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LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE À LA RESCOUSSE ......5 Seggie c Roofdog Games Inc , 2015 QCCS 6462...

Date post: 01-Aug-2020
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ROBIC, S.E.N.C.R.L. www.robic.ca [email protected] MONTRÉAL 1001, Square-Victoria Bloc E - 8 e étage Montréal (Québec) Canada H2Z 2B7 Tél.: +1 514 987-6242 Télec.: +1 514 845-7874 QUÉBEC 2875, boulevard Laurier Édifice Le Delta 3 – Bureau 700 Québec (Québec) Canada G1V 2M2 Tél.: +1 418 653-1888 Télec.: +1 418 653-0006 LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE À LA RESCOUSSE DES APPLICATIONS MOBILES LOUIS-PIERRRE GRAVELLE * ROBIC, LLP AVOCATS ET AGENTS DE BREVETS ET DE MARQUES DE COMMERCE INTRODUCTION La propriété intellectuelle, par définition, se nourrit des nouvelles idées et des nouvelles technologies. Plusieurs outils juridiques tels le droit d’auteur, le brevet, la marque de commerce et le dessin industriel, incitent les entreprises innovantes et les individus créatifs à capitaliser sur leurs efforts en facilitant un retour sur investissement dans des projets de recherche et développement. Peu de domaines du droit peuvent se targuer d’être aux premières loges de l’innovation au même titre que la propriété intellectuelle. Par contre, avec de grands pouvoirs viennent des grandes responsabilités, disait un super héros bien connu. En effet, les nouvelles technologies sont également synonymes de défis intellectuels inhérents à l’adaptation d’anciennes règles juridiques à des inventions inédites auxquelles le législateur le plus clairvoyant n’aurait jamais pu prévoir. Le présent article vise à passer en revue la situation complexe des applications mobiles qui, par leur nature immatérielle, défient les limites actuelles de la propriété intellectuelle. Cette allégation de complexité n’est pas fortuite, elle tient essentiellement dans le fait que le fonctionnement des applications mobiles se traduit par l’exécution d’un programme d’ordinateur sur un appareil mobile. À la manière d’une simple roche que l’on soulève pour apprécier toute la vie qui s’agite en-dessous, cette affirmation à l’apparence simple sur la mise en oeuvre des applications mobiles cache un foisonnement de possibilité en matière de propriété intellectuelle. Voici donc un tour d’horizon de chacun des outils de propriété intellectuelle en relation avec les applications mobiles. Nous identifierons aussi quelques décisions illustrant les principes discutés. * Avocat, ingénieur et agent de brevets, Louis-Pierre Gravelle est associé chez ROBIC, S.E.N.C.R.L., un cabinet multidisciplinaire d’avocats et d’agents de brevets et de marques de commerce. L’auteur tient à souligner la précieuse collaboration de Roxanne Alam, étudiante, et de Martin Gauthier, stagiaire, pour leur contribution à cet article. Publié dans Développements récents en propriété intellectuelle 2016, Service de la Formation continue du Barreau du Québec (Cowansville, Blais, 2016). Publication 457.
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Page 1: LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE À LA RESCOUSSE ......5 Seggie c Roofdog Games Inc , 2015 QCCS 6462 (Cour supérieure du Québec; 2015-12-18) au para 57, ci-après [Seggie]. 6 Brown

ROBIC, S.E.N.C.R.L. www.robic.ca [email protected]

MONTRÉAL 1001, Square-Victoria Bloc E - 8e étage Montréal (Québec) Canada H2Z 2B7 Tél.: +1 514 987-6242 Télec.: +1 514 845-7874

QUÉBEC 2875, boulevard Laurier Édifice Le Delta 3 – Bureau 700 Québec (Québec) Canada G1V 2M2 Tél.: +1 418 653-1888 Télec.: +1 418 653-0006

LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE À LA RESCOUSSE DES APPL ICATIONS MOBILES

LOUIS-PIERRRE GRAVELLE*

ROBIC, LLP AVOCATS ET AGENTS DE BREVETS ET DE MARQUES DE COMMERCE

INTRODUCTION La propriété intellectuelle, par définition, se nourrit des nouvelles idées et des nouvelles technologies. Plusieurs outils juridiques tels le droit d’auteur, le brevet, la marque de commerce et le dessin industriel, incitent les entreprises innovantes et les individus créatifs à capitaliser sur leurs efforts en facilitant un retour sur investissement dans des projets de recherche et développement. Peu de domaines du droit peuvent se targuer d’être aux premières loges de l’innovation au même titre que la propriété intellectuelle. Par contre, avec de grands pouvoirs viennent des grandes responsabilités, disait un super héros bien connu. En effet, les nouvelles technologies sont également synonymes de défis intellectuels inhérents à l’adaptation d’anciennes règles juridiques à des inventions inédites auxquelles le législateur le plus clairvoyant n’aurait jamais pu prévoir. Le présent article vise à passer en revue la situation complexe des applications mobiles qui, par leur nature immatérielle, défient les limites actuelles de la propriété intellectuelle. Cette allégation de complexité n’est pas fortuite, elle tient essentiellement dans le fait que le fonctionnement des applications mobiles se traduit par l’exécution d’un programme d’ordinateur sur un appareil mobile. À la manière d’une simple roche que l’on soulève pour apprécier toute la vie qui s’agite en-dessous, cette affirmation à l’apparence simple sur la mise en œuvre des applications mobiles cache un foisonnement de possibilité en matière de propriété intellectuelle. Voici donc un tour d’horizon de chacun des outils de propriété intellectuelle en relation avec les applications mobiles. Nous identifierons aussi quelques décisions illustrant les principes discutés.

* Avocat, ingénieur et agent de brevets, Louis-Pierre Gravelle est associé chez ROBIC, S.E.N.C.R.L., un cabinet multidisciplinaire d’avocats et d’agents de brevets et de marques de commerce. L’auteur tient à souligner la précieuse collaboration de Roxanne Alam, étudiante, et de Martin Gauthier, stagiaire, pour leur contribution à cet article. Publié dans Développements récents en propriété intellectuelle 2016, Service de la Formation continue du Barreau du Québec (Cowansville, Blais, 2016). Publication 457.

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LE DROIT D’AUTEUR Le droit d’auteur est l’outil tout indiqué pour protéger les programmes d’ordinateur au Canada. La Loi sur le droit d’auteur1 (LDA) protège les œuvres dites originales, qu’elles soient sous forme littéraire, artistique, musicale ou dramatique2. La protection par le droit d’auteur nait automatiquement de la fixation d’une œuvre originale sur un support, puis survit généralement jusqu’à 50 ans après la fin de l’année civile de la mort de l’auteur3. Ainsi, les tribunaux canadiens reconnaissent que le code source d’un programme d’ordinateur constitué d’une série de directives écrites se qualifie de « compilation », une sous-catégorie d’œuvres littéraires4. La décision Seggie c Rooftop Games5 de la Cour supérieure du Québec résume bien la situation:

[57] À juste titre, les parties sont toutes deux d’avis que le jeu vidéo est protégé par le droit d’auteur et qu’il faut interpréter de manière libérale les définitions de « compilation », d’« œuvre littéraire », « œuvre cinématographique » et « œuvre musicale » édictées à l’article 2 de la Loi sur le droit d’auteur.

L’aspect visuel de l’interface d’une application peut également être protégé par droit d’auteur. Par contre, il faut souligner que la protection offerte ne vise pas les aspects fonctionnels des programmes d’ordinateurs. Le droit d’auteur ne protège que l’expression de l’œuvre, non les fonctionnalités qui en découlent. Au Canada, tout comme aux États-Unis, l’utilisation d’éléments considérés communs ou essentiels à l’utilisation pratique ou au bon fonctionnement d’un programme d’ordinateur n’est pas protégée par droit d’auteur. Dans la décision Brown Bag Software6, une entreprise tentait de protéger l’utilisation de fenêtres qui se déroulent vers le bas pour faciliter l’utilisation de l’interface graphique d’un ordinateur :

The court first found that “[p]laintiffs may not claim copyright protection of an… expression that is, if not standard, then common place in the computer software industry.

Les programmes d’ordinateur derrière les applications mobiles soulèvent aussi la question de la titularité du droit d’auteur. Puisque le droit d’auteur appartient

1 Loi sur le droit d’auteur, LRC (1985) c C-42, ci-après [LDA]. 2 Ibid, art 2. 3Ibid, art 6. 4Ibid, art 2. 5 Seggie c Roofdog Games Inc, 2015 QCCS 6462 (Cour supérieure du Québec; 2015-12-18) au para 57, ci-après [Seggie]. 6 Brown Bag Software v Symantec Corp L, (1992) 960 F2d 1465 (Cour d’appel du neuvième circuit; 1992-04-07) au para 33.

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initialement à l’auteur7, certains problèmes surviennent lorsque plusieurs auteurs contribuent au développement d’un seul et même programme d’ordinateur. Dans la décision Seggie c Roofdog Games Inc.8 la Cour supérieure du Québec clarifie le droit applicable à la titularité du droit d’auteur sur des programmes d’ordinateur créés en collégialité. La Cour met au point un test servant à déterminer si une œuvre a réellement été créée par plusieurs auteurs au sens de la LDA. Dans le dossier Seggie c Roofdog Games Inc., l’ensemble du débat gravite autour du développement d’un jeu vidéo.

[59] La jurisprudence élabore certains principes pour décider si une œuvre est créée en collaboration :

• une œuvre conjointe est ainsi qualifiée à la lumière de la loi et des faits;

• l’apport des coauteurs n’a pas besoin d’être équivalent, mais

l’apport de chacun doit être substantiel; • une certaine collaboration doit s’établir entre les coauteurs dans

la poursuite d’un dessein commun; • il faut prouver plus que des idées et des suggestions; • une certaine jurisprudence considère également pertinente

l’intention commune des parties de créer ou non une œuvre en collaboration

Le dernier point du test réfère le lecteur à l’article 2 de la LDA où se trouve une définition de la notion d’œuvre créée en collaboration. Elle est décrite comme suit :

Œuvre exécutée par la collaboration de deux ou plusieurs auteurs, et dans laquelle la part créée par l’un n’est pas distincte de celle créée par l’autre ou les autres.9»

Tel que mentionné précédemment, le droit d’auteur ne protège que les parties de l’application qui peuvent être qualifiées d’œuvres au sens de la LDA. Ainsi, lorsqu’un tribunal doit trancher sur une question de contrefaçon, la qualification des différentes composantes du code derrière un programme d’ordinateur devient cruciale. En ce sens, les tribunaux américains ont créé l’ « Abstraction test », en trois étapes, (Abstraction, Filtration et Comparaison) pour clarifier le droit à ce sujet. Ce test a été développé dans la décision Computer Associates International10, puis tenté en droit

7 LDA, supra note 1, para 13(1). 8 Seggie, supra note 5, au para 59. 9 LDA, supra note 1, art. 2 10 Computer Associates International Inc v Altai Inc, 982 F2d 693 (Cour d’appel du deuxième circuit; 1992-06-22) sans para.

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canadien11, sans toutefois être formellement adopté12.Le test se décline comme suit13 :

• Step 1 : Abstraction […] Initially in a manner that resembles reverse engineering on a theoretical plane, a court should dissect the allegedly copied program’s structure and isolate each level of abstraction contained within.

• Step 2: Filtration

[…]This process entails examining the structural components at each level of abstraction to determine whether their particular inclusion at that level was “idea” or was dictated by considerations of efficiency, so as to be necessarily incidental to that idea; required by factors external to the program itself; or taken from the public domain and hence is nonprotectable expression.

• Step 3: Comparison

[…] At this point, the court’s substantial similarity inquiry focuses on whether the defendant copied any aspect of this protected expression, as well as assessment of the copied portion’s relative importance with respect to the plaintiff’s overall program.

En plus de la protection des droits économiques ou patrimoniaux assurée par le droit d’auteur, la LDA prévoit également la protection des droits moraux associés aux œuvres. Cette protection supplémentaire couvre bien entendu tous les types d’œuvres dont les œuvres littéraires auxquelles sont assimilés les programmes d’ordinateur. Les articles 14.1 et 14.2 de la LDA14 circonscrivent les droits moraux liés aux œuvres : (1) le droit d’être associé (ou pas) avec l’œuvre et (2) le droit à l’intégrité de l’œuvre. Les droits moraux peuvent se trouver au centre de controverse avec l’arrivée d’applications qui procurent aux utilisateurs la faculté de modifier des oeuvres protégées à partir de leur propre téléphone portable. C’est notamment le cas de l’application Story Surgeon15 qui permet à l’utilisateur de modifier une œuvre littéraire, un roman par exemple, en se mettant lui-même dans la peau d’un personnage ou en changeant la fin d’une intrigue. À première vue l’application mobile semble enfreindre directement le droit à l’intégrité de l’œuvre. Par contre, grâce au fonctionnement astucieux du logiciel, ce type d’infractions peut être évité.

11 Delrina Corp c Triolet Systems Inc, (1993) 47 CPR (3d) 1 (Cour de justice de l’Ontario, Division générale; 1993-02-12), aux para 120 à 129; confirmée 17 CPR (4th) 289 (Cour d’appel de l’Ontario; 2002-03-01), aux para 43 à 47. 12 Robinson c.Films Cinar inc., 2013 SCC 73 (Cour suprême du Canada; 2013-12-23),au para 35. 13 Je pense que ce principe a été importé en droit canadien – il faudrait le souligner. 14 LDA, supra note 1, art 14.1 et 14.2. 15 James Plotkin, « The Copyright Implications of Book Editing Apps: Case Study – Story Surgeon », dans (2012) 30 CIPR 1 aux pp 231-246.

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D’abord, l’utilisateur doit être propriétaire de l’œuvre pour pouvoir l’utiliser et en modifier le contenu grâce à l’application. Ensuite, la version « modifiable » de l’œuvre est sauvegardée dans un fichier « filtre » séparé du fichier d’origine. De cette façon, l’intégrité de l’œuvre originale est garantie. De plus, la version modifiée peut seulement être partagée avec un autre utilisateur qui a aussi fait l’achat de l’œuvre. Finalement, les versions modifiées sont toujours offertes gratuitement, donc tout échange demeure de la nature d’un usage privé, non-commercial. De plus, pour parler de violation des droits moraux de l’auteur, une divulgation publique de l’œuvre modifiée est nécessaire. Une atteinte à la réputation de l’artiste est impossible si le public n’a pas accès à l’œuvre modifiée. La mise en place de balises par les tribunaux dans l’exercice des droits moraux sert surtout des intérêts publics. La Cour suprême du Canada dans Théberge c Galerie d’Art du Petit Champlain Inc16 énonce qu’un contrôle excessif sur une œuvre par son auteur irait à l’encontre de l’intérêt public :

Un contrôle excessif de la part des titulaires du droit d’auteur et d’autres formes de propriété intellectuelle pourrait restreindre indûment la capacité du domaine public d’intégrer et d’embellir l’innovation créative dans l’intérêt à long terme de l’ensemble de la société, ou créer des obstacles d’ordre pratique à son utilisation légitime.

Un tel désir d’atteindre l’équilibre entre l’intérêt public et les recours offerts aux auteurs se trouve également dans les dispositions de la LDA où le législateur laisse place à plusieurs exceptions au droit d’auteur telles que le l’utilisation équitable et la reproduction des œuvres à des fins privées17. Par ailleurs, avec l’adoption du projet de loi C-11 en 2012, la Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur, une nouvelle disposition qualifiée d’exception « Youtube » a été adoptée à l’article 29.21 de la LDA. Cette exception permet à une personne d’apporter des changements à une œuvre dans le but d’en faire un usage non-commercial. D’autres conditions s’appliquent :

Contenu non commercial généré par l’utilisateur 29.21 (1) Ne constitue pas une violation du droit d’auteur le fait, pour une personne physique, d’utiliser une œuvre ou tout autre objet du droit d’auteur ou une copie de ceux-ci — déjà publiés ou mis à la disposition du public — pour créer une autre œuvre ou un autre objet du droit d’auteur protégés et, pour cette personne de même que, si elle les y autorise, celles qui résident habituellement avec elle,

16 Théberge . Galerie d’Art du Petit Champlain inc., 2002 CSC 34 (Cour suprême du Canada; 2002-03-28) au para 32. 17 LDA, supra note 1, art 29 et 29.22.

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d’utiliser la nouvelle œuvre ou le nouvel objet ou d’autoriser un intermédiaire à le diffuser, si les conditions suivantes sont réunies: a) la nouvelle œuvre ou le nouvel objet n’est utilisé qu’à des fins non commerciales, ou l’autorisation de le diffuser n’est donnée qu’à de telles fins ; b) si cela est possible dans les circonstances, la source de l’œuvre ou de l’autre objet ou de la copie de ceux-ci et, si ces renseignements figurent dans la source, les noms de l’auteur, de l’artiste-interprète, du producteur ou du radiodiffuseur sont mentionnés ; c) la personne croit, pour des motifs raisonnables, que l’œuvre ou l’objet ou la copie de ceux-ci, ayant servi à la création n’était pas contrefait ; d) l’utilisation de la nouvelle œuvre ou du nouvel objet, ou l’autorisation de le diffuser, n’a aucun effet négatif important, pécuniaire ou autre, sur l’exploitation — actuelle ou éventuelle — de l’œuvre ou autre objet ou de la copie de ceux-ci ayant servi à la création ou sur tout marché actuel ou éventuel à son égard, notamment parce que l’œuvre ou l’objet nouvellement créé ne peut s’y substituer.

Par l’adoption d’amendements à la LDA, le législateur cherche à adapter le droit d’auteur aux nouvelles technologies et à assurer la neutralité technologique du texte de loi. LES BREVETS Une autre branche de la propriété intellectuelle qui se doit d’être source de protection pour les applications mobiles est le brevet. Les brevets sont disponibles pour protéger des inventions considérées nouvelles, utiles, et non évidentes18. Un brevet doit être délivré pour qu’une invention puisse bénéficier de la protection statutaire d’une durée de vie de 20 ans calculée à compter de la date de dépôt de la demande de brevet19. Il n’y a pas longtemps, l’obtention d’un brevet sur un logiciel s’avérait plutôt difficile puisque les programmes d’ordinateurs étaient considérés comme de simples formules mathématiques relevant des idées ou des principes scientifiques. En effet, les idées et principes scientifiques appartiennent à tous et permettre à quiconque de se les

18 Loi sur les brevets, LRC (1985) c. P-4, art2, ci-après [LB]. 19 Ibid, art 44.

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approprier serait contraire à l’ordre public. L’auteur Robert J. Tomkowicz20, à ce sujet, soutient que:

The courts reviewing decisions of the Patent Office viewed the process of programming simply as involving mathematical formulas with no substantial practical application except in connection with a digital computer. The courts argued that extending patent protection to this form of invention would pre-empt the mathematical formulas and, in practice, would grant a patent monopoly over the algorithm itself.

Par contre, même si la Loi sur les Brevets établit clairement à l’article 27 que les concepts abstraits ne sont pas brevetables, il n’y a rien dans la loi qui exclut clairement les programmes d’ordinateur.

Ce qui n’est pas brevetable (8) Il ne peut être octroyé de brevet pour de simples principes scientifiques ou conceptions théoriques

De plus, des directives récentes de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada2122, maintenant intégrées au le Recueil des pratiques du Bureau des brevets (RPBB)23, énoncent essentiellement que :

Lorsque le programme informatique exprime une méthode prévue par la Loi (c.-à-d. une série d’étapes qui offrent une solution technique à un problème technologique), il sera considéré comme un programme de nature technologique. Si la méthode est à la fois nouvelle et inventive, alors l’ordinateur programmé deviendrait brevetable.

Pour le moment, la divulgation du code source n’est pas requise dans les demandes de brevets. Par contre, à la base même de la culture techno se trouve un esprit de collaboration auquel certains attribuent les succès de plusieurs percées. Le mouvement « Open source » demeure une influence importante dans l’évolution technologique d’une majorité de programmes d’ordinateur, dont ceux derrière les applications mobiles. En ce sens, plusieurs licences de type ouvertes et contaminantes comme la « License publique générale GNU24 » ont été développées 20 Robert J. Tomkowicz, « Uneasy Fit : Software patents and the duty of disclosure in Patent Law », dans (2010) 5 CIPR 1, Institut de la propriété intellectuelle du Canada, Ottawa, 2010, à la p. 227. 21 Office de la propriété intellectuelle, Directive, PN 2013-02, « Pratique d’examen au sujet de l’interprétation téléologique » (2016-03-08). 22 Office de la propriété intellectuelle, Directive, PN 2013-03, « Pratique d’examen au sujet des inventions mises en œuvre par ordinateur » (2016-03-08). 23 Recueil des Pratiques du Bureau des Brevets, publié par l’Office de la Propriété Intellectuelle du Canada (dernière mise à jour : mars 2016), [en ligne], < https://www.ic.gc.ca/eic/site/cipointernet-internetopic.nsf/fra/h_wr00720.html >. 24 License publique générale GNU GPLv3, publiée par la Free Software Foundation, [en ligne], (dernière mise à jour : 29 juin 2007). < https://www.gnu.org/licenses/gpl.html >

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afin de perpétrer le libre accès au code. L’importance de ce partage est aussi abordée dans l’article « Once and Future Copyright »25 :

Consequently, when a software patent is granted for a computer program for a close platform and without disclosure of the relevant interfaces enabling the invention to achieve all of its functionalities is severely restricted. […] This effect has serious economic repercussions because improvements of patented inventions have overall proved to result in more significant technological progress than the original inventions.

Au même titre que le droit d’auteur, les brevets forment une branche de la propriété intellectuelle propice aux litiges, notamment en ce qui concerne les programmes d’ordinateur. En effet, on a fait état surtout aux États-Unis du phénomène des « patent trolls », qui découle en partie de la décision State Street26 de la fin des années 1990. Dans cette décision, la Cour qui se penchait sur un brevet portant sur une méthode d’allocation de valeur des unités d’un fonds mutuel en temps réel, a fameusement écrit « there is no prohibition against business method patents » [trouver référence]. Cette décision a eu un impact important : plusieurs sociétés se sont ruées au USPTO afin de déposer des demandes de brevets sur toutes sortes d’inventions, ressemblant de près ou de loin à des modèles d’affaires. Le résultat net fut la délivrance d’un nombre important de brevets, avec des revendications plus ou moins valides. Puisque les examinateurs américains ne possédaient pas un corpus de demandes de brevet d’avant State Street, il y avait peu d’art antérieur facilement accessible qui leur aurait permis de rejeter les demandes de brevet27. Ainsi, suivant la présomption de validité d’un brevet émis, combinés à une protection relativement large accordée à ces brevets, les titulaires s’en sont enhardis pour déclecher une pléthore de litige28. La question des revendications à portée trop large préoccupe puisqu’elles peuvent constituer un frein à l’avancement technologique lorsqu’elles accordent une protection trop vaste à des entreprises qui s’en servent comme moyen de défense et d’intimidation. À titre d’exemple concret, Apple détient, en date du 2 août 2016, 11 423 brevets aux États-Unis et son concurrent Samsung en détient 66 23129. Des chiffres semblables peuvent être intimidants pour les jeunes entreprises désireuses de se lancer dans le domaine de la téléphonie portable alors que le milieu est dominé par des sociétés 25 James Gibson, « Once and Future Copyright », dans (2005) 81 Notre Dame Law Review 167, , [en ligne], <http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=740486>, 26 State Street Bank & Trust Co v Signature Financial Group, Inc, 149 F.3d 1368, (Cour d’appel du circuit fédéral; 1998-07-23). 27 Par ailleurs, on parle ici aussi de modèles d’affaires, qui étaient auparavant gardés secret par leur propriétaires, compliquant de plus le travail des examinateurs. 28 Barry Sookman, « Sookman: Computer, Internet and Electronic Commerce Law », , Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, au ch 6.3 – Patentability of Computer-Related Inventions in the United States 29 Ces chiffres viennent de la base de données sur les brevets de l’Office américain de la propriété intellectuelle (USPTO Patent Full-Text and Image Database) utilisée avec les mots clés « Apple inc. » et « Samsung Electronics Co. », [en ligne] < http://patft.uspto.gov/netahtml/PTO/search-bool.html >.

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dotées d’une stratégie de propriété intellectuelle impressionnante. Il est également à noter que la quantité impressionnante de brevets détenus par ces deux sociétés porte non seulement sur des composantes des divers appareils (hardware), mais tout autant, sinon plus, sur des fonctionnalités logicielles. Même les applications qui profitent d’une popularité soudaine, Clash of Clans par exemple, sont souvent en mesure de déposer rapidement des demandes de brevet pour protéger leur propriété intellectuelle. La compagnie finlandaise propriétaire du jeu, « Supercell », est déjà titulaire de deux brevets sur les fonctionnalités d’une interface graphique propre au fonctionnement du jeu, sans compter quatre autres demandes de brevet en instance. Voici un exemple qui montre l’interaction de la main d’un l’individu avec l’interface d’un jeu (Demande de brevet : CA 2869766)

Il faut bien connaître les règles propres à l’Office de propriété intellectuelle du pays où une demande est déposée. Par exemple, dans le système américain, la protection des interfaces graphiques par brevet est strictement limitée à trois situations30 :

1. The graphical representation of the user interface before a user touches it ; 2. The computer’s interpretation of user actions on the interface, and ; 3. The visual effects resulting from users actions.

Enfin, le code qui permet l’exécution d’un programme d’ordinateur peut être organisé de plusieurs façons. Par contre, le brevet ne protège que l’aspect fonctionnel associé à ce code. Donc, lorsqu’une entreprise tente de protéger certaines fonctionnalités d’une nouvelle application, peu importe l’organisation du code source, elle doit être consciente du portefeuille de brevets de ses concurrents. Autrement, l’ignorance des actifs de la propriété intellectuelle des concurrents peu mener à des poursuites pour contrefaçon de brevet, malgré toute la bonne volonté à utiliser un code source différent. Sur une note plus légère, un récent article du New York Times rapporte qu’une analyse effectuée par l’Université de Stanford démontre qu’en 2010-2011 près de 20 milliards de dollars ont été dépensés en litiges et en achats de brevets. De pareilles sommes équivalent au financement nécessaire pour huit missions d’exploration de la planète Mars. En 2011, pour la première fois, les dépenses de Google et Apple pour des litiges

30 Thomas Dubuisson, « What Startups should do to protect their big mobile application idea? The importance of Intellectual Property Rights » publié sur la plateforme Linkedin, [en ligne] : <http://fr.slideshare.net/ThomasDubuissonLLM/article-july-2013>, ci-après [Dubuisson].

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en propriété intellectuelle et l’acquisition de brevets ont été supérieures aux sommes investies dans la recherche et le développement de nouveaux produits31. APPLE V SAMSUNG Pour les gens qui s’intéressent aux nouvelles technologies, les dossiers de litige les plus médiatisés sur les brevets sont indubitablement ceux liés à la saga judiciaire entre les grandes entreprises Apple et Samsung par rapport aux téléphones intelligents. Dans le cas le plus récent opposant Apple et Samsung32, trois fonctions spécifiques font l’objet de débat : la fonction « Slide to Unlock » (brevet US 8,046,721), la fonction « Data structure detection » (brevet US 5,946,647) et la fonction « method for automatically correcting spelling errors on touchscreen devices » (brevet US 8,074,172). Les conclusions recherchées par Apple sont d’obtenir une injonction permanente qui interdit à Samsung de fabriquer, de vendre, de développer, de faire de la publicité ou d’importer aux États-Unis un logiciel ou du code capable de reproduire les caractéristiques qui empiètent sur les droits de propriété intellectuels d’Apple. Afin d’obtenir une telle injonction, les critères établis dans une décision unanime de la Cour suprême des États-Unis. Dans Ebay v MercExchange33, la cour a pris position en rejetant la « règle générale » ou la façon « catégorique » d’analyse dans les cas qui mettent en jeu des logiciels. Les logiciels informatiques, ainsi que les appareils qui les incluent, sont souvent constitués d’un grand nombre de composantes, et nécessitent une analyse moins englobante lors de l’octroi d’une injonction. La Cour a décidé d’adopter une méthode qui prend en compte quatre facteurs, tout en respectant les grands principes de l’équité. La partie demanderesse doit démontrer les quatre facteurs suivants :

• (1) The patent owner has suffered irreparable harm; • (2) The remedies available at law (such as money damages) are

inadequate to compensate for that injury; • (3) The balance of hardships between the parties warrant a remedy in

equity; and • (4) The public interest would not be disserved by an injunction

31 Charles Duhiugg et Steve Lorh, «The Patent, Used as a Sword» dans le New York Times 2012-10-07, [en ligne], <http://www.nytimes.com/2012/10/08/technology/patent-wars-among-tech-giants-can-stifle-competition.html?pagewanted=all>, ci-après [The Patent Used as A Sword]. 32 Apple Inc., a California Corporation v. Samsun Electronics Co. LTD a Korean Corporation, 2015 No. 5:12-cv-00630-LHK (Cour d’appel du circuit fédéral; 2016-02-26) au para 1. 33 eBay Inc. v. MercExchange LLC, 547 U.S. 388 (Cour surprême des États-Unis; 2006-03-29) au para 2.

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En plus des quatre facteurs de la décision eBay, une décision Apple v. Samsung34, différente de celle précitée, ajoute un critère selon lequel la partie demanderesse doit démontrer un lien de causalité entre la violation du brevet et le préjudice irréparable causé par celle-ci. La décision rajoute aussi que le préjudice ne peut être qualifié de « préjudice irréparable » s’il est démontré que les consommateurs achètent un produit pour des fonctionnalités autres que celles brevetées. Voici l’opinion de la Cour par rapport aux quatre facteurs formulés plus haut.

(1) The patent owner has suffered irreparable harm; In short, the record establishes that the features claimed in the ’721, ’647, and ’172 patents were important to product sales and that customers sought these features in the phones they purchased. While this evidence of irreparable harm is not as strong as proof that customers buy the infringing products only because of these particular features, it is still evidence of causal nexus for lost sales and thus irreparable harm. (2) The remedies available at law (such as money damages) are inadequate to compensate for that injury; This factor strongly weighs in favor of Apple because, as the district court found, the extent of Apple’s downstream and network effect losses are very difficult to quantify. (3) The balance of hardships between the parties warrant a remedy in equity; Because “Apple’s proposed injunction targets only specific features, not entire products” and contains a 30-day “sunset provision,” Injunction Order at *20–21, and because “Samsung repeatedly told the jury that designing around the asserted claims of the three patents at issue would be easy and fast,” id. at *22, the district court found that Samsung would “not face any hardship” from Apple’s proposed injunction, (4) The public interest would not be disserved by an injunction This is not a case where the public would be deprived of Samsung’s products. Apple does not seek to enjoin the sale of lifesaving drugs, but to prevent Samsung from profiting from the unauthorized use of infringing features in its cellphones and tablets. Again, Apple seeks only a narrow feature-based injunction commensurate in scope with its monopoly rights. And the evidence of record is that Samsung can effect the removal of the patented features without recalling any

34 Apple Inc., a California Corporation v. Samsun Electronics Co. LTD a Korean Corporation, 2015 No. 5:12-cv-00630-LHK (Cour d’appel du circuit fédéral; 2015-09-17) sans para.

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products or disrupting customer use of its products. Apple has not attempted to expand the scope of its monopoly.

Cette décision peut sembler de faible importance pour les plus petites entreprises ou celles qui sont en phase de démarrage car elle oppose deux géants de la téléphonie. Par contre, étant donné les multiples brevets en la possession de ces géants du marché, personne n’est à l’abri d’une injonction. Certains opinent que la présence d’un système « premier à déposer » donne un grand avantage aux compagnies bien établies qui peuvent déposer plusieurs demandes de brevets provisoires sans soucis financiers. La mise en œuvre d’une telle stratégie pourrait avoir pour impact de bloquer l’innovation et de saper considérablement les ressources financières des jeunes entreprises par des poursuites répétées lorsque ces demandes provisoires sont transformées en demandes formelles, et éventuellement délivrées. Dans l’article « The Patent, Used as a Sword35 » ce point de vue est clairement illustré :

Alongside the impressive technological advances of the last two decades, they argue, a pall has descended: the marketplace for new ideas has been corrupted by software patents used as destructive weapons. […]

VLINGO V NUANCE36 L’intimidation par le biais d’un imposant portefeuille de brevets a été vécu par Michael Phillips, un développeur qui a consacré trois décennies au développement d’un logiciel qui permet aux systèmes informatiques de reconnaître le langage humain. En 2006, M. Phillips a cofondé une entreprise au nom de Vlingo destinée au déploiement de sa technologie. En 2008, l’entreprise de M. Phillips a été contactée par les cadres supérieurs d’Apple et Google, entre autres. Ainsi, la technologie de M. Phillips été intégrée dans l’assistante numérique Siri de Apple. Ensuite, M. Phillips a été contacté par une importante firme du domaine de la reconnaissance vocale numérique qui lui a servi l’ultimatum de soit procéder à la vente de son entreprise à Nuance ou de devoir défendre ses brevets en cour. Un litige autour de plusieurs brevets a éclaté. Même si la cour a opiné du côté de Vlingo en ces termes « [t]he Court agrees with Vlingo. The claim language and the specification do not support Nuance's construction. », M. Phillips a été obligé de vendre sa compagnie après avoir payé trois

35 The Patent Used as A Sword, Supra note 22. 36 Nuance Communications, Inc., v. Vlingo Corp., Civ. No. 09-585-LPS (Cour du district du Delaware; 2011-09-07).

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millions de dollars uniquement sur la défense de ses brevets. Les auteurs Duhigg et Lohr37 se pronounce à ce sujet :

Mr. Phillips and Vlingo are among the thousands of executives and companies caught in a software patent system that federal judges, economists, policy makers and technology executives say is so flawed that it often stymies innovation.

VIRNETX INC V. APPLE INC 38 Soulignons que même si toutes les décisions énumérées précédemment semblent montrer que le système de brevets joue souvent en faveur des grandes multinationales, parfois celles-ci se retrouvent devant la Cour, accusées d’ avoir violé des brevets. Dans l’affaire Virnetx Inc v Apple Inc, où les fonctionnalités de la technologie « VPN on demand » étaient contestées, la Cour a dû se prononcer sur l’opportunité d’émettre une injonction par rapport aux services Facetime et iMessage. Les efforts superficiels pour changer les fonctionnalités en violation et les abus de procédures de Apple ont été soulignés, puis réprimandés dans cette décision où les applications populaires FaceTime et iMessage étaient au cœur du litige. La cour énonce :

Apple has made it abundantly clear – in this case and others – that it needs an enhanced economic incentive to respect the intellectual property rights of patent owners […] The Court is uniquely situated to remove the inclination of large corporations (like Apple) that believe they can violate the rights of smaller companies simply because they can pay their litigators to string out a dispute indefinitely”

Pour déterminer l’étendue des dommages qui devaient être accordés dans un tel cas, la Cour a développé une méthode qui se décline en 9 étapes :

(1) whether Apple deliberately copied VirnetX’s ideas or design (2) whether Apple, knowing of VirnetX’s patent protection, investigated the scope

of the patent and formed a good faith belief that it was invalid or that it was not infringed

(3) Apple’s behaviors as a party to the litigation; (4) Apple’s size and financial condition; (5) the closeness of the case; (6) the duration of Apple’s misconduct; (7) any remedial action (or lack thereof) by Apple; (8) Apple’s motivation for harm and; (9) whether Apple attempted to conceal its misconduct

37 The Patent Used as A Sword, Supra note 22 38 Virnetx, Inc v Apple Inc., 2016 No. 12-cv-00855-RWS (Cour du district est de la division Texas Tyler).

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Finalement, une injonction en lien avec certains brevets américains a été accordée à VirnetX, au détriment de Apple. Retenons surtout que tout espoir n’est pas perdu pour les petites entreprises qui désirent protéger par brevet les fonctionnalités qu’elles développent. À la lumière de tout ce qui précède, la décision de breveter une invention nécessite beaucoup de ressources financières, autant pour la demande de brevet que pour la défense des droits qui s’y rattachent. Cette décision d’allouer une portion importante du budget d’une entreprise à la protection d’une invention plutôt que d’utiliser cet argent pour améliorer d’autres facettes de l’invention ou développer des nouveaux produits demeure une décision cruciale pour les jeunes entreprises. L’auteur Thomas Dubuisson explique39 :

[…] Whether or not it’s worth to do it, that’s another question. In this situation, it’s all about the money and time. The patent process could easily take 3 to 4 years (in EU and in the U.S.). Then, you need to add the fees for application preparation, filing, examination, attorney, etc. In sum, that’s a lot of money for a startup. Therefore, it depends on your business plan and strategy: if you want to create an app for a short time period, it’s not worth to pay a lot of money and to patent it. It’s probably better to sell it on different online stores because competitors will not have sufficient time to copy it anyway.

Bien que ce conseil semble à première vue assez séduisant, il fait abstraction de la puissance conférée par un brevet. En effet, si l’application en question incorpore une nouvelle fonctionnalité, et que cette fonctionnalité peut trouver application ailleurs que dans l’application en question, il devient plus important de se pencher sérieusement sur l’opportunité ou non de s’engager dans la voie des brevets. LES MARQUES DE COMMERCE Les marques de commerce peuvent également être une source de protection pour les programmes d’ordinateur à la base des applications mobiles. Une marque de commerce est généralement constituée d’un ou plusieurs mots ou un dessin (ou une combinaison de ces éléments) utilisés par une entreprise pour différencier ses services ou ses biens de ceux de ses compétiteurs40. L’enregistrement d’une marque de commerce peut être renouvelé tous les 15 ans au Canada41.

39 Dubuisson, supra note 21. 40 Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13, ci-après [LMC], art 2. 41 Ibid, para46(1).

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Par exemple, les compagnies Microsoft et Apple utilisent leur logo comme marque de commerce afin de distinguer leurs logiciels ou leurs applications de ceux de leurs compétiteurs. Si les icônes des applications mobiles sont propres à la compagnie et accumulent une certaine notoriété à titre de marque, elles peuvent être protégées via le système des marques de commerces. Par exemple, le célèbre bouton « Start » de Microsoft est une marque de commerce enregistrée sous le numéro LMC 489896. Ci-dessous se trouvent quelques exemples d’icônes qui ont été enregistrés auprès de l’Office de la propriété intellectuelle des États-Unis au nom de Apple Inc. pour les icônes inclus dans leur nouveau système iOS 7. Une marque de commerce peut être enregistrée ou non, mais l’absence d’enregistrement n’est pas fatale à la faculté d’intenter une action en « passing-off ». Tel qu’expliqué dans la section sur les brevets, le monde des applications mobiles est surtout contrôlé par une poignée de grandes entreprises. Pour le moment, les applications mobiles sont seulement accessibles à partir d’un nombre limité de plateformes, contrôlées par ces mêmes grandes entreprises. En ce sens, l’idée d’entreprendre une action en contrefaçon de marque ou de quelque autre actif de propriété intellectuelle peut paraître frivole pour les entreprises en démarrage. Cette opinion est mise de l’avant dans l’article « What startups Should do to Protect their Big Mobile Application Idea » 42 où l’auteur Dubuisson avance:

If you had the chance to protect your business with intellectual property rights before the “drama”, then (in theory) you can sue them for infringement (but that’s not a good idea because you eventually will get banned from the app’s plaftorms).

LE CAS DE LA MARQUE « CANDY » DE L’APPLICATION CAND Y CRUSH

42 Dubuisson, supra note 21.

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Les créateurs de l’application renommée « Candy Crush » ont semé la controverse en obtenant l’enregistrement d’une marque de commerce constituée du mot « Candy » auprès de la commission des marques de commerce européenne en janvier 2014. Le problème avec cette marque est que la protection ne s’applique pas seulement qu’aux jeux informatiques mais aussi à d’autres catégories de produits tels que les vêtements et les souliers. Benny Hsu, le développeur du jeu vidéo appelé « All Candy Casino Slots – Jewel Craze Connect : Big Blast Mania Land » a reçu un avis par courriel de la compagnie Apple43 pour utilisation non autorisée d’une marque portant à confusion avec une marque de commerce enregistrée, soit CANDY. Lorsque Hsu a tenté de contacter King.com, l’entreprise derrière Candy Crush, il a reçu cette réponse :

Your use of CANDY SLOTS in your app icon uses our CANDY trade mark exactly, for identical goods, which amounts to trade mark infringement and is likely to lead to consumer confusion and damage to our brand. The addition of only the descriptive term ‘SLOTS’ does nothing to lessen the likelihood of confusion.”

Hsu, confronté aux menaces de King.com, a changé la portion du nom de son jeu intitulée « All Candy Casino Slots » pour « All Sweets Casino Slots », afin d’éviter toute poursuite. Donc, forts de leur enregistrement de la marque CANDY en Europe, King.com menacent avec succès les petits développeurs d’application aux États-Unis où l’enregistrement de la marque CANDY n’est pas encore complété.44 Selon l’opinion de plusieurs, les deux applications ne sont pas assez similaires dans leur contenu pour créer de la confusion dans l’esprit du consommateur. Une marque de commerce avec un mot aussi commun que CANDY peut difficilement être considérée comme une marque avec un fort caractère distinctif. LES DESSINS INDUSTRIELS Les icônes, ou l’interface de façon générale, associés à des applications ou à des systèmes d’exploitation sur téléphones intelligents et tablettes peuvent être protégés par le dessin industriel. Plusieurs conditions doivent être satisfaites pour qu’un dessin puisse bénéficier de la protection accordée par la Loi sur les dessins industriels45. D’abord, la partie protégée d’un dessin industriel ne doit viser que des parties

43 Anthony Kosner Wing, « Candy Crush Saga Has Trademarked Candy and Apple’s App Store is Helping to Enforce It » [2014-01-20] Forbes, [en ligne] <http://www.forbes.com/sites/anthonykosner/2014/01/20/candy-crush-saga-has-trademarked-candy-and-apples-app-store-is-helping-enforce-it/#2f6ae2db16ee>. 44 Tracey Lien, « What King’s « CANDY » Trademark Really Means », [2014-01-21] Polygon, [en ligne] < http://www.polygon.com/2014/1/21/5332560/what-kings-candy-trademark-really-means > 45 Loi sur les dessins industriels, LRC (1985) c I-9, ci-après [LDI].

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décoratives ou ornementales de la forme, configuration, ou du motif (ou d’une combinaison)46. Aucune partie d’un produit dont l’allure n’est que purement fonctionnelle ne pourra être protégée par dessin industriel47. Ensuite, le dessin doit rencontrer le critère de l’originalité48. Il s’agit d’un concept qui se rapproche du concept d’originalité en matière de droit d’auteur. Enfin, le dessin ne doit pas être identique à un autre déjà enregistré au Canada, ou y ressembler au point de créer de la confusion49. La période de protection est de 10 ans selon la Loi sur les dessins industriels50. Selon le Manuel de Procédures pour Dessins Industriels51 publié par l’Office canadien de propriété intellectuelle, une icône pourrait être enregistrée si elle remplit les conditions suivantes :

• Elle doit être visible lorsque le produit est utilisé pour le but prévu

• Les fonctions de l’icône ne doivent pas être gouvernées par la seule fonction utilitaire de l’article (celles-ci seront protégées sous la Loi sur les Brevets)

• Le titre de l’icône à être enregistrée doit identifier le produit finit dans

lequel l’icône est intégrée

• Des dessins ou des photos doivent montrer le produit fini dans son entièreté dans lequel l’icône est intégrée

La Loi sur les Dessins industriels ne requiert pas que les dessins soumis soient en couleur; les illustrations ou les photos peuvent être en noir et blanc. Voici, à titre d’exemple, le dessin industriel no. 122323 tel qu’enregistré par la société Apple Inc. afin de protéger l’apparence de la fonction « Slide to Unlock » de leurs produits. Cette fonction a également fait l’objet d’un brevet auquel est attribuable un épisode de la saga entre Apple et Samsung, mentionnée ci-dessus.

46 Ibid, art2. 47 Ibid, art 5.1. 48 Ibid, art 7.3. 49 Ibid, para 6(1). 50 Ibid, art10. 51 Guide des dessins industriels, publié par l’Office de la Propriété Intellectuelle du Canada (dernière mise à jour : février 2016), [en ligne] < https://www.ic.gc.ca/eic/site/cipointernet- internetopic.nsf/fra/h_wr02300.html >

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Toujours à titre d’exemple, le dessin industriel USD670,713 «Display screen or portion thereof with animated graphical user interface » de la compagnie Apple a été approuvé par l’Office de la propriété intellectuelle des États-Unis, leur conférant ainsi l’usage exclusif de la fonction « tour de page » pour les lecteurs électroniques52. Le dessin industriel a été approuvé même si cette fonction existait déjà et était couramment utilisée. À cette occasion, quelques personnes ont dénoncé le caractère quasi monopolistique du marché des dessins industriels, alors contrôlé par un nombre très limité d’entreprises. Habituellement les compagnies optent pour la protection par dessin industriel comme complément à leur protection par voie de brevet ou de marque de commerce. Aussi, étant donné le coût relativement bas de l’enregistrement d’un dessin industriel, les entreprises aux ressources financières limitées peuvent tout de même obtenir une forme de protection pour leur propriété intellectuelle. LES SECRETS DE COMMERCE La possibilité de protéger une application mobile à l’aide du secret de commerce s’ajoute aux modes de protection énoncés précédemment. Afin qu’un secret de commerce puisse être un élément de propriété intellectuelle protégeable, il doit posséder les caractéristiques suivantes :

• l’information doit être connue par un cercle aussi restreint que possible de personnes extérieures à l’entreprise;

• l’information doit être connue par certains employés de l’entreprise;

• des mesures doivent avoir été prises pour garder l’information secrète;

52 Nick Bilton, «Apple Now Owns the Page Turn», dans le New York Times (2012-11-16), [en ligne] <http://bits.blogs.nytimes.com/2012/11/16/apple-now-owns-the-page-turn/?_php=true&_type=blogs&_r=2 >

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• l’information doit avoir une valeur pour l’entreprise et ses concurrents;

• le développement de ladite information doit avoir nécessité des efforts et des coûts financiers non-négligeable; et

• l’information doit être difficile à s’approprier pour un tiers. La Cour suprême du Canada53 a développé un test en trois étapes pour déterminer s’il y a effectivement eu défaut par rapport aux secrets de commerce :

• l’information doit être confidentielle (le public ne doit pas y avoir accès);

• l’information doit avoir été communiquée en toute confiance; et

• l’information a dû être utilisée de mauvaise foi par la partie à laquelle elle a été communiquée.

Il faut être conscient du fait que les secrets de commerce sont de juridiction provinciale, contrairement aux autres outils de protection de la propriété intellectuelle. La protection des secrets de commerce par contrat constitue un moyen fragile pour les applications mobiles puisque dès que l’objet du secret est lancé sur le marché, la protection du secret de commerce est en péril. Ainsi, la protection d’une invention par secret de commerce serait moins étendue que celles énumérées précédemment puisque celle-ci n’est efficace qu’au stade du développement du produit. Une fois que le produit est lancé sur le marché, difficile de soutenir qu’il s’agit d’un secret, surtout dans le cas des programmes d’ordinateur. Il faut distinguer ici cependant les « secrets » qui seraient divulgués par la vente ou distribution de l’application, et donc potentiellement plus facilement accessible à la rétro-ingénierie, des « secrets » qui opèrent en arrière-plan, sur les serveurs des fournisseurs de fonctions au soutien de l’application. L’utilisateur, même celui qui serait très sophistiqué, ne pourrait pas avoir accès pour pouvoir faire de la rétro-ingénierie. CONCLUSION En conclusion, plusieurs branches de propriété intellectuelle peuvent servir à protéger divers aspects des applications mobiles. Le simple texte du code source est protégeable par droit d’auteur, les fonctionnalités de ce code peuvent brevetées, l’interface et les icônes peuvent faire l’objet d’un dessin industriel enregistré et le nom de l’application peut constituer une marque de commerce. Dépendamment de ses besoins, de ses moyens et de ses objectifs, une entreprise peut élaborer une stratégie efficace de propriété intellectuelle afin de trouver du financement, de se protéger contre d’éventuelles infractions ou de décourager la concurrence. La protection de la

53 Lac Minerals Ltd c. International Corona Resources Ltd, [1989] 2 RCS 574 (Cour suprême du Canada; 1989-08-11)

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propriété intellectuelle est accessible à tous, dans tous les domaines de la technologie et les possibilités de stratégie sont multiples, peu importe la situation d’une entreprise.

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