La médiation pédagogique au service de la motivation, une expérience en 6e SEGPA
Éric Saillot – Mémoire Master 1 Sciences de l’éducation – direction de Jean-Pierre Astolfi
SOMMAIRE
Introduction…………………………………………………………………………………………….1
1-La motivation en contexte scolaire selon Rolland Viau…………………………………………6
2-Caractéristiques de la médiation pédagogique permettant d’envisager un renforcement de
la dynamique motivationnelle en contexte scolaire…………….………………………………..25
2-1-Les sources et fondements théoriques de la médiation………………………….…………25
2-1-1-Fondements philosophiques………………………………………………………………...25
2-1-2-Fondements psychologiques………………………………………………………………..27
2-2-La médiation cognitive : le PEI de Reuven Feuerstein……………………………………..32
2-3- Les critères de médiation……………………………………………………………………...36
2-4-Médiation et métacognition…………………………………………………………………….39
2-5-Intérêts et limites de ces approches cognitives : quelle réalité pour le
transfert ?……………………………………………………………………………….…………….44
2-6-Médiation et didactique : le traitement de l’erreur…………………………………………...47
2-7-Synthèse : quelle réalité, même complexe, pour la médiation
pédagogique?…………………………………………………………………………….………….49
3-Autres conceptions de la motivation : intérêts et limites…………………………..………….51
3-1-Fondements philosophiques de la motivation……………………………………………….51
3-2-Théories des besoins fondamentaux…………………………………………….…………..52
3-3- Le conditionnement opérant de Skinner……………………………………….……………55
3-4-La pulsion de savoir selon Freud………………………………………………….………….58
3-5-La « mimesis » de René Girard……………………………………………………………….59
3-6-La motivation extrinsèque et intrinsèque de Deci et Ryan…………………………………61
3-7-Vers une conception dynamique de la motivation…………………………………………..65
3-8-Interroger le lien motivation-apprentissage ?………………………………………………..68
3-9-Où l’élève trouve-t-il du sens dans ses apprentissages ? …………………………………71
4-Autres situations pédagogiques pour renforcer la motivation : intérêts et
limites…………………………………………………………………………………………………76
4-1-Commençons par ne pas démotiver…………………………………………….……………76
4-2-Projet, pédagogie du projet et projet personnel……………………………………………..82
4-3-Pour une pédagogie de maîtrise ? Une pédagogie de la réussite ?………………………88
4-4-Rendre l’élève actif ou acteur ?………………………………………………….…………….93
5-Situations de médiation pédagogique en 6e SEGPA……………………………….…………98
Conclusion…………………………………………………………………………………………..125
Bibliographie………………………………………………………………………………………..131
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Beaucoup de discussions ou d’interrogations des professionnels de l’éducation, voire
de l’ensemble de la communauté éducative, enseignants et parents en tête,
semblent tourner autour de la motivation, ou plutôt de l’absence de motivation des
élèves ou des professeurs.
« Comment motiver et faire travailler efficacement les élèves ? » est d’ailleurs la
question qui est arrivée en tête des préoccupations des participants au débat
national sur l’école de 2004.
Si autant de personnes s’inquiètent de la motivation, que ce soit de son absence ou
de son développement, cela signifie-t-il pour autant qu’il existe un consensus général
sur cette notion ?
Il semble que non. A contrario, la motivation est un concept qui recouvre de multiples
définitions, mais qui n’a jamais été réellement stabilisé. C’est sans doute la
caractéristique psychologique la plus employée par effort de définition ou
d’explication de tel ou tel problème d’apprentissage, mais elle ne garantit en rien la
justesse de l’analyse. Il semble que « psychologiser » la pédagogie est une attitude
qui serait l’indicateur d’une excellente posture professionnelle pour beaucoup
d’enseignants qui répondent à la loi d’orientation sur l’éducation de 1989 qui place
l’élève au centre du système. Cependant, afin d’éviter de possibles sur-
interprétations de situations d’apprentissage, il me semble très important d’interroger
ces concepts, qui, n’étant pas clairement définis, posent le problème de leur emploi.
Jean-Michel Zakhartchouk1, dans son éditorial du dossier sur la motivation des
Cahiers Pédagogiques, parle de la motivation comme d’un « concept mou qui
dispense de penser… Par ce terme, on psychologise des problèmes qui relèvent en
réalité des contenus d’enseignement ou des conditions sociales et culturelles dans
lesquelles s’inscrivent les apprentissages. N’en reste-t-on pas à la superficie des
choses en voulant chercher, tel un Graal, cette « fameuse motivation » ? »
La plupart du temps, on utilise le mot motivation dans un sens commun relativement
polysémique et confus. Celui-ci se rapproche quelquefois du désir d’apprendre,
d’une certaine volonté, d’un intérêt plus ou moins enthousiaste, ou du mobile sinon
du motif…
1 ZAKHARTCHOUK Jean-Michel, Cahiers Pédagogiques n° 429-430, janvier-février 2005.
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Au-delà de ces réflexions et interrogations sur la motivation des élèves largement
répandues, ma situation professionnelle actuelle m’a amené à m’interroger
sérieusement sur ce concept déterminant, semble-t-il, la réussite des élèves.
En effet, je suis enseignant spécialisé en SEGPA2 dans un collège réputé difficile en
zone d’éducation prioritaire, devenue REP3 depuis quelques années. Plus
particulièrement j’enseigne à des élèves de sixième qui ont été orientés en SEGPA
par une commission spécialisée d’après leurs caractéristiques scolaires,
psychologiques, sociales et familiales. Depuis peu, on parle d’élèves aux besoins
éducatifs particuliers, d’après l’expression anglaise « special needs ». Cette nouvelle
terminologie s’inscrit dans une évolution, voire une révolution des dispositifs mis en
place pour la prise en charge des élèves en grandes difficultés scolaires et en
situation de handicap. On tend progressivement vers l’école inclusive, ou « inclusive
school ».
Cependant, ces élèves de SEGPA ne sont pas reconnus comme étant en situation
de handicap, avec toute la prudence qui doit être de rigueur dans ce genre de
considérations. Au-delà des débats sur cette « inclusion » et de l’avenir même d’un
dispositif comme les SEGPA, la réalité de ces élèves dans leur grande majorité
tourne autour de difficultés scolaires relativement lourdes et persistantes, souvent
accompagnées par un manque de motivation évident.
Cette « résignation apprise » largement répandue parmi ces élèves de SEGPA a
provoqué chez moi un désir d’en savoir plus sur cette fameuse motivation, et de
tenter de mettre en place des situations adaptées.
De nombreuses lectures, associées à des observations de pratiques de classes, ont
fait évoluer certaines de mes représentations sur ce concept de motivation, souvent
associé aux besoins fondamentaux des individus, ou à la fameuse dichotomie de la
motivation extrinsèque ou intrinsèque…
Il m’était impossible de faire l’économie d’un certain état des lieux de la recherche
sur ce concept. J’y reviendrai d’ailleurs dans la troisième partie de ce mémoire, en
tentant d’en analyser les intérêts et limites respectives.
2 Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté.
3 Réseau d’Education Prioritaire.
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Cependant, le cadre théorique de ce mémoire s’organise autour des travaux de
Rolland Viau sur la motivation en contexte scolaire. Ce chercheur est l’un des rares
à avoir travaillé sur la motivation en contexte scolaire. De plus, dans son ouvrage
majeur4, la motivation en contexte scolaire, il fait la synthèse de nombreux travaux
de recherche, essentiellement nord-américains, fondés sur une approche
sociocognitive qui étudie les phénomènes humains comme la motivation à travers
l’interaction qui existe entre les comportements d’une personne, ses caractéristiques
individuelles et l’environnement dans lequel elle évolue. Cette interaction repose sur
le concept fondamental de « déterminisme réciproque ».
Rolland Viau ne considère donc pas la motivation comme une caractéristique
individuelle pure, ni entièrement déterminée par la situation. La motivation n’est pas
un état stable mais un processus dynamique, toujours remis en question. Dans cette
optique, Rolland Viau parle de « dynamique motivationnelle », que l’on peut
évaluer grâce à quatre indicateurs importants, tels que le choix de faire l’activité,
l’engagement cognitif, la persévérance et la réussite des élèves.
L’aspect fondamental de ses travaux de recherche s’articule autour des trois
déterminants de cette dynamique motivationnelle : les perceptions de l’élève de la
valeur de l’activité, de sa compétence à accomplir la tâche et de la
contrôlabilité de ses actions et réflexions.
Ces perceptions permettent d’initier des réflexions autour de la construction de
situations d’apprentissage permettant de les renforcer, et par conséquent de relancer
la dynamique motivationnelle des élèves.
Plus qu’une situation pédagogique attirante, attrayante, intéressante, qui solliciterait
une perception positive de la valeur de l’activité, l’enseignant se doit de construire
avec ses élèves des situations permettant de développer la perception de sa
compétence, le sentiment d’auto-efficacité, de réussite, et la perception de la
contrôlabilité de la tâche, de l’auto-évaluation et de l’auto-régulation.
Quelles situations ou méthodes pédagogiques pourraient permettre de
travailler ces trois perceptions de manière positive et complémentaire ?
4 VIAU Rolland, La motivation en contexte scolaire, De Boeck Université, 1994.
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Le lien conceptuel puis praxéologique qui m’est apparu comme le plus riche est
l’apport de la médiation pédagogique à la motivation en contexte scolaire.
Comment la médiation pédagogique pourrait-elle permettre de renforcer la
dynamique motivationnelle des élèves en grande difficulté scolaire, plus
particulièrement les élèves de sixième SEGPA ?
Comme la motivation, la médiation pédagogique n’est pas un concept clairement
défini et stabilisé. Ses fondements théoriques peuvent être circonscrits, la méthode
de médiation cognitive qui fut développée à partir des travaux de Feuerstein peut
être décrite, mais cela ne définit qu’en partie la médiation pédagogique. D’ailleurs la
médiation pédagogique est-elle une méthode en tant que telle ? Pourquoi pourrait-
elle permettre de renforcer les perceptions de soi de l’apprenant, déterminants
essentiels de la dynamique motivationnelle des élèves ?
C’est ce lien entre la motivation en contexte scolaire caractérisée par Rolland Viau et
la médiation pédagogique que je vais tenter de construire dans les deux premières
parties de ce mémoire.
Afin de ne pas enfermer la problématique dans une relation trop étroite entre la
médiation pédagogique et la motivation en contexte scolaire, il m’a semblé
intéressant d’élargir les perspectives pédagogiques en examinant d’autres pistes
pédagogiques souvent présentées par leurs défenseurs comme favorisant la
motivation des élèves.
La quatrième partie de ce mémoire examinera les postures enseignantes
motivantes pour les élèves. Ensuite, une question essentielle s’est présentée : vaut-il
mieux une pédagogie de l’accroche ou une pédagogie de réussite et de maîtrise ?
C’est pourquoi la pédagogie de projet et la pédagogie de maîtrise seront
successivement questionnées afin d’en percevoir d’éventuels avantages ou limites
par rapport à la médiation pédagogique.
Quelles postures enseignantes, ou savoirs professionnels favoriseraient la motivation
en contexte scolaire ? En quoi la médiation pédagogique pourrait être un savoir
d’action favorisant la dynamique motivationnelle des élèves ?
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Par rapport à ces dernières questions, la cinquième partie de ce mémoire tentera
d’apporter un éclairage plus praxéologique à partir d’observations, et de l’analyse
d’entretiens d’élèves, d’évaluations et de mes propres pratiques pédagogiques. Cette
partie n’aura pas l’ambition d’apporter un recueil de données systématiques et
diverses, mais s’articulera autour de l’analyse de mes propres pratiques dans la
classe de sixième SEGPA dont j’ai la charge depuis quelques années.
C’est pourquoi, les premières parties conceptuelles et documentaires de ce mémoire
tenteront d’apporter les éclairages théoriques indispensables dans un souci de
distanciation et d’objectivation de ce que l’on pourrait appeler des « essais
d’application ».
D’un point de vue méthodologique, je tenterai dans ce mémoire, ayant nécessité
d’importantes recherches documentaires et théoriques afin de construire un cadre
conceptuel précis, d’emprunter à la recherche qualitative l’analyse d’entretiens
d’élèves, et de manipuler les concepts-clé à travers une analyse didactique et
pédagogique de quelques séances illustrant le lien entre motivation et médiation
pédagogique. Cette cinquième partie a plus l’objectif d’être présentée de façon
illustrative que démonstrative.
Deux situations de médiation seront essentiellement présentées. L’une concernant
une activité d’orthographe, l’autre portant sur la comparaison de nombres décimaux.
En quoi la médiation pédagogique pourrait-elle permettre aux élèves d’être acteurs
de leurs apprentissages ? Ces situations d’apprentissage ont pour objectifs des
savoirs scolaires, contrairement aux méthodes cognitives. Quel rôle peuvent jouer
les variables didactiques dans la médiation pédagogique ? Une double centration sur
l’élève et le savoir est-elle envisageable ?
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1-La motivation en contexte scolaire selon Rolland Viau
Avant de présenter ultérieurement d’autres conceptions de la motivation, cette
première partie m’amène à présenter le plus précisément et fidèlement possible les
travaux de recherche de Rolland Viau5, que j’ai choisi comme cadre théorique de
référence pour ce mémoire.
Pourquoi ? Tout d’abord, Rolland Viau a réuni de nombreux résultats de recherches
et d’études sur la motivation en contexte scolaire. S’il organise son ouvrage sur la
confrontation théorique et conceptuelle d’après une approche sociocognitive, le
terrain de ses recherches est toujours le contexte scolaire, en relation directe avec
les pratiques et les réflexions de nombreux enseignants, même si le contexte est
généralement nord américain. De plus, il tente toujours de se distancier et d’être
critique, vis à vis des théories qu’il présente comme de ses propres choix
conceptuels.
Il considère que ses recherches se situent dans le champ de la psychopédagogie.
Cela lui permet de concevoir la motivation comme une variable pédagogique plutôt
que psychologique. Son approche de la motivation en contexte scolaire s’éloigne des
approches psychologiques habituelles, opérant une relative décentration de l’affectif
vers le conceptuel.
La finalité de ce choix théorique est de tenter de répondre aux composantes
essentielles de la motivation présentées par Viau, dans une perspective de
médiation pédagogique à orientation épistémologique et didactique.
Précisons que Rolland Viau appuie sa théorie de la motivation en contexte scolaire
sur sept composantes primordiales, dont quatre indicateurs et trois
déterminants, d’après lesquels tout enseignant devrait construire des situations
d’apprentissage. La motivation en contexte scolaire serait surtout influencée par trois
types de perception de l’élève face à ses apprentissages : la perception de la
valeur d’une activité, la perception de sa compétence à l’accomplir et la
perception de la contrôlabilité de son déroulement et de ses conséquences.
5 VIAU Rolland, La motivation en contexte scolaire, op. cit. p.3.
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Si Rolland Viau définit précisément les raisons de ce choix, et les conséquences sur
l’apprentissage, j’ai pour ma part choisi de poser ces trois perceptions comme
hypothèses conceptuelles a priori de mon travail de recherche. Je tenterai
d’expliquer pourquoi et comment ces perceptions de l’apprenant peuvent être
renforcées par des situations de médiations pédagogiques, dans lesquelles le statut
de l’erreur est renversé et appréhendé de manière constructive, des échanges entre
les élèves sur leurs conceptions ou stratégies sont organisées, des conflits cognitifs
ou sociocognitifs sont sollicités, les capacités métacognitives sont travaillées, et cela
dans un cadre didactique et non psycho-cognitif. Ce positionnement théorique et
pratique consiste à placer l’élève en tant que sujet acteur de ses apprentissages, en
faire un « élève épistémologue », maîtrisant mieux ses fonctionnements personnels
face au savoir.
Le cadre de référence de ces travaux sur la motivation scolaire est donc fondé sur
l’approche sociocognitive. Albert Bandura (1986), puis Schunk (1989), Zimmerman
(1990), Pintrinch et Schrauben (1992) et Dweck et Legget (1988) définissent
l’approche sociocognitive sur l’étude de phénomènes humains comme la motivation
à travers l’interaction qui existe entre les comportements d’une personne, ses
caractéristiques individuelles et l’environnement dans lequel elle évolue. Cette
interaction repose sur un concept-clé : le déterminisme réciproque.
Chaque composante est soumise au déterminisme réciproque, c’est-à-dire est
influencée par les autres en les influençant elle-même.
Cela s’oppose, d’une certaine manière, au continuum de Deci sur les motivations
intrinsèque et extrinsèque, influencées par les renforcements, les situations et les
personnalisations des motifs selon un processus d’appropriation gradué.
L’approche sociocognitive repose également sur des postulats, notamment ceux
émis par Albert Bandura dans son ouvrage Social Foundations of Thought and
Action : a Social Cognitive Theory, en 1986, sur les capacités qu’ont les humains
d’interpréter leur environnement et d’agir sur celui-ci. Cela a ensuite permis à des
chercheurs, dont Schunk (1989), de soutenir que le traitement cognitif que l’élève fait
des événements qu’il vit est à l’origine de sa motivation.
Rolland Viau s’est donc inspiré des travaux de ces chercheurs pour définir la
motivation de la manière suivante :
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« La motivation en contexte scolaire est un état dynamique qui a ses origines
dans les perceptions qu’un élève a de lui-même et de son environnement et qui
l’incite à choisir une activité, à s’y engager et à persévérer dans son
accomplissement afin d’atteindre un but. »6
Cette définition reprend l’importance des buts et l’aspect dynamique de la motivation
souligné par Joseph Nuttin. Ce dynamisme exprime le fait que la motivation n’est pas
un état stable mais un processus, toujours remis en question, qui se construit dans le
temps et change sans arrêt. La motivation est une variable complexe dans laquelle
interagissent les perceptions de l’élève, ses comportements et son environnement,
ou plutôt devrais-je dire ses environnements. En effet, si la motivation n’est qu’une
variable pédagogique parmi d’autres, certes importante, mais sans doute non
suffisante, l’apprentissage scolaire est influencé par de nombreuses variables, qui
influencent également la motivation, si on se réfère au concept essentiel de
déterminisme réciproque.
Ainsi, les variables relatives à la famille (valeurs, situation financière, culture, etc.),
celles relatives à la société (lois, valeurs, culture, système politique, projet social,
etc.), interagissent avec les variables relatives à l’institution, à l’apprenant (âge, sexe,
milieu social, capacités intellectuelles, attitudes, valeurs, connaissances antérieures,
etc.) et à l’enseignant (connaissances, formation, motivation, attitudes, valeurs,
milieu social, âge, sexe, etc.), selon les modèles de Dunkin et Bidle (1974), et Knoff
et Batsche (1991).
Ces remarques servent à relativiser certaines représentations qui feraient de la
motivation une caractéristique individuelle pure et uniquement déterminée par la
situation pédagogique. Le concept de motivation est relativement plus complexe et
prend en compte plusieurs composantes.
La dynamique motivationnelle, présentée par Rolland Viau, repose sur les
relations qui existent entre les trois déterminants et les quatre indicateurs, soumises
au déterminisme réciproque. Les perceptions d’un élève en contexte scolaire
6 VIAU Rolland, La motivation…, op. cit. p. 3.
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influencent son choix de s’engager cognitivement dans l’activité et de persévérer afin
d’obtenir le niveau de performance espéré.
Les perceptions de soi de l’apprenant s’influencent mutuellement, de sorte que si
l’une d’elle est mauvaise, la dynamique motivationnelle diminue fortement, même si
les deux autres sont correctes. De plus, cette dynamique motivationnelle implique
une relation entre les indicateurs. En effet, plus un élève s’engage et persévère dans
une activité, plus sa performance est bonne. (Zimmerman et Martinez-Pons, 1992)
Les déterminants de la motivation reposent sur des perceptions qui rentrent dans
le cadre du concept de perception de soi, qui traite des connaissances qu’une
personne a sur elle-même et qu’elle utilise et modifie lorsqu’elle vit des événements.
Ces perceptions sont organisées en réseaux d’informations dans la mémoire de
chacun d’entre nous, que l’on peut localiser dans des zones précises du cerveau
grâce aux moyens modernes des neurosciences. En contexte scolaire, ces
perceptions concernent l’image de l’élève en tant qu’apprenant. Certains chercheurs
pensent même que ces perceptions sont plus importantes que les capacités réelles
de l’élève. (Covington, 1984 ; Weiner, 1984)
Plusieurs processus de perception permettent aux élèves de se construire une image
mentale d’eux-même en tant qu ‘apprenants. Le plus important est le processus
d’auto-évaluation (Mc Combs et Whisler, 1989 ; Bandura, 1978). Ce processus
d’auto-évaluation (self-judgement) permet à l’élève d’évaluer ses progrès et
performances par rapport aux buts qu’il s’était fixés. (Schunk, 1990)
Parmi les perceptions générales de soi, la plus connue est le concept de soi. Selon
René L’Ecuyer, « le concept de soi est une organisation hiérarchisée d’un ensemble
de perceptions recouvrant les aspects les plus variés quant à la façon dont la
personne se perçoit. Dans ce sens, le concept de soi doit donc être considéré
comme un concept multidimensionnel. »7
En 1986, Raynor et McFarlin ont précisé que le concept de soi (self-concept)
correspondait aux perceptions qu’une personne a de ses compétences, de ses
7 L’ECUYER René, Le concept de soi, Paris, PUF, 1978, page 36.
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valeurs, de ses préférences, de ses buts, de ses aspirations, etc. En somme, c’est le
portrait général qu’une personne se fait d’elle même.
Parmi les conceptions générales, l’estime de soi, (self-esteem), qui est un concept
de plus en plus cité dans les ouvrages traitant de la motivation ou dans les bilans
d’éducateurs divers sur la motivation des élèves, recouvre les jugements d’ordre
affectif que se fait une personne sur elle-même. Cependant, il est souvent confondu
avec le concept de soi, voire assimilé à celui-ci par certains auteurs.
Si ces conceptions générales peuvent être intéressantes en contexte scolaire, elles
participent également à cette tendance à tout « psychologiser », de plus en plus
répandue dans les équipes éducatives. Les trois perceptions citées plus haut, qui
sont des composantes essentielles de la motivation en contexte scolaire, sont des
perceptions spécifiques, c’est-à-dire qu’elles s’ancrent sur des domaines scolaires
particuliers, comme certaines matières ou certains types de situations. En ce sens,
elles me paraissent essentielles quant à la réflexion d’une posture professionnelle
d’enseignant, en relation avec les réflexions pédagogiques et didactiques.
La perception de la valeur d’une activité est une appréciation par l’élève de
l’utilité de celle-ci dans la perspective future relative aux buts qu’il s’est fixés.
Cette perception utilitariste de l’activité est souvent mise en avant par les élèves ou
par certains enseignants eux-même, dans le but de donner du sens aux
apprentissages. Rolland Viau pense que la plupart des élèves « s’engagent rarement
dans une activité pour le simple plaisir de la faire. Ils finissent toujours par se
demander ce qu’elle peut leur apporter. »
Bien souvent, la pédagogie du projet est présentée comme une réponse quasi
univoque à cette quête de sens, par beaucoup d’auteurs et de professionnels,
comme je le présenterai dans la partie suivante sur les pratiques pédagogiques
proposées pour renforcer la motivation.
Loin de moi l’idée de renverser une tendance admise par tous, ou de créer une
polémique pédagogique. Cependant, certaines pratiques de pédagogie du projet que
j’ai pu observer ou mettre en place m’interrogent de plus en plus. En effet, dans de
nombreux cas, l’axe de la réflexion pédagogique concerne la forme, l’accroche,
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« l’habillage », plus que le fond, le savoir lui-même ou la didactique. Actuellement,
les équipes pédagogiques semblent plus inquiètes de proposer des situations
attrayantes sur la forme que cohérentes sur le fond. En salle des professeurs, on
parle plus des sorties scolaires que des variables pédagogiques ou des erreurs des
élèves, à moins de vouloir faire rire ses collègues par la dernière « perle » que l’on a
entendue.
De plus le côté utilitaire attendu par les élèves amène quelquefois les enseignants à
produire des situations très artificielles en voulant, en toutes circonstances, rattacher
un savoir à une situation soit disant réelle et utile, qui aurait du sens pour les élèves.
Citons ici l’exemple de l’apprentissage de la lecture, plus particulièrement de la
conscience phonologique. Durant plus d’une décennie, les recommandations
soulignaient la quête de sens indispensable à toute situation d’apprentissage de la
lecture. Si le sens n’est pas à négliger, bien au contraire, lorsque l’on aborde des
lectures de textes littéraires authentiques, les situations d’éveil de la conscience
phonologique trouvent leur sens, quant à elles, dans le simple plaisir de jouer avec
les sonorités des mots ou des syllabes. Il me semble important de réfléchir au sens
réel de tel ou tel apprentissage sans rentrer dans des fonctionnements
pédagogiques qui seraient trop dogmatiques et artificiels à trop vouloir être
universels. En ce sens, les recherches en didactique peuvent apporter une plus
grande cohérence quant à la recherche du sens d’un apprentissage, fondé sur le
fond et non prioritairement sur la forme.
Par exemple, dans le domaine de la résolution de problèmes en mathématiques, les
enseignants s’attardent plus à trouver des problèmes attirants par leurs formes et
leurs mises en activité des élèves, aspects qui restent essentiels bien entendu, que
par la recherche des variables didactiques ou une recherche sur les champs
conceptuels proposés par Gérard Vergnaud.
Le second aspect de la perception de la valeur d’une activité souligne l’importance
pour l’élève de pouvoir atteindre les buts qu’il se serait fixés. J’emploie le
conditionnel, car, malheureusement, dans de nombreux cas, les élèves ne se sont
fixé aucun but précis qui nécessiterait l’engagement dans tel ou tel apprentissage.
Un élève sans but ne peut pas valoriser une activité au delà du simple plaisir
immédiat qu’elle pourrait lui apporter.
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C’est pourquoi certains auteurs, dont Monique Croizier8, insistent sur l’importance
de faire construire à l’élève un projet personnel qui, par une plus grande
connaissance de lui-même, et la réflexion sur des buts précis à atteindre, lui
permettrait de renforcer sa motivation.
L’importance des buts dans la perception de la valeur d’une activité est à prendre
en compte. Selon Wentzel (1992), « un but consiste dans la représentation cognitive
qu’un élève a de ce qu’il veut accomplir. » Elle distingue les buts sociaux et les buts
scolaires.
Les buts sociaux concernent la relation qu’un élève établit avec les autres élèves et
avec l’enseignant, dans l’optique de s’identifier. Cela est peu développé par Rolland
Viau, car il précise que la recherche sociocognitive s’est peu penchée sur la
question. Cependant, cela n’est pas sans rappeler la « mimesis acquisitive »
théorisée par René Girard.
Les buts scolaires sont relatifs à l’apprentissage et à ses conséquences. Les
chercheurs, dont Dweck (1986), distinguent les buts d’apprentissage des buts de
performance. En 1989, Dweck a d’ailleurs proposé une terminologie, un peu
caricaturale mais significative, entre « becoming smarter » (devenir plus intelligent)
pour les buts d’apprentissage et « looking smarter » (avoir l’air plus intelligent) pour
les buts de performance.
Les buts d’apprentissage sont ceux qu’un élève se fixe lorsqu’il veut acquérir des
connaissances ou progresser dans tel domaine. Cela correspond à l’implication par
rapport à la tâche (« tasks oriented goals », Nicholls, 1984), développée par Lieury
et Fenouillet9, afin d’illustrer d’une autre façon la motivation intrinsèque.
Les buts de performance sont ceux qu’un élève poursuit quand il veut réussir une
activité pour être estimé et reconnu ou obtenir une récompense et des félicitations.
Nicholls désigne ce type de buts par l’expression « ego oriented goals ». Lieury et
Fenouillet parle d’implication par rapport à l’ego, qui correspond à la motivation
extrinsèque.
8 CROIZIER Monique, Motivation, Projet Personnel, Apprentissages, ESF, 1993.
9 LIEURY Alain, FENOUILLET Fabien, Motivation et réussite scolaire, Dunod, 1996.
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La médiation pédagogique en lien avec des situations didactiques réfléchies, telles
que des situations-problèmes, des problèmes ouverts, propose aux élèves des défis
à relever qui conjuguent à la fois buts d’apprentissage et buts de performance. Les
buts d’apprentissage sont positivement influencés par le traitement de l’erreur
adoptée en médiation, associant une démarche d’auto-évaluation formatrice basée
sur des objectifs et des critères de réussite clarifiés, à une confrontation organisée
des différentes stratégies, appropriées ou erronées d’ailleurs, verbalisées et
explicitées par les élèves. Excluant toute forme de comparaison sociale excessive,
l’enseignant-médiateur peut toutefois proposer des défis à relever, pour le plaisir de
réfléchir et d’aller plus loin dans certains raisonnements. Le défi est d’ailleurs un
critère de médiation défini par Feuerstein et considéré par Alain Moal comme
essentiel dans le processus de restauration narcissique, permettant de renforcer la
perception de la compétence.
Alain Lieury et Fabien Fenouillet soulignent dans leur ouvrage les dangers de
l’implication par rapport à l’ego, qui représente une situation dans laquelle un échec
est ressenti comme une attaque de l’estime de soi et représente donc une motivation
extrinsèque où la pression sociale a un rôle déterminant, et avec toutes les réserves
que ces auteurs fondent sur ce type de motivation. A l’inverse, l’implication par
rapport à la tâche inclut l’intérêt pour la tâche et la volonté de progresser, avec une
attribution interne de l’origine de la motivation, correspondant à une forme
relativement intrinsèque de celle-ci. Dweck, en 1989, a démontré que plus un élève a
de buts d’apprentissage, plus il est motivé.
Rolland Viau a tenu à relativiser ces recherches par le fait qu’elles ont surtout porté
sur des publics jeunes, pour qui le fait d’apprendre reste une fin en soi. Pour les
adolescents ou les adultes, qui pensent plus à se projeter dans l’avenir,
l’apprentissage est plus un moyen qu’une fin. De ce fait, la distinction entre les buts
d’apprentissage et les buts de performance est peu significative de la réalité de ces
publics plus âgés.
De plus les buts de performance, tout comme la motivation extrinsèque d’ailleurs,
sont souvent connotés négativement, par rapport à l’obtention de récompenses ou
de compliments. Premièrement, je serais curieux de savoir qui n’aime pas recevoir
de récompenses, même si elles ne guident pas forcément explicitement nos actions.
Deuxièmement, un étudiant peut se fixer de buts de performance afin d’augmenter
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ses chances d’être reçu dans telle formation ou d’être mieux considéré par ses futurs
employeurs ou responsables de formation. Peut-être qu’une certaine forme
d’hypocrisie entoure ces formes de buts de performance, dans un système où, même
si l’on peut le déplorer, la sélection et la comparaison sociale restent fortes. C’est le
but apparemment paradoxal et impossible d’un système éducatif juste mais
ambitieux de se fonder sur une certaine démocratisation sans pour autant négliger la
formation des élites. En dehors de toute considération politique, qui n’aurait pas sa
place dans ce genre de travail de recherche, je pense que l’exigence doit être le
facteur commun à toutes ces situations, quelque soit le but scolaire visé.
En guise de consensus, je tiens à souligner la théorie de Lens (1991), qui évite
toute position dichotomique et nuance les perspectives lorsqu’il affirme : « La plupart
des élèves, même ceux qui sont animés d’une motivation intrinsèque forte, sont
motivés par des récompenses et des buts extrinsèques. Les sources extrinsèques de
la motivation n’ont rien de répréhensible, à moins qu’elles ne nuisent à la motivation
intrinsèque. »
La notion de perspective future permet d’illustrer plus largement la relation entre les
buts d’un élève et sa perception de la valeur d’une activité. Ce concept, s’appuyant
sur les travaux de Lens et de Nuttin, affirment qu’une personne « pro-agit » en
fonction des buts à plus ou moins long terme qu’elle s’est fixés. En contexte scolaire,
le niveau de perspective future influence la perception de la valeur d’une activité des
élèves. Cela permet de mieux comprendre pourquoi un jeune qui n’aurait aucun but
dans la vie, aucune perspective future, ne pourrait pas se sentir concerné et motivé
par les apprentissages qui lui seraient proposés, et ne serait à la recherche que de
satisfactions immédiates. Cela explique le traitement pluridisciplinaire des problèmes
de décrochages scolaires, notamment dans les classes relais. Une équipe est
organisée autour de l’enseignant spécialisé et du jeune, composée d’éducateurs
spécialisés, d’une assistante sociale, d’une infirmière et de psychologues, afin de
traiter le problème sous ses différentes facettes, respectant ainsi le concept de
déterminisme réciproque. Dans des cas moins difficiles, toutes les réflexions
récentes autour de l’éducation à l’orientation montrent à quel point le concept de
perspective future est essentiel dans l’implication et la motivation des jeunes.
Des études ont montré que plus un élève est capable de se représenter ce qu’il
désire faire dans le futur, plus il est motivé (Lens et Decruyenaere, 1991)
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La perception de sa compétence à accomplir une activité (perceived self-
efficacy) concerne la perception que se fait un élève quant à la réussite et à la bonne
réalisation de la tâche demandée.
Si le processus d’autoévaluation peut être très utile pour ce type de perception, un
élève n’a pas toujours besoin d’évaluer sa capacité à réussir dans des situations
d’apprentissage ou d’enseignement qu’il semble avoir l’habitude de connaître et de
vivre régulièrement. Dans cette perspective, je pense que les situations de médiation
pédagogique peuvent permettre de rompre avec ces habitudes scolaires et une
certaine « résignation apprise » lorsque les élèves ne se sentent plus capables de
progresser et de raisonner.
Cette perception influence grandement la dynamique motivationnelle d’un élève par
le fait qu’elle peut renforcer ou diminuer l’engagement cognitif. (Schunk, 1990)
Il ne faut pas confondre cette perception avec une perception de sa compétence en
général. En effet, cette perception de la compétence est évaluée dans un contexte
précis, en relation avec une activité ou une discipline scolaire. C’est pourquoi, si les
situations de médiation pédagogiques semblent renforcer positivement ce genre de
perception, elles ne se fondent pas sur une approche psychologique de cognition
globale mais s’ancrent sur des savoirs spécifiques et les variables didactiques
adéquats.
Albert Bandura (1986) a étudié les sources de cette perception de la
compétence. Il en a défini quatre : les performances antérieures, l’observation de
l’exécution d’une activité par d’autres personnes, la persuasion et les réactions
physiologiques. Si les performances antérieures sont intimement liées aux
perceptions attributionnelles, que je présenterai dans le cadre de la perception de la
contrôlabilité, je pense que les trois autres sources peuvent être travaillées de façon
positive dans des situations de médiation, qui s’appuient sur un statut positivé de
l’erreur, une verbalisation des conceptions et stratégies, des encouragements aux
essais et erreurs, aux raisonnements, dans le respect de chacun et de la différence,
limitant ainsi les réactions physiologiques et émotives, en dédramatisant les échecs.
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La perception de sa propre compétence est donc un déterminant essentiel de la
motivation en contexte scolaire, qui se fonde autant sur l’activité de l’élève que sur
celle de l’enseignant.
C’est une perception fondamentale, car de nombreuses recherches ont montré qu’un
élève qui a une bonne opinion de sa compétence choisit de s’engager et de
persévérer dans les activités qu’on lui propose. (Pintrinch et Schrauben, 1992 ;
Schunk, 1989 ; Lens, 1991; Dweck, 1989)
A l’opposé, les élèves qui ont une piètre opinion de leur compétence abandonnent
rapidement ou usent de stratégies d’évitement très élaborées, qui sont
malheureusement très répandues dans les classes de SEGPA, dans lesquelles les
élèves traînent un lourd passé d’échec scolaire, ne croyant plus à leurs progrès et
cherchant par de multiples moyens à fuir ces situations douloureuses. Cela va dans
le sens des travaux de Dweck, qui a constaté que certains élèves ont tendance à
donner plus d’importance à leurs échecs antérieurs qu’à leurs succès, et à les
attribuer à leur manque d’intelligence.
Les jeunes enfants ont tendance à surestimer leurs compétences dans leurs
premières années de scolarité. Au-delà même des premiers échecs et des
comparaisons désagréables avec les plus compétents, les élèves se construisent
une perception quelquefois peu réaliste de leurs compétences à travers les
jugements de leurs parents. Phillips et Zimmerman (1990) vont jusqu’à montrer que
le jugement que les parents portent sur leur enfant a plus d’influence sur celui-ci que
ses propres performances en classe. L’impact des commentaires d’enseignants est
tout aussi important. Ces recherches interrogent sur les postures professionnelles à
tenir, notamment celles relatives à l’évaluation. Il me semble crucial d’avoir une
réflexion construite sur le système d’évaluation employé, son type, sa fréquence, ses
critères de validation, et sa compréhension par les élèves. Je préciserai plus
amplement mes réflexions dans la partie pratique de ce mémoire.
Sur le plan de la relation entre les buts d’apprentissage et la perception de sa
compétence, des études de Schunk (1991) soulignent le fait que la détermination de
buts à court terme a une influence positive plus grande sur la perception qu’un
élève a de sa compétence que les buts à long terme. Cette conclusion s’explique par
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le fait qu’un élève qui se fixe des buts à court terme peut rapidement constater ses
progrès. A l’opposé, en se fixant uniquement des buts à long terme, l’attente
d’éventuels progrès sera trop longue, entraînant ainsi un certain découragement et
quelquefois l’oubli des buts fixés.
La perception qu’un élève a de sa compétence à accomplir une activité peut
également être influencée positivement par l’observation qu’il fait de l’enseignant ou
d’autres élèves. Schunk précise que ce phénomène est plus important par
l’observation d’un pair qui aurait une bonne opinion de sa compétence que par
l’enseignant lui-même, que l’élève considère trop comme un spécialiste. Alors que la
réussite d’un pair peut l’aider à croire en ses compétences et en ses possibilités de
progrès. Ces résultats me permettent également de postuler à l’efficacité des
séances de médiation que j’essaie de mettre en place. Que l’enseignant médiateur
s’appuie sur les stratégies des élèves et qu’il aide ceux-ci à vérifier leur cohérence
par exemple, peut renforcer selon moi très positivement ce sentiment de
compétence. Il en va de même lorsque l’on démontre à un élève qui se jugeait
incompétent qu’il peut raisonner efficacement et produire des raisonnements
adéquats. Schunk a confirmé par ses recherches mes observations d’enseignant
spécialisé. En effet, il semble que les conditions idéales permettant à un élève faible
d’améliorer son opinion de sa compétence reposent sur la réussite répétée d’une
activité que l’élève ne se jugeait pas capable d’accomplir au départ. J’ai moi-même
souvent observé que ces réussites apparemment inattendues redonnent confiance
aux élèves et re-dynamisent ainsi leur motivation à s’engager dans leurs
apprentissages et à persévérer, afin, au bout du compte de progresser, et d’encore
renforcer leur motivation.
Schunk a également souligné l’importance des feed-back pour améliorer l’opinion
que les élèves ont de leur compétence. Si les feed-back sur l’effort sont positifs, ceux
portant sur les aptitudes se sont révélés plus efficaces encore. Cependant, ces
mesures ont été faites à court terme, et il serait très intéressant d’étudier l’efficacité
des feed-back sur un plus long terme et sur différents types de publics scolaires. Si
les feed-back me semblent essentiels, ils m’apparaissent aussi quelquefois comme
dangereux. En effet, s’ils sont toujours formulés par une volonté louable de
l’enseignant de redonner confiance aux élèves, dans le cadre d’une pédagogie de la
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réussite exacerbée, ils ne s’appuient pas forcément sur des progrès réels. Ainsi, le
retour à la réalité peut être très difficile. Je pense qu’il ne faut pas oublier un certain
principe de réalité, un certain rapport au savoir et qu’il ne faut pas tomber dans une
simplification réduite de celui-ci. Encore une fois, une réflexion sur l’évaluation
s’impose. Si la sélection normative a ses limites, les jugements d’ordre psycho-
affectifs éloignent l’élève de sa construction du savoir, même limitée.
Je voudrais conclure cette partie sur l’importance de la perception de sa
compétence pour le renforcement de la motivation en contexte scolaire par les
travaux de Zimmerman, Bandura et Martinez-Pons (1992) sur la perception qu’un
élève a de sa compétence à utiliser des stratégies d’autorégulation. Ces stratégies
font partie des indicateurs de la motivation décrits par Rolland Viau. Ce sont des
stratégies utilisées par l’élève, consciemment, systématiquement et constamment
afin d’assumer la responsabilité de son apprentissage. Ces chercheurs ont démontré
que cette perception qu’un élève a de sa compétence à utiliser des stratégies
d’autorégulation influence positivement sa perception de sa compétence à accomplir
une activité, et que celle-ci influence à son tour sa façon de se fixer des buts,
laquelle influence finalement sa performance. L’enchaînement de ce type de
relations illustre parfaitement les connexions et l’inter-dépendance de ces
composantes de la motivation. Cela souligne également l’utilité d’intervenir sur les
stratégies d’autorégulation par le biais de situation de médiation pédagogique
intimement liées au développement de capacités métacognitives, permettant aux
élèves de corriger seuls leurs erreurs. Même si cette démarche peut sembler longue
et fastidieuse, il est essentiel d’amener les élèves à se corriger seuls, par
l’intermédiaire d’un retour réflexif afin d’analyser leurs démarches, éventuellement les
confronter à d’autres, et retarder au maximum la correction brutale et normative de
l’enseignant. La médiation pédagogique, par une focalisation plus importante sur le
cheminement intellectuel que sur le simple résultat, donne à chacun sa chance, à
son rythme. Cette posture enseignante permet de faire prendre conscience à
certains élèves en échec depuis de nombreuses années qu’ils sont capables de
raisonner et de progresser, à leur rythme. Dans ce cas, c’est la perception de la
contrôlabilité de la tâche qui se trouve renforcée.
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La perception de la contrôlabilité est la perception qu’un élève a du degré de
contrôle qu’il possède sur le déroulement et les conséquences d’une activité scolaire.
Par exemple, un élève qui connaît les éléments de grammaire, de conjugaison et
d’orthographe qu’il doit vérifier dans sa production écrite et qui sait se relire avec
méthode, a une perception élevée de la contrôlabilité. Cependant, cette perception,
caractéristique très personnelle, comme les autres perceptions peut être trompeuse.
En effet, un élève peut penser contrôler le déroulement d’une activité sans
réellement confirmer cette impression dans la réalisation de la tâche.
Cette perception de la contrôlabilité est avant tout influencée par la perception de sa
compétence, dont je viens de parler, et les perceptions attributionnelles (Tardif,
1992 ; McCombs, 1988 ; Candy, 1991). Ce lien causal n’est pas admis de tous les
chercheurs, mais il semble pourtant parfaitement illustrer les situations de
« résignation apprise ».
Rolland Viau s’est appuyé sur la théorie de Weiner (1992, 1984) pour présenter les
perceptions attributionnelles. Ce chercheur postule que le comportement d’une
personne est influencé par la façon dont elle perçoit les causes de ce qui lui arrive.
Certains élèves attribuent un succès en mathématiques à leur travail, d’autres à la
chance et quelques-uns à leur intelligence. Jusqu’à un âge relativement avancé,
c’est-à-dire jusqu’aux étudiants qui passent les concours d’enseignants par exemple,
les causes invoquées pour expliquer les échecs et les réussites sont nombreuses,
mais sont finalement très significatives des perceptions relatives à la motivation.
Weiner a classé ces causes selon trois dimensions : le lieu de la cause, sa stabilité et
le degré de contrôle que l’élève peut avoir sur celle-ci.
Le lieu de la cause permet de différencier les causes internes à l’élève (aptitudes
intellectuelles, talent, effort, fatigue, etc.), et les causes externes (difficulté des
exercices, chance, qualité de la formation, influence des camarades, etc.). Par
exemple, si on fait référence à la piètre qualité des enseignants et de la formation
pour expliquer son échec, on fait une attribution externe. Mais ceux qui invoquent la
fatigue ou un manque de travail font une attribution interne. Cela fait réfléchir, surtout
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lorsque l’on entend des commentaires relativement négatifs sur la formation à l’IUFM
ou à l’université par exemple.
La stabilité de la cause qualifie la temporalité de ces perceptions. Une cause est
dite stable lorsqu’elle a un caractère permanent aux yeux des élèves, contrairement
à une cause dite modifiable qui qualifie une cause, comme l’effort, susceptible
d’évoluer.
Le contrôle de la cause permet de classer les causes en relation avec leur
modifiabilité éventuelle par l’élève. Une cause est dite contrôlable quand l’élève
pense qu’il aurait pu l’éviter s’il avait voulu. A l’opposé, une cause est dite
incontrôlable si l’élève ne pense avoir aucun pouvoir de la modifier. Par exemple,
l’effort et les stratégies d’apprentissage sont des causes contrôlables, contrairement
à la chance ou à la qualité d’un enseignant.
Ces trois aspects des causes attributionnelles sont à prendre en compte, sans
oublier que ces perceptions portent sur des événements passés, alors que la
perception de la contrôlabilité se rattache à des activités à venir.
Ces trois dimensions d’une cause attributionnelle sont étroitement liées à la
perception de la contrôlabilité d’une activité. En effet, un élève qui attribue ses
échecs scolaires à une cause qu’il perçoit comme interne, modifiable et contrôlable
(par exemple, l’effort), se construit une perception élevée de la contrôlabilité de son
déroulement. Plus simplement, il croit en ses chances de progresser. Ce qui ne
serait pas le cas si cet élève avait attribué son échec à une cause supposée externe,
stable et incontrôlable. Dans ce dernier cas de figure, ce genre de perceptions, qui
se répèteraient, peut développer chez l’élève un sentiment de « résignation apprise »
(Thill, 1993), encore appelé « impuissance apprise » (Seligman, 1991). C’est sans
doute la forme la plus extrême d’incontrôlabilité qu’un élève puisse ressentir. Les
élèves ayant vécu une longue série d’échecs ne croient plus en leur progrès, ne se
considèrent pas intelligents et ne pensent pas pouvoir changer les choses de façon
durable et positive.
Au contraire, des études ont montré que les élèves qui réussissent le mieux
attribuent leurs succès aux efforts qu’ils fournissent et à leurs capacités
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intellectuelles, alors qu’ils attribuent leurs échecs à des causes internes, modifiables
et contrôlables comme l’effort.
Certaines études sur les perceptions attributionnelles ont permis de montrer la
fréquente confusion et l’amalgame fait entre effort et capacités intellectuelles. La
plupart des élèves, et beaucoup d’adultes, confondent ces deux notions et
conçoivent l’intelligence comme une cause interne, stable et non modifiable ! Ces
représentations expliquent que celui qui réussit sans fournir d’effort est considéré
comme plus intelligent que celui qui a la même réussite avec effort. C’est pour cette
raison, que les personnes qui craignent l’échec ne fournissent pas les efforts
nécessaires pour réussir afin de se garder l’excuse, en cas d’échec, du type : « Si
j’avais travaillé, j’aurais réussi… C’est pas mal pour le peu d’efforts que j’ai fait ! »
En guise de conclusion sur l’influence de cette perception de la contrôlabilité, je
voudrais souligner les travaux de Findley et Cooper (1983), qui ont réalisé une
centaine d’études sur ce thème. Globalement, ces recherches concluent à l’existence
d’une relation positive entre la perception de la contrôlabilité et la performance de
l’élève. Pour résumer la situation, plus un élève a une perception élevée de la
contrôlabilité de son apprentissage, plus il se sent responsable et acteur de sa
formation, meilleure est sa performance. Ces résultats confirment, au delà d’une
conviction intellectuelle ou d’une position éthique, l’importance de placer l’élève en
tant que sujet, acteur de ses apprentissages. Cependant, il faut oser interroger cette
notion d’acteur et réfléchir à sa signification et à ses conséquences pédagogiques et
didactiques. Je pense que les situations de médiation pédagogique peuvent
fortement contribuer à considérer l’élève « épistémologue » et acteur de la
construction de son savoir.
Après avoir longuement analysé les trois sources de la motivation mise en avant par
Rolland Viau comme fondatrices du sentiment de motivation en contexte scolaire, je
vais présenter les quatre indicateurs de la motivation : le choix de faire une
activité, la persévérance, l’engagement cognitif et la performance qui en résulte.
Ces indicateurs servent essentiellement à évaluer le profil motivationnel d’un élève
et à affiner les qualités d’observation et d’évaluation des enseignants. Cependant,
ces indicateurs ne résultent pas uniquement de la motivation ; ils dépendent
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également de facteurs cognitifs, des capacités de mémorisation et d’automatisation,
de raisonnement ou de compréhension…
Tout d’abord, le choix de faire une activité est le premier indicateur de la motivation
d’un élève. Cela pourrait paraître étonnant dans un cadre d’obligation scolaire, mais
dans des établissements défavorisés, de nombreux élèves en échec scolaire
construisent des stratégies d’évitement. Ils ne veulent pas d’ennui avec les
enseignants et feignent de rentrer dans le contrat didactique, voire fuient la relation
pédagogique. Ces élèves bavardent, rêvent, regardent par la fenêtre, n’écoutent pas
les consignes, disent à chaque fois, qu’ils n’ont pas compris, n’ont pas leurs affaires,
écrivent les questions lentement, et cherchent tout ce qui est possible afin de gagner
du temps et rentrer le plus tard possible dans l’activité. Ainsi, ils ne se confrontent
pas à l’obstacle, n’essaient pas de solution personnelle et attendent bien souvent la
correction avec une attitude passive. Un des objectifs d’une médiation est de
responsabiliser les élèves, déculpabiliser les essais et les erreurs, afin de permettre
une entrée plus active dans l’activité. Ce choix influence le persévérance et
l’engagement cognitif.
La persévérance est utilisée par Rolland Viau dans le sens de ténacité et est
associée à la durée d’un travail. La persévérance influence la réussite, mais il faut
également insister sur l’aspect qualitatif des efforts à fournir et non pas quantitatif.
Ainsi, les activités qui développent les capacités métacognitives aident l’élève à se
connaître en tant qu’apprenant et à évaluer l’efficacité de telle stratégie ou de telle
méthode.
L’engagement cognitif est le terme des psychopédagogues pour
qualifier les qualités d’attention et de concentration des élèves. Plus
précisément, l’engagement cognitif se définit comme l’utilisation
par l’élève de stratégies d’apprentissage et de stratégies
d’autorégulation lorsqu’il accomplit une activité. J’analyserai plus
finement ces stratégies lorsque je présenterai les situations de
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métacogniton associées aux médiations pédagogiques à visée
épistémologique.
La performance correspond aux résultats observables de l’apprentissage.
Cependant, le terme de performance a souvent une connotation négative, qui doit
être relativisée, car, selon l’approche sociocognitive de l’apprentissage, la
performance symbolise l’acquisition de connaissances déclaratives, procédurales ou
de stratégies d’apprentissage. La performance est à la fois une conséquence et un
indicateur de la motivation. Un élève motivé sera plus performant et un élève
performant sera plus motivé.
Depuis quelques années, les situations de médiation pédagogique que j’ai mises en
place avec les élèves de sixième SEGPA m’a permis d’observer une augmentation
significative de trois de ces quatre indicateurs. En effet, la plupart des élèves en
grande difficulté scolaire sont des spécialistes de l’évitement de la tâche, sans doute
dans un souci de se préserver, lassés de situations d’échec scolaire douloureuses.
Parmi les attitudes les plus fréquentes, ils « oublient » leurs affaires, ou « oublient »
de noter leurs devoirs, « ne comprennent rien », n’écoutent pas les consignes,
bavardent, chahutent, voire rentrent dans différentes formes de provocations. Il faut
être conscient des violences symboliques que véhicule l’école, ses exigences et
certaines pratiques pédagogiques. Lorsqu’un élève dit très tôt dans l’activité qu’il
« n’a rien compris », on pense qu’il n’a rien écouté, qu’il n’est pas attentif, pas
motivé… Cette phrase lui permet surtout de se protéger et d’éviter d’être ridiculisé ou
mis en danger par rapport au reste de la classe. C’est dans ce contexte que les
situations de médiation pédagogique sont très positives par leur traitement positif de
l’erreur, le respect de toute stratégie, et de toute tentative d’explication ou aveu
d’incompréhension. Le doit à l’erreur déclenche souvent une forte diminution des
stratégies d’évitement, accompagné par une persévérance et un engagement
cognitif accrus. C’est la posture enseignante de la médiation pédagogique qui me
semble la plus adaptée pour développer ce traitement positif de l’erreur. C’est
pourquoi cette démarche doit plus se fonder sur des situations didactiques adaptées
à chaque discipline plutôt qu’à des compétences transversales ou à des habiletés
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cognitives générales. En effet, nous soulignerons dans une prochaine partie la
prudence qui doit être de mise vis à vis du transfert de connaissances et de
compétences basées sur une cognition générale généralisable.
2-Caractéristiques de la médiation pédagogique permettant d’envisager un
renforcement de la dynamique motivationnelle en contexte scolaire.
2-1-Les sources et fondements théoriques de la médiation.
2-1-1-Fondements philosophiques.
La médiation cognitive s’inscrit dans le courant des méthodes cognitives, qui
s’appuient sur le principe de perfectibilité, qui se nomme, selon les auteurs,
éducabilité, modifiabilité, pronostic de progression ou redémarrage.
Avant même d’être un principe pédagogique, la perfectibilité est une notion
philosophique, qui correspond à présent à une valeur éthique de tout enseignant
soucieux de faire progresser chacun de ses élèves.
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C’est Jean-Jacques Rousseau qui employa pour la première fois le terme de
« perfectibilité », en 1755, dans son Discours sur l’origine et les fondements de
l’inégalité parmi les hommes. Il est admis que les deux principes de liberté et de
perfectibilité entretiennent chez lui une relation dialectique, sans enfermer pour
autant sa pensée dans une vision trop individualiste. En effet, l’éducation passe par
l’apprentissage difficile de la loi, et l’intégration de l’individu au contrat social.
Emmanuel Kant définit les lumières du XVIIIe siècle comme « la sortie de l’homme
hors de l’état de tutelle »10. Selon lui, chaque individu doit oser se servir de son
propre entendement. Cependant, il place cette émancipation dans une perspective
collective. Croire en l’entendement de chaque élève et créer les situations de son
développement et de son expression, c’est croire en l’éducabilité cognitive.
Plus récemment, Philippe Meirieu rappelle qu’il faut être « convaincu aujourd’hui
que l’exigence éthique en éducation est bien l’effort pour lier deux principes pourtant
apparemment contradictoires : le principe d’éducabilité qui veut que l’on attende
toujours que l’autre réussisse et que l’on fasse tout pour cela, et le principe de non-
réciprocité qui veut que, si l’on a tout à donner à l’autre, on n’a rien à exiger de lui, ni
sa reconnaissance, ni sa soumission, ni même sa réussite. »11
Un des fondements philosophiques essentiels de toute pédagogie constructiviste est
la philosophie du non de Gaston Bachelard. Il se démarqua du positivisme en
redéfinissant les rapports entre expérience et raison. La linéarité du triptyque
empiriste lui semble inadaptée. Il affirme que « rien ne va de soi. Rien n’est donné.
Tout est construit. »12
Selon lui, la science progresse de façon discontinue, par ruptures. Les obstacles
épistémologiques sont en nous et sont une forme de connaissance, qu’il faut
déconstruire afin de conceptualiser contre le sens commun. Il explique qu’ « on
connaît contre une connaissance antérieure, en détruisant des connaissances mal
faites, en surmontant ce qui, dans l’esprit même fait obstacle. »
10
KANT Emmanuel, Qu’est-ce que les lumières ?, 1784. 11
MEIRIEU Philippe, L’envers du tableau, Paris, ESF, 1993, (p.73). 12
BACHELARD Gaston, La formation de l’esprit scientifique, Paris, Vrin, 1938, (p.14).
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Tout progrès de la connaissance résulte d’une succession de négations, donc de
remises en question et de formulations critiques. L’esprit fonctionne essentiellement
grâce à la négation. Descartes, dans son Discours de la méthode, soulignait déjà
l’importance de mettre en doute tout savoir, afin de voir clair dans ses actions et
marcher avec assurance. Cependant, Bachelard n’a pas voulu enfermer sa pensée
dans un dogmatisme contraire à l’ouverture qu’il préconise. Cette philosophie du non
repose sur une perpétuelle remise en question, à un renoncement au sens commun,
dans une sorte d’ascèse intellectuelle qui confère à l’erreur un caractère majorant. La
vérité n’est qu’une succession d’erreurs rectifiées selon Bachelard, qui pensait que
« l’homme réfléchi est comme un gaucher contrarié ».
2-1-2-Fondements psychologiques.
Le constructivisme trouva d’abord en grande partie ses fondements psychologiques
dans l’œuvre de Jean Piaget (1896-1980). Ses travaux furent très importants, écrits
seul ou avec des collaborateurs comme Bärbel Inhelder. De nombreux psychologues
ont collaboré au Centre d’épistémologie de Genève, comme Jérôme Bruner ou
Feuerstein par exemple.
Piaget a centré ses travaux sur le développement de la pensée logique de l’enfant.
La terminologie piagétienne donne plus de précisions sur cet objectif qu’elle définit
comme « l’étude de la genèse des structures logiques et l’élaboration des
catégories de pensées », d’où le terme d’épistémologie génétique.
Le constructivisme piagétien définit le développement sous l’angle des structures
invariantes et opératoires du sujet épistémique. Ce structuralisme piagétien basé sur
les fameux schèmes, n’est pas prédéterminé dans le monde extérieur mais se
construit à travers l’action du sujet, au cours de son développement. L’action, acte
observable, trouve sa pertinence dans l’opération, définie par l’intériorisation
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(capacité de penser l’action), la réversibilité (possibilité de faire l’action puis de la
défaire) et articulée en structures.
Le terme de « théorie opératoire » est généralement employé pour parler des
travaux de Piaget, afin de souligner le fait que les fonctions cognitives sont des
ensembles d’opérations, qui s’établissent d’abord sur le plan concret, de façon
essentiellement motrice et intuitive, puis se développent progressivement sur le plan
formel et s’organisent en structures.
Le concept de stade de développement n’est pas assimilable à une théorie
maturationniste, mais à une conception active de l’accroissement et de la
construction des opérations mentales et de structures nouvelles. Il ne s’agit pas
d’attendre passivement le développement mais de créer les conditions favorisant le
passage d’une étape à une autre, à partir de la notion piagétienne fondamentale
qu’est l’équilibration. Ainsi, dans une situation nouvelle et inconnue, l’enfant essaie
d’abord de mettre en action les schèmes déjà construits. Une forme de
compréhension du monde apparaît avec l’activité du sujet. Les deux moments de
l’équilibration sont donc l’assimilation, c’est-à-dire la capacité à « assimiler » le
monde extérieur aux structures déjà construites, et de façon complémentaire,
l’accomodation, c’est-à-dire la construction de nouveaux schèmes, plus adaptés à
la situation. Pour Piaget, l’équilibration est une autorégulation dynamique, réglage
qui tend à s’améliorer en fonction des faits extérieurs qui interviennent, processus
jamais stabilisé en fait. Elle est majorante car les déséquilibres conduiraient
forcément à une forme meilleure des opérations et des structures.
Les stades de développement sont en fait les étapes logiques de cette adaptation.
La plupart des méthodes cognitives se sont appuyées sur les travaux de Piaget, car
à l’opposé de la théorie montante (« bottom up ») de Bachelard, qui part des
particularités des disciplines afin de conceptualiser, Piaget « s’intéresse donc à la
cognition, conçue comme un système général de schèmes, lequel s’instancie
moyennant des décalages, dans chacun des problèmes à résoudre : c’est une
théorie qu’on peut dire descendante, de type « top down » »13.
13
ASTOLFI Jean-Pierre, « Qui donc n’est pas constructiviste ? », colloque du SRED sur les constructivismes, Genève, 5 septembre 2000.
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Ces méthodes, dont les ARL (Ateliers de raisonnement logique) essaient donc de
développer la logique piagétienne, notamment son palier supérieur qu’est la pensée
hypothético-déductive.
Si pour Piaget, les interactions avec le milieu sont à l’origine de conflits cognitifs,
Vygotski appuie toute sa théorie sur les interactions sociales. Cette distinction a
suscité de nombreux débats et a été prise en compte par des néo-piagétiens.
Anne-Nelly Perret-Clermont a donc élargi la notion de conflit cognitif à celle de
conflit socio-cognitif. Elle fut à la fois psychologue, formée à la démarche
piagétienne de l’école de Genève, et sociologue, ce qui l’orienta vers la psychologie
sociale cognitive.
Selon Michel Perraudeau, « cette double formation la conduit à développer une
recherche où les coordinations cognitives ne sont plus envisagées sous le seul angle
du paramètre individuel, mais davantage à travers l’interaction sociale. Dans
l’ouvrage de référence, publié en 1981, elle montre la manière dont les interactions
sociales facilitent l’élaboration de structures de la connaissance de l’individu. Ce
faisant, elle jette un pont entre la conception piagétienne du développement cognitif
et celle ouverte à la relation sociale développée dans certains travaux de
Vygotski.»14
La thèse d’Anne-Nelly Perret Clermont a permis de souligner l’importance de
« l’action commune de plusieurs individus, nécessitant la résolution d’un conflit entre
leurs diverses centrations. »15 Doise et Mugny ont également travaillé sur ce
concept, prolongeant les travaux de Piaget et Vygotski.
Gilly, qui a collaboré à un ouvrage avec Anne-Nelly Perret-Clermont, spécifie que
« l’objectif de la théorie n’est pas de proposer un modèle descriptif original du
développement de l’intelligence. Le cadre retenu concernant l’ontogenèse et la
filiation des stades est celui de la théorie piagétienne dont la théorie du conflit
socio-cognitif adopte les points de vue constructiviste et structuraliste. En tant que
14
PERRAUDEAU Michel, Les méthodes cognitives, Apprendre autrement à l’école, Armand Colin, 1999. 15
PERRET-CLERMONT Anne-Nelly, La construction de l’intelligence dans l’interaction sociale, Peter Lang, Bern,
1981, (p.39).
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théorie psychosociale du développement de l’intelligence, (…) elle reprend l’idée que
l’intervention de variables sociales est nécessaire au développement cognitif
individuel à certains moments clés de la genèse. (…) Le modèle explicatif les prend
en compte en tant qu’ éléments constitutifs du mécanisme lui-même. Si l’on reprend
le langage utilisé par Moscovici (1984) , le regard porté est caractérisé par une
lecture ternaire (Ego – Alter – Objet) et non pas une lecture binaire (Ego – Objet).
(…) C’est pour cela que le modèle explicatif du conflit socio-cognitif est un modèle
« psychosocial » et non un modèle « psychologique ». »16
Ce concept de conflit socio-cognitif est essentiel dans les pédagogies de la
médiation, qui s’appuient en grande partie sur les travaux de Lev Vygotski (1896-
1934), qui affirment la prééminence des relations sociales. Si pour Piaget, le social
n’intervient que dans un second temps, Vygotski considère qu’il est le moteur de la
pensée. Pour lui, le développement de la connaissance procède du social vers
l’individuel, de « l’inter-psychisme » vers « l’intra-psychisme ».Le mouvement de
la pensée, fortement médiatisée par le langage, va du conflit interpersonnel, à
travers la confrontation des représentations ou des stratégies des élèves, au conflit
intrapersonnel, permettant le dépassement de ses représentations inopérantes. C’est
ce passage de l’interpersonnel à l’intrapersonnel qu’ont repris les adeptes du conflit
socio-cognitif.
Dans ces situations, le rôle de l’enseignant est bien celui d’un médiateur, qui
organise les conflits cognitifs intrapersonnels et les conflits interpersonnels, gère les
oppositions, aide les enfants à expliciter leurs stratégies, ou met en place des
situations-problèmes permettant la confrontation puis le dépassement d’obstacles.
Cependant, ces situations doivent s’opérer dans la « zone proximale de
développement », concept qui renforce, avec l’optimisme du primat de
l’apprentissage sur le développement, le postulat d’éducabilité. C’est la distance
entre le niveau de développement actuel tel qu’on peut le déterminer à travers la
façon dont l’enfant résout les problèmes seul et le niveau de développement
potentiel tel qu’on peut le déterminer à travers la façon dont l’enfant résout les
problèmes lorsqu’il est assisté par l’adulte ou collabore avec des pairs plus avancés.
16
GILLY Michel, in Anne-Nelly Perret-Clermont, M.Nicolet, Interagir et connaître, Delval, 1988.
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La gestion de la parole et l’organisation du langage sont des éléments essentiels de
toute situation de médiation. C’est en fait un des concept clés de la théorie de
Vygotski : « La pensée de l’enfant, ainsi pourrait-on formuler cette thèse, dépend
dans son développement de la maîtrise des moyens sociaux de la pensée, c’est-à-
dire dépend du langage. »17 Il jette ainsi les bases de l’interactionnisme social.
Selon l’influence des travaux de Vygotski, une situation de médiation
efficace serait donc capable de générer des confrontations
intellectuelles conflictuelles, exprimées par le langage, dans la zone
proximale de développement de chaque apprenant.
Jérôme Bruner, le psychologue américain de la cognition, qui a
traduit Vygotski en anglais, a également travaillé avec Jean Piaget.
Les travaux de Bruner sont significatifs pour les pédagogies de la
médiation, par l’importance de l’interaction de tutelle et de
l’étayage.
La conception brunerienne est issue de la conception piagetienne en ce qu’elle
considère que le concept ne peut se former autrement que par construction. Elle s’en
éloigne en ce que la construction, pour Bruner, s’effectue grâce au langage, en
interaction avec les individus, comme Vygotski l’avait théorisé.
Les méthodes cognitives d’inspiration brunérienne insistent sur les points suivants :
connaître la carte cognitive des apprenants, maîtriser la structure conceptuelle du
savoir au cœur de la situation d’apprentissage, définir un tutorat entre celui qui
apprend et celui qui maîtrise le schème, mettre en place des situations d’interaction
permettant de construire de manière inférentielle le concept.
L’importance de ces interactions chez Bruner fait écho aux travaux de Perret-
Clermont. Cependant, celle-ci situe l’interaction du côté de la parité (chaque élève
17
VYGOTSKI Lev, Pensée et langage, paru de manière posthume en 1934, retiré des librairies sous Staline, traduit en anglais par Bruner, puis en français en 1985.
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enrichit l’autre quelque soit son niveau cognitif), alors que Bruner considère
l’interaction de tutelle comme une sorte de « modeling effect », faite d’imitation de
conduites, se rapprochant ainsi de l’apprentissage vicariant de Bandura.
Parmi les méthodes cognitives, celle qui fut à l’origine du courant de médiation
cognitive est le programme d’enrichissement instrumental (PEI) de Reuven
Feuerstein. Loin de moi l’idée d’affirmer que l’on ne peut faire de la médiation que si
l’on fait ce fameux PEI, mais je vais essayer de montrer ce qui, selon moi, pose
problème, voire n’a pas l’efficacité attendue, et de souligner les points essentiels sur
lesquels on pourrait construire toute situation de médiation.
2-2-La médiation cognitive : le PEI de Reuven Feuerstein.
Feuerstein crut rapidement au potentiel d’évolution des structures opératoires des
apprenants, à la suite de tests passés, dès 1945, par de jeunes migrants fondateurs
de l’Etat d’Israël qui avaient connu l’holocauste. Refusant les tests classiques basés
sur l’échec, il mit au point une série d’évaluations du potentiel d’apprentissage, qui
mesure le comportement du sujet, avant, puis après lui avoir donné des éléments de
stratégie lui permettant de résoudre les problèmes auxquels il est confronté. Cette
approche renvoie au concept de « zone proximale de développement » de Vygotski.
Mais Feuerstein parle de « pédagogie active modifiante » lorsque la tâche est
complexe et nécessite des interactions sociales, et de « pédagogie passive
acceptante » lorsque le formateur donne des tâches trop simples.
Ancien élève de Piaget, Feuerstein utilise le cadre théorique des stades de
développement opératoire.
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Feuerstein, à partir de ses pratiques, va fonder sa théorie, basée sur la réalité de la
modifiabilité cognitive et sur la capacité de chaque individu d’apprendre à
apprendre. Il met au point le programme d’enrichissement instrumental, dont les
deux principes fondateurs sont le potentiel d’éducabilité et la médiation structurante.
Sa méthode comporte quatre outils fondamentaux : le plan du déroulement de
chaque séance, la carte cognitive, la liste des fonctions cognitives et les critères de
médiation. Les instruments sont des fichiers préconstruits qui proposent des tâches
dans différents domaines de la cognition et de la structuration des opérations
logiques : classes, relations et nombres, dans une logique très piagétienne, dont
l’objectif essentiel est la maîtrise du raisonnement hypothético-déductif.
Ces exercices sont décontextualisés des disciplines scolaires habituelles.
Feuerstein voulait favoriser la décentration de l’élève, et éviter d’ancrer sa méthode
dans une discipline dont la représentation première pouvait être synonyme d’échecs.
L’objectif principal vise donc le développement de compétences transversales.
Ce sont particulièrement ces derniers aspects de la théorie de Feuerstein qui posent
problème, voire qui n’ont pas réellement prouvé leur efficacité. « Les résultats des
évaluations des méthodes cognitives, qui montrent plus ou moins l’amélioration de
l’image de soi et le développement des capacités de communication, sont plus
nuancés, voire franchement négatifs, lorsqu’il s’agit d’apprécier le transfert des
acquis aux contenus. » 18 Comme le souligne Alain Moal, aucun chercheur
s’intéressant aujourd’hui au transfert des acquis ne croit à la possibilité de transférer
des procédures de résolution de problèmes d’une situation à une autre.
Je souhaiterais à présent présenter le déroulement type d’une séance de PEI selon
Feuerstein, ainsi que les critères de médiation qu’il a établis afin d’évaluer la position
du médiateur. Si les défenseurs de ces méthodes sont très pointilleux sur ces
aspects, afin de respecter la pensée de Feuerstein, je pense que certains aspects
sont plus fondamentaux que d’autres, et doivent être utilisés dans toute situation de
médiation, au-delà même du PEI.
18
MOAL Alain, « Apprendre à apprendre ? », Cahiers de Beaumont, 74-75, 1997.
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La première partie du déroulement d’une séance de PEI concerne la présentation
de la séance. Tout d’abord, il est important de recontextualiser cette séance avec la
précédente, en resituant les objectifs de la séquence. Cette première phase me
semble essentielle dans toute situation d’apprentissage afin de donner du sens et de
favoriser une certaine clarté cognitive. Les élèves doivent être capables de se situer
eux-mêmes dans un projet ou une séquence, afin d’en rappeler les objectifs et les
obstacles rencontrés par exemple.
Ensuite, la fiche est distribuée et on laisse un temps à l’observation individuelle.
Laisser un temps personnel de réflexion est essentiel et souvent oublié dans un
souci d’échanges ou de reformulation quelquefois trop hâtif. J’ai assisté à quelques
séances de PEI. Une des premières questions que je me suis posées tournait autour
de ces fameuses fiches. Comment de telles fiches décontextualisées des savoirs
scolaires pouvaient avoir du sens et motiver les élèves ? C’est justement le but de
Feuerstein ? Je reste perplexe. Les élèves aiment savoir que ce qu’ils font peut les
aider à progresser dans les disciplines scolaires. Qu’une situation nouvelle autour de
fiches les intéresse dans un premier temps, je veux bien l’admettre, mais comment
les présenter si le transfert tarde à se réaliser ? Le déroulement de ces séances m’a
également paru très rigoureux, dans le souci très visible de respecter la pensée de
Feuerstein. Ce que j’ai pu observer m’a semblé de ce fait assez rigide et très orienté
par le médiateur. Ne pouvant être formé moi-même à cette méthode, j’ai tenté d’en
tirer ce qui pouvait être très formateur dans des situations de médiation basées sur
des apprentissages scolaires.
Après le temps individuel d’observation de la fiche, le maître demande au groupe
d’élèves de présenter la fiche, tant sur la forme que sur le fond. Un travail sur la
consigne est également entrepris, au niveau de l’énonciation, la compréhension, la
reformulation et l’explicitation. Cette étape autour de la consigne est essentiel, et
demande un travail de préparation de la part de l’enseignant, qui doit s’attacher à la
bonne compréhension par tous de ce qu’il faut faire. Il m’est arrivé, comme à de
nombreux collègues, de me rendre compte qu’un élève n’avait pas bien compris la
consigne, simplement au moment de la correction, lorsque je l’envoyais au tableau.
La deuxième grande partie de la séance de PEI concerne la réalisation individuelle
de la tâche, suivie par le médiateur.
La troisième partie doit être la mise en commun des réalisations et l’explicitation
des stratégies de résolution utilisées.
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Cette étape me semble essentielle dans toutes les situations de médiation
pédagogique. On ne doit pas attendre de faire des séances de PEI pour travailler la
mise en commun des stratégies ou représentations. D’ailleurs, c’est lors de ma
formation initiale en didactique des sciences que j’ai découvert cette étape
fondamentale dans une approche socio-constructiviste de l’apprentissage. C’est
cette étape que j’essaie de faire vivre à mes élèves dans la plupart des situations
d’apprentissage, les mettant par ce biais en situation de médiation, car je n’interviens
pas directement pour donner la bonne solution ou corriger magistralement un
problème. Je tente toujours de m’appuyer sur les propositions des élèves, les
obligeant à échanger leurs façons de voir ou de faire, les laissant s’interroger sur les
limites possibles d’un raisonnement par exemple.
La quatrième partie concerne la réalisation du reste de la tâche, individuellement.
La cinquième étape doit voir l’émergence du principe de généralisation, la sixième
s’efforce de mettre en œuvre des transpositions par rapport à des situations vécues
et en anticipation à d’autres situations susceptibles d’advenir, et la septième dresse
un résumé-bilan de la séance.
Il me semble intéressant de faire un bilan et de tenter de construire un consensus,
une généralisation , une institutionnalisation d’un moyen efficace de franchir
l’obstacle.
Cependant, le débat concerne le champ d’application de cette étape. Feuerstein, à
travers le PEI, vise les compétences transversales, l’apprendre à apprendre.
Pour ma part, en raison de l’efficacité relative de ces approches générales de la
cognition, je préfère appliquer ces principes méthodologiques aux contenus habituels
des disciplines, selon les recherches en didactiques concernées.
Il est évidemment très tentant de viser des connaissances qui permettraient de sortir
de l’échec scolaire de nombreux élèves, mais est-ce crédible avec la réalité
complexe des disciplines et des didactiques ?
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C’est également pour ces raisons qu’Alain Moal considère que « la médiation se
présente donc comme une démarche et non pas comme une méthode « clés en
main ». »19
Feuerstein a établi des critères de médiation afin de définir les attitudes
professionnelles de tout médiateur. Je pense qu’au-delà même du PEI, certains de
ces critères sont essentiels dans n’importe quelles situations de pédagogie de la
médiation.
2-3- Les critères de médiation
Alain Moal en a repris les principes, en tant que Maître de conférence en psychologie
au Centre de Formation Continue sur la médiation de l’université René Descartes à
Paris V. Des douze critères définis par Feuerstein, l’équipe d’Alain Moal en a
caractérisé dix-huit, classés en trois entrées : la pose de repères et de limites
(l’entrée sociale), la cogestion de la tâche (l’entrée cognitive) et la restauration du
narcissisme (l’entrée affective). Certains critères relèvent des dimensions sociales
et affectives.
La pose de repères et de limites :
L’intentionnalité et la réciprocité : le médiateur affiche clairement et constamment
ses intentions par rapport au groupe d’apprenants. Il définit clairement les objectifs
poursuivis et les moyens mis en œuvre. Il s’agit de poser les repères de la situation
pédagogique dans une certaine transparence. Afin de lier ces critères avec la
conception de la motivation en contexte scolaire de Rolland Viau, je pense que c’est
19
MOAL Alain, Conférence à Beauvais le 25 mai 1999.
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le moment d’insister sur les buts d’apprentissage ou de performance que l’élève s’est
fixés, afin de renforcer la perception de la valeur de l’activité.
La transcendance : prendre du recul par rapport à l’immédiat, gérer l’axe temporel
et développer le système de besoins constituent l’essentiel de la médiation de la
transcendance. Cela va aider à montrer que le passé sert à comprendre le présent,
et qu’en analysant le passé et le présent, on peut préparer l’avenir. Il s’agit de créer
des liens logiques et temporels afin d’aider les élèves à construire le sens de ce
qu’ils apprennent. C’est dans cette optique, que la perception de la valeur de
l’activité n’en sera que plus forte et la motivation redynamisée.
La signification : Elle va dans le même sens que la médiation de l’intentionnalité,
mais elle est centrée sur la tâche à réaliser. Elle vise à signifier ce qui est essentiel
dans le travail à réaliser et dans les transferts possibles…
La restauration narcissique :
Le sentiment de compétence : c’est le critère à travailler en priorité avec les élèves
en grande difficulté scolaire, comme ceux qui sont orientés en SEGPA. (Section
d’Enseignement Général et Professionnel Adapté) Il faut prouver aux élèves et être
soi-même persuadé que tous les élèves ont un potentiel de compétence et de
développement de leurs capacités intellectuelles. Le principe d’action d’une
pédagogie de la médiation est de confronter l’élève à un problème habituellement
difficile pour lui, et de l’amener à dépasser ses obstacles, en échangeant avec les
autres et en verbalisant ses procédures, guidé à travers une situation très réfléchie
sur le plan didactique. Il faudra aussi lui donner les moyens de s’auto-évaluer de
façon objective afin qu’il prenne conscience de ses progrès et de ses capacités de
raisonnement, jusqu’ici ignorées par lui-même.
Ce critère renvoie directement à la perception de la compétence, considérée par
Alain Viau, comme un des trois déterminants essentiels de la motivation en contexte
scolaire. Cette perception est également renforcée par le critère suivant.
Le défi : est complémentaire à la médiation du sentiment de compétence et recouvre
un des aspects de la médiation de la transcendance. Il s’agit de remplacer une
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réaction de fuite face à la complexité de la tâche par une réaction d’envie d’essayer,
de relever un défi, donc de motivation à apprendre. Cette médiation fonctionne
lorsque la confiance en soi est un peu restaurée. Ce critère doit aider les élèves à
choisir une activité et à persévérer, deux éléments essentiels, qui sont des
indicateurs de la motivation en contexte scolaire selon Rolland Viau.
Les critères ayant une dimension sociale et affective.
L’acte de partage : c’est un critère important avec des gens qui ont perdu l’habitude
de s’exprimer en groupe et d’avoir des conduites socialisées à propos des activités
intellectuelles. Ce critère vise à dédramatiser l’échec et à donner un statut positif à
l’erreur, point d’ancrage d’échanges entre pairs et médiateurs fondamentaux dans la
construction du savoir. Ce partage développe l’expression de chacun et par
conséquent l’écoute réciproque attentive et respectueuse.
Le processus d’individuation et de différenciation : vise à ne pas négliger les
différences individuelles. La pédagogie de la médiation propose un travail qui est
essentiellement centré sur le groupe. On travaille en groupe, avec des périodes de
travail individuel (alternance des phases de régulations sociales et
d’autorégulations). Il convient donc d’indiquer que le travail de groupe n’exclut pas la
valeur individuelle de chacun. Le travail du médiateur sera de souligner les points
forts et les points faibles de chaque membre du groupe, d’encourager les réponses
originales, et de considérer chacun comme un être unique.
Le sentiment d’appartenance : il est probablement inhérent à l’espèce humaine,
mais il convient de le renforcer, spécialement dans un groupe classe habitué à
l’échec, la violence et aux conflits multiples.
Les critères de co-gestion de la tâche :
Le maintien de l’orientation : c’est tout ce qui se joue autour du maintien de
l’attention sur la tâche, allant des explications nécessaires en début pour motiver
l’élève, au rappel en cours de réalisation.
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La signalisation des caractéristiques déterminantes : c’est l’acte assez quotidien
pour un enseignant qui consiste à indiquer l’information ou l’élément occulté par
l’apprenant, afin de le relancer dans l’activité. Cependant, cette signalisation ne doit
pas être trop directe et laisser libre cours à une nouvelle analyse de l’élève, aidé par
un pair par exemple.
La régulation du comportement : porte en soi le sens de l’action à mener afin de
conserver une ambiance de travail saine et respectueuse de chacun.
La recherche d’un but, le choix et l’achèvement : ces critères font écho
directement avec l’importance des buts dans la perception de la valeur d’une activité,
déterminant essentiel de la motivation en contexte scolaire selon Viau, ainsi qu’aux
indicateurs de choix, de persévérance et d’engagement cognitif, qui, dans une
perspective de déterminisme réciproque peuvent directement influencer la
motivation.
J’ai essayé de créer les liens qui me semblaient directs entre l’essentiel des critères
de médiation et les déterminants ou indicateurs de la motivation en contexte scolaire.
Cependant, les situations de médiation pédagogique, notamment au moment des
échanges entre pairs, des mises en commun, ou d’éventuelles aides individualisées,
ont recours à deux domaines fondamentaux et complémentaires : la métacognition
et le traitement positif et constructif de l’erreur.
2-4-Médiation et métacognition.
Le concept de métacognition, fondé par John H. Flavell dans les années soixante-
dix, est proche de celui de « prise de conscience » dont Jean Piaget a fait un
maillon essentiel du développement de l’intelligence. Pour ce dernier, les opérations
n’ont pas de caractère inné, elles se développent en permanence par abstraction
réfléchissante. Le schème initial est réfléchi sur un palier mental supérieur, ainsi il
s’élargit et se coordonne à d’autres schèmes facilitant non seulement la prise de
conscience par l’individu de son action, mais également celle de son intériorisation.
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La métacognition est donc la cognition sur la cognition, comme le préfixe « méta »
le signifie. Selon John H. Flavell, « la métacognition se réfère aux connaissances du
sujet sur ses propres processus et produits cognitifs. Elle renvoie aussi au contrôle
actif, à la régulation et à l’orchestration de ces processus. »
Il existe deux pôles de la métacognition : des connaissances métacognitives ou
métaconnaissances, de type déclaratif, et des processus de contrôle et
d’autorégulation.
John H. Flavell a déterminé quatre catégories de métaconnaissances : celles sur
les personnes en général (fonctionnement cognitif en général) et sur le sujet lui-
même, celles sur les tâches à réaliser et les connaissances à construire, celles sur
les stratégies, procédures et méthodes de travail, et celles qui sont les plus
fréquentes car elles combinent l’interaction des trois premières.
Les processus de contôle par le sujet de son activité doivent l’aider à se distancier,
à réfléchir sur son propre fonctionnement afin de l’optimiser pour assurer une plus
grande réussite future.
Il existe trois types d’opérations de contrôle :
Tout d’abord, les opérations d’anticipation et de prévision sont des processus qui
servent à mieux se représenter la tâche et planifier ce qu’il faut faire.
Deuxièmement, les opérations d’évaluation ou d’autorégulation servent à guider
l’apprenant par rapport au but d’apprentissage fixé, en travaillant à partir des erreurs
éventuellement commises.
La troisième sorte d’opération de contrôle concerne l’évaluation terminale.
La métacognition viserait trois grands objectifs :
Elle permettrait d’assurer plus de réussite dans la gestion des tâches et l’acquisition
de connaissances et de compétences.
Elle permettrait de développer l’autonomie des apprenants en favorisant le transfert
des connaissances et des compétences.
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Elle permettrait de développer la motivation grâce au renforcement du concept de
soi.
Au niveau de la réussite des élèves, des recherches commencent en effet à mettre
en évidence des améliorations, notamment dans le domaine des mathématiques et
de l’orthographe (Gurtner et al. 1993). D’autres ont été réalisées, et les premières
conclusions générales semblent aller dans ce sens d’une amélioration de la réussite
scolaire.
C’est au niveau des possibilités de transfert que les interrogations, voire même les
doutes sont les plus nombreux. Certaines recherches tendent à montrer les difficultés
de transfert, voire leur incapacité d’une discipline à une autre, allant complètement à
contre sens des finalités ces méthodes cognitives. Dans une prochaine partie,
j’exposerai plus en détails les interrogations au sujet du transfert.
Le troisième objectif m’intéresse tout particulièrement pour la problématique de ce
mémoire.
Comment la métacognition, intimement liée à la médiation, pourrait-elle
renforcer la motivation ?
Les connaissances métacognitives et le développement des processus de contrôle
aident l’élève à se construire un sentiment d’autoefficacité solide et une
attribution interne de ses apprentissages. Cela développe chez lui la perception de
sa compétence, et la perception de la contrôlabilité de la tâche, notamment les
perceptions attributionnelles. Les activités métacognitives aident l’élève à se
représenter des causes internes, modifiables et contrôlables, qui vont, à leurs tours,
dans un déterminisme réciproque, renforcer le sentiment de compétence, et
finalement la motivation à apprendre.
De plus la métacognition permet de mieux définir des buts d’apprentissage, et des
critères d’évaluation, essentiels dans le développement de la perception de la valeur
de l’activité, qui est le troisième déterminant fondamental de la motivation en
contexte scolaire selon Viau.
C’est pourquoi, la métacognition aide à renforcer la motivation par la construction
progressive et essentielle pour l’apprenant du concept de soi.
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De plus, le lien entre la réussite et la prise de conscience de sa propre réalité de
sujet apprenant, contribue, dans une spirale très positive, à renforcer la motivation en
contexte scolaire. Les apprenants prennent conscience que leurs efforts portent leurs
fruits, qu’ils sont capables de raisonner et de progresser. Ces prises de conscience
permettent de lutter contre le phénomène de résignation apprise, avant même de
développer une motivation intrinsèque. C’est pourquoi, j’ai souhaité prendre appui
sur le développement des perceptions de soi, développé par Viau, notamment le
sentiment d’autoefficacité, théorisé par Albert Bandura.
D’ailleurs, Gurtner et ses collaborateurs, au cours de leurs travaux de recherche sur
la métacognition, ont souligné le développement des dynamiques motivationnelles.
Anne-Mary Doly présente ces démarches métacognitives comme des moyens
d’essayer de « comprendre ce qui se passe dans la tête de l’élève et une façon de
mettre en place des dispositifs qui contribuent à sa réussite. » Plus précisément,
« l’apprentissage n’est possible que s’il s’appuie sur les capacités actuelles de
développement : c’est parce que le sujet peut utiliser ce qu’il sait déjà de façon
explicite et implicite, qu’il peut comprendre, c’est-à-dire étymologiquement
« prendre » (prehendere) le nouveau, et l’intégrer « avec » (cum) le connu. »20
La métacognition et la médiation sont intimement liées, comme le souligne Anne-
Marie Doly, qui propose que l’enseignant devienne un médiateur, véritable tuteur
dans l’interaction, pour reprendre les termes de Bruner. Elle propose plusieurs
rôles :
-le tuteur guide le novice dans son activité, lui propose une tâche claire, dont les
objectifs sont clairement explicités ;
-il évite que le sujet se jette dans la tâche mais l’incite au contraire, pour prévenir une
surcharge cognitive, à procéder de façon moins impulsive ;
-il encourage les essais successifs, utilise l’erreur de façon positive pour permettre
une meilleure analyse et une prise de conscience plus pointue ;
-il favorise l’attitude de déduction, la formulation d’hypothèses et d’inférences comme
le propose Britt-Mari Barth21.
20
DOLY Anne-Marie, Métacognition et médiation, CRDP d’Auvergne, 1997. 21
BARTH Britt-Mari, Le savoir en construction, Retz, Paris, 1993.
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Éric Saillot – Mémoire Master 1 Sciences de l’éducation – direction de Jean-Pierre Astolfi
-il favorise l’autoévaluation et la régulation de l’activité pendant la gestion de la tâche
(monitoring) et consécutivement à l’action (prise de conscience).
Cette liste n’est pas exhaustive, mais elle montre bien combien la métacogntion est
proche de la médiation, car la plupart de ces propositions font écho à certains
critères de médiation.
Michel Grangeat propose une autre piste pédagogique de la métacognition. Pour
réguler des régulations réfléchies, il convient d’outiller les sujets. Cette
instrumentation passe par la construction de métaconnaissances efficaces,
contextualisées et réactivables durant une activité. Anne-Marie Doly, dans le même
ouvrage affirme que « le sujet doit avoir des métaconnaissances qui soient
disponibles en mémoire pour être réutilisables . »22
Basin et Girerd se sont penchés sur la question et proposent quelques pistes
intéressantes, comme l’utilisation de grilles présentant, en parallèle, les matières
(et/ou les tâches) avec les stratégies cognitives identifiées. L’élève sera ainsi conduit
à définir ce qu’il faut faire et ce qu’il envisage pour réussir le travail demandé. Il
développera des stratégies de références, de vérifications, de comparaisons, de
déductions ou encore de classements. Ces stratégies sont cependant diversement
utilisées par les élèves. Un travail sur l’explicitation s’avère très précieux pour
permettre à l’élève de revenir sur ses façons de faire.
Sur ce dernier point, je crois qu’il faut souligner les travaux de recherche de l’équipe
de Pierre Vermersch (GREX) sur l’entretien d’explicitation, qui a mis au point une
technique de questionnement à partir de grilles de repérage de ce qui est dit par
l’apprenant et de techniques de formulations de relances (questions, reformulations,
silences…).
Il distingue, dans son ouvrage de référence23, trois grands buts pour l’entretien
d’explicitation :
-aider l’intervieweur à s’informer, notamment sur les types d’erreurs ou les
représentations.
22
DOLY Anne-Marie, « Métacognition et médiation à l’école », in GRANGEAT Michel et MEIRIEU Philippe, La métacognition, une aide au travail des élèves, Paris, ESF, 1997. 23
VERMERSCH Pierre, L’entretien d’explicitation, Paris, ESF, 1994.
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-aider l’élève à s’auto-informer, en prenant conscience de ses démarches par un
retour réflexif sur la réalisation de l’activité.
-lui apprendre à s’auto-informer, c’est-à-dire lui apprendre à apprendre.
Ces objectifs sont très proches, voire assimilables à une pédagogie métacognitive.
Globalement, il convient de retenir qu’il faut éviter les questions du type
« pourquoi ? », qui interrogeraient l’apprenant sur les raisons de son action, au-delà
même du domaine purement cognitif. Il est préférable de poser toutes les questions
qui induiront une réponse ponctuelle et descriptive, du type « comment ? ». De cette
façon, on peut amener l’apprenant à décrire le déroulement temporel de la tâche (le
début, l’enchaînement des actions, la fin, à décrire ses prises ’informations, ses
interrogations, ses choix…).
2-5-Intérêts et limites de ces approches cognitives : quelle réalité pour le
transfert ?
Le principal problème de ces méthodes cognitives est qu’elles reposent sur le
postulat a priori du transfert dans l’apprentissage, en s’appuyant sur la construction
de structures logiques piagétiennes. En effet, dans le cadre de la psychologie
génétique, la priorité est donnée à la construction d’invariants, par une généralisation
et une abstraction progressives à partir des expériences du sujet. La plupart des
acteurs de l’école ont encore très largement ces représentations, dans lesquelles les
schèmes permettent de s’adapter à des situations très variées, et par conséquent,
conditionneraient le transfert.
Ces méthodes cognitives postulent donc qu’un travail général sur la cognition, sur la
transversalité des opérations mentales, doit permettre le transfert.
Or, la plupart des recherches sur le transfert, notamment dans le cadre de résolution
de problèmes en mathématiques, n’ont pas prouvé la validité de ce postulat.
De plus, dans le modèle de psychologie cognitive du traitement de l’information, la
priorité est donnée à l’analyse des tâches spécifiques, chacune mettant en jeu et
combinant des connaissances, procédures, algorithmes et routines. Le
fonctionnement de la mémoire de travail en lien avec la mémoire à long terme par le
biais de l’automatisation, est central dans ce point de vue très fonctionnaliste. Dans
ce cadre théorique d’une étude locale du fonctionnement de la cognition, la notion de
transfert devient difficile à concevoir et ne serait qu’un horizon possible.
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Les méthodes cognitives se sont appuyés sur des principes théoriques qui sont
devenus ambigus.
Lorsque Jérôme Bruner écrit « connaître est un processus et non un produit, on
n’élève pas les enfants pour en faire de petites bibliothèques ambulantes », il pose
les bases conceptuelles du fameux « apprendre à apprendre ».
S’il semble réducteur de limiter le fait d’apprendre à l’acquisition de contenus,
sacraliser « l’apprendre à apprendre » limite tout autant la réalité complexe des
apprentissages.
Alain Moal souligne l’importance du contexte social dans lequel le transfert est
tenté. « Parmi la variété de situations d’apprentissage possibles, l’alternance entre
travail de groupe (régulation sociale avec interaction de tutelle) et le travail individuel
(autorégulation) donne les résultats les plus probants. »24
Il insiste également sur le contexte socio-affectif (le conatif), déterminant dans les
activités métacognitives.
La distance de transfert est par ailleurs une condition déterminante dans sa
réussite. Le transfert serait donc déterminé par la nature des tâches.
A ce sujet, selon Jacques Tardif25, ce n’est pas la « distance cognitive » objective
entre une tâche-source et une tâche-cible qui détermine par elle-même le transfert
des apprentissages, mais le degré de similitude que perçoit subjectivement
l’apprenant entre les deux tâches.
Il réaffirme l’échec des méthodes d’éducabilité cognitive par la difficulté de transférer
des compétences transversales développées « hors contenu », par un travail direct
des opérations mentales ou des fonctions cognitives.
Selon lui, le transfert ne repose pas sur la généralisation d’un apprentissage local,
mais plutôt sur un processus de particularisation. L’expert est celui qui sait
sélectionner une procédure pertinente parmi un grand nombre mentalement
disponibles. Dans ce domaine, le fonctionnement de la mémoire, permettant la
familiarisation avec le domaine concerné, et le rôle de l’automatisation sont encore
une fois primordiaux.
24
MOAL Alain, « Apprendre à apprendre », op. cit. p.33. 25
TARDIF Jacques, Le transfert des apprentissages, éditions Logiques, Montréal, 1999.
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Cependant, dans quelle mesure les élèves peuvent retrouver en mémoire à long
terme des situations préalablement traitées leur permettant de résoudre le problème
rencontré par analogie ?
Les psychologues distinguent les « traits de structure », concernant des notions,
des propriétés, ou des opérations logiques impliquées dans la situation, et les
« traits de surface », qui concernent « l’habillage » des problèmes.
Malheureusement, il semble que les élèves soient plus sensibles aux traits de
surface, et qu’ils se laissent trop diriger par l’habillage pédagogique. Une des
difficultés du transfert réside dans cette difficulté des élèves à appréhender les traits
de structure d’un problème.
Cependant, doit-on renoncer totalement au transfert des apprentissages ?
Je ne pense pas, car celui-ci est en lien direct avec l’autonomie intellectuelle des
élèves, finalité fondamentale de l’école. Le transfert reste donc un objectif nécessaire
des apprentissages, malgré les limites éventuelles de sa réalisation avérées par la
psychologie cognitive. Le transfert exige un travail permanent, favorisé par les
activités métacognitives et la médiation pédagogique. Jean-Pierre Astolfi rappelle
que « toute activité intellectuelle authentique consiste à rapprocher deux contextes,
afin d’en apprécier les différences et les similitudes. Il n’existe pas, d’un côté, des
savoirs stockés en mémoire et, de l’autre, des aptitudes à transférer qui en seraient
indépendantes. »26
Dans ces conditions, il me semble que la médiation pédagogique soit la posture
enseignante qui permettrait de favoriser le transfert par un travail métacognitif
important, les conflits cognitifs et socio-cognitifs suscités et le traitement positif de
l’erreur.
Plusieurs recherches ont donc mis en avant l’échec de la médiation cognitive basée
sur une conception générale de l’intelligence, travaillant des capacités cognitives en
dehors de tout contexte scolaire, coupées du savoir.
C’est pourquoi j’ai voulu réfléchir à une médiation pédagogique plus proche du
savoir, plus épistémologique, plus proche de Bachelard et Vygotski que de Piaget
26
ASTOLFI Jean-Pierre, L’erreur, un outil pour enseigner, Paris, ESF , 1997.
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peut-être. Faire d’un élève, l’épistémologue de ses propres connaissances, l’acteur
actif de ses apprentissages, en favorisant la verbalisation de ses stratégies et les
interactions entre pairs est l’objectif majeur de cette médiation pédagogique. Celle-ci
permet, me semble-t-il, une double centration sur le savoir et l’élève. La
centration sur l’élève est facilitée par les critères de médiation favorisant une
excellente relation pédagogique, et la centration sur le savoir, à travers un travail
didactique sur l’erreur, permet, à nouveau, une prise en compte des différents
parcours d’apprentissage.
2-6-Médiation et didactique : le traitement de l’erreur.
La médiation pédagogique est proche du constructivisme épistémologique de
Bachelard lorsque ce dernier disait qu’il n’y a « pas de vérité sans erreur rectifiée ».
Ce constructivisme donne à l’erreur un statut bien plus positif que la faute
sanctionnée a posteriori dans les pédagogies transmissives, ou le bogue, le raté
dans les planifications béhavioristes.
Les erreurs intéressent alors les pédagogues car elles sont la partie visible d’une
conception ou d’une stratégie inopérante. Les erreurs sont les symptômes des
obstacles à la construction de la connaissance visée.
Cependant, Jean-Pierre Astolfi précise que « le but visé est bien toujours de
parvenir à les éradiquer des productions des élèves, mais on admet que pour y
parvenir, il faut les laisser apparaître, voire même quelquefois les provoquer, si l’on
veut réussir à mieux les traiter. »27
Reprenant le titre de son livre, l’erreur devient donc « un outil pour enseigner »
pour tout enseignant se plaçant dans la posture socio-constructiviste de la médiation.
Il explique que « l’idée essentielle, quand on considère l’erreur d’un point de vue
constructiviste, c’est de renoncer à ce que J. Piaget appelait le « n’importe quisme ».
Aussi bizarre que paraissent les réponses de prime abord, il s’agit de se mettre en
quête du sens qu’elles peuvent avoir, de retreouver les opérations intellectuelles
dont elles sont la trace. »
27
ASTOLFI Jean-Pierre, L’erreur…, op. cit. p.46.
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Éric Saillot – Mémoire Master 1 Sciences de l’éducation – direction de Jean-Pierre Astolfi
Ce postulat du sens renvoie au postulat d’éducabilité, présenté dans les
fondements philosophiques et éthiques de la médiation.
Afin de mieux préparer à cette prise en compte positive des erreurs des élèves,
Jean-Pierre Astolfi, considérant l’erreur comme plurielle, présente une typologie
des erreurs des élèves.
Tout d’abord, de nombreuses erreurs peuvent relever de la compréhension des
consignes de travail. En effet, de nombreux termes peu clairs ou exigences
implicites peuvent perturber la compréhension du travail demandé. J’ai présenté
auparavant le travail rigoureux pratiqué autour des consignes dans les situations de
médiation pédagogique.
D’autres erreurs peuvent résulter d’habitudes scolaires ou d’un décalage des
attentes. Dans ce domaine, les critères de médiation de l’intentionnalité et de la
réciprocité permettent au médiateur d’éclaircir ses intentions, et il peut à tout moment
faire une mise au point éclairante des objectifs fixés à la classe.
Il existe des erreurs qui témoignent des conceptions alternatives des élèves. En
sciences notamment, le médiateur doit faire un travail d’analyse, de prise de
conscience, puis de confrontation des conceptions alternatives de ses élèves, en
suscitant des conflits cognitifs et socio-cognitifs.
Jean-Pierre Astolfi relève une quatrième sorte d’erreurs liées aux opérations
intellectuelles impliquées, potentiellement déficientes chez certains élèves, mais
attendues ou considérées comme évidentes par le maître.
Des erreurs peuvent également provenir des démarches, des procédures
inopérantes adoptées par les élèves, ou d’une surcharge cognitive, des
difficultés à transférer, ou de la complexité propre du contenu.
Afin d’aider les enseignants à mieux appréhender ces types d’erreurs, il existe de
nombreuses conclusions de recherches sur les « meilleures » situations didactiques,
les situations-problèmes favorables, les variables didactiques influençant telle ou
telle stratégie, les types d’erreurs les plus commises, ainsi que les analyses
conceptuelles s’y rattachant. Il existe également des grilles d’analyse des
conceptions alternatives, afin de les classer selon les obstacles épistémologiques
identifiés par exemple.
La médiation pédagogique au service de la motivation, une expérience en 6e SEGPA
Éric Saillot – Mémoire Master 1 Sciences de l’éducation – direction de Jean-Pierre Astolfi
Ces outils didactiques sont nécessaires à toute situation de médiation pédagogique
conçue dans une optique épistémologique, visant à rendre l’élève acteur de ses
apprentissages, l’enseignant étant le médiateur de l’analyse de ses erreurs, de façon
construite et réflexive, en interaction avec ses pairs. C’est pourquoi, comme le
souligne Jean-Pierre Astolfi, « il faut donc se centrer sur le contenu et ses
difficultés intrinsèques, pour mieux finalement se centrer sur l’élève, en considérant
le sujet didactique plutôt que le sujet psychologique. »
2-7-Synthèse : quelle réalité, même complexe, pour la médiation pédagogique?
Si la notion de médiation en pédagogie est très largement utilisée, les situations
qu’elle recouvre sont très variées. D’ailleurs, y a-t-il réellement une pédagogie de la
médiation, au delà de la fameuse médiation cognitive ? Les différentes postures ou
situations de médiation pédagogique portent-elles forcément le nom de méthode ?
En fait, le concept de médiation sert à représenter un style d’enseignement basé sur
une relation au savoir et à l’élève différente des méthodes transmissives
traditionnelles ou classiques. En effet, même si presque tous les enseignants
considèrent être constructivistes, combien utilisent les situations dialoguées, qui
s’appuient sur les mêmes bons élèves, ou les très « parleurs », afin de rendre le
cours actif et dynamique ? Si l’enseignant est passionnant et motivé, il peut créer une
certaine dynamique motivationnelle dans sa classe. Mais, qu’en est-il des élèves en
grande difficulté, ceux qui ne suivent pas ou ne participent pas à ces dialogues
préconstruits et artificiels ? La médiation serait une démarche qui placerait
l’enseignant comme accompagnateur, médiateur, guide, de la relation élève-savoir
du triangle pédagogique, dans une perspective constructiviste. En s’appuyant,
voire en sollicitant les échanges entre pairs, le médiateur se place même dans une
démarche socio-constructiviste.
Jean-Pierre Astolfi a classé les médiateurs en trois catégories : l’accompagnateur,
le temporisateur et le castrateur.
La médiation pédagogique au service de la motivation, une expérience en 6e SEGPA
Éric Saillot – Mémoire Master 1 Sciences de l’éducation – direction de Jean-Pierre Astolfi
L’accompagnateur représente le médiateur « qui sert d’intermédiaire, qui établit des
liens, qui crée du « liant ». Il est une sorte de « passeur » d’une logique à l’autre. »28
Ce médiateur-accompagnateur peut intervenir dans une perspective curative, comme
dans le cas des méthodes cognitives que je présenterai plus en détails dans une
prochaine partie. Ces médiations cognitives ou re-médiations sont donc mises en
place pour aider les élèves à combler leurs difficultés et à dépasser les obstacles
qu’ils rencontrent. D’ailleurs, ces situations s’utilisent également dans une
perspective développementale, lorsque l’enseignant a pris conscience que l’on ne
pouvait transmettre le savoir de façon unique et homogène, comme on remplit des
récipients vides. Au-delà d’une méthode à respecter à la lettre, comme le PEI de
Feuerstein, la médiation doit plus être considérée comme une posture
professionnelle enseignante innovante, basée sur la construction de situations
didactiques, dans une perspective socio-constructiviste.
Le temporisateur représente le médiateur qui sait gérer le rapport au temps
didactique. « Il s ‘appuie sur l’opposition entre l’immédiat et le médiat. » Le médiateur
est donc celui qui respecte le temps d’apprentissage de chaque élève, leur rythme
individuel dans la construction du savoir. Le médiateur a conscience qu’un
apprentissage se construit dans la durée et reste fragile, malgré des acquisitions
apparemment solides. Il faut respecter la « zone proximale de développement »
définie par Vygotski comme plus essentielle que le niveau actuel de l’apprenant.
Le castrateur représente le médiateur qui cherche à déconstruire les
représentations inopérantes des élèves, à rompre avec le sens commun, dans une
perspective toute bachelardienne d’ascèse intellectuelle et de rupture
épistémologique. De nombreuses situations de didactique des sciences vont dans ce
sens par un travail sur les conceptions alternatives des élèves, qu’il s’agit de faire
émerger afin d’en faire prendre conscience aux élèves, qui doivent en voir les limites
éventuelles, grâce à des conflits cognitifs ou socio-cognitifs.
D’une façon générale, être médiateur, c’est se positionner au milieu de la relation
d’apprentissage entre l’élève et le savoir, conforme à l’étymologie latine « mediare »
28
ASTOLFI Jean-Pierre, in Educations, 9, Villeneuve d’Asq : Emergences, 1996.
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Éric Saillot – Mémoire Master 1 Sciences de l’éducation – direction de Jean-Pierre Astolfi
qui signifie être au milieu. Mais « medio » signifie s’interposer et « mediato » renvoie
à une notion d’intermédiaire. Cette polysémie de l’étymologie se retrouve dans la
classification de Jean-Pierre Astolfi.
3-Autres conceptions de la motivation : intérêts et limites.
3-1-Fondements philosophiques de la motivation.
Avant même d’entrer dans des considérations psychologiques riches et variées, il
m’a semblé intéressant d’interroger la motivation sous l’angle philosophique, comme
le propose Cécile Delannoy29. Si les premières recherches relatives à ce concept
datent, pour la plupart, du début du XXe siècle, la philosophie (philo-sophia : amour
du savoir) s’est depuis toujours intéressée à la nature du savoir humain et à l’origine
du désir de savoir.
Ce désir de savoir, dont on pourrait rapprocher le concept de motivation,
particulièrement dans un contexte scolaire, ne trouve pas d’explications
philosophiques univoques.
Pour les rationalistes, c’est l’entendement et l’accès au savoir qui définissent
l’homme dans sa différence avec l’animal. C’est le propre de l’homme de chercher à
atteindre une vérité unique, immuable, au delà des apparences sensibles. C’est la
perfection du savoir qui constitue, en elle même, l’objet d’un désir pour l’homme car
elle représente la part divine que l’on peut atteindre par « l’activité de l’intellect »,
selon Aristote. Selon Hegel, « l’esprit culmine dans la constitution du savoir
absolu ». Réussir à capter la perfection de la vérité permet à l’enfant d’accéder à
l’universel. Être autonome, dans ce cas, c’est exercer sa liberté de jugement.
Pour Socrate, Descartes ou Kant, l’homme aspire au savoir, mais il ne peut
atteindre que des certitudes partielles ou relatives, et ne peut se fier entièrement à
ses évidences, à ses sens. Le questionnement est central chez ces philosophes.
29
DELANNOY Cécile, La motivation. Désir de savoir, décision d’apprendre, CNDP, Hachette éducation, 2005.
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Socrate n’a qu’une certitude, c’est qu’il ne sait rien et il souhaite réveiller les hommes
de leurs certitudes. Descartes, lui, pose une question troublante : qui sait si nous ne
rêvons pas ? Kant souligne la difficulté pour l’homme de connaître le réel en soi sans
un questionnement qui interroge ses perceptions et intuitions. Dans ce cas,
l’autonomie consiste à ne pas se satisfaire des réponses déjà données.
Un troisième courant de pensée fait du savoir le signe d’un manque tragique à
être pour l’homme. Pour Nietzsche, « la passion de la connaissance habite l’homme
pour son malheur. » Selon Cécile Delannoy, « peut-être est-ce là le sens du mythe
biblique de l’arbre de la connaissance, l’arbre de la science du Bien et du Mal : le
premier homme a goûté le fruit de l’arbre mais il l’a payé de son expulsion du jardin
d’Eden dont il garde la nostalgie mais qu’il ne rejoindra jamais en ce monde.
Connaître est alors à la fois un arrachement douloureux à l’innocence primitive, et
espoir toujours déçu de combler la faille qui nous sépare de l’Être. »
Ces trois conceptions du rapport de l’homme au savoir ne seraient à considérer de
façon successive, mais articulent en fait la problématique philosophique originelle du
savoir.
Ces différentes conceptions de la connaissance fondent également des approches
différentes de la motivation. La démarche métacognitive se trouverait légitimée par
l’optique kantienne selon laquelle les structures de l’esprit sont les structures de
l’objet de la connaissance par définition. Cette motivation d’apprentissage serait
narcissique contrairement à l’approche platonicienne, qui la place dans la rencontre
avec l’Autre. Cécile Delannoy souligne que « celui qui ne peut pas vivre l’autre
comme à la fois semblable et différent ne peut pas non plus entrer dans une
démarche d’apprentissage. (…) Plus récemment, Descartes, Husserl, Nietzsche,
Freud, ont chacun à leur manière tenté de problématiser cette question en
développant une notion de conscience en tant que « fonction d’orientation » vers le
savoir. »
Cette mise en relief philosophique de la question du rapport de l’homme au savoir
sert, je l’espère, à mieux situer le concept de motivation dans sa problématique
originelle.
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La philosophie peut également être très utile pour introduire des conceptions
relativement récentes de la motivation. Afin d’illustrer la polysémie d’une notion, si du
point de vue étymologique, le motif, comme le mobile, désigne ce qui meut, une
distinction est nécessaire au regard du concept de motivation. Emmanuel Kant, dans
sa morale, distingue avec soin les mobiles des motifs. Plus récemment, Jean
Houssaye, examinant la motivation à travers le processus « enseigner », précise
que dans ce cas précis des pédagogies de la transmission et de l’inculcation, le
problème de la motivation n’est pas fondamental. « L’action de l’élève dépend plus
de motifs (raisons de, obligations de) que de mobiles (besoins de, désirs de) ou de
motivation. »30
Vue sous l’angle du processus « former », la motivation conditionnerait la relation
pédagogique professeur-élève. Jean Houssaye souligne l’importance de la libre
expression de l’élève, de son épanouissement personnel. Dans ce cas, c’est
l’individu tout entier qui est pris en compte. L’action pédagogique doit alors s’appuyer
sur les besoins immanents, universels, propres à chaque élève.
3-2-Théories des besoins fondamentaux.
Cette dernière idée forte me permet d’introduire une des premières théories
concernant la motivation. En 1943, Abraham Maslow a défini cinq besoins
fondamentaux, qu’il a représentés par sa pyramide des besoins. Aux besoins
physiologiques succèdent les besoins de sécurité, puis les besoins d’appartenance
et de relations qui sont indispensables à préparer les besoins d’être reconnu et de
réalisation de soi. En effet, « ces besoins sont hiérarchisés de sorte qu’un besoin
supérieur ne s’exprime que lorsque les besoins de niveau immédiatement inférieur
sont satisfaits. La théorie de Maslow se résume bien dans le dicton : Ventre vide n’a
pas d’oreille. »31
Si cette théorie a connu un fort succès, son analyse reste cependant problématique.
Tout d’abord, la primauté faite aux besoins physiques (physiologiques et de sécurité)
sur les besoins affectifs laisse perplexe les psychologues et psychanalystes qui
30
HOUSSAYE Jean, « La motivation » , La pédagogie, une encyclopédie pour aujourd’hui, ESF, 1993. 31
LIEURY Alain, Manuel de psychologie générale, Dunod, 1994, p.216.
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n’observent ni une indépendance ni une hiérarchie de ces besoins, notamment chez
les très jeunes enfants hospitalisés. Ayant moi même vécu ce genre de situation, je
peux également témoigner que l’affectif a une influence très positive dans les
besoins physiques et dans la guérison elle même. Cette théorie serait mieux adaptée
aux adultes. Mais les contre-exemples existent, notamment celui des chercheurs ou
des étudiants que nous sommes qui, dans les besoins de réalisation de soi dans
l’activité intellectuelle, en oublient bien souvent les besoins physiologiques comme le
fait de se nourrir ou de se reposer par exemple.
En 1967, la théorie de Raths a tenté d’affiner la conception de Maslow à propos des
besoins des enfants. Il décrit huit besoins fondamentaux. Tout d’abord, au delà
des besoins physiologiques, la sécurité économique (habitation, alimentation,
sommeil, etc.) précède le besoin d’être libéré de ses peurs, puis vient le besoin d’être
libéré de toute culpabilité. Ce besoin donne à l’enfant le droit à l’essai et à l’erreur, le
droit de prendre ses propres risques en toute confiance, éléments indispensables
aux situations pédagogiques que je présenterai ultérieurement. Le besoin
d’appartenir à une collectivité, ainsi que le besoin d’amour et d’affection ne sont pas
moins importants. Le besoin de réussite, puis celui de partager et de se sentir
respecté précèdent le huitième, qui est le besoin de comprendre et de se
comprendre.
Si ces théories ont des limites, notamment leur présentation rigide et juxtaposée des
besoins en perpétuelle interaction chez les enfants et qu’il est difficile de bien
hiérarchiser, ces aspects sont à prendre en compte dans la réalité de la classe.
L’ensemble de la communauté éducative, au delà du simple enseignant de la classe,
est susceptible d’observer et d’évaluer ces besoins afin d’apporter une solution ou
d’avertir la famille et les professionnels concernés. Les enseignants, qu’ils soient
spécialisés ou non, les auxiliaires de vie scolaire dans le cadre d’intégration d’élèves
en situation de handicap, les assistantes sociales, les infirmières, les Conseillers
Principaux d’Education, les surveillants, tous les personnels dans leur grande
diversité sont concernés par l’observation ou le signalement de manquements graves
à ces besoins : la malnutrition, les violences multiples, les conduites à risques chez
les adolescents… sont le quotidien des établissements en zone d’éducation
prioritaire. Dans ces conditions, la motivation ou le désir d’apprendre semblent
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absents de l’esprit de ces élèves. Les relations professeur-élève sont dans ce cas
essentielles, mais également la communication avec la famille afin d’instaurer un
dialogue constructif et optimiste en relation avec tous les partenaires du cadre
éducatif.
Si ces besoins sont fondamentaux, et sont à respecter par tout éducateur, ces
approches très psychologiques de la motivation, dans lesquelles les savoirs sont
absents questionnent la place de l’enseignant et sa posture professionnelle vis à vis
des savoirs à transmettre ou à faire construire. En effet, à trop « psychologiser » la
relation pédagogique, l’enseignant empiète peut-être sur le terrain d’autres
spécialistes. Ces derniers, psychologues scolaires, psychiatres ou médecins,
apportent les informations qu’ils considèrent utiles à l’enseignant pour appréhender
la relation pédagogique. Si l’enseignant doit bien sûr respecter les élèves dans leur
intégrité physique et morale, dans leur histoire personnelle, c’est en les considérant
comme des sujets, acteurs de leur propre apprentissage qu’il réalisera au mieux
l’objectif de les placer au centre du système. Les enseignants spécialisés ont
souvent dans leur classe des enfants aux histoires de vie très difficiles. C’est en les
aidant à se construire un projet personnel d’apprentissage, grâce à la médiation
pédagogique, exigeante en terme de savoir, et respectueuse des rythmes et
stratégies d’apprentissage, que les enseignants spécialisés tentent de relancer la
dynamique motivationnelle de leurs élèves. La motivation n’est donc pas une donnée
psychologique individuelle et stable, mais un processus dynamique complexe à
considérer comme une variable pédagogique parmi d’autres.
3-3- Le conditionnement opérant de Skinner.
La théorie de la motivation que je vais présenter s’inscrit dans un contexte théorique
bien connu : le béhaviorisme.
John Watson (1878-1958) est considéré comme le « père » de ce courant par la
parution, en 1913, du manifeste béhavioriste qui pose comme principe que la
psychologie scientifique ne peut être basée que sur l’étude du comportement et qui
condamne la méthode de l’introspection et le recours à la conscience pour expliquer
les conduites humaines. Ce rejet de la conscience aboutit à une expulsion des
significations et du langage hors du champ scientifique. Considérant qu’on ne peut
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accéder aux états mentaux, au fonctionnement réel du cerveau, cette théorie repose
uniquement sur les comportements (behavior en anglais) observables.
Cependant, c’est Skinner (1904-1990), professeur de psychologie à l’université de
Harvard, qui a prolongé les perspectives de Watson tant sur le plan théorique que
des applications pratiques. Il a développé des techniques comportementales dans le
domaine de la psychothérapie et de l’éducation, d’où sa place dans cette
présentation théorique.
En 1968, Burrhus Skinner développe sa théorie du conditionnement opérant ou
instrumental. Le comportement des individus est modelé par l’utilisation ou non de
récompenses et de punitions. Il est ainsi renforcé positivement ou négativement. Le
renforcement est un processus d’apprentissage qui renforce le lien entre le stimulus
et la réponse, schéma de base de la théorie béhavioriste radicale de Skinner. Les
principaux concepts élaborés par le béhaviorisme sont liés à l’étude de
l’apprentissage animal, le postulat étant celui d’une unicité des processus dans le
vivant.
L’enseignement programmé est une des applications majeures du
comportementalisme skinnerien. Il est basé sur l’idée que toute conduite, toute
connaissance, peuvent s’apprendre en distribuant de façon adéquate les
renforcements, positifs ou négatifs. Les réponses sont modelées par des
programmes de renforcement.
Jean Houssaye inscrit cette théorie dans le processus « enseigner ». Dans ce
genre de situations, « il faudra amener l’élève à réagir sous forme de comportements
externes qui feront la preuve du degré d’efficacité de notre action sur
l’environnement de l’élève. »32
II présente également les travaux de L. Not (1987) qui distingue trois formes de
renforcement : les sanctions, l’émulation et l’attrait.
Les sanctions, soit des récompenses soit des punitions, ne fournissent aux élèves
que des mobiles extérieurs au savoir lui-même, car « c’est la récompense et non la
connaissance qui procure le plaisir. »
L’émulation, ou l’effort pour se surpasser les uns les autres, pose les problèmes de
toute situation de compétition : rivalités malsaines, abandons des plus faibles, et
32
HOUSSAYE Jean, « La motivation », op. cit. p.53.
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instauration d’un climat de classe peu propice à l’expression des représentations des
élèves, au développement de discussions sur les essais et les erreurs…
L’attrait se situe hors du sujet lui-même, dans les qualités des choses et des
actions. Cependant, si le savoir n’est pas suffisamment attractif au niveau du fond,
c’est la forme qui devra le rendre attirant artificiellement, avec toutes les dérives d’un
habillage pédagogique qui occulterait la construction du savoir.
Des recherches comme celles d’Erlich (1989) soulignent le fait que le processus
« enseigner », à travers ce cadrage théorique, favorise en fait le mécanisme de
démotivation. De plus, se limiter au seul axe stimulus-réponse limite grandement
les perspectives tant pédagogiques que didactiques.
En effet, la psychologie sociocognitive ouvre de nouvelles pistes de recherches dans
le domaine scolaire, enrichies par les apports des neurosciences, notamment
l’imagerie cérébrale du développement cognitif. Olivier Houdé, l’auteur de la
nouvelle version du « Que sais-je ? » sur la Psychologie de l’enfant, précise que
« l’on dispose aujourd’hui de méthodes d’imagerie tridimensionnelle qui produisent
sur ordinateur des images numériques reliées à l’activité des neurones en tout point
du cerveau. »33 S’il faut rester prudent quant à l’interprétation de ces images, il
semble que le transfert de ces découvertes scientifiques dans la pédagogie soit le
challenge de ces prochaines années. On ne peut plus se permettre d’en rester à la
surface observable des comportements d’élèves en ne jouant que sur les
renforcements. Le savoir, à travers une approche variée, épistémologique,
conceptuelle, fonctionnelle, pédagogique et didactique, doit constituer en lui même
une source de motivation.
Au delà des aspects psychologiques de la motivation, certaines théories s’orientent
même vers une dimension psychanalytique. Si le but de tout enseignant n’est pas de
se substituer aux professionnels de ces domaines, on peut être convaincu « de
l’importance du registre psychique pour comprendre comment s’instaure et se
maintient le lien didactique.34 »
33
HOUDE Olivier, « L’intelligence avance de façon biscornue », entretien in Sciences Humaines, N°164, octobre 2005. 34
BLANCHARD-LAVILLE Claudine, Les Enseignants entre plaisir et souffrance, PUF, 2001.
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C’est avant tout dans un souci d’ouverture intellectuelle que je me suis penché sur
ces théories afin de ne pas rendre trop simpliste une relation pédagogique ou
didactique très complexe. Je n’oublie pas que les acteurs de cette relation sont des
humains et que tout savoir, s’il répond aux critères de scientificité, n’en reste pas
moins une construction épistémologique et humaine, avec ce que cela suppose
d’obstacles et de ruptures.
3-4-La pulsion de savoir selon Freud.
Sigmund Freud (1856-1939) occupe la place de père fondateur de la psychanalyse,
dont l’hypothèse fondamentale est l’existence d’un inconscient psychique, où sont
refoulés certains souvenirs traumatiques, à l’origine des maladies nerveuses. Freud
considère le rêve comme une « voie royale » pour accéder à l’inconscient. Il propose
une première théorie de l’appareil psychique qui sépare l’inconscient, du
préconscient et du système perception-conscience. En 1905, les Trois essais sur la
théorie sexuelle font scandale en (re)découvrant l’existence d’une sexualité infantile,
séparée de la puberté par une « période de latence », qui succède elle-même au
complexe d’Œdipe. A partir des années 1910, Freud développe un nouveau concept,
le narcissisme, qui lui permettra d’appréhender le phénomène amoureux, de cerner
la dynamique du transfert, et de préciser les fonctions du moi dans l’appareil
psychique. En 1923, il distingue trois instances : le ça, le moi et le surmoi. Le ça est
le réservoir de l’énergie psychique, régi par le principe de plaisir et défini comme le
pôle pulsionnel. Le moi est le produit des interactions entre les exigences du ça et
les interdits du surmoi. Il est le pôle défensif de la personnalité. Fonctionnant selon le
principe de réalité, il protège le sujet de l’angoisse. Le surmoi joue un rôle de
censeur à partir de l’intériorisation des interdits parentaux. Il défend le moi contre les
irruptions du ça.
Selon Freud, la motivation serait l’expression de l’énergie libre de pulsions
archaïques (narcissisme, fétichisme, obsessions compulsives…). Dans cette théorie,
la pulsion de savoir est sublimation de la libido, l’énergie psychique des pulsions
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sexuelles. La pulsion de savoir, selon Cécile Delannoy35, « ne peut être comptée
parmi les composantes pulsionnelles élémentaires, elle est sublimation du besoin de
maîtriser et utilise comme énergie le désir de voir. »
Si cette approche peut permettre de mieux comprendre certaines situations, elle ne
fournit pas réellement aux enseignants des leviers d’action pédagogique précisément
définie. C’est pourquoi j’ai choisi comme cadre théorique la conception dynamique de
la motivation en contexte scolaire de Rolland Viau.
3-5-La « mimesis » de René Girard.
Les comportements d’imitation chez le jeune enfant sont depuis longtemps étudiés et
reconnus en psychologie. D’une attitude spontanée chez le tout petit, l’imitation se
charge d’une valeur affective quand l’enfant désire ressembler à ceux qu’il aime. Le
comportement imitatif constitue le premier apprentissage de l’enfant.
René Girard repose toute sa théorie sur l’imitation. Selon lui, il n’y aurait ni
apprentissage ni culture sans imitation. Il souligne la dimension acquisitive de
l’imitation. Quand un enfant désire le jouet d’un autre, ce n’est pas l’objet en lui-
même qu’il désire mais le plaisir lié à la possession du jouet qu’il veut s’approprier.
Cependant, l’objet du désir de l’enfant, « être du manque » (pour Girard, mais aussi
pour le Socrate du Banquet, pour Lacan), c’est d’abord l’adulte. L’enfant cherche à
imiter l’autre afin de tenter de s’approprier son « être », de s’identifier à lui et de
construire ainsi sa propre identité.
René Girard appelle ce phénomène le mimétisme, ou « mimesis acquisitive ». La
mimesis désigne à l’enfant ce qui est désirable. Nos désirs eux-mêmes seraient
empruntés. La motivation, plus proche du désir de savoir, serait à la fois interne et
externe à l’enfant, et n’existe qu’au sein d’une relation. Si cette théorie possède sa
propre cohérence, elle interroge sur le concept de motivation extrinsèque ou
intrinsèque développée par Deci et Ryan. Sans caricaturer l’une ou l’autre de ces
approches, un éclairage théorique différent, même s’il ne s’appuie pas sur les
mêmes concepts de référence, permet d’opérer une certaine distanciation. Dire que
le désir est mimétique, c’est considérer qu’il ne se construit ni dans le sujet ni
35
DELANNOY Cécile, La motivation, op. cit. p.51.
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dans l’objet mais dans un tiers qui désire lui-même et dont le sujet imite le désir. La
famille est donc le premier endroit où le désir de savoir se construit plus ou moins
solidement selon les habitudes socioculturelles vécues par l’enfant. Si la famille ne
fournit pas à l’enfant un environnement culturel basé sur le plaisir de lire, de
chercher, de s’informer, de jardiner, de découvrir telle peinture ou tel paysage
ensemble, l’école doit être un lieu où il puisse trouver ce désir de savoir, en
s’identifiant à un enseignant passionné par exemple. Le regard bienveillant,
empathique, respectueux et positif que porterait l’adulte sur l’enfant favoriserait cette
identification.
La célèbre expérience américaine de Rosenthal et Jacobson36, réalisée dans la
banlieue défavorisée de San Francisco, précisant à des enseignants qu’ils doivent
s’attendre à des progrès très sensibles de la part d’élèves, en fait tirés au sort,
démontre l’importance des attentes positives. En effet, un an après, ce groupe
d’enfants a réellement connu des progrès importants, tant au niveau des résultats
scolaires, que de l’attitude et même du QI ! Les enseignants avaient plus encouragé
ces élèves, plus attendu de progrès et l’avaient exprimé tant verbalement que dans
leur attitude tolérante vis à vis de leurs essais et erreurs. Cependant, les
encouragements doivent-ils être considérés comme un simple regard positif,
bienveillant et empathique, avec toutes les réserves qu’illustre la précédente
expérience ou comme une sorte de renforcement positif presque skinnerien,
développant chez l’enfant une attente systématique d’une approbation extérieure ?
Si l’enfant doit se construire en tant que sujet, acteur de ses apprentissages, ne doit-
on pas chercher à construire chez lui une certaine autonomie de fonctionnement
dans son rapport au savoir ? Si le pédagogue doit favoriser une bonne relation
pédagogique, il doit également travailler à sa propre disparition, en développant
l’autonomie de l’élève face au savoir. S’il semble acquis que l’autonomie n’est le
résultat que d’une lente construction, elle doit tout de même rester la finalité
principale de tout acte pédagogique réfléchi.
3-6-La motivation extrinsèque et intrinsèque de Deci et Ryan.
36
ROSENTHAL Robert et JACOBSON Lenore, Pygmalion à l’école, Casterman, 1978.
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Dans un autre courant de recherches, la théorie de Edward L. Deci et Richard M.
Ryan (1985) est la plus achevée et la plus répandue des théories qui opposent la
motivation extrinsèque à la motivation intrinsèque. Deci et ses collègues
réduisent cette opposition en la situant sur un continuum et en montrant clairement
qu’un élève peut être autorégulé sans pour autant être motivé intrinsèquement.
Ces chercheurs placent la motivation dans la théorie de l’autodétermination, qui
souligne l’importance pour chaque individu du besoin de se considérer comme la
cause principale de ses actions. Ce besoin d’autorégulation dépend lui-même du
besoin de se sentir compétent et du besoin d’entretenir des relations avec les autres.
Dans cette optique, le besoin de se sentir compétent correspond au désir de bien
faire ce que l’on entreprend. Ces besoins déterminent la construction de la motivation
intrinsèque, qui est, selon Deci et ses collègues, la forme la plus souhaitable et
bénéfique de la motivation.
Vallerand et Senécal (1992), prolongeant les travaux de leurs collègues, définissent
la motivation intrinsèque comme le « fait de participer à une activité pour le plaisir et
la satisfaction que l’on retire pendant la pratique de celle-ci. »37
Alain Lieury et Fabien Fenouillet s’appuie sur cette théorie dans leur ouvrage38 et
précisent que la motivation extrinsèque fait référence à toutes les situations où
l’individu effectue une activité pour en retirer quelque chose de plaisant, comme une
récompense, une bonne note, dans le cadre d’un renforcement positif, ou pour éviter
un désagrément, une punition, une mauvaise note.
Cependant, il ne faut pas voir la motivation de façon dichotomique, c’est-à-dire
ne pas penser qu’un élève qui n’est pas motivé intrinsèquement est nécessairement
motivé extrinsèquement. En effet, la théorie de Deci considère que l’élève entreprend
un processus d’appropriation qui lui permet de faire siens les objectifs proposés
par d’autres, en particulier l’enseignant, qui peut évoluer selon un continuum.
Le processus de niveau le plus bas, correspondant à la motivation extrinsèque est la
régulation externe. L’élève n’agit que par la contrainte, la punition ou au contraire la
37
VIAU Rolland, La motivation en…, op. cit. p.3. 38
LIEURY Alain et FENOUILLET Fabien, Motivation et …, op. cit. p.13.
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récompense promise. Il ne s’identifie à aucune de ces méthodes qui lui sont
totalement externes.
Le deuxième processus est l’introjection. Les sources de motivation commencent à
s’intérioriser progressivement. L’élève peut ressentir par exemple un sentiment de
culpabilité à ne pas faire ses devoirs.
Le niveau suivant est l’identification. L’élève se sent motivé à accomplir une activité
car il pense qu’elle peut être bénéfique pour lui. Par exemple, un élève décide de
faire des exercices supplémentaires afin d’avoir une bonne note sans être réellement
motivé par la discipline en tant que telle. Cela reste un niveau de motivation
extrinsèque selon Deci, Vallerand, Pelletier et Ryan (1991).
Le quatrième niveau est l’intégration. Ce niveau, le plus proche de la motivation
intrinsèque, est atteint lorsque l’élève est motivé car il pense que l’activité lui
permettra d’atteindre ses buts et projets personnels. Par exemple, un élève peut faire
des efforts à l’oral en français en raison d’un projet professionnel axé sur la
communication sans être motivé par le plaisir des activités orales, intrinsèquement.
Deci et ses collègues considèrent qu’un élève ayant atteint ce niveau n’est pas pour
autant motivé intrinsèquement, mais peut s’investir dans l’apprentissage de façon
déjà très soutenue.
En 1991, le concept d’amotivation (Deci, Vallerand, Pelletier et Ryan) a été ajouté
au début de ce continuum. Il « désigne l’absence de toute forme de motivation.
L’individu caractérisé par cet état ne perçoit pas de relations entre ses actions et les
résultats obtenus. » (Vallerand et Sénécal, 1992) Ce concept aide à mieux
appréhender le cas des élèves aux très grandes difficultés scolaires, sociales ou
familiales qui se font plus remarquer par leurs absences, si nombreuses qu’on en
oublierait leur caractère alarmant, ou par leur manque totale de travail, ne prenant
même plus leurs affaires scolaires à la maison, n’ayant plus de cartables, perdant
leurs cahiers ou carnets de correspondance… Ces situations de décrochage sont
fréquentes en SEGPA, ou dans certains établissements très difficiles. Cependant, si
ce concept d’amotivation, ou de « résignation apprise », décrit ce genre de
situations, il n’apporte en rien une quelconque possibilité d’innovation pédagogique.
Ayant affaire à ce style d’élèves, s’il me semble utile de pouvoir les déceler, les
décrire ou les expliquer, trouver des réponses en rapport avec la mission
d’enseignant spécialisé qui m’est confiée me semble une des motivations qui m’a
poussé à faire ce travail de recherche.
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Lorsque les élèves sont motivés extrinsèquement, ils ne saisissent pas le sens de
leurs apprentissages, mais ne répondent qu’à la demande de l’enseignant, relayée
par d’éventuelles récompenses ou sanctions. Des études ont démontré que la
motivation intrinsèque ne pouvait se construire dans ces cas, car limitée ou bloquée
par le jeu des contraintes, c’est-à-dire par les renforcements. Une expérience a été
faite dans une crèche sur quatre-vingts enfants, de quatre à cinq ans, sur une activité
de puzzles. D’un côté, on observe un groupe à qui on a promis une récompense, de
l’autre, on a placé des enfants à qui l’on a laissé faire les puzzles pour le simple
plaisir de jouer. De surcroît, chaque groupe est séparé en deux, selon les modalités
de surveillance. Les résultats observables au bout de trois semaines montrent que la
récompense et la surveillance diminuent la motivation intrinsèque.
J’ai réalisé une expérience similaire dans ma classe. Alors que les récompenses sont
absentes des habitudes installées pendant l’année, j’ai proposé aux élèves un
problème de mathématiques, présenté comme très difficile, un véritable défi, avec à
la clé une récompense : des œufs en chocolat ! La première réaction fut une mise
en route plus rapide que d’habitude dans l’activité. Une observation plus fine du
comportement des élèves permit de voir une certaine précipitation, avec une certaine
anxiété qu’un autre élève trouve rapidement la solution. Il semble intéressant de
préciser que je n’avais donné aucun laps de temps pour réussir, ni déterminer le
nombre de chocolats à gagner. J’avais dit que celui ou celle qui trouverait la solution
aurait un œuf au chocolat. Tous ceux qui trouverait ? Je n’avais rien précisé, mais les
élèves, pourtant déshabitués dans la classe à ce genre de concurrence, retrouvèrent
vite un certain conditionnement de la comparaison sociale. En effet, les élèves en
très grande difficulté abandonnèrent vite leurs recherches pensant sans doute que
les meilleurs trouveraient avant eux, comme d’habitude… Un élève, relativement bon
en mathématiques m’apporta sa solution. Il était très proche du résultat. Il repartit
chercher avec précipitation. Puis, j’ai donné un indice en donnant la possibilité de se
référer à une situation d’exercice déjà vue auparavant. Deux autres élèves trouvèrent
la solution. Mais je les fis patienter avant de donner le verdict. Le premier élève revint
avec la solution. Je félicitais alors ces trois élèves pour leur performance, et je leur
donnais des chocolats, sans préciser si le jeu était fini ou s’il restait des chocolats.
Cependant, la plupart des autres élèves qui cherchaient activement la solution,
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s’arrêtaient et montraient des signes d’agacement ou de déception. J’ai alors
interrogé ces élèves sur leurs sentiments à ce moment précis, les rassurant par la
même occasion. Ces élèves expliquèrent peu ou prou qu’ils pensaient que seuls les
premiers auraient des chocolats ou qu’il n’y avait plus de chocolats à gagner. Ils
s’étaient donc arrêter de chercher, très énervés par leur échec. Cette petite
expérience, même modeste, renforce le fait que les récompenses réduisent
fortement la motivation intrinsèque. La médiation pédagogique, basée sur un
traitement positif de l’erreur doit permettre de fixer aux élèves des buts
d’apprentissage adaptés à leurs besoins respectifs. Même si un critère de médiation
pédagogique prévoit de lancer des défis, c’est déconnecté de toute possibilité de
récompenses ou de sanctions. Les sanctions sont nécessaires pour recadrer des
mauvais comportements sociaux mais ne doivent en aucun cas être associées aux
erreurs d’apprentissage, sous peine de réduire fortement la dynamique
motivationnelle.
Lieury et Fenouillet, dans la conclusion de leur ouvrage, pensent que « tout
concourt en effet à réduire la motivation intrinsèque à l’école. L’école est obligatoire,
elle est donc perçue contre l’autodétermination et comme une contrainte. Le système
de notation est largement évaluatif et rarement informatif, il est comme une
implication par rapport à l’ego (extrinsèque) ; la compétition sociale, fréquente, est un
processus d’évaluation sociale. Et pour couronner l’ensemble, la hiérarchie entre les
matières augmente le caractère évaluatif. »
Si ce constat paraît réaliste, quoiqu’un peu caricatural, il pose la motivation
intrinsèque comme une sorte de motivation sacrée, un Graal que tout pédagogue
devrait chercher à faire développer aux élèves. Cette position théorique relative à la
motivation intrinsèque me semble excessive. Interrogeons nous, adultes, éducateurs,
enseignants, chercheurs, sur le caractère intrinsèque de notre motivation à agir.
Agissons-nous toujours par motivation intrinsèque, même lorsque nous sommes
passionnés par une discipline, un projet ou une action éducative ? Si une activité
peut développer une certaine motivation intrinsèque, elle s’accompagne souvent de
contraintes à accepter et surmonter afin de continuer à vivre sa passion. De plus,
tout projet, même ceux qui reposeraient sur une passion, sur une activité
développant soit disant intrinsèquement du plaisir, fait appel à des représentations, à
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des références, à un idéal, en relation avec l’image que l’on veut donner de soi-
même dans la société, en réponse à une éducation, à une histoire de vie propre à
chaque individu. Au regard de la théorie de René Girard sur le mimétisme, que j’ai
décrite précédemment, la motivation est à la fois interne et externe à l’enfant et
n’existe qu’au sein d’une relation. L’homme est un être social et les interactions avec
le milieu sont plus complexes que la prise en compte de renforcements, positifs ou
négatifs. Je pense que poser la motivation intrinsèque comme un idéal est à la fois
réducteur et frustrant pour les enseignants qui ne réussiraient pas à la faire naître ou
même à la connaître !
3-7-Vers une conception dynamique de la motivation.
Selon Joseph Nuttin39, la motivation correspond à une force qui agit sur un sujet et
le met ainsi en mouvement ; à une énergie qui, en se déchargeant, met la machine
en marche. La motivation ne s’intéresse donc pas au fonctionnement psychique
(dont relève le comportement), mais au dynamisme qui tend à la maintenir en
activité.
Il considère que la psychologie scientifique s’est limitée à l’étude psychopathologique
et psychophysiologique des « besoins ». Il précise que le dynamisme du
comportement ne relève pas d’un besoin, au sens d’une carence ou d’un déficit, il
correspond plutôt au maintien et au développement de ses possibles par l’individu.
Les besoins de croissance, d’autodéveloppement, d’interaction, de changement et
de progrès y trouvent leur place fonctionnelle, à côté d’autres tels que l’altruisme, le
plaisir et la motivation au travail, dans le contexte des relations biologiques,
psychosociales et cognitives que l’individu entretient avec le monde.
L’intégration de processus motivationnels et cognitifs, à l’intérieur d’un même
fonctionnement comportemental, revêt la motivation humaine de plusieurs
caractéristiques importantes. Joseph Nuttin souligne l’importance des processus par
lesquels les besoins se développent et se concrétisent en projet d’action.
La personnalisation des motifs en est l’effet direct, personnalisation qui, à son
tour, est à la base de l’autorégulation et de l’auto-évaluation de l’action.
39
NUTTIN Joseph, Théorie de la motivation humaine, Paris, PUF, 1985.
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Sa théorie relève de la motivation intrinsèque et extrinsèque, tout en insistant sur sa
dynamique, inhérente à chaque individu et complexe, et sur les processus à mettre
en œuvre afin de renforcer puis stabiliser la motivation. L’organisme n’aurait pas
vraiment besoin de stimulation pour entrer en action. Toute motivation implique une
certaine absence de l’objet désiré ; mais cette absence ne fait que déclencher le
dynamisme inhérent, il n’en est pas la source.
Cette dynamique motivationnelle est orientée vers « les buts poursuivis pour
atteindre l’idéal du moi », et cela, toujours sur le plan cognitif, car « la personnalité
humaine ne perçoit pas et ne connaît pas seulement les objets du monde dans
lequel elle vit : elle se prend comme l’objet de sa propre connaissance. »
Cette image dynamique de soi, cette image « cognitivo-dynamique » va se réaliser
dans la poursuite de buts à travers le projet vécu. En effet, Joseph Nuttin présente la
psychologie de la motivation comme « l’exploration de l’accomplissement par le sujet
de telle ou telle activité bien déterminée et dont toutes les modalités d’actions sont
sous-tendues par la poursuite d’un objectif encore absent ou non existant. » La
motivation s’appuie donc sur une dimension du futur ou perspective d’avenir.
Ce dernier aspect essentiel de la motivation est bien souvent associé à la notion de
projet, de la pédagogie du projet, dans sa plus grande diversité, à la construction
d’un projet personnel pour l’élève. Les différentes pratiques pédagogiques
développées par de nombreux auteurs seront présentées et analysées dans la
prochaine partie. Cependant, toujours d’un point de vue conceptuel, Jean Houssaye
s’appuie sur les travaux de Nuttin pour souligner l’importance de cette notion centrale
qu’est le projet, que ce soit le projet d’action (ce que l’on a l’intention de faire) ou le
projet de soi (ce que l’on a l’intention d’être), deux formes de projets
indissociablement unis. Cependant, l’école a tendance à négliger le second au profit
du premier. Ces aspects psychologiques sont toujours à considérer en lien avec la
construction des apprentissages. En effet, « le processus « apprendre » opère une
décentration de l’affectif vers le cognitif. » Au delà des conditions essentielles de
toute relation pédagogique saine et constructive, c’est bien la réussite et les progrès
des élèves qui fondent réellement la motivation en contexte scolaire.
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Construire des situations d’apprentissage dans ces conditions, c’est considérer
l’enfant en tant que sujet et lui proposer un environnement signifiant et relativement
authentique. Plus précisément, Jean Housssaye met en avant deux conditions qui
lui semblent essentielles à mettre en œuvre afin d’intéresser l’élève, tant que celui-ci
n’est pas rendu inapte à apprendre. La motivation prend ici un sens d’intérêt. Il faut
donc chercher à intéresser les élèves à travers la construction de situations
d’apprentissage signifiantes et innovantes.
La situation doit donc avoir du sens pour lui. Cette question du sens des
apprentissages est omniprésente dans les ouvrages de pédagogie et dans les
discussions de professionnels de l’éducation. Il sera intéressant d’analyser le fait que
tout le monde ne conceptualise pas le sens à donner aux apprentissages de la
même façon. Ces conceptions ou représentations diverses impliquent des pratiques
et mises en œuvre différentes.
La seconde condition est que cette situation comporte une certaine dose de
nouveauté. Si cet aspect de la nouveauté est partagé par de nombreux enseignants,
il n’est pas abordé de la même façon, selon que l’on varie les supports, les sujets, les
entrées didactiques ou les méthodes pédagogiques…
« L’intérêt n’est pas une condition spéciale dont l’apparition dépendrait de l‘enfant ou
dont la stimulation serait sous la responsabilité de l’enseignant. L’intérêt est plutôt
un facteur naturel chez tout enfant qui se trouve dans une situation nouvelle, et dans
laquelle il peut établir un lien entre la nouveauté et au moins une chose qu’il sait
déjà. »
Dans ces conditions, il faut insister une fois de plus sur le fait que c’est plus les
situations d’échec que les situations d’apprentissage, en elles-même, qui rendent les
élèves moins motivés dans leur rapport au savoir. Si tout enseignant doit chercher à
motiver ses élèves, il doit surtout les aider à construire leurs apprentissages dans
une dynamique de réussite et de progrès. Cette dynamique motivationnelle doit
s’appuyer en premier lieu sur le potentiel d’apprentissage de chaque élève. Il ne faut
pas opposer, me semble-t-il, au delà des débats quelquefois entendus, le fait de
considérer l’élève, au centre du système, comme sujet de ses apprentissages et la
construction des savoirs comme étant tout aussi centrale. Mes pratiques
pédagogiques, ainsi que mes lectures et réflexions me laissent à penser que
l’opposition entre la centration sur l’élève ou les savoirs est un faux débat, qui ne
prend pas en compte la complexité de ce processus « apprendre ».
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3-8-Interroger le lien motivation-apprentissage ?
Faut-il conclure aussi rapidement à ce lien univoque de causalité lorsque l’on a
conscience de la réalité complexe de l’apprentissage ? Comme je l’ai déjà souligné
dans ce mémoire, la motivation n’est qu’une variable pédagogique parmi d’autres,
certes essentielle, mais il ne faut pas sous estimer les autres. De plus, si la
motivation est une caractéristique individuelle, il ne faut pas oublier l’influence de
l’intelligence, avec les évolutions actuelles de conceptions, en lien avec le
fonctionnement de la mémoire, ou en rapport avec les formes multiples de
l’intelligence de Gardner ou Sternberg. Les connaissances antérieures sont
également étudiées et leur importante influence sur les performances des élèves est
bien souvent démontrée. Les styles cognitifs et les styles d’apprentissage sont
également des caractéristiques individuelles d’élève actuellement étudiées, tout
comme l’influence des émotions et de l’anxiété.
Ce lien de causalité entre la motivation et la performance des élèves est d’ailleurs
remis en cause ou interrogé par certains chercheurs, notamment Françoise Clerc40,
professeur en sciences de l’éducation, à Lyon 2.
Selon elle, en termes d’apprentissage, « il n’est nul besoin de recourir à la motivation
pour analyser les performances des sujets. La grande majorité de nos
apprentissages se réalisent sans que nous éprouvions la moindre motivation. »
Ce point de vue mérite deux remarques. La première est qu’il est toujours intéressant
de prendre du recul par rapport à des idées toutes faites, des relations conceptuelles
admises, même par un grand nombre d’auteurs. La deuxième remarque soulève la
question de la définition conceptuelle de la motivation et de la polysémie de ce mot.
Lorsque Françoise Clerc écrit que « nous pouvons éprouver une grande motivation
pour un apprentissage sans pour autant pouvoir le réaliser », s’appuyant sur
l’exemple de François Truffaut, qui, dans une lettre à Suzanne, son assistante, se
plaint de ne pas réussir à apprendre l’anglais, parle-t-elle de la même motivation que
Rolland Viau ? C’est peu probable.
40
CLERC Françoise, « L’illusion de la motivation », dossier : Cette fameuse motivation, Cahiers Pédagogiques, n°429-430, janvier-février 2005.
La médiation pédagogique au service de la motivation, une expérience en 6e SEGPA
Éric Saillot – Mémoire Master 1 Sciences de l’éducation – direction de Jean-Pierre Astolfi
En effet, la définition de la motivation en contexte scolaire construite par Rolland
Viau, se distingue clairement de la passion ou de l’intérêt immédiat, qui sont
deux types d’états affectifs spontanés, assez proches de la situation décrite par
Françoise Clerc. Rolland Viau illustre cette distinction par le cas d’un élève du
secondaire, qui ne serait pas du tout passionné par les mathématiques, mais qui
serait motivé à travailler cette matière afin d’accéder à une bonne orientation. La
motivation en contexte scolaire « ne s’accompagne pas nécessairement d’un intérêt
immédiat ou de passion. » Cependant, si la passion n’a pas forcément de lien direct
avec la motivation en contexte scolaire, cette dernière est-elle forcément porteuse de
progrès en termes d’apprentissage ?
Fabien Fenouillet41interroge l’apparente évidence de l’impact positif de
l’informatique sur la motivation des élèves. Dans ce contexte, la motivation est assez
proche de la notion d’intérêt, et ce dernier « n’a pas de retentissement sur le sujet
lui-même ». Pire, les élèves qui ont appris une leçon sur ordinateur ont des résultats
plus faibles que les autres. Si cette étude illustre l’impact de l’informatique sur la
motivation, Fabien Fenouillet conclut par la nécessité « d’interroger l’évidence
selon laquelle la motivation a un impact positif sur l’apprentissage. »
André Giordan, dans un article récent sur la motivation42, souligne
la complexité de l’analyse de ce concept, en interrogeant les
approches qui en sont faites, la formulation des questions, le choix
des mots, ainsi que les raisonnements implicites. « En d’autres
termes, les évidences pédagogiques ne seraient-elles pas
masquantes ? »
Cela confirme mes interrogations. Le terme de motivation recouvre-t-il les mêmes
champs sémantiques et conceptuels pour toutes les personnes qui l’emploient,
chercheurs ou enseignants d’ailleurs ? Je ne le pense pas. C’est pourquoi j’ai tenu à
41
FENOUILLET Fabien, « L’informatique motive-t-elle ? », Cahiers Pédagogiques, n°429-430, janvier-février 2005. 42
GIORDAN André, « Vive la motivation ? », in Cahiers Pédagogiques N°431, 2005.
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Éric Saillot – Mémoire Master 1 Sciences de l’éducation – direction de Jean-Pierre Astolfi
présenter les principales approches de la motivation afin d’en percevoir plus finement
leur diversité et leur complexité.
Les propos d’André Giordan rejoignent ceux de Jean Houssaye lorsqu’il souligne
l’importance des situations « désirables » qui présentent de « la nouveauté plutôt
que de l’habitude, donnent l’occasion de faire des choix, conduisent à des questions
plutôt qu’à des réponses ; des situations où l’individu se sent largement autonome. »
Cette notion de situations « désirables » est selon moi à l’origine de choix
pédagogiques essentiels et quelquefois opposés, surtout lorsque tout le monde
s’accorde à souligner l’importance de redonner du sens aux apprentissages afin
de renforcer la motivation des élèves.
3-9-Où l’élève trouve-t-il du sens dans ses apprentissages ?
Que signifie cette expression « avoir du sens » quand on parle d’apprentissages ?
Le sens serait-il intimement lié à la compréhension de la situation, des consignes
ou du problème ? Un savoir aurait-il du sens s’il a de la valeur aux yeux de l’élève,
selon ses représentations, son milieu socioculturel, ses goûts, en toute subjectivité
? Le sens se construit-il selon le degré d’utilité réelle, objective, ou sociale de ce que
l’on apprend ? Le sens serait-il connecté à la réussite de l’élève au delà des
contextes et des situations ?
Selon les réponses plus ou moins implicites que se fait un enseignant à ces
questions, ses choix pédagogiques ne seront pas les mêmes. Pourquoi ?
Si l’on est convaincu du lien entre la compréhension et la motivation, dans une
espèce de fonctionnement en boucle, on va s’interroger sur la clarté des consignes,
des explications, des situations, des exemples, leur lien avec les intérêts des
élèves…
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Éric Saillot – Mémoire Master 1 Sciences de l’éducation – direction de Jean-Pierre Astolfi
Si l’on est conscient de la relative valeur fluctuante d’une activité ou d’un savoir selon
le milieu social ou familial, et de la fréquente opposition entre les valeurs de l’école et
celles du quartier, on peut chercher à créer du lien, du sens, en partant des pratiques
locales ou en présentant habilement des situations nouvelles, en les rendant
« désirables ». Il convient alors de tout mettre en œuvre pour valoriser les savoirs…
Le rapport entre le sens et l’utilité de l’activité est souvent admise. Mais qu’est-ce
qu’un savoir utile ? Est-il utile d’apprendre l’histoire des Egyptiens ou de lire de la
poésie ? A trop vouloir s’appuyer sur l’utilité du savoir, ne risque-t-on pas de réduire
la motivation à un utilitarisme social et professionnel à court terme ? Je pense qu’il
faut être vigilent aux dérives possibles de telles approches. En effet, comment faire
comprendre aux élèves l’utilité toute symbolique de la culture si on a tenté
auparavant de rattacher toutes les activités à de l’utilité pratique, immédiate, concrète
ou sociale ?
C’est tout le dilemme des enseignants qui s’adressent à des élèves en grande
difficulté scolaire, comme le sont les élèves de SEGPA dont j’ai la charge. Assez
rapidement, les discours pédagogiques utilitaires prennent le dessus. A quoi cela va
leur servir d’apprendre l’anglais ou de jouer une pièce de théâtre ou d’écrire de la
poésie s’ils s’orientent au mieux vers un CAP ? Ne devrait-on pas prioritairement leur
faire découvrir la diversité des situations professionnelles, ou leur apprendre les
termes techniques qu’ils pourraient utiliser ? C’est également ce qui fonde le débat
actuel entre les partisans du pré-apprentissage « junior » et les défenseurs du
renforcement d’un socle de connaissances minimales mais ambitieuses.
Pour avancer dans la réflexion sur le sens des apprentissages, il me semble
intéressant de faire appel à trois couples de notions, comme nous le suggère
Philippe Meirieu.43
Un apprentissage, tout d’abord, peut avoir du sens quand il répond à une question
qu’on s’est déjà posée ou parce qu’il résout un problème qu’on a déjà rencontré.
C’est ce que Philippe Meirieu appelle une finalisation par l’amont. C’est le cas
lorsque l’on rencontre un problème lors de la réalisation d’un projet, ou que des
43
MEIRIEU Philippe, L’école, mode d’emploi, ESF, Paris, 1988, postface de la 5e édition.
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questions ont émergé d’une situation vécue. Mais ces relations concrètes sont plus
difficiles à construire dans le secondaire car les savoirs sont déjà trop conceptualisés
pour être rattachés aux pratiques sociales de référence des élèves. Dans ces cas là,
on peut construire le sens des apprentissages par rapport à un problème qu’on est
capable d’imaginer ou d’anticiper. C’est une finalisation par l’aval. Cette capacité
d’anticipation n’est pas construite de la même manière chez tous les élèves, selon le
contexte familial, social et culturel.
Un apprentissage peut également avoir du sens dans le registre fonctionnel, quand
les problèmes rencontrés ou anticipés sont plutôt d’ordre technique. C’est dans ce
domaine que les élèves en difficultés sont le plus à l’aise, et avouons le, sont le plus
mis en situation, afin de développer une certaine forme de pédagogie de la
réussite… Le savoir utile est celui qui permet d’obtenir des résultats visibles et de se
débrouiller dans la vie. Il me semble important de rappeler que l’école développe
essentiellement des intelligences linguistiques et logico-mathématiques. Si cette
capacité à « se débrouiller » est reconnue dans la théorie triarchique de l’intelligence
de Sternberg, les pratiques scolaires n’en sont pas encore là. Cependant, enfermer
les élèves en difficulté dans des pratiques qui privilégient l’acte à la parole, la
pratique à la verbalisation, on les priverait d’une arme conceptuelle et linguistique
indispensable.
Le sens d’un apprentissage peut également se construire dans le registre
symbolique quand les questions auxquelles il se rattache, renvoient à des enjeux de
nature plus personnelle, de l’ordre d’un défi à relever, d’un mystère à percer, d’une
image de soi à construire ou à restaurer. C’est souvent un des gros points faibles de
ces élèves en grande difficulté scolaire. Il est en fait très important de les sortir de
l’utilitaire pour les faire entrer dans le désir de savoir, d’apprendre, de connaître, de
comprendre…
Un apprentissage peut finalement avoir du sens en référence à des pratiques
scolaires quand c’est dans la classe à l’occasion d’un exercice ou d’une activité que
les problèmes ont émergé, ou vont émerger. C’est la grande majorité des cas vécus
par les élèves. L’école, c’est pour l’école ! Le sens peut bien sûr se construire en
référence à des pratiques extra-scolaires, comme un environnement familial, social
ou économique…
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Éric Saillot – Mémoire Master 1 Sciences de l’éducation – direction de Jean-Pierre Astolfi
Afin de mieux prendre en compte la complexité de la relation pédagogique, aux
multiples variables et facteurs, qui interagissent, selon un certain « déterminisme
réciproque », j’ai donc choisi de m’appuyer sur les références théoriques
développées par Rolland Viau, essentiellement les trois perceptions de l’élève : la
perception de la valeur de l’activité, la perception de sa compétence, et la
perception de la contrôlabilité de la tâche.
Lorsque toutes les réflexions s’articulent autour du sens des apprentissages ou de
leur utilité, c’est essentiellement la perception de la valeur de l’activité qui est en jeu,
mais très peu les deux autres. C’est souvent le cas des situations proposées pour
soit-disant renforcer la motivation. Si j’ai posé l’hypothèse d’un lien positif entre les
situations de médiation et la motivation, c’est qu’elles permettent de développer les
trois perceptions de façon plus harmonieuse, prenant ainsi en compte la réalité
complexe des élèves.
La prochaine partie tentera de présenter les principales situations pédagogiques
préconisées par de nombreux auteurs afin de renforcer la motivation des élèves. Il
me semble intéressant de tenter d’analyser à quelles conceptions de la motivation
telle pratique se rapproche, quelles perceptions sont ainsi développées, quels
avantages peuvent être tirés de telles situations et quelles limites sont à prendre en
compte. Des postures professionnelles, pédagogiques, ou didactiques peuvent-elles
être considérées comme incontournables ? Pourquoi ?
En quoi les situations de médiation pédagogique sur lesquelles je fonde mes
hypothèses quant à leur efficacité relative à la motivation des élèves, s’appuient sur
des bases théoriques ou pratiques communes ou au contraire différentes ?
Ne voulant pas être manichéen ou dogmatique vis à vis des situations de médiation
pédagogique, j’ai tenu à présenter d’autres approches afin d’avoir des éléments de
comparaisons identifiables pour valider ou invalider mes hypothèses.
Cette quatrième partie débutera par un point souvent oublié volontairement dans les
équipes pédagogiques lorsque l’on parle de motivation, voire même par certains
auteurs par peur de froisser les susceptibilités des enseignants qui appuient souvent
leurs échecs sur le manque de motivation des élèves sans jamais faire état de leur
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propre manque de motivation éventuel… Ne pas démotiver les élèves est sans doute
un préalable indispensable à toute innovation ou réflexion plus avancée.
Ensuite, il me semblait incontournable de parler de projet, de pédagogie du projet
et de projet personnel. Si ces concepts ne sont pas au cœur de ma problématique,
je ne peux me permettre de les éviter tant ils sont omniprésents lorsque l’on parle de
motivation en contexte scolaire, et tant leur usage s’est diversifié ces dernières
années au détriment, quelquefois, je pense, du sens même des apprentissages, et
au finale de la motivation. Je vais donc tenter à nouveau d’interroger une apparente
évidence pédagogique, qui prend un poids institutionnel de plus en plus important,
limitant le regard critique des enseignants, me semble-t-il…
En effet, un projet pédagogique doit-il être uniquement attrayant, donc soit-disant
motivant ? Attirer les élèves pour qu’ils participent à une activité peut-il garantir une
certaine réussite, donc une motivation à long terme ?
En effet, Cécile Delannoy rappelle que « chez chacun de nous, le besoin d’estime
de soi, le narcissisme, sont tels que, fréquemment, nous aimons ce que nous
savons faire et rejetons ce qui nous met en échec. »44
Cette réussite procure un enivrant sentiment d’efficacité personnelle, concept cher à
Albert Bandura, qui correspond à la perception de sa compétence selon Rolland
Viau, et qui permet aux enfants d’être plus persévérants selon Fajda
Winnykamen45. La persévérance étant elle-même facteur de réussite, on peut
comprendre aisément les conséquences très positives de la réussite sur la
motivation. C’est en partie ce qui permit à Faouzia Kalali de conclure que « le
problème final de la motivation est plus un problème de manque de maîtrise
que de manque d’approche. »46
44
DELANNOY Cécile, La motivation, op. cit. p.51. 45
WINNYKAMEN Fajda, Apprentissage et imitation, PUF, 1990, p 311. 46
KALALI Faouzia, Etude et analyse des stratégies de motivation dans l’enseignement et la vulgarisation de la biologie, Thèse de doctorat de didactique des sciences, direction de Christian Souchon, Paris 7, 1997.
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Je présenterai donc les principes de cette pédagogie de la réussite, à travers la
pédagogie de maîtrise, avant de comparer le fait de rendre les élèves actifs ou de
leur permettre d’être acteurs de leurs apprentissages.
4-Autres situations pédagogiques pour renforcer la motivation : intérêts et
limites
4-1-Commençons par ne pas démotiver.
Si la question de la motivation des élèves est arrivée en tête des préoccupations lors
du débat national sur l’école, la question de la motivation des enseignants est un
problème rarement abordé. André Giordan pose la question qui fâche en conclusion
de son article « vive la motivation » : « les enseignants sont-ils eux-mêmes
suffisamment motivés ? »
Au-delà des caricatures, l’intérêt de cette partie est plutôt de réfléchir aux conduites à
tenir et aux réflexions à mener personnellement lorsque l’on enseigne. Qui n’a pas
ressenti un moment de découragement face à certains élèves difficiles ou lors de
situations où la « toute puissance » symbolique de l’enseignant est mise à mal ? Si la
motivation n’est pas une donnée acquise individuellement une fois pour toutes pour
les élèves, il en va de même pour les enseignants. Cependant, les élèves subissent
plus ou moins l’obligation scolaire, selon la valeur qu’ils donnent à l’école. Les
enseignants choisissent leur métier… mais pas toujours leur lieu d’exercice ou leurs
élèves !
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Si, pour Rolland Viau, concernant les élèves, « la motivation en contexte scolaire est
un état dynamique qui a ses origines dans les perceptions qu’un élève a de lui-même
et de son environnement et qui l’incite à choisir une activité, à s’y engager et à
persévérer dans son accomplissement afin d’atteindre un but », la motivation des
enseignants ne semble pas être un processus si différent.
En effet, chaque enseignant a des perceptions de lui-même en tant que
professionnel de l’éducation, selon son vécu d’élève, d’étudiant, puis de professeur,
ses représentations du métier, son milieu socioculturel d’origine, ses conceptions de
la pédagogie… Ces perceptions construisent ce que certains appellent
l’identité professionnelle des enseignants. Celles-ci sont diverses et influencent
beaucoup, me semble-t-il, les pratiques et la dynamique motivationnelle de
l’enseignant, surtout face aux premières situations de crise.
La perception qu’un enseignant se fait de son environnement de travail est
également un point essentiel. Le travail en équipe élargie, avec d’autres enseignants,
des psychologues, des assistants d’éducation, ou d’autres professionnels, voire avec
certains parents, demande une perception positive et optimiste de cet
environnement. Il ne faut pas oublier que le premier environnement de travail pour un
enseignant est constitué par ses élèves. A ce sujet, l’expérience la plus connue dont
j’ai déjà parlé dans ce mémoire (page 7), est celle de Rosenthal et Jacobson47 sur
l’effet Pygmalion à l’école. D’autres recherches ont suivi et confirmé que certains
enseignants avaient tendance à négliger les élèves qu’ils trouvaient faibles et
s’occupaient surtout de ceux qu’ils estimaient intelligents et motivés. Les conseils de
classe en collège auxquels j’assiste me donnent souvent l’occasion d’entendre des
commentaires d’enseignants de ce type.
Pour beaucoup d’enseignants, les élèves en grande difficulté scolaire mettent à mal
l’identité professionnelle qu’ils s’étaient construite. Même deux enseignants aux
pratiques et convictions diamétralement opposées peuvent être dans ce cas. Celui
qui se voit comme garant de la bonne transmission du savoir ne peut tolérer que
certains élèves « mal orientés » viennent perturber et ralentir ses cours. A l’opposé,
celui qui pense avoir mis au point un excellent projet ou une très bonne situation
pédagogique, sera vite lassé de ces élèves non motivés qui ne veulent rien faire !
47
ROSENTHAL Robert et JACOBSON Lenore, op. cit. p.60.
La médiation pédagogique au service de la motivation, une expérience en 6e SEGPA
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Les difficultés des élèves deviennent en quelque sorte celles des enseignants, qui,
selon leur identité professionnelle, y font face, ou ne veulent plus y être confronté.
Sommes-nous dans la caricature si nous réfléchissons à cette citation de Gaston
Bachelard est encore trop souvent vérifiée ? « J’ai souvent été frappé du fait que les
professeurs de sciences, plus encore que les autres, si c’est possible, ne
comprennent pas qu’on ne comprenne pas. »48
Le dernier point de la définition de la motivation selon Rolland Viau concerne les buts
à atteindre. Cette fois encore, l’identité professionnelle de l’enseignant orientera les
buts qu’il se fixe pour lui-même ou pour ses élèves, dans des perspectives de
sélection, d’aide ou de remédiation par exemple.
Rolland Viau souligne également l’importance qu’accordent les élèves à la
compétence et la motivation de l’enseignant. Si les jeunes enfants sont
essentiellement dans un rapport affectif, les adolescents commencent à évaluer la
compétence de leurs professeurs et comparent souvent ces derniers entre eux. Ils
trouvent que Monsieur untel explique toujours bien les choses ou que Madame
unetelle est souvent ennuyeuse, voire confuse dans ses propos. Si ces jugements
sont souvent exagérés ou faussés par une relation pédagogique difficile, je pense
que la maîtrise des savoirs et des variables didactiques sont des attitudes
professionnelles essentielles, même si elles sont peu valorisées ces derniers temps.
J’essaierai de montrer dans la troisième partie comment certaines situations de
médiation, centrées sur le savoir, doivent s’appuyer sur des connaissances
didactiques solides, sans pour autant négliger la relation pédagogique.
En ce qui concerne la motivation d’un enseignant, comment les élèves peuvent-ils
l’évaluer, et comment l’enseignant lui-même peut-il s’autoévaluer ?
Selon Cécile Delannoy, qui s’appuie sur la théorie de René Girard sur la mimésis,
le problème de l’enseignant est de motiver le groupe-classe pour qu’il entraîne,
mimétiquement, l’adhésion des plus réfractaires à l’apprentissage. Elle ajoute, grâce
aux entretiens d’élèves qu’elle a menés pour savoir ce qui les motivent, que c’est
48
BACHELARD Gaston, La formation de l’esprit scientifique, Vrin, Paris, 1938, p.18.
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essentiellement le rapport à l’enseignant, plus que la discipline elle-même qui
les motive. Cependant, si l’intérêt pour une discipline peut s’expliquer par son
contenu propre, la dynamique motivationnelle créée autour du rapport à un
professeur est plus complexe à analyser. En effet, de nombreuses variables
pédagogiques ou didactiques peuvent intervenir dans ce processus. Avant même
d’analyser la situation d’apprentissage proposée d’un point de vue didactique ou
pédagogique, certaines observations des rapports maître-élèves me semblent très
intéressantes. La motivation d’un enseignant peut « se lire » dans son comportement
face à la classe, bien plus que dans ses déclarations. Je pense qu’on enseigne
comme on est, mais qu’on n’enseigne pas toujours comme on pense le faire…
Georges Chappaz fait état d’une étude de S.R. Neil sur l’importance de la
communication non verbale dans l’image que les élèves ont de leurs enseignants :
« Treize enseignants, ayant des élèves de douze-treize ans, ont fait l’objet
d’enregistrements lors de deux cours. Y sont alors repérés : les gestes, les postures
et mouvements du corps, les mimiques, le verbal. Le déroulement est ensuite
analysé en fonction de trois catégories de professeurs :
-les efficaces qui entretiennent de bonnes relations avec leurs élèves et ne
rencontrent aucun problème de discipline ;
-les moyens qui contrôlent leur classe parfois avec difficulté ;
-les inefficaces qui se heurtent à des problèmes de discipline.
Les efficaces effectuent des mimiques qui traduisent l’enthousiasme et donnent du
relief à leur discours. Ils fixent souvent du regard les enfants, utilisent plus
d’illustratifs et des intonations variés. Ils réalisent plus de gestes de contrôle ou de
décision (doigt pointé, frappe de la main, etc.).
Les inefficaces ont des mimiques plus neutres, ils réalisent peu de mouvements de
tête qui marquent l’intérêt porté au travail des élèves. Ils émettent souvent des
paroles peu claires, manipulent des objets, tournent le dos aux élèves, écrivent
beaucoup au tableau, s’occupent de l’équipement. Ils produisent des signaux
barrières (bras croisés, s’assoient derrière un bureau encombré de livres et de
cahiers) et passent peu de temps en position relaxe (mains dans les poches, en
appui sur divers supports).(…)
La médiation pédagogique au service de la motivation, une expérience en 6e SEGPA
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Le non-verbal a pour tâche de gérer la situation et de maintenir la communication à
un niveau où les apprentissages peuvent se réaliser. Certains signaux, même peu
fréquents, sont très opératoires pour garder un contact harmonieux et ils permettent
au messages de passer. (…)
Les efficaces sont ceux qui manifestent un haut degré de relaxation. Les élèves
considèrent qu’ils aident à apprendre et, dans les situations d’affrontement, ils
apprécient leurs gestes de décision ; leur calme représente une garantie de non-
escalade.
Les inefficaces sont perçus comme ennuyeux et peu secourables dans
l’apprentissage. Dans les situations où le maître est amené à critiquer les élèves,
ceux-ci les craignent en raison de leurs signes de stress, d’hésitation et de menace.
Les attentes des élèves se structurent autour de l’attention que l’enseignant leur
porte : la fonction phatique (de contact) compte beaucoup. »49
L’expérience de S.R.Neil souligne l’importance pour l’enseignant de contrôler son
corps sous trois aspects : la voix, le regard et les postures et déplacements. Ces
postures professionnelles sont essentielles dans la relation pédagogique mais
rarement prises en compte dans les formations initiales d’enseignants. Les signaux
non verbaux communiqués par ces trois médias participent grandement à déterminer
la motivation des élèves.
« Pour susciter le désir, il faut oser montrer le sien. »50
Il me semble en effet fondamental d’être passionné par sa discipline, motivé par le
projet en cours, intéressé par les exposés donnés à faire aux élèves, confiant en sa
pédagogie, tout en admettant ses faiblesses, ses lacunes, ses interrogations, afin de
ne pas sacraliser le rapport au savoir et la motivation exigée. S’il faut travailler
sérieusement, chacun a le droit d’avoir ses préférences, et des degrés de
motivations différents selon les jours et les situations. N’est-ce pas la réalité de
chacun d’entre nous ?
49
CHAPPAZ Georges, « La communication dans la classe », Cahiers Pédagogiques, n°326, septembre 1994. 50
DELANNOY Cécile, op. cit. p.51.
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Philippe Perrenoud remarque même que « dès que le professeur admet qu’il n’est
pas toujours motivé, qu’il lui arrive aussi de s’ennuyer, d’avoir envie d’être ailleurs, de
se demander à quoi ça rime tout ça, on voit certains blocages se lever du côté des
élèves, tout simplement parce que cet aveu donne un statut au refus, au doute, à
l’ennui, au non-sens. »51
Il en va de même quand il s’agit de clarifier notre rapport au savoir aux élèves. Il est
important qu’ils sentent que leur enseignant n’a pas fini d’apprendre, qu’il est encore
curieux, et qu’il aime comprendre le monde qui l’entoure dans sa plus grande
diversité et se cultiver. Il ne faudrait pas demander aux élèves de faire ce que l’on ne
fait plus. Il ne faut pas hésiter à parler du livre que l’on vient de lire, du film que l’on a
vu ou de l’article qui nous a intéressé dans la presse.
Ces échanges doivent permettre aux élèves de sortir de la pensée magique, pour
laquelle le savoir est objet de révélation et ne demande aucun effort à ses heureux
élus. Cet aspect est fondamental dans les situations de médiation pédagogique dans
lesquelles l’erreur est réellement « un outil pour enseigner. »52
Pour tout enseignant, prendre conscience, puis maîtriser ses gestes, ses postures,
ses mouvements, ses mimiques, sa voix, et son regard sont des éléments fondateurs
d’une bonne relation pédagogique, et doivent aider à être un bon médiateur
pédagogique, tentant le pari d’une double centration sur l’élève et le savoir, grâce
à des connaissances didactiques solides. La meilleure des situations didactiques,
avec une étude fine des variables et des erreurs possibles des élèves, ne peut être
efficace, me semble-t-il que dans une relation de confiance et de respect. Il en va de
même concernant le statut de l’erreur, ou les actes et les attitudes ont souvent plus
de poids que les déclarations d’intention.
Être motivé et croire en sa pédagogie, afin de motiver les élèves et de les faire
réussir, ou de les faire réussir afin de les motiver, tel est le défi quotidien du métier
d’enseignant. Dans cette optique, je pense qu’il est toujours très intéressant de
connaître les avantages et les limites des méthodes employées.
51PERRENOUD Philippe, « Rendre l’élève actif…C’est vite dit ! », in Migrants-Formation, n°104, mars 1996, pp.166-181. 52
ASTOLFI Jean-Pierre, L’erreur…, op. cit. p.46.
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C’est pourquoi, dans le cadre de ce mémoire sur le rapport entre la motivation des
élèves et les médiations pédagogiques, faire un détour par le concept de projet et
par la pédagogie du projet m’a paru nécessaire.
Pourquoi ? Premièrement, il semble que ces pratiques ne s’opposent pas car,
finalement, elles n’abordent pas le problème de la motivation de la même manière.
Elles pourraient même se révéler très complémentaires. Deuxièmement, beaucoup
d’auteurs présentent le concept de projet et la pédagogie du projet comme une des
solutions majeures pour renforcer la motivation des élèves. Il me semblait intéressant
de présenter les principaux travaux et de les mettre en perspective avec certaines
pratiques de terrain, afin d’en souligner éventuellement certaines limites, notamment
dans le rapport au savoir et à la réelle implication des élèves. A rechercher la
meilleure accroche et à susciter l’intérêt des élèves, s’intéresse-t-on réellement à
leurs difficultés, leurs obstacles et à la construction du savoir ?
4-2-Projet, pédagogie du projet et projet personnel.
Le lien entre le concept de projet et la motivation s’articule autour de la recherche
du sens des apprentissages scolaires. Cette recherche du sens fait l’unanimité, mais
de quels sens parlons-nous ? J’ai déjà soulevé ce problème du sens des
apprentissages dans ce mémoire lorsque j’ai présenté l’article d’André Giordan, qui
souligne l’importance de situations pédagogiques « désirables ».
Jean Houssaye symbolise parfaitement ce consensus, lorsqu’il souligne qu’un
enfant, considéré « en tant que sujet », « s’attend à ce que l’objet qu’il va rencontrer
à l’école prenne sens pour lui. »53 Il pense que l’intérêt des élèves peut être renforcé
si les situations d’apprentissage ont un sens et présentent une certaine nouveauté. Il
relie le concept de motivation à celui de projet dans la dimension prospective, la
dimension actuelle reposant sur la réussite et le besoin d’affirmation de soi. La
motivation s’inscrit dans le projet d’action (ce que l’on a l’intention de faire) et le
projet de soi (ce que l’on a l’intention d’être).
Dans le même ordre d’idée, Monique Croizier, perçoit la motivation sous l’angle de
l’intérêt que l’élève accorde à l’école, en s’appuyant sur l’image qu’il a de lui-même et
53
HOUSSAYE Jean, « La motivation », op. cit. p.53.
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sur le sens du contrôle de l’environnement. Elle présente le projet comme
« démarche de réappropriation pour l’élève de son environnement, son histoire, soi-
même, ses desseins. »54 qui permettrait de passer d’un rapport d’adaptation à un
rapport de projection. Selon elle, aider les élèves à se construire un projet personnel
permettrait de donner du sens à l’école.
Cécile Delannoy précise que « le lien entre projet et apprentissage n’est pas
seulement un lien psychologique de motivation, comme on le croit souvent, c’est
d’abord un lien logique. » Elle parle donc de projet de vie et de l’importance de la
projection dans l’avenir. « Avoir un projet de vie, c’est se poser en sujet capable
d’infléchir son propre avenir, et non en victime passive d’un destin. »55
Faire construire un projet personnel à un élève ne se décrète pas. Au-delà de
l’accroche, les situations de médiation pédagogique permettent à l’élève de donner
du sens aux apprentissages, dans une perspective de réussite et de progrès. On ne
peut croire en son avenir que si l’on croit en sa réussite présente ou à venir. Aider
l’élève à se construire un projet personnel d’apprentissage doit être l’objectif de
tout enseignant. Dans ce but, faire travailler à l’élève les perceptions de sa
compétence et de la contrôlabilité de la tâche dans des situations de médiation peut
être un excellent moyen de renforcer la motivation en rendant possible ce fameux
projet personnel.
Si l’élaboration de projets personnels devient une obligation institutionnelle,
notamment dans le cadre de la scolarisation des élèves handicapés ou en très
grande difficulté scolaire, le concept de projet est fortement lié à celui de motivation à
travers la pédagogie de projet.
Le moyen d’action de la pédagogie de projet est fondé sur la motivation des élèves,
suscitée par l’aboutissement à une réalisation concrète, traduite en objectifs et en
programmation. Cette pédagogie induit un ensemble de tâches dans lesquelles tous
les élèves peuvent s’impliquer et jouer un rôle actif, qui peut varier en fonction de
leurs moyens et intérêts.
54
CROIZIER Monique, Motivation, projet personnel…, op. cit. p.12. 55
DELANNOY Cécile, La motivation, op. cit. p.51.
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Cette forme de pédagogie repose sur les pratiques de l’Education nouvelle mises
en place dès le milieu du XXe siècle, sans oublier John Dewey (1859-1952),
philosophe et psychologue américain, initiateur des méthodes actives, qui est à
l’origine de la méthode des projets, à travers son fameux « learning by doing »,
apprendre en faisant. Ovide Decroly (1871-1973), médecin, psychologue et
pédagogue belge fit de l’intérêt de l’enfant le levier par excellence de son
développement. En termes de fondements théoriques, il ne faut pas oublier Célestin
Freinet (1896-1966), instituteur, qui a toujours voulu rendre les élèves actifs pour les
motiver, considérant notamment que les connaissances s’élaborent dans des projets
d’action et de recherche.
La pédagogie du projet s’inscrit également sur des fondements constructivistes,
relayés par les travaux de Jean Piaget qui souligne l’importance de l’activité du
sujet. En effet, selon lui, les connaissances sont construites par l’individu par
l’intermédiaire des actions qu’il accomplit sur les objets.
Dans l’idéal, ce sont les élèves qui font le choix du projet puisqu’il s’agit de les
impliquer personnellement, mais la plupart du temps, il est proposé par l’enseignant.
C’est une des principales difficultés de la pédagogie de projet.
D’ailleurs, Gérard de Vecchi souligne également que « pour entrer dans un projet, il
est nécessaire d’être volontaire. »56 Cependant, conscient de la difficulté de cet
aspect de la pédagogie de projet, il a réalisé une fiche « pour que les élèves puissent
se sentir concernés par un projet proposé par les enseignants », retraçant les étapes
de l’élaboration du pré-projet, de la présentation aux élèves et de l’élaboration du
projet définitif avec les élèves.
En effet, cette question est fondamentale, surtout dans le but de faire construire une
dynamique motivationnelle à chaque élève. Qui est réellement à l’origine des projets
dans la réalité ? Rarement les élèves, souvent les enseignants, voire l’administration
ou l’inspection…Dans ces conditions, comment concevoir que la pédagogie de projet
puisse renforcer la motivation de tous les élèves. La dynamique motivationnelle du
groupe classe permet-elle de motiver tous les élèves, même par mimétisme ?
D’autres questions me semblent essentielles : pourquoi les élèves décident-ils de
s’engager dans un projet ? Les élèves, même les plus impliqués, sont-ils motivés ou
56
de VECCHI Gérard, Aider les élèves à apprendre, Hachette Education, 1991.
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intéressés ? Du côté des enseignants, je me répète, ne favorise-t-on pas une
centration sur l’accroche pédagogique, l’intérêt, voire l’utilité, au détriment d’une
réflexion sur la maîtrise des apprentissages ?
Au regard des trois perceptions présentées par Rolland Viau comme étant les
déterminants fondamentaux de la motivation en contexte scolaire, je considère que
la plupart du temps, les enseignants axent leurs réflexions et leurs pratiques autour
de la perception de la valeur de l’activité. Ils associent donc la motivation à de
l’intérêt, et assimilent le sens des apprentissages à quelque chose d’utile…
Les perceptions de sa compétence et de la contrôlabilité de la tâche ne sont pas
principalement travaillées par les élèves à travers la pédagogie de projet, qui tend à
s’éloigner quelquefois de la maîtrise des apprentissages en termes de savoirs, pour
insister sur les savoir-faire ou les savoir-être. L’utilité des apprentissages est alors
concevable au détriment des savoirs déclaratifs ou conceptuels, à travers lesquels se
construisent les obstacles les plus résistants.
Une autre dérive de la pédagogie de projet est de faire du projet une fin en soi
(dérive productiviste) : le « produit » est la seule finalité, au détriment des
apprentissages.
Dans un autre registre, la planification à l’excès (dérive techniciste), ou une
conduite non directive des projets (dérive spontanéiste) constituent des conduites
professionnelles qui retirent à la pédagogie de projet sa dynamique motivationnelle.
Il existe de nombreux projets pédagogiques qui ne s’inscrivent pas dans une
pédagogie de projet digne de ce nom. Je vais présenter quelques projets, qui,
finalement, ont eu le mérite de m’interroger, quant à leur authenticité, leur efficacité
ou leur élaboration, sans parler de leur évaluation !
Le plus récent s’intitule « Projet plantations dans les collèges », financé par le
Conseil Général de Seine Maritime. L’origine de ce projet est relativement éloignée
des élèves. La Principale du collège, au courant de la mise en place récente devant
les fenêtres de ma classe d’un petit jardin de six mètres carrés à peine, afin
d’observer les plantes pousser et de faire quelques expériences sur la reproduction
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et le développement des végétaux, est venue me dire qu’elle m’avait inscrit au
concours « plantations dans les collèges » car elle souhaitait que le collège soit
choisi et mis en valeur. J’appris quelques jours plus tard qu’un architecte paysagiste
viendrait intervenir auprès de mes élèves si notre candidature était retenue. Vis à vis
de la légèreté de notre projet, je fus surpris lorsque j’appris que notre collège figurait
parmi les cinq choisis par le Conseil Général…L’architecte vint alors me rencontrer
afin de lister les besoins de mes élèves et de déterminer les activités de découverte
des végétaux qui seraient plantés dans le collège. Finalement, mes élèves ont vécu
deux séances de découverte, dont les documents n’étaient pas adaptés à leurs
difficultés, puis ont attendu avec impatience le jour des plantations. Ce jour était en
fait l’instant le plus important de ce projet, pour les élèves, qui avaient hâte de mettre
les mains dans la terre, et surtout pour la Principale, qui invita le président du Conseil
Général, les maires des communes du secteur, des Inspecteurs de l’éducation
nationale, les représentants du Conseil d’administration, et la presse bien entendu !
Le plus cocasse dans l’histoire était de voir tous ces officiels, finalement plus
nombreux que les élèves, marcher prudemment autour des plantations, s’armer
d’une pelle afin d’être pris en photo… Cela amusa aussi les élèves qui ne comprirent
pas toute cette agitation. Ce qui les a beaucoup déçus, ce fut le timing à respecter. Il
y eut une heure de présentation des techniques de plantations par l’architecte
paysagiste. Pendant ce temps, une entreprise spécialisée avait apporté sur place les
végétaux. Cette même entreprise avait préparé le terrain quelques jours avant,
apportant du terreau et de l’engrais, installant une bâche spéciale, fendue aux
endroits devant accueillir les plantes. Ensuite, ce fut le temps des plantations,
perturbé par les séances photo et les interviews, et pas assez long au goût des
élèves. En effet, il fallait se rassembler dans le réfectoire, une heure après, pour les
discours de circonstance et le pot offert par le collège. Si les enfants furent bien
accueillis, pouvant boire et manger à leur guise, il ne plantèrent pas tous les
végétaux car c’est l’entreprise qui termina le travail. C’est également ces
professionnels qui se chargeront de l’entretien de cette haie champêtre de cinquante
mètres et des onze poiriers d’ornement, dont le coût n’a pas été divulgué. Quelle
aura été la part des élèves dans l’élaboration de ce projet, dans sa réalisation ?
Quels apprentissages aura-t-il permis ? La motivation des élèves a-t-elle été
renforcée ? Dans quelle proportion ?
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Dans le même genre de projet, très médiatisé, je me souviens d’un « projet radio »
dans une école élémentaire en zone d’éducation prioritaire. Toute l’équipe
pédagogique était partante pour s’investir dans un projet qui ambitionnait
d’enregistrer une émission de radio autour de la vie de l’école. Chaque enseignant
avait défini des objectifs d’apprentissage en rapport avec les besoins de ses élèves
et attendait avec impatience la participation de l’intervenante spécialisée, tout comme
les élèves, qui n’avaient pas été difficiles à motiver autour de ce projet. Finalement,
l’intervenante n’est passée qu’une fois dans chaque classe. Elle a posé des
questions aux élèves, a induit des réponses, voire les a soufflées, faisant répéter les
élèves avant d’enregistrer. Un mois plus tard, sans nouvelles de sa part, la
motivation des élèves et des enseignants était fortement retombée. Après quelques
appels téléphoniques, des CD furent envoyés à l’école, contenant une simulation
d’émission de radio, à partir du montage des déclarations des élèves. Le produit final
était très valorisant pour les enfants et l’école. Il fut distribué à chaque famille. Ce
projet fit une publicité excellente à la directrice qui était à l’origine de ce projet très
coûteux. Mais quels furent les apprentissages des enfants ? Quelles évaluations ?
Quelles progressions ? Et à quel coût ?
D’autres projets m’ont interrogé. Je me souviens d’un projet pour sensibiliser des
adolescents d’une classe de quatrième à la lutte contre toutes formes de racisme. La
réalisation finale était une exposition dans le centre de documentation et
d’information du collège. Encore une fois, le « produit » final l’emporta sur les
apprentissages. Si cette exposition fut très appréciée par les élèves et les
professeurs, je me suis rapidement posé la question essentielle : qu’ont appris les
élèves ? Quels sont leurs progrès ? Sont-ils réellement plus motivés ? Effectivement,
quand il s’agissait de taper des textes sur ordinateur, de décorer les affiches ou de
coller les documents, la motivation était importante, mais dès que les obstacles des
apprentissages plus classiques resurgissaient, la motivation s’essoufflait rapidement.
C’est à cette période que j’ai commencé à m’interroger sur la nécessité de mettre en
place une pédagogie de la réussite, car c’était selon moi, le vrai déclencheur d’une
motivation durable. Idem pour le sens finalement.
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Les élèves trouvent du sens aux apprentissages qu’ils réussissent, même ceux
présentés de façon classique finalement. Une réflexion autour d’une pédagogie de la
réussite ou de maîtrise s’imposait alors.
Rendre les situations désirables, donner du sens aux apprentissages, mettre en
place une pédagogie de la réussite sont autant de problématiques pratiques relatives
au renforcement de la motivation. En effet, Gérard de Vecchi se demande « si ce
n’était pas l’absence de motivation qui amenait un élève à ne pas réussir, mais plutôt
le manque de réussite qui ne permettait pas la motivation. »57
4-3-Pour une pédagogie de maîtrise ? Une pédagogie de la réussite ?
La pédagogie de maîtrise (Mastery Learning) est née aux USA dans les années
soixante. Elle a été connue en France grâce à la traduction des travaux de Benjamin
Bloom qui ont exercé sur les directives ministérielles une influence positive mais
relativement ambiguë. L’expression « Mastery Learning » a en effet connu deux
traductions, qui ne sont pas équivalentes : Pédagogie de Maîtrise ou Pédagogie par
Objectifs. Cette ambiguïté pourrait avoir favorisé quelques incompréhensions et
dérives.
En effet, la première intention avait été de faire en sorte que la notion de « mastery
learning », qui entend mettre l’accent sur l’apprenant, ne soit traduite en français par
l’expression « pédagogie de maîtrise » qui faisait davantage penser, craignait-on, à
la science du maître. La formule « pédagogie par objectifs » a donc été retenue,
mais le « remède » paraît avoir été pire que le mal. Premièrement, en se focalisant
sur les objectifs, on s’est intéressé aux contenus des programmes plus qu’à la réalité
complexe de l’apprentissage. Deuxièmement, pour insister vraiment sur le travail de
l’apprenant, il aurait fallu poser le problème de sa régulation, et traiter donc du
professionnalisme de l’enseignant.
C’est forts de ce constat, que certains chercheurs se proposent depuis quelques
années de réhabiliter l’expression « pédagogie de maîtrise », et reprennent l’examen
de ses propositions, que la « pédagogie par objectifs » avait estompées.
57
de VECCHI Gérard, Aider les élèves…, op. cit. p.84.
La médiation pédagogique au service de la motivation, une expérience en 6e SEGPA
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Le postulat fondamental de la pédagogie de maîtrise consiste à affirmer que la
plupart des élèves devraient être capables d’acquérir les notions enseignées à
l’école, pour autant que les conditions d’enseignement soient optimales pour chacun
d’eux. Si l’école échoue, c’est que ces conditions optimales ne sont pas remplies,
que les différences individuelles ne sont pas respectées. Bloom conclut donc à la
nécessité d’une pédagogie qui prenne en compte les différences : c’est déjà la notion
de pédagogie différenciée, qui sera reprise plus tard avec le succès et les excès que
l’on sait, mais qui, pour l’heure, ne concerne guère, dans l’esprit de Bloom, que des
considérations relatives au temps d’apprentissage. Selon lui, le temps requis pour
maîtriser un contenu est la caractéristique individuelle fondamentale en situation
d’apprentissage scolaire.
Pour Bloom, la pédagogie de maîtrise n’était pas révolutionnaire, et n’appelait pas
d’importants développements théoriques. Elle devait surtout chercher à provoquer
chez les élèves des changements d’attitudes, ce qui était déjà la préoccupation
majeure de Freinet. Il affirmait que le « talent peut être développé », préfigurant en
quelque sorte le courant de l’éducabilité cognitive, mais sans entretenir d’illusions sur
la possibilité de modifier les intelligences. Il affirmait cependant la possibilité d’agir
sur les pré-requis spécifiques et sur la motivation à apprendre pour aider chacun à
développer au mieux ses potentialités.
Il ne suffit donc pas de faire travailler les élèves. Il faut leur donner le temps
d’apprendre et leur apporter l’aide qui leur permettra de s’investir davantage. Pour
définir des actions appropriées de remédiation, la pédagogie de maîtrise avait
d’abord usé, voire abusé semble-t-il, d’une évaluation très rigoureuse. Mais cette
dérive évaluatrice, induite par une conception trop statique de la mesure que
dénoncera plus tard Feuerstein, s’écartait en fait du pragmatisme de Bloom, qui visait
pour sa part un problème plus crucial : l’investissement de l’élève et sa motivation.
Aujourd’hui, les adeptes de la pédagogie de maîtrise cherchent moins à définir des
actions de remédiation qu’à construire au préalable un contexte d’apprentissage
auto-porteur. L’aide apportée à l’élève s’oriente vers la conscience d’apprendre et
vers l’autonomie de l’élève, celle-ci devant être prise au sens intellectuel.
La pédagogie de maîtrise prend aujourd’hui en compte le système-classe, au sens
systémique, joue sur l’organisation du temps et des apprentissages pour susciter
entre pairs des échanges finalisés, car on est là pour apprendre. C’est donc une
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pédagogie essentiellement interactive, qui ne peut se satisfaire d’échanges
purement affectifs et entend s’inscrire dans la durée pour accorder à l’élève « tout le
temps qu’il a besoin pour apprendre », selon Bloom, mais aussi, pour prévenir
certaines dérives, « toutes les aides qui lui permettront d’apprendre plus vite. » Les
échanges interactifs servent de support au projet d’apprentissage de l’élève, qui fait
chaque jour le point sur ses avancées et sur ses manques lors d’un moment capital
de bilan.
L’évaluation, essentiellement formative en pédagogie de maîtrise, conserve
évidemment toute son importance, mais les excès en ce domaine, dénoncés là
encore par les premiers expérimentateurs, sont écartés. L’évaluation est donc
partiellement déléguée à l’élève pour favoriser son investissement personnel au lieu
de l’écraser : elle devient ainsi évaluation formatrice, et dynamique, au sens où
l’entendait Vygotski. Les habiletés et savoirs pré-requis pour un apprentissage
donné, tels que l’on pourrait les apprécier par des tests préparatoires, peuvent
parfois sembler absents, alors qu’ils sont en réalité présents, mais à l’état latent. Il
convient alors de les activer en donnant du sens à la situation. Une représentation
précise de l’objectif à atteindre, sur laquelle Bloom insistait à juste titre, est à
l’œuvre dans l’évaluation formatrice qui apparaît ainsi inhérente au processus
d’apprentissage lui-même, comme elle l’est d’ailleurs dans les formes primitives
d’apprentissages (apprentissage vicariant).
L’hypothèse de la pédagogie de maîtrise est que cette représentation précise de
l’objectif suffirait le plus souvent à l’élève pour mobiliser ses compétences
potentielles. Il existe une ambiguïté dans la « Pédagogie de Maîtrise à Effet
Vicariant », car on pourrait l’associer au laisser-faire concernant la tricherie ou le
copiage des élèves entre eux, alors que les élèves sont censés prélever des indices
pour accéder à un savoir qu’ils ont du mal à saisir mais auquel ils ont droit. Cette
centration sur le rythme d’apprentissage des élèves a vu naître la politique des
cycles en France. Cependant, dans l’esprit des adeptes de la pédagogie de
maîtrise, le respect des différences de rythmes devrait permettre aux plus lents de
prendre des repères sur les plus rapides, et de ce fait, permettre au groupe classe
d’avancer plus vite que le strict respect des rythmes individuels. Cet effet de
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l’apprentissage vicariant s’opère depuis longtemps dans les classes uniques, dont
l’efficacité des stimulations des interactions entre pairs a été vérifiée fréquemment.
Cela confirmerait les hypothèses émises par Maurice Reuchlin sur l’intérêt
pédagogique des formes primitives d’apprentissage, et les travaux d’Albert Bandura
sur l’apprentissage vicariant. Pour ce dernier, le fait de pouvoir apprendre par
observation rend en effet les individus capables d’acquérir des comportements ou
des savoir-faire sans avoir à les élaborer graduellement par un processus d’essais et
d’erreurs, contrairement aux thèses béhavioristes habituelles des anglo-saxons.
Albert Bandura relie la théorie de l’apprentissage vicariant à la théorie de l’auto-
efficacité : lorsque l’on peut observer un individu similaire à soi-même exécuter une
activité donnée, constitue une source d’information importante influençant la
perception d’auto-efficacité.
Les thèses de Bloom sur la pédagogie de maîtrise pourraient se résumer de la sorte :
motiver l’enfant et lui permettre de s’investir dans ses apprentissages seraient
paradoxalement un problème de gestion du temps scolaire !
La plupart des aspects de la pédagogie de maîtrise se retrouvent dans de
nombreuses directives officielles, et continuent d’influencer les pratiques
enseignantes. Si la pédagogie par objectifs a bien souvent été développée à l’excès,
« saucissonnant » les savoirs, excluant toute construction du sens des
apprentissages au-delà d’un contexte scolaire, de nombreuses situations
pédagogiques restent imprégnées de cette théorie. Les livrets de compétences
développés depuis quelques années afin de construire des projets personnels
d’élèves, s’inspirent directement de la pédagogie par objectifs. Ces outils permettent
d’avoir une vision synthétique des profils scolaires des élèves, cependant, ils
enferment les pratiques dans un « saucissonnage pédagogique ». Si la pédagogie
de projet peut quelquefois se décentrer des savoirs par une trop forte attention sur la
réalisation finale, la pédagogie par objectifs a souvent contraint les enseignants à
s’enfermer dans des programmations relativement dénuées de sens et de
construction conceptuelle. Ces objectifs, découpés en sous-objectifs, répartis dans
toutes les compétences exigées par les programmes forment un ensemble
insurmontable dans sa réalisation pédagogique, décourageant de nombreux
enseignants. « Les programmes sont trop chargés ! », entend-on souvent. Est-ce un
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problème de quantité ou de présentation conceptuelle et fonctionnelle ? Dans le
même temps, certains s’alarment de la baisse du niveau scolaire. Alors, ces
questions sont-elles sensées ou illustrent-elles un besoin de réflexion autour d’une
nouvelle conceptualisation des programmes scolaires ?
Au niveau de la pédagogie de maîtrise à effet vicariant, je pense que les échanges
entre élèves doivent être anticipés et réfléchis par l’enseignant, notamment grâce
aux connaissances didactiques. La question du rythme des apprentissages est
certes primordiale, mais si elle doit s’accompagner d’une réflexion autour de
méthodes pédagogiques et des connaissances didactiques. Si l’apprentissage
vicariant peut être envisagé pour des savoirs de base ou des connaissances
procédurales, je pense qu’un étayage didactique est indispensable. Il ne suffit pas
d’organiser des échanges entre les élèves, il faut réfléchir à l’entrée didactique, aux
variables, aux situations problèmes, aux obstacles, aux types d’erreurs les plus
fréquents… C’est seulement dans ces conditions que les échanges entre élèves
peuvent être médiatisés efficacement, selon moi. Je présenterai dans la prochaine
partie comment un enseignant peut être médiateur en provoquant des échanges
entre les élèves, les faisant expliquer leurs stratégies, justifier leur point de vue, ou
confronter leurs conceptions. Je pense que, dans ces conditions, cette pédagogie
s’inspire fortement de la pédagogie de maîtrise, mais va au-delà, en s’appuyant sur
des réflexions didactiques plus approfondies.
Linda Allal, psychologue piagétienne, a proposé un élargissement de la pédagogie
de maîtrise allant dans ce sens. Elle précise que les situations d’apprentissage
doivent être structurées de manière à favoriser les interactions constructives entre
les élèves et avec le matériel didactique. Elle ajoute un point qui me semble essentiel
dans toute situation de médiation pédagogique : « s’il veut devenir plus efficace, le
maître doit d’abord se mettre en retrait et observer les élèves. »58
J’ai par ailleurs la conviction qu’une pédagogie de la réussite doit être exigeante
en termes d’apprentissage. Baisser le niveau d’exigence ou simplifier à outrance un
apprentissage n’aide pas forcément à réaliser une pédagogie de la réussite, au-delà
58
ALLAL Linda, Assurer la réussite des apprentissages scolaires, Delachaux et Niestlé, 1988.
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des apparences souvent trompeuses. En effet, à trop baisser le niveau, on détourne
l’obstacle et on s’éloigne d’un réel apprentissage, se limitant à un entraînement. En
tentant de trop simplifier une notion, on en retire bien souvent le sens, ou l’intérêt
scientifique, littéraire, ou linguistique. Pour organiser une pédagogie de la réussite,
les réflexions doivent plutôt s’articuler autour des dispositifs pédagogiques et
didactiques variés à mettre en œuvre.
Selon Gérard de Vecchi, pour créer une pédagogie de la réussite, « il est essentiel
d’être à l’écoute des élèves, de les encourager, les déculpabiliser, les respecter, en
un mot être empathique. »59 De plus, c’est en les plaçant devant des obstacles
dépassables, c’est-à-dire ni trop difficiles, sources de découragement, ni trop faciles,
sources de désintérêt, qu’on leur permet de progresser.
Dans ces conditions, la dynamique motivationnelle des élèves pourra alors être
renforcée. Il est fondamental, dans ces conditions, de rendre les élèves actifs, voire
acteurs de leurs apprentissages.
4-4-Rendre l’élève actif ou acteur ?
Le projet de rendre les élèves actifs n’est pas nouveau. Certains considèrent
Rousseau comme un précurseur des méthodes actives. Claparède, Decroly,
Montessori et Dewey en furent les initiateurs.
Les Instructions officielles de 1923 reprenaient déjà certains principes, en
condamnant les « procédés mécaniques » des méthodes traditionnelles et en faisant
appel à la spontanéité intellectuelle des élèves. On parlait de « cultiver les esprits,
d’amener l’enfant à juger, à observer, à raisonner ». Il fallait lui assigner « un rôle
actif, le faire collaborer à la préparation des leçons. »
Il me semble intéressant de constater que ce débat n’est pas un problème nouveau.
Cependant, si les intentions peuvent paraître toujours d’actualité, la réalité complexe
des situations d’apprentissage soulève d’autres problématiques. Les élèves actifs
59
de VECCHI Gérard, Aider les élèves…, op. cit. p.84.
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sont-ils acteurs de leurs apprentissages ? Autrement dit, l’activité scolaire d’un élève,
voire son activisme, permet-elle de susciter à coup sûr son raisonnement, son
activité intellectuelle, ses réflexions ?
L’influence des méthodes actives sur l’intérêt des élèves pour l’école semble fondée
au regard des expériences menées par Freinet par exemple, comme le texte libre, le
journal scolaire, les méthodes dites naturelles de lecture, l’imprimerie, ou la
correspondance scolaire. Associant le concept de motivation à celui d’intérêt, on peut
avancer sans trop prendre de risques que les méthodes actives sont un bon moyen
de renforcer la motivation des élèves.
Mais la motivation n’est-elle pas un processus plus complexe, comme j’ai tenté de
l’illustrer dans la première partie de ce mémoire ?
De quelle manière faut-il concevoir les méthodes actives afin d’aider les élèves à se
construire de meilleures perceptions d’eux-mêmes en tant qu’apprenant ?
Comment influencer l’activité des élèves pour qu’elle soit génératrice
d’apprentissages ?
« Rendre l’élève actif, cela ne suffit pas ! On peut être actif sans rien
apprendre. »60
Ces propos de Philippe Perrenoud résument parfaitement le problème. Il ajoute que
« sans doute n’y a-t-il pas d’apprentissage sans activité d’un sujet, confronté à une
situation. Mais le contraire n’est pas vrai. »
L’apport du courant constructiviste, que je développerai dans la prochaine partie,
permet de d’affiner les conditions d’une réelle activité d’apprentissage de la part des
élèves. En référence aux travaux de Vygotski, enrichis par les recherches en
didactique, l’élève est en situation d’apprentissage lorsqu’il est confronté à des
obstacles dans sa « zone proximale de développement ».
Rendre l’élève actif et acteur de ses apprentissages nécessite donc une sérieuse
réflexion pédagogique et didactique. Il ne suffit pas de rendre les élèves actifs en
multipliant les projets, les situations, les incitations, les sollicitations de
60
PERRENOUD Philippe, « Rendre l’élève actif…C’est vite dit ! », in op. cit. p.80.
La médiation pédagogique au service de la motivation, une expérience en 6e SEGPA
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l’environnement sans prendre en compte les besoins et les profils de chaque élève. Il
est essentiel de réfléchir aux objectifs-obstacles (Martinand, 1986 ; Meirieu, 1989)
adaptés à chaque élève ou à des groupes d’élèves, afin de ne pas tomber dans les
travers d’une individualisation exacerbée limitant les interactions entre pairs, dont
l’impact sur l’apprentissage semble admis par de nombreux chercheurs, prolongeant
les écrits de Vygotski sur les interactions sociales dans l’apprentissage.
Afin de lier cette partie à mes précédentes réflexions sur le concept de projet et son
influence sur l’apprentissage, il semble intéressant de souligner que les pédagogies
actives sont face à un dilemme de taille : doit-on aider l’élève à se construire un
projet personnel à long terme, un projet d’apprendre (Etienne et.al. 1992) ou de
réussir dans la vie, et pour cela d’apprendre ? Ou doit-on miser sur des projets
d’action, individuels ou collectifs, qui trouvent leur sens dans le temps et l’espace de
la classe, et dont l’apprentissage serait le moyen des les mettre en œuvre ? Je
souhaiterais faire miennes ces interrogations de Philippe Perrenoud, dans le même
article déjà cité : « L’apprentissage est-il, dans l’esprit de l’apprenant, le moteur
principal de l’activité ou un bénéfice secondaire ? Peut-on tout apprendre en jouant,
en faisant, en réalisant des projets concrets ? Ou n’apprend-on, en fin de compte,
que si l’on veut non seulement savoir, mais payer le prix d’un travail de
transformation intérieure ? »61
C’est cette dernière « transformation intérieure », qui rendrait l’élève acteur de
ses apprentissages, s’il en prend progressivement conscience. Ce travail à mettre en
place doit permettre de développer les perceptions de la valeur d’une activité, de sa
compétence et de la contrôlabilité de l’activité, rouages essentiels de la dynamique
motivationnelle présentée par Rolland Viau.
Offrir aux élèves un environnement stimulant les projets et l’action, en respectant les
personnalités est certes primordial, mais malheureusement souvent insuffisant.
Cependant, s’il me semble intéressant d’interroger la réalité de l’activité intellectuelle
des élèves dans les pédagogies actives, je pense qu’il faut prendre en compte les
variables « maître », « élèves » et « établissement ». En effet, ces réflexions partent
d’une certaine généralisation des pratiques qui peut être vue comme réductrice par
61
PERRENOUD Philippe, « Rendre l’élève actif… », op. cit. p.80.
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Éric Saillot – Mémoire Master 1 Sciences de l’éducation – direction de Jean-Pierre Astolfi
de nombreux élèves ou enseignants. Tous ne conçoivent et ne vivent pas les
méthodes actives de la même façon. En tant que professionnel, il me paraît
indispensable de garder à l’esprit les avantages et les limites de telle ou telle
pratique. En ce qui concerne les méthodes actives, il faut donc se rappeler que, bien
souvent, ces dispositifs ne garantissent pas ipso facto la construction de
connaissances et de compétences.
Philippe Perrenoud, malgré toutes les mises en garde qu’il présente dans son
article, considérant même le « métier d’élève » comme plus exigeant dans les
méthodes actives par rapport aux méthodes traditionnelles, considère cependant
qu’ « entre les pédagogies relationnelles ou institutionnelles et les pédagogies
centrées sur l’appropriation efficace des savoirs, les pédagogies actives sont
pourtant la juste voie médiane. »
Cet article présente l’intérêt de parfaitement illustrer la distance qui existe entre
rendre les élèves actifs ou acteurs de leurs apprentissages. Au-delà d’un simple
problème terminologique, cette distinction touche aux différentes conceptions de
l’apprentissage. Si les tentatives de rendre les élèves actifs dans les situations
scolaires proposées par les méthodes actives sont souvent louables car elles
influencent relativement positivement le rapport à l’école que se construisent les
élèves, rendre les élèves acteurs de la construction de leurs apprentissages est un
challenge beaucoup plus difficile, mais qui ne s’oppose pas au premier. Une diversité
et une complémentarité des approches pédagogiques est même sans aucun doute
un gage de réussite optimisée pour les élèves, leur proposant des alternatives
sérieuses à l’ennui et à l’échec scolaire.
L’autonomie intellectuelle doit être la finalité de tout projet d’enseignement ou
d’apprentissage. Même si cela peut paraître utopique avec des élèves en grande
difficulté scolaire, les mettre en situation de réfléchir seuls ou entre eux à leurs
stratégies ou représentations doit les aider à se construire une perception d’eux-
mêmes en tant qu’apprenant plus positive. Un des objectifs essentiels des situations
de médiation pédagogique est de faire comprendre à ces élèves en grande difficulté
qu’ils peuvent raisonner seuls, simplement guidés par l’enseignant…
Réfléchir aux conditions de réussite scolaire, aider les élèves à dépasser leurs
obstacles, les sortir de l’échec scolaire quelquefois, sont des enjeux majeurs, mais ils
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doivent s’accompagner d’un travail personnalisé visant à améliorer les perceptions
de l’apprenant telles que Rolland Viau les définit dans son concept de dynamique
motivationnelle, dans un contexte de déterminisme réciproque.
Les situations de médiation pédagogique sont l’expression d’une vision
socioconstructiviste de l ‘apprentissage, qui perçoit l’apprenant comme l’acteur
principal dans son apprentissage en ce sens qu’il est mis en situation de construire
lui-même ses connaissances en se confrontant à des situations variées, pouvant
faire obstacle à ses représentations, conceptions ou stratégies, à travers des conflits
cognitifs ou sociocognitifs. Dans ce contexte, il doit être mis en situation de verbaliser
ses propres stratégies d’apprentissage, en l’aidant à se décentrer ou en le
confrontant à d’autres façons de faire, par des échanges entre pairs, médiatisés par
le langage et guidés par l’enseignant.
L’essentiel de ce mémoire a reposé sur des recherches documentaires et
conceptuelles sur l’évolution des concepts de motivation et de médiation. Les
premières parties ont tenté de développer ce que pouvait être la médiation
pédagogique à visée épistémologique, ses liens conceptuels avec la motivation en
contexte scolaire définie par Rolland Viau. Très sommairement, ce sont les
perceptions de soi de l’apprenant qui peuvent être renforcées par la médiation
pédagogique, étroitement liée avec la métacognition. En effet, la perception de la
valeur de l’activité, mais plus particulièrement la perception de sa compétence à
accomplir l’activité et la perception de la contrôlabilité de la tâche peuvent être
développées positivement par des situations de médiation pédagogique.
Ces trois perceptions essentielles dans la construction de la dynamique
motivationnelle permettent aux enseignants de réfléchir à des moyens pédagogiques
et didactiques pour aider les élèves à sortir de cette fameuse résignation apprise.
D’autres conceptions de la motivation apportent des éclairages intéressants mais
semblent trop « psychologiser » ce concept, l’éloignant ainsi des situations
d’apprentissage, et limitant la marge de manœuvre des enseignants, à moins de les
enfermer dans des considérations psychologiques et sociales.
Cependant, si la médiation cognitive s’appuyait sur des connaissances transversales
décontextualisées, souhaitant construire les conditions favorables au transfert, avec
toutes les réserves apportées par la recherche depuis, la médiation pédagogique à
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visée épistémologique s’appuie sur les didactiques des disciplines scolaires afin de
rendre les élèves acteurs de leur réussite.
Afin d’apporter un éclairage plus empirique et praxéologique, la dernière partie de ce
mémoire propose l’analyse de situations de médiation pédagogique réalisée en
classe de sixième SEGPA dans un collège de ZEP en milieu urbain.
5-Situations de médiation pédagogique en 6e SEGPA62 :
La circulaire du 20 juin 1996 précise que les SEGPA « accueillent des élèves
présentant des difficultés scolaires graves et persistantes auxquelles n’ont pu
remédier les actions de prévention, de soutien, d’aide et d’allongement des cycles
dont ils ont pu bénéficier. » Cependant, cette même circulaire précise que ces élèves
« présentent sur le plan de l’efficience intellectuelle des difficultés et des
perturbations qui ne peuvent être surmontées ou atténuées que sur plusieurs années
et qui, sans relever du retard mental selon les critères définis par l’Organisation
Mondiale de la Santé, se traduisent par des incapacités et des désavantages tels
qu’ils peuvent être décrits dans la nomenclature des déficiences, incapacités et
désavantages. »
Cette dernière nomenclature « déficiences, incapacités, désavantages »,
(Classification Internationale du Handicap) n’est plus celle de l’OMS qui s’oriente
vers une classification plus fonctionnelle du handicap. Dans cet esprit, un
mouvement européen, plus particulièrement anglophone, a introduit un nouveau
concept : l’inclusion. Frank Jamet, maître de conférences à l’IUFM de Rouen,
précise que cette nouvelle approche s’appuie sur « le principe d’égalité et des Droits
de l’Homme, la normalité repensée et l’école unique. »63
C’est pourquoi les missions des SEGPA vont très probablement évoluer afin de
limiter le fonctionnement pédagogique rigide de ces structures, repensées plutôt
comme des dispositifs d’aide et de soutien intégrés au collège. En effet, il existe une
62
Les SEGPA (Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté) ont succédé aux SES (Section d’Education Spécialisé, créée en 1967 pour l’accueil des déficients intellectuels légers) en 1989. 63
JAMET Frank, « Les fondements de l’inclusion : réflexions psychologiques », in La nouvelle revue de l’AIS,
n°28, 4e trimestre 2004.
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relative mise à l’écart de ces élèves en très grandes difficultés scolaires, mais non
considérés en situation de handicap par la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des
droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
Cette loi prévoit « la scolarisation en milieu ordinaire des enfants, adolescents ou
adultes handicapés », «en fonction de leur aptitude », et de leurs « besoins
particuliers ».
Rappelons tout d’abord que les élèves de sixième SEGPA étaient, jusqu’à cette
année, orientés dans cette structure par des Commissions de l’Education Spéciale,
qui viennent d’être transformées par la loi du 11 février 2005. Globalement, les
enfants présentant déjà un retard d’une année à la fin de leur scolarité élémentaire
étaient évalués par leurs enseignants afin d’anticiper d’éventuelles difficultés
scolaires trop importantes en sixième de collège classique. Ces enfants devaient
ensuite être vus par la psychologue scolaire afin de réaliser des entretiens et des
tests de QI, après informations aux parents et leur autorisation écrite. Un triple
dossier scolaire, psychologique et social était transmis à la Commission concernée
qui statuait sur l’orientation de ces élèves, puis transmettait cet avis aux parents, qui
pouvaient toujours le refuser. Le pouvoir de décision parentale de l’orientation des
enfants est renforcé dans la loi du 11 février 2005 dans un souci de « scolarisation
en milieu ordinaire ».
La classe de sixième SEGPA concernée, dont j’ai la responsabilité pour l’année
scolaire 2005-2006, se trouve dans le collège de Cléon, situé en REP, dans une
zone difficile mais qui n’a pas été classée « ambition réussite » pour la prochaine
rentrée de septembre 2006. Cette classe comporte onze élèves, cinq filles et six
garçons. Cinq élèves viennent de CLIS64, quatre étaient suivis par le RASED65 à
l’école primaire, et deux ont fait une sixième de collège classique.
Même en ayant un effectif assez léger, cette classe présente des profils d’élèves
assez variés. Les situations de médiation pédagogique ont sans doute été facilitées
par le nombre peu élevé d’élèves dans cette classe. Cependant, ces élèves
64
CLIS :Classe d’Intégration scolaire, dispositif créé en 1991 pour tenter d’intégrer les enfants handicapés. Ces élèves étaient scolarisés en CLIS1 pour enfants déficients intellectuels. 65
RASED : Réseau d’Aide Spécialisé aux Enfants en Difficultés, créé en 1990. Cette équipe est composée d’enseignants spécialisés et d’un psychologue scolaire, pilotée par l’Inspecteur de la circonscription.
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proviennent de quartiers assez différents car le recrutement de la SEGPA se fait sur
un secteur plus large que pour le collège classique. Ces élèves arrivent donc à la
rentrée avec un sentiment d’échec important, voire une honte d’avoir été orientés en
SEGPA, les amenant dans un premier temps à se replier sur eux-mêmes et à
observer, ou au contraire à tenter différents types de provocations. Créer une
dynamique de classe est donc un véritable défi pour l’enseignant spécialisé, défi qui
s’accompagne obligatoirement d’une réflexion sur les dynamiques motivationnelles
individuelles.
La médiation pédagogique étant une posture enseignante, et non une méthode,
cela ne m’a pas empêché d’utiliser la pédagogie de projet, mais également la
pédagogie par objectifs. C’est pourquoi j’ai souhaité approfondir les réflexions
théoriques concernant ces deux grandes tendances pédagogiques dans les
premières parties de ce mémoire. Si réfléchir aux différentes situations de médiation
pédagogique à mettre en place a été un travail permanent et central, il ne faut en
aucun cas être caricatural ou dogmatique et ne pas oublier que d’autres facteurs et
variables interviennent dans l’évolution de la dynamique motivationnelle des élèves.
En effet, la médiation pédagogique et la pédagogie de projet ne s’opposent pas, et
peuvent même être complémentaires. La médiation permet de guider,
d’accompagner l’élève dans sa construction du savoir, en fixant des buts
d’apprentissage. La pédagogie de projet peut également fixer des buts
d’apprentissages en rapport avec le projet collectif d’une réalisation finale commune
à la classe. La médiation pédagogique permet de se questionner sur une possible
évaluation formatrice et critériée des élèves lors de ces projets.
Par exemple, lors d’un projet théâtre, ayant pour concrétisation un spectacle de fin
d’année, j’ai tenté de faire construire aux élèves une grille d’auto-évaluation,
permettant de les guider dans cette situation d’apprentissage peu classique du point
de vue scolaire. Les élèves dégagèrent cinq critères essentiels : la mémorisation des
répliques, l’articulation, le ton (prononciation, timbre, volume, silences…), les gestes
et déplacements, le jeu (résultat des critères précédents : croit-on au personnage ?).
Après chaque saynète jouée, les élèves devaient tenter de s’auto-évaluer à l’aide de
ces critères. Ensuite, c’était aux élèves spectateurs d’évaluer leurs camarades.
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Finalement, je présentais mes appréciations et mes conseils en rapport avec les
critères annoncés, en tentant d’être le plus objectif et le plus juste possible.
Les situations d’apprentissage en médiation pédagogique proposées s’articulent
autour de savoirs scolaires et non sur des compétences transversales
décontextualisées comme dans le PEI de Feuerstein. Cependant, certains critères
de médiation sont utiles pour baliser le déroulement de la séance.
Les premières situations décrites s’articulent autour d’un travail sur l’orthographe.
Comment la dictée, longtemps décriée puis réhabilitée par un ministre récent, peut-
elle être conçue comme une situation d’apprentissage, et non plus comme un simple
contrôle parfois violent pour les élèves en grandes difficultés scolaires ?
Les situations de médiation pédagogique suivantes servent à problématiser
l’approche des nombres décimaux, en utilisant des variables didactiques adaptées.
Situations de médiation en orthographe :
Commençons par présenter ce qui pourrait être un déroulement type, sans pour
autant enfermer l’enseignant ou les élèves dans un fonctionnement trop rigide,
contraire aux principes de la médiation pédagogique.
Ce déroulement type est construit sur le triptyque « pré-test », « correction
formatrice », « post-test » ; les deux premiers moments se succédant le même jour,
et le troisième ayant lieu quelques jours plus tard, laissant aux élèves un temps pour
l’entraînement, la structuration, et la mémorisation.
Cette organisation doit permettre aux élèves de prendre conscience de leurs erreurs,
puis du travail à effectuer, et enfin des progrès réalisés. Ce dispositif tente de
transformer l’exercice souvent douloureux de la dictée, synonyme d’évaluation
normative, arbitraire, véritable violence symbolique, en une situation formatrice,
avec des buts d’apprentissage précis, des critères de validation, et des outils pour
s’auto évaluer et s’autoréguler.
La présentation de l’activité par l’enseignant aux élèves est primordiale, dans une
perspective de dévolution comme pourrait le dire Guy Brousseau. L’enseignant
médiateur doit afficher clairement ses intentions par rapport au groupe d’apprenants.
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Il précise quels sont les objectifs de la séance, ainsi que leur intérêt dans une
perspective de production de texte authentique et personnelle. Il pose des repères et
des perspectives. Ce sont les critères de médiation dits d’intentionnalité et de
réciprocité. La transcendance sert à prendre du recul par rapport à l’activité. Le
médiateur peut créer des liens logiques et temporels entre des situations d’écriture
passées et des projets d’écriture à venir. Ces explications servent à renforcer la
signification de la tâche et la perception de la valeur de l’activité pour reprendre
des concepts liés à la médiation et à la motivation en contexte scolaire.
Un temps est ensuite nécessaire à la préparation matérielle des élèves. C’est à ce
moment que l’on peut observer et évaluer la qualité d’entrée dans l’activité des
élèves, premier indicateur d’une certaine dynamique motivationnelle. Les attitudes
d’évitement, ou de retardement de l’activité, par oubli de matériel ou de consigne, ou
par une lenteur extrême à réagir sont souvent les signes de cette fameuse
« résignation apprise ». Pour les élèves en grande difficulté scolaire de la SEGPA, il
est également très important d’instaurer des repères méthodologiques stables et
clairs, afin de les aider à reprendre goût à leur « métier d’élève ». Un bonne
présentation de la copie, avec soin et rigueur est le premier signe d’une certaine
restauration narcissique, à la fois par respect pour l’enseignant et avant tout pour
l’élève lui-même.
L’enseignant rappelle l’utilité de la grille de relecture d’aide à la ré-écriture
construite collectivement et progressivement par la classe, au fil des obstacles
rencontrés en situation d’écriture ou de lecture, et des notions nouvelles abordées.
Cette fiche-procédure est disponible pour chaque élève. Cet outil a été construit en
s’inspirant des recherches de Nina Catach, qui a réalisé une typologie extrêmement
fouillée des erreurs orthographiques possibles.66
Cependant, cette classification
nécessite une nouvelle transposition didactique afin de parvenir à un outil utilisable
par les élèves. Depuis quelques années, la grille construite par les élèves reprend
progressivement les critères suivants :
Je dois faire attention aux points suivants quand je me relis :
66
GEY Michel, Didactique de l’orthographe française, tableaux pp.125-129, Nathan, 1985.
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1-mettre une majuscule aux débuts de phrases et aux noms propres ;
2-accorder les éléments de Groupe Nominal en genre et en nombre ;
3-vérifier les accords sujet-verbe ;
4-respecter les temps de conjugaison ;
5-l’accord du participe passé avec l’auxiliaire être, puis avoir ;
6-les homophones lexicaux (chant / champ, voix / voie…) ;
7-les homophones grammaticaux (a/à, et/est, c’est/ses/ces/s’est, on/ont,…);
8-erreurs de son ( é/è, p/b, les différents son du –s…) ;
9-les mots invariables (liste apprise progressivement par la classe);
10-l’infinitif ou le participe passé (-er / -é) ? Remplacer par finir ;
(…) Cette liste est variable selon les points vus en classe. Chaque item correspond à
une fiche récapitulative avec des exemples, disponible pour chaque élève.
Il n’est pas nouveau de dire qu’il faut lier les activités de lecture et d’écriture. Il me
semble fondamental de faire prendre conscience aux élèves du fonctionnement de la
langue, sa logique et ses exceptions. Il est possible de présenter un problème sous
forme de défi, dans les limites définies dans les critères de médiation, même en
français. Au cours de la lecture d’une nouvelle pour adolescents, on pouvait lire :
« Elle portait un pantalon et un chemisier rose. »
Je fis une pause pour questionner les élèves : « De quelle couleur est le pantalon ? »
Proposer ce genre de défi, être exigeant avec les élèves, leur montrer que l’on
attend d’eux un raisonnement construit et qu’ils en sont capables renforce le
sentiment de compétence.
Les premières réponses furent négatives ou hâtives, mais finalement
contradictoires : « On peut pas savoir ! », ou alors : « C’est facile, il est rose… ».
Certains changèrent d’avis face à la conviction affichée par d’autres.
Alors, je précisai : « Vous devez justifier votre réponse, il y a un indice qui peut vous
permettre d’approcher la solution… » C’est le maintien de l’orientation, autre
critère de médiation repris par Alain Moal. Cependant, les élèves butèrent face à
cette exigence de justification. Certains proposaient une raison purement esthétique :
« C’est obligé, monsieur, elle doit porter un ensemble rose… ». D’autres ne se fiaient
qu’à leurs oreilles : « Quand on lit la phrase, on voit bien ( !) qu’il est rose le
pantalon… ». Certains doutaient : « Il doit pas être rose, mais je sais pas
pourquoi… ». Peut-être se disaient-ils que si la question était posée, c’est qu’il devait
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y avoir un piège dans la phrase. Dans cette optique, il me semble important de
déconstruire ces coutumes scolaires et d’interroger les élèves même lorsque la
réponse produite est juste.
Face aux doutes provoqués pour mes élèves, j’ai proposé une situation permettant
de comparer par analogies, mais avec un verbe conjugué introduit par une
subordonnée relative à la place de l’adjectif épithète.
« Elle portait un pantalon et un chemisier qui était rose » ou « Elle portait un pantalon
et chemisier qui étaient roses. » A cet instant, les élèves firent des comparaisons et
certains comprirent l’importance de la marque invisible du singulier. C’est l’absence
de « –s » qui indique que seul le chemisier était rose… Cet entraînement à la prise
de conscience du fonctionnement de la langue est favorisé par cette position de
médiateur, à la fois guide et temporisateur, qui oblige les élèves à prendre une
position de sujets acteurs de leurs apprentissages. En particulier avec des élèves en
grandes difficultés scolaires, il est fondamental de leur faire prendre conscience qu’ils
sont capables de raisonner, et de les sortir, éventuellement, de la pensée magique
d’un apprentissage sans effort, ou de toute forme de résignation apprise.
Après cet exemple du lien entre lecture et écriture, et des problématisations
possibles, revenons au déroulement type de la séance d’orthographe. Après la
clarification des attentes, et le rappel des moyens de s’autoréguler, la dictée peut
alors commencer. L’enseignant lit le texte une première fois et précise le type de
difficultés auxquelles vont devoir faire attention les élèves, en annonçant les
principaux numéros des propositions de relecture de la grille. Ensuite, il dicte le texte
de façon classique, en accordant plus de temps aux élèves à l’écriture lente afin de
ne pas les pénaliser. Entre chaque phrase, du temps est laissé afin de permettre une
première relecture. Nous savons tous que la relecture terminale est souvent bâclée
par les élèves. Les temps de pause entre chaque phrase permettent d’initialiser cette
relecture, phrase par phrase. La fonction de temporisation du médiateur n’est pas à
négliger.
Ensuite la relecture terminale peut commencer. Dans une optique d’interaction de
tutelle, l’enseignant conseille chaque élève en soulignant les erreurs présentes sans
pour autant apporter la solution. Cela doit guider les élèves sans constituer pour
autant une « béquille pédagogique » trop importante. Corriger directement les
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erreurs retirerait la fonction formatrice à cette situation. Cette étape correspond aux
processus d’individuation et de différenciation, définis comme critères de
médiation par Feuerstein. Après un quart d’heure de relecture, l’enseignant annonce
le début de l’étape suivante de correction collective, interactive et formatrice. Il en
rappelle les buts d’apprentissage et les règles. Par cette tentative de clarification des
étapes de la situation d’apprentissage et de ses objectifs, l’enseignant reprend les
principaux critères de médiation.
Cette correction est un moment d’apprentissage en tant que tel. Elle permet de
prendre du recul sur les principales difficultés rencontrées et d’essayer de retenir des
moyens efficaces de les comprendre afin de les éviter ultérieurement. Ce moment
permet les échanges de points de vue entre élèves. Dans cette optique, il est
formellement interdit de se moquer des erreurs des autres, même des propositions
apparemment insensées. Il est également interdit de « souffler » les soit-disant
bonnes réponses. En effet, ce genre d’attitudes, ayant comme unique but la
performance et les félicitations de l’enseignant, brise tout effort de problématisation
et de réflexion autour des erreurs commises.
Un élève est d’abord appelé à venir écrire la première phrase au tableau. Pendant ce
temps, ni moqueries ni propositions de solutions alternatives ne doivent être
prononcées. Quand l’élève a fini d’écrire sa phrase, l’enseignant médiateur lui
demande d’essayer de se relire en reprenant les critères du tableau de relecture. A
aucun moment de cette étape, le médiateur ne doit induire la bonne orthographe, ni
par des questions trop directes, ni par ses attitudes ou ses mimiques. C’est une
attitude toute bachelardienne de contrôle de soi, car les enseignants sont habitués,
voire conditionnés à rectifier immédiatement les erreurs des élèves ou au moins leur
faire deviner par cet « effet Topaze » défini par Guy Brousseau. Par exemple,
lorsqu’un enseignant demande si l’élève est sûr de sa réponse, généralement il lui
indique implicitement qu’il doit se corriger. Lorsque l’élève voit l’enseignant froncer
les sourcils, il sait qu’il fait fausse route. En médiation pédagogique, il me semble
intéressant d’avoir une attitude plus neutre, ou d’avoir ce genre d’interrogations
même quand l’élève écrit quelque chose de juste. Cela perturbe les élèves dans leur
« métier d’élève » dans un premier temps, puis cela les oblige à rester vigilants, et à
constamment justifier leurs propositions.
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Quand l’élève correcteur du tableau pense s’être relu, voire corrigé, le médiateur
demande aux élèves de la classe d’intervenir. Cependant, chaque élève ne doit citer
qu’une erreur potentielle, afin d’éviter un déballage hâtif non formateur, et doit tenter
de justifier ses propos. En médiation pédagogique, la bonne réponse importe moins
que le moyen d’y parvenir et son explicitation. Le médiateur doit guider et
accompagner la formulation de la règle ou de l’explication. Cependant, il ne doit
toujours pas statuer, et tente de confronter des solutions apparemment opposées.
Dans certaines situations, il peut donc organiser le débat, voire le conflit socio-
cognitif, en posant des questions pouvant interroger les élèves en créant chez eux
des conflits cognitifs. Cette capacité d’adaptation et de problématisation du
médiateur demande une analyse a priori des erreurs potentielles des élèves, et une
bonne maîtrise didactique des savoirs, mais également des capacités de
communication et de verbalisation adaptées.
En cas d’hésitations trop déstabilisantes, le médiateur doit pouvoir proposer un
exemple ou une situation modèle de référence. En médiation pédagogique, c’est la
signalisation des caractéristiques déterminantes, qui permet de relancer l’activité
en indiquant une information essentielle mais occultée. Dans tous les cas,
l’enseignant doit retarder au maximum la bonne réponse, qui serait alors
appréhendée de façon artificielle et arbitraire, voire comme une violence symbolique
pour les élèves ayant un lourd passé d’échec scolaire, comme c’est le cas des
élèves de SEGPA.
Au fur et à mesure de la correction, l’enseignant note sur un tableau annexe les
principales erreurs commises, ainsi que les règles s’y rattachant et devant faire
l’objet d’un entraînement, d’une remédiation ou d’une structuration.
A la fin de cette situation de correction formatrice et collective, l’enseignant fait le
bilan avec les élèves des erreurs commises, des moyens éventuels de les éviter,
ainsi que des objectifs-obstacles à se fixer, si on peut utiliser ce terme en didactique
du français.
La séance suivante d’orthographe sert de « post-test ». La dictée, cette fois
préparée, est refaite par les élèves. Ils pourront ainsi comparer le nombre et le type
d’erreurs commises, afin de prendre conscience de leurs progrès et des efforts à
fournir. Si cette dictée préparée ne sollicite pas les mêmes capacités cognitives, le
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texte étant connu, elle permet au moins de reconstruire progressivement le
sentiment de compétence, qui est un critère de médiation, et une des perceptions
de soi de l’apprenant déterminantes pour la dynamique motivationnelle selon
Rolland Viau.
La quatrième séance consiste en une dictée plus didactisée, en proposant un texte
contenant les principales erreurs des élèves, afin de se rendre compte des progrès
éventuels, des éventuels transferts et des remédiations à proposer.
Au niveau de la dynamique motivationnelle, qui est un des objectifs essentiels de
l’enseignant spécialisé en termes d’attitudes face au travail scolaire, et sur laquelle
repose la problématique de ce mémoire, des observations globalement très
positives ont été faites.
Rappelons les quatre indicateurs proposés par Rolland Viau :
-le choix de faire l’activité scolaire ;
-la persévérance ;
-l’engagement cognitif ;
-la réussite.
Au niveau du choix de faire l’activité, ou plutôt de la vitesse d’entrée dans l’activité,
la plupart des élèves ayant montré des indices de résignation apprise en début
d’année, comme les nombreuses stratégies d’évitement par exemple, se sont
montrés beaucoup plus prompts à se mettre en route. Les quelques élèves qui
montraient déjà des signes de grande volonté dans les exercices répétitifs sans
doute rassurants pour eux, n’étaient pas forcément à l’aise dans l’explicitation de
leurs procédures ou dans la demande d’aide à l’adulte ou à des camarades. Ces
élèves ont progressé dans ces domaines. Après quelques mois, seuls un ou deux
élèves par classe refusent de participer à ce type de séance et à communiquer leurs
éventuelles erreurs. C’est une des limites de séances basées sur la communication
ou au moins la verbalisation pour des élèves très inhibés. Cependant, si d’autres
activités, comme le théâtre, ou les médiations culturelles comme les situations
présentées par Serge Boimare67peuvent être utiles pour « débloquer » certains
élèves, les principes de respect de l’erreur et de libre expression de ses
67
BOIMARE Serge, L’enfant et la peur d’apprendre, Dunod, 1999.
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interrogations ou solutions permettent tout de même de faire progresser ces élèves
trop discrets. C’est paradoxalement vis à vis de ce genre d’élèves, aux parcours de
vie souvent douloureux, qu’il faut éviter de trop « psychologiser » la relation
pédagogique. Si des informations doivent être connues pour éviter les impairs et
permettre la compréhension de certaines attitudes, il n’est pas bon de jouer les
psychologues. Cela n’est finalement pas contradictoire d’être empathique tout en
gardant ses distances et en se concentrant sur les moyens pédagogiques et
didactiques de faire progresser ces élèves.
Au niveau de la persévérance et de l’engagement cognitif, les progrès dans les
attitudes sont observables après plusieurs semaines. Lors des séances de correction
collective formative, après un début où l’enseignant doit « pousser » les élèves à
oser s’exprimer en posant un cadre précis et rassurant, la difficulté réside presque
dans la canalisation des demandes de correction et d’intervention. Certains élèves,
commençant à progresser, ne jugent quelquefois plus utile de participer à ces
corrections. Il suffit que je leur demande d’expliciter leurs solutions, même très
justes, pour leur faire prendre conscience de la fragilité de ces apprentissages, ce qui
les oblige ensuite à plus de vigilance et de persévérance.
Au niveau de la réussite, il faut être prudent, car il s’agit d’élèves en grandes
difficultés scolaires qui ont tous progressé, mais souvent de façon très progressive et
fragile. Cependant, en étant conscient de la relativité d’un tel critère, il semble déjà
essentiel que de tels élèves retrouvent le goût du travail scolaire, malgré la fréquente
lenteur des progrès. Les trois premiers indicateurs pouvant alors devenir, dans un
principe de déterminisme réciproque, des déterminants essentiels de la motivation en
contexte scolaire, comme les perceptions de soi de l’apprenant déjà évoquées.
Même si la situation de médiation pédagogique présentée s’appuie sur la didactique
du français, contrairement aux méthodes cognitives basées sur des compétences
transversales décontextualisées, elle reprend tout de même les principaux critères de
médiation. C’est pourquoi le principe d’une double centration sur le sujet et le
savoir peut être appréhendé de cette façon. Les critères de médiation posent des
repères et des limites pour l’apprenant, préparent la restauration narcissique de
celui-ci en s’appuyant sur la dimension sociale et affective du groupe classe, dans un
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Éric Saillot – Mémoire Master 1 Sciences de l’éducation – direction de Jean-Pierre Astolfi
principe d’échanges et de co-gestion de la tâche. De surcroît, la construction de
situations didactiques réfléchies et analysées permet de s’intéresser à la construction
du savoir par les élèves, en traitant leurs erreurs de façon positive. C’est mettre
l’élève en situation de sujet acteur de ses apprentissages, véritable
« épistémologue » guidé par l’enseignant médiateur à la fois accompagnateur,
temporisateur, et castrateur, pour reprendre les termes de Jean-Pierre Astolfi. Il n’y a
donc que des contradictions apparentes à placer l’élève et les savoirs au cœur du
système. Dans la complexité de situations d’enseignement et d’apprentissage,
opposer ces deux préoccupations ne permettrait pas aux enseignants d’aider les
élèves à se construire en tant que sujet acteur en réussite de ses apprentissages. En
effet, peut-on être acteur d’un processus lorsque celui-ci génère de l’échec et de
l’angoisse ?
Mais, à trop « psychologiser » la relation pédagogique, donne-t-on réellement aux
élèves les moyens de sortir de leur position de résignation apprise et d’échec
scolaire ?
Se construire une attitude professionnelle réflexive axée autour de la relation
pédagogique et de la construction des savoirs semble être un défi tant les positions
des uns et des autres, quelquefois, paraissent caricaturales.
Situation de médiation en numération : les nombres décimaux.
Présentons d’abord la longue séquence dans laquelle s’inscrivent les situations de
médiation pédagogique à visée didactique ou épistémologique.
Il est important de faire vivre à ces élèves en difficulté une situation-problème
déstabilisante, dont l’objectif premier est de faire prendre conscience concrètement
de l’insuffisance des nombres entiers, puis de construire la logique du système
décimal, afin de créer du lien entre les fractions décimales et les écritures décimales
à virgule. Cette situation relativement concrète de manipulation, de mesure et de
construction d’un outil de mesure doit servir de référence lorsque les décimaux ne
seront traités par la suite que de manière conceptuelle.
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Lors de cette première séance, la situation-problème proposée aux élèves consiste à
mesurer la largeur de leur table avec une bande unité, dont on ne connaît pas la
longueur, et sans utiliser de règle graduée.
Après l’étonnement ou les protestations des premières secondes, certains élèves se
mettent à reporter la bande sur la table, entraînant l’ensemble des élèves, sans
doute par mimétisme ou apprentissage vicariant.
« Deux et demi, monsieur, ça fait deux et demi ! » affirma un élève.
« Oui, c’est ça ! Deux et demi, ça y est, on a trouvé ! » se satisfirent deux autres.
Après ces réactions de satisfaction, les autres s’arrêtent de chercher. Alors, je
propose à la classe de vérifier ensemble cette proposition. Effectivement, on reporte
deux fois la bande unité, et il reste quelque chose mesurant approximativement la
moitié…
« Qui pourrait me dire comment représenter la moitié avec cette bande unité ? »
Après quelques secondes d’hésitation, un élève propose de la plier en deux. Ayant
travaillé auparavant sur les fractions simples, je demande la confirmation au reste de
la classe qui accepte volontiers cette proposition.
« Donc, si je reporte cette demi bande, je dois arriver à l’extrémité de la table… »
Cette hypothèse laissée en suspens entraîne la vérification des élèves.
« Mais non monsieur, ça ne colle pas ! Il en manque un bout… »
Rappelons que chacun vérifiait avec sa propre bande unité. Les voilà à nouveau face
à l’obstacle. « Comment pourrions-nous faire alors ? » Les souvenirs du travail sur
les fractions aident les élèves à essayer les quarts et les huitièmes, par pliages en
deux successifs. On approchait de la solution, mais pas de façon assez précise.
A ce moment de l’activité, soit un élève propose d’essayer les dixièmes, soit
l’enseignant propose aux élèves d’observer un outil de mesure bien connu : leur
règle graduée. C’est à ce moment là que la solution importe peu vis à vis de la
démarche et du questionnement provoqué, que mesurer précisément la table n’est
pas le but réel de cette activité. Cependant, les variables didactiques de la longueur
de la bande unité, sa largeur, et le bout de la table restant à mesurer doivent être
réfléchies lors de la préparation de la séance. L’essentiel est de faire susciter aux
élèves beaucoup de questionnements, et de leur faire prendre conscience de la
limite des nombres entiers, et la nécessité de s’intéresser à la construction de
nouveaux nombres : les décimaux.
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Ensuite, lors de la séance suivante, je demande aux élèves de résumer l’activité de
mesure assez perturbante qu’ils ont vécue. C’est à ce moment que l’on dresse
comme bilan l’insuffisance des nombres entiers pour tout mesurer, et ensuite, on
institutionnalise l’écriture des décimaux à virgule et sous forme de fractions.
Les séances suivantes font manipuler aux élèves les décimaux de façon
conceptuelle. Le tableau de numération, construit progressivement, est très utile aux
élèves en cas de doutes. Cependant, une utilisation trop mécanique du tableau peut
en être faite, sans réelle signification de la valeur de chacun des chiffres d’un décimal
à virgule. Le rappel au contexte de la situation-problème étant insuffisant pour
certains élèves, je propose aux élèves de construire chacun une grande bande unité
de deux mètres. Cette grande taille permet de matérialiser les dixièmes, les
centièmes, et les millièmes ! Comme quoi changer de variable didactique peut être
très utile pour faciliter la compréhension, et dans ce cas, permettre de comparer les
décimaux et visualiser les parties décimales, liant écritures à virgule et écritures
fractionnaires.
Cet outil fut également très utile pour différencier les questions-pièges du type :
« quel est le chiffre des dixièmes ? » ou « Combien y a-t-il de centièmes ? ».
D’ailleurs, à ce sujet, montrons un exemple de médiation autour de ces deux
questions pièges.
« Dans 24,76, quel est le chiffre des dixièmes ? Combien y a-t-il de dixièmes ? »
Telle était la consigne. Si cet exercice fut répété plusieurs fois pour structurer la
signification de la valeur des chiffres d’un nombre décimal, une clarification de
la consigne fut nécessaire lors de la première séance. Cette explicitation de la
consigne peut paraître banale à de nombreux enseignants, mais elle est contenue
dans les premiers critères de médiation, et demeure une étape essentielle, quelle
que soit la démarche.
Je demande d’abord aux élèves ce qu’ils comprennent dans la première question,
puis des questions autour du mot « chiffre » émergent. La discussion sur la notion de
chiffre s’appuie sur des analogies, chiffre-nombre avec lettre-mot. Les notions de
signes et de symboles servent également à construire une représentation plus
précise de la notion de chiffre.
Ensuite, je laisse les élèves répondre à la question afin de comparer les solutions
proposées. La grande majorité des élèves trouve que le chiffre des dixièmes est 7,
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car ils disposent dans la classe d’un exemple du tableau de numération sous forme
d’affiche.
Je propose alors aux élèves de répondre à la deuxième question. Ils répondent la
même chose pensant que ce n’est qu’une question de reformulation de la consigne.
Je les interroge alors sur la signification du mot « combien ».
Devant les difficultés à fournir une explication, un élève propose de chercher le mot
dans le dictionnaire. Dans Le Petit Larousse, il lit : « Sert à interroger une quantité,
une grandeur, un nombre, un prix. »
C’est donc un problème de quantité qui serait exprimée par un nombre. Des
exemples à partir d’objets de la classe faciles à dénombrer sont alors cités pour
clarifier cette notion.
Face aux hésitations des élèves, je change la variable didactique de la taille du
nombre, et propose 2,4. Par groupe de trois, les élèves utilisent les bandes unités
construites précédemment afin de représenter ce nombre. Chaque groupe réussit à
positionner deux bandes unités et colorier quatre dixièmes.
Je leur demande alors de compter le nombre total de dixièmes. Cette tâche est
facilitée par la graduation en dixièmes et centièmes des bandes unités. Ils trouvent
facilement qu’il y a 24 dixièmes dans 2,4. Ils ne traitent donc plus séparément les
parties entières et décimales. On prend ensuite d’autres exemples avec des nombres
plus grands. Des échanges dans les groupes de trois permettent d’arriver à une
réponse commune. Une comparaison avec le nombre de bandes unités nécessaires
permit d’illustrer plus concrètement cette question pour les élèves les plus en
difficultés.
Les séances suivantes avaient pour objectif les comparaisons deux à deux des
décimaux à virgule. Une fiche-procédure a été réalisée collectivement à partir des
premiers exemples, et de l’analyse collective des premières erreurs.
« Pour comparer deux décimaux à virgule, je compare d’abord les parties entières.
En cas d’égalité, je compare les parties décimales, soit colonne par colonne, en
commençant par les dixièmes, soit en « rajoutant des zéros » pour avoir le même
nombre de chiffres après la virgule. »
La deuxième procédure est conservée parce que certains élèves arrivent de l’école
primaire avec cette méthode. Cependant, elle est la source de nombreuses erreurs,
résultant de l’obstacle didactique ainsi créé, car elle conforte les élèves dans la
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conception d’un décimal à virgule comme deux entiers accolés, se laissant ainsi
influencés abusivement par la longueur de la partie décimale. La première méthode
est certes mécanique, mais elle facilite la réussite des élèves. Cependant, le recours
à la situation de la bande unité permet de donner du sens à ces comparaisons, en
précisant la valeur de chaque chiffre.
Par exemple, il fallait comparer 17,3 avec 17,25. Certains élèves restèrent fixés sur
le système des entiers naturels considérant 17,25 supérieur à 17,3 car 25 est
supérieur à 3. D’autres trouvèrent la solution en comparant mécaniquement, mais ne
purent donner la valeur et la signification de chaque chiffre. Les explications
échangées entre les élèves aboutirent à la reformulation des stratégies efficaces et
de leur sens par certains élèves.
Pour une autre comparaison, une élève avait placé le signe dans le mauvais sens.
Je lui demandai alors de reformuler une à une les étapes de son raisonnement. Elle
ne commit aucune erreur. Elle avait simplement inversé le sens du signe, mais savait
quel nombre était le plus grand.
Les variables didactiques sont essentiellement la taille des nombres, la longueur de
la partie décimale, et la place des zéros.
Cependant, un fonctionnement trop rigide d’une méthode peut entraîner des erreurs,
vite corrigées lorsqu’on fait verbaliser les élèves. Ainsi, la plupart des exercices de
comparaisons de décimaux se font avec des parties entières égales. Lorsque l’on
glisse des parties entières différentes, cela peut amener des erreurs et obligent les
élèves à ressaisir leur attention.
Comparez 17,45 et 19,415. Un élève, fier d’avoir comparé un à un les chiffres de la
partie décimale, avait écrit que 17,45 était supérieur à 19,415, car il avait sauté
l’étape de la comparaison des parties entières. Amené à reformuler sa réponse au
tableau et à l’expliciter, il se corrigea aussitôt et comprit son erreur.
C’est un des avantages de cette posture enseignante de la médiation :
accompagner l’autorégulation.
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Par exemple, une élève devait comparer 4,75 et 4,108. Sur son cahier, son premier
réflexe fut de les considérer comme des entiers accolés et de penser que 4,108 était
supérieur. je lui demandai alors de reprendre les étapes de son raisonnement, une à
une.
« J’ai d’abord regardé le 4. Il était pareil que là…
-Et ensuite ?
-Bah, 108 c’est plus grand que 75…
-Te rappelles-tu du nom des chiffres de la partie décimale ?
-les dixièmes et les centièmes ?
-Oui, c’est ça… Peux-tu m’indiquer le chiffre des dixièmes ?
-Là. (Elle montre le 7) Ah oui, c’est vrai…Là, y a 7, et là y a 1. Donc, en fait c’est le
contraire, je me suis trompée.
-Là, il y a 7 quoi ?
-7 dixièmes.
-Et dans l’autre ?
-1 dixième.
-Alors tu te rappelles ?
-Oui, on compare colonne par colonne… »
Cette façon d’aider les élèves à expliciter leurs stratégies de résolution s’apparente à
la métacognition, pratique centrale des travaux d’Anne-Marie Doly ou de Michel
Grangeat, ou à l’entretien d’explicitation de Pierre Vermersch, méthodes présentées
dans les parties précédentes de ce mémoire. Ces situations d’aide à la verbalisation,
associées à des manipulations de la bande unité, et à des discussions
problématisées entre pairs, suscitant ainsi d’éventuels conflits socio-cognitifs, ont
permis de dépasser certains obstacles épistémologiques, et surtout didactiques
d’ailleurs.
Cependant, certains élèves n’arrivent pas à profiter de ces situations de médiation
pédagogique. Les problèmes proposés ne leur permettent peut-être pas de le faire,
ou les objectifs visés constituent sans doute pour eux la partie maximale de leur
« zone proximale de développement ». Par exemple, lors d’une activité de
rangement de décimaux à virgule dans l’ordre croissant, après avoir vécu les
séances expliquées auparavant, une élève proposa la solution suivante :
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4,8 – 4,37 – 4,105 – 4 ,372.
Au-delà de la non utilisation des signes mathématiques, elle avait d’abord écrit cette
suite en colonne, expliquant qu’en ligne, « c’était trop tassé ». Ensuite, elle expliqua
que 372 était plus grand que 105, lui-même plus grand que 37, qui était supérieur à
8. Elle appliquait donc à la partie décimale le fonctionnement des entiers. Les
médiations précédentes n’avaient donc pas permis de déconstruire ses conceptions
alternatives inopérantes des décimaux. Le médiateur n’avait peut-être pas été assez
« castrateur » pour reprendre le terme de Jean-Pierre Astolfi. Un autre élève tenta de
lui expliquer comment il s’y était pris, étape par étape. Ensuite, je lui proposai à
nouveau des comparaisons deux à deux, changeant ainsi de variables didactiques,
en s’appuyant sur l’utilisation du tableau de numération et la manipulation de la
bande unité. Finalement, à l’éternelle question « Tu as compris ? » posée par son
camarade, elle répondit par un énigmatique : « Ouais, ça va… », ni convaincue, ni
convaincante !
Les médiations pédagogiques ont permis de développer les situations d’échanges,
de discussions, et d’écoute. Ces attitudes observables sont le résultat d’un
changement de comportement des élèves. Aux moqueries incessantes, voire
méchantes du début d’année, l’écoute, le respect de l’autre, de son travail, de ses
erreurs éventuelles, et l’entraide sont progressivement devenus des comportements
admis et partagés de tous. C’est également l’illustration parfaite que les règles
garantissent la liberté de chacun, notamment de s’exprimer, de poser des questions,
de dire qu’on n’a pas compris, ou d’oser présenter sa solution, même erronée. La
problématique de la liberté n’est pas celle de ce mémoire, mais il semble intéressant
de rappeler qu’une posture enseignante contient en elle-même une certaine forme
d’autorité, à laquelle il faut réfléchir. La médiation pédagogique exige un respect des
élèves entre eux, et de l’enseignant avec eux, face aux erreurs d’apprentissage
commises. Ce traitement de l’erreur très positif est fondamental dans la restauration
de la dynamique motivationnelle des adolescents en grandes difficultés scolaires.
Leur passé scolaire souvent chaotique et riche en expériences douloureuses
d’apprentissage difficile les rend très sensibles à ce traitement positif de l’erreur. Si la
relation pédagogique est essentielle, elle doit cependant s’appuyer sur des
connaissances didactiques solides afin d’aider les élèves à donner de la valeur aux
activités scolaires, à se sentir compétents, et à comprendre qu’ils peuvent raisonner,
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s’auto-évaluer, s’auto-réguler. Ces derniers aspects font donc référence aux
perceptions attributionnelles développées dans la première partie de ce mémoire.
Un élève en grande difficulté scolaire attribue ses échecs scolaires à une cause
stable et incontrôlable, interne s’il ne se considère pas intelligent, comme la plupart
des élèves qui arrive en sixième SEGPA, ou externe, s’il se sent victime d’une
situation ou d’un environnement qui l’aurait empêché de réussir, comme un
« mauvais prof au CP », de graves problèmes de santé, ou une situation familiale
très difficile.
La médiation pédagogique peut permettre à ces élèves d’attribuer progressivement
leurs réussites et leurs erreurs à des causes internes, modifiables et contrôlables.
Lorsqu’un élève vient expliciter sa démarche au tableau, qu’il a pris conscience de
ses erreurs, mais qu’il s’est corrigé seul, guidé par les questions de l’enseignant ou
les remarques de ses camarades, il est fondamental de lui faire verbaliser le fait qu’il
s’est corrigé seul, qu’on ne lui a pas donné directement la réponse afin qu’il évolue
positivement dans ses perceptions attributionnelles.
Ces situations de médiation pédagogique en mathématiques ont permis aux élèves
en grandes difficultés scolaires de la sixième SEGPA de se recréer une dynamique
motivationnelle. En effet, ils prennent plaisir à faire ces activités de raisonnements
mathématiques, ce qui était loin d’être le cas en début d’année scolaire. Ils se
montrent très persévérants et leur engagement cognitif est facilement observable
pour la plupart. En effet, ils rentrent vite dans l’activité, sollicitent l’aide d’un pair ou
de l’enseignant, ne restant plus bloqués. Ils éliminent de leur vocabulaire leurs
rengaines habituelles : « Je ne sais pas ! », « J’y arrive pas… », s’enfermant dans
cette fameuse résignation apprise. Ils demandent donc de l’aide en attendant plus un
conseil pour comprendre le problème que la solution exacte. Ils acceptent leurs
erreurs, ils osent en parler. L’interdiction formelle de se moquer des autres trouve ici
ses conséquences positives, en tentant de créer une ambiance de travail saine,
sérieuse, tout en prenant du plaisir. Le plaisir d’apprendre et la « saveur des
savoirs » souhaitée par Jean-Pierre Astolfi, peuvent être favorisés par la médiation
pédagogique. Ils ne s’arrêtent plus au premier échec, comprenant que c’est le
cheminement ordinaire de la construction de connaissances, même si certains
progressent plus vite que d’autres.
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Ces attitudes positives face au travail étant renforcées, leurs perceptions de la valeur
de l’activité, de leur propre compétence à la réussir et de la contrôlabilité de la tâche
y trouvent une évolution très positive.
J’ai réalisé des entretiens auprès des onze élèves de la classe de sixième SEGPA
afin de recueillir certaines de leurs perceptions relatives à leur propre motivation et
éventuels progrès. Un questionnaire a servi de base initiale à ces entretiens. Ces
questions demandaient aux élèves de faire le bilan de leur évolution entre la rentrée
de septembre et le mois de juin.
1- Es-tu plus ou moins motivé ? Pourquoi ?
2-Penses-tu avoir progressé ? Pourquoi ? Comment ?
3-Qu’as-tu préféré faire en classe cette année ?
A la première question, tous les élèves ont répondu qu’ils se sentaient plus motivés,
voire beaucoup plus motivés. On pourrait répondre à ce bilan positif en pensant que
ces élèves voulaient faire plaisir à leur professeur. C’est envisageable de façon très
marginale car leurs perceptions confirment les observations relatives aux quatre
indicateurs de la motivation en contexte scolaire. De plus, l’attitude de la médiation
pédagogique est une posture professionnelle qui autorise les élèves à s’exprimer,
même contre l’avis de l’enseignant si c’est argumenté.
Les raisons évoquées à ce gain de motivation sont intéressantes à examiner.
L’élève C68 avait écrit qu’il était plus motivé « parce qu’il était tout seul dans un
coin » ! En entretien, je lui ai donc demandé des détails. Il a d’abord précisé qu’il
voulait éviter de bavarder. « Pourquoi ?, lui ai-je demandé.
-c’est ma mère qui me l’a dit après la réunion parents-professeurs…
-C’était un conseil… ?
-Non, un ordre ! Maintenant, ma mère s’occupe plus de mes devoirs.
-Et ça te plait ?
-Oui. »
68
J’ai retiré les prénoms des élèves que j’ai remplacés par des lettres en conservant l’ordre alphabétique présenté dans le tableau des évaluations nationales sixième.
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L’élève B avait une explication à sa nouvelle motivation assez familiale également,
avec un lien évident avec la réussite et les progrès mieux perçus.
« Je suis plus motivé parce que j’ai progressé.
-Pourquoi ?
-Parce que j’ai appris mes leçons.
-Pourquoi ?
-Ma mère m’a parlé après la réunion parents-professeurs. Maintenant pour
apprendre, je passe le cahier à ma sœur. »
L’élève A a également fait un lien avec la réussite scolaire. Elle se sent plus motivée
parce qu’elle pense avoir appris beaucoup de choses cette année. « Au début de
l’année, je ne levais pas beaucoup la main. Maintenant, je participe plus parce que
j’ai envie d’essayer de comprendre. J’aime bien quand on explique comment on a
fait. Et puis, vous expliquez mieux que les autres. Vous ré-expliquez quand on n’a
pas compris. Vous nous aidez à réfléchir. »
L’élève F était sûr d’être plus motivé mais n’avait pas donné de raison écrite à ce
sentiment. En entretien, j’ai essayé d’en savoir plus : « Tu te sens plus motivé que
l’an dernier… Pourquoi ?
-Je travaille plus que l’an dernier parce qu’avant j’aimais pas l’école.
-Pourquoi ?
-Parce que j’aimais pas travailler.
-Et aujourd’hui ?
-J’aime bien.
-Pourquoi ?
-Parce qu’on se donne des explications.
-Qui « on » ?
-Les élèves et le prof.
-Oui quand on explique comment on a fait, ça m’aide.
-Pourquoi ?
-J’en sais rien… Pour apprendre mes leçons. »
L’élève D se sent plus motivé parce qu’il a fait des efforts.
« Pourquoi as-tu fait des efforts ? Qui t’a motivé ?
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-Vous.
-Pourquoi ?
-Parce que vous êtes toujours motivé ! Vous m’avez encouragé. »
Pour cet élève, la dimension mimétique de la motivation semble être présente,
confirmant en partie la théorie de René Girard. Cet élève vit en foyer sans ses
parents et est en quête évidente de reconnaissance et de modèles.
La plupart des autres élèves n’ont pas réussi à aussi bien expliquer cette motivation
nouvelle. Beaucoup font référence à un sentiment de « bien travailler » et d’avoir
progressé, mais sans savoir vraiment pourquoi, à part les « explications » du
professeur, sans plus de détails. Le lien positif entre la réussite et la motivation est
ainsi confirmé, plus clairement que le lien entre motivation et réussite, peut-être.
Dans cette dichotomie, la compréhension joue un rôle essentiel, si on se fie à la
référence aux « bonnes explications ». La plupart des élèves apprécient leurs
progrès selon les notes ou appréciations qu’ils obtiennent à leurs évaluations.
Une élève a fait référence à l’affichage pédagogique qui l’aide à faire seule les
exercices.
A la troisième question, il y a eu une quasi unanimité autour des projets théâtre et
poésie. Le premier projet avait pour but de monter un petit spectacle de théâtre, aidé
par l’intervention d’un comédien. Le deuxième projet évoqué visait à la réalisation
d’un recueil de poésies, en regroupant celles qu’ils avaient lues, apprises ou écrites.
Ce projet a exigé un important travail de traitement de texte et de mise en page sur
informatique, ce qui a plu à beaucoup d’élèves.
Un élève a écrit qu’il avait préféré les maths et le français. « J’aime bien parce que
j’ai progressé. » Un autre adore les mathématiques. « Parce que je trouve ça facile,
alors j’aime bien. J’aime bien les nombres et calculer aussi. »
La médiation pédagogique n’étant pas une méthode clairement identifiable par les
élèves, il semble normal qu’elle n’apparaisse pas explicitement dans les propos des
enfants. Cependant, le sentiment de réussite souvent évoqué par les élèves fait
référence en partie aux critères de médiation visant la restauration narcissique. Cette
réussite verbalisée fait également référence à la perception de sa compétence à
accomplir des tâches scolaires, l’un des trois déterminants fondamentaux de la
dynamique motivationnelle selon Rolland Viau.
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L’aspect interactionniste de la médiation pédagogique s’exprime à travers des
phrases comme « on se donne des explications ». L’influence de la métacognition ou
de l’entretien d’explicitation se ressent dans des propos du type « on explique
comment on fait », ou « vous nous aidez à réfléchir », plaçant l’enseignant dans cette
position de médiateur.
Cependant, d’autres aspects ressortent de l’analyse de ces entretiens, comme
l’influence de l’autorité familiale, ou de l’affectif : « ma mère s’occupe de moi… »,
« avant, j’aimais pas l’école… ». C’est pourquoi les troisième et quatrième parties de
ce mémoire ont tenté d’apporter un éclairage différent afin d’éviter tout dogmatisme.
On ne pourrait pas se permettre d’affirmer que seule la médiation pédagogique
renforce la dynamique motivationnelle, tant les variables sont complexes et multiples,
avec ce concept-clé de déterminisme réciproque souligné par Rolland Viau.
S’il faut rester prudent, tant dans l’interprétation des propos des élèves que dans
l’analyse des situations pédagogiques aux variables complexes, les données
empiriques observables, au-delà de la relation conceptuelle présentée, permettent
de confirmer l’hypothèse selon laquelle les situations de médiation pédagogique à
visée épistémologique ou didactique renforcent de façon significative la
dynamique motivationnelle des élèves de sixième SEGPA.
Les conséquences de cette posture enseignante de la médiation pédagogique sur la
réussite scolaire de ces élèves de SEGPA doit être plus mesurée pour deux raisons
essentielles. La première est que la motivation n’est qu’une variable pédagogique
parmi d’autres, que les variables didactiques proposées n’ont pas été analysées, et
donc que leur influence n’est pas rigoureusement démontrée. Ce n’était d’ailleurs
pas la problématique de ce mémoire, même si le lien positif entre médiation
pédagogique et motivation permet sans doute de favoriser la réussite dans les
apprentissages, qui, influence alors positivement la motivation, dans une
déterminisme réciproque. Une étude plus large et poussée à ce sujet serait
intéressante.
La deuxième raison de la prudence à avoir vis à vis de la réussite de ces élèves est
qu’elle est souvent relative, fragile et souvent remise en cause. Cependant, il est
important d’essayer de toujours se placer dans la « zone proximale de
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développement » des élèves, et d’essayer de toujours les faire progresser, même sur
certains concepts apparemment difficiles de numération par exemple. Cette posture
enseignante de la médiation pédagogique, si elle s’éloigne des méthodes cognitives
par son cadrage plus didactique sur les savoirs , porte en elle fortement le postulat
d’éducabilité cognitive, ou plutôt de perfectibilité pour reprendre le terme de Jean-
Jacques Rousseau.
L’ensemble de ces observations et de ces propos va dans le sens des objectifs
affichés par la circulaire n°98-129 du 19 juin 1998 qui met l’accent sur « l’importance
accordée à la nécessité de redonner à l’élève un statut d’acteur en restaurant sa
confiance en lui-même et dans sa capacité à apprendre en l’aidant à une prise de
conscience de ses compétences et de ses acquis».
Afin de faire le point sur les progrès éventuels des élèves de sixième SEGPA, il est
de plus en plus recommandé de leur faire passer les évaluations nationales de
sixièmes en juin afin qu’elles servent de « post-test » par rapport à celles de
septembre.
J’ai donc rassemblé dans un même tableau les pourcentages de réussite, et les
pourcentages de non-réponses, en français et en mathématiques, pour les
évaluations de septembre 2005 et de juin 2006.
Il semble évident que la comparaison des taux de réussite apporte des informations
essentielles sur les progrès des élèves. Si le tableau ne présente que les résultats
globaux en français et en mathématiques, le logiciel « J’ADE » permet d’analyser les
réponses pour chaque compétence, afin de construire des situations d’apprentissage
adaptées aux besoins de chaque élève. Les neufs mois qui séparent les deux séries
d’évaluation permettent-ils aux élèves de mémoriser certaines situations ? Cela me
semble peu probable, si l’on tient compte du fait que ces évaluations ne sont pas
corrigées avec les élèves. Le stress du début d’année peut également influencé
négativement la réussite aux évaluations de septembre. Tout le travail construit
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autour de la relation pédagogique et du rapport à l’erreur grâce à la médiation
pédagogique pourrait-il participer à d’éventuels progrès ?
Le rapport de ces élèves face au travail scolaire est analysable grâce aux
pourcentages de non-réponses des élèves à ces évaluations. En effet, tenter de
répondre aux questions, persévérer dans la recherche de la solution, ne pas
abandonner rapidement sont des indicateurs de la dynamique motivationnelle qui
peuvent se retrouver dans des pourcentages de non-réponses plus faibles.
TABLEAU RECAPITULATIF EVALUATIONS 6e : « pré-tests » et « post-tests ».
6e6
SEGPA
%réussite
FR. sept.
%réussite
FR. juin
% NR
FR .sept
%NR
FR.juin
%réussite
Mat.sept
%réussite
Mat.juin
%NR
Mat.sept
%NR
Mat.juin
Elève
A*
10,5 24,6 56,1 33,3 19,2 30,3 29,3 26,3
Elève
B*
29,8 35,1 31,6 10,5 21,2 36,4 26,3 9,1
Elève
C*
22,8 61,4 38,6 5,3 40,4 72,7 17,2 3,0
Elève
D
36,8 78,9 29,8 3,5 27,3 46,5 12,1 3,0
Elève
E
22,8 61,4 26,3 0,0 31,3 68,7 11,1 0,0
Elève
F
14,0 59,6 54,4 10,5 46,5 81,8 9,1 4,0
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Elève
G
19,3 Abs. 36,8 Abs. 28,3 Abs. 8,1 Abs.
Elève
H*
19,3 31,6 21,1 17,5 21,2 30,3 15,2 5,1
Elève
I
28,1 80,7 38,6 0,0 25,3 50,5 18,2 5,1
Elève
J
17,5 68,4 26,3 10,5 57,6 79,8 12,1 3,00
Elève
K*
15,8 31,6 43,7 10,5 21,2 33,3 26,3 24,2
*élèves issus de CLIS (Classe d’Intégration scolaire).
Au niveau des taux de réussite, les progrès sont très significatifs pour ces élèves de
sixième SEGPA.
En français, huit élèves ont au moins doublé leur score entre septembre et juin. En
septembre 2005, tous les élèves avaient des résultats inférieurs à 36,8 %, le meilleur
score de l’élève D. En juin 2006, six élèves ont plus de 50%, avec un maximum de
80,7 % pour l’élève I, qui n’avait eu que 28,1 % de réussite en septembre ! Il a donc
progressé de 52,6 points, l’élève J de 50,9 points, l’élève F de 45,6 points, l’élève D
de 42,1 points et les élèves C et E de 38,6 points.
En mathématiques, tous les élèves de cette sixième SEGPA évalués en septembre
2005 avaient eu des pourcentages de réussite inférieurs à 50 %, mis à part le score
maximum de 57,6 % de l’élève J. En juin 2006, cinq élèves ont dépassé les 50 %,
avec un score maximum de 81,8 pour l’élève F. Les autres élèves ont au moins
gagné dix points de taux de réussite. Les progrès les plus importants ont été réalisés
par l’élève E qui a gagné 37,4 points, l’élève F qui en a gagné 35,3, et l’élève C 32,3.
L’élève I a gagné 25,2 points, doublant ainsi son score de septembre 2005 !
Au niveau des pourcentages de non-réponses, les pourcentages ont fortement
baissé, indiquant d’importants progrès dans le rapport de ces élèves face à leurs
apprentissages scolaires.
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En septembre 2005, les taux de non-réponses en français allaient de 21,1 % à 56,1
% ! En mathématiques, les non-réponses représentaient de 8,1 % et 29,3 % des
réponses des élèves.
En juin 2006, les non-réponses en français n’excédaient pas 10,5 % pour huit élèves,
avec deux élèves à 0 % ! En mathématiques, neuf élèves sont descendus en
dessous des 9,1 % de non-réponses, avec huit élèves sous les 5,1 % !
Ces scores de non-réponses fortement diminués entre septembre 2005 et juin 2006
semblent être des indicateurs assez fiables d’un renforcement de la dynamique
motivationnelle pour ces élèves de sixième SEGPA.
En effet, le choix de l’activité scolaire, la persévérance, l’engagement cognitif et la
réussite scolaire sont les quatre indicateurs de la motivation en contexte scolaire
présentés par Rolland Viau.
CONCLUSION :
Si ces données illustrent parfaitement le rapport positif entre la médiation
pédagogique et la motivation en contexte scolaire, elles ne correspondent qu’à
un contexte particulier. Cette expérience de médiation pédagogique en sixième
SEGPA confirme les hypothèses théoriques a priori présentées dans les premières
parties de ce mémoire. La dynamique motivationnelle est fortement influencée, selon
Rolland Viau, par les perceptions de soi de l’apprenant, elles-mêmes développées
positivement par la médiation pédagogique.
La perception de la valeur de l’activité doit interroger le sens à donner aux
situations d’apprentissage, du point de vue de l’enseignant, mais surtout de l’élève.
Sur cette question problématique du sens des apprentissages, il me semble
finalement que c’est plus la perception toute subjective du sens d’une situation ou
d’un projet par l’apprenant qui importe, que les représentations des enseignants. Ces
derniers s’orientent soit vers des pédagogies de l’accroche, soit vers des pédagogies
de la réussite pour renforcer la motivation de leurs élèves. Que ce soient les
pédagogies de projet ou les pédagogies de maîtrise, toute pratique caricaturale ou
excessive peut en limiter l’intérêt pédagogique.
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A contrario, la médiation pédagogique, conceptualisée et illustrée dans ce mémoire
comme une posture enseignante réfléchie et non une méthode à appliquer, permet
de rester vigilant aux dimensions éducatives, pédagogiques, et didactiques, du point
de vue de l’enseignant, mais surtout des élèves, en s’intéressant à leurs erreurs,
leurs stratégies, leurs perceptions. On peut alors aider les élèves à se fixer des buts
d’apprentissage adaptés à leur « zone proximale de développement », voire des
buts de performance lorsque l’on met en place des situations pédagogiques
exigeantes qui sont de véritables défis pour tous les élèves, avant tout par rapport à
eux-mêmes.
La médiation pédagogique n’est pas l’unique moyen de renforcer les perceptions
qu’ont les élèves de la valeur de l’activité scolaire. La plupart des méthodes
pédagogiques proposées pour renforcer la motivation des élèves jouent sur ce levier
du sens et de la valeur des apprentissages perçus par les élèves.
C’est plus au niveau des perceptions qu’ont les élèves de leurs compétences et
de la contrôlabilité de la tâche, deux autres déterminants de la motivation en
contexte scolaire développés par Rolland Viau, que la médiation pédagogique peut
jouer un rôle essentiel.
En effet, le lien étroit de la médiation pédagogique avec les activités de
métacognition ou les entretiens d’explicitation, fait que l’enseignant médiateur guide
les élèves dans la verbalisation des leurs stratégies, justes ou erronées d’ailleurs,
accompagne les échanges entre les élèves, qui peuvent être la source de conflits
socio-cognitifs. Ces démarches amènent les élèves à prendre conscience de leurs
erreurs mais également de leurs progrès, renforçant ainsi doublement les sentiments
de compétence et de contrôle de l’activité intellectuelle. Se rendant compte
progressivement qu’ils progressent, qu’ils peuvent se corriger seuls, ils prennent
conscience de leurs capacités de raisonnement. Par la même occasion, les
perceptions attributionnelles de ces élèves évoluent positivement. Ils attribuent les
causes de leurs réussites et de leurs erreurs à leur fonctionnement intellectuel
interne, maîtrisable et modifiable, même lentement et modestement, plutôt qu’à des
facteurs externes les enfermant dans une position de victime résignée.
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La dynamique motivationnelle des élèves peut donc être renforcée par des
situations de médiation pédagogique, dans lesquelles les critères de médiation tels
que le sentiment de compétence, ou le défi contribuent à favoriser la restauration
narcissique des élèves. Traiter l’erreur comme « un outil pour enseigner »69, en la
considérant comme une variable didactique ou comme une connaissance à
déconstruire, contribue à restaurer le sentiment de compétence des élèves, et leur
donne la possibilité de s’auto-évaluer pour s’auto-réguler, développant ainsi
favorablement leur perception de la contrôlabilité.
J’ai tenté d’illustrer ces passerelles théoriques, ces liens conceptuels à partir de
l’analyse de situations de médiation pédagogique mises en place dans ma classe de
sixième SEGPA.
La médiation pédagogique m’avait été présentée à travers certaines méthodes
d’éducabilité cognitive, notamment le PEI de Feuerstein, lors de ma formation
d’enseignant spécialisé.
Cependant, j’ai tenté d’apporter à mes recherches un éclairage plus pédagogique
que psychologique, plus didactique que cognitif. En effet, les méthodes cognitives
ayant montré certaines limites relatives à leur conception d’une cognition générale et
transférable, j’ai construit des situations de médiation pédagogique basées sur des
fondements plus didactiques et épistémologiques.
S’intéresser au savoir à travers les erreurs des élèves, les variables didactiques, ou
les situations problèmes n’amène pas nécessairement à négliger l’élève, bien au
contraire. Pourquoi ? Me demanderez-vous. D’une part, parce que traiter les erreurs
d’élèves de façon positive, constructive et formatrice, c’est s’adapter aux besoins
individuels de ceux-ci. D’autre part, les faire verbaliser, échanger, s’auto-évaluer,
c’est les rendre acteurs de leurs propres apprentissages.
Si rendre les élèves actifs dans une situation d’apprentissage « attrayante »
mobilisatrice peut constituer une pédagogie de l’accroche intéressante, les faire
raisonner et réfléchir à partir de leurs erreurs, c’est tenter de les rendre conscients de
leur fonctionnement intellectuel, et par conséquent, réellement acteurs de leurs
apprentissages. Dans le cas des élèves en grandes difficultés scolaires, afin de faire
69
ASTOLFI Jean-Pierre, l’erreur, un outil pour enseigner, op. cit. p. 46.
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évoluer favorablement leurs perceptions négatives de leur potentiel intellectuel, c’est
leur montrer qu’ils sont capables de raisonner, d’abord accompagnés, guidés, puis
seuls. C’est finalement viser l’autonomie intellectuelle, et l’auto-régulation.
C’est pourquoi la médiation pédagogique doit permettre à l’enseignant de construire
une relation pédagogique et une ambiance de travail saines et agréables tout en
s’appuyant sur des connaissances didactiques qui permettent d’accompagner les
élèves dans leur construction du savoir, de temporiser certaines démarches et
réactions, ou de déconstruire certaines conceptions. S’adapter efficacement aux
erreurs des élèves demande des connaissances didactiques solides. Permettre aux
élèves de verbaliser leurs stratégies, même erronées, afin d’échanger entre eux
sereinement et respectueusement, demande une maîtrise de la relation pédagogique
qui peut être cadrée par les critères de médiation.
C’est pourquoi je crois en la possibilité d’une double centration sur l’élève, sujet des
apprentissages, et sur le savoir, objet d’apprentissage.
La médiation pédagogique est une posture enseignante qui doit permettre de
relever ce défi, en tenant compte de la complexité des élèves, des savoirs, des
environnements, et finalement des relations possibles entre eux, accompagnées,
guidées, ou provoquées par l’enseignant médiateur.
D’un point de vue méthodologique, de nombreuses lectures et recherches
documentaires m’ont permis de poser un cadre théorique, de tisser des liens
conceptuels me permettant de définir la problématique de ce mémoire.
La médiation pédagogique pourrait être un excellent moyen de renforcer la
dynamique motivationnelle, en développant de façon positive la perception de la
valeur de l’activité scolaire, la perception de sa compétence et la perception de la
contrôlabilité de la tâche.
La première partie de ce mémoire m’a permis de définir la motivation en contexte
scolaire d’après l’ouvrage de référence de Rolland Viau. La seconde a tenté de
présenter la médiation pédagogique, en s’appuyant sur ses fondements théoriques
fondamentaux et sur l’influence du courant d’éducabilité cognitive. Si les critères de
médiation sont des références toujours utiles pour instaurer une bonne relation
pédagogique, nous pourrions parler d’une double rupture épistémologique en ce qui
concerne les savoirs étudiés. Une première rupture épistémologique correspond au
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changement de paradigme qui s’opère en psychologie, notamment par le
développement de la psychologie cognitive du traitement de l’information par rapport
à la psychologie génétique piagétienne. C’est pourquoi l’idée même de transfert,
postulat a priori d’un modèle général de l’intelligence, se heurte au scepticisme d’un
modèle plus fonctionnaliste que structuraliste, qui accorde la priorité à l’analyse de
tâches spécifiques, et à la diversité des modes de résolution de problèmes. Une
seconde rupture épistémologique se fonde sur la centration sur des savoirs scolaires
analysés et préparés du point de vue didactique et épistémologique, justement.
C’est cette prise en compte des connaissances didactiques que j’ai tenté d’illustrer
dans la dernière partie de ce mémoire. En effet, cette analyse de mes pratiques n’a
de valeur démonstrative qu’en relation avec le contexte particulier d’une classe de
sixième SEGPA. Cette partie pratique a donc plus une valeur illustrative que
démonstrative. Cependant, j’ai tenté d’apporter la plus grande rigueur dans l’analyse
didactique et pédagogique afin de me distancier de mes propres pratiques autant
que faire se peut. C’est pourquoi l’ancrage théorique de ce mémoire a été important
afin de permettre l’objectivation optimale de l’analyse de mes pratiques.
Il semble que les situations de médiation pédagogique vécues par les élèves de
sixième SEGPA dont j’avais la charge cette année, leur a permis de restaurer une
certaine dynamique motivationnelle.
En effet, les indicateurs de la motivation en contexte scolaire définis par Rolland Viau
se sont trouvés améliorés : le choix de faire une tâche, de ne pas chercher à l’éviter,
la réussite scolaire bien sûr, mais surtout l’engagement cognitif et la
persévérance, qui se traduisent par des questionnements sur les consignes, les
problèmes, par des essais réitérés malgré les erreurs, par une volonté de participer
aux activités scolaires afin de progresser.
Les observations que j’ai faites me permettant de faire l’hypothèse d’une amélioration
de ces indicateurs ont été confirmées par le « post-test » des évaluations nationales
passées en classe de sixième. En plus de progrès très sensibles effectués par les
élèves dans la réussite aux épreuves de français et de mathématiques, les taux de
non-réponses fortement diminués ont également fait apparaître les progrès des
élèves dans leur attitude face au travail scolaire et confirment le diagnostic des
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observations du comportement des élèves affirmant la restauration de leur
dynamique motivationnelle.
La présentation d’autres théories de la motivation s’est trouvée légitimée par
l’analyse des entretiens d’élèves qui a révélé l’existence de facteurs déterminants
différents du cadrage théorique de référence. Par exemple, lorsque l’attention d’une
mère est perçue comme l’élément déclencheur dans les propos d’un enfant, cela
confirme, si l’on en doutait, l’importance de l’amour maternel comme besoin
fondamental de l’éducation humaine, déjà soulignée par Pestalozzi en son temps.
Quand un autre élève fait référence à la motivation communicative de l’enseignant,
c’est à la théorie de la « mimésis » de René Girard à laquelle on pense. Ces propos
d’élèves doivent cependant être relativisés car la médiation pédagogique n’étant pas
une méthode pédagogique clairement identifiable, elle ne peut faire l’objet de
références précises et explicites de la part des élèves.
Cette remarque me permet de présenter mes projets de recherches pour la
deuxième année du MASTER de Sciences de l’éducation.
En effet, si la médiation pédagogique n’est pas clairement identifiable par les élèves,
l’est-elle plus facilement par les enseignants ? L’absence d’une définition claire et
précise, l’influence quelquefois encore sensible des méthodes cognitives, et les
multiples usages du mot médiation dans la société ou l’éducation ne permettent
peut-être pas de stabiliser ce concept de médiation pédagogique.
Le même phénomène s’opère pour définir la motivation : trop de définitions
empêchent de clarifier et structurer durablement un concept. Quelles perceptions du
concept de motivation pourraient avoir les enseignants ? Comment évaluent-ils la
motivation de leurs élèves ? Quelles situations pédagogiques, éducatives ou
didactiques mettent-ils en place pour la renforcer ? A quelles conceptions de la
motivation renvoient leurs pratiques pédagogiques ? Y a-t-il une cohérence entre le
dire et le faire de la part des enseignants ?
C’est pourquoi, après avoir présenté une illustration locale et ponctuelle de l’apport
de la médiation pédagogique à la motivation, à travers mes pratiques pédagogiques
et didactiques dans une classe de sixième SEGPA, je souhaiterais élargir mes
prochaines perspectives de recherche en interrogeant de nombreux enseignants sur
leurs perceptions des concepts de motivation et de médiation pédagogique.
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Quels modèles de la médiation pédagogique pourraient être majoritairement cités ?
Quels types de situations de médiation pédagogique pourraient être observés ?
Certains enseignants ne pourraient-ils pas être plus ou moins médiateurs qu’ils ne le
pensent ? L’analyse de certaines pratiques pourrait permettre de confronter les
perceptions des enseignants à leurs démarches professionnelles effectives. Au-delà
des problématiques relatives aux rapports de la médiation pédagogique à la
motivation perçus par certains enseignants, cette recherche s’intéressera à la
représentation de soi comme professionnel, à l’identité professionnelle déterminée
par le dire et le faire des enseignants.
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