LA SCIENCE ÉCONOMIQUE CONTEMPORAINE (1 …...2020/03/03 · l’Europe pour les Etats-Unis –...

LA SCIENCE ÉCONOMIQUE CONTEMPORAINE (1E

PARTIE)La synthèse néoclassique aux Etats-Unis, MIT et

l’Ecole de Chicago

Yann GIRAUD, Histoire de la Pensée Economique, Université de Cergy-Pontoise 1

Comment l’économie a changé en trente ans

■ “The Banking Act of 1933”■ “The British Exchange Equalization

Account”■ “Speculation and the Growing

Instability of Stock Prices”■ “French Import Quotas”

■ “Engineering Estimates of Capital-Labor Substitution in Metal Machining”

■ “An Econometric Growth Model of the United States”

■ “Labor Mobility, Resource Allocation, and Structural Unemployment”

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American Economic Review, 1933,issue 4.

American Economic Review, 1963,Issue 4.

Transformation de l’économie en science de la modélisation■ Comme on le voit les articles universitaires publiés dans les années 30 étaient encore

très descriptifs : « la loi sur les banques de 1933 », « les quotas à l’importation en France », etc.

■ On va peu à peu s’acheminer vers une science économique qui n’est plus un discours sur le monde économique mais sur des outils : « un modèle économique de la croissance aux Etat-Unis », « un estimateur technique de la substituabilité du capital au travail dans l’industrie du métal », etc.

■ Faire de l’économie, c’est d’abord développer des outils : modèles théoriques et économétriques, et débattre sur la pertinence du modèle pour expliquer le monde économique ou faire de la prévision.

■ L’historienne Mary Morgan parle de l’économie devenue une science de l’ingénieur. – “The economics profession came to rely on a certain precision of representation of

the economic world, along with techniques of quantitative investigation and exact analysis that were alien to the experience of 19th century economics, when the extent of such technologies were extremely limited”(Morgan 2003, p. 276).


Qu’est-ce qu’un modèle ?■ Cela ne signifie pas uniquement la mathématisation.

– On peut utiliser des mathématiques sans penser en termes de modèle (par exemple, le calcul du surplus par les ingénieurs français)

– On peut penser en modèles sans s’exprimer avec des mathématiques (une partie de la Théorie Générale de Keynes)

■ Mais alors qu’est-ce qu’un modèle ?– C’est un pas de côté fait par rapport à la réalité– C’est une simplification réalisée à travers une série

d’hypothèse– Mais il y a différents types de modèles avec différents degrés

de sophistication et de mathématisation■ Exemple : le modèle ISLM ou les représentations de l’économie

sous la forme d’une machine hydraulique (machine de Phillips)


Même la définition de l’économie va évoluer■ John Stuart Mill (1844).

– « la science qui décrit les phénomènes de société qui se produisent du fait des opérations conjointes de l'humanité pour la production de richesses, en tant que ces phénomènes ne sont pas modifiés par la recherche d'un autre objet »

■ Lionel Robbins (1932).– « étude du comportement humain en tant que relation entre des fins et des moyens rares à usages

alternatifs »

■ Pour Mill et la plupart des économistes du 19e siècle, l’économie étudie un domaine particulier de la vie.– Cela veut dire qu’il y a des activités qui sont économiques (par exemple, la production, échange de

biens et services) et il y a des activités non-économiques (le mariage, l’éducation, la santé).

■ Pour Robbins, l’économie étudie un certain type d’attitude (celle qui consiste à maximiser) qui peut s’appliquer à de nombreux domaines, dès lors que la notion de rareté y est présente.

– On peut traiter le mariage, l’éducation et la santé comme un problème économique, dès lors qu’on le voit comme un choix sous contrainte.


Comment la science économique en est-elle arrivée là ?■ Entre 1930 et 1960 (approximativement), il y a eu:

– Une nouvelle génération d’économistes plus avancés techniquement parlant et ayant pris le pouvoir

– Des changements dans le monde universitaire, dans la façon dont on a formé les économistes.

■ Plus importante encore dans ce processus est la manière dont la science économique s’est intégrée dans une technostructure

– Suite à la Grande Dépression et à la Seconde Guerre mondiale, les États souhaitent prendre le contrôle des économies (fin du “laissez-faire”)

– Les économistes deviennent des experts auprès des gouvernements et des organisations supranationales (FMI, Banque Mondiale, UNESCO, OCDE, etc.). Ils deviennent des ingénieurs sociaux.


LA NAISSANCE D’UN « MAINSTREAM »

Comment la science économique se consolide


Les facteurs contribuant à l’émergence du mainstream ■ Ils sont nombreux mais on peut citer quelques éléments principaux

– Une synthèse entre théorie néoclassique et keynésienne– Emergence de nouveaux financements pour les sciences économiques– Mathématisation accrue du savoir économique, émergence de nouveaux

standards de vérité– Collaboration accrue entre économistes, mathématiciens, ingénieurs, et autres

chercheurs en sciences sociales notamment dans le domaine militaire (guerre froide)

– Américanisation de l’économie, suite à la migration massive de chercheurs américains aux États-Unis


Que veut dire la mathématisation de l’économie ?

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■ Nous avons vu que pour les économistes du 19e siècle, l’économie est mathématique car elle a rapport avec des faits quantifiables

– Par exemple, les gains à l’échange de Ricardo■ Ce qui change au début du 20e siècle

– Les mathématiques ne sont plus un simple « outil » de quantification.– Ils deviennent un langage de formalisation (ils sont utilisés comme argument, comme dans

le langage verbal)– Il va y avoir un accroissement de la sophistication des mathématiques

■ Tension entre deux formes de rigueur en économie– Est-ce qu’un argument est rigoureux par ce qu’il correspond à des faits observables (est-il

conforme aux données) ? standard externe– Ou est-il rigoureux parce qu’il se conforme aux plus hauts standards de cohérence

mathématique ? standard interne


Wiley Miller

De nouvelles sources de financement■ Les années 30 sont marquées par l’émergence de fondations

philanthropiques, lesquelles vont contribuer à financer massivement la recherche en sciences économiques.

■ Quelques exemples– La fondation Rockefeller (créée dans les années 20)– La fondation Alfred P. Sloan (créée en 1934)– La Cowles Foundation (créée en 1932)

■ Certaines financent des projets dans toutes les sciences sociales mais les fondations Sloan et Cowles sont créées dans le but explicite de financer la recherche et l’enseignement dans les sicences économiques

– La Fondation Cowles va financer l’émergence de l’économétrie : une nouvelle discipline qui vise à promouvoir une approche rigoureuse et théorique de la statistique.

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L’émigration des chercheurs européens aux Etats-Unis■ A grand nombre d’économistes vont quitter

l’Europe pour les Etats-Unis– Soit parce qu’ils sont Juifs– Soit pour des raisons économiques, ils ne

trouvent pas de poste en Europe

■ Ils vont exporter le keynésianisme et l’économie mathématique aux Etats-Unis

■ Quelques exemples : – Abba Lerner (1903-1982)– Oskar Lange (1904-1965)– Tjalling Koopmans (1910-1985)– Jacob Marchack (1898-1977)

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Changements dans les standards de publication ■ Il y a trois journaux majeurs dans les années 20 aux Etats-Unis

– Le Quarterly Journal of Economics, le Journal of Political Economy, l’American Economic Review.

– Dans les années 20, ils publient principalement des études descriptives– En Angleterre : l’Economic Journal et Economica.

■ Deux nouveaux journaux sont créés (en 1933).– Econometrica (créé par la Société d’économétrie, financée par Cowles)– Review of Economic Studies (créé par trois jeunes économistes de la LSE).

■ Assez marginaux à leur création, ils finiront pourtant par fixer les standards de qualité dans la discipline (modèles mathématiques et économétriques)

– A partir de cette période, les avancées en science économique ne seront plus publiées dans des livres mais dans des articles de recherche.

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Qu’appelle-t-on précisément le mainstream ?■ On parle de nouvelle approche néoclassique d’après-guerre

– Un élément important est la « synthèse néoclassique » effectuée par les économistes du MIT et de Harvard (synthèse entre Keynes et Walras)

– Certains sont plus proches de la tradition néoclassique de Marshall, comme les économistes de l’Ecole de Chicago

■ Deux phénomènes sont propres à l’après-guerre – Des mathématiques de plus en plus sophistiquées sous l’influence de

mathématiciens européens tels que John von Neumann (1903-1957)– L’adoption du cadre d’analyse de l’équilibre général (approche walrasienne) et la

création de grands modèles économétriques (Cowles). ■ Même si toute cette science économique n’est pas totalement unifiée, elle partage des

traits communs.


Quelques traits communs (1)

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■ L’aversion pour les conceptions marxistes de l’économie– Même ceux qui sont favorables à la planification rejettent les notions d’exploitation

ou de matérialisme dialectique– Les questions d’inégalités et de distribution des revenus sont laissées de côté

■ La décision rationnelle et la concurrence pure et parfaite sont centrales– Même ceux qui pensent que les agents économiques souffrent d’irrationnalité ou

que les marchés sont défaillants utiliseront toujours la CPP et la rationalité de l’agent comme références incontournables de la théorie

– Certains concepts sont centraux : l’équilibre de marché et l’optimum de Pareto.■ Est optimale toute situation dans laquelle on ne peut améliorer la situation d’un agent

économique sans dégrader celle d’un autre. ■ Un équilibre de marché en CPP est un optimum de Pareto

Quelques traits communs (2)

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■ L’économie est une science déductive– La méthodologie de l’économie s’inspire des idées de Karl Popper (1902-1994)

■ On invente des théories qu’on va ensuite « tester » contre des faits empiriques afin de voir si elles sont invalidées

– Les mathématiques sont toujours utiles ■ Divergence sur le type de mathématiques qu’on va utiliser (niveau de complexité) mais personne ne

critique l’usage des mathématiques en soi

■ Une certaines attitude scientifique– Division entre l’économie positive et l’économie normative

■ La théorie économique est une construction intellectuelle qui existe indépendamment des idéologies (positif) et ensuite il est possible de l’appliquer à des situations réelles en tenant compte de paramètres politiques (normatif)

– Allégeance à la standardisation ■ Il faut être approuvé par ses pairs, publier dans les meilleures revues (classement)■ Un bon économiste se reconnaît à la qualité de ses publications, pas à ses idées

■ Malgré cela, il y a des divergences. On distingue trois approches.

Trois écoles néoclassiques

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Cowles Commission École du MIT École de Chicago

Méthode d’investigation

Modèles théoriques et empiriques sophistiqués

Petis modèles mathématiques avec des applications pratiques

Modèles simples, peu sophistiqués

Influences européennes

L. WalrasJ. Von Neumann

J. M. KeynesJ. Schumpeter

A. MarshallF. A. Hayek

Attitude scientifique

L’ingénieur L’expert L’intellectuel

Point de vue sur la politique économique

Plannification Intervention de l’Etat si nécessaire

Laissez-faire et néolibéralisme

Principaux représentants

T. KoopmansJ. MarschakK. Arrow

P. SamuelsonR. SolowJ. Stiglitz

G. StiglerM. FriedmanG. Becker

L’ECOLE DU MITPaul Samuelson, Robert Solow et l’interventionnisme modéré


L’Ecole du MIT : une évaluation quantitative■ Le « Prix Nobel » d’économie

– Le Prix de Sciences Economiques en l’honneur d’Alfred Nobel, attribué par la Banque de Suède depuis 1969.

– 19 de ceux qui l’ont reçu sont d’anciens étudiants ou enseignants de MIT– C’est plus de 25 % des récipiendaires

■ La médaille John Bates Clark– Elle est donnée chaque deux ans depuis 1947 à un économiste de moins de 40 ans

travaillant dans une université américaine– 16 ont étudié ou enseigné au MIT– Cela fait 40 % du total

■ Paul A. Samuelson (1915-2009) a remporté la première médaille JBC et aussi le premier « Nobel » attribué à un Américain (en 1970)

– Rôle central dans la création et dans le prestige de l’Ecole du MIT


Paul A. Samuelson■ Il représente l’économiste mainstream typique de la

seconde moitié du 20ème siècle.– Auteur du principal manuel d’économie Economics

(1948), et d’un ouvrage central dans la promotion de l’économie mathématique, Foundations of EconomicAnalysis (1947).

– L’économiste Kenneth Boulding a écrit en 1971 “Après Samuelson, qui a encore besoin d’Adam Smith ?”. L’historien Roger Backhouse le qualifie de fondateur de l’économie moderne.

– Samuelson n’était pas humble. Il pensait être le meilleur économiste de sa génération.

■ Sa position peut-être qualifié de « middle of the road »– Sa méthodologie et ses idées sur la politique sont

nuancées. – Sa contribution est une tentative de synthétiser et

unifier a théorie économique.


Le jeune Samuelson■ Il naît en 1915 dans une famille juive de l’Indiana, son père est

commerçant. – C’est un enfant précoce et un très bon lycéen, doué en

mathématiques et avec un goût pour la littérature et l’histoire.– Entre à l’université de Chicago en 1932 (il a 17 ans)

■ A Chicago, éducation pluridisciplinaire (histoire, sciences sociales, économie)

– Découvre l’économie avec Frank Knight– Côtoie Milton Friedman (légèrement plus âgé que lui)– Chicago est connue pour ses idées libérales en économie

■ Remise en cause de son libéralisme :– Les conséquences de la crise de 1929– Entrée à l’université de Harvard en 1937 avec une bourse

prestigieuse.


Trois figures importantes à Harvard

■ Joseph Schumpeter– Celui-ci va le pousser à s’intéresser à la question des fluctuations et des cycles économiques et lui

donner une sensibilité pour l’histoire de la pensée économique.

■ Alvin Hansen– Le « Keynes américain » (cf. cours précédent). Il va influencer Samuelson dans sa vision de la

politique économique : rôle central de l’Etat, nécessité de procéder à des investissements publics pour stabiliser la demande.

■ Edwin B. Wilson (1879-1964)– Ce n’est pas un économiste, c’est un physicien et statisticien, qui a étudié avec Willard Gibbs

(comme Irving Fisher)– Il dirige la thèse de Samuelson (soutenue en 1941), qui va s’inspirer de son concept :

l’opérationnalisme. – Idée que pour être scientifique, une théorie doit pouvoir se mesurer à l’aide de grandeurs

observables : je ne peux pas mesurer l’utilité, mais je peux la reconstruire à travers l’observation des décisions des agents.


Contributions théoriques de Samuelson■ Ses premiers articles de recherche concernent la théorie du consommateur et s’inspirent de

l’opérationnalisme– Puis-je construire des fonctions de demandes à partir de l’observation des choix des agents

économiques– Samuelson dit que c’est possible si les préférences des agents respectent certaines propriétés de

cohérence logique : c’est l’axiome des préférences révélées.

■ Il va ensuite contribuer à consolider des pans de la théorie économique (1938-1954) :– Théorie du commerce internationale

■ Modèle de spécialisation en concurrence pure et parfaite et théorie de la convergence des revenus du capital et du travail (Hecksher, Ohlin, Samuelson).

– Théorie des biens publics■ Condition permettant de produire un bien public de manière optimale (Bowen, Lindahl, Samuelson)

– Théorie macroéconomique■ Synthèse entre la théorie du multiplicateur et celle de l’accélérateur, liant l’investissement et le revenu

national en un processus circulaire.

■ Au-delà de toutes ces contributions, c’est sa défense des mathématiques qui le distingue.


La défense des mathématiques■ Les Fondements de l’analyse économique, 1947.

– C’est plus où moins sa thèse de doctorat– C’est une tentative de refonder l’ensemble de l’analyse économique sur des

principes fondamentaux : la maximisation et la dynamique.■ Met en exergue la phrase de Willard Gibbs: « les mathématiques sont un langage ».

– Dans l’introduction, il écrit: « le travail de reformulation littéraire de ce qui ne constituent essentiellement que de simples concepts mathématiques caractéristiques de l’économie moderne » est non seulement « peu gratifiant du point de vue du progrès scientifique » mais « implique aussi une gymnastique mentale particulièrement dépravée » (p. 6).

– C’est exactement l’inverse de ce que disait Marshall. ■ À la suite de ce travail, Samuelson devient le fer de lance de l’économie mathématique,

prenant part à des débats avec une profession encore majoritaire littéraire au milieu des années 1950.


Economics: an Introductory Analysis■ Un manuel publié en 1948

– 19 éditions différentes– C’est le manuel le plus vendu dans les années

50 et 60, il est adopté dans la plupart des grandes universités.

– Traduit, il est diffusé dans le monde entier(L’Économique, en France)

■ Peut-être plus important encore que les Fondements, car il va contribuer à diffuser une approche moderne de la science économique mais aussi la « synthèse néoclassique », un terme que Samuelson va introduire pour décrire un mélange entre keynésianisme et approche néoclassique.

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La synthèse néoclassique« Plusieurs fois à travers cet ouvrage, j’ai présenté ce que j’appelle une “grande synthèse néoclassique”. C’est une synthèse entre (1) le cœur valide de la théorie moderne de la détermination du revenu national et (2) des principes de l’économie classique. Son principe de base est le suivant : résoudre les problèmes vitaux de la politique monétaire et budgétaire par les outils de l’analyse du revenu national validera et réhabilitera les vérités de la théorie classique. La synthèse néoclassique fait également quelque chose d’important pour l’enseignement de l’économie. Elle comble la brèche qui existe entre macroéconomie agrégative et microéconomie traditionnelle et montrent comment elles s’unissent et se complètent (3e édition, p. vi) »

■ Il y a en réalité deux synthèses à l’œuvre ici : – L’une concerne la théorie économique elle-même (le « positif »)

■ Quand l’économie est en situation de sous-emploi, la théorie keynésienne domine.■ Quand l’économie est au plein-emploi, la théorie néoclassique redevient valide.

– L’autre concerne les recommandations de politique économique (le « normatif »)■ Le système capitaliste est le meilleur pour fournir richesse et bien-être à la société■ Mais il doit être suppléé par une intervention de l’Etat quand il a des défaillances

■ C’est une façon pour Samuelson de critiquer les extrémistes (Marxistes et libéraux dogmatiques).

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Samuelson et le MIT■ Jeune docteur très réputé, Samuelson ne se voit pourtant pas

proposer de poste à Harvard.– Deux raisons : l’économie mathématique est encore vue

comme « mineure » et à Harvard à l’époque les Juifs sont régulièrement discriminés

– Il va alors prendre un poste au MIT, une école d’ingénieur prestigieuse mais qui n’a pas de réel département d’économie d’envergure

■ Sa réputation va très vite attirer de nombreux économistes et étudiants.

– Robert Solow (1924), Franco Modigliani (1918-2003), puis plus tard Joseph Stiglitz (né en 1943) et Paul Krugman (né en 1953)

– Rapidement les méthodes d’analyse et les vues politiques des économistes enseignant ou formés au MIT vont représenter la culture économique typique des universités de la côte est (Harvard, Yale, Princeton, etc.).


La vision véhiculée par l’Ecole du MIT■ Un article de Paul Samuelson et Robert Solow, présenté en 1959

au congrès de l’American Economic Association, symbolise assez bien l’approche économique du MIT.

■ La courbe de Phillips, mise en évidence par A. W. Phillips, un statisticien néozélandais.

– Montre une relation inverse entre le niveau des salaires et le taux de chômage

– Les salaires sont élevés à l’approche du plein emploi car il y a pénurie de travailleurs

■ Samuelson et Solow la réinterprètent comme un arbitrage entre chômage et inflation.

– Le gouvernement peut avoir une politique monétaire expansionniste pour lutter contre le chômage.

– C’est l’inverse de ce que préconise la théorie quantitative de la monnaie.

■ Ce contre quoi vont s’élever les économistes de l’Ecole de Chicago.


L’ÉCOLE DE CHICAGOFriedman, Stigler, Becker et le néolibéralisme


Le « meilleur ennemi » du MIT ?■ L’Ecole de Chicago, associée pour le grand public à son économiste le plus médiatique,

Milton Friedman (1912-2006), est un peu le pendant libéral de l’Ecole du MIT. ■ En 1969, lorsque le prix Nobel d’économie est créé, Paul Samuelson est consulté pour

nommer des récipiendaires potentiels. Parmi une longue liste de noms (la plupart le recevront), il cite Milton Friedman (qui l’obtiendra en 1976).

– Pourtant Friedman a passé la majeure partie de sa carrière à critiquer le keynésianisme modéré de Samuelson.

– Comment expliquer ce paradoxe ?■ Disons que MIT et Chicago sont « d’accord pour ne pas être d’accord ».

– Ils se retrouvent sur la distinction entre économie positive et normative. – Ils partagent des outils en commun, ils sont cependant en désaccord sur les

conclusions à en tirer en termes de politique économique.■ L’Ecole de Chicago représente ainsi l’autre face de l’économie mainstream.


L’arrivée de Friedman à Chicago en 1946■ Il obtient un poste de Professeur à Chicago en 1946;

– C’est l’acte de création de « la nouvelle école de Chicago »

– Chicago, contrairement à MIT, avait déjà un département d’économie influent, sous l’égide de Frank Knght

– Friedman y avait eu son master en 1935 (lorsque Samuelson y était étudiant de 1er cycle)

■ Début de carrière– Etude d’économie. – N’obtient pas de bourse à Chicago, il va travailler au

NBER et à National Planning Board. – Fait sa thèse à Columbia avec Simon Kuznets.

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La méthodologie de l’économie à Chicago■ Dédain pour l’économie pure sans contenu empirique

– Le but de la théorie économique est de changer le monde, pas de faire de la théorie pour elle-même.

– L’analyse économique doit être soutenue par une validation empirique des théories

■ Allégeance à Marshall– Friedman tient au cadre méthodologique de Marshall. – Dans un article de recherche important, Friedman soutient que la courbe de

demande de Marshall ne résulte pas que d’un simple équilibre partiel, mais d’un équilibre général dans lequel le pouvoir d’achat de la monnaie est considéré comme constant.

– Pourquoi choisir cette simplification ? Parce que l’économie doit rester « un moteur de la découverte », pas juste une construction abstraite.

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Le « as if » friedmanien■ Friedman écrit « The Methodology of Positive Economics » (1953).

– Ecrit alors que la « théorie néoclassique » est attaquée – Des études montrent que les entrepreneurs ne maximisent pas le profit,

contrairement à ce que dit la théorie■ Mais le réalisme des hypothèses est-il important ?

– Si le but de la théorie économique est de décrire des comportement, le réalisme importe

– Mais Friedman affirme que cela n’a pas d’intérêt pour faire de la politique économique.

■ Si un modèle basé sur une hypothèse simplificatrice irréaliste permet de correctement prédire l’avenir, alors on peut considérer que les choses se passent « comme si » cette hypothèse était vérifiée.

– Exemple donné par Friedman : si un modèle suppose qu’un joueur de billard effectue ses coups avec une connaissance sophistiquée des mathématiques et que cela prédit les coups que le joueur va faire, alors peu importe de savoir si le joueur connaît réellement les mathématiques ou non.


Méthodologie en pratique■ Pour évaluer correctement la pertinence d’une théorie

– Ne pas tester les hypothèses mais les résultats.– L’économétrie doit rester la plus simple possible de sorte à juste tester des

prévisions mais ne pas construire un modèle complexe de l’économie.■ Les économistes de Chicago sont très suspicieux vis-à-vis des modèles cherchant à

aller plus loin que le modèle de la concurrence pure et parfaite– Partir du principe que les marchés sont monopolistiques ou que l’information

est imparfaite (Stiglitz) n’a pas de sens si cela ne prédit pas mieux que le modèle de CPP.

– Cette méthodologie est adoptée par d’autres membres de l’Ecole de Chicago comme Gary Becker (dans différents domaines) ou Eugene Fama (efficience informationnelles des marchés financiers).


Financement de la recherche économique à Chicago■ Chicago n’est pas financée par des fondations philanthropiques (Rockefeller, Ford,

etc.).– Mais pas des organismes privés qui ont des visées idéologiques : soutenir le

libéralisme■ Par exemple, le Volker Fund;

– Hayek visitait l’Amérique suite à la parution d’un ouvrage, La Route de la Servitude (1944), dénonçant la mainmise de l’Etat sur l’économie.

– Il convint Harold Luhnow, un entrepreneur de créer un centre « l’étude du marché libre », qui réfléchira sur les moyens de soutenir l’entreprenariat.

– L’étude, qui est dirigée par Aaron Director (le beau-frère de Friedman) montre qu’il n’est nul besoin pour l’Etat de lutter contre les monopoles. Ceux-ci se résorberont d’eux-mêmes, sous l’impact de la concurrence.

– Friedman écrira un ouvrage grand public de défense du libéralisme, Capitalismand Freedom (1962). En 1980, il en fera même une émission télévisée.

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George Stigler (1911-1991)■ Ami de Friedman, c’est lui aussi un ancien étudiant de Chicago (il y a fait

sa thèse en 1938 avec Frank Knight).– Après avoir enseigné à Columbia, il retourne à Chicago en 1958.– Il va utiliser des fonds de l’entreprise Walgreen (chaîne de

pharmacies) pour embaucher des économistes et réaliser des études sur les groupes de pression qui corrompent l’Etat.

■ Stigler, contrairement à Friedman, pense que l’hypothèse de rationalité est réaliste.

– Il développe un modèle de choix rationnel dans lequel l’information est incomplète.

– C’est dans ce cadre que les individus cherchent du travail. Ils ne connaissent pas toutes les offres d’emploi existantes.■ L’agent rationnel va égaliser le coût marginal de l’information et son

bénéfice marginal espéré. – Dire que l’information est incomplète ne remet pas

fondamentalement en cause l’analyse économique standard.


Gary Becker (1930-2014)■ Bien qu’influencé en partie par Friedman, Becker va

pousser le programme de recherche établi par Stigler. – Ancien étuduant de Chicago (thèse en 1955)– Professeur à Columbia de 1957 à 1968 puis

retourne à Chicago (sur financement Walgreen)■ Son travail consiste à repousser les frontières de l’analyse

économique en appliquant la théorie du choix rationnel à des domaines considérés traditionnellement comme non-économiques.

– Dans sa thèse, il explique la discrimination comme la volonté par les consommateurs de supporter le coût de ne pas vouloir interagir avec certains groupes(femmes, minorités visibles, etc.)

– Il affirme que cela arrive en situation de non-concurrence, la concurrence aura pour conséquence de rendre ce coût de plus en plus élevé et résoudra le problème de la discrimination.


Capital humain et économie du crime■ Un concept important chez Becker est celui de capital humain.

– Becker affirme que tous les agents économiques, pas juste les entreprises, ont un comportement d’investissement.

– En acceptant de repousser dans le temps l’obtention d’un emploi rémunéré pour étudier, un individu estime qu’il va améliorer sa situation future.■ Il le fera tant que le coût marginal (une année d’étude supplémentaire par exemple) sera inférieur au

bénéfice espéré (emploi plus rémunérateur ou plus plaisant). – Le financement public de l’enseignement supérieur est donc inutile dès lors qu’il existe un marché

du crédit permettant de permettre cet arbitrage.

■ Dans son article de 1968 "Crime and punishment: an economic approach”, Becker propose une analyse économique du crime.

– Ce dernier était traditionnellement vu comme résultant d’un contexte social.– Becker l’étudie comme résultant d’un arbitrage coût-avantage.

■ La « peine » perd de son aspect moral, elle est d’abord le coût que le justiciable subira s’il commet le crime. Ce coût, il le comparera au bénéfice du crime.

– On peut réduire la criminalité, non pas en augmentant le budget de la police, mais en augmentant les peines pour produire un effet de désincitation.

– Pour Becker tout individu est potentiellement un justiciable, il n’y a pas de prédisposition au crime.


La macroéconomie, lieu de débat entre MIT et Chicago■ Si les théories de Stigler et Becker se situent sur le plan microéconomique,

rejetant l’usage de la dépense publique pour résoudre des défaillances de marché, c’est en macroéconomie que l’Ecole de Chicago va se positionner comme critique du keynésianisme des économistes du MIT.

■ D’une part, Milton Friedman critique (en 1967), la prescription de politique publique que Samuelson et Solow retirent de la courbe de Phillips.

– L’arbitrage inflation/chômage n’est possible que si les agents économiques ne perçoivent pas les effets de l’inflation. Une hausse des prix ne les entraînera pas à réduire leur consommation.

– Friedman va se servir des idées de David Hume en affirmant que cela n’est possible qu’à court terme. À plus long terme, ils adaptent leurs anticipation et réduisent leur consommation. L’arbitrage inflation/chômage n’est plus possible.

– La théorie quantitative de la monnaie est donc valable sur le long terme, même si à court terme, il y a des ajustements.

■ Un autre économiste, Robert Lucas (né en 1937) va se livrer à une critique plus systématique de l’analyse keynésienne.


Lucas et la critique du keynésianisme■ Lucas a fait sa thèse en 1963 à l’université de Chicago, après des études d’histoire à Berkeley.

– Il part à l’Institut Carnegie-Mellon étudier les anticipations des agents économiques (avec Herbert Simon, un chercheur connu pour sa théorie de la rationalité limitée). Il revient en 1975 à Chicago (financement Walgreen).

– Au départ keynésien lui-même, il développe peu à peu une critique radicale du keynésianisme.

■ La critique de Lucas– Les modèles keynésiens (qu’ils soient théoriques ou qu’ils servent à faire de la prévision)

analysent l’impact des politiques publiques sans tenir compte de l’idée que les agents économiques peuvent intégrer cette intervention dans leur prise de décision.

– Si c’est le cas, il y aurait un effet de rétroaction qui annihilera les effets de la dépense publique.

■ C’est à la fois une critique de la politique de relance par la dépense publique ou l’expansion monétaire mais aussi des outils de prévision traditionnels en macroéconométrie. Deux collaborateurs de Lucas, Finn Kydland et Edward Prescott proposeront des outils alternatifs de prévision économique, reposant sur le principe de la calibration.


La victoire de l’Ecole de Chicago ?■ En macroéconomie, le point de vue de Lucas va rapidement devenir dominant.

■ L’approche de Chicago semble coller aux événements économiques des années 1970. – Si dans les années 50 à 70, il existait une forme de stabilité économique, de sorte que l’Etat

pouvait « gérer » les fluctuations économiques, les années 70 sont marquées par la crise (choc pétrolier de 1973) et l’incapacité des Etats à redresser la situation.

– S’en suit également une critique plus large de l’Etat-Providence, jugé coûteux, inefficace et parfois inégalitaire.

■ Pourtant, les thèmes abordés par l’Ecole du MIT restent d’actualité : défaillances de marchés, pauvreté, inégalités. Par exemple, les travaux d’économistes comme Thomas Piketty ou Esther Duflo (tous deux sont passés par le MIT et Duflo y enseigne toujours) sur ces thèmes sont dans le sillage de ceux de leurs prédécesseurs.

■ Cependant, l’opinion publique perçoit souvent l’économiste moyen comme quelqu’un qui partage les idées de Friedman, Becker et consorts.

– Dans un contexte de montée des idées néolibérales, à laquelle elle a activement participé, l’Ecole de Chicago semble avoir remporté la bataille médiatique.


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