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La Question Romaine Du Sacer.

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Le sacré (Rome)
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  LA QUESTION ROMAINE DU SACER. Ambivalence du sacré ou construction symbolique de la sortie du droit Robert Jacob Presses Universitaire s de France | Revue historique 2006/3 - n°639 pages 523 à 588  ISSN 0035-3264 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-historique-2006-3-page-523.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Jacob Robert, « La question romaine du sacer. » Ambivalence du sacré ou construction symbolique de la sortie du droit, Revue historique , 2006/3 n°639, p. 523-588. DOI : 10.3917/rhis.063.0523 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France.  © Presses Unive rsitaires de France. Tou s droits réservés po ur tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.    D   o   c   u   m   e   n    t    t    é    l    é   c    h   a   r   g    é    d   e   p   u    i   s   w   w   w  .   c   a    i   r   n  .    i   n    f   o          8    6  .    1    1    1  .    1    3    6  .    1    7    4      1    5    /    1    0    /    2    0    1    4    2    0    h    1    3  .    ©    P   r   e   s   s   e   s    U   n    i   v   e   r   s    i    t   a    i   r   e   s    d   e    F   r   a   n   c   e m e é é g d s w c r n n o 8 1 1 1 1 1 2 2 © P e U v s a r e d F a
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  • LA QUESTION ROMAINE DU SACER. Ambivalence du sacr ou construction symbolique de la sortie du droitRobert Jacob

    Presses Universitaires de France | Revue historique

    2006/3 - n 639pages 523 588

    ISSN 0035-3264

    Article disponible en ligne l'adresse:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    http://www.cairn.info/revue-historique-2006-3-page-523.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Jacob Robert, La question romaine du sacer. Ambivalence du sacr ou construction symbolique de la sortie dudroit, Revue historique, 2006/3 n 639, p. 523-588. DOI : 10.3917/rhis.063.0523--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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  • RELIGION ET SOCIT

    La question romaine du sacer.Ambivalence du sacrou construction symboliquede la sortie du droit

    Robert JACOB

    LE PROBLME ET SES ENJEUX

    Patronus si clienti fraudem fecerit, sacer esto : le patron, sil porte tort son client, quil soit sacer ! Ainsi sexprime une loi que la traditionromaine attribuait aux XII Tables (8, 21). Ce verset appartient aupetit nombre des dispositions du droit romain archaque qui dcla-rent hors la loi lauteur des infractions quelles entendent punir.

    Une telle condamnation privait celui quelle visait de la protec-tion lmentaire normalement reconnue par lordre juridique sessujets. En principe, le sacer pouvait tre tu impunment par qui-conque, sans que le meurtrier et craindre ni procs ni vengeance.Eum ius fasque esse occidi, crit Tite-Live (3, 55, 5) : cet homicide-l estlicite au regard du droit comme de la religion. ce trait, que souli-gnent toutes les sources, viennent sajouter dautres, quelles men-tionnent loccasion : la confiscation des biens, dont la proprittait attribue un temple, la dchance du droit de cit, lexil,lexclusion des liens de la famille et de la parent1. Le sacer ntait

    Revue historique, CCCVIII/3

    1. Sur limmunit de lhomicide : Liv. 3, 55, 5 ; Festus, De verborum significatione, WallaceM. Lindsay (d.), p. 424 ; Cicron, Pro Tullio, 20, 47 ; Macrobe, Saturnales, 3, 7, 5 ; DenysdHalicarnasse, 2, 10, 3 et 2, 74, 3 ; Plutarque, Publicola, 12, 1-2 ; pour les autres aspects de lapeine, voir les textes qui seront comments ci-dessous, notamment n. 27, 31, 32, 41, 43, 54 ;exposs gnraux du statut du sacer dans Thodore Mommsen, Le droit pnal romain, trad. fran.,Paris, 1907, III, p. 233 s., et, dans la littrature scientifique la plus rcente : Roberto Fiori, Homo

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  • plus un tre social. Il avait cess dtre sujet de droit. On labandon-nait la vindicte du premier venu. Tel est en tout cas le sort auquelle vouaient ceux-l, magistrats, particuliers, assembles, qui pronon-aient contre lui la formule rituelle sacer esto. Que cette proclamationft en pratique toujours suivie deffet, et quelle le ft de tous leseffets auxquels elle prtendait, est une autre histoire.

    Le sacer romain correspond dautres figures de hors-la-loi bienconnues des historiens du droit, en particulier dans le Moyen geoccidental. Le condamn que la Loi salique dclare wargus, les loisanglo-saxonnes outlaw, les formules de bannissement du Moyenge allemand verachtet, se trouvait dans la mme condition que lesacer. Le proscrit tait mis au ban de lordre social, cest--direprojet lextrieur du champ du ban, de la loi ou du droit (ban,law, acht), dchu de tous les attributs du sujet de droit, promis une mort que nimporte qui pouvait lui donner la premireoccasion2.

    Cette forme primitive dexclusion est marque darchasme. Onne la rencontre que dans les strates les plus anciennes de chaqueculture juridique, mais, partout, on observe quelle recule de bonneheure. Que lautorit du pouvoir judiciaire saffirme, que saffinenttant soit peu les techniques de sa procdure, et lon se dtourne aus-sitt de ces formules imprcatoires dont lexcution tait sujette tant dalas. Lordre juridique leur prfre tantt une peine de mortquil rserve ses agents, selon des formes quil dtermine, tanttdes figures plus labores et moins radicales de la proscription, quine font plus disparatre dun seul coup dans le banni toutes les qua-lits du sujet du droit. La mme volution se dessine dans lhistoiredu droit romain et dans celle des ordres juridiques du Moyen ge. Rome, la clausule sacer esto ne sanctionne que des lois anciennes,remontant peut-tre la priode royale, en tout cas bien attestesdans les premires dcennies de la Rpublique, mais qui ne laissentderrire elle pas de postrit. Bien avant lclosion du droit clas-sique, staient imposes des mthodes dexpulsion mieux contrles,qui veillaient prserver lgard du pouvoir la sujtion de lexcluet qui nen immunisaient plus lhomicide. Cest ce que le langage

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    sacer . Dinamica politico-costituzionale di una sanzione giuridico-religiosa, Naples, Jovene, 1996 ; ClaireLovisi, Contribution ltude de la peine de mort sous la Rpublique romaine (509-149 av. J.-C.), Paris, DeBoccard, 1999, p. 13-64.

    2. Proscribere est dignum morte condemnare, crit un commentaire mdival, cit par HannaZaremska, Les bannis au Moyen ge, trad. fran., Paris, 1996, p. 86 ; parmi une abondante biblio-graphie : Rudolf His, Das Strafrecht des deutschen Mittelalters, I. Das Verbrechen und ihre Folgen im allgemei-nen, Leipzig, 1920, p. 410 s. ; Heinrich Siuts, Bann und Acht und ihre Grundlagen im Totenglauben, Ber-lin, 1959, p. 127 s. ; sur le rapprochement du wargus franc et du sacer romain, classique depuisIhering : ci-dessous, p. 574 s. et n. 88.

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  • courant nommait globalement exilium, tandis que le langage tech-nique du droit y distinguait des statuts diffrents de la peine : inter-dictio igni et aqua (interdiction par le feu et leau), proscriptio, relegatio,deportatio3. Au Moyen ge, dans lEurope du Nord-Ouest, la pra-tique judiciaire fut anime dun mouvement comparable. Du XIIe auXVe sicle, on voit partout seffacer ce qui restait des formes primi-tives de loutlawry anglaise ou de lAcht allemande, au profit de diverstypes dexclusion du territoire dune ville ou dune royaume. Lesbannissements des derniers sicles du Moyen ge ne sont plusncessairement dfinitifs, mais volontiers limits dans le temps. Ilnimmunisent plus sans rserve le meurtre de lexclu, pas plus quilsnemportent systmatiquement la confiscation de ses biens ou la dis-solution de ses liens familiaux. Ils prennent souvent soin de mnagerpour lavenir la possibilit de rintgrer le banni4.

    Ainsi, au fil de lhistoire, cette gamme de sanctions sest com-plique et diversifie. Aussi lusage de les recouvrir toutes delappellation gnrique de bannissement , comme on le fait sou-vent, peut-il tre une source de confusion sil suggre lidentit decondition des diffrentes catgories de bannis. Cest pourquoi, dansles pages quon va lire, jviterai autant que possible ce terme. Jechoisis en principe dappeler proscription la forme la plusarchaque de la mise hors la loi, qui est aussi la plus radicale en cequelle ne connat pas de degr5. Elle est lunique objet de la pr-sente tude.

    Ajoutons, pour prvenir une dernire confusion, que linterdic-tion de rsidence dans un territoire donn, caractristique desformes ultrieures de bannissement ou dexil, nen constituait pasencore un lment peru comme caractristique. Le proscrit de laLoi salique est dit projet par le roi extra sermonem suum : lextrieur de la parole souveraine en tant que cette parole faitnorme6. On peut comprendre que le royaume dont il tait cartne se trouvait pas enferm a priori dans des frontires fixes, quune

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    3. Thodore Mommsen, Le droit pnal romain, op. cit., III, p. 309 s. Paralllement, la confisca-tion des biens sest transforme, la proprit passant du temple au trsor public : FrancescoSalerno, Della consecratio alla publicatio bonorum . Forme giuridiche e uso politico delle origini a Cesare,Naples, Jovene, 1990.

    4. Cf. e.a. Rudolf His, Das Strafrecht..., op. cit., p. 432-444, 461 s. ; Jean-Marie Carbasse, Intro-duction historique au droit pnal, Paris, PUF, 1990, p. 223-225 ; Jacques Chiffoleau, Les justices du pape.Dlinquance et criminalit dans la rgion dAvignon au XIVe sicle, Paris, Publications de la Sorbonne, 1984,p. 232 s. ; Georges Espinas, La vie urbaine Douai, Paris, 1913, II, p. 740 s., etc.

    5. Il est entendu que le terme proscription est ici retenu en raison du sens gnral quil aen franais et quil ne fait pas cho la proscriptio romaine, ce qui constituerait une nouvelle sourcedquivoque.

    6. Pactus Legis Salicae, 56, 5, d. Karl August Eckhardt, Gottingen-Berlin-Francfort, Muster-schmidt, 1955, p. 326.

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  • arme en marche, un peuple tranger qui ferait soumission lui eus-sent aussitt dessin de nouveaux contours. Plus que dun territoireproprement dit, cest dun espace social unifi par ladhsion unenorme commune que le proscrit tait expuls. Sans doute la condi-tion du sacer romain, tant quil tait en vie, ntait-elle gure com-patible avec la rsidence dans la cit, pas plus que celle de loutlawanglo-saxon ne ltait avec une rsidence au comt. Mais les sour-ces les plus anciennes ne sattachent pas en priorit marquer ausol une zone dinterdit. Elles se bornent prononcer lexclusiondun ordre juridique, sans circonscrire celui-ci dans les bornes dunterritoire.

    Que le plus ancien droit romain ait eu en commun avecdautres droits archaques cette forme particulire de sanction, onne saurait sen tonner. Ce qui surprend, en revanche, est le termeemploy pour la dsigner. Celui que le Moyen ge dfinit commele hors-la-loi (outlaw, verachtet, forban), que la Loi salique identifie un tre sorti de lhumanit et plus ou moins monstrueux (warg),Rome le disait sacer. Or sacer est ladjectif qui sapplique ordinaire-ment aux choses consacres, aux temples, aux statues des dieux,aux animaux vous au sacrifice, aux instruments du culte. Ildsigne des objets, des espaces et des temps sacrs, par oppositionau monde profane. Donc des lieux, des tres et des choses vousau respect, entours dinterdits, dont la profanation, en dehors desrituels consacrs, constituait un sacrilegium, crime public implacable-ment poursuivi. Comment le mme mot pouvait-il dsigner ordi-nairement ce que la socit romaine tenait pour le plus respectableet exceptionnellement lindividu quelle dcrtait pour tous has-sable ? Celui dont llimination violente ne constituait rien moinsquun sacrilge, puisque le trait propre de ce sacer-l tait prcis-ment la suspension son endroit de toute sauvegarde de lintgritphysique ?

    Tel est ce que lon peut appeler le paradoxe du sacer. la fin delAntiquit, il embarrassait dj les Romains eux-mmes, qui ne lecomprenaient plus. Alors quil est interdit de faire violence auxautres choses sacres, stonnait Macrobe, il a t conforme au droitdabattre lhomme sacer. 7 De nos jours, en gros depuis lavnementdes sciences humaines, le mme problme a taraud les esprits, faitcouler des flots dencre. La question romaine du sacer a t souventtraite pour elle-mme. Plus souvent encore, elle a t aborde loccasion de dveloppements thoriques dont lobjet tait autre-ment ample : le sacr, la religion, le droit.

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    7. Cum caetera sacra violari nefas sit, hominem sacrum ius fuerit occidi : Sat. 3, 7, 5.

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  • partir de la fin du XIXe sicle, lexplication en a t cherchedans ce qui serait une ambivalence fondamentale du sacr. Quest-ce que le sacr ? Bien peu desprits se sont risqus en donner unedfinition, ft-elle approximative. Mais bien peu renoncent pourautant voir en lui une composante ncessaire de toute culturehumaine, par l mme universelle. Pour beaucoup, le sacr est unespace spar du social ordinaire, mystrieux et donc dangereux,inspirant toujours la crainte. Un champ de puissances qui peut seconstituer tantt en systme dentits quil faut se concilier en leshonorant, tantt en forces nocives dont il faut se prserver et quilfaut combattre. De mme que la magie peut comprendre une magieblanche et une magie noire, un sacr originel aurait dbouch tan-tt sur un sacr bnfique ou positif (auquel la plupart des languesoccidentales rservent seul des mots comme sacr, hagios/hieros/hosios,holy, heilig, etc.), tantt sur un sacr malfique ou ngatif (dont lesacer-proscrit du latin conserverait seul la trace).

    Dans les annes 1890-1900, les thories de lambivalence dusacr se sont nourries de la dcouverte fascine du tabou polyn-sien, un interdit qui entoure toutes sortes de forces mystrieuses,tantt propices, tantt funestes. Ces ides ont imprgn les espritssans rencontrer de grande rsistance. Lambivalence du sacr estprsente, on peut mme dire quelle tient une place fondamentale,dans des systmes de pense aussi diffrents que ceux de Freud,Durkheim, Hubert et Mauss, Roger Caillois, Mircea Eliade, RenGirard, et bien dautres8. Elle affleure dans quantit de productionsrelatives lhistoire et lanthropologie des religions. Ladopter nensuppose pas moins une confrontation permanente avec le sens com-mun, qui rsiste accepter lide que, entre lextrmement pur etlextrmement impur, il puisse exister des points de parfaite fusion.La morale commune des socits de lislam, par exemple, connatdes interdits trs diffrents, comme celui de dchirer le Coran oucelui de consommer la viande dune bte morte. Un mme terme,haram, peut bien tre affect indiffremment la dsignation de tousles objets ainsi frapps dinterdiction. Mais il ne sensuit pas que leshommes qui sassujettissent ces rgles confondent le respectable et

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    8. Cf. Henri Hubert et Marcel Mauss, Essai sur la nature et la fonction du sacrifice, LAnnesociologique, 2, 1898, p. 98 s. ; mile Durkheim, Les formes lmentaires de la vie religieuse : le systme tot-mique en Australie (1912), Paris, PUF, 1985, p. 584-592 ; cf. aussi les auteurs cits ci-dessous, n. 9-10.Pour une histoire de la formation et de la diffusion de lide : Giorgio Agamben, Homo sacer . Lepouvoir souverain et la vie nue (1995), trad. fran., Paris, Le Seuil, 1997, p. 85-90 ; discussion du pro-blme et tat de la question dans la littrature anthropologique : Alain Testart, Des mythes et descroyances, Paris, Maison des sciences de lhomme, 1991, p. 255 ; sur la pntration du conceptanthropologique dans les tudes latines : Huguette Fugier, Recherches sur lexpression du sacr dans lalangue latine, Paris, Les Belles Lettres, 1963, p. 238-241.

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  • le rpugnant, le sacr et la souillure, linterdit et sa raison dtre9.Lexprience de lhistoire et de lanthropologie ne fournit pas lambivalence du sacr de confirmation clatante. Postuler dans lescultures de lhumanit lexistence originelle dun trs spar destin clater en un trs pur et un trs impur est une vue de lesprit quise nourrit dinterprtations, mais laquelle les preuves proprementdites font encore largement dfaut.

    Cest pourquoi lnigme romaine du sacer entretient avec lidede lambivalence du sacr un rapport circulaire, tel que celle-lprocure celle-ci un des rares points dappui historiques auxquelssaccrocher, tandis que rciproquement la seconde prtend donner la premire la seule voie possible de rsolution. Dun ct, le faitque le mme mot latin sacer se soit appliqu la fois au sacr etau proscrit constitue, aux yeux des thoriciens de lambivalence,un signe patent de la justesse de leur intuition. Il parat mmefournir, dans lhistoire de lOccident, larchtype parfait dun sacrindiffrenci, tout la fois le sacr proprement dit et le maudit, lesouill, lexclu, le rpulsif 10. Un archtype dautant plus prcieuxquil est unique, puisque, de toutes les langues indo-europennes,seul le latin confre un terme affect la dsignation du sacrune valeur aussi loigne de son sens ordinaire11. De lautre, leshistoriens du droit romain et de la langue latine confronts auparadoxe du sacer ont jusquici pein imaginer une autre voiedexplication. Sans doute sont-ils les mieux placs pour saviser desdifficults considrables que lambivalence du sacr soulve devantlinterprte des sources romaines. Sans doute na-t-il pas manqude voix pour exprimer loccasion scepticisme et rticences. Mais,faute que simpose une alternative crdible, la majorit des auteursse rallie toujours la thse dun sacr ambivalent. Il faut que, lge archaque, la langue latine et le droit romain avec elle aient

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    9. Joseph Chelhod, Les structures du sacr chez les Arabes, Paris, Maisonneuve & Larose, 1965,p. 35-52. En fait, larabe comporte deux oppositions nettement distinctes, haram-halal (interdit-permis) et tahir-rijs (pur-impur). Cest cependant dans le champ des tudes orientalistes et partirde l ambigut de linterdit (arabe haram, hbreu qadoch, polynsien tabou, assimils les uns auxautres) que lide de lambivalence du sacr est apparue en premier lieu : William RobertsonSmith, Lectures on the Religion of the Semites. The Fundamental Institutions (1894), New York, Ktav, 1969,p. 152 s. et 446 s.

    10. Sigmund Freud, Totem et tabou (1913), trad. fran., Paris, Payot, 1979, p. 29 s. ; MirceaEliade, Trait dhistoire des religions (1964), I, 6, d. Paris, Payot, 1979, p. 26 s. ; Roger Caillois,Lhomme et le sacr (1939), Paris, Payot, 1950, p. 46 ; Ren Girard, Le bouc missaire, Paris, Grasset,1982, p. 29 (malgr les critiques ardentes constamment leves par lauteur contre les autres tho-ries de lambivalence, il est clair que le systme Girard dans son entier sinscrit dans la mmeapproche du sacr), etc.

    11. mile Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-europennes, II, Paris, d. de Minuit,1969, p. 179 s.

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  • fondu sous le terme sacer le sacr, le maudit, le tabou et le pros-crit : telle est la position qui domine encore la romanistiquecontemporaine12.

    Chez les historiens de Rome, la vocation du sacr fusionner lescontraires a mme fini par engendrer la formation dune conceptua-lisation originale. Pour caractriser ltat de sacr-bni-maudit-tabou-proscrit que lon pense aux sources du droit archaque, estapparu un pseudo-latin *sacertas, inconnu de la langue classique. Sila plupart des auteurs rpugnent ce genre danachronisme, ils nenconservent pas moins litalien sacert, lallemand Sazertt ou le fran-ais sacert , qui ont acquis droit de cit dans la littrature scien-tifique. La sacert , cest, par opposition au sacr positif, ce quien absorbe aussi les aspects ngatifs. Pour les historiens du droit, leterme a pris le statut dune dsignation technique de la condition duproscrit. la suite de la sacert est apparu, comme figure delexclu, lhomo sacer. La formule est authentiquement latine, cette fois,mais elle est tardive. Elle napparat que chez Festus et Macrobe,dans des phrases o ces auteurs ont fait de ladjectif sacer lpithtedu substantif homo pour stonner que ladjectif, lorsquil se rappor-tait un homme, prt un sens aussi diffrent de celui quil avait lors-quil qualifiait toute autre chose13. Mais cette faon de dire sembletrangre au latin archaque et classique, qui sen tenait ladjectifsubstantiv. Pour dsigner le proscrit, on disait simplement le sacer tout comme on disait le publicus pour lesclave public, le privatuspour le particulier (par opposition au magistrat), mais non homopublicus ni homo privatus... Pour autant, la formule homo sacer nen estpas moins employe aujourdhui de manire intensive.

    Elle connat mme un succs grandissant, au point quelle afourni leur titre deux livres rcents, de style et dorientation trsdiffrents, mais qui ont en commun lambition de situer la questiondu sacer dans des perspectives thoriques nouvelles. Le premier seprsente comme un essai philosophique sur lhistoire politique delexclusion. cartant rsolument lambivalence du sacr, il recon-nat dans la condition du proscrit romain larchtype de ce que

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    12. Sacer dsigne celui ou ce qui ne peut tre touch sans tre souill ou sans souiller ; de lle double sens de sacr ou maudit ( peu prs) : Alfred Ernout et Antoine Meillet, Diction-naire tymologique de la langue latine, Paris, 1931, v sacer ; position suivie par mile Benveniste, op. cit.(n. 11) ; cf. Andr Magdelain, Essai sur les origines de la sponsio , Paris, 1943, p. 141 ; Claire Lovisi,Contribution ltude de la peine de mort..., op. cit. (n. 1), p. 47 ( au stade le plus ancien, lhomo sacerdevient tabou par la simple perptration du dlit ), 48 ( le violateur dun tabou devient taboului-mme ), etc. On voquera plus loin les principales opinions divergentes, qui sont aujourdhuicelles dHuguette Fugier (p. 564 et n. 73), Giorgio Agamben (p. 530 et n. 14) et Roberto Fiori(p. 530, 564 et n. 15, 73).

    13. Macrobe, Sat., 3, 7, 5 (ci-dessus, n. 7) ; Festus, d. Lindsay, p. 424.

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  • lauteur nomme la vie nue , une figure de dsocialisation et dedshumanisation de lindividu dont lhomo sacer livrerait la premireforme historique et dont les puissances tatiques modernes auraientassur la continuit, jusquaux gnocides et aux camps de la mortdes temps contemporains14. Le second, plus rsolument ancr dansles traditions rudites de lhistoire de lAntiquit, se dprend luiaussi de ce quil nomme la thorie du tabou pour chercher ail-leurs lexplication de la sacert . Il y voit un mcanisme desanction dj connu, selon lui, des cultures indo-europennes. Ilsagirait de loffrande aux dieux des transgresseurs dune catgoriedtermine de normes, en gros celles qui tablissent des rapportsde supriorit, ou, pour mieux dire, de majestas, par exemple desparents sur les enfants, des patrons sur les clients, de la cit sur lecitoyen. Ne stant pas demble impos dans le champ profane, lerespect de ces grandeurs sociales aurait d se satisfaire longtempsdune sanction juridico-religieuse 15. En fait, ces thses nouvellesont en commun avec celles de lambivalence quelles entendenttoujours rsoudre le problme par lextension de la notion desacr. Faute dabsorber catgoriquement les contraires, du moins lesacr incorpore-t-il ici dans le premier cas la vie nue , dans lesecond ltat de sparation qui serait la consquence du man-quement la majestas. En outre, mesure que saccumulent lesessais dinterprtation, lhomo sacer devient un tre de plus en pluscomplexe : paradoxal et fascinant sujet de non-droit, protiforme force dtre inlassablement rinvent par la thorie. Sans cessertout--fait de faire cho ce que disaient de lui les Romains, lhomosacer en vient reprsenter un genre ou une espce redfinis a pos-teriori par le concept, comme le sont sinon lhomo sapiens ou lhomoerectus, en tout cas lhomo conomicus, juridicus, etc. Au total, de la sacert lhomo sacer, les latinismes artificiels ou reconstruitsfinissent par entretenir une confusion quasi permanente entre laquestion historique du sacer, telle quelle se pose en ltat de ladocumentation romaine, et les extrapolations quen ont dgages

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    14. G. Agamben, Homo sacer..., op. cit. (n. 9). sen tenir, dans cet essai, aux dveloppementsqui se rapportent aux donnes romaines et mdivales, on notera que lauteur dfinit le concept vie nue comme la vie tuable mais non sacrifiable , selon des termes emprunts Festus(texte cit ci-dessous, p. 563 et n. 70), mais quil explique mal pourquoi, pour rendre cette ide, lelatin serait pass par un adjectif qui, au premier abord, dnote lide oppose : sacrifiable par dfi-nition. Le paradoxe du sacer est dplac, mais non rsolu.

    15. R. Fiori, Homo sacer . Dinamica politico-costituzionale di una sanzione giuridico-religiosa, op. cit.(n. 1). Pour une critique systmatique de cette thse : Eva Cantarella, La sacert nel sistema origi-nario delle pene. Considerazioni su una recente ipotesi, dans Mlanges de droit romain et dhistoireancienne. Hommage la mmoire dAndr Magdelain, Michel Humbert et Yan Thomas (d.), Paris, LGDJ,1998, p. 47-71 ; critique que nous prolongeons ci-dessous, n. 42, p. 546, n. 65, p. 559, n. 73,p. 564, n. 88, p. 574, n. 104, p. 585.

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  • toutes sortes dapproches thoriciennes. Aussi bien la solution duproblme, peine pos, se trouve-t-elle dj dans les motsemploys pour en traiter.

    En outre, dans la romanistique contemporaine, la sacert afait tache dhuile. Une fois reconnue lexistence de la fusion primi-tive du sacr, du maudit et de lexclu, une fois tabli le concept, levoici mobilis pour rsoudre une srie de problmes dinterprtationque posent des textes difficiles du droit archaque. Tour tour, lacondition du voleur surpris la nuit par sa victime, du soldat dser-teur, celle du dfendeur dans la procdure des actions de la loi,voire celle de lauteur de tout serment (sacramentum) ou mme detout vu (votum), dont la parole ferait un sacer en puissance, oudautres encore, ont t assimiles la sacert . Sans entrer djdans ces questions, qui achvent dobscurcir le problme et sur les-quelles nous devrons revenir, pointons demble ce qui est notresens le nud de tous les malentendus.

    La principale faiblesse de la sacert nest pas quelle faitreconnatre dans le sacr des aspects ngatifs ct des positifs.Cest quelle conduit confondre, parmi les aspects ngatifs, mal-diction et proscription, en supposant que la seconde serait commeun degr suprieur de la premire. Les ides vagues de souillure, dedangerosit, d horreur sacre , servent ici de trait dunion pourun amalgame, lexamen inacceptable.

    Maldiction et proscription sont en ralit deux mcanismes pro-fondment diffrents. La premire voue le maudit une sanctiondivine, quelle abandonne aux puissances surnaturelles. La secondeconstitue par elle-mme une sanction humaine, puisquelle prtenddfaire lidentit sociale du proscrit, couper les liens qui lattachent ses biens, sa famille, sa cit. Proclamant limpunit dun meurtreventuel, elle cre lattente dune excution donne de maindhomme. La maldiction se prte des emplois multiples et varis.On conoit sans peine, en particulier, quelle puisse tre assortie deconditions et tourne contre son auteur mme. En cela, tout ser-ment comporte, selon la formule dsormais consacre, une auto-maldiction conditionnelle : le jureur ne fait valoir sa parole jurequen appelant sur lui la punition divine en cas de parjure. Enrevanche, il semble bien difficile de se reprsenter ce que pourraittre une autoproscription conditionnelle , qui en serait le paral-lle. Il faudrait imaginer quelque chose comme une dcision derenoncement au monde et de suicide ventuel, dont lexcutionserait abandonne un tiers indtermin et lie une conditiondont la survenance serait laisse lapprciation de lexcuteur. Leshistoriens qui paraissent accepter sans rticence une ide de ce

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  • genre ne peuvent la recevoir quen sabstenant de sarrter tant soitpeu attentivement lexamen de ses consquences.

    Pour ces raisons, les usages sociaux de la maldiction et de laproscription ne peuvent tre semblables. La maldiction est dunemploi frquent. travers le serment, elle est mme dune pratique sicourante quelle en devient banale. Elle sert alors crer et recrerdes rapports sociaux, soit en les confortant par des promesses jures,soit, dans le cas des serments judiciaires, en rparant les lsions derelations que les conflits ont compromises. linverse, la proscriptiondsintgre le lien social. Elle le rompt lgard du proscrit. Elle courtaussi le risque de le fragiliser lgard du groupe de ses parents, amis,affids, si ceux-ci, malgr la pression du pouvoir qui a prononc lacondamnation, venaient prendre sa dfense. Lusage de cette armeultime nest acceptable que sil est exceptionnel et, sil prserve lacohsion de ceux qui demeurent dans la norme. Cest pourquoi laproscription ne peut se concevoir quapplique des cas dune gra-vit particulire et un nombre limit dindividus.

    Quoi quil en soit, lassimilation de la proscription et de la mal-diction, travers lhorreur sacre, le tabou, la sacert, ou tout autreconcept, est reste jusqu prsent une des ides reues les plusrpandues et les moins discutes de lhistoriographie, mme chez lesauteurs rservs lgard de lambivalence du sacr16. Il nous fautcependant nous en dprendre rsolument. Sans doute proscriptionet maldiction peuvent-elles conjuguer leurs effets pour concourir la sanction des mmes normes. Mais elles ne se confondent pas pourautant. La question du sacer est bien de savoir pourquoi, dans lemonde romain, le sacr a servi nommer le proscrit, non le maudit.

    La piste que jenvisage dexplorer ici est trs diffrente de cellesqui ont t prospectes jusqu prsent. Ltude quon va lire faitsuite une srie dautres, dans lesquelles jai entrepris dappliquerau problme de la reprsentation de la norme et de lexclusion de lanorme dans les socits archaques les leons de lanthropologie dela parole. Lhypothse de travail est que, dans nombre de cultures,lordre juridique fut compris comme un rseau de paroles imp-

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    16. Aux auteurs dj cits (Alfred Ernout et Antoine Meillet, mile Benveniste, ClaireLovisi, etc.), y compris Huguette Fugier, Recherches sur lexpression du sacr..., op. cit., p. 235 ; RoberoFiori, Homo sacer..., op. cit., p. 214 s., on peut ajouter entre autres Jean Bayet, Appendice ldition deTite-Live, III, Paris, Les Belles Lettres, 1969, p. 147-148 ; John Scheid, La religion des Romains, Paris,Armand Colin, 1998, p. 25 ; Claude Nicolet, Le mtier de citoyen dans la Rome rpublicaine, Paris, Galli-mard, 1976, p. 141 ; Wolfgang Kunkel, Untersuchungen zur Entwicklung des rmischen Kriminalverfahrensin vorsullanischer Zeit, Munich, Bayerische Akademie der Wissenschaften, 1962, p. 108 (assimilationde la Sazertt une Selbstverfluchung). Mais il faudrait pour ainsi dire citer tout le monde, la distinc-tion de la maldiction et de la proscription ne stant jamais impose nettement ds qutaitaborde la question du sacer.

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  • rieuses, tandis quinversement la mise hors la loi se reprsentaitcomme une rupture, lgard du proscrit, de la communication parla parole. Sur cette base, on peut tenter de dchiffrer les codes de lapense symbolique qui ont donn leurs rituels et leurs noms tantaux figures du droit qu celles de ce non-droit o menait ladchance du statut de sujet. Dans un premier temps, jai reprislexamen du ban mdival, en tant quil sagit dune parole publiquegnratrice dordre, mais aussi en tant que le mme terme a fini pardsigner lexpulsion de cet ordre. travers le lexique du bannis-sement, ses rites, la figure symbolique du banni, celle aussi du fouque les donnes mdivales invitent rapprocher du proscrit, je mesuis efforc de montrer que lexclusion tait construite, figure etnomme comme une coupure de la communication verbale, sou-ligne en outre par la privation des capacits de locution et dcouteque la symbolique mdivale dniait au banni comme au fou17.Dans un second temps, jai fait retour au droit romain en remettantsur le mtier le vieux problme de ltymologie du mot ius. Javancequ lorigine le ius fut une parole jure, prononce dans le cadre duserment le plus solennel, celui qui supposait la concomitance de laparole du jureur et de laccomplissement du sacrifice. La dsigna-tion de la parole normative drive elle-mme du repas sacrificiel, dupartage de ces chairs bouillies que le latin nommait galement ius18.Il me reste prsent boucler le cycle avec la question romaine dusacer. Si la figure de la norme et celle du hors-la-loi sont bien deuxlments opposs et complmentaires dun mme systme symbo-lique, le dchiffrement de ce systme doit donner la fois la clef delune et de lautre.

    Aux termes de la thse que lon vient davancer, la reprsenta-tion de la parole imprieuse du ius a d se construire dans le rap-port du serment avec le sacrifice et le repas sacrificiel, cest--direavec des oprations que les Romains appelaient par excellence lessacra. Cest dans les relations de ces deux termes quil faut chercherla solution du problme. Or une telle dmarche entretient aveclenseignement traditionnel des linguistes un rapport qui, de ius sacer, sinverse. Dans le premier cas, lexicographes et tymologistesdistinguent un ius1 (le droit) et un ius2 (le jus de cuisson), entre les-quels ils ne voient pas de rapport en raison de lapparente incompa-tibilit des sens. Je me suis efforc de montrer au contraire que la

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    17. Robert Jacob, Bannissement et rite de la langue tire. Du lien des lois et de la faon dele dfaire, Annales HSS, 2000, p. 1039-1079 ; Id., Le faisceau et les grelots. Figures du banni et dufou dans limaginaire mdival, Droit et cultures, 41, 2001, p. 97-131.

    18. Robert Jacob, Jus ou la cuisine romaine de la norme, Droit et cultures, 48, 2, 2004, p. 11-62.

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  • pense symbolique avait form le premier sur le second. Dans leterme sacer, en revanche, les dictionnaires naperoivent quun seulmot, ce qui induit aussitt, vu la divergence des significations, lidedun sacr pour le moins trs polyvalent. On aurait pu avec autantde raison distinguer un sacer1 (sacr) et un sacer2 (proscrit). Le pro-blme est alors de comprendre comment la pense symbolique aconstitu le second sur le premier. Ce sera notre point de dpart. Ilimpose de commencer par rappeler les ides que les Romains pla-aient dans le sacr et celles quils jugeaient connexes ce quilsnommaient ainsi.

    AUTOUR DU SACR :TOPOLOGIE DES CHOSES ET DES GENS

    Pour les Romains, le sacr nest pas proprement parler unequalit divine que lon constate dans un tre ou une chose, mais unequalit que les hommes y mettent 19. Voil un point sur lequel sac-cordent tous les historiens du droit et de la religion. Est sacr quoique ce soit qui est attribu aux dieux , crit Macrobe (sacrum... quic-quid est quod deorum habetur : Sat. 3, 3, 2). Seule une dcision du peupleromain, explique Gaius, peut faire quune chose soit sacre. Cestpourquoi le temple dune cit trangre passe sous la domination deRome ne pourrait tre tenu pour sacr au sens propre, puisque ladcision du peuple romain fait en pareil cas dfaut, mais il lest seule-ment par analogie (Inst., 2, 7). En cela, il est indiffrent que lesRomains aient cru ou non, ou jusqu quel point ils ont pu croire,que les dieux venaient habiter leurs temples, leurs statues, leurs boissacrs, les sources, les routes et les montagnes qui taient dclarestelles. Nul na dailleurs jamais vu de prsence divine dans lanimaldestin au sacrifice, qui tait bien une res sacra. Lide de victimeconsacre (hostia consecrata) a fait sens pour un Romain, comme elledevait le faire plus tard pour un chrtien, mais ce sens tait profond-ment diffrent. De lun lautre, il y a tout lcart qui spare un sacrdaffectation dun sacr de prsence divine. Cest l une observationliminaire de consquence. Sans examiner si lune et lautre figure dusacr auraient eu les mmes titres lambivalence, il importe denoter que seule la premire, non la seconde, a fourni un vocabulairesusceptible dtre employ la dsignation du proscrit.

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    19. John Scheid, La religion des Romains, op. cit., p. 24.

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  • Pour la constitution des liens sociaux et des liens politiques, lesacr dtermine un centre. La centralit du sacr, plus prcismentmme de la victime du sacrifice, se donne voir avec clat dansliconographie des serments qui, dans lAntiquit grecque ouromaine, scellaient les traits entre les cits. Tel bronze de Colo-phon, qui clbre la formation de la ligue ionienne, figure les dl-gus des cits, main leve pour jurer, disposs en un cercle dont lecentre est occup par un buf debout ct dun autel fumant20. Rome et dans le monde italique, les monnaies frappes en rapportavec la conclusion des traits reprsentent toujours au centre la vic-time (un porc, dans ce cas) tenue par le sacrificateur, tandis que depart et dautre se tiennent, en symtrie, un nombre pair de guer-riers, de deux huit, qui incarnent les puissances allies21. Dans cesgrandes crmonies, le sacrifice tait associ un serment solennel,gnrateur de lalliance. Mais la position centrale du rite subsistaitmme lorsque le sacrifice ntait li aucun serment, en tout cas aucun serment explicite. La cit tout entire sordonnait autour deslieux o lon clbrait le culte public, tout comme lespace domes-tique sordonnait autour du foyer, o chaque repas prsentait unaspect sacrificiel puisquil faisait part aux dieux de la maison.

    En position de repre central dans les rituels politiques et domes-tiques, les choses et les actions sacres commandaient le plan mmede la ville. On sait que les jurisconsultes romains de lge classique,lorsquils sefforaient dlaborer une typologie des choses, les dispo-saient en cinq catgories : res sacrae, publicae, privatae, sanctae, religiosae.Que lon sen tienne celles qui ont nature dimmeuble, que lonmette en concordance la taxonomie cinq classes avec lordonnan-cement spatial de la cit, et il apparat aussitt que ces catgoriescorrespondent autant de cercles concentriques. Au cur de lurbs,la voie sacre et les temples procurent un noyau au sein duquel lefoyer de Vesta dfinit lui-mme un centre des centres. ces espacesaffects aux dieux viennent sagrger les lieux publics, le forumdabord, la voirie aussi, puis les sols privs des maisons particulires.Quant aux choses dites saintes ou religieuses , elles sont pri-phriques. Lexemple typique que donnaient les jurisconsultes dune

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    20. Reproduit par douard Cuq, Dictionnaire des antiquits grecques et romaines, v iusiurandum,p. 751.

    21. Michael Crawford, Roman Republican Coinage, Londres, Cambridge University Press, 1974,no 234 (137 av. J.-C.) ; Julius Friedlnder, Die oskischen Mnzen, Leipzig, 1850, pl. II, 10, IV, 2,IX, 9, 10, 12, X, 19 ; H.-Ferdinand Bompois, Les types montaires de la guerre sociale, Paris, 1873, pl. I,no1 5 ; cf. Carol Humphrey Vivian Sutherland et Robert Andrew Glindinning Garson, TheRoman Imperial Coinage, I2, Londres, Spink & Son, 1984, no 363-364 (traitement diffrent de lamme scne, dans laquelle le porc est figur au-dessus dun autel fumant, tandis que chacune despuissances contractantes est reprsente par un fcial voil).

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  • res sancta, ctait la ceinture des murailles et des portes qui bornait laville vers le dehors, celui dune res religiosa, les tombes groupes dansles cimetires qui se situaient hors les murs.

    Dans son ensemble, sinon en chacun de ses lments, ce dispo-sitif remonte au temps des rois, lacte de fondation de la villeselon le rite trusque. Les rites primordiaux dinauguration ontimpos un partage strict des espaces, dans lequel lenceinte de laville, et la ligne pomriale qui la redouble vers lintrieur, dfinis-sent lurbs la fois comme un lieu de vie et un territoire dmilita-ris. La mort en est exclue, les spultures y sont interdites et lescimetires rejets hors les murs. De mme que la mort, lactivitmilitaire et le port dquipement guerrier sont prohibs danslespace urbain. Larme victorieuse, lorsquelle reoit les honneursdu triomphe, ne peut pntrer en ville quen passant dabord sousun arc de triomphe qui la purifie et rend ainsi tolrable une intru-sion exceptionnelle. La saintet des murs et des portes rendsensible cette inviolabilit. Cest pourquoi on peut faire remonterau plus tard linauguration de lurbs la distinction typiquementromaine du sacr et du saint.

    Ces deux notions ont t labores partir de la mme racine*sak-, commune aux langues italiques, et probablement indo-europenne, dont la signification originelle ne nous retiendra pasici22. Du verbe sancire, construit avec linfixe nasal, on aurait puattendre quil signifie rendre sacr . Mais, dans cette acception,le latin lui a substitu deux verbes dnominatifs drivs de sacer,lun simple (sacrare), lautre compos (consecrare). De sens trs voi-sins, lun et lautre sont bien attests pour dsigner lacte de rendresacer, ce qui, compte tenu des significations de cet adjectif, conduit les traduire selon les contextes soit par consacrer (un temple),soit par proscrire (un dlinquant). Par opposition, sancire a dindiquer une opration diffrente, probablement celle qui consiste ajouter un lment sacr quelque chose qui ne lest pas et quireste donc intrinsquement profane. Dans la langue classique, leverbe ne semploie pour ainsi dire plus qu propos des normesjuridiques, des lois surtout. Il a dj les deux significations queconservent, avec son substantif sanctio, ses drivs franais sanc-tion et sanctionner : dune part, ratifier la norme par uneopration formelle, qui relve du rite et en cela touche au sacr ;dautre part, punir le transgresseur de la norme. Cependant, sonparticipe pass sanctus maintient un champ smantique plus large.

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    22. Sur cette question, cf. e.a. Huguette Fugier, Recherches sur lexpression du sacr..., op. cit.,p. 109 s.

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  • Il dsigne certes ce qui est sanctionn , dans les deux sens, doncconfirm par le rite et garanti par un dispositif de punition. Aussiles lois sont-elles dites sanctae. Mais lorsquil sapplique des objetscomme les murs de la ville, res sanctae, ou des hommes, commeles tribuns de la plbe ou les lgats du peuple romain, galementdclars sancti, il se dplace vers lide dinviolabilit. Cest pour-quoi les linguistes le traduisent en gnral par inviolable autitre de sens premier. Ce qui permet de sexpliquer lvolution ult-rieure du champ smantique, sensible ds lpoque classique, versce qui deviendra la saintet23.

    la distinction des choses sacres, publiques, prives, saintes,religieuses, lurbanisme fournissait des repres visuels prennes. Enmme temps, il alimentait la matrice dune typologie qui tendait absorber par assimilation toutes sortes de choses et de gens. Lesobjets mobiliers, les animaux, taient qualifis de sacrs, publics ouprivs, selon leur statut. Des incorporels, comme les lois ou les pro-cs, pouvaient tre publics ou privs ; certaines lois taient mmedites sacres (sacratae). Il ne faudrait pas prter ces rattachementsun souci de cohrence trop rigoureux, comme celui que les juristesde lge classique allaient sefforer dy mettre. Tantt, les usageslinguistiques dont tmoignent nos sources semblent suivre mcani-quement la logique de lappartenance ou de laffectation qui com-mande le systme. Ainsi, lequus publicus est le cheval entretenu parltat pour le service de la cavalerie, le publicus est lesclavepublic, etc. Mais, tantt, ils sen loignent. La publica est la courti-sane. Les murs de la ville, les lgats, les tribuns et les lois ne sontgalement dits sancti ou sanctae que parce que leur statut prsente descaractristiques communes qui les a fait rapprocher. Par ailleurs, cescatgories ont une vocation gnrale sexclure mutuellement. Unechose ne saurait tre la fois publique et prive. Mais il arrive quele langage courant les cumule et les combine sans rticence. Lessacra (sacrifices) peuvent tre publics ou privs ; lois sacres et loispubliques sont dites galement sanctae, sanctionnes . Dans la for-mation de ce systme de reprsentations, une pense axiomatiqueclassificatrice et les associations plus ou moins libres dune pensesymbolique se sont constamment entremles.

    Cest pourquoi dclarer un homme sacer pouvait relever de logi-ques assez diffrentes. Le proscrit ntait dailleurs pas le seul sevoir attribuer ce prdicat. Il arrive quelquefois que ladjectif subs-tantiv soit pris comme synonyme de sacerdos. Ainsi, le sacer Cereri, le

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    23. Sur tout cela, cf. Yan Thomas, De la sanction et de la saintet des lois Rome.Remarques sur linstitution juridique de linviolabilit, Droits, 18, 1993, p. 135-151.

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  • sacer Neptuno, cest le prtre de Crs ou de Neptune24. Usage moinsdroutant dans ce dernier cas, mais qui confirme que dire unhomme sacer, comme le dire publicus ou privatus, cest le situer dansun espace dtermin, lequel ne fait sens que par son inscriptiondans une distribution des espaces sociaux et les relations que chaquecatgorie y entretient avec toutes les autres. Aussi bien, suivant lesenseignements de lanthropologie structurale, le traitement dun l-ment comme la question du sacer ne saurait-il faire abstraction delensemble du systme qui donne cet lment sa pertinence.

    En outre, ces rflexions prliminaires conduisent rectifierquelque peu les termes du problme. La distinction nette que fai-saient les Romains entre le sacr et le divin, lartifice quils recon-naissaient dans le sacr attnuent ce quune ide comme celle de lasacralit du proscrit pouvait avoir au premier abord de paradoxal.Mais la part perdue de mystre reparat aussitt sous une autreforme. Pour penser lexclusion, les Romains nont pas projet leproscrit, comme on aurait pu sy attendre, vers le dehors, par-delles enceintes dont ils entouraient leurs espaces politique et domes-tique. Ils lont pens tout linverse. Ils lont class parmi les tres etles actions quils situaient prcisment lpicentre de lordonnan-cement de leurs rites, de leur ville et de leur vie sociale.

    DES NORMES SACROSAINTES :LE CHAMP DE LA PROSCRIPTION ET SES LIMITES

    Des normes juridiques romaines que lcrit nous a conserves,seules quelques-unes furent sanctionnes par la proscription. Elles seramnent pour lessentiel trois ou quatre groupes principaux. Ilsagit dabord des lois dites sacres que la plbe avait imposes lacit pour fixer son statut exceptionnel. la mmoire de ces lois, unetradition suspecte a ajout un dispositif similaire qui aurait tconu pour la sauvegarde de la forme rpublicaine de ltat. Vientensuite un petit groupe de textes lgislatifs, remontant peut-tre lapriode royale, dont les plus anciens en tout cas datent au plus tarddes premires dcennies de la Rpublique. Enfin, la pratique destraits conclus avec dautres cits a fourni elle aussi matire pros-crire pour sanctionner. Dans cet ensemble, cest indniablement le

    538 Robert Jacob

    24. Virgile, nide, 6, 484 et 9, 768 ; Ptrone, Satyricon, 89, 1 : Huguette Fugier, Recherches surlexpression du sacr..., op. cit., p. 21.

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  • rgime de la plbe et le droit des traits, au reste rgulirement rap-prochs lun de lautre par les Romains eux-mmes, qui fournissentla documentation la plus riche. Mais en dehors de ces cas, quta-blissent des tmoignages sans quivoque, le recours la proscriptionnest formellement attest nulle part. Cela na pas empch plusdun historien de supposer son existence larrire plan de telleloi, de telle procdure ou de tel rituel o rien ne prouve quelle setrouvait. Ces sacerts hypothtiques ne peuvent constituer pourlanalyse quune base fragile. En saccumulant, elles aboutissentmme compromettre les tentatives dexplication, car elles dilatentles contours de lobjet expliquer et en modifient dune manire oudune autre la substance. Telles sont les donnes dont il est indis-pensable de reprendre en synthse lexamen.

    Les lois sacres de la plbe

    Une quinzaine dannes aprs la chute des rois, la plbe fitscession sur une montagne que les plbiens consacrrent Jupiteret qui fut appele pour cela le Mont Sacr. Les insurgs en armesprocdrent des caerimoniae mystrieuses, dont nous ne savons rien,au terme desquelles ils se lirent par serment, se donnrent des tri-buns et jurrent de tenir pour sacer quiconque porterait atteinte ladignit de ceux-ci (493 av. J.-C.). De ce moment, les tribuns de laplbe furent tenus pour sancti et mme sacrosancti, ce quil faut com-prendre comme rendus inviolables (sancti) par le moyen dusacrum, cest--dire du sacr et/ou de la proscription (ablatif instru-mental). Telle fut la lex sacrata dite prima ou antiqua25.

    Cette loi allait servir de modle quelques autres. Ainsi, lesRomains tinrent pour sacre une lex Icilia, adopte ds lanne sui-vante (492), qui incriminait non seulement les actes de violenceaccomplis contre la sanctitas des tribuns, mais aussi les simples offen-ses verbales26. Une quarantaine dannes plus tard, au lendemainde la seconde scession de la plbe, une lex Valeria Horatia (449)confirma les dispositions prcdentes en dcrtant que quiconquenuirait aux tribuns de la plbe, aux diles et aux juges dcemvirs,

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    25. Tribunis vetere iure iurando plebis cum primum eam potestatem creavit, sacrosanctos esse :Liv. 3, 55, 10 ; cf. Id., 2, 3, 33 ; Nam lex tribunicia prima cavetur si quis eum qui eo plebei scito sacer sit,occiderit, parrricida ne sit : Festus, d. Lindsay, p. 422 ; Cicron, Pro Tullio, 20, 49, et De officiis,3, 31, 111, etc. Pour un aperu complet des sources et de lhistoriographie : Claire Lovisi, Contribu-tion ltude de la peine de mort..., op. cit., p. 28-36 ; sur la construction de ladjectif sacrosanctus : ibid.,p. 30, n. 136, et Huguette Fugier, Recherches sur lexpression du sacr..., op. cit., p. 230.

    26. Cicron, Pro P. Sestio, 37 (79) ; Denys dHalicarnasse, 7, 17.

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  • celui-l serait sacer lgard de Jupiter dans sa personne, tandis queses biens seraient dvolus au temple de Crs 27. Furent en outreconsidres comme sacratae deux lois de moindre importance, uneLex Icilia de 456 sur le lotissement de lAventin et une Lex sacratamilitaris de 342 sur le licenciement abusif des soldats par le gnral.Lune et lautre furent adoptes linitiative de la plbe et ellesrpondaient des revendications des plbiens, la premire dans larpartition des terres nouvelles, la seconde dans le partage du butin.Rien nindique quelles aient t spcialement garanties par laproscription, mais il est vraisemblable que toutes les lois qui consa-craient les intrts propres de la plble se soient vues absorbes danscette sacralit primordiale de la lex prima adopte sur le MontSacr28.

    Dans la mmoire des conflits du patriciat et de la plbe que nousa conserve la tradition, les lois sacres sont mises en rapport avecune srie dactes de violence perptrs ou envisags par les plbienscontre les patres. Il sagit, pour lessentiel, de mises en accusation demagistrats sortant de charge, depuis celle de Menenius Agrippa etde Coriolan au lendemain mme de la premire scession, ainsi quedexcutions sommaires dopposants aux tribuns, jusqu celle deSextus Lucilius (86 av. J.-C.)29. La vracit de ces rcits, incontr-lable, a t trs souvent mise en doute. En outre, le rapport entrelaction de la plbe et son ventuel fondement lgal ny est pas tou-jours patent. Il arrive cependant quil se dessine avec nettet.En 454, le tribun Icilius justifie la dcision dexcuter le licteur quelui ont envoy les magistrats en allguant les lois sacres 30.Lanne prcdente, les tribuns avaient mis en accusation les repr-sentants de trois gentes patriciennes, dont lopposition aux projets deloi agraire constituaient de leur point de vue une transgression deslois sacres. La plbe hsita entre la mort, lexil et la confiscationdes biens au profit du temple de Crs. Tout se passe comme si elleavait dans ce cas distingu, pour les disjoindre, les diffrentes com-posantes de la proscription. On se dcida en dfinitive pour la sanc-

    540 Robert Jacob

    27. Sanciendo ut sui tribunis plebis, aedilibus, iudicibus decemviris nocuisset, eius caput Iovi sacrum esset,familia ad aedem Cereris Liberi Liberaeque venum iret : Liv. 3, 55, 7. Il faut probablement rapprochercette disposition dune autre lex Valeria Horatia de mme date, qui, au rapport de Tite-Live(3, 55, 5), immunisait le meurtre de celui qui tenterait de crer une magistrature dont les dcisionsauraient t irrvocables.

    28. Liv. 3, 32, 7 et 7, 41, 4 ; Jochen Bleicken, Lex publica . Gesetz und Recht in der rmischenRepublik, Berlin-New York, W. de Gruyter, 1975, p. 88-96 ; Andr Magdelain, La loi Rome. His-toire dun concept, Paris, Les Belles Lettres, 1978, p. 58 s. ; Claire Lovisi, Contribution ltude de lapeine de mort..., op. cit., p. 29.

    29. Sources et historiographie, dans Claire Lovisi, Contribution ltude de la peine de mort...,op. cit., p. 35-36.

    30. Tous hierous propheromenos nomous : Denys dHalicarnasse, 10, 32.

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  • tion la moins lourde, la confiscation, ce qui permit dviter dexa-cerber le conflit prvisible avec les consuls31. En fait, dans tous lespisodes que nous livre lhistoire romaine, la rfrence aux loissacres et la proscription fonctionne comme une menace brandiepar la plbe pour dclencher ou pour peser sur des ngociationsavec le Snat et les magistrats, plus que comme la sanction courantede normes bien tablies.

    cette srie daffaires, on nous permettra dajouter le clbreprocs de Virginie. Rappelons-en le droulement, tel que la rap-port la tradition. Nous sommes en 450 avant notre re. Lesmagistratures ont t suspendues, tout comme le tribunat de laplbe. Le pouvoir a t entirement remis des dcemvirs qui pro-cdent la rdaction du code des XII Tables. Le dcemvir Appiussest pris dune jeune plbienne, Virginie. Ne pouvant la sduire,il la fait revendiquer pour esclave par son client Marcus Claudius.Lissue du procs est dautant plus prvisible que le juge nest autreque le dcemvir Appius lui-mme. Le jour de laudience, devant lacit entire rassemble au forum, Appius prononce une sentenceen faveur de lesclavage. Mais, au moment o les licteurs sappr-tent se saisir de la jeune fille, le pre de celle-ci, Virginius, quiprfre pour elle la mort la servitude, tire un couteau, la tue etprofre contre le juge une formule de proscription : Te, inquit, Appi,tuumque caput sanguine hoc te consecro : Par ce sang, je te dclaresacer, Appius, toi et ta personne physique [ta tte] (Liv. 3, 48, 5).Sensuit sur le forum une mle au terme de laquelle se produitla seconde scession de la plbe, qui dbouchera terme surlabolition du dcemvirat, le rtablissement des magistratures et dutribunat. Quant au dcemvir Appius, mis en accusation pour sesabus, il se suicida avant la fin de son procs. Il nest pas sans int-rt de noter que son accusateur, Virginius lui-mme, lavait cetteoccasion dclar hors la loi, exclu des lois et du pacte civil ethumain (legum expertem et civilis et humani foederis : Liv., 3, 57, 1). Enfait, lensemble de ce rcit sinscrit sur la trame des luttes du patri-ciat et de la plbe. Le fianc de Virginie ntait autre que lancientribun Icilius, celui qui avait impos quatre ans auparavant la lexIcilia de lotissement de lAventin. Lors de sa seconde scession, lespremiers tribuns dsigns par la plbe rvolte furent prcismentVirginius, Icilius et Numitorius, un oncle de la jeune fille qui avaitt galement engag dans son procs. La lgende tragique de Vir-ginie reproduit dans la chute des dcemvirs celle de Lucrce dansla chute des rois, mais elle constitue aussi une mise en rcit de

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    31. Denys dHalicarnasse, 10, 40-42.

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  • laffrontement des dcemvirs et des chefs de la plbe. Cest cecontexte quil faut rendre les mots et les gestes de lopposition deVirginius au procs de sa fille. Arrter le bras du licteur qui allaitprocder larrestation, ctait voquer lintercessio tribunicienne,qui donnait prcisment aux reprsentants de la plbe le droit defaire obstacle aux excutants des magistrats. Prononcer contre ledcemvir la formule de consecratio tait une allusion claire leurcapacit de proscrire. Tout dans laction de Virginius visait rendre manifeste que, conformment la loi organique du dcem-virat (Liv., 3, 32, 7), la suspension des magistratures et du tribunatnavait pas entran celle des leges sacratae de la plbe, qui demeu-raient vivantes. Ctait en mme temps un appel au retour lordre politique prcdent, qui allait se produire en effet, et celaau terme dune scession qui devait rpter jusque dans ses rites lascession premire de 493.

    Dans la formule lex sacrata, le participe du verbe sacrare confre la loi ainsi qualifie le double attribut dune norme qui, tout lafois, dclare sacer et qui est elle-mme tenue pour sacre. Le parti-cipe a une premire valeur, active comme tacitus, qui se tait ; iura-tus, qui a jur ; desperatus, qui dsespre, etc. : cest bien ainsi quelentendaient les Romains, qui dfinissaient de manire gnraletoute lex sacrata, romaine ou trangre, comme celle qui rendait sacerlventuel transgresseur, ainsi que sa famille et ses biens32. Mais cetteloi sacrante nen est pas moins en mme temps sacre : leparticipe conserve sa valeur passive, il situe la loi parmi les chosesassignes lespace sacr et donc soustraites lespace public. Cestpourquoi une telle loi nest pas la chose du peuple, qui ne pourraiten disposer. Les leges sacratae avaient pour caractrisque de ntre passusceptibles dabrogation33.

    Linsertion dans lordre juridique romain de normes aussiexceptionnelles, tant par leur source que par leur statut, parut pro-blmatique aux Anciens, comme elle lest encore aux Modernes.Plusieurs interprtations en ont t proposes. La premire, quiavait la faveur des Anciens, consiste voir dans les serments duMont Sacr non seulement ceux par lesquels se sont lis les pl-biens rvolts, mais aussi ceux qui ont ratifi un trait scellant larconciliation finale entre les rebelles et les patres. La figure de la

    542 Robert Jacob

    32. Sacratae leges sunt quibus sanctum est qui[c]quid adversus eas fecerit, sacer alicui deorum sicut familiapecuniaque : Festus, d. Lindsay, p. 422 ; cf. Liv. 4, 26, 3 ( propos dune loi italique) ; HuguetteFugier, Recherches sur lexpression du sacr..., op. cit., p. 232 s.

    33. Ce que note Tite-Live propos de la loi de lotissement de lAventin : ne lex Icilia de Aven-tino aliaeque sacratae leges abrogarentur (3, 32, 7) ; cf. Valerius Probus, 3, 13 ; Andr Magdelain, La loi Rome..., op. cit., p. 57-61.

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  • lex sacrata se ramne alors celle du foedus : ce serait une irruptiondu droit des traits qui crerait dans le droit interne un espacedexception34. On peut aussi penser que la norme, pose dabordpar les seuls plbiens, a fait ensuite lobjet dune rception danslordre juridique de la cit entire, rception accomplie selon desformes que lhistoire na pas conserves, ou mme rception impli-cite35. lappui de cette dernire thse, on pourrait avancer pr-sent les conclusions des recherches dAndr Magdelain, pour qui,jusqu la chute de la monarchie, populus, plebs et corps quiritairenauraient t en ralit quune seule et mme chose. Cest aprslavnement de la Rpublique, qui solde la dfaite des rois et lavictoire des patres, que ces derniers seraient entrs eux-mmes etauraient fait entrer progressivement leurs clients dans les curies,tendant ainsi leur profit la composition du populus36. De la sorte,lors de la premire scession de la plbe, quelques annes aprs lafin de la royaut, auraient pu encore coexister deux peuples, oudeux configurations concurrentes du peuple, lancienne et la nou-velle. La plbe insurge pouvait prtendre incarner en totalitlancienne, ce qui tait de nature donner lgitimit une loipose par elle seule et ce qui contribuerait expliquer dans sesformes le compromis du Mont Sacr. Au reste, la conscration parles plbiens de la montagne mme o ils staient runis atteste lavolont de reconstituer, hors les murs, le foyer central dune distri-bution symbolique des espaces civiques o la loi plbienne, siexceptionnelle quelle ft, se donnait pour close dans des represcoutumiers.

    En outre, on na pas assez soulign que la sacralit des lois de laplbe et la sacrosaintet de ses reprsentants prenaient sens gale-ment dans une distribution nouvelle des usages de la force. En subs-tituant au pouvoir royal celui de magistratures quils se rservaient,les patriciens staient empars de limperium et de la force publiqueconstitue autour des licteurs. Grce celle-ci, et aux procduresrgulires dont elle garantissait leffectivit, allait se dvelopper le

    La question romaine du sacer 543

    34. Tribunos... quos foedere icto cum plebe sacrosanctos accepissent : Liv. 4, 6, 7, tradition reprise parDiodore de Sicile, 12, 24-25, et Denys dHalicarnasse, 6, 89.

    35. Sur les diverses hypothses proposes : Claire Lovisi, Contribution ltude de la peine demort..., op. cit., p. 31-34.

    36. Contre lopinion traditionnelle, qui fait du patriciat le noyau originel du populus etque suit encore Jean-Claude Richard, Les origines de la plbe romaine. Essai sur la formation du dualismepatricio-plbien, Rome, 1978, p. 226 s., voir Andr Magdelain, Remarques sur la socit romainearchaque, dans Jus Imperium Auctoritas . tudes de droit romain, Rome, 1990, p. 429-451 ; Id., Lesuffrage universel Rome, ibid., p. 457 s. et surtout, du mme auteur, La plbe et la noblesse dansla Rome archaque, ibid., p. 471-495 ( Le populus est identifi avec la plbe... Le mot plebs lpoque monarchique nappartient pas encore au vocabulaire officiel, o il ne pntre que sous laRpublique avec les tribuni et le concilium plebis , p. 473).

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  • systme juridique et judiciaire du droit romain37. linverse, les tri-buns de la plbe nont pas limperium et ne disposent pas de licteurs. lgard de limperium, leurs attributions se dfinissent mme entermes dopposition : lintercessio est le droit de paralyser laction desexcutants ; lauxilium, celui de soustraire un individu une mesuredexcution, ce qui fait de la maison des tribuns un lieu dasile, dontles portes doivent toujours rester ouvertes38. Quant la facult deprononcer la consecratio, elle peut apparatre comme une contrepartie limpossibilit duser dautres formes de la sanctio. Faute duncorps stable dexcutants, les organes de la plbe ne purent formerdinstitution judiciaire permanente. Si lon voit de temps autrelassemble de la plbe sriger en tribunal, il sagit toujours duneformation irrgulire, quil faut constituer pour la circonstance etdont les dcisions ne peuvent tre excutes que par ses propresmembres. Les voies de la violence moyenne dun personnel spcia-lis lui tant inaccessibles, la plbe stait fait reconnatre la facultde recourir une violence extrme, qui ne pouvait tre que luvrede tous. Cest ce pouvoir dexception que dnotait la rfrence ausacr et au sacrosaint, bien distingus ici de lespace, proprement public , des rouages ordinaires de la loi et de la iurisdictio. Labrche ainsi ouverte dans le monopole des magistrats sur la violencecoercitive fut le prix payer pour instaurer entre patriciens et pl-biens un quilibre dlicat, qui subsista jusqu la fin de la Rpu-blique. De la sorte, le statut de la plbe devint le conservatoiredun rapport archaque de la norme la sanction, qui contribue expliquer que les Romains en aient gard une mmoire vive endpit de lvolution de leur droit. On aimait rappeler lhistoire,vraie ou fausse, de ce Caius Veturius, mis mort parce quil avaitmanqu cder le pas un tribun de la plbe39. Lorsque les empe-reurs runirent en leur personne toutes les fonctions de commande-ment politiques, on se souvenait que la puissance tribunicienne leurconfrait le droit de faire excuter sans jugement lauteur de toute

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    37. Lhistoire de la constitution dune force publique et son rle dans lvolution de la proc-dure judiciaire est un des domaines les plus fcheusement dlaisss de lhistoriographie juridique :Robert Jacob, Le procs, la contrainte et le jugement. Questions dhistoire compare, Droit etcultures, 47, 2004-1, p. 13-34 ; Id., Licteurs, sergents et gendarmes. Pour une histoire de la main-forte, dans Entre justice et justiciables : les auxiliaires de la justice du Moyen ge au XXe sicle, Claire Dolan(d.), Qubec, Presses de lUniversit Laval, 2005, p. 37-54.

    38. Thodore Mommsen, Le droit public romain, trad. fran., 1892, I, p. 162 s. ; II, p. 12 ; III,p. 323 s. Tout en relevant en outre (I, p. 165 s.) que les tribuns de la plbe nont pas la vocatio,cest--dire la facult dadresser des ordres par lintermdiaire dexcutants, donc quil leur fautcommuniquer en personne avec le destinataire de leur injonction, Mommsen sous-estime encore notre avis (notamment, I, p. 19 s.) la diffrence des formes de la coercition qui relvent respective-ment de limperium des magistrats patriciens et de la potestas des tribuns.

    39. Plutarque, Caius Gracchus, 3.

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  • offense, ft-elle purement verbale40. Dans lhistoire de Rome, laconstitution de la plbe fut le principal point dancrage dune cer-taine ide de la sacralit dhommes ou de rgles, indissociable dudroit de proscrire.

    Le salut de la Rpublique

    Sil faut en croire la tradition, le statut de la plbe aurait cepen-dant t prcd, sur ce point, par des dispositions adoptes ds lachute des rois, qui auraient vis prserver la forme rpublicaine deltat. En lan 1 de la Rpublique (508 av. J.-C.), on rapporte que lepeuple sengagea par serment ne plus tolrer lavenir de gouver-nement monarchique. Valerius Publicola (l ami du peuple , oudu public, ou de la Rpublique) fit aussitt adopter une loi frap-pant de proscription, dans sa personne et dans ses biens, quiconqueenvisagerait doccuper la fonction royale (sacrando... cum bonis capiteeius qui regni occupandi consilia inisset)41. Lapplication de cette loi pour-rait tre illustre par le destin de trois prtendus affectatores regni :Spurius Cassius, accus daspirer la monarchie, qui fut condamnen 485, tu par son propre pre et dont les biens furent consacrsau temple de Crs ; Spurius Maelius, inculp du mme chef en 439et abattu alors quil tentait dchapper une arrestation, dont lesbiens furent galement saisis par ltat ; enfin, Manlius Capitolinus,lui aussi suspect dambitions monarchiques et prcipit par les tri-buns de la roche tarpienne en 385. En fait, dans les trois pisodes,laccus stait alli la plbe, le premier dans la prparation duneloi agraire, le second par de gnreuses distributions de bl, le troi-sime loccasion dun projet de lgislation sur les dettes. Dans cedernier cas, les plbiens avaient dabord exig la libration delaccus, avant de se retourner contre lui dans des circonstances obs-cures. Lhistoriographie officielle de la Rpublique de Rome a cons-truit le rcit de ces pisodes comme le pendant des procs et excu-tions sommaires dcids, en sens inverse, par les plbiens contreleurs adversaires. Cest pourquoi la plupart des historiens suspectentdavoir t forg de toutes pices lacte initial, serment des fonda-teurs de la Rpublique puis lex Valeria Publicola, qui calque exacte-ment la gense des lois sacres de la plbe, serment des plbienspuis confirmation par la lex Icilia. La lex Publicola est probablementun apocryphe imagin par lannalistique pour confrer rtrospecti-

    La question romaine du sacer 545

    40. Dion Cassius, 53, 17, 9.41. Liv. 2, 8, 2 ; cf. Ibid., 2, 2 et Plutarque, Publicola, 12, 1.

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  • vement la constitution rpublicaine un fondement qui ne partpas infrieur, sur le plan symbolique, celui de la constitution de laplbe42.

    Des lois dites royales et de quelques autres

    Les lois dites royales, leges regiae, forment, avec les lois sacres dela plbe, le second grand groupe de prescriptions lgislatives quirecourent la mise hors la loi. Ces lois, que la tradition attribuaitaux rois, sont en ralit des apocryphes forgs et transmis par lespontifes, dont on ne sait si elles refltent vraiment le droit le plusarchaque ou sil sagit de versets forgs aprs la Loi des XII Tablespour en complter larsenal normatif.

    Parmi celles qui fulminent la proscription, voici dabord un petitcode du patronage attribu Romulus. Denys dHalicarnasse, quinous la conserv, prcise que le contrevenant tait impunment mis mort comme victime (thuma) de Zeus Katachtonios (2, 10, 3).Ce texte fait cho au verset dj cit de la Loi des XII Tables, quiincrimine le patron seul : Patronus si clienti fraudem fecerit, sacer esto(8, 21). En fait, on peut se demander si ce verset appartient bien auxXII Tables ou si Festus, qui nous la rapport, na pas commis uneconfusion avec les lois royales. Il est douteux que les rapports entrepatron et client aient fait partie des matires dvolues la comp-tence des rdacteurs des XII Tables, alors que les lois royales sen sont, lvidence, saisies. Elles ont pu construire la protectiondes clients sur le modle de celle des plbiens. Emportent gale-ment la proscription dautres leges regiae, qui touchent au droit fami-lial. Dans un passage dont linterprtation est controverse, Plu-tarque attribue Romulus une loi prescrivant d immoler auxdieux infernaux le mari qui vendrait sa femme. Plus prcise est lacitation par Festus dune autre loi dite de Servius Tullius : si parentempuer verberit, ast olle plorassit parens, puer divis parentum sacer esto : si un

    546 Robert Jacob

    42. Pour le dossier documentaire et ltat de lhistoriographie : Claire Lovisi, Contribution lhistoire de la peine de mort..., op. cit., p. 26 s., 54 s. ; en faveur de la falsification : Jochen Bleicken, Lexpublica..., op. cit., p. 89-90 ; Andr Magdelain, De la royaut et du droit de Romulus Sabinus, Rome,LErma di Bretschneider, 1995, p. 127 ; contra : lopinion isole de Roberto Fiori, Homo sacer...,op. cit., p. 340-361, favorable lauthenticit, tout en concdant, ce dont chacun convient,quaucune certitude absolue nest possible. Malgr le long chapitre consacr par Roberto Fiori laffectatio regni (p. 325-478), chapitre central de sa thse puisque destin montrer que la sacert sanctionne la maiestas populi, force est de constater que la documentation relative tousceux qui, dans lhistoire romaine, furent accuss de prtentions monarchiques comporte assez peudindications qui voquent prcisment une proscription proprement dite. Toutes les donnes sus-ceptibles dtayer cette hypothse ont t mentionnes ci-dessus.

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  • enfant frappe un parent et que ce parent lve une plainte, quelenfant soit sacer lgard des dieux des anctres ! Enfin, une loiattribue Numa met hors la loi celui qui dplacerait une borne :Statuit Numa Pompilius, crit Festus, eum qui terminum exarasset, et ipsum etboves sacros esse : lauteur de linfraction et son attelage sont en mmetemps dclars sacrs . Denys dHalicarnasse croit bon dajouterque le transgresseur serait, dans ce cas, vou Jupiter Terminalis etpourrait tre tu par le premier venu43.

    Ces lois ne sont pas les seules qui aient t promulgues peinede proscription. Festus cite une autre loi de Numa fulminant un Iovisacer esto contre lauteur dun dlit qui nest pas davantage prcis. Enoutre, une des plus anciennes inscriptions latines, sinon la plusancienne, dite du Lapis Niger (CIL I2, 1), porte la fin de la premireligne et au dbut de la seconde un sakros esed que lon comprend engnral comme un sacer esto. Malheureusement, ces informations frag-mentaires sont inutilisables, les tentatives de reconstitution des infrac-tions ainsi punies, si intressantes soient-elles, tant hypothtiques44.Plus pertinentes sont les mentions en dehors de Rome, parmi les peu-ples dItalie, de leges sacratae, cest--dire de lois sanctionnes par laproscription. Ctait le cas des lois de mobilisation de troupes avantlentre en campagne. Elles dclaraient sacer le guerrier qui ne rpon-drait pas la convocation. Cette pratique est donne pour rgulirechez les trusques, les ques et les Volsques. Elle fut aussi adopteexceptionnellement par les Samnites lors de la campagne de 293,dans des circonstances sur lesquelles nous reviendrons45.

    Le droit des traits

    Que les lois sacres aient t en usage hors de Rome, que lestermes de la famille de sacer se rencontrent avec le mme registre designifications dans les langues italiques46, tout cela suggre que laproscription et son lexique participaient dune culture commune tous les peuples de lItalie antique. Aussi ne saurait-on stonner de

    La question romaine du sacer 547

    43. Les sources principales sont respectivement Plutarque, Romulus, 22, 3 ; Festus, d. Lind-say, p. 260 et 505 ; Denys dHalicarnasse, 2, 74, 3 ; sur lensemble de ces textes, la critique histo-rique et ltat de lhistoriographie : Claire Lovisi, Contribution ltude de la peine de mort..., op. cit.,p. 14-23 ; Roberto Fiori, Homo sacer..., op. cit., p. 179 s.

    44. Renvoyons de nouveau ltat de la question tabli par Claire Lovisi, Contribution ltudede la peine de mort..., op. cit., p. 16 et 23-24.

    45. Lege sacrata quae maxima apud eos vis cogendae militiae erat dilecto habitu... : Liv. 4, 26, 2 ; Etruscilege sacrata coacto exercitu... : Liv. 9, 39, 5 ; pour les Samnites en 293 av. J.-C., voir le texte cit ci-dessous, n. 61.

    46. Huguette Fugier, Recherches sur lexpression du sacr..., op. cit., p. 108 s.

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  • les retrouver dans le droit des traits passs entre les cits, ce droitquavant de lappeler droit des gens (ius gentium) les Romains nom-mrent le droit fcial ius fetialium ou ius fetiale, du nom des fetia-les ou fciaux, les prtres qui faisaient office de porte-parole des citsdans les relations internationales.

    La premire source est ici le plaidoyer de Cicron dans le procsintent Balbus. Balbus, originaire de Gads, avait reu la citoyen-net romaine des mains de Pompe, lequel agissait lui-mme envertu de lhabilitation que lui confrait une lex Gellia et Cornelia.Laccusation, que lon restitue travers la plaidoirie de Cicron, fai-sait grief Balbus davoir reu le droit de cit en dpit dun traitliant Rome Gads. Ce trait aurait eu pour effet dinterdire letransfert de citoyennet dune cit lautre et aurait rendu cetteinterdiction sacrosainte , cest--dire non susceptible dtre car-te par une loi romaine ordinaire. Rpondant pour la dfense, Cic-ron ne contestait pas que certains traits conclus par Rome avec desallis eussent en effet comport pareille interdiction. Il ne niait pasdavantage que, pourvu que le peuple ou la plbe en eussent dcidainsi, une rgle, pose ou non par trait, pt tre sacrosainte, soitpar elle-mme (ex genere ipso), soit en vertu dune disposition expressede la sanction dclarant sacer toute personne qui agirait sonencontre47. Mais il soutenait que le trait liant Rome Gads necomportait pas de telle clause. Il en concluait que la lex Gellia et Cor-nelia, qui ne faisait elle-mme aucune rserve explicite pour le cas oelle aurait contredit une disposition sacrosainte , avait donnau dcret de naturalisation un fondement juridiquement incontes-table. Les indications du Pro Balbo sont sur ce point confirmes etclaires par un fragment du jurisconsulte Valerius Probus ainsi quepar des lois romaines portant des mesures relatives des cits tran-gres et conserves par lpigraphie. Ces lois comportaient uneclause de style rservant lapplication ventuelle de normes sacro-saintes 48. De lensemble de ces informations, on peut infrer que lapratique des traits connaissait des clauses, dites sacrosaintes , quise signalaient par les mmes caractristiques que les leges sacratae dela plbe. Elles taient dune part sanctionnes par la proscription,

    548 Robert Jacob

    47. Primum enim sacrosanctum esse nihil potest nisi quod populus plebesve sanxit, deinde sanctionessacrandae sunt aut genere ipso aut obtestatione et consecratione legis aut poenae, cum caput eius qui contra feceritconsecratur : Cicron, Pro Balbo, 33.

    48. La rserve Si quid sacri sancti est, quod non iure sit rogatum, eius hac lege nihil rogatur (ValeriusProbus, 3,13) se retrouve par exemple dans la loi latine de Bantia (Dinu Adamesteanu et MarioTorelli, Il nuovo frammento delle Tabula Bantina, Archeologia Classica, 21, 1969, p. 4, 132-117av. J.-C.), et dans la lex Gabinia de Delo insula (CIL, I2, 2500, 58 av. J.-C.) ; cf. Andr Magdelain, Laloi Rome..., op. cit., p. 60 s.

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  • dautre part soustraites laction du lgislateur ordinaire qui, nepouvant ni les abroger ni les modifier, devait en rserver lapplica-tion prioritaire.

    Le rgime des traits remontait des temps trs anciens. Attestesdepuis le IVe sicle avant notre re, les proscriptions de droit fcialfournissent au dossier historique du sacer quelques-unes de ses picesles plus riches dinformation. Lhistoire romaine a gard un souvenirprcis des sanctions qui attendaient ceux qui avaient commis ou com-mand des actes tenus pour contraires aux traits. En 322, au lende-main dune svre dfaite contre les Romains, les Samnites attribu-rent leur infortune la punition divine qui sattachait une guerreentreprise par eux contra foedus. Ils cherchrent des coupables. Ils dsi-gnrent un certain Brutulus Papius, qui les avait pousss la guerreet qui, se sachant condamn, prfra mettre fin ses jours. Les Sam-nites livrrent aux Romains, outre le butin et les prisonniers, le corpsde Brutulus et aussi ses biens, dont ils voulaient se dfaire pour querien ne demeurt chez eux de la souillure de sa faute (ne quid excontagione noxae remaneret penes nos). Les Romains acceptrent la restitu-tion des captifs et du butin, mais refusrent la ddition du surplus(Liv. 8, 39 ; 9, 1). Cest l lexemple le plus ancien dune ddition lennemi, mort ou vif, de celui que lon considrait comme le trans-gresseur du droit des traits. Il inaugure une copieuse srie decitoyens et de magistrats romains qui subirent le mme sort pour lesmmes raisons. taient passibles dune telle ddition le lgat dupeuple qui portait les armes contre un tranger contra ius gentium, pen-dant une mission de ngociation (Liv. 5, 36, 8), ou encore celui quifrappait lambassadeur dune puissance trangre (Liv. 38, 42, 7). Lesjuristes de la priode classique, suivant une jurisprudence tablie dsla fin de la Rpublique, tenaient toujours la ddition de lauteur detelles voies de fait pour la sanction normale de son geste en droit desgens49. tait galement menac de la mme sanction le chef de guerrequi avait conclu avec lennemi un acc


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