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La fin du XVIIIe siècle à travers les Terriers illustrés. SITUATION DES PAYS HAUTS-PYRÉNÉENS A...

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La fin du XVIIIe siècle à travers les Terriers illustrés de Sadournin et d’Esparros II La vie Quotidienne
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La fin du XVIIIe siècle à travers les

Terriers illustrésde Sadournin et d’Esparros

II La vie Quotidienne

II La Vie Quotidienne

SOMMAIRE

1 AVERTISSEMENT p 2

2. SITUATION DES PAYS HAUTS-PYRÉNÉENSA LA FIN Du XVIII ème SIECLE p 3

3. LA VIE QUOTIDIENNE p 9

4. COMMENTAIRES DES DIAPOSITIVES p 11

5. ANNEXES : documents d’Archives p 21

AVERTISSEMENT

Ces diapositives sont les reproductions fidèles des très belles illustrations de

deux livres terriers (anciens cadastres) conservés aux Archives départementales

des Hautes-Pyrénées, celui de SADOURNIN (1772) et celui d’ESPARROS

(1773). L’auteur de ces dessins pourrait bien être le sieur Arnaud Marin

d’Espouey, abonnateur (rédacteur) des deux cadastres.

Parlant du livre terrier de SADOURNIN, un auteur (*) de la fin du XJXème

siècle pouvait écrire : «comme exécution c’est absolument naïf et d’un dessin

fort incorrect, presque enfantin. Cependant il y a dans cette incorrection même

de la vie et du mouvement, les attitudes sont vives et pleines de vérité ; les

physionomies sont naturelles malgré le trait défectueux : le bourgeois

orgueilleux porte bien la marque de sa vanité, le paysan est humble et simple,

comme il convient, les dévotes ont l’air extatiques, la veuve paraît chagrine, la

matrone est sévère et rogue, le travailleur appliqué, l’ouvrier y est avec ses

outils et sa besogne.

Si les illustrations ne sont pas très rares dans ce genre de documents, la qualitédes dessins (tous en couleur ), leur nombre (près de cent cinquante) et leurdiversité en font un ensemble unique pour le XVIIIème siècle.

(*) BRUN (Ch.) , MAUMUS (J.). - Histoire du canton de Trie et particulièrementde la ville de Trie. - Limoges : Paris : Guillemot et de Lamotte, 1927.

2. SITUATION DES PAYS HAUTS-PYRÉNÉENSA LA FIN DU XVIII ème SIÈCLE

Sous l’ancien régime, les régions qui formeront plus tard lesHautes-Pyrénées constituent une mosaïque complexe de paysdifférents. Trois des principales pièces de ce puzzle sont des paysd’États provinciaux (Bigorre, Nebouzan, Quatre vallées), lesquelsavait pour tache essentielle de répartir les impôts entre les diversescommunautés. La Bigorre à l’Ouest avait pour capitale Tarbes oùse réunissaient les États de Bigorre. C’est à Saint-Gaudens que seconcertaient les députés des trois ordres du Nébouzan dont deuxdes enclaves étaient situées à l’intérieur des limitesdépartementales actuelles. Les députés des Quatre-vallées (Aure,Barousse, Magnoac, Neste) siégeaient à Garaison.

Les autres tronçons sont des pays d’élection (*) placés sousl’autorité directe de l’intendant de la généralité d’Auch, sorte depréfet régional, chargé de la police, de la justice, de la voirie, desmilices… et surtout des finances.

La rivière basse, a, Nord, faisait partie du pays d’Armagnac.L’élection de Rivière-Verdun comportait plusieurs morceauxdispersés à l’est de nos régions (Louron, partie de la vallée de laNeste, coteaux de Galan et de Trie) de même que le Commingesdont les territoires sont plus groupés autour de la basse Neste).La baronie d’Esparros et de la région de Sadournin ressortissaientà l’élection d’Astarac mais étaient situées dans des régions

(*) Ce nom vient de la nomination dans ces pays de responsables de la levéedes impôts, les élus.

géographiquement très différentes. (Voir extraits de la carte deCassini publiée en 1769, pages 6 et 7).

La baronnie d’Esparros appartient à la bordure pyrénéenne commele montre LABOULINIERE (*)

«la transition de la région montagneuse à celle de la plaine, n’apas lieu d’une manière brusque, et il existe des gradations dansl’abaissement successif du sol... Les points où les valléesdébouchent, présentent encore des montagnes qui s’étendent plusou moins loin, comme autant de racines ou de prolongements desversans latéraux qui continuent à limiter le cours des torrens oudes rivières».

Mais la vallée de l’Arros est très encaissée et par conséquent lespentes sont fortes ce qui donne à la région un aspect de montagnemalgré l’altitude faible du fond de la vallée (autour de 450 m. «Cesont ces vallons (**) que l’agriculture a le plus enrichis» ditLABOULINIERE qui ajoute que les hommes y ont de préférenceplacé habitations et vergers. La présence de ces derniers met envaleur l’importance des microclimats d’abri régnant sur devéritables soulanes (***) de basse altitude dont témoigne le sitedu village de Laborde, par exemple. Les pentes sont moinsfavorables : «les cotes, moins fertiles, moins agréables à habiter,sont moins soignées par la main de l’homme, excepté celles qui,par leur exposition et leur peu d’élévation, sont propres à la culturede la vigne. Les plus hautes, celles qui sont par trop arides, restentincultes, ou sont couvertes d’arbres forestiers». La carte montreparfaitement la présence au sud de forêts et de pâturages d’altitudeutilisés par les quatre communautés de la baronnie.

(*) LABOULINIÈRE (P.) . Annuaire statistique du département des Hautes-Pyrénées.Tarbes Lavigne, 1807.

(**) Beaucoup de dépressions sont typiques des reliefs calcaires sotchs, dolines... On ytrouve aussi gouffres et grottes célèbres.

(***) Équivalent des adrets des Alpes : versant exposé au sud et bien ensoleillémême en hiver (contraire : ombrée, ubac dans les Alpes).

Tout autre apparaît le pays des coteaux et des valléesdissymétriques ou se trouve la paroisse de Sadournin. L’abbé Duco(*) qui y vécut décrit ainsi cette contrée «Ce quartier est montueuxet argilleux, composé d’une soixantaine de parroisses, dont il n’yen a que sept ou huit qui avoisinent la rivière de l’Arros qui soientfertiles en grain et en vin ; les cinquante restantes placées dansdes pays remplis de ravins, de creux et de fossés sont en partieruinées et hors d’état de recevoir aucune culture. » Ouragans,inondations, glissements de terrains sont les principaux fléaux del’agriculture et rendent aléatoires les tentatives d’amélioration quiconsistent à « refaire le sol, combler les ravins et remplacer lesterres » emportées par les flots tumultueux (de même que les pontset maisons) « au temps des ouragans de l’été ». Les rebords lesplus abrupts des vallées sont couverts de forêts particulièrementle flanc du coteau dominant la Baïse Derrière » et la plaine deTrie. On remarquera cependant, la grande étendue de la forêt deCampuzan à l’est. La dispersion de l’habitat est une autrecaractéristique de Sadournin.

(*) DUFFO (abbé). – Histoire de Bigorre par l’abbé DUCO. In : Le Semeur 14-1-1924 au 28-5-1925. – publié avec annotations de l’auteur.

Les paysHauts-Pyrénéensà la findu XVIIIe siècle

LA VIE QUOTIDIENNE

La vie quotidienne se vit en deux types d’espaces et en deuxregistres de présence. Le mode mineur de la vie est celui des joursouvrables. Le quotidien se déroule alors derrière le portail, plusou moins fastueux et qui délimite l’espace d’intimité et desubsistance. Les gens et les bêtes traversent la cour (la court) quiest aussi aire à battre les céréales avant qu’elles ne soientengrangées. De cet espace utile, on part vers d’autres espacesserviles : champs, prés et foret; ou vers les espaces cérémoniels :l’église à la voûte souvent peinte d’étoiles pour rapprocher le Cielou pour élever la terre, la place devant cette église où l’on traitede la chose publique, les chemins des processions, des cortèges debaptême, de noce ou du dernier accompagnement. L’espace de lavie quotidienne peut alors changer d’âme : il devient glorieux,joyeux ou triste, celui de la fête. Boudon de Saint-Amans a décritla fille du botaniste Jacou sous son grand capulet du dimanche,portant la cire évocatrice des morts de la maison. Il est des joursoù la vie quotidienne s’arrête et s’en va vers une autre dimension,faisant de l’espace vécu l’image d’un autre, sans que pour cela lamystique ne cesse de s’entremêler aux rites de fêtes plus prosaïques.Dans la montagne, les gens ont moins de vin qu’en plaine, mais, adit tel curé en 1783, les jours de fêtes, «ils se rattrapent. Ils dansentaussi. On pense alors aux pastorales de Cyprien d’Espourrin, dontles frères prêtres jouant, leur fenêtre ouverte, faisaient danser lesparoissiens, mais Ramond a regretté d’avoir entendu si peu dechants populaires.

Saint-Amans a évoqué, pendant plusieurs mois de l’année, la viedes bergers dans leurs cabanes qui lui suggéraient l’habitat despremiers ages. Le dix-huitième aimait bâtir. Le château de M. deCardailhac ressemblait-il à celui de Lascazères où le marquis deFranclieu était dans son salon aux vastes baies « comme dans unelanterne » ? On peut retrouver la vie de chaque jour des laboureurs

par la lecture des inventaires après décès. « La salle du chauffoir »est à la fois cuisine et table d’hôte. Il y a là les vaisselles d’usageet celles de circonstance. C’est là que le maître garde sesinstruments personnels : son plat à barbe et sa faux. Le ménagedes anciens s’est retiré là, cherchant plus de chaleur et laissantl’autre chambre, plus secrète, au ménage héritier. Le valet couchedans la « hournère », le fournil, qui est un fourre-tout, intermédiaireentre l’habitat et le dépotoir aux ustensiles qui peuvent aussi plusou moins traîner dans les granges.

Le jour se termine par la veillée où « la salle du chauffoir » estatelier et théâtre à la fois, moment de fête qui couronne de poésie,avant le grand mystère des nuits non éclairées, les jours de labeur.On travaille à filer, à effeuiller le mais (despeloucado), mais onécoute les récits et les contes, on chante. Les pauvres viennentfournir leurs bras et leurs voix : on mange les châtaignes. On peutaussi combattre aux cartes, et là aussi, comme dans la vie réelle,le bâton sur les figurines est une arme qui passe après l’épée.

4. COMMENTAIRES DES DIAPOSITIVES

DIAPOSITIVE 1

Amusante représentation d’une scène de chasse à Sadournin montrant un bourgeoisaisé, Bernard Sentex, riche de 34 hectares, en tricorne, pourpoint rouge et guêtres,dirigeant avec son fusil à silex un chapelet de plombs sur un renard aussi volumineuxque le chien courant qui le poursuit.

C’est justement l’époque où la noblesse, soucieuse de renforcer âprement sesprérogatives, se bat pour conserver seule le droit de chasse, à l’encontre despopulations roturières, très attachées à ce droit dont elles avaient bénéficié jusqu’audébut du XVIIIème siècle grâce aux franchises, aux chartes communales, aux forsdes provinces. (*)

DIAPOSITIVE 2

Bernard Saint-Martin Barraquerou en tricorne et costume brun, dirige son âne versune ferme couverte de tuiles rondes, toit à deux versants, murs pignon.

L ‘âne est selon Laboulinière (**) la « monture du pauvre », ce qui est presque le casde Bernard Saint-Marin qui ne possède que six hectares à Sadournin. «il existebeaucoup d’ânes. L’espèce en est petite et faible» ajoute Laboulinière qui précise enoutre «qu’il y a beaucoup de mules et de mulets dans le département. Ils sont l’objetd’un grand commerce. »

(*) ROBERT (Jean).- Le Droit de chasse dans le Pyrénées sous l’Ancien Régime. In Pêche etchasse dans les Pyrénées françaises : catalogue d’exposition du Musée Pyrénéen, 1972, p. 17 ~ 26.

(**) LABOULINIÈRE (P.) - Manuel statistique du département des Hautes-Pyrénées Lavigne,1807.- p. 344.

Quant à la maison elle semble répondre à la description suivante (*) : « Dans lapartie orientale, la plus pauvre de l’arrondissement, les habitations rurales sontcommunément construites avec des parois, espèce de muraille qu’on fait avec de laterre glaise battue à la massue et fortement pressée entre deux claies ; la charpenteest de bois de chêne, le plancher en est aussi, Si toutefois il y en a un, ce qui est fortrare. On habite les rez-de-chaussée sur le sol même de l’emplacement ces habitationssont presque toutes couvertes de chaume, quelques-unes cependant le sont de tuiles. »

Dans la vallée de l’Adour elles sont différentes (*)« Les habitations rurales dans la plaine sont construites de murailles faites à chauxet à sable et de cailloux roulés par les rivières du pays ; la charpente est toujours debois de chêne, les planchers de bois de sapin qu’on porte des montagnes ; elles sontcommunément couvertes d’ardoises quelques-unes cependant le sont en chaume. »

DIAPOSITIVE 3

Est-ce une scène de dispute donnée à l’occasion d’une représentation théâtrale, d’unepastorale gasconne ? Trois personnages occupent le dessin ; celui de gauche, unPierrot tout habillé de blanc, avec veste à gros boutons et pantalons, montre deuxpersonnages en tricorne et justaucorps se menaçant chacun d’un bâton. Leurs attitudesfont penser à un groupe de marionnettes.

Une autre interprétation consiste à voir dans le Pierrot à gauche le symbole des jeuxde cartes (il y a des fa-bricants de cartes à Tarbes et Bagnères). L’illustration auraitdonc pour but de montrer que les jeux de hasard conduisent aux disputes et auxcoups.

Mœurs et caractères des habitants d’après Laboulinière (**) :

«On découvre dans le fond du caractère des personnes qui composent ce qu’onappelle la bonne compagnie, des passions vives et promptes, comme dans tous lesdépartemens méridionaux ; certaine disposition à l’irascibilité, ou du moins àl’impatience ; beaucoup plus d’imagination que de jugement ; de la sensibilité, qui

(*) Statistique agricole de 1814. - Paris Reider, 1914. Traite uniquement de l’arrondissement deTarbes.(**) LABOULINIÈRE (P).- Opus cité, p. 307; et suivantes.

souvent dégénère en susceptibilité ; de la tendance à l’envie et aux jalousiespersonnelles ; quelquefois un faux amour propre, qui fait attacher à de très-petiteschoses, plus d’importance qu’elles ne devraient en avoir ; un esprit de parti, enfin,qui, souvent, est accompagné d’entêtement ou d’obstination que l’on prend pour ducaractère. En général, on s’occupe beaucoup, par curiosité, de tout ce qui se passechez le voisin ; et cette curiosité conduit souvent à des réflexions à des remarquesmalignes. Il est des caractères durs, secs et cassants ; il en est de souples, qui, pourparvenir à leur but, savent très-bien se plier aux circonstances on ne rencontrepoint toute la loyauté, toute la franchise qui serait à désirer dans le commerce de lavie ; mais il est, à cet égard, des hommes justement estimés. Il est peu d’exemplesfrappans des inconvéniens qu’entraînent après elles les passions haineuses. Lecaractère des habitants de ce département est trop vif, trop léger, trop mobile, pourqu’elles puissent s’enraciner dans les cœurs, et y causer de grands ravages. LeBigorrais met plus de piquant que de méchanceté dans ses offenses ; il rechercheplutôt le triomphe de son amour propre, que la vengeance. Si cet amour propre étaitbien dirigé et plus éclairé, la source la plus féconde des petites dissensionsdomestiques serait tarie.

DIAPOSITIVE 4

Scène de « casse-croûte » à Sadournin. Il ne semble pas, en effet, qu’il s’agisse d’unvéritable repas puisqu’il n’y a pas d’assiette sur la table. Par le dessin de verres àpied, très grands et remplis de vin rouge, l’auteur veut certainement dénoncer lepenchant immodéré des deux convives pour la boisson.

Dans une autre illustration, un homme et une femme assis de la même manière,semblent compter de l’argent. On peut penser que l’auteur a voulu, dans ce cas,fustiger l’avarice d’un couple, ou montrer deux usuriers, une des plaies de noscampagnes (*), ce que nous décrit Laboulinière (**).

«INTERET de L’ARGENT. USURE.

Il est difficile d’indiquer quel est le taux de l’argent dans un département où il n’y ani bourse publique, ni banque, ni banquiers, ni agens de change, ni capitalistes, ni

(*) SOULET (J-F.).- A propos de l’endettement rural au XVIIIème siècle deux communautés dupiémont pyrénéen. In Annales du Midi, 111, 1972.(**) LABOULINIÈRE (P.).- Opus cité p. 411.

cours régulier dans les affaires de commerce. Nos marchands règlent leurs intérêtssur les cours des places de Toulouse, Bardeaux et Bayonne ; quant à ceux qui fontl’usure, on ne peut assigner les bornes de leur cupidité ; on a vu des prêts au taux dedix à douze pour cent par mois ; le taux ordinaire est de dix à douze par an.

L’argent est extrêmement rare dans ce département ; les fortunes y sont très-bornées; c’est ce qui rend les besoins fréquens et nombreux. Or, il n’est pas de dispositionplus favorable pour l’exercice de l’agiotage et de l’usure ; aussi des spéculateurs sesont-ils adonnés à ce vil commerce, dont la fâcheuse influence se fait sentir surtoutes les classes, et particulièrement sur l’agriculteur qui, ne pouvant faire desavances à la terre qu’avec beaucoup de trais, se trouve souvent ruiné par une modiquerécolte, et par le défaut de débouché pour ses denrées.

Elles sont cependant assez chères généralement, mais l’usure qui s’exerce, estspoliatrice de toutes les fortunes ; l’intérêt, qu’on regarde comme légal, est aussitrop haut pour un pays aussi peu commerçant, et qui n’a de ressources réel les quedans les produits de son agriculture. »

DIAPOSITIVE 5

Bernard Peris Menjoulet Fontouliou est un petit paysan de Sadournin où il possèdeprès de 4,5 hectares de terres. Les habits de couleur marron sont en tissu grossier. Ilsemble boire dans une sorte de carafe.

Laboulinière (*) toujours aussi précieux nous indique le penchant des campagnardspour les boissons : «A la campagne, le goût de la chasse et celui de la table sont lesplus forts liens de société entre les hommes ; ils font de longs repas, boivent avecexcès, et se livrent à cette sorte d’intempérance qui faisait presque la seule jouissance,les seuls plaisirs de nos aïeux... Presque tous les agriculteurs boivent du vin le longdu jour et pendant leurs travaux. Ils en portent aux champs avec eux...» et cecimalgré la mauvaise qualité des vins : «ils durent peu, et il faut les consommer sur leslieux. Les obstacles qui s’opposent le plus à leur amélioration dans ce départementsont le défaut de débouché, et le goût des consommateurs de la montagne.» Cependantla culture de la vigne a progressé à la fin du XVIIIème siècle.

(*) LABOULINIERE (P.).- Opus cité, p. 312, 313, 333, 360.

DIAPOSITIVE 6

Pierre Depierris Tiroüat Dehaut de Sadournin possède près de quatorze hectares deterres. C’est l’ami des enfants (peut-être est-ce son fils) avec qui il aime jouer. Ici iltient vraisemblablement dans sa main gauche un oiseau qui peut être apprivoisé,plutôt qu’un simple jouet. C’est en tous les cas le seul exemple dans les terriers dereprésentation d’un enfant : celui-ci a l’air impatient de prendre l’oiseau dans sesmains.

Analyse de la composition thématique des deux terriers (*)

Les illustrations représententHomme seul 40,4 % Homme-maison 5,05 %Homme-groupe 13,1 % Homme-animal 9,09 %Couples 10,1 % Homme-nature 8,08 %Homme-village 2,2 % Nature-animaux 18,1 %

« L’anthropomorphisme de l’iconographie populaire est évident l’homme est bien leroi de la création ; mais la place faite au règne végétal ou animal montre assez quela culture populaire n’ignorait pas les beautés de la nature et qu’elle ne constituepas une culture isolée ou résiduelle. Représenté seul de préférence, le pyrénéen faitici un nouvel effort pour s’exprimer individuellement et la médiocrité desreprésentations collectives traduit peut-être une revanche sur les contraintesordinairement imposées par la communauté. »

DIAPOSITIVE 7Une femme en capulet bleu bordé de blanc et tablier rayé, tenant un chapelet, priedevant une croix en bois plantée sur une élévation de terrain.

(*) DESPLAT (E.).- Iconographie et culture populaire dans les Pyrénées Occidentales au XVIIIèsesiècle. In Bulletin de la Société des Sciences Lettres et Arts de Bayonne, 133, 1977.

Près d’une illustration sur cinq seulement représente des femmes : «Le caractèrevolontiers viril de la paysannerie pyrénéenne s’affiche ici sans fard» (*). Dans lamême proportion l’illustration a trait à la piété. Quoique modeste, cette proportionest largement supérieure aux autres formes de la vie affective (*) : 13 % pour lesjeux et autres plaisirs, «6 % pour l’amour, seule et unique passion clairementreprésentée.»

Toilette et coquetterie des femmes vers 1806 (**)«Aux attraits naturels de leurs personnes, que les dames ont grand soin de faireressortir, elles ajoutent tous les apprêts que le goût et la mode suggèrent ; tous lessecrets de la cosmétique la plus raffinée et la plus délicate, leur sont connus ; ellessavent en user à propos, pour masquer ou pallier les atteintes accidentellesqu’éprouve leur beauté, ou celles qui sont l’ouvrage du temps, pour relever l’éclatde leur teint qu’elles savent garantir de l’ardeur du soleil par l’usage des chapeaux,des voiles, des parasols, des omberettes, ou en ne s’exposant point à sa trop vivelumière ; elles connaissent tout l’avantage des demi-jours et des reflets de lumière àtravers des rideaux de couleur. Dans l’été, elles font un fréquent usage des bainsdomestiques, lorsqu’elles ne sont pas à portée des eaux thermales ; celles qui s’ytrouvent, prennent part au bénéfice de ces sources qui ne sont pas moins favorablesà l’entretien de la santé et de la fraîcheur, que salutaires dans l’état de maladie.

Les habitans des campagnes ne connaissent aucun de ces procédés du luxe ; mais lapauvreté des vêtemens n’empêche pas qu’ils ne soient très-propres, ainsi que ceuxqui les portent. Ils se lavent les pieds, rarement tout le corps, à moins qu’ils n’aientbesoin de prendre des bains. Quelquefois, dans les grandes chaleurs, ils se baignentdans le ruisseau le plus voisin.

Les femmes serrent leurs têtes avec une bandelette de toile, font remonter etassemblent leurs cheveux de la partie postérieure au milieu de la tête, ainsi que ceuxde devant ; puis elles mettent par dessus une coiffe et le capulet. Les jeunes filles secoiffent de même, mais elles se passent plus volontiers de capulet. Quelques-unes nerelèvent pas entièrement leurs cheveux, et en laissent paraître une partie par modeou coquetterie.

Les artisannes portent presque toujours un fichu à la tête ; il est plus beau les joursde fête ; quelques-unes se servent d’un peigne pour se coiffer ; tressent et bouclentparfois leurs cheveux.

(*) DESPLAT (C.).- Opus cité, p. 191-192.(**) LABOULINIERE (P.). - Opus cité, p 362-363.

DIAPOSITIVE 8

Un joueur de tambourin fait danser une demoiselle. L’instrumentiste joue de la flûtede sa main droite et assure la cadence de sa main gauche, avec un bâtonnet, sur letambourin à 6 cordes, instrument de percussion utilisé alors pour faire danser dansle Pays Basque et les Pyrénées gasconnes. L’exécutant est élégamment vêtu : béretbleu avec pompon rouge, justaucorps violet, chausses chamois, bas verts. Lademoiselle porte une coiffe bordée de dentelle et nouée d’un ruban rouge, un corpsde robe tilleul avec un tablier à grands carreaux, à petits plis.

La typologie, l’utilisation et la fabrication du tambourin ainsi que l’étude desmusiciens de tradition populaire dans les Pyrénées, ont fait l’objet de plusieursouvrages (*).

DIAPOSITIVE 9

Le couronnement de la rosière d’Esparros a permis au dessinateur de camper troispersonnages : la rosière, au centre, vêtue d’une robe moirée de vert et de jaune avecun tablier rayé, est assise, tenant dans ses bras une gerbe de fleurs des champs pendantque deux paysans, l’un vêtu du costume archaïque plus haut décrit -pourpoint bleu àpetites basques et chausses larges- et l’autre, coiffé d’un tricorne, vêtu d’unjustaucorps brun, vont lui ceindre le front d’une couronne de fleurs.

L’influence des femmes vers la fin du XVIII ème siècle (**).

«Les femmes ont beaucoup contribué, dans ce pays, à adoucir les mœurs ; et l’empirepresqu’illimité que leur a donné l’esprit de galanterie qui caractérise le Français,se retrouve ici comme dans les autres contrées de l’Empire. Elles aiment la société; les hommages de notre sexe les flattent ; mais plus qu’ailleurs, peut-être, ellessavent contenir, dans de justes bornes, les prétentions de ceux que la mode rendleurs adorateurs, et qu’une fréquentation qui n’est ni habituelle ni journalière, ne

(*) -DUBOIS (c. Marcel). Le Tambour-bourdon, son signal et sa tradition, In Arts et traditionspopulaires, 1966, p. 3 à 16.-ROBERT (Jean).- Notes sur l’activité des musiciens de tradition populaire dans les PyrénéesOccidentales et Centrales. In Bulletin de la Société Ramond, 1974, p. 47 à 52.(**) LABOULINIERE (P.).- Opus cité, p. 306 ~ 306.

peut faire admettre, dans une telle intimité, que la paix des ménages en soit troublée,ou que des soupçons injurieux provoquent de la mésintelligence entre les époux...

En général, cependant, les femmes sont aimantes, et les attachements solides etdurables, fondés sur une estime réciproque, et cimentés par le pur sentiment, n’ysont pas sans exemple.

Les demoiselles observent communément la conduite des mères et règlent leurs goûts,leurs penchans, sur ce qu’elles voient. Le petit fond de prétentions et de coquetteriequ’elles apportent en naissant, se développe bien vite lorsqu’on prend soin de flatterleur vanité, et de leur inspirer le goût de la parure ; lorsqu’on s’empresse de lesproduire dans la société où mille exemples leur apprennent à trouver leur satisfactiondans de fades éloges, sur les qualités qu’elles ont ou qu’elles n’ont pas, et à ne plusvoir dans les hommes que des sujets soumis à leur empire empressés à satisfairetous leurs caprices, faits pour regarder leurs désirs comme des lois absolues.Choisissent-elles un époux ? c’est un esclave très-soumis qu’elles croient prendre,au lieu d’un appui, d’un protecteur, d’un ami...

Mais dans ce département excentrique et pauvre, les demoiselles sont presquetoujours sous les yeux de leur mère, elles s’habituent de très-bonne heure auxoccupations du ménage ; elles ont beaucoup de goût pour les ouvrages en tricot etpour les broderies ; elles sortent fort peu, et seulement pour visiter quelques amies.La plupart ne paraissent jamais dans la société, si ce n’est dans le temps des bals ;elles contractent, dans une vie très-retirée, l’habitude des soins domestiques quiappartiennent à leur sexe. Le goût des faux plaisirs a sur elles peu d’empire, ellessuivent, en cela, l’exemple de leurs mères.»

DIAPOSITIVE 10

Femme en capulet noir et tablier à carreaux. Le dessin illustre le compte cadastraldes héritiers de Dominique Saint-Martin de Sadournin.

Les femmes sont représentées dans 22,5 % des illustrations des deux terriers (cf.diapositive 7).

DIAPOSITIVES 11 et 12/

Deux dessins d’une représentation théâtrale ou pastorale essayent naïvement de fairela synthèse de deux séquences. L’une représente un personnage vêtu de noir et debleu ouvrant les rideaux d’une scène. Est-ce le récitant qui présente la pièce ? A sespieds combattent deux individus dont l’un, coiffé d’un bonnet et armé d’un cimeterre,pourrait bien figurer un Turc. Dans le coin gauche, se situe une femme en roberouge et tablier. Vient-elle d’être enlevée ? L’autre séquence présente une jeune filleau balcon et au bas du balcon, un ange ailé porte un message à un jeune homme vêtude vert avec des bas rouges et coiffé d’un tricorne.

Si nous connaissons assez bien les représentations ou pastorales à thème religieux,issues des mystères du Moyen Age et données à l’occasion des grandes fêtescatholiques dans les plus humbles villages, nous connaissons encore mal tout unensemble de représentations rurales pouvant aller de la farce charivarique à l’imitationdes comédies de Voltaire (*).

(*) -HERELLE (G.).- Le Théâtre rural dans la région pyrénéenne. In Annales du Midi, t. XXXV,Bigorre, 1923, p. 163 a 166.-ROBERT (J.).- Notes sur les expressions théâtrales dans le Midi pyrénéen sous l’Ancien Régime.In Ethnologie française VI, 1976, p. 69 à 94.

5. ANNEXES

DOCUMENT N° 1

Les paroisses de la baronnie d’Esparros d’après l’enquête épiscopale de 1783 (*)

Communiants.«Quel eft le nombre des Communiants, tant de la Paroiffe que des Annexes ? y a-t-ildes Paroiffiens d’un certain age, qui n’aient pas fait leur première Communion ?qui n’aient point été confirmés ? en quel nombre ?»

LOMNE et LABORDE «La paroisse de Lomné a 131 Communiants, et celle deLaborde 242, total des deux paroisses 373. Il y a dans les deux paroisses environ 45personnes âgées de 15 ans et en sus, qui n’ont pas été confirmées.»

LES ARRODETS : «Il y a environ 80 communiants.»

ESPARROS et LABASTIDE «il y a à Labastide 386 communians. Le nombre est àpeu de choses égal à Esparros Les personnes les plus avancées en âge qui n’ont pasfait leur première communion sont de sept à dix huit ans, il y a lieu de croire qu’ellesseront admises cette année à l’époque de la première communion générale. Il en estnombre d’un certain âge qui ne sont pas confirmées.»

Paroiffiens.~.«Quel eft le caractère dominant des Paroiffiens,

(*) Etat des paroisses de 1783, B.M. Tarbes, Manuscrit 59.leurs bonnes qualité, ou les défauts & les vices les plus ordinaires ?»

LOMNE et LABORDE : «ils ont assez de droiture et de bonne foi mais les hommesfréquentent beaucoup les cabarets les dimanches et les fêtes.»

LES ARRODETS : «Il y a dans ma paroisse, quoique petite, des gens de toute espèce- quoique je n’y reconnaisse point de vice dominant.»

ESPARROS et LABASTIDE «Assez bonnes gens un peu envieux les uns des autres,ils se secourent cependant réciproquement, ils aiment en général les cabarets, ils lesfréquentent les jours de dimanches et fêtes. La police ÿ est néanmoins bien observéeau moien de quelques amendes...»

Hôpitaux.« N’y a-t-il point d’Hôpital, ou des revenus affectés aux Pauvres et aux Malades ; enquoi confiftent-ils ? par qui ont-ils été fondés & dans quel temps ? en quel nombrefont les Adminiftrateurs ? par qui font-ils préfidés ? les comptes font-ils rendusexactement ? »

LOMNE et LABORDE «En 1747 un particulier de Laborde légua par testament dubien fonds et des Constitutions de rentes, pour le revenu en être employé à des missionset un douzième en être distribué aux pauvres de la paroisse. Jusqu’a 1776 tout lerevenu a été consumé pour payer le droit d’amortissement.»

LES ARRODETS (pas de réponse).

ESPARROS et LABASTIDE « Il y a à Esparros trente livres de rente pour lespauvres. Je ne sai pas a quelle époque cette rente a été fondée mais on dit quellen’est pas ancienne ; depuis ces trois lignes écrites jai trouvé lacte de la Fondation,il y a cinquante ans quelle a été faite par un particulier, qui veut que les aumonessoit faites par le curé, ou par un administrateur nommé par lui et par les consuls.J’ai trouvé... un administrateur des pauvres qui est un très honnette nomme mais quin’a pas rendu ses comptes depuis longtemps, il les rendra sous quinze jours, enprésence des consuls, du procureur fiscal et du curé.»

Ecoles.«y a-t-il un Maître ou Maîtresse d’Ecole ? Sont-ils fondés ; par qui et sous quellesconditions ? Quels sont leurs appointements fixes; y a-t-il quelque casuel ? Qui estce qui a le droit de les présenter ou nommer ?»

LABORDE et LOMNE: «Il n’y en a point.» LES ARRODETS : «Néant»

ESPARROS et LABASTIDE : «Il y a assez souvent un maître d’école que les habitantsprennent et paÿent suivant la convention qu’ils font, le curé prétend avoir le droitdinspecter sur les écoles et de renvoier le maître s’il ne fait pas son devoir...»

DOCUMENT N°2

Les habitants de Sadournin

vus par l’instituteur en 1886 (*).

«Les habitants de Sadournin sont de mœurs simples et pures en général. Tous suiventle culte catholique. Le costume est celui que portent les habitants de la campagnedu midi de la France. Ils se nourrissent en général assez bien. Le pain de froment etla viande salée forment la base de leur nourriture. Il n’y a pas de monument. Restel’emplacement d’un ancien château ; le dit emplacement est entouré de fossés sur àpeu près la moitié du pourtour.

Depuis bien longtemps l’enseignement est donné aux garçons par un instituteurprimaire ; aux filles il est donné depuis environ cinq ans par une institutrice primairecommunale.»

(*) A.D.H.P. série T, monographie communale de 1886.

DOCUMENT N° 3

LES NOMS DE LA MAISON

« ... Seul le nom de maison permet une identification non ambiguë : toute maison aen effet un nom qu’elle est censée porter depuis sa création et qui, en principe aumoins, est immuable. Le nom de maison appartient en propre à la maison, à sesdépendances et, d’une manière plus ou moins nette, au patrimoine foncier qui lui estattaché ; il est indépendant des individus qui habitent la maison et n’est en rienaffecté par le changement de patronyme du chef de famille en cas de mariage engendre. Même dans les cas extrêmes, lorsque, par exemple, la maison a fait l’objetd’un achat et que les nouveaux propriétaires n’ont aucun lien de parenté avec lesprécédents, le nom de maison est supposé ne pas changer. De cette règle, il découleque, de la naissance au mariage, tout individu est identifié principalement par lenom de la maison où il est né et où, sauf exception, il demeure. Après le mariage,celui des deux conjoints qui reste dans sa maison natale (et en devient l’héritier)conserve bien entendu son nom de maison ; celui des conjoints qui entre dans lamaison (et abandonne donc sa maison natale), quitte son nom de maison primitifpour celui du nom de maison de son conjoint. Le fait que le conjoint qui entre dansla maison soit un homme ou une femme ne change rien a la situation. Il arriveparfois cependant que l’on mette quelque temps avant de s ‘habituer a une nouvelledésignation et que, durant quelques mois ou quelques années, un homme ayanteffectué un mariage en gendre continue d’être désigné par deux noms de maisoncelui de sa maison natale et celui de la maison de sa femme, où il réside désormais ;toutefois, en aucun cas, il ne saurait faire changer le nom de la maison de sonépouse.Que sont ces noms de maison ? Leur registre est étonnamment vaste. Certainspourtant reviennent fréquemment, presque dans chaque village ; ils font allusion àdes métiers ou à des fonctions : Haouré (forgeron), Batché (vacher), Bayle (valet dela commune), Labourie (métairie), etc. Le fait que les habitants de ces maisonsn’occupent plus ces métiers ou ne remplissent plus ces fonctions ne change rien aunom même de la maison. D’autres noms se réfèrent à des particularités du lieuLacoste (la côte), Turon (une éminence), d’autres à des toponymes Cap de vielle,Cap de Coste, Cap de Coume. D’autres, et ce ne sont pas les moins nombreux, sont

des prénoms ou des syllabes de prénoms Marinette, Guilhamet, Bernatou. D’autresenfin sont relatifs à des événements s’étant produits du vivant d’un des habitants dela maison, à qui il fut donné un sobriquet qui se transmit de génération en génération.Ce sobriquet était donné par un consensus entre les habitants du village, l’humouret parfois la dérision en sont les attributs (telle maison où vécut misérablement uncontrebandier d’allumettes fut appelée, du nom de l’homme, Crésus). Enfin, nombrede noms de maison demeurent inexplicables aux yeux mêmes de leurs habitants,aussi bien en ce qui concerne leur origine que leur signification. L’essentiel est quela maison ait un nom et que ce nom demeure identique au fil des générations... »

G. Augustins, Maison et Société dans les Baronnies au XIXe siècle dans : I. Chiva et J. Goy. - LesBaronnies des Pyrénées. Anthropologie et histoire, permanences et changements. - Editions deshautes études en sciences sociales. - Paris, 1981. - P. 50-51.

DOCUMENT N° 4

MŒURS ET HABITUDES SOCIALES DES CAMPAGNARDS

Quant aux habitans de la campagne, je les distingue en trois cathégories ceux desvallées et des montagnes, ceux des pays à collines, et en troisième lieu, ceux de laplaine. Les premiers sont en général vifs, laborieux, actifs, sobres et tempérans Lastérilité du sol qu’ils habitent, leur fait un besoin de ces différentes vertus, pourpouvoir fournir à leur subsistance ; et c’est un spectacle vraiment intéressant quecelui de voir une population assez nombreuse vivre sur un terrein dont la partiecultivable est presque nulle, et que des travaux continuels et assidus peuvent seulsrendre fertile. Dans les vallées, tout est en quelque sorte le produit de l’industrie ;c’est l’homme qui fait presque tous les frais des productions qui y croissent. Il portelui-même dans son champ la terre végétale qui doit faire germer le grain, et souventaprès bien des travaux, une pluie abondante, un torrent qui descend du haut desmonts, vient ruiner toutes ses espérances, et réduire sa famille à l’indigence et audésespoir ; cependant, qui le croirait ? le patriotisme, ou plutôt cet instinct qui attachel’homme au sol qui l’a vu naître et qui a nourri son enfance, est porté au dernierdegré chez ces cultivateurs qui ne sont riches que de leurs privations et de leur

sobriété ; Si quelques-uns d’entre eux s’expatrient dans leur jeunesse, pour allertenter fortune ailleurs, ce n’est que dans le dessein de revenir au lieu natal, et d’yacheter du fruit de leur travail et de leurs épargnes, quelque modique portion deterrein, qu’ils paient un prix excessif. La valeur des terres dans un pays aussi ingrat,privé de tout débouché, est vraiment une chose étonnante, et qui ne peut s’expliquerque par cet attachement extraordinaire au toit de leurs pères, dont j’ai parlé plushaut.

Ces montagnards sont tous fort ignorans et très superstitieux ; mais comme ils n’ontaucun des vices de l’opulence, et qu’ils jouissent du nécessaire, la grande simplicitéde leurs mœurs qui peuvent nous donner une idée de la vie patriarcale, leur tient lieude vertus sociales, et de connaissances Si souvent fautives, surtout en morale Debonnes habitudes sont en tout préférables aux dogmes les plus épurés, aux doctrinesles plus sublimes ; et si le travail est, comme on le dît, le plus sûr garant des bonnesmœurs, c’est chez ces paisibles et laborieux habitans qu’on doit les trouver. C’estaussi ce que confirme, presque généralement, l’observation. Ils se nourrissentpresqu’entièrement de légumes, de farine et de laitage ; ils ne boivent que très peude vin ; leurs travaux sont presque tous relatifs à la culture et à l’économie rurale. Lecommerce est peu connu dans toutes ces contrées ; les objets d’une nécessitéindispensable qu’on ne fabrique point sur les lieux, y sont importés, et on donne enéchange le produit des bestiaux et du lait que l’on transforme en beurre et en fromage.Du reste, chacun vit des productions du sol qu’il cultive, et s’il fait des échanges, ilsont lieu de voisin à voisin, ou dans un cercle très-circonscrit.

Les habitudes des montagnards n’ont plus cependant la sim-plicité qui les caractérisaitSi fortement il y a un demi-siècle ; la fréquentation des eaux thermales par l’opulenceet l’oisiveté, y a modifié les mœurs patriarcales ; elle a fait naître de nouveauxbesoins, et introduit des vices avec l’or et les richesses qu’elle y a portés. Le goût duvin et des liqueurs fermentées semble s’accroître tous les jours chez les montagnards,où l’ivrognerie sera bientôt tout aussi commune que dans les autres parties dudépartement. Il est douteux qu’il y ait aujourd’hui plus d’aisance dans ces lieuxagrestes, qu’il n’y en avait autrefois, où les habitans étaient comme privés de toutecommunication avec leurs voisins. Le goût du luxe a rendu maintenant nécessaire àl’existence des habitans, cette affluence d’étrangers qui viennent y verser chaqueannée des sommes considérables, et ce serait une grande calamité que de les enpriver ils conserveraient les nouveaux besoins qu’ils se sont créés, sans pouvoir lessatisfaire ; ils auraient les vices des sociétés civilisées, accrus de tout ce que

l’ignorance et besoin peuvent y ajouter de pernicieux. Il est impossible d’arrêter lamarche progressive de la civilisation ; elle pénétrera bientôt jusqu’au fond des gorgesles plus reculés de nos montagnes ; c est un torrent plus impétueux, plus irrésistibleque ceux qui descendent du haut des monts. Comme on ne saurait le détourner, ilfaut seulement limiter et diriger son cours pour éviter ses ravages, s’il est possible etle faire tourner au profit des hommes.

Les habitans des collines mènent une vie beaucoup moins frugale que lesmontagnards, et ils font un plus fréquent usage du vin ; la culture exige moinsd’assiduité, de constance et de travaux dans les pays à colline, que dans les vallées lesol y est plus fertile ; plusieurs espèces de grains, et la vigne surtout, y croissentavec succès ; il y a peu de pâturages et de bestiaux. Le commerce y est plus connu ;on y tient de nombreux marchés ; il s’y fait beaucoup d’échanges. Le principal objetd’exportation est le vin, dont la récolte surpasse toujours, année commune, les besoinsdes habitans de cette région.

Quant à ceux de la plaine, ils ont aussi un caractère qui leur est propre ; ils sont lentset paresseux : la grande fertilité du sol qu’ils habitent, les dispense de se livre autravail d’une manière assidue, et ils perdent du temps dans l’oisiveté. C’est là surtoutque la mendicité abonde, et c’est un contraste bien frappant que celui de la misèresur un sol fertile qui ne demande qu’un peu d’industrie et de travail pour produireabondammment. Les habitans de la plaine aiment aussi le vin, mais moins que ceuxdes colli-nes ; ils sont ignorans et crédules au même degré ; et con ils ont un caractèreplus faible, l’esprit de haine et de vengeance y est moins dangereux. Les caractèresy sont plus souples et moins vifs ; on y mène une vie moins laborieuse et plus douce.

Les mœurs et le caractère que je viens de décrire pour chacune des trois régions dece département, ne sont pas tellement tranchantes, qu’on puisse distinguer, au premiercoup d’œil, l’homme de la montagne de celui des coteaux ou de la plaine ; c’est dansla masse de la population que ces différences sont remarquables ; elles se trouventmodifiées chez beaucoup d’individus, et il est des nuances qui marquent le passaged’une région à l’autre. Le caractère général des habitans de ces contrées est d’êtresimples, bons et généreux ; ils aiment l’indépendance ; ils ont du courage et de lafierté ; ils partagent la vive gaîté de tous les peuples du midi de la France, et ilsmettent dans leurs démonstrations cette chaleur, cet empressement qui caractérisentla vivacité, et qu’anime un langage passionné, rapide et métaphorique.

P. Laboulinière, opus cité p. 309-312.

BIBLIOGRAPHIE

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- COQUEREL (R.). - La traite des bois pyrénéens pour la marine au XVIIe et XVIIIe siècles. - Bagnères-de-Bigorre Société Ramond, 1985. - 22 cm pp. 115-164. (Supplément au Bulletin de la SociétéRamond ; 120e année).

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- DASQUE (J.P.) - Réformes religieuses et piété populaire dans la baronnie des Angles et partiesadjacentes au XVIIIe siècle. 119 p. - Dactylographié.Travail d’Etude et de Recherche d’histoire moderne. - Pau Faculté des lettres et des scienceshumaines, 1985.

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- MANSAS (J.) - Les Communautés de Barousse et la foret du XVIIe au XIXe siècle • - Revue duComminges, 1985-1966.

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- VERLEY (J.) - Mendiants et bourgeois à l’hôpital de Vic-en-Bigorre, 1568-1861. (1985). - 344 P.

- VIÉ (R.) - Une crise démographique à Lourdes en 1774. - Lavedan et Pays Toy, 1986-87.


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