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L’artiste entrepreneur en coopérative :
Analyse d’un accompagnement
de ses choix de gestion
Certificat de dirigeant de coopérative,
Option CAE promo 3 – Année 2007/2009
Tuteur mémoire : Michel RONZY
Sous la direction de Jean-François DRAPERI
Jury : J-F DRAPERI, M. RONZY, A. PERSINE,
C. VANDERNOTTE
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« Pour démocratiser le pouvoir,
il faut socialiser le savoir »
Don José Maria Arizmendiarrieta
(Coopérative Mondragon)
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Remerciements
Sincères remerciements coopératifs à toutes les personnes qui ont contribués de près ou de
loin à la réalisation de ce mémoire ;
Aux intervenants du CNAM, pour avoir aussi souvent élevés les débats ;
Particulièrement à Anne Persine et Jean-François Draperi, qui ont su patienter jusqu’à la
finalisation de ce mémoire ;
A Michel Ronzy, pour ses conseils avisés et le temps qu’il m’a consacré ;
A Stéphane Bossuet, qui m’a permis de vivre cette aventure hors du commun ;
Aux artistes de la coopérative Artenréel, qui se sont prêtés au jeu des entretiens, ils se
reconnaîtront ;
Aux camarades de la promotion 3 du Diplôme de Dirigeant de Coopératives - Option CAE –
CNAM, pour les merveilleux souvenirs ; notamment le Queyras et le Familistère de Guise ;
A ma Céline, pour son soutien et pour la remercier d’accepter mes absences ;
A mon Jules, pour le bonheur qu’il a mis dans ma vie.
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Sommaire
Remerciements ..................................................................................................................... 2
Sommaire .............................................................................................................................. 4
Introduction ........................................................................................................................... 7
Repères sociologiques sur la prise de décision .................................................................16
Hypothèse ........................................................................................................................19
I. Artenréel et ses artistes entrepreneurs ..............................................................................23
A. Approche juridique ........................................................................................................23
1) Artenréel est une CAE ...............................................................................................23
2) Artenréel est une SCOP ............................................................................................24
3) La CAE, une SCOP particulière ................................................................................26
B. Approche socioéconomique .........................................................................................26
1) Les coopérateurs ...................................................................................................27
2) L’organisation opérationnelle : les salariés .............................................................31
C. Première CAE des métiers artistiques et culturels ........................................................34
1) Caractéristiques générales et problématiques des professions artistiques .............34
2) Une réponse pour les artistes .................................................................................38
D. Les artistes d’Artenréel .................................................................................................39
1) Monographie .............................................................................................................39
2) Données économiques ..............................................................................................43
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II. Du parcours de l’entrepreneur au dispositif de gestion .....................................................46
A. Propos introductif : modèles économiques et paramètres de gestion .......................46
1) Le modèle économique de l’entrepreneur salarié ...................................................46
2) Le modèle économique de la structure d’accompagnement ...................................48
3) Le modèle économique de la CAE .........................................................................50
4) Paramètres de gestion liés à la CAE ......................................................................51
B. Le dispositif et les choix de gestion ............................................................................54
III. Méthodologie d’accompagnement des choix de gestion ..................................................63
A) La définition du niveau de rémunération ....................................................................63
B) La gestion du bénéfice de l’entrepreneur, entre enjeu individuel et collectif ...............63
C) Les possibilités d’utilisation du bénéfice d’activité ................................................... 866
D). Du bénéfice de l’entrepreneur au bénéfice de la coopérative .................................91
1) La constitution du bénéfice collectif ........................................................................91
2) Le traitement des bénéfices en SCOP....................................................................92
IV. Analyses et observations ................................................................................................98
A. Les déterminants des choix de gestion ......................................................................99
B. Le rôle de l’accompagnement .................................................................................. 102
C. La rationalisation du bénéfice des entrepreneurs ................................................. 103
D. Le bénéfice de la coopérative, levier de solidarité et de richesse collective .......... 112
1) La répartition du bénéfice mise en œuvre au sein d’Artenréel .............................. 113
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2) La part travail : la participation comme acte de solidarité...................................... 115
3) Critique de l’accord de participation d’Artenréel .................................................... 117
4) Les réserves impartageables, symboles de richesse collective ............................ 118
E. Synthèse réflexive ................................................................................................... 120
Conclusion : la richesse collective comme acte de coopération économique ..................... 124
Bibliographie rationnelle ..................................................................................................... 128
Grille d’entretien ................................................................................................................. 130
Annexes ............................................................................................................................. 132
4ème de couverture .............................................................................................................. 161
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Introduction
Dans les années 2000, après des études dans les domaines de la comptabilité et de la
finance, ma première aventure professionnelle m’amène dans l’univers des cabinets
d’expertise comptable. Ces quelques années en tant que collaborateur comptable m’ont
appris la rigueur comptable, le sens et l’importance de cette discipline1 au service de la
décision de gestion. Les indicateurs comptables sont indispensables à la conduite d’une
entreprise, à l’analyse économique et financière : ils éclairent les décisions qui doivent être
prises et permettent la gestion de l’organisation afin de tendre vers la réalisation des
objectifs préalablement fixés. La décision finale appartient toujours à l’entrepreneur mais
nombre d’entres eux sont attentifs et à l’écoute de l’expert en gestion qui leur fait par de ses
analyses et préconisations. Par conséquent, j’ai pris conscience de l’importance du rôle de
conseiller, celui qui accompagne, et l’influence qu’il peut avoir. Cette posture suppose une
forte capacité d’adaptation aux situations et surtout aux personnes accompagnées, afin de
leur rendre intelligible le discours qu’on tient : il faut aisément savoir passer d’un jargon
d’expertise avec les responsables administratifs de grandes entreprises à un argumentaire
démonstratif, plus accessible et orienté sur la pédagogie lorsque l’on s’entretien avec un
entrepreneur individuel néophyte.
L’expérience fut riche mais insatisfaisante : l’univers des cabinets comptables manquait de
couleurs, mettant sur un piédestal l’expert, celui qui sait et qui est payé cher pour cela. La
course à l’objectif de chiffres d’affaires, aux honoraires à facturer, sur lesquels sont indexés
les rémunérations, faisait régner une ambiance de travail lourde, pesante et trop stricte… qui
ne me convenait pas. J’en étais à m’interroger sur le sens de mon travail quand j’ai trouvé un
compromis qui m’est apparu intéressant : utiliser les techniques ou outils des sciences de
gestion et mettre mes compétences au service du domaine culturel, qui m’attirait depuis
toujours. Cet intérêt s’était depuis ma jeune enfance matérialisé par la passion de la lecture
et de la musique mais aussi par un véritable penchant pour l’histoire des hommes et son
impact sur le monde. L’émancipation par la culture me semble être une voie que l’humanité
doive suivre. L’émotion procurée par une œuvre ou par la lecture d’un texte est bien plus
forte que l’analyse des chiffres. J’ai alors orienté mes recherches d’emploi dans cette
direction et postulé auprès de divers lieux culturels : cinémas, bibliothèques, lieux de
1 La comptabilité est « une technique de mesure qui constate, enregistre et mémorise l’activité
économique, privé ou public, ou de la nation. Elle est destinée à servir d’instrument d’information à l’agent lui-même, ou au public, en vue soit de répondre à l’obligation légale et fiscale, soit de l’analyse de la gestion et de la prévision ». Lexique de gestion ; Alain-Charles Martinet, Ahmed Silem (dir.), 7ème édition, Dalloz 2005. p.115-116
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diffusions de spectacles vivants… J’ai eu la chance d’être employé en 2003 au Théâtre
Jeune Public de Strasbourg, Centre Dramatique National Jeune Public dont la pierre
angulaire est la pratique de la marionnette. Cette expérience a répondu pleinement à mes
attentes et m’a permis d’allier la pratique de mon métier à une certaine recherche de sens,
une finalité artistique en cohérence avec mes aspirations. Bien sûr l’activité de gestion
demeurait la même mais en s’en trouvait étoffée par d’autres dimensions : la richesse des
rapports humains, la finalité créative et l’implication dans le projet artistique du théâtre, de
l’accueil du public à celui des artistes, en passant par l’organisation et l’effervescence d’un
festival… Exactement l’explosion de couleur que je recherchais.
Cette première approche du secteur culturel m’a permis d’identifier certaines de ses
caractéristiques : régime de l’intermittence -alors en pleine crise-, financements de la
création, précarité de l’artiste, importance des échanges artistiques qui nourrissent la
création, importance du réseau professionnel accélérateur de carrières… Ces nombreuses
particularités m’ont amené à me questionner, à m’interroger sur le fonctionnement des
filières artistiques. Je n’en percevais que les contours, les parties visibles, incapable alors
d’en mesurer l’étendue ou d’en comprendre les enjeux. Comme souvent, la destinée des
« meilleures choses est d’avoir une fin » : malheureusement, ce fut bien le cas cette
expérience théâtrale : je n’étais que de passage, en remplacement d’une salariée absente
pour motif de congé maternité. Quoi qu’il en soit, une opportunité m’a permis de m’engager
dans une nouvelle aventure. Les rencontres nées de cette année au théâtre m’ont conduit en
2004 à l’OGACA2. Cette agence conseil spécialisée propose aux acteurs relevant du champ
culturel une large palette de services : création d’entreprise, formations, conseils, audits….
Sa mission est d’accompagner les artistes et les structures culturelles, de contribuer à leur
professionnalisation et d’apporter des éléments de réflexion aux tensions rencontrées par le
secteur. A cet effet, elle développe notamment des missions d’ingénierie culturelle pour le
compte de personnes morales de droit public et/ou privé. J’allais pouvoir étudier au plus près
les problématiques du secteur, dont j’avais entraperçu les contours au Théâtre Jeune Public.
Au sein de l’OGACA, de nombreuses réflexions portant sur les différentes sphères du
secteur culturel étaient en cours, notamment autour de l’emploi culturel. Stéphane Bossuet,
alors Directeur Adjoint et Responsable du service Etudes, finalisait un travail portant sur les
nouvelles organisations du travail dans le secteur culturel. Cette étude des formes les plus
récentes de l’entrepreneuriat, telles que les groupements d’employeurs, les sociétés de
portage ou les couveuses, l’ont amené à imaginer pour les artistes, une transposition du
concept de Coopératives d’Activités et d’Emploi (CAE) en l’adaptant aux particularités du
2 Organisme de Gestion des Associations Culturelles d’Alsace
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secteur culturel. La proposition des Coopératives d’Activités et d’Emploi, concept
d’entreprises coopératives d’accompagnement à la création d’activités, est résumée ainsi par
son réseau fondateur, le réseau Coopérer pour entreprendre : « plutôt que de créer sa
propre entreprise, il s’agit de créer son emploi salarié dans une entreprise coopérative que
l'on partage avec d’autres entrepreneurs, ayant des compétences et des projets très
divers ». Une présentation du concept de CAE, qui s’appuie largement sur les documents
officiels du réseau Coopérer pour entreprendre, se trouve dans le corps du mémoire.
L’esprit de développeur de Stéphane avait besoin d’un esprit gestionnaire capable de
structurer le développement d’un tel projet ; il m’a alors proposé de m’associer à ce
développement. L’innovation qui semblait émaner de ce projet a immédiatement suscité mon
attention. Tout semblait possible : l’invention, l’expérimentation, la création de quelque chose
de nouveau et de différent. Certes, un tel projet suppose une prise de risques : risque
d’échouer, risque de se mettre en jeu, risque d’atteindre ses limites… Mais le risque peut
aussi se voir comme un défi, celui de réussir ; c’est cette dimension qui m’a alors animé.
Nous avons ainsi crée, fin 2004, la Coopérative d’Activités et d’Emploi des métiers
artistiques et culturels Artenréel. Et le risque en valait la peine tant le développement de ce
projet m’a amené à me dépasser et à acquérir de nouvelles compétences, délaissant
aujourd’hui mes savoirs-faires premiers de comptable au profit d’une approche plus globale
de direction d’une entreprise coopérative. Une étape clé de cet épanouissement a été ma
participation à la formation proposée par le CNAM, Dirigeant de coopérative – Option CAE,
suivie entre 2007 et 2009, dans laquelle s’inscrit ce travail de mémoire. Cette formation m’a
apporté une ouverture d’esprit, une connaissance renforcée de l’Economie Sociale et
Solidaire (ESS)3, à travers son histoire, ses origines, son évolution, son système de valeurs,
ses acteurs et ses enjeux. Ouverte aux dirigeants de CAE, la formation s’intéresse
particulièrement à la mouvance des coopératives4 et à la coopération. Pour Juliette
Tournand, la coopération représente « un acte libre d’où chacun sort libre et grandi, sans
dette l’un envers l’autre car chacun y a gagné. Chacun n’y a pas forcément gagné la même
chose, mais chacun a gagné quelque chose qui compte pour lui »5. L'action de coopérer
consiste à œuvrer à un projet commun, dans un mode d’organisation sociale permettant aux
individus ayant des intérêts communs d’agir ensemble, dans le souci de l’intérêt général.
Ces thématiques pour lesquelles j’éprouve un intérêt particulier sont centrales dans ma
pratique d’accompagnement d’artistes dans le cadre d’une CAE. La formation m’a amené de
nombreux apports et réflexions, que j’ai pu réinvestir dans mon travail, m’a permis de
3 Voir encadré : l’Economie Sociale et Solidaire
4 Pour une définition des coopératives, voir partie I. A. 2)
5 Juliette Tournand, La stratégie de la bienveillance, InterEditions, p68
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développer un intérêt pour d’autres disciplines (sociologie, management…) et m’a fait
prendre conscience de la richesse née des leurs croisements. Enfin, cette formation m’a
appris à être en posture de recherche action permanente : cette méthodologie, qui n’est pas
réservée au chercheur, s’appuie sur le praticien. Le travail intellectuel et l’expérience
pratique sur le terrain se mènent de front : la recherche s’inscrit dans l’action, mettant en
œuvre des expérimentations et produisant des transformations sociales. La recherche action
s’inscrit dans une logique de transmission et cherche à transformer les expériences
singulières en connaissances transmissibles. Jean-François Draperi6 la définit comme « la
production de savoir scientifique par l’acteur sur sa propre expérience ». Cette démarche
permet d’aiguiser son esprit critique, y compris sur ses propres pratiques, et à prendre du
recul, la distance nécessaire qui permet d’observer et questionner ce que l’on réalise. A ce
titre, le passionnant travail d’autobiographie raisonnée7, conduit par Jean-François Draperi et
hérité d’Henri Desroches, m’a permis d’identifier, et j’ose ici paraphraser ses illustres
inventeurs, mes « fils rouges, mes fils conducteurs ». Les principaux qui m’apparaissent
aujourd’hui sont : l’esprit d’entreprendre, héritage familial, et l’importance du changement, la
nécessité d’évoluer, de ne pas rester statique. Mon travail au sein d’Artenréel s’inscrit
pleinement dans ces ressorts.
6 Jean Francois Draperi, Comprendre l’économie sociale, DUNOD, p58
7 Voir encadré : L’autobiographie raisonnée
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Encadré : L’Economie Sociale et Solidaire (ESS)
Il est difficile de trouver une définition consensuelle de l’Economie Sociale et Solidaire, sans
doute parce que son sens a évolué au fil des décennies et qu’il subsiste de nombreux débats
sur la sémantique des mots sociale et solidaire. A partir de plusieurs points de vue, j’ai
essayé d’en faire une synthèse :
« Dans le contexte de l’économie libérale, l’économie sociale est née (…) au XIXe siècle
dans les pays développés sous l’influence de courants divers (chrétiens, libéraux,
socialistes…) et à l’initiative du patronat social aussi bien que du syndicalisme, (…), pour
que vivent, à côté de celles ayant pour objet la rentabilité et la rémunération du capital
investi, des initiatives économiques et sociales fondées sur d’autres principes et répondant à
d’autres finalités. C’est donc l’alliance de ces trois familles, mutuelles, coopératives,
associations gestionnaires, qui vit sous le concept « économie sociale », reconnue
officiellement par décret en 1981. L’économie solidaire est une forme émergente de
l’économie sociale, surtout axée vers les initiatives de développement local, de réinsertion et
de lutte contre l’exclusion (Définition du Conseil des Entreprises, Employeurs et
Groupements de l’Economie Sociale, CEGES).
« Les valeurs (…) fondent les principes généraux et les règles formalisées par les lois et les
statuts des diverses familles de l’économie sociale (Coopératives, Mutuelles, associations,
fondations). Les grandes valeurs qui animent l’économie sociale et cette autre façon «
d’entreprendre » sont essentiellement la solidarité, la liberté (de s’associer, d’entreprendre,
d’agir…), la responsabilité morale de la personne, la démocratie fondée elle-même sur
l’égalité et aussi la primauté du développement de l’homme et « de tout l’homme » sur toute
autre finalité, notamment celle du profit »8.
L’entreprise d’économie sociale est l’outil économique privilégié pour assurer la diversité et
la liberté d’entreprendre, elle est une réponse pertinente pour permettre aux groupes de
personnes sans grands moyens financiers de créer leur activité. Elle permet le
développement durable dans les quartiers, régions ou pays à difficultés économiques et/ou
sociales, voire politiques. Elle assure une protection efficace contre les mouvements
spéculatifs, est source de partenariats et de développement de la démocratie économique,
de soutien aux initiatives équitables et solidaires, et entend modifier les normes d’évaluation
généralement admises pour introduire la plus-value sociale et environnementale (Définition
du Conseil des Entreprises, Employeurs et Groupements de l’Economie Sociale, CEGES).
8 Maurice Parodi, Les valeurs, les principes et les règles de l’Economie Sociale traversent tous les
domaines de la gouvernance et de la gestion, Recma
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Encadré : L’autobiographie raisonnée
L’autobiographie raisonnée ou entretien autobiographique est une démarche méthodologie
de sciences sociales pensée par Henri Desroches. Elle permet à partir d’une analyse de son
parcours (activités professionnelles, éducatives, sociales, … en oubliant les dimensions
psychologiques) d’inscrire son projet dans une cohérence, de vérifier sa pertinence, son
sens et la capacité du porteur de l’idée à se mobiliser autour de ce projet. Elle consiste « à
se présenter à l’autre, à communiquer sa propre histoire, dans le but de construire sa
capacité à agir (…). C’est apprendre à considérer son parcours personnel comme un
parcours transmissible »9.
Cet exercice d’anamnèse se déroule en plusieurs temps : un entretien menée avec une
personne ressource qui guide le récit et structure une prise de note ensuite transmise à
l’orateur/personne projet. Ce dernier synthétise alors une notice de parcours puis une notice
de projet, en faisant émerger des leviers ou fils conducteurs, mis en cohérence avec le
projet. Dans une posture de formation collective, ce travail permet également de créer une
dynamique de groupe et peut donner lieu à un exercice de transmission collective de la
notice de projet, sous forme de récit devant le groupe.
Nous utilisons la démarche d’autobiographie raisonnée dans le parcours d’accompagnement
proposé par Artenréel, à l’entrée des entrepreneurs dans la coopérative. Nous parlons
volontiers du premier acte de coopération : les personnes partagent leur parcours avec
d’autres entrepreneurs, mettant en exergue expériences, points communs, comme celui
d’avoir fait le choix d’entreprendre en coopérative. L’exercice permet de découvrir la
personne sous un angle différent et moins réducteur que le traditionnel Curriculum Vitae.
9 Jean-François Draperi, Les 20 formes juridiques de l’entreprise p136, Editions du Puits Fleuri
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L’un de mes rôles au sein d’Artenréel est d’accompagner les artistes entrepreneurs à
développer leurs activités au sein de la CAE. Il s’agit de les aider à structurer leur offre de
services, à accroitre leurs activités par le développement de nouveaux marchés, à diversifier
leurs activités et à étendre leurs réseaux professionnels. Cet accompagnement au projet, au
développement d’activité est essentiel et central dans la CAE mais il ne sera ici évoqué que
de façon synthétique, le mémoire n’étant pas orienté sur cette dimension. Il se centre
davantage sur le dispositif de gestion proposé par la CAE et son appropriation par les
entrepreneurs salariés. En effet, l’une des facettes de mon intervention consiste à analyser
leur projet sous l’angle économique et financier, puis à accompagner les décisions de
gestion qu’ils seront amenés à prendre comme n’importe quel autre entrepreneur.
L’accompagnement de ces choix est qualifié dans nos CAE de rendez-vous de gestion,
d’accompagnement comptable ou de gestion, ou encore de rendez-vous de suivi
économique.
Le dispositif de gestion de la CAE Artenréel s’est construit sur le modèle proposé par
Coopérer pour entreprendre : les fondements sont identiques mais les adaptations sont
permanentes, afin d’être en phase avec les réalités rencontrées. Par ma connaissance des
mécanismes de gestion, je suis souvent l’instigateur de ces changements. Ma posture de
Responsable Administratif et Financier me permet d’agir sur la transformation du dispositif
de gestion d’Artenréel. Car le modèle économique et social de la CAE est aujourd’hui encore
inachevé et mérite d’être approfondi. En près de sept années, de nombreux dispositifs ont
été expérimentés et inventés, de nombreux outils ont été construits. Et de nombreuses
pistes d’améliorations demeurent. Mais plus que tout, c’est bien la pédagogique qui est
centrale : il s’agit de transmettre une démarche, la rendre accessible et quotidiennement
l’expliquer.
En quoi consiste cette démarche ? L’intention originelle du modèle économique d’une CAE
est d’offrir aux porteurs de projet un cadre entrepreneurial qui permet leur émancipation par
l’entrepreneuriat collectif tout en sécurisant les parcours à travers un accompagnement
professionnel et un statut de salarié. A l’heure où les pouvoirs politiques tendent à favoriser
(au sens de banaliser) l’acte de création d’entreprise, notamment à travers la récente
formule de l’auto-entreprise, l’entrepreneuriat s’inscrit dans une certaine illusion de facilité. Il
n’en demeure pas moins vrai que le créateur, bien que trouvant ses démarches simplifiées à
l’extrême, reste un entrepreneur…avec toutes les aptitudes et compétences que la conduite
d’une entreprise requiert : savoir-faire productif, vision stratégique, capacité de gestion,
qualités commerciales… La coopérative agit sur ces piliers par la mutualisation des
compétences, mises au service de la réussite de l’entrepreneur, tout en mobilisant les
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valeurs collectives de solidarité, de coopération, bien souvent absentes de la vision
entrepreneuriale classique, où le chacun pour soi et la concurrence rigoureuse sont souvent
les lignes de conduites. Pourtant, le concept de CAE peut apparaître comme complexe : tout
d’abord, il faut que la candidature de l’entrepreneur soit acceptée. Si tel est le cas, il faudra
ensuite s’acculturer à l’entreprise sociétale (par opposition à l’entreprise individuelle) et à son
fonctionnement particulier. L’utilisation du salariat comme mode de rémunération,
l’assujettissement à la TVA, la prise en charge des frais d’activités ou encore le contrôle par
la coopérative des documents (contrats commerciaux, devis, facture…) sont autant de
paramètres ou procédures qui peuvent avoir pour effet de rendre complexe la perception
d’une CAE. Et qui peuvent représenter autant de freins pour le créateur qui souhaite aller
vite et être autonome. Cette complexité, sans aller jusqu’à dire qu’elle est voulue, présente
cependant des vertus : il s’agit de s’inscrire dans le droit et de créer une forme de sécurité
dans le parcours de l’entrepreneur. Le statut de salarié et la protection sociale qui en
découle l’illustrent à merveille : par les cotisations sociales qu’il reverse, le porteur de projet
se constitue des droits au chômage lui permettant de rebondir en cas d’échec de l’activité, ce
qui n’est comparativement pas le cas d’un créateur d’entreprise individuelle.
Question de départ
Il n’est pas rare que je me demande si finalement cette construction est la bonne voie, s’il n’y
a pas plus simple. Mais la facilité va rarement dans le sens du collectif, de la construction de
richesses collectives au service de tous. Au contraire, la facilité a plutôt tendance à aller
dans la voie de l’individualisme, celle du profit immédiat et maximisé, bien plus facile à
mesurer. Certains dispositifs que nous proposons aux entrepreneurs sont complexes et
demandent du temps pour qu’ils soient compris. Mais nos quelques années d’existence font
état du chemin parcouru et nous permettent de dire qu’ils ont du sens. Le nombre croissant
d’artistes qui souhaitent rejoindre les rangs de la coopérative en témoigne. Plus important
encore, les richesses collectives mises en commun par les artistes dans un esprit coopératif
(notamment à travers l’augmentation des réserves impartageables) sont indéniablement des
témoignages de l’intérêt d’une CAE. La complexité ne semble pas être répulsive, bien au
contraire, mais elle doit pour cela être encadrée : les entrepreneurs doivent être
accompagnés dans la gestion de cette complexité. Ainsi, les tenants et aboutissants du
dispositif de gestion proposé par la CAE leurs seront rendus accessibles et ils pourront
sereinement prendre leur décisions de gestion.
Par les termes décisions ou choix de gestion, je désigne l’acte de l’entrepreneur qui met en
œuvre une action, parmi plusieurs alternatives ou possibilités : l’action qui aura un impact sur
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son activité. Tout au long du parcours en coopérative, l’entrepreneur devra effectuer une
succession de choix : du démarrage de l’activité à sa consolidation, de sa stratégie
d’investissements à l’utilisation de l’éventuel bénéfice d’activité. L’accompagnement proposé
par la CAE aide l’entrepreneur à piloter son activité économique : les actes sont en principe
« discutés » entre l’entrepreneur et le conseiller/chargé d’accompagnement de la CAE lors
des rendez-vous d’accompagnement. Mais l’entrepreneur dispose d’une réelle autonomie, il
peut aussi prendre des décisions en toute indépendance.
Face aux décisions qu’ils doivent prendre, les comportements des artistes entrepreneurs en
coopérative d’activités et d’emploi me font quotidiennement vivre de nombreuses émotions :
incompréhension parfois face à certaines postures qui peuvent paraître incohérentes,
irrationnelles mais également étonnement, tant l’altruisme de certains peut se révéler
spontané. On y trouve une diversité de raisonnements, d’actes qui conduit à une multitude
de situations, parfois imprévisibles, souvent étonnantes. L’observation de la variété, le
sentiment d’imprévisibilité et l’étonnement induit par les choix de gestion opérés semblent
traduire la pluralité des leviers de décision à l’œuvre dans la coopérative. Le parti-pris des
conseillers de la coopérative, sous couvert du dispositif de gestion de la CAE, lui-même
porteur de l’intention d’entreprendre autrement, joue peut être un rôle central, en influençant
le processus de décision.
D’ailleurs, à l’échelle « micro » de la coopérative Artenréel, il est intéressant d’observer que
les entrepreneurs de la CAE, qui initialement ne se connaissent pas, partagent et
mutualisent une même entreprise, tout en instaurant des solidarités à travers les dispositifs
et les outils de gestion que nous leur proposons. Les choix observés par la pratique
d’accompagnement quotidienne amènent à penser que l’artiste, dans l’univers particulier de
la CAE, est caractérisé par l’altruisme, sans aller jusqu’à dire qu’il s’attache à optimiser le
profit d’autrui au détriment du sien, s’attèle en tout cas à maximiser le gain de chacun, le
gain de la collectif. Les entrepreneurs ne semblent pas prendre leurs décisions de gestion
dans une optique de satisfaction de leurs besoins propres mais semblent démontrer que les
valeurs coopératives telles que la solidarité peuvent l’emporter.
L’origine de cette recherche action est née de ce constat, de nombreuses interrogations en
découlent. Quels sont les ressorts et les leviers des choix de gestion des entrepreneurs ?
Qu’est ce qui oriente, conditionne ces choix ? Comment les entrepreneurs prennent-ils leur
décision de gestion ? Qu’est ce qui, dans le contexte particulier de la CAE, influence la prise
de décision ?
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L’accompagnement et l’appartenance à la coopérative influencent-t-ils la prise de
décision de gestion des entrepreneurs salariés ?
Repères sociologiques sur la prise de décision
La prise de décision10 peut s’apparenter à une méthode de raisonnement qui s’appuie alors
sur des arguments plus ou moins rationnels. Comment s’active ce processus de décision ?
Deux approches peuvent être distinguées en matière de prise de décision.
L’entrepreneur, dans sa perception classique, est motivé par la réalisation des profits
générés par son activité économique ; cette posture met en avant le choix de gestion dicté
par la rationalité. Pour la théorie économique classique, l’entrepreneur est un homo
economicus : ce sujet actif (car calculateur) optera pour la solution optimale qui lui
présentera le plus grand nombre d’avantage en fonction de ses préférences. Cet être
économique est ainsi doté de capacités d’anticipation et de choix. C’est une méthode de
décision basée sur l’optimisation, qui cherche par le calcul, par la logique à trouver le
meilleur résultat : cet l’homo oeconomicus, représentation théorique de l’être humain,
maximise l’utilité de ses ressources.
Il s’oppose à l’homo sociologicus, passif face aux forces sociales dont il est le réceptacle
mais qu’il ne contrôle pas : les valeurs, normes et routines qu’il a intériorisées au cours de sa
socialisation conditionnent son comportement. La décision est alors basée sur un processus
cognitif (jugement, émotion, valeurs, sentiment, perception…). Schumpeter avait déjà mis en
avant que des mobiles irrationnels, tels que le goût de l’aventure ou l’acte de création,
entraient également en ligne de compte dans les finalités d’un entrepreneur. Parfois
irrationnelle, la décision tient compte de critères de satisfaction propres à chaque individu :
l’acteur, doté d’un ensemble de valeurs et normes, va chercher les moyens acceptables de
réaliser ses objectifs en cohérence avec celles-ci.
Ces deux modèles sont aujourd’hui dépassés et sont sans nul doute insuffisants. Il semble
vraisemblable que d’autres facteurs entrent en ligne de compte.
En effet, la rationalité humaine à des limites : H.A. Simon, dans sa théorie de la rationalité
limitée, démontre que la connaissance d’une situation aboutissant à une prise de décision,
10 Synthèse réalisée à partir d’un document multimédia (DVD) réalisé par Erhard FRIEDBERG,
Collection Question d’organisation, La décision, Banlieues Médias
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ainsi que les conséquences qui en découlent, sont toujours relatives et fragmentaires (en
raison du manque de temps, de ressources, d’imagination ou encore d’attention…). Par
ailleurs, les préférences des individus ne sont pas stables, évoluent et peuvent être
contradictoires, contrairement à la croyance classique, qui met en avant le fait que les
individus savent ce qu’ils veulent et effectuent leurs choix en fonction de leurs préférences.
Le poids du calcul dans la prise de décision n’est donc pas réductible aux volontés et
intentions des individus mais la décision résulte du produit d’une combinaison chaque fois
variable entre les intentions, les contraintes et les opportunités présentes dans le contexte
d’action. Les préférences des individus ne permettent pas vraiment de déterminer leurs
comportements, pas plus que les comportements des individus ne renseignent sur leurs
préférences. Enfin, aucun être humain n’est capable d’optimiser les solutions car cela
dépasse les capacités de raisonnement et de traitements des informations. La notion de
rationalité limitée induit alors qu’un individu en situation de décision est incapable d’optimiser
son choix ; il optera pour la première solution qui satisfera les critères de satisfaction qui sont
les siens.
La rationalité d’un individu correspond alors aux critères de satisfaction qui guident son
comportement et qui trouvent leurs origines à la fois dans le passé de l’individu
(l’apprentissage, la socialisation antérieure qui conduit à la formation de sa personnalité) et
dans le présent, conditionné par la situation dans laquelle se trouve le sujet. Une solution
sera rationnelle (acceptable) lorsque seront remplis les critères de satisfaction minimale, le
choix sera arrêté à la première solution satisfaisante, du moins à court terme. Cette solution
n’est peut être pas la plus favorable, la plus rationnelle (au sens de l’optimisation) mais elle
est convenable, on ne saura peut être jamais s’il en existait une meilleure. Les décisions
sont-elles alors prises dans un contexte de risque et/ou d’incertitude ; le choix est-il le même
dans un univers certain ou incertain ? La décision prise va tenir compte des caractéristiques
de la situation dans laquelle se trouve l’individu, du contexte d’action dans lequel il doit
prendre une décision.
Erhard Friedberg met en avant l’importance des règles dans la prise de décision, et
transpose aux organisations les effets produits par les règles d’un jeu de carte. En premier
lieu, il illustre que les règles du jeu organisationnelles fournissent un cadre normatif (certains
comportements sont autorisés ou interdits) et un cadre cognitif (les règles structurent la
perception et la définition de la réalité). Ensuite, les règles constituent une structure
d’incitation qui rend certains comportements plus probables que d’autres. Et enfin, les règles
instaurent des attentes réciproques et permettent de réduire l’incertitude sur le
comportement des autres acteurs, sans pour autant l’éliminer complètement. Les règles en
vigueur conditionnent donc la prise de décision.
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Tout comme l’analyse du contexte qui se renforce par l’expérience de l’individu. Le moteur
de la prise de décision résidera alors dans la capacité du décideur à reconnaître la situation
dans laquelle il se trouve, à partir de son expérience et du degré de conscience de la
situation dans laquelle il se trouve. Enfin pour compléter ce propos sociologique (non
exhaustif) autour de la prise de décision, il semble important de citer les travaux du
psychologue Léon Festinger. Sa théorie de la dissonance cognitive part du constat qu’un
sujet cherchera à maintenir une cohérence (consonance) entre ses cognitions
(connaissances, opinions, croyances, valeurs…) sur lui-même, sur son environnement et sur
son propre comportement : devant une dissonance entre ses cognitions, l’individu peut soit
changer ses valeurs, soit agir sur la situation, soit modifier ses comportements. A titre
d’exemple, si l’individu est dans l’incapacité de changer un comportement contradictoire
avec ses croyances ou ses valeurs, il y a de fortes probabilités qu’il les modifie pour réduire
cette dissonance : il rationnalise alors son comportement.
Claude Mouchot nous propose une synthèse tout à fait adaptée à la décision de gestion
entrepreneuriale. « Le terme de rationalité en est venu, en économie, à ne désigner que le
comportement qui résulte d’un calcul d’optimisation. En économie seulement, puisque
l’usage courant considère comme rationnel tout comportement issue d’une délibération, d’u
jugement, pour lesquels la notion d’optimisation peut n’avoir aucun sens. En ce second sens,
nous avons remplacé rationnel par « raisonnable ». Le raisonnable est évidemment
beaucoup plus réaliste que le rationnel puisqu’il prend en compte la possibilité de décision, à
l’encontre du choix rationnel qui s’impose à l’individu. (…) Le profit, s’il est indispensable,
n’est pas le seul critère de décision de l’entrepreneur ». L’acte entrepreneurial à aussi
d’autres fins, « de l’ordre de la signification, du sens que je donne à mon action
(considération, prestige, amitié...). (…) La conclusion est claire : le principe de rationalité
pour lequel il devient impossible d’imaginer quelque explication que ce soit doit être traduit,
dans chaque cas particulier, par un modèle spécifique de rationalité »11.
Qu’en est-il dans la Coopérative d’Activités et d’Emploi ? Les différentes prémisses à la prise
de décision que nous venons de passer en revue sont sans aucun doute à l’œuvre. La
rationalité est relative et limitée au propre à chaque individu. L’homo oeconomicus est-il une
fiction ? Les comportements des entrepreneurs salariés évoluent-ils par les phénomènes
d’apprentissages, par le degré de compréhension des règles de fonctionnement du
système CAE ? Voici autant de questions qui peuvent se poser.
11
Claude Mouchot, Méthodologie économique, Hachette, p272
Page 19 sur 161
Hypothèse
Le contexte de la prise de décision en Coopérative d’Activités et d’Emploi nous conduit à la
formulation de deux hypothèses, qui se rassemblent.
La première est d’ordre général : la prise de décision, le choix de gestion en CAE ne répond
pas à la seule rationalisation optimisatrice, mais elle est plurielle. L’entrepreneur en
coopérative, le co-entrepreneur, répond sans nul doute à des valeurs collectives et
solidaires. L’artiste entrepreneur en tient compte dans son comportement, cela se traduira
dans la manière dont il pilote son activité. Son exigence première demeure toujours de
répondre à ses besoins. Ses choix de gestion seront dictés par un certain nombre de
paramètres personnels, tels que sa situation économique et sociale. Mais son processus de
décision sera influencé par sa perception de l’entreprise partagée.
La seconde hypothèse consiste alors à dire que l’accompagnement prodigué et
l’acculturation au fonctionnement de la coopérative vont influencer la décision de gestion des
entrepreneurs. Autrement dit, la CAE va façonner la prise de décision par l’éducation
coopérative qu’elle propose à travers l’accompagnement des personnes ainsi que par le
dispositif de gestion particulier qu’elle met en œuvre, et ses règles du jeu organisationnelles.
Sans renier l’existence de paramètres propres à l’entrepreneur et toute chose égale par
ailleurs, l’intention des modèles SCOP et CAE et la transmission des principes coopératifs,
contribuent à l’évolution des comportements vers des pratiques entrepreneuriales plus
collectives, moins ancrées dans un esprit de lucrativité et de compétition.
Par l’observation des matériaux d’enquête (analyse du dispositif, retour d’expériences et
entretiens d’artistes), nous y trouverons sans doute confirmation que les comportements des
individus au deux bout de la chaîne (les accompagnants et les accompagnés) ne sont pas
guidés par la norme de maximisation qui, bien que présente et puissante dans nos
représentations, n’est pas une explication suffisante permettant d’expliquer le processus de
décision en CAE : les décisions sont le fruit d’une pluralité de ressorts qui se travaillent.
Co-entrepreneur et co-fondateur d’une coopérative, je suis évidemment convaincu de la
pertinence et des vertus de ces modèles qui, parce qu’hérités de l’histoire12, représentent
des modèles d’avenirs. A travers une posture d’entrepreneur d’économie sociale, par des
actes de gestion réfléchis et en cohérence avec ses valeurs, c’est un véritable défi de
12
H. Desroches : « Nos enfants croiront avoir de l’imagination, il n’auront que des réminiscences »
Page 20 sur 161
transmettre une autre vision de l’économie basée sur la primauté de la richesse collective et
de l’émancipation de l’Homme. Un vœu intime serait de contribuer à la démonstration, à mon
échelle et sans prétention, qu’une autre voie entrepreneuriale est possible, qu’une autre
vision de l’économie peut s’envisager et qu’elle ne relève pas uniquement de l’utopie. Les
théories économiques enseignées dans les parcours scolaires et universitaires,
particulièrement dans les grandes écoles de finance ou de commerce, s’appuient davantage
sur le modèle du capitalisme, du libéralisme économique et financier, et mettent en avant la
rationalité individuelle et la maximisation de l’utilité espérée. Il est intéressant d’observer et
de faire le pari qu’une éducation différente, plus orientée vers les valeurs de l’économie
sociale, pourraient rendre possible un autre monde, en replaçant l’humain au cœur des
activités économiques. Le parcours en coopérative d’activités et d’emploi y contribue.
Annonce du plan
Une rapide présentation de mon parcours et la position professionnelle dans laquelle s’inscrit
ce travail m’ont permis de mettre en exergue les questionnements qui ont donné naissance à
cette recherche. Une mise en perspective théorique non exhaustive de la prise de décision
permet de confirmer que ce processus est bien à l’œuvre dans les Coopérative d’Activités et
d’Emploi lorsqu’un choix de gestion doit être réalisé. L’hypothèse a ensuite été formulée à
partir de la conviction profonde que toutes les choses à l’œuvre dans la CAE (la pédagogie
coopérative, l’accompagnement, les personnes et même le dispositif de gestion lui-même)
vont agir sur les choix et orienter la prise de décision de gestion vers des logiques de
rationalités collectives et non pas uniquement individuelles, ni d’ailleurs uniquement
économiques. A plus long terme, le pari est même fait que la coopérative peut faire école et
mettre en œuvre une véritable transformation sociale. Avant de chercher à vérifier
l’hypothèse, à la démontrer, il me parait juste d’informer le lecteur par un propos
méthodologique non seulement des difficultés rencontrées chemin faisant mais aussi de
l’une ou l’autre fausse idée qui pourraient naître de la lecture du titre du mémoire ou de la
quatrième de couverture, à la simple évocation du mot artiste. Le mémoire est ensuite
construit autour de quatre parties. La première partie (I) correspond à une présentation de la
CAE Artenréel en étudiant son statut juridique, son organisation socioéconomique, son
champ d’activité (qui en fait une originalité dans le paysage national des CAE) et sa
population d’artistes, tout en mettant en perspectives quelques caractéristiques générales
des artistes. La deuxième partie (II) a pour objectif de mettre en évidence, à partir du
parcours d’un entrepreneur en CAE, la nature des choix de gestion qu’il aura à réaliser. La
troisième partie (III) est une partie plus technique, davantage orienté sur une approche de
gestion, qui met en lumière les différents possibilités en matière de décision de gestion et la
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manière dont la prise de décision d’accompagne. Enfin, la dernière partie (IV) cherche à
analyser et comprendre comment les entrepreneurs font leurs choix et quels sont les
ressorts de leurs actions par l’analyse des différents matériaux d’enquête (entretiens et
données statistiques). Je mettrais également en évidence les intérêts réciproques que
peuvent trouver la coopérative et les entrepreneurs dans la mise en commun des bénéfices.
Enfin, une conclusion tentera de synthétiser la recherche, informera le lecteur de ce qu’elle a
produit sur moi, tout en présentant les limites rencontrées ainsi que les perspectives
d’ouvertures. Toute perspective à ses limites, toute limite à ses perspectives.
Propos méthodologique
Avant d’aller plus loi, j’ôte ici un fantasme au lecteur, au risque de le décevoir. Bien que mise
en œuvre au sein d’une coopérative d’artistes, ma recherche ne prend que très peu en
compte la sociologie de l’artiste. Cette dimension n’a eu que très peu d’influence sur la
conduite de mon travail. Plus que l’artiste en tant que tel, c’est l’artiste en tant
qu’entrepreneur qui a animé ma recherche. Ce qui m’a intéressé, c’est de savoir comment il
se conduit face aux décisions de gestion qu’il doit prendre dans le cadre de son activité
économique, en tant que chef d’entreprise. La recherche action ci-après présentée pourrait
sans nul doute se transposer dans n’importe quelle Coopérative d’Activités et d’Emploi,
quelque soit son activité. Ainsi, le lecteur n’y trouvera que très peu d’éléments sur les
préférences économiques des artistes, sur la place de la création artistique et son
financement dans la gestion d’une activité... Je n’ai pas non plus tenu compte du fait que
l’artiste était à priori et traditionnellement éloigné des aspects de gestion. J’invite tout
chercheur acteur qui souhaiterait analyser l’influence de la sociologie des artistes sur les
décisions de gestion en CAE à se saisir de mon travail comme d’une base qui lui permettra
de mettre en exergue les ressorts d’actions et de décisions qui relèveraient davantage de la
sociologie de l’artiste. Recherches futures qui pourraient tendre à démonter que le modèle
économique de la CAE est peut être une réponse aux urgences induites par le contexte
économique et social et par la crise actuelle que traversent les politiques culturelles.
Du point de vue de la méthode, le questionnement qui anime ce mémoire est né de ma
pratique quotidienne. L’analyse qui en découle également. Elle s’appuie sur une large part
de constats et d’observations de terrain qui représentent un large volume de données
empiriques tirées du quotidien et de ces années d’expérience dans l’accompagnement de
gestion d’artistes en CAE. J’y ai adjoint une approche plus scientifique par la réalisation puis
l’analyse de statistiques tirées des rapports d’activités et des données comptables de la
coopérative Artenréel.
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L’exigence d’un mémoire impose également la confrontation et le test de l’hypothèse à
travers une récolte de données que j’ai réalisé par des entretiens non-directifs. Au nombre
de cinq, ces entretiens sont sans doute insuffisants en nombre mais il m’aura été difficile
d’en réaliser davantage. La grille d’entretien non-directive utilisée se trouve en fin de
mémoire, après la bibliographie. D’ailleurs, un frein m’est apparu dès le commencement : les
artistes entrepreneurs d’Artenréel sauront-ils se livrer à moi alors que je suis également en
charge de leur accompagnement. Leur parole sera-t-elle sincère ou vont-ils craindre que je
juge leurs propos ? Mais plus que tout, le recul dont je dispose aujourd’hui m’a fait prendre
compte que mes questions ne portaient pas tant sur les choix de gestion mais davantage sur
la perception qu’on les artistes du modèle économique de la coopérative. Cette erreur
d’appréciation est sans aucun doute lié au fait que les entretiens ont eu lieu trop tôt dans ma
recherche, l’objet de recherche n’étaient à ce moment là pas suffisamment défini. Quoiqu’il
en soit, il est malgré tout ressorti de ces entretiens de nombreux éléments très intéressants
que j’ai pu exploiter dans le cadre de ma recherche.
Enfin, pour quelqu’un qui vient des chiffres, mettre en lettres, écrire n’a pas toujours été un
exercice facile, mais j’y ai est pris un plaisir certain. Le plus difficile –et cela a sans doute été
ma difficulté- est de ne pas uniquement se faire plaisir à soi-même mais surtout de rendre la
lecture plaisante à celui qui prendra l’ouvrage entre ses mains. C’est tout un art (et je ne suis
pas artiste) de rendre intelligible son propos aux autres, j’espère néanmoins y être parvenu.
Page 23 sur 161
I. Artenréel et ses artistes entrepreneurs
A. Approche juridique
1) Artenréel est une CAE
Comme évoqué dans l’introduction, Artenréel est une Coopérative d’Activités et d’Emploi. La
CAE n’est pas un statut juridique, mais un concept, une démarche. Cette nouvelle forme
d’organisations de travail, apparue au milieu des années 90, a connu un rapide
développement13. Plutôt que d’en réinventer la définition, je me permets de commenter
quelques extraits de la Charte des Coopérative d’Activités et d’Emploi du réseau Coopérer
pour entreprendre :
« Les CAE s’adressent à toute personne (…) porteuse d’un projet de création d’activité ayant
la maîtrise du savoir faire (…) et une capacité professionnelle reconnue. Elles s’adressent
ainsi à des créateurs d’activités souhaitant développer leur projet non pas par la voie
classique de la création d’entreprise mais par une voie alternative. Les raisons de ce choix
sont diverses et variées : le souhait de tester l’activité avant de créer son entreprise,
bénéficier d’un accompagnement professionnel, retrouver du collectif dans une société qui le
délite, minimiser les risques de la création d’entreprise, rompre avec l’isolement du chef
d’entreprise, ne pas connaître à nouveau l’échec ou le dépôt de bilan… Le concept de
Coopératives d’Activités et d’Emploi promeut l’idée d’un entrepreneuriat collectif et
coopératif. Sécurisant la démarche des créateurs d’activités, la CAE offre un hébergement
juridique, comptable et fiscal de l’activité économique ; un statut d’entrepreneur-salarié ; un
accompagnement basé sur une démarche d’apprentissage par l’action. Le créateur
d’activités devient entrepreneur-salarié : il est la figure centrale des Coopératives d’Activités
et d’Emploi. Le cadre entrepreneurial de la CAE permet de :
- Tester, développer et pérenniser une activité économique, et de bénéficier d’un
accompagnement dans la durée, pour « apprendre en faisant » le métier
d’entrepreneur au sein d’une entreprise collective,
- Créer progressivement son propre emploi salarié au sein d’une entreprise
coopérative qu’il mutualise avec d’autres entrepreneurs, et dont il peut devenir
associé.
La mise à disposition du cadre juridique et administratif de la CAE confère à l’entrepreneur
son existence juridique et commerciale. Concrètement, la CAE lui prête ses différents
13
Pour des données statistiques sur les CAE : http://www.cooperer.coop
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identifiants (Numéro SIRET, Code APE, statut juridique, numéro d’organisme de
formation…) afin qu’il puisse y développer ses activités dans les meilleures conditions
possibles. »
Une innovation majeure des CAE réside dans la conception d’entrepreneur salarié, celui qui
est entrepreneur de son propre salaire : les usagers qui bénéficient des services
d’accompagnement de la coopérative en sont alors également salariés, employés de
l’activité qu’ils y développement, dont ils assument les risques ; ils demeurent
contractuellement lié à la coopérative par un contrat de travail. Construite sur des valeurs
communes d’engagement, de responsabilité, de solidarité et d’autonomie, la CAE participe à
la création de nouvelles dynamiques économiques sur les territoires. La finalité du parcours
en CAE réside dans l’accès au sociétariat des entrepreneurs salariés : ceux qui ont
suffisamment développés leurs projets et qui ne font pas le choix de quitter la CAE pour
s’installer à leur propre compte, ont la possibilité de pérenniser leur emploi dans la CAE en
devenant sociétaire de la CAE : ils s’engagent alors dans la dimension politique de la CAE
par l’achat de parts sociales, leur conférant les droits et les devoirs de l’associé. Ces
entrepreneurs associés sont alors parties prenantes du projet de l’entreprise coopérative, qui
devient alors véritablement une entreprise partagée. Le concept de CAE trouve sa
matérialisation dans le statut juridique de la SCOP dont le sociétariat des salariés est l’une
des caractéristiques fondamentales.
2) Artenréel est une SCOP
La Société Coopérative Ouvrière de Production14 est l’une des formes juridiques du
mouvement coopératif qui regroupe les différentes familles coopératives (coopératives de
consommation, coopératives d’entrepreneurs…). Elles partagent toutes les mêmes finalités
et répondent à des caractéristiques similaires.
Une coopérative est avant tout un groupement qui consiste « à associer des personnes
volontaires sur une base égalitaire en vue d’effectuer une activité de nature économique au
plus juste prix et en limitant la rémunération du capital, les résultats éventuels étant partagés
en fonction de l’activité que chacun de ses membres a eue avec la coopérative, et donc de
sa contribution au résultat ». Ce n’est donc pas le capital qui est rémunéré, c’est l’activité de
chacun des membres. Les coopératives s’appuient sur des règles de fonctionnement qui les
caractérisent :
14
Cette appellation correspondant à dénomination juridique du sigle SCOP : la loi reconnait également des appellations SCOP / Société Coopérative de Production et SCOT / Société Coopérative de Travailleurs (Guide juridique des SCOP, 2003, Article 46). Plus récemment, le mouvement coopératif a opté pour une nouvelle appellation dans sa stratégie de marque : SCOP / Société Coopératives et Participatives.
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- « la règle d’égalité (une personne, une voix),
- la règle de liberté (chacun peut adhérer ou s’en aller, principe de la « porte
ouverte »),
- la règle de justice (la répartition des bénéfices se fait au prorata des activités de
chaque membre),
- la règle d’équité (la rémunération des apports en argent est limitée)15».
L’Alliance Coopérative Internationale lors de la déclaration sur l’identité coopérative
internationale16 (Manchester, 1995) a défini les principes coopératifs qui doivent caractériser
toutes coopératives :
- Adhésion volontaire et ouverte à tous
- Pouvoir démocratique exercé par les membres
- Participation économique des membres
- Autonomie et indépendance
- Éducation, formation et information
- Coopération entre les coopératives
- Engagement envers la communauté.
Parmi les nombreux statuts coopératifs existants, les CAE empruntent plus particulièrement,
le véhicule juridique de la SCOP. La SCOP, forme particulière de SARL ou de SA17, est
créée par et pour ceux qui y travaillent. Les caractéristiques particulières des CAE
correspondent à celles des SCOP et s’inscrivent pleinement dans les principes coopératifs
- Fonctionnement démocratique : une personne = une voix (un droit de vote),
- Impartageabilité des réserves18,
- Gestion transparente et altruiste,
- Partage équitable du résultat entre part travail, réserves et capital,
- Positionnement de l’individu au cœur du processus de production,
- Recherche de l’épanouissement de l’Homme,
- Inscription dans l’Economie Sociale.
15
Denis Clerc, in L’Economie Sociale de A à Z, p53, p54 Alternatives Economiques Pratique 16
Pour plus de détail, voir : http://www.les-scop.coop/sites/fr/les-scop/culture-scop/principes-cooperatifs 17
Forme de sociétés commerciales où la responsabilité des associés est limitée aux apports. On compte aujourd'hui en France près de 1 500 000 SARL, ce qui correspond aux deux tiers de toutes les sociétés commerciales françaises. A titre de comparaison, on compte environ 2000 SCOP en France. Pour consulter des chiffres sur les SCOP : http://www.les-scop.coop/sites/fr/les-chiffres-cles/ 18
Les réserves sont impartageables et vont contribuer tout au long du développement de l’entreprise à consolider les fonds propres et à assurer sa pérennité. Denis Clerc précise que « cette part du bénéfice non distribué ne peut servir à valoriser le capital. Le fruit du travail des uns garantit le travail de ceux qui suivront. La solidarité n’est pas seulement horizontale, entre coopérateurs, elle est aussi verticale, entre générations de coopérateurs ».
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Plus concrètement, les SCOP sont des sociétés commerciales, régies par la loi n° 78-763 du
19 juillet 1978 qui règlement le nombre minimum d’associés, la répartition des pouvoirs (...)
et la répartition des bénéfices (…) »19. Regroupées au sein de la fédération SCOP
Entreprises, ces entreprises sont « soumises à l’impératif de profitabilité comme toute
entreprise. Elles bénéficient d’une gouvernance démocratique et d’une répartition des
résultats prioritairement affectée à la pérennité des emplois et du projet d’entreprise. Les
salariés sont associés majoritaires et détiennent au moins 51 % du capital social et 65 % des
droits de vote. Si tous les salariés ne sont pas associés, tous ont vocation à le devenir »20.
3) La CAE, une SCOP particulière
La mise en œuvre du projet CAE passe par l’objectif du sociétariat. Le statut SCOP permet
de réaliser pleinement le parcours d’émancipation proposé par les CAE à travers le passage
du salariat au sociétariat. C’est en premier lieu, l’attachement à la mise en œuvre de la
double qualité (salarié et associé) qui permet de mesurer l’appartenance à une économie au
service de l’homme, en opposition à l’économie capitaliste. Ainsi, l’outil coopératif permet de
concilier la maîtrise opérationnelle, économique et politique de son projet.
La CAE est cependant une coopérative de production particulière : son objet social est
l’éducation à la coopération. Cette dimension éducative fait de la CAE un outil spécifique,
distinct du concept de couveuse ou de société de portage : l’intérêt n’est pas de créer des
entreprises à l’issue d’un parcours d’accompagnement, l’enjeu est bien de partager une
entreprise collective dans une logique de coopération. La CAE pourrait s’apparenter à une
« coopérative d’éducation coopérative21 » ou encore une coopérative multifonctionnelle,
associant production, éducation, consommation. La pluralité des activités qui la compose la
distingue d’une SCOP classique, centrée sur une activité unique, sur un cœur de métier
central, moteur du projet coopératif.
B. Approche socioéconomique
En complément de cette première approche juridique, l’analyse socioéconomique permet
d’observer comment les hommes et les femmes, membres d’une organisation de travail, la
font évoluer et construisent, modifient, sa structuration économique. Pour le sociologue
Jean-Claude Passeron, la socio économie « produit peu d'effets de connaissances mais
beaucoup d'effets d'intelligibilité ». Autrement dit, elle amène une meilleure compréhension
19
Danièle Demoustier, in L’Economie Sociale de A à Z, p190, Alternatives Economiques Pratique 20
http://www.les-scop.coop/sites/fr/les-scop/qu-est-ce-qu-une-scop.html 21
Jean-François Draperi, op. cit.
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de la réalité. Nous allons maintenant observer de plus près comment fonctionne la CAE
Artenréel.
1) Les coopérateurs
Les coopérateurs sont le cœur du projet coopératif : chaque coopérateur est lié à sa
coopérative par un rapport d’association et d’activités, appelé double-qualité. Ainsi, dans une
SCOP, les salariés ne sont coopérateurs que s’ils sont associés au capital de leur
entreprise : ils ont alors la double-qualité de salariés et associés. Dès lors, ils participent à sa
gestion démocratique et assume une part de responsabilité. .
Artenréel a connu trois phases d’évolution dans son organisation politique.
1) La création de la SCOP22
Artenréel a été créée par 3 associés fondateurs :
- 2 salariés associés : Stéphane BOSSUET et Joël BEYLER
- 1 associé extérieur (personne morale) : l’association OGACA, partenaire
historique.
Les associés ont désigné Stéphane BOSSUET premier gérant d’Artenréel.
La composition du sociétariat à la création de la SCOP :
L’accession à la qualité de sociétaire représente l’avènement du projet CAE. Après trois
années de fonctionnement en SCOP, d’autres associés ont rejoints les fondateurs.
22
Artenréel a été créée en 2004 mais ne s’est transformée en SCOP qu’en 2006 : avant cette date, les conditions de création en SCOP n’étaient pas réunies. Artenréel a alors pris la forme d’une société coopérative loi 1947, forme simplifiée de coopérative dont les règles de constitution sont plus souples.
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2) Première arrivée de nouveaux associés
Six nouveaux associés ont rejoints les fondateurs en 2009, ce qui porte à neuf le nombre
d’associés, dont :
- 8 salariés associés soit :
o les 2 salariés associés fondateurs,
o 1 salarié membre de l’équipe permanente (soit 3 membres de l’équipe
permanente au total),
o 5 artistes entrepreneurs,
- 1 associé extérieur : l’OGACA (personne morale fondatrice)
La composition du sociétariat fin 2009 :
L’année 2010 a été consacrée à l’élaboration du pacte d’associé, du contrat coopératif
appelé « charte d’associés d’Artenréel »23 qui définit les grands principes de fonctionnement
et le socle de valeurs communes. Cette charte donne un cadre à tout nouveau candidat au
sociétariat. De manière conventionnelle, elle fixe par exemple le montant du capital à libérer
23
Voir Annexe I « Charte d’associés d’Artenréel » et Annexe II « Critères de candidatures au sociétariat »
Page 29 sur 161
par chaque associé : la souscription s’élève à 760 € (38 parts sociales de 20€)24 et tout
salarié associé s’engage par ailleurs à reverser chaque mois au capital 1% de son salaire
brut, au titre du prélèvement statutaire. Cette mesure économique permet de renfoncer de
manière continue les fonds propres de la coopérative.
La charte s’accompagne également des critères d’accès au sociétariat, qui permettent à
chaque entrepreneur désireux de s’intéresser au sociétariat de vérifier s’il est éligible, avant
de soumettre sa candidature à l’Assemblée Générale des associés. Les conditions d’accès
portent sur l’ancienneté, le volume d’activité, la participation active à la vie de la coopérative
(réunions, séminaires…).
La diffusion fin 2010 de la charte d’associé et des conditions d’éligibilité a conduit à la
candidature de sept entrepreneurs.
3) Deuxième arrivée de sociétaires
L’assemblée Générale de juin 2011 a validé l’intégration de 5 nouveaux associés25 ce qui
porte à 14 le nombre d’associés :
- 13 salariés associés dont :
o les 2 salariés associés fondateur,
o 1 salarié membre de l’équipe permanente (soit 3 membres de l’équipe
permanente au total),
o 10 artistes entrepreneurs,
- 1 associé extérieur : l’OGACA (personne morale fondatrice)
24 Pratique mise en œuvre au sein d’Artenréel, par convention entre les associés. L’article 6 de la loi
du 19 juillet 1978 indique que « l'admission en qualité d'associé ne peut être subordonnée à l'engagement de souscrire ou d'acquérir plus d'une part sociale » 25
2 candidatures ont été ajournées, les motivations étant insuffisantes. Des précisions ont été demandées aux intéressés ; elles feront l’objet d’un réexamen.
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Répartition du pouvoir politique en 2011
Les associés représentent le niveau politique du projet de l’entreprise. Ils prennent
collectivement les grandes décisions et fixent les orientations stratégiques de la coopérative.
Ils élisent le gérant qui a alors la charge de mettre en œuvre les stratégies définies ; le
gérant est l’interface entre la sphère politique et la sphère opérationnelle.
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2) L’organisation opérationnelle : les salariés
D’un point de vue opérationnel, Artenréel fonctionne, comme toute CAE, en s’appuyant sur
la présence complémentaire de deux catégories de salariés : les entrepreneurs salariés et
les salariés permanents.
- Les entrepreneurs-salariés
Ils intègrent la CAE afin d’y trouver un cadre pour développer leur activités. Ils apportent
leurs affaires dans la coopérative ; dans le jargon d’une CAE dédiée aux métiers artistiques
et culturels, les entrepreneurs salariés peuvent être qualifiés d’artistes entrepreneurs26. Les
caractéristiques et principes d’actions de cette catégorie de salariés feront l’objet d’une
présentation détaillée dans la partie « Monographie des artistes d’Artenréel ».
- Les salariés permanents
Ce sont les salariés en charge du fonctionnement de la structure : ils administrent et gèrent
la structure, développent les partenariats institutionnels, accompagnement les entrepreneurs
et animent la vie coopérative. Les termes pour les désigner varient selon les coopératives :
salariés permanents, équipe support, activités de soutien, technostructure…
La coopérative est organisée en pôles, dont les principaux sont :
- Le pôle Accueil / Secrétariat
- Le pôle Administratif
- Le pôle Comptabilité / Finance
- Le pôle Accompagnement
- Le pôle Développement et Partenariat
Artenréel compte 8 salariés permanents : chacun à un rôle et des missions définies qui
s’intègrent à la fois dans le fonctionnement de l’entreprise et dans le processus
d’accompagnement mis en œuvre. La complémentarité des personnes et de leurs
compétences est importante et nécessaire pour assurer un accompagnement de qualité, qui
intègre toutes les dimensions d’un projet. Les salariés permanents interviennent en règle
générale dans plusieurs pôles : à titre d’exemple, la personne chargée de la comptabilité
intervient également dans l’accompagnement de gestion des entrepreneurs.
26
J’utiliserais indifféremment les termes d’artistes entrepreneurs et d’entrepreneurs salariés
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La gérance et la direction peuvent être deux fonctions occupées par la même personne ;
c’est actuellement le cas pour Artenréel. Cependant, ces fonctions pourrait être occupées
par deux personnes différèrent : cette situation pourrait s’envisager si un entrepreneur
associé accède au mandat de gérant en étant élu par les associés.
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Organigramme fonctionnel
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C. Première CAE des métiers artistiques et
culturels
Lors de sa création en 2004, Artenréel s’est distinguée par son positionnement dans le
secteur artistique et culturel alors que le paysage national était composé de CAE dites
« généralistes27 ».
Grâce à notre expertise du secteur, Stéphane et moi-même nous sommes vus confiés par le
conseil d’administration du réseau Coopérer pour entreprendre, propriétaire du concept de
CAE, une mission d’expérimentation, d’adaptation du concept de CAE au secteur culturel.
L’objectif était de tenir compte des cadres juridiques particuliers et de la personnalité même
des artistes. Le fonctionnement même de la CAE et l’action d’accompagnement allait
nécessairement être spécifique28, tout en conservant le cœur de métier de la CAE.
L’expérimentation menée par Artenréel nous a aujourd’hui inscrits dans une démarche
d’essaimage et de transfert de savoir-faire29. Cette reconnaissance par les pairs démontre
qu’Artenréel a su prendre en compte les caractéristiques du secteur culturel, et celles des
artistes eux-mêmes.
1) Caractéristiques générales et problématiques des
professions artistiques
La plaquette d’Artenréel précise que « l’identité de l’artiste se construit aujourd’hui dans une
multiplicité de disciplines, de sensibilités, de talents et de statuts qui s’expriment dans un
nombre toujours croissant de métiers et de spécialités. Détenteur d’expériences, de
diplômes et de compétences, l’artiste rencontre néanmoins de réelles difficultés d’insertion
professionnelle liées à la nature de son activité ».
27
CAE généraliste : CAE qui accueille tout type d’activités (y compris des activités artistiques) 28 Voir mémoire Stéphane Bossuet, Itinéraire d’artistes en coopératives d’activités et d’emploi : vers la construction d’une nouvelle professionnalité au sein d’Artenréel 29
Artenréel est aujourd’hui engagée dans des dynamiques de développement nationales et européennes :
- Au plan national, Artenréel est pilote du projet « Département Arts et Culture » consistant en la création de département spécialisés permettant l’accueil et l’accompagnement d’artistes sur la base des outils et des méthodologies transférés par Artenréel
- Au plan européen, Artenréel est chef de file d’un projet Leonardo, transfert d’innovation, qui vise à croiser nos pratiques d’accompagnement, d’organisation, de coopération avec nos voisins européen : Allemagne, Espagne, Italie, Suisse. L’une des finalités réside également dans la création d’un réseau européen d’entreprises culturelles partagées.
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Ces constats résument bien la situation : le besoin de professionnalité est induit par la
complexité des statuts juridiques, des régimes sociaux et fiscaux des activités artistiques,
par l’absence ou la faiblesse des démarches commerciales de l’artiste et par une faible
insertion dans les milieux professionnels. La figure de l’artiste romantique est aujourd’hui
dépassée : l’artiste moderne s’apparente davantage à un travailleur, déployant ses forces
créatives sur des marchés, devant faire preuve de qualités qui permettent facilement de
l’apparenter à la figure de l’entrepreneur.
La complexité des statuts juridiques et des régimes fiscaux et sociaux
L’exercice d’une activité artistique impose à l’artiste de se conduire en entrepreneur :
autonomie, initiative, innovation, créativité, compétences multiples, autodiscipline…mais peu
nombreux sont ceux qui sont à l’aise avec cette posture, d’autant que l’environnement de
travail est complexe. En effet, plusieurs natures de rémunérations coexistent : les
rémunérations de nature salariale, les rémunérations fondées sur l’exploitation des œuvres
(droits d’auteurs) et la rémunération induite par la vente même de l’œuvre. Ces différents
modèles peuvent tout à fait se superposer, se juxtaposer. Ils relèvent cependant de
dispositifs juridiques spécifiques, aussi bien au sens des statuts juridiques que des textes qui
encadrent les modes de rémunération : le Code du Travail et le Code de la Propriété
Intellectuelle. Ces rémunérations de natures diverses peuvent alors relever de régimes
fiscaux différents (salaires, droits d’auteurs, professions libérales…) et d’autant de systèmes
de protection sociale distincts (Urssaf, Agessa, Maison des Artistes…) : « La multiplicité des
statuts et des cotisations sociales qui leur sont associés dispersent les droits sociaux des
auteurs au détriment de ces derniers »30.
L’emploi et le marché du travail : une économie de projets
L’emploi et le marché du travail dans le secteur culturel sont caractérisés par l’émiettement,
la fragmentation des contrats et du temps de travail ainsi que par la multi-activité »31. Le
secteur est fondé sur une économie de projet, d’équipes qui se réunissent autour d’un
objectif et dissoutes au terme de celui-ci. Le secteur se caractérise également par l’existence
de nombreuses niches d’activités et par un marché du travail extrêmement hétéroclite, allant
des entreprises professionnelles (compagnie de théâtre, groupe de musique, label,
association/collectif d’artistes plasticiens…), aux acteurs de l’industrie cultuelle (majors…),
30
Dominique Sagot-Duvauroux, Travail artistique et économie de la création, La Documentation Française, 2008, p40 31
Danièle Demoustier, Denis Anselme, in « Les CAE du secteur culturel, vecteur de professionnalisation et de solidarisation des artistes ? »p2
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aux organisateurs occasionnels du spectacle vivant32 et les pratiques amateurs, ainsi que
d’une typologie variable de formes d’entreprises, de la société de capitaux jusqu’à
l’association à but non lucratif, fonctionnant grâce à ses bénévoles.
L’emploi culturel est quant à lui caractérisé par la flexibilité, les emplois étant éclatés en une
multitude de contrats33 à faible volume horaire de travail, répartis sur de nombreux
employeurs, le CDD représentant le plus couramment utilisé. A titre d’exemple, 58% des
250 000 salariés du spectacle vivant exercent leurs activités chez plusieurs employeurs
(contre 5% seulement tous secteurs professionnels confondus).
L’intermittence de l’activité, la précarité domine
Les disparités sont fortes en termes de volume d’activité34 et de rémunération : les volumes
de travail et les rémunérations sont concentrés sur une minorité de salariés, peu se
partagent un volume important des rémunérations. Le champ culturel est caractérisé par
l’intermittence du travail, alternant période d’activité et périodes d’inactivités. En réponse à
cette précarité, des régimes spécifiques d’assurances chômages, fondés sur des solidarités
interprofessionnelles, sont nés pour certaines filières du secteur culturel tels que le spectacle
vivant et l’audiovisuel. Les conditions d’accès à ces régimes, aujourd’hui en tension, se
durcissent et excluent de leur prise en charge un nombre toujours plus important d’individus,
les maintenant dans des situations d’extrême précarité : nombreux artistes sont aujourd’hui
allocataires du Revenu de Solidarité Active. Peu d’artistes ou d’auteurs (hors intermittence)
vivent exclusivement de leur travail artistique. Ainsi, seule la moitié des artistes auteurs
affiliés à l’Agessa (ceux bénéficiant d’une protection sociale au titre du régime des artistes
auteurs) touchent une rémunération supérieure au SMIC35.
La nécessaire pluriactivité
Pour faire face, l’artiste est souvent dans la nécessité de diversifier ses activités (pour utiliser
un terme d’économiste) et développe alors des activités annexes, liés à son activité
artistique principale. Ces activités sont qualifiées d’accessoires : interventions artistiques
dans des écoles ou dans des centres socioculturels, prestations de formations… Cette
32
Structures dont le spectacle vivant n’est pas l’activité qui organisent de manière occasionnelle des évènements faisant appel à l’intervention d’artistes 33
Dans le spectacle vivant, les CDD représentent 97% des emplois artistiques, définissant ainsi l’intermittence dans le secteur / Marie Gouyon, L’emploi salarié dans le spectacle en 2008 : une diversité de situations, Publication du Ministère de la Culture, p4 34
20% des salariés du spectacle vivant travaillent moins de 100 heures par an contre 1% pour l’ensemble de la population 35
Voir l’étude de F. Labadie, F. Rouet, Régulation du travail artistique, DEPS, Ministère de la Culture et de la Communication, Culture prospective
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pluriactivité est parfois choisie par l’artiste qui réussit, parfois subie par celui qui finance ainsi
son travail de vocation, son travail de création, par ces activités qui apparaissent alors
comme alimentaires. Il n’est pas rare que cette spirale amène l’artiste, bien malgré lui, à en
oublier, au sens de ne plus avoir le temps, son travail de création. Parfois, il arrive même
que le revenu alimentaire soit procuré par une activité qui n’est pas en lien avec l’activité
artistique, mais totalement déconnectée de celle-ci. Pour illustrer ce propos, notons que les
¾ des salariés du spectacle vivant exercent plusieurs métiers, certains « combinant (…)
deux métiers techniques (assistant et ouvrier ou cadre de la réalisation des spectacles) ou
deux métiers artistiques (artistes dramatiques et artistes du cirque ou musicien). Mais la
plupart cependant exécutent la majeure partie de leur temps de travail hors du spectacle : il
s’agit alors le plus souvent d’emplois dans une administration publique, (…) dans les
activités des organisations associatives ou encore dans l’enseignement »36.
Les artistes d’Artenréel n’échappent pas à ces situations fréquentes : certains artistes
entrepreneurs ont une activité dans la coopérative et la cumulent avec un emploi qualifié
d’alimentaire (non artistique et non exercé dans la coopérative), d’autres cumulent plusieurs
activités dans la coopérative (musicien/graphiste ou encore DJ/régisseur technique).
La dimension vocationnelle de l’activité
Bien qu’il exerce dans un environnement fortement incertain et risqué, l’activité de l’artiste
est vocationnelle et se caractérise également par des satisfactions non monétaires, qui lui
font accepter ces situations de précarité. « (La) variété des tâches accomplies, (les) mises
en valeur de toutes les compétences individuelles, (le) sentiment de responsabilité,
considération, (la) reconnaissance du mérite individuel, (…), (les) conditions de travail
attrayantes, (la) faible routinisation des tâches » sont autant d’aspects qui « permettent de
compenser provisoirement ou durablement le manque à gagner pécuniaire »37. Ces
caractéristiques ont une conséquence forte sur la dimension entrepreneuriale des artistes,
observation que je tire de mon expérience au sein d’Artenréel : un artiste, même si son
activité ne connaît pas l’essor qu’il souhaite, n’abandonnera pas son activité. Dans nos
autres coopératives Coopénates et Antigone, un entrepreneur qui ne parvient pas à rendre
rentable son activité après deux ou trois ans, interrompt celle-ci et passe à autre chose.
Certains de nos artistes entrepreneurs, arrivés peu après la création d’Artenréel, sont
toujours présents et demeurent toujours sur un volume d’activité et de rémunération qu’un
entrepreneur d’un autre secteur jugerait largement insuffisants.
36
Marie Gouyon, op cit, p4 37
Pierre Michel Menger, Portrait de l’artiste en travailleur, La République des Idées Seuil, p52
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Les difficultés du secteur et la crise des politiques culturelles
Plus que jamais, le contexte actuel de crises financière, économique, sociale et politique met
en difficultés le champ professionnel de la création artistique. L'intervention publique,
autrefois conçue pour mettre la culture à l'abri des logiques de marché, est aujourd’hui
engagée dans une dangereuse spirale de restriction budgétaire qui permet légitimement de
se poser des questions sur le maintien, en l’état, du champ des activités culturelles, d’autant
que la situation était déjà critique. La Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP),
l’infléchissement des politiques culturelles et l’évolution des partenariats publics, les acteurs
artistiques et culturels font face à des défis et des enjeux complexes souvent difficiles à
appréhender qui risquent, cependant, de modifier notablement leur pratique quotidienne. La
création artistique est en danger : de nouveaux équilibres, de nouvelles structurations
professionnelles, de nouveaux modes d'organisation et de nouvelles solidarités doivent être
trouvées. Face à ces urgences, la CAE essaie d’y contribuer et cherche à entretenir l’espoir
d’un modèle nouveau au service de la création artistique.
2) Une réponse pour les artistes
Loin de moi l’idée d’avoir dresser un portrait sociologique complet de l’artiste, j’espère en
avoir dressé quelques caractéristiques principales. Quoi qu’il en soit, « c’est dans ce
contexte que sont nées des initiatives d’organisations collectives cherchant à promouvoir de
nouvelles organisations du travail (…). Les logiques de mutualisation et de coopération dans
le champ culturel (qui ne vont pas de soi compte tenu de la nécessaire affirmation et
revendication d’une identité artistique propre renforçant la concurrence interindividuelle) se
sont progressivement affirmés comme pouvant favoriser l’amélioration des conditions
d’emploi dans ce secteur (…) »38.
Ce secteur, capable d’innovation, de partenariat, d’échanges et d’expériences se devait de
composer avec les nouvelles formes d’emploi et d’organisation du travail qui sont proposées
en CAE. Ces réflexions sur les conditions de professionnalité des artistes ont conduit à la
création d’Artenréel. Sa mission, au-delà de celle inhérente à chaque CAE, est de contribuer
à l’émergence, et à la pérennisation d’emplois de personnes relevant des métiers artistiques
et culturels. L’accompagnement, le statut de salarié et sa protection sociale ainsi que le
collectif viennent sécuriser les parcours individuels.
Le cadre de travail flexible de la CAE permet l’exercice de plusieurs métiers et activités avec
un statut unique et apporte une réponse originale à la spécificité de la pluriactivité artistique.
Les artistes exercent plusieurs activités, cet ensemble consolidé d’activités leur permet de
38
Marie Gouyon, op cit, p4
Page 39 sur 161
survivre, parfois de vivre. La création artistique et l’intervention artistique y trouvent leur
place et l’artiste cherche entre ces deux sphères un équilibre, l’une nourrissant l’autre.
S’appuyant sur le modèle entrepreneurial caractérisé par une forte autonomie, la prise de
risque, la flexibilité dans l’organisation du travail, conditions de la créativité et de l’innovation,
l’artiste entrepreneur va, à travers la coopérative, chercher à réduire l’incertitude qui pèse sur
lui. De ce fait, Artenréel réinterroge également le statut de l’artiste et l’organisation du travail
artistique. La prise en compte en coopérative de la pluriactivité comme véritable élément
constitutif de la professionnalité, semble être une réponse à l’évolution des pratiques de
travail dans les secteurs artistiques. Sécurisant les parcours à travers le statut de salarié en
CDI, s’attachant à cotiser à un régime social unique permettant la constitution des droits
sociaux, ce mode d’organisation du travail artistique représente une façon innovante de
promouvoir, d’accompagner et de pérenniser les activités artistiques. Face aux réalités
économiques de faisabilité de projets, la coopérative Artenréel offre une manière originale de
traiter les problèmes de structuration du secteur culturel et amène un mode de gestion
novateur, fondé sur le partage, la mutualisation et la solidarité. Art, culture et coopération
poursuivent des intentions similaires et semblent pouvoir s’accorder : ils permettent à
l’individu de s’émanciper.
D. Les artistes d’Artenréel39
1) Monographie
« Associer au sein de la coopérative plusieurs métiers traduit la reconnaissance du caractère
transdisciplinaire des pratiques artistiques les plus contemporaines. Cette diversité est une
richesse pensée dès l’origine pour faire naître et provoquer des synergies, des
collaborations, des débordements disciplinaires, chacun se nourrissant au contact des
autres ». Cet extrait de la plaquette d’Artenréel illustre la variété des métiers représentés et
met en évidence la force que représente le produit des compétences présentes au sein
d’une coopérative : Artenréel compte aujourd’hui près de 80 artistes entrepreneurs salariés :
leurs parcours, réseaux, compétences sont variés… Cette diversité est une réelle richesse.
Elle permet l’émergence de projets collectifs faisant appel à des corps de métiers multiples
et permet d’envisager des marchés nouveaux tels que les appels d’offres qu’un artiste isolé
ne pourrait espérer décrocher.
Les statistiques suivantes (issues du rapport d’activités 2010 d’Artenréel) illustrent bien la
richesse de cette diversité.
39
Retrouvez des portraits d’artistes de la coopérative en annexe XIV, page 158
Page 40 sur 161
La majorité des artistes d’Artenréel ont entre 25 et 44 ans. La tranche d’âge 15-24 ans n’est
pas du tout représentée et peut s’expliquer par le niveau élevé d’étude qui caractérise cette
population.
A leur entrée en coopérative, près de 72% des publics rencontrés par Artenréel sont des
demandeurs d’emploi. 7% étaient inactifs souvent étudiants et Artenréel constitue alors leur
première expérience professionnelle. Nous travaillons d’ailleurs de concert avec les
Page 41 sur 161
universités, par des interventions régulières dans les écoles d’art, pour sensibiliser les
étudiants à l’environnement professionnel qu’ils rencontreront à leur arrivée sur le marché de
l’emploi culturel.
Les 21 % restants représentent des personnes qui avaient déjà créée leurs propres
entreprises ou associations, ayant connus des difficultés voir l’échec (dépôt de bilan) et qui
sont à la recherche d’un cadre différent pour exercer leurs activités. La rupture avec
l’isolement ou les situations de cumuls de plusieurs statuts (intermittent, salariés
vacataires…) sont aussi des raisons qui amène les personnes vers Artenréel.
Comme pouvait le laisser présager le graphique des âges, le niveau d’instruction est plutôt
élevé. Près de 80 % des entrepreneurs possèdent des diplômes supérieurs ou égaux à des
niveaux BAC + 2 : la plupart d’entre eux sont passés par l’Ecole des Beaux-arts, les facultés
d’arts… et seuls 2 % ont un niveau d’étude inférieur au BAC.
Cela confirme une tendance que nous avions identifié dès la création d’Artenréel :
« Détenteur de diplômes et de compétences, l’artiste rencontre néanmoins de réelles
difficultés d’insertion professionnelle liée à la nature de son activité. Rattrapés par des
contraintes économiques sévères, les métiers de la création nécessitent un réel besoin
d’accompagnement et une structure qui prend en compte la complexité (notamment à
travers la multi activité) de leurs activités ».
Les artistes d’Artenréel sont majoritairement des artistes femmes qui trouvent dans l’outil de
travail de la CAE une adaptabilité et une flexibilité, en réponse aux difficultés d’allier vie
professionnelle et familiale, puisque le temps de travail est librement choisi par la personne.
Page 42 sur 161
La CAE garantie aux femmes qui travaillent de l’activité, voire des multi activités, en toute
autonomie de gestion du temps et d’organisation.
Page 43 sur 161
2) Données économiques
Depuis 2009, le nombre moyen d’artistes qui compose Artenréel se situe aux alentours de
80 entrepreneurs salariés. Avec l’équipe de permanents actuels, il est difficile d’en accueillir
davantage tout en maintenant une disponibilité et un accompagnement de qualité. Il s’agit là
d’un effet seuil qui illustre bien la logique de parcours en œuvre dans les CAE : pour
accueillir de nouvelles personnes, il faut que d’autres quittent la coopérative.
Le potentiel d’activité n’est lui pas encore atteint. Ainsi, le volume d’activités développé par
les entrepreneurs est en constante évolution, comme en témoigne le graphique suivant :
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Les rémunérations versées aux entrepreneurs peuvent être analysés en termes d’emplois en
Equivalent Temps Plein (ETP).
Le volume d’emploi dégagé par les entrepreneurs à augmenter de 30% entre 2008 et 2009,
puis de 12% entre 2009 et 2010.
Le chiffre d’affaire a lui connu une variation de 18% entre 2008 et 2009, puis de 32% entre
2009 et 2010.
Entre 2008 et 2009, le volume d’emploi a augmenté plus fortement que le volume de chiffres
d’affaires. Les entrepreneurs ont alloué une part plus importante de leurs chiffres d’affaires à
la rémunération de leur travail ; la part de frais d’activité ayant diminué. Cela peut s’expliquer
par le phénomène d’installation des activités : le démarrage d’une activité implique des frais
d’installation (équipements, communication…) : en 2009, certaines activités d’entrepreneurs
en étaient à leur deuxième, voire troisième ou quatrième année de fonctionnement.
Entre 2009 et 2010, c’est au contraire le chiffre d’affaires qui a augmenté plus fortement que
le volume d’emploi. Outre le phénomène d’installation précédemment évoqué, on peut en
déduire que le volume d’affaires moyen des entrepreneurs a évolué, leur activités s’étant
développées et consolidées.
Enfin, le modèle économique de la coopérative s’appuie largement sur la dimension du
sociétariat, auquel accèdent les entrepreneurs autonomes dans leurs activités qui font le
choix de pérenniser leurs emplois au sein de la coopérative, tout en continuant à mutualiser
son fonctionnement par le reversement d’une part de leurs chiffres d’affaires. Ainsi, en 2010,
Page 45 sur 161
94%
6%
Réparti t ion Entrepreneurs salariés non associés / entrepreneurs
salariés associés
Entrepreneurs salariés non associés
Entrepreneurs salariés associés
85%
15%
Répart i t ion du chiffre d'affaire entre non associés et associés
CA réalisé par les salariés non associés
CA réalisé par les salariés associés
les entrepreneurs associés représentent 4% du nombre total des entrepreneurs et ils
réalisent 15% du chiffre d’affaires total de la coopérative.
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II. Du parcours de l’entrepreneur au dispositif
de gestion
Après cette présentation de la CAE Artenréel, nous allons nous intéresser aux modèles
économiques en œuvre dans la CAE ainsi qu’aux paramètres de gestion généraux des
activités des entrepreneurs : ces éléments représentent les règles du jeu de la coopérative
(A). Nous tenterons ensuite de mettre en évidence le parcours d’un entrepreneur en CAE
ainsi la nature des choix de gestion qu’il aura à réaliser.
A. Propos introductif : modèles économiques
et paramètres de gestion
1) Le modèle économique de l’entrepreneur salarié
Le modèle économique de l’activité d’un entrepreneur salarié est proche de celui de
n’importe qu’elle entreprise, tout en comportant certaines singularité induites par le portage
de l’activité par la CAE.
Les similitudes
Comme tout entrepreneur, ses ressources sont majoritairement composées des chiffres
d’affaires issues des ventes de ses produits ou prestation de services. Puisque positionnées
dans le champ du secteur culturel, les activités des entrepreneurs peuvent parfois faire appel
à des financements publics ou privés sous forme de subventions (production de spectacle ou
de disque, projet d’interventions artistiques…).
Ses produits d’activités permettent à l’entrepreneur de financer ses frais d’activités courants
(loyers, téléphone, achats, matériels et fournitures, matières premières, publicité,
déplacements…), les investissements nécessaires (logiciels, matériels, ordinateurs,… par le
mécanisme des amortissements) et son revenu d’activité. Comme tout entrepreneur, son
revenu d’activité représente la variable d’ajustement : son revenu dépend directement de la
réussite économique de son activité.
Les singularités
Contrairement aux créateurs d’entreprises qui relèvent majoritairement du régime des
Travailleurs Non Salariés, l’entrepreneur en coopérative est lui salarié. Il n’est par contre pas
reconnu en tant que chef d’entreprise, la CAE ne connaissant qu’un seul gérant.
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L’entrepreneur demeure cependant le seul pilote de son activité, qu’il développe en toute
autonomie et sous sa responsabilité.
La coopérative impose également à l’entrepreneur de ne pas réaliser de pertes : l’activité ne
peut pas être déficitaire. Une telle situation aurait pour effet de mettre en péril l’ensemble de
la coopérative car elle devrait alors couvrir les pertes, situation complexe à appréhender40.
Effet bénéfique, l’entrepreneur profite d’une mutualisation des dépenses avec les autres
entrepreneurs : cette mutualisation a pour effet de réduire certains coûts (par exemple, les
assurances professionnelles) allant même jusqu’à en faire disparaître certains autres : ainsi,
il n’y a pas de frais de création d’entreprise, les frais bancaires ne sont pas imputés à
l’entrepreneur (la coopérative n’ayant qu’un seul compte bancaire pour elle-même et pour
l’ensemble des entrepreneurs), un logiciel de gestion commerciale permettant la facturation
est mis à disposition gracieusement, …etc.
L’entrepreneur bénéficie également de moyens financiers mutualisés : la consolidation des
trésoreries permet, en puisant dans celles qui sont positives, d’avancer des fonds à celles
qui sont en attente du règlement d’un client ou du versement d’une subvention. La trésorerie
collective garantit ainsi le besoin en fonds de roulement individuel des activités.
Enfin, dès l’instant où l’entrepreneur démarre son activité économie, il participe au
fonctionnement de la coopérative en lui reversant 10% de son Chiffre d’Affaires Hors Taxes :
cette contribution est appelée mutualisation des frais de fonctionnement. Par les jeux
d’écritures de la comptabilité analytique, cette charge pour l’entrepreneur représente une
ressource pour la structure et permet de financer en partie l’accompagnement (salaire du
personnel) et les frais de fonctionnements nécessaires (loyers des locaux, etc…).
Chaque activité d’entrepreneur est isolée dans la comptabilité de la coopérative par une
section analytique distincte permettant d’assurer le suivi en temps réel des données
économiques de chacun d’entre eux.
40
Véritable enjeu d’avenir : quelle solidarité entre les entrepreneurs ?
Page 48 sur 161
Modèle budgétaire d’un entrepreneur salarié
2) Le modèle économique de la structure
d’accompagnement
Le modèle budgétaire de la structure d’accompagnement se caractérise par une hybridation
des ressources.
Elle se finance grâce :
- à des financements publics ou privés qui lui sont allouées, dans le cadre de
convention d’objectifs41, pour son action d’accompagnement,
- à la mutualisation des frais de fonctionnement, sommes reversées par les
entrepreneurs sur leurs chiffres d’affaires,
- à la vente de prestations de services qu’elle est en capacité de développer
selon ses compétences (missions d’études, transferts de savoirs-faires,
formations, prestations diverses…). En quelque sorte, les salariés permanents
sont à leur manière également des entrepreneurs, agissant dans l’intérêt
collectif de l’entreprise partagée.
41
Les sommes allouées sont en règle générale conditionnées à des objectifs évalués soit en volume d’entrepreneur ou en volume horaire d’accompagnement
Page 49 sur 161
La mutualisation des frais de fonctionnement reversée par les entrepreneurs et la vente de
prestation de services correspondent à l’autofinancement de la structure
d’accompagnement. Selon la situation de la coopérative (ancienneté, nombre
d’entrepreneurs, activités exercées…), le taux d’autofinancement représente entre 30 et 50%
du budget. Peu de CAE réussissant à franchir le cap de la moitié d’autofinancement. Bien
qu’on soit tenté de dire que cette part prendra une place de plus en plus prépondérante, la
coopérative est dans l’obligation, si elle souhaite accueillir de nouveaux entrepreneurs et
projets, d’obtenir de manière pérenne et récurrente des financements publics : les activités
émergentes des entrepreneurs et leur accompagnement ne peuvent que très rarement
s’autofinancer dans les premiers temps.
Au 31/12/2010, le ratio d’autofinancement d’Artenréel s’est élevé à près de 50%.
Ces différentes ressources vont permettre à la coopérative de financer son activité
d’accompagnement et son fonctionnement général, soit :
- Les achats et charges externes : loyers, téléphone, fournitures diverses, sous-
traitance, honoraires de l’expert-comptable….
- Les investissements (ordinateurs, logiciels, mobiliers…) et les dotations aux
amortissements correspondantes,
- Les salaires et charges sociales des salariés permanents,
- Les impôts et taxes
- …
La recherche de l’équilibre budgétaire est une préoccupation constante ; pour autant et
contrairement à l’entrepreneur salarié, la structure d’accompagnement peut se retrouver
dans une situation déficitaire.
L’activité des salariés permanents, les coûts induits ainsi que les frais de fonctionnement de
la coopérative sont centralisés dans une section comptable analytique intitulée « Structure ».
Page 50 sur 161
Modèle budgétaire de la structure d’accompagnement
3) Le modèle économique de la CAE
Le modèle économique de la CAE en tant que tel représente la somme des activités des
entrepreneurs et de la structure d’accompagnement : ces différentes composantes se
consolident. A mon sens, c’est une réelle innovation sociale qui fonctionne sur le principe
des vases communicants. Les destins de la structure d’accompagnement et des
entrepreneurs sont liés : la réussite des uns entraine la réussite des autres.
Ainsi, si la structure d’accompagnement dispose des financements nécessaires pour mener
un accompagnement de qualité, les activités des entrepreneurs seront bien encadrées, il est
aisé de penser que celles-ci se développeront davantage. Ce développement de leurs
activités génèrera un surcroît de chiffres d’affaires qui, par le principe de la mutualisation des
frais de fonctionnement, offrira des moyens nouveaux à la structure d’accompagnement.
Mieux, les éventuelles richesses non consommées se consolident également, qu’elles soient
générées par la structure ou par les entrepreneurs : cette dynamique est celle d’un cercle
vertueux, les bénéfices s’additionnent, chaque partie prenante étant gagnante.
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Représentation du cercle vertueux
Consolidation des activités et principe des vases communicants
4) Paramètres de gestion liés à la CAE
Par le concept original de l’entrepreneur salarié, la CAE transforme des chiffres d’affaires en
rémunération. Comment se détermine alors cette rémunération ? Les règles de
détermination du niveau de revenus sont multiples, complexes et imposées par la
coopérative :
- Tout entrepreneur en activité dans une CAE doit conclure avec la coopérative un contrat de
travail : le contrat de travail est toujours un CDI42 (ce choix implique le versement d’une
42
Le CDI est exclusivement utilisé. Il s’agit d’un choix politique décidé par le réseau Coopérer pour entreprendre, le CDI permettant de sécuriser au maximum les parcours et de garantir à terme une véritable protection sociale issue du salariat
Page 52 sur 161
rémunération tous les mois), l’inscription dans le temps de la relation entre l’entrepreneur
salarié et la coopérative est bien indéterminée. La première facturation déclenche le CDI.
- la rémunération est calculée selon un principe de lissage de la rémunération, pratique qui
tisse un lien entre la dichotomie des notions de salarié et d’entrepreneur. Concrètement,
l’idée est de trouver la rémunération moyenne correspondante au volume d’activité et de
chiffre d’affaires (plutôt que d’avoir un salaire sur un mois puis plus rien sur le mois suivant
faute d’activité). Il s’agit de déterminer le salaire moyen qui correspond à l’activité sur la
base des chiffres d’affaires réalisés et à venir, en ayant pris soin d’y soustraire les frais
d’activités. La réalité du CDI, contrat non précaire par excellence, s’en trouve affaiblie
puisqu’il s’agit d’un CDI variable, qui dépend du niveau de l’activité. Finalement, l’artiste en
CAE est entrepreneur de son propre salaire.
Cette méthode de rémunération souffre aujourd’hui d’une non-reconnaissance légale source
d’une certaine fragilité pour les CAE : la pratique du lissage pourrait être remise en cause à
tout moment. La CAE se doit alors d’être exemplaire face à la diversité des situations qu’elle
rencontre. A titre d’exemple, pour se prémunir de toute remise en cause de ses pratiques en
matière de droit social, le volume horaire du contrat défini dans le cadre du lissage se doit
d’avoir une certaine cohérence avec le niveau réel de l’activité développée43. Cependant,
selon la nature des activités, cette dimension est parfois difficilement mesurable, il est très
complexe de quantifier et de mesurer le temps consacré à la conception, à la prospection
commerciale ou encore à la veille stratégique, faisant partie intégrante de l’activité.
43
Exemple : un intervenant artistique facturant 100 heures de prestations d’interventions artistiques sur un mois ne devrait en principe pas avoir un contrat de travail de moins de 100 heures
Page 53 sur 161
Illustration du lissage de la rémunération
- l’activité ne peut pas être déficitaire : en fin d’exercice comptable, le résultat d’une activité
d’entrepreneur doit être équilibrée ou bénéficiaire,
- la gestion de l’activité se fait sur la base de l’exercice comptable44, en respectant le
principe comptable d’indépendance et séparation des exercices comptables45. Ainsi, un
chiffre d’affaires réalisé en année N ne peut servir à établir les salaires de l’année N+1 : bien
au contraire, ces sommes devront être consommées et ne pourront servir qu’aux salaires de
l’année N. Cette disposition implique que le lissage de la rémunération ne peut se faire sur
une durée indéterminée mais qu’il se calcule en réalité sur la période de l’exercice
comptable, plus exactement sur la période qui se tient entre la date de l’analyse et la date de
clôture de l’exercice comptable.
Cette clôture comptable annuelle des comptes donnera lieu à un choix de gestion important
lorsque l’activité est bénéficiaire, nous aurons l’occasion d’y revenir.
44
Du 1ier
janvier au 31 décembre 45
Norme I.A.S.C. N° 1 paragraphe 7 : "Les produits et les charges sont comptabilisés au fur et à mesure qu'ils sont acquis ou qu'elles sont engagées (et non lors de leur encaissement ou de leur paiement) et enregistrés dans les états financiers de la période concernée". P.C.G. 1999, Art. 313-1 : "Seuls les bénéfices réalisés à la date de clôture d'un exercice peuvent être inscrits dans le résultat de cet exercice".
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B. Le dispositif et les choix de gestion
Nous allons maintenant nous intéresser à l’itinéraire d’un entrepreneur en coopérative. Son
avancée dans le parcours va lui faire rencontrer des situations différentes. Chacune d’entre
elles va le conduire à des prises de décisions de gestion. A travers l’étude du parcours, nous
allons mettre en évidence les choix de gestion qui seront réalisés par l’entrepreneur.
Au sein de la CAE, le parcours de l’entrepreneur s’articule en plusieurs étapes successives,
depuis sa prise de contact à son intégration dans la coopérative, du démarrage de son
activité économique à la consolidation de son engagement en tant qu’associé.
Le schéma suivant récapitule les différentes étapes du parcours d’un entrepreneur.
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1) Les réunions d’informations collectives
Tout candidat participe à une réunion d’information collective dont le but est de lui
transmettre le premier niveau d’information nécessaire à la compréhension du projet de la
CAE, tant par ses modalités techniques que par son inscription dans l’histoire des
coopératives et de l’économie sociale.
A l’issue de cette réunion d’une durée de 3 heures, l’entrepreneur connaît dans les grandes
lignes le fonctionnement de la coopérative, ses possibilités et ses enjeux mais aussi ses
limites et ses contraintes. Un dossier de candidature lui est alors transmis.
2) L’entretien diagnostic
A réception de son dossier de candidature complété, le candidat s’inscrit alors dans la phase
de diagnostic de son projet : il est reçu par au moins deux salariés de l’équipe de la CAE
dans le cadre de l’entretien diagnostic. Cet entretien a pour but d’évaluer le projet du
candidat : pertinence, forces et faiblesses, besoins d’accompagnement, démarche
entrepreneuriale, potentiel économique, potentiel de coopération…46. L’entretien diagnostic
peut être sanctionné par :
- Un avis favorable qui entraîne l’intégration immédiate de la personne (les
critères sont remplis),
- Un avis défavorable qui implique la réorientation du candidat vers d’autres
dispositifs ou structures d’accompagnement,
- Un ajournement qui se traduit par la nécessité d’une nouvelle entrevue
permettant le réexamen ou l’approfondissement de certains aspects du projet.
3) La convention d’accompagnement
Si le diagnostic s’avère favorable, le candidat signe alors avec la coopérative une convention
d’accompagnement : il devient entrepreneur accompagné. Cette convention, d’une durée de
3 mois47, donne un cadre à la relation entre la coopérative et le porteur de projet, fixe les
objectifs (notamment les objectifs économiques), les obligations réciproques et confère à
l’entrepreneur l’existence juridique lui permettant d’utiliser le nom d’Artenréel dans ses
démarches de prospection commerciale. Cette phase permet à l’entrepreneur de s’inscrire
46
Annexe III : fiche diagnostic 47
La convention d’accompagnement peut être renouvelée pour une durée de 3 mois si des aléas ont empêché l’activité économique de démarrer
Page 56 sur 161
dans la dynamique d’accompagnement avec pour première finalité de structurer son activité
afin d’en faciliter le démarrage.
Le temps de la convention d’accompagnement donne lieu à un premier travail d’acculturation
au modèle économique et au dispositif de gestion propre à la CAE. Avec l’artiste
entrepreneur, les conseillers en gestion de la coopérative élaborent alors des simulations
économiques, sur la base de son modèle d’activité. Construit en s’appuyant sur les
perspectives et la vision que se fait l’entrepreneur de son activité, le prévisionnel de plan
d’affaires questionne les paramètres suivants : frais d’activités (frais fixes, frais variables,
coûts de production…), investissements à prévoir, niveau de rémunération souhaité… Ce
scénario co-construit est alors mis en perspective du potentiel de chiffres d’affaires et a pour
effet de confronter l’entrepreneur avec le réel, avec la réalité des chiffres.
Cette ébauche de prévisionnel d’activité poursuit une triple finalité : amener les premiers
éléments de compréhension des particularités de gestion de la CAE, déterminer un objectif
de chiffres d’affaires et aboutir à des indicateurs pertinents de mesure de l’activité (seuil de
rentabilité, le coût de revient horaire, les tarifs moyens des prestations…).
Importantes par leurs vertus pédagogiques, ces premières étapes du parcours ont peu
d’impacts en matière de gestion : elles induisent principalement des formalités
administratives (déclaration à l’assurance, rédaction de la convention d’accompagnement…).
C’est véritablement le démarrage de l’activité économique qui met en route les processus de
décisions de gestion : nous allons maintenant mettre en évidence quels sont les choix de
gestion qui devront être mis en œuvre. Les différentes natures de choix possibles, leurs
modalités techniques et la manière sont ils seront accompagnés, seront détaillées en partie
III.
Page 57 sur 161
4) Le démarrage de l’activité : premier choix de gestion
Dès que l’activité économique se concrétise et génère un premier chiffre d’affaires,
l’entrepreneur signe avec la CAE un contrat de travail à Durée Indéterminée (CDI) : il devient
entrepreneur salarié.
Ainsi, le moment est venu de déterminer le montant de la première rémunération : premier
choix de gestion, cette décision est prise dans le cadre d’un rendez-vous de gestion entre
l’entrepreneur et le conseiller en charge de l’accompagnement économique.
Fondé sur des hypothèses d’activités établies grâce à la technique des scénarios, le niveau
de rémunération tiendra compte de paramètres pluriels :
- Le modèle économique de l’activité lui-même (niveau de frais, charges
sociales…),
- les règles du jeu du dispositif de gestion de la coopérative précédemment
évoqués (lissage de la rémunération, mutualisation des frais de
fonctionnement…)
- et les déterminants et caractéristiques propres à l’entrepreneur (minimas
sociaux, urgence financière…).
5) Le développement et la consolidation de l’activité
Au fur et à mesure que son activité se développe, il est fort probable que le premier niveau
de rémunération fixé lors du démarrage de l’activité ne soit plus adapté à la réalité de
l’activité. Il faudra alors procéder à des réévaluations par la mise à jour des hypothèses
d’activités préalablement établies. La méthodologie est sensiblement identique à celle mise
en œuvre lors de la fixation du premier niveau de rémunération. Cependant, plus la fin
d’année approche, plus l’entrepreneur et le conseiller devront tenir compte des incidences
liées à la clôture de l’exercice comptable. La pression induite par la maîtrise du bénéfice peut
avoir pour effet l’ajustement des salaires au plus près du niveau de l’activité.
6) La clôture comptable des comptes et la gestion du
bénéfice
Les principes comptables qui régissent les entreprises (la clôture comptable des comptes et
le principe d’indépendance des exercices comptables) imposent des contraintes de gestion.
Tout chiffre d’affaires réalisé lors d’un exercice et non consommé au cours de ce même
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exercice, constitue un élément du bénéfice48 comptable. Or, cette somme provient de
l’activité d’un entrepreneur : quelque part, elle lui appartient et doit en quelque sorte lui
revenir.
La problématique qui se pose alors est de savoir comment reverser cette somme à
l’entrepreneur, sachant que les bénéfices font l’objet de traitements particuliers. Tout
bénéfice subit des affectations prédéfinies par les règles fiscales et comptables en vigueur
dans les sociétés. Cela est aussi vrai pour les bénéfices réalisés dans les SCOP.
Avant de considérer ces sommes comme de véritables bénéfices, au sens de la définition
comptable, il y a lieu de savoir si le bénéfice d’un entrepreneur en CAE ne correspond pas
d’avantage à la part excédentaire de chiffres d’affaires qu’il n’a pas consommée. Dans ce
cas, est-ce réellement un bénéfice ? L’entrepreneur ne doit-il pas récupérer cette somme
sous forme de salaire ?
Dans tous les cas, l’entrepreneur pourra disposer de cette somme s’il réalise un nouveau
choix : il devra décider de l’utilisation de son bénéfice, selon des modalités bien précises.
Plusieurs possibilités vont s’offrir à lui, nous les détaillerons dans la partie III.
Cependant, l’entrepreneur se doit d’anticiper ce moment de la gestion de son activité pour
que les possibilités de choix qui sont à sa disposition demeurent économiquement
intéressantes. S’il subit la clôture des comptes sans l’anticiper suffisamment, ses possibilités
d‘utilisation du bénéfice s’en trouveront limitées.
7) Le début d’année suivante
La mise en œuvre de la clôture des comptes a pour incidence de vider les comptes au 31
décembre ; les compteurs sont donc remis à zéro. A peine le choix de clôture des comptes
réalisés, il faut se soucier de l’année qui redémarre : l’entrepreneur et le conseiller doivent
reproduire exactement les mêmes logiques, la même méthodologie pour fixer à nouveau un
niveau de rémunération. Il s’agit d’un perpétuel recommencement : l’entrepreneur devra à
nouveau réaliser les chiffres d’affaires nécessaires afin de couvrir ses rémunérations et ses
charges d’activités. Souvent, le début d’année est complexe à gérer par les entrepreneurs,
qui manquent de vision, de projection sur l’année à venir. Leurs rémunérations de début
d’année suivante baissent parfois fortement, l’activité ne permettant pas de maintenir le
48
Définition bénéfice (également appelé excédent ou résultat comptable bénéficiaire) : Un bénéfice
représente la différence (solde) positive entre les produits comptables et les charges comptables réalisés par une entreprise au cours d’un exercice comptable. L'inverse (solde négatif) est appelé déficit ou perte. Nous utiliserons indifféremment les termes bénéfices et excédents nets de gestion : le terme bénéfice est une notion d’acceptation générale ; le terme excédent net de gestion étant le terme d’usage dans les coopératives
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niveau de rémunération acquis en fin d’année précédente. En cours d’année, le niveau
d’activité sera à nouveau réévalué et donnera lieu à des ajustements, pour tendre à nouveau
vers la clôture des comptes. Et ainsi de suite, tant que l’entrepreneur reste au sein de la
coopérative.
8) La pérennisation de l’activité en tant que sociétaire
Finalement, l’accompagnement de gestion des activités des entrepreneurs suit toujours la
même logique : ce qui change, c’est la capacité à apprécier le potentiel de l’entrepreneur, la
meilleure connaissance de son activité par le conseiller, la meilleure connaissance du
fonctionnement de la coopérative par l’entrepreneur, et la relation de confiance qui
s’instaure… Ces éléments plus ou moins subjectifs permettent une prise de risque, qui
demeure à l’appréciation conjointe du chargé d’accompagnement et de l’entrepreneur.
L’approche évolue encore quelque peu lorsque les entrepreneurs font le choix49 de devenir
sociétaire, finalité du parcours en CAE. Du point du vue de la décision de gestion,
l’accompagnement des associés est différent. La technique de détermination de la
rémunération reste bien sûr identique mais l’approche évolue. L’autonomie atteinte par les
associés dans leur activité induit que le niveau de rémunération est moins fluctuant. Les
rendez-vous de gestion sont moins fréquents. Surtout, ce sont les associés qui proposent au
conseiller un prévisionnel d’activités structuré (qui n’est plus établit conjointement avec le
conseiller). Sur cette base, ils proposent le niveau de rémunération correspondant à leur
prévisionnel. La proposition est bien sûr validée par le conseiller en regard du prévisionnel.
Le plus souvent, il s’agit de confirmer que les perspectives permettent le maintien du salaire
dans la durée (les associés sont pour la plupart au moins à temps plein au SMIC, voire au-
delà).
Lors de l’élaboration de la charte d’associé, j’avais proposé que les sociétaires présentent
leur prévisionnel d’activités lors des réunions d’associés : cette disposition me semblait être
un bel exercice de transparence qui permettrait sans doute de renforcer les liens entre eux et
pourquoi pas de prémunir les risques en cas de défaillance, voire d’imaginer une certaine
solidarité entre eux. Mais cette proposition n’a à l’époque pas fait consensus, sans doute l’ai-
je formulée un peu tôt.
49
Précision : plus que de faire le choix de devenir sociétaire, ils font en réalité le choix de proposer leur candidature au sociétariat : c’est l’assemblée générale des associés qui examine la candidature, l’accepte ou la refuse.
Page 60 sur 161
9) La sortie de la coopérative
L’entrepreneur peut aussi choisir à tout moment de quitter la coopérative. Cette décision ne
sera pas traitée dans le mémoire mais il peut s’avérer utile de rappeler qu’elle doit être
anticipée. En effet, le départ s’accompagne et n’est pas sans conséquence sur les activités
des entrepreneurs. Pour mettre fin à un contrat à durée indéterminée, trois modes de rupture
existent :
- La démission, à l’initiative de l’entrepreneur : cette formule est utilisée lorsqu’il
y a transfert de l’activité vers l’entreprise qui sera créée par l’entrepreneur ;
- Le licenciement, à l’initiative de l’employeur : rarement utilisé en CAE (jamais
par Artenréel), ce mode de rupture suppose l’existence d’une faute ;
- La rupture conventionnelle, d’un commun accord entre l’entrepreneur et
l’employeur/la coopérative : ce mode de rupture à l’avantage de permettre à
l’entrepreneur salarié d’être indemnisé par l’assurance chômage. Utilisé en
cas d’échec ou d’abandon de l’activité, la rupture conventionnelle est par
ailleurs bien souvent mise en œuvre lorsque l’entrepreneur quitte la
coopérative pour créer sa propre entreprise : ce faisant, la rupture
conventionnelle lui permet ensuite de bénéficier des aides à la création
d’entreprise50.
Qu’importe le mode de rupture, le départ de la CAE s’anticipe. Tout d’abord, parce qu’il y
aura lieu de respecter les délais de préavis légaux (pendant le préavis, les rémunérations
continuent d’être verser). Ensuite, parce que les procédures de licenciement et de rupture
conventionnelle prennent du temps et qu’elles donnent lieu à des indemnités de rupture, qu’il
conviendra de simuler et d’imputer sur le compte d’activité de l’entrepreneur. Enfin, parce
que tout départ implique de réaliser le solde de tout compte de l’activité d’un entrepreneur,
en espérant que celui-ci soit positif au moment du départ.
En tendance de départ est intéressante à observer : après ces quelques années de
pédagogie coopérative, certains entrepreneurs qui ne se voient pas devenir sociétaires de la
CAE évoquent toutefois la possibilité de la quitter pour créer une SCOP. Cette situation s’est
à l’heure actuelle produite une fois (création d’une SCOP dans les métiers de la
scénographie d’espace) mais plusieurs projets de création ex nihilo sont à l’étude.
Nous venons de voir à quels choix de gestion sont confrontés les artistes entrepreneurs tout
au long de leur parcours dans la CAE. Observons maintenant comment se prennent ces
décisions et tentons de comprendre comment les choix de gestion s’accompagnent. Bien
50
Notamment l’Aide au Chômeur Créateur ou Repreneur d’Entreprise (ACCRE) qui consiste en une exonération de charges sociales
Page 61 sur 161
sûr, chaque décision prise fera appel à des dimensions techniques qu’il sera parfois utile de
détailler.
Schéma récapitulatif du cycle des choix
Démarrage de l’activité
= fixation du premier
niveau de
rémunération
Développement de
l’activité = réévaluation
du niveau de
rémunération
Clôture comptable des
comptes = gestion du
résultat comptable
d’activités N
Redémarrage de
l’activité en N+1 =
fixation du niveau de
rémunération
Page 62 sur 161
Tableaux de synthèse
Etapes de
gestion de
l’activité
Nature de la
décision
Echéance,
périodicité
Mode opératoire Méthodologie
déployée
Mode de
décision
Mise en place
activité (parfois,
avant entrée en
CAE) 51
Choix
d’investissements,
engagement de
frais d’activités,
fixation des prix
de vente…
Avant le
démarrage
de l’activité
puis tout au
long du
parcours en
CAE
Autonomie
entrepreneur
Rendez-vous/
Accompagnement de
gestion
Vision
entrepreneuriale,
Définition d’un
ordre de priorité
Entrepreneur
Entrepreneur et
conseiller en
gestion
Démarrage de
l’activité
Définition du
niveau de
rémunération
Réalisation
du premier
chiffre
d’affaires
Rendez-vous/
Accompagnement de
gestion
Prévisionnels,
technique des
scénarios
Entrepreneur et
conseiller en
gestion
Développement
de l’activité
Définition du
niveau de
rémunération :
réévaluation
Chaque fois
que
nécessaire,
en moyenne
une fois par
trimestre
Rendez-vous/
Accompagnement de
gestion
Ateliers de formation :
-Mode d’emploi
-Comptabilité
Prévisionnels,
technique des
scénarios
Entrepreneur et
conseiller en
gestion
Clôture
comptable des
comptes
Gestion du
résultat d’activité
(notamment si
bénéfice)
Au 31/12 de
chaque
année
Rendez-vous/
Accompagnement de
gestion
Ateliers de formation :
-Clôture comptable
des comptes
Simulation des
différentes
possibilités,
Optimisation des
choix
Entrepreneur et
conseiller en
gestion
Redémarrage
de l’activité en
N+1
Définition du
niveau de
rémunération
Janvier N+1 Rendez-vous/
Accompagnement de
gestion
Prévisionnels,
technique des
scénarios
Entrepreneur et
conseiller en
gestion
Pérennisation
en tant
qu’associé
Validation
possibilité
maintien du
niveau de
rémunération
2 fois par an Proposition de
prévisionnel par
l’entrepreneur associé
Rendez-vous/
Accompagnement de
gestion si nécessaire
Prévisionnel Proposition de
l’entrepreneur
associé,
validation par le
conseiller
51
Non abordé dans le mémoire
Page 63 sur 161
III. Méthodologie d’accompagnement
des choix de gestion
Nous venons de voir que le dispositif de gestion et le fonctionnement de la coopérative
amènent l’entrepreneur à prendre de décisions concernant son activité. Ces décisions sont
fonction du développement de l’activité et des étapes du parcours en CAE. Certaines sont
prises par l’entrepreneur en toute autonomie (engagement des frais d’activités, …), d’autres
sont prises de concert avec les conseillers en gestion de la CAE : ils vont accompagnés les
choix de gestion. Les deux actes principaux sont la définition du niveau de rémunération et la
gestion du bénéfice. Nous allons étudier la méthodologie d’accompagnement mise en œuvre
pour accompagner les décisions des entrepreneurs par des mises en situations illustrées
tout en mettant en perspective les enjeux des ces choix.
A. La définition du niveau de rémunération
1) Détermination du niveau de salaire initial, les
composantes de la méthode
Le démarrage de son activité économique initie de manière systématique un rendez-vous de
gestion qui aura pour objectif de définir le premier niveau de salaire : pour ce faire, nous
mettons en œuvre la méthode des scénarios, qui passe par la mise en œuvre de plusieurs
étapes successives.
Elaboration d’un prévisionnel détaillé (données Hors Taxes52)
L’entrepreneur et le conseiller vont ensemble élaborer un compte de résultat qui prendra en
compte l’activité réalisée et l’activité prévisionnelle.
52
Hors TVA
Page 64 sur 161
La constatation du réel
La première étape consiste à mesurer le réel : il se mesure par la constatation du chiffre
d’affaires réalisé lors de l’émission de la (ou les) première(s) facture(s). Il est fait de même
pour les frais d’activités engagés par l’entrepreneur. En parallèle, il est procédé au calcul de
la mutualisation des frais de fonctionnement à hauteur de 10% du chiffre d’affaires H.T.
Par déduction, il est obtenu un premier solde qualifié de « disponible réel ».
Le prévisionnel
L’objectif est ensuite d’élaborer un prévisionnel d’activité sur la période la plus lointaine
possible (si le 31/12/N intervient dans la période de projection, il convient de s’arrêter à cette
date, et de faire un second prévisionnel pour l’année suivante). L’idée est de se projeter le
plus loin possible dans l’avenir et d’essayer de simuler son activité (idéalement jusqu’au 31
décembre de l’année en cours, date qui marque la fin de l’exercice comptable).
Page 65 sur 161
Lors du démarrage de leurs activités, peu nombreux sont les entrepreneurs qui ont une
réelle capacité de projection : pour la plupart, le prévisionnel sera établi sur une période de 2
à 3 mois.
Le prévisionnel de chiffres d’affaires sera établi sur la base des projets que l’entrepreneur à
mis en route ou sur la base des contacts qu’il a pris pendant la période de la convention
d’accompagnement. Le chargé d’accompagnement apprécie le réalisme des chiffres. En
règle générale, lors des premiers rendez-vous de gestion, il est préconisé de ne pas tenir
compte de chiffres d’affaires incertains ; mieux vaut en faire abstraction dans la simulation et
préférer la solution de revoir l’entrepreneur quelque temps après.
Il est également demandé à l’entrepreneur d’estimer ses frais d’activités mensuels en
détaillant :
- les frais fixes qui sont par nature récurrents : loyers des locaux professionnels, téléphone,
abonnement internet…, sans oublier de prévoir des frais de prospections (déplacements…,)
- les frais variables qui sont fonction du niveau d’activité ou qui sont engendrés de manière
plus aléatoire, dans le cadre d’un projet particulier,
- les frais ponctuels (dépenses de lancement et d’installation, de communication, …) ou des
investissements envisagés (qui vont donner lieu au calcul de dotations d’amortissement).
Il est préconisé de corriger à la hausse l’évaluation des frais d’activités communiqués par les
entrepreneurs, ma pratique d’accompagnement m’a de nombreuses fois démontré qu’ils ont
tendance à les minimiser ou à en oublier… L’entrepreneur et le chargé d’accompagnement
s’appuient par ailleurs sur les simulations et les calculs d’objectifs réalisés pendant la phase
d’accompagnement du projet (convention d’accompagnement).
Selon le même schéma de calcul que précédemment, on obtient le solde « disponible
prévisionnel ».
Page 66 sur 161
Les différents scénarios de rémunération
L’addition du disponible réel et du disponible prévisionnel détermine le budget pouvant
potentiellement être dédié à la rémunération de l’entrepreneur53. Là aussi et par prudence, il
est préférable de prévoir un volume de rémunération inférieur à celui qui vient d’être calculé
afin de prévoir une marge de manœuvre, en cas de variation dans le scénario initial.
53
Certaines charges d’un impact marginal ont volontairement été supprimées pour ne pas alourdir le raisonnements: cotisation annuelle de médecine du travail, assurance mutualisée…
Page 67 sur 161
Bien que présenté différemment, les différents calculs auxquels nous venons de procéder
s’apparente à la détermination comptable du résultat par le compte de résultat.
L’enveloppe allouée à la rémunération étant maintenant déterminée, il ne reste plus qu’à
déterminer la période de lissage, afin d’inscrire la rémunération dans une temporalité. Cette
dimension est importante et se doit d’être discutée avec l’entrepreneur : c’est à ce moment
qu’il faudra tenir compte des déterminants de l’entrepreneur54. A titre d’exemple, les règles
de cumul entre un revenu d’activités et les allocations chômages et/ou les minimas sociaux
sont alors soigneusement étudiées et prises en compte. Selon les paramètres de la situation
de l’entrepreneur, le raisonnement s’en trouvera changé.
Concernant la temporalité, trois hypothèses peuvent être retenues :
- Le scénario prudent :
Au plus loin, les projections de salaires se feront jusqu’au 31 décembre de l’année en cours.
Ainsi, en divisant l’enveloppe allouée à la rémunération par le nombre de mois restant
jusqu’au 31 décembre, on obtient le montant mensuel alloué au salaire.
Ce scénario peut être qualifié de « prudent », le risque étant relativement faible, à la
condition d’avoir bien vérifié la réalité des données prévisionnelles qui ont permis la
construction de la simulation. Ce scénario sera particulièrement utilisé lorsque l’entrepreneur
bénéficie de minimas sociaux (RSA) ou d’un complément de revenus tirés des allocations
chômage. Dans ce cas, il n’y a aucun intérêt économique à monter le niveau de
rémunération : cette démarche entrainera mathématiquement une baisse des allocations.
C’est le scénario préféré par une majorité des entrepreneurs : il a l’avantage de pouvoir
laisser venir. Le scénario étant établi sur une réalité concrète, tout nouveau projet (si les
54
Voir paragraphe « Les déterminants des choix de gestion »
Page 68 sur 161
autres données restent constantes) pourra permettre une hausse de la rémunération. Le
salaire ne peut en principe pas connaître de baisse, sauf à ce que certains projets
initialement pris en compte s’annulent.
Pour l’anecdote, je révèle ici aux lecteurs que certains entrepreneurs qui voient leur activité
démarrer ne souhaitent pas être payés. En effet, cette position est souvent motivée par la
perception de revenus de remplacements qui se trouvent minorés en cas de perception
conjointe d’un revenu du travail. Nous sommes intransigeants sur la règle et n’acceptons pas
la négociation sur ce sujet : tout entrepreneur en activité doit avoir un contrat de travail
même si celui-ci n’est que de quelques heures… C’est aussi pour cette raison que nous
déclenchons le contrat de travail dès la première facture même si elle ne représente que
quelques euros… J’ai pu observer les pratiques de certaines CAE qui capitalisent les chiffres
d’affaires pendant plusieurs mois avant d’enclencher le contrat de travail. Cette modalité de
fonctionnement m’a toujours questionné par rapport au respect du droit social.
Il faut ensuite convenir d’un parcours de suivi, c'est-à-dire prévoir des temps d’échanges
(rendez-vous physiques, échanges téléphonique ou par mails) pour s’assurer conjointement
que l’avancement du projet demeure toujours dans cette trajectoire initiale ; si tel n’est plus le
cas, le scénario devra donner lieu à une mise à jour.
- Le scénario à flux tendus :
Dans d’autres cas (exemple d’entrepreneurs arrivant en fin de droits et ayant épuisé leur
solde d’allocations), le rythme de lissage sera différent puisque le revenu tiré de la
coopérative est souvent la seule entrée financière de l’entrepreneur. Le besoin d’argent est
alors plus fort puisqu’il ne bénéficie pas de minimas sociaux ou de revenus de compensation
qui viennent compléter le revenu qu’il tire de l’activité.
L’idée est alors de lisser la rémunération jusqu’à la même date que la projection de chiffres
d’affaires. Si le prévisionnel de chiffres d’affaires porte par exemple jusqu’au 31 octobre, le
salaire sera lissé sur cette même période (et non pas jusqu’au 31 décembre, comme dans le
cas du scénario prudent). Par ailleurs, afin de rendre transformer en liquidité pour
l’entrepreneur la plus grande partie des sommes, la marge de manœuvre sera réduite au
maximum.
J’appelle cette possibilité le « scénario à flux tendu ». Dans ce cas de figure, le risque est
bien plus élevé : si l’entrepreneur ne parvient pas avant la date de projection (ici, le 31
octobre) à générer de nouveau contrats, il sera difficile de lui maintenir sa rémunération au-
delà. S’il souhaite la maintenir jusqu’à la fin de l’année, il lui appartiendra alors de réaliser
Page 69 sur 161
au moins l’équivalent de chiffres d’affaires correspondant aux mois de salaires manquants.
Dans telle situation, il est primordial de revoir l’entrepreneur avant la fin de la période de
lissage pour s’assurer que la construction des nouveaux chiffres d’affaires est en bonne voie
et ainsi s’assurer que sa rémunération puisse être maintenue.
- Le scénario risqué :
Certains cas peuvent nous amener à mettre en œuvre des scénarios risqués. Si la survie
économique de l’entrepreneur l’exige, le lissage peut se faire sur une durée plus courte que
celle sur laquelle a été projeté le prévisionnel de chiffres d’affaires. Pariant sur le fort
potentiel de l’entrepreneur, il devra réaliser d’autres chiffres d’affaires à court terme. Cette
situation est à éviter autant que possible, les quelques rares fois où j’ai mis en œuvre cette
méthode, je me suis retrouvé dans des situations complexes. Car, il est aisé d’imaginer que
le salaire puisse augmenter au fur et à mesure que l’activité se développe, il ne faut pas
perdre de vue qu’il peut aussi baisser, en cas de ralentissement ou d’arrêt brutal de l’activité.
Des situations extrêmes peuvent même conduire à recourir, faute d’activité suffisante, à des
périodes de congés sans soldes se traduisant par une rémunération équivalente à zéro.
Le calcul du salaire
Le budget alloué à la rémunération mensuelle dépend de la temporalité du lissage : on
l’obtient en divisant le budget total alloué à la rémunération par la durée de lissage définie
avec l’entrepreneur. Le budget mensuel sera ensuite traduit en salaire brut et net, puis
donnera lieu au versement des cotisations sociales afférentes.
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La composition d’une rémunération salariale
Dans les CAE, les salaires sont calculés sur la base du SMIC horaire. Cette disposition
particulière est permise pour faciliter le démarrage des activités et permet de réduire l’impact
des charges sociales grâce au mécanisme de la réduction des cotisations de sécurité sociale
dite Fillon55.
Le niveau des charges sociales qui s’applique dans la CAE est de l’ordre de :
- environ 23% du salaire brut au titre des charges sociales salariales,
- environ 18% du salaire brut pour les charges patronales, lorsque la rémunération
est calculée sur la base du SMIC horaire. Si le taux horaire augmente, le niveau
de charges patronales s’accroit également, pouvant atteindre 45%.
En pratique, la base SMIC s’applique jusqu’à ce que le salaire atteigne le nombre d’heures
correspondant à un temps plein mensuel (151, 67 heures). Au-delà, c’est le taux horaire qui
augmentera.
Pour obtenir le détail du salaire nous nous appuyons sur la grille suivante que j’ai mise en
place dès la création d’Artenréel. Cette grille fait l’objet de mises à jour régulières, à chaque
augmentation du SMIC ou à chaque variation de charges sociales.
55
Réduction de charges sociales sur les bas salaires
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Grille de détermination du salaire
NB d'heures
Mois
Taux horaire
Brut (SMIC)
Salaire brut Charges salariales
23,1% Salaire net
Charges patronales
18,4%
TOTAL COUT
SALAIRE
10% Mutualisation ARTENREEL
CHIFFRE D'AFFAIRES
H.T. A REALISER
(HORS FRAIS)
2 9,00 € 18,00 € 4,16 € 13,84 € 3,31 € 21,31 € 2,37 € 23,68 €
3 9,00 € 27,00 € 6,24 € 20,76 € 4,97 € 31,97 € 3,55 € 35,52 €
4 9,00 € 36,00 € 8,32 € 27,68 € 6,62 € 42,62 € 4,74 € 47,36 €
5 9,00 € 45,00 € 10,40 € 34,61 € 8,28 € 53,28 € 5,92 € 59,20 €
6 9,00 € 54,00 € 12,47 € 41,53 € 9,94 € 63,94 € 7,10 € 71,04 €
7 9,00 € 63,00 € 14,55 € 48,45 € 11,59 € 74,59 € 8,29 € 82,88 €
8 9,00 € 72,00 € 16,63 € 55,37 € 13,25 € 85,25 € 9,47 € 94,72 €
9 9,00 € 81,00 € 18,71 € 62,29 € 14,90 € 95,90 € 10,66 € 106,56 €
10 9,00 € 90,00 € 20,79 € 69,21 € 16,56 € 106,56 € 11,84 € 118,40 €
12 9,00 € 108,00 € 24,95 € 83,05 € 19,87 € 127,87 € 14,21 € 142,08 €
15 9,00 € 135,00 € 31,19 € 103,82 € 24,84 € 159,84 € 17,76 € 177,60 €
18 9,00 € 162,00 € 37,42 € 124,58 € 29,81 € 191,81 € 21,31 € 213,12 €
20 9,00 € 180,00 € 41,58 € 138,42 € 33,12 € 213,12 € 23,68 € 236,80 €
25 9,00 € 225,00 € 51,98 € 173,03 € 41,40 € 266,40 € 29,60 € 296,00 €
30 9,00 € 270,00 € 62,37 € 207,63 € 49,68 € 319,68 € 35,52 € 355,20 €
35 9,00 € 315,00 € 72,77 € 242,24 € 57,96 € 372,96 € 41,44 € 414,40 €
40 9,00 € 360,00 € 83,16 € 276,84 € 66,24 € 426,24 € 47,36 € 473,60 €
45 9,00 € 405,00 € 93,56 € 311,45 € 74,52 € 479,52 € 53,28 € 532,80 €
50 9,00 € 450,00 € 103,95 € 346,05 € 82,80 € 532,80 € 59,20 € 592,00 €
60 9,00 € 540,00 € 124,74 € 415,26 € 99,36 € 639,36 € 71,04 € 710,40 €
70 9,00 € 630,00 € 145,53 € 484,47 € 115,92 € 745,92 € 82,88 € 828,80 €
80 9,00 € 720,00 € 166,32 € 553,68 € 132,48 € 852,48 € 94,72 € 947,20 €
90 9,00 € 810,00 € 187,11 € 622,89 € 149,04 € 959,04 € 106,56 € 1 065,60 €
100 9,00 € 900,00 € 207,90 € 692,10 € 165,60 € 1 065,60 € 118,40 € 1 184,00 €
110 9,00 € 990,00 € 228,69 € 761,31 € 182,16 € 1 172,16 € 130,24 € 1 302,40 €
120 9,00 € 1 080,00 € 249,48 € 830,52 € 198,72 € 1 278,72 € 142,08 € 1 420,80 €
130 9,00 € 1 170,00 € 270,27 € 899,73 € 215,28 € 1 385,28 € 153,92 € 1 539,20 €
140 9,00 € 1 260,00 € 291,06 € 968,94 € 231,84 € 1 491,84 € 165,76 € 1 657,60 €
151,67 9,00 € 1 365,03 € 315,32 € 1 049,71 € 251,17 € 1 616,20 € 179,58 € 1 795,77 €
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2) Réévaluation du niveau de salaire et redémarrage de
l’activité
Nous venons de voir comment l’entrepreneur vient de procéder, avec l’appui du chargé
d’accompagnement, à l’un de ses premiers choix de gestion : la fixation du niveau de salaire
lié au démarrage de son activité, basé sur des prévisions qui se traduisent par un scénario
d’activité. Le scénario retenu implique un niveau de risque plus ou moins fort, dont sont
coresponsables l’entrepreneur et le chargé d’accompagnement. La relation qui s’instaure
entre eux deux est très importante et la confiance est un facteur indispensable : ils se
doivent mettre en place un programme de suivi du scénario retenu. A l’initiative de conseiller
en gestion, un travail de mise à jour proche du contrôle de gestion est ainsi réalisé en cours
d’année. Tout d’abord, il va prendre connaissance de l’activité de l’entrepreneur à chaque fin
de mois avant établissement de la fiche de paie pour s’assurer que le déroulement réel de
l’activité correspond toujours au scénario. Dans ce cas, le maintien du niveau de
rémunération préalablement fixé reste de mise mais cette opération de contrôle permet aussi
de repérer les évolutions dans les activités, et d’être en capacité de réaction. Ensuite, le
conseiller en gestion devra définir avec l’entrepreneur de nouveaux rendez-vous de gestion.
Toujours selon la même méthodologie des scénarios, il s’agira alors de mettre à jour le
prévisionnel d’activité de l’entrepreneur en mesurant le réel tout en tenant compte
d’éléments prévisionnels nouveaux. Si les données initiales ont changées, il s’agit alors
d’établir un nouveau scénario et de procéder à une augmentation ou à une baisse du niveau
de rémunération.
En pratique, j’essaie de rencontrer les entrepreneurs au moins une fois par trimestre pour
mettre à jour le prévisionnel. Mais plus que tout, c’est la pédagogie qui doit être de mise.
Pour rendre autonome les entrepreneurs, il est important de les sensibiliser, de les placer
dans une posture de coresponsabilité, afin qu’ils prennent conscience qu’il leur appartient de
réaliser le scénario sur lequel ils se sont engagés. Mieux encore, ils doivent prendre le
réflexe d’alerter le conseiller lorsque le scénario évolue. Encore faut-il leur donner les
moyens d’analyser leurs activités : il faut alors les accompagner dans la construction de
tableaux de bords et leur donner les indicateurs qui leur permettront de se situer. Cela les
conduira à provoquer un rendez-vous de gestion dans toutes les situations, aussi bien
lorsque le scénario économique ne se réalise pas que lorsque les hypothèses initialement
sont dépassées.
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Exemples de scénarios
Je vous propose d’observer un cas pratique mettent en perspectives trois scénarios
différents construits à partir des tableaux de bords utilisés par la coopérative. Les données
de départ sont identiques pour les trois scénarios. La comparaison de ces trois scénarios
illustre bien que le scénario retenu est la résultante d’une prise de décision qui implique un
niveau de risque différent.
La technique des scénarios est valable aussi bien pour la définition du premier niveau de
rémunération que pour les rendez-vous de mise à jour (réévaluation) et pour la fixation du
salaire de début d’année suivante.
Données initiales :
L’entrepreneur arrive à estimer son chiffre d’affaires sur la période janvier-septembre : le
montant prévisionnel s’élève à 4 100 € HT
Le chiffre d’affaires est quasi certain (sur la base des devis et des contrats en cours)
La mutualisation des frais de fonctionnement de la coopérative s’élève à 410 € HT
Ses frais fixes s’élèvent à 50€ HT / mois (soit 600 euros HT pour l’année)
Il est prévu une dépense de publicité pour 300 € HT au mois de mars
Les amortissements et autres éléments représentent un total de 288 euros
Le budget maximal dédié à la rémunération s’élève à 2 502 € (4 100 – 410 – 600 – 300 –
288)
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Exemple de scénario prudent (présentation simplifiée)
TABLEAU DE BORD ENTREPRENEURS ANNEE N
EVOLUTION MENSUELLE DES PRODUITS CHIFFRES D'AFFAIRES HT janvier 1000 février 400 mars 200 avril 300 mai 700 juin 500 juillet 700 août - septembre 300 octobre novembre décembre TOTAL ANNEE 4100 MUTUALISATION COOPERATIVE 410,00
SALAIRES ET CHARGES SALAIRES BRUTS CHARGES
PATRONALES 18% COUT TOTAL
janvier 153 27 180
février 153 27 180
mars 153 27 180
avril 153 27 180
mai 153 27 180
juin 153 27 180
juillet 153 27 180
août 153 27 180
septembre 153 27 180
octobre 153 27 180
novembre 153 27 180
décembre 153 27 180
TOTAL ANNEE 1836 324 2160
FRAIS D'ACTIVITES FRAIS ACTIVITES HT FOURNISSEURS HT TOTAL
janvier 50 50
février 50 50
mars 50 300 350
avril 50 50
mai 50 50
juin 50 50
juillet 50 50
août 50 50
septembre 50 50
octobre 50 50
novembre 50 50
décembre 50 50
TOTAL 600 300 900
RESULTAT COURANT 690,00
Provision Médecine du Travail 68 Forfait assurance activité 20 Dotations aux amortissements 200 Autres retraitements comptables TOTAL ANNEE 288
RESULTAT COMPTABLE 342,00
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Synthèse scénario prudent
Le salaire est fixé à 153 euros brut par mois (soit 17 heures au SMIC) pour un coût total de
180 euros mensuels
Si tout se passe comme prévu :
- le salaire est garanti jusqu’à la fin d’année (sous réserve de réalisation des
chiffres d’affaires énoncés et de la maîtrise des frais d’activités)
- il y aura un bénéfice de 342 € (qui représente par ailleurs la marge de sécurité)
Tout nouveau CA devrait permettre de générer une hausse du revenu ou une hausse du
bénéfice de fin d’année
Pas d’urgence à revoir l’entrepreneur en rendez-vous (dans l’idéal, le revoir tous les
trimestres)
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Exemple de scénario à flux tendus (présentation simplifiée)
TABLEAU DE BORD ENTREPRENEURS ANNEE N
EVOLUTION MENSUELLE DES PRODUITS CHIFFRES D'AFFAIRES HT janvier 1000 février 400 mars 200 avril 300 mai 700 juin 500 juillet 700 août - septembre 300 octobre novembre décembre TOTAL ANNEE 4100 MUTUALISATION COOPERATIVE 410,00
SALAIRES ET CHARGES SALAIRES BRUTS CHARGES
PATRONALES 18% COUT TOTAL
janvier 234 41 275
février 234 41 275
mars 234 41 275
avril 234 41 275
mai 234 41 275
juin 234 41 275
juillet 234 41 275
août 234 41 275
septembre 234 41 275
octobre 0
novembre 0
décembre 0
TOTAL ANNEE 2115 360 2475
FRAIS D'ACTIVITES FRAIS ACTIVITES HT FOURNISSEURS HT TOTAL
janvier 50 50
février 50 50
mars 50 300 350
avril 50 50
mai 50 50
juin 50 50
juillet 50 50
août 50 50
septembre 50 50
octobre 50 50
novembre 50 50
décembre 50 50
TOTAL 600 300 900
RESULTAT COURANT 306,00
Provision Médecine du Travail 68 Forfait assurance activité 20 Dotations aux amortissements 200 Autres retraitements comptables TOTAL ANNEE 288
RESULTAT COMPTABLE 27,00
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Synthèse scénario à flux tendus
Le salaire est lissé sur la même période que le chiffre d’affaires
Le salaire est fixé à 234 euros brut par mois (soit 26 heures au SMIC) pour un coût total de
275 euros mensuels
Si tout se passe comme prévu, le salaire est garanti jusqu’à fin septembre (sous réserve de
réalisation des chiffres d’affaires énoncés et de la maîtrise des frais d’activités)
Il y a très peu de marge de manœuvre (27 €)
L’entrepreneur soit se fixer pour objectif à minima de réaliser 915 euros HT de chiffres
d’affaires supplémentaire (305 € HT par mois pour couvrir la mutualisation des frais de
fonctionnement et le coût du salaire) d’ici la fin d’année pour assurer les salaires d’octobre à
décembre sur la même base. L’objectif passe à 360 € HT par mois s’il souhaite également
couvrir ses frais d’activités. S’il dépasse cet objectif, le salaire pourra être revu à la hausse
sur la fin d’année. Sinon, le salaire devra être revu à la baisse.
Il faudra impérativement revoir l’entrepreneur en rendez-vous avant fin septembre (dans
l’idéal, le revoir tous les trimestres)
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Exemple de scénario risqué
TABLEAU DE BORD ENTREPRENEURS ANNEE N
EVOLUTION MENSUELLE DES PRODUITS CHIFFRES D'AFFAIRES HT janvier 1000 février 400 mars 200 avril 300 mai 700 juin 500 juillet 700 août - septembre 300 octobre novembre décembre TOTAL ANNEE 4100 MUTUALISATION COOPERATIVE 410,00
SALAIRES ET CHARGES SALAIRES BRUTS CHARGES
PATRONALES 18% COUT TOTAL
janvier 351 61 412
février 351 61 412
mars 351 61 412
avril 351 61 412
mai 351 61 412
juin 351 61 412
juillet
0
août
0
septembre
0
octobre 0
novembre 0
décembre 0
TOTAL ANNEE 2106 366 2472
FRAIS D'ACTIVITES FRAIS ACTIVITES HT FOURNISSEURS HT TOTAL
janvier 50 50
février 50 50
mars 50 300 350
avril 50 50
mai 50 50
juin 50 50
juillet 50 50
août 50 50
septembre 50 50
octobre 50 50
novembre 50 50
décembre 50 50
TOTAL 600 300 900
RESULTAT COURANT 315,00
Provision Médecine du Travail 68 Forfait assurance activité 20 Dotations aux amortissements 200 Autres retraitements comptables TOTAL ANNEE 288
RESULTAT COMPTABLE 30,00
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Synthèse scénario risqué
Le salaire est lissé sur une période plus courte que celle de la réalisation du chiffres
d’affaires soit de janvier à juin : le salaire est fixé à 351 euros brut (soit 39h au SMIC) par
mois pour un coût total de 412 euros mensuels
Le salaire est garanti jusqu’à fin juin (sous réserve de réalisation des chiffres d’affaires
énoncés et de la maîtrise des frais d’activités)
L’entrepreneur doit à tout prix réaliser des chiffres d’affaires supplémentaires pour couvrir les
salaires à compter de juillet
Il y a très peu de marge de manœuvre (30 €)
Ce scénario peut amener à une rémunération quasi nulle à compter de juillet s’il ne réalise
pas de nouveau chiffres d’affaires avant cette échéance.
L’entrepreneur soit se fixer pour objectif à minima de réaliser 2478 euros HT de chiffres
d’affaires supplémentaire (458 € HT par mois pour couvrir la mutualisation des frais de
fonctionnement et le coût du salaire) d’ici la fin d’année pour assurer les salaires d’octobre à
décembre sur la même base. L’objectif passe à 513 € HT par mois s’il souhaite également
couvrir ses frais d’activités. S’il dépasse cet objectif, le salaire pourra être revu à la hausse
sur la fin d’année. Sinon, le salaire devra être revu à la baisse.
Il faudra impérativement revoir l’entrepreneur en rendez-vous avant fin juin (dans l’idéal, le
revoir tous les trimestres)
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Ces 3 scénarios issus des mêmes données de départ illustrent bien que l’entrepreneur
dispose en cours d’année d’une large latitude lui permettant de fixer son niveau de
rémunération comme il le souhaite. Bien sûr, le scénario est conjointement établi avec le
conseiller en gestion qui a la charge d’apprécier les données et de valider le scénario…en
prenant plus ou moins de risque…
3) La gestion du risque
Au fur et à mesure, l’entrepreneur va s’acculturer avec le modèle et le fonctionnement de la
CAE. Son esprit entrepreneurial va s’aiguisé, il s’autonomise et aura acquis le reflexe
d’alerter le conseiller si son activité évolue. Mais le risque demeure : il est induit par la
technique même de lissage mise en œuvre. La prise de risque peut même être volontaire.
Ainsi, il est tout à fait envisageable de maintenir un niveau de rémunération supérieur au
niveau d’activité, quitte à ce que l’activité soit déficitaire à court terme. Ce qui compte
finalement, c’est l’équilibre au 31 décembre : l’entrepreneur doit avoir équilibré la situation à
cette date. Le risque sera apprécié en fonction de son scénario d’activité. Loin d’être une
formule mathématique, la prise de risque est souvent proportionnelle au degré de confiance :
le conseiller doit avoir confiance en l’entrepreneur, être certain (on ne l’est jamais vraiment)
que celui-ci ne va pas quitter la coopérative en restant sur cette situation déficitaire. C’est
encore une fois le parcours d’accompagnement, le parcours de suivi qui sera important. Par
la confiance mutuelle, la prise de risque est donc possible.
Pour moi, c’est aussi dans cette prise de risque que réside un fort intérêt de développer son
activité en Coopérative d’Activités et d’Emploi. Elle permet une projection dans le futur, sans
perte immédiate de revenu, la coopérative permettant de lisser les fluctuations de l’activité.
Autant être entrepreneur à son compte si son revenu dépend au jour le jour de son volume
d’activité. Un phénomène comportemental est d’ailleurs induit : la prise de risque va exercer
une certaine pression sur l’entrepreneur. Cette pression positive va l’obliger à se bouger, va
lui imposer de démarcher, de trouver les chiffres d’affaires nécessaires.
Si par contre le suivi n’est pas assez rigoureux ou si des aléas viennent perturber le
scénario, le risque d’être dans une situation déficitaire de l’activité lors de la fin de l’exercice
est tout à fait possible. Rappelons-nous que cette situation est en principe interdite en CAE.
Le risque doit donc être mesuré et limité.
Si le déficit d’activité est avéré, le chargé d’accompagnement devra chercher à le résorber
en équilibrant la situation par des « astuces de gestion », comme par exemple :
- une baisse brutale de salaire s’il est encore temps voire le recours au congé sans
solde,
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- l’annulation et le non-remboursement de certains frais d’activités engagés par
l’entrepreneur…
Ces décision de gestion sont souvent compliquées à gérer pour l’entrepreneur et le mettent
parfois dans des situations périlleuses : perte brutale de revenu, non remboursement de
sommes qu’il a pourtant engagées pour le compte de son activité… Humainement, la
situation est également compliquée à gérer pour le chargé d’accompagnement, qui devient
le messager des mauvaises nouvelles…. Mais parfois, il ne subsiste aucun levier pour
rééquilibrer la situation. La conséquence est alors que ce déficit se reporte sur le collectif.
Or, pour couvrir un déficit, il faut bien que d’autres activités soient bénéficiaires (sans rentrer
pour l’instant dans la mécanique de constitution des bénéfices, considérons que les activités
des entrepreneurs tout comme la structure d’accompagnement peuvent être bénéficiaires).
Selon le principe de vases communicants, ces activités bénéficiaires vont alors couvrir la
perte, avec plusieurs effets induits :
- pédagogiquement et éthiquement, il est complexe d’expliquer aux entrepreneurs
que les efforts fournis pour assurer la rentabilité de leurs activités servent à
couvrir les risques pris par d’autres entrepreneurs ou les maladresses de gestion
des permanents chargés de l’accompagnement de gestion ;
- budgétairement, les bénéfices des autres activités seront-ils suffisants pour
absorber les pertes et maintenir le résultat global dans une situation bénéficiaire ?
Si tel n’est pas le cas, c’est la coopérative dans son ensemble qui se trouve en
danger…
La mutualisation du risque par la consolidation des activités semble être une voie mais
nombre de questions demeurent ouvertes : le principe coopératif de solidarité pourrait-il aller
dans une CAE jusqu’à couvrir collectivement les déficits ? Pourquoi pas. Cela passera par
des règles du jeu précises et connues de tous, gardiennes des dérives. Elles nécessiteront
de travailler autour des questionnements suivants : quelles procédures d’alerte mettre en
place ? Quelle est l’origine du déficit ? Tout déficit doit-il être absorbé par le collectif ?
Quelles limites de prise en charge ? Le déficit devra-t-il être remboursé ?
Les associés d’Artenréel réfléchissent à ces questions et cherchent à créer cette dynamique
de solidarité (dans un premier temps, entre les associés).
4) Les difficultés de trésorerie induites
De part sa nature, la technique de calcul des rémunérations selon les scénarios s’appuie
largement sur une part d’activités prévisionnelles. En parallèle, la prise de risque est plutôt
un facteur positif de gestion des activités mais ces deux phénomènes peuvent, de fait,
engendrer des difficultés de trésorerie. Le lissage tient compte d’éléments qui non seulement
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ne sont pas certains, qui n’ont pas encore été facturés et qui sont par ailleurs susceptibles
de mettre un certain temps à se transformer en liquidités monétaires. En parallèle du travail
sur prévisionnel d’activité qui permet de déterminer les salaires, il est nécessaire de travailler
sur les notions de trésorerie et de besoin en fonds de roulement. L’entrepreneur doit être
sensibilisé à ces problématiques afin qu’il mette en place les modalités dans son activité
pour y pallier : versement d’acomptes, mobilisations de créances…
En principe, la coopérative ne doit pas avancer de trésorerie sur la base du principe « 1 euro
qui sort est au préalable entré ». Cette situation est intenable et, à mon avis, la plus-value
d’entreprendre en collectif, d’être en coopérative doit dépasser cette règle. Ainsi, il n’est pas
rare que la coopérative Artenréel déroge à ce principe, quitte à prendre un risque. Les
trésoreries des différentes activités sont mutualisées et se consolident : celles qui sont
positives compensent celles qui sont négatives. Au cas par cas (appréciation du risque par le
chargé d’accompagnement et lorsque les trésoreries consolidées le permettent) et avec
beaucoup de prudence, elles permettent des avances de trésorerie.
Cette logique de mise en commun, de mutualisation des trésoreries trouve d’ailleurs toute sa
cohérence dans les intentions CAE et SCOP, à travers le renforcement du capital social par
l’accession au sociétariat des entrepreneurs et le modèles de répartition des bénéfices56.
56
Vu par la suite
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B. La gestion du bénéfice d’un entrepreneur,
entre enjeu individuel et collectif
En démarrage d’activité ou en début d’année, l’éventuel bénéfice projeté au 31 décembre
s’apparente davantage à une marge de sécurité permettant de prévenir les éventuels aléas
de l’activité (perte d’un chiffre d’affaires, dépassement de frais…). La fin d’année approche,
cette marge de sécurité sera davantage perçue comme un bénéfice. Progressivement, le
conseiller va introduire la notion de bénéfice comptable comme un réel objectif, une
nécessité, un enjeu stratégique, à la fois individuel et collectif. Au fur et à mesure des
rendez-vous de gestion, il convient donc de mettre en perspective le bénéfice et les
possibilités qu’il offre. L’entrepreneur devra prendre conscience de ce qu’il représente.
En premier lieu, il n’y a aucun intérêt à ce que celui-ci soit trop important, incohérent avec les
autres indicateurs de l’activité (salaire et chiffre d’affaires). Ensuite, plus qu’une réelle
rentabilité de l’activité, il représente davantage une richesse non encore consommée,
appartenant à l’entrepreneur, pouvant donner lieu à un complément de rémunération. Mais
lorsqu’il est anticipé et prévu, il peut devenir un puissant levier de diversification de
rémunération, un symbole de solidarité et un instrument de la consolidation de l’entreprise
coopérative.
La coopérative a modélisé tout un dispositif de gestion propre au traitement des bénéfices
individuels de chaque entrepreneur. Ce dernier se doit de maîtriser ces paramètres afin
d’effectuer ses choix en connaissance de cause. Dans cette optique, la coopérative propose
à l’entrepreneur un parcours d‘accompagnement avec deux moments clés, un atelier de
formation propre aux problématiques liés à la clôture des comptes et à la gestion bénéfice,
ainsi et un rendez-vous de gestion spécifique dédié au choix d’utilisation du bénéfice.
1) L’atelier de formation : la clôture comptable des
comptes
Les modalités techniques liées à la fin d’exercice sont transmises lors d’un atelier spécifique
programmé plusieurs fois par an intitulé « la clôture comptable des comptes »57. Cet atelier
de formation, d’une durée de 3 heures, est programmé une fois par mois de septembre à
décembre, afin que chacun puisse y participer et prendre toutes la mesure des incidences
induites. L’atelier a pour objectif d’expliciter aux entrepreneurs les enjeux et contraintes
57
Vu de l’extérieur, réussir à faire participer un artiste à un tel module de formation peut s’apparenter à un exploit. Voir annexe IV, plan de l’atelier clôture comptable des comptes.
Page 84 sur 161
attachées à la clôture des comptes, et leurs impacts sur la gestion des activités. Il leur est
également fait part des dispositifs techniques à leur disposition pour gérer leurs bénéfices
d’activités. Enfin, l’atelier leur donne l’explication du devenir et les raisons d’être des
bénéfices d’une SCOP à travers son mode de d’affectation.
Grâce aux savoirs acquis lors de cet atelier, tout entrepreneur dont l’activité est bénéficiaire
à la clôture de l’exercice sera davantage outillé pour réaliser son choix d’utilisation du
bénéfice. Malgré la participation de l’entrepreneur à l’atelier de formation, les conseils du
chargé d’accompagnement lors de la décision finale auront toute leur importance : en fin
d’année, l’entrepreneur et le conseiller se rencontrent dans le cadre d’un rendez-vous de
clôture des comptes qui aura pour objectif non seulement de gérer le bénéfice s’il existe,
d’accompagner la décision d’utilisation du bénéfice mais aussi de tirer un bilan de l’année
écoulée.
2) Le rendez-vous de clôture des comptes :
l’accompagnement du choix d’utilisation du bénéfice
d’activité
Lors du rendez-vous de clôture des comptes (ces rendez-vous sont concentrés sur les mois
de novembre et décembre), l’entrepreneur et le chargé d’accompagnement vont tenter de
déterminer le montant du résultat qui sera dégagé par l’activité. Ainsi, si l’activité d’un
entrepreneur présente un bénéfice au 31/12, une décision de gestion devra être prise.
Page 85 sur 161
Rappel du modèle économique d’une situation bénéficiaire d’une activité d’un entrepreneur
La méthodologie mise en œuvre au moment de ce choix est alors la suivante :
Page 86 sur 161
C. Les possibilités d’utilisation du bénéfice
d’activité
Pour utiliser son bénéfice, l’entrepreneur dispose de trois possibilités. Il pourra opter soit :
- pour une prime sur salaire,
- soit pour une prime d’intéressement et l’abondement du bénéfice collectif,
- soit pour une formule hybridant les 2 premières possibilités.
Possibilité 1 : Le choix d’une prime sur salaire
La première possibilité dont dispose l’entrepreneur consiste à faire le choix d’utiliser
l’excédent budgétaire sous forme d’une prime exceptionnelle58. Cette somme sera ajoutée
au salaire du mois de décembre. L’excédent représente alors le budget disponible pour
calculer la prime et comprend la prime brute ainsi que les charges sociales
correspondantes : l’entrepreneur percevra le montant de la prime nette des charges sociales.
Cette gratification représente une rémunération salariale et sera soumise aux cotisations
sociales classiques et à l’impôt sur le revenu. Effet pervers, la prime a pour conséquence
d’augmenter fortement la rémunération brute du mois concerné : le niveau des charges
patronales augmente considérablement puisqu’il n‘est plus possible de bénéficier de
l’allègement de cotisations sur les bas salaires (le niveau de charges patronales passe alors
d’environ 18% à près de 45% du salaire brut).
Autrement dit, la prime peut représenter un véritable manque à gagner immédiat pour
l’entrepreneur et s’apparente à une non-optimisation. Il aurait été préférable d’anticiper la
réalisation du bénéfice et de procéder en cours d’année à des augmentations de salaire
dans le cadre du lissage de la rémunération, qui aurait permis de maintenir le niveau de
charges à leur minima. Cependant, les cotisations contribuent à la protection sociale de
l’entrepreneur (chômage, retraite…même si tous les droits sociaux ne sont pas
proportionnels au niveau de cotisation) et concourent à la solidarité nationale. L’avantage
indéniable de la prime sur salaire réside dans sa transformation rapide en argent disponible :
la prime sur salaire est versée en même temps que le salaire du mois de décembre.
S’il opte pour une prime, le compte de résultat de l’entrepreneur ne présente alors plus de
bénéfice puisqu’il a été absorbé par la prime. Le résultat comptable de l’entrepreneur est
alors nul, équilibré.
58
Voir annexe V : exemple d’activités économiques ; utilisation du bénéfice sous forme d’une prime
Page 87 sur 161
Schéma : consommation du bénéfice sous forme de prime
Page 88 sur 161
Possibilité 2 : Le choix de la prime d’intéressement et de
l’abondement du bénéfice collectif
La seconde possibilité consiste à ne pas faire le choix de la prime exceptionnelle sur salaire
mais d’opter pour la prime d’intéressement59. L’accord d’intéressement60 mis en place au
sein d’Artenréel en 2007 prévoit que la prime d’intéressement est égale à 60% du bénéfice
individuel de l’entrepreneur. Toutefois, la législation limite le montant de la prime
d’intéressement versée à un salarié à 20% des rémunérations brutes perçues par l’intéressé
au cours de l’exercice comptable61. Pour le conseiller en gestion, il convient alors de vérifier
(déjà en cours d’année, au plus tard lors du rendez-vous de clôture des comptes) si
l’équation suivante est vraie : l’intéressement égal à 60% du bénéfice doit être inférieur à
20% des salaires bruts. Si tel n’est pas le cas, la prime d’intéressement sera plafonnée à
20% des rémunérations brutes, limitation qui rend moins attractif le dispositif.
Mon rôle de conseiller financier prend ici tout son sens : lors des entretiens en cours
d’année, je mets toujours en perspective la date de clôture des comptes l’éventuel bénéfice
escompté. J’illustre alors les perspectives d’intéressement, notamment en mettant en
exergue ce plafond. Le nécessaire respect du plafond pour optimiser l’intéressement
présente un effet tout à fait bénéfique : même s’il y est réticent, l’entrepreneur se verra
contraint d’augmenter son niveau de salaire afin d’améliorer son potentiel de récupération
d’intéressement. C’est un principe mécanique : si sa rémunération augmente, le potentiel
d’intéressement augmente également.
Mais qu’est ce que réellement l’intéressement. L’intéressement est une rémunération qui
s’inscrit en droit commun dans les tendances de participation des salariés aux bénéfices de
l’entreprise et de l’épargne salarial. Sa mise en œuvre (facultative) suppose la mise en place
d’un accord d’entreprise négocié entre le chef d’entreprise et les salariés. On trouve ce type
d’accord dans de nombreuses entreprises. Ce qui est intéressant, c’est l’adaptation qui en a
été faite par les CAE. L’accord d’intéressement s’applique collectivement à tous les salariés
de l’entreprise coopérative (aussi bien aux entrepreneurs salariés qu’aux permanents) mais il
a une assiette de calcul individuelle qui correspond à chaque activité (considérée comme
une unité de production distincte).
59
Voir annexe V : exemple d’activités économiques ; utilisation du bénéfice sous forme d’intéressement 60
Pour plus de précision, voir Annexe VI 61
Un autre plafond existe : la prime d’intéressement doit être inférieure à la moitié du plafond annuel de la sécurité sociale (soit 17 676 € euros par bénéficiaire pour 2011) ; ce plafond semble plus difficilement atteignable au vue des volumes d’activités actuellement développés au sein d’Artenréel
Page 89 sur 161
L’intéressement permet donc à l’entrepreneur de maîtriser son résultat et lui offre une
possibilité alternative à la prime sur salaire pour utiliser son bénéfice.
Cette disposition présente des avantages mais aussi des contraintes :
- L’intéressement, bien qu’étant une rémunération n’est pas un salaire, cette forme
de rétribution n’est pas soumises aux cotisations sociales classiques : seules la
GCS-CRDS et une cotisation forfaitaire patronale sont dues. L’intéressement
permet de diversifier ses revenus, tout en maîtrisant le niveau de charges
sociales. Concrètement, la prime d’intéressement nette est plus ou moins
équivalente au montant net qui peut être escompté en optant pour la prime sur
salaire. Fiscalement, la prime d’intéressement est soumise à l’’impôt sur le
revenu, sauf en cas de reversement volontaire sur un Plan Epargne Entreprise ;
- La prime d’intéressement est versée à l’entrepreneur au plus tard le septième
mois qui suit la clôture des comptes, soit en juillet de l’année suivante. La mise en
liquidité sept mois après la clôture des comptes génère une trésorerie positive
bloquée jusqu’à cette date dans les comptes de la coopérative, disponibilités
souvent utiles pour redémarrer l’année ; mais l’entrepreneur doit quant à lui
patienter de nombreux mois avant de pouvoir toucher les fruits de son travail. Le
versement de l’intéressement en juillet s’apparente à une forme de prime de
vacances…
Sur la base d’un bénéfice de 100%, la prime d’intéressement représente 60% : il reste donc
un solde quelque part.
Ce reliquat correspond au bénéfice après intéressement de l’activité de l’entrepreneur.
Quelque part, il représente l’économie de charges sociales réalisée en optant pour le
mécanisme de l’intéressement. Au lieu de quitter la coopérative au profit d’une redistribution
nationale (qu’il faut bien sûr maintenir à l’heure de l’émiettement des régimes de protection
sociale), le dispositif proposé par la CAE a pour effet de conserver en son sein une somme
équivalente qui sera elle aussi redistribuée, mais cette fois-ci entre les pairs, entre les parties
prenantes de la coopérative. C’est donc un bénéfice malin ; ces sommes (les 40% résiduels)
vont constituées le bénéfice collectif, le pot commun de la coopérative. La CAE a donc tout
intérêt à ce que les activités des entrepreneurs soient rentables et qu’elles dégagent du
bénéfice. Ensuite, elle a même intérêt à ce que les entrepreneurs optent pour
l’intéressement puisqu’ils reversent par le mécanisme de gestion 40% de leurs bénéfices
individuels au bénéfice collectif. Quel est le devenir de ce bénéfice collectif ? Avant de
répondre à cette question, étudions d’abord la troisième possibilité.
Page 90 sur 161
Schéma : consommation du bénéfice initial sous forme d’intéressement (60% du bénéfice)
Possibilité 3 : hybridation des possibilités 1 et 2
Un troisième choix62 se présente à l’entrepreneur : il peut tout à fait consacrer une partie de
son bénéfice à la prime sur salaire, puis affecter le solde entre la prime d’intéressement
(60%) et la contribution au pot commun (40%) selon les modalités vues précédemment.
Cette possibilité hybride est utilisée:
- De manière volontaire lorsque l’entrepreneur souhaite récupérer une partie de
son bénéfice immédiatement, tout en affectant une partie à la prime
d’intéressement et au résultat collectif,
- Mais aussi de manière contrainte lorsque le montant du bénéfice ne permet pas
d’optimiser la prime d’intéressement, dans le cas où l’intéressement calculé (égal
à 60% du bénéfice) s’avère supérieur au plafond de 20% des salaires bruts. Dans
ce cas, il est nécessaire d’opter pour une prime sur salaire : elle a pour effet de
réduire le bénéfice et d’augmenter le montant des salaires bruts de
l’entrepreneur. Par quelques simples calculs, il est possible d’optimiser les
revenus en déterminant le montant de la prime nécessaire pour parvenir à
l’équilibre nécessaire : 60% du bénéfice < 20% des salaires bruts.
62
Voir annexe V : exemple d’activités économiques ; prime et intéressement, gestion optimale
Page 91 sur 161
D. Du bénéfice de l’entrepreneur au bénéfice
de la coopérative
1) La constitution du bénéfice collectif
Du début de son activité au choix de clôture des comptes, le raisonnement de gestion
s’appuyait jusqu’à présent sur une logique exclusivement individuelle : le bénéfice de
l’entrepreneur provenait de sa propre activité économique, il déterminait son propre niveau
de rémunération, il pouvait choisir de se verser sa propre prime sur salaire, etc.… Nous
allons maintenant quitter cette logique propre à l’individu pour tendre vers un fonctionnement
plus collectif, plus coopératif.
En effet, le bénéfice restant après l’intéressement (à savoir les 40% résiduels du bénéfice
initial de l’entrepreneur) échappe maintenant à la propriété individuelle de l’entrepreneur : il
devient alors l’objet commun des associés, et devra faire l’objet d’une affectation particulière,
selon les règles de répartition des résultats en SCOP.
Concrètement, les 40% restant provenant de toutes les activités bénéficiaires (aussi bien des
autres entrepreneurs que de la structure d’accompagnement) vont s’additionner : nous
retrouvons ici le phénomène des vases communicants. Ce pot commun63 devient le bénéfice
de la coopérative, sans qu’il n’y ait d’importance ni sur son origine, ni sur l’identité de ses
contributeurs.
En matière de gestion prévisionnelle, le montant de cette cagnotte commune est impossible
à déterminer d’avance : le pot commun va dépendre d’autant de choix qu’il y a
d’entrepreneurs présents dans la coopérative. La coopérative (donc le collectif) a tout intérêt
à ce que les entrepreneurs réalisent des bénéfices et qu’ils optent pour l’intéressement : le
reliquat est alors mis en commun.
63
Cette métaphore indique bien qu’il y a un transfert de propriété de l’individuel vers le collectif
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Constitution du bénéfice collectif
2) Le traitement des bénéfices en SCOP
Dans toutes formes juridiques de sociétés, le bénéfice sera soumis à une opération
d’affectation64, qui consiste à l’affecter :
- Soit à l’autofinancement et à la consolidation de l’entreprise (principe des
réserves)
- Soit à la rémunération des bénéficiaires (associés et/ou salariés) ; l’affectation du
bénéfice aux associés est prioritaire dans une grande majorité des statuts
juridiques d’entreprises capitalistes,
- Soit à l’apurement de déficits antérieurs (report à nouveau).
Dans une SCOP, le mode de répartition des bénéfices est défini par l’article 33 de la loi
n°78-763 du 19 juillet 197865.
Les excédents nets de gestion66 réalisés dans une SCOP seront prioritairement répartis de la
manière suivante :
- ils doivent d’abord profiter à ceux qui travaillent dans la SCOP : c’est la part
travail67,
64
L’affectation est décidée par les associés lors de la l’assemblée générale annuelle statuant sur les comptes 65
Voir annexe VII
66 La SCOP étant une société commerciale, ses bénéfices peuvent être soumis à l’impôt sur les
sociétés.
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- Dans un second temps, la répartition doit financer le développement de
l’entreprise et garantir sa pérennité, par la constitution de réserves
impartageables68,
- Enfin, il est possible (sans être obligatoire) de verser un intérêt aux parts
sociales69 destiné à rémunérer le capital social apporté par les associés.
L’affectation à chacun de ces postes doit respecter des ordres de grandeurs (voir notes en
bas de page et voir Annexe VI) ; Les fractions affectées peuvent être fixées statutairement
ou, dans le silence des statuts, être décidées annuellement par l’assemblée générale des
associés statuant sur les comptes annuels.
Ce mode de répartition des bénéfices rémunère le travail et non le capital. Le bénéfice
collectif constitué par les reliquats de bénéfices après intéressement va donc suivre cette
affectation.
67
Entre 25% et 84% du résultat de la coopérative est obligatoirement ristourné aux salariés, soit immédiatement en complément de salaire, soit le plus souvent en l’affectant à une réserve spéciale de participation (forme d’épargne salariale, proche de l’intéressement). 68
Les réserves représentent un poste des fonds propres qui figure au passif du bilan : elles permettent de contrarier certains risques et facilitent le développement de l’entreprise. Elles constituent un élément important du patrimoine qui permet d’assurer le financement endogène de l’entreprise et d’accroître sa crédibilité vis-à-vis des tiers. Dans une SCOP, entre 16% et 75% du résultat sera affecté à la constitution des réserves (répartis entre la réserve légale (15%), le fonds de développement (1%) et d’éventuelles autres réserves). 69
Cette expression est préférée au mot dividende. La fraction affectée à l’intérêt aux parts sociales peut varier entre 0% et ne doit pas dépasser ni le montant mis en réserve ni le montant affecté à la part travail (le maximum sera donc de 33,33%).
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La part travail
Comme de nombreuses SCOP, Artenréel a mis en place un accord de participation70 qui
permet de transformer la part travail en primes de participation. Tout salarié71 à droit à la
participation : l’accord de participation d’Artenréel prévoit une répartition des sommes entre
les bénéficiaires au prorata de leurs rémunérations. Une fois répartie, la participation peut
être :
- soit bloquée pendant 5 ans en comptes courants dans l’entreprise tout un
générant un intérêt72 (logique de l’épargne salariale) ; la rémunération est alors
exonérée d’impôt sur le revenu,
- soit placée dans une banque sur un Plan Epargne Entreprise bloqué, permettant
l’exonération d’impôt ainsi que le versement d’un intérêt qui dépendra de la
nature du placement,
- soit débloquée immédiatement et dans ce cas, soumis à l’impôt sur le revenu.
En cas de blocage, des motifs de déblocage anticipés demeurent : mariage, divorce,
naissance du troisième enfant, acquisition de la résidence principale.... Le déblocage
anticipé pour l’un de ses motifs permet le maintient de l’exonération d’impôt sur le revenu.
Pour l’entrepreneur, la participation s’apparente à un complément de rémunération immédiat
qui peut, s’il le souhaite, être pensé à plus long terme comme une épargne (génération d’un
intérêt qui se capitalise).
Surtout, la participation crée une forme de solidarité entre les membres d’une coopérative :
tous y ont droit même ceux qui n’ont pas contribué à cette richesse collective.
D’un point de vue pédagogique, il m’arrive cependant d’avoir des difficultés à faire
comprendre aux entrepreneurs que le montant qu’ils peuvent escompter au titre de la
participation n’est pas en lien avec le montant qu’ils ont versés au pot commun de bénéfice.
Ils raisonnent souvent ainsi : étant donné que j’ai apporté 100 € au pot commun, je devrais
récupérer entre 25 et 84 € au titre de la participation, selon le pourcentage d’affectation qui
sera décidé par les associés. Mais tel n’est pas le cas. Le participation est réparti
individuellement à chaque salarié au prorata du salaire de l’intéressé sur le total des salaires
de la coopérative. Ainsi, l’entrepreneur peut tout à fait récupérer au titre de la participation
une somme supérieure à celle qu’il a versé au bénéfice collectif, mais aussi bien moins. La
70
Voir annexe VIII 71
Sous conditions d’ancienneté 72
Un taux d’intérêt de 5% est prévu par l’accord de participation d’Artenréel
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somme qui lui sera allouée dépendra non seulement de montant total de la part travail mais
aussi de la proportion de sa rémunération sur le total des salaires (clé de répartition).
Les réserves impartageables
Une part importante des excédents est affectée aux réserves impartageables, qui viennent
renforcer les fonds propres de la coopérative, au même titre que les apports en capitaux des
sociétaires. Ces sommes inaliénables permettent le développement de la coopérative,
consolident sa structure financière et agissent comme de véritables leviers de crédibilité de
l’entreprise coopérative. Contrairement aux formes d’entreprises capitalistiques, les réserves
coopératives sont impartageables : elles n’appartiennent ni aux entrepreneurs ni à la
structure d’accompagnement mais elles sont la propriété de tous. Elles représentent le
patrimoine commun de l’entreprise coopérative. Elles demeurent dans l’entreprise même en
cas de départ des associés qui les ont générées, dans une logique de transmission de
générations en générations. Elles se transmettent de génération en génération sans
qu’aucun associé qui quitte la Scop ne puisse prétendre à en revendiquer une part à son
départ. L’accroissement progressif des réserves constitue le véritable capital social de
l’entreprise et assure sa pérennité comme son indépendance vis-à-vis d’investisseurs
extérieurs. D’autre part, les salariés étant associés majoritaires, sécurisent, par la
constitution de réserves, leur emploi, en renforçant les fonds propres de l’entreprise.
L’intérêt aux parts sociales
Cette forme de rémunération tirée du bénéfice pourrait s’apparenter à une forme de
rémunération du capital : elle est en réalité assez peu mobilisée dans les SCOP, qui
privilégient la rémunération du travail. Non-pensée comme un dividende, l’intérêt aux parts
sociales correspond davantage à une rémunération sous forme d’intérêt, dans l’idée du prêt
d’argent réalisé par les associés à la société coopérative.
La CAE, par les modalités de gestion du bénéfice de chaque entrepreneur (prime sur salaire
ou intéressement) propose à l’entrepreneur de contribuer à la création de richesses
collectives. En effet, s’il opte pour l’intéressement (60% de son bénéfice), l’entrepreneur
contribuera (à hauteur de 40% de son bénéfice) à construire le bénéfice collectif de la
coopérative. Ces sommes suivent ensuite l’affectation des bénéfices liée au statut SCOP
telle que nous venons de le voir.
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Schéma récapitulatif « articulation intéressement, participation et richesse collective »
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Les dates clés de la mise en place du dispositif
La mise en œuvre de la participation et de l’intéressement passe par la mise en place
d’accords collectifs d’entreprise. Ces accords nécessitent la ratification par les 2/3 des
salariés présents au moment de la conclusion de l’accord. A chaque mise en place, il a fallu
convaincre de leur pertinence et justifier de leur intérêt. Les accords d’intéressement et de
participation ont donné lieu à de beaux moments collectifs (sous forme d’ateliers, de
réunions de présentation) nécessitant une pédagogie certaine. La course aux signatures a
parfois été une réalité tant les notions de bénéfices semblaient lointaines pour certains. Pour
d’autres, il a fallu faire comprendre l’importance de leur signature, qu’elle permettrait aux
autres de bénéficier des dispositions de l’accord même si eux même n’étaient pas
immédiatement concernés.
Le dispositif de gestion proposé par Artenréel s’est construit progressivement, voici les
quelques dates clés :
2006 : Mise en place de l’accord de participation
2007 : Mis en place de l’accord d’intéressement
2010 : Renouvellement de l’accord d’intéressement, reconduit selon les mêmes modalités
2011 : Mise en place de Plan Epargne Entreprise (permettant aux bénéficiaires d’y verser les
sommes perçues au titre de l’intéressement)
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IV. Analyses et observations
Après cette partie descriptive du dispositif de gestion de la CAE, nous avons mis en
évidence la pluralité des décisions de gestion qui doivent être prises par les artistes
entrepreneurs, de la gestion courante de leurs activités (rémunérations) à la gestion du
bénéfice d’activité. Nous avons aussi fait état des avantages réciproques que peuvent y
trouver les entrepreneurs et la coopérative, notamment au moment du choix d’utilisation du
bénéfice. Essayons maintenant de comprendre ce que font réellement les entrepreneurs et
ce qu’il pense de l’ensemble de ces dispositifs.
Cinq entretiens ont été réalisés avec des artistes entrepreneurs73 présentant tous des
caractéristiques différentes :
- Cristina
- Louise
- Anaya
- Gérard
- Albert
Pour cibler la population des entretiens, j’ai choisi les personnes en fonction des indicateurs
suivants :
- ancienneté dans la coopérative (inférieur à un an, entre un et trois ans, supérieur à 3
ans)
- situation de l’activité dans la coopérative (non démarrée, démarrage,
développement/croissance, rythme de croisière)
- lien avec la coopérative (accompagné, salarié ou associé).
Le tableau ci-dessous récapitule les caractéristiques des personnes interrogées :
Nom Ancienneté Situation de l’activité Engagement
Cristina > de trois ans rythme de croisière Entrepreneur Associé
Louise Entre un et trois ans rythme de croisière Entrepreneur Salarié
Anaya < à un an démarrage Entrepreneur Associé
Gérard Entre un et trois ans développement/croissance Entrepreneur Salarié
Albert < à un an Non-démarré Entrepreneur Accompagné
73
Les noms ont été changés
Page 99 sur 161
L’analyse de profils différents permettra de questionner le processus de décision et ses
caractéristiques. En complément, à partir de statistiques liées à la clôture des comptes
(issues des choix des entrepreneurs lors de l’utilisation du bénéfice sur les exercices 2008,
2009 et 2010), j’ai tenté d’observer quels étaient les ressorts des choix réalisés. L’analyse de
ces données me permet de livrer les observations suivantes.
A. Les déterminants des choix de gestion
Nous avons vu auparavant que le cadre de fonctionnement de la coopérative (son dispositif
de gestion) impose un certain nombre de règles qui vont conditionner ou en tout cas orienter
les choix des entrepreneurs. Leur autonomie de décision sera quelque peu contrainte par
ces déterminants en cours d’internalisation : pour la plupart d’entres elles, ces règles seront
découvertes et acceptées progressivement par l’entrepreneur, il en tenir compte dans ses
prises de décisions. D’autres déterminants propres à l’entrepreneur lui-même seront à
l’œuvre et vont agir sur le processus de décision.
Des déterminants entrepreneuriaux vont entrer en ligne de compte, à savoir sa vision et sa
stratégie de développement d’activités. Ces déterminants se traduisent par exemple par son
goût pour le risque (prises de risques plus ou moins importantes ou au contraire gestion très
prudente), par des choix d’investissements, par la volonté de développer de nouveaux
marchés… Louise a très bien résumée cette vision entrepreneuriale à l’œuvre : « j’arrive au
rendez-vous avec ma propre stratégie, c'est-à-dire la possibilité d’augmenter ou la nécessité
de baisser le salaire ».
Deux autres catégories de déterminants vont agir sur les décisions de l’entrepreneur.
Des déterminants externes tels que sa situation sociale, matérialisée par les dispositifs
d’indemnisation de droit commun ou les minimas sociaux dont il est bénéficiaire, vont
changer la conduite de son activité et influencer ses choix. Ainsi, un entrepreneur bénéficiant
d’un complément chômage74 aura tendance à vouloir minimiser son salaire au plus bas afin
de perdre le moins d’allocations possibles75… Il exprimera alors sans doute la volonté
d’engager un maximum de frais d’activités, d’investir dans du matériel ou encore de se
constituer un stock de matières… Albert l’a bien affirmé : « pour l’instant, cela ne me sert à
rien d’augmenter le salaire. Toute somme supplémentaire vient diminuer mes allocations ».
74
Allocation de Retour à l’Emploi versée par le Pôle Emploi 75
Des règles de cumuls existent entre les minimas sociaux, les revenus de remplacements et les revenus issus de la reprise d’une activité salariée : cumul avec l’Allocation de Retour à l’Emploi (chômage), le Revenue Minimum d’Activités, l’Allocation Spécifique de Solidarité…
Page 100 sur 161
Enfin, des déterminants particuliers liés à la situation de l’entrepreneur dans la vie vont agir
sur les décisions de gestion de l’activité. A titre d’exemple, il peut s’agir de :
- Sa situation économique personnelle (a-t-il économies « de côté » ? quelle est son urgence
financière ? a-t-il des emprunts à rembourser ? a-t-il un autre emploi ?),
- de sa situation « maritale » (a-t-il un conjoint dont le revenu est suffisant ? a-t-il des
enfants ?)
- du soutien de ses parents ou de son entourage (ses parents ou sa famille proche peut-elle
assurer les arrières ?).
La résultante des effets de l’ensemble de ces paramètres a été qualifiée par Nathalie Wright
de « degré de pression extérieur »76. Ces déterminants ont été majoritairement énoncés par
les entrepreneurs lors des entretiens. La place du conjoint dans le revenu du foyer ou le
soutien familial des parents sont des éléments essentiels ; parfois, tous deux aident même
l’entrepreneur.
Cristina a pu compter sur le soutien de ses parents : « Je suis propriétaire, mes parents
m’ont beaucoup aidé, je n’ai plus de loyer à payer. Cela change tout », tout comme Anaya :
« mes parents m’aident : ils payent notamment le loyer ». Louise bénéficie quant à elle de
l’aide de ses parents et de son conjoint : « je bénéficie d’un environnement familial
confortable : mes parents ont payé mes études, ont financé mon ordinateur, ma voiture… A
ce titre, je ne suis pas inquiet des accidents de la vie, je sais que mes parents seront là pour
m’aider. Et j’ai la chance d’avoir un compagnon qui équilibre les comptes du ménage ».
Cristina a par contre perdu un certain confort de vie qui lui met une pression plus forte
aujourd’hui : « J’ai vécu avec quelqu’un qui était fonctionnaire, nos dépenses étaient
couvertes par son revenu, j’étais libre d’aller sur les projets qui me plaisaient, qui n’étaient
pas forcément très rémunérateurs ».
Ce confort de travail garanti par un soutien quelconque, Gérard en éprouve également le
besoin ; lui ne bénéficie pas du soutien familial mais à décider de maintenir un travail en plus
de son activité artistique : « j’ai toujours un emploi en parallèle, je suis plutôt bien payé. Ce
travail stable me permet de vivre, de m’assurer un revenu permanent et ne me met pas la
pression de la réussite de mon activité ».
Sans ces appuis, il y a fort à parier que les entrepreneurs ne seraient sans doute pas en
mesure de maintenir très longtemps la seule activité artistique et se verraient contraints de
trouver d’autres sources de revenus.
76
Nathalie Wright, Quelle place occupe le niveau des revenus des entrepreneurs salariés dans la perception de réussite de leur activité ?, Mémoire CNAM
Page 101 sur 161
Ces différents paramètres sont à questionner dans le cadre de l’accompagnement proposé
par la coopérative : il faut connaître un maximum d’aspects concernant l’entrepreneur.
L’accompagnement de l’activité et des décisions de gestion doit en tenir compte ; c’est pour
cette raison que la situation sociale et économique de l’entrepreneur est questionnée dès les
premières prises de contact avec la coopérative. La non-prise en compte de l’ensemble des
paramètres peut conduire à des choix incohérents qui pourraient conduire l’entrepreneur à
des situations complexes (par exemple, la perte prématurée de ses allocations chômages).
La fixation de son niveau de revenu par la technique du lissage de la rémunération sera
établi de manière différente en fonction de l’ensemble des paramètres : le conseiller de la
coopérative accompagnera ces choix en mettant en œuvre la technique des scénarios et en
réalisant différentes simulations jusqu’à trouver celle qui répond à la majorité des
déterminants.
Il ressort également des entretiens que ce qui guide la décision de définition de leur
rémunération est le besoin d’argent, tout simplement nécessaire pour vivre ou survivre. Pour
Cristina, la manière de définir le niveau de revenu dépend du « besoin d’argent, qui guide
souvent les choix. La manière de gérer (…) est liée au niveau de revenu : si tu n’as pas
beaucoup d’argent, tu survis, tu ne fais pas de choix, tu ne gères même pas, tu prends ce
que tu as ». Anaya, plus distante sur ces questions, en arrive néanmoins à la même
conclusion : « Je pense que la première chose qui motive le choix est la situation de la
personne : est-ce qu’elle a besoin d’argent pour vivre au quotidien ? ». La survie
économique est donc un facteur de choix prépondérant dans la fixation du revenu : ce n’est
pas surprenant, il s’agit bien là des besoins physiologiques (manger, dormir, …), identifiés
par les travaux d’Abraham Maslow.
Les décisions de gestion qui devront être prises par les entrepreneurs forment un système
complexe, leurs choix se tissent littéralement ensemble. Chacun met en œuvre sa propre
stratégie individuelle, qui n’est pas toujours clairement annoncée, ni même très réfléchie :
comment trouver l’équilibre entre la survie, les intérêts personnels de l’entrepreneur et
l’intérêt de la coopérative, notamment en matière de respect du Droit ? Cette question se
pose quotidiennement dans mon métier d’accompagnateur et la réponse ne peut résider
dans les seules règles de gestion ou de la loi : être en coopérative, c’est aussi savoir
humaniser la gestion des activités.
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L’analyse des entretiens a également permis de mettre en évidence un enjeu important pour
les entrepreneurs : celui de la protection sociale. J’ai été relativement surpris, je sous-
estimais pour eux l’importance de ce facteur, qui semble bien orienter leurs décisions. Ce
n’est peut être pas le facteur le plus influant mais il entre tout de même en ligne de compte.
Par l’accompagnement, la coopérative conduit à en prendre conscience. Cristina l’a très bien
synthétisé : « la coopérative m’aide à raisonner à long terme, en réfléchissant aussi à la
protection sociale, à la retraite… Le statut de salarié en CDI est surement un des aspects qui
amène les gens vers Artenréel ».
B. Le rôle de l’accompagnement
L’accompagnement conduit donc les entrepreneurs à prendre en compte dans leurs prises
de décision des paramètres qu’ils auraient peut ignorés en étant seuls. Le dispositif de
gestion et l’accompagnement ont des effets sur la manière dont les entrepreneurs gèrent
leurs activités. Par son fonctionnement particulier, tous sont unanimes, la coopérative leur
permet de mieux gérer leurs revenus. Cristina indique que « la CAE permet de mieux gérer
l’argent, de se projeter dans le temps. Le lissage des revenus, c’est très bien, au moins tu
sais ce que tu auras chaque mois. (…) quand j’ai des sous, je les dépenses… ça peut être
dangereux ; je ne sais pas économiser, la coopérative économise pour moi ». Albert est lui
dans « une attitude de toujours avoir besoin d’argent frais…quand j’ai de l’argent, je ne suis
pas très économe. Le lissage imposé du salaire m’apprend à mieux gérer ».
Tous voient dans la technique de lissage de la rémunération des avantages indéniables. Ce
qui semble ce distinguer, c’est l’approche qu’on les entrepreneurs dans la manière dont ils
vont piloter leurs activités. Albert (mais peut être est-ce lié à son jeune parcours dans la
coopérative) est plutôt dans la posture de ne pas prévoir à l’avance, de ne rien calculer et
d’attendre le rendez-vous de gestion « pour faire le point et voir ce qui peut être fait ». Pour
Louise, l’approche est beaucoup plus rationnelle et entrepreneuriale : « En début d’année, je
me fixe des objectifs de salaires, de frais et donc de chiffre d’affaires. (…) Mon objectif
premier était de pouvoir valoriser tous mes frais d’activités, le solde étant alloué à mon
salaire ». Son raisonnement prouve un degré certain d’autonomie. Il pourrait être légitime de
se demander pourquoi elle continue de se faire accompagner. Elle y répond elle-même en
mettant en avant le côté rassurant de l’accompagnement : « Je fais valider mes
prévisionnels par la comptable d’Artenréel tous les 3 mois, cela me rassure ». Cristina
semble également mettre en avant cette qualité à l’accompagnement : « la coopérative peut
aider à se poser les bonnes questions, celles qu’on ne se poserait pas tout seul. Moi je
raisonne à la louche mais là, quelqu’un, la coopérative, me montre la réalité des choses ».
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La fixation de la rémunération dépend majoritairement de besoin d’argent de chacun et met
en œuvre des raisonnements plus ou moins prévus d’avances, plus ou moins prédéfinis ou
structurés. L’accompagnement permet de valider les hypothèses des entrepreneurs et
permettent le les confronter à la réalité pour leur amener un point de vue nouveau, voire les
rassurer dans la conduite de leurs affaires.
C. La rationalisation du bénéfice des
entrepreneurs
Comment se fait alors le choix d’utilisation du bénéfice ? Il résulte de l’analyse des entretiens
(en tout cas, pour ceux qui étaient concernés, qui ont déjà vécu une clôture des comptes) un
fort sentiment d’appropriation de ce moment clé par les entrepreneurs. Sans toutefois
maîtriser toute la technicité des dispositifs, ils en ont saisis l’importance, les enjeux et le
sens. La prime sur salaire leur apparaît comme être à éviter sauf en cas d’urgence
économique.
Cristina l’exprime très bien : « si je devais choisir la prime, ce ne serait sans doute pas dans
une logique de confort ou de plaisir, mais plutôt dans une logique d’urgence, parce qu’à ce
moment précis, j’aurais besoin d’argent ». Gérard le confirme également : « le choix de ce
que je fais de mon bénéfice dépendra du besoin d’argent immédiat lié à la période de Noël »
et dépendra aussi de la vision de son activité à moment précis du choix de gestion lié au
bénéfice : « Si je sais que j’ai beaucoup d’activités en début d’année suivante, je vais plutôt
opter pour l’intéressement, si je n’ai pas de vision claire, je crois que j’opterais plutôt pour
une prime ». Pour Louise, la prime est à éviter à tout prix : « je n’ai jamais pris de prime sur
salaire car il y a beaucoup trop de charges sociales ; je préfère augmenter mon salaire en
cours d’année. J’essaie de dégager un bénéfice cohérent par rapport à l’activité ». Et son
esprit rationnel de rajouter : « en fin d’année, j’utilise au maximum la possibilité de
l’intéressement car (…) il y a moins de charges sociales et d’impôts. (…) L’intéressement est
versé avant l’été, je le vois donc comme une prime de vacances, c’est la cerise sur le
gâteau ! ». Pour Anaya, le recours à la prime sur salaire « n’est pas gênant s’il y a une
explication valable, par exemple si la personne a besoin d’argent. Par contre, si la personne
prend toujours la prime, je pense qu’elle est alors en décalage avec le projet de la
coopérative ». Elle va même plus loin : « On pourrait peut être imaginer des critères, des
règles qui feraient qu’on limite la possibilité de la prime dans certains situation ».
Les points de vue exprimés mettent en avant l’acculturation des entrepreneurs au dispositif
de gestion : en analysant ultérieurement le parcours d’accompagnement de Cristina, Louise,
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Anaya et Gérard, tous quatre avaient suivis l’atelier « La clôture comptable des comptes »
(Albert ne l’avait pas encore suivi et n’avait pas encore vécu de clôture des comptes). La
participation à l’atelier semble conditionner la perception du bénéfice et semble agir sur la
décision d’utilisation du bénéfice ; encore une fois, le parcours d’accompagnement laisse à
penser qu’il agit fortement sur le processus de prise de décision mis en œuvre par les
entrepreneurs. Gérard le confirme en complétant son propos précédant sur la prime sur
salaire : « le choix de ce que je fais de mon bénéfice est fortement influencé par
l’accompagnement ». L’accompagnement éclaire donc les décisions des entrepreneurs tout
comme leur acculturation au dispositif de gestion.
De plus, les entrepreneurs, en tout cas ceux qui composent l’échantillon des entretiens,
semblent pour la plupart animés de fortes valeurs, comme le témoigne Anaya : « on est dans
une coopérative, le choix doit être motivé par les valeurs et par l’appartenance à la
coopérative et pas forcément par la situation personnelle. Si on est dans la coopérative, c’est
pour être solidaire, pour défendre un projet collectif. J’ai envie de faire partie de la
communauté, de participer au fonctionnement de la coopérative ».
Ces valeurs sont celles de la coopération et sont clairement mises en avant. L’échantillon
des entretiens est-il suffisant pour en déduire que chaque entrepreneur en CAE est animé
par ces valeurs coopératives ?
Nous évoquons depuis plusieurs dizaines de pages les bénéfices d’activités des
entrepreneurs salariés. Mais au fait, sont-ils une réalité ? Combien d’activités
d’entrepreneurs dégagent réellement un bénéfice à la clôture de l’exercice ? Quel est le
volume de ces bénéfices ? Et les paroles sont-elles suivies des actes qui mettent en action
les valeurs coopératives ?
Pour y répondre, je vous propose d’étayer l’analyse par l’observation de quelques
statistiques liées à la gestion des bénéfices.
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Sur les 3 années d’observations, nous constatons qu’en moyenne près de 80% des
entrepreneurs dégagent un bénéfice d’activité avant de procéder au choix de clôture des
comptes. Les 20% d’activités non bénéficiaires ne sont pas pour autant déficitaire, elles sont
équilibrées.
Le montant cumulé des bénéfices des entrepreneurs avant le choix de clôture représente
des sommes importantes :
- 63 522 € pour 2008
- 59 441 € pour 2009
- 87 280 € pour 2010.
Le montant du bénéfice moyen se situe selon les années entre 1000 et 1500 €. Les choix
d’utilisation de ces sommes sont loin d’être anecdotiques et représentent de réels enjeux
économiques pour les entrepreneurs.
Que décident-ils de faire de ces sommes ? Quels choix d’utilisation du bénéfice mettent-ils
en œuvre ?
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En moyenne, 25% des entrepreneurs bénéficiaires consomment la totalité de leur bénéfice
par la prime sur salaire : la totalité de leur bénéfice est alors utilisé pour permettre le
versement de cette prime exceptionnelle. Il est intéressant d’observer que la proportion
d’entrepreneurs réalisant ce choix à tendance à diminuer d’années en années, passant de
28% en 2008 à 21% en 2010.
L’accompagnement et la prise de conscience des entrepreneurs des tenants et aboutissants
des différentes possibilités d’utilisation du bénéfice y contribuent sans nul doute.
Par déduction, on obtient le nombre et le pourcentage d’entrepreneurs qui ont privilégiés le
choix de l’intéressement et l’abondement du bénéfice collectif : il est lui en croissance.
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En observant les chiffres de plus près, on constate que certains entrepreneurs ayant fait le
choix de l’intéressement ont également optés pour une prime sur salaire : ils sont en
moyenne 15% a avoir fait ce choix. Ce choix a peut être été totalement volontaire et réfléchi,
l’entrepreneur souhaitant activer les deux leviers de rémunération, au profit d’une diversité
des revenus et de leurs avantages/inconvénients. Mais le choix a peut être également été
contraint, imposé notamment par le plafond de l’intéressement qui ne peut être supérieur à
20% des salaires perçus par l’entrepreneur. Dans ce cas, une prime est parfois nécessaire
pour permettre le respect de cet équilibre. Sans doute, le bénéfice prévisionnel n’avait pu
être traduit en amont de la clôture des comptes, ou alors a-t-il mal été estimé. Car autant que
faire ce peu, il aurait été dans cette situation préférable d’augmenter au préalable la
rémunération dans le cadre du lissage.
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Mais quelles sommes représentent finalement cette typologie des choix réalisés ? Le
graphique suivant met en lumière le montant cumulé des bénéfices avant le choix de clôture
et les choix d’affection mis en œuvre par les entrepreneurs.
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Il ne se dégage pas de réelle tendance de ce graphique même si on peut noter, depuis 2009,
que la part des bénéfices allouée à l’intéressement est supérieure à celle allouée aux primes
sur salaire : cette analyse indique bien que les entrepreneurs ont intégré les avantages
d’opter pour l’intéressement.
En confrontant le montant de chacune des d’affectations au volume des rémunérations
versées dans le cadre du lissage, on peut observer un phénomène intéressant.
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Le montant de primes versées représente pour 2008, 2009 et 2010 respectivement 10%, 3%
et 5% du montant des rémunérations versées dans le cadre du lissage. Sur les 3 années
d’observation, le montant de la part allouée à l’intéressement reste stable et représente en
moyenne 7% du montant des rémunérations versées dans le cadre du lissage. Cette analyse
illustre le fait qu’il y a une meilleure prise en compte des rémunérations en cours d’année ;
les entrepreneurs ont assimilés qu’il fallait minimiser le recours au primes et préférer des
augmentations de salaires en cours d’année.
L’analyse met aussi en évidence que les primes ne sont pas inévitables notamment parce
que les bénéfices ne sont pas toujours prévisibles d’avance. D’ailleurs, ce constat traduit
aussi en chiffres les stratégies (au sens de la manière de sont conduits les choix) de certains
entrepreneurs qui restent à temps plein au SMIC pour continuer à bénéficier de la réduction
Fillon, bien que leur activité puisse permettre de dépasser ce niveau de rémunération. Ils ont
recours à la prime en fin d’année pour récupérer la part de bénéfice qu’ils auraient peut être
pu allouer à la rémunération lissée. Cette situation explique pourquoi certains ont recours à
la prime et à l’intéressement. La hausse du nombre d’entrepreneurs ayant recours à la prime
et à l’intéressement traduit sans doute cette situation. Je peux formuler ces affirmations par
mes observations quotidiennes ; je sais que plusieurs d’entrepreneurs ont des activités d’un
niveau économique assez soutenu et qu’ils raisonnent de la sorte.
On peut également noter que le montant maximisé des bénéfices alloués à l’intéressement
pourrait être égal à 60% (du fait des dispositions de l’accord d’intéressement mis en place) :
il y a encore une belle marge de progression pour tendre vers ce chiffre, bien qu’il ne
paraisse pas atteignable du fait des stratégies d’entrepreneurs illustrées précédemment.
L’analyse du montant des primes sur salaires individuelles rend bien compte de la disparité
des niveaux d’activités. Le montant moyen des primes a respectivement été pour 2008, 2009
et 2010 de 1 419 €, 620 € et 864 €. Cette moyenne n’est pas forcément représentative, une
analyse des primes médianes aurait été plus riche, mais les données en ma possession ne
m’ont pas permis de l’obtenir. L’écart entre la prime la plus basse et la prime la plus haute
est quant à lui impressionnant. De l’ordre de quelques euros (qui correspondent à une prime
soit de l’ordre du symbolique soit à une prime sur salaire de régularisation qui a permis
d’équilibrer le résultat avant choix de clôture qui était lui-même déjà proche de l’équilibre),
elle peut atteindre plusieurs milliers d’euros (entre 4 000 et 6 500 €, selon les années) pour
la prime la plus forte.
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On observe les mêmes disparités en observant les montants individuels des primes
d’intéressement.
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La moyenne des intéressements individuels croît très légèrement d’années en années de
même que le montant de l’intéressement le plus haut, qui illustre bien que certaines activités
atteignent des niveaux considérables mais illustre sans doute également la stratégie de
maintient des rémunérations au SMIC évoqué précédemment, qui donne lieu en fin d’année
à une optimisation entre prime et intéressement.
Une fois les primes sur salaires et les sommes affectées à l’intéressement calculées, le
solde constitue le bénéfice collectif de la coopérative, le « pot commun » de bénéfice.
D. Le bénéfice de la coopérative, levier de
solidarité et de richesse collective
Le tableau ci-dessous présente l’origine des bénéfices réalisés par Artenréel sur les 4
dernières années, en identifiant la part qui provient du bénéfice des entrepreneurs de la part
du bénéfice qui provient de la structure d’accompagnement.
Tableau : origine et évolution des bénéfices d’Artenréel
Evolution et origine des bénéfices
structure ES Total
2006 17 649 € (85%) 3 114 € (15%) 20 763 €
2007 9 798 € (63%) 5 707 € (37%) 15 505 €
2008 3 684 € (21%) 14 165 € (79%) 17 849 €
2009 5 351 € (23%) 18 161 € (77%) 23 513 €
2010 6 586 € (28%) 23 214 € (72%) 29 800 €
Total 43 068 € (40%) 64 362 € (60%) 107 430 €
L’analyse de ces chiffres illustre à merveille plusieurs phénomènes.
- En premier lieu, le bénéfice réalisé par la consolidation des activités des
entrepreneurs ne cesse d’augmenter d’années en années : cela peut sans doute
s’expliquer par l’augmentation du nombre d’entrepreneur. C’est vrai pour la
période 2006-2008 où le nombre d’entrepreneur a été croissant.
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- Mais il faut nuancer le propos sur la période 2009-2010. Depuis 2009, la
coopérative a trouvé sur rythme de croisière en termes de nombre
d’entrepreneurs : elle compte en permanence environ 80 entrepreneurs. Plus que
le nombre d’entrepreneur qui augmente, c’est le niveau d’activités des
entrepreneurs (voir schéma des chiffres d’affaires) qui augmente et donc la
propension à réaliser des bénéfices.
Sans doute, c’est peut être aussi la compréhension des mécanismes d’affectation des
bénéfices et leurs intérêts qui font croître les bénéfices des entrepreneurs. La montée en
puissance de la proportion de bénéfice réalisé par les entrepreneurs sur le bénéfice total
renforce ce sentiment. 15% en 2006 (année de mise en place des accords d’intéressement
et de participation), ce ratio atteint aujourd’hui 72% : la tendance c’est tout simplement
inversée au fil du temps ! Il est vrai que le montant du bénéfice réalisé par la structure est
aussi moins important en valeur nominale (ce phénomène s’explique par les effets seuils qui
entraient l’apparition de charges nouvelles et l’augmentation des charges fixes de
fonctionnement). Malgré cette diminution de la rentabilité de la structure d’accompagnement,
ces différents phénomènes croisés montrent que la perception du bénéfice comme enjeu
personnel mais aussi collectif porte ses fruits.
1) La répartition du bénéfice mise en œuvre au sein
d’Artenréel
Les statuts d’Artenréel prévoient que l’Assemblée Générale Ordinaire des associés décide
annuellement des modalités de l’affectation du résultat. Depuis la création d’Artenréel, la le
résultat a toujours été affecté pour moitié à la part travail (transformée en participation) et
pour l’autre moitié à la constitution des réserves impartageables. Concrètement, cela se
traduit par l’absence d’intérêts aux parts sociales versés aux associés. Ce choix
d’affectation, qui sous-entend que les sociétaires eux-mêmes renoncent à toute
rémunération du capital, a été introduit par les associés fondateurs dont je fais partie : il était
impensable de prendre un intérêt aux parts sociales sur un bénéfice constitué en partie par
les artistes entrepreneurs. L’exemplarité est une règle à laquelle nous sommes attachés. Les
entrepreneurs en ont pleinement conscience et sont mêmes attachés à cette logique
coopérative de répartition des bénéfices, comme le témoigne Cristina : « J’adhère à l’idée
que mon bénéfice peut solidifier la structure et peut être répartis entre tous, je trouve cela
bien ».
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Schéma : Mode de répartition des bénéfices d’Artenréel
La deuxième vague d’associés qui nous a rejoints en 2009 (9 associés au total) a pour
l’instant toujours suivi cette affectation. Lors de la dernière assemblée générale du mois de
juin 2011, la répartition a été mise en débat : il a été évoqué le versement d’un intérêt aux
parts sociales même si au final, la répartition entre réserves et part travail s’est à nouveau
imposée.
Qu’en sera-t-il lors des prochaines assemblées générales alors que le sociétariat s’est
encore élargi ?
Le témoignage d’Anaya met bien en évidence cette tension, et sans être associée, elle a un
avis sur la question : « je pense que les associés ne devraient pas prendre d’argent sur les
bénéfices. Je pense qu’être associé est plutôt un don qu’on fait à la coopérative, cela ne doit
pas être lié à une contrepartie financière ».
Ce mode d’affection du résultat offre un avantage fiscal considérable : l’assiette de l’impôt
sur les sociétés est amenée à zéro, facilité offerte par le législateur aux coopératives parce
qu’elles rémunèrent le travail et non le capital, et qu’elles s’inscrivent durablement sur le
territoire. L’économie d’impôt ainsi réalisée permet de répartir une somme plus importante.
Cette disposition entre surement en ligne de compte dans la décision d’affectation.
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2) La part travail : la participation comme acte de
solidarité
Comme nous venons de le voir, une part considérable des excédents est affectée à la part
travail qui sert alors à constituer la réserve spéciale de participation. C’est particulièrement
vrai pour Artenréel puisque 50% des bénéfices y sont alloués. Ces sommes partagées entre
tous les salariés (ayant 3 mois de présence) représentent un complément de rémunération
intéressant pour les entrepreneurs. La participation peut être versée immédiatement ou être
bloquée pendant 5 ans dans les comptes courants de la coopérative. Dans ce cas, elle
génère un intérêt de 5%, ce qui représente un placement plutôt efficient par les temps qui
courent. Pour la coopérative et malgré le coût de l’intérêt qu’il lui fait financer, ces sommes
bloquées présente aussi des avantages : il s’agit là d’une trésorerie disponible bien moins
couteuse qu’un découvert bancaire.
Mais plus que tout, la répartition de la participation permet une solidarité entre les pairs,
entre tous les salariés de la coopérative. Et la somme globale à partager est loin d’être
négligeable (14 900 € pour 2010 si on intègre le résultat de la structure d’accompagnement)
même si le montant moyen de la participation est lui moins impressionnant (environ 165
euros). Plus que la somme, c’est bien le mécanisme de solidarité qu’il est intéressant
d’observer. En 2010, 49 personnes ont contribué à la création de l’excédent de la
coopérative. Cette richesse collective a ensuite profitée à 90 personnes, qui se sont partagé
cette somme au prorata des rémunérations de chacun d’entre eux. Les entrepreneurs dont
les activités étaient bénéficiaires ont donc été solidaires avec tous les autres salariés : les
permanents, les entrepreneurs n’ayant pas réalisés de bénéfices, les entrepreneurs qui ont
quitté la coopérative en cours d’année… Deux affirmations peuvent alors être émises. La
première est que les entrepreneurs ont conscience de cette solidarité, avec leurs pairs
même si elle n’est pas systématiquement réciproque : c’est un choix voulu et souhaité. Les
valeurs orientent alors la prise de décision. La seconde est que ce choix est lié à un calcul :
même si une part du bénéfice collectif m’échappe au profit des autres entrepreneurs bien
qu’ils n’y aient pas contribués, j’ai gagne malgré tout, au moins toujours autant, voire
davantage, que si j’avais pris une prime sur salaire.
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Comme pour la prime et l’intéressement, la participation la plus basse s’élève à quelques
euros, la participation la plus haute représente tout de même près de 750 euros.
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3) Critique de l’accord de participation d’Artenréel
Aujourd’hui, avec quelques années de recul, je serais pour remettre en cause la clé de
répartition de la participation. En effet, nous avons retenu une clé de répartition assisse sur
le niveau des salaires bruts. Ainsi, les fortes rémunérations se voient allouer les plus fortes
participations. Le droit prévoit également la possibilité d’opter pour une clé égalitaire (tous le
monde percevra la même somme) ou d’une clé de répartition basée sur le temps de travail.
Cette dernière possibilité a l’avantage de mieux tenir compte de l’effort des personnes :
selon le métier, à volume d’activité horaire équivalent, la plus-value rémunératrice n’est pas
la même : le niveau de rémunération sera différent, l’énergie déployée pour obtenir un
salaire lissé sur la base d’un temps plein est par contre identique. Ainsi, pour une même
énergie, une même durée consacrée à l’activité, un consultant aura une rémunération à
temps plein largement supérieur au SMIC alors qu’un artiste intervenant n’aura peut être
qu’un temps plein au SMIC. La situation peut paraître déséquilibrée, elle tend à s’équilibrer si
le consultant contribue davantage au pot commun ; l’incertitude de cette hypothèse
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demeure. La répartition la plus équitable aurait peut être été d’opter pour une formule
hybride articulant les 3 possibilités légales :
- une part répartie de manière égalitaire entre tous les bénéficiaires, logique très
solidaire et coopérative,
- une part répartie sur la base des rémunérations brutes, qui rémunère la valeur
ajoutée des activités
- une part répartie selon le temps de travail, qui rémunère plutôt l’effort fourni.
Peut être plus juste, cette modalité peut complexifier les calculs et le suivi de gestion du
dispositif.
4) Les réserves impartageables, symboles de richesse
collective
En second lieu, les excédents de gestion réalisés par Artenréel sont affectés à la constitution
des réserves impartageables, qui consolident les fonds propres de l’entreprise coopérative.
Les capitaux ou fonds propres d’une entreprises se constituent de la manière suivante :
La coopérative met en œuvre une réelle politique de fonds propres, pédagogiquement
expliquée aux entrepreneurs dans l’accompagnement quotidien. Les artistes ont compris le
sens de cet enjeu stratégique, comme le laisse à penser le témoignage de Louise : « Les
réserves me semblent importantes car elles alimentent la trésorerie de la coopérative,
rendent la coopérative plus forte et moins dépendante ».
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Par ailleurs, ils y trouvent un avantage direct : le renforcement des fonds propres de
l’entreprise coopérative garantit sa pérennité et améliorer ce faisant la trésorerie collective
dont ils peuvent bénéficier dans le cadre de leurs activités. En plus des sommes bloquées au
titre de la participation sur les bénéfices, les réserves représentent une manne financière
disponible qui permettent de répondre au besoin en fonds de roulement induit par les
activités de entrepreneurs.
Graphique Evolution du montant des réserves depuis 2005
Les réserves cumulées atteignent en 2011 près de 54 000 €, près de 60% de cette somme
provient des bénéfices des artistes. Cet indicateur démontre à merveille que les artistes,
même dans des situations économiques individuelles parfois complexes réussissent à
prendre en compte une vision à plus long terme de projet économique de la coopérative.
En plus des réserves, le modèle économique patrimonial des CAE renforce ses fonds
propres par l’accroissement du poste capital : leur finalité est d’amener les entrepreneurs
salariés à devenir coopérateurs, chaque nouvel associé apporte nécessairement du capital
social.
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Tableau : évolution du montant du capital social entre 2006 et 2010
Capital A la création fin 2010
Montant 2 280 9 140
Nb associé 3 9
Montant moyen du capital par associé 760 1 016
Pour la coopérative, le levier des réserves et du capital social représente une aubaine : elle
se financement de manière endogène et diminue ainsi la nécessité d’avoir recours à ces
financements externes. Grâce aux entrepreneurs, elle renforce sa structure financière ; les
entrepreneurs sont indispensables à son développement.
C’est aussi là que prend tout le sens du modèle économique de la CAE, détaillé
précédemment. Et les entrepreneurs l’ont bien compris : le dispositif de gestion certes
parfois contraignant n’en demeure pas moins au service de leurs activités puisque les
différents instruments contribuent à la génération de trésoreries disponibles pour les
activités.
E. Synthèse réfléchie
Le dispositif de gestion de la coopérative, qui essaie en cours d’année de réduire l’incertitude
notamment par la technique du lissage de la rémunération, recrée une forme d’aléa lors de
la clôture des comptes. Car oui, il y a un risque à abonder le bénéfice collectif. Il y en a
même plusieurs. Le risque d’être le seul à l’abonder, chacun profiterait alors d’une part du
fruit du travail de l’entrepreneur qui a abondé. Le risque aussi d’avoir abondé plus qu’il n’est
envisageable de récupérer. Le risque de voir le bénéfice couvrir les pertes des autres…
La démarche d’abondement du pot commun de bénéfice suppose alors un fort degré de
confiance non seulement dans le dispositif de la CAE mais également dans les
comportements de mes semblables, des autres entrepreneurs avec lesquels je partage
l’entreprise. L’évolution des choix réalisés par un même entrepreneur d’une année sur l’autre
témoigne de cette confiance qui bien qu’à la base de toute relation humaine, se gagne,
s’acquiert au fil du temps. Je l’atteste par mes années d’expériences en accompagnement
de gestion, sans le démontrer de façon factuelle ici : lors de sa première clôture des
comptes, l’entrepreneur expérimente le dispositif proposé : il n’y contribue pas de manière
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convaincu au pot commun mais joue le jeu pour voir ce qui va se produire. Puis il mesure les
conséquences et constate que la mécanique fonctionne : il agira de manière plus déterminée
lors des clôtures suivantes. L’analyse des preuves renforce la confiance.
Puisque la théorie économique standard « limite la rationalité individuelle à l’optimisation77 »,
son pouvoir normatif pourrait tout à fait modeler les représentations et influencer les
comportements économiques individuels, dans notre cas, les choix de gestion.
La rationalité s’apparente-t-elle dans notre cas à opter pour une prime sur salaire, dont le
profit est immédiat, ou au contraire à opter pour l’intéressement et à espérer que mes
camarades en fassent de même et constituent de fait la richesse collective qui sera répartie
entre tous ? La coopération économique, la confiance et la loyauté sont-elles possibles dans
les relations sociales et économiques ? Qu’en est-il dans la coopérative au moment de la
clôture des comptes ? Et surtout, qu’est ce qui motive les entrepreneurs à choisir
l’intéressement et à contribuer à la richesse collective ? Ont-ils conscience de cet acte fort
en signification ?
La rationalité purement monétaire lors du choix d’affectation du bénéfice d’un entrepreneur
semble au premier abord biaisé : en effet, le montant de la prime sur salaire est équivalent
au montant de l’intéressement.
Quel intérêt y a-t-il alors d’opter pour l’intéressement et d’attendre sept mois avant de
percevoir la somme ? Autant prendre la prime sur salaire immédiatement disponible ! La
question de la temporalité et du besoin immédiat semble ici orienter la rationalité : le calcul
peut amener les individus à préférer un avantage donné sur-le-champ plutôt que de devoir
attendre le lendemain pour en profiter.
Quoique, puisque j’y gagne autant et si je n’ai pas besoin de la somme immédiatement,
autant opter pour la solution de l’intéressement : je contribuerais ainsi au pot commun de
bénéfice, qui aurait de toute façon été perdu si j’avais opté pour la prime.
Ce choix signifie-t-il pour autant que l’entrepreneur à conscience de contribuer à la richesse
collective ? Reflète-t-il une vision à long terme ? Les valeurs coopératives sont-elles alors
réellement à l’œuvre ou s’agit-il encore d’un calcul d’optimisation rationnelle (je ne peux à
priori pas gagner moins, je ne peux que gagner plus, surtout si mes semblables font de
même).
Mais que se passe-t-il si je suis le seul à contribuer au pot commun ? Même si le risque de
gagner moins est quasi-inexistant, la stratégie coopérative (abondement du pot commun de
bénéfice) est une stratégie risquée puisque sont issue est incertaine : elle n’est profitable
que si les autres participants optent pour la même démarche.
77
- Formulation reprise à Olivier Favereau, Objets de gestion et objet de la théorie économique, RFG n°160 janvier 2006, p.69.
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A ce titre, je me plais souvent à comparer les choix qui se posent aux entrepreneurs au
moment de la gestion de leur bénéfice à ceux mis en évidence par le dilemme du prisonnier.
Ce jeu bien connu des mathématiciens illustre les dilemmes sociaux auxquels sont
quotidiennement confrontés les individus, entre l’intérêt collectif à coopérer et l’intérêt
individuel à ne pas le faire. Transposé dans nos CAE78, ce dilemme consisterait en l’intérêt
égoïste de prendre son dû sans se soucier des autres (prime sur salaire) et l’intérêt
coopératif de construire des richesses collectives et de créer une forme de solidarité avec les
autres.
Louise sous-entend la présence de ce dilemme dans l’une de ses déclarations : « la
répartition des bénéfices me semble équitable. Il y a cependant des faiblesses : les
entrepreneurs fantômes bénéficient aussi de ce bénéfice collectif alors qu’ils ne
s’investissent pas dans la coopérative. Je me suis parfois dit que je prendrais aussi une
prime pour ne pas alimenter ces entrepreneurs fantômes ».
Au final, elle n’a jamais choisie la prime sur salaire. Ce dilemme est dépassé par les
convictions intimes des personnes, comme le précise Cristina : « je pense qu’on se doit de
soigner l’endroit où l’on vit, ou le système dans lequel on travaille. On ne peut pas attendre
et se demander pourquoi les autres ne font rien ? Je suis en capacité de faire, donc je fais ».
Plus que la seule rationalité variable selon les préférences des individus, les valeurs
coopératives véhiculées par la CAE vont-elles influencer les décisions de gestion,
notamment au moment de la clôture des comptes ? Qu’importe la conséquence, les
entrepreneurs sont-ils animés par les valeurs de solidarité à tel point d’abonder le pot
commun sans volonté de retour ? Croient-ils à tel point au projet coopératif qu’ils pensent
devoir constituer des réserves pour pérenniser l’entreprise ?
L’observation et l’analyse de certains indicateurs laissent à penser que c’est le cas. En
témoignent la solidarité mise en œuvre par le mécanisme de participation et l’évolution
conséquente du montant des réserves impartageables qui matérialisent la richesse
collective.
L’observation des choix de clôture peut aussi dévoiler des stratégies autres : une personne
qui volontairement n’a pas abondé le bénéfice collectif en récupèrera malgré tout une partie.
Ce cas de figure est à analyser, il faut identifier la raison et ne pas se risquer à des
généralisations. Pour celui qui débute une activité, qui a du mal à boucler les fins de mois,
qui a un faible niveau d’activité et de revenu, il peut être acceptable qu’il dispose d’une part
du bénéfice sans avoir abondé le pot commun. Cette part sera sans doute faible puisque son
78 Il m’arrive d’utiliser les jeux tels que le dilemme du prisonnier, les jeux de la ressource commune ou du bien commun en situation de formation pour illustrer les dilemmes sociaux. A ce sujet, j’invite le lecteur à lire l’ouvrage de Nicolas Eber, Le dilemme du prisonnier, Collection Repères.
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salaire l’est aussi. Soyons solidaires. Et reconnaissons que la solidarité est plus facile dans
un contexte d’abondance ou au moins lorsque le revenu de base est assuré.
Mais il peut aussi se trouver des comportements plus flibustiers, plus sioux, proche du
passager clandestin (ou free riders), décrit par Mancur Olson : il s’agit de celui qui cherche à
profiter au maximum du bien public sans qu’il n’ait à contribuer pour y arriver. Dans la
transposition CAE, il s’agirait de celui qui a un fort niveau d’activité et de rémunération, qui
affiche un fort niveau de bénéfice, et qui prend l’intégralité sous forme d’une prime sur
salaire. Sans avoir abondé le bénéfice collectif, il aura pourtant droit à sa part au titre de la
participation sur les bénéfices des autres…La somme peut d’ailleurs s’avérer conséquente,
puisque sa rémunération et son volume d’activité le sont aussi. Dans les faits, les free riders
sont peu nombreux : les entrepreneurs qui ont recours exclusivement à la prime sur salaire
sont davantage dans cette logique par nécessité financière que par stratégie qui trahit un
comportement.
Dans ces cas, peut-on parler d’individualisme ? Peut être. Ou bien y-a-t-il une forme
d’incompréhension ? La personne n’a peut être pas compris le fonctionnement du dispositif ?
Sans juger la personne, l’appréciation d’un comportement de ce type, s’il se reproduit pour
une même personne lors de plusieurs clôture des comptes successives, laisse à penser que
la personne (trouvons lui une excuse) n’a rien compris au fonctionnement coopératif et
permet de s’interroger sur sa place dans la coopérative. Si cette démarche est volontaire,
elle confirme qu’être trop malin ne favorise pas la coopération, comme l’a démontré Robert
Axelrod79, à travers sa transposition informatique du dilemme du prisonnier.
Les choix réalisés par les entrepreneurs au moment de la clôture sont d’ailleurs maintenus
secrets, seul le conseiller de gestion qui gère le dispositif en a connaissance : il agit comme
le gardien des règles. Ne sera rendu public que le montant du pot commun ainsi que la part
affectée à la participation, pas les choix individuels. Cette règle a été fixée lors de la
conclusion de l’accord de participation en 2006 pour éviter des discordes et des jugements
entre les personnes. On peut cependant s’interroger : les choix individuels des entrepreneurs
serait-ils différents s’ils étaient connus de tous et rendus publics ? Dans cette hypothèse, se
sentiraient-ils obligés d’abonder ? La théorie de la réputation pourrait éclairer ce
questionnement : les individus ayant une réputation d’altruistes sont récompensés par une
bonne réputation et bénéficie alors de l’altruisme des autres. La confiance s’en retrouve
facilitée. Cependant, attention à ce que la coopération ne soit pas motivée par le désir
stratégique d’acquérir une bonne réputation, dans une perspective égoïste de la récompense
liée à la bonne réputation.
79
Robert Axelrod, Comment réussir dans un mode d’égoïstes, Odile Jacob, p114-117
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Conclusion : la richesse collective
comme acte de coopération économique
Le dispositif de gestion de la coopérative, le processus d’accompagnement, la personnalité
même des conseillers (ma personnalité) et les valeurs véhiculées influencent la vision
économique des entrepreneurs et leurs décisions de gestion : il y a un façonnage de la prise
de décision. L’hypothèse formulée en début de recherche s’est vérifiée, de manière plus
forte que je n’aurais pu l’espérer. Je me suis souviens du témoignage d’un entrepreneur à
mon propos lors d’un séminaire d’Artenréel : « Joël est notre conseiller en gestion…mais
aussi notre conseiller financier, en fiscalité, en placement… ». Cette affirmation confirme
bien que l’accompagnement est un puissant facteur d’influence et conduit à une propension
à coopérer, à condition qu’il soit toujours conduit dans le sens de l’intérêt collectif. En
quelque sorte, la coopérative fait évoluer le contexte et crée les conditions de la coopération
par le partage des richesses. Pour ce faire, elle agit sur plusieurs leviers qui créent les
conditions d’un comportement coopératif.
Tout d’abord, elle tend à penser le projet à long terme et essaye de rendre l’avenir plus
important que le présent : c’est la transformation sociale qu’elle propose, rendre possible une
autre économique qui met en avant la richesse collective plutôt que la richesse individuelle.
Son dispositif de gestion agit bien en ce sens : par la consolidation de l’entreprise
coopérative, des jours meilleurs peuvent être espérés. Tous peuvent y trouver un intérêt. Ce
faisant, elle rend la motivation à long terme plus grande que celle à court terme.
Un autre moyen de promouvoir la coopération entre ses membres est de leur apprendre à
prendre soin des autres. C’est bien ce qu’elle fait à travers le mécanisme de la participation.
Sur cette toile de fond de solidarité, elle enseigne la réciprocité, base de la coopération et
favorise la reconnaissance entre ses membres : le sentiment d’appartenance à la
coopérative crée une dynamique d’inter-reconnaissance, nous sommes une même famille,
agissons dans notre intérêt.
C’est bien ce qui ressort en fin de compte des différents entretiens que j’ai pu conduire avec
les entrepreneurs. Non sans surprise, j’ai découvert qu’au-delà d’un simple calcul, l’intérêt
collectif, la préoccupation de l’autre, la croyance en la loyauté des autres, sont des aspects
d’importance centrale : les choix sont conduits en prenant en compte ces puissantes règles
morales.
Finalement, les choix de gestion d’artistes entrepreneurs qui optent pour l’intéressement et
par ce biais à l’abondement au bénéfice collectif de la coopérative, peuvent s’apparenter à
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un acte de coopération économique, au sens de la relation économique qui va favoriser
l’intérêt collectif sans pour autant oublier l’intérêt particulier. L’entrepreneur contribue à la
coopération économique puisque chaque partie prenante (l’entrepreneur lui-même, les
autres entrepreneurs, la coopérative) y gagne quelque chose.
Cette dynamique est possible :
- D’abord parce que l’entrepreneur a dépassé le raisonnement individualiste,
égoïste (« le fruit de mon travail doit me revenir »),
- Parce qu’il accepte d’assumer un risque individuel (que se passe-t-il si je suis le
seul à contribuer à la richesse collective ?) mais également un risque collectif
(que se passe-t-il si d’autres activités sont déficitaires ?),
- Parce qu’il prend en compte à l’intérêt général de la coopérative en renforçant
son modèle économique (trésorerie collective consolidées, pérennité de la
coopérative par la construction des réserves impartageables)
- Parce qu’il instaure une solidarité puisque chaque entrepreneur salarié aura droit
à une fraction de la part du bénéfice collectif (sous forme de participation) bien
qu’il n’y ait pas individuellement contribué (pertes ou absence de bénéfice).
La rationalité dans la coopérative, au sens du comportement qu’il convient d’adopter suite à
une décision, est matérialisée par la mécanique de l’intéressement et par la constitution
collective du résultat de la coopérative. Articulée autour du mécanisme collectif de répartition
des richesses, il est possible que tous améliorent leurs situations par la coopération
économique.
Mais cette vision partagée de la rationalité coopérative ne peut pas l’être par tous, tout le
temps. Les entrepreneurs qui ne font pas le choix de l’intéressement et de l’abondement au
bénéfice collectif ne sont pas pour autant opposés à cette démarche de coopération
économique. Ce n’est pas parce qu’ils n’y adhèrent pas mais leur situation ne leur permet
pas encore de souscrire à cette démarche. Leur niveau d’activité et la rémunération qu’ils
dégagent n’est pas encore suffisante pour leur permettre ce type de choix. Leurs
préférences sont orientées vers d’autres priorités qui relèvent d’abord de leur propre suivie,
d’autant plus que des déterminants pluriels et variés sont à l’œuvre et influencent leurs
décisions. Les entrepreneurs qui optent pour la prime en cas de bénéfice d’activité
privilégient ce type de rémunération principalement en raison du besoin immédiat d’argent.
Leur potentiel de coopération est fort et va se renforcer à travers leur acculturation au
dispositif de gestion de la CAE. La pédagogie coopérative transmise par l’accompagnement
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y contribuera également. D’autant plus qu’ils ont conscience de la solidarité mises en œuvre
par les entrepreneurs dont la situation est meilleure puisqu’il bénéfice d’une forme de
solidarité par le biais du mécanisme de la répartition du bénéfice et de la participation. Il y a
fort à parier que ces entrepreneurs récompenseront la coopérative et l’altruisme de leurs
prédécesseurs en agissant également en optant pour l’intéressement et le pot commun de
bénéfice, lorsqu’ils en auront la capacité. La coopérative se doit d’améliorer la condition de
ses entrepreneurs par leur professionnalisme, démarche qui aboutira à des nouveaux
débouchés artistiques : l’augmentation des activités favorisera le niveau de revenu des
entrepreneurs et donc leurs capacités à coopérer.
Mais une minorité d’entrepreneurs a un comportement plus étrange : ils choisissent la prime
sur salaire de manière systématique, sans jamais contribuer à la richesse collective alors
qu’ils en bénéficient pourtant. En y regardant de plus près, on se rend très facilement compte
que ces entrepreneurs ne sont pas à leur place. Tout d’abord, ils ne vivent que très peu la
coopérative, voire pas du tout : ils ne sont pas accompagnés, ils ne participent pas aux
ateliers de formation ni même à la vie coopérative (séminaire, rencontres…) : ils n’ont alors
pas conscience de ce qu’elle représente, de la puissance de la norme de coopération
puisqu’ils ne sont pas en contact avec tous ces éléments qui socialisent l’Homme coopératif.
Peut être même ne savent-ils pas avec précision comment fonctionnement le dispositif de
gestion de la CAE ou bien n’ont-ils pas compris les modalités technique de répartitions des
richesses. Ils se servent de la coopérative comme d’un simple système de portage, une
structure qui permet la facturation, ne sont pas acteurs de la coopérative mais simples
consommateurs d’un service. Faut-il alors leur demander de quitter la coopérative ? Le
temps les fera peut être prendre cette décision.
Quoi qu’il en soit, cette recherche a conforté ma croyance que l’individu n’est pas
uniquement mu par la recherche du profit individuel, que les valeurs de solidarités et la
primauté du collectif peuvent être des réalités même si elles ne sont pas innées. J’ai cru un
moment lors des entretiens que ma recherche atteignait une limite, induite par ma posture de
chargé d’accompagnement de la coopérative qui allait nuire à la posture de chercheur qu’il
m’a fallu adopter dans le cadre des entretiens. Les artistes interrogés que j’accompagne au
jour le jour allaient-ils avoir une parole sincère ? Ou bien se contenterait-ils de me dire ce
que je souhaitais entendre ? J’aurais pu émettre certains doutes mais les observations
statistiques des choix de gestion au moment de la clôture des comptes traduisent les actes
et ont fait disparaître toutes les incertitudes. Là encore, un souvenir me revient. Celui d’un
entrepreneur qui après un atelier de formation sur la clôture comptable des comptes vient
me voir pour me dire que c’est en comprenant le mécanisme de répartition des bénéfices
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qu’il a compris le sens de la coopérative et que la solidarité matérialise pour lui l’esprit
coopératif. La recherche m’a donné du baume au cœur, m’a donné l’envie de repartir de plus
belle et d’inventer encore de nouvelles choses avec les entrepreneurs, de modeler nos
propres œuvres d’arts. D’autant que les échanges et discussions autour de ce mémoire ont
amené des idées et des perspectives nouvelles. La volonté d’aller encore plus loin dans la
solidarité et la coopération s’est affirmée, et ce, à plusieurs titres.
Les entrepreneurs ont tout d’abord manifesté l’envie de mettre en place des Plans Epargne
Entreprise pour y placer les sommes issues de l’intéressement et constituer une épargne.
Cette volonté illustre que leur vision se construit davantage à long terme. Afin de pendre en
compte en quelque sorte le droit à l’erreur, les entrepreneurs associés ont exprimés leur
intention d’imaginer une forme de solidarité qui permettrait de prendre en charge le déficit
d’activité accidentel d’un entrepreneur, lié à une perte de marché ou à une défaillance
brutale d’un client. Dans le même ordre d’idée, la création d’un fonds de solidarité a été
évoquée pour faire face aux aléas ou aux accidents de la vie et ainsi couvrir la perte de
chiffre d’affaires occasionnée (accident, maladie, absence pour enfant malade…). La récente
revendication d’une mutuelle santé contribue d’ailleurs de cette intention.
Enfin, plus en lien avec les activités artistes, certains ont même évoqué avec détermination
l’envie de créer au niveau de la coopérative un système d’indemnisation inspiré du régime
d’assurance des intermittents du spectacle. Ce fonds destiné à financer la création
permettait de temps à autres à certains de faire une pause dans la course effrénée au chiffre
d’affaires, de s’arrêter un temps pour créer, partir en résidence…L’idée d’acquérir un lieu de
production et de diffusion a également été évoqué, rendu possible par la vision partagée de
la richesse collective et des réserves mises en commun.
L’urgence de la situation actuelle du secteur artistique et culturel conduit à inventer des
dispositifs structurant pour les artistes, au service de la coopération et de la création
artistique. Puisque conclure une recherche action c’est sans doute en ouvrir une ou plusieurs
autres, je vois dans toutes ces idées des perspectives pour l’avenir et autant de sujets de
réflexion et de recherche pour les années à venir. Des transformations sociales se sont
opérées et permettent d’entretenir l’espoir d’un modèle nouveau composant avec de
nouvelles solidarités
Le modèle coopératif a encore de belles années devant lui et finira peut être par s’imposer
dans toutes les sphères de la vie économique et sociale.
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Bibliographie rationnelle
L’Economie Sociale de A à Z, Alternatives Economiques Pratique
Guide juridique des SCOP, SCOP EDIT
Norbert ALTER, Donner et prendre, la coopération dans l’entreprise
Robert AXELROD, Comment réussir dans un monde d’égoïstes : théorie du comportement
coopératif, Editions Odile Jacob Poches
Stéphane BOSSUET, Itinéraire d’artistes en coopératives d’activités et d’emploi : vers la
construction d’une nouvelle professionnalité au sein d’Artenréel, Mémoire CNAM
R. CASTEL, L. CHAUVEL, D. MERLLIE, E. NEVEU, T. PIKETTY, Les mutations de la
société française : les grandes questions économiques et sociales II, Collection Repères
Guy DELABRE, Jean-Marie GAUTIER, Vers une République du travail – Jean-Baptiste
André GODIN, Editions de la Villette
Danièle DEMOUSTIER, Denis ANSELM, Les CAE du secteur culturel, vecteur de
professionnalisation et de solidarisation des artistes ?, IEP de Grenoble
Jean-François DRAPERI, Godin, inventeur de l’économie sociale : mutualiser, coopérer,
s’associer, Editions Repas
Jean François DRAPERI, L’économie sociale : Utopies, Pratiques, Principes,
Jean Francois DRAPERI, Comprendre l’économie sociale, DUNOD
Jean-François DRAPERI, Les 20 formes juridiques de l’entreprises, Editions du Puits Fleuri
Nicolas EBER, Le dilemme du prisonnier, Collection Repères
Erhard FRIEDBERG, Question d’organisation, La décision, Banlieues Médias
Marie GOUYON, L’emploi salarié dans le spectacle en 2008 : une diversité de situations,
Publication du Ministère de la Culture
Page 129 sur 161
F. LABADIE, F. ROUET, Régulation du travail artistique, DEPS, Ministère de la Culture et de
la Communication, Culture prospective
Claudette LAFAYE, Sociologie des organisations, Editions Armand COLIN
Pierre-Michel MENGER, Portrait de l’artiste en travailleur, Métamorphose du capitalisme,
Edition La République des Idées Seuils
Maurice PARODI, Les valeurs, les principes et les règles de l’Economie Sociale traversent
tous les domaines de la gouvernance et de la gestion, Recma
Jean-Daniel REYNAUD, Les règles du jeu : l’action collective et la régulation sociale,
Editions Armand COLIN (Extraits)
Dominique SAGOT-DUVAUROUX, Travail artistique et économie de la création, La
Documentation Française, 2008
Juliette TOURNAND, La stratégie de la bienveillance, Inter Editions
Thierry VERSTRAETE, Connaître l’entrepreneur, comprendre ses actes, Edition l’Harmattan
Nathalie WRIGHT, Quelle place occupe le niveau des revenus des entrepreneurs salariés
dans la perception de réussite de leur activité ?, Mémoire CNAM
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Grille d’entretien
Grille d’entretien systématique
Introduction à l’entretien
- Expliquer le travail de mémoire (dès la prise de contact) - Si la personne le demande, préciser pourquoi on l’a choisie - Rappeler les objectifs de l’entretien - Liberté de parole : possibilité de ne pas répondre - Demander à la personne de se présenter (parcours professionnel et semi-
professionnel, expériences, activités développées, qu’est ce qui l’a amenée à la coopérative…)
Entretien
- Concernant la posture d’entrepreneur salarié : pourrais-tu me parler de ta posture d’entrepreneur salarié, de ta création d’activité en coopérative ?
Relances si difficultés ou réponses insuffisantes : est-ce que le fonctionnement de la coopérative te convient ? Penses-tu être aussi libre qu’un entrepreneur individuel ? As-tu le sentiment d’être un entrepreneur, un chef d’entreprise ?
- Concernant le modèle économique de l’entrepreneur salarié : pourrais-tu m’expliquer comment tu pilotes, comment tu gères tes revenus d’activités dans la CAE ?
Relances si difficultés ou réponses insuffisantes : comment fais-tu évoluer ton salaire ? est-ce que tu valorises tous tes frais d’activités dans la coopérative ? si tu n’étais pas dans la coopérative (et que tu aurais choisi un autre statut), penses-tu que tu gèrerais ton revenu d’activité autrement ?
- Concernant la clôture des comptes et la gestion de ton bénéfice individuel : que penses-tu du principe comptable et de l’obligation de clôturer les comptes tous les ans ? Que penses-tu de la modalité de traitement du bénéfice de ton activité en coopérative (intéressement ou prime)?
Relances si difficultés ou réponses insuffisantes : tu souviens-tu si tu as réalisé un bénéfice lors de la dernière clôture ? Qu’est-ce que tout cela t’évoque ? Si tu as fais plusieurs clôtures d’exercice dans la CAE, les choix que tu fais à ces moments là ont-ils évolués ou sont-ils toujours les mêmes ?
- Concernant sa situation économique professionnelle : que penses-tu du niveau de revenu dégagé par ton activité ?
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Relances si difficultés ou réponses insuffisantes : ce revenu te semble-t-il suffisant ? Cohérent à ton temps de travail ? Cohérent à l’énergie que tu mets dans l’activité ? Quant tu réfléchis à ton revenu, regardes-tu uniquement le montant du salaire ou pense tu qu’il y a d’autres sources de richesses que simplement le salaire net inscrit au bas de la fiche de paie ? Quel serait ton objectif de revenus ?
- Concernant le traitement du bénéfice collectif : que penses-tu du devenir du bénéfice de la coopérative, constitué collectivement ? (participation versée à tous les salariés, réserves impartageables, intérêts aux parts sociales)
Relances si difficultés ou réponses insuffisantes : que penses-tu de la solidarité qui se met en place par la répartition du bénéfice collectif ? Penses-tu que cela est en phase avec les principes/valeurs de la coopérative ? Que penses-tu du fait que le bénéfice auquel tu as contribué puisse servir à rémunérer le capital des associés ? Si elle est associée : ton sentiment a-t-il évolué à ce sujet ?
- Concernant sa situation économique personnelle : As-tu d’autres sources ou compléments de revenus ?
Relances si difficultés ou réponses insuffisantes : Es-tu dépendant du revenu dégagé par ton activité dans Artenréel ? Quelle était ta situation à l’entrée dans la CAE et a-t-elle évoluée ? Tu es toujours au RMI/RSA mais ton activité semble pouvoir te faire sortir de ce dispositif, qu’est-ce qui te freine (le cas échéant) ? Sont-ce les « à-côtés » induits : CMU, gratuités des transports… ?
- Concernant sa réussite, celle de son projet dans la CAE : comment apprécies-tu la réussite de ton projet, pour toi-même ? au sein de la CAE ?
Relances si difficultés : Comment l’apprécies-tu : économiquement ? humainement ? par le plaisir ?
- Comment aller plus loin dans le modèle économique et la CAE, et dans la solidarité entre ses membres ? As-tu des idées à ce sujet ?
Relances si difficultés : comment finances-tu le temps de création ? Comment pourrait-on imaginer le rémunérer ? Quelle solidarité si un entrepreneur réalise un déficit ?
Finalement, en guise de conclusion et de synthèse :
- As-tu l’impression que les choix que tu fais correspondent à des décisions de gestion ?
- Pourrais-tu essayer de me dire comment tu expliques, qu’est ce qui motive les choix de gestion que tu opères ?
Conclusion de l’entretien et remerciements
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ANNEXE I
CHARTE D’ASSOCIE DE LA CAE ARTENREEL
Cette charte définit les engagements entre les associés et la Coopérative d’Emploi au sein
d’Artenréel.
Cette charte est expérimentale et est susceptible d’être modifiée, en accord avec les
associés, en fonction des réalités et pour tendre au plus proche des principes annoncés.
SOMMAIRE
PREAMBULE : ....................................................................................................................................... 133
RESPONSABILITES ET ENGAGEMENTS ................................................................................................. 133
RESPONSABILITE JURIDIQUE ........................................................................................................... 134
RESPONSABILITE FINANCIERE ......................................................................................................... 134
ENGAGEMENT DE SOUSCRIPTION AU CAPITAL............................................................................... 135
CONTRIBUTION AU FONCTIONNEMENT DE LA CAE ........................................................................ 135
EMBAUCHES POUR LE FONCTIONNEMENT DE LA COOPERATIVE D’EMPLOI ................................. 136
ANIMATION DE LA COOPERATIVE D’EMPLOI ...................................................................................... 136
DEPART OU EXCLUSION D’UN ASSOCIE............................................................................................... 137
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PREAMBULE
Dans le cadre du dispositif mis en place par les Coopératives d’Activités et d’Emploi du
réseau « Coopérer pour entreprendre », des femmes et des hommes ayant préalablement
testé avec succès leur projet économique dans le cadre d’Artenréel se regroupent sur le long
terme au sein d’une entreprise collective avec les buts suivant :
- Promouvoir l’entreprise collective dans sa forme actuelle et en devenir,
- Travailler dans un esprit solidaire,
- Créer et entretenir une synergie et une dynamique de réseau,
- Accéder à et partager des ressources en prestation de service (hébergement
comptable et suivi de l’activité).
Cette Coopérative d’Emploi est régie par les principes de :
- professionnalisme,
- respect de l’autre,
- partage de la confiance,
- transparence et sincérité,
- connivence avec le groupe,
- confidentialité tant en interne qu’à l’externe,
- responsabilisation et engagement de chacun.
Les entrepreneurs salariés associés veilleront lors de toute décision en assemblée
d’associés à orienter leur choix en veillant au bon fonctionnement et à la pérennité de la
Coopérative d’Activités, qui leur a permis l’accès à la Coopérative d’Emploi.
RESPONSABILITES ET ENGAGEMENTS
Chaque nouvel associé assume les responsabilités juridiques et financières citées ci-
dessous.
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RESPONSABILITE JURIDIQUE
La Coopérative d’Activités et d’Emploi Artenréel est une seule entité juridique, son
mandataire social, le gérant, est unique.
Chaque entrepreneur salarié associé de la Coopérative d’Emploi est moralement
responsable de son activité et en supporte les conséquences directes, liées à son activité et
indépendantes de son mandat et de sa qualité d’associé.
RESPONSABILITE FINANCIERE
Chaque entrepreneur salarié associé constitue un secteur d’activité d’Artenréel.
L’activité sera elle-même un centre de profit permettant :
- une comptabilité et une gestion analytique,
- de distinguer le résultat propre à l’activité,
- une prime d’intéressement (selon l’accord en vigueur),
- une répartition du résultat après intéressement identique pour
l’ensemble de la Coopérative d’Activités et d’Emploi,
- une participation aux résultats de la SCOP Artenréel selon les
conditions de l’accord de participation en vigueur dans l’entreprise.
Quelques que soient ses objectifs, l’entrepreneur salarié associé gère son activité selon des
principes de bonne gestion : sa pérennité est assurée notamment par une politique de
développement et la capacité à générer un résultat positif. L’entrepreneur salarié associé
s’engage par ailleurs à limiter les risques de perte de son activité.
Chaque entrepreneur salarié associé s’engage à entretenir son autonomie financière en
veillant à pourvoir à ses besoins en fonds de roulement et en trésorerie. Il peut être amené à
présenter ses objectifs et perspectives d’action lors d’une réunion d’associés, ceci dans
l’esprit de partage, d’entraide et de solidarité qui anime les associés.
La Coopérative d’Emploi transmet à l’ensemble des associés, lors de l’AG de juin, le bilan
financier et le compte de résultat présentant la situation financière de la Coopérative, ainsi
que ses perspectives.
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ENGAGEMENT DE SOUSCRIPTION AU CAPITAL
Capital libéré à l’entrée au sociétariat
L’associé s’engage à apporter au capital, s’engage à apporter au capital social de la
coopérative la somme de 760 euros (soit 38 parts sociales d’un montant de 20 € chacune),
cette somme devant être libérée sur une durée maximale d’un an à compter de l’intégration
de l’associé, selon les modalités suivantes :
Option 1 Option 2
A.G. juin 20 € 20 €
juillet 70 €
août 70 € 185 €
septembre 70 €
octobre 70 €
novembre 70 € 185 €
décembre 70 €
janvier 70 €
février 70 € 185 €
mars 70 €
avril 70 €
mai 40 € 185 €
Total 760 € 760 €
Capital libéré mensuellement : développement des fonds propres de l’entreprise collective
Chaque nouvel associé s’engage également à souscrire au capital social de la coopérative,
dans le cadre du prélèvement statutaire, à hauteur d’un montant fixé à 1% de son salaire
brut mensuel.
CONTRIBUTION AU FONCTIONNEMENT DE LA CAE
Les associés rémunèrent de manière forfaitaire la prestation globale dispensée par la
Coopérative sur la base de 10 % de leur chiffre d’affaires H.T., avec un minimum de 2000 €
HT /an et un maximum de 5000€ HT/ an.
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EMBAUCHES POUR LE FONCTIONNEMENT DE LA
COOPERATIVE D’EMPLOI
L’embauche d’un salarié pour le fonctionnement collectif de la Coopérative d’Emploi se fait
avec le mandataire social et un membre associé de la Coopérative d’Emploi.
ANIMATION DE LA COOPERATIVE D’EMPLOI
2 catégories d’acteurs concourent et contribuent au bon fonctionnement de la Coopérative
d’Emploi :
1) Les « permanents » de la Coopérative d’Activités et d’Emploi qui assurent le rôle de
« prestataire interne » en matière :
- d’hébergement comptable, juridique et fiscal,
- de suivi de l’activité (regard professionnel sur la gestion, la stratégie et
l’organisation),
- d’animation de la Coopérative d’Emploi,
- de mise à disposition des locaux et des ressources administratives nécessaires
pour les réunions de la Coopérative d’Emploi (à l’exclusion des besoins propres à
chaque activité).
2) Les entrepreneurs salariés associés qui s’engagent à coopérer activement et à
contribuer avec assiduité au fonctionnement du collectif.
La vie de la Coopérative d’Emploi se manifeste notamment par :
1) les réunions d’associés dont l’objectif est :
a. le partage d’informations, de compétences, de réseaux…
b. l’analyse des nouveaux développements, des axes politiques et économiques
c. la transmission d’informations et la discussion concernant la vie humaine et
économique de la Coopérative
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Ces échanges réguliers ont pour but de partager des informations, d’enrichir chacun mais
aussi de limiter les risques financiers et juridiques, en anticipant collectivement sur l’activité
de la Coopérative et de chaque associé. Assiduité, transparence et sincérité sont de mise.
2) des liens étroits avec la Coopérative d’Activités et les entrepreneurs salariés,
qui se traduisent par une participation régulière aux réunions coopératives,
permettant de maintenir un lien avec les entrepreneurs salariés, dans un but
d’interconnaissance et d’enrichissement mutuel.
3) des réunions statutaires, ordinaires ou extraordinaires
Les assemblées statutaires se tiennent conformément aux statuts. Au-delà de ces
assemblées statutaires, le mandataire social ou n’importe quel entrepreneur salarié associé
peut solliciter la tenue d’une réunion extraordinaire pour une question d’urgence de décision.
Il est rappelé que l’ensemble des associés sera convié à toute Assemblée Générale et/ou
réunions d’associés.
L’Assemblée Générale ordinaire du mois de juin a pour principaux objectifs :
- la lecture du rapport de gestion
- l’approbation des comptes de la Coopérative,
- le renouvellement du mandat du gérant,
- la validation de l’affectation des résultats proposée par le gérant,
- l’examen des candidatures de nouveaux postulants au sociétariat,
- la décision d’exclusion d’un associé.
DEPART OU EXCLUSION D’UN ASSOCIE
Tout manquement à cette charte ou tout comportement ayant pour conséquence de porter
préjudice au collectif constituera une raison légitime d’exclusion, parmi lesquelles :
- une participation insuffisante au collectif (une assiduité et une participation active aux
réunions étant requises),
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- un manque de transparence ou un pilotage insuffisant de l’activité.
Toute raison légitime d’exclusion devra faire l’objet d’une discussion préalable entre
associés.
La décision d’exclusion se prend en Assemblée Générale Ordinaire selon les modalités
prévues aux statuts.
Tout départ volontaire ou involontaire de l’un des associés nécessite un délai propre à
l’activité exercée pour permettre un solde de tout compte. Ce dernier est établi conjointement
avec l’entrepreneur concerné.
Après sa sortie de la Coopérative d’Emploi, l’entrepreneur reste responsable des
conséquences de l’exercice de son activité au sein de la Coopérative.
L’associé sortant récupérera son capital de parts sociales selon les règles comptables et le
droit coopératif en vigueur.
Cette charte a été élaborée en 2009 par les premiers associés de la Coopérative d’Emploi :
Joël Beyler, Sabine Bossuet, Stéphane Bossuet, Caroline Bouche, Marie Frering, Laetitia
Heintz, Philippe Riehling, Vincent Viac, l’Ogaca représentée par Luc Jambois.
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ANNEXE 2
SOCIETARIAT : CONDITIONS
ET METHODOLOGIE DE CANDIDATURE
Ce document est remis à tout entrepreneur-salarié désireux d’être candidat au sociétariat.
Sommaire
CRITÈRES D’ELIGIBILITE DE LA CANDIDATURE ........................................................... 140
Critères liés à l’activité : .................................................................................................. 140
Critères liés à l’engagement coopératif : ......................................................................... 140
PARCOURS D’INTÉGRATION D’UN NOUVEL ASSOCIÉ ................................................. 141
CAS DE REFUS D’INTÉGRATION D’UN NOUVEL ASSOCIÉ ........................................... 142
RAPPEL : SOUSCRIPTION DES ASSOCIÉS AU CAPITAL .............................................. 142
Capital libéré à l’entrée au sociétariat ............................................................................. 142
Capital libéré mensuellement : développement des fonds propres de l’entreprise collective
....................................................................................................................................... 142
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CRITÈRES D’ELIGIBILITE DE LA
CANDIDATURE
Critères liés à l’activité :
- Ancienneté : être depuis au moins 2 ans entrepreneur-salarié de la Coopérative
- Niveau d’activité : le niveau d’activité de l’ES doit être stabilisé et doit lui garantir une
autonomie financière (rémunération équivalente à un SMIC base temps plein ou base
temps partiel s’il s’agit d’un temps choisi et d’un choix personnel motivé
Critères liés à l’engagement coopératif :
- Participation régulière aux ateliers proposés par la Coopérative
- Présence régulière aux réunions coopératives et aux séminaires de la Coopérative
La candidature est éligible si au moins trois des quatre critères sont réunis.
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PARCOURS D’INTÉGRATION D’UN NOUVEL
ASSOCIÉ
Janvier Transmission par le gérant des conditions de candidature par e-mail à
l’ensemble des entrepreneurs-salarié
Février Sollicitation adressée au gérant par tout ES intéressé
Vérification des critères d’éligibilité du candidat
Notification de l’éligibilité ou non du candidat
Mars Envoi d’une lettre au gérant précisant les motivations du candidat
Transmission des candidatures reçues par le gérant aux associés
Avril Participation à un atelier (ou un RV individuel selon le nombre de participants)
sur les enjeux, les engagements, la qualité d’associé…
Atelier animé par un permanent-associé et un entrepreneur-associé
Transmission de la Charte d’Associé
Mai Réunion d’associés : échange sur les candidatures reçues
Juin Tenue de l’Assemblée Générale Ordinaire : vote des candidatures par les
associés selon les modalités prévues aux statuts80
Communication par le gérant des résultats des votes
Libération des parts sociales
Septembre Lors de la réunion d’associés qui suit l’Assemblée Générale, signature par les
nouveaux associés de la Charte d’Associé
80
Majorité représentant plus de 50% du nombre total des associés
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REFUS D’INTÉGRATION D’UN NOUVEL
ASSOCIÉ
Si les critères liés à l’activité et/ou à l’engagement coopératif ne sont pas respectés, ou si le
candidat n’obtient pas l’agrément des associés, la candidature sera être refusée.
Les associés, par la voix du gérant, rendront compte des raisons du refus de la candidature.
RAPPEL : SOUSCRIPTION DES ASSOCIÉS AU
CAPITAL
Capital libéré à l’entrée au sociétariat
Chaque nouvel associé s’engage à apporter au capital la somme de 760 euros (38 parts
sociales d’un montant de 20 € chacune), cette somme devant être libérée sur une durée
maximale d’un an à compter de l’intégration de l’associé, selon les modalités suivantes :
Option 1 Option 2
A.G. juin 20 € 20 €
juillet 70 €
août 70 € 185 €
septembre 70 €
octobre 70 €
novembre 70 € 185 €
décembre 70 €
janvier 70 €
février 70 € 185 €
mars 70 €
avril 70 €
mai 40 € 185 €
Total 760 € 760 €
Capital libéré mensuellement : développement des
fonds propres de l’entreprise collective
Chaque nouvel associé s’engage également à souscrire au capital social de l’entreprise
dans le cadre du prélèvement statutaire à hauteur d’un montant fixé à 1% de son salaire brut
mensuel.
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ANNEXE III FICHE DIAGNOSTIC
Critères d'évaluation d'intégration au sein d'Artenréel
Pertinence du projet + / -
Définition du projet
Qualifications/ Compétences/ Expériences
Intérêt et suivi de l’actualité artistique
Adéquation projet/coopérative
Intérêt coopératif
Intérêt de l'activité pour le projet coopératif
Intérêt économique de l'activité pour la coopérative
Démarche entrepreneuriale
Connaissance du marché dans lequel s’inscrit l’activité
Connaissance des acteurs nécessaire à la professionnalisation de l’activité
Démarche de recherche d’éléments sur les clés de réussite de l’activité
Projection économique
Urgence économique
Situation économique actuelle
Volonté de développer ses apports économiques
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QUALIFICATIONS Les plus : Les moins :
COMPETENCES Les plus : Les moins :
DEMARCHE ARTISTIQUE Les plus : Les moins :
PROJET Les plus : Les moins :
CADRE ECONOMIQUE Revenu actuel : CA envisagé : Frais : Autres informations : Salaire idéal envisagé :
CADRE ARTISTIQUE Actualité : Carte des ressources : Personnes à contacter :
PUBLICS Qui sont-ils ?
Comment s’adresser à eux ?
Comment les atteindre ?
Adaptation ?
Quelles compétences essentielles à développer ?
CLIENTS Qui sont-ils ?
Comment s’adresser à eux ?
Comment les démarcher ou les contacter ?
Quelles compétences essentielles à développer ?
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PARTENAIRES Qui sont-ils ?
Quelles formes de partenariat ?
Privés/Publics ?
Quelles compétences essentielles à développer ?
CONCURENTS Qui sont-ils ?
Comment faire face à cette concurrence ?
ACTEURS CULTURELS ET INSTITUTIONS
PUBLIQUES Qui sont-ils ?
Quelle est leur importance ?
Quelles compétences essentielles à développer ? :
EXPRESSION Présentation orale :
Présentation écrite :
Argumentation :
Conversation téléphonique :
Démarcher :
Lettres
Les clefs essentielles de l’expression :
COMMUNICATION Outils de communication
Visibilité
Moyen de communication
DOCUMENTATION Outils de documentation
Comment chercher ?
Pourquoi se documenter ?
OUTILS BUREAUTIQUE Word : Excel :
Internet :
Mise en forme :
Autres :
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OUTILS GESTION/ADMINISTRATION Winscop :
Autres :
RESEAUX Def et rôle du réseau ?
Comment se le créer ?
Le garder ?
Outils :
DOSSIERS DE FINANCEMENT Comment ?
Pour qui ?
EXPERIENCES COLLECTIVES Les plus : Les moins :
VISION DE LA COOPERATION Les plus : Les moins :
IMPLICATION DANS LA VIE COOPERATIVE Les plus : Les moins :
CONNAISSANCE DES AUTRES ES Les plus :
Les moins :
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ANNEXE IV : PLAN DE L’ATELIER
« La clôture comptable des comptes :
Opérations de fin d’exercice et gestion des excédents »
Introduction : le jeu du bien commun
I. Rappels de comptabilité
A. Modèle économique de l’Entrepreneur Salarié
B. Enjeux et contraintes liés à la clôture des comptes
II. Les choix de gestion des entrepreneurs salariés lors de la clôture des comptes
A. La prime sur salaire
B. L’intéressement et le bénéfice collectif
III. Le traitement des bénéfices en SCOP
A. Modalités de traitement des bénéfices
B. La part travail
C. Les réserves impartageables
D. L’intérêt aux parts sociales
IV. Synthèse
V. Questions / Réponses
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ANNEXE V : EXEMPLES D’ACTIVITES ECONOMIQUES
Uniquement prime
EVOLUTION MENSUELLE DES PRODUITS CA HT CA HT NON SOUMIS FRAIS DE
MUTALISATION TOTAL
janvier
217,35 217,35
février 1 254,18 190,80 1 444,98
mars
758,00 758,00
avril 692,15 692,15
mai
607,30 607,30
juin 2 790,40 625,80 3 416,20
juillet
434,70 434,70
août 0,00
septembre
293,69 293,69
octobre 2 940,01 630,93 3 570,94
novembre
972,28 972,28
décembre 389,21 465,97 855,18
TOTAL ANNEE 7 373,80 5 888,97 13 262,77
MUTUALISATION DES FG 737,38 737,38
SALAIRES ET CHARGES SALAIRES BRUTS CHARGES PATRONALES COUT TOTAL
janvier 487,30 86,68 573,98
février 487,30 86,68 573,98
mars 487,30 86,68 573,98
avril 487,30 86,68 573,98
mai 797,40 141,87 939,27
juin 797,40 141,87 939,27
juillet 797,40 141,87 939,27
août 797,40 141,87 939,27
septembre 797,40 141,87 939,27
octobre 797,40 141,87 939,27
novembre 797,40 141,87 939,27
décembre 1 689,25 742,16 2 431,40
TOTAL ANNEE 9 220,25 2 081,97 11 302,22
FRAIS D'ACTIVITES Frais d'activités HT TOTAL
janvier 67,63 67,63
février 106,34 106,34
mars 91,78 91,78
avril 101,59 101,59
mai 75,00 75,00
juin 195,00 195,00
juillet 75,00 75,00
août 76,15 76,15
septembre 62,71 62,71
octobre 88,49 88,49
novembre 76,84 76,84
décembre 118,64 118,64
TOTAL 1 135,17 1 135,17
CHARGES : ELEMENTS ANNUELS, EXEPTIONNELS, RETRAITEMENTS
Médecine du Travail + Assurance 88
TOTAL 88
RESULTAT COMPTABLE 0,00
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Le bénéfice avant le choix de clôture était de 1 492,13 € : la totalité de cette somme a été
rajoutée au salaire du mois de décembre (sous forme d’une prime).
Cette prime a donné lieu à un complément de rémunération nette (montant perçu par
l’entrepreneur) de 799,69 €.
Le bénéfice après choix de clôture est égal à 0 ; il n’y a pas d’intéressement.
La personne percevra une somme au titre de la participation (part travail transformée en
participation, suite à l’affectation du bénéfice collectif bien qu’elle n’ait pas contribué à sa
constitution).
Si la personne avait fait le choix de l’intéressement, son bénéfice initial de 1 492,13 € aurait
donné lieu à une prime d’intéressement à hauteur de 895, 28 € ; la différence soit 596, 85 €
aurait été reversée au bénéfice collectif.
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Uniquement intéressement
EVOLUTION MENSUELLE DES PRODUITS CA HT CA HT NON SOUMIS FRAIS DE
MUTALISATION TOTAL
janvier
2 097,40 2 097,40
février 1 116,08 1 609,40 2 725,48
mars
2 272,20 2 272,20
avril 482,82 1 698,40 2 181,22
mai
4 131,20 4 131,20
juin 3 929,06 627,70 4 556,76
juillet 83,61 654,00 737,61
août 653,25 653,25
septembre 819,28 1 270,25 2 089,53
octobre 1 547,08 1 547,08
novembre 300,00 1 695,02 1 995,02
décembre 1 128,60 1 550,38 2 678,98
TOTAL ANNEE 7 859,45 19 806,28 27 665,73
MUTUALISATION DES FG 785,95 785,95
SALAIRES ET CHARGES SALAIRES BRUTS CHARGES PATRONALES COUT TOTAL
janvier 1 343,80 239,08 1 582,88
février 1 343,80 239,08 1 582,88
mars 1 343,80 239,08 1 582,88
avril 1 343,80 239,08 1 582,88
mai 1 343,80 239,08 1 582,88
juin 1 343,80 239,08 1 582,88
juillet 1 343,80 239,08 1 582,88
août 1 343,80 239,08 1 582,88
septembre 1 343,80 239,08 1 582,88
octobre 1 343,80 239,08 1 582,88
novembre 1 343,80 239,08 1 582,88
décembre 1 343,80 239,08 1 582,88
TOTAL ANNEE 16 125,60 2 868,96 18 994,56
FRAIS D'ACTIVITES Frais d'activités HT TOTAL
janvier 495,60 495,60
février 191,72 191,72
mars 490,25 490,25
avril 449,37 449,37
mai 406,33 406,33
juin 111,70 111,70
juillet 362,28 362,28
août 556,87 556,87
septembre 340,37 340,37
octobre 385,63 385,63
novembre 1 340,57 1 340,57
décembre 1 005,75 1 005,75
TOTAL 6 136,44 6 136,44
CHARGES : ELEMENTS ANNUELS, EXEPTIONNELS, RETRAITEMENTS
Médecine du Travail + Assurance 88
TOTAL 88
RESULTAT COMPTABLE 1660,79
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Le bénéfice avant le choix de clôture était de 1 606,79 € : l’entrepreneur a décidé de ne pas
prendre de prime sur salaire et d’affecter son bénéfice à l’intéressement et à la constitution
du bénéfice collectif.
CLOTURE DES COMPTES
RAPPEL RESULTAT 1 660,79
INTERESSEMENT (BRUT) THEORIQUE = 60% RESULTAT
996,47
PLAFOND INTERESSEMENT 20% SALAIRES BRUTS
3 225,12
INTERESSEMENT RETENU 996,47
SOLDE POUR POT COMMUN 664,31
SI CHOIX DE GESTION = PRIME
RAPPEL RESULTAT 1 660,79
SI PRIME ALORS MONTANT NET A PERCEVOIR
890,18
L’intéressement s’élève à 996,47 € et l’entrepreneur contribue au bénéfice collectif à hauteur
de 664, 31 €.
Cet entrepreneur est à temps plein au SMIC ; plutôt que d’augmenter son salaire (qui
entraine mécaniquement une hausse des charges patronales), il se sert du bénéfice comme
d’un levier d’optimisation de ses revenus.
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Prime et intéressement, gestion optimale
EVOLUTION MENSUELLE DES PRODUITS CA HT CA HT NON SOUMIS FRAIS DE
MUTALISATION TOTAL
janvier 4 166,66
4 166,66
février 9 363,33 3 541,66 12 904,99
mars 5 843,33
5 843,33
avril 2 083,33 2 083,33
mai 2 083,33 2 560,00 4 643,33
juin 2 083,33 2 560,00 4 643,33
juillet 5 251,33 2 560,00 7 811,33
août 2 083,33 5 312,49 7 395,82
septembre 2 083,33 1 360,00 3 443,33
octobre 2 083,33 21 052,80 23 136,13
novembre 2 083,33 3 125,00 5 208,33
décembre 2 083,33 129,32 2 212,65
TOTAL ANNEE 41 291,29 42201,27 83 492,56
MUTUALISATION DES FG 4129,13 4 129,13
SALAIRES ET CHARGES SALAIRES BRUTS CHARGES PATRONALES COUT TOTAL
janvier 1 343,80 239,08 1 582,88
février 1 343,80 239,08 1 582,88
mars 1 343,80 239,08 1 582,88
avril 1 343,80 239,08 1 582,88
mai 1 343,80 239,08 1 582,88
juin 1 343,80 239,08 1 582,88
juillet 1 343,80 239,08 1 582,88
août 1 343,80 239,08 1 582,88
septembre 2 339,51 1 024,47 3 363,98
octobre 2 340,27 1 024,79 3 365,06
novembre 2 340,27 1 024,79 3 365,06
décembre 8 840,27 3 871,14 12 711,41
TOTAL ANNEE 26 610,72 8 857,83 35 468,55
FRAIS D'ACTIVITES Frais d'activités HT TOTAL
janvier 194,04 194,04
février 104,80 104,80
mars 19,97 19,97
avril 25,00 25,00
mai 43,89 43,89
juin 300,00 300,00
juillet
0,00
août 22,49 22,49
septembre 22,49 22,49
octobre 22,49 22,49
novembre 23,85 23,85
décembre 940,78 940,78
TOTAL 1 719,80 1 719,80
CHARGES : ELEMENTS ANNUELS, EXEPTIONNELS, RETRAITEMENTS
Médecine du Travail + Assurance + Amortissements 288,39
Factures fournisseurs à recevoir 33091,95
TOTAL 33380,34
RESULTAT COMPTABLE 8794,74
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CLOTURE DES COMPTES
RAPPEL RESULTAT 8 794,74
INTERESSEMENT (BRUT) THEORIQUE = 60% RESULTAT
5 276,84
PLAFOND INTERESSEMENT 20% SALAIRES BRUTS
5 322,14
INTERESSEMENT RETENU 5 276,84
SOLDE POUR POT COMMUN 3 517,90
SI CHOIX DE GESTION = PRIME
RAPPEL RESULTAT 8 794,74
SI PRIME ALORS MONTANT NET A PERCEVOIR
4 713,98
Le bénéfice avant le choix de clôture était de 18 141, 09 €.
Une prime s’est avérée nécessaire car l’intéressement théorique (60% du bénéfice) était
supérieur à 20% des salaires bruts. L’entrepreneur et le conseiller ont alors calculé le
montant de la prime nécessaire pour pouvoir maximiser l’intéressement.
Le budget alloué (coût total) à la prime est de 9 346, 35 € (somme rajoutée au salaire du
mois de décembre).
Cette prime a donné lieu à un complément de rémunération nette (montant perçu par
l’entrepreneur) de 5 009,64 €.
Le bénéfice après prime sur salaire s’élève à 8 794,74 € : l’entrepreneur percevra 5 276,84 €
au titre de l’intéressement et contribuera au bénéfice collectif à hauteur de 3 517,90 €.
S’il avait décidé de prendre ces 8 794, 74 € en bénéfice, il n’aurait perçu que 4 713, 98 € de
prime nette et n’aurait pas contribué au bénéfice collectif.
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ANNEXE VI
L’intéressement dans les CAE :
un calcul par unité de production
Les CAE se sont également emparées des avantages financiers qu’offre l’accord
d’intéressement. En effet, l’innovation des CAE à ce sujet réside dans le fait que
l’intéressement se met en œuvre avant la répartition classique des bénéfices en SCOP mais
surtout que son calcul se fait par unité de production : Les CAE tiennent la comptabilité de
chacune des activités développée par les entrepreneurs. Ainsi, chaque entrepreneurs, tout
comme les permanents de la structure, sont considérés comme autant d’activités ou d’unités
de production et sont attachés et identifiés en comptabilité par des sections analytiques.
Une fois cette position prise, il est possible d’effectuer le calcul de l’intéressement sur le
résultat bénéficiaire de chaque activité, soit par entrepreneur et ce, avant la répartition des
bénéfices vue précédemment.
L’intéressement est une rémunération à caractère variable et aléatoire81. L’intéressement
permet à un entrepreneur salarié de maîtriser son résultat. L’accord d’intéressement
s’applique à tous les salariés. Pour bénéficier de la prime d’intéressement, il faut avoir 3
mois d’ancienneté dans l’entreprise. L’emploi peut être à temps partiel ou à temps complet,
le contrat peut être à durée déterminée ou indéterminée.
L’assiette de calcul de l’intéressement est constituée par le résultat comptable de chacune
des activités/unités de production. Il sera attribué aux salariés de chacune des activités 60%
du résultat net comptable de l’activité propre dont ils dépendent. La répartition de
l’intéressement aura lieu entre les bénéficiaires82 selon leur rattachement à une activité
donnée et proportionnellement aux rémunérations qu’ils ont perçus83.
Le montant des sommes attribuées au titre de l’intéressement ne peut dépasser
annuellement ce double plafond :
- Aucun salarié ne peut se voir attribuer plus de la moitié du plafond annuel de la
Sécurité Sociale.
81
Ne s’applique qu’en cas de bénéfice réalisé par l’unité de production 82
Dans une grande majorité des cas, une unité de production = un entrepreneur = un bénéficiaire. Par contre, les permanents de la structure sont quant à eux rattaché à une unité de production : il y a donc 4 bénéficiaires sur cette unité 83
les rémunérations ne sont toutefois retenues, pour chaque bénéficiaire, que dans la limite de quatre fois le plafond annuel de la sécurité sociale de l’exercice en question, éventuellement au prorata de la durée de présence quand un bénéficiaire n’a pas été salarié pendant la totalité de l’exercice
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- Le montant des sommes distribuées aux bénéficiaires d’une unité de production ne
doit pas dépasser 20% des salaires bruts versés à l’ensemble des bénéficiaires de
cette même unité de production.
Les primes d’intéressement seront versées au plus tard avant la fin du septième mois
suivant la clôture de l’exercice de calcul.
D’un point de vue social, les sommes n’ont pas le caractère de salaire, elles seront donc
exonérées de cotisations sociales (à l’exception de la CSG et de la CRDS).
D’un point de vue fiscal :
- Pour la CAE : Les sommes représentent des charges déductibles, elles viennent
ainsi diminuer le résultat de l’activité concernée.
- Pour le bénéficiaire : Les sommes sont imposables à l’impôt sur le revenu au moment
du versement (sauf si celui-ci reverse les sommes sur un Plan d’Epargne
Entreprise84)
L’accord est conclu pour une durée de 3 exercices sociaux, il peut depuis peu être
tacitement reconduit.
84 Les salariés, peuvent verser librement, tout ou partie de la prime d’intéressement dans un plan
d’épargne d’entreprise. La prime est alors exonérée d’impôt sur le revenu, à condition d’être versée
dans le plan d’épargne dans les 15 jours qui suivent sa perception.
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ANNEXE VII
Article 33 de Loi n°78-763 du 19 juillet 1978
Les excédents nets de gestion sont répartis en tenant compte des règles suivantes :
1° Une fraction de 15 p. 100 est affectée à la constitution de la réserve légale. Ce
prélèvement cesse d'être obligatoire lorsque le montant de ladite réserve s'élève au montant
le plus élevé atteint par le capital.
2° Une fraction est affectée à une réserve statutaire dite "fonds de développement".
3° Une fraction, qui ne peut être inférieure à 25 p. 100, est attribuée à l'ensemble des
salariés, associés ou non, comptant dans l'entreprise, à la clôture de l'exercice, soit trois
mois de présence au cours de celui-ci, soit six mois d'ancienneté. La répartition entre les
bénéficiaires s'opère, selon ce que prévoient les statuts, soit au prorata des salaires touchés
au cours de l'exercice, soit au prorata du temps de travail fourni pendant celui-ci, soit
égalitairement, soit en combinant ces différents critères. Les statuts peuvent également
prévoir que les droits de chaque bénéficiaire sur cette répartition tiendront compte d'un
coefficient, au maximum égal à deux, proportionnel à son ancienneté comme salarié dans la
société coopérative ouvrière de production.
4° Si les statuts prévoient le service d'intérêts aux parts sociales, le total de ces intérêts ne
peut excéder, chaque année, ni le total des dotations aux réserves prévues aux 1° et 2° ci-
dessus, ni les sommes allouées aux salariés en application des dispositions du 3° ci-dessus.
Le plafond prévu à l'article 14 de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 précitée n'est pas
applicable.
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ANNEXE VIII : La participation dans les SCOP
L’ACCORD DE PARTICIPATION // CAE ARTENREEL
Définition de la participation : La participation est un dispositif règlementaire spécifique à
la France permettant de faire participer les salariés aux bénéfices de leur entreprise. La
participation est un outil collectif de répartition du bénéfice.
Histoire de la participation : Légalement instauré en 1967 sous l’influence du Général De
Gaulle, elle a été adaptée aux SCOP en 1969. La participation a avant tout été conçue par
les coopérateurs comme le partage équitable des fruits du travail, qui est à la base du projet
coopératif.
Fonctionnement : La participation est mise en place à travers la signature d’un accord
négocié avec le personnel. Ses modalités de calcul sont les mêmes pour tous les salariés,
indépendamment de leur fonction dans la société. Chaque année, une partie de l’excédent
de gestion est affecté à une réserve de participation, propriété des salariés.
Droit à participation : Le droit à participation est ouvert à tout salarié ayant trois mois de
présence au cours de l’exercice.
Répartition de la participation : La participation sera répartie entre les bénéficiaires au
prorata de la rémunération brute annuelle versée à chacun des bénéficiaires par la
Coopérative.
Conclusion : Le principe de participation favorise la solidarité entre salariés : leurs
performances ne servent pas à enrichir des actionnaires extérieurs, mais sont directement
répercutées sur leurs rémunérations.
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ANNEXE VIX : Portraits d’artistes en coopérative85
85
Extraits de La Lettre d’Artenréel – newsletter trimestrielle d’Artenréel
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Joël Beyler
L’artiste entrepreneur en coopérative :
Analyse d’un accompagnement de ses
choix de gestion
Co-fondateur associé de la Coopérative d’Activités et d’Emploi Artenréel, Joël Beyler
accompagne des artistes et contribue à leur professionnalité. En plus de l’accompagnement
au projet artistique et coopératif, il leur transmet notamment des notions de gestion, facette
mise en avant dans ce mémoire.
Plus que jamais, le contexte actuel de crises financière, économique, sociale et politique
démontre l’insuffisance de l'intervention publique, autrefois conçue pour mettre la culture à
l'abri des logiques de marché. Ses nombreux infléchissements nous poussent à rechercher
de nouveaux équilibres, de nouveaux modes d'organisation et de nouvelles solidarités.
Entre structuration professionnelle, évolution des partenariats publics et transformation des
modèles économiques, la modeste proposition de la Coopérative d’Activités et d’Emploi
appliquée au secteur culturel représente une façon originale d’aider à la structuration, à
l’organisation et à la gestion des activités et emplois créatifs.
A travers le dispositif de gestion de la coopérative et le développement économique de son
activité, l’artiste est invité à se conduire en entrepreneur : il devra procéder à des choix de
gestion, du pilotage de sa rémunération à la gestion du bénéfice de son activité.
Les valeurs transmises par l’accompagnement et l’acculturation au dispositif de gestion
specifique de la la CAE sauront-ils conduire les entrepreneurs vers une rationnalité collective
et coopérative ?
C’est l’objet même de la construction d’une entreprise partagée coopérative, créatrice de
richesses, d’émancipation et de sécurisation collective.