les formes

absentes est un trait bien marque dans la poe'sie de M a l l a r m e ' . ^

II se sert de ces absences, de ces lieux vaguement de'finis

par une forme qui n'est plus la, pour creer 1*atmosphere du

Ne'ant dans ses poernes, puis il va de la au Ne'ant meme qu'il

ressent, en utilisant ces images qu'il a convoque'es. Le

Neant se manifeste done ici a plusieurs niveaux spatiauxj un

paysage imaginaire se transforme, subissant la metamorphose

du negatif mallarme'en, en un paysage reel, mais egalement

vide et sterile• La neige, comme 1'azur, impregne et couvre

tout, effagant contours et contrastes, afin d'arriver en

fin.de compte a rien. G'est ici egalement que se montre une

des affirmations les plus claires de I'attrait que tient

pour Mallarme le cote/ negatif d'une chose, son absence, a

travers surtout ces versi " . , . trouve en leur docte

manque une saveur egale," (1. 10) et encores "Je pense

plus longtemps . . . / A 1'autre, au sein brule." (11. 13-14)

Venant de la plume de Mallarme la meme annee que "Mes

bouquins," "Surgi de la croupe et du bond," au meme accent

' Austin Gill, "Du i- ait a 1' ideal t La Transposition mallarmeenne" Revue de Linguistique Romane (1969), pp. 295-296 a

39

sur I'espace defini par une forme absente, ou un contenu qui

manque, que le poeme pre'ce'dent. Le poete est assis dans une

chambre qui n'est pas e'clairee. Son attention est fixee sur

un vase vide, sur I'espace qui se definit selon ce qui ne le

remplit pas, dans les yeux du poete. II voit le vase comme

une "verrerie ephemere""^ qui ne fleurit pas, i.e., ne

remplit pas de fleurs, la veillee amere. Puis le regard du

poete suit le col du vase et le voit comme ignore (des fleurs)

et le col interrompt son ascension. Ainsi deux absences

marquent ces premiers versj le manque de fleurs et l'absence

du col qui ne se continue pas.

Plus loin, au premier tercet, il continue a decrire le

vases "Le pur vase d'aucun breuvage." (1, 9) Le vase ne

contient rien, et done rien ne peut en sortir. Comme le poete,

il est incapable de produire et va maintenant se definir au

moyen de ce qui lui manque, "L'inexhaustible veuvage" (1. 10) / / ,

du vase, sa solitude irremediable, son manque total d'accom-

pagnement est encore une image d'un Neant qui se definit par ' / \

une absence eternelle» le vase est destine a demeurer tel .

qu'il est. II lui faut done etre content de son etat, et

partant de la se batir une vie, Repetons que le vase parait

etre une image du poete. Les deux dernieres lignes renforcent

cette idee ? "A rien expirer annongant/ Une rose dans les

^Mallarme, Oeuvres 3 p. 7^, 1. 1.

60

tenebres." (11. 13-1*0 Dans son e'tat inchangeable, le vase,

ou le poete, n'expire rien (aucune chose n'en sort) qui

annonce une rose (une creation, un produit) dans les tenebres

(le noir Neant) qui constitue son sort.

Le Neant demeure un espace dans "Autre e'ventail," mais

il est cependant bien diffe'rent. Dans le poeme, c'est un

eventail qui parle a Genevieve Mallarme, et le Neant prend

ici des traits humains. L'eventail commence ainsis

0 reveuse, pour que je plonge Au pur delice sans chemin, Sache par un subtil mensonge,

Garder mon aile dans ta main.

Le mouvement de la main est le sien, (c*est-a-dire, celui

de l'eventail); il se meut et son trajet est sans chemin>

il n'y a rien qui annonce le trajet futur ou passe. L'espace

que 1'eventail a franchi ne porte aucune marque de son passage:

c'est un Neant complet. Le mouvement de l'eventail est un

"coup prisonnier" (1. ?) car tout en etant vide, ce trajet,

cet espa.ce, a pourtant des limitesi celles impose'es par

l'etendue du mouvement de l'eventail. Et chacun de ces coups

"recule/ L'horizon delioatement. " (11. 7-8) L'horizon,

proche famille de I'azur, est au-dela de ce qu'on peut

atteindrei a mesure que l'on s'avance, l'horizon recule pour

demeurer toujours a la uieme distance. On peut voir ici que

Mallarme aimsrait xoujours atteindre I'azur, et aussi qu'il

11Ibid., p. 53, 11. 1-^.

61

est plus resigne a ne jamais pouvoir le faire. Le Neant cr4e

par les coups de l'eventail fait eloigner cet horizon (l'azur),

delicatement.

Maintenant Ma liar me' pre sent e les traits de ce Neant

qui a ete cree entre la bouche de la fille et l'e'ventailj

Vertige! voici que frissonne L'espace comme un grand baiser Qui, fou de naitre pour personne, Ne peut jaillir ni s'apaiser. (11. 9-12)

Ainsi le Ne'ant frissonne, est fou, est ne, et ne peut

s'apaiser. II vit. Notons que Mallarme se sert encore ici

des homophones "naitre" et"n'etre": "L'espace

fou de naitre pour x>er sonne," (11. 10-11) Le Ne'ant n'existe

qu'en lui-meme, et 11 est la solitude absolue. On peut se

rappeler le vers de "Surgi de la croupe . . . " ou Mallarme

parle d'"inexhaustible veuvage," 1. 10)

A la ligne 16, Mallarme a ecrit "l'unanime pli." Comme

dans "Herodiade" ce pli marque un retour sur soi, une

inte'riorisation sans equivoque (unanime). Ce Neant, cre'e'

entre le coin de la bouche et 1 'e'ventail, par le mouvement de

cet eventail, peut contenir "un rire enseveli." (1. 1^) Puis,

de ce Neant devenu reel et concret a le toucher, Mallarme

enleve un peu de forme, deconcretise un peu avec "ce blanc

vol," (1, 19) une image plus le'gere et insubstantielle.

Le mouvement d'un eventail constitue la germe inspi-

ratrice aussi du poeme qui s1 intitule "Eventail," ou la

creation d'un vers est docrite selon les images associees a

62

un eventail en mouvernent. Un rien, pas plus "qu'un battement

aux cieux,"-^ Initie le futur vers, lui donne naissance. Ge

rien de battement, chose ephemere et insaisissable, symbolise

le langage qui constituera le vers.

Les vers qui expriment la pense'e centrale sonti

Aile^tout bas la courriere Get eventail . . .

Toujours tel il apparaisse Entre tes mains sans paresse. (11. 5-6, 13-1*0

Voyant la tache du poete comme analogue au travail necessaire *

pour maintenir 1'eventail en mouvernent, Mallarme dit ici que

1'artiste qui veut avancer son art doit y travailler sans

cesse, et se concerner avec le reel ("entre tes mains"i

image du reel, concret, que l'on peut saisir) au lieu de

1'irreel ou de 1*ideal.

Cette derniere idee sort surtout des vers qui forment

une pensee entre parenthesesi

Cet eventail si c'est lui Le meme par qui derriere Toi quelque miroir a lui

Limpide (ou va redeseendre Pourchassee en chaque grain Un peu^d*invisible"cendre Seule a me rendre chagrin) (11. 6-12)

V idee consiste en cecis une lueur (rappel de l'azur) a lui

dans le rairoir derriere sa fomme. Mallarme croit que 1'eventail

est la source du mouvepient Cju'il a vu se refleter un instant

12Ibid., .p„ 57, 1,

6 '

dans le miroir, mais il lui reste un doute. Le miroir devient

un element symbolique tres important dans la poe'sie de Mallarme,

car il represente plusieurs idees differentess dans un miroir

on peut voir une reflexion, d'ou association avec le verbe

reflechir; ainsi le miroir est rapproche' de cette action

faite par une ame qui refl^chit, ou se tourne a l'inte'rieur.

Cette action rend abstrait tout ce qui etait concret, car tout

devient pensee. Le meme miroir represente aussi un segment

du Neant, encadre, Cornme dans "Les Fenetres," (fenetre

egale miroir) ou les fenetres etaient le moyen a travers lequel

il devenait possible de percevoir l'azur, le miroir ici possede

la clarte que l'on associe a l'azur (le "miroir a lui"), Le

Neant se joint done a l'azur dans ce miroir et Mallarme' dit

que 1'existence de l»un presuppose celle de I'autre. Ainsi,

quand il veut travailler a son art, il se trouve distrait par

introspection (il regarde dans le miroir), par l'azur qui,

ne pouvant etre atteint, le laisse tomber dans le Neant.

La qualite ephemere de cet azur (une courte lueur dans le

miroir) est renforcee pa r une parentheses miroir " . . . (ou

va redescendre/ Pourchassee en chaque grain/ Un peu d'invisible

cendre , » . . "). (11. 8-10) .La lueur dans le miroir est

disparue, mais il derneure un rion, un Neant pour en marquer

le passage,- "un peu d'invisible cendre" qui tombe grain par

grain. II n'y a r i o n dans le miroir, mais on peut presque

y voir quelque chose, iit en . f in , ce rien qui demeure de

1 insaisisoaole a z u r e s t tout oo qui le rend chagrin.

6h

L'absence de ponctuation dans le poeme, a part un point

final, imite le mouvement continu, sans arrets, de l'eventail.

Vpici done que Mallarme voit son art non plus corame une

poursuite de I'azur, rnais plutot comme mis en danger par cet

azur qui le hante, II lui faut mettre I'azur hors de sa

perception, n'y plus penser et travailler patiemment et

assidument ("Toujours tel il apparaisse/ Entre tes mains sans

paresse,"). Mais un rien le distrait, rappelle I'azur,

quand il per^oit un reflet dans le miroir (I'azur).

Le miroir, un vide dont les limites sont bien fermement

fixees (le cadre), mais qui est pourtant capable de tout

engloutir, revient encore dans "Ses purs ongles . . . II

est minuit, l'heure du temps neutre, et I'angoisse de Mallarme'

soutient, leve en l'air, le nombre de ses reves qui, "brftle'

par le Phenix, n*ont pas ete receuillis par un amphore

cine'raire, n'ont pas ete enterres, et vont peut-etre renaitre,

comme le Phenix, cette creature le^gendaire qui se consumait

en flammes, puis renaissait de ses cendres. f

Mallarme est assis dans un salon vide? il n'y a "nul

ptyx" (1. 5) (ptyx est un mot invente' par Mallarme), et e'est

une absence d'un rien, car le ptyx est un "aboli bibelot

d*inanite sonore." (1. 6) La qualite de negation de cette

ligne est forte, Le bibelot n'est pas au salon vide parce

13 Ibid., p, 68, 1. I),

65

que "le Maitre est alle' puiser des pleurs au Styx/ Avec ce

seul objet dont le Ne'ant s'honore." (11. ?~8) Get objet a.boli,

sans definition et sans signification, par son absence rend

le vide du salon d'autant plus profond que le bibelot est

inutile ("d'inanite sonore") quand present, et ne remplit

une fonction qu'absent, avec le Maitre.

Ge salon vide est reflete dans un miroir (comme dans

"Sventail"), et une seule chose y apparaltt un reflet dor^

venant de "proche la crois^e au nord vacante." (1. 9) C'est e

le cadre du miroir qui se reflete, une scene de "licornes

ruant feu contre une nixe," (1. 11) peut-etre, Le doute

s'etablit» tandis qu'elle (la nixe) est defunte et nue dans

ce miroir qui attire meme (et surtout) le vide a lui (reflete

le vide du salon), le reflet n'est peut-etre que la scintil-

lation du septuor (les sept etoiles du "Grand Ours") qui se

fixe "dans l'oubli ferme par le cadre." (1. 13)

Le decor de cette chambre est maintenu au minimum. La

chambre elle-meme est sans dimensions, vide a part un miroir,

et le poete nous montre une fenetre, s'ouvrant sur le ciel

de minuit ou le septuor scintille, puis se tourne vers le

miroir qui reflete cette scintillation. Ou est-ce le decor

du cadre, la nixe, qui se reflete? Voici deux c&te's du Meant

mallarmeen que le poete corrbinuera a developper dans son

oeuvre t le Ne'ant interiour, interprete ici par la profondeur

du miroir qui .reflete ce q u i est au dehors; et le Neant

6C

exterieur, egalement infini mais dans le sens oppose, expose

a travers une unique (solitaire) constellation dans un ciel

noir de minuit, vide et sans fin.

L'angoisse de Mallarme se centre d'abord sur un element

ephemere, insaisissable ("raaint reve vespe'ral brule" 1. 3),

puis se concretise sur le ptyx absent. L'attention passe

ensuite au seul decor de cette chambre (la nixe du cadre) et

sur le miroir. C'est ce mi.ro ir qui re joint les deux espaces

du poerae j 1'espace indefini mais limite du salon avec l'espace

cosmique du septuor. Le premier est interieur au poete

lui-meme, tandis que le second est au-dela de ce monde,

cosmique.

Deux images supplementaires du Neant se font voir icii

"ce minuit," (1. 12) est un Meant temporel; puis le Styx

("les pleurs du Styx," 1. 7> symbolisant peut-etre ceux qui

ont ete aneantis) fait entrer la mort comme Neant. Ainsi les

images de Mallarme se rnelent ensemble, creant une impression

unie et totale du Meant a travers tous les aspects de ce Neant.

L*utilisation du miroir dans ces deux derniers poemes,

Eventail et ">••>es purs ongles . . . " expose deux attitudes

envers ce t "oubli fertno par le cadre," et les deux arrivent

a se confondre. Dans ce dernier, c'est au moyen du miroir

^Thomas Williams, "Mallarme's 'Plusieurs Sonnets, IV* (Ses purs ongles tres haiu;s , , . Explicator, XXV. no. 3 (November, 1966), item 23. ^

oy

que Ma liar me, au milieu du vide du ciel ("croise'e au nord

vacante") et du salon apergoit une lueur, un espoir peut-

£tre. Et dans le premier, la source de son chagrin est ce

miroir ou quelque chose a lui, mais il ne salt pas quoi et

ne peut le saisir. Ainsi Mallarme se trouve-t-il pris entre

les deuxj d'une seulo source viennent done son espoir ET

son chagrin, et e'est cette dualite qui le pousse toujours

a travailler quand meme, lorsqu'il souhaite, dans toute sa

faiblesse de mortel, de pourvoir se reposer.

Cette necessite de travailler, de tenir au re'el que I'on

peut saisir, est contraste da,ns "Prose" avec la tendance vers

1' irreel de 1*ideal, de ce qui n'existe pas, le Neant• Le

poeme est construit autour de I'idee d'une ile ou tout est

surreel, plus grand que reels c'est le monde de ses reves,

Les symboles du Neant qui s'interprete a travers ce lieu se

centrent toujours sur I'espace qui n'est pas rempli,

Ce lieu "ne porte. pas de nori"^ et se definit largement

par ses fleursi

Qui, dans une lie que 1'air charge De vue et non de visions Toute fleur s'etalait plus large Sans que nous en devisions,

Telles, immensGs, que chacune Ordinairement se para D 'un lucide contour, la curie Qui des jardins la separa. (11. 21-28)

-^Mallarme, Oeuvres 3 p, $6, 1, 19)

68

Dans cette lie ou le poete croyait voir du reel, du concrete

au lieu de visions ephemeres, toutes les fleurs (ide'es) e'taient

plus larges que nature, sans qu'il s'en rende compte. Et dans

cet etat chacune d'elles s'entourait d'une lacune, d'un espace

de Neant, qui formait une separation entre elle et le reste

du jardin. Le fait d'etre plus grand que reel forme, au raoyen

d'un Ne'ant, une barriera,

Oh! sache 1'esprit de litige, A cette heure ou nous nous taisons, Que de lis multiples la tige

(Irandissait trop pour nos raisons. (11. 37-40)

Ainsi Mallarme' explique-t-il a ses critiques la raison pour

son silence frequents il essaie de comprendre, mais ces fleurs

ont grandi au point ou leur lacune dont ils s'entourent, ne

peut etre franchi par la raison d'un homrae.1^ L'effort est

plus grand qu'il n'est capable de faire. St c'est la sa

raison de se taire, et non pas "comme pleure la rive," (1. ^1)

ceux qui ne possedent pas son reve, qui disent "que ce pays

n'exista pas." (1. ^8) 11 y a bien de la difference entre

une existence incomprehensible et une non-existence.

Le poerne terrnine avec hu.lt vers assez difficiles qui

modifient un peu la direction de la penseei L'enfant abdique son extase Et docte deja par chemins Elle dit le mots Anastase! Ne pour d'eternelles parchemins,

loThomas Williams, "Negation and Affirmation in Mallarme," Romance Notes X (1969), ?Jv8*

69

Avant qu'un sepulcre ne rie Sous aucun climat, son ai'eul, De porter ce norni Pulcherie! Cache par le trop grand glaleul. (11. ^9-56)

L'enfant (elle), peut-etre sa soeur, une compagne, ou peut-

etre une partle de lui-raemej contraste "animus-aniraa," le

premier e'tant esprit visionnaire, plein d*emotion, et le

dernier, la partie e'tudiee qui tient au reel. Son anima

essaierait ici de le soustraire a ce monde de reve qui

l'empeche de travailler, et ou il se perdraiti " . . . un

sepulcre Cache par le trop grand glaieul."

(11. 5k, 56)

L'ane'antissement I'attend done s1 il continue a poursuivre

cet ideal, et cette mort est symbolise'e par le se'pulcre qui

porte en inscriptions "Pulcherie." II lui faut se mettre au

travail afin d'eviter le sepulcre, ce Neant qui 1'engloutirait,

le jetterait dans I'oubli total.

L oubli pour le poete est on realite des plus horribles

des Neants, et quand Mallarme parle de, compose un poeme sur,

un autre poete, e'est cet aspect, la reconnaissance par les

autres, dont il parle le plus souvent. Un example de plus

re So 01 fc ctanb Quand l'onibre rnena a . > • ," ou "quand 1' ombre

mena^a de la fatale loi/ Tel vieux reve . . , / Afflige de

pei ir i = > o u s les p.l.aj.onus lunebres . . . " I'auteur peut

pourtant affinners

Qui, jo sa.is qu'au. loin tain de cette nuit, la Terre

1 *7 I la liar me, Oeuvres. p. 67, 11. 1-3.

70

Jette d'un grand eclat l'insolite mystere, Sous les siecles hideux qui 1'obscurcissent moins. (11. 9-10)

I.ci, le temps est une distance qui est mise entre le poete et

• 1 R

le moment de la reconnaissance de son genie, temps pendant

lequel "se tordent dans leur mort des guirlandes celebres."

(1. 6) Le poete ne rego.it ses guirlandes que dans la mort.

Le vocabulaire de 1'aneantissement est rapidement reconnu

maintemants fatale, perlr, funebres, ploye, mort, solitaire.

Mallarme reussit a convoquer 1'image d'un poete qui avait du,

pour se sauvegarder, s'interioriser, devenir solitaire et se

reployer sur lui-meme ("H ["tel vieux Reve"] a ploye son

aile indubitable en moi" (1. 4). Le solitaire, "ebloui de sa

foi," c'est-a-dire ayant confiance en son art au point de se

surprendre. II avait pu se jeter completement dans son

travail et grace k cela se mettait a part, distinct des autres

pour I'eternite. Et avec le passage du temps, maintenant la

terre reconna.it le grand eclat de son mystere insolite ("sous les siecles hideux qui 1'obscurcissent moins." 1. 11). Son

ge'nie reconnu, le poete ("l'espace a soi pareil qu'il

s'accroisse ou se nie" 1, 12), meme aneanti, demeure lui-meme

et ce qu'il a toujours ete: " . . . d'un astre en fete allume

le genie." (1, lij-)

ff009?8 i n , 1 • ombre mtmaSa, • » xx '(1966)f ' Q u a n d

71

Le Meant darts ce poeme devierit done un refuge pour le

poete ou il peut etre lui-meme, "qu'il s'accroisse ou se

nie," (1. 12) et d'ou son eclat, ayant les etoiles ("cet

ennui de feux viles" 1. 13) pour temoins, peut briller dans

son Neant! lieu, espace, temps inviole' par toute transfor-

mation.

Cette capacite' que possede le genie de 1'artiste, dans

ce refuge, reapparaxt comme theme de "Toast funebre" ou le

Neant est encore personnalise' (voir "Autre Eventail"). Le • *

Neant parle au poete et celui-ci, dont "le splendide genie

eternel n'a pas d*ombre,"^ ne peut que repondres "Je ne

sais pas," (1. 31) reponse qui devient un jouet pour 1'espace.

Le poete, disparu de la terre, est maintenant uni avec

le Neant, mais reste distinct de quelque maniere, car il est

1'objet d 'une question! " . . . qu'est-ce, o toi, que la

terre?" (1. 29) Qu'il est devenu Neant se voit dans les

expressions! "absence du poete," (1. 10) ou "vaste gouffre

apporte dans l'amas de la brume/ Par 1'irascible vent des

mots qu'il n'a pas dits," (11. 26-27) et encorei "cet Homme

aboli." (1. 28) iVJallarme rend bien clair que le poete n'est

plus vivant, qu'il so trouve oblige "de n'ouvrir pas les yeux

et de se taire," (1. 53) et peut jouir "de son repos altier."

(1. 51)

a l l a r m e , Oouvres, pp . 5^ -55 , 1 . 38.

Le poete trouve une paix, mais "cette foule hagarde" n'en

trouvera pas a cause de son faux orgueili "Magnifique, total

et solitaire, tel/ Tremble de s'exhaler le faux orgueil des

hommes," (11, 16-17) Gette orgueilleuse foule s'annoncet

"Nous sommes/ La triste opaeite de nos spectres futurs."

(11. 18-19) II sont deja ce qu'ils seront pour 1'eternite,

aneantis, et aveugles par leur orgueil.

En contraste a ce negatif, on trouve un cote plus positif, t N / / s s

deja suggere plus haut, du poete au sujet de qui Kallarme pose la

questions "Est-il de ce destin rien qui demeure, non?" (1. 36)

en attendant une reponse affirmative. Puis il continue 1 "0

vous tous, oubliez une croyance sombre./ Le splendide genie

eternal n'a pas d'ombre./ Moi, . . . , Je veux voir,/ A qui

s'evanouit hier, dans le devoir/ Ideal , . . / Survivre . . , /

Une agitation solennelle . . . / De paroles . , . ." (11, 3 7-41}.)

Et Mallarme termine le poeme avec la pensee que le poete pur,

interdisant "au reve, ennemi de sa charge" (1. 50) un sejour,

a fait son travail, "geste humble et large" (1, 51) et va

maintenant survivre a son humanite, cette partie de lui qui

lui imposait tant de limites ("tout ce qui nuit" 1. 55) cars

"Surgisse . . . / Le acpulcre solide ou git tout ce qui nuit./

Et I'avare silence et la massive nuit." (11, 5^-56)

Le Heanfc de "Toast funsbre" est de deux sortesj celui

de la foule n esi qu'unu continuation d'une existence

ino.igni.fian Le, tanuis que le Meant du poete le met a part.

?3

II faisait en effet partie de cette foule ("Quelqu'un de ces

passants" 1. 23)» mais i.l est deja, cornme ils le seront tous,

"hote de son linceul vague," (1. 25) mais lui, .il se transmue

"en le vierge he'ros de I'attente posthume." (1. 25) Le poete

est separe de la foule hagarde dans la mort et se trouve

' / S OA

eleve a la position de reconnaissance qui lui est due. u

Mais meme la, lorsque confronte par une question venant du

Neant, il ne peut que repondres "Je ne sais pas," (1. 31)

cependant que son "genie eternel n*a pas d*ombre," (1, 38)

n'est pas mort avec lui et par sa mort a ete libere'. Le genie

se trouve ainsi rendu concret et defini par la mort, ce Neant

qui est le bienfaiteur du poete.

Une affirmation aussi forte de l'aspect explorateur et

revelateur de l'art du poete se retrouve dans "Salut," gentil

petit sonnet compose a 1*occasion d'un diner, pour un toast.

Ce qui nous interesse ici est le vocabulaire de Mallarme. Le

poete montre la la source de 11 inspiration poe'tique qui

provient d'un rien, de .la rnoindre suggestion} "Rien, cet'te

ecume, vierge vers."21 Lg verre, vierge en ce que le toast

n'a pas encore ete porte, se metamorphose pour le poete en

vierge vers, de la poesie qui va bientot etre presentee et lu

pour la premiere fois. Le rien de son inspiration provient

cette fois de I'ecm.ae, chose ophemere, qui se forme et se 20Pischler, p. 312, 21 / Mallarme, Oeuvren. 27, l, 1,

7'J-

dissipe dans sa coupe. Puis il finit par le tercets

Solitude, recif, etoile A n*imports ce qui valut

Le blanc souci de notre toile. (11, 12-1^)

Si le reve ambitieux de resumer Mallarme en une phrase etait

realisable, ce serait sans doute autour de ces trois mots

"solitude, recif, etoile" que cette phrase serait construite,

car ce vers contient en si peu tant de son oeuvre. Solitude

est important en ce que partout dans son oeuvre, tout et tous

existent dans un etat solitaire, Le recif est sans doute le / / / / / , 1

symbole prefere pour representer le naufrage, 1'aneantxssement,

que subissent tous les hommes. Et enfin, 1'etoile (unique) /

signifie pour Mallarme le petit, solitaire mais brillant

espoir qui continue toujours a pousser le poete a se consacrer ^ /

a son art, en depit du naufrage qui 1*attend et la solitude

qui doit etre la sienne.

Un poeme que ces mots refletent bien clairement se

concerne avec un naufrage » "A la nue accablante tu." Comme

dans d'autres poernes ou Ilallarme utilise un element d'imagi-

nation, ici un evenement imaginaire sert a expliquer un paysage.

L'atmosphere est oelle d'une tempetei "A la nue accablante

tu/ Basse de basalte et de laves."22 .La lourdeur du ciel

pese sur la mer, comme le silence qui regne. La terre (la

mer) et le ciel se confondent ainsi pour fermer deja une

22 Ibid., p. 76, 11, .1-2).

75

image du vaste Neant. G'est dans cet espace sans forme et

infini que le naufrage du poete a lieu. A la surface de la

mer il ne reste qu'un peu d*ecume, seul vestige de ce qui

s'est passe. Interprete dans le contexte du naufrage-poete,

cette ecume, le rien e'phemere qui demeure, repre'sente son

oeuvre. Ge. n'est peut-etre pas grand*chose, mais cela fait

cependant une marque claire a la surface de la mer, pour

signaler qu'il s'est passe quelque chose. Et c'est la la

questioni que s'est-il passe? Est-ce le naufrage d'un

navire englouti par la mer, ou la noyade d'une jeune sirene?

la question demeure irresolue, et le Neant exprime' par le sonnet

renforce dans la meme mesure.

Le symbolisme evident du Neant se voit dansi "Quel

sepulcral naufrage . . . " (1. 5) eti "Supreme une [epave]

entre les epaves," (1. 7) et enfini "Tout l'abime vain eploye."

(1. 11) Cet abime, qui avale le naufrage, ne peut enlever toute

trace dans le cas du poete, et un peu d*ecume (son oeuvre)

reste. L*ecume est peu, vite passe'e, mais c'est en cela que

le poete connait son triomphe sur 1'aneantissement. Ge Neant

est une chose qui engloutit, un danger au voyageur qui n'est

pas averti, et sur sa garde, comme la foule de "Toast funebre."

Mais ivlallarrae ne voit pas toujours le Neant de cet oeil,

et est capable d'une attitude de compassion comme dans "Sur

les bois ouol±es . . . " Ce cote n'est pas completement

etranger a Mallarme, car il voit bien la mort du poete et le

temps qui s'ecoule ensuite comme une bonne chose en certains

76

aspects (surtout pour son oeuvre). Compose pour un ami, qui

avait perdu quelqu'un de bien-aime, ce sonnet porte en dedi-

cg.ce s "(Pour votre chere morte, son ami)."^3

Trois phrases, decrivant un Neant, nous interessent \ /

dans ce poeme. D'abord un espace, un vide, qui est defini

par ce qui est absent, se manifeste dans" "ce sepulcre . . . /

Helasi du manque seul des lourds bouquets s'encombre." (11. 3-*0

G'est un Neant qui a forme (les lourds bouquets) et espace

(il encombre le sepulcre). Un Neant de temps reapparait avec

"Minuit," un temps neutre ("Son vain nombre" 1. 5)« L'image

de la mort comme encore un Neant est introduite avec les

expressions! "Mon Ombre," (1. 8) "la pierre que mon doigt/

Souleve avec l'ennui d'une force defunte," (11. 10-11) et

enfin "Pour revivre il suffit qu'a tes levres j'emprunte/

Le souffle de mon nom murmurs tout un soir." (11. 13-1^) Ce

vocabulaire ne fait pas surface ici pour la premiere fois,

mais plutSt est caracteristique de 1*oeuvre de Mallarme.

Ainsi, comme ailleurs, le Meant a plus d'un cote a son image,

et chaque aspect a du commun avec les autres en ce trait du

manque, de 1'absence de solidite ou de presence. Les mots tels

Q.ue ombre, defunte, et souffle sont des marques de ce Neant

d'ou tout est absent. Meme les bois sont "oublies quand

passe l'hiver sombre." ^1. 1) Ce paysage d'hiver nous est

familier. Cette saison entre bien dans les traits du Neant

23Ibid., p. 69.

77

f

tel que le volt Mallarme, car tous les aspects de l'hiver

rappellent ceux du Neanti c'est la saison morte, la neige

blanche couvre tout, la glace immobilise et le vent froid

penetre.

L'hiver connait peut-etre son plus grand usage dans "Le

vierge, le vivace et le bel aujourd'hui" car ici l'hiver

devient ce qui retient le cygne et l'ernpeche de s'envoler

vers 1'ideal. Ce poeme est le premier du groupe ou Mallarme

se sert principalement du temps pour interpreter le Neant. \ / /

Dans ce poeme, tiallarme utilise des verbes au present, /

au passe et au futur afin de faire sentir les differences

qu'introduit le passage du temps. Le premier quatrain s'ouvre

au present ("le bel aujourd'hui") qui est plein d'espoir et

d*esprit createur. Pourtant tout de suite la question de ce

que tient 1'avenir est poseei "Va-t-il nous dechirer avec

un coup d'aile ivre/ Ce lac dur oublie que hante sous le

givre/ Le transparent glacier des vols qui n'ont pas fuiJ"2^

11 faut marquer que Riallarme• termine non pas avec un point

d'interrogation, mais plutot un point d'exclamation, et fait

ainsi de la phrase une ferme affirmation de ce qu'il sait va

se passer. Un rapprochement de ces lignes avec "Eventail,"

"Autre Eventail," et aussi "Ses purs ongles . . . " peut

aider a les clarifier. Dans les deux premiers, le vers s'envole

Zh Ibid.. p. 67, 11. 3-5).

78

a sa creation (idee introduite par l'eventail) et d'"Eventail"

encore ressort 1'image d'un vers (lueur dans un miroir=

mouvement de l'eventail= creation d'un vers) qui ne s'envole

pas, mais reste prisonnier dans les profondeurs du miroir.

Et dans "Autre Evenca.il" le mouvement de l'eventail devient,

au repos (arrete), un "blanc vol ferme."2-^ A travers 1'expres-

sion "l'oubli ferme par le cadre"2^ qui deicrit un miroir dans

"Ses purs ongles . . . ," il est aise de voir un parallele a

"ce lac dur oublie" (1. 3) et "le transparent glacier." (1. k)

Les "vols qui n'ont pas fui" (1. 4) sont ainsi des idees, ou

vers, fixes et geles, formant un froid glacier immobile. La

froideur de cette image et la stase impliquee preparent la

scene suivantes

Un cygne d'autrefois se souvient que c'est lui Magnifique mais qui sans espoir se delivre Pour n*avoir pas chante la region ou vivre Quand du sterile hiver a resplendi 1*ennui.

Tout son col secouerav cette blanche agonie Par l'espace inflige a I'oiseau qui le niet Mais non pas l'horreur du sol ou le plumage est pris.

Fantome qu|a ce lieu son pur eclat assigne, II s' immobilise au songe froid de rnepris Que vet parmi 1'exil inutile le Cygne. (11. 5-14}

La sterilite, et stase, du passage d'hiver continue immediatement

avec "Un cygne d'autrefois." Ce n'est pas meme un cygne du

25 Ibid., p. $8, 1, 19,

2^Ibid., p. 69, 1. 13,

79

present, mais passe, et son sort, vu du "bel aujourd'hui,"

pre'sentera ce que tenait l'avenir pour lui. L'oiseau,

symbolisant ces "voLs qui n'ont pas fui," (1. est prisonnier

dans la glace, eau d'un lac gele par l'hiver, et connait un

bref moment d'avenir avec "son col secouera cette blanche

agonie." (1. 9) Mais ce mouveraent, qui detruit la stase qui

etait complete, est vite rabattu par le present! "le

plumage est pris," (1. 11) "a ce lieu son pur eclat assigne,"

(1. 12) et "il s* immobilise," (1. 13) ou les images de futile

sterilite abondent

Gette sterilite' est la cause de son exil car comme le

poete Gautier dans "Toast funebre," qui est un "vaste gouffre

apporte dans l'amas de la brume/ Par 1*irascible vent des mots

qu'il n'a pas dits,'^ c'est-a-dire condamne pour son silence,

le cygne (symbole du poete pour Mallarme) est damne "Pour f / \ y ' /

n'avoir pas chante la region ou vivre/ Quand du sterile hiver

a resplendi 1*ennui." (11. 7-8) Tandis que mentalement ou de

la tete ("tout son col") et par ses paroles (" . . . agonie/

Par I'espace inflige a l'oiseau qui le nie." 11. 9-10) le cygne,

poete, peut secouer la blanche agonie, cependant "le plumage

est pris" (1. 11) et le poete est prisonnier en son art des

limites qu*impose son humanite',

Ainsi I'espace joue ici son role a deux niveauxs d'abord

c'est le Neant du paysage ou le cygne est prisonnier. Le lac

^Fischler, p, 308,

28r.lallarme, Oeuvres, p. ljh, 11, 26-27.

80

gele, la blancheur de la neige qui couvre tout rend le

paysage autant une image du Ne'ant lui-meme que la paysage

marin de "A la Nue . . . Le cygne est pris par ce Neant

exterieur, mais l'espace a aussi un second rolet c'est

l'espace, le vide, interieur que connait I'oiseau ("cette

"blanche agonie/ Par l'espace inflige a I'oiseau qui le nie"),

qui nest maintenant plus qu'un "fantome" dans un "exil inutil"

Un fantome est une image e'phemere, sans substance,

Au moyen de la liberation de la mort, le poete parvient

a etre reconnu, et la premiere ligne de "Le tombeau d'Edgar

Poe" le dit magnifiqueraenti "Tel qu'en Lui-meme enfin

l'eternite le change."2?' Le poete, en ce cas Edgar Poe, est

toujours lui-meme, mais il faut qu'il attende 1»influence du

temps (l'eternite) afin de le devenir pour "son siecle epou-

vante," (1. 3) qui I'avait maudit de sa vie# "Eux, comme un

vil sursaut d'hydre oyant jadis I'ange/ Donner un sens plus

pur aux mots de la tribu/ Proclamerent tres haut le sortilege

bu/ Dans le flot sans honneur de quelque noir melange." (11.

^-8) Mallarme emet le voeu que le monument eleve' a Poe (une

masse de granit a Baltimore), "calme bloc ici-bas chu d'un

desastre obscur," (1. 12) parviendra a se faire "borne/ Aux

noirs vols du Blaspheme epars dans le futur," (1, l*j.) Le

Neant est present ici en deux formess dans l'oeuvre du poete

car La mort triomphait dans cette voix etrange" (1, 4-) puis

29Ibid.,'p. 70, 1. l.

81

dans le monument qui oonsiste en une masse de rien, "calme

bloc" (1. 12) dont I'origine est un "desastre obscure." (1.

12) Le temps devient ici une chose concrete en ce bloc,

representant ce temps, vide pour le poete, qui s'ecoule

avant qu'il ne soit reconnu, Le Ne'ant n'est done pas sans

fin pour le poete, pour qui le futur tient de I'honneur.

Le Neant se fait protecteur du poete en cette Masse.

Le monument funebre est de nouveau present en introduction

a "Tombeau," compose en I'honneur de Paul Verlaine, ou ? *3 f)

Mallarme commence par "Le noir roc courrouce . . . ."

Mallarme" affirme que tant de gens, qui du vivant de Verlaine

ne voulaient pas le comprendre, sont maintenant en "immate'riel

deuil" (1. 6) a cause de sa mort et que ce deuil "opprime

l'astre muri des lendemains," (1. 7) ou le genie reconnu de

Verlaine. La mort, le Neant, n'est qu,Mun peu profond ruisseau

calomnie" (1. 1^) qui permet a la voix du poete de continuer \ - \

a se faire entendre ("la levre sans y boire ou tarir son

haleine" 1. 13) car son astre, maintenant muri, appartient a

et signale toujours I'avenir, les lendemains.

Done, le temps se joint au Neant dans ces poemes en ce

que le poete trouve un refuge dans le Neant et peut la attendre

que le passage du temps le justifie, L'aneantissement que

ressentait le jeune Mallarme quand ses essais d'atteindre 3°Ibid., p, 71, 1. l.

82

l'azur retombaient trop courts n'est plus effrayant pour le

poete, qui peut y trouver un repos, mais le demeure pour

"la tribu," ou le "siecle epouvante" qui ne peut, ne veut,

comprendre le reve du poete.

Le Neant, effrayant pour la foule, est pourtant un bien-

faiteur pour le poete, car bienque le Neant engloutit

finalement tous, il laisse au moins dans le cas du poete,

quelque chose pour le representer. Le Neant s'interprete

largement a travers I'espace qui ne contient rien, un vide

qui reflete celui qui est interieur au poete et exterieur a

ce monde (cosmique), Le vide interieur du poete s'allie

(a travers la fenetre, le miroir) au vide cosmique ("Ses purs

Ongles . . . ") et le poete y trouve une consolation.

Mallarme va approfondir cette liaison dans les poemes

qui suivent et nous verrons les images et symboles se

transformer en tant de couches de signification a ne devenir

qu'impress ion (effet). Ainsi Mallarme se sert toujours du

vocabulaire que nous avons deja souvent rencontre, mais avec

la difference, qualite ephemere, d'approfondissement •

CHAPITRE V

POEMKS A PARTIR DE 1879

DEUXIEME PARTIE

Toute Pensee emet un Coup de Des1

Mallarme arrive au point ou son oeuvre, de plus en plus

"travaille e t condense, par troncation d' introductions et

conclusions, comme par 1*extraction de mots qu'il juge

inutiles, tels qu'articles, conjonctions et pronoms relatifs,

passe rapidement pour le lecteur aux sens plus profonds des

poemes. Parfois merae, la lecture revele d'abord le sens

metaphorique que 1'auteur desirait convoquer et une e'tude

assez mmutieuse devient necessaire afin de voir le point de

depart d'un poeme. II en est ainsi de "Cantique de Saint

Jean," qui sera discute plus loin. La qualite ephemere

qu*obtxent ainsi Mallarme ne manque pas de rendre son oeuvre

obscure, car on est trop habitue a comprendre facilement la

fa?ade d'un poeme avant d\y entrer examiner tout ce qu'elle

cache.

Les cinq poemes qui vont etre traites dans ce chapitre

tendent vers cette maitrise de son art par Mallarme, et les

-'•Mallarme, Oeuvres, p, ij-77, 2 St. Aubyn, p. 3.

83

PA

deux dernieres en sont les meilleurs exemples dans son oeuvre.

Dans ces poemes, nous verrons deux mouvementsi une montee,

et une descente• Avec "Sainte," il n'y a que la montee, mais

"Petit Air I" et "Petit Air II" avec "Cantique de Saint Jean"

y joignent une descente qui la suit. "Coup de Des" commence

avec la descente, et finit en remontant (hors de l'abime)

car Maliarme avait trouve et formule sa conclusion, une

solution.

Precedant en date de composition les autres poemes de

ce chapitre de quelques annees, "Sainte" demontre bien le

debut de cette qualite ephemere d'approfondissement de signi-

fication par addition de sens possibles, au moyen de juxtaposition

et de condensation surtout. La scene se concentre sur la

fenetre maintenant familiere. Cette fois elle recele des objets

antiques qui marquent le point de depart du poemej

A la fenetre recelant Le santal vieux qui se dedore De sa viole etincelant Jadis avec flute ou mandore,

Est la Sainte pale, etalant Le livre vieux qui se deplie Du Magnificat ruisselant

Jadis selon vepre ou compilei . » . .3

II est a remarquer d'abord le sentiment du passe qui

emane des mots tels que vieux (employe deux fois), se dedore. .iadis (deux fois), et pale. De'crivant le vitrail ou,

%allarme, Oeuvres, p. 53» 11. 1-8.

8S

pour le moment, une Sainte ouvre un vieux livre avec sa viole

(faite de santal) pres d'elle, ces deux quatrains etablissent

ces choses, et la Sainte, comme des reliques du passe,

maintenant vieilles et ayant perdu leur eclat. Cette scene

terrestre fait place a une autre qui appartient plus a I'azur,

au cieli

A ce vitrage d'ostensoir Que frole une harpe par l'Ange Formee avec son vol du soir Pour la delicate phalange

Du doigt que, sans le vieux santal Ni le vieux livre, elle balance Sur le plumage instrumental Musicienne du silence. (11. 9-16)

Un ange vole au-dessus de la Sainte et ses ailes (son vol)

rappellent par leur forme une harpe. Un doigt de la Sainte

touche a 1'aile, comme pour jouer un air sur "le plumage

instrumental." Ce doigt, dissocie du vieux santal et du

vieux livre, est ainsi hors du temps qui les a vieillis. Le

vol et la musique ont ete assez souvent vus comme symboles de

11oeuvre du poete et Mallarme nous dit encore ici que toute

autre chose peut bien vieillir et etre aneantie ("jadis"),

mais que 1 oeuvre au poete, oeuvre qui surpasse ces choses

terrestres, appartient toujours a I'avenir. Et la Sainte,

faisant partie de la terre (la viole lui appartient, et elle

ouvre le livre), touche du doigt 1'instrument celeste et

devient "musicienno du silence," en image du poete qui peut \ # A

a peine froler I'azur, etendant la main hors du Ne'ant de la

vieillesse, de limitations humaines, ou il se trouve. Ce

86

poerne laisse encore esperer une reussite dans la poursuite de t '

1'ideal, car le doigt touche, mais annonce ce que Mallarme

craint suivra en effet, en ce que la musique n'est que silence,

Mais le silence n'est pas toujours complit dans "Petit

Air II" un seiil cri, un sanglot a jailli. "Indoraptablement a

du/ Gomme mon espoir s'y lance/ Eclater la-haut perdu/ Avec

furie et silence, . . . , fait monter le regard et la

pensee du lecteur haut dans l'azur ou un desastre a eu lieu> / f

quelque chose a eclate, "avec furie et silence." La furie, «

ou 1*inspiration, est presente, mais seul le silence regne,

comme pour la Sainte, C'est au second quatrain que cette

"voix etrangere au bosquet," (1. 5) c*est-a-dire, qui ne reste

pas avec les autres, n*eclate qu'une seule et unique fois, et

que nous apprenons qu'elle appartient a un "oiseau qu'on

n'oult jamais/ Une autre fois en la vie," (11. ?-8) Le cygne,

symbole de sterilite et du poete lui-meme pour Mallarme, est

cet oiseau qui ne chante qu'une seul fois, au moment qui

precede sa mort. L'espoir de Mallarme est devenu cet oiseau

qui doit rester silencieux toute sa vie, mais qui enfin,

a 1'instant de 1'aneantissement, trouve enfin une belle voix

Pour faire eclaber la-haut son chant unique et indomptable•

Avant de terminer par une de ses questions d'exclamation,

Mallarme intercale une parenthesei "Cela dans le doute

^Ibid., p. 66, 11. l~4)

8?

expire/ Si de mon sein pas du sien/ A jailli le sanglot pire."

(11# 10-12) II compare ainsi son agonie, que represente son

chant devant le Neant, a celle du cygne, et il reste en

doute sur lequel a emis le pire sanglot. Incapable d'atteindre

l'azur, Mallarme doit faire face au Neant qui est son seul

autre choix, et c'est d'ici que son inspiration vient enfin.

Et le sort du cygne (poete) amene la question-affirmatiom

"Le hagard musicien,/ . , * / Dechire va-t-il entier/ Rester

sur quelque sentierl" (11. 9» 13-1^) Ges vers rappellent

ceux de "Le vierge . . . " ou la question etaiti " . . . le

bel aujourd'hui va-t-il nous dechirer d'un coup d'aile ivre

. . . I " La prornesse du bel aujourd'hui, le chant enfin

eclate, va-t-il pouvoir rester la? Apres une montee dans

les nues, vers l'azur, la retombee au Neant inquiete

seneusement Mallarme, qui se demande si le chant pourra

s*entendre a travers l'infini.

Le mouvement du sanglot solitaire et perdu la-haut,

qui tombe (peut-etre) de'chire sur quelque sentier, trouve un

parallele en "Petit Air I." Gette fois la montee est

rapidernent terminee. Au bord de l'eau (sans cygne et sans

quai, abandonne), le poete abdique son regard "de la

gloi iole/ Haute a 2XG pas la. toucher . . • • H prefere

plutot regarder dans l'eau, ou il voit d'abord un oiseau. Ou

-5Ibid., p. 65, 11. 5-6.

88

est-ce une chemise de femme, otee? On ne sait, mais

I'auteur voit, ou imagine, ensuite la femme, ou peut-etre sa

propre pensee, plonger dans l'eau, devenir une partie de

cette eaui " . . .si plonge/ Exultatrice a cote/ Dans l'onde

toi devenue/ Ta jubilation nue." (11. 11-1*0 Plonger dans

l'eau ainsi,. comme il a ete' vu dans "A la nue . . .

represente un aneantissement, une assimilation avec l'eau.

Le dernier mot, nue, a beaucoup d'importance ici, pour le

Neant, car Mallarme comprend par la nudite une re'velation

complete. J. P. Richard l'exprime ainsij "Comprendre une

idee, un paysage, un livre, une femme, ou, comme il [Mallarme"]

le disait, les voir dans leur nudite', c'etait acceder, en un

instant fulgurant, a la vision entiere de leur architecture."

Et Mallarme lui-meme a aussi ecriti "J'ai ete assez heureux

la nuit derniere pour revoir mon Poeme dans sa nudite, et je

veux tenter 1'oeuvre ce soir."'7 Done, la nudite' signifie f f \

pour Mallarme la comprehension complete, et comme nous voyons

ici dans "Petit Air I" cette nudite reve'latrice s'integre

au Neant.

Comprendre, voila un mot-cle, car Mallarme cherche la

verite» la Pierre Philosophale, et dans "Cantique de Sain Jean"

Jean-Pierre Richard, L'Univers Imaginaire de MalJarme (Paris, 1961), pp. 15-16. ~

?Mallarme, Con-. I, p. 195,

89

le prophete decolle parvient a la comprehension completei

Jensens comme auxvvertebres S'eployer des tenebres Toutes dans un frisson

A I'unisson

Et ma tete surgie Solitaire vigie Dans les vols triomphaux

De cette faux

Comme rupture franche Plutot refoule ou tranche Les Anciens disaccords

Avec le corps"

Au moment de la separation entre tete et corps, Jean sent les

tenebres s'eployer. Ces tenebres s'1 interpretent comme le

Neant qui envahit son corps. Une fois le Neant possesseur de

lui, il sent une nuit, une absence de desaccord entre corps

et tete, cette tete, qui, ayant ete regard , doit maintenant

suivre le corps dans sons trajet descendant vers le Neant.

waintenant, enf in d 'un rnerne aoco rd la tete, pourtant

S'opiniatre a suivre

Son pur regard

La-haut ou la froidure Eternelle n*endure Que vous le surpassiez

Tous o glaciers (11. 18-23)

Ici, Mallarme parait parler, en termes familiers, de I'azur,

car c'est la-haut que sa tete desire aller, a 1'imitation du

"pur regard," qui peut y aller.

^Mallarme, Oeuvreo, p» '+9, n , 5 -16)

90

Comme les deux poernes qui precedent, "Cantique" presente

un bref mouvement vers .le haut, au debutt "Le soleil que

sa halte/ Surnaturelle exalte/ Aussitot redescend/ Incandescent,"

(11. 1-^) puis une descente, Mais ici, la pensee surgit de

nouveau vers les hauteurs ("Son pur regard/ La-haut . . . ")

avec desir, mais sans les moyens d'y parvenir, saufj

. . , selon un bapteme Illuminee au meme Princijje qui m'elut

Penche un salut (11. 25-28)

Dans ces dernieres lignes, Ivlallarme nous prepare pour sa

conclusion de "Un Coup de Des" et explique comment II compte

attelndre cet asur inaccessiblej c'est a travers le Meant,

au moyon de 1*Image du bapteme. Car selon I'apotre Pauli

"Nous avons done ete ensevelis avec lui par le bapteme en sa

mort t afin que, . . • , nous aussi nous march ions en nouveaute 9 / '

de vie," et encoret " . . . ayant ete ensevelis avec lui

par le bapteme, vous etes aussi ressucites en lui, et avec

lui, . . « Et aussi, le mot grec <rn.io slgnifiant

une purification du corps par immersion complete11 est a la

oase du mot francais "bapteme." C'est done un ensevelissement,

un engloutissement complet dans le Neant, qui doit avoir lieu avant la montee a I'azur.

^Remains 6ik.

10Colossiens 2il2

_ _^lw* I3auer» i greek-English Lexicon '(Chicago, 1968), P • 131 •

01

Ainsi, a travers ie Meant, Mallarme' voit maintenant le

moyen d.e parvenir enfin a atteindre 1* Ideal, 1'azur. Gette

idee va s'approfondir, s "elargir, et se preciser dans 1'esprit

de Mallarme et surgir a la fin dans 1' oeuvre "Un Coup de De's." \ /

Ce poeme est divise en trois parties, chacune ayant un

, sujet precis. Des portions du titre entier, "Un Coup de Des

Jamais N'Abolira le Hasard," marquent les frontieres d'entree

de chaque partie du poeme, et ces parties sont les suivantesi

le naufrage {suivant "Un Coup de De's Jamais")* Hamlet

(suivant "N'Abolira") et L'Abime et la Constellation ("le

Hasard"), Le recit extremement simplifie est qu'un naufrage, / TO

qui tient en son poing crispe "L*unique Nombre" (les des),

ne peut se decider ou a les garder dans la main ou a les

jeter.

La forme du poeme est libre, sans ponctuation, et se

conforme a 1'image que Mallarme veut convoquer. Chaque mot

est place a un endroit precis sur les deux pages qui se font

face, et meme le blanc laisse sur le papier est laisse

expressement a sa place pour l'effet.1^ p a r exemple, quand

Mallarme veut deerire le naufrage du navire, il place les mots

de la description descendant la page du haut a gauche jusqu' en

bas a droite. St encore, il se sert de lettres de cinq

^Mallarme, Oeuvres, p. ^62.

13i'b.id., p. ^55,

92

caracteres differents, donnant ainsi plus d"importance pour

1'oei.l aux mots principaux. Minutieusement travaille, ce

poeme peut etre lu a plusieurs niveaux differents, en

choisissant dbmettre, en lisant, par exemple, les lettres

miniscules. Mallarme a arrange le poeme de fagon a ce que

cela soit possible, et une partie integrale du sens du

poeme s'y trouve.

La premiere section, traitant du naufrage, (pp. 459-

464) etablit que le naufrage va bientot cesser de vivre car

il n'est plus qu'un "cadavre par le bras ecarte du secret

qu'il detient." (pp. 462-3) Meme avec 1'engloutissement

imrnediat, il hesite encore et toujours "ancestralement a

n'ouvrir pas la main/ crispee/ par-dela 1'inutile tete."

(p. k6h-) Et pendant qu'il hesite, son etre se transforme en

son etat le plus pur, abstrait par 1'aneantisation de son

etre physique et conditionnes "le vieillard vers cette

conjonction supreme avec la probabilite/ celui/ son ombre

puerile/-caressee 'et polie et rendue et lave'e/ assouplie par

la vague et soustraite, aux durs os perdus . „ . (p. 464)

La figure de Hamlet est ensuite introduite afin de lever

la question de ce qui determine le destin de I'homme, s'il

n'est deja etabli, predestine, et que I'homme n'a aucun choix.

On se rappellera que Hamlet fascinait Mallarme et lui avait

servi auparavent pour marquer que I'homme n'est pas ma.itre de

son sort, et quoiqu'il fasse, 1'aneantissement I'attend,

inlassable ("Pitre Ghatie").

93

Hamlet, "prince de 1'ecueil," se coiffe d'une "plume

solitaire perdue." (pp. ^68-9) Cette plume symbolise son

hesitation, car elle frissonne au moindre souffle de vent.

Hamlet vacille toujours entre ses deux choix (jeter les des

ou pas) et Mallarme nous soumet une nouvelle proposition} si

l'homme n'est pas du tout maitre de son sort, n'y peut rien,

il n'a pas de choix a faire, et toute hesitation est "deri-

soire." Mais notre prince, devenu idee (son etat pur) attend

maintenant que "le temps/ soufflete / un roc/ faux/ tout de

suite/ evapore en brumes/ qui imposa/ une "borne a l'infini."

(pp. ^70-1) Avec ce dernier obstacle ote, il peut desormais

exister en idee pure,

Le coup de de's cependant n'a pas ete' jete, et la derniere

section le rappelle; "Si/ c'etait/ le nombre/ ce serait/

le Hasard." (pp. ^-72-3) Mallarme affirme maintenant que le

destin n*entre en rien dans le sort de l'homme, dont "sursauta

son delire jusqu'a une cxme/ fletrie/ par la neutralite

identique du gouffre." Azur et Neant ne se distinguent plus

("neutralite identique").

Comme dans "A la nue . . . ," une fois que la trier a englouti

le naufrage, que la surface est de nouveau lisse et sans trace,

on peut se dernanctor si vraiment quelque chose s 'est passe laj

"Rfen/ n'aura eu lieu/ que le lieu," (pp. W - 5 ) qui est un

imerieur clapotis queIconque comme pour dispenser 1'acte

vide. Les des sorrb restes crispes dans le poing du naufrage,

et il suffit d'un rien pour nullifier cet acte vide.

9 k.

EXGEPTE/ PEUT-ETRE/ UNE CONSTELLATION." (pp. ^76-^77)

Nous retrouvons ici le septuor (de "Ses purs ongles . . . ")

qui brille "aussi loin qu'un endroit fusionne avec au-dela."

(pp. 476-^77) Meme si Hamlet n'a pas su jeter son coup de

des, I'etoile "brille "veillant/ doutant/ roulant/ brillant

et meditant/ avant de s'arreter/ a quelque point dernier qui

le sacre," car elle est sujette au hasard qui ne fait qu'attendre

que I'on vienne s'arreter au point qui sacre, parceque "Toute

Pensee emet un Coup de Des." (p. ^77) Encore ici dans "Coup

de De's," comme ailleurs si souvent, Mallarme' se de'peint lui-

merne, le poete, en ce naufrage, cet Ha.mlet indecisif. Ainsi,

il tient dans sa main les de's, et s'il les jette, ils

s'arreteront peut-etre a "l'unique Nombre," le Grand Oeuvre.

Puisque sa conclusion est que "toute pense'e emet un coup de

des," notre poete, raisonneur au point de se perdre en son

Neant interieur en s'examinant, a certainement emis ce coup

de de's. Mallarme ne peut alors faire autre chose qu'attendre,

car pour le poete c'est le temps qui revele si son coup de

des, lance de la "beante profondeur" (p. k6l) de l'abime, sera

la constellation ou settlement un chiffre quelconque. Mallarme

est convaincu que "le Nombre" sortira du Ne'ant, mais modeste

et honnete avec lui-meme, il ne peut affirmer mais seulement

esperer que son jet, comme ceux de Baudelaire, Verlaine,

Gautier, et d'autres, sera le septentrion qui veille, doute,

roule, brille et medite (acte de creation du poete) et enfin

s'arrete "a quelque point dernier qui le sacre." (p. ^77).

95

CHAPITRE VI

CONCLUSION

Le chemin que Mallarme dut parcourir en lui-meme afiri

d'arriver enfin a la conclusion de "Un Coup de Des" fut long

et difficile. Mais Mallarme, plus encore que ceux qui lisent

' X.' ' ' • j

son oeuvre, a ete recompense pour sa peine et son agorne.

Son penchant pour 1'ideal, qui l'a rendu poete, peut

etre vu deja dans sa jeunesse, et des l'age de vingt ans,

quand il commen^a a composer ses poesies, I'azur, representant

cet ideal, le poursuit au point de le hanter a tous moments.

Et vu que son propre but, satisfaire son desir de 1*ideal, ne

semble pas pcuvoir etre assouvie, que 1* ideal, parait etre

irreraediablement hors de sa porte'e, il retombe dans un Neant

noir, infini, et vide. Comrne les poetes de "Le Guignon,"

et celui de "Le Sonneur," la seule solution a cette desesperante

hantise est 1'eloignement jusqu'a I'autre bout de 1'infini,

dans le Neant. Cet aneantissement personnel et total, inter-

prete a travers la jeune Herodiade, est une interiorasation de

la pensee, afin de l'empecher d'accornplir son voeu de s'envoler

rejoindre 1'az-ur.

Le poete alors ne regarde qu'en lui-meme, e'vite de laisser

le iegard se lever ob voir I'azur, et plonge son regard au

contra ire dans le rairoir (ou le lac, I' eau, la glace . . )

96

qui symbolise cette interiorisation. Mais merae dans le miroir,

il decouvre le reflet de l'azur, qui le suit merae la.

Mallarme peut airtsi, nous dit-il, concevoir cet Ideal. Sa

pensee est capable de s'elever jusqu'a l'azur, mais ses limi-

tations physiques,de tous genres, empechent qu'il traduise ce

merae ideal dans son oeuvre. Puisque 1'ideal ne l'abandonne

pas, qu'il se voit oblige d'essayer de le realiser, Mallarme

# r \ f r s f

se voit condamne a une desesperante sterilite, Mais c'est

enfin de cette sterilite que sort son oeuvre, car elle

devient son sujet ("Renouveau" etc. . . . ) et il arrive a se

demander pourquoi lutter, et pourquoi continuer a pour-

suivre l'azur, puisque le Meant attend toujours, sans faute,

chaque homme. Dans quel but alors un homme peut-il se

justifier a lui-meme tout le travail, toute la peine qui sont

mis dans une oeuvre, quand il est si difficile d'atteindre

1'ideal et que si peu comprennent ce qu'essaie de faire le

poete? II lui faut un de'sir intense de l'atteindre malgre'

tout t He was heroic In his exalted concept of the role of

the poet and of poetry, and more than heroic in his personal endeavor to live up to his own almost impossibly high standards. . , » His star v/as beauty, its perfect personification poetry, and his faith in the two never wavered. His adoration v/as unlimited and his loyalty undivided. He wont to great lengths to realize his vis ion and suf _t ered in the attempt. His only reward v/as immortality»2

. W e i n o e r & , heine, Baudelaire, Mallarme t Atavism and urbanity, The Western Review, XXI (Winter, 1957)j p. 1 .

2St, Aubyn, pp. 15^-155,

97

En parlant de ses colleges Baudelaire, Gautier, Verlaine, Poe,

Villiers de 1'Isle-Adam, Puvis de Chavannes, Wagner et

Whistler, Mallarme voyai't qu'ils avaient tous connu des

difficultes de leur vivant, mais que dans la mort (le Neant)

ils ont ete reconnus et acclame's.

Et dans le cas de Mallarme', le temps a certainement

fait son travail, qui ne lui fut d'ailleurs pas tres difficile,

car deja de son vivant Mallarme etait reconnu, et le temps

n*a qu'augmente et approfondi sa renommee. On a meme dit de

Mallarme que toute personne qui a ecoute Mallarme, date de

lui.3 Notre poete a en effet pris sa place comme un des

sommets de la litterature fran^aise, et sa poursuite de I'azur,

le plongeant dans le Neant, a produit I'oeuvre et l'esthetique

auxquelles tant sont endettes dans le vingtieme siecle.

Le Neant maliarmeen s'est done enfin joint avec I'azur,

et le poete peut enfin aussi embrasser a plein bras 1'Ideal.

Mallarme a atteint son ide'al, et la tache de la poursuite,

avec le Ne'ant qui attend, nous appartient maintenant, et le

chemin a parcourir est rendu, peut-etre plus facile grace a un / s

precurseur tel que Mallarme. Mais puisque nous sommes tout

de meme encore humainss Pace a une oeuvre comme celle de Mallarme,

1 * intelligence hesite. Plusieurs^chemins la^sollicitenti fascine' par I'audace du pro jet poetique et metaphysique

3 -'Charles Morice dans Portraits du Siecle Pro chain, cite

dans flondor, Vie de r.lallar;ne~| p, ~oli6T ~

90

gui s'y poursuit, elle peut aussi "bien s'attacher a la lettre, eblouissante et fuyante, du poeme. Voici le lecteur partage entre deux voies possibles, celle de la speculation, et celle de l'expression qui supporte -mais comment?- un vertigineux edifice de pensees. Tantot il s'abandonne alors a 1'emprise physique du langage, sans re'ussir a en fixer en lui I'effet mental; tantot il croit pouvoir reduire le charme du poeme a la litteralite d'une traduction,* tantot il s'eleve dans les "altitudes lucides" que Mallarme nomme idee, beaute, notion. A la fois toute charnelle et supremement abstraite, cette oeuvre affole done 1*esprit,^

Elle l'affole parcequ'elle demande a 1*esprit d'accomplir le

travail serieux et absorbant de chercher la verite.

^Richard, p. 13*

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