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La littérature turque à l’aube du millénaire : 1999 - 2000GEORGES DUMEZIL Nuru Ziya Sok. no.22...

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La littérature turque à l’aube du millénaire : 1999 - 2000 par Timour MUHIDINE INSTITUT FRANÇAIS D’ETUDES ANATOLIENNES GEORGES DUMEZIL Istanbul, août 2000 ´ ´ série: la Turquie aujourd’hui no: 2
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  • La littérature turque à l’aube du millénaire :

    1999 - 2000

    parTimour MUHIDINE

    INSTITUT FRANÇAIS D’ETUDES ANATOLIENNES GEORGES DUMEZILIstanbul, août 2000

    ´´

    série: la Turquie aujourd’hui no: 2

  • Directeur de la publication:

    Paul DUMONT

    Comité de rédactionde la série

    la Turquie aujourd’hui

    Bertrand BUCHWALTERFadime DEL‹

    Edhem ELDEMSylvie GANGLOFF

    François GEORGEONBurcu GÜLTEK‹N

    Jean-François PEROUSEZafer TOPRAK

    ISBN 2-906053-56-2

    INSTITUT FRANÇAIS D’ETUDES ANATOLIENNES GEORGES DUMEZIL

    Nuru Ziya Sok. no.22 P.K. 5480072 Beyo¤lu/‹STANBUL

    Téléphone: 90(212) 244 17 17 - 244 33 27Télécopie: 90(212) 252 80 91

    Courrier électronique:[email protected]

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  • Timour MUHIDINE

    La littérature turque à l’aube du millénaire : 1999 - 2000

    Avant-propos

    Comment effectuer le bilan d’une année deproduction culturelle ? Le portrait reste difficileà tracer, au risque de ne reproduire que lefiligrane des mois qui se succèdent, fuite enavant autant qu’évolution concertée. Il y a eneffet une gageure à vouloir présenter enquelques pages ce mouvement permanentqu’est la vie intellectuelle d’un pays... C’estpourquoi il a paru préférable de s’appuyer surle bilan de quatorze mois (janvier 1999 à mars2000) de vie littéraire afin de disposer d’unebase concrète de travail : en premier chef lespublications et leur réception. Ce travail restelimité, interroge quelques grands thèmes quiparcourent les préoccupations des auteurscomme des éditeurs (cette corrélation forte quicontinue de s’exercer dans le domaine éditorial,comme en France) et tente de brosser le tableaud’une édition en période de mutation, à deuxdoigts de se structurer selon le schéma occi-dental : le triangle édition – foires du livre –médias relais et librairie (même si ce derniermaillon reste le plus faible à l’heure actuelle)fonctionne plutôt bien mais justement, peut-être avec une trop grande docilité. Cependantune chose est sûre tout en restant méconnue : lavie littéraire reste soumise à ce balancier entreles intentions, les projets, les œuvres en courset la loi non-écrite du marché où se combinentla pression des modes et un système de com-mande inhérent à la vie éditoriale. On a donccherché à aborder certains thèmes à la croiséedes chemins politiques, historiques ou plas-tiques tout en sachant que le domaine de laphilosopie, de l’histoire de la pensée (dont onpeut voir à travers les traductions du françaiset de l’anglais qu’elle est en plein essor)mériterait une enquête à part : son domained’expression est aussi plus confidentiel, partagéentre l’Université et certaines associations,

    groupes de recherche mais aussi le choix indi-viduel, les lectures que chaque enseignant ouromancier peut faire : on y trouverait aussi bienNietzsche et Husserl que Nusret H›z›r et NermiUygur...

    On manque aussi – la remarque a été déjàplusieurs fois formulée – d’enquêtes sur lalecture ou sur les bibliothèques ainsi que surl’impact de certains ouvages, les fameuses“ grosses ventes ” telles que les romans his-toriques. Il faut d’ores et déjà réaffirmer que l’onaura ici privilégié la “ littérature de qualité ”,plutôt que les textes célébrés par la pressepopulaire par exemple. On proposera donc– peut-on vraiment l’éviter et pardon pour leparadoxe – une vision personnelle “ aussi objec-tive que possible ” dont l’intention centralereste de présenter aux non-turcophones letableau d’une année (et pas n’importe quelleannée, le tournant du siècle – évitons la gran-diloquence du tournant du millénaire !) ainsique des suggestions de lecture tout comme deréflexion ou d’investigation à ceux qui souhai-teraient pénétrer dans cet univers de la cultureécrite vivante en Turquie...

    Les tendances générales existent : “ tribali-sation ” de la vie sociale en Turquie, globalisa-tion (Küreselleflme) ressentie comme une me-nace et donnée comme la nouvelle grille de lec-ture du monde, événements marquants (parexemple le séisme du 17 août 1999 et soncortège de traumatismes), redéfinition à tous lesniveaux de l’État de l’héritage républicain maisaussi points de convergence entre l’évolutiond’une société, les productions écrites, audio-visuelles ou plastiques, reflétant les choixidéologiques à un moment donné et la percep-tion qu’a cette même société de son histoire (cequi, dans le cas de la Turquie, aura toujoursreprésenté un enjeu particulièrement impor-tant). C’est à travers ce maillage complexe qu’il

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    faut essayer de voir pour déchiffrer la situationculturelle et opérer un reclassement. On verraque l’Histoire et l’approche biographique occu-pent le premier rang des préoccupations...

    Roman et Histoire

    Depuis le début des années 1990, le romanhistorique s’est installé dans la prose turque :de Orhan Pamuk à Nedim Gürsel, de ‹hsanOktay Anar à Zülfü Livaneli, on constate uneaugmentation constante du nombre de cesfictions inscrites dans l’histoire ottomane.

    Paru à la fin de l’année 1998, Benim Ad›mK›rm›z› (Je m’appelle Rouge, ‹letiflim Yay.),le dernier roman de Orhan Pamuk a pulvériséles records de vente : sans doute son maître-livre à ce jour, le texte de 470 pages se présentecomme un essai de refonte d’éléments essen-

    tiels de l’ancienne culture ottomane mais oùdomine la question de la représentation :en l’occurence l’art du miniaturiste. Mais lerapport avec l’Occident – ici la rivale Venise –continue, comme dans Beyaz Kale, d’occuper lenarrateur. Non content d’interroger l’âmeottomane, il s’efforce de scruter l’Autre, soustoutes ses formes.

    À la différence des nombreux romans his-toriques paraissant en Turquie, trop souventinféodés au réalisme (et même au documentd’archives, comme si la preuve devait être faitede l’exactitude d’un passé peu connu), ce textese déploie dans le domaine du conte, de l’allé-gorie et de ses extensions contemporaines... Unroman qui continue d’alimenter les discussions :début juillet 1999 par exemple, le critique ettraducteur Ahmet Cemal se penche sur les(supposées) erreurs historiques du texte dePamuk, répétant, sans le vouloir, la polémiquesuscitée par Kara Kitap (Le livre noir) entre 1990et 1992.

    “ Ce matin, dès que Mon Oncle me fitasseoir en face de lui, il se mit à me parlerdes portraits qu’il avait vus à Venise. Sacondition d’ambassadeur de notre GrandSeigneur le Sultan lui avait permis de visiternombre palais, riches demeures et églises. Ilavait passé des journées devant des milliersde portraits, il avait vu des milliers de visa-ges peints sur tissu, sur bois, dans descadres, reproduits sur des fresques murales.“ Tous différents, uniques, d’incomparablesvisages humains ! “, dit-il. Il était ivre deleur diversité, de leurs couleurs, de ladouceur de la lumière qui les baignait, deleur bizarrerie, et même de leur dureté, dusens qu’il déchiffrait au fond de leurs yeux.

    “ Ils ont tous fait faire leur portrait, àcroire qu’il s’agit d’une épidémie, dit-il. ToutVenise. Tous ceux qui avaient de l’argent etquelque pouvoir ont fait exécuter leur por-trait pour témoigner de leur existence, enposséder une trace, mais aussi pour qu’ilsoit le signe de leur richesse, de leur force etde leur pouvoir. Être toujours là, face ànous, faire ressentir aux autres qu’ils exis-tent, faire passer l’allusion qu’ils sontentièrement différents de tous les autres. “

    Dès qu’il était question de jalousie, decolère ou d’avidité, ses paroles étaient

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    méprisantes, mais lorsqu’il parlait des por-traits vus à Venise, il n’était pas rare que sonvisage s’illuminât l’espace d’un instant ets’animât comme celui d’un enfant.

    Les riches, les princes et les grandesfamilles protectrices des arts furent possédésd’une telle frénésie de se faire portraitureren chaque occasion, que même lors del’élaboration de fresques d’églises tirées derécits sacrés ou de la Bible, ces mécréantsposaient comme condition d’y voir figurerleur visage. Tiens, si par exemple tu jettes uncoup d’œil au tableau qui représente l’en-terrement de saint Stéphane, eh bien, parmiles visages en pleurs placés à l’angle de latombe, il y a un prince qui est aux anges,possédé d’une joie éclatante de te montrerfièrement les fresques murales de son palais.Puis, sur une fresque murale qui représenteSaint Pierre soulageant des malades avecson ombre, je fus déçu de remarquer dansun coin que l’infortuné malade soumis àd’infernales souffrances n’était autre que lerobuste frère de notre charmant histrion. Etle jour suivant, cette fois-ci dans un tableauqui dépeignait la résurrection des morts, tucontemplais le cadavre du convive que tuavais vu s’empiffrer au repas précédent.

    “ Certains ont poussé ces affaires siloin..., “ dit Mon Oncle, comme s’il craignaitd’évoquer la représentation du Diable, quepour le banal avantage de se retrouver surun tableau, ils ont consenti au rôle de mo-deste serviteur qui remplit les verres dansune assemblée nombreuse, à celui de cruelqui lapide une femme adultère ou même demeurtrier aux mains entachées de sang. ”

    (Extrait du chapitre 20 du roman)

    D’autres voies se font jour chez lesromanciers historiques : il faut ici mentionnerAhmet Altan qui avec K›l›ç Yaras› Gibi (Commeune blessure de sabre, Can Yay.) a égalementatteint d’impressionnants chiffres de vente...Dernier venu dans la catégorie des “ romanciershistoriques ”, A. Altan a choisi d’ancrer sonrécit dans le tournant du siècle et les dernièresannées du règne d’ Abdülhamit II, le “ Sultanrouge ”. La période est intéressante – le pouvoirabsolutiste, secondé par des cohortes d’espions

    et de mouchards, se voit contesté et l’on sent lesprémisses d’un vent de liberté souffler à l’ex-térieur de la capitale – et le lieu exceptionnel : ils’agit de la Constantinople 1900 (une partie duroman a aussi Salonique pour toile de fond) oùcohabitent les grandes familles traditionna-listes, les réformateurs éclairés, les politiciensserviles et quantité de jeunes “ rebelles ”... Lamise en place du décor est très réussie et le tonvise à restituer la structure archétypale de la vietraditionnelle : la force des croyances, le poidsde la communauté et sa soumission à l’autoritéde Dieu et du sultan nous renvoient à “ l’Ancienrégime ” ottoman. Par ailleurs, dans son évoca-tion d’une certaine haute bourgeoisie, le texted’Altan renoue avec les précurseurs du romande langue turque, ces auteurs des années 1870-1880 qui eurent comme thèmes de prédilectionla confrontation avec le nouveau : l’Occidentrêvé. À ce titre, le personnage de Hikmet Bey,déchiré entre passion érotique et la consciencedouloureuse de l’effondrement d’un monde, està la fois la somme de tous ces inquiets du débutdu XXe siècle et le fruit d’un regardromanesque contemporain.... et la représenta-tion de la décadence des grandes familles. Unequestion reste néanmoins posée : une fictionréaliste permet-elle vraiment d’accéder à cemystère (car très peu connu et bien peu dis-cernable en raison du changement linguistiqueintervenu en 1928) que constitue l’âmeottomane ? Les prosateurs turcs actuels se fontfort de “ revisiter ” l’Histoire dont plusieursgénérations ont été privées mais sont-ils suffi-samment armés ? La présentation de la person-nalité d’Abdülhamit II par exemple est un purconcentré de clichés : le souverain craintif,entouré d’espions et grand amateur de romanspoliciers traduits du français aurait mérité untraitement plus subtil, une évocation plus finede ses contradictions....

    “ Le sultan croisa ses mains dans le doset, s’approchant de la fenêtre, contemplalonguement le Bosphore par-dessus lescollines..

    – Regarde toute cette beauté, Docteur.Mais à quoi bon lorsqu’on ne peut en jouir ?Chaque rue, chaque maison de cette villesuinte la trahison, le meurtre, le sang.Il m’arrive de voir le Bosphore en rêve etc’est une mer de sang qui coule lentement,

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    charriant des milliers de cadavres ; cette meradmirable que nous a donnée le Seigneur del’Univers nous apparaît ensanglantée.Evidemment, vu de loin, diriger un payssemble une affaire facile. Prenons ces types,par exemple, qui s’affrontent en plein joursur la place publique : dois-je les mettre aucachot, les exiler dans le désert d’Arabiesachant que leurs successseurs qui ne serontpas meilleurs continueront de s’égorger lesuns les autres ? Que Dieu me pardonne,mais il nous a confié une tâche ingrate,impossible de la refuser, impossible de s’en

    défaire, un vrai boulet que nous traîneronsjusqu’à la fin de notre vie. Tous les jours desmilliers de soucis, des milliers de rapportsde police ; certains cherchent à nous ren-verser pour placer notre frère sur le trône,d’autres abusent de leur autorité en notrenom, il faut avoir l’oreille partout, surveillertout le monde, pour peu que tu leur laissesla bride sur le cou ils plongeraient le paysdans un bain de sang. (Il n’est jusqu’à cepalais, Docteur, qui ne soit un repaire detraîtres et d’ennemis où domine la peur ;lorsqu’il veut prendre son bain, le Sultan en

    Maniaqueries du Bosphore :

    Promenade en barque au large de Sirkeci dans cette bonne ville d’‹stanbul en l’an 1874...

    Bulle 1 : “ Mon lapin, Cemil Bey et son ensemble defasil joueront demain pour la dernière fois àDirekleraras›... Promets-moi d’y aller, monlapin ! “

    Bulle 2 : “ Moi aussi j’aimerais beaucoup y aller mais jesuis occupé, ce soir est le soir de la revue, monange... que se passera-t-il si la copie n’est pasprête demain? ”

    Bulle 3 : “ Mais mon lapin, c’est une occasion uniqued’écouter du fasil... Et tu sais, le fasil est suivi d’ un spectacle de Karagöz... ”

    Bulle 4 : “ Grand Dieu ! Il faudra que j’oblige notreéquipe à se hâter. Enfin, la solution devrait setrouver... ”

  • La littérature turque à l’aube du millénaire : 1999 - 2000

    personne entre dans une cage, comme unanimal, pour peu qu’il ne vienne à l’idéed’un comploteur de lui planter un couteauentre les omoplates pendant qu’il sesavonne la tête ; il ne peut dîner à son aisesans qu’on ne goûte d’abord le plat, au casoù un traître y aurait versé du poison. Je nesais plus au fond si le Bon Dieu confie cerôle à ses serviteurs bien-aimés ou à ceuxqu’il réprouve. il m’arrive parfois d’avoirune envie de...

    Le Sultan hésita quelques instants, puissecoua la main dans un geste de décourage-ment, laissant la réponse en suspens. Etcomme le Docteur n’eut pas le courage delui demander ce que c’était, comme à sonhabitude, le Sultan changea de conversa-tion.

    – Il n’y a pas si longtemps, tu m’avaisparlé d’un roman policier publié en France.Quelles nouvelles de ce livre ?

    – Je l’ai donné à Tahsine Pacha pourqu’il le fasse traduire, Majesté, je pense qu’ilvous sera présenté d’un jour à l’autre ; c’estun livre intéressant, palpitant même, et j’oseespérer qu’il vous plaira.

    Le Sultan caressa sa barbe rousse etsourit imperceptiblement.

    – Sais-tu Docteur que le mystère de la vieest caché dans les romans policiers ? Ce sontles seuls livres que je lis. Et sais-tu pourquoi ?Parce qu’un homme qui dirige un pays doitd’abord connaître les raisons pour lesquellesles gens commettent des meurtres et com-ment ils s’y prennent pour s’entretuer ; la vien’est qu’intrigue, Docteur, meurtres etintrigues, et c’est le sujet des romanspoliciers. ”

    (Extrait du chapitre V, traduit par Leslie Agagnian,

    à paraître aux éditions Actes Sud)

    Quant à Mario Levi, dans son énorme romande 741 pages, ‹stanbul Bir Masald› (RemziKitabevi), il aborde la question de quatregénérations de personnages juifs, dans l’Empirefinissant et la République et l’on peut considérerqu’ il poursuit en réalité un débat ouvert avecles commémorations en 1994 de l’exil des Juifsd’Espagne, puis divers essais historiques dontle récent Cumhuriyet Y›llar›nda Türkiye

    Yahudileri : Bir Türklefltirme Serüveni 1923-1945 (‹letiflim Yay.) de Rifat N. Bali.

    De manière assez différente des autresromans à vocation historique mentionnés, laproblématique affirmée ici est celle de l’out-sider ainsi que l’enjeu d’une langue à conquérir.À quel prix peut-on, en tant que citoyen etécrivain, se dire turc et minoritaire ? Unelongue préface aborde cette question sur lemode lyrique mais avec une franchise qu’aucunmembre de la communauté juive n’avaitjusqu’alors employée :

    “ Ce n’était quand même pas ma faute sij’étais né “ étranger ” dans la péninsule la plusproche de l’Occident (‹stanbul). Ce n’était pasma faute si je vivais ‹stanbul comme unelégende, si, poussé par une vieille tendance, jedésirais utiliser les mots des autres, si je voulaisparfois ressembler aux gens des autres livres ouaux héros de prose ou de théâtre qui infléchis-saient ma vie, utiliser leurs mots sans partagerleurs particularités, tout en nourissant l’espoird’un nouvel itinéraire, d’une libération... Pourfinir, mon ‹stanbul prit une forme légendaire... ”

    (Extrait de la préface, p. 13)

    La période beaucoup plus récente – mais quiappartient néanmoins déjà à l’Histoire –, desannées 1940 est soumise à de nouvelles interro-gations : la Seconde Guerre mondiale vécue enretrait des événements par une Turquie neutremais talonnée par l’Allemagne nazie dans lesBalkans, marquée par l’instauration du notoireVarl›k Vergisi (“ Impôt sur la fortune ” qui frap-pa en majorité les minoritaires, chrétiens etjuifs) à partir de 1942. Les mêmes années sontévoquées par l’essai Aflkale Yolcular› (Belge) deR›dvan Akar, Babam Aflkale’ye Gitmedi deZaven Biberyan (Aras Yay., traduit de l’ar-ménien) et Varl›k Vergisi ve TürklefltirmePolitikalar› (‹letiflim Yay.) de Ayhan Aktar. Undossier de la revue Toplumsal Tarih (n° 69) s’at-tache à la Turquie durant la Deuxième Guerremondiale. La recherche sur l’histoire récente etses pans d’ombre semble suivre pas à pas lacréation romanesque : début 2000, le romanDa¤› Da¤a Kavuflturan (Can Yay.) de SüleymanSa¤lam se veut une évocation de l’Anatolie– la Turquie profonde et non les milieuxcosmopolites ou diplomatiques des grandesvilles – dans le contexte très particulier du paysau cours des années 1940.

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    Jusque-là c’étaient les romans de Y›lmazKarakoyunlu (une trilogie parue au début desannées 1990) qui brossaient le meilleur tableaudes années 1940 à 1960 : ils ont connu demultiples rééditions (et commentaires) et l’und’entre-eux vient d’être adapté à l’écran et aconnu un grand succés d’estime et commercial :Salk›m Han›m›n Taneleri de Tomris Giritlio¤lu(Productrice de la TRT) sur un scénario deY›lmaz Karakoyunlu et Etyen Mahçupyan.

    Mais d’autres textes encore confirment l’ins-cription dans une plus longue perspective his-torique : on pourra ainsi mentionner le portraitde Sinan, récit d’ Abidin Dino (Yap› KrediYay.), Ismail de Reha Çamuro¤lu (Om Yay.),roman historique sur le conflit entre les Alévischiites et le pouvoir ottoman, Kara BüyülüUyku de Vecdi Ç›rac›o¤lu qui a reçu le prix duPremier roman chez Can Yay.: ici, une doubleintrigue, byzantine et ottomane structure unenarration située à l’époque de la prise deConstantinople, ou encore Saray Meydan›’ndaSon Gece (Remzi Kitabevi) de Selma F›nd›kl›.

    Haremin Büyüsü de Murat Aykaç Ergingöz(Yalç›n Yay.) appartient à la lignée des romansorientalistes occidentaux en évoquant la capti-vité et la vie au Sérail d’une Française à lafin du XVIIIe siècle. Comme Christian Jacq,l’auteur (un architecte ayant travaillé à larestauration du Harem de Topkap›) s’appuie surde concrètes données historiques et voit dansce genre romanesque une occasion d’intéressercomme de former un public avide de réalisme.Enfin, dans un domaine proche, la biographiefamiliale romancée (on ne peut ici parler deprojet romanesque véritable), H›fz› Topuzdonne un troisième texte après Meyyale etTaif’te Ölüm : Paris’te Son Osmanl›lar - MedihaSultan ve Damat Ferit qui évoque la vie de lafille du sultan Abdülmecit, opposante établieà Paris dans la seconde moitié du XIXe siècle.À la jonction du document et du récit, l’explo-ration du passé collectif et individuel constitueaussi une forme de recherche généalogique. Lesracines toujours...

    Une étape supplémentaire aura été franchieen janvier 2000 avec la parution d’un romand’Ahmet Ümit, une enquête policière partantdu monde hittite et se déroulant sur deux plans,passé et contemporain : Patasana (Om Yay.).L’apparition du polar à vocation historique etethnique constitue un signe à la fois positif etnégatif – positif dans le sens où ce genreautorise une vraie relecture de l’Histoire et

    aussi une mise en scène narrative où la descrip-tion et la psychologie des personnages peuventtout à fait être réinventés. Ce qui s’avère parcontre plus négatif c’est que s’y révèle une imi-tation des genres occidentaux : l’idée a déjàlargement fait recette dans le monde anglo-saxon et en France. Que l’on songe seulement àla collection Grands Détectives qui proposechez 10/18 une quinzaine d’enquêteurs de cetype, du juge Ti (dû à la plume du sinologueRobert Van Gulik) aux textes médiévistes deEllis Peters...

    Le cinéma à la conquête de l’Histoire :

    On pourrait compléter ce tour d’horizon parla mention d’un intérêt parallèle chez lescinéastes : Harem Suare de Ferzan Özpetek abien entendu été remarqué en 1999 (on l’a qua-lifié de meilleur film historique jamais réaliséen Turquie) mais aussi Kahpe Bizans sorti ensalle en février 2000. Comédie historique quiprésente de surcroît l’intérêt d’aborder unmonde (Byzance) que les Turcs dans leurensemble connaissent à travers une sériede clichés “ culturels ”, cette production mesemble rappeler, dans son impact, l’enthou-siasme suscité par la comédie française LesVisiteurs en 1993. Une vision démystifiée, par-fois grotesque d’un Moyen-âge mis en contactavec les ratés et les aspects ridicules de la viemoderne. Ou comment une nation choisit de sevoir – en riant – et en dédramatisant le hiératis-me des figures historiques. Cela vaut plusieursrévolutions...

    * On pourra se reporter aux articles suivants parusdans les revues au cours de l’année :

    - Gösteri n° 209 (Mart 1999) : “ Romanc›lar›m›z›nTarihe Bak›fl› ve Tarih Yorumu ” de SeyfiBaflkan.

    - Adam Sanat n°162 (May›s 1999) : “ TarihseliSoyutlaman›n Bir Biçimi ” de Semih Gümüfl.n° 171 (fiubat 2000) : “ Benim Ad›m K›rm›z› ‹çinBir Okuma Biçimi ” de Semih Gümüfl.

    - Varl›k n° 1098 (Mart 1999) : “ Benim Ad›mK›rm›z›’da Ço¤ulcu Estetik ” de Y›ld›z Ecevit.n° 1104 (Eylül 1999) : “ Üç Roman ve Osmanl›yaÜç Bak›fl ” de Bahriye Çeri.

    - Kitapl›k n° 38 (Güz 1999) : “ Osmanl›’yaRomandan Bakmak ” de Füsun Akatl›.

    - Virgül n° 24 ( Kas›m 1999) : “ Tarih Romanc›l›¤›Sorunu ” de Gürsel Korat.

  • La littérature turque à l’aube du millénaire : 1999 - 2000

    Roman et politique, politique et autobiographie

    Vedat Türkali (1919-) a déjà donné deuxgrands romans à tonalité politique : Bir Gün TekBafl›na (1975) et Mavi Karanl›k (1983). Lui-même engagé dans la voie de la contestationdepuis longtemps, ayant purgé entre 1951 et1958 une longue peine de prison, il semblaittout désigné pour faire le portrait romanesquede plusieurs “ générations perdues ” de mili-tants de gauche. Pourtant le texte (Güven) pub-lié cette année chez Gendafl Yay. réservequelques surprises, même s’il se présentecomme son œuvre maîtresse : résultat de dixans de travail et d’innombrables rechercheseffectuées dans son exil londonien, c’est untexte de grande ampleur où se fondent réel etfiction. Couvrant la période allant des années1940 à nos jours, il intègre de nombreux per-sonnages réels, tels que Halide Edip (alorsenseignante à l’Université d’‹stanbul ), Nâz›mHikmet, fiefik Hüsnü ou Yunus Nadi... Ceroman se veut l’équivalent turc du romand’Aragon, Les Communistes, et trouve sa placedans le phénomène de réévaluation de la cul-ture politique clandestine en Turquie. En réa-lité, toute une frange de l’intelligentsia turquepeut à raison se présenter comme l’orphelined’une grande idée : le débat sur cette gauche n’ajamais pu avoir lieu.

    La même période voit d’ailleurs se dessinerun regard de plus en plus critique sur Nâz›mHikmet. La biographie en anglais (RomanticCommunist, 1999) que viennent de lui consacrerSaime Göksu et Edward Timms en est sansdoute le meilleur exemple ; la vie politiquede gauche et les accointances culturelles des“ socialistes turcs ” (un terme générique pourtoute la gauche active) sont mises en perspec-tive : on a surtout l’impression qu’une purgeétait devenue nécessaire car la figure intou-chable, largement idéalisée de Hikmet s’étaitfigée. Ce n’est sans doute pas un hasard si lasuperposition entre convictions communisteset l’admiration pour Nâz›m Hikmet semble sou-vent totale : sans être un idéologue, et parce quele Parti communiste turc fut si longtemps clan-destin, c’est le poète engagé, puis établi au cœurdu système communiste mais en conservanttoutes ses facultés critiques, qui incarne plusque tout autre cette forme de communisme à laturque. Il représente aussi – le thème est répété

    par de nombreux intellectuels – la jeunesse, lefol espoir d’une partie importante des créateurs,écrivains, peintres ou cinéastes. Une secondefigure (là aussi en voie de réhabilitation), dontl’image reste connotée, est celle de Y›lmazGüney qui représentera presque la même chosepour les années 70 et 80.

    Au point que l’essayiste Ali Akay y déchiffrecette tendance plus large à se procurer destémoignages sur la “ guerre froide ” qui s’estprolongée jusqu’au milieu des années 1980,constituant une sorte de marque de fabrique dupays :

    “ De Peyami Safa à Necip Faz›l, de Nâz›mHikmet à Mîna Urgan et Vedat Türkali, qu’ils’agisse de littérature ou de souvenirs littérairesforgés à partir du passé des gauchistes ou desconservateurs, le fait remarquable reste l’exis-tence de ces livres que recherche le lecteur et son

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    désir de les lire au point que, dans une sociétémajoritairement dévote, des ouvrages évoquantl’expérience de gauche de Vedat Türkali ou deMîna Urgan prennent place parmi les best-sellers. Et ce phénomène présente ainsi de gran-des similitudes avec le développement sociolo-gique de la Turquie. “

    (E Dergisi n°10, p. 43)

    Il faudrait encore mentionner les titressuivants qui cherchent à retracer l’expériencecommuniste : EskiTüfeklerinSonbahar› (Gendafl)de Emin Karaca, par ailleurs l’auteur de quatrelivres sur Nâz›m Hikmet depuis 1992 ; il donneici un recueil d’interviews de 10 célèbres com-munistes turcs (dont R. N. ‹leri et V. Türkali).La recherche de Hamit Erdem sur le dirigeant

    du TKP assassiné en 1919 : Bir Hayat Bir Ölüm.Mustafa Suphi. (Sel Yay.) Mais aussi lesmémoires de Mihri Belli (1915-) : deux volumeschez Do¤an Kitap qui racontent la traversée dusiècle d’un homme ayant été membre du Particommuniste américain, a combattu en Grèce àla fin des années 40, a fondé le Parti du Travailen Turquie, connu la prison puis l’exil enSuède après 1980...

    Etudes ou fictions, les textes où s’exprime lebesoin de présenter un bilan historique et socio-logique permettent de dire, tant d’années plustard, la validité d’un choix politique radical. Etce au moment où toutes les idéologies – particu-lièrement celles des années 1960 à 80 – sontdévaluées.

    Musée des fractions de gauche d’avant-80 :

    Bulle 1 : “ L’IGD (Jeunesse révolutionnaire islamique),c’est quel étage, siouplaît ? ”

    Bulle 2 : “ Au deuxième. Dans la même salle que le PC turc... ”

  • La littérature turque à l’aube du millénaire : 1999 - 2000

    De grands témoins intellectuels du siècle

    Le premier à s’engager dans cette voie avaitété Memet Fuat : Gölgede Kalan Y›llar (AdamYay., 1997) où il s’attachait surtout à retracer lavie de sa mère, Piraye, de ses relations avecNâz›m Hikmet et de sa propre enfance etjeunesse, c’est-à-dire les années 1930 et 1940.Mais on assiste désormais à une floraison detextes de souvenirs : le critique littéraire FethiNaci (Dönüp Bakt›¤›mda chez Adam Yay.),Fakir Baykurt qui publie le troisième volume deson autobiographie, Memet Fuat qui poursuit ets’attache à ses souvenirs de spectateur sportif :Tribünden Palavra An›lar› (Adam Yay., 1999).

    Pourtant c’est une universitaire, Mîna Urganqui crée l’événement en 1998 avec BirDinozorun An›lar› (Yap› Kredi Yay.) ; sur lademande instante de ses lecteurs, elle publieune séquelle en novembre 1999 : Bir DinozorunGezileri.

    “ S’il fallait l’énoncer clairement et con-sidérant que je suis turque, je n’ai au départaucune joie de vivre ni de goût particulierpour la Nature. Vous trouverez peut-êtrecela étrange mais ma joie de vivre estapparue aux alentours de mes vingt ans,lorsque je me suis engagée à gauche et quej’ai dû reléguer ma personnalité à l’arrière-plan. Même si ma propre vie comportait descatastrophes véritables, de la misère, j’aiconsidéré qu’il était honteux de bouder pourde banales questions d’amour propre. En cequi concerne les catastrophes dont j’ai étépersonnellement victime (j’en retiens deux),j’ai trouvé malvenu, d’un point de vuemoral, de les exposer et d’inquiéter monentourage. Quant à mon amour de laNature, en raison des exigences de monmétier (M. Urgan enseignait la littératureanglaise, N.d.T.), il m’a fallu lire les poètesromantiques anglais qui étaient fous deNature. Car il existe un gouffre entre voir etregarder. Contempler bêtement la beauté dela Nature, c’est une chose, voir véritable-ment cette beauté en est une autre. C’est ceque les poètes anglais m’ont appris : ne passimplement regarder mais voir la Nature. ”

    (Extrait de Bir Dinozorun Gezileri, 1999)

    Les mémoires ne sont pas l’autobiographie :elles n’en constituent qu’une premièreapproche, la trame sur laquelle la déconstruc-tion du moi peut-être jouée. Ainsi la questionde l’élaboration autobiographique indique l’undes sérieux handicaps de la production, lefaible développement en Turquie de la veineautobiographique, introspective (dont on nousa souvent dit qu’elle fut inspirée, en Occident,par une longue habitude de l’examen de con-science). Souvent marquée par l’anecdote – etmême la “ chaîne ” d’anecdotes – elle ne ressem-ble en rien aux grandes autobiographies paruesdepuis le XVIIIe siècle. D’ailleurs doit-on voirl’ancêtre du genre dans les Confessions de Jean-Jacques Rousseau ou remonter jusqu’à SaintAugustin ? On aurait bien du mal à établir une

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    filiation aussi prestigieuse dans le domaine turcmême si certains textes ottomans (tout aumoins des passages) restent empreints d’unsubjectivisme assez poussé. Pour les débuts dela période républicaine, on dispose d’asseznombreuses mémoires (par exemple celles deHalit Ziya Uflakl›gil ou de Halide Edip, vraisclassiques du genre) mais où l’on perçoit uneréticence à se dire : la franchise, même feinte àla manière d’André Gide, reste pour ces auteursdes débuts de la modernité littéraire difficile àconceptualiser. En tous cas, la parution en 1998puis 1999 de plusieurs grandes fresques auto-biographiques, rédigées par des témoins majeursde la vie culturelle (d’ailleurs dans le cadre plusprécisemment littéraire) constitue l’indice d’undéveloppement du genre ainsi qu’une présen-tation du bilan du siècle écoulé : l’entrée dusiècle dans l’Histoire. C’est en même temps leplus éclatant témoignage de l’inévitablerecherche d’identité des intellectuels turcs.

    On peut se poser la question du succèsphénoménal des deux livres successifs de MînaUrgan. Outre la question du “ déballage ” desopinions – rappelons que l’affirmation de soncommunisme a déclenché une longue série deréactions et sûrement rallié de nombreuxlecteurs –, les raisons en restent obscures. Elle-même s’en est étonnée et amusée à plusieursreprises ; mais le ton libre forgé par de nom-breuses années de résistance intellectuelle, deréflexion, de fréquentation aussi des grandstextes (essentiellement anglo-saxons) toutcomme de personnages engagés dans l’histoireet la politique contemporains constituent lameilleure explication de la formation de MînaUrgan. Oui, cette femme de tête, esprit fort etennemie de la pensée unique, incarne à elleseule plusieurs traditions de l’insoumissionalla turca et honore un monde universitairesouvent décrié.

    La mosaïque culturelle

    La question pourrait s’incarner en troisauteurs qui se disputent les faveurs du public :un romancier turc d’origine kurde, YaflarKemal, un Arménien de Diyarbak›r, M›g›rd›çMargosyan dont le troisième recueil de nou-velles-mémoires (Nous avons pris notre billetpour ‹stanbul, 1998) a rapidement fait l’objet deplusieurs tirages et le nouvelliste MurathanMungan, jeune phénomène de l’édition qui nese prive pas de revendiquer ses racines arabo-kurdes et de chanter la noblesse de la villepaternelle, Mardin, située aux confins syriensde l’Anatolie du sud.

    Impensable il y a encore une dizaine d’an-nées, cette affirmation des composantes multi-culturelles de l’État turc prend une ampleurdécisive chez les créateurs. Est-ce à dire quel’Empire se reforme ou que la République sedissout ? Le particularisme, le régionalismeaura été depuis longtemps (disons même dèsles débuts de la République) à l’honneur chezles écrivains : les romanciers “ villageois ” desannées 50 et 60 se réclamaient avec précisiond’un terroir, recourant au dialecte dans leursdialogues ; plus d’un poète aura choisi de con-sacrer l’ensemble d’un recueil à sa région ou àsa ville natale mais dans presque tous les cass’efforçait de donner un tableau “ turc ana-tolien ”, homogène, de l’ensemble du groupesocial concerné. Les groupes minoritaires (aux-quels il faut ajouter les Turcs “ de l’extérieur ”),à la manière de la tradition du Karagöz, étaientreprésentés par des types, voire des stéréotypes :le Grec, l’Albanais, le rapatrié des Balkans, leKurde,...

    Désormais il n’est plus question de cela :chacun cherche à dire ce qui était resté dudomaine privé, familial, ce que chacun ne pou-vait ignorer (on n’en faisait pas non plus secret)et qui d’ailleurs ne semblait pas poser prob-lème : la composante minoritaire dans l’histoirede certains citoyens, la richesse que celle-cipeut apporter et en arrière-plan, la redéfinition– culturelle, mais quand même ! – de l’apparte-nance nationale. Reste qu’il s’agit là du point leplus litigieux qui oppose l’État et les différentesvoix qui peu à peu s’élèvent. Mais si la Turquieest l’héritière d’une entité pluri-ethnique etreligieuse (L’Empire ottoman), il faut bienadmettre que le paysage s’est recomposé selonles aléas de l’Histoire récente : les Grecs, les

    A lire :

    On rappelera l’existence de trois titres dePhilippe Lejeune : L’Autobiographie en France(1971), Le Pacte autobiographique (1975) et Je estun autre (1980). Du même, traduit en turc : “ Öz-yaflamöyküsünde Yenilik Yap›labilir mi ? ”,Kitapl›k Say› : 37, Yaz 1999.

    A. Lapidot-Firilla : “ The Memoirs of Halide Edip.The Public Persona and the Personal Narrative ”,New Perspectives on Turkey n° 21, Autumn 1999.

  • La littérature turque à l’aube du millénaire : 1999 - 2000

    Arméniens et les Juifs représentent désormaisdes groupes très modestes alors que troisgroupes non anatoliens dominent : les Kurdes,la nébuleuse des Turcs de l’extérieur et des“ rapatriés ” (Muhacir) des Balkans (deMacédoine, d’Albanie, de Grèce, de Bulgarie)et, pour finir, l’important groupe caucasiencomposé en majorité de Tcherkesses et deGéorgiens musulmans. Ces derniers, longtemps“ négligés ” en raison d’une forte intégration,font parler d’eux depuis le début des années1990 ; il ne faut pas oublier que leur vie com-munautaire et leur conscience identitaire sontlargement développées.

    Où situer l’engouement pour cette réflexion ?C’est un phénomène dont l’historique reste àfaire, qui semble avoir quelque chose à voiravec la prolifération des radios libres apparuespendant la période d’exercice du PremierMinistre Özal, mais aussi (pour ce qui est de sathéorisation) avec la traduction de textesétrangers ayant connu un impact certain enOccident : par exemple l’essai de sociologiepolitique de Charles Taylor, Multiculturalisme,axé sur la “ tyrannie des minorités ” et lesenjeux d’un véritable multiculturalisme démo-cratique dans l’Amérique des quinze dernièresannées, et qui est paru en 1994 aux EditionsYap›-Kredi. L’un des meilleurs baromètres decette évolution est l’apparition, depuisquelques années, du rayon proclamé “ Etnik ”qui recouvre – à la fois traductions et textesoriginaux – les études sur les millet ottomans(nations minoritaires) ou sur les groupes enpleine émergence comme les Alévis, des étudesthéoriques sur l’expérience multiculturaliste(aux Etats-Unis ou en Europe) mais aussi con-cernant l’ensemble de l’histoire kurde ouencore les questions relatives aux Droits del’Homme. Cette ethnicité à laquelle faitréférence un pur néologisme regroupe enréalité l’ensemble des questions encore malabordées et dont beaucoup conservent un goûtde souffre... À l’image d’une certaine confusiondans le débat comme dans les idées mais où sefait jour le point suivant : les publicationsdélaissent le ton strictement militant afin de seconcentrer sur les aspects historiques ou socio-logiques des communautés. Sans doute dansle but d’établir une base de dialogue, une énon-ciation objective des faits tenant lieu de recon-naissance... Si l’on doit rappeler que la plupart

    des grandes maisons d’éditions ont apporté leurcontribution à cette prise de conscience (Can,Metis, Bilgi ou Yap›-Kredi), la littérature s’inscritsurtout chez un éditeur qui a bâti un véritableprojet culturel, les éditions Belge. A traversplusieurs collections, dont la série MareNostrum où se côtoient romanciers grecs,kurdes, arméniens ou égyptiens, la maisonBelge a payé cher son aspiration à une commu-nauté de l’esprit : emprisonnement des proprié-taires, très lourdes amendes, brimades diversesavant de connaître une fragile reconnaissance.Entreprise la plus conséquente à ce jour pourbattre les préjugés en brèche, les éditions Belgerestent néanmoins tributaires du marché ; nepossédant ni les moyens d’attirer les plusgrands auteurs, ni l’image éditoriale des pres-tigieuses Can, Yap›-Kredi ou ‹letiflim, leuraction reste limitée mais ne manque pas depanache, renouant avec l’esprit des éditionsMaspéro au milieu des années 1960. Pourtant,après un vrai travail de découvreur, les éditionsBelge semblent maintenant reléguées à l’arrière-garde tandis que d’autres tirent les bénéfices decette effervescence multiculturelle...

    Ainsi, c’est beaucoup plus du côté des lit-tératures en voie d’émergence qu’il fautregarder : l’état de la littérature kurde (et sonrapport à la littérature dominante, la turque)devrait nous intéresser en priorité, les autreslangues encore pratiquées (judéo-espagnol,arménien ou tcherkesse) n’offrant pas la mêmedynamique ; c’est essentiellement le kurmandji(principal dialecte kurde parlé en Turquie) quipeut être considéré comme la seconde langued’expression. Si l’usage de la langue parlée a étéautorisée en 1991, l’écrit reste illégal bien quede nombreuses voix non-kurdes se soientrégulièrement élevées en faveur d’un enseigne-ment fourni dans cette langue. Dans cet espacelinguistique où se publie beaucoup de poésie etd’essais, des recueils de nouvelles, mais bienpeu de romans, c’est en fait à un jeune auteurde l’émigration, Mehmet Uzun, installé depuis1977 en Suède, que revient le titre d’avoir per-mis l’entrée dans la modernité : en six romans,de Tu (Toi,1985) à Ronî, mîna evînê-Tarî, mînamirinê (Passion de la lumière, Obscuritémortelle, 1998, paru en turc à ‹stanbul en mars2000) il refait le chemin de la langue et de l’his-toire kurdes du XXe. Le texte récemment publiéen français – La poursuite de l’ombre – brosse

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    le portrait tragique d’un intellectuel kurde exilé(en Syrie et au Liban) jusqu’à son décès àDamas, au milieu des années 1970. Deux motifstraversent ce texte politique et métaphysique àla fois : une réflexion plutôt pessimiste surl’échec des grandes révoltes kurdes du siècle et,au niveau individuel, l’impossibilité d’unamour fou né dans le cadre d’une communautéspirituelle que forme la nouvelle société cos-mopolite des émigrés kurdes, arméniens ettcherkesses en terre arabe. Tout en se concen-trant sur le personnage de Memduh Selim, l’au-teur parvient à imposer le portrait de toute unerégion, par touches assez légères...

    Par ailleurs, c’est dans un excellent recueild’essais (Les fleurs du grenadier, 1995) qu’ilchoisit d’entrer en dialogue avec la cultureturque et de proposer avec compassion etsincérité une communication entre deux blocsjuxtaposés mais qui – tout au moins officielle-ment – s’ignorent. Son rôle ne s’arrête pas là : il

    est à l’origine de la première grande anthologiede littérature kurde, Antolojiya Edebiyata Kurdî,deux volumes publiés à ‹stanbul récemment, en1995. Ce qui n’a pas manqué de valoir quelquesdémêlés à son éditeur, Tümzamanlar Yay›nlar› !Dans le même ordre d’idée, Mehmet Uzunromancier vient de voir plusieurs de ses livresinterdits en mars 2000. Dernier sursaut d’unecensure qui n’abuse plus personne ou avertisse-ment envers un auteur qui n’a pas renoncé àson franc parler, en particulier lors de sesséances de signature à Diyarbak›r ? Cettedernière ville redevient un centre culturelde première importance, s’appuyant sur leséditions Avesta qui remplissent un très impor-tant rôle de diffuseur – et dont on a pu remar-quer qu’elles publiaient en kurde les nouvellesde M. Margosyan (Li Ba Me Li Wan Deran,1999), lui-même originaire de Diyarbak›r. Onvoit apparaître des textes assez divers : essaiscomme Eski ‹stanbul Kürtleri de Rohat Alakom,qui offre la particularité de venir du “ fond ” desouvrages publiés dans les années 80 àStockholm et reparaissant maintenant, sousune présentation plus attrayante, à ‹stanbul...On notera aussi le jeune romancier, MuhsinK›z›lkaya, qui vient de publier Kay›p Diwân (éd.‹letiflim).

    Un autre revirement notable concerne l’ap-parition de textes traduits du géorgien et de l’ar-ménien. Le grand nombre de Géorgiens musul-mans présents en Turquie (alors que lamajorité, sur le territoire national de Géorgie, estchrétienne) explique cette flambée d’intérêt ;avant tout dans les revues communautairescomme Çveneburi, mais aussi dans KafkasYaz›lar› ou, de manière éparse, dans ÜçüncüÖyküler (le n° 5 de cette revue d’Izmit présenteun texte de Nikolo Mitzisvili). En réalité lestextes proposés sont souvent des poèmes.D’autre part, trois petites maisons d’édition(Ceylan, Sinatle et Ark) proposent des textespolitiques, ethnographiques ou encore lesentretiens de D. Eribon avec Georges Dumézil.

    * On pourra lire un dossier sur cette littérature, lestraductions, etc. dans E Dergisi n° 6 de septembre1999.

  • La littérature turque à l’aube du millénaire : 1999 - 2000

    La littérature arménienne elle (de Turquieou de République d’Arménie) s’est concentréeautour d’une maison d’édition et d’un maga-zine. Les éditions Aras (‹stanbul) se sont spé-cialisées dans le récit et le recueil de mémoiresarméniens. Outre les recueils de nouvelles deMargosyan déjà mentionnés, la maison d’édi-tion republie des classiques arméniens du XXesiècle oubliés entre les pages de publicationsmarginales et leur offre la possibilité d’un pluslarge public : Hagop Mintzuri ou Kirkor Ceyhanpar exemple. Les mêmes éditions publient con-jointement la version originale des textes ; toutcela s’inscrit dans une perspective plus large deredécouverte des élites arméniennes... Onnotera encore l’apparition d’un jeune auteurd’expression turque, Kevork Kirkoryan, chez ungrand éditeur généraliste, ‹nk›lâp Kitabevi, avecun recueil de nouvelles : Kev’gir Öyküler (2000).

    L’hebdomadaire Agos qui paraît depuisquatre ans en turc (avec un encart de 4 pages enarménien) consacre au moins une page à la cul-ture et ne manque pas de revendiquer sesgrands intellectuels du passé ottoman ! Il arriveaussi – phénomène rarement vu dans la presselittéraire – qu’un dossier soit consacré à cettelittérature : par exemple dans Üçüncü Öykülern° 4 (Bahar 99) où à côté d’études sur OrhanKemal et de la production des jeunes nouvel-listes turcs on trouve une introduction et troisauteurs (dont le plus récent Yervant Gobelyanvit à ‹stanbul). On peut noter que les nouvellesde l’arméno-américain William Saroyan sontreparues chez Türkiye ‹fl Bankas› Yay. Tout celadans un souci – concerté ou pas – de rendreaccessible des “ paroles confisquées ”.

    “ La revue hebdomadaire (turc-arménien) AGOS ne se contente pas de per-mettre l’expression des voix arméniennesd’aujourd’hui mais indique aussi unedemande d’écoute de la part des milieuxintellectuels turcs. Une priorité serait lacréation au niveau universitaire d’un coursde Langue et Littérature arméniennes. Unetelle structure ne permettrait pas seulementde répondre au besoin de former desprofesseurs de qualité pour les écolesminoritaires, elle ouvrirait aussi la voie à devéritables relations culturelles et de commu-nication entre l’Arménie et la Turquie. En

    dehors de telles mesures incitatives, la tra-duction des œuvres les plus représentativesde de la langue et la littérature arméniennesne seront qu’un premier pas ; on peut imagi-ner la mise en place d’une grande archivequi regrouperait tous les aspects de la vieculturelle arménienne. ”

    (Karin Karakafll› : “ Regard sur lalittérature arménienne ”. Revue :

    Üçüncü Öyküler n° 4, 1999 (‹zmit))

    Un difficile rapport entre les arts

    C’est l’ouverture de la Biennale d’‹stanbulqui a permis de cristalliser les aspirationscomme le désarroi lié à l’établissement d’unmarché de l’art moderne en Turquie. Du côté desa réception et de sa diffusion, deux problèmessemblent dominer : un désintérêt encore trèsfréquent du public, mais aussi des intellectuels.Le directeur de TÜYAP, Deniz Kavukçuo¤lu,s’est exprimé plusieurs fois à l’automne sur cethème :

    “ La raison pour laquelle nos intellectuels nemontrent guère d’intérêt pour les arts plastiques,c’est l’absence d’un lien fort entre eux et la pein-ture. La même réflexion est valable pour leséquipes de rédaction des journaux. Ils vont plusvolontiers au théâtre ou au cinéma, lisent deslivres mais n’ont pas développé l’habitude devisiter des galeries d’art. ”

    (Cumhuriyet)

    Ce qui pourrait sans doute expliquer le videde la critique d’art en Turquie. Relevé àplusieurs reprises par Mehmet Ergüven (à quil’on a décerné cette année le Prix Sezer Tansu¤),sujet de polémique pour Necmi Ersöz, cemalaise repose sur plusieurs absences : l’en-seignement encore très traditionnel de l’histoirede l’art, la faiblesse du regard critique(longtemps perceptible en matière de critiquelittéraire) et l’enracinement culturel faible duregard sur la peinture et la sculpture. Pourtant,le nombre de lieux consacré à l’art, aux “ événe-ments ” dans un sens plus large que la tradi-tionnelle exposition de peinture, ne cesse d’aug-menter, à Ankara comme à ‹stanbul. 1999 auravu, par exemple, l’ouverture d’une nouvelle

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    galerie au choix très exigeant, la GalerieBorusan, et la réorganisation de la galerie Yap›Kredi. La question d’un grand musée d’Artmoderne reste par contre toujours posée...

    Parmi les signes encourageants de réflexion,on notera que le sociologue Ali Akay, égale-ment œil averti et curateur de nombreusesexpositions novatrices à ‹stanbul ces dernièresannées, publie un intéressant essai : Sanat›nSosyolojik Gözü (Ba¤lam). Du côté des écri-vains, Enis Batur et son goût pour la peinture etla musique se confirment ; son Bir(‹ki) SergiÖncesinden Tablolar (Sel Yay.) analyse le tra-vail du peintre Fatma Tülin. Il est avec FeritEdgü l’un des seuls auteurs à mener en perma-nence une réflexion sur les arts plastiques. Toutcela est encore très récent et ne fait que con-firmer une réalité : les arts plastiques à l’occi-dentale existent en Turquie mais le goût dupublic en général, comme de nombreux intel-lectuels, n’y a pas encore matière à intérêt. Parailleurs, à travers des expositions comme lamanifestation Turquoise 2000 (Paris, avril2000), la création actuelle turque cherche àgagner une visibilité à l’étranger...

    La tyrannie des modes

    L’un des motifs les plus évidents de la vieculturelle, c’est l’exploration des strates del’histoire de la Turquie. Dans l’ordre, deux péri-odes ont été particulièrement à l’honneur : toutd’abord les commémorations de l’héritagebyzantin et les publications dont une des plusintéressantes est le n°17 de la revue Cogito (avecune section du dossier : “ Les Turcs vus parByzance, Byzance vue par les Ottomans ”).Ensuite l’Empire ottoman : le bilan historique etlittéraire se poursuit et l’on remarquera les deuxvolumes de l’anthologie Yap›-Kredi ; le second,dirigé par M. Kalpakl› propose pour la premièrefois un florilège de la critique consacrée à lapoésie du Divan. Ce qui permet l’émergence dequelques jeunes spécialistes de plus en plussouvent sollicités : I. Pala, E. Ero¤lu, etc., alorsqu’il y a encore quelques années ils auraient étécantonnés dans un classicisme universitaire.

  • La littérature turque à l’aube du millénaire : 1999 - 2000

    Que dire de ces deux ensembles commé-moratifs ? Ce qui semble être un surgissementdans une vie culturelle peu axée sur le passéétait en réalité préparé depuis longtemps par lesrecherches historiques, l’ouverture des archivesottomanes ayant dû jouer un rôle non négli-geable dans ce processus. Les revues d’histoiresociale, plusieurs revues d’antiquités, le goûtretrouvé pour les objets anciens et son corol-laire, les ventes aux enchères, ont égalementjoué un rôle important. On remarqueraplusieurs traductions en 1999 de turcologuesfrançais dont le volume collectif dirigé parRobert Mantran, Osmanl› ‹mparatorlu¤u Tarihi(Adam Yay., 2 vol.), Altay Türklerinde Ölüm(Kabalc›) de Jean-Paul Roux, ainsi que Kahve-haneler Kitab› (Yap› Kredi Yay.) de FrançoisGeorgeon.

    La France, elle, accueille des expositionscomme celle organisée à Versailles dans l’été1999, mais aussi de plus en plus souvent decéramiques, de tapis ou de miniaturesottomanes. Un déploiement du monde ottomanqui se remarque aussi dans le domaine des tra-ductions : la plus notable est celle d’un choixde textes d’Evliya Çelebi malheureusementuniquement consacré aux batailles, La Guerredes Turcs (Sindbad/Actes Sud), confirmant unaller-retour de plus en plus régulier entre lesdeux cultures.

    La poésie

    Le corpus de la poésie turque contempo-raine cherche à se fixer à travers une “ guerre ”des anthologies : les deux volumes compiléspar Memet Fuat (Adam Yay.) font face aux cinqvolumes du choix de Refik Durbafl (Soyut Yay.) ;par ailleurs plusieurs CD-Rom ont fait leurapparition : Poésie moderne (1998) ou Poésieottomane (Yap›-Kredi) (1999).

    Dans la production elle-même, on assiste àd’importantes rééditions de classiques moder-nes : Oktay Rifat (2 volumes déjà parus), F.H.Da¤larca et ‹lhan Berk. D’autres encore, moinsconnus mais dont l’œuvre s’épanouit depuisune quarantaine d’années : Ülkü Tamer, SüreyaBerfe, etc. Les revues restent actives et nom-breuses : Lundingirra, Adam Sanat, HayaletGemi, etc. tandis que la poésie en traductionreste particulièrement bien représentée : chez‹yi fieyler et Öteki Yay. en particulier. Il faut

    aussi noter la parution du volume 7 de fiiirAtlas›, anthologie permanente de la poésiemondiale telle que Cevat Çapan la présentetoutes les semaines dans Cumhuriyet Kitap.

    Un aspect inquiétant du débat poétique estla raréfaction des ouvrages de critique (ou debiographie et critique) concernant des poètes.Outre les rééditions d’articles anciens deMemet Fuat et de Mehmet H. Do¤an, de troprares textes émergent : l’essai général de MetinCelâl, Yeni Türk fiiiri (Çizgi Yay.), une étudesensible de Selim Ileri en hommage à BehçetNecatigil (Kâf Yay.), l’ouvrage d’Ahmet Soysalconsacré à Faz›l Hüsnü Da¤larca : Arzu veVarl›k - Da¤larca’ya Bak›fllar (Yap› Kredi Yay.)et pour finir l’essai du jeune poète Veysel Çolak :Yabanc›laflma ve Öteki fiiir (Gendafl Yay.).

    La prose continue de chercher ses marques

    Qui sont les jeunes romanciers ? Peut-ondégager une tendance générale ? Non, il n’y aque des voix, multiples et très diverses commecelles de Hasan Ali Toptafl, de Asl› Erdo¤an oude Celâl Hafifbilek. La seule remarque que l’onpourrait avancer est la suivante : les thèmesdominent en ce moment l’aspiration à unrenouvellement formel ou à une virtuosité tech-nique telle que la génération précédente l’affec-tionnait. Nous ne prendrons ici que quelquescas, disons les auteurs ayant connu un succèsimmédiat : Hasan Ali Toptafl n’est pas un débu-tant, il publie chez Adam son quatrième roman,Kay›p Hayaller Kitab›. On note chez lui unremarquable intérêt pour le style, une phrasecomplexe qui parvient à restituer le cha-toiement de la vie. De ses romans se dégage uneintense mélancolie qui semble remodeler laréalité et en même temps rejoint une approchede la vie assez caractéristique des prosateursturcs de A.H. Tanp›nar à Füruzan. On l’arécemment comparé à Kafka, ce qui, malgréd’indéniables qualités, paraît néanmoins unpeu loin du compte...

    Kaan Arslano¤lu, lui, publie ‹ntihar (AdamYay.) : cet auteur déjà connu comme essayiste avoulu brosser le portrait d’un “ héros de notretemps ”. Il introduit dans son roman une largepalette des aspects supposés aliénants del’époque : le stress généralisé, l’obsession dutemps compté, la part trop grande dévolue autravail ainsi que la place de plus en plus impor-tante du sport dans la société. Pourtant, plus

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    qu’un regard sociologique, c’est une approchepsychologique que privilégie Arslano¤lu.

    Hakan fienocak est un jeune nouvellisted’Ankara apparu à la fin des années 1980. Naj(Can Yay.) est son premier roman que l’auteurlui-même définit comme antiréaliste (karfl›ger-çekçi) : à la fois roman contemporain et fable, lerécit raconte un grand amour contrarié et con-naissant un dénouement tragique. Ce texte quitravaille contre un réalisme trop prégnantsemble plonger aux racines du conte populaire,avec succès.

    Halil Gökhan, traducteur de littératurefrançaise, poète déjà lauréat de plusieurs prix,donne aussi un premier roman : Yedinci(Gendafl Yay.). Au début du roman, septcinéastes de différents pays méditerranéensse retrouvent dans un festival du Film noir ;ils sont incarcérés mais seule Alev ‹pek, laTurque, risque de ne pas être libérée... le récits’enchaîne ensuite comme une série denouvelles où s’impose un regard ironique surl’état pitoyable de la littérature, concurrencéepar le cinéma ( qualifié de “ littérature de l’èretechnologique ”). On y trouve aussi la critiqued’une création littéraire qui s’est peu à peucoupée du monde extérieur et fonctionne sur defausses valeurs.

    Quant à Hikmet Temel Akarsu, il donneavec Medya /Rock’n Roman 4 (‹nk›lâp Kitabevi))le dernier volume d’un “ Quartet d’‹stanbul ”qui met en scène la jeunesse contemporaine dela ville, avec ses bandes, son goût du rock,ses sociétés satanistes et aussi les groupesd’étrangers (anglo-saxons et autres) perpétuantun goût de société coloniale au sein de la villeturque.

    On pourrait en dernier lieu mentionnerun certain reflux des textes d’écrivaines : levolume reste stable mais pas d’augmentationnette.

    Alamanc›

    En ce qui concerne la littérature de langueturque de l’extérieur, la problématique semblepeu évoluer depuis cinq ans : les romanciersturcs d’Allemagne de la génération des années1960 et 70 continuent de chercher une légiti-mité en Turquie, comme si la publication enAllemagne n’avait été qu’un tremplin pouraccéder au monde littéraire d’‹stanbul. Ainsi,

    Yüksel Pazarkaya, Habib Bektafl et Güney Dalpublient-ils tous un livre cette année, recueil-lant un écho souvent très mitigé.

    À l’exception de Akif Pirinçci (auteur de lasérie des Felidae, policiers “ félins ” à l’œuvredans une Allemagne un peu déjantée) publié àgrand renfort de publicité par Güncel Yay., lesjeunes auteurs les plus talentueux – et parfoismalgré le succès connu en Allemagne – restentignorés. Après le second roman de Emine SevgiÖzdamar paru en 1998 (Die Brücke desGoldenen Horns) et récompensé par le prixAdalbert von Chamisso 1999, l’événement futquand même le quatrième et dernier volume duquartet de Zafer fienocak : Der Erottomane, paruen octobre 1999 chez Babel Verlag (Munich).En réalité c’est l’ensemble des auteurs d’origineturque et vivant en Europe qui semblent privésd’image lors de leur apparition sur le marchéturc : pourtant des développements récents ontamené au devant de la scène des auteurs decette catégorie en Allemagne, aux Pays-Basmais aussi en Grande-Bretagne... C’est proba-blement leur choix d’une expression littérairedans une autre langue que le turc qui lespénalise – même si cela semble paradoxalquand on sait l’intérêt pour les autres littéra-tures en Turquie.

    Une infrastructure culturelle en refonte

    L’édition et les revues bouillonnent, les prixlittéraires se multiplient jusqu’à friser l’absur-dité, le Salon du Livre d’‹stanbul gagne chaqueannée en importance, bref l’activité littéraire esttout sauf morne... L’élément le plus frappantreste le rapport toujours difficile entre ‹stanbulet le reste du pays : il existe, qu’on le veuille ounon, un centre et des périphéries, Ankara, ‹zmiret Bursa faisant figure de satellites ; les villes deplus faible importance comme Erzurum ouTrabzon continuent d’être caractérisées par unprovincialisme pesant. Parallèlement, diversesenquêtes (comme celle de E Dergisi) sur lesventes des librairies de province indiquent unassez clair découpage idéologique du territoire(accompagné de fortes demandes pour lestextes en sciences humaines et la production“ ethnique ”) de même qu’une refonte de lagrande librairie de province qui met l’ensemblede la production à la portée du lecteur auxquatre coins du pays. Mais une unité continue

  • La littérature turque à l’aube du millénaire : 1999 - 2000

    d’exister puisque le titre cité comme vente n°1par tous les libraires consultés en 1999 estBenim Ad›m K›rm›z› de Orhan Pamuk !

    L’édition turque (en littérature particulière-ment) reste très largement concentrée à ‹stan-bul : comme on peut le constater en notant lesprincipaux succès littéraires, les maisons domi-nantes sont Can, Yap›-Kredi et Remzi (qui achoisi de se rénover en 1999 : un nouveaurecrutement d’auteurs comme une refonte descouvertures et de la publicité). Suivies de prèspar ‹letiflim, Metis, Adam et Ayr›nt› (tousgenres confondus, roman comme poésie). Unepléïade d’autres maisons cherchent leur voie :Kabalc›, Öteki, etc. Des maisons minusculesparviennent, le temps d’un titre ou deux,parfois plus, à faire entendre leur voix : OmYay. par exemple. Pour les sciences humaines,la situation est différente mais on doit citerBa¤lam Yay. et Dost Yay. (Ankara). Belge (unéditeur resté fameux pour ses prises de positionen matière de multiculturalisme et “ d’histoireparallèle ”) est situé au confluent de plusieursgenres : littérature et histoire sociale...Certaines maisons, peu soucieuses de leurprésentation, semblent en chute libre : parexemple Afa ou Cem.

    On a assisté à une reprise en main deséditions Türkiye ‹fl Bankas› Kültür Yay. : sansdoute stimulé par le succès des éditions Yap›Kredi, cet éditeur à l’histoire déjà ancienne (nédans les années 1960) périclitait un peu depuisle début des années 1980. On a choisi d’yrééditer deux romans introuvables, SalonKöflelerinde (1910) de Safveti Ziya et Halâs(1929) de Mehmet Rauf. Le premier se situedans les milieux de la haute bourgeoisie de Pératandis que le second est un de ces romans de laGuerre d’Indépendance qui composent ungenre assez important des toutes premièresannées de la République. L’action se situe – etlà aussi est l’intérêt – à ‹zmir.

    D’autres titres, des essais, sont venus àl’automne compléter ce premier catalogue (V.Günyol, S. Eyübo¤lu, M.C. Anday, etc.) maisaussi des traductions intéressantes. La qualitéde la présentation – qui est devenue uneconstante de la production des maisons d’édi-tion privées depuis le milieu des années 90 –,du papier se retrouve aussi dans les très beauxlivres d’art de la même maison.

    On mentionnera pour finir deux éditeurs eneffet classiques dans le paysage littéraire et quiont subi une refonte assez complète : les édi-tions Milliyet et les éditions ‹nk›lâp. D’autrepart, de jeunes loups de l’édition sont apparus :les éditions Gendafl (encore à la recherched’une image) et les éditions Do¤an Kitapç›l›k,qui bénéficient de très puissants moyensfinanciers. Ici, la source de référence de la ligneéditoriale semble être la France mais aussi lesÉtats-Unis et l’on sent l’influence à la fois desagents littéraires et de la Foire de Francfort.Une édition plus en phase avec le marché mon-dial peut en naître, si l’on réussit à contrôlerl’aspect exclusivement commercial. Pourtant,comment expliquer autrement que par la volon-té de réaliser un “ coup éditorial ” la parutionen janvier 2000 des Particules élémentaires(Do¤an Kitap) de Michel Houellebecq ?

    Jeunisme ou tendance ?

    Grand absent du paysage littéraire turc (seulsubsiste le souvenir des épisodes des enquêtesdu privé Mayk Hammer), le roman policier con-naît un essort remarqué en 1999 ; parmi lesderniers développements en date, on noteraque l’éditeur Do¤an Kitap a décidé de lancerune collection Ülkeler ve Polisiye avec unenquêteur israélien.... On retrouve ainsi ce quiavait été dit au début de ce dossier à propos dutexte d’Ahmet Ümit, Patasana et la confirma-tion d’un double phénomène dans le domainedu récit policier : une tendance s’oriente plutôtvers la critique sociale et le portrait crypté desgrandes villes (le roman policier rural reste unedenrée rare) alors que l’autre recouvre l’inscrip-tion dans une époque passée (faisant aussioffice de roman historique) et dans un groupede population particulier ou lointain. Il s’agitdonc de rien moins qu’une mode que l’on voitse répéter pays après pays malgré une réticenceassez forte des pays musulmans : ainsi lemonde arabe a pour l’instant bien résisté àcette déferlante. Il est donc intéressant de noterque la Turquie – jamais en reste d’occidentali-sation – semble être la première à accéder à cetélément essentiel du paysage littéraire contem-porain. Avec le risque d’être un peu plus viteabsorbée dans le paysage éditorial occidental.Le concert des nations a parfois un air d’unifor-mité...

    17

  • 18Timour MUHIDINE

    En 1999 toujours, un prix littéraire est créé(dit “ du café Kaktüs ” (‹stanbul)) et récompensedeux lauréats : Celil Oker pour Ç›plak Ceset etCenk Eden pour Rüzgars›z fiehir (paru chezO¤lak Yay.). Celil Oker a par ailleurs publié unroman situé dans les milieux du football(Kramponlu Ceset) et Birol O¤uz un texte inti-tulé Siyah Beyaz, tous deux chez MaceraperestKitaplar.

    Au-delà de l’essor de l’édition pour enfantsen Turquie (on reste encore loin du dynamismeet de l’inventivité des Anglo-saxons ou desFrançais dans ce domaine), plusieurs “ niches ”du marché de la jeunesse semblent se garnir : àcommencer par la bande dessinée qui n’est passtricto sensu nouvelle en Turquie : elle existesous une forme populaire depuis les années50 mais aussi dans le domaine satirique oùles Leman et autres G›rg›r continuent de sevendre très bien. Cependant, les albums de BDtels qu’on les connaît devaient trouverleur propre circuit, des maisons d’éditioncapable d’assurer une fabrication adéquate (laquadrichromie étant chère) et son public, jeuneet “ branché ”. Après Astérix puis les rééditionsde l’excellent Abdülcanbaz (chez Yap› Kredi),on découvre maintenant deux volumes deCorto Maltese (Dost Yay.), auxquels viennents’ajouter les premières productions de jeunesdessinateurs turcs...

    Il n’est pas indifférent de constater l’arrivéede la matière rationnaliste que représente lascience-fiction dans une culture encore peuaxée sur les sciences : d’ailleurs beaucoup plusque les textes de SF traditionnels (on traduitdepuis dix ans Brian W. Aldiss, Isaac Asimovou Stanislas Lem), c’est le domaine de laFantasy, aux limites du Fantastique, qui ren-contre un intérêt. Ursula K. Le Guin(régulièrement publiée chez Metis) maissurtout l’incontournable J.R.R. Tolkien ; aprèsLe Seigneur des anneaux, on aborde un autrecycle avec Silmarillion (Alt›k›rkbefl Yay.) : vasteroman cosmogonique paru de manièreposthume en 1977 et qui conte les premierstemps mythologiques de la Terre du Milieu.

    Entre inclination pour une forme de cultureNew Age et naissance d’un groupe de jeunesconsommateurs culturels urbains, les signes dereconnaissance de l’internationalisation se mul-tiplient : la méthode est anglo-saxonne, sanscomplexe...

    Étude de cas : la traduction du français

    Que ce soit dans le domaine des scienceshumaines ou des belles lettres, l’intérêt pour lefrançais reste très soutenu. Après avoir connuune baisse dans le années 1980, les rééditionset les traductions nouvelles (d’auteurslongtemps négligés et réputés difficiles commeAntonin Artaud ou Jean Genet par exemple)occupent une bonne partie du marché, disonsenviron 40% : contrairement à ce qui a pu êtredit, l’anglais (britannique et américain – onconstate d’ailleurs une forte progression de cedernier) n’a pu détrôner le français dans ledomaine littéraire. Il faut également rappeler lesoutien apporté (sous la forme de subventions àla traduction) par le Ministère français desAffaires étrangères depuis le début des années90 et qui aura largement servi des textesexigeants, des recueils de poésie comme desouvrages historiques... Une chose par contre estinquiétante : la baisse notable du nombre destraducteurs de qualité, avec le vieillissementd’une génération de passeurs confirmés (lagénération née dans les années 30)....

  • La littérature turque à l’aube du millénaire : 1999 - 2000

    Nous avons essayé ici de répertorier le plusgrand nombre de textes publiés entre décembre98 et février 2000, en conservant les deuxgrandes catégories précédentes. À défaut d’êtreexhaustive (on a pu oublier quelques titres pro-posés par des maisons de province ou des réédi-tions), cette liste se veut au moins indicative dumouvement de traduction à partir du français :on remarquera un choix assez fin d’auteursprestigieux comme Antonin Artaud, MauriceBlanchot ou Nathalie Sarraute ainsi que lacapacité à se maintenir au courant des flux quitraversent la littérature française.

    19

    Littérature

    Le domaine classique (si l'on accepte d'y inclureles textes majeurs du XXe siècle) reste bien représen-té, avec des textes aussi subversifs que le romanérotico-grotesque d'Apollinaire (Les cent mille verges)et deux volumes de Sade... :

    Louis Althusser : Tutsakl›k Güncesi (Can Yay.) (LeJournal du prisonnier)

    Guillaume Apollinaire : On Bir Bin K›rbaç (NisanYay.) (Les Cent mille verges)

    Antonin Artaud : Tanr› Yarg›s›n›n ‹flini Bitirmek ‹çin(Nisan Yay.) (Pour en finir avec le jugement deDieu)

    Georges Bataille : Rahip C. (Kabalc› Yay.) (L’Abbé C.)

    Charles Baudelaire : Kötülük Çiçekleri (Varl›kYay.) : quatrième grande traduction des Fleurs dumal, cette fois-ci par Erdo¤an Alkan ; ce dernier aégalement publié cette année une intéressanteétude, Baudelaire ve Satanizm (Broy Yay.), sui-vie d'un choix de poèmes. Une première versionturque des Paradis artificiels (Yapma Cennetler,Telos Yay.) est maintenant disponible.

    Aloysius Bertrand : Gaspard de la Nuit (Gendafl Yay.)

    Maurice Blanchot : Ölüm Hükmü (Kabalc›) (L’arrêt demort)

    Alain Bosquet : Rehinelik Mesle¤i (Telos Yay.) (LeMétier d’otage)

    Michel Butor : Saint Marco‘nun Betimi (Yap› KrediYay.) (Description de Saint-Marc)

    Paul Claudel : Japon Yelpazeleri ‹çin Yüz Tümce(Yap› Kredi Yay.) (Cent phrases pour éventails)

    Jean Cocteau : Bir Meçhulün Güncesi (Sel Yay.)(Journal d’un inconnu)

    Alexandre Dumas : Kamelyal› Kad›n (réédition detrad. T. Yücel) (Kaf Yay.) (La Dame aux camélias)

    Marguerite Duras : Cebelitar›k Denizcisi (Can Yay.)(Le Marin de Gibraltar)

    André Gide : Günlük (Bahar Yay.) (Journal)

    Pierre Klossowski : Baphomet (Mor Yay.) (LeBaphomet)

    Lautréamont : Maldoror'un fiark›lar› ( Gendafl Yay.)(Les Chants de Maldoror)

    Jacques Prévert : Sözler (Yap› Kredi Yay.) (Paroles)

    Marcel Proust : Swann’lar›n Taraf› (Yap› Kredi Yay.)(Quatrième volume traduit de la Recherche dutemps perdu)

    Arthur Rimbaud : Ben Bir Baflkas›d›r- Bütün Düzyaz›fiiirleri (Gendafl Yay.) (Je est un Autre- Poèmes enprose)

    D.A.F. De Sade : Erdemle K›rbaçlayan Kad›n (O¤lakYay.) (Juliette)

    Justine (Civriyaz› Yay.)

    Françoise Sagan : Çarp›k Yans›malar (Can Yay.) (Lemiroir égaré)

    Nathalie Sarraute : Aç›n›z (Can Yay.) (Ouvrez)

    Georges Simenon : Maigret’nin Yeni Soruflturmalar›(Nisan Yay.) (Les nouvelles enquêtes de Maigret)

    Boris Vian : Savrulan Otlar Aras›nda (Güncel Yay.)(Trouble dans les Andains)

    S›radan Kifliler ‹çin Peri Masal› (Güncel Yay.)(Contes de fées à l’usage des moyennes person-nes)

    Jules Verne : 2890 Y›l›nda (Kaf Yay.) (En l’an 2890)

    Voltaire : Zadig (Kaf Yay.)

    Marguerite Yourcenar : Mavi Masal (3 contes)(‹letiflim Yay.)

    Marguerite Yourcenar : Alexis ya da BeyhudeMücadelenin Kitab› (Metis Yay.) (Alexis ou letraité du vain combat)

    Il faut pour finir mentionner la parution dequelques essais : Yves Bonnefoy sur Rimbaud (NisanYay.), Bahad›r Gülmez sur Aragon (Kavram Yay.) etMemet R›fat sur Balzac (Kaf Yay.).

    L'actualité littéraire se doit d'entretenir la voguede certains best-sellers : tous les éditeurs connaissentcette tendance, très orchestrée par les salons du livre(Francfort en particulier), à rechercher le texte por-teur, ayant déjà bénéficié d'un large écho en Europeou aux États-Unis et qui assurera des ventes impor-tantes sans préjudice de ses qualités littéraires :

    Catherine Clément : Varolufl ve Romantizm (GüncelYay.) (Hanna et Martin)

    Hürrem Sultan (Güncel Yay.) (La Sultane)

    Theo'nun Kutsal Yolculu¤u (Telos Yay.) (Le Vo-yage de Théo)

    Christian Jacq continue sa fulgurante ascension chezRemzi Yay. et, depuis peu, chez Do¤an Yay. :Katledilen Piramit. (La Pyramide assassinée)

    Gérald Messadié : Musa, M›s›r Prensesi (MilliyetYay.) (Moïse, un prince sans couronne)

  • 20Timour MUHIDINE

    Gilbert Sinoué : Kavalal› Mehmed Ali Pafla : SonFiravun (Do¤an Kitap) (Le Dernier pharaon)

    André Soussan : Vatikan'daki fiamdan (Do¤an Kitap)(Le chandelier du Vatican)

    Azouz Begag : Sabal› Çocuk (Güncel Yay.) (Le Gônedu Chaâba)

    Tahar Ben Jelloun : Yoksullar Han› (Can Yay.)(L’Auberge des pauvres)

    Eric Holder : Matmazel Chambon (Can Yay.)(Mademoiselle Chambon)

    Homéric : Mo¤ol Kurdu (Do¤an Kitap) (Le Loup mon-gol)

    Michel Houellebecq : Temel Parçac›klar (Do¤anKitap) (Les Particules élémentaires)

    Vénus Khoury-Ghata : Gözyafllar› K›y›s›ndaki Ev (SelYay.) (Une Maison au bord des larmes)

    Jacques Laccarière : Dünyan›n Tozu (Telos Yay.) (Lapoussière du monde)

    J. M. G. Le Clézio : Çöl (‹letiflim Yay.) (Le Désert)

    Alt›n Bal›k (‹letiflim Yay.) (Poisson d’or)

    Bernard-Henri Lévy : Baudelaire'in Son Günleri (SelYay.) (Les derniers jours de Charles Baudelaire)

    Melike Mukaddem : Yürüyenler (Do¤an Kitap) (LesHommes qui marchent)

    Alexandre Najjar : Gökbilimci (Telos Yay.) (L’Astro-nome)

    Amélie Nothomb : Merkür (Güncel Yay.) (Mercure)

    Daniel Pennac : Silahl› Peri (Metis Yay.) (La Fée cara-bine)

    Patrick Rambaud : Savafl (Can Yay.) (La Bataille)

    Philippe Sollers : Stüdyo (Yap› Kredi Yay.) (Studio)

    Martin Winckler : Sachs'›n Hastal›¤› (Güncel Yay.)(La Maladie de Sachs)

    Sciences humaines

    Samir Amin : Küreselleflme Ça¤›nda Kapitalizm(Sarmal Yay.) (Le Capitalisme à l’époque de laglobalisation)

    Mohammed Arkoun : ‹slam Üzerine Düflünceler(Metis Yay.) (Ouverture sur l’islam)

    Jacques Attali : 21. Yüzy›l Sözlü¤ü (Güncel Yay.)(Dictionnaire du XXIe siècle)

    Jean-Jacques Barrare - Christian Roche : Filozof Gaf-lar› (Güncel Yay.) (La Bêtise des philosophes)

    Roland Barthes : Ara Olaylar (Kaf Yay.) (Incidents)

    Jean Baudrillard : Kusursuz Cinayet (Ayr›nt› Yay.)(Le crime parfait)

    Siyah An›lar (Ayr›nt› Yay.) (Cool Memories I-II)

    Foucault'yu Unutmak (Dokuz Eylül Yay.)(Oublier Foucault)

    Simülakrlar ve Simülasyon (Dokuz Eylül Yay.)(Simulacres et simulation)

    Maurice Blanchot : Sonradan : Sonsuz Yineleme (Ka-balc› Yay.) (Après-coup)

    Öteye Ad›m Yok Ötesi (Ayr›nt› Yay.) (Le Pas au-delà)

    Benoist-Méchin : Mustafa Kemal / Bir ‹mparatorlu¤unÖlümü (Bilgi Yay.) (M. K./La Mort d’un empire)

    Henri Bergson-Gabriel Marcel-René Guénon : Metafi-zik Nedir ? (Birey Yay.) (Qu’est-ce que la méta-physique ?)

    Philippe Borgeaud : Karfl›laflma Karfl›laflt›rma (DostYay.) (Recueil d’articles)

    Pierre Bourdieu : Sanat›n Kurallar› (Yap› Kredi Yay.)(Les Règles de l’art)

    Régis Debray : Sanat Aflk›yla (Sel Yay.) (Pour l’amourde l’art)

    Françoise Dolto : Çocuk ve Boflanma (Kontiki Yay.)(L’Enfant et le divorce)

    Didier Eribon : Georges Dumézil'le Konuflmalar(Sinatle) (Conversations avec Georges Dumézil)

  • La littérature turque à l’aube du millénaire : 1999 - 2000

    EN GUISE DE CONCLUSION

    Une grande variété de débats, beaucoupd’hommes de bonne volonté dans le domaineculturel cohabitent avec une sérieuse dosede catastrophisme, souvent générationnel (lebon vieux temps menacé par les chimères duchangement) tel que l’exprime le dernier romand’Alev Alatl›, paru en janvier : Schrödinger’inKedisi- Kâbus (Boyut Yay.). Une utopie négativeoù l’auteur voit d’un œil très peu encourageantles années à venir. Selon elle, tout en étant àl’aube d’une ère nouvelle, la Turquie se voitmarginalisée, “ tiersmondisée ”, en particulierparce qu’elle souffre d’un retard dans les cinqsciences essentielles du XXIe siècle : la neuro-psychiatrie, la psychologie, la philosophie,l’économie et la physique quantique.

    Et l’on doit noter un spectaculaire retour dela subjectivité biographique et autobio-graphique qu’autorise la disparition des avant-gardes : ces dernières ne s’étaient-elles pas sou-vent donné pour but esthétique la dissolutionde la personne (en critique) et du personnage(dans la fiction) ? Parallèlement, un goût assezprononcé pour le vedettariat qui – comme enEurope touche largement cette frange de jour-nalistes-animateurs-écrivains concentrant unassez large pouvoir médiatique – continue derendre la lecture de cette effervescence cul-turelle un peu difficile : pour pouvoir s’orienter,il faut se fixer quelques critères solides (mais la“ qualité ” reste une pierre d’achoppement),des “ flux ”(comme l’intérêt pour l’Histoire) que

    l’on suivra sur plusieurs années et ne pass’abandonner à ce mal très turc : la négligenceet l’oubli.

    Parmi les tendances à l’œuvre justement, ilne faut pas oublier de mentionner les publica-tions féminines : ainsi les activités de l’associa-tion “ Mor Çat› ” et un nombre toujours crois-sant de textes historiques et sociologiquespermettent-ils d’aborder la totalité des thèmes,d’approfondir le débat ; citons à cet égard lesouvrages de Faik Bulut, d’Ayflegül Yaraman,Türkiye’de Kad›nlar›n Siyasal Temsili (Ba¤lamYay.), la réédition de l’essai de NeziheMuhittin, Türk Kad›n› (1931) (‹letiflim Yay.),etc. Ayant juste précédé l’exploration des com-posantes multiculturelles de l’État turc, l’intérêtpour les études féminines (Gender Studies) neconnaît pas de véritable déclin. Dépassant lephénomène de mode universitaire, l’intérêtpour le Deuxième sexe porte témoignage d’unenracinement déjà ancien dans l’histoiresociale du pays.

    Où en est la littérature dans ce contexte pluspropice en apparence au développement dessciences humaines ? Elle ne se porte pas si mal,si l’on en juge d’après quelques fiévreux débatsautour des romans, la qualité toujours accruedes ouvrages, le projet aussi de la TRT (en asso-ciation avec la société de production Film-Yön)d’adapter une quarantaine d’œuvres littéraires(de Halit Ziya à nos jours) pour le petit écran.

    Et l’on peut même reconnaître une rassu-rante continuité à l’œuvre : plus marquée qu’onne pourrait le supposer, on peut en retracer lesparcours à travers certaines œuvres, des débatsqui se poursuivent sans se résoudre, des projetsqui, bon an mal an, se réalisent. Je ne prendraiqu’un exemple : pour qui choisirait de relire lesessais, les interventions (autour des textescomme de la vie culturelle dans son ensemble)d’un homme de lettres comme Enis Baturdepuis la fin des années 80, on peut compren-dre que beaucoup a été réalisé, que malgré decruelles insuffisances, un esprit parfois étriquérégentant la conception de l’enseignementsecondaire (pépinière négligée de lecteurs), laculture n’est pas menacée comme on l’entenddire. Simplement, elle change.

    Son encyclopédie personnelle dont le qua-trième volume, Su, Tüyün Üzerinde Bekler, vientde paraître (Sel Yay., 1999), est à ce titre exem-plaire : fantaisiste, inventive, elle questionne lemonde et pousse à un degré tout à fait remar-quable la marque d’individualité que l’onattend d’un écrivain.

    21

    Michel Foucault : Bilginin Arkeolojisi (Birey Yay.)(L’Archéologie du savoir)Psikoloji ve Ruhsal Hastal›k (Birey Yay.) (Maladiementale et psychologie)

    Denis Guedj : Papa¤an Teoremi (Güncel Yay.) (LeThéorème du perroquet)

    Pierre Klossowski : Nietzsche ve K›s›rdöngü (Kabalc›Yay.) (Nietzsche et le paradoxe)

    Jacques Le Goff : Ortaça¤ Bat› Uygarl›¤› (Dokuz EylülYay.) (La Civilisation de l’Orient médiéval)

    Gilles Lipovetski : Üçüncü Kad›n (Varl›k) (LaTroisième femme)

    Edgar Morin : Aflk fiiir Bilgelik (Om Yay.) (Amour,poésie, sagesse)

    Jean Paulhan : Elefltiriye K›sa Önsöz (Dokuz EylülYay.) (Une courte introduction à la critique)

    Jean Piaget : ‹nsan ve Fikirleri (Doruk Yay.) (L’Hommeet ses pensées)

    Bernard Weber : Nereden Geliyoruz ? (Güncel Yay.)(D’où venons-nous ?)

  • 22Timour MUHIDINE

    Janvier

    Attribution du prix Orhan Ar›burnu au poète‹lhan Berk. Né en 1916, il est avec Da¤larcaet Melih Cevdet Anday le dernier grandhomme de la poésie contemporaine ; nova-teur et provoquant, il a beaucoup dialoguéavec la poésie mondiale (de Rimbaud à EzraPound) et ses œuvres dispersées sont main-tenant rassemblées en trois volumes chezYap› Kredi Yay.

    On traduit un premier roman du Prix Nobel delittérature portugais José Saramago (Bütün‹simler, Gendafl Yay.) : peu à peu les languesde traduction évoluent; après le japonais, l’es-pagnol et le portugais conquièrent un espace(même si certains titres sont encore traduitsde l’anglais : quatre titres vont suivre parSaramago malgré des cadres encore absents).

    Le grand poète F.H. Da¤larca republié parMilliyet Yay. : enfin une édition adéquate (etde belle qualité) pour le plus prolifique despoètes d’un pays qui en compte beaucoup !Son œuvre poursuivie depuis 1935 que l’onpourrait qualifier d’approche lyrique (et par-fois épique au cours des années 1960) totalede la réalité est remise à disposition deslecteurs plusieurs recueils importantsn’ayant jamais été repris...

    Février

    La revue Kitapl›k (Hiver 98/ n° 35) publie undossier : “ Bizans Seçkisi ” où une dizained’écrivains turcs contemporains évoquentleur passion, leur fascination de Byzance. Larevue Cogito consacre également un numéroà Byzance : le dossier se veut plus his-torique.

    Pour la première fois (depuis longtemps), ungroupe important d’artistes et d’écrivains seprésentent aux élections législatives ; pourle CHP, Zülfü Livaneli et l’acteur HalilErgün, pour l’ANAP, Y›lmaz Karakoyunlu,mais c’est l’ÖDP qui en rallie le plus grandnombre, et non des moindres : Can Yücel,Adalet A¤ao¤lu, Mîna Urgan, Erhan Bener,Fethi Naci, Leylâ Erbil et Fakir Baykurt.

    Agatha’n›n Anahtar› (Can Yay.) : nouvelles poli-cières d’Ahmet Ümit (dont plusieurs s’an-

    crent dans le passé récent du pays), un desrares auteurs turcs de polars. On remar-quera aussi Murat Culçu : Faliku/Baykufllar Vadisi (Erciyas Yay.), l’ histoired’un groupe mafieux située dans une bour-gade perdue d’Anatolie.

    Prémisses du flot de publications sur l’Empireottoman qui va inonder la librairie cetteannée : avant les grandes anthologies ou lesnuméros de revues, paraissent des livresd’histoire populaire, des récits d’orienta-listes (par exemple chez Aksoy Yay. àAnkara), etc.. L’ensemble du public est visé,toute la société se doit de se pencher surl’héritage impérial.

    Présentation du film Yol (de Y›lmaz Güney)après 17 ans d’interdiction en Turquie :énorme succès en salle pour une œuvre dontla force de subversion s’est quelque peuamenuisée.

    Le soldat byzantin : “ Ça alors, ce ne sont pas desJanissaires mais des “ Vieunissaires ” !On va les aplatir ! “

    Chronologie 1999-2000

  • La littérature turque à l’aube du millénaire : 1999 - 2000

    Mars

    10 mars : enterrement du poète Salah Birsel (néen 1919). Poète, essayiste, il occupait uneplace à part par ses poèmes fantaisistes quiconfinent parfois à l’absurde. Son quintet(Salah Bey’in Tarihi) sur l’‹stanbul des deuxderniers siècles est un modèle de récitgigogne, faussement historique et franche-ment mythologique !

    15-21 : 4e Salon du livre d’‹zmir organisé parTÜYAP. Les salons de province rivalisentmal avec la Foire du livre d’‹stanbul.

    14 (‹zmir) et 16 (‹stanbul) : conférences deSerge Halimi dont on vient de traduire Lesnouveaux chiens de garde (Düzenin YeniBekçileri chez Evrensel Bas›m Yay›n)

    Avril

    Du 7 au 10 : colloque international : “ Constantinople byzantine ” à l’Universitéde Bo¤aziçi.

    Özdemir ‹nce republie ses traductions dedeux classiques de la poésie française,Lautréamont, Rimbaud et y ajoute un nou-veau travail : Gaspard de la nuit d’AloysiusBertrand (Gendafl Yay.). Peu d’échos pources travaux essentiels et rares (ces traduc-tions sont sur le métier depuis une quin-zaine d’années, elles bénéficient des lec-tures, des refontes, des nouvelles inspira-tions du traducteur) Sans doute trop“ élaborées ” pour le lecteur actuel !

    Mai

    Prix Necatigil de poésie à Turgay Fiflekçi(1956-) : poète et rédacteur-en-chef de larevue Adam Sanat, T. Fiflekçi est une desvoix majeures de la poésie des vingtdernières années.

    Publication de Üç Aynal› K›rk Oda de MurathanMungan (Metis Yay.) : l’auteur (né en 1955,déjà largement connu comme poète et dra-maturge) donne là son sixième recueil denouvelles (le premier, Son ‹stanbul, étaitparu en 1985) et confirme l’orientation deson œuvre vers la prose narrative : de plusla thématique s’affirme, en profondeur.Après avoir beaucoup joué sur les genres

    traditionnels (conte, légende orientale, récithistorisant inspiré par la dernière périodeottomane), il aborde dans ces trois textes lecœur de ses références : le contact avec laculture américaine, le paysage nostalgiquede Péra et ses propres racines orientales.C’est d’ailleurs dans “ Gece Elbiseleri ” (ledernier des trois) qu’il atteint à l’essentiel,l’expression des différences, ethniques etsexuelles. Dans ce texte où le sentimentde culpabilité le dispute à la cruauté, onaborde l’image, somme toute réconfortante,d’une “ autre Turquie ”. L’itinéraire d’Ali,garçon d’une famille aisée de Mardin,couvé par sa mère, brutalement soigné poursa “ maladie ” (l’homosexualité) est emblé-matique d’un univers encore dominé par laculture orientale, ce fond arabo-kurde desconfins de la Turquie et qui, petit à petit aucours du XXe siècle, s’est vu absorbé parla culture républicaine, laïque et septen-trionale.

    “ Il se souvenait que lorsqu’elle fut nom-mée à Mardin, le professeur de français dela mère d’Ali – originaire d’‹zmir – avaitinsisté un peu plus que de nécessaire en di-sant : “ En terre étrangère, il faut savoirrester soi-même ”. C’était une femme mincequi frisait la quarantaine. Ali avait gardéprésent à l’esprit ses yeux gris-bleus et sonregard impressionnant, dominateur. Elleavait le visage très pâle, entouré de cheveuxbruns foncés toujours coupés courts, etpossédait une fragilité qui se r


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