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L’intervention psychosociale en art-thérapie : un …...iv de bord complétés hebdomadairement...

Date post: 17-Jun-2020
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© Nancy Couture, 2019 L’intervention psychosociale en art-thérapie : un outil de médiation du lien conjugal en contexte de maladie d’Alzheimer Thèse Nancy Couture Doctorat en service social Philosophiæ doctor (Ph. D.) Québec, Canada
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© Nancy Couture, 2019

L’intervention psychosociale en art-thérapie : un outil de médiation du lien conjugal en contexte de maladie

d’Alzheimer

Thèse

Nancy Couture

Doctorat en service social

Philosophiæ doctor (Ph. D.)

Québec, Canada

L’intervention psychosociale en art-thérapie : un

outil de médiation du lien conjugal en contexte de

maladie d’Alzheimer

Thèse

Nancy Couture

Sous la direction de :

Sophie Éthier, directrice de recherche

Patrick Villeneuve, codirecteur de recherche

iii

RÉSUMÉ

La maladie d’Alzheimer affecte un nombre grandissant de personnes au Québec et ailleurs

dans le monde. Les impacts de la maladie sur les personnes qui en sont atteintes et sur leurs

proches sont nombreux et les couples qui y sont confrontés rencontrent des défis qui leur sont

spécifiques. Le conjoint se voit investi d’un rôle d’aidant qu’il endosse « naturellement ».

Ainsi, l’union passe d’un rapport conjugal à une relation aidant-aidé. Les identités conjugale

et individuelles sont donc menacées par l’arrivée de la maladie.

Or, l’offre de services publics tient peu compte des réalités conjugales et s’adresse

essentiellement aux individus. Pourtant, le bonheur est lié à la satisfaction conjugale et les

bénéfices psychosociaux que procure la vie en couple sont plus grands que les coûts qui lui

sont associés.

C’est dans ce contexte que ce projet de recherche doctorale a été élaboré. Il vise d’abord à

concevoir et à documenter une intervention psychosociale en art-thérapie auprès des couples

touchés par la maladie d’Alzheimer. Puis, dans un deuxième temps, il cherche à saisir en

profondeur l’expérience des couples qui ont bénéficié d’une telle intervention. Finalement,

le projet souhaite porter un regard réflexif sur une pratique d’intervention qui allie deux

identités professionnelles; le travail social et l’art-thérapie.

Les cinq couples de participants ont été recrutés par le biais d’organismes communautaires

qui s’adressent aux aînés. Une rencontre pré-intervention a d’abord eu lieu. Puis,

l’intervention, inspirée de l’approche par le processus en art-thérapie, s’est déroulée au

domicile des couples et s’est échelonnée sur une période de 10 semaines. Pendant les

rencontres d’une durée de 60 à 120 minutes, les couples étaient invités à créer, parfois

individuellement, parfois conjointement. Un rapport détaillé de chaque séance a été rédigé,

constituant ainsi des récits des démarches vécues par les couples. Tous les couples ont

également été conviés à tenir un journal de bord entre les séances. Une entrevue post-

intervention a ensuite permis de recueillir le vécu et les perceptions des couples sur leur

expérience. Le contenu de cette dernière entrevue réalisée avec chaque couple a été enregistré

et retranscrit pour l’analyse. En somme, plus de 80 heures d’intervention et de rencontres ont

été réalisées auprès des couples. À ce corpus de données s’ajoutent le contenu des journaux

iv

de bord complétés hebdomadairement par trois des couples participants ainsi que plus de 90

œuvres créées par les couples tout au long des séances. Finalement, un groupe de pairs a

partagé sa compréhension des expériences vécues par les couples et contribué à l’analyse.

Les échanges avec ce groupe ont aussi été enregistrés et retranscrits. Toutes ces données ont

été analysées selon la méthode d’analyse par questionnement analytique développée par

Paillé et Mucchielli (2012).

Les conclusions suggèrent que l’art-thérapie est une approche d’intervention favorable à la

consolidation des unions conjugales qui font face à la maladie d’Alzheimer. Certains couples

ont exprimé avoir ressenti du plaisir, s’être rapprochés, avoir développé une sensibilité à la

réalité de l’autre et avoir pu donner un sens à leur situation. La recherche permet de soumettre

des hypothèses sur les modalités optimales de l’art-thérapie auprès de cette population ; elle

suggère notamment de maintenir un outil, journal de bord ou autre, qui permet aux couples

de s’exprimer entre les rencontres. Quelques pièges à éviter ont aussi été identifiés. Par

exemple, certains conjoints parlent de leur proche devant lui. L’intervenant a intérêt à prévoir

des mécanismes pour éviter que cela se produise; une rencontre individuelle avec chaque

partenaire avant le début de la démarche conjugale serait une solution à envisager.

La recherche a permis aussi d’identifier huit fonctions à l’expression artistique dans un

contexte d’intervention psychosociale en art-thérapie : ludique, apaisante, expressive,

libératrice, stimulante, révélatrice, identitaire et transformatrice.

De plus, la recherche suggère que l’expression artistique est un outil de médiation du lien

conjugal qui est affecté par la maladie d’Alzheimer et ce, à plusieurs niveaux. Bien qu’elle

facilite la gestion des conflits, la médiation dépasse le rôle de l’arbitrage pour devenir un

outil qui permet d’aller à la rencontre de soi, de l’autre, d’un nous qui est re-solidarisé face à

la maladie.

Finalement, le regard réflexif porté sur la double identité professionnelle de l’intervenante-

chercheure, travailleuse sociale et art-thérapeute, s’ouvre sur la perspective d’une identité

globale transcendante : celle d’une intervenante.

v

ABSTRACT

Alzheimer's disease touches a growing number of people in Quebec and around the world.

Impacts of the disease on people affected and on their loved ones are numerous. Couples

confronted with the disease also face specific challenges. The spouse becomes invested in a

role of caregiver endorsed "naturally". Thus, the union goes from a marital relationship to a

caregiver-patient relationship. Marital and individual identities are therefore threatened by

the arrival of the disease.

Yet, public services take very little account of marital realities and aim primarily at

individuals. However, happiness is linked to marital satisfaction, and the psychosocial

benefits of living in a relationship are greater than the costs associated with it.

It is in this context that this doctoral research has been conducted. It aims in the first place at

designing and documenting a psychosocial intervention in art therapy for couples affected by

Alzheimer's disease. It then seeks to capture in depth the experience of the couples who

benefited from such an intervention. Finally, the project wants to reflect on a practice of

intervention that combines two professional identities; social work and art therapy.

The five participating couples were recruited through community-based organizations that

serve seniors. To start, a pre-intervention meeting was held. Then, the intervention, inspired

by the process approach in art therapy, took place at the couples' homes and was spread out

over a period of 10 weeks. During the 60 to 120 minutes meetings, couples were invited to

create; sometimes individually, sometimes together. A detailed report of each session was

compiled, thus representing the stories of each couple's approach. All couples were also

invited to keep a logbook between sessions. A post-intervention interview then collected the

experiences and perceptions of each couple. The content of this last interview was recorded

and transcribed for analysis. In total, more than 80 hours of intervention and meetings were

done with the couples. We can add to this corpus of data the contents of the diaries completed

weekly by three of the participating couples, as well as more than 90 works of art created

throughout the sessions. Finally, a peer group shared their understanding of the experiences

lived by the couples and contributed to the analysis. Exchanges with this peer group have

vi

also been recorded and transcribed. All this data was analyzed according to the analysis

method of Paillé and Mucchielli (2012).

The findings suggest that art therapy is a type of intervention which is helpful in

strengthening the marital unions for people who face Alzheimer's disease. Some couples

expressed that they found pleasure in the process, got closer, developed a sensitivity to the

reality of the other, and made sense of their situation. The research allows for theory

proposals about optimal methods of art therapy with this population; it suggests among other

things the use of a logbook, or any other type of diary, which allows couples to express

themselves between meetings. Some pitfalls to avoid were also identified. For example, some

spouses talk about their loved ones in front of them. The facilitator should then provide means

to prevent this from happening; an individual meeting with each partner before the beginning

of the process would be a solution to consider.

The research also helped identify eight functions of the artistic expression in a context of

psychosocial intervention in art therapy: playful, soothing, expressive, liberating,

stimulating, revealing, identity affirming and transformative.

In addition, research suggests that artistic expression, on several levels, is a mediating tool

for people affected by Alzheimer's disease, helping their marital bond. Although it facilitates

the management of conflicts, mediation goes beyond the role of arbitration to become a tool

that allows us to meet the self, to meet the other, and an "us" that is re-united in the face of

the disease.

Finally, the reflection on the dual professional identity of the researcher, social worker and

art therapist opens up to the perspective of a transcendent global identity: that of a

practitioner.

vii

TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ................................................................................................................................................... III

ABSTRACT ................................................................................................................................................ V

LISTE DES TABLEAUX ........................................................................................................................... X

LISTE DES FIGURES .............................................................................................................................. XI

LISTE DES SIGLES ET ABRÉVIATIONS ........................................................................................... XIII

REMERCIEMENTS ................................................................................................................................ XV

AVANT-PROPOS ................................................................................................................................. XVIII

INTRODUCTION GÉNÉRALE ................................................................................................................ 1

CHAPITRE 1 : POSITION DU PROBLÈME ET BUTS DE LA RECHERCHE .................................... 4

1.1 VIVRE AVEC LA MALADIE D’ALZHEIMER ........................................................................................ 4 1.1.1 La maladie.................................................................................................................................... 5 1.1.2 Alzheimer et conjugalité .............................................................................................................. 8

1.2 INTERVENIR EN CONTEXTE DE CONJUGALITÉ ET D’ALZHEIMER. DEUX DOMAINES D’EXPERTISE :

LE TRAVAIL SOCIAL ET L’ART-THÉRAPIE. .................................................................................................. 13 1.2.1 Les principes fondateurs du travail social ................................................................................ 13 1.2.2 Le travail social gérontologique ................................................................................................ 14 1.2.3 Le travail social auprès des couples .......................................................................................... 17 1.2.4 Travail social, conjugalité et gérontologie : à la croisée des chemins ..................................... 19 1.2.5 L’art-thérapie : l’histoire de sa naissance ................................................................................ 21 1.2.6 Enjeux identitaires de l’art-thérapie ......................................................................................... 23

1.3 BUTS ET PERTINENCE DE LA RECHERCHE ..................................................................................... 25

CHAPITRE 2 : ÉTAT DES CONNAISSANCES SUR L’INTERVENTION AUPRÈS DES COUPLES

CONFRONTÉS À LA MALADIE ........................................................................................................... 29

2.1 RECENSION DES ÉCRITS SUR L’INTERVENTION PSYCHOSOCIALE AUPRÈS DE COUPLES

CONFRONTÉS À LA MALADIE ....................................................................................................................... 29 2.1.1 Intervention psychosociale auprès de couples faisant face au cancer ou autres maladies ..... 30 2.1.2 Intervention psychosociale auprès de couples faisant face à la maladie d’Alzheimer ............ 33

2.2 RECENSION DES ÉCRITS SUR L’EXPRESSION ARTISTIQUE ET LES PERSONNES ÂGÉES .................. 40 2.3 RECENSION DES ÉCRITS SUR L’ART-THÉRAPIE ET LA MALADIE D’ALZHEIMER .......................... 41 2.4 ÉLÉMENTS À RETENIR POUR L’INTERVENTION ............................................................................. 51

CHAPITRE 3 : CADRE THÉORIQUE................................................................................................... 53

3.1 LA THÉORIE SYSTÉMIQUE .............................................................................................................. 53 3.2 LE CONSTRUCTIVISME ET L’INTERACTIONNISME SYMBOLIQUE .................................................. 57 3.3 LA GESTALT-THÉRAPIE .................................................................................................................. 60 3.4 L’ART ET SES FONCTIONS .............................................................................................................. 64 3.5 SYNTHÈSE DES MODÈLES THÉORIQUES ......................................................................................... 67 3.5 L'INTERVENTION FAISANT L'OBJET DE CETTE RECHERCHE ET SON MODÈLE LOGIQUE ............. 70

CHAPITRE 4 : MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE .................................................................. 81

viii

4.1 POSTURE DE LA CHERCHEURE ET CONSIDÉRATIONS ÉPISTÉMOLOGIQUES DE LA

MÉTHODE............................................................................................................................................... 81

4.2 L’ÉTUDE DE CAS ............................................................................................................................. 85 4.3 DEVIS DE RECHERCHE.................................................................................................................... 88

4.3.1 Les couples participants ............................................................................................................ 88 4.3.2 Le groupe de pairs ..................................................................................................................... 89 4.3.3 Sources de données .................................................................................................................... 90 4.3.4 L’analyse des données ............................................................................................................... 92

CHAPITRE 5 : RÉSULTATS DE L’INTERVENTION ......................................................................... 96

5.1 LES RÉSULTATS DE L’INTERVENTION AUPRÈS DES COUPLES........................................................ 96 5.1.1 Le premier couple : Thérèse et François .................................................................................. 97 5.1.2 Le deuxième couple : Colette et Jean ...................................................................................... 134 5.1.3 Le troisième couple : Martine et Jocelyn ................................................................................ 149 5.1.4 Le quatrième couple : Marie et Daniel ................................................................................... 165 5.1.5 Le cinquième couple : Jacqueline et Gérald ........................................................................... 190

5.2 COMPTE-RENDU DE LA RENCONTRE D’ANALYSE AVEC LE GROUPE DE PAIRS ........................... 223 5.2.1 Une expérience au caractère humain ..................................................................................... 224 5.2.2 Des impacts observés à plusieurs niveaux .............................................................................. 225 5.2.3 L’art-thérapie comme moyen d’accéder à la dynamique relationnelle du couple ................. 227 5.2.4 Le travail social et son intérêt pour le couple : une approche systémique ............................. 228 5.2.5 Les questionnements soulevés par la démarche : des défis et des obstacles à considérer ..... 229 5.2.6 À retenir de l’expérience.......................................................................................................... 231

5.3 L’EXPÉRIENCE DE L’INTERVENANTE-CHERCHEURE .................................................................. 233 5.3.1 Une expérience sensible .......................................................................................................... 234 5.3.2 Une expérience source de connaissances ............................................................................... 235 5.3.3 D’abord art-thérapeute ou travailleuse sociale? ..................................................................... 236 5.3.4 Des questionnements ............................................................................................................... 237

CHAPITRE 6 : DISCUSSION ............................................................................................................... 239

6.1 PREMIER BUT DE LA RECHERCHE : CONCEVOIR ET DOCUMENTER UNE INTERVENTION EN ART-

THÉRAPIE AUPRÈS DE COUPLES DONT L’UN DES PARTENAIRES EST ATTEINT DE LA MALADIE

D’ALZHEIMER ........................................................................................................................................... 240 6.1.1 L’intervention psychosociale en art-thérapie.......................................................................... 240 6.1.2 Les défis rencontrés ................................................................................................................. 249 6.1.3 Recommandations et suggestions ............................................................................................ 252

6.2 DEUXIÈME BUT DE LA RECHERCHE : COMPRENDRE CE QUE VIVENT LES COUPLES CONFRONTÉS

À LA MALADIE D’ALZHEIMER LORSQU’ILS BÉNÉFICIENT D’UNE INTERVENTION PSYCHOSOCIALE EN ART-

THÉRAPIE. .................................................................................................................................................. 254 6.2.1 L’expérience vécue par les couples ......................................................................................... 255 6.2.2 Les effets de l’intervention psychosociale en art-thérapie sur les couples participants ........ 259 6.2.3 L’intervention psychosociale en art-thérapie comme outil de médiation des relations en jeu

chez les couples dont l’un des partenaires est atteint de la maladie d’Alzheimer............................... 270 6.3 TROISIÈME BUT DE LA RECHERCHE : AMORCER UNE RÉFLEXION SUR UNE PRATIQUE

D’INTERVENTION QUI ALLIE DEUX IDENTITÉS PROFESSIONNELLES; LE TRAVAIL SOCIAL ET L’ART-

THÉRAPIE. .................................................................................................................................................. 281 6.4 RETOMBÉES DE LA RECHERCHE .................................................................................................. 285

6.4.1 Des perspectives pour l’intervention ....................................................................................... 285 6.4.2 Des perspectives pour la recherche ......................................................................................... 287

ix

6.5 LES LIMITES ET LES FORCES DU PROJET ..................................................................................... 289 6.5.1 Limites de la recherche ............................................................................................................ 289 6.5.2 Forces de la recherche ............................................................................................................. 291

CONCLUSION GÉNÉRALE ................................................................................................................ 294

BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................................. 298

ANNEXE A ............................................................................................................................................. 317

ANNEXE B ............................................................................................................................................. 321

ANNEXE C ............................................................................................................................................. 325

ANNEXE D ............................................................................................................................................. 326

ANNEXE E ............................................................................................................................................. 327

ANNEXE F ............................................................................................................................................. 328

ANNEXE G ............................................................................................................................................ 329

x

LISTE DES TABLEAUX

Tableau 1 : Outils art-thérapeutiques utilisés auprès des couples………...……………… 73

Tableau 2 : Modèle logique de l’intervention………………………………………..…... 79

Tableau 3 : Stratégies de collecte des données……..……………………………………. 90

Tableau 4 : Méthodes d’analyse des données……………………………………………. 95

Tableau 5 : Portrait des couples participants…………………………………………….. 97

Tableau 6 : Portraits des membres du groupe de pairs………………………………….. 223

Tableau 7 : Les fonctions de l’expression artistique dans une intervention psychosociale en

art-thérapie….………………………………………………………………. 270

xi

LISTE DES FIGURES

Figure 1 : Le vase de Rubin……………………………………………………… 62

Figure 2 : Le déroulement des séances d’art-thérapie…………………………… 75

Figure 3 : Dessin à relais………………………………………………………… 101

Figure 4 : Couple sous la pluie…………………………………………………… 101

Figure 5 : Triple mandala………………………………………………………… 103

Figure 6 : Protection……………………………………………………………… 106

Figure 7 : Les visages du conflit…………………………………………………. 106

Figure 8 : La vie de mon conjoint………………………………………………… 109

Figure 9 : Ma conjointe…………………………………………………………… 110

Figure 10 : Peurs, pertes et ce qu’il reste de bon…………………………………. 113

Figure 11 : Les pertes…………………………………………………………….. 113

Figure 12 : Les peurs……………………………………………………………... 114

Figure 13 : Ce qu’il reste de bon…………………………………………………. 114

Figure 14 : L’ascenseur dans le roc……………………………………………… 115

Figure 15 : Passage du mal-être au bien-être…………………………………….. 116

Figure 16 : Dessin libre…………………………………………………………… 116

Figure 17 : Mon histoire de vie……………………………………………………120

Figure 18 : Mon histoire de vie modifiée………………………………………… 121

Figure 19 : Tempête de vie et gazouillis…………………………………………. 123

Figure 20 : Time out! Time in!............................................................................... 125

Figure 21: Time out! Time in!............................................................................... 125

Figure 22: Chemin de vie de couple……………………………………………… 127

Figure 23 : Chemin de vie de couple (2e partie)………………………………….. 128

Figure 24 : Honorer le couple que nous formons………………………………… 129

Figure 25 : Images choisies par madame………………………………………… 135

Figure 26 : Images choisies par monsieur……………………………………….. 135

Figure 27 : Dessin à relais……………………………………………………….. 136

Figure 28 : Gribouillis…………………………………………………………… 137

Figure 29 : Gribouillis…………………………………………………………… 137

Figure 30 : Mandala……………………………………………………………… 138

Figure 31 : Gribouillis……………………………………………………………. 142

Figure 32 : Chat sur un coussin………………………………………………….. 143

Figure 33 : Renard………………………………………………………………... 144

Figure 34 : Cabane d’oiseaux…………………………………………………….. 145

Figure 35 : Dessin à relais……………………………………………………….. 146

Figure 36 : Œuf…………………………………………………………………... 147

Figure 37 : Dessin à relais……………………………………………………….. 151

Figure 38 : Collage………………………………………………………………. 152

Figure 39 : Gribouillis…………………………………………………………… 153

Figure 40 : Gribouillis…………………………………………………………… 153

Figure 41 : Chez-nous…………………………………………………………… 154

Figure 42 : Mandala de fruits……………………………………………………. 155

Figure 43 : Animal imaginaire…………………………………………………… 156

Figure 44 : Conversation visuelle……………………………………………….. 157

xii

Figure 45 : Paysage………………………………………………………………. 159

Figure 46 : Masques……………………………………………………………… 161

Figure 47 : Visage………………………………………………………………… 162

Figure 48 : Cabane d’oiseaux…………………………………………………….. 164

Figure 49 : Dessin à relais……………………………………………………….. 167

Figure 50 : Abri………………………………………………………………….. 169

Figure 51 : Abri………………………………………………………………….. 170

Figure 52 : Collage………………………………………………………………. 171

Figure 53 : Collage………………………………………………………………. 172

Figure 54 : Chien…………………………………………………………………. 173

Figure 55 : Œuvre abstraite………………………………………………………. 174

Figure 56 : Gribouillis……………………………………………………………. 175

Figure 57 : Pieuvre……………………………………………………………….. 176

Figure 58 : Les hauts et les bas de la vie…………………………………………. 177

Figure 59 : La vie continue………………………………………………………. 178

Figure 60 : Dessin libre…………………………………………………………… 179

Figure 61 : Dessin spontané……………………………………………………… 180

Figure 62 : En vacances sur une île………………………………………………. 180

Figure 63 : Dessin spontané………………………………………………………. 181

Figure 64 : Triple mandala……………………………………………………….. 183

Figure 65 : Dessin libre…………………………………………………………… 184

Figure 66 : Notre vie……………………………………………………………… 185

Figure 67 : On est sur le même tableau……………………………………………186

Figure 68 : Mon univers………………………………………………………….. 193

Figure 69 : Collage……………………………………………………………….. 194

Figure 70 : Paysage………………………………………………………………. 196

Figure 71 : Collage……………………………………………………………….. 196

Figure 72 : La barque…………………………………………………………….. 198

Figure 73 : Le repos………………………………………………………………. 199

Figure 74 : Conversation visuelle………………………………………………… 201

Figure 75 : Cimetière joyeux…………………………………………………….. 202

Figure 76 : Pied………………………………………………………………….. 204

Figure 77 : Infini…………………………………………………………………. 204

Figure 78 : Gribouillis……………………………………………………………. 205

Figure 79 : Gribouillis……………………………………………………………. 205

Figure 80 : Gribouillis……………………………………………………………. 206

Figure 81 : Mollo Tonio! Les enfants c’est important!........................................... 209

Figure 82 : Ouverture…………………………………………………………….. 209

Figure 83 : Collage……………………………………………………………….. 211

Figure 84 : Collage……………………………………………………………….. 212

Figure 85 : Cercle de la vie……………………………………………………….. 214

Figure 86 : Souplesse……………………………………………………………... 214

Figure 87 : Collage……………………………………………………………….. 216

Figure 88 : Temps d’être…………………………………………………………. 217

Figure 89 : Dessin libre…………………………………………………………… 219

Figure 90 : Images choisies par madame…………………………………………. 220

Figure 91 : Terrains occupés par la recherche……………………………………. 292

xiii

LISTE DES SIGLES ET ABRÉVIATIONS

AATQ Association des art-thérapeutes du Québec

ACT Acceptance and Commitment Therapy

CHSLD Centre d’hébergement de soins de longue durée

CLSC Centre local de services communautaires

MSSS Ministère de la Santé et des Services sociaux

OEMC Outil d’évaluation multi-clientèle

OMS Organisation mondiale de la santé

OTSTCFQ Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et

familiaux du Québec

TCC Thérapie cognitivo-comportementale

TS Travailleur social/Travailleuse sociale

xiv

À Berthe, ma muse. Puisses-tu être

allée rejoindre ton Claude pour te

blottir dans ses bras.

xv

REMERCIEMENTS

Pour être mené à terme, un projet d’études doctorales nécessite un soutien et un encadrement

indéfectibles. J’ai eu le privilège d’avoir les deux, ce qui m’a permis d’en arriver à rédiger

ces lignes et à y mettre un point final.

Ce soutien et cet encadrement indéfectibles m’ont d’abord été offerts par Sophie Éthier, ma

directrice, et c’est à elle que j’adresse mes premiers remerciements. Alors que ma recherche

en était encore à l’étape d’un projet, tu m’as encouragée et invitée à plus de rigueur et de

précision. Et tu ne m’as pas lâchée depuis. Sophie, ton authenticité, ton engagement, ta

créativité et ta sensibilité ont été des sources d’inspiration pour moi tout au long du projet et

elles continuent de l’être encore aujourd’hui. J’ai beaucoup appris en travaillant avec toi : en

tant que chercheure, en tant que professeure, en tant que femme. Merci pour ta grande

disponibilité et ta confiance. Tu vas me manquer.

La direction de ma démarche a été soutenue par la co-direction assumée par Patrick

Villeneuve. Merci Patrick pour ta rigueur et ton apport inestimable à mes écrits. De grands

détours ont été faits depuis les premières orientations de la recherche, mais tu as toujours su

respecter mes choix tout en m’amenant à les préciser. Avec tes questions pointues, tu m’as

invitée à plus de cohérence et à me positionner clairement alors que j’hésitais parfois à le

faire. J’ai senti que tu n’en laisserais pas passer et ça, c’est rassurant pour une étudiante.

Je tiens à souligner aussi l’apport de Jacinthe Lambert et Claudine Parent, qui ont fait partie

des comités d’évaluation de mes examens doctoraux et qui ont nourri ma réflexion par leurs

questions pertinentes et leurs conseils judicieux. Je ne peux non plus passer sous silence la

contribution des membres du jury, Jocelyne Labrèche, Claudine Parent et Mona Trudel. Vos

commentaires constructifs m’ont permis de faire quelques pas de plus dans ma pensée et dans

la précision de mes propos. Cet apport est très précieux et je vous remercie pour votre

implication dans la réussite de mon projet.

L’analyse des résultats de la recherche a été grandement bonifiée par l’apport inestimable du

groupe de pairs qui a été constitué. Je suis profondément reconnaissante envers ces collègues

qui ont su éclairer l’expérience des couples avec leur sensibilité, leur perspicacité et leur

xvi

intelligence. Merci à vous, Valérie Lebeau, Fiona Peterson, Nadine Pinton et Michelle

Martineau.

Les études doctorales ne se confinant pas à l’intérieur des murs du campus, ma vie familiale

et sociale en a vécu les répercussions. Sans le soutien de mon entourage, je n’aurais pas vu

la fin de ce projet et c’est précieux pour moi de pouvoir remercier ici les personnes les plus

importantes de ma vie. Mes premiers mots s’adressent aux Cossette. Marie-Jeanne, Jocelyn

et Nathalie, sachez que vous avez fait la différence. Un merci infini pour votre soutien, vos

encouragements, mais surtout pour avoir cru en moi sans jamais douter de mes capacités à y

arriver. J’ai puisé souvent à cette source. Merci aussi à ma famille pour son soutien. Merci

maman de m’avoir transmis ta détermination, ta curiosité et ta rigueur. À mon père, parti trop

tôt, je dois mon respect pour l’autre et le désir de faire une différence par mon action et ma

réflexion. Je leur en suis très reconnaissante. Merci aussi à mes sœurs. Patricia, ta simplicité

et ton perpétuel désir de croître m’inspirent. Mélanie, j’aime à penser que je partage un peu

de ta détermination.

Merci à mes amies, Annie et Robert, Marlène et Sylvain, Annie et Denis, Fannie et Hugo,

Jocelyne et Gérald, pour les discussions passionnées, pour les rires libérateurs et pour les

encouragements sans limite. Je tiens également à souligner le soutien de mon équipe de

travail. Les professeures de l’UQAT, ma belle équipe de femmes engagées, je vous remercie

de m’avoir donné les conditions idéales pour mener à terme ce projet.

Ce projet d’études était dès le départ un projet familial. Et ça n’aurait pu être autrement. De

tendres remerciements vont donc aux deux hommes de ma vie : mon conjoint, Patrice et

Félix, mon fils. Merci à vous deux d’avoir fait en sorte que je puisse consacrer (presque)

chaque instant de ma vie à ce projet. Patrice, les mots ne suffisent pas à t’exprimer toute la

gratitude et l’amour que je ressens envers toi. Il me faudrait te le dire en images. Si tu n’avais

pas été là, ce projet n’aurait pas eu autant de sens, ni de profondeur. Tout comme ma vie.

Merci d’avoir été là mais surtout, merci d’être ce que tu es. Et Félix, tu sais que je suis fière

d’avoir fait un doctorat, mais toi, tu es et tu seras toujours ma plus grande fierté. J’espère que

de m’avoir vue travailler si fort t’inspirera le goût de t’investir dans tes projets de vie à toi et

surtout, de croire en toi.

xvii

Finalement, je m’en voudrais de ne pas remercier les cinq couples qui ont accepté de

participer à la recherche. Vous m’avez ouvert les portes de votre intimité et vous m’avez

accordé votre confiance. Nous avons partagé des moments d’une profondeur inouïe, dans la

légèreté et la liberté les plus totales. Merci de m’avoir inspirée et permis de grandir autant.

Je ne vous oublierai jamais.

xviii

AVANT-PROPOS

Avant d’amorcer la présente thèse, il m’importe de situer le lecteur quant à mon identité

professionnelle puisqu’elle constitue la trame de fond du projet de recherche. En effet, c’est

d’abord en travail social que j’ai été formée. Plusieurs années de pratique plus tard, j’ai été

attirée par l’art-thérapie, un champ qui alliait deux de mes passions : l’intervention et l’art.

J’ai donc entrepris, au milieu des années 2000, des études me menant à l’obtention du

diplôme de maîtrise en art-thérapie de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue

(UQAT). Bien que l’art-thérapie ne constitue pas une profession au sens de l’Office des

professions du Québec, l’Association des art-thérapeutes du Québec (AATQ) demande à ses

membres de détenir ce diplôme pour pratiquer l’art-thérapie. Le projet doctoral a mis en

œuvre une intervention psychosociale en art-thérapie, laquelle j’étais légitimée de réaliser

puisque je portais les deux chapeaux professionnels pour lesquels j’ai été formée.

1

INTRODUCTION GÉNÉRALE

La maladie d’Alzheimer représente à elle seule environ 70% de tous les troubles cognitifs

qui affectent une proportion de plus en plus grande de la population âgée, au Québec comme

dans plusieurs régions du monde (OMS, 2017). Ces données sont préoccupantes car la

complexité de la maladie perturbe autant la personne qui en est atteinte que son entourage.

Les couples en sont particulièrement affectés. Ils rencontrent plusieurs défis, notamment

celui de préserver leur identité individuelle et conjugale.

La maladie d’Alzheimer est en somme un enjeu de santé publique dont on doit se préoccuper.

Or, le travail social qui agit à la fois en gérontologie et en intervention conjugale représente

actuellement une pratique quasi inexistante en ce domaine. C’est d’ailleurs ce contexte qui

nous a menée à la présente recherche doctorale. En effet, l’idée a germé dans ce terreau fertile

du travail social au sein d’une équipe de soutien à domicile d’un CLSC de la région de la

Mauricie dans laquelle nous avons œuvré pendant un certain temps. La surcharge de travail

jumelée à une organisation du travail nous orientant davantage vers la gestion de cas au

détriment de l’intervention psychosociale directe ont fait naître en nous le sentiment de ne

pas être en mesure d’offrir une réponse complète, satisfaisante et rassurante aux personnes

âgées en perte d’autonomie et à leurs proches, en particulier aux couples confrontés à la

maladie d’Alzheimer. Dans ce contexte, il nous semblait alors pertinent de nous pencher sur

différentes solutions concrètes favorisant la mise en œuvre d’une intervention psychosociale

mieux adaptée aux besoins particuliers de cette population. Nous avons eu alors l’intuition

que l’art-thérapie auprès des couples dont l’un des partenaires est atteint de la maladie

d’Alzheimer pourrait constituer une proposition intéressante.

Depuis longtemps, les travailleurs sociaux recourent à l’art dans leurs interventions.

Cependant, au cours du dernier siècle, cette approche s’est développée pour se constituer en

une profession qui emprunte ses principes et connaissances à la psychologie et aux arts

visuels. Les connaissances dans ce domaine sont encore à parfaire, en particulier en ce qui a

trait à l’intervention auprès des couples. Aussi, à notre mesure, nous souhaitons contribuer à

la compréhension et à l’application de l’art-thérapie auprès des couples, plus spécifiquement

2

ceux qui sont touchés par la maladie d’Alzheimer. Ultimement, nous souhaitons offrir à ces

couples un espace symbolique de répit et d’espoir dans lequel ils pourront se retrouver.

La présente thèse se décline en six chapitres. Le premier situe de manière plus détaillée la

situation évoquée précédemment. Il explique la maladie d’Alzheimer à travers ses

symptômes et ses conséquences, puis présente comment elle influence le vécu des couples

qui doivent composer avec sa présence. Ce chapitre défend ensuite l’idée que le travail social

conjugal et gérontologique est un carrefour au cœur duquel cette pratique tarde à se

positionner. La situation n’est pas différente en art-thérapie alors que la pratique auprès des

couples ne s’est quasiment pas développée. Nous l’expliquerons dans ce chapitre et en

profiterons également pour introduire cette discipline encore peu connue. Finalement, c’est

dans ce premier chapitre que le lecteur prendra connaissance des buts de la recherche.

Ensuite, au second chapitre, l’état des connaissances sur l’intervention auprès de couples

faisant face à la maladie est présenté. Dans un premier temps, la recension des écrits

s’intéresse à l’intervention auprès de couples qui doivent composer avec la maladie de façon

générale, puis, dans un deuxième temps, ceux qui doivent composer avec la maladie

d’Alzheimer plus spécifiquement. Puisque le sujet de la thèse porte également sur l’art-

thérapie, l’état des connaissances sur l’art-thérapie comme approche d’intervention en

contexte d’Alzheimer est présenté. Une synthèse des éléments à retenir pour l’intervention

auprès de cette population conclut ce chapitre.

Le troisième chapitre présente trois fondements théoriques de l’intervention psychosociale et

de l’art-thérapie choisis pour encadrer l’intervention élaborée : la théorie systémique; le

constructivisme et plus particulièrement l’interactionnisme symbolique; l’approche

humaniste gestaltiste. Cette partie se termine par une synthèse des principes directeurs qui

découlent de ces fondements théoriques et que nous retiendrons pour la conception de

l’intervention auprès des couples ciblés par la recherche. Le cadre théorique est également

constitué d’une présentation du concept de créativité et d’un survol de quelques fonctions de

l’expression artistique.

C’est au quatrième chapitre que sont ensuite présentées la méthodologie de la recherche et la

posture adoptée par l’intervenante-chercheure. La recherche prenant la forme d’une étude de

cas exploratoire, cette approche est ensuite décrite. Par la suite, le devis de recherche est

3

présenté, en précisant les objectifs et les modalités de l’intervention. Finalement, la méthode

d’analyse à laquelle nous avons eu recours pour extraire le sens de l’expérience est décrite.

Les résultats de l’intervention sont présentés au chapitre cinq. Dans une perspective

phénoménologique, chaque démarche réalisée avec les cinq couples ayant participé à l’étude

est présentée de façon à permettre au lecteur de saisir l’expérience vécue. Leurs perceptions

de cette expérience sont également présentées. Les différents points de vue du groupe de

pairs mis à contribution pour l’analyse des données recueillies sont partagés dans ce chapitre.

Finalement, l’expérience est également présentée du point de vue de l’intervenante-

chercheure.

Le dernier chapitre présente les principaux constats qui se dégagent de la recherche ainsi que

différentes explications et clés de compréhension de l’expérience à l’étude. Ces dernières

lignes se penchent également sur les retombées possibles de la recherche pour l’intervention

auprès des couples et pour la poursuite du développement des connaissances dans ce créneau.

Finalement, les forces et les limites de l’étude sont décrites.

À partir de l’expérience réalisée, nous avançons qu’une intervention psychosociale en art-

thérapie a le potentiel d’amener les couples à mettre à distance la maladie, pour se retrouver

en tant qu’individus mais aussi en tant que couple et, éventuellement, transformer leur

relation à la maladie. Nous suggérons également que cela est rendu possible ou du moins

facilité par l’art lorsqu’il est encadré par l’art-thérapie, dans un contexte d’intervention

psychosociale, où la dimension relationnelle est au cœur des préoccupations.

Bien que nous espérions que la lecture de la présente thèse doctorale mène tout lecteur à des

conclusions semblables aux nôtres, nous souhaitons avant tout partager l’expérience vécue

par des couples dont la relation conjugale est durement éprouvée par une maladie périlleuse,

autant pour les individus qui en sont atteints que pour leurs proches. Nous avons fait le choix

de privilégier une intervention psychosociale en art-thérapie. La sensibilité de la méthode et

le fort potentiel offert par l’objet d’art qui y est central demeurent, suite à l’expérience, des

motivations qui continuent de mobiliser notre désir d’intervenir auprès de cette population

quelque peu laissée pour compte. Par cette recherche, nous espérons inspirer d’autres

intervenants, qu’ils soient travailleurs sociaux, art-thérapeutes, ou autres, à accompagner des

couples âgés vers une pacification de ce qui s’avère être l’étape ultime de leur vie.

4

Je nouerai des ficelles

à tes souvenirs qui s’étiolent

et le jour où ils s’envoleront

moi j’en ferai des cerfs-volants

mais oublie pas mon nom.

Ingrid St-Pierre

Chanson Les ficelles

CHAPITRE 1 : POSITION DU PROBLÈME ET BUTS DE LA RECHERCHE

Ce chapitre présente la problématique à laquelle s’intéresse la recherche, sa pertinence

sociale et scientifique et les buts qu’elle poursuit. Il se décline en trois grandes sections. La

première présente le contexte dans lequel les couples qui font face à la maladie d’Alzheimer

doivent cheminer, en décrivant d’abord la maladie et ses impacts pour les personnes qui en

sont atteintes et leurs proches. La deuxième section s’intéresse au contexte d’intervention

dans lequel se retrouvent ces couples. Elle rappelle d’abord les principes fondateurs du travail

social, présente l’évolution et les conditions actuelles du travail social gérontologique et

auprès des couples et trace le portrait de la pratique qui se retrouve au carrefour de ces deux

champs du travail social. Dans cette section, l’histoire de l’art-thérapie et ses enjeux

identitaires sont également introduits. Finalement, ce chapitre se conclut par une présentation

des buts de la recherche et de sa pertinence sociale, scientifique et en regard des pratiques.

1.1 Vivre avec la maladie d’Alzheimer

Selon les statistiques les plus récentes publiées par l’Organisation mondiale de la santé

(OMS), 47 millions de personnes sont atteintes de troubles cognitifs à l’échelle mondiale

(OMS, 2017). Ce nombre devrait grimper jusqu’à 70 millions en 2030 et tripler d’ici l’an

2050. Au Canada, la situation est tout aussi préoccupante. La Société Alzheimer du Canada

(2017) dénombre 564 000 Canadiens atteints d’un trouble cognitif et prévoit que ce nombre

aura presque doublé d’ici 15 ans. La maladie d’Alzheimer est la plus fréquente, représentant

à elle seule environ 70% de tous les troubles cognitifs (OMS, 2017).

5

Ce sombre portrait révèle l’ampleur d’une situation qui touche à la fois les personnes qui sont

atteintes de la maladie mais aussi leurs proches. Ce qui suit tente de traduire cette expérience

afin d’en dégager les enjeux qui interpellent les différents milieux d’intervention.

1.1.1 La maladie

Découverte au début du siècle dernier, la maladie d’Alzheimer est une maladie neurologique

dégénérative incurable (Micas, 2016; Nehls, 2017). Elle représente la troisième cause de

mortalité aux États-Unis, apparaissant après les maladies cardiovasculaires et le cancer

(Nehls, 2017). La maladie d’Alzheimer consiste en des lésions qui s’installent au cerveau

plusieurs années – 20 ans dans certains cas – avant l’apparition des premiers symptômes

(Micas, 2016). La très grande majorité des cas prend la forme sporadique et se développe

après l’âge de 65 ans. Mais la forme héréditaire, une forme précoce de la maladie, apparaît

dans 1% des cas (Eustache, 2015). Elle s’installe presque toujours avant que la personne

n’atteigne la cinquantaine et son développement est plus rapide. Par ailleurs, la maladie

d’Alzheimer présente un portrait plutôt complexe. Elle est accompagnée dans 60% des cas

d’une autre maladie telle que le diabète, l’hypertension artérielle ou des troubles dépressifs

(Schubert et al., 2006).

Bien que l’évolution de la maladie varie d’une personne à l’autre, plusieurs symptômes

communs apparaissent, les plus courants étant les troubles de la mémoire (Eustache, 2015).

Phénomène complexe, la mémoire comporte diverses modalités qui sont différemment

altérées par la maladie. Par exemple, la mémoire de travail, celle qui retient et manipule les

informations, est l’une des premières touchées par la maladie d’Alzheimer. La mémoire

épisodique, système plus élaboré dans lequel s’impriment les souvenirs, est également

altérée, en particulier pour la rétention des souvenirs récents. Les troubles du langage, oral et

écrit, apparaissent également avec la maladie. Ainsi, la personne atteinte cherche ses mots ou

fait de fausses associations. La maladie d’Alzheimer peut également entraîner des troubles

visuospatiaux, des troubles des praxies (utiliser des objets adéquatement) et des troubles

gnosiques, qui consistent à avoir de la difficulté à identifier et à reconnaître des personnes ou

des objets familiers. Finalement, des troubles des fonctions exécutives sont associés à la

maladie d’Alzheimer. La personne atteinte a alors notamment de la difficulté à organiser des

pensées abstraites, à raisonner, à inhiber ses croyances. Conséquemment, son comportement

6

social peut en être altéré (Micas, 2016; Eustache, 2015). L’ensemble de ces symptômes

cognitifs entraîne peu à peu une perte d’autonomie dans la réalisation des tâches

quotidiennes.

Des symptômes non cognitifs complètent ce portrait de la maladie d’Alzheimer. Il s’agit

notamment des troubles psychocomportementaux, une perturbation des comportements chez

les personnes atteintes qui peuvent prendre différentes formes telles que des cris, de l’errance

intrusive, etc. Micas (2016) précise que ces troubles peuvent être « associés à la maladie,

d’autres sont sensibles à l’environnement, ou bien la seule possibilité pour le patient

d’exprimer une souffrance, son désaccord, ses réactions et son adaptation difficile à ses

troubles, être l’expression d’une maladie somatique sous-jacente (infection…). » (p. 89).

Bref, on ne peut pas toujours en expliquer le sens ou l’origine, mais ces changements dans

les comportements des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer sont parfois observés.

D’autres symptômes non cognitifs peuvent également être présents chez ces personnes :

anxiété, apathie, agitation, déambulation, idées délirantes, troubles du sommeil, etc. (Micas,

2016).

Afin d’expliquer l’évolution naturelle de la maladie d’Alzheimer, quelques classifications

ont été élaborées. Poirier et Gauthier (2011) se réfèrent à l’Échelle de détérioration globale

de Reisberg qui contient sept stades, dont un stade prodromal, c’est-à-dire qui précède

l’apparition des premiers symptômes. La Société Alzheimer du Canada (2018a) présente

plutôt une évolution en quatre stades, allant du stade léger à sévère, en passant par le stade

modéré et en se terminant avec le stade de la fin de vie. Dans le premier stade, les problèmes

de mémoire sont discrets et n’entraînent pas de perte d’autonomie chez la personne atteinte.

Ces conséquences apparaissent plutôt au second stade, là où on constate une aggravation des

troubles de la mémoire menant notamment à l’incapacité de conduire une voiture ou de

continuer à occuper un emploi. Le troisième stade est associé à une lourde perte d’autonomie,

la personne atteinte ne pouvant plus assumer les tâches de la vie quotidienne parce que les

différents symptômes se sont considérablement aggravés. Ces deux échelles d’évolution des

symptômes présentent une gradation semblable de la maladie d’Alzheimer mais organisée

différemment.

7

À l’heure actuelle, il n’y a pas de traitement médical permettant d’en guérir. Les traitements

médicaux disponibles contribuent à soulager certains symptômes et à retarder l’évolution

dans certains cas et pour un certain temps seulement (Eustache, 2015; Institut universitaire

en santé mentale Douglas, 2014; Micas, 2016; Nehls, 2017; Société Alzheimer du Canada,

2018b). Il semble que les progrès actuels de la recherche soient davantage perceptibles au

niveau du diagnostic précoce qu’au niveau du traitement de la maladie (Aghourian et al.,

2017; Belleville, Gauthier, Lepage, Kergoat et Gilbert, 2014; Eustache, 2015; Semah, 2018).

Néanmoins, la recherche sur les causes de la maladie et ses possibles traitements se poursuit

intensément (Micas, 2016). Il n’y a pas actuellement de consensus sur les causes de la

maladie. Les hypothèses multifactorielles semblent en ce moment les plus concluantes

(Eustache, 2015). Elles impliquent des facteurs génétiques mais aussi des facteurs dits

modifiables tels que des problèmes de santé cérébrale ou d’autres facteurs liés à l’histoire de

santé de la personne atteinte. Par ailleurs, le concept de réserve cérébrale ou cognitive présent

dans la littérature (Eustache, 2015; Micas, 2016) réfère aux facteurs de protection qui

favorisent la préservation des fonctions cognitives en compensant pour les lésions créées par

la maladie. La recherche a donc permis d’identifier des éléments qui préviennent le

développement de la maladie d’Alzheimer, tels que l’activité physique, l’éducation, la

stimulation cérébrale, une alimentation saine et la qualité des liens sociaux qu’entretient la

personne atteinte (Micas, 2016; Poirier et Gauthier, 2011).

Le portrait ainsi tracé de la condition médicale laisse entrevoir la souffrance associée à

l’annonce d’un tel diagnostic pour quiconque est atteint de cette maladie. Plusieurs auteurs

affirment que la vieillesse est une étape de la vie humaine qui entraîne son lot de remises en

question et de transformation identitaire liées notamment aux changements dans les rôles

sociaux occupés (Billé, 2012; Hétu, 2007; Houde, 1999). Dans ce contexte, la maladie

d’Alzheimer pose un défi supplémentaire à la personne qui en est atteinte. Elle

brouille en effet et déstructure les interactions de la personne avec son entourage.

Or ces interactions ne sont pas seulement le lieu de la gestion d’un quotidien plus

ou moins agréable à vivre – ce qui n’est déjà pas négligeable –, elles sont, bien

plus profondément, le lieu de l’élaboration d’une dynamique dont on soupçonne

confusément le dysfonctionnement, et qui n’est en somme rien d’autre qu’une

dynamique identitaire. (Billé, 2014, p. 104-105)

8

Les proches sont affectés également car non seulement la relation qu’ils ont avec la personne

atteinte est perturbée mais leur quotidien l’est aussi, sans compter la charge émotive qui

accompagne cette nouvelle réalité (Éthier, Boire-Lavigne et Garon (2013). Feteanu et Sebag-

Lanoë (2002) résument avec éloquence cette expérience :

La famille doit résoudre au quotidien une multitude de tâches pratiques liées à la

perte de l’autonomie, à la dépendance et aux troubles du comportement. Elle doit

aussi supporter les conséquences juridiques et administratives de la maladie. À

cela s’ajoute la souffrance liée à l’appauvrissement des échanges avec l’être aimé

malade et à l’angoisse de ne pas pouvoir faire face. L’aggravation inéluctable de

la maladie provoque des sentiments de détresse, d’incompréhension, voire de

colère. La famille doit faire le deuil d’un certain passé, le deuil des projets de vie,

des loisirs et des aspirations antérieurs. Le fardeau familial est associé à un risque

accru de conséquences négatives sur la santé mentale et physique. (p. 161)

C’est dans ce terreau altéré que la relation conjugale confrontée à la maladie d’Alzheimer

doit continuer d’exister. Alors que la littérature a abondamment traité des impacts de la

situation vécue sur les proches aidants, peu importe la nature du lien qu’ils ont avec la

personne atteinte (Guberman et Lavoie, 2010; Miceli, 2013), elle s’est moins attardée au vécu

spécifique des couples qui doivent composer avec la maladie. Toutefois, les écrits révèlent

que la maladie représente une menace pour l’équilibre du couple qui y est confronté (Éthier

et al, 2013; Lavoie et Rousseau, 2008; Mietkiewicz et Ostrowski, 2013; Moësan, 2010;). Les

prochaines lignes sont consacrées à mieux comprendre ce vécu qui comporte des

particularités qui lui sont propres.

1.1.2 Alzheimer et conjugalité

On observe que les personnes âgées de 65 ans et plus vivaient encore majoritairement en

couple au Canada en 2011 (Milan, Wong et Vézina, 2014), et 77% d’entre elles n’avaient

alors formé qu’une seule union. Cependant, les trajectoires conjugales se diversifient aussi

dans cette tranche d’âge. On le constate notamment par l’augmentation du taux de divorce et

de séparation chez les couples âgés (4% en 1981, 12% en 2011) mais également par

l’augmentation des unions libres, des remariages et des unions de même sexe (Milan et al.,

2014). Cette pluralité qui s’installe peu à peu chez les couples aînés canadiens se perçoit

également dans plusieurs pays européens (Delbès, Gaymu et Springer, 2006). Le Québec ne

fait pas exception à la règle : 67% des 65-69 ans sont en couple en 2011; les autres sont en

9

union libre ou encore célibataires suite à un divorce, une séparation ou le décès du conjoint

(Institut de la statistique du Québec, 2012).

L’augmentation de l’espérance de vie et les changements sociaux et culturels survenus dans

les dernières décennies, notamment l’individualisme et les attentes envers le couple,

expliquent en grande partie les risques de rupture qui guettent aussi les couples vieillissants

(Smadja, 2011). Or, la dissolution d’une union dans cette population n’est pas sans

conséquence. Des auteurs ont démontré que le bonheur est lié à la satisfaction conjugale et

que les bénéfices psychologiques que procure la vie en couple sont plus grands que les coûts

qui lui sont associés (Beaudry, Boisvert et Roussy, 2011; Bouffard, 2017). Wu et Schimmele

(2007) ajoutent que le divorce à un âge avancé amène son lot de problématiques telles que

l’isolement, l’appauvrissement financier, une diminution de la satisfaction face à la vie et des

symptômes dépressifs. Il semble donc que l’adaptation au célibat soit plus difficile pour les

personnes âgées.

En faisant abstraction des situations problématiques telles que les relations où la violence

conjugale ou la maltraitance est présente, les derniers constats nous amènent à proposer qu’il

est habituellement souhaitable que les couples âgés demeurent en couple. En plus des

bienfaits déjà mentionnés, d’autres auteurs soumettent l’idée que le couple, en particulier

lorsqu’il est âgé, contribue au sentiment identitaire des personnes qui le composent (Lavoie

et Rousseau, 2008; Wu et Schimmele, 2007). Ce rôle de gardien de l’identité endossé par les

conjoints revêt une importance particulière en contexte d’Alzheimer. En effet, puisqu’il porte

en mémoire leur histoire conjugale et qu’il continue de partager une grande intimité avec son

partenaire, le conjoint non atteint joue un rôle de validation de l’identité de la personne

atteinte; une identité qui, nous l’avons vu, s’effrite (Éthier et al., 2013; Lavoie et Rousseau,

2008). Cela se traduit par exemple dans son désir de préserver l’autonomie de son partenaire

en respectant ses valeurs et en lui offrant des possibilités de faire des choix, en dépit de la

maladie.

Par ailleurs, il va sans dire que la relation conjugale est impérativement appelée à se

transformer lorsque la maladie d’Alzheimer fait son entrée dans l’histoire du couple. Elle

prend alors des allures de relation aidant-aidé et l’intégrité conjugale peut en être menacée.

10

Une autre des menaces qui guette l’équilibre du couple est directement liée au vécu de

l’aidant. La littérature relate abondamment les difficultés rencontrées dans l’expérience de

proche aidant. Même si les conjoints qui endossent ce rôle ne représentent que 8% de tous

les aidants, ils sont, avec les parents d’enfants, ceux qui consacrent le plus grand nombre

d’heures hebdomadaires à aider leur partenaire. En effet, 31% des aidants soutenaient leur

conjoint pendant 30 heures ou plus par semaine en 2012 au Canada (Turcotte, 2013). Ils sont

donc davantage susceptibles de subir les conséquences de ce nouveau rôle qui entraîne un

stress important. D’ailleurs, 46% d’entre eux ont déclaré ressentir au moins cinq symptômes

de détresse psychologique, tels que s’être senti fatigué, inquiet ou angoissé, débordé, isolé,

colérique, mécontent ou déprimé, avoir éprouvé une perte de l’appétit ou avoir développé

des troubles du sommeil (Turcotte, 2013). Cela s’explique notamment par le fait qu’ils

accomplissent un plus vaste éventail de tâches et qu’ils ne recourent à l’hébergement qu’en

cas d’épuisement profond (Lavoie et Rousseau, 2008). Ils sont par ailleurs plus susceptibles

d’avoir des besoins non comblés (Lavoie et Rousseau, 2008). Les aidants voient également

augmenter le danger de développer des problèmes de santé physique importants et sont plus

nombreux à risquer d’en mourir (Schulz et Martire, 2004). Ce portrait général s’accentue

lorsque la personne aidée est atteinte de la maladie d’Alzheimer (Tremont, 2011).

Il faut rappeler toutefois que le rôle de proche aidant d’un conjoint n’est pas que sombre.

Plusieurs auteurs ont également rapporté des effets positifs à ce nouveau type de relation qui

s’établit entre deux personnes (Caradec, 2009; Éthier et al., 2013; Holosko et Feit, 2004;

Tremont, 2011). Par exemple, des proches aidants ont mentionné apprécier ce nouveau rôle

parce qu’il leur procure le sentiment d’être utile et qu’il permet de développer de nouvelles

compétences, ce qui favorise le sentiment d’estime de soi. Une satisfaction face au sentiment

de faire du bien à l’autre est aussi ressentie par les aidants. Il semble également que la relation

aidant-aidé ajoute à la profondeur de la relation, les aidants se sentant plus proches de la

personne aidée. De plus, le simple plaisir d’être ensemble est évoqué par les proches, de

même que le sens de la vie qui est approfondi par ce nouveau rôle.

Dans ce contexte mitigé, le rôle d’aidant n’est pas toujours endossé librement. Une étude

québécoise portant sur les normes et les valeurs déterminant l’organisation des solidarités

familiales révèle qu’une pression sociale est exercée particulièrement à l’égard des conjoints

11

afin qu’ils endossent le rôle d’aidant auprès de leur partenaire (Guberman, Lavoie et Gagnon,

2005). Les résultats du sondage téléphonique effectué auprès de la population illustrent les

limites que posent les répondants quant à la nature et à la quantité de l’aide offerte à un

proche. En effet, une vaste proportion d’entre eux croit que la famille ne doit pas assumer la

responsabilité de l’aide au détriment de sa santé ou de la qualité de sa vie professionnelle et

familiale. Les répondants conçoivent l’aide essentiellement en termes d’affection et de

présence auprès du proche. Bref, la responsabilité souhaitée est davantage orientée vers le

maintien des relations familiales plutôt que vers une aide instrumentale.

Cependant, il en va autrement lorsque la personne en perte d’autonomie a un conjoint :

La forte majorité des répondants considère que les conjointes (85,4 %) et les

conjoints (91 %) doivent accompagner leur époux ou leur épouse lors de rendez-

vous à l’hôpital et chez le médecin. Également, plus de sept répondants sur dix

estiment que les conjointes (76 %) et les conjoints (72 %) doivent préparer les

repas et faire les travaux ménagers. Environ 60 % s’attendent à ce qu’ils donnent

le bain, et vêtissent et dévêtissent la personne âgée. Des proportions non

négligeables des répondants comptent même sur les conjointes et les conjoints

pour donner des injections et changer les pansements. On s’attend également

dans près de la moitié des cas (38 % pour les conjointes, 50 % pour les conjoints)

à ce qu’ils réduisent leur temps de travail afin de prendre soin de leur époux ou

de leur épouse. (Guberman et al., 2005, p. 35)

La désignation de l’aidant principal se fait donc selon un modèle hiérarchique où le conjoint

occupe le premier rang.

Par ailleurs, les conjoints endossent eux-mêmes d’emblée ce rôle, qu’ils perçoivent comme

étant une responsabilité morale (Éthier et al., 2013; Guberman et Lavoie, 2010; Lavoie et

Rousseau, 2008). Caradec (2009) confirme le caractère irrécusable de ce rôle assumé par les

conjoints : « Aux yeux des conjoints bien plus que des enfants, le soutien qu’ils assurent

semble aller de soi, relever de la nature même de la relation, au point que ce que l’on appelle

communément « relation d’aide » apparaît d’abord comme la continuation d’une relation de

couple commencée depuis de longues années. » (p. 119).

L’auteur ne saurait si bien dire car un large consensus se dégage de la littérature à l’effet que

la relation aidant-aidé est grandement teintée de la relation conjugale telle qu’elle était avant

l’arrivée de la maladie (Badr, Acitelli et Taylor, 2007; Caradec, 2009; Harris, Adams,

Zubatsky et White, 2011; Morgan et Laing, 1991; Roberto, McCann et Blieszner, 2013;

12

Tremont, 2011; Winter, Gitlin et Dennis, 2011). En d’autres mots, la qualité de la relation

conjugale avant la maladie détermine la façon avec laquelle le couple composera avec celle-

ci. À titre d’exemple, Morgan et Laing (1991) ont documenté les caractéristiques des aidants

dont la qualité de la relation conjugale avant la maladie était satisfaisante. Ces derniers

présentaient une motivation plus élevée à dispenser les soins nécessaires pour maintenir un

équilibre quotidien, ils éprouvaient un sentiment d’accomplissement dans leur rôle d’aidant

ainsi que davantage de compassion envers leur conjoint et démontraient une plus grande

ouverture à recevoir de l’aide et des services de soutien. Plus récemment, Harris et ses

collaborateurs (2011) ont démontré que la qualité de la relation conjugale avant le diagnostic

a des incidences sur la santé mentale et émotionnelle de l’aidant pendant la progression de la

maladie. Les auteurs prédisent qu’une relation insatisfaisante avant le diagnostic mènera à

plus de stress et de difficultés à assumer le rôle d’aidant, est associée à des symptômes

dépressifs chez l’aidant, à une faible qualité de vie et à peu de satisfaction dans son nouveau

rôle. Winter et ses collaborateurs (2011) ajoutent qu’une relation insatisfaisante

précédemment au diagnostic risque de précipiter l’hébergement de la personne atteinte, en

particulier lorsque l’aidant est un homme.

Le couple touché par la maladie voit également son intimité être affectée notamment par

l’impact de la maladie sur la sexualité. La maladie d’Alzheimer entraîne une baisse du désir

sexuel alors que des aidants disent vouloir maintenir une activité sexuelle, parfois perçue

comme l’emblème d’une résilience face à la maladie (Harris et al., 2011; Mietkiewicz et

Ostrowski, 2013). Il semble toutefois que la dynamique relationnelle déterminera la place de

la sexualité dans le couple. Par exemple, lorsque le rapport d’aide est intense et que les soins

octroyés à la personne atteinte prennent une place prédominante dans le couple, la relation

adopte davantage les caractéristiques d’un rapport parent-enfant. Dans ce cas, l’aidant peut

ressentir un certain malaise à maintenir une activité sexuelle avec son partenaire. Ainsi,

préserver l’intimité, qu’elle prenne la forme de la sexualité ou simplement d’un échange

affectif et complice, est un défi pour le couple confronté à la maladie d’Alzheimer.

En somme, la maladie d’Alzheimer, lorsqu’elle s’invite dans la relation conjugale, est un

événement qui s’inscrit dans l’histoire du couple. Ce dernier aura plus de chances de

préserver son intégrité conjugale s’il peut s’appuyer sur une histoire conjugale positive. Le

13

conjoint, qui endosse d’emblée le rôle d’aidant dont on l’investit, joue un rôle de gardien de

la biographie et de l’autonomie de son partenaire. Et bien que ce rôle puisse être vécu de

façon positive par l’aidant, il peut néanmoins entraîner des conséquences importantes sur sa

santé physique et mentale notamment. On peut donc conclure de ces recherches qu’il est

impératif de soutenir les couples qui font face à cette situation car, rappelons-le, on vieillit

généralement mieux en couple que seul.

La partie qui suit présente deux domaines d’intervention qui pourraient jouer ce rôle de

soutien auprès des couples âgés : le travail social et l’art-thérapie. Le travail social est en

bonne posture pour intervenir auprès des couples âgés puisqu’il occupe la première ligne des

services publics offerts à la population âgée avec une présence dominante dans les services

de soutien à domicile, notamment. Il est aussi reconnu pour son intervention auprès des

systèmes tels que le couple. Nous le présentons en premier. Suivra l’art-thérapie, un domaine

d’intervention moins aguerri pour intervenir auprès de la population ciblée.

1.2 Intervenir en contexte de conjugalité et d’Alzheimer. Deux domaines d’expertise :

le travail social et l’art-thérapie.

Cette section vise à situer historiquement ces deux professions et présente les enjeux qui leur

sont propres en regard de leur rôle dans l’intervention psychosociale qui s’adresse aux

couples âgés.

1.2.1 Les principes fondateurs du travail social

Le travail social est un vaste champ d’intervention qui s’intéresse à l’individu en relation

avec son environnement et qui s’articule autour de trois méthodes : l’intervention auprès des

individus et de la famille; l’intervention de groupe; l’organisation communautaire. Au cœur

des valeurs qui orientent son action, on retrouve l’autodétermination, principe selon lequel la

personne est capable de décider pour elle-même (Drolet, 2013). Les valeurs de justice sociale,

de respect des droits et de la dignité de toute personne et la foi en la capacité de tout être

humain à évoluer et se développer marquent également la profession (OTSTCFQ, 2012).

Le travailleur social joue différents rôles. Parmi eux, Drolet (2013) rappelle ceux-ci : le rôle

d’accompagnement qui se traduit par du soutien lors de traversées difficiles; le rôle de

coordination visant la planification et l’organisation de services et de ressources; celui de

médiateur entre les ressources du milieu et les besoins de la personne; et finalement,

14

s’appuyant sur un parti pris pour la personne, un rôle d’advocacy. Tous ces rôles peuvent se

déployer, à divers niveaux, dans l’une ou l’autre des méthodes d’intervention, peu importe le

milieu, la population ciblée et les problèmes rencontrés.

La diversité des rôles assumés par les travailleurs sociaux et la multitude des chemins qu’ils

empruntent pour répondre aux besoins complexes des personnes et des groupes qu’ils

accompagnent ouvrent la voie à une vision plurielle des fonctions de la profession. Payne

(2006), cité dans Drolet (2013), esquisse un portrait de ces fonctions du travail social en les

ramenant à trois perspectives : la dimension thérapeutique, l’ordre social et la transformation

sociale. La première, plus proche de la psychologie, cherche à faciliter le développement

personnel et relationnel d’un individu. La seconde soutient l’adaptation des personnes au

système en place tandis que la dernière perspective vise plutôt le changement social.

Les milieux où les travailleurs sociaux exercent leur profession sont donc multiples : les

établissements du réseau public de la santé et des services sociaux, des organismes

communautaires, des établissements pénitenciers, des ministères, des entreprises d’économie

sociale, des coopératives, etc. Dans le réseau public de la santé et des services sociaux, les

travailleurs sociaux sont appelés à répondre aux demandes formulées par des personnes qui

présentent des profils aussi diversifiés que complexes. Parmi ces personnes, plusieurs sont

âgées et présentent des profils gérontologiques nécessitant une intervention psychosociale.

1.2.2 Le travail social gérontologique

En dépit du vieillissement de la population que l’on appréhende depuis un certain temps déjà,

peu d’écrits existent sur l’exercice de la profession du travail social auprès des personnes

âgées. Il semble de plus que la gérontologie ne figure pas parmi les principaux intérêts des

étudiants en travail social dans les universités québécoises (Pelletier et Beaulieu, 2016). Par

surcroît, les changements démographiques entraînent un lot de préoccupations quant à

l’organisation des services de santé et des services sociaux, mais le gouvernement ne semble

toujours pas vouloir en faire une véritable priorité comme en fait foi la dernière réforme

entreprise (MSSS, 2015; Pelletier et Beaulieu, 2016).

Dans les établissements du réseau de la santé et des services sociaux, en CLSC ou en CHSLD

par exemple, on retrouve des travailleurs sociaux pour répondre aux besoins psychosociaux

15

de la population aînée. Comme il s’agit d’une population qui présente des situations

complexes (problèmes de santé physique, comorbidité, troubles cognitifs, essoufflement du

réseau de soutien, isolement, éventuels besoins d’hébergement, etc.) autour desquels

s’articuleront les interventions de divers professionnels, on fait appel à un gestionnaire de

cas pour coordonner l’ensemble des services offerts.

Malgré le consensus qui semble se dégager à l’effet que les travailleurs sociaux possèdent le

bagage de compétences nécessaire à l’exercice de ce rôle (Gagnon, 2013), il n’en demeure

pas moins qu’ils éprouvent un malaise avec l’appellation « gestionnaire de cas » à laquelle

ils associent des attributs administratifs déshumanisants (Couturier et Belzile, 2013).

Couturier et Belzile (2013) défendent l’idée que ce rôle est tout à fait cohérent avec la

philosophie de la profession du travail social et ce, en raison notamment de son caractère

militant. Reconnaissant la transformation du travail social entraînée par ce changement de

pratiques, les auteurs suggèrent néanmoins que les travailleurs sociaux ont un rôle à jouer

pour que ces changements opèrent en faveur des intérêts de la population et que les services

« soient continus, globaux, cohérents, collectifs, et que cette continuité soit d’abord et avant

tout signifiante pour l’usager et pour l’intervenant. » (p. 162).

Or, en dépit du fait que l’attribution d’un rôle de gestionnaire de cas aux travailleurs sociaux

puisse faire du sens, l’offre de services n’est pas pour autant orientée vers la réponse aux

besoins de la population. En effet, on constate actuellement que les services offerts

s’inscrivent davantage dans une logique de panier de services uniformisé plutôt que dans la

logique d’une réponse personnalisée à des besoins spécifiques (Pelletier et Beaulieu, 2016).

Pour évaluer les besoins des personnes âgées, un outil d’évaluation standardisé est utilisé à

la grandeur du Québec : l’Outil d’évaluation multiclientèle (OEMC). Permettant de tracer le

portrait général de l’état de la personne, l’OEMC est également un outil favorisant la

planification des services offerts. Cependant, comme le soulignent Carrier, Morin et Garon

(2012), « l’approche actuelle fait en sorte que c’est le producteur de services qui détermine à

la fois les besoins de la personne et la réponse à ces besoins en établissant une offre de

services préétablie. » (p. 52).

Les auteurs ajoutent qu’« alors que l’un des principes prioritaires de la gestion de cas est de

faire en sorte que les services soient adaptés aux besoins de la personne, dans les faits, nous

16

observons plutôt que ce sont les réponses aux besoins de la personne qui sont adaptés aux

services existants. » (p. 52).

À ce tableau s’ajoute la réalité préoccupante des types d’intervention que les travailleurs

sociaux réalisent auprès des aînés. Suite à l’introduction de l’OEMC et de la gestion de cas,

au début des années 2000, les pratiques se sont significativement transformées de sorte

qu’aujourd’hui, les travailleurs sociaux s’inquiètent de ne plus avoir le temps ou pouvoir

prioriser de faire des interventions psychosociales auprès des personnes âgées en perte

d’autonomie qui fréquentent les établissements (Lachapelle, Savard, Maltais, Tremblay et

Bourque, 2011; Matte, 2000; Pelletier et Beaulieu, 2016). Cela s’explique notamment par

l’augmentation des tâches administratives liées à la gestion de cas.

Finalement, alors que la spécificité du travail social repose sur le principe fondamental que

la personne est en relation avec son environnement, il semble qu’une perspective

individualiste teinte de plus en plus les pratiques (Dallera, Palazzo-Crettol et Anchisi, 2015).

On la perçoit à travers les formes de services offerts, se limitant essentiellement à des soins

à domicile pour la personne en perte d’autonomie et à des services de répit pour ses proches,

à qui l’on propose toutefois, dans certains milieux, de participer à un groupe de soutien pour

proches aidants. Les services et le soutien offerts ne sont pas pensés en termes

d’accompagnement de la famille ou du couple pour traverser cette période de transition en

s’assurant de préserver la qualité et la nature de leurs liens.

La pratique du travail social gérontologique dans le réseau public ne peut se faire sans la

participation du milieu communautaire, dans lequel œuvrent également des travailleurs

sociaux. En effet, le milieu communautaire est mis à contribution dans la dispensation des

services permettant le maintien à domicile d’une population âgée en perte d’autonomie par

le biais notamment des centres de jour, des centres d’action bénévole et des « popotes

roulantes » (Pilon, 1997). Une partie importante des entreprises d’économie sociale ayant vu

le jour dans les années 1990 offrent de plus des services d'aide à domicile.

Les aînés peuvent bénéficier des services traditionnels offerts par les organismes de sécurité

alimentaire, vestimentaire ou de conseil budgétaire mais d’autres organismes s’adressant

spécifiquement à cette population ont également vu le jour. Avec le soutien d’organisateurs

communautaires, les aînés ont mis sur pied des milieux de vie et des organismes de défense

17

de droits au sein desquels ils luttent pour une reconnaissance de leurs droits, de leurs besoins

et des réalités qui leur sont spécifiques (Fecteau, 2007). Des projets qui engagent des

travailleurs de milieu de vie prennent également naissance afin d’assurer une présence auprès

des aînés isolés. Aussi, que l’on pense aux regroupements d’aidants naturels, aux travailleurs

de milieu de vie, aux sociétés Alzheimer, aux clubs d’âge d’or ou à l’Association québécoise

des droits des retraités, les aînés occupent une place importante dans le milieu

communautaire. Les travailleurs sociaux y œuvrent à plusieurs niveaux, notamment dans des

tâches de coordination et d’animation ou encore d’intervention directe. Les organisateurs

communautaires qui travaillent en CLSC jouent aussi un rôle facilitant la collaboration entre

ces différents partenaires (Fecteau, 2007).

En somme, la route vers un engagement des travailleurs sociaux auprès de la population

vieillissante est déjà entreprise et fait face à des défis semblables à ceux que rencontrent

d’autres champs de pratique et à des défis qui lui sont propres. La réflexion sur les

compétences à développer et l’appropriation de cette pratique spécifique sont cependant

encore à parfaire. Mais dans le contexte actuel, c’est un effort dont on ne pourra faire

l’économie. Leur patrimoine historique et pratique regorge de ressources permettant aux

travailleurs sociaux d’investir le travail social gérontologique en toute confiance et dans le

respect des valeurs fondamentales de la profession. Qu’en est-il cependant du travail social

auprès des couples ?

1.2.3 Le travail social auprès des couples

Le travail social auprès des couples se développe grandement à partir des années 1960 et

prend forme notamment au sein du Centre de consultation matrimoniale de Montréal, fondé

en 1963 par l’abbé Ulysse Desrosiers, travailleur social et pionnier de la thérapie conjugale

et familiale au Québec (Guttman et al, 2009). Motivé par le constat que les couples traversent

des crises et n’ont pas accès à des services de soutien, il met sur pied une ressource

francophone répondant à leurs besoins. En 1976, le Centre est intégré au Centre de santé et

de services sociaux du Montréal métropolitain et devient le service de consultation conjugale.

Quelques années plus tard, en 1983, le service est fermé. Les couples dans le besoin sont

référés au secteur privé. Du côté anglophone, divers instituts ont mis sur pied des services de

consultation conjugale dans lesquels des travailleurs sociaux ont été intégrés. C’est le cas

18

notamment du Mental Hygiene Institute à Montréal, devenu l’Institut Argyle des relations

humaines en 1982.

En intervenant auprès des couples, le travailleur social poursuit différents objectifs. Par

exemple, il vise à favoriser le changement en s’appuyant sur les forces déjà présentes dans le

couple, à permettre au couple de retrouver un mode de fonctionnement satisfaisant et à

faciliter le développement d’un réseau de soutien formel et informel auprès des conjoints

(Collins, Jordan et Coleman, 2013). La proximité avec laquelle travaillent les intervenants

sociaux en étant présents dans les milieux de vie familiaux est une caractéristique

fondamentale de la profession qui influence la façon même d’intervenir (Collins et al., 2013).

Actuellement, les couples peuvent obtenir du soutien de la part des travailleurs sociaux des

équipes Famille-Enfance-Jeunesse des CLSC à titre de parents et dans le but de permettre à

la famille de redevenir un milieu favorisant le développement des enfants. Par ailleurs, dans

des cas de séparation ou de divorce, le ministère de la Justice offre quelques rencontres de

médiation familiale, parfois dispensées par des travailleurs sociaux formés et certifiés.

Toutefois, ces services ne s'adressent, encore une fois, qu'aux couples avec enfants.

Certaines interventions psychosociales s’adressant à des couples dont l’un des membres a

reçu un diagnostic de maladie grave telle que le cancer sont également offertes par des

travailleurs sociaux. Ces derniers œuvrent dans ce cas en milieu hospitalier. Au Québec, des

chercheurs en travail social s’intéressent notamment au vécu des couples dont la conjointe

doit composer avec un cancer du sein et aux stratégies qu’ils mettent de l’avant pour faire

face à la situation (Picard, Dumont, Gagnon et Lessard, 2006). Ces découvertes pourront

éventuellement contribuer au développement de l’intervention soutenant les couples face au

cancer ou toute autre forme de stress.

Mais outre cela, force est de constater que le travail social auprès des couples n’est plus, en

tant que tel, et ce depuis longtemps, considéré comme une priorité dans le réseau de la santé

et des services sociaux, du moins en ce qui concerne les services de première ligne.

On ne peut passer sous silence la présence des travailleurs sociaux au sein d’organismes

communautaires qui offrent des services aux couples, tels que les maisons de la famille ou

certains organismes qui œuvrent dans le domaine du deuil ou des soins palliatifs et qui

19

pourraient accompagner des couples endeuillés suite à la mort de leur enfant ou encore

lorsque l’un des partenaires est en fin de vie.

Il reste finalement aux couples qui souhaitent obtenir un soutien psychosocial conjugal la

possibilité de s’adresser au secteur privé. Dans ce cas, ils ont accès à des professionnels qui

peuvent offrir une intervention psychosociale, prenant la forme ou non d’une psychothérapie.

Cependant, pour les profanes, la distinction entre ce qui est de la psychothérapie et ce qui

n’en est pas peut être nébuleuse. Dans ce contexte, la Loi modifiant le Code des professions

et d’autres dispositions législatives dans le domaine de la santé mentale et des relations

humaines – communément appelée la Loi 21 – a été adoptée par le gouvernement du Québec

à l’été 2009 (Gouvernement du Québec, 2009). Elle a remanié la définition des champs

d’exercice professionnel des psychologues, travailleurs sociaux, thérapeutes conjugaux et

familiaux, conseillers en orientation et psychoéducateurs en identifiant des actes réservés à

certains professionnels et d’autres qui sont partagés entre eux. La nouvelle loi vise à mieux

encadrer la pratique de l’intervention sociale, en santé mentale notamment.

Dans ce contexte, il est indéniable que les travailleurs sociaux sont suffisamment formés et

compétents pour intervenir auprès des familles et des couples car cette population a constitué,

à toutes les époques qu’il a traversées, un intérêt majeur pour le travail social; son identité et

celle des thérapeutes conjugaux se sont mutuellement influencées et continuent de partager

une parenté idéologique et clinique.

1.2.4 Travail social, conjugalité et gérontologie : à la croisée des chemins

En somme, les travailleurs sociaux œuvrent actuellement dans un contexte où les services de

soutien à domicile s’adressant aux aînés en perte d’autonomie subissent des réaménagements

organisationnels restreignant l’offre de services psychosociaux (Carrier, Morin et Garon,

2012; Couturier et Belzile, 2013; Gagné, 2017; Lachapelle et al., 2011; Matte, 2000; Pelletier

et Beaulieu, 2016; Protecteur du citoyen, 2017).

Par ailleurs, Dallera et ses collaboratrices (2015), ont levé le voile sur le fait qu’en Suisse,

les assistantes sociales qui interviennent en gérontologie tiennent peu compte des réalités

conjugales : « … malgré une présence plus marquée de couples âgés susceptibles de

s’adresser à un service social, ceux-ci se dérobent la plupart du temps, « en tant que couple »,

20

aux regards des assistantes sociales que nous avons interviewées. Ces dernières ne les voient

pas au sens propre, comme au sens figuré. » (p. 6).

Les auteures ajoutent qu’

[A]fin d’éviter de s’impliquer ou de se trouver impliquées dans les rapports de

couple, les assistantes sociales déploient une large palette de stratégies, allant de

l’accompagnement prioritairement orienté sur l’individu à un subtil travail

d’équilibriste, visant à tenir compte des deux partenaires, tout en maintenant à

distance les questions qui relèvent de la relation conjugale. (p. 7)

Les changements survenus dans les dernières décennies dans les relations intimes tout

comme dans la société dans son ensemble, incluant l’organisation des services sociaux, ont

restreint les travailleurs sociaux à des interventions plus individualistes et davantage

encadrées par une logique de gestion de cas. Les nouvelles configurations familiales qui

atteignent aujourd’hui les populations âgées jumelées aux difficultés qu’entraîne parfois le

vieillissement imposent cependant que l’intervention psychosociale auprès des couples âgés

se développe.

À la lumière de ce parcours tirant les grands traits de la pratique actuelle du travail social

conjugal et gérontologique, il est possible de constater que les couples âgés qui sont

confrontés à la perte d’autonomie et à la maladie de l’un de leurs membres ne trouvent pas

une réponse complète et adéquate à leurs besoins d’accompagnement et de soutien

psychosocial dans le réseau public de la santé et des services sociaux actuellement. À la

croisée des chemins entre travail social, conjugalité et gérontologie se retrouvent donc

d'importants besoins mais une pratique psychosociale quasi inexistante.

Pourtant, il ressort de la littérature qu’une relation conjugale satisfaisante contient plusieurs

attributs favorisant la santé physique et mentale des conjoints, évitant ainsi de voir émerger

d’autres demandes s’adressant au système public. Rappelons que le vieillissement de la

population suggère que les individus seront en couple plus longtemps. Par ailleurs, nombre

d’aînés affirment le désir de demeurer dans leur domicile le plus longtemps possible (MSSS,

2003). Il y a fort à parier que la complexification des liens amoureux et familiaux viendra

accroître le besoin de soutien et d’accompagnement des individus pour exercer leur rôle dans

le portrait familial de plus en plus complexe. En outre, la génération des baby-boomers qui

atteint cette étape de vie et qui est en quête d’un mieux-être et d’un sens à son existence

21

revendique des services qui correspondent à sa réalité et qui répondent à ses besoins

(Guberman et Lavoie, 2010). Conséquemment, il semble que l’organisation des services

sociaux ne peut faire l’économie d’ajouter à son panier de services une offre d’intervention

psychosociale auprès des couples âgés.

Jetons maintenant un œil sur le possible rôle de l’art-thérapie auprès des couples aînés.

1.2.5 L’art-thérapie : l’histoire de sa naissance

L’art-thérapie prend racine dès le XIXe siècle lorsque des psychiatres s’intéressent aux

dessins réalisés par leurs patients pour en analyser le contenu; ils prennent alors conscience

que l’expression artistique facilite la communication et accélère, en quelque sorte, le

processus thérapeutique (Hamel et Labrèche, 2010). Colignon (2015) rappelle qu’à l’origine

de l’art-thérapie,

l’art est un moyen diagnostic avant d’être thérapeutique. Les productions

plastiques des malades répondent donc à un impératif scientifique de décrire, de

connaître, de classer et d’expliquer. C’est en tentant de comprendre les

mécanismes de la création et l’évolution des productions que nous quitterons

progressivement l’observation, quand bien même cette recherche restera encore

attachée à la maladie… (p. 106)

La profession est donc née dans un contexte hospitalier où l’approche biomédicale domine.

Aussi retrouve-t-on des art-thérapeutes dans le milieu de la santé mentale mais également

auprès de personnes atteintes de cancer, de douleur chronique ou autres maladies. Les art-

thérapeutes ont d’ailleurs grandement contribué au développement des connaissances dans

le champ de l’intervention somatique (Hamel, 2007; Vick, 2012). Le courant de l’art brut,

qui a suscité un intérêt à partir des années 1940, a également participé à l’émergence de l’art-

thérapie (Rubin, 2010).

L’art-thérapie repose sur les fondements de deux grandes disciplines : l’art et la psychologie.

Avec le temps, elle a dépassé la juxtaposition de ces deux champs disciplinaires pour

constituer en elle-même une discipline. Les art-thérapeutes ont donc une formation en

psychologie et en art, en plus d’être formés en art-thérapie. Cette double appartenance relève

de la présence de deux courants de pensée qui ont influencé et influencent encore le

développement et la pratique en art-thérapie : l’art comme thérapie (art as therapy) et la

psychothérapie par l’art. Ces deux visions constituent les deux pôles d’un continuum sur

22

lequel on retrouve diverses façons de pratiquer l’art-thérapie, allant du studio libre à la

psychothérapie dans le cadre de laquelle l’art devient un outil pour favoriser le processus

thérapeutique de la personne qui consulte.

Ces deux écoles de pensée ont émergé dès le début de l’histoire de l’art-thérapie, que Vick

(2012) divise en trois grandes périodes : la période classique, la période de développement

et la période contemporaine. C’est entre 1940 et 1970 que se développe l’art-thérapie autour

de deux grandes auteures à qui on reconnaît la « maternité » de la profession. Margaret

Naumburg travaillait en milieu hospitalier psychiatrique. Elle a donc été grandement

influencée par le courant de la psychodynamique qui voyait dans les œuvres des patients le

reflet du contenu de leur inconscient. Sa conception de l’art-thérapie « repose sur l’idée que

ce n’est pas l’art en soi, mais l’activité relationnelle mettant en jeu un patient, un thérapeute

et un objet ou une matière à travailler, qui est porteuse d’amélioration psychique pour le

patient. » (Sens, 2007, p. 59). Dans ce contexte, l’art-thérapeute dirige davantage le processus

de création de la personne et a recours à la parole, l’art étant un complément à la démarche

thérapeutique. À la même période, Édith Kramer, qui provient du milieu de l’éducation,

alimente la réflexion et suggère que la pratique artistique a en elle-même un effet

thérapeutique. Elle peut être perçue comme un complément à une psychothérapie encadrée

par un autre professionnel. Les art-thérapeutes qui logent sous cette enseigne accordent une

place privilégiée à la création artistique et sollicitent peu l’échange verbal avec la personne

accompagnée.

La période de développement, qui s’échelonne sur une quinzaine d’années, voit émerger un

nombre important de publications en art-thérapie, ce qui permet de consolider l’identité

professionnelle naissante. C’est à cette période, en 1977, que le premier doctorat en art-

thérapie est achevé (Vick, 2012). C’est également à cette période qu’Elinor Ulman, autre

pionnière en art-thérapie, met sur pied un premier journal scientifique traitant d’art-thérapie,

le Bulletin of Art Therapy (Rubin, 2010). Ses écrits proposent de rallier les deux orientations

portées par Kramer et Naumburg (Duchastel, 2005). Ulman (2010) suggère que ces deux

perspectives peuvent coexister dans une même démarche d’art-thérapie. Cette idée mène au

développement d’un troisième courant en art-thérapie, qui est centré sur le processus,

intégrant à la fois le processus de création et la création en elle-même.

23

De 1985 à aujourd’hui, années qui correspondent à la période contemporaine d’après Vick

(2012), les écoles d’art-thérapie se développent et la recherche en art-thérapie se diversifie.

Les art-thérapeutes s’inscrivent dans différentes perspectives théoriques mais leur pratique

continue d’être teintée des premières influences de l’art-thérapie.

De façon générale, les art-thérapeutes qui proviennent du milieu des arts partagent davantage

d’affinités avec le courant proposé par Kramer alors que ceux qui proviennent du milieu de

l’intervention se situent plutôt dans la perspective de Naumburg (Hamel, 2011; Sens, 2007).

Cependant, les art-thérapeutes adaptent leur pratique en fonction de la population rejointe,

des problématiques rencontrées et des contextes d’intervention.

Mais qu’il s’agisse de la production finale ou du processus mis en œuvre pour y arriver, la

notion de projection est centrale en art-thérapie : la personne crée une œuvre qui la représente

et, en jouant avec le médium et le support, la transforme. C’est donc son propre processus de

transformation personnelle qui est mis en image. La création artistique et la création de soi

deviennent une seule et même action. Ainsi opère le travail thérapeutique au moyen de l’art,

lorsqu’il est soutenu par un art-thérapeute (Hamel et Labrèche, 2010).

C’est avant tout aux États-Unis et en Angleterre que l’art-thérapie connait un essor de sorte

que c’est dans le milieu anglophone qu’elle est d’abord reconnue (Plante, 2009). Au Québec,

dès 1981, elle se structure au sein de l’Association des art-thérapeutes du Québec (AATQ),

où se regroupent actuellement plus de 200 membres professionnels et étudiants. L’art-

thérapie est enseignée dans les universités québécoises à partir des années 1970 (AATQ,

2015). L’Université Concordia offre un programme de maîtrise en anglais depuis plus de 25

ans (Plante, 2009). Il se situe davantage dans une perspective psychodynamique. Depuis

quelques années, le seul programme de maîtrise en art-thérapie francophone en Amérique du

Nord est offert par l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. Son contenu est

d’orientation humaniste et jungienne et les étudiants y sont formés à travailler avec

l’approche par le processus.

1.2.6 Enjeux identitaires de l’art-thérapie

Toute pratique d’expression par l’art n’est pas de l’art-thérapie. Toute intervention faisant

appel à l’art n’est pas non plus de l’art-thérapie. Une intervention devient art-thérapeutique

lorsqu’elle vise à accompagner la personne, à l’aide de médiums artistiques, vers « la

24

compréhension et la résolution de problèmes, le soulagement de l’angoisse et de la souffrance

psychologique et même physique, ou simplement l’évolution et le mieux-être

psychologique… » (Hamel et Labrèche, 2010, p. 23-24). De plus, cette intervention doit être

menée par une personne formée en art-thérapie.

Or, l’art ayant toujours été un outil de guérison, les intervenants de tout acabit y ont eu recours

bien avant la naissance de la profession d’art-thérapeute. D’ailleurs, les travailleurs sociaux

et les thérapeutes conjugaux et familiaux ont recours à des outils d’évaluation et

d’intervention qui intègrent la création artistique depuis les années 1970 et même avant (Du

Ranquet, 1981; Shalmon, McLaughlin et Keefler, 2012). Aussi, l’art-thérapie est parfois

confondue avec des approches telles que la médiation artistique ou culturelle, des ateliers

thérapeutiques médiatisés, l’accompagnement par l’art, pour n’en nommer que quelques-

unes (Colignon, 2015). De plus, la Loi 21 reconnaît que l’art-thérapie peut être utilisée dans

un contexte psychothérapeutique à titre d’adjuvant ou de médium subsidiaire mais qu’elle

peut aussi

fonctionner de manière autonome en référence à son propre code, ses propres

références et à ses propres méthodes. Elle peut être alors utilisée dans le cadre de

l’une ou l’autre des interventions qui ne constituent pas de la psychothérapie au

sens du Règlement sur le permis de psychothérapeute, comme l’éducation

psychologique et la réadaptation. (Office des professions du Québec, 2013, p. 85)

Finalement, l’art-thérapie a été influencée par diverses perspectives théoriques (la

psychologie positive et la psychodynamique par exemple) et approches cliniques (telles que

l’approche gestaltiste et la thérapie cognitivo-comportementale) (Sens, 2007), ce qui traduit

la complexité de la définition de cette profession à l’heure actuelle. Cela participe sans doute

à la difficulté pour l’art-thérapie d’obtenir une juste reconnaissance de sa contribution dans

le milieu de l’intervention. Par ailleurs, l’Office des professions n’ayant pas reconnu

d’emblée le caractère psychothérapeutique de la pratique de l’art-thérapie à plusieurs égards

ni que la formation en art-thérapie forme réellement à la pratique de la psychothérapie, il est

logique d’y percevoir une menace pour l’identité même de la profession d’art-thérapeute. Car

cette situation mène les art-thérapeutes à devoir démontrer leurs capacités légitimes à

pratiquer la psychothérapie par des démarches complexes auprès de l’Ordre des

psychologues, sans compter la nécessité qui leur est imposée par ce dernier de compléter des

formations complémentaires et des stages qui s’ajoutent à leur formation initiale.

25

Actuellement, la pratique de l’art-thérapie auprès des couples et des personnes âgées est en

développement. Nous verrons dans la recension des écrits présentée au prochain chapitre que

très peu de recherches scientifiques ont porté, jusqu’à maintenant, sur l’art-thérapie en

contexte conjugal. Toutefois, l’art-thérapie auprès de dyades parents-enfants a fait l’objet de

quelques études (Plante, 2005; Proulx, 2003). Ainsi, l’expertise de l’art-thérapie en contexte

familial s’est développée dans les dernières années. Par ailleurs, l’art-thérapie s’intéresse

depuis longtemps aux personnes âgées. Elle a percé dans les milieux d’hébergement pour les

personnes âgées en perte d’autonomie en France (Sudres, Roux, Laharie et De La Fournière,

2004) et commence à investir ces milieux ici aussi alors que quelques art-thérapeutes œuvrent

en CHSLD, au sein des Sociétés Alzheimer et dans certains organismes communautaires

venant en aide aux proches aidants. Les plus nombreuses recherches qui s’intéressent aux

services en art-thérapie offerts aux personnes atteintes de troubles cognitifs témoignent de la

pratique et de l’expertise des art-thérapeutes spécifiquement auprès de cette population. Il

n’en demeure pas moins que ce champ de la pratique de l’art-thérapie est aussi à investir afin

de développer des techniques propres à l’art-thérapie qui répondent aux besoins particuliers

de la population aînée.

En somme, alors que les besoins spécifiques aux situations rencontrées par les couples âgés

sont criants, les travailleurs sociaux et les art-thérapeutes tardent à investir ce champ de

l’intervention et ce, même s’ils disposent de connaissances et de pratiques les rendant aptes

à intervenir auprès des aînés.

1.3 Buts et pertinence de la recherche

La réflexion qui précède nous a menée vers la réalisation d’un projet de recherche doctorale

dont la pertinence se situe à différents niveaux : social, clinique, professionnel et scientifique.

Tout d’abord, la pertinence sociale de cette recherche est de porter un regard préoccupé et

sensible sur une situation vécue par des personnes âgées qui sont confrontées à des limites

imposées par leur vieillissement. En effet, considérant la méconnaissance de la maladie

d’Alzheimer et la peur développée par une population vieillissante à son égard, les personnes

atteintes sont victimes de préjugés et subissent une certaine forme de stigmatisation (Éthier,

Carbonneau, Bettencourt et Verreault, 2017). Leur conjoint n’est pas à l’abri non plus de

subir les jugements et la pression sociale pour se positionner de telle ou telle manière face à

26

son partenaire. Par ailleurs, nous suggérons que la recherche trouve aussi sa pertinence dans

le fait qu’elle met le focus sur le vécu du couple, une perspective fort peu envisagée, tant par

la recherche que par le milieu de l’intervention. Conséquemment, la recherche est propice à

recueillir des informations permettant éventuellement de sensibiliser la population aux

impacts de la maladie pour les personnes atteintes et leur conjoint, tout en accordant aux

couples touchés par la maladie d’Alzheimer la possibilité d’avoir un espace où ils peuvent

exister et être considérés.

En développant et en documentant une intervention en art-thérapie auprès de la population

ciblée, la recherche contribue à l’émergence de pratiques novatrices répondant aux besoins

des couples faisant face à la maladie d’Alzheimer et trouve donc sa pertinence au niveau

clinique également. Plus spécifiquement, cette recherche propose d’approfondir la

compréhension du vécu des couples ciblés lorsqu’ils bénéficient d’une intervention,

puisqu’ils seront accompagnés pendant un laps de temps significatif et qu’un regard curieux

sera posé sur leur façon de faire face à la maladie. De plus, la recherche trouve sa pertinence

dans le développement et la compréhension d’outils d’intervention adaptés aux couples âgés,

venant ainsi bonifier le cursus des outils et approches d’intervention déjà mis en œuvre auprès

des aînés.

Par ailleurs, la pertinence professionnelle du projet de recherche s’appuie sur la posture d’une

double identité professionnelle de l’intervenante-chercheure; identités dont les principes

complémentaires seront mis en relation lors de l’intervention à l’étude. Dans un contexte de

redéfinition des règles encadrant les professions en santé mentale, le travail social est appelé

à se repositionner. Quant à l’art-thérapie, nous avons vu précédemment que son identité est

en construction et semble menacée par le contexte actuel. Il s’avère donc pertinent d’explorer

leur contribution spécifique et commune à l’intervention psychosociale en contexte de

conjugalité.

En outre, la dimension artistique qui prend part à ce type d’intervention soulève un ensemble

de questionnements qui rejoignent certaines des préoccupations des professions de l’aide

mais également celles du milieu artistique lui-même. En effet, ce dernier est alimenté par un

débat qui se retrouve au cœur de ses institutions et qui est porté par ses acteurs, celui du rôle

27

de l’art dans la société et le vivre-ensemble. La présente recherche prétend pouvoir

contribuer, à sa hauteur, à cette réflexion.

Finalement, la pertinence scientifique de la recherche proposée s’inscrit dans le

développement, amorcé plutôt récemment, des connaissances scientifiques concernant

l’apport de l’art-thérapie au champ de l’intervention psychosociale. En effet, la recherche

documentant scientifiquement les effets de l’art-thérapie, en particulier lorsqu’elle s’adresse

à des couples, en est à ses premiers balbutiements de sorte que son efficacité reste à démontrer

(Slayton, D’Archer et Kaplan, 2010). C’est donc là que réside la pertinence scientifique de

ce projet de recherche doctorale : documenter ce type d’intervention pour mieux comprendre

son action et sa portée et identifier des pistes qui pourraient être développées à la fois en

contexte d’intervention mais aussi dans le cadre de recherches ultérieures.

De plus, les connaissances sur l’intervention psychosociale auprès des couples âgés et

confrontés à la maladie d’Alzheimer reposent sur un nombre restreint d’expériences. Nous

avons vu aussi que ce champ de l’intervention est peu occupé pour un ensemble de raisons.

Cet état de fait confère de la pertinence à un projet qui vise à expérimenter, pour mieux la

comprendre, une intervention inédite dans un contexte particulier de conjugalité et

d’Alzheimer. Les connaissances sur l’intervention conjugale dans tous ses contextes ne

peuvent que tirer profit d’une telle recherche.

Les buts de la recherche se déclinent donc ainsi :

1) Concevoir et documenter une intervention en art-thérapie auprès de couples dont l’un

des partenaires est atteint de la maladie d’Alzheimer;

2) Comprendre ce que vivent les couples confrontés à la maladie d’Alzheimer lorsqu’ils

bénéficient d’une intervention psychosociale en art-thérapie.

Aussi, dans une perspective plus personnelle et dans une moindre mesure – puisque cette

question pourrait à elle seule faire l’objet d’une recherche doctorale – la recherche poursuit

également ce but :

3) Amorcer une réflexion sur une pratique d’intervention qui allie deux identités

professionnelles; le travail social et l’art-thérapie.

28

Le lecteur pourra constater que les buts visés dans cette recherche exploratoire concernent

davantage le processus que les résultats de l’intervention et qu’ils s’intéressent à la fois au

vécu des couples et à celui de l’intervenante-chercheure. Cela positionne la recherche dans

une perspective phénoménologique qui fait appel à une méthodologie qualitative. Cette

dimension sera développée ultérieurement. Auparavant, une recension des écrits présentant

les interventions réalisées auprès des couples faisant face à la maladie est présentée.

29

CHAPITRE 2 : ÉTAT DES CONNAISSANCES SUR L’INTERVENTION AUPRÈS DES

COUPLES CONFRONTÉS À LA MALADIE

Ce chapitre présente les résultats d’une recension des écrits sur l’intervention auprès des

couples qui doivent composer avec la maladie de l’un des partenaires. Il débute par une

présentation des résultats d’une recension des écrits portant sur l’intervention psychosociale

auprès de couples confrontés à la maladie de façon générale d’abord, puis de façon plus

spécifique, sur l’intervention auprès des couples qui doivent composer avec la maladie

d’Alzheimer. En deuxième partie, nous tournons le regard vers l’art-thérapie. Cette approche

impliquant une démarche de création, nous nous sommes d’abord intéressée à l’impact de la

création artistique sur les aînés avant de présenter la recension des interventions en art-

thérapie réalisées auprès de la population aînée touchée par la maladie d’Alzheimer. Enfin,

en conclusion de ce chapitre, les éléments à retenir pour l’intervention à élaborer sont

présentés.

La recherche s’est construite autour des thèmes « couples âgés », « personnes âgées »,

« Alzheimer » et « intervention », « intervention psychosociale », « thérapie de couple »,

« art-thérapie » et leur traduction anglophone. Différentes bases de données ont été

consultées : Ageline, PsycNET, Service social abstract, Social Work Abstract. Sauf

exception, les études recensées ne remontent pas plus loin que l’an 2000 et font mention

d’une intervention réalisée auprès de dyades.

2.1 Recension des écrits sur l’intervention psychosociale auprès de couples confrontés

à la maladie

Nous avons vu au chapitre précédent que les interventions psychosociales réalisées en

contexte d’Alzheimer ont tendance à individualiser les problèmes ainsi que les solutions.

Pourtant, il ressort de la littérature que lorsqu’elles sont réalisées auprès des couples, incluant

les deux partenaires, ces interventions ont des impacts positifs plus grands, notamment sur la

communication dans le couple, la détresse psychologique des partenaires et leur

fonctionnement relationnel (Regan, Lambert, Girgis, Kelly, Kayser et Turner, 2012). Il

30

semble également que ces effets soient maintenus plus longtemps après l’intervention

(Martire, Schulz, Helgeson, Small et Saghafi, 2010).

De récentes revues de littérature confirment que les interventions psychosociales s’adressant

aux couples qui font face à la maladie sont prometteuses (Martire et al., 2010; Regan et al.,

2012; Van’t Leven et al., 2013). La présente recension des écrits sur le sujet mène aux mêmes

conclusions.

2.1.1 Intervention psychosociale auprès de couples faisant face au cancer ou autres

maladies

Regan et ses collaborateurs (2012) se sont attardés à la réalité des couples dont l’un des

partenaires est atteint d’un cancer. Leur objectif était d’étudier l’efficacité, le contenu et les

modalités de prestation des interventions s’adressant à ces couples pour en faire ressortir les

éléments les plus prometteurs pour favoriser leur adaptation à la maladie. Ils ont recensé 23

études portant sur des interventions conjugales : 13 d’entre elles ont mis l’accent sur

l’amélioration de la communication entre les partenaires; huit sur le développement

d’habiletés favorisant la capacité de faire face à la situation; et les deux dernières ont priorisé

des interventions à caractère éducatif.

Les résultats de ces études suggèrent que la plupart des interventions conjugales recensées

ont apporté des améliorations aux couples qui en ont bénéficié, en comparaison avec les

couples qui n’en ont pas bénéficié et ce, même si les effets étaient parfois plus discrets. Selon

Regan et ses collaborateurs (2012), ce sont les interventions auprès des couples qui semblent

avoir les plus grands impacts sur des aspects tels que la communication, la détresse

psychologique et la dynamique relationnelle. Dans certains cas, ces effets sont maintenus

plus longtemps que lorsque les interventions psychosociales sont offertes aux individus.

Malgré des cadres théoriques différents, la plupart des expériences recensées ont mis l’accent

sur la communication dans le couple selon deux angles : l’amélioration de la capacité des

participants à exprimer leurs émotions; la communication des besoins des conjoints pour faire

face au cancer. Les auteurs concluent que la clé des interventions psychosociales auprès des

couples est le renforcement de leur relation, ce qui se traduit selon eux principalement par

une meilleure communication.

31

Martire et ses collègues (2010) se sont également intéressés à des interventions offertes aux

couples mais qui sont, cette fois-ci, confrontés à la maladie chronique telle que l’arthrite, les

maladies cardiovasculaires, le cancer et la douleur chronique. Les auteurs rappellent

d’emblée que les interventions psychosociales qui s’adressent aux couples tiennent compte

des besoins des conjoints et visent à préserver la capacité du conjoint non affecté par la

maladie à soutenir son partenaire.

Ils ont recensé 33 études relatant des expériences d’intervention déployées selon différentes

modalités, mais impliquant toujours les deux membres du couple. Les résultats suggèrent une

faible amélioration des symptômes dépressifs des patients, du fonctionnement conjugal et de

la douleur chez la personne malade. Les études recensées se penchent sur une vaste étendue

de maladies différentes tout en rapportant des résultats semblables ce qui amène les auteurs

à suggérer qu’il est pertinent de développer des programmes d’intervention s’adressant aux

couples faisant face à la maladie sous toutes ses formes.

Bien que les résultats annoncent le caractère prometteur de l’intervention conjugale en

contexte de maladie, ils soulèvent néanmoins la question du renforcement de l’efficacité de

ce type d’intervention. S’inspirant des résultats de leur revue de littérature, les auteurs

identifient deux stratégies. D’une part, ils suggèrent de mettre l’accent sur la communication

dans le couple et les actions du conjoint pouvant influencer positivement les comportements

et les habitudes de vie des personnes malades. D’autre part, ils proposent de cibler

directement le bien-être des conjoints en leur permettant notamment de s’exprimer sur leurs

inquiétudes face à l’avenir, de développer des stratégies de gestion de leur anxiété et de les

informer sur la maladie de leur partenaire.

Par ailleurs, Martire et ses collaborateurs (2010) révèlent que les interventions conjugales ont

davantage d’impact chez les couples qui ont une dynamique conflictuelle ou encore chez

ceux dont le partenaire est moins soutenant. Ils soulignent également que la moitié des études

recensées rapportent que les résultats sont plus positifs quand l’intervention est faite en dyade

que lorsqu’elle s’adresse aux individus séparément. Toutefois, les auteurs ajoutent qu’une

approche non centrée sur la dyade mais où le conjoint assiste aux activités proposées permet

tout de même aux couples de développer le sentiment qu’ils font équipe face à la maladie.

Cela aurait pour effet de mobiliser et de maintenir le conjoint dans son rôle de soutien.

32

Outre ces revues de littérature qui établissent déjà les avantages et les limites des

interventions psychosociales réalisées auprès des couples faisant face à la maladie, nous

avons recensé d’autres expériences ayant fait l’objet d’études scientifiques. Parmi celles-ci,

nous avons repéré un programme de gestion dyadique du stress qui s’adresse aux couples

devant composer avec un cancer du sein de la conjointe (Kayser, 2005). L’auteure rappelle

que l’importance d’orchestrer des interventions qui s’adressent au couple en tant qu’entité

prend racine dans le contexte où de plus en plus de responsabilités sont relayées aux proches

des personnes malades. Ce programme stipule que la dynamique relationnelle, le soutien

mutuel et les stratégies conjugales d’adaptation à la situation favorisent un plus grand bien-

être de la personne atteinte de cancer et de son partenaire. Les interventions visent donc à

faciliter la mise en place de stratégies d’adaptation et à améliorer le soutien émotionnel que

s’accordent mutuellement les conjoints.

Se déroulant en huit ou neuf rencontres bimensuelles, le Partners in Coping Program (PICP)

offre aux couples ciblés un suivi psychosocial guidé par un travailleur social, le plus

rapidement possible suite à l’annonce du diagnostic. Chaque rencontre aborde un thème

spécifique, allant de sujets moins personnels (le réseau social et la routine quotidienne) à des

sujets plus intimes (la communication dans le couple et la sexualité). La thérapie cognitivo-

comportementale a inspiré cette approche. Ainsi, on cherche à outiller le couple à faire face

à la maladie en développant conjointement des stratégies d’adaptation que l’on définit

comme « … a process in which partners react to each other’s stress signals in order to

maintain or return to homeostasis on the individual and couple levels… » (Kayser, 2005, p.

182).

Le programme a d’abord fait l’objet d’un projet-pilote réalisé auprès de sept couples. Puis,

après révision, un protocole de recherche évaluative a été mis en œuvre. Une cinquantaine

de couples (n = 50) ont accepté d’y participer. Ils ont été répartis selon deux groupes : le

groupe bénéficiant de l’intervention et un groupe recevant les services standards. Divers tests,

administrés avant, pendant et après l’intervention, ont permis d’en mesurer les effets et de

démontrer qu’elle permet de développer un sens du « nous-deux » pour faire face à la

maladie. À l’instar de plusieurs interventions de ce type, maintenir ces effets après

l’intervention constitue le principal défi.

33

Une autre étude recensée se situe cette fois-ci dans un cadre d’intervention différent, en ayant

plutôt recours à une intervention de groupe. L’exemple retenu se situe dans une perspective

préventive et associe la thérapie cognitivo-comportementale à une approche de gestion du

stress. Les buts poursuivis par le Couples Coping Enhancement Training (Widmer, Cina,

Charvoz, Shantinath et Bodenmann, 2005) sont toutefois sensiblement les mêmes, soit

d’améliorer les capacités d’adaptation des couples à des situations complexes et de renforcer

leurs compétences à communiquer. Un corpus de six grands thèmes est abordé dans le cadre

de six rencontres de trois heures : le stress, l’adaptation, la communication, la résolution de

problèmes, l’équité et les frontières. Les groupes sont composés de quatre à huit couples qui

se rencontrent de façon hebdomadaire.

L’étude a été réalisée auprès de 143 couples dont près de la moitié a constitué un groupe de

comparaison. Diverses mesures ont été recueillies sur une période s’échelonnant sur deux

années. Les résultats révèlent notamment que l’intervention favorise la qualité de la relation

conjugale et que la dimension préventive s’applique également aux couples qui sont mariés

depuis longtemps. Ils suggèrent aussi que le développement de stratégies d’adaptation au

stress, jumelé à un travail sur les compétences communicationnelles, répond à un besoin des

couples et améliore la qualité de leur relation.

Ces quelques expériences pavent déjà la voie à l’identification de stratégies d’intervention,

notamment le développement d’habiletés communicationnelles, efficaces pour soutenir les

couples qui font face à des situations difficiles. Les prochaines lignes permettent de sonder

les effets de l’intervention psychosociale auprès des couples lorsqu’ils doivent composer

avec la maladie d’Alzheimer.

2.1.2 Intervention psychosociale auprès de couples faisant face à la maladie

d’Alzheimer

Une première revue de littérature portant spécifiquement sur la population qui nous intéresse

a été réalisée en 2013. Il s’agit des travaux de Van’t Leven et de ses collaborateurs (2013),

qui se sont appuyés sur l’hypothèse suggérant que l’intervention auprès des dyades aidant-

aidé est efficace à cause de l’influence qu’exercent mutuellement les partenaires. Ainsi,

l’humeur et l’état de santé de l’un ont des impacts sur l’humeur et la santé de l’autre.

34

Van’t Leven et ses collaborateurs (2010) ont recensé des programmes d’intervention se

situant dans l’une ou l’autre de ces modalités : intervention à court terme (entre six et dix

visites ou sessions de groupe); intervention à long terme (pouvant aller jusqu’à deux ans);

hospitalisation temporaire. Les programmes analysés contenaient plusieurs composantes.

Pour les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, ils proposaient des activités de

marche et des exercices, de l’information sur la maladie, des entraînements aux activités de

la vie quotidienne et l’adaptation de leur environnement. Les programmes proposaient aux

proches aidants des activités psychoéducatives, de l’information sur la maladie et des

activités menant au développement d’habiletés et de stratégies pour faire face à la maladie.

Parmi les études recensées, les auteurs ont retenu 23 études concernant dix programmes

d’intervention différents. Les résultats de 11 de ces études ont montré des effets positifs

statistiquement significatifs sur les deux partenaires. Pour les personnes atteintes de la

maladie, les effets se traduisent notamment par une amélioration de l’humeur et de la qualité

de vie. On a constaté également une diminution de l’institutionnalisation des personnes

touchées par la maladie. En ce qui concerne les proches aidants, les programmes

d’intervention semblent donner des résultats positifs au niveau de l’humeur et de la qualité

de vie auxquels s’ajoute une amélioration concernant l’épuisement perçu et le sentiment de

compétence.

Ainsi, les programmes d’intervention qui ciblent la perte d’autonomie de la personne atteinte

sont prometteurs et favorisent d’abord l’amélioration de la qualité de vie des couples. Les

résultats suggèrent aussi une amélioration, dans une moindre mesure, des comportements

perturbateurs des personnes atteintes de troubles cognitifs, de l’humeur des individus et de

l’épuisement de l’aidant. Finalement, les auteurs soulignent que les interventions recensées

étaient ajustées aux besoins identifiés par les dyades tout au long de l’intervention et

suggèrent que cette façon de faire menait à des effets plus grands et plus réalistes.

Parmi ces expériences où les couples sont accompagnés à partir de leur propre façon de vivre

la situation, on retrouve l’étude d’Auclair, Epstein et Mittelman (2009). Ces auteures ont

développé une approche de consultation conjugale auprès de couples dont l’un des

partenaires est atteint de la maladie d’Alzheimer dans le but de préserver leur intégrité

conjugale et le sentiment d’identité des individus. Cette approche vise essentiellement à

35

permettre aux partenaires d’établir un rapport égalitaire et solidaire face à la maladie, en leur

accordant, à l’instar de plusieurs autres études recensées, l’espace pour exprimer

mutuellement leurs divergences mais aussi leurs similitudes et leurs besoins. Bien que

l’approche soit d’abord orientée sur le présent, diverses influences théoriques l’ont inspirée :

psychodynamique, gestalt, analyse transactionnelle. Elle arbore également une philosophie

non-médicale selon laquelle les personnes sont perçues dans leur globalité, malgré la

présence de la maladie.

L’intervention proposée se traduit par six rencontres de consultation. Pour les fins de cette

étude, 42 couples ont été retenus. Un projet-pilote a été réalisé avec trois d’entre eux. Puis

les 39 couples restants ont été divisés aléatoirement en un groupe de traitement et un groupe

contrôle. La plupart des couples ont complété les six rencontres prévues au protocole.

Les auteures ont présenté les résultats du volet qualitatif de leur étude. Ces résultats suggèrent

qu’une intervention auprès de cette population particulière est possible, voire même salutaire,

et qu’elle peut mener les conjoints à adopter un mode relationnel plus collaboratif face à la

maladie et aux changements qu’elle provoque. Les auteures stipulent que six rencontres

suffisent à atteindre les objectifs. Elles concluent dans ces mots :

When each member of the couple is able to take the other’s behavior less

personally, and assume an accepting, non-judgmental, non blaming attitude, the

relationship stands on a firmer footing. All couples could probably benefit from

developing these relationship muscles, but those coping with a disability may

derive even greater benefit from interventions such as this one. (Auclair et al, p.

145)

Finalement, à partir de leur expérience, les auteures résument des attitudes qu’il est préférable

de retrouver chez les intervenants qui œuvrent auprès des couples concernés par la maladie.

Parmi celles-ci, on retrouve la sensibilité aux dimensions culturelles et religieuses des

partenaires qui peuvent influencer leur relation, une attention à l’histoire du couple afin

d’évaluer sa capacité à faire face à l’adversité, et une préoccupation à moduler l’intensité

émotive du contenu apporté en fonction de la capacité des conjoints à la gérer.

Cette attention portée à l’histoire du couple est présente de façon plus concrète dans cette

autre approche, cette fois-ci inspirée du courant narratif, qui a été développée par des

travailleurs sociaux pour intervenir auprès de couples vivant avec l’Alzheimer. Ingersoll-

36

Dayton, Spencer, Kwak, Scherrer, Allen et Campbell (2013) rapportent avoir adapté un

modèle d’intervention utilisé auprès de personnes en fin de vie, le Legacy Therapy. Ce

modèle invite les couples à se rappeler des souvenirs agréables de leur histoire conjugale et

à créer un objet qui évoque ces moments. L’approche développée par Ingersoll-Dayton et ses

collaborateurs (2013), le Couples Life Story Approach, met l’emphase sur les forces du

couple afin de favoriser sa résilience et sa capacité d’adaptation à la maladie. Elle met en

œuvre trois éléments : amener le couple à se remémorer des événements de son histoire; lui

proposer de créer un Life Story Book dans lequel sont évoqués ces moments significatifs, à

l’aide de photos, de cartes postales ou d’autres objets; outiller les partenaires à communiquer

de façon différente pour pallier aux difficultés liées à la maladie.

Les cinq rencontres hebdomadaires prévues sont menées par un travailleur social formé à

l’approche et ont lieu au domicile des couples. L’étude a été réalisée auprès d’une vingtaine

de couples et a démontré qu’ils ont apprécié à la fois le travail collaboratif d’évocation des

souvenirs marquants de leur vie et la possibilité de revisiter et même de transformer leur

création à diverses occasions suite à l’intervention. Une plus grande complicité entre les

partenaires a été constatée, suggérant qu’ils ont davantage une approche commune face à la

maladie, qu’ils y font face en tant que couples. Les conjoints ayant bénéficié de cette

intervention ont par ailleurs identifié se sentir davantage engagés l’un envers l’autre et avoir

amélioré leur façon de communiquer.

Alors que cette étude a misé sur une intervention ciblée, Sorensen, Waldorff et Waldemar

(2008) ont évalué les effets d’une intervention qui déploie plus d’une stratégie pour soutenir

les couples touchés par la maladie d’Alzheimer. Les auteurs présentent les résultats d’une

étude qualitative qui permet d’identifier l’expérience des personnes atteintes de la maladie

d’Alzheimer et de leurs proches ayant bénéficié d’une intervention psychosociale structurée.

Cette intervention comporte un suivi personnalisé (parfois en dyade et parfois

individuellement), un groupe de soutien et d’éducation pour les personnes atteintes et un

groupe semblable pour les proches aidants, un suivi téléphonique et, finalement, un journal

de bord complété par chaque participant.

Les entrevues semi-dirigées réalisées auprès d’onze des 165 couples ayant participé au

programme ont permis de faire ressortir la grande satisfaction des participants à l’égard des

37

groupes de soutien. Les personnes atteintes ont rapporté avoir trouvé le partage avec les pairs

stimulant et aidant pour trouver des stratégies pour faire face au quotidien. Les proches

aidants, quant à eux, ont mentionné se sentir davantage outillés pour gérer leur quotidien et

aborder leur réalité avec plus de sérénité ainsi qu’un plus grand sentiment de compétence.

Les conclusions de l’article ne permettent pas d’identifier s’il y a eu des impacts sur la dyade

ciblée par l’intervention, sa qualité de relation et ses modes de communication. Toutefois,

les conjoints aidants ont identifié avoir changé leur regard sur les comportements de leur

conjoint malade et les appréhender avec moins de stress et plus d’ouverture. Les auteurs

concluent en suggérant qu’une intervention réalisée dès les débuts de la maladie améliore les

perspectives de développer des stratégies pour y faire face et préserve mieux le bien-être des

partenaires.

Les études relatant les impacts des interventions visant les couples affectés par la maladie

prennent parfois la forme d’études de cas. Balfour (2014) a publié les résultats d’une

expérience d’orientation psychanalytique s’adressant aux couples dont l’un des partenaires a

reçu un diagnostic de trouble cognitif. Son projet, le Living together with dementia,

s’intéresse aux impacts de la maladie sur le quotidien du couple. L’objectif poursuivi par

l’intervention est de soutenir les couples dans la difficile expérience de l’annonce du

diagnostic et face aux pertes et aux changements entraînés par la maladie. Ultimement,

l’intervention vise à préserver la dimension protectrice qu’offre la relation conjugale aux

partenaires amoureux.

La méthode fait appel à la captation vidéo d’images du couple en pleine réalisation d’activités

quotidiennes. Le couple est ensuite accompagné par le thérapeute dans le visionnement de

ces scènes quotidiennes pour en saisir le sens. L’étude de cas suggère que l’enregistrement

vidéo du couple en action est un outil puissant qui l’incite à se positionner autrement face à

sa réalité, l’invitant à développer un intérêt à comprendre la dynamique qui lui est propre. Le

couple est ainsi outillé à reprendre du pouvoir sur sa relation.

Par ailleurs, l’intervention porte un intérêt particulier à la dimension émotive liée à la

maladie. Ainsi, le thérapeute s’attarde à la capacité des partenaires à continuer d’être l’un

pour l’autre un réceptacle pouvant contenir les émotions plus difficiles à vivre. Il reconnaît

également la charge émotive portée par le partenaire qui devient l’aidant de la personne

38

atteinte. Le thérapeute est appelé à jouer le rôle de contenant substitut lorsque la situation est

insoutenable pour l’aidant, lui permettant à lui aussi de trouver refuge pour exprimer les

émotions qui le submergent dans cette situation difficile.

D’autres auteurs se sont plutôt intéressés aux impacts des interventions auprès des couples

sur les capacités mnésiques des personnes atteintes de la maladie. C’est le cas par exemple

de Quayhagen et Quayhagen (2001) qui, s’appuyant sur les résultats d’une recension des

études, émettent l’hypothèse que la mémoire des personnes atteintes de troubles cognitifs,

lorsqu’elle est stimulée, peut s’améliorer. Les auteurs ont préalablement réalisé deux

protocoles de recherche différents. Ils comparent ainsi les résultats de ces études.

Dans la première étude, plus d’une cinquantaine de dyades (n = 56) ont été réparties dans

trois groupes, dont le groupe bénéficiant de l’intervention, un groupe placebo et un groupe

contrôle. Les couples participant à l’intervention évaluée ont été invités à réaliser des

activités de stimulation cognitive à raison d’une heure par jour, cinq jours par semaine,

pendant douze semaines. Trois composantes de la cognition étaient abordées : mémoire,

résolution de problème, communication. Un certain nombre de séances était réservé à

chacune d’elles. Une fois par semaine, l’aidant était accompagné par un membre de l’équipe

de recherche pour développer des stratégies efficaces de stimulation de son conjoint. Les

résultats de cette première recherche permettent d’avancer que les personnes atteintes de la

maladie qui ont bénéficié de l’intervention de stimulation cognitive ont vu leur mémoire

immédiate et leur communication s’améliorer. Les données ne sont cependant pas

statistiquement significatives quant à l’amélioration de la capacité à résoudre des problèmes.

Les couples qui composaient le groupe expérimental ont maintenu leur degré d’interactions,

ce qui n’a pas été observé chez le groupe contrôle.

Afin d’avoir les mêmes paramètres de comparaison entre les deux études, Quayhagen et

Quayhagen (2001) ont retenu les données de la seconde étude qui concernaient uniquement

les dyades rencontrant les mêmes caractéristiques (stade de la maladie, conjugalité). Un

échantillon de 30 couples a donc été retenu pour la comparaison. Quelques modifications ont

été apportées au protocole d’intervention. Tout d’abord, le temps d’intervention a été réduit,

passant de douze à huit semaines. Puis, à chaque semaine, les activités proposées touchaient

aux trois composantes de la cognition identifiées précédemment. Les mêmes outils de mesure

39

ont été utilisés. Ils révèlent que les fonctions cognitives des personnes atteintes de la maladie

se sont améliorées, à l’instar du premier groupe étudié. Le maintien des interactions

conjugales n’est toutefois pas statistiquement significatif, même si les données qualitatives

permettent d’avancer que les couples ont bénéficié de l’intervention sur ce plan également.

Les résultats de la comparaison entre ces deux interventions mènent à la conclusion que la

durée de l’intervention n’influence pas de manière statistiquement significative les effets sur

les fonctions cognitives des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Cependant, il

semble que la version longue de l’intervention permette d’améliorer davantage les capacités

mnésiques des participants. Selon les auteurs, cela s’explique par l’emphase qui a été mise

sur des activités spécifiques à la mémoire dans les sept premières semaines de l’intervention.

Par ailleurs, les résultats des deux études comparées permettent d’avancer que l’implication

active du conjoint dans une intervention de stimulation cognitive est un complément positif

à celle-ci. Mais les auteurs invitent à réaliser des recherches supplémentaires afin de vérifier

cette hypothèse, d’en déterminer les conditions et d’en identifier plus précisément les

impacts.

En résumé, cette recension des écrits nous permet d’avancer que l’intervention auprès des

couples est pertinente et favorise l’atteinte d’objectifs qu’une intervention individuelle ne

peut atteindre. Elle nous amène également à constater que les différents modèles théoriques

ont permis de développer des approches diversifiées ouvrant sur des perspectives aussi

diversifiées que prometteuses. La recherche sur ce sujet est cependant à parfaire afin de

mieux saisir toutes les dynamiques qui peuvent se déployer dans une intervention s’adressant

à des dyades.

Nous poursuivons notre exploration en tournant notre regard vers les études scientifiques qui

rapportent les résultats d’expériences réalisées en art-thérapie. Mais, comme l’art-thérapie

implique une démarche de création et fait conséquemment appel à la créativité des personnes

qui la vivent, un bref détour par les études qui traduisent les effets de la pratique artistique et

de la créativité sur les aînés est d’abord fait.

40

2.2 Recension des écrits sur l’expression artistique et les personnes âgées

De nombreuses études émettent l’hypothèse que la créativité, lorsqu’elle est stimulée chez

les personnes âgées, a des bienfaits à plusieurs égards (Cohen, Perlstein, Chapline, Kelly,

Firth et Simmens, 2006; Fraser, Bungay et Munn-Giddings, 2014; O’Shea et Léime, 2012;

Patterson et Perlstein, 2011; Price et Tinker, 2014; Reynolds, 2010; Schmidt, 2006). O’Shea

et Léime (2011) vont même jusqu’à proposer que l’absence de possibilités de créer aurait des

impacts négatifs sur la qualité de vie des personnes âgées, en particulier lorsqu’elles sont

hébergées.

O’Shea et Léime (2012) ont étudié les effets du Bealtaine Arts Program, un événement

annuel se déroulant en Irlande, lors duquel une invitation est lancée aux personnes âgées de

participer à des activités artistiques aux modalités diversifiées. Les résultats suggèrent que la

pratique artistique favorise l’expression de soi et la reprise de pouvoir sur sa vie, améliore la

qualité de vie et valorise les interactions sociales. D’autres études appuient ces résultats en

spécifiant que la pratique d’activités créatives améliore la santé en renforçant le système

immunitaire (Cohen, 2006) et les fonctions cognitives (Cohen, 2006; Fraser et al, 2014;

Pattterson et Perlstein, 2011) des participants âgés.

Les résultats les plus observés concernent cependant les bienfaits psychologiques de la

pratique de l’art. L’accomplissement de soi, la continuité, la confiance en soi, le sens du

contrôle, l’expression des émotions, besoins et désirs, n’en sont que quelques exemples

(Cohen, 2006; Fisher et Specht, 1999; O’Shea et Léime, 2011; Patterson et Perlstein, 2011;

Reynolds, 2010; Schmidt, 2006). L’estime de soi et le sens de l’identité semblent également

être préservés par l’art (Reynolds, 2010).

Finalement, la pratique artistique permet dans certains cas d’oublier les douleurs physiques

et de se concentrer sur des activités constructives, ce que Fisher et Specht (1999) appellent

le getting outside oneself (p. 465).

La pratique des arts semble également apporter des bienfaits au niveau relationnel. Les

participants à un groupe d’arts visuels ont rapporté une amélioration de leurs interactions

sociales avec les membres de leur famille et leurs amis dans leur quotidien et ce bénéfice

aurait perduré au-delà des quatre mois suivant l’activité (Reynolds, 2010). Dans le cadre du

41

Bealtaine Arts Program, un membre du personnel d’un centre d’hébergement pour personnes

âgées décrit les changements observés chez les personnes ayant bénéficié du programme :

Their awareness of available activities in the community outside the hospital has

grown and they now value their own creative potential and their knowledge of

traditions. As a result, their interaction with the staff has changed and is now

predicated more on the basis of equality – they now feel empowered to initiate and

demand specific types of artistic events for themselves. (O’Shea et Léime, 2012, p.

862)

Fisher et Specht (1999), ont réalisé une étude exploratoire dans laquelle ils ont interviewé

près d’une quarantaine d’artistes âgés de 60 ans et plus (n = 36) à propos du sens que prennent

pour eux le vieillissement réussi et la créativité. Il ressort de l’étude que la créativité est

associée à un vieillissement satisfaisant. Cela se traduit notamment par un sentiment

d’accomplissement et la possibilité de se projeter dans un avenir réjouissant.

En somme, la recherche suggère que la pratique artistique est associée à une meilleure qualité

de vie et une santé optimale. Elle suggère également que l’expression artistique améliore la

qualité des relations des aînés. Maintenant, qu’en est-il lorsque cette pratique artistique se

déroule dans un contexte art-thérapeutique?

Très peu d’études se sont intéressées spécifiquement aux effets de l’art-thérapie sur les

couples dont l’un des partenaires est atteint de trouble cognitif. Toutefois, plusieurs

expériences d’intervention art-thérapeutique réalisées auprès des personnes touchées par la

maladie d’Alzheimer sont relatées dans la littérature. Les résultats de l’exploration de ce

corpus sont présentés ici.

2.3 Recension des écrits sur l’art-thérapie et la maladie d’Alzheimer

Comme il a été mentionné d’entrée de jeu, la recherche scientifique en art-thérapie ne s’est

pas encore intéressée à l’intervention auprès des couples, du moins lorsqu’ils sont confrontés

à la maladie. Très peu d’études portant spécifiquement sur des interventions qui s’adressent

aux personnes atteintes de la maladie et à un proche sont ressorties de notre recension. Par

contre, les troubles cognitifs constituent un champ d’intérêt grandissant pour la recherche et

l’intervention en art-thérapie. Ainsi, la présente recension des écrits couvre plus largement le

thème de l’intervention en art-thérapie auprès des personnes touchées par les troubles

cognitifs.

42

Par ailleurs, la littérature scientifique en art-thérapie inclut parfois d’autres modalités que les

arts visuels, notamment la musicothérapie, la dramathérapie ou encore la thérapie par la danse

et le mouvement. Cela s’explique en partie parce que dans certaines régions du monde, l’art-

thérapie est perçue dans sa globalité, embrassant toutes les modalités artistiques. Bien qu’au

Québec des liens existent entre les différentes formes de thérapie par les arts, il est admis que

l’expression « art-thérapie » réfère à la modalité qui recourt aux arts visuels. Dans la présente

recension des écrits, nous nous limiterons, lorsque c’est possible, à ces expériences. Si toutes

les modalités artistiques sont impliquées, il sera plutôt question dans le texte de thérapies par

les arts.

Tout d’abord, il importe de souligner le peu d’études scientifiques s’étant attardées aux effets

de l’art-thérapie en général, tel que le déplorent Slayton et ses collaborateurs (2010). Les

auteures concluent toutefois que la recherche, qui est en expansion, démontre les impacts

positifs de l’art-thérapie sur une variété de symptômes et pour des populations aussi

diversifiées. De façon générale, les études associent les bienfaits de l’art-thérapie à une santé

optimale : « Art therapy offers healing by providing social connection, the experience of

control and the opportunity to both express and manage emotions. It offers hope by

facilitating nonverbal communication and providing opportunity to create meaning through

life review. » (Johnson et Sullivan-Marx, 2006, p. 309).

Dans une récente revue de littérature, Cowl et Gaugler (2014) ont tenté de déterminer

l’efficacité et les bénéfices des thérapies par les arts dans le traitement de la maladie

d’Alzheimer. Les auteurs ont analysé le contenu de plus d’une centaine d’articles (n = 112),

dont 39 portaient sur les effets de l’art-thérapie tandis que les autres s’intéressaient à d’autres

formes de thérapie par les arts. Les résultats des études quantitatives mènent sensiblement

aux mêmes conclusions que les études qualitatives, c’est-à-dire qu’une intervention faisant

appel à l’art favorise une amélioration des comportements et des affects chez ces personnes.

Toutefois, les résultats ne permettent pas de conclure à une amélioration des fonctions

cognitives des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer qui ont bénéficié d’une

intervention en art-thérapie. Les études quantitatives se sont penchées principalement sur les

critères suivants : agitation, comportement, cognition, dépression et humeur. Les protocoles

qualitatifs ont évalué sensiblement les mêmes critères, en ajoutant une attention à d’autres

43

dimensions telles que la socialisation et la communication entre les participants, les relations

avec le personnel soignant et l’empowerment. Il semble qu’il n’y ait pas de modalité artistique

qui soit plus efficace qu’une autre, sauf peut-être la musicothérapie qui pourrait, à certains

égards, mener à des conclusions statistiquement plus significatives.

Une autre recension des écrits, effectuée par Chancellor, Duncan et Chatterjee (2014), s’est

également attardée aux impacts des expériences d’art-thérapie réalisées auprès des personnes

atteintes de troubles cognitifs. Cette fois-ci, les auteurs ont élargi l’étendue de leur recherche

en incluant des études réalisées entre 1980 et 2013. Il ressort de ces études, qui ont

majoritairement des devis qualitatifs, que l’art-thérapie favorise l’attention, procure du plaisir

et améliore les comportements et l’affect des personnes atteintes. À cela s’ajoutent une plus

grande estime de soi, un renforcement de la communication et une réduction de certaines

dispositions telles que l’anxiété, l’agitation et la dépression. À l’instar de certaines études

empruntant d’autres modalités d’intervention, les études recensées par Chancellor et ses

collaborateurs ne parviennent toutefois pas à démontrer que ces effets perdurent au-delà de

l’intervention.

Ces auteurs se sont intéressés notamment à l’impact des visites d’exposition dans des musées

sur les dyades composées d’une personne atteinte de trouble cognitif et d’un proche aidant.

L’exemple de l’expérience réalisée au Museum of Modern Art est rapporté. Le programme

s’est échelonné sur une période de neuf mois, à raison d’une visite mensuelle. L’étude révèle

une amélioration de l’humeur des dyades (n = 37) pendant et suite à la visite ainsi qu’une

augmentation de l’estime de soi des participants. Les proches aidants ont également rapporté

vivre moins de difficultés émotionnelles et se sentir moins isolés. L’article rapporte d’autres

expériences en musée auxquelles s’ajoutent des activités artistiques. Des résultats semblables

en émergent.

Les auteurs suggèrent que les bienfaits associés à l’art-thérapie sont relatifs à ces trois

composantes : l’art-thérapie met l’accent sur le maintien des capacités plutôt que sur leur

développement; elle offre aux personnes qui ont des difficultés d’expression verbale un canal

d’expression de leurs émotions; l’expression créatrice engendre une énergie que l’on nomme

flow et qui est directement reliée au bien-être.

44

L’article se conclut sur des considérations méthodologiques à mettre de l’avant dans les

perspectives de recherche en art-thérapie. Par exemple, les études recensées contiennent des

lacunes dans la composition des échantillons, lesquels manquent parfois d’homogénéité. Le

rôle de l’art-thérapeute et le choix des médiums artistiques soulèvent des questions dans les

protocoles de recherche analysés. Par ailleurs, les protocoles de recherche devront tenir

compte des impacts de l’intervention sur le long terme.

Une autre recension des écrits qui a retenu notre attention a été réalisée par Beard (2011).

L’auteure reconnaît que la recherche en art-thérapie recourt moins aux méthodologies de la

recherche traditionnelle qui s’appuient davantage sur des données quantitatives, notamment.

Elle l’explique par le fait que les art-thérapeutes ont développé des aptitudes en observation

et description détaillée des expériences, mettant conséquemment davantage en œuvre des

protocoles exploratoires et qualitatifs. Elle déplore que les chercheurs dans ce domaine

négligent de développer des protocoles expérimentaux. Aussi, par sa recension des écrits,

Beard (2011) tente de répondre à des questions d’ordre méthodologique telles que le focus

de la recherche actuelle en art-thérapie, les types de protocole mis en œuvre, les résultats

obtenus et ce que l’on peut en déduire quant à l’efficacité de cette approche.

L’auteure a recensé des études (n = 134) mettant en œuvre des interventions en art-thérapie

effectuées entre 1990 et 2010. Les études recensées se concentrent essentiellement sur les

effets de l’art-thérapie sur les comportements perturbateurs pouvant émerger lors du

développement des troubles cognitifs, mais certaines d’entre elles s’intéressent également à

l’empowerment suscité par l’art-thérapie ou encore l’espoir, la santé et la croissance qu’elle

permet de développer.

Certaines études recensées concluent à des résultats immédiats tels que des moments de

qualité vécus pendant les interventions et l’expression des émotions difficiles, suscitées par

la maladie et les deuils qui lui sont reliés. Beard (2011) suggère également que l’interaction

est essentielle en art-thérapie afin de favoriser le pouvoir guérissant de l’image et pour

encourager l’expression de soi. Elle rappelle aussi que les personnes atteintes de la maladie

d’Alzheimer peuvent encore apprendre et accomplir de nouvelles choses, en dépit de la

maladie. Selon Beard (2011), le potentiel de l’art-thérapie à favoriser la communication non

verbale et la qualité de présence ressort des études analysées. De plus, les activités art-

45

thérapeutiques ne prendront du sens pour la personne atteinte de la maladie d’Alzheimer que

lorsqu’elle éprouvera du plaisir à y participer, qu’elle y vivra un sentiment d’appartenance et

qu’elle y expérimentera l’autonomie et le sentiment de son identité.

L’auteure conclut par une invitation à la communauté des chercheurs en art-thérapie à mettre

en œuvre des protocoles de recherche pouvant mesurer de manière appropriée, compte tenu

des particularités des personnes atteintes de troubles cognitifs, des variables telles que la

qualité de vie et le bien-être subjectif. Elle invite également à employer des méthodes de

recherche ayant recours à des échantillons homogènes et représentatifs de la population à

l’étude et permettant de mesurer avec fiabilité les données recueillies à partir de critères

clairement définis.

Dans ce contexte, il importe de rappeler l’intérêt que revêt la recherche qualitative en art-

thérapie pour son apport à une meilleure compréhension de l’approche encore peu connue et

de ses impacts pour les personnes qui en bénéficient. Aussi, les études que nous avons

recensées présentent des protocoles expérimentaux mais également des stratégies autres,

telles que l’étude de cas.

La recension des écrits réalisée ne nous a menée qu’à une seule étude présentant les résultats

d’une intervention en art-thérapie auprès d’un couple touché par la maladie d’Alzheimer. À

travers cette étude de cas, deux art-thérapeutes, Sezaki et Bloomgarden (2004), explorent les

impacts de l’art-thérapie lorsqu’elle est pratiquée à la maison. Les auteures précisent à prime

abord que ce contexte d’intervention nécessite souplesse et capacité d’adaptation chez l’art-

thérapeute. Car il y a fort à parier qu’il sera appelé à réagir face à des imprévus reliés au

caractère non contrôlé du lieu de l’intervention. Des proches et amis pourraient se présenter

de manière impromptue et l’art-thérapeute serait appelé à transformer ces distractions en

occasions de servir la dynamique conjugale et les objectifs poursuivis par l’intervention. Par

ailleurs, l’accès au monde intime de la personne donne beaucoup d’informations sur sa

personnalité et ses dynamiques relationnelles. Pour illustrer leurs propos, les auteures

rapportent le cas d’un couple ayant bénéficié d’une intervention à la maison. L’homme est

atteint de la maladie d’Alzheimer et sa conjointe le soutient. L’intervention visait à améliorer

la communication dans leur couple. Lors d’une séance, le fils a visité ses parents pendant une

rencontre d’art-thérapie. L’intervenant l’a invité à se joindre à eux pour faire l’activité

46

proposée, ce qu’il a accepté. Il a partagé par la suite, avec émotions, avoir vécu un véritable

échange avec son père alors que ce n’était pas arrivé depuis l’annonce de la maladie. Bref,

l’intervention a permis à la famille de développer de nouveaux modes de communication et

de mieux comprendre les limites imposées par la maladie, tout en développant des stratégies

d’adaptation.

Par ailleurs, elle a aussi amené le couple à développer des outils relationnels leur permettant

de mieux composer avec leur situation. L’art-thérapeute a utilisé des outils en dyade, tels que

le squiggle ou encore la conversation visuelle1 pour stimuler les échanges entre les

partenaires. Dans l’expérience, la conjointe a compris que lorsqu’elle donnait une direction

claire au dessin, son mari arrivait à la suivre sans confusion. En observant son conjoint

interagir avec l’art-thérapeute, toujours par le dessin, elle a également découvert qu’il peut

prendre l’initiative de la relation s’il y est encouragé et qu’il peut établir des liens de

confiance avec d’autres personnes, ce qui l’a incitée à prendre du temps pour elle-même, en

acceptant de confier son époux à un proche.

D’autres auteurs se sont intéressés à l’art-thérapie pratiquée auprès des couples dans une

toute autre perspective. Souhaitant développer un outil art-thérapeutique permettant

d’identifier les dynamiques relationnelles et individuelles des couples, Snir et Wiseman

(2013) ont procédé à une analyse qualitative des 120 dessins faits conjointement par une

soixantaine de couples (n = 60). Les analyses réalisées à partir des dessins et des captations

vidéo de leur réalisation ont fait émerger trois patrons distincts : équilibré, compliqué,

déconnecté. Ces patrons sont également inspirés de la théorie de l’attachement. Les auteurs

soumettent l’hypothèse qu’un quatrième patron relationnel pourrait exister, tel qu’on l’a vu

apparaître dans la théorie de l’attachement. Il permettrait de classer les quatorze couples qui

ne correspondaient à aucun des patrons identifiés. Toutefois, les auteurs suggèrent qu’il peut

aussi être trop difficile de déterminer une classification qui permettrait d’englober toutes les

réalités conjugales. Dans ce sens, ils affirment l’importance d’outils d’évaluation art-

thérapeutiques dans l’intervention conjugale, car ils procurent davantage d’informations sur

les dynamiques conjugales que ne le fait une entrevue verbale mais invitent à une utilisation

1 Le squiggle est un gribouillis à partir duquel on crée une image et la conversation visuelle consiste en un

dessin créé en silence par deux personnes qui font des traits et construisent l’image à tour de rôle.

47

prudente, en les utilisant comme une source d’information davantage que comme un outil de

diagnostic.

Une autre auteure propose d’utiliser le dessin comme outil d’évaluation, cette fois-ci auprès

d’individus atteints de troubles cognitifs (Lesniewska, 2015). Ses recherches s’appuient

d’abord sur la forte utilisation du dessin de la maison dans l’évaluation de diverses

populations auprès de qui les art-thérapeutes interviennent (enfants, adolescents et adultes)

mais également sur le fait que des difficultés au niveau de l’apraxie constructive soient

observées chez les personnes atteintes, parfois dès l’arrivée de la maladie. Ce symptôme se

traduit notamment par une difficulté à représenter des objets en 3D ou encore à définir les

relations entre les objets. Afin de documenter ses propos, Lesniewska (2015) a réalisé trois

études. La première compare les dessins de maison de 40 personnes âgées de 76 ans en

moyenne à ceux de 60 jeunes adultes âgés de 32 ans en moyenne. La seconde étude

s’intéresse aux personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, ayant en moyenne un score de

13,7 au MMSE (n = 50). L’auteure compare leurs dessins à ceux d’un groupe témoin

composé de personnes âgées n’ayant pas de trouble cognitif. Finalement, dans une troisième

étude, l’auteure analyse les dessins d’une vingtaine de personnes âgées (n = 20) atteintes de

la maladie d’Alzheimer au stade léger en les comparant à un groupe témoin de personnes

âgées non atteintes de trouble cognitif. L’auteure a pu classer les œuvres selon quatre stades

évolutifs marquant les transformations qui s’opèrent dans la réalisation des dessins de

maison. Par exemple, les dessins des personnes atteintes d’Alzheimer sont plus pauvres en

ajouts, plus petits, moins bien centrés. On retrouve aussi dans leurs dessins des incongruités,

une asymétrie, des déformations, des gribouillis. Ces observations peuvent être faites dès les

premiers stades de la maladie. Cela permet à l’auteure d’avancer qu’il est possible, à l’aide

de cet outil d’évaluation, d’obtenir de l’information sur le stade évolutif de la maladie chez

un individu. Toutefois, Lesniewska (2015) observe que les dessins des personnes atteintes de

la maladie d’Alzheimer qui ont un passé d’artiste sont moins affectés par les symptômes liés

à la maladie même s’ils révèlent aussi une détérioration des capacités d’expression artistique.

Tel qu’il a été évoqué dans la revue de littérature réalisée par Chancellor, Duncan et

Chatterjee (2014), des milieux de plus en plus diversifiés tels que les musées, accueillent des

expériences art-thérapeutiques. Camic, Tischler et Pearman (2014) affirment avoir réalisé la

48

première étude (n=24) sur les impacts de l’art-thérapie lorsqu’elle est effectuée dans une

galerie d’art. L’intervention hebdomadaire d’une durée de huit semaines, offerte à des

personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer à un stade léger ou modéré et à leur proche-

aidant se déroulait dans deux galeries d’art, l’une de nature traditionnelle et l’autre

promouvant l’art contemporain. Les rencontres consistaient en une heure de visite de la

galerie et une heure de création. Une méthodologie mixte avec pré et post-test a été utilisée,

les données étant recueillies à l’aide de questionnaires standardisés et d’entrevues. Les

résultats issus des mesures quantitatives ne permettent pas de conclure à une efficacité de

l’intervention mais l’analyse du contenu des entrevues indique que cette approche a permis

aux aidants de ressentir un allègement de leur fardeau et aux dyades, d’améliorer la qualité

de leur relation. Les auteurs attribuent ces conclusions au petit nombre de personnes ayant

constitué l’échantillon et recommandent que des études plus vastes soient entreprises, tout en

maintenant la dimension qualitative de la recherche qui est appropriée pour une intervention

de ce type.

D’autres études recensées ont été réalisées à l’intérieur de devis pré ou quasi-expérimentaux.

Par exemple, plusieurs auteurs se sont penchés sur une expérience réalisée au sein d’une

Association Alzheimer californienne, Memories in the Making (Brodaty et Low, 2004; Gross,

Danilova, Vandehey et Diekhoff, 2015; Kinney et Rentz, 2005). Ce programme d’activités

artistiques s’adresse à des personnes dont la maladie d’Alzheimer est à un stade léger ou

modéré et vise à stimuler les participants et à leur procurer du plaisir à être impliqués dans

un processus créatif. Les objectifs du projet sont d’accroître le sentiment de bien-être,

d’augmenter l’estime de soi et d’améliorer la qualité de vie des participants en leur offrant la

possibilité de créer quelque chose ayant une valeur reconnue. Une étude exploratoire (Kinney

et Rentz, 2005) a déjà permis de déterminer que l’atteinte de ces objectifs est réaliste.

Toutefois, d’autres auteurs (Gross et al, 2015) remettent en question la fiabilité de l’outil de

mesure utilisé, sauf en ce qui concerne deux variables. Se basant sur les résultats obtenus

pour ces dernières, ils affirment que l’intervention en art-thérapie est fertile et procure un

bien-être aux personnes qui en bénéficient. Ils concluent cependant qu’il est encore difficile

de démontrer l’efficacité de l’art-thérapie dans une démarche scientifique.

49

Dans le cadre d’un devis quasi-expérimental, Rusted, Sheppard et Waller (2006) ont évalué

les impacts de l’art-thérapie à court et à long terme auprès de groupes de personnes atteintes

de troubles cognitifs, et plus particulièrement les effets sur l’humeur et les capacités

cognitives des participants. Ainsi, un total de 45 personnes réparties en un groupe d’art-

thérapie et un groupe d’activités récréatives ont participé à l’étude. Les rencontres ont eu lieu

à une fréquence hebdomadaire pendant 40 semaines. Des mesures standardisées de la

cognition, de la dépression, des comportements, de la sociabilité, du bien-être et de l’humeur

ont été prises à six moments avant, pendant et suite à l’intervention. Des mesures de six autres

variables ont été prises après chaque séance pour apprécier son impact immédiat. Des

données qualitatives ont également été recueillies à l’aide d’un journal de bord complété

chaque semaine par l’art-thérapeute ainsi que l’analyse du processus de création de chaque

personne. Les résultats suggèrent que les deux groupes ont tiré profit de leur intervention

respective mais que les effets de l’art-thérapie sont plus prononcés et durables.

Une autre étude au devis expérimental cette fois-ci a été réalisée par une équipe japonaise

(Hattori, Hattori, Hokao, Mizushima et Mase, 2010) afin de déterminer l’efficacité d’une

approche en art-thérapie auprès d’une population touchée par la maladie d’Alzheimer.

Hattori et ses collaborateurs (2010) ont comparé les effets d’une intervention en art-thérapie

à ceux d’une activité d’apprentissage de calcul. Les participants (n = 43) ont donc été divisés

dans ces deux groupes, qui se sont rencontrés une fois par semaine pendant douze semaines.

Ils étaient accompagnés d’un proche. Les participants étaient également invités à poursuivre

leurs activités pour une période quotidienne de quinze minutes. Les activités artistiques se

traduisaient par le coloriage de dessins abstraits, une façon de faire peu privilégiée en art-

thérapie en Europe et en Amérique du Nord. Nous aurons l’occasion d’y revenir. Les

chercheurs ont eu recours à divers outils standardisés pour recueillir les données à analyser.

Les résultats suggèrent que les participants du groupe d’art-thérapie ont bénéficié de

l’intervention au niveau de leur vitalité, tandis que ceux du groupe de calcul ont vu leurs

fonctions cognitives s’améliorer. Il semble également que les participants au groupe

d’intervention en art-thérapie aient profité d’une amélioration de leur qualité de vie. Tous les

autres éléments étudiés (comportement et épuisement de l’aidant par exemple) ne

présentaient pas de différence statistiquement significative suite à l’intervention. Les auteurs

50

expliquent cette conclusion en partie par le petit nombre de participants à l’étude ainsi que

par la courte durée de l’intervention.

Les études de cas réalisées en art-thérapie permettent de saisir autrement les effets de ce type

d’intervention sur des situations spécifiques rencontrées par des personnes touchées par la

maladie d’Alzheimer. L’étude de cas réalisée par Peisah, Lawrence et Reutens (2011) et dont

le sujet est une dame de 82 ans hébergée en établissement et atteinte de sévères troubles

cognitifs accompagnés de comportements agressifs en est un exemple. Lors des rencontres

d’art-thérapie, la patiente était calme, se concentrait sur ses créations et terminait les

rencontres dans un état d’esprit positif qui perdurait parfois quelques heures au-delà de

l’intervention. En dépit des pertes liées à la maladie, elle arrivait à créer des œuvres offrant

une qualité esthétique. En outre, le personnel soignant pouvait suggérer à la dame de dessiner

lorsqu’elle devenait agressive et cette activité la calmait aussitôt. Ainsi, l’art est devenu un

outil quotidien de gestion de son agressivité. La dame a pu joindre un groupe d’art-thérapie

où elle a continué de s’exprimer calmement.

En résumé, retenons que la recherche en art-thérapie a surtout adopté des méthodologies

exploratoires et qualitatives, ce qui est plus proche de sa philosophie de la pratique qui

accorde une grande place à l’observation et à la description détaillée et ouverte des processus

de création. Bien que cela comporte des avantages tels que celui de saisir en profondeur

l’expérience vécue, la recherche actuelle est encore à parfaire pour établir un cursus de

connaissances scientifiques qui permette d’évaluer avec justesse la contribution spécifique

de l’art-thérapie à l’intervention auprès des personnes qui doivent composer avec un trouble

cognitif. Cette recension des écrits nous permet également de constater que très peu d’études

impliquant des couples ont été réalisées. Les connaissances actuelles sur cette question sont

encore élémentaires. Les résultats qui émergent de cette recension des écrits suggèrent

néanmoins de façon suffisamment convaincante que l’art-thérapie peut entraîner un

changement significatif chez les personnes qui en bénéficient. Ce changement se traduit par

exemple par une amélioration des comportements, des affects et de l’humeur. Retenons aussi

l’impact positif de l’art-thérapie sur la capacité à communiquer et à interagir avec son

environnement. La recherche doit toutefois continuer de se développer et de mettre en œuvre

51

des protocoles aussi diversifiés que méthodologiquement rigoureux, en intégrant des

approches quantitatives.

2.4 Éléments à retenir pour l’intervention

La recension des écrits a permis de valider en premier lieu la pertinence d’offrir une

intervention qui s’adresse aux deux conjoints parce que cette façon de faire semble avoir des

impacts plus grands notamment sur la communication dans le couple, sur la détresse

psychologique des conjoints aidants et sur le fonctionnement relationnel des dyades.

Globalement, ces interventions conjugales visent à permettre aux couples de s’adapter à la

situation qu’ils rencontrent et ce, à travers différentes composantes que nous regroupons sous

trois thèmes : la communication; le bien-être des partenaires; les stratégies de coping.

Nous avons vu que la communication dans le couple est un facteur favorable à une relation

satisfaisante. Les interventions qui tiennent compte de cette composante visent à permettre

aux conjoints d’exprimer leurs émotions et préoccupations liées à la situation mais également

à leur permettre de nommer clairement leurs besoins. Dans les différentes interventions

recensées, les partenaires sont entraînés à mettre en œuvre des stratégies de communication

harmonieuse et ouverte.

Bien que la relation conjugale soit au cœur des interventions recensées, le bien-être des

partenaires qui la composent est également une préoccupation et devient une condition

favorisant l’atteinte des objectifs de l’intervention. Ainsi, diverses stratégies sont élaborées

afin de permettre aux couples confrontés à la maladie d’assurer le bien-être des personnes

qui les composent. Parmi celles-ci, soulignons la place accordée au vécu de chacun des

partenaires qui se traduit dans des espaces d’expression de leur vécu et dans différentes

activités qui leur sont spécifiquement adressées, telles que des activités physiques adaptées.

Les interventions sont également orientées vers l’amélioration des comportements et des

habitudes de vie.

Finalement, les interventions recensées visent à permettre aux couples ciblés de développer

des stratégies de coping, c’est-à-dire des outils et des comportements qui leur permettent de

faire face à la situation de manière optimale. Ces interventions prévoient notamment des

séances d’informations sur la maladie et son évolution possible et sur les ressources

52

existantes mais aussi l’appropriation d’outils de gestion du stress afin de favoriser la

diminution de l’anxiété ressentie par les partenaires. Elles visent également la consolidation

de la capacité des partenaires à s’accorder du soutien mutuel.

La recension des écrits sur l’art-thérapie permet de constater l’apport de ce type

d’intervention aux composantes identifiées précédemment. Par exemple, parce que l’art offre

une voie alternative pour communiquer ce que les mots ont peine à dire, l’art-thérapie peut

contribuer à améliorer la communication entre les partenaires. Aussi, le plaisir ressenti lors

de la création peut favoriser le mieux-être des individus et donc indirectement influencer la

qualité de la relation. Il en va de même pour l’impact de l’art-thérapie sur l’amélioration de

l’estime de soi.

Les interventions recensées nous semblent se situer davantage dans une perspective

préventive puisque les couples ciblés vivent encore, pour la plupart, dans leur domicile. On

peut donc avancer que, dans les cas où il s’agit d’un trouble cognitif, la maladie en est aux

premiers stades de son évolution.

Nous retenons également qu’une intervention qui s’ajuste aux besoins des couples offre une

plus grande possibilité d’améliorer ce qui est propre à leur relation. Ainsi, les interventions

qui se déploient avec souplesse et qui ne se présentent pas sous la forme d’un programme

rigide dont les activités sont préalablement établies offrent cette possibilité d’orienter

l’intervention vers les besoins spécifiques des couples.

Finalement, nous retenons que le lieu de l’intervention a aussi une influence et que le

domicile du couple offre des avantages considérables. À ce propos, rappelons l’étude réalisée

par Sezaki et Bloomgarden (2004) qui rapporte les avantages d’intervenir dans le milieu de

vie des couples : l’accessibilité à leur intimité; la stabilité et la sécurité d’un environnement

connu par les partenaires; la charge signifiante du milieu de vie qui contient des symboles

représentant l’histoire de vie du couple (photos, cadeaux-souvenirs, etc.).

Cette recension des écrits traduit la gamme variée des modèles théoriques qui influencent la

pratique de l’intervention psychosociale auprès des couples confrontés à la maladie.

Toutefois, le processus de recherche nous invite à en choisir quelques-uns qui encadreront

plus particulièrement l’intervention étudiée. Ces choix font l’objet du prochain chapitre.

53

L’art est le plus court chemin de l’homme à l’homme.

André Malraux

CHAPITRE 3 : CADRE THÉORIQUE

Pour encadrer la recherche et donner un premier sens à la réalité étudiée, trois perspectives

théoriques sont retenues et présentées dans ce chapitre. D’abord, la théorie des systèmes

constitue l’un des principaux fondements du service social et plusieurs des concepts

développés dans ce cadre offrent des explications aux dynamiques relationnelles qui se jouent

entre deux personnes. La théorie constructiviste a également influencé l’intervention sociale

en introduisant notamment l’idée que la réalité est une construction qui se fait dans le

dialogue. Elle a donné naissance à l’interactionnisme symbolique, une perspective qui tente

d’expliquer la dimension symbolique présente en toute forme de relation. Finalement, la

théorie gestaltiste, qui fonde une approche importante en art-thérapie, est basée sur le principe

que l’être humain établit des modes relationnels teintés de mécanismes de défense qui se sont

cristallisés avec le temps. Elle propose différentes façons de transformer ces modes

relationnels. La conduite de l’intervention qui sera mise en œuvre et documentée dans cette

recherche et la lecture des données qui en émergera seront éclairées par les trois perspectives

théoriques présentées dans ce chapitre.

Ensuite, une synthèse de ces approches théoriques sera développée afin notamment d’en

identifier les composantes qui seront particulièrement pertinentes pour les fins de cette

recherche. Finalement, l'intervention se trouvant au cœur de cette thèse sera décrite et son

modèle logique sera présenté.

3.1 La théorie systémique

De multiples ouvrages traitent en détails de l’évolution de la pensée systémique. Le but ici

est de retracer l’essentiel de cette histoire et ce qu’il en ressort de spécifique à l’intervention

auprès des couples. Plusieurs écoles systémiques ont eu pignon sur rue aux États-Unis, en

Europe, au Québec et au Canada. Celle qui est le plus souvent évoquée est sans doute l’école

54

de Palo Alto (1952-1962), qui a joué un rôle fondamental dans le développement de la

systémique, notamment en mettant sur pied le Mental Research Institute (Wittezaele et

Garcia, 1995; Côté, 2008). Il est intéressant de souligner également le rôle que des

travailleurs sociaux ont joué dans le déploiement de la théorie et de la pratique systémiques

(Côté, 2008). Par exemple, à la fin des années 1950, Heyda Denault, de l’Université Laval,

et Myer Katz, de l’Université McGill, tous deux travailleurs sociaux, ont intégré la

perspective systémique dans leur travail avec les familles. Katz a fait partie de l’équipe de

thérapie familiale mise en place à l’Hôpital général juif de Montréal. Un programme de

formation à l’intervention systémique a été développé par cette équipe, programme d’ailleurs

toujours en place actuellement.

Un concept qui se retrouve au cœur de la pensée systémique est sans équivoque celui de

système. Carignan (2011) définit le système comme étant « un ensemble d’éléments en

interaction de sorte qu’une modification quelconque de l’un d’entre eux entraîne une

modification de tous les autres. » (p. 144). Ainsi, les éléments du système sont

interdépendants dans la recherche des buts qu’ils poursuivent.

Un autre concept cher à la systémique est celui de la communication. En effet, dans la

pratique de l’intervention systémique, on s’intéresse aux dynamiques relationnelles qui

s’observent à travers les façons de communiquer, d’échanger les informations, les paroles

mais aussi les gestes et les attitudes (Anaut, 2012).

La théorie systémique est née du courant de la cybernétique, « devenue par extension science

de la signification et de la compréhension des phénomènes communicationnels. » (Albernhe

et Albernhe, 2013, p. 83). La cybernétique reconnaît que les humains font partie d’ensembles

complexes dans lesquels ils entretiennent des rapports marqués par des échanges et par une

interdépendance. L’intervenant est donc invité à percevoir les personnes qu’il accompagne à

travers ce spectre. La cybernétique de premier ordre, qui s’est développée dans les années

1960 et 1970, se base sur le principe que tout système est en constante recherche d’équilibre

et de stabilité. Dans les années 1980, la perspective se transforme, la cybernétique de second

ordre reconnaissant plutôt la permanence du changement de tout système. Elle mène au

principe que « les systèmes ont des forces et des capacités d’adaptation et de

développement. » (Côté, 2008, p. 36). La cybernétique de second ordre amène un

55

changement de perspective en intégrant aussi l’intervenant dans ce système complexe. Elle

souligne qu’ « un observateur modifie toujours le système qu’il s’efforce d’observer d’une

manière, pourtant, qu’il voudrait être la plus neutre possible… » (Albernhe et Albernhe,

2013, p. 91). Ainsi, l’intervention systémique s’appuie dorénavant sur le principe que

l’intervenant fait partie du système qu’il accompagne dans le changement et qu’il l’influence

tout en étant influencé par lui. Cela a donné naissance à un autre concept, celui de la

résonance, qui fait référence aux effets des interactions et du contenu en jeu dans le système

chez l’intervenant lui-même (Elkaïm, 1995). Cet impact va à son tour générer une réaction

de la part de l’intervenant, un élément nouveau qui s’ajoute dans le système. En conséquence,

l’intervenant doit être en mesure d’identifier ce qui fait écho en lui dans le contenu abordé

lors des séances afin d’avoir des réactions appropriées, qui sont au service de la dynamique

relationnelle dans laquelle il intervient (Ausloos, 1995).

Plusieurs principes sous-tendent la théorie systémique et la distinguent de la

psychodynamique, une perspective théorique ayant aussi influencé l’intervention sociale. Par

exemple, l’école de Palo Alto dénonce la trop grande place octroyée à l’analyse des causes

passées des problèmes dans la psychodynamique et privilégie un contact ancré dans le

présent, dans la dynamique qui se joue dans l’instant (Wittezaele et Garcia, 1995). Aussi, les

systémiciens cherchent à établir un rapport égalitaire avec les personnes qu’ils

accompagnent, leur attribuant l’expertise de leur problème et des solutions à mettre en œuvre.

Selon la théorie systémique, ce qui devient le sujet de la relation d’aide « n’est plus le porteur

du symptôme mais tout le système de relations de la cellule familiale. Il ne s’agit plus de

rechercher les causes des difficultés dans le passé du « patient identifié » mais de modifier la

structure relationnelle du système familial. » (Wittezaele et Garcia, 1995, p. 192)

Albernhe et Albernhe (2013) affirment que les conflits rencontrés par les couples proviennent

essentiellement de troubles de la communication. La théorie systémique est donc privilégiée

pour comprendre et expliquer leurs dynamiques et proposer des solutions efficaces.

L’intervention systémique conjugale se traduit conséquemment par un travail sur les

dynamiques relationnelles en renforçant les modes communicationnels. Le praticien

systémicien pose des questions aux partenaires sur leur relation et remet ensuite cette

56

information en circulation dans le couple pour qu’elle y prenne un sens nouveau, inédit et

qu’elle devienne source de changement.

Concrètement, l’intervention s’amorce par la création du lien de confiance au sein duquel la

communication est rétablie, les partenaires se sentant également entendus et compris.

S’ensuivra le recyclage de l’information qui offre une nouvelle perspective à l’information

obtenue et ouvre ainsi sur des avenues de transformation encore inexplorées. Finalement,

afin de leur permettre de bien intégrer le changement, le contexte d’intervention offre au

couple la possibilité d’expérimenter la nouvelle dynamique relationnelle par des jeux de rôle

et autres techniques expérientielles (Albernhe et Albernhe, 2013). Wittezaele et Garcia

(1995) ajoutent que ce processus doit permettre d’identifier d’abord la personne qui souffre

et qui souhaite le changement, avant de définir le problème le plus concrètement possible –

en termes de comportements et d’interactions. La démarche mène aussi les partenaires à

revisiter les tentatives de solution qui ont échoué afin d’éviter de reproduire les mêmes

scénarios. Finalement, les auteurs rappellent que l’objectif de l’intervention doit être réaliste,

concret, doit pouvoir se réaliser à court terme et, surtout, être défini par le couple.

Cette expérimentation en situation caractérise d’ailleurs la pensée systémique. On voit

apparaître avec elle des observations, des enregistrements et tout ce qui favorise la mise en

lumière des dynamiques relationnelles dans l’instant présent.

L’histoire nous apprend que plusieurs approches ont été développées dans les sillons de la

systémique. On voit apparaître l’approche structurale, développée par Minuchin (1979), un

travailleur social qui a œuvré dans des milieux défavorisés. Satir (1982), une autre

travailleuse sociale, co-fondatrice de l’école de Palo Alto, développe un modèle

d’intervention qui intègre davantage une orientation humaniste, s’appuyant sur le principe

que tout être humain peut croître. On voit aussi se développer l’approche centrée sur les

solutions, aussi appelée thérapie brève.

En somme, la systémique marque à l’encre indélébile le vaste champ de l’intervention

psychosociale auprès des couples et des familles. Son caractère multidisciplinaire confirme

son influence dans plusieurs milieux de pratique (Anaut, 2012). Elle n’est toutefois pas à

l’abri des critiques. On lui reproche de ne pas assez tenir compte des dimensions sociales,

politiques et contextuelles dans sa définition des problèmes. Elle subit par exemple la critique

57

du mouvement féministe qui dénonce les rapports sociaux de genre qui prédominent dans la

sphère privée autant que publique (Côté, 2008).

En toute logique, la théorie des systèmes est influencée par son environnement auquel elle

répond à son tour. La cybernétique de second ordre, par exemple, pave la voie au

constructivisme, perspective théorique dont le principe fondamental est que la pensée

construit la réalité (Côté, 2008). Cet univers théorique est décrit dans les prochaines lignes.

3.2 Le constructivisme et l’interactionnisme symbolique

À l’instar de Saillant (2004), notons d’entrée de jeu qu’il est difficile de circonscrire la théorie

constructiviste, qui prend différentes formes et significations. Revenons alors à Berger et

Luckmann (1986), deux auteurs qui ont développé leur pensée autour du concept de la

construction sociale de la réalité, dans les années 1960. La réalité, les auteurs l’associent à

un monde intersubjectif, dont la signification est partagée entre les représentations

individuelles et les représentations sociales. « Elle est construite dans la relation dialectique

qui unit l’individu à la société : la structure sociale engendre des types d’identités, guides

pour l’action, cadres pour l’élaboration des identités personnelles, lesquelles, en retour,

influencent la structure sociale. » (Ville et Ravaud, 1994, p. 16).

La communication est donc au cœur du constructivisme, comme elle l’est dans la perspective

systémique. Dans cette perspective toutefois, l’intervenant participe à la construction d’une

signification nouvelle d’une réalité vécue à la fois subjectivement et objectivement par la

personne qui le consulte (Elkaïm, 1995).

Le constructivisme a fortement orienté la pratique de l’intervention sociale. Une première

portée de cette théorie se traduit par la recherche d’un rapport égalitaire entre l’intervenant

et la personne qu’il accompagne. Entre eux s’installe un dialogue productif visant à créer le

réel plutôt qu’à chercher la vérité. L’importance accordée au contexte relationnel dans lequel

la personne parle de son problème constitue un autre effet du constructivisme pour

l’intervention sociale (Elkaïm, 1995).

De par la contribution des échanges à la construction d’une compréhension de la réalité, on

reconnaît la parenté entre la théorie constructiviste et l’interactionnisme symbolique. Cette

dernière

58

établit son domaine de recherche sur la concrétude des relations interindividuelles. Le

monde social n’est pas préexistant à la manière d’une structure dont il faudrait

s’accommoder, il est constamment créé et recréé par les interactions à travers des

interprétations mutuelles suscitant un ajustement des acteurs les uns par rapport aux

autres. (Le Breton, 2008, p. 6)

Chicago a vu naître l’interactionnisme symbolique, une pensée qui s’inscrit dans le courant

de la sociologie compréhensive et qui est reconnue comme étant la première dans l’histoire

de la sociologie à considérer le sujet comme un acteur, c’est-à-dire « libre de ses décisions

dans un contexte qui n’est pas sans l’influencer. » (Le Breton, 2004, p. 47). Bien que l’on

reconnaisse à Blumer d’avoir forgé, dès 1937, le terme « interactionnisme », c’est à G. H.

Mead que l’on attribue la conceptualisation de ce courant théorique. Les œuvres de ce dernier

ont été rédigées par ses étudiants à titre posthume. Il n’en demeure pas moins qu’il a

fortement influencé le développement de la pensée interactionniste, notamment en ayant été

le premier à concevoir que les attitudes corporelles ont un sens (Le Breton, 2004).

Le sens est d’ailleurs un concept central de la perspective de l’interactionnisme symbolique.

Pour Mead, les gestes, les paroles, les attitudes, d’un individu sont perçus par les

autres comme des symboles, c’est-à-dire comme porteurs de significations auxquelles

ils s’ajustent dans leur réponse. Leur efficacité sociale tient à l’accord des membres

d’une communauté sur leur contenu. Le geste est porteur de sens quand il éveille chez

l’individu et ceux à qui il s’adresse la même réponse. (Le Breton, 2004, p. 37)

Aussi, c’est dans son groupe de référence, celui auquel il est attaché affectivement, que

l’individu puise le sens des mots, des gestes ou de tout autre langage. Les interactions sociales

confirment ou ajustent le sens du symbole, la société étant en continuelle transformation (Le

Breton, 2004). Il y a donc matière à interprétation, la dimension symbolique ne pouvant se

situer dans un absolu rigide. Comme le précise Le Breton (2004), les interactionnistes

prennent acte de l’ambivalence des sentiments, des exclusions, des mépris, etc.; les

interlocuteurs peuvent se tromper sur le sens d’une parole ou d’un geste, témoigner

de valeurs antagonistes, etc., mais leur réflexivité les amène à saisir suffisamment les

logiques de comportements, même en les contestant. Comprendre n’est jamais

univoque mais toujours emporté dans l’affectivité et l’interaction. (p. 52)

Par ailleurs, ces échanges deviennent le lieu de la construction identitaire. L’interactionnisme

symbolique considère qu’à l’instar de la signification des symboles qui est en perpétuelle

mouvance, le sentiment identitaire va lui aussi se moduler en fonction du lieu de son

expression et du regard de l’autre (Strauss, 1992). L’identité se forge au cœur des interactions

59

mais aussi à travers les différents rôles joués par l’individu (Vézina et Pelletier, 2009). Pour

Mead, Cefaï et Quéré (2006), l’accomplissement de soi se construit et n’existe que par les

expériences et les interactions sociales vécues par la personne.

L’interactionnisme symbolique s’intéresse également aux impacts des transitions de la vie et

de l’adversité sur le processus identitaire des individus. Considérant que le vieillissement

s’accompagne souvent de solitude et de grands changements dans les rapports sociaux

(retraite professionnelle, maladie, pauvreté, etc.), on peut y percevoir une possible menace

au sentiment identitaire (Joulain, 2011). Le rapport au monde étant nécessairement

transformé lorsqu’une personne est atteinte d’une maladie grave qui altère ses fonctions

cognitives, l’identité ne peut qu’en être troublée et appelée à se transformer (Strauss, 1992).

Or, il semble que la quête identitaire soit universelle : « L’homme est fait des innombrables

labyrinthes qui s’enchevêtrent en lui, il n’a jamais accès à sa vérité, mais à son éparpillement

dans les mille situations où il se trouve. Il est en quête de soi sur un mode propice ou

douloureux, cohérent ou chaotique, jamais pourtant il ne quitte l’ordre du sens. » (Le Breton,

2004, p. 70).

Dans une perspective interactionniste, il est alors logique de proposer que la relation

conjugale, porteuse de significations qui se sont définies tout au long d’une histoire chargée

symboliquement, peut jouer un rôle de protection de l’identité de la personne atteinte de la

maladie d’Alzheimer. Pour ce faire, les repères identitaires de la personne atteinte, qui se

retrouvent notamment dans des photos et des objets évoquant des souvenirs marquants et qui

s’ancrent ailleurs que dans les mots, devront être portés à sa vue et revalorisés afin de soutenir

son sentiment identitaire et lui permettre d’être encore en relation avec son entourage. Selon

cette perspective toujours, c’est dans les interactions vécues dans le couple que les partenaires

vont se redéfinir.

Concrètement, c’est à travers les approches narratives que le constructivisme influencera la

pratique de l’intervention psychosociale. Ces approches suggèrent que c’est à travers son

récit de vie que la personne s’approprie son histoire, lui donne un sens (Zimmerman et

Dickerson, 1995). Se raconter remplit alors une fonction identitaire.

60

Or, aucune narration ne peut traduire tous les aspects d’une situation, d’un événement. Les

choix effectués par le narrateur évacuent un ensemble d’éléments qui pourraient donner une

toute autre signification à cette histoire. Ainsi, basée sur le principe que nous cherchons sans

cesse à créer du sens, l’approche narrative cherche à faire émerger une histoire qui prend un

sens nouveau pour la personne qui la raconte, lui permettant d’envisager d’autres manières

de réagir face à sa situation (Morgan, 2015). Le rôle de l’intervenant qui recourt à l’approche

narrative est donc de susciter un regard neuf sur une partie de l’histoire de la personne qui la

regarde, levant ainsi le voile sur de nouvelles compréhensions, sur des forces qui étaient

jusque-là ignorées ou encore sur des ressources inexploitées.

Conséquemment, l’approche narrative redonne du pouvoir à la personne, parce qu’elle lui

permet de se réapproprier son histoire et de donner un sens ou un nouveau sens aux

événements de sa vie (Kenyon, Bohlmeijer et Randall, 2011). Le fait de se raconter à une

oreille exempte d’a priori permet au narrateur de revivre un événement, d’y replonger, de

refaire l’histoire. Il s’agit d’un acte qui mène bien au-delà du souvenir. L’approche narrative

permet aussi de consolider le sentiment de son identité puisqu’elle favorise l’intégration de

son histoire personnelle.

Ces deux dernières perspectives ont particulièrement influencé la pratique du travail social.

La prochaine perspective théorique qui est présentée a davantage contribué à l’émergence de

l’art-thérapie.

3.3 La gestalt-thérapie

Le père de la gestalt-thérapie, le neuropsychiatre Frederick Perls, a développé sa théorie en

réaction à la perspective psychanalytique à laquelle il reproche d’être trop centrée sur

l’inconscient et trop peu sur ce qui est conscient (Perls, Hefferline et Goodman, 1951).

Rappelons donc que la gestalt-thérapie se situe dans une perspective humaniste et que,

conséquemment, elle s’appuie sur la conviction que tout être humain est mu par un profond

désir et besoin d’accomplissement. Elle conçoit la relation d’aide comme le lieu où la

personne est accueillie avec respect et compassion et où elle peut explorer et redéfinir ses

propres solutions, parce qu’elle est un être libre, créatif et responsable (Higy-Lang et

Gellman, 2008).

61

Le mot « gestalt » est un mot allemand que l’on peut traduire par « forme » ou « structure ».

Mais sa signification est beaucoup plus complexe et il est alors difficile d’en traduire le sens

par un seul mot, de sorte que le terme « gestalt » est aussi le terme utilisé en français (Higy-

Lang et Gellman, 2008). Issue d’abord de la psychologie de la perception, la gestalt réfère au

sens que prend une forme (qui peut se traduire par une image, un son, un mouvement), située

dans son contexte et perçue dans sa globalité. Par exemple, le cri d’un enfant en douleur

prendra une autre signification que le même cri d’un enfant qui joue à être malade. On ne

peut en saisir le sens uniquement en analysant la tonalité ou le nombre de décibels de ce cri.

C’est l’entièreté du son et de son contexte qui nous permettra d’accéder à sa pleine

signification. En résumé, le tout est plus grand que la somme de ses parties.

La gestalt-thérapie prend ainsi racine dans la psychologie de la perception qui s’est intéressée

à distinguer ce qui relève de la physiologie de ce qui relève de la psychologie dans la

perception d’une réalité. Il en est ressorti que tout se joue entre la forme et le fond. Ce dernier

serait le produit d’une organisation cérébrale qui associe les éléments divers en

un tout unifié. Cette organisation agit comme un réceptacle passif qui ne rend pas

compte de l’activité du sujet dans l’acte perceptif. La forme serait le propre de

l’activité du sujet qui perçoit : structurante et non pas structurée. La perception

organise le fond à partir de l’action mobilisatrice de la forme. La figure, qui se

détache du fond, n’existe pas indépendamment de lui. La discrimination de la

figure appartient au sujet. (Masquelier-Savatier, 2017, p. 32)

Cette image du vase de Rubin permet de saisir ces derniers propos (figure 1). Dans un premier

temps, le sujet percevra l’une des deux représentations, soit l’image illustrant les deux visages

qui se font face ou encore celle du vase. Mais dès qu’une autre image apparaît, l’observateur

ne peut plus faire abstraction de ces deux représentations possibles. Une valse s’installe alors

entre le fond et la forme.

Cette dialectique constitue l’un des fondements de la gestalt-thérapie. Dans un contexte

psychothérapeutique, la gestalt représente le processus avec lequel une personne est en

relation avec son environnement pour satisfaire ses besoins. La figure qui se distingue du

fond symbolise le problème ou le besoin qui requiert l’attention de cette personne. Le fond

contient son histoire et sa culture. Dès qu’une solution est apportée au problème en surface,

il retourne au fond et l’attention du sujet s’en détache. On parle alors d’une gestalt achevée.

62

Figure 1 : le vase de Rubin

La gestalt-thérapie s’intéresse particulièrement aux gestalts ou aux situations inachevées.

Celles-ci « freinent la libre circulation de notre énergie vitale. Elles s’expriment tant bien que

mal à travers toutes sortes de canaux inconscients et, sans qu’on s’en rende bien compte, elles

gèrent nos vies de manière souterraine. » (Duchastel, 2010, p. 117). C’est donc à la frontière-

contact que se joue le travail thérapeutique, le lieu où se rencontrent la personne et son

environnement (Higy-Lang et Gellman, 2008). Les gestaltistes appellent le Self ce processus

de gestion du contact qui révèle les patrons de comportement de la personne, sa manière

d’entrer en relation avec son environnement, avec le monde. Lorsqu’une gestalt est

inachevée, c’est que le Self n’a pas pu accomplir sa fonction. Alors la personne tentera de

compléter cette gestalt, en répétant les mêmes comportements. Le travail de guérison consiste

à prendre conscience de ces patrons de comportement et de leurs impacts sur le

fonctionnement de la personne pour ensuite explorer de nouvelles possibilités de

comportements. La visée de ce travail est, ultimement, de compléter la gestalt ou, autrement

dit, de répondre aux besoins non comblés.

L’un des principes fondamentaux de la gestalt-thérapie repose sur l’importance de se centrer

sur le moment présent. On dit de la gestalt-thérapie que c’est un processus qui se joue « ici

et maintenant ». Elle ne nie pas l’impact des événements survenus dans le passé mais

s’intéresse davantage au « comment » qu’au « pourquoi » ils influencent l’expérience

actuelle de la personne. Par ailleurs, cette expérience qui s’inscrit dans le présent est aussi un

élément central de la gestalt thérapie (Duchastel, 2005; Higy-Lang et Gellman, 2008). Elle

réfère à la conscience de ce qui se passe dans le moment présent et invite la personne à être

présente à ce qui l’habite au moment même où elle porte son attention à son monde

intérieur… qui est en contact avec son environnement. Aussi, le thérapeute gestaltiste

63

accorde-t-il la primauté à l’expérience corporelle : « L’éveil des sensations, les

manifestations corporelles et leurs fluctuations sont pris en compte dans le déroulé de la

séance : les observer, les souligner, éventuellement les amplifier, permet de les intercepter,

les conscientiser et leur donner du sens. » (Masquelier-Savatier, 2017, p. 106).

Lorsque les fonctions de contact sont perturbées, des mécanismes de défense prennent la

relève. En gestalt, on parle aussi des résistances, qui se traduisent par la modification,

l’interruption ou la cessation du contact avec l’environnement (Higy-Lang et Gellman,

2008). En fait, les mécanismes de défense régulent de manière créative les modalités de

contact et sont parfois adaptés et appropriés. Lorsqu’ils ne le sont pas, qu’ils entravent le

développement de la personne et son contact sain avec son environnement, les gestaltistes

les perçoivent comme des outils de travail, des sources inestimables d’information sur les

blocages du sujet. Parmi les résistances les plus fréquemment évoquées, on retrouve la

projection, l’introjection et la confluence. La projection consiste à attribuer à d’autres nos

désirs et nos sentiments, nos qualités et nos forces, qu’ils soient louables et honorables ou, le

plus souvent, honteux et réprimables (Duchastel, 2005). Par exemple, une personne idéalise

les artistes parce qu’elle ne se reconnaît pas ses qualités créatives. Le sens du mouvement de

la projection va donc du plus profond de soi vers l’autre. À l’inverse, l’introjection constitue

tout le bagage hérité de notre éducation et des valeurs sociales que nous avons intériorisées

comme s’il s’agissait de vérités absolues. Les phrases stéréotypées telles que « quand on est

né pour un p’tit pain… » ou encore « quand on veut on peut » sont des exemples

d’introjection. Ce sont des pensées et des croyances que nous avons ingérées sans les remettre

en question ni nous demander si elles nous conviennent vraiment. Quant à la confluence, il

s’agit d’un mode fusionnel de relation entre une personne et son environnement (sa conjointe,

son travail, son enfant, etc.). Elle se manifeste par exemple par la confusion d’un désir avec

celui de l’autre.

Le travail du thérapeute gestaltiste se traduit « par des mises en action métaphoriques ou

symboliques. La mise en action favorise l’awareness à travers des représentations concrètes

expérimentées dans plusieurs versions différentes. Elle n’est pas un passage à l’acte impulsif

et défensif mais une élaboration mentale créative. » (Higy-Lang et Gellman, 2008, p. 68).

Conséquemment, la gestalt est une approche expérientielle car elle invite la personne à

64

« jouer » sa réalité afin de mieux la saisir, de mieux la ressentir. Le sujet, doté d’une

conscience enrichie et élargie de son expérience, développe ainsi un plus grand pouvoir pour

transformer sa réalité, en expérimentant le changement dans un contexte sécuritaire

(Malchiodi, 2012).

Parce que la créativité est sollicitée dans la mise en acte des situations inachevées, un lien

s’installe naturellement entre la gestalt thérapie et l’art-thérapie. L’expérience artistique est

une expérience intense et complète, hautement sensorielle; elle met en œuvre la vue, le

toucher, l’odorat, l’expression verbale et parfois même l’ouïe. Lorsqu’il crée, l’artiste

mobilise tout son corps, se met en action, vit une expérience. Selon Zinker (1981), thérapeute

gestaltiste et artiste, une personne qui vit un processus de création artistique prend

littéralement contact avec elle-même. L’art lui permet de se connaître dans son entièreté, en

peu de temps (Malchiodi, 2012).

Une autre art-thérapeute gestaltiste, Janie Rhyne, stipule que l’art et la gestalt se rejoignent à

plusieurs égards. Ayant étudié avec Perls dans les années 1960, Rhyne met l’accent sur le

mouvement qui est présent dans l’expression artistique et se traduit par les lignes, les formes

et les couleurs que la personne emploie (Malchiodi, 2012).

En somme, dans la perspective gestaltiste, le processus de création artistique devient un lieu

de mise en action des dynamiques de contact entre la personne et son environnement. Dans

cet espace, le sujet prend conscience de ce qui se joue en lui et peut en toute liberté le

transformer par l’expérience. Dans cette perspective, il s’avère pertinent de tourner le regard

vers les concepts liés à la pratique artistique. Toutefois, puisque nous nous situons dans le

cadre d’une thèse en travail social, nous ne ferons qu’un survol de ces derniers de sorte que

le lecteur puisse cerner globalement notre conception de l’art et de ses fonctions et comment

ils s’intègrent à la pratique qui est étudiée.

3.4 L’art et ses fonctions

De manière générale, les art-thérapeutes reconnaissent principalement deux fonctions à l’art :

l’effet bénéfique de sa simple contemplation et les bienfaits de l’activité artistique qui

proviennent notamment de la stimulation de la mémoire, de l’intelligence et de l’imaginaire

(Evers, 2010; Forestier, 2000). Ce dernier constat a d’ailleurs fait l’objet de recherches aux

65

protocoles variés mais menant toutes aux conclusions que la pratique créative améliore à

plusieurs égards la santé et la qualité de vie.

Dans le cadre de nos préoccupations, il est particulièrement intéressant de se pencher

également sur la pensée de Dissanayake (2017), qui pose un regard éthologique sur l’art.

L’auteure conceptualise l’art comme étant un comportement avant d’être un objet, une qualité

ou encore une symbolisation. Ce comportement se traduit par le fait de rendre spécial (making

special) ou, dit autrement, de rendre l’ordinaire extraordinaire. L’auteure ajoute que le

comportement artistique a eu une fonction adaptative et suggère que cette hypothèse est

aujourd’hui appuyée par les neurosciences. Toujours selon Dissanayake (2017), l’expression

artistique, activité qui partage des points en commun avec le jeu, a permis à l’humain de

développer son empathie et le désir de se lier aux autres en toute confiance.

Dans une perspective plus près du travail social, il est proposé également que le processus de

création ou, selon Loser (2014), l’expérience esthétique, est une fonction humaine

« essentielle pour la compréhension de l’altérité, le développement de la sympathie et de

l’attention à l’autre. » (p. 96). L’activité artistique donne accès à l’univers de l’autre, aide à

le comprendre, à s’en rapprocher de sorte que l’on devient empathique à son expérience et

tout aussi bienveillant envers celle qui nous est propre.

L’expression artistique appelle la créativité, un autre concept qu’il est intéressant d’étudier

dans une perspective gérontologique. Csikszentmihalyi (2006) rappelle que les personnes

créatives s’adaptent plus facilement aux situations qui se présentent à elles. Or, plusieurs

modèles associés au vieillissement réussi font appel aux capacités d’adaptation des aînés pour

faire face aux défis liés au vieillissement (Cardinal et al, 2008; Gognalons-Nicolet, 2008).

Par exemple, la créativité peut mener à accepter plus facilement le vieillissement et à trouver

des solutions pour s’adapter aux changements liés à cette étape de la vie.

Dans le même sens, Winnicott (2002) définit la créativité comme étant

… un mode créatif de perception qui donne à l’individu le sentiment que la vie vaut

la peine d’être vécue; ce qui s’oppose à un tel mode de perception, c’est une relation

de complaisance soumise envers la réalité extérieure : le monde et tous ses éléments

sont alors reconnus mais seulement comme étant ce à quoi il faut s’ajuster et

s’adapter. (p. 127)

66

Pour le psychiatre, la créativité est un signe de santé psychique, une pulsion de vie

universelle. Elle se distingue donc de la création, qui en est plutôt l’aboutissement ou le

résultat. Elle est une attitude, souple et ouverte face à la réalité (Winnicott, 2002). La

créativité, cet état de flow, cette « …sensation de facilité évidente mêlée à un état de

conscience suraigu » (Csikszentmihalyi, 2006, p. 147), est présente à toutes les étapes du

développement de la personne. À l’âge avancé, elle comporte cependant ses particularités et

ses défis. Bien entendu, une personne âgée dont les fonctions sensorielles sont affectées

exprimera sa créativité différemment. Mais la créativité ne dépend pas des capacités ou des

habiletés de la personne pour exister et à l’âge avancé, elle « … se manifeste souvent en des

chemins subtils, inattendus, qui diffèrent des formes du temps de la jeunesse. » (Landry,

1994, p. 193).

Il y a un consensus à l’effet que la créativité varie en fonction de l’âge (Georgsdottir, Lubart

et Laporte, 2005; Talpin, 2011). Chez les artistes par exemple, la quantité d’œuvres réalisées

atteint un sommet entre 40 et 50 ans pour ensuite diminuer avec l’âge (Simondon, 1998). Par

ailleurs, certaines caractéristiques spécifiques aux œuvres créées par des artistes âgés ont été

observées. Il s’avère que l’on retrouve dans ces œuvres « … unité, harmonie et intégration

des idées qui semblent contradictoires… » (Georgsdottir et al., 2005, p. 102). Ces œuvres

traitent davantage également de questions existentielles, témoignant de préoccupations liées

au vieillissement (Georgsdottir et al., 2005).

Le portrait est toutefois différent lorsque l’on s’attarde à la créativité des personnes âgées qui

ne sont pas artistes. En effet, plusieurs éléments culturels sont à prendre en considération

lorsque vient le temps de proposer des activités artistiques à des aînés (Hof, 2011). Ces

propos sont corroborés par O’Shea et Léime (2012), qui confirment la difficulté à mobiliser

les personnes âgées dans des activités créatrices.

En somme, l’expression artistique peut redonner du sens à la vie et le goût de vivre.

Csikszentmihalyi (2006) le confirme, « l’engagement dans un processus créatif donne la

sensation de vivre plus intensément. La fièvre de l’artiste devant son chevalet, celle du

scientifique dans son laboratoire, sont proches du sentiment de plénitude que nous attendons

tous de la vie et qui nous est si peu souvent offert. » (p. 8).

67

Cette perspective ne peut qu’enrichir une démarche qui vise à accroître le bien-être d’une

personne. L’art-thérapie, par son approche et ses méthodes d’intervention, implique

nécessairement la créativité dans la mise en action de la personne. À cet égard, Bernèche et

Plante (2009) traduisent bien l’impact du processus créatif dans ce type de démarche :

En art-thérapie, la rencontre avec la matière éveille chez le client de nouvelles

avenues explorées. Dans ce parcours de thérapie, les séances où le client quitte

les horizons connus sont souvent porteuses d’une grande richesse. Elles sont bien

souvent des moments charnières du processus. En fait, de telles séances suscitent

la découverte de nouvelles sensations, provoquent la construction de nouvelles

perceptions. Ces moments particuliers sont empreints de grande créativité. En

réalité, générer du nouveau, créer, nécessite une ouverture à l’inconnu, requiert

de faire le deuil de notre idéal interne et de ses représentations usuelles. La

créativité requiert de tolérer l’abandon des repères et de s’ouvrir à cette rencontre

triadique impliquant l’auteur, le support et le médium. (p. 15-16)

En résumé, les personnes âgées ont un potentiel créateur dont la vivacité varie en fonction de

leur héritage culturel, de leurs expériences, de leur personnalité et de la stimulation extérieure

à la pratique artistique. Par ce potentiel créateur qu’elles possèdent encore, les personnes

âgées continuent de se définir et de se connaître, mais aussi de définir leur rapport au monde.

Ainsi, créer est un acte vital ou, comme le dit Talpin (2011), un « impératif psychique ».

3.5 Synthèse des modèles théoriques

Les modèles théoriques retenus pour encadrer cette recherche partagent un ensemble de

points en commun. Toutefois, certains éléments les distinguent. Par exemple, ils adoptent

une posture différente envers la place accordée à la parole et au discours, des éléments qui

relèvent davantage d’une perspective cognitive, et envers une dimension plus affective,

émotive, liée au ressenti. En effet, la théorie des systèmes et l’interactionnisme symbolique

s’intéressent à la communication, qui passe nécessairement par la parole même si elle inclut

aussi les codes comportementaux. La gestalt-thérapie privilégie le ressenti, les sensations

corporelles et le contenu qui sollicite les sens plutôt que la parole.

De plus, le rapport au passé de la personne accompagnée se vit différemment selon les

perspectives. En systémique, on s’ancre dans le présent tout en considérant l’histoire du

système et les tentatives passées qui ont été mises en œuvre pour tenter de solutionner les

situations problématiques. Dans l’interactionnisme symbolique, et plus particulièrement dans

les approches narratives, on s’intéresse à l’histoire de la personne en l’invitant à revisiter son

68

passé. Finalement, en gestalt-thérapie, le passé importe peu. C’est la façon dont il se

manifeste dans le présent qui intéresse l’intervenant gestaltiste.

Une dernière distinction qu’il nous importe de relever concerne la conception du couple selon

les différentes perspectives théoriques. Cette relation qui nous intéresse particulièrement ne

suscite pas le même intérêt selon les modèles retenus. La perspective systémique voit le

couple comme un système dans lequel se retrouvent deux individus interdépendants qui sont

en recherche de l’atteinte d’un but commun dans une situation qui a provoqué de nombreux

changements. Pour ce qui est de la perspective de l’interactionnisme symbolique, on peut

supposer que le couple est le lieu duquel émerge le sens attribué à leur situation par les

échanges de gestes, de paroles et de comportements qui s’y répètent quotidiennement et qui

marquent les rapports entre les conjoints. Finalement, en gestalt, le couple est un réceptacle

par excellence des dynamiques de résistance de la personne puisqu’il s’agit d’une relation

intime dans laquelle la personne est confrontée à l’enjeu de répondre à ses propres besoins

tout en demeurant en relation avec l’autre.

Par ailleurs, ces modèles théoriques se rejoignent en plusieurs aspects. Tout d’abord, ils

influencent la pratique de l’intervention sociale en suggérant que le rapport entre

l’intervenant et la ou les personnes qu’il accompagne doit être égalitaire. Dans tous les cas,

on considère l’intervenant comme ayant une influence sur les individus ou leurs conceptions

de leur situation. On considère également que l’intervenant est influencé par ces personnes

auprès de qui il intervient. Ainsi, la relation qui unit ces trois protagonistes les implique tous

à part entière. Ces modèles invitent l’intervenant à être conscient du rôle qu’il joue et à

adopter une posture favorisant un rapport égalitaire avec les individus avec lesquels il

interagit.

Les modèles théoriques servent de fondement à l’intervention psychosociale. Ils cherchent

donc à générer des changements dans ce qui fait problème chez la personne selon sa propre

perception. Quelques-uns des chemins empruntés se ressemblent, notamment celui de poser

un regard neuf sur la situation. L’approche narrative invite la personne à transformer sa façon

de se raconter, favorisant ainsi une réappropriation de son histoire et une consolidation de

son identité. La gestalt-thérapie invite aussi la personne à prendre conscience de ses

mécanismes de défense pour ensuite transformer sa façon d’entrer en relation avec son

69

environnement. L’intervention systémique fait circuler autrement l’information de sorte que

les clés de compréhension se multiplient, ouvrant ainsi sur de nouvelles perspectives.

Dans la pratique, ces modèles théoriques ont inspiré différentes façons d’expérimenter

concrètement de nouvelles dynamiques. Les approches narratives cherchent à faire émerger

chez la personne un sens nouveau à sa vie en se permettant de raconter autrement son histoire.

La systémique et la gestalt vont littéralement inviter la personne à se mettre en situation par

des jeux de rôles, des saynètes et autres.

En résumé, il ressort de ce parcours des modèles théoriques choisis quelques éléments que

nous retenons pour l’élaboration de l’intervention psychosociale en art-thérapie qui sera

étudiée.

Nous porterons d’abord une attention particulière à notre rôle au cours des séances. Par nos

propositions d’activités et nos interventions qui seront inspirées de notre propre

compréhension de la situation, nous influencerons nécessairement le processus du couple.

Nous retenons donc l’importance d’établir un rapport égalitaire et cela se traduit notamment

par l’adoption d’une posture de non-jugement et d’accueil et dans la décision de laisser les

couples libres de faire les choix qui leur conviennent dans la réalisation des activités

artistiques qui leur seront proposées.

Ensuite, il nous importe de préserver un équilibre entre la place accordée à la parole et celle

qui favorise l’expérience et l’expérimentation. Aussi, le déroulement des séances prévoit un

temps de création en silence et un temps d’échange. Dans le même sens, nous accorderons

une attention particulière à ce que les personnes exprimeront par leurs comportements et leurs

attitudes, afin de les amener à en prendre conscience elles-mêmes. Nous solliciterons

également leur conscience de ce qu’elles sont en train de vivre en termes de sensations

corporelles et de ressenti.

Finalement, nous retenons aussi que la relation doit être au cœur de nos préoccupations tout

au long des séances. Nous favoriserons donc les contacts (verbaux, visuels, tactiles) et

viserons à susciter des échanges ouverts où chaque personne peut à la fois exprimer ses

besoins, ses désirs, ses émotions et ses conceptions de la situation et être disposée à entendre

son ou sa partenaire lorsqu’à son tour, il ou elle s’exprime. Étant donné que l’intervention

70

prévue intègre l’expression artistique, la relation avec l’image et la matière s’ajoute aux

autres relations prises en compte.

Au terme de cet examen des fondements théoriques, étudions de façon plus précise

l’intervention qui se dégage ainsi que son modèle logique. Ceci sera l'objet de la prochaine

section.

3.5 L'intervention faisant l'objet de cette recherche et son modèle logique

La réflexion menée jusqu’à maintenant nous amène à concevoir l’intervention qui sera

proposée à des couples dont l’un des partenaires est atteint de la maladie d’Alzheimer. Nous

avons vu que les conjoints aidants sont plus à risque de vivre de la détresse psychologique et

de développer des problèmes de santé physique. Toutefois, en dépit des risques, la situation

peut également entraîner des bienfaits et permettre aux conjoints aidants de vivre une

expérience relativement positive et enrichissante. Nous avons vu également que les couples

qui sont confrontés à la maladie d’Alzheimer vivent cette situation dans la continuité de leur

histoire. Ainsi, c’est avec leurs patrons de comportements et leurs situations inachevées qu’ils

se présentent dans la démarche qui leur est proposée. De plus, la maladie menace et perturbe

les liens qui les unissent, la nature de leur relation, leur intimité et leur complicité.

Finalement, l’identité individuelle et conjugale des partenaires est également affectée par la

maladie. Ce contexte doit être pris en compte dans sa globalité.

À la lumière de cette rétrospective, les objectifs de l’intervention proposée sont les suivants :

amener les couples ciblés à développer des stratégies d’adaptation à leur situation et leur

permettre de préserver leur intégrité conjugale.

Afin de faciliter l’atteinte de ces objectifs généraux, des objectifs spécifiques, inspirés de la

littérature, sont également visés : soutenir les partenaires dans l'expression de leurs émotions

et dans l'accueil mutuel de leurs vulnérabilités; favoriser une transformation positive des rôles

qu’ils jouent au sein de leur couple; soutenir ces couples dans le développement de nouveaux

modes de communication; favoriser le développement et l’expression de l’empathie entre les

partenaires; soutenir le sentiment identitaire des individus et du couple.

Étant donnée la nature exploratoire du devis proposé, la précision des objectifs spécifiques

se veut souple et ouverte, en ce sens que ce sont des hypothèses qu’il nous sera donné ou non

71

d’observer et de valider tout au long de l’intervention. Il se pourrait également que d’autres

effets de l’intervention, non prévus, soient observés ou identifiés par les couples participants,

les pairs ou l’intervenante-chercheure.

Concrètement, le moyen retenu pour favoriser l’atteinte de ces objectifs est de convier les

couples participants à une intervention psychosociale en art-thérapie que nous traduisons

dans ces mots : un espace sécuritaire, partagé et souple, d’expression artistique où le

processus créateur des conjoints sera stimulé et valorisé en ayant recours à l’approche par le

processus en art-thérapie. À cela nous précisons aussi que nous adoptons une posture non-

interprétative. Tous les éléments de cette formulation sont repris pour plus de précision.

Une intervention psychosociale en art-thérapie

Tout d’abord, il importe de situer ce que nous entendons par une intervention psychosociale.

Il s’agit d’une intervention en relation d’aide qui se positionne à la frontière entre l’individu

et son environnement. Ainsi, « le praticien social agit auprès de la personne en difficulté ainsi

que des personnes avec lesquelles elle entretient un lien significatif; il peut également

intervenir au niveau de son milieu social ou par rapport à des facteurs environnementaux qui

contribuent à perpétuer la situation-problème. » (Laframboise, 1995, n.d.). En substance,

l’intervention psychosociale soutient la personne dans l’établissement de relations

satisfaisantes. Il est donc tout à fait approprié de faire appel à ses principes dans la perspective

d’une intervention conjugale.

Ensuite, il importe de situer également la dimension art-thérapeutique de l’intervention mise

en œuvre. Même si l’art-thérapie peut être pratiquée dans un contexte de psychothérapie, elle

peut également être pratiquée dans le cadre d’une intervention psychosociale conjugale

(Office des professions du Québec, 2013). Selon Loser (2010), l’utilisation de l’art dépasse

le cadre thérapeutique pour intervenir également dans la perspective du renforcement du lien

social, un champ d’expertise du travail social. L’auteur évoque d’ailleurs l’utilisation de plus

en plus grande de l’expression artistique par des travailleurs sociaux et la présence de l’art-

thérapie dans les programmes de formation en travail social dans les universités suisses. Dans

le cas qui nous intéresse, l’intervention réalisée se situe donc dans une perspective

d’intervention psychosociale et non psychothérapeutique.

72

Un espace sécuritaire, partagé et souple

L’intervention a lieu au domicile des couples afin de leur permettre de cheminer dans un

endroit connu et sécuritaire. Ce choix est également justifié par son caractère facilitant : le

couple n’ayant pas à se déplacer, un rendez-vous extérieur – et toute la complexité que cela

peut parfois signifier pour des personnes en perte d’autonomie – est donc évité.

Il s’agit d’un espace partagé car la cible de l’intervention étant la relation conjugale,

l’implication des deux conjoints est toujours recherchée et sollicitée, que les activités

proposées soient réalisées conjointement ou en solo. Dans ce dernier cas, les conjoints sont

alors impliqués dans l’échange sur la signification du résultat de la création pour la personne

qui l’a faite.

Il s’agit également d’un espace qui se veut souple en ce sens qu’il n’impose pas une façon de

faire rigide mais qu’il suggère plutôt des pistes d’activités et de réflexions qui tiennent

compte des intérêts et affinités des partenaires avec les différents médiums proposés. Ainsi,

en dépit d’une certaine trame de fond sur laquelle sont esquissées des préoccupations

inspirées de la littérature, l’intervention s’ajuste constamment aux besoins énoncés par les

couples dans le moment présent. Concrètement, cela signifie qu’il n’y a pas nécessairement

une planification très étroite ou rigide des rencontres mais plutôt l’identification de quelques

hypothèses auxquelles nous aurons recours au besoin. Sinon, le contenu de chaque séance est

déterminé en début de rencontre, suite à une discussion avec le couple. Les thèmes et les

activités artistiques proposées dépendent alors de l’état émotif du couple et de ses

préoccupations au début de chaque séance. Autrement dit, l’amorce des rencontres nous

permettra d’identifier la gestalt qui deviendra le thème de la séance.

L’expression artistique et la stimulation du processus créateur

Le cœur des séances est constitué d’un temps d’expression artistique. Les conjoints sont alors

invités à créer, c’est-à-dire à réaliser une œuvre2 avec les médiums artistiques mis à leur

disposition. Lors de ce moment, l’accent est mis sur le plaisir inhérent à la création. Le

2 Nous empruntons consciemment au milieu artistique professionnel un terme qui appartient à son vocabulaire disciplinaire. L’œuvre est comprise ici comme étant le résultat d’un processus de création vécu par les participants à l’étude.

73

processus importe davantage que le résultat final. Il n’y a donc aucune pression à la

performance ni aucune attente de résultat qui soient formulées d’une quelconque façon.

Différents outils art-thérapeutiques sont utilisés pour amener les partenaires à se mobiliser

autour d’un même projet de création. Le tableau suivant (tableau 1) résume les principaux

outils proposés aux couples. Il est possible, cependant, que les conjoints soient invités à faire

une création individuellement et à échanger à partir de celle-ci avec leur partenaire.

Tableau 1 Outils art-thérapeutiques utilisés auprès des couples

Outils Description sommaire

Communication visuelle À tour de rôle et en silence, assises face-à-face, chaque personne

répond par une ligne à la ligne tracée par son/sa partenaire.

Dessin à relais À tour de rôle et en silence, toutes deux face au support, chaque

personne complète l’image amorcée et poursuivie par son/sa

partenaire.

Gribouillis3 Un gribouillis dans lequel une forme concrète est imaginée et

retracée.

Travail à relais sur

production 3D

Chaque personne amorce une création en 3D (pâte à modeler,

argile, etc.). Au moment choisi par l’intervenante, les partenaires

échangent leur œuvre et doivent poursuivre, en silence, l’œuvre qui

se retrouve entre leurs mains. L’échange peut se répéter un certain

nombre de fois, au choix de l’intervenante. L’échange se termine

avec la création de départ à la personne qui l’a initiée.

Un couple sous la pluie4 Dessin d’un couple sous la pluie, réalisé en collaboration.

Triple mandala5 Dessin dans lequel trois cercles concomitants sont illustrés. Chaque

personne dessine à l’intérieur d’un des cercles de chaque extrémité

et les partenaires se rejoignent pour dessiner dans le cercle central

ensemble.

Histoire de vie Illustration de notre histoire de vie personnelle et/ou conjugale.

Image pour honorer le

couple que nous formons

Illustration d’une représentation du couple que nous formons, dans

ses aspects positifs.

Outil visuel de gestion de

conflit

Illustration de notre désir de mettre fin à un conflit.

3 Inspiré de la technique du squiggle de Winnicott (1969). 4 Outil d’évaluation inspiré de Verinis, Lichtenberg et Henrich, (1974), visant à identifier le niveau d’anxiété

d’une personne ainsi que ses ressources pour faire face à l’adversité. 5 Inspiré de Francine Nadeau, chargée de cours en art-thérapie, UQAT.

74

Par ailleurs, nous avons vu dans la recension des écrits sur la créativité et les personnes âgées

qu’il est parfois difficile d’amener les aînés à créer avec du matériel artistique. Stimuler la

créativité et valoriser l’acte créateur est une dimension importante présente tout au long de

la démarche et une grande partie de notre rôle réside dans ce travail. Il s’agit pour nous de la

spécificité de l’art-thérapie. Dans le contexte de la présente recherche, le travail social

soutient aussi cette démarche, notamment en valorisant les forces de la personne et du couple

et en favorisant leur résilience.

Une posture non-interprétative

Bien que dans la pensée populaire l’art-thérapeute est investi d’un pouvoir d’interprétation

des œuvres, dans l’intervention étudiée, nous abordons l’œuvre créée par les couples avec

ouverture, sans préjugé ni suspicion (Bernèche et Plante, 2009). Nous soutenons plutôt les

partenaires dans l’exploration de leur création afin de leur permettre d’en développer une

compréhension sensible et intime.

Le déroulement des séances

Les séances se déroulent la plupart du temps selon une même séquence en trois temps, où les

participants naviguent entre des moments d’expression par la parole et d’autres moments où

ils s’expriment par les médiums artistiques. Le schéma suivant (figure 2) traduit cette

séquence. Il est à noter que des flèches indiquent, au centre, un sens contraire aux flèches

extérieures. Elles représentent le caractère non linéaire de la séquence prévue, qui se vit avec

souplesse, guidée par le processus de création.

75

Figure 2 : Le déroulement des séances d’art-thérapie

Dans un premier temps, un retour sur la semaine est fait oralement. Les conjoints partagent

ce qu’ils ont vécu, les défis qu’ils ont rencontrés, les questionnements qui ont émergé, bref,

ce qui est présent dans leur relation et leur quotidien depuis la dernière séance. Puis, dans un

deuxième temps, en fonction de ce qui est dit et de ce qui semble encore actuel au moment

de la rencontre, une première suggestion d’activité à réaliser avec le matériel artistique est

faite au couple. Ici, il devient pertinent de définir ce que nous entendons par le terme activité,

car il peut être associé à une intervention qui se situe davantage dans une perspective

d’animation. Dans le contexte de l’intervention réalisée, une activité artistique est proposée

aux partenaires dans le but de les mettre en action autour d’un objet, parfois commun,

stimulant leur imaginaire et les engageant dans un processus de création et de découverte de

soi et de l’autre. Cette création devient aussi un canal par lequel la personne peut s’exprimer.

Cette première activité artistique est parfois suivie d’une autre. Aussi, sauf exception, les

activités proposées ne sont pas établies à l’avance mais choisies sur le moment et orientées

vers la réponse au besoin identifié, la gestalt. Finalement, dans un troisième temps, les

séances se bouclent par un retour sur les créations, leur signification pour les couples et ce

qu’ils en retirent pour entreprendre une nouvelle semaine.

Temps d'expression par la parole

et identification de la Gestalt

Temps d'expression artistique

Intégration de l'image et

temps d'expression par la parole

76

L’approche par le processus en art-thérapie

Cette approche joue un rôle d’unification des deux grands courants de pensée à l’origine de

l’art-thérapie, qui opposaient l’idée que l’art est thérapeutique en soi à celle qui promeut la

psychothérapie par l’art. Rhinehart et Engelhorn (1982) rallient ces deux perspectives :

For us neither of these stances is the issue, for we see both sides of the argument

and honor both opinions. We agree with Kramer and her belief in the healing

quality inherent in the creative process. We also agree with Naumburg and her

belief in the images produced as constituting symbolic speech. Our work has led us

to the point where we believe it isn’t a matter of art or therapy; it is a matter of

integrating these two into one whole – art therapy. (p. 62)

Ces auteures se sont intéressées aux changements qui s’opèrent par le simple processus de

création et au rôle de l’art-thérapeute dans l’observation et la facilitation de ce processus.

Cette posture a également fait l’objet des écrits de Shaun McNiff (1998, 1992), artiste

influent dans le milieu de l’art-thérapie. Ce dernier a mis en lumière le piège qui guette les

art-thérapeutes d’interpréter hâtivement les images créées par les personnes qu’ils

accompagnent. McNiff (1992) invite à « rester avec l’image », à la contempler et à

l’appréhender avec ouverture, s’appuyant sur l’idée que le processus est constant et que

l’image créée demeure vivante et réserve des surprises à son auteur ou à celui qui la regarde.

Tout comme la création artistique, l’épanouissement personnel est un processus constant

(Duchastel, 2005). Il ne s’agit pas de le forcer mais plutôt de l’accompagner. La créativité

est un outil permettant de stimuler ce processus de transformation. Elle s’exprime « dans une

expérience immédiate, qui est vécue ici et maintenant. En revenant à l’instant présent, on

évite un piège souvent vu en thérapie : l’emprisonnement du client dans son mythe personnel.

La personne connaît et raconte son histoire personnelle comme s’il s’agissait d’un scénario

immuable et souvent stérile. » (Duchastel, 2005, p. 30).

Ainsi, ce mythe personnel se rejoue dans le processus de création. Cette ligne qui revient

avec force dans un mouvement de rétroflexion traduit peut-être une colère dirigée contre soi.

Il est alors possible d’en prendre conscience d’abord, puis d’explorer les sensations

provoquées par le mouvement inverse et d’apprivoiser un autre rapport à soi et aux autres, à

travers un mouvement impliquant des médiums artistiques, répété jusqu’à l’intégration d’une

nouvelle perspective. C’est ce qu’ont exploité Rhinehart et Engelhort (1982) dans leur travail

avec la pré-image. Elles ont observé que ce qui précède l’image – les lignes, les formes et les

77

couleurs – offre une quantité d’informations sur ce qui habite la personne et les dynamiques

qui se jouent dans l’instant présent. S’inspirant des techniques gestaltistes qui proposent

d’amplifier certains mouvements de main qu’exerce spontanément une personne en thérapie,

Rhinehart et sa collègue demandent à leurs clients de répéter en les exagérant les lignes, les

formes et les couleurs qui apparaissent sur la feuille.

Dans la perspective de l’approche par le processus, l’art-thérapeute s’intéresse donc aux

différents canaux empruntés par l’inconscient pour se manifester et favoriser le déploiement

du processus de transformation de la personne. Ces canaux sont notamment les sensations ou

les douleurs physiques, les sentiments, les images, les symboles, les mouvements intérieurs

ou extériorisés (Hamel, 2006). Toutes ces sources d’informations sont mises à contribution

dans le processus de création qui ne se limite pas à créer une œuvre mais bien à créer de

nouvelles perspectives pour permettre à la personne d’accéder à un mieux-être et de continuer

à s’épanouir.

Concrètement, dans l’approche par le processus, l’art-thérapeute porte une attention à la

globalité de l’expérience qui se vit dans l’espace sécuritaire de la relation. Il soulignera ce

qui se trace sur la feuille ou dans la matière tout en étant attentif à ce que la personne qu’il

accompagne exprime, autant verbalement que par ses mouvements, sa posture, etc. Tout ce

contenu fait partie intégrante du processus de création qui est à l’œuvre pendant la séance. À

l’aide des médiums artistiques, en invitant la personne à rejouer ce qu’il perçoit, l’art-

thérapeute l’accompagne dans un processus qui lui permet de prendre conscience de ses

dynamiques relationnelles – à elle-même et à son environnement – et de les transformer. Une

ligne pointue s’adoucira. Un cercle fermé s’ouvrira. Bref, un processus est entamé et

accompagné parce que toute l’expérience est enveloppée et prise en compte, dans une volonté

de création d’un être humain qui répond à un désir d’épanouissement personnel.

En résumé, l’approche par le processus intègre à la fois des concepts et des façons de faire

issus de la gestalt-thérapie, mais également de l’approche jungienne. Elle s’intéresse au

processus de création, reflet de la transformation qui s’opère chez la personne qui entame

une démarche en art-thérapie. Les symboles qui émergent de l’ouverture sur l’imaginaire de

la personne ont également un sens qui est pris en considération dans la lecture et la

compréhension du processus vécu et dans les interventions de l’art-thérapeute.

78

Rencontre préparatoire

La démarche d’intervention débute par une rencontre préparatoire au cours de laquelle les

couples ont la possibilité de s’exprimer sur leurs attentes et leurs besoins face à l’intervention.

Lors de cette rencontre, le projet leur est expliqué en détails. Il leur est aussi alors possible

d’obtenir des réponses à leurs questions. C’est également à ce moment que les formulaires

de consentement leur sont présentés puis sont signés. Par ailleurs, la rencontre préparatoire

sert à faire une évaluation sommaire de leur situation, à prendre connaissance de leurs forces

et de leurs défis, etc. Finalement, cette rencontre est l’occasion de jeter les bases du lien de

confiance à créer entre l’intervenante et les couples pour faciliter par la suite leur entrée dans

le processus.

Autres modalités

Il est prévu au départ que l’intervention s’échelonne sur une dizaine de semaines à raison

d’une rencontre hebdomadaire de 60 minutes. Tout le matériel artistique nécessaire est

fourni.

Nous remettons aussi à chaque couple une copie d’un guide6 qui s’adresse aux aidants. Ce

guide est une ressource déjà existante, qui propose aux aidants des outils concrets et des

ressources pour adapter leur quotidien à leur situation d’aidant d’une personne atteinte de

troubles cognitifs. Dans un contexte exigeant où l’aidant est sollicité et à risque d’épuisement,

il nous apparaît pertinent de leur fournir un outil concret de ce type.

Rencontre post-intervention

Quelques semaines après la dernière séance, une rencontre post-intervention est réalisée avec

chaque couple. Lors de cette rencontre, les partenaires sont invités à partager leurs

perceptions de l’expérience vécue : leurs découvertes, leurs impressions, ce que cela leur a

apporté en tant qu’individus et en tant que couple, ce qu’ils ont apprécié et ce qu’ils n’ont

pas apprécié, ce qu’ils auraient aimé vivre autrement, etc. Cette rencontre prend la forme

d’un entretien semi-dirigé et vise par ailleurs à mettre fin à l’intervention et à clore le

processus.

6 Carbonneau, H., Fortier, J. et Beauchamp, J. (2012). Rehaussement de la qualité de vie des aidants et de leur

proche atteint de troubles de mémoire : Pour retrouver plus de plaisir avec son proche. Guide à l’intention

des familles. ACHIM et Université du Québec à Trois-Rivières.

79

Pour plus de clarté, le Tableau 2 présente le modèle logique qui résume l’intervention

proposée ainsi que les retombées attendues.

Tableau 2 Modèle logique de l’intervention

INTRANTS

Ressources humaines

La chercheure effectuera elle-même

l’intervention. Elle est travailleuse sociale et

art-thérapeute professionnelle.

Ressources matérielles

L’intervention se déroulera au domicile

des couples participants.

L’intervenante fournira le matériel

artistique nécessaire à la réalisation de

l’intervention.

EXTRANTS ET ACTIVITÉS

Intervention auprès des couples vus individuellement à leur domicile.

Rencontre préparatoire pour amorcer l’intervention.

Rencontres hebdomadaires de 60 minutes, sur une période de 10 semaines.

Déroulement des séances :

- Retour sur la dernière semaine et attentes du couple pour cette séance. - Activité artistique proposée par l’intervenante, en fonction de la gestalt identifiée.

- Retour et échange sur la création. - Formulation d’une intention ou d’un souhait pour entreprendre la prochaine

semaine.

RÉSULTATS ATTENDUS

À court terme

Les couples qui auront bénéficié de l’intervention pourraient :

- développer des stratégies d’adaptation à leur réalité;

- préserver leur intégrité conjugale.

Ces résultats s’observeraient notamment par :

- l’expression des émotions et l’accueil mutuel de leurs

vulnérabilités;

- la transformation positive des rôles que jouent les

personnes au sein de leur couple;

- le développement de nouveaux modes de communication;

- le développement et l’expression de l’empathie entre les

partenaires;

- la consolidation du sentiment identitaire des individus et

du couple.

À moyen et long

terme

Les couples qui auront

bénéficié de

l’intervention

pourraient :

- avoir une meilleure

qualité de vie;

- être davantage

satisfaits de leur

relation conjugale.

Les résultats attendus émergent de la revue de littérature sur les besoins des couples âgés qui

doivent composer notamment avec la maladie d’Alzheimer. Étant donnée la nature

exploratoire du devis proposé, la formulation des objectifs visés à court terme laisse entendre

que ce sont des possibilités qu’il nous sera donné d’observer ou non tout au long de

80

l’intervention. Il se pourrait également que d’autres résultats, non prévus, soient observés ou

identifiés par les couples participants, les pairs ou l’intervenante. Quant aux résultats attendus

à moyen et à long terme, il ne sera pas possible de les évaluer considérant le court laps de

temps durant lequel se déroulera cette recherche. Il semble cependant raisonnable de croire

que ceux-ci seront fort possiblement en mesure de se réaliser si les objectifs à court terme

sont atteints, même partiellement.

Maintenant que l’intervention à l’étude a été décrite en détails, le prochain chapitre examine

la méthodologie de la recherche mise en œuvre afin de recueillir les données et de les

analyser.

81

CHAPITRE 4 : MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE

Dans sa plus simple expression, la méthodologie de la recherche réfère à l’ensemble des

méthodes déployées pour la mise en œuvre d’un devis de recherche. Mais les choix qui sont

faits pour en déterminer les contours sont orientés par la posture qu’emprunte le chercheur et

qui se traduit par ses valeurs, ses croyances et ses postulats (Dolbec et Prud’homme, 2010).

Il importe donc à cette étape-ci de définir la posture adoptée pour poser ensuite les

fondements méthodologiques du devis de recherche. Cette posture s’inscrit dans des choix

épistémologiques qui relèvent de la méthodologie de la recherche qualitative. Ces concepts

et positions sont d’abord présentés. Puis, la recherche s’intéressant au déploiement d’une

intervention réalisée dans un contexte encore peu exploré, elle se situe dans la grande

perspective de la recherche évaluative. L’étude de cas exploratoire semble être la stratégie

méthodologique la plus appropriée pour nous permettre d’atteindre nos objectifs. Cette

approche est présentée dans la deuxième partie de ce chapitre. Le chapitre se conclut sur la

description du devis de recherche réalisé.

4.1 Posture de la chercheure et considérations épistémologiques de la méthode

L’intuition éprouvée suite à plusieurs années de pratique constitue le point de départ de la

réflexion qui a mené à la construction de ce projet de recherche doctorale. Il va sans dire

qu’elle en sera une composante déterminante tout au long du processus. Paillé et Mucchielli

(2012) la définissent comme « la forme humaine d’une connaissance immédiate, soit

intellectuelle, soit vécue, donnant un accès privilégié à une certaine vérité. » (p. 58). Cette

dimension au caractère subjectif s’inscrit dans un ensemble de choix épistémologiques

pleinement assumés. Ces choix logent au cœur du paradigme de la sociologie compréhensive

qui affirme

la possibilité qu’a tout homme de pénétrer le vécu et le ressenti d’un autre homme

(principe de l’intercompréhension humaine). L’approche compréhensive comporte

toujours un ou plusieurs moments de saisie intuitive, à partir d’un effort d’empathie,

82

des significations dont tous les faits humains et sociaux étudiés sont porteurs.

(Mucchielli, 2014, p. 24)

En d’autres mots, c’est dans une perspective phénoménologique que la recherche a été

appréhendée, car elle s’intéresse à l’expérience, au vécu des personnes concernées par le

sujet, tel qu’elles le perçoivent et qu’elles le ressentent et ce, dans le but d’extraire l’essence

même de cette expérience. « Cela implique [pour la chercheure] la mise entre parenthèses

des connaissances intellectuelles acquises, du savoir tout fait et tout prêt, dont l’interposition

nous empêche de percevoir directement les phénomènes. » (Mucchielli, 2014, p. 61). Ainsi,

la démarche proposée est surtout inductive et appelle conséquemment une méthodologie

qualitative.

Les méthodes de recherche qualitative se sont transformées au fil de l’histoire. Prenant

d’abord naissance dans une perspective positiviste où l’individu, perçu comme un « autre »,

est l’objet de l’étude, les méthodes qualitatives versent graduellement vers une perspective

constructiviste. Ainsi, à partir des années 1970, le rôle et la place occupée par le chercheur

sont remis en question. On ne cherche plus à obtenir des résultats généralisables mais à

développer une compréhension sensible et profonde des phénomènes sociaux et humains.

Dans ce que Denzin et Lincoln (1994) appellent la « période actuelle », les différents acteurs

de la recherche ont davantage voix au chapitre et la recherche qualitative se met dorénavant

au service des praticiens qui veulent poser un regard critique sur leurs pratiques. Par ailleurs,

on peut définir les approches qualitatives comme un moyen pour le chercheur d’entrer en

relation avec les participants à l’étude dans le but de comprendre le sens qu’ils donnent à une

situation, à leur expérience (Savoie-Zajc, cité dans Mucchielli, 2014). Ce sens se construit

tout au long du processus de recherche et prend forme au cœur même des liens qui se tissent

entre le chercheur et les sujets de l’étude.

Paillé (2007) propose de définir la recherche qualitative en l’associant à la posture du

chercheur. Par exemple, ce dernier poursuit le dessein de « comprendre, retracer, relier » (p.

422) un phénomène plutôt que de l’expliquer par sa mesure. Il sera sensible à l’expérience

vécue par la personne et aux perceptions qu’elle développe au contact des autres. Car c’est

dans l’interaction que la compréhension de la réalité observée se construit. Or, dans le cas

qui nous intéresse, c’est au cœur du processus d’intervention que les interactions se jouent et

ce, sur plusieurs plans : l’individu face à lui-même, le couple, l’intervenante face à elle-

83

même, face à chaque partenaire et face au couple en tant qu’entité. Il faut également

considérer la relation de ces acteurs avec l’œuvre créée par le couple ou les individus qui le

composent. Une multitude de liens, de regards, de perceptions et de discours avec lesquels il

faut composer et desquels on veut extraire des significations. Le chercheur qualitatif est attiré

par le milieu naturel où se déroule l’action qui l’intéresse et cherche à y plonger littéralement

plutôt que d’y poser un regard distant. Conséquemment, tout comme l’expérience des

couples, notre expérience devient une donnée à considérer, donc objet de l’étude, car nous

endossons à la fois le statut de chercheure et celui d’actrice aussi sujet de l’étude.

Finalement, Paillé (2007) rappelle que le chercheur « est conscient de la complexité de la

question de l’interprétation, qui met en cercle et en dialogue des textes, des contextes et des

interprètes… » (p. 424). Cette dernière question de l’interprétation dicte la voie à prendre

pour la composante déterminante du processus de recherche qu’est l’analyse des données

recueillies. Car l’approche qualitative ne se limite pas à déterminer la façon dont les

informations sont amassées mais oriente également la façon dont elles sont traitées. Paillé

(2007) suggère que l’interprétation du matériel constitue le principal fondement du travail

d’analyse qui permettra de donner un sens à l’expérience observée et relatée. Il définit cette

étape comme étant

tout autant une composition (dans le sens artistique) qu’un témoignage (se voulant

authentique et valide). Elle relève d’une expérience (du terrain), mais se déploie dans

une réalisation (au sens d’une performance), qui reste toujours une approximation.

Elle est, de diverses manières, une relation, et même une épreuve (un éprouvé qui

peut devenir éprouvant). (p. 415)

L’approche qualitative est particulièrement appropriée dans certains contextes. C’est le cas

notamment dans les situations où l’état des connaissances est préliminaire ou encore lorsque

les dimensions à mesurer sont difficilement prévisibles (Turcotte, F.-Dufour et Saint-

Jacques, 2010). Cela correspond à la situation de la présente recherche. Les connaissances

actuelles sur l’intervention en art-thérapie auprès des couples sont pratiquement inexistantes

et puisqu’il s’agit par surcroît d’une intervention en contexte d’Alzheimer, les conclusions

de l’étude sont difficiles à prévoir. À cet égard, rappelons les objectifs de la recherche qui la

placent dans une perspective phénoménologique où l’expérience vécue par tous les acteurs

concernés se retrouve au centre des préoccupations :

84

1) Concevoir et documenter une intervention en art-thérapie auprès de couples dont l’un

des partenaires est atteint de la maladie d’Alzheimer;

2) Comprendre ce que vivent les couples confrontés à la maladie d’Alzheimer lorsqu’ils

bénéficient d’une intervention psychosociale en art-thérapie;

3) Amorcer une réflexion sur une pratique d’intervention qui allie deux identités

professionnelles; le travail social et l’art-thérapie.

Dans cette perspective, les questions de recherche qui émergent de ces buts sont formulées

de manière ouverte et cherchent davantage à savoir quoi et comment que pourquoi et

combien. Elles se déclinent ainsi :

1) Comment l’intervention psychosociale en art-thérapie auprès des couples touchés par

la maladie d’Alzheimer se déploie-t-elle?

2) Quelle est l’expérience des couples concernés lorsqu’ils vivent une intervention en

art-thérapie?

3) Comment l’art peut-il les soutenir dans la préservation de leur intégrité conjugale?

4) Comment l’art peut-il favoriser le développement de stratégies d’adaptation des

couples qui font face à la maladie d’Alzheimer?

5) Comment s’articulent les identités professionnelles du travail social et de l’art-

thérapie lorsqu’elles cohabitent dans une même intervention et chez une même

personne?

En résumé, la posture adoptée pour l’élaboration du devis de recherche est constructiviste,

adhérant aux principes de la sociologie compréhensive et accordant une place importante à

l’intuition. Cette posture suggère une méthodologie qualitative où l’expérience et les

perceptions des personnes concernées sont au cœur du processus. Nous nous retrouvons

parmi ces acteurs et notre double statut d’intervenante et de chercheure nous amène à

poursuivre également un double objectif : réaliser au meilleur de nos compétences une

intervention répondant aux besoins de la population ciblée et donc parfaire notre pratique,

tout en cherchant à comprendre ce qui se passe tout au long de cette expérience et donc à

produire des connaissances.

85

À l’instar d’autres auteurs (Depover, Karsenti et Komis, 2011; Patton, 1990; Roy, 2010),

nous suggérons qu’il est à la fois possible de porter un regard critique sur une intervention

afin de l’améliorer tout en contribuant à l’avancement des connaissances dans son domaine.

C’est le cas lorsque l’évaluation est encadrée par un protocole rigoureux et que « les

techniques mises en œuvre conduisent également à la production de nouvelles connaissances

susceptibles d’enrichir, de compléter, de nuancer ce que l’on sait à propos d’un domaine. »

(Depover et al., 2011, p. 204). On parle alors de recherche évaluative ou encore de recherche

appliquée. La quête d’une plus grande compréhension d’une approche d’intervention et,

éventuellement, le développement d’une pratique émergente, placent définitivement notre

projet de recherche dans la perspective d’une évaluation du programme d’intervention. Parmi

les approches utilisées dans ce domaine de recherche se retrouve l’étude de cas, une approche

qui semble appropriée pour nous permettre d’atteindre les objectifs poursuivis par la présente

recherche. La réflexion qui suit la décrit.

4.2 L’étude de cas

Roy (2010), définit l’étude de cas comme « une approche de recherche empirique qui consiste

à enquêter sur un phénomène, un événement, un groupe ou un ensemble d’individus,

sélectionné de façon non aléatoire, afin d’en tirer une description précise et une interprétation

qui dépasse ses bornes. » (p. 206-207). On a recours à cette approche notamment pour

explorer des phénomènes contemporains et peu connus ou pour appréhender avec profondeur

un sujet ou une situation dont on cherche à saisir les subtilités et les spécificités (Roy, 2010).

Martinson et O’Brien (2010, cités dans Dahl, Larivière et Corbière, 2014) rappellent aussi

que cette approche est utilisée fréquemment dans les évaluations de programmes

d’intervention.

Kapitan (2010) retient que l’étude de cas est l’une des méthodes de recherche les plus

couramment utilisées en art-thérapie. Elle explique pourquoi dans ces mots :

« Experimentation seldom produces the nuanced insights of cases to refine art therapy

knowledge. A case study can compel the researcher to discard inaccurate beliefs, to revisit

neglected areas of the literature, and even to test the findings of large-scale studies. » (p.

123).

86

Certains auteurs distinguent trois types d’études de cas (Yin, 2014; Dahl et al., 2010). Elles

peuvent être exploratoires et permettre d’élaborer un cadre conceptuel pour des recherches

ultérieures. Elles peuvent être descriptives; elles visent alors à brosser le portrait détaillé et

nuancé d’un phénomène. Finalement, les études de cas peuvent être explicatives et établir

des liens de cause à effet entre un programme et les effets observés suite à son application.

Ce dernier type fait plus souvent appel à une méthodologie mixte menant à la généralisation

des données recueillies. Kapitan (2010) présente aussi le type d’étude de cas que l’on appelle

le cas clinique, celui qui serait le plus utilisé en art-thérapie, toujours selon l’auteure. L’étude

de cas prend alors la forme d’un récit de l’intervention réalisée et du cheminement de la

personne.

Notre projet de recherche doctorale s’inscrit à certains égards dans la première perspective

selon Yin (2014), celle où l’étude de cas « peut servir dans le cadre d’une approche inductive

où, à partir d’une ou de quelques situations étudiées, on cherche à dégager des processus

récurrents pour graduellement regrouper les données obtenues et évoluer vers la formulation

d’une théorie. » (Collerette, 2014, p. 92). Mais il se situe également dans une perspective

descriptive puisque nous voulons traduire l’expérience vécue dans ses moindres subtilités et

à partir du plus grand nombre possible de points de vue. La forme qu’elle prend se rapproche

aussi de l’étude de cas clinique telle que présentée par Kapitan (2010).

L’unité d’analyse peut varier d’une étude à l’autre mais sera généralement composée d’un

individu, d’une famille ou d’un groupe de personnes. Dans certains cas, il pourrait aussi s’agir

d’un organisme, d’un quartier ou d’un programme. Yin (2014) précise que l’étude de cas

peut porter sur un cas unique ou sur plusieurs cas. Lorsque l’étude porte sur plus d’un cas, il

est alors question d’une étude de cas multiples. Cette dernière permet de reproduire le

processus de recherche pour chaque cas afin d’en faire une synthèse et de ratisser plus large

pour en extraire des informations complémentaires (Dahl, Larivière et Corbière, 2014). En

ce qui nous concerne, ce sont les couples rencontrés qui deviennent les unités d’analyse.

Nous avons donc réalisé une étude de cas multiples.

Il importe d’ajouter que certaines habiletés sont requises chez le chercheur qui entreprend

une étude de cas : la capacité de poser les bonnes questions et d’interpréter honnêtement les

réponses; la souplesse face à l’imprévu et la capacité d’adaptation; une compréhension

87

profonde de la réalité étudiée; la capacité d’écoute de ce que dit l’autre véritablement et non

ce que l’on souhaite entendre; la sensibilité à ses propres biais et un souci de l’éthique de la

recherche (Yin, 2014).

Certaines variantes moins rigoureuses de cette méthode de recherche font parfois l’objet de

critiques, notamment si elles ne sont pas basées sur une triangulation de diverses sources de

données. On note aussi parfois la difficulté de généraliser les résultats ainsi que la charge de

travail liée à la cueillette d’une quantité importante de données (Roy, 2010; Yin, 2014).

D’autres auteurs stipulent cependant que l’étude de cas est dorénavant reconnue par la

communauté scientifique (Gagnon, 2012). Elle offre sans contredit des avantages propres à

sa nature. Yin (2014) rappelle qu’elle permet de comprendre un phénomène en profondeur

en le saisissant dans toute sa complexité et en considérant les conditions dans lesquelles il se

déploie.

Yin (2014) insiste sur l’importance de la triangulation des données, c’est-à-dire de pouvoir

compter sur plusieurs sources de données pour effectuer l'analyse et d’en faire ressortir les

convergences et les divergences. Selon l’auteur, c’est sur cette pratique que reposent la

validité et la crédibilité de l’étude de cas. Il faut aussi retenir que la triangulation des

méthodes de cueillette des données permet de limiter les biais relatifs à des erreurs de mesure

(Roy, 2010). Roy (2010) préconise également la tenue d’un journal de recherche détaillé qui

aura notamment pour fonction de favoriser la prise de conscience des biais du chercheur et

d’« objectiver sa pensée et ses interprétations. » (p. 219). La consultation des pairs et le retour

aux participants sont d’autres stratégies pouvant être mises en œuvre pour assurer la

crédibilité de la recherche. Dans ce sens, d’autres praticiens, extérieurs au projet, ont le

potentiel d’être intéressés par la réflexion sous-jacente au processus de recherche. Cette

conception nous a menée à l’idée de mettre en place un groupe de pairs qui sera appelé à

contribuer à l’analyse des données recueillies.

Ce choix ainsi que toutes les autres décisions prises quant à la méthodologie mise en œuvre

pour réaliser cette recherche sont décrits dans le devis de recherche maintenant présenté.

88

4.3 Devis de recherche

Le devis de recherche décrit ici se décline en quatre parties. Dans un premier temps, il décrit

les stratégies mises en œuvre pour le recrutement des couples participants ainsi que les

critères et les considérations éthiques liées au consentement et à la confidentialité. Le même

parcours est ensuite traversé pour le groupe de pairs qui a été constitué. Les différentes

stratégies de collecte des données mises en œuvre sont présentées dans la section suivante.

Finalement, une dernière section traite de la méthode utilisée pour l’analyse des données.

4.3.1 Les couples participants

La population ciblée pour l’intervention est constituée de couples dont l’un des partenaires

est atteint de la maladie d’Alzheimer à sa phase précoce ou modérée. L’évolution de la

maladie étant aléatoire, il n’est pas nécessaire d’avoir l’avis d’un médecin sur le stade formel

de la maladie chez les participants. L’intérêt pour l’expression artistique n’est pas non plus

un prérequis. Mais il va sans dire qu’il est possible que la présence de cette dimension dans

l’intervention exclut d’emblée les participants qui n’ont pas d’intérêt pour la création.

Toutefois, il est mentionné aux participants potentiels que le talent artistique n’est pas un

critère pour participer à l’étude. En dépit du diagnostic, les participants doivent toutefois être

en mesure de comprendre les enjeux de la recherche et ce qui leur est proposé et de participer

activement à la démarche. Les autres critères d’inclusion sont la cohabitation et le fait d’être

en couple depuis au moins un an.

Étant donnée la particularité des situations conjugales recherchées, nous avons procédé à une

technique d’échantillonnage non probabiliste de volontaires, c’est-à-dire qu’une invitation a

été lancée aux personnes répondant aux critères et que les volontaires ont constitué

l’échantillon des personnes ayant participé à l’étude. Pour constituer le groupe de couples

bénéficiant de l’intervention, une annonce écrite a été diffusée auprès d'organismes

communautaires s’adressant à des aînés et des proches aidants. Ces organismes ont ciblé des

couples susceptibles d’être intéressés par la recherche et répondant aux critères. À ce

moment, un intervenant du milieu en parlait directement au couple et s’il était intéressé, il

communiquait avec nous ou donnait son accord pour que ses coordonnées nous soient

transmises. Un premier contact téléphonique a été fait et la démarche a pu ensuite débuter

rapidement.

89

Consentement et confidentialité

Conformément aux règles éthiques sous-jacentes à tout projet de recherche, le consentement

libre et éclairé à participer à la recherche a été sollicité auprès des participants. Un formulaire

de consentement était présenté à chaque couple et signé par les deux conjoints lors de la

rencontre préalable (Annexe A). Il a été rédigé selon les règles et normes établies par le

CÉRUL.

La confidentialité des participants a été assurée en dénominalisant toutes les données

recueillies. Les couples ont également été invités à consentir à la publication des œuvres

qu’ils ont créées tout au long de la démarche, et la confidentialité a été assurée en cachant ou

en transformant radicalement toute photo ou image permettant de les reconnaître.

Tous les participants atteints de la maladie d’Alzheimer étaient légalement aptes à consentir

à participer à la recherche. Cependant, une de ces personnes démontrait de façon moins claire

sa capacité à manifester son consentement à participer à la recherche. Dans ce cas, nous avons

porté une attention particulière à tout comportement laissant entendre qu’elle ne souhaitait

pas participer aux activités et, si cela s’était présenté, nous aurions mis fin à sa participation.

4.3.2 Le groupe de pairs

Pour élargir le regard posé sur la pratique et offrir un point de vue à la fois impliqué et

extérieur, la participation d’autres professionnels à ce projet s’est avérée pertinente. Un

groupe de pairs composé d’art-thérapeutes et de travailleurs sociaux a donc été formé pour

enrichir notre regard. Les intervenants répondant à ces critères ont été ciblés par l’entremise

des outils de recherche retracés sur les sites internet de l’Ordre des travailleurs sociaux et des

thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec ainsi que celui de l’Association des art-

thérapeutes du Québec. Une invitation personnalisée présentant les objectifs de la recherche,

la visée de leur participation et ce que cela signifiait en termes d’engagement leur a été

envoyée par courriel. Tous les professionnels ayant répondu à l’appel ont constitué le groupe

de pairs.

Consentement et confidentialité

Considérant que les pairs allaient avoir accès au contenu des rencontres réalisées avec les

couples et que lors des discussions, il allait peut-être leur être possible d’identifier certains

90

couples, ils ont été invités à signer un formulaire d’engagement à la confidentialité (Annexe

B).

4.3.3 Sources de données

Diverses sources de données ont été utilisées afin d’obtenir un large éventail d’informations

et de points de vue sur la situation étudiée. Les stratégies de collecte de ces données ont été

choisies en fonction des buts et des questions de recherche. Toutes ces sources ont permis de

recueillir des données qui ont servi à l’atteinte des deux premiers buts de la recherche, soit

ceux qui concernent l’intervention et l’expérience des couples. Pour atteindre le troisième

but de la recherche, les données recueillies dans le journal de recherche ainsi que dans la

transcription des propos échangés par les pairs ont constitué les principales sources

d’informations. Le tableau 3 résume l’ensemble de ces stratégies.

Tableau 3 Stratégies de collecte des données

Temps de l’intervention Outils

Rencontre préparatoire Compte-rendu de la rencontre (intervenante)

Questionnaire sociodémographique (couples)

Journal de recherche (chercheure)

Intervention Compte-rendu des séances (intervenante)

Œuvres (couples)

Journal de bord (couples)

Journal de recherche (chercheure)

Rencontre post-intervention Transcription des entrevues semi-dirigées (couples et

intervenante)

Journal de recherche (chercheure)

Analyse des données Questionnaire sociodémographique (pairs)

Transcription des propos du groupe de pairs (pairs)

Journal de recherche (chercheure)

Tout d’abord, les propos recueillis lors de la rencontre préparatoire ont été enregistrés mais

n’ont pas été retranscrits intégralement. Toutefois, l’enregistrement a été réécouté au moment

de la rédaction du compte-rendu de la rencontre de sorte que l’ensemble des sujets abordés

est rapporté dans les comptes-rendus. Le canevas des questions abordées lors de cette

rencontre est présenté à l’annexe C. De plus, un formulaire permettant de recueillir les

données sociodémographiques des participants a été complété par ces derniers. Il permet

91

essentiellement de tracer un portrait socioéconomique des couples participants et de mieux

contextualiser les résultats obtenus.

Pendant les séances, nous avons pris beaucoup de notes sur ce qui se vivait, se disait, etc.

Puis, tout de suite après chacune des séances vécues par les couples, nous avons rédigé un

compte-rendu qui relate le contenu de la séance, les thèmes abordés par le couple, ses

observations, les changements perçus ainsi que les objectifs de la rencontre suivante et toute

autre information jugée pertinente. Ces rapports contiennent également les photos des

productions visuelles réalisées pendant la séance et ce que le couple a exprimé à leur propos.

Le contenu de ces dossiers a été partagé avec les membres du groupe de pairs. Ils n’ont

cependant pas été remis aux couples car ils contiennent également nos impressions et

réflexions et dépassent le cadre habituel du contenu que l’on retrouve dans les notes

évolutives des séances et qui constitue le dossier officiel des clients.

Les œuvres créées par les participants font également partie du corpus recueilli pour

l’analyse. Puisque notre posture non-interprétative s’appuie sur l’idée que la personne qui est

le plus en mesure de parler du sens d’une œuvre est celle qui l’a composée (Naumburg, 1966),

nous n’en avons pas fait une interprétation indépendante mais les avons plutôt considérées à

la lumière de ce que les couples auteurs en ont dit.

Les couples participants ont également été invités à compléter, hebdomadairement, un

journal de bord dans lequel ils pouvaient exprimer leurs perceptions des effets de

l’intervention sur leur relation, en regard de leurs propres objectifs. Ils pouvaient le faire

individuellement ou conjointement, selon leurs besoins et leurs capacités. Le contenu du

journal de bord servait de point de départ pour la rencontre suivante et, s’il y avait lieu, faisait

l’objet d’une discussion avec le couple. Il a aussi été conservé pour analyse.

Finalement, les échanges tenus lors de la rencontre post-intervention ont été enregistrés et

transcrits pour analyse. Le canevas de cet entretien semi-dirigé réalisé avec chaque couple

individuellement est présenté à l’annexe D.

Tout au long de l’intervention, nous avons consigné dans un journal de recherche notre

expérience, nos impressions, nos observations, nos réflexions, nos questionnements, nos

constats et toute autre information jugée pertinente. Le journal de recherche contenait donc

92

des réflexions et observations sur chaque séance et sur chacun des couples mais également

une réflexion transversale à toutes les expériences vécues tout au long de la recherche.

En dernier lieu, le contenu des échanges effectués lors des rencontres du groupe de pairs a

été enregistré puis transcrit pour l’analyse. Le canevas des questions abordées lors de ces

rencontres est présenté à l’annexe E. Chaque professionnel a également complété un

formulaire de données sociodémographiques.

4.3.4 L’analyse des données

Selon Paillé et Mucchielli (2012), l’analyse qualitative relève d’une herméneutique,

autrement dit, elle cherche à comprendre et à interpréter les expériences qui lui sont données

à travers le matériel recueilli par la recherche. Cette philosophie de la compréhension

implique que l’analyste constitue déjà une part du sens qui sera extrait de l’expérience

étudiée, car « on ne peut entrer en relation qu’avec ce que l’on est. » (p. 105). Et pour

interpréter un texte ou toute autre forme de contenu, il faut d’abord aller à sa rencontre, se

présenter à lui en toute authenticité, conscient que ses propres préjugés et son expérience

personnelle teinteront l’interprétation qui sera faite de l’expérience que l’on cherche à saisir.

Les auteurs vont plus loin en ajoutant que « Bien humblement, le chercheur peut même

considérer que son rôle est de donner forme à la rencontre entre le fond de sa culture, son

histoire, sa vie, et le fond de la culture, de l’histoire, de la vie du texte dont il se fait

l’interprète. » (p. 109).

Cette perspective rejoint idéologiquement la façon dont est conçue l’œuvre artistique dans le

cadre d’une démarche en art-thérapie. En fait, le sens est mouvant et ne peut donc être capté

que partiellement par l’œil qui l’observe. Le rôle de l’art-thérapeute, tout comme celui du

chercheur, est alors d’accueillir l’œuvre, de se laisser toucher par elle et par le sens qu’elle

porte. Paillé et Mucchielli (2012) expriment avec justesse cette idée d’ouverture :

Que cet interprète soit l’auteur lui-même ou une autre personne, la compréhension

reste un apport de sens et non une découverte du sens. Quelque ajusté que puisse être

le sens que donne à sa vie un sujet, ce sens n’a jamais livré son dernier mot, il est

toujours plein d’un surplus de sens à dévoiler au terme d’une nouvelle interprétation.

(p. 110)

Dans leur méthode d’analyse qualitative, Paillé et Mucchielli (2012) proposent d’amorcer

l’analyse par un examen phénoménologique préalable des données recueillies. Cela signifie

93

qu’il faut d’abord mettre le temps d’analyse « entre parenthèses » (p. 142), laisser le contenu

se déposer entre quelques séances de lecture. Les auteurs proposent de découper l’exercice

en trois opérations : commencer par une lecture et des relectures du texte pour s’en imprégner

et reprendre contact avec l’expérience étudiée; formuler ensuite des énoncés

phénoménologiques tout au long du texte, pour commencer à en extraire l’essence; terminer

par la rédaction de récits phénoménologiques. Cette dernière étape consiste à reprendre les

éléments de la situation étudiée sous forme d’un récit traduisant dans la proximité

l’expérience vécue par les participants à l’étude. L’exercice soutenu par l’écriture spontanée

amène le chercheur à se rapprocher d’une compréhension sensible de l’expérience, exempte

d’un regard analytique qui pourrait, à cette étape, l’éloigner du sens porté par le vécu.

Cette première étape mène ensuite à d’autres méthodes d’analyse proposées par les auteurs.

Parmi celles-ci, l’analyse par questionnement analytique offre une avenue intéressante pour

notre sujet. Expliquée simplement, cette technique consiste à formuler des questions

auxquelles le contenu analysé est ensuite soumis pour en extraire de nouvelles questions et

ce, jusqu’à ce que les réponses soient claires et permettent d’énoncer des constats, des

propositions et des conclusions sur le matériau étudié. Ces questions sont colligées à

l’intérieur de ce que les auteurs appellent un canevas investigatif. Il ne s’agit pas ici de former

des thèmes ou des catégories exhaustives mais d’établir, en quelque sorte, un dialogue avec

le contenu analysé pour en extraire des significations porteuses d’une nouvelle

compréhension de la réalité étudiée.

C’est donc dans la foulée de Paillé et Mucchielli (2012) que nous avons organisé l’analyse

des données que nous avons recueillies tout au long de cette expérience. Le tableau 4 résume

la démarche qui a été mise en œuvre.

Dans un premier temps, les documents issus des séances (journaux de bord des couples,

comptes-rendus des rencontres et œuvres) ont été relus à quelques reprises dans la perspective

d’en faire un premier examen phénoménologique. Dans les faits, les comptes-rendus des

séances constituaient déjà, à notre sens, des récits phénoménologiques car, sous la forme

qu’ils ont prise, ils jettent

les bases d’une compréhension empathique et circonstanciée du monde vécu à

travers l’éclairage mutuel des ressorts internes de l’expérience et de l’action. Les

94

éléments de compréhension ne sont plus seulement isolés ou invoqués, ils

participent du déploiement même de l’histoire. Le récit reproduit la ligne le long

de laquelle se construit le sens vécu et s’articule le cas. Il est en soi un résultat de

recherche dans la mesure où il donne à voir dans son intégrité une portion

d’expérience. (Paillé et Mucchielli, 2012, p. 149)

Cette relecture attentive du contenu lié aux séances a fait émerger quelques clés de

compréhension, notamment en ce qui concerne les effets de l’intervention sur les couples.

Puis, une analyse par questionnement analytique a été menée à partir d’un premier canevas

investigatif (Annexe F) appliqué à tout le contenu recueilli, à l’exception des œuvres des

couples. Ces premières questions élaborées étaient issues de la littérature et correspondaient

aux premiers objectifs poursuivis par l’intervention. Ces questions nous ont menée à porter

sur les données recueillies un premier regard que nous avons qualifié d’« extérieur » à notre

expérience. Même s’il en est ressorti des éléments intéressants, il nous est apparu que tout un

pan de l’expérience était oublié ou négligé. Cette étape nous a amenée à formuler de

nouvelles questions composant le canevas investigatif qui a été utilisé dans un deuxième

temps de l’analyse (Annexe G). Patiemment, le contenu des comptes-rendus des rencontres,

des propos échangés par les pairs, du journal de bord complété par les couples et celui du

journal de recherche ont été relus en tentant d’en faire émerger des réponses aux nouvelles

questions élaborées. Cette revisite des données a pris une teinte plus intimiste, plus sensible

et peut-être, plus près de l’expérience vécue par toutes les personnes concernées.

Incidemment, les informations qui en sont émergées se situaient à un autre niveau et venaient

compléter les réponses issues d’une première analyse.

En résumé, la méthodologie de la recherche mise en œuvre pour la réalisation de la présente

recherche fait usage des principes de la méthodologie qualitative et prend la forme d’une

étude de cas multiple et exploratoire. L’expérience vécue par les couples qui bénéficient

d’une intervention psychosociale en art-thérapie et la nôtre, l’intervenante-chercheure qui

mène l’intervention, constituent le cœur de la recherche et sont éclairées par le regard critique

de professionnelles d’expérience.

95

Tableau 4 Méthodes d’analyse des données

Méthode d’analyse Contenu analysé

Examen phénoménologique Journal de bord des couples

Comptes-rendus des séances

Productions visuelles des couples

Questionnement analytique

Premier canevas investigatif

Deuxième canevas investigatif

Journal de bord des couples

Comptes-rendus des séances

Propos tenus par le groupe de pairs

Journal de recherche

Contenu des rencontres post-intervention

La souplesse, la sensibilité, la profondeur et la proximité qui caractérisent les méthodes

d’analyse proposées par Paillé et Mucchielli (2012) en font une méthode privilégiée pour

saisir l’essence d’une expérience complexe et profondément humaine impliquant à la fois des

dialogues parlés et symboliques ainsi que la création d’images évoquant la vie intérieure et

intime d’individus et de couples porteurs d’une longue histoire qui arrive à un tournant

décisif. Avant d’en présenter les conclusions, voici d’abord les résultats de l’intervention

réalisée auprès de ces couples.

96

… in cases of a high degree of inflexibility in

the conscious oftentimes the hands alone can

fantasy; they model or draw figures that are

quite foreign to the conscious.

Carl G. Jung

CHAPITRE 5 : RÉSULTATS DE L’INTERVENTION

Ce chapitre constitue le cœur de cette thèse. Considérant la perspective phénoménologique

de la recherche et le premier objectif qui vise à décrire l’expérience vécue, chacune des

démarches réalisées par les cinq couples recrutés pour participer à la recherche est présentée

en détails. Cela explique le caractère volumineux du présent chapitre. D’autant plus que cette

première partie est suivie par deux autres : le contenu de la rencontre réalisée avec le groupe

de pairs suite à l’intervention avec les couples et les éléments marquants de l’expérience de

l’intervenante-chercheure.

5.1 Les résultats de l’intervention auprès des couples

Cinq couples ont été recrutés pour participer à la recherche. Puisque la maladie d’Alzheimer

était un critère, ces couples sont pour la plupart âgés. Tous les couples participants sont en

union libre ou mariés depuis plus de 25 ans. Dans tous les cas, il s’agit de couples

hétérosexuels. Finalement, tous les couples cohabitent. Le tableau 5 résume les

caractéristiques des couples ayant participé à la recherche. Le lecteur doit prendre en

considération que certaines données ont été légèrement modifiées afin de préserver la

confidentialité des participants. Des noms fictifs leur ont été attribués.

En plus des couples participants, deux autres couples ont été rencontrés. Dans le premier cas,

la personne atteinte de la maladie d’Alzheimer a clairement énoncé son refus de participer à

la recherche, en dépit du fait que le conjoint aidant insistait pour qu’ils participent. Ce couple

n’a pas été retenu pour bénéficier de l’intervention mais nous l’avons référé à des ressources

pouvant le soutenir. Pour ce qui est de l’autre couple, la démarche a été amorcée mais les

97

enfants du couple se sont manifestés pour partager leur inquiétude quant à une augmentation

de l’anxiété du conjoint aidant qu’ils ont attribuée à la participation du couple au projet de

recherche. Une dernière rencontre a donc été réalisée avec ce couple pour valider les propos

des enfants et mettre fin à sa participation, après l’avoir lui aussi référé à des ressources

d’aide adéquates et appropriées à sa situation.

Tableau 5 Portrait des couples participants7

Âge Statut civil Atteint de

la maladie

Scolarité Revenu

familial

Couple 1 ♂: 68 ans

♀: 72 ans

Conjoints de

fait depuis +

de 25 ans

Monsieur Niveau

universitaire

Entre 60 000$

et 80 000$

Couple 2 ♂: 72 ans

♀: 70 ans

Mariés

depuis + de

50 ans

Madame Niveau

secondaire

Moins de

20 000$

Couple 3 ♂: 80 ans

♀: 70 ans

Mariés

depuis + de

40 ans

Monsieur Niveau

collégial et

universitaire

Entre 40 000$

et 60 000$

Couple 4 ♂: 66 ans

♀: 67 ans

Mariés

depuis + de

25 ans

Madame Niveau

secondaire et

universitaire

Entre 40 000$

et 60 000$

Couple 5 ♂: 77 ans

♀: 75 ans

Mariés

depuis + de

50 ans

Monsieur Niveau

universitaire

Entre 40 000$

et 60 000$

Chacune des démarches réalisées avec les cinq couples participants est présentée en trois

temps : présentation du couple, de ses attentes et besoins; contenu des séances; perceptions

du couple quant à l’expérience, recueillies lors de la rencontre post-intervention quelques

semaines après la dernière séance.

5.1.1 Le premier couple : Thérèse et François

a) Présentation du couple

Onze rencontres ont été réalisées avec ce couple. Une rencontre supplémentaire aux dix

prévues au protocole a été proposée au couple parce qu’il apparaissait pertinent de boucler

une situation qui a émergé dans les dernières rencontres. Les partenaires avaient beaucoup à

7 Certaines informations ont été modifiées pour préserver la confidentialité des participants.

98

dire et s’investissaient énormément dans leur création de sorte que les rencontres ont duré

1h45 en moyenne.

Ce couple est en union libre depuis plus de 25 ans. Thérèse n’a pas eu d’enfant et François

est père de deux enfants, issus d’une union précédente. Ils ont tous les deux complété une

formation universitaire.

C’est François qui est atteint de la maladie d’Alzheimer. Il a des pertes de mémoire

importantes et ressent parfois un sentiment de persécution. Il dit avoir besoin de sentir qu’il

est encore capable de faire ses activités quotidiennes de sorte qu’il lui arrive de s’obstiner à

ce sujet avec sa conjointe. Nous constatons lors des rencontres que François développe

également un trouble de la perception visuelle, ce qui affecte sa capacité à utiliser les

médiums artistiques. Il participe à un projet de recherche sur un traitement pour la maladie,

ce qui entraîne plusieurs rendez-vous médicaux auxquels sa conjointe l’accompagne

régulièrement. Par ailleurs, François s’entraîne quelques fois par semaine. Il conduit sa

voiture et est autonome dans ses déplacements. Il peut également demeurer seul à la maison.

Le couple raconte qu’il vit des conflits suscités par les effets de la maladie sur la capacité de

François à vivre le quotidien et l’impatience que cela entraîne chez Thérèse. C’est d’ailleurs

ce qui a motivé le couple à participer à la démarche proposée. Les partenaires disent former

un couple où l’authenticité et le dialogue sont des valeurs fondamentales et ils ne veulent pas

en arriver à vivre leur relation par « dépit » ou par obligation si leur quotidien est jalonné de

conflits. Leur désir de demeurer complices et amoureux face à la situation est exprimé par

les deux partenaires de façon claire.

Lors de la rencontre préparatoire, le couple exprime avoir ces attentes envers la démarche

d’intervention : apprendre à rire au quotidien; dédramatiser les situations suscitées par la

maladie; lâcher prise sur ce qui est moins important; retrouver une harmonie et une

complicité; vivre pleinement ce qui est encore bon entre eux. De plus, Thérèse exprime le

besoin de donner du sens à la situation. François ajoute qu’il veut apprivoiser ses peurs face

à l’avenir.

Le couple est alors invité à choisir des images qui les représentent. François choisit des

images représentant des souvenirs tandis que Thérèse choisit des images représentant ses

99

états affectifs. Le couple échange sur les images choisies et les défis rencontrés au quotidien.

Cette première rencontre nous permet de constater que le couple vit un rapport égalitaire où

chacun s’exprime librement et est écouté par son partenaire. La communication semble

ouverte et authentique. François nomme ce qui est positif pour lui dans son couple et Thérèse

fait preuve d’empathie envers son conjoint.

Suite à cette rencontre, les conjoints écrivent ceci dans leur journal de bord :

Thérèse :

Cette rencontre permet de se sentir moins seule, donne de l’espoir d’arriver à

mieux communiquer, avoir plus de patience et de respect de ce que chacun vit.

Cette rencontre fut un moment où nous nous sommes parlé d’autre chose que des

rendez-vous et des tâches quotidiennes. Un moment de légèreté.

Les difficultés demeurent les mêmes au quotidien pour moi; c’est la patience qui

est la plus difficile à garder et le manque de loisirs car trop de rendez-vous

médicaux.

La hantise du futur est aussi très présente : la maison? L’endroit où nous

resterons? Etc…

Ma difficulté à vivre mon moment présent est un handicap bien réel chaque jour.

Après la rencontre, j’étais remplie d’espoir et d’un grand bien-être.

Malheureusement, je ne l’ai pas conservé longtemps.

Merci pour votre écoute en or.

François :

Bonjour,

Votre écoute m’a permis de laisser parler mon cœur. J’étais bien et en confiance.

Après, j’ai eu le goût de faire plus de travaux « de maison », de parler avec plus

de douceur, de faire confiance, de voir que je me trompe dans certaines

croyances en regard d’événements qui ont eu lieu. Et loin de ces peurs, je profite

++8 du moment présent.

Le futur??? J’ai décidé de vivre le moment présent, de mettre plus d’énergie à

saisir le moment présent. Résultats : je suis plus présent à ce qui se passe,

j’accepte plus mes erreurs. C’est pas dramatique pour moi. Je pense être plus

capable de me rallier à la situation que Thérèse me décrit.

Le cadeau que j’ai vécu cette semaine : Thérèse m’a félicité pour un « ménage »

que j’ai fait : le travail que j’ai fait était à son goût et lui plaisait.

8 Monsieur utilise ce symbole dans son journal de bord.

100

Dans mon cœur, il y a de l’espoir, ce qui m’aidera dans la démarche

thérapeutique9 qui s’en vient.

Il est par ailleurs intéressant de noter qu’un rituel s’est rapidement installé lors des rencontres.

À la fin de chaque rencontre, François s’habille et m’accompagne à ma voiture10. Puis, en

quittant, je leur envoie la main, Thérèse étant à la fenêtre et François devant la porte de leur

maison. Plus tard, Thérèse vient à ma rencontre dès mon arrivée, ce qui s’ajoute à ce rituel.

b) Présentation de la démarche

Première rencontre

Cette première rencontre débute par une discussion sur le contenu de leur journal de bord.

Suite à cet échange, Thérèse prend conscience qu’il est important pour François de recevoir

des rétroactions positives. François explique qu’il a peur d’oublier les consignes ou les

demandes de sa conjointe et qu’il est fier de lui quand il s’en souvient correctement.

Je propose ensuite au couple de réaliser un dessin à relais en silence (figure 3). François

choisit le bleu et conserve cette couleur tout au long de l’exercice. Thérèse dit apprécier les

couleurs et en utilise plusieurs. Au début de l’exercice, chacun fait sa ligne mais toujours en

contact avec la dernière tracée par l’autre. Le dessin est d’abord abstrait puis un personnage

apparaît. François dit avoir commencé à avoir du plaisir à ce moment. C’est Thérèse qui

remplit les formes et qui ose davantage sortir du cadre en dérogeant de la consigne de départ.

François redit qu’il souhaitait se souvenir correctement de la consigne et qu’il est resté

concentré sur elle.

9 La démarche a été présentée comme une intervention en art-thérapie, approche qui a été expliquée. Il a été

précisé aux couples participants qu’il ne s’agissait pas de psychothérapie. 10 Le contenu des séances retranscrit ici est fidèle aux notes d’évolution qui ont été prises suite à chacune des

séances réalisées. L’emploi de la première personne utilisé dans ce contexte est conservé afin de préserver le

caractère personnel de l’expérience vécue par l’intervenante-chercheure.

101

Je propose ensuite au couple de « dessiner un couple sous la pluie » (figure 4). Il s’agit d’un

outil d’évaluation utilisé en art-thérapie pour identifier le niveau d’anxiété d’une personne

ainsi que ses ressources pour y faire face (Oster et Gould, 1985).

L’intention du couple annoncée dès le départ est de se dessiner sous le même parapluie. Mais

le personnage qui représente monsieur est trop petit et ça ne fonctionne plus. Beaucoup de

collaboration se vit tout au long de la création. Thérèse pense d’abord au ciel et aux nuages

Figure 3

Dessin à relais réalisé conjointement.

Feutre, papier 12 x 18

Figure 4

Un couple sous la pluie. Dessin réalisé conjointement.

Crayon de bois sur papier 12 x 18

102

tandis que François pense d’abord au chapeau. Thérèse soutient avec empathie son conjoint

dans la réalisation de son personnage, parce que tout au long du dessin, François tient un

discours dénigrant ses capacités artistiques.

Une discussion est amorcée suite à la réalisation de ce dessin. Tout d’abord, le couple

exprime dans le rire et le plaisir, en particulier pour monsieur, des propos autodérisoires.

François rit de se voir dessiné aussi petit. Il fait un lien entre son personnage et le fait qu’il

soit de petite taille. Il raconte que ce trait physique a été déterminant dans sa vie. Il croit avoir

développé une confiance en lui grâce à sa taille mais dit aussi en avoir souffert. Thérèse,

quant à elle, exprime sa crainte de prendre trop de place dans son couple11 et vérifie sa

perception auprès de son conjoint. S’ensuit un échange des partenaires sur leur façon de

communiquer et de partager le pouvoir dans le couple. Ils en concluent que leur relation est

égalitaire et que chacun prend la place qu’il croit devoir prendre et laisse l’autre prendre sa

place aussi.

Suite à cette rencontre, le couple n’a rien écrit dans leur journal de bord.

Deuxième rencontre

Le couple a vécu une semaine très difficile. François doit subir régulièrement des

interventions médicales pour un trouble non lié à la maladie d’Alzheimer. Suite à la dernière

intervention, il y a eu une complication. Thérèse a dû être très encadrante à certains moments.

Le couple est donc épuisé et se remet d’un stress important.

François exprime avec émotion à Thérèse qu’il s’est senti en sécurité tout au long de l’épisode

parce qu’elle l’a encadré et a géré la situation avec lui (elle l’a accompagné à chaque jour à

l’hôpital, lui a donné sa médication, etc). Elle exprime avoir du mal à recevoir ce compliment

car elle s’est trouvée dure avec lui. François ayant vécu une grande confusion et beaucoup

d’anxiété, son comportement était altéré et perturbateur. Thérèse l’a encadré avec autorité.

11 C’est ainsi qu’elle interprète l’image : son personnage est plus grand et elle occupe conséquemment plus de

place.

103

Considérant le contexte, je propose au couple de réaliser un triple mandala12 (figure 5): à

chaque extrémité, les individus s’expriment dans « leur » mandala, puis se rejoignent au

centre pour créer un mandala commun.

Les partenaires travaillent en silence dans leur partie du carton pendant de nombreuses

minutes. À un moment donné, Thérèse dit « On avait besoin de notre jeu de sable à chacun! ».

Elle applique la couleur avec douceur et frotte ensuite le médium avec un mouchoir, ce qui

donne un aspect vaporeux à son image. François applique la couleur sans frotter. Il utilise

quelques couleurs, prenant le temps de choisir à chaque fois. Après environ 15-20 minutes,

il demande à Thérèse « On fais-tu quelque chose ensemble? ». Elle l’invite à commencer, lui

disant qu’elle ira le rejoindre en image. François dessine le cœur et y inscrit « Merci ».

Thérèse entoure son image de couleurs.

En discutant de l’image, François dit à sa conjointe : « C’est ça qui est le plus important :

Merci! et Je t’aime ». Thérèse est touchée par les propos de son conjoint. Elle me dit que

c’est parce que je suis là qu’il lui dit de telles choses. Que lorsqu’ils sont seuls, ils parlent du

12 Le mandala est un outil utilisé en art-thérapie pour apaiser l’anxiété et se recentrer.

Figure 5

Triple mandala. Madame a réalisé la partie de gauche et monsieur celle de droite. Les

conjoints ont réalisé ensemble le cercle central.

Pastel sec sur carton rigide 15 x 20

104

quotidien et de plein de choses mais pas de ces « choses-là ». François explique qu’il se sent

assez en sécurité avec moi pour pouvoir dire ces choses à sa conjointe.

Thérèse ajoute qu’elle est surprise de constater la douceur qui émane de son dessin alors

qu’elle se sentait si dure envers son conjoint. Je lui rappelle que François a exprimé qu’en

dépit de sa « dureté », il a ressenti son amour et la sécurité dont il avait besoin dans cette

épreuve.

Suite à cette rencontre, le couple a noté ces lignes dans leur journal de bord :

François :

Quels changements? Plus (+) d’harmonie. S’il y a une prise de « bec », elle se

règle plus complètement.

Mais durant, mon « stress » est ++ important. Par contre, j’ai vécu ++ de bons

moments de douceur, de calme intérieur. Le dessin de la dernière rencontre a été

source de « jase » entre nous. Calme et sérénité.

La perception de complémentarité m’a réconforté.

Thérèse :

Super! Ceci m’a donné le goût de sortir mon cahier de mandalas à colorier. J’ai

adoré l’activité, j’ai relaxé et découvert qu’au fond de mon être il y avait de la

douceur. Dans les derniers événements, j’avais vécu tout un mélange d’émotions

négatives et désagréables.

Surprise du témoignage de François ceci m’aide à moins me culpabiliser pour

mes colères.

En votre présence, c’est plus facile de se parler d’autre chose que le quotidien

qui tourne autour des médicaments, la maladie et les nombreux rendez-vous.

Votre façon d’intervenir avec François m’aide à mieux l’aborder les jours qui

suivent, mais le quotidien me regagne et voilà la valse des émotions recommence.

Ces derniers jours furent très lourds, surtout que mon sommeil est affecté donc

je suis moins patiente. Je me sens très fatiguée.

Le lâcher prise est difficile à vivre, quand j’arrive à décrocher c’est moins lourd.

Troisième rencontre

Lors de cette troisième rencontre, le couple partage avoir perçu des changements dans sa

façon de vivre ses journées. Par exemple, il dit avoir vécu beaucoup de positif, des moments

de plaisir partagé, de la douceur et une harmonie. Les conjoints ont affiché leur dessin réalisé

105

lors de la dernière rencontre et en ont discuté à quelques reprises, échangeant sur leur relation.

Mais, après quelques jours, les conflits se sont réinstallés, amenant agressivité, angoisse et

tristesse.

Nous discutons des contextes dans lesquels surgissent les conflits. Les partenaires

s’entendent sur ce qui les fait émerger : François s’accroche sur des détails, Thérèse veut

l’aider, mais il refuse son aide.

Je propose au couple de dessiner, séparément, comment chacun se sent lorsque des conflits

surviennent. Pendant la création, François dit à quelques reprises qu’il ne se trouve pas bon

en dessin mais qu’il se sent accueilli dans cette limite. Il valorise beaucoup le talent artistique

de Thérèse qui, elle, tente de le rassurer et de l’encourager.

Thérèse réalise d’abord un dessin où se retrouvent différentes formes de couleurs, dont celles

qui demeurent sur l’image reproduite à la figure 6. Elle s’exprime librement avec le pastel

sec. Elle nomme que lorsque des conflits surviennent avec François, elle se sent attaquée et

cela la ramène à son histoire avec son père autoritaire. Elle nomme aussi qu’elle met du temps

à « revenir » suite à un conflit parce qu’elle est blessée. Quand nous parlons de son dessin,

elle dit avoir dessiné toutes les émotions difficiles et négatives qu’elle ressent lorsqu’elle vit

des conflits avec son conjoint. Je lui demande s’il y a quelque chose de positif ou un endroit

dans son dessin où elle se sent bien. Elle désigne la forme bleue. Je lui demande comment

elle peut la « protéger ». Elle répond « En la sortant de là ». Je lui propose de le faire en

image. Elle choisit de découper la forme bleue. Puis elle découpe aussi les formes vertes

qu’elle place autour en les reliant avec d’autres lignes vertes. Elle dit se sentir mieux avec

cette image transformée.

106

François, quant à lui, illustre les visages représentant ce qu’il vit lors des conflits (figure 7).

Il explique le sens de ces visages. En premier (en haut à gauche), il est doux et tout se passe

bien. Ensuite, (à droite en haut) il devient neutre parce qu’il ne comprend pas ce qui se passe,

il cherche à saisir, il se pose beaucoup de questions. En troisième étape (en dessous, à droite),

il a de la peine et est en colère. Il nomme avoir besoin de se protéger parce qu’il se sent

Figure 6

Protection.

Image finale réalisée par madame.

Pastel sec sur papier 12 x 18

Figure 7

Les visages du conflit. Dessin réalisé par monsieur.

Pastel gras sur papier 12 x 18

107

attaqué. Il fait un lien entre ce qu’il ressent à ce moment et des moments douloureux de son

histoire où il a dû faire sa place. Il fait aussi un lien avec la dévalorisation liée à la maladie

qu’il perçoit de Thérèse mais surtout de la société en général. En dernier (en bas à gauche),

il s’ouvre à nouveau pour comprendre ce qui se passe.

Les conjoints échangent avec écoute et empathie sur leur relation quand les conflits

surviennent. Ils démontrent beaucoup de sincérité dans leur quête de trouver des moyens

d’éviter les conflits. François est ému, il pleure à quelques reprises. Il se rappelle avec

émotion un souvenir : dans un contexte professionnel avec des enfants, il avait adopté un

signal qui voulait dire « Écoute-moi jusqu’au bout, je veux te dire quelque chose. ». Ce signal

était « Time out! ». Il précise que lorsqu’une personne le dit, l’autre doit écouter. Puis, la

personne qui a émis le signal termine en remettant la parole à l’autre. Il propose à Thérèse de

l’utiliser lorsque la tension monte entre eux. Thérèse est d’abord réticente, disant que la

relation est rompue entre eux dans ces moments conflictuels. Je lui propose de l’essayer

puisque François l’évoque avec émotion et que cela a donc beaucoup de signification pour

lui. Elle accepte.

Les journées plus harmonieuses vécues par le couple depuis la dernière rencontre étaient

marquées par des activités qui sortaient de sa routine quotidienne. Je propose donc à Thérèse

et à François de réserver quelques minutes par jour pour faire une activité agréable ensemble.

Le couple est d’accord.

Suite à la rencontre, le couple rédige ces lignes dans leur journal de bord.

Thérèse :

L’espoir renaît avec l’aide de Nancy, des trucs pour s’en sortir et avoir une plus

grande qualité de vie. Ouf! Que c’est nécessaire, car la haine détruit l’amour et

éloigne de l’autre, ce n’est pas épanouissant. On reprend notre baluchon en

espérant faire mieux cette semaine. D’avoir pu en parler ouvertement aide

énormément, surtout que nous l’avons fait de façon harmonieuse. Le dessin, les

couleurs, le mouvement dans l’art-thérapie me libère énormément. J’adore

l’approche.

François :

La dynamique de la présente rencontre m’a amené à dire, à me livrer; plusieurs

faits qui me permettent de me connaître mieux dans ce que je vis présentement.

108

Il y a plusieurs éléments qui me sont revenus en tête. Les motifs et les raisons que

cachaient mes dessins en rapport avec mon vécu actuel et tout ça en douceur.

Merci Nancy, merci Thérèse, ça me permet de rêver de pouvoir continuer à vivre

dans la dignité.

Je comprends que j’ai à travailler à tous les jours pour que la douceur prenne le

dessus sur la colère.

Merci à vous deux pour ma prise de conscience.

Quatrième rencontre

Nous amorçons la rencontre par un échange sur leur journée à l’hôpital dans le cadre du projet

de recherche. Ils sont enthousiastes et reconnaissants envers l’équipe de recherche qui leur a

défrayé les coûts de l’hébergement la veille pour éviter de venir à l’hôpital dans la tempête

qui était annoncée. Ils constatent les bienfaits pour leur couple de se donner des moments où

ils sortent de la routine et vivent un moment agréable ensemble.

Le couple me parle ensuite de sa semaine. Une bonne semaine, sans conflit, sauf la veille au

soir. Le même pattern relationnel s’est présenté. Les conjoints n’ont pas pensé à utiliser le

code « Time out » mais Thérèse dit que François a dû le faire inconsciemment puisque le

conflit a duré moins longtemps et a été moins intense que d’habitude.

Comme activité d’art-thérapie, je leur propose de créer une forme en argile qui représente

quelque chose qu’ils aiment de leur partenaire. Thérèse se met à la tâche tout de suite et dit

s’amuser. François exprime qu’il ne se trouve pas bon et demeure en silence en tapotant une

boule d’argile qu’il a arrachée de la plaquette que je lui avais tendue. Je le sens anxieux. Je

vérifie et il me dit qu’il sait ce qu’il veut faire, mais qu’il ne sait pas comment faire, qu’il

réfléchit. Je sens qu’il a besoin de temps et je n’interviens pas davantage.

Après une dizaine de minutes, François dit qu’il ne touche plus à la forme qui est restée de

la plaquette, qu’elle représente ce qu’il veut exprimer et qu’il nous expliquera le sens au

moment opportun.

Lorsque Thérèse a terminé, nous observons son œuvre (figure 8). François se reconnaît dans

le personnage et il exprime en riant qu’il ressemble à un bonhomme de neige. Je leur partage

que je vois un chemin. François dit que le chemin est parfois tortueux et parfois plus doux.

Thérèse nous explique qu’elle perçoit la vie de son conjoint comme étant difficile et qu’elle

admire le courage avec lequel il traverse le chemin. Elle le dit avec émotion et tous les deux

109

pleurent. Thérèse ajoute qu’elle est convaincue qu’au bout du chemin, son conjoint sera

vainqueur. François lui répond qu’il n’avait pas perçu sa vie comme ça, qu’il essaie de

demeurer dans le présent, de regarder devant et d’avancer. Thérèse ajoute qu’elle avait

d’abord placé le personnage en haut, tout au bout du chemin mais que finalement, elle a

choisi de le placer plus bas, au cœur du chemin, sans trop savoir pourquoi.

François enchaîne en disant que la création de sa conjointe a un lien avec ce qu’il a fait (figure

9). Il prend sa création et dit, avec émotion, qu’elle représente l’authenticité de Thérèse. Il

nomme qu’avec elle, depuis toujours, il sait que ce qu’elle dit est la vérité, qu’il peut se fier

à sa parole, qu’il a entièrement confiance en son honnêteté.

Nous échangeons sur leurs créations et ce que cela leur fait vivre. Les deux partenaires se

remercient avec émotion des compliments qu’ils viennent de recevoir.

Nous convenons que la perception des obstacles rencontrés dépend du regard qui leur est

porté. François dit avoir appris à porter un regard positif sur les événements. Il nomme que

c’est là qu’il en est rendu dans son cheminement personnel. Je reflète à ce moment que la

victoire n’est pas au bout du chemin, qu’elle se vit sur le chemin. Thérèse fait un lien avec

sa création : « Voilà pourquoi je ne pouvais le placer au bout du chemin, que j’ai eu besoin

de le ramener sur le chemin… C’est maintenant, parce qu’il continue d’avancer avec un

regard positif, que François est gagnant ». Thérèse se rappelle qu’elle avait comme objectif

Figure 8

La vie de mon conjoint. Sculpture réalisée par madame.

Argile. 13 x 6 x 5

110

de donner du sens à ce qu’elle vit. Elle dit voir dans notre échange le sens : apprendre à voir

et à recevoir « les cadeaux que la vie nous offre ».

Le lendemain de cette rencontre, Thérèse écrit ces mots dans le journal de bord :

Rencontre qui m’a ébranlée, je n’arrive pas encore à savoir pourquoi

exactement???

J’ai dû faire l’effort d’aller au centre de moi-même pour trouver ce que

j’admirais chez François à un moment où je lui en voulais pour les deux

dernières journées difficiles que je venais de vivre. J’avais encore du

ressentiment dans le cœur.

J’ai aussi réalisé que ma perception de son chemin de vie est teintée de ma

perception et que ce chemin est probablement le reflet du mien. À méditer sur

cette prise de conscience importante… Surprise aussi de pouvoir entrevoir que

nous pouvons être victorieux pendant notre cheminement, pas seulement au bout

du chemin. Je suis donc un peu étourdie par ces prises de conscience… à suivre…

nous verrons l’impact cette semaine.

Merci Nancy de nous accompagner!

Cinquième rencontre

Le couple me dit que la semaine a été difficile. François raconte des événements conflictuels

survenus avec sa conjointe dans les derniers jours. Je constate que le même pattern se répète

et nous en discutons car François semble avoir besoin d’en parler pour comprendre ce qui se

passe. Il cherche toujours des façons d’éviter les conflits.

Figure 9

Ma conjointe. Sculpture réalisée par monsieur.

Argile. 5 x 7 x 1

111

Thérèse exprime avec émotion qu’elle trouve cela difficile. Elle dit avoir beaucoup de peine.

Elle trouve ça lourd. François évoque la possibilité de la séparation. Il nomme toutefois qu’il

ne souhaite pas que ça arrive. À la lumière de ce que le couple raconte, il me semble que

l’enjeu lors des conflits se situe surtout au niveau de leur rapport aidante-aidé. En fait,

François met plus de temps à comprendre ce qu’il doit faire et comment il doit le faire.

Thérèse veut l’aider mais il refuse l’aide, qu’il perçoit comme une menace à son autonomie.

Thérèse mentionne qu’elle lâche prise sur plusieurs choses mais qu’il y a des situations où

elle doit « contrôler » François pour éviter des conséquences plus difficiles à réparer. Elle

ajoute que son conjoint doit faire le deuil de ses pertes et qu’elle trouve difficile d’être celle

qui le lui reflète au quotidien. François nomme qu’il peut encore faire plein de choses et

même qu’il fait mieux qu’avant certaines choses parce qu’il prend davantage le temps. C’est

le cas par exemple pour les travaux manuels. Il dit se sentir un meilleur « compagnon de

marche » qu’avant avec Thérèse parce qu’il est davantage présent à lui-même et à elle aussi.

Nous discutons pendant près de 45 minutes des derniers événements. Ensuite, je leur propose

de choisir des images qui représentent : leurs pertes, leurs peurs et ce qui reste de bon.

François écrit les thèmes pour s’en souvenir. Les partenaires mettent près de 30 minutes à

choisir les images, individuellement. Comme le temps de la rencontre est dépassé, je leur

propose de terminer l’activité lors de la prochaine rencontre. Le couple décide de coller leurs

images suite à mon départ et que l’on discute des collages lors de la prochaine rencontre.

Lorsqu’il m’accompagne à la voiture, François me confie qu’il nourrit beaucoup d’espoir

pour son couple. Au moment de quitter, je les sens davantage en paix.

Le lendemain de cette rencontre, Thérèse écrit ces lignes dans leur journal de bord :

Quel beau projet nous avons réalisé hier après notre rencontre. Chacun a collé

nos gravures13 en silence doucement. Je me sens reposée. J’ai aimé faire cette

activité, elle me libérait. Je me suis couchée et je sentais encore un grand calme

intérieur qui faisait un grand bien. Merci!

Quelques jours plus tard, François a écrit ces lignes :

Le dernier exercice a été pour moi difficile. Les pertes sont tellement importantes

dans mon cœur. L’adieu va pas de soi, l’auto, la musique, etc.

13 Nom que donnait madame aux images découpées dans des revues.

112

La perte des « êtres » fait plus (+++) mal! Mes parents et mon frère décédés.

Les proches : mes enfants, mes petits-enfants et surtout ma conjointe, un lien

difficile à couper?

Un exercice qui a fait monter les émotions.

Très intéressant et prenant et permettant des prises de conscience et de sentir ce

qui est important pour moi.

Le lendemain de l’exercice d’écriture de François, Thérèse a ajouté ces lignes :

Nous avons échangé sur les peurs, les pertes et ce qu’il reste de bon. J’ai été

surprise de réaliser tout ce que François trouvait qu’il lui reste de bon. Je ne sais

pas comment il y arrive, mais « chapeau ». Le moyen avec les gravures peut peut-

être nous aider à échanger, car à l’aide des images, l’écoute est plus facile, elles

permettent (les images) un temps d’arrêt avant d’intervenir et une meilleure

compréhension de ce que l’autre exprime.

Sixième rencontre

À mon arrivée, François me raconte avec enthousiasme que la veille, il a assisté à une

conférence sur les bienfaits de l’activité physique pour prévenir et ralentir l’évolution de la

maladie d’Alzheimer. Il se dit davantage motivé à faire de l’exercice physique.

Nous revenons sur leurs collages (peurs-pertes-ce qui reste de bon) qu’ils ont terminés après

mon départ lors de la dernière séance. François commence en me présentant ses images

(figure 10). Il évoque le deuil difficile et non complété de son frère décédé dans les années

1980. Il dit qu’il a perdu son plus grand complice et qu’il en est encore profondément touché.

Il constate également que les personnes sont au cœur de son collage parce qu’elles sont ce

qu’il a de plus précieux. Finalement, il parle de sa peur de perdre sa capacité à comprendre

le monde qui l’entoure et prend conscience que sa sécurité repose sur cette capacité.

113

Thérèse prend ensuite la parole en disant qu’elle ressent peu le besoin de revenir sur ses

collages (figures 11, 12 et 13), que le fait d’avoir choisi et collé les images lui a permis

d’évacuer ses peurs et ses pertes.

Figure 10

Peurs, pertes et ce qu’il reste de bon. Collage réalisé par monsieur.

Les visages camouflés sont ceux des parents de monsieur.

Collage sur papier 18 x 24.

Figure 11

Les pertes. Collage réalisé par madame.

Collage sur papier 18 x 24.

114

Toutefois, elle revient sur l’image de l’ascenseur dans le roc qui est sur son collage qui

exprime ses peurs (figure 14).

Elle raconte : « Je voyais une prison dans le roc. Puis, deux jours plus tard, alors que je ne

pensais pas à cela, j’ai eu un flash : ce n’est pas une prison, c’est un ascenseur!! Et je me suis

dit que je suis toujours libre de prendre l’ascenseur et de monter à la cime de la montagne

pour prendre de l’air. Depuis, je me sens libérée. » Elle ajoute que cette image lui reste à

Figure 12

Les peurs. Collage réalisé par madame.

Collage sur papier 18 x 24.

Figure 13

Ce qu’il reste de bon. Collage réalisé par madame.

Collage sur papier 18 x 24.

115

l’esprit, qu’elle y pense souvent. Plus tard, nous ferons le lien entre l’image et une situation

vécue et Thérèse dit que cela vient renforcer son impression d’avoir du pouvoir sur ce qu’elle

vit. À plusieurs reprises dans les rencontres suivantes, nous évoquons l’ascenseur.

Nous revenons ensuite sur la dernière semaine. François raconte qu’ils ont vécu un conflit du

même type que ceux rencontrés dans les dernières semaines mais qu’ils l’ont résolu plus

rapidement. Thérèse raconte le conflit et comment elle y a mis fin. Elle se dit fière d’elle

parce qu’elle a « choisi sa bataille » de façon ferme, sans se sentir coupable, et qu’elle n’a

pas laissé François insister davantage. Elle est allée prendre une marche et à son retour, il

s’était calmé.

Le couple exprime sa fierté d’avoir résolu ce conflit de cette façon, sa confiance dans sa

capacité de renouveler cette expérience et son espoir face à la situation et à sa capacité à

développer des façons de traverser les difficultés. Je leur propose alors de faire un dessin

illustrant cet espoir.

Les partenaires décident de réaliser chacun un dessin. François dessine (figure 15) une forme

qui illustre comment il passe d’un état de mal-être (en haut) à un état de bien-être (en bas).

Figure 14

L’ascenseur dans le roc. Détail du collage « Les peurs. » réalisé par madame.

116

Thérèse dessine spontanément, sans avoir d’intention particulière (figure 16). Elle dit que le

mouvement avec les pastels lui fait du bien. Elle réalise qu’elle devrait se donner davantage

de moments de création.

Pendant cette rencontre, j’observe une attitude paisible chez Thérèse : elle ne pleure pas, elle

s’exprime sans être submergée par l’émotion, avec confiance. Elle parle davantage

positivement de la situation. Par ailleurs, lorsque l’on aborde le conflit et sa résolution, je

Figure 15

Passage du mal-être au bien-être. Dessin réalisé par monsieur.

Crayons de bois sur papier 12 x 18.

Figure 16

Dessin libre. Dessin réalisé par madame.

Pastel sec sur papier 12 x 18.

117

perçois pour la première fois que le couple partage une vision commune de ce qui s’est passé

et des moyens à mettre en place pour faciliter la résolution.

Suite à cette rencontre, Thérèse écrit ces lignes dans leur journal de bord :

Motivant et encourageant, libérateur. J’ai éprouvé du plaisir à laisser aller le

mouvement dans l’activité à réaliser. Je réalise qu’une simple activité comme

celle-ci m’a donné de l’air, du bien-être d’une façon simple sans avoir besoin de

me déplacer. Tout ce qui est à l’extérieur me fatigue car les rendez-vous sont

nombreux. Pouvoir faire quelque chose de simple tout doucement à la maison me

réconforte comme lorsqu’on s’enveloppe dans une bonne « doudou ».

Une semaine plus tard, François ajoute ces lignes :

J’ai peu d’habileté en dessin! J’ai trouvé l’exercice intéressant. Il m’a fait

travailler!

J’ai été surpris de la ressemblance avec les couleurs du dessin de Thérèse. Les

couleurs se ressemblaient! Et elles étaient dans les mêmes angles mais dans des

perspectives différentes.

Intéressant et surprenant! Nancy : soutenante!

Vraiment surprenant pour moi les couleurs des deux!

Septième rencontre

Il s’est passé presque deux semaines depuis la dernière rencontre parce que c’était la relâche

scolaire et que le couple a passé quelques jours avec ses petits-enfants. À leur départ, le

couple a vécu un conflit. François raconte qu’il avait de la peine et qu’il avait besoin de temps

pour comprendre ce qu’il ressentait. Thérèse l’a questionné, il s’est senti envahi et il a réagi

avec colère envers elle. Les conjoints ont réussi à revenir sur la situation et à résoudre le

conflit avec moins d’intensité, en nommant leurs besoins réciproques et en parlant chacun de

ce qu’il a vécu (et non de l’autre). Sans le nommer comme tel, ils ont appliqué le code « time

out ». Je reflète au couple qu’il semble être en train de s’approprier des moyens de gérer leurs

conflits. Le couple est d’accord.

François nomme aussi avoir peur de perdre le fil de sa réflexion quand une autre personne,

en l’occurrence Thérèse, lui pose des questions. C’est ce qui explique qu’il ait réagi ainsi. Il

en est conscient mais le fait de le nommer permet de mieux comprendre ce qui se passe en

lui dans ces moments.

118

François parle davantage de la peine qu’il ressent d’être atteint de la maladie d’Alzheimer.

Quand il l’exprime, il dit avoir l’impression qu’il s’apitoie sur son sort. Je reflète aux

conjoints que ce qu’ils vivent est très difficile et je normalise la difficulté à faire face

constamment à cette réalité. François reconnaît que c’est difficile. Il pleure à quelques

reprises pendant la rencontre.

Après avoir discuté de leur semaine, de leur conflit et des moyens qu’ils ont mis en œuvre

pour le résoudre, je propose au couple de reproduire en images leur histoire de vie, d’abord

personnellement puis à partir du moment de leur rencontre. Ils ne sont pas très enthousiastes

à retourner dans le passé (les deux nomment l’avoir fait en thérapie ou lors de formations)

mais ils disent me faire confiance et croire que ça peut leur être utile. Ils choisissent des

images pour faire la première partie mais n’ont pas le temps de terminer. Ils termineront le

collage avant la prochaine rencontre.

Je continue d’observer que Thérèse semble plus en paix, plus calme et en confiance. François

exprime beaucoup de tristesse. Il se permet de vivre ses émotions.

Quelques jours après cette rencontre, Thérèse écrit ces lignes dans leur journal de bord :

J’ai éprouvé de la difficulté à participer adéquatement à notre rencontre, j’étais

fatiguée et tellement encore dans « l’écoeurite aiguë » de la fin de semaine,

l’espoir n’était plus au rendez-vous. Je ne voyais plus « pourquoi » encore et

encore essayer et faire de mon mieux.

Ce qui me surprend toujours, c’est d’entendre la perception de François, lorsque

nous sommes tous les trois. Sa compréhension des choses s’ajuste davantage.

Difficile à comprendre, mais c’est ainsi… ???

Dans l’exercice du chemin de vie illustré, François semble très heureux de revoir

ses photos, de se remémorer ses souvenirs. Personnellement, je verrai l’effet du

retour dans le passé. Ce qui est difficile, c’est de faire face à la réalité actuelle

et d’essayer de garder espoir, motivation. J’ai beaucoup de difficulté à avoir de

nouveaux projets, comme si je n’arrivais pas à tourner à la vitesse de ce qui

arrive semaine après semaine. Je me suis rarement sentie aussi inadéquate et

dépassée par les événements. J’ai toujours été courageuse, je ne me reconnais

plus. Je ne sais pas trop comment composer dans ces situations instables.

Difficile à comprendre cette maladie d’Alzheimer!! Est-ce que vraiment ces

nombreux conflits viennent de l’incompréhension dans la communication?

Comment éviter ces disputes non constructives? C’est tellement vidant.

Puis, juste avant la rencontre suivante, elle ajoute ces lignes :

119

Aujourd’hui j’aimerais échanger sur ce qui va bien et ce qui change. Je ressens

plus de compréhension et de patience dans les situations tendues. J’arrive à vivre

plus de moments présents et satisfaisants dans une journée, ce qui m’amène à me

reposer davantage et à lâcher prise un peu plus. Une ouverture se fait à

l’intérieur de mon être, ce qui me donne de l’air et de la place pour mettre en

place de petits projets simples mais nourrissants. La douceur dans nos contacts

a pris davantage de place cette semaine, ainsi que le partage des tâches en

complicité et non en obligation et en devoir. Cette semaine est encourageante et

reposante.

Huitième rencontre

Dès mon arrivée, François commence à me parler du collage qu’il a fait depuis ma dernière

visite. Il a laissé tomber les images découpées et s’est concentré sur des photos représentant

différentes époques de sa vie. Thérèse confirme qu’il a passé plusieurs heures sur son collage.

François me parle de chaque image. Il conclut qu’il a eu une belle vie, qu’il a vécu de beaux

moments. Il a choisi des photos représentant les personnes qui sont importantes pour lui. Il

nomme aussi que certains épisodes ont été difficiles et le sont encore : le décès de son frère

(il pleure dès qu’il évoque cet événement), son divorce et l’absence de son fils. Il dit ne pas

avoir de regret, sauf un peu pour sa relation avec son fils. Ils ne se sont pas parlé depuis de

nombreuses années, malgré qu’il ait tenté de reprendre contact avec lui. Pour préserver la

confidentialité, ce collage n’est pas reproduit puisqu’il ne contient que des photos de famille.

Les images ont été collées de manière ordonnée, remplissant toute la feuille de format 18 x

24.

Thérèse présente ensuite son collage (figure 17) fait d’images découpées et regroupées par

thèmes et événements importants de sa vie. Elle redit qu’elle ne voulait pas retourner dans

son passé, déjà abordé en thérapie, et qu’elle a choisi « d’exorciser » ce passé difficile.

Suite à ces échanges, je propose au couple d’illustrer leur chemin de vie conjugal, depuis leur

rencontre jusqu’à maintenant. Thérèse se met à chercher des images. François exprime, avec

émotion, qu’il a besoin de demeurer dans l’émotion que lui a procuré l’échange sur leur

collage et d’échanger avec sa conjointe pour faire le bilan de leur relation, avant de trouver

les images pour l’illustrer. En discutant, je constate que le besoin du couple est davantage de

parler du présent et surtout du futur. Les partenaires nomment ne pas avoir abordé souvent

leurs appréhensions face au futur.

120

Nous convenons d’en rester là pour cette séance. J’invite le couple à échanger, cette semaine,

sur leur histoire conjugale. Et je leur propose d’aborder la question du futur lors de notre

prochaine rencontre, par le biais de l’image.

François est très émotif. Il s’excuse d’avoir pris autant de place et nomme craindre prendre

la place de l’autre. Il nomme aussi qu’il a besoin de s’exprimer, qu’il veut que les choses

soient authentiques et qu’il a besoin que les activités et les échanges fassent du sens pour lui.

Je le rassure, lui reflète que c’est très positif qu’il exprime ses besoins et je le félicite de le

faire aussi clairement.

Suite à la rencontre, Thérèse écrit ces lignes dans le journal de bord :

Je suis très satisfaite de l’activité. J’ai réussi à résumer mon passé sans le laisser

me prendre de l’énergie par la porte de la tristesse. J’étais libérée après. Je suis

bien avec moi-même malgré la difficulté, par exemple, à ne pas « acheter »

l’immense tristesse qui habitait François « TOTALEMENT » et incapable

d’échanger sur cela avec lui.

Deux jours plus tard, elle ajoute ces lignes :

Ce matin, j’ai le goût de reprendre mes pastels et autres crayons pour finaliser

mon chemin de vie avec la détermination de voir ce passé comme la matière qui

m’a façonnée. Si je suis ce que je suis, c’est à cause de cela. J’ai à apprendre à

l’accepter.

Figure 17

Mon histoire de vie. Collage réalisé par madame.

Collage sur papier 18 x 24.

121

Puis, tout juste avant la rencontre suivante, François écrit ces mots :

Je suis sur mon « appétit de trouver », Thérèse et moi, la manière de

communiquer qui nous aiderait à se comprendre et à être « recevant » pour

l’autre en toute circonstance.

C’est un grand désir! À ce jour, je sens l’amélioration! Mais… comme mon

écriture, ce n’est pas toujours facile.

Le même jour, Thérèse retranscrit les questions posées par François :

Votre point de vue sur l’activité réalisée quand vous prenez des notes, qu’est-ce

qu’on doit comprendre de ce qu’on a fait? Les interprétations? Comment vous

décodez tout cela? Que retenir pour nous aider?

Neuvième rencontre

Dès mon arrivée, Thérèse me rejoint à l’extérieur. Elle me confie que c’est encore difficile

avec François.

En commençant la rencontre, Thérèse me montre les modifications apportées à son collage

réalisé la dernière fois (figure 18). Elle dit que ça lui a fait du bien et qu’elle a pris conscience

que son passé l’a forgée telle qu’elle est aujourd’hui. Elle a donc voulu y mettre des couleurs

douces. Elle nomme son intention de le brûler éventuellement, comme un rituel de passage

et de « laisser-aller ».

Figure 18

Mon histoire de vie modifiée. Collage réalisé par madame.

Collage et pastel sec sur papier 18 x 24.

122

Je réponds d’abord aux questions posées par François. Je clarifie mon rôle et j’explique que

je les accompagne dans le processus sans interpréter leurs œuvres.

Puis, François partage qu’il a eu une semaine difficile. Les conjoints nomment que la

médication qu’il prend pour ses problèmes de santé non reliés à la maladie d’Alzheimer

l’affecte beaucoup. François dit avoir l’impression que la maladie avance plus rapidement

dans ce contexte.

Nous revenons sur la dernière rencontre. Thérèse dit avoir compris que lorsque son conjoint

parlait du « futur », il voulait dire plutôt de « leur façon de communiquer maintenant ». Nous

échangeons sur un conflit survenu la veille. Nous parvenons sensiblement aux mêmes

conclusions que d’habitude : les conflits cachent des besoins non affirmés et une

incompréhension mutuelle de ce qu’ils vivent personnellement. La stratégie du « Time out »

refait surface et le couple accepte de faire une création qui évoque ce symbole. Ce sera le

sujet de la prochaine rencontre.

En revenant sur le conflit, François exprime sa perception d’une situation qui concerne un

membre de la famille de Thérèse. Il réalise qu’en parlant de ce qu’il croit être les besoins de

cette personne, il parle de son propre besoin, qui est de pouvoir vivre la situation difficile

dans l’intimité de son couple et non avec toute la famille. Mon reflet lui fait prendre

conscience qu’il avait une vision rigide de la situation et l’invite à plus d’ouverture, ce qu’il

arrive à faire ensuite par rapport à la situation en question.

Thérèse nomme qu’elle vit les situations conflictuelles avec François avec beaucoup plus de

légèreté et d’ouverture. Elle dit ne plus se sentir aussi coupable qu’avant, être en mesure de

« lâcher prise » plus rapidement. Elle dit que l’évolution est très positive pour elle.

Suite à cet échange, je leur propose de faire une même création dans laquelle, assis face à

face, ils communiquent par les couleurs (figure 19). Le couple est d’accord.

François commence en traçant une flèche vers Thérèse. Elle poursuit en traçant des lignes à

partir de cette flèche. Ils échangent ainsi en traçant chacun leur tour une ligne ou une forme

sur la feuille. À un moment, François dit à Thérèse : « Est-ce que je serais sensé comprendre

le message? » et elle lui répond que oui, en souriant. Presque tout le reste de l’activité se

passe en silence. Les traits se transforment : au début, les lignes sont plus droites et carrées

123

puis elles s’arrondissent. Thérèse fait des traits avec le pinceau, d’une manière qui me donne

l’impression qu’elle « flatte » l’image. Elle reste près des lignes peintes par François. Elle

emplit les vides. François s’amuse avec les couleurs que fait la superposition des peintures

sur le pinceau (il ne le nettoie pas entre chaque application). Pendant la réalisation de l’œuvre,

le couple s’amuse, par exemple en faisant semblant de se lancer mutuellement de la peinture.

Une atmosphère de jeu et de détente se ressent.

Je leur demande de donner un titre à leur œuvre, spontanément. Thérèse propose « Tempête

de vie » et François, « Gazouillis ».

Après l’activité, Thérèse dit se sentir reposée et François, amusé. Il voit plein de formes dans

l’image et dit que cela active son imagination.

Aucune écriture dans le journal de bord suite à cette rencontre.

Dixième rencontre

Thérèse vient me joindre à l’extérieur à mon arrivée. Elle est souriante et dit bien aller. Le

couple dit avoir passé une belle semaine, sans conflit. François était « marabout » ce matin

mais s’est vite repris quand Thérèse a mis ses limites.

Figure 19

Tempête de vie et gazouillis.

Dessin réalisé conjointement.

Madame était face à la partie de droite et monsieur à celle de gauche.

Acrylique sur papier 18 x 24.

124

Thérèse exprime sa difficulté à aborder le sujet du futur avec François. Il nomme en effet

vouloir investir son présent et ne pas faire de scénarios difficiles à envisager. Nous discutons

d’abord de la nécessité d’en parler. Le couple convient qu’il est préférable d’aborder le sujet

alors que François est encore capable d’exprimer ses désirs, même si c’est difficile. Comme

il n’est pas possible de prévoir comment la maladie évoluera, il est convenu de parler d’abord

des limites qui pourraient mener le couple (ou ses membres, individuellement) à envisager

que François soit hébergé dans un lieu qui répondrait mieux à ses besoins. François exprime

que sa limite est qu’il ne soit plus capable de fonctionner dans son quotidien. Pour Thérèse,

la limite se situe au niveau de l’agressivité que son conjoint pourrait exprimer envers elle.

Tous deux conviennent que si la limite est atteinte pour l’un ou l’autre, François sera hébergé

dans un milieu adéquat pour lui et Thérèse demeurera présente auprès de lui. Le couple est

satisfait de cette discussion et exprime ne pas pouvoir aller plus loin pour le moment.

Nous revenons aussi sur l’exercice proposé de l’histoire de vie, qui n’a pas été réalisé.

Thérèse évoque qu’elle aurait aimé faire l’exercice avec son conjoint. François est finalement

d’accord. Le couple se donne un rendez-vous noté à leur agenda pour réaliser cette

expérience.

Comme le couple avait envisagé créer un symbole représentant un « time out » lors de la

dernière rencontre, je leur propose de le faire. François et Thérèse décident de faire chacun

leur symbole. François propose d’en faire deux : un « time out » et un « time in ». François

a fait celui du bas en premier (figure 20). Pour lui, le vert et le rose représentent le calme, la

beauté et la paix. Le rouge du « time out » représente plutôt que « le feu est pris » et le bleu

qui entoure le point d’exclamation représente l’espoir que ça aille mieux.

Thérèse les a faits dans le même ordre (figure 21). Le bonhomme sourire dans le « time out »

représente son désir que ce ne soit pas agressant. Et le jaune du « time in » représente le soleil

qui revient.

Les deux s’engagent à le respecter. Thérèse nomme sa crainte de « brûler » cet outil mais

espère que ça fonctionnera.

125

C’est la dixième rencontre et, en principe, la dernière. Je propose au couple de tenir une

onzième et dernière rencontre afin de leur permettre de boucler le processus réalisé, suite à

l’exercice de l’histoire de vie conjugale. Il est d’accord et content de ma proposition. Nous

convenons d’une date.

Suite à cette rencontre, Thérèse écrit dans le journal de bord :

Figure 20

Time out! Time in!

Dessin réalisé par monsieur.

Feutre sur papier aquarelle 5 x 8.

Figure 21

Time out! Time in!

Dessin réalisé par madame.

Feutre sur papier aquarelle 5 x 8.

126

Un petit mot pour te dire comment tu nous aides à se rapprocher par nos jases.

J’observe ta façon de faire avec François cela m’aide à être « meilleure ».

Merci! Je me sens tellement bien quand j’arrive à être en harmonie. Après une

rencontre avec toi, c’est ainsi que nous nous sentons. François disait à ton

départ : « Ouais, c’était donc une bonne rencontre ».

Puis, la veille de la dernière rencontre, elle a ajouté ces lignes :

En ce beau dimanche matin, je prends conscience que nos jases avec toi nous

permettent d’être plus patients l’un envers l’autre. Nous comprenons mieux la

réaction de l’autre et le respect grandit. Le cadeau, c’est d’être davantage un

couple et la douceur s’installe graduellement.

Nous avons réussi cette semaine à régler rapidement une situation, et nous avons

passé à autre chose plus rapidement. Le fait de liquider à l’aide des activités est

libérateur. Merci!

Nous accumulons moins chacun de notre côté, c’est encourageant de penser que

nous pouvons vivre l’épreuve en complicité plutôt qu’en faisant la guerre.

Personnellement, si j’accompagne François, je veux le faire en harmonie ou pas

du tout, c’est trop lourd dans la haine, je ne suis pas capable.

Le matin précédant la dernière rencontre, le couple a écrit ces lignes. Thérèse d’abord :

Difficulté à faire l’activité du chemin de vie à partir de notre rencontre. J’ai dû

le faire presque toute seule. Même pour échanger sur ce qui a été fait, j’ai dû

insister, insister…

J’imagine que l’activité avait de l’importance pour moi uniquement??

Je me demande s’il y a une signification à cela??? Mais j’ai des interrogations

et cela me dérange un peu… beaucoup… Impossible d’aller plus loin là-

dedans…

Ensuite, François :

Peu de commentaires à faire…

J’aurais aimé qu’on se donne, Thérèse et moi, des « trucs » qui nous auraient

aidés à maintenir des relations « positives » et constructives. La situation et mon

humeur ne l’ont pas permis.

À venir? Je l’espère grandement car Thérèse, c’est la compagne de toute ma vie

et ce depuis 24 ans…

Je veux continuer à améliorer notre relation.

Un gros merci à Nancy pour le support et la qualité de sa présence tout au long

de nos rencontres. Merci! Merci! Merci!

127

Onzième rencontre

Le couple nomme avoir passé une belle semaine. Sauf que le rendez-vous qu’il s’était donné

pour faire le bilan de leur chemin de vie de couple n’a pas été tenu. François avait des

résistances que Thérèse n’a pas pu s’expliquer autrement que par un manque d’intérêt pour

les images des revues, jumelé à un trop petit nombre de photos rappelant leur histoire et des

préoccupations quant à une autre intervention médicale à venir prochainement et à l’IRM

qu’il doit passer dans le cadre de la recherche sur la maladie d’Alzheimer. Donc, Thérèse a

réalisé un collage pour illustrer leur histoire mais le couple n’a pas échangé sur la création

(figures 22 et 23). François confirme ce que sa conjointe dit.

Le couple raconte avoir réussi à gérer ce conflit différemment : Thérèse ne s’est pas attardée

à convaincre François de faire l’exercice avec elle et François a pris le temps de mettre au

clair ses idées et émotions avant de les partager à sa conjointe.

Je propose au couple de faire une création pour « honorer le couple que vous êtes

aujourd’hui ». François est ému et dit que c’est ce qu’il souhaitait faire avec Thérèse.

Le couple décide d’échanger sur leurs intentions avant de commencer à créer. Les partenaires

sont assis face-à-face. Ils s’entendent d’abord sur le fait de mettre en valeur leur honnêteté

(François), leur authenticité (Thérèse). Ils cherchent une façon de l’illustrer. Je les soutiens

dans leur quête en leur proposant d’identifier d’abord une couleur. François parle du blanc.

Figure 22

Chemin de vie de couple. Collage réalisé par madame.

Collage sur papier 18 x 24.

128

Thérèse propose d’identifier une forme : François parle d’action et de parole et Thérèse

l’associe au rouge.

Ils échangent sur le fait que leur authenticité entraîne nécessairement des remous, puisqu’ils

abordent de front les conflits et les mésententes. Et tous les deux prennent conscience que

« ça ne peut pas toujours être rose », que les remous sont inhérents à leur mode de

communication. Ils illustrent tous les deux des symboles représentant cette prise de

conscience. Je leur reflète que l’acceptation de leur situation et des conflits qu’ils vivent

parfois s’intègre tout doucement. Ils sont d’accord.

L’idée du bateau et de la mer (parfois tranquille et parfois mouvementée) vient ensuite. Puis

cette image (figure 24) entraîne une nouvelle discussion. François s’identifie et identifie son

couple au bateau, qui ne prend pas l’eau et qui a traversé bien des tempêtes. Thérèse est

d’accord. François dit « Ça nous représente avec notre capacité de flottaison. » et interroge

sa conjointe du regard. Elle confirme. François ajoute, ému : « Ça me rassure. » Thérèse

prend conscience que cette image représente la même chose que ce qu’elle a voulu illustrer

par son collage sur leur chemin de vie.

Le couple revient sur ses façons de faire face aux difficultés relationnelles qu’il rencontre.

Thérèse prend conscience qu’elle ne « tire plus les vers du nez » de son conjoint, qu’elle est

capable de patience et de ne pas se laisser envahir par les émotions plus négatives qui

Figure 23

Chemin de vie de couple (2e partie). Collage réalisé par madame.

Collage sur papier 18 x 24.

129

pourraient survenir dans ce contexte. François nomme à nouveau avoir besoin de temps pour

comprendre ce qu’il ressent et l’exprimer adéquatement. Je reflète au couple que leur force

est d’entendre ce que l’autre a à dire avec respect et écoute. Les partenaires sont d’accord.

La démarche se termine avec cette dernière rencontre.

Quelques jours avant la rencontre d’évaluation, Thérèse écrit ces lignes dans leur journal de

bord :

Déjà la fin… c’est ce que je constate ce midi. Là c’est vrai, car l’évaluation jeudi

et…

Nous avons vécu des difficultés encore lors des injections. Toujours le même

scénario. Difficiles moments, mais je pense que nous avons réussi à faire de petits

pas. Pas sur le moment, mais après. François a fait des efforts importants pour

reprendre contact au lieu de demeurer seul dans sa bulle. Nous avons pu

également échanger là-dessus en manifestant que nous voulions agir plus

rapidement afin de perdre moins d’énergie. Les moments passés en art-thérapie

avec nous portent des fruits, nous mettrons de l’énergie pour poursuivre cette

démarche. Le temps passé ensemble restera imprégné dans notre cœur. Merci!

Puis, François ajoute ces lignes :

Je me permets de confirmer les « dires » de Thérèse.

Je crois que les apprentissages que j’ai faits quant au comportement, aux

attitudes à prendre dans nos discussions ont gagné en qualité et en cordialité.

Figure 24

Honorer le couple que nous formons.

Dessin réalisé conjointement.

Gouache sur papier 18 x 24.

130

La communication est plus simple et dans un climat cordial. Et Thérèse est avec

moi. J’ai de la chance! Merci! Merci! Merci!

Dans ma « bataille » pour la vie, la lutte sera plus agréable et pleine d’espoir.

Vous revoir sera toujours un honneur et un « beau cadeau » pour moi. Vous serez

toujours la bienvenue!

c) Les perceptions du couple

Avant de présenter les résultats de la rencontre post-intervention avec ce couple, il importe

d’informer le lecteur que François et Thérèse ont vécu, la veille de cette rencontre, une

journée très agréable qui les a emplis d’une énergie fort positive. Ils vont d’ailleurs y faire

référence à plusieurs reprises lors de la rencontre.

D’entrée de jeu et de manière affirmative, ce couple affirme que l’expérience a été

déterminante dans la poursuite de leur relation :

Moi ça m’a beaucoup aidé en tout cas. Ça nous a amenés à se parler plus pis…

comme quelque chose de salutaire. Ben, salutaire dans le sens de… si on avait été

laissés à nous-mêmes, je pense qu’on serait plus ensemble.

Le couple identifie que c’est l’approche prise dans sa globalité qui a favorisé les changements

positifs. Donc les activités artistiques, mais aussi le journal de bord et le retour sur les

expériences de création:

À travers les activités de contact, les exercices qui amènent les paroles, les images

qui amènent le vécu… le temps qu’on se rassoit pis qu’on écrit dans le cahier aussi,

le retour qu’on refait là-dessus, le retour qu’on refait avec toi quand tu reviens…

Le couple parle aussi de profondeur; l’art amène plus loin, ailleurs. Et monsieur évoque l’idée

que, sous des apparences ludiques voire même légères, cette approche permet d’aborder des

sujets sérieux et chargés émotivement.

La création artistique fait appel à la créativité et celle-ci permet d’effleurer des zones de soi

et de l’autre encore inédites :

Le dernier exercice qu’on a fait, je t’ai dit « C’est ça la créativité ». […] Il y avait

une créativité qui naissait à travers l’activité, qui faisait que lui il allait au plus

profond de lui-même chercher quelque chose que moi je le savais pas, que j’ai appris,

j’ai appris plein de choses de lui aussi par rapport à sa maladie pis par rapport à ce

qu’il vit.

131

L’un des effets auquel réfère le couple à plusieurs reprises pendant l’entrevue est le fait

d’avoir passé des moments agréables ensemble, ce qui semble être une dimension de leur

couple qui appartient au temps qui précède le diagnostic. Aussi, les rencontres sont vécues

comme des parenthèses dans un quotidien chargé et sombre.

Sur ce sujet, monsieur ajoute que les rencontres lui ont permis de changer sa perception de

sa maladie :

C’est drôle parce que l’art-thérapie, ce que ça m’a montré à moi, c’est qu’ensemble

on peut rire, ensemble on peut avoir du fun, qu’ensemble on peut faire des affaires

correctes, qui sont créatives, qui nous amènent un petit peu plus loin dans certains

domaines pis dans le fond, dans ma perception des problèmes de santé que je peux

avoir, ça m’a fait faire des pas.

Ce changement de perception ne semble pas se limiter au regard porté sur la maladie mais se

transpose également à la façon de voir l’autre et la relation.

En le redécouvrant, ça m’a amenée à retrouver une forme de respect plus grand, pis

une forme d’admiration aussi, pour tasser ce qui était maladie du reste.

À plusieurs reprises aussi, les partenaires ont exprimé être plus sensibles à ce que vit l’autre

et mieux comprendre les impacts de la situation sur son vécu. De la même façon, madame

exprime être touchée du fait que son conjoint s’intéresse davantage à ce qu’elle vit.

Il semble que cette sensibilité à l’expérience de l’autre ait permis aux partenaires de se

retrouver :

Pis ce que j’ai aimé c’est qu’à travers tout ça, moi je l’ai perdu de vue pis ça m’a

amenée à le re-connaître encore, parce qu’un moment donné j’ai juste vu la maladie.

Pis encore tantôt, je l’entendais donner une réponse pis je me disais « Ah! ça c’est

des choses que j’aimais de lui » pis je me dis c’est l’fun, il a sa façon à lui de…, qui

est colorée, qui est différente complètement de la mienne, pis je trouve ça le fun de la

redécouvrir.

Et pis dans les activités qu’on a faites, c’est pareil comme si ça m’apprivoisait à faire

quelque chose avec lui à nouveau.

Par ailleurs, le couple identifie également des changements positifs dans leur mode de

communication. Elle est plus ouverte et détendue.

On se parle plus aussi. Ça a eu cet effet-là aussi. Ça a aidé là-dessus de… à travers

le jeu de l’art-thérapie, d’échanger, un parle l’autre rit, ça a permis de ré-apprivoiser

ce qui a déjà été là un jour…

132

La communication est plus authentique aussi, selon eux. Monsieur reconnaît exprimer

davantage ses émotions, s’investir plus dans sa relation en acceptant de se livrer à sa

partenaire.

Le couple a rapporté d’autres effets positifs de la démarche. Par exemple, monsieur raconte

avoir développé une plus grande conscience de son expérience, de ce que la maladie lui fait

vivre, de l’ampleur des pertes et des peurs qui y sont liées mais aussi du sens qu’elle donne

à sa vie dorénavant.

D’être soi-même, je pense que c’est gagnant, ça. D’être soi-même, d’être capable de

dire ce qu’on a dans le cœur, je pense que ça aide à aller plus loin après, à être plus

attentif à des choses, pis à vivre ce qu’on peut vivre dans le fond. Pis j’ai pas le

sentiment d’avoir perdu quelque chose, j’ai gagné, j’ai gagné d’être capable d’être

moi-même comme dans le bon vieux temps!

Madame, quant à elle, rapporte se situer autrement dans son rôle d’aidante. La démarche lui

a fait prendre conscience que depuis l’annonce du diagnostic, tout tourne autour de son

conjoint et de la maladie et qu’elle a adopté un rôle d’aidante qui prend beaucoup de place.

Le fait de vivre des activités agréables avec son conjoint et de retrouver l’homme dont elle

était amoureuse lui a permis de relativiser son rôle mais aussi de redonner de l’espace à la

femme, à ses besoins et ses désirs.

Madame ajoute que le fait qu’une tierce personne interagisse avec son conjoint a été aidant

pour elle :

Moi, de pouvoir te voir intervenir, ta façon d’intervenir, ta façon d’écouter, ta façon

de voir les choses, pis à ce moment-là moi j’ai appris énormément, juste par te voir

faire, par ce que tu es.

Pour monsieur, les séances ont permis de dédramatiser la situation :

En tout cas moi ça a été révélateur pis ce qui était dramatique a perdu beaucoup de

drame pis c’est beaucoup plus maintenant pour moi « Chaque jour suffit sa peine »

pis on vit aujourd’hui, pis je profite de chaque journée.

Les rencontres semblent avoir eu également un impact sur l’humeur. Madame observe que

son conjoint est davantage en mesure de rebondir suite à un conflit et de redevenir de bonne

humeur plus aisément. Elle ajoute se sentir plus détachée émotivement lorsque des conflits

surviennent et être en mesure, elle aussi, de les vivre avec une charge émotive moins lourde.

133

Cette amélioration de l’humeur, jumelée à un regain d’espoir de faire face conjointement et

harmonieusement à la situation, a fait place au désir de rêver à des projets communs futurs.

De fait, le couple envisage faire un voyage lorsque le projet de recherche sur le vaccin sera

terminé. Et d’ici là, il planifie d’autres projets comme celui de renouveler le mobilier.

Le couple nomme aussi de différentes manières avoir réussi à transposer les acquis

développés lors des séances d’art-thérapie à leur quotidien, notamment ce qui touche à la

gestion des conflits. L’expérience sert d’ancrage qui soutient lors des moments plus

difficiles :

Parce que tous les moments échangés ensemble pis ta présence, veut veut pas…

Comme en fin de semaine, quand c’était difficile, on te revoit tout le temps, on voit

toujours ce qu’on a vécu, ce qui fait que ça a été un modèle, comme un guide qui nous

aide… on est imprégnés de ça.

Questionné sur les conditions qui ont permis à la démarche de donner tous ces résultats, le

couple évoque l’approche qui les invitait à s’exprimer en toute liberté. Cette approche a

contribué à faire de la place au plaisir et à la surprise.

Pis comme c’est léger, pis c’est facile, pis on est libre dans les activités, ben, c’est le

fun ça. On peut le faire, on peut pas le faire, on peut le faire croche. Moi ce qui

m’amusait beaucoup c’est que je le sais pas où ça m’amène, ça j’ai ben du fun là-

dedans. Ça j’aime ça, ça j’adore ça.

Le couple reconnaît aussi s’être engagé dans la démarche et ce, dès le départ :

Oui on a dit oui […] pis on s’était dit si on dit oui, la personne se déplace pour venir

ici, on va pas lui faire perdre son temps, on va le faire correctement jusqu’au bout,

pis on va le faire amplement, entièrement, sans ça on n’embarque pas.

Le lien de confiance que nous avons réussi à créer a contribué aussi à faciliter l’engagement

et l’authenticité des partenaires dans la démarche.

Pis avec toi Nancy, on est à l’aise, on sent jamais jamais jamais un jugement quelque

part, dans tes yeux, dans ton… rien de ça jamais jamais. T’as toujours une grande

écoute, une grande acceptation de ce que l’autre est pis où il est rendu. C’est facile

d’ouvrir dans ce temps-là. On sent pas qu’il faudrait se cacher, là, t’sais.

En somme, le couple est satisfait de ce qu’il a vécu et est en mesure de nommer plusieurs

effets positifs liés à la démarche qu’il a vécue. Nous avons demandé aux partenaires ce qui

aurait pu être fait autrement ou ce qui aurait amélioré l’intervention qui leur a été offerte. Le

couple a fait allusion à la durée de la démarche. Les rencontres ayant duré toujours plus d’une

134

heure, le couple est à même de constater qu’une heure par semaine n’est pas suffisante et que

pour être optimales, les séances doivent durer au moins 90 minutes. De la même façon, dix

semaines n’ayant pas suffi à boucler l’intervention, le couple suggère que la démarche

s’échelonne sur une plus longue durée. Dans ce sens, il suggère aussi que des séances de

suivi soient planifiées, afin de préserver les acquis :

Ce qui serait intéressant, c’est de se revoir dans 2 mois, 6 mois, je le sais pas… mais

faire un suivi qui permettrait de dire « Bon ben quand on s’est laissé, vous étiez à

vivre telle chose ou faire de même, maintenant, c’est comment? ». Parce que la

maladie, j’espère qu’elle évoluera pas, mais si elle évolue, qu’est-ce qu’on vit avec

ça pis comment est-ce qu’on fait avec ça?

Finalement, le couple ajoute que cette rencontre post-intervention qui leur permet de

s’exprimer sur leur expérience devrait être intégrée dans toute démarche d’intervention car

elle favorise l’intégration de l’expérience et l’expression de leur vécu, ce qui continue de

contribuer à améliorer leur relation.

5.1.2 Le deuxième couple : Colette et Jean

a) Présentation du couple

Dix rencontres ont été réalisées avec ce couple. Les rencontres ont duré en moyenne une

heure, tel que prévu au protocole.

Ce couple est marié depuis plus de 50 ans. Colette et Jean ont eu quatre enfants. Les deux

conjoints ont complété des études secondaires. Jean a travaillé au même endroit pendant 40

ans. Il est à la retraite depuis une quinzaine d’années.

C’est Colette qui est atteinte de la maladie d’Alzheimer. Elle a des pertes de mémoire, ce qui

l’amène à répéter souvent ses propos. Cela entraîne un peu d’impatience et de lassitude chez

son conjoint.

Le couple parle peu de l’impact de la maladie sur leur relation. Colette dit qu’elle accepte la

maladie, que ça va bien et qu’elle ne s’inquiète pas pour l’avenir. Quant à Jean, il dit

s’inquiéter pour l’avenir. Il nomme qu’il y a davantage de conflits entre eux, ce que Colette

nie. Jean croit qu’elle oublie leurs chicanes. Il fait beaucoup moins d’activités qu’avant car

il se dit trop inquiet de laisser son épouse seule à la maison. Jean dit aussi assumer davantage

les tâches domestiques.

135

Lors de la rencontre préalable, le couple est invité à choisir des images qui les représentent.

Colette illustre ce qu’elle aime (figure 25). Elle affectionne particulièrement les animaux.

Jean illustre des souvenirs, la spiritualité et l’importance de la famille à ses yeux (figure 26).

Lorsqu’il s’exprime sur les images choisies, Jean est émotif. Il dit vivre le deuil de la retraite

qu’il espérait vivre. Il ajoute qu’il ne peut pas en parler sans pleurer.

Le couple nomme avoir beaucoup d’amis et les fréquenter régulièrement. Depuis de

nombreuses années, Colette et Jean pratiquent des activités sociales en commun. Les

Figure 25

Images choisies par madame.

Figure 26

Images choisies par monsieur.

136

conjoints se disent aussi très proches de leurs enfants. C’est donc un couple très actif, ayant

une vie sociale remplie.

Les attentes du couple sont peu précises. Colette ne semble pas reconnaître les difficultés

qu’entraîne la maladie et Jean la confronte peu à la réalité. Cela semble tabou entre eux.

Le couple n’utilisera pas le journal de bord à aucun moment durant la démarche et n’a pas

spécifié pourquoi.

b) Présentation de la démarche

Première rencontre

Lors de cette première rencontre, je propose au couple de réaliser un dessin à relais. Colette

dit ne pas avoir d’idée et demande à son mari quoi faire. Jean l’invite à prendre des initiatives

mais finit par faire les dessins qu’elle lui suggère de faire. Le même pattern se répète à

plusieurs reprises. Je propose alors à Colette de prendre son collier en forme de hibou comme

modèle pour dessiner les oiseaux qu’elle demande à son mari de faire. Elle s’exécute et est

contente d’elle, disant que son hibou est très beau (figure 27).

Nous échangeons sur le dessin, la maison, les activités qui reviennent avec le printemps. Puis,

je propose au couple de faire un gribouillis. Je leur fais d’abord une démonstration. Colette

fait un premier gribouillis mais personne n’arrive à y voir une image. Jean en fait un et Colette

Figure 27

Dessin à relais, réalisé conjointement.

Crayons de bois sur papier 12 x 18.

137

y voit un visage (figure 28). Elle le trace avec une autre couleur et dit que le personnage n’est

pas content.

Colette fait un dernier gribouillis et y voit une cloche (figure 29). Fait à noter, elle

collectionne les cloches, un objet qu’elle adore. Elle trace la cloche puis voit un chemin qui

mène à une maison. Elle demande à Jean de dessiner la maison. Il dessine plutôt une église.

Figure 28

Gribouillis. Réalisé conjointement.

Feutre sur papier 12 x 18.

Figure 29

Gribouillis. Réalisé conjointement.

Feutre sur papier 12 x 18.

138

Lors de cette séance, j’observe que Colette a de la difficulté à s’engager dans l’activité et

demande à Jean de dessiner pour elle. Elle dit ne pas avoir d’idée. Jean cherche à la stimuler

en l’invitant à dessiner, en lui rappelant qu’elle a déjà aimé dessiner, etc. Il exprime vivre des

conflits avec sa conjointe parce qu’il ne répond pas à toutes ses demandes, l’incitant à bouger

un peu dans la journée. Colette nie ou banalise ces conflits évoqués par Jean.

Deuxième rencontre

Lors de cette seconde rencontre, Jean me montre un cahier de reproduction de dessin (pour

enfants) qu’il a donné à sa conjointe cette semaine. Colette y a coloré tous les dessins. Elle

dit qu’elle a eu du plaisir à le faire, que ça l’occupe « quand on s’ennuie ». Je lui demande si

elle s’ennuie, elle me dit que non, mais que ça passe le temps. Je reflète à Colette qu’elle est

bonne en dessin. Elle dit qu’elle en a fait beaucoup avec ses enfants et qu’elle a toujours aimé

ça.

Je propose à Colette de colorer un mandala. Elle en choisit un qui représente deux chevaux

en tête à tête (figure 30). Au départ, elle nomme qu’ils ont l’air fâché puis se ravise et dit

qu’ils ont l’air heureux. Elle met quelques minutes avant de commencer à colorier. À

quelques reprises, elle demande à Jean son avis sur le choix des couleurs. Il lui relance la

question et elle choisit ses couleurs, des couleurs réalistes.

Figure 30

Mandala. Coloré par madame.

Crayon de bois sur papier 8 ½ x 11.

139

Tout en dessinant, Colette dit aimer les animaux et répète à plusieurs reprises les qualités

qu’elle attribue aux chevaux. Elle répète souvent aussi que les chevaux ont l’air heureux. Elle

ajoute qu’ils ont l’air d’être amis et peut-être même amoureux. À un moment, elle dit « Ils

sont à la veille de galoper ces chevaux-là! ». Nous en rions tous les trois.

Je propose à Jean d’en dessiner un. Il dit qu’il préfère laisser les autres à sa conjointe pour

qu’elle en ait à faire durant la semaine. Il dit qu’il aimerait qu’elle fasse autre chose que des

mots cachés. Colette répond qu’elle aime faire des mots cachés et qu’elle n’arrêtera pas d’en

faire.

Tout au long de la rencontre, nous échangeons simplement. Nous parlons de leurs activités

et de leur relation. Jean évoque l’écart qui existe entre ce qu’il attendait de la retraite et ce

qui arrive en réalité. Il raconte avoir commencé un suivi avec un psychologue, disant qu’il

pense que ça va l’aider à mieux vivre la situation. Colette est d’accord mais semble détachée

de la charge émotive de son mari.

À un moment, Jean et moi regardons en silence Colette en train de dessiner. Jean dit, en riant,

qu’on la surveille pour ne pas qu’elle dépasse. Je demande à Colette si elle se sent surveillée.

Avec le sourire, elle répond que non.

Vers la fin de la rencontre, Colette dit avoir apprécié dessiner. Jean prend l’initiative de lui

trouve des crayons de bois pour qu’elle puisse dessiner pendant la semaine.

Lors de la rencontre, j’observe que Jean est très engagé envers sa conjointe et a le souci de

la stimuler. Colette semble plus encline à faire ses choix de couleurs et d’images et demande

moins souvent conseil à son époux. Les deux partenaires me semblent aussi plus souriants.

Troisième rencontre

Depuis la dernière rencontre, Colette a coloré tous les mandalas que je lui avais apportés. Ils

sont affichés partout dans la maison. Je lui suggère d’en choisir un pour le découper et le

coller sur un carton de couleur. Elle choisit celui des chevaux. Pendant qu’elle s’exécute, elle

redit comment les chevaux sont beaux et ont l’air de s’aimer.

Jean a acheté un cahier de dessins à sa conjointe. Elle en a coloré plusieurs. Je reflète à Colette

que son époux s’occupe d’elle en lui trouvant des activités agréables à faire pendant la

journée.

140

Je leur demande ensuite s’il y a une photo d’eux qu’ils aimeraient utiliser pour une prochaine

activité. Jean se lève et revient avec des photos de voyage. Nous les regardons ensemble.

Colette ne se souvient pas de tout, ni de l’année de ce voyage. Parmi les photos se trouvent

aussi des photos de famille. Nous parlons de leurs enfants et petits-enfants.

Je demande au couple de choisir une photo qui les représente. Jean propose la photo prise

lors d’une séance de photo. Colette accepte. Elle choisit ensuite un carton de couleur en

demandant l’avis de son conjoint. Jean s’implique peu dans les décisions. Colette choisit

quelques cœurs pour entourer la photo. Jean l’aide à trouver des cœurs de la bonne grandeur.

Elle les colle autour de la photo. Je la soutiens pour les plus petits cœurs. Elle trouve ça beau.

Jean dit qu’il faudra trouver un cadre et Colette manifeste son accord.

Je ne joins pas la réalisation finale pour respecter la confidentialité du couple.

Pendant la rencontre, Jean me dit participer à un groupe d’entraide dans un organisme venant

en aide aux proches aidants. Quand il s’absente, Colette va chez sa fille parce qu’il ne veut

pas la laisser seule à la maison.

Lors de cette rencontre, j’observe que Colette répète plus qu’à l’habitude. Jean semble plus

fatigué et participe moins à l’activité. Il est plus difficile d’amener le couple à participer

ensemble aux activités proposées. Jean est davantage observateur que participant. J’ai aussi

cette impression que Colette le fait pour faire plaisir à son conjoint et non par réel intérêt.

Quatrième rencontre

Pour le couple, la dernière semaine a été tranquille à cause de la grippe et d’une blessure au

dos de Jean. Malgré tout, le couple rapporte faire des activités quotidiennes comme aller

marcher à l’extérieur.

Je propose à Colette et à Jean de faire le bilan des rencontres jusqu’à maintenant. Colette dit

apprécier les rencontres et les activités réalisées parce que ça l’aide à se changer les idées.

Quant à Jean, il apprécie avoir des idées d’activités pour son épouse. Cela permet de mieux

saisir leurs attentes envers la démarche proposée. Ce couple n’aborde pas leur expérience de

la maladie et agit dans le présent.

141

Je leur fais donc quelques propositions d’activités qui pourraient répondre à leurs attentes :

mosaïque, peindre une cabane d’oiseaux, faire des colliers. Colette est enthousiaste face à

ces idées.

Je leur propose ensuite de faire un collage d’images représentant les qualités qu’ils apprécient

chez leur partenaire. Colette est peu inspirée, elle cherche un peu mais sans enthousiasme et

ne trouve pas d’images. Jean et moi la stimulons pour qu’elle poursuive sa recherche. Jean

trouve quelques images pour sa conjointe, images qui représentent des champs d’intérêt pour

elle (des chevaux, des vélos, un bijou). Nous parlons des activités qu’ils aiment faire

ensemble, surtout l’été. L’activité ne va pas plus loin. Colette ne trouve pas d’image et Jean

cesse ses recherches. Nous discutons plutôt de leurs forces et intérêts. Jean se reconnaît peu

de qualités. Sa conjointe le reprend et lui reflète qu’il est bon pour jardiner. Jean reconnaît

aimer faire la cuisine et que ce qu’il fait est bon.

Nous discutons de la mémoire parce que je reflète à Jean qu’il a bonne mémoire lorsqu’il

rappelle un événement passé à sa conjointe. Jean dit alors « Une chance qu’il y en a un des

deux qui en a! ». Colette réagit en reconnaissant en perdre un peu mais en ajoutant qu’elle en

a encore. Je lui demande si elle pense parfois à ses pertes de mémoire et elle dit que non,

qu’elle est dans le présent. À ce moment, son visage se referme.

Il reste un peu de temps à la rencontre. Je leur propose de faire un gribouillis (figure 31).

C’est Jean qui voit un bec et un œil dans le gribouillis que j’ai fait. Colette complète l’œil et

Jean fait le reste. Nous rions du résultat. Colette dit que l’oiseau a la grippe lui aussi.

La rencontre se termine sur cette activité. Jean s’excuse de leur manque de dynamisme. Je

lui dis de ne pas s’en faire.

J’observe que Colette aborde un peu ses pertes de mémoire mais ne veut pas en parler

davantage. Elle semble nier ou banaliser cette réalité. Je me demande si elle est consciente

d’être atteinte d’Alzheimer ou si elle nie simplement la situation.

142

Cinquième rencontre

Le couple se porte mieux, la grippe est passée. Nous parlons de leur semaine, qui a été

tranquille, de leurs activités et des projets pour les jours à venir.

Je propose à Colette une activité de mosaïque tel qu’entendu lors de la dernière rencontre.

Elle choisit une image que j’ai pré-dessinée et amorce le collage des bouts de couleur. Je la

soutiens mais elle prend rapidement l’initiative de sa réalisation. Elle demande de temps en

temps à Jean son avis pour les couleurs et l’emplacement. Il lui retourne les questions et elle

finit par choisir. Elle s’arrête parfois. Elle perd le fil? Elle perd l’intérêt? Jean ou moi

l’invitons à poursuivre, ce qu’elle fait. À plusieurs reprises, elle dit « Il va être beau le chat »

et autres commentaires sur son œuvre. Elle semble être fière. À un moment, elle invite Jean

à en faire un bout. Il hésite, puis me regarde. Je l’invite à participer. Il en fait un bout puis dit

« C’est pas si facile que ça… ». Colette est contente du résultat même s’il n’est pas fini.

Je lui propose de conserver le matériel pour le finaliser pendant la semaine, si elle le souhaite.

Elle accepte. Colette dit apprécier faire des activités de bricolage, que ça lui change les idées,

que ça l’occupe et qu’elle aime faire passer le temps ainsi.

Pendant cette rencontre, j’observe que Colette se répète moins. Elle démontre plus

d’enthousiasme face à l’activité proposée. Son conjoint accepte de participer à l’activité sur

son invitation. Le couple partage quelques rires pendant la rencontre.

Figure 31

Gribouillis. Réalisé conjointement.

Feutre sur papier 12 x 18

143

Sixième rencontre

Le couple dit avoir passé une belle semaine, remplie d’activités familiales et de sorties.

Durant la semaine, Colette a terminé le collage-mosaïque du chat (figure 32) amorcé lors de

la dernière rencontre, puis elle a coloré un dessin de renard (figure 33) et a commencé

l’éléphant mais ne l’a pas terminé. Jean dit qu’elle semblait moins intéressée par l’éléphant.

Je propose à Colette de peindre une cabane pour oiseaux, en bois. Elle est enthousiaste. Elle

se met à la tâche, accepte qu’il y ait plusieurs étapes, s’applique, etc. Jean la soutient

techniquement avec patience. Mais Colette est autonome. À quelques reprises, elle lui

demande son avis pour le choix des couleurs mais elle fait ses choix parce qu’il lui retourne

la question.

À un moment, Jean complimente sa conjointe sur son acuité. Tout au long de la confection,

Colette semble fière de sa réalisation. Elle répète à plusieurs reprises que les oiseaux vont

être bien dans cette maison.

J’observe que Colette a un discours répétitif et qu’elle a peu de mémoire de nos discussions

Le couple rit beaucoup.

Figure 32

Chat sur un coussin. Mosaïque réalisée par madame.

Collage sur papier aquarelle 9 x 12.

144

Septième rencontre

Colette et Jean disent avoir encore passé une belle semaine. Ils sont sortis et s’occupent des

animaux de leur fille, partie en vacances.

Colette poursuit la réalisation de sa cabane d’oiseaux. Elle s’applique et son partenaire lui

offre son soutien technique. Quand elle lui demande conseil sur les couleurs, il l’invite à

choisir par elle-même.

À un moment, Colette s’absente et je demande à Jean s’il voit encore le psychologue. Il me

dit que oui et qu’il trouve ça difficile parce que ça le fait parler de la situation et des émotions

qui y sont reliées. Il me dit qu’il sort des rencontres « tout à l’envers ». Il croit toutefois que

ça peut l’aider.

Colette a presque terminé la cabane et elle se dit fière d’elle.

Il me semble qu’elle se répète aussi plus souvent. Elle m’offre du café à quelques reprises,

demande à son conjoint d’en préparer pour moi et répète souvent que la « cabane va être belle

et que les oiseaux vont être contents ». Encore beaucoup de rires échangés par le couple.

Huitième rencontre

Le couple a eu une semaine tranquille et a poursuivi ses activités habituelles.

Figure 33

Renard. Dessin coloré par madame.

Crayon de bois sur papier 9 x 12.

145

Colette fait des blagues quand je lui demande si elle veut terminer la cabane : « J’ai une

cabane moi, ah! ben!, je vais aller voir ça! ». Elle fait semblant d’avoir oublié sa cabane.

Mais je me demande si elle n’est pas un peu sérieuse. Nous reprenons le rituel de la peinture

de la cabane installé depuis quelques semaines : Colette fait le gros du travail, je la soutiens

techniquement, et, à sa demande, Jean lui suggère des couleurs (figure 34). Elle termine la

peinture et décore la cabane avec des pochoirs de fleurs et d’insectes. Elle et moi rions

beaucoup à chaque fois qu’elle retire le pochoir et que nous voyons le résultat peint sur la

cabane. Jean s’amuse de nous voir rire.

Colette répète à plusieurs reprises qu’elle apprécie faire cette activité, qu’elle est fière de sa

cabane et que les oiseaux « vont être contents ». Jean dit qu’il va acheter du matériel pour

qu’elle puisse faire d’autres cabanes et objets en bois.

J’observe que Colette semble de plus en plus à l’aise avec moi et capable d’être dans le

plaisir authentique et spontané. Après huit rencontres, le lien de confiance commence à se

développer, mais nous demeurons dans le plaisir et le jeu. Jean reste en retrait, adoptant une

posture d’observateur plus que de participant malgré mes invitations à participer aux activités

proposées.

Figure 34

Cabane d’oiseaux. Peinte par madame.

Acrylique sur bois. 9 x 6 x 6.

146

Neuvième rencontre

Dès mon arrivée, Colette va chercher la cabane d’oiseaux qu’il est prévu de terminer. Elle

donne une première couche de vernis en disant que « les oiseaux vont être contents de cette

belle cabane-là! ».

Pendant le temps de séchage, je propose au couple de faire un dessin à deux, face-à-face

(figure 35). Colette invite Jean à commencer. Ce qu’il fait avec des lignes abstraites jaunes.

Colette ajoute des lignes rouges puis ils continuent ainsi pour quelques lignes. Après

quelques minutes, elle dit ne plus avoir d’idée. Jean la stimule. Je me joins à eux pour ajouter

des lignes au dessin, puis nous nous amusons à faire des formes à partir des lignes déjà tracées

(oiseaux, bonshommes, etc.). Jean dessine un animal, que Colette identifie comme étant un

cochon. Elle dit qu’il n’est pas beau et nous en rions. Je l’invite à faire un animal à son tour

mais elle refuse, disant qu’elle n’est pas capable. Elle dessine une maison avec un toit

étrange. Nous nous amusons ainsi pendant encore une vingtaine de minutes.

Jean me dit que la travailleuse sociale vient après ma visite pour faire le bilan de leur situation

et l’évaluation annuelle de Colette. Cette dernière a une réaction disant « elle s’en ira » mais

n’en dit pas plus. Plus tard, je reviens sur cette rencontre et reflète à Colette qu’elle n’a pas

Figure 35

Dessin à relais. Réalisé conjointement.

L’image est présentée de mon point de vue.

Madame est à ma gauche et son conjoint à ma droite.

Acrylique sur papier 18 x 24.

147

l’air d’avoir envie de recevoir l’intervenante. Colette me répond que ça ne lui dérange pas

mais Jean réagit en disant « J’sus pas sûr de ça! ».

Quand je me prépare à partir, je rappelle au couple que la prochaine rencontre sera notre

dernière, puis qu’il y aura une rencontre de bilan deux semaines plus tard. Jean me donne la

main à mon départ et Colette l’imite.

Dixième rencontre

Comme d’habitude, la rencontre s’amorce par une discussion sur leur semaine puis je leur

demande comment s’est passée la rencontre avec la travailleuse sociale. Jean dit que ça s’est

bien passé, qu’il a demandé du répit pour quelques heures par semaine. Je souris à Colette

qui me répond d’un air entendu qui me laisse penser qu’elle n’apprécie pas mais qu’elle se

résigne.

Je lui propose de décorer un objet en papier mâché, elle choisit un œuf (figure 36). Je lui

montre la technique. Elle se met à la tâche mais je dois lui rappeler à quelques reprises les

gestes à faire. Elle a le souci de bien faire. À la fin, elle ajoute des éléments décoratifs. Elle

continue de prendre des initiatives sans demander conseil à son conjoint.

Lors de cette rencontre, Jean est peu actif. Il semble s’endormir. Il évoque le fait de faire

moins de vélo qu’avant parce que Colette n’en fait plus. Elle manifeste alors son intention de

Figure 36

Œuf. Décoré par madame.

Papier mâché 3 x 1,5

148

s’y remettre, précisant à son conjoint qu’elle peut toujours rebrousser chemin seule si elle est

fatiguée. Jean fait une moue sceptique mais ne la confronte pas.

Colette accepte de prendre quelques initiatives avec le médium. Je sens qu’une complicité

s’installe entre elle et moi quand elle me sourit suite à la discussion sur la visite de la

travailleuse sociale. Peut-être que si nous avions eu plus de temps, nous aurions pu aborder

directement la question de la maladie et de ses impacts sur le couple?

La démarche se termine ainsi.

c) Les perceptions du couple

Lors de la rencontre post-intervention, le couple a exprimé sa satisfaction par rapport à la

démarche, tout en nommant ne pas avoir observé de changement dans leur relation. Un effet

prédominant de l’expérience qui est d’abord identifié par le couple est le plaisir ressenti lors

des différentes activités réalisées. Madame y fait référence à plusieurs reprises tout au long

de l’entretien. Le couple se dit heureux d’avoir découvert de nouvelles idées d’activités et

monsieur rappelle que cela répond au besoin qu’il avait au départ. Ces découvertes semblent

avoir quelques avantages pour le couple, notamment celui de passer le temps ou de se

ramener dans le présent.

C’est sûr que ça nous donne des idées… pour passer le temps. Comme là, vois-tu, elle

fait du dessin depuis ce temps-là, ça y fait d’autre chose à faire en surplus. Même là

peut-être qu’a peut faire de la peinture, n’importe quoi. Même moi, des fois je prends

son livre pis je dessine dedans. C’est l’fun d’avoir des idées, ça permet de trouver le

temps moins long pis de…

Monsieur ajoute que ce passe-temps maintenant intégré dans leur quotidien a permis de

diminuer la fréquence des conflits qui s’installaient entre eux :

Des fois, la température comme de ce temps-ci, ça prend de quoi à faire… parce que

tu peux pas sortir, aller dans les magasins tout le temps… Donc si t’as de quoi à faire,

ça passe le temps. Ça évite des fois des chicanes, pis… […]Un moment donné, t’as

pus de patience. Quand tu viens que tu sais pus quoi faire, tu te regardes de travers!

Il fait également référence au fait que lorsque sa conjointe est occupée, celui lui donne un

moment de répit, lui permet de s’occuper à autre chose.

Madame fait allusion à quelques reprises à la fierté qu’elle ressent face à ses différentes

réalisations et du sens que son investissement dans ses œuvres a pris pour elle. Par exemple,

149

quand je lui fais remarquer qu’elle a travaillé fort pour réaliser la cabane d’oiseaux, elle

répond :

Ah! Ben oui, il fallait, il fallait. C’était spécial ça. C’était du travail pareil. Ça valait

la peine. Quand tu finis quelque chose que t’as fait, t’es fière.

Il semble aussi que son conjoint partage sa fierté et reconnaît l’énergie qu’elle a déployée

pour réaliser ses productions. Il évoque lui aussi la cabane d’oiseaux dont le toit s’est décollé

après avoir passé une nuit à l’extérieur :

On va la réparer pis on va la mettre dehors. Elle a tellement travaillé après ça!

Quant aux modalités de l’intervention, le couple a apprécié la fréquence et la durée des

rencontres et le type d’activités proposées. Questionné sur le fait que nous n’avons pas

beaucoup parlé de leur relation et de la situation, monsieur dit que son besoin de parler était

comblé autrement. Madame ajoute qu’elle se sentait à l’aise en ma présence parce que je

dégageais moi-même une aisance à être avec eux.

5.1.3 Le troisième couple : Martine et Jocelyn

a) Présentation du couple

Dix rencontres ont été réalisées avec ce couple. Les rencontres ont duré en moyenne une

heure, tel que prévu au protocole.

Martine et Jocelyn sont mariés depuis plus de 40 ans. De leur union sont issus deux enfants.

Martine a complété un diplôme collégial et Jocelyn, un certificat universitaire. Martine a pris

sa retraite plus tôt que prévu pour prendre soin de son conjoint atteint de la maladie

d’Alzheimer.

Jocelyn présente un trouble de la mémoire important. Il ne se souvient pas avoir eu des

enfants ni ne s’être marié. Les souvenirs de sa famille d’origine sont très vifs : à l’aide d’une

photo, il est capable de nommer les prénoms de ses 16 frères et sœurs. Il parle peu, cherche

ses mots et a tendance à se répéter. Il a le regard vif et démontre des signes d’écoute lorsque

j’échange avec sa conjointe. Martine dit que son mari a besoin d’être stimulé pour se mettre

en action. Il fait également, à l’occasion, de l’errance nocturne.

150

La relation de couple semble très affectée puisque Jocelyn ne se souvient plus être en couple

et qu’il parle peu. Martine nomme que des conflits surviennent à l’occasion lorsqu’elle

demande à son conjoint de faire certaines tâches qu’il refuse de faire. Le quotidien semble

cependant organisé selon une routine stable. L’aidante démontre des signes de fatigue et

nomme vivre difficilement le deuil de la retraite espérée. Elle exprime vouloir soutenir son

mari et le maintenir à la maison le plus longtemps possible. Depuis quelques semaines,

Martine participe à un groupe de soutien et s’inscrit aux différentes activités offertes par les

ressources de son milieu. Elle peut laisser son conjoint seul à la maison pendant quelques

heures. Jocelyn a déjà participé aux activités proposées par le Centre de jour mais n’avait pas

apprécié et il a cessé sa participation. Martine envisage de le réinscrire pour se donner des

temps de répit. Elle profite également des quelques séjours de répit que lui offre le réseau

public. Les enfants du couple vivent à l’extérieur. Ils semblent peu présents.

Lors de la rencontre préalable, aucune activité artistique n’a été proposée.

Le couple n’utilisera pas le journal de bord pour parler de l’impact de la démarche sur leur

relation. Une seule fois, Martine l’a utilisé pour me transmettre de l’information sur

l’évolution de la maladie de son conjoint.

b) Présentation de la démarche

Première rencontre

Martine m’accueille en disant que c’est une journée difficile. Jocelyn est souriant mais ne

parle pas. Après les échanges usuels, je propose au couple de réaliser une peinture sur un

même support (figure 37). Martine amorce la peinture et Jocelyn la suit en réalisant des

formes concrètes telles que soleils et visages. Il ajoute des détails (oreilles, sourcils). Il prend

le temps entre chaque ligne/couleur et a parfois besoin d’être stimulé pour poursuivre, ce que

sa conjointe fait à quelques reprises. Jocelyn participe tout au long de l’activité et suit les

consignes quand il les comprend. Quand il nettoie le pinceau, je dois lui indiquer comment

faire à chaque fois.

151

Le couple n’échange pas sur l’œuvre pendant la création, mais Martine intervient sur les

formes peintes par son conjoint et il ne réagit pas. Ils semblent s’amuser. Jocelyn sourit face

à ce qu’il fait. Quand je demande si les personnages créés sont de bonne humeur, il sourit.

Martine parle d’un personnage qui ne semble pas heureux et Jocelyn répond « On va corriger

ça! » en ajoutant un sourire au visage. L’ambiance est légère.

Je propose ensuite au couple de faire un collage en choisissant des images qu’il trouve belles

(figure 38). Jocelyn a de la difficulté à saisir la consigne et nous la lui répétons à quelques

reprises. Martine stimule souvent son conjoint qui s’interrompt régulièrement. Jocelyn est

attiré par une image de soldats en « garde-à-vous » et par l’image d’une ville en Europe où il

remarque que tous les toits sont de la même couleur. Il est attentif à ce que les images soient

placées dans le bon sens et ne se chevauchent pas.

Puis, Jocelyn s’absente un moment et j’en profite pour échanger avec Martine. Elle dit que

c’est une journée plus difficile parce qu’elle dort moins bien et que Jocelyn est plus actif le

matin et cherche quelque chose à faire, ce qui alourdit sa tâche puisqu’elle doit le tenir

occupé. Elle croit que la température n’aide pas puisqu’ils ne sont pas allés marcher à

l’extérieur depuis quelques jours.

À son retour, Jocelyn va directement au salon et s’installe pour faire des mots croisés. La

rencontre se termine ainsi.

Figure 37

Dessin à relais. Réalisé conjointement.

Acrylique sur carton 12 x 18.

152

J’observe que même si Jocelyn parle peu, il participe activement aux activités proposées.

Martine le stimule beaucoup et il répond positivement à cette stimulation. Je perçois peu

d’affection entre eux mais ils rient ensemble à quelques reprises pendant la rencontre.

Deuxième rencontre

À mon arrivée, Martine raconte qu’ils ont passé une belle fin de semaine mais que dimanche

soir a été plus difficile, sans préciser en quoi. Je comprends qu’elle évite d’en parler devant

son conjoint. Dimanche, Jocelyn est parti avec son frère à une fête de famille. C’est à son

retour que cela a été plus difficile.

Martine me dit qu’elle a eu l’idée de faire faire des mandalas et des casse-tête à Jocelyn. Elle

cherche des façons de le stimuler. Je la valide dans ses choix.

J’observe que Martine a des livres d’art sur un artiste qui fait du verre soufflé : Chihuly. Je

regarde les livres et Jocelyn regarde avec moi, avec intérêt. Il parle peu au début mais devient

plus loquace pendant la rencontre.

Je propose ensuite au couple de faire un gribouillis. Je donne un exemple. Martine voit un

fantôme que je trace avec une autre couleur. Sans que je ne lui pose de question, Jocelyn dit

que le fantôme est content d’être là! Martine fait un gribouillis en premier et invite Jocelyn à

faire de même. Il fait une répétition de lignes horizontales zigzaguées (figure 39). Quand je

Figure 38

Collage. Réalisé conjointement.

Collage sur carton 12 x 18.

153

leur demande ce qu’ils voient dans leur gribouillis, Jocelyn évoque de la tôle et fait un lien

avec le travail qu’il occupait, à la surprise de Martine. Jocelyn en parle avec détails et répond

avec développement à mes questions.

Dans le gribouillis de Martine (figure 40), c’est Jocelyn qui voit les lunettes en premier et il

accepte de les tracer avec une autre couleur, puis il continue de dessiner les détails du

Figure 39

Gribouillis. Réalisé par monsieur.

Feutre sur papier 12 x 17.

Figure 40

Gribouillis. Réalisé par madame et complété par monsieur

Feutre sur papier 12 x 17.

154

personnage, sans que je ne lui demande. Il s’investit dans son dessin qu’il veut réaliste (il se

reprend parce que les lunettes n’arrivent pas sur les oreilles, etc.).

Puis Martine lui demande s’il voit autre chose dans son gribouillis à lui. Jocelyn revient sur

le même sujet, refait de nouvelles lignes et raconte à nouveau tout ce qu’il sait à ce propos.

Il ne voit rien d’autre, même si Martine lui suggère un bateau et la mer.

Je lui propose de faire un nouveau dessin. Il dit « un repas » mais ne veut pas le dessiner. Il

revient à la tôle, alors pour faire diversion, je lui propose de dessiner une maison qui a un toit

en tôle. Il dessine une maison et je lui fais remarquer qu’elle est grande (figure 41). Il me

parle de sa maison d’enfance en disant que c’est « chez-nous ».

La rencontre est terminée. Jocelyn s’absente un instant et en revenant, il reste avec nous

pendant que je me prépare.

Pendant cette rencontre, j’observe que Jocelyn parle davantage que lors de la rencontre

précédente. Il prend aussi davantage d’initiatives.

Troisième rencontre

Martine me dit qu’elle était à l’extérieur pendant la fin de semaine et que Jocelyn est allé « à

l’hôtel » (je comprends qu’il est allé dans une ressource d’hébergement en répit). Quand je

lui en parle, il dit qu’il est content d’être chez lui.

Figure 41

« Chez-nous ». Dessin réalisé par monsieur

Feutre sur papier 12 x 17.

155

Je reviens avec Martine sur ses attentes face à la démarche. Elle dit ne pas en avoir. Elle

trouvait intéressant de participer au projet tout simplement.

J’apporte au couple un grand mandala préparé pour eux. Martine me montre le livre qu’elle

a acheté pour son conjoint et dit qu’il démontre un grand intérêt pour cette activité. Jocelyn

me montre ce qu’il a dessiné.

Je montre ensuite au couple une création mosaïque que j’ai faite et je leur propose de faire

une œuvre en s’inspirant de cette technique. Le couple est d’accord. On cherche un thème.

Je leur propose de faire des fruits. Jocelyn dessine une banane, des pommes et des raisins.

Martine l’aide un peu. Puis le couple entreprend de coller les morceaux de papier (figure 42).

À plusieurs reprises, Jocelyn s’arrête et sa conjointe le stimule pour qu’il reprenne l’activité,

ce qu’il fait. Il s’applique, il est très minutieux. Avec beaucoup de patience, il déchire les

papiers pour qu’ils prennent la forme escomptée. Après une heure, Jocelyn semble fatigué.

Je propose au couple de poursuivre pendant la semaine, s’il le souhaite.

Encore une fois, j’observe que Martine stimule beaucoup son conjoint et qu’il répond

positivement à la stimulation.

Figure 42

Mandala de fruits. Collage de mosaïque réalisé conjointement.

Papier sur cercle 11 pouces diamètre.

156

Quatrième rencontre

À mon arrivée, Jocelyn est au sous-sol. Martine va le chercher et l’invite à venir nous

rejoindre à la table. Martine dit avoir passé une bonne semaine mais avoir mal dormi cette

nuit. Son conjoint la réveille parfois et elle a du mal à se rendormir.

Le couple n’a pas complété le collage amorcé la dernière fois et ne semble pas y démontrer

d’intérêt. Je leur propose alors de l’argile, pour sonder l’intérêt de Jocelyn pour ce médium.

Il participe un peu mais moins qu’à l’habitude. Il semble ne pas savoir quoi faire avec l’argile.

Cependant, par mimétisme, il arrive à façonner quelques formes. Sa conjointe le stimule

beaucoup. Nous créons un animal imaginaire (figure 43). Jocelyn est préoccupé que ce soit

bien fait, que la création soit « lisse » et solide. Il peaufine la création à mesure que nous la

montons.

Vers la fin de la rencontre, Jocelyn parle de la mesure d’une boule d’argile. Les chiffres

l’intéressent et il démontre encore beaucoup de capacités à cet égard. J’essaie de faire un lien

avec un objet connu (une balle de tennis? une balle de baseball?). Puis nous parlons de sport.

Jocelyn dit avoir joué un peu au baseball, mais pas au hockey. Martine lui rappelle qu’il a

fait beaucoup de vélo. Il confirme mais n’en parle pas davantage. Martine raconte avec détails

les randonnées de vélo qu’ils ont faites et exprime que cela lui manque. Jocelyn n’intervient

pas dans cette discussion.

Figure 43

Animal imaginaire. Réalisé conjointement.

Argile. 8 x 5 x 11.

157

Lors de cette rencontre, Martine exprime avec émotion le deuil lié à la maladie de son

conjoint. Jocelyn parle moins que d'habitude.

Cinquième rencontre

Martine m’accueille et Jocelyn vient nous rejoindre à sa demande. Je prends des nouvelles

sur leur semaine. Martine me dit que c’est comme d’habitude.

Je leur propose de parcourir un livre de Gauguin. Jocelyn regarde avec intérêt, lit les titres

des œuvres et en commente certaines en expliquant ce qu’il voit.

Je propose ensuite au couple de faire une peinture face-à-face (figure 44). Jocelyn peint un

visage et sa conjointe peint des fleurs. Il ajoute des détails. Je l’invite ensuite à donner un

corps au personnage, ce qu’il fait. Je le fais parler de son personnage : il n’a pas froid parce

qu’il est dans la maison; il est seul mais ne s’ennuie pas; il est de bonne humeur. Martine

prend conscience qu’ils n’ont pas peint ensemble. Elle tourne la feuille. Jocelyn ajoute un

peu de couleur dans les fleurs. Elle ajoute du gazon sous les pieds du personnage de Jocelyn.

Puis, elle demande à son conjoint ce qui manque au dessin. Il lui répond « De la terre! ». Elle

tourne la feuille à nouveau et Jocelyn ajoute une bande de terre sous le personnage et fait

quelques traits verticaux en disant « L’herbe pousse un peu. » Martine observe que le

personnage est plus « groundé ».

Figure 44

Conversation visuelle. Dessin réalisé conjointement.

Acrylique sur papier 18 x 24.

158

Avant mon départ, Martine me demande si je trouve que ça vaut la peine de continuer. Je lui

retourne la question. Elle trouve qu’ils ne réalisent pas « grand’chose » et que son conjoint

démontre peu d’intérêt. Elle ajoute qu’il n’a jamais eu d’activités créatrices, ce qui explique

peut-être son manque d’intérêt. Je la rassure que tout ce qui se passe est pertinent pour moi

et m’assure que ce n’est pas trop lourd pour elle. Je lui rappelle également qu’elle peut en

tout temps mettre fin à leur participation au projet. Elle dit qu’elle continue pour lui et ajoute

que ça leur permet de faire une activité ensemble. Je lui reflète que Jocelyn avait de l’intérêt

aujourd’hui et qu’il arrive à créer, qu’il participe aux activités proposées.

Pendant la rencontre, j’observe que Jocelyn démontre davantage d’intérêt tant pour le livre

d’art que pour l’activité. Il s’exprime sur les images du livre d’art et raconte même quelques

histoires pour expliquer les images. Il démontre une capacité à aller dans l’imaginaire.

Martine exprime son désir que l’activité serve à son mari. Elle démontre aussi une volonté à

ce que l’activité soit une création commune.

Sixième rencontre

Martine m’accueille avec le sourire. Elle semble en meilleure forme que d’habitude. Elle me

donne le journal de bord pour que je lise ce qu’elle y a écrit. Elle a noté avoir l’impression

que Jocelyn est « passé à un autre niveau de la maladie » : il ne comprend plus la signification

de mots reliés au quotidien (ex. le « déjeuner ») et ne sait plus où sont les choses dont il se

sert quotidiennement (ex. les débarbouillettes). Ce matin, quand elle lui a dit que je venais,

il ne savait pas ce qu’était l’art-thérapie. Nous n’en discutons pas devant Jocelyn.

Je leur ai rapporté la peinture réalisée lors de la dernière rencontre. Jocelyn dit se souvenir

de l’avoir faite. J’attire son attention sur les détails qu’il avait ajoutés aux fleurs peintes par

sa conjointe. Il nomme la couleur utilisée. Puis, il regarde mon grand carnet de feuilles et me

dit que c’est environ deux pieds de hauteur. Nous vérifions et constatons qu’il a raison. Nous

parlons de sa capacité à se rappeler des chiffres et des calculs. Martine me rappelle qu’il a

travaillé dans le domaine.

Je leur propose d’abord de regarder un livre sur les architectures de Gaudi. Encore une fois,

Jocelyn démontre beaucoup d’intérêt. Il voit parfois des personnages dans les œuvres,

explique certains aspects des architectures, etc. Certaines pages présentent des détails

159

d’œuvres présentées dans les pages précédentes. Jocelyn s’en souvient et fait des liens en

nous montrant la page de référence. Cette activité dure environ 40 min.

Puis, je leur propose de dessiner un paysage avec des pastels à l’huile (figure 45). Je leur

propose un plus petit format. Nous parlons de ce qu’il y a dans un paysage. Jocelyn nomme

la lune et les étoiles, un arbre et des haies de cèdre. Au début, il résiste en disant qu’il ne sait

pas dessiner avec les pastels. Martine commence à dessiner le ciel en stimulant son conjoint,

mais il ne veut pas. Elle me regarde en disant « Ça ne fonctionnera pas. » mais je lui fais

signe de laisser le temps à Jocelyn. Je lui propose de dessiner un arbre. Il prend une craie et

commence à tracer le tronc. Martine l’invite à faire du feuillage, ce qu’il fait. Elle en rajoute

et Jocelyn allonge les branches, pour rejoindre les feuilles. Puis, il continue en ajoutant un

sol à l’arbre, une maison, une voiture, un vélo, etc. Il ajoute des détails comme le phare de la

voiture, les poignées de porte, etc. Il travaille à un rythme soutenu, s’arrêtant quelques

secondes entre chaque étape. Martine le regarde dessiner et n’ajoute plus rien. Jocelyn semble

content de son œuvre : il hausse les épaules en souriant. Je lui suggère de signer son œuvre,

ce qu’il fait après que j’aie pris la photo.

Tout au long de la rencontre, Jocelyn fait des blagues. Il s’exprime relativement bien. Je ne

peux observer les commentaires écrits par Martine dans leur journal de bord.

Figure 45

Paysage. Dessin réalisé par monsieur.

Pastel gras sur papier 12 x 18.

160

Lors de cette rencontre, j’observe que Jocelyn s’exprime sur les images du livre d’art et

raconte même quelques histoires qui s’en inspirent. Il démontre une capacité à aller dans

l’imaginaire. Mais dans la création, il est plutôt réaliste. Il fait toutefois un soleil rouge.

Pendant la rencontre, je sens aussi Martine plus douce avec son conjoint. Elle travaille fort

pour le stimuler et l’inviter à créer avec elle. Jocelyn fait des blagues et nous en rions tous. Il

exprime aussi son refus de créer avec plus de clarté que d’habitude (« c’est pas moi qui va

faire ça, j’ai jamais faite ça! »).

Septième rencontre

À mon arrivée, Jocelyn nous rejoint tout de suite. Il s’assied à la table sans que l’on ait besoin

de l’y inviter et sans prendre son livre de mots-croisés, ce qu’il a l’habitude de faire. Nous

échangeons sur la température et sur les inondations. Jocelyn participe à la conversation sans

que nous lui posions de question.

Puis, je présente au couple un livre de la collection du musée d’art Guggenheim. Jocelyn

regarde encore une fois avec beaucoup d’intérêt, prenant le temps de tourner les pages et de

lire le titre des œuvres. À quelques reprises, je lui demande s’il aime ce qu’il voit. Il se

prononce : parfois il aime et parfois il n’aime pas. Il est aussi capable de dire pourquoi en

quelques mots. Il préfère les œuvres colorées et figuratives aux œuvres plus sobres ou

abstraites. Il apprécie particulièrement Van Gogh et n’aime pas Pollock. J’avais placé des

signets à quelques pages mais Jocelyn prend le contrôle du livre et tourne toutes les pages.

Nous le suivons dans son exploration.

Puis, je propose au couple de décorer des visages déjà façonnés. C’est un travail minutieux

parce que les visages sont tout petits (figure 46). Jocelyn commence par me dire que ça doit

être fait avec un moule parce qu’ils sont tous pareils. Je le taquine en lui demandant s’il croit

que je ne suis pas capable d’en faire des pareils et il me répond : « Ben, c’est un peu ça que

je dis ». Nous rions, Martine et moi, de sa taquinerie et Jocelyn rit avec nous. Puis, chacun

se met à la peinture de son visage. Jocelyn s’applique avec beaucoup de minutie et ajoute des

détails. Martine trouve que le visage de Jocelyn est mieux réussi que le sien et le lui dit.

Jocelyn me fait remarquer qu’il n’y a pas d’oreille. Ce détail semble le déranger parce qu’il

le répète à deux reprises avec un petit soupir.

161

Lors de cette rencontre, j’observe que Jocelyn s’exprime davantage sur ce qu’il aime et

n’aime pas. Il est capable d’expliquer ses préférences. Martine semble plus absorbée par son

œuvre et s’occupe moins de stimuler son conjoint. Jocelyn s’implique dans la conversation

sur l’actualité. Il fait également plusieurs blagues et taquineries, ce qui nous fait tous rire.

Huitième rencontre

Martine m’accueille avec le sourire comme d’habitude. Jocelyn est assis à la table et lit son

journal. Nous amorçons la rencontre avec le rituel habituel : regarder un livre sur un artiste.

Cette fois-ci, il s’agit d’un artiste qui travaille la technique de l’émail sur cuivre. Jocelyn

regarde avec le même intérêt, se prononce sur ce qu’il aime et n’aime pas et nous explique

parfois ce qu’il voit dans les images. Son discours est cohérent mais peu développé.

Avant d’amorcer une activité de peinture, Jocelyn s’absente quelques instants. Martine en

profite pour me parler de ses préoccupations. Elle dit que son conjoint ne démontre pas

d’intérêt pour les activités quotidiennes et qu’elle ne sait plus comment l’occuper. Je vérifie

s’il a continué à dessiner : non, il n’a plus démontré d’intérêt. Elle ajoute qu’il mange sans

arrêt et qu’il est aussi désorienté dans le temps, ce qui fait qu’il pense à déjeuner au milieu

de l’après-midi. Martine observe aussi une perte de mémoire procédurale (ex. il ne sait plus

comment faire la vaisselle). Elle me confie qu’elle visite une résidence intermédiaire le

lendemain mais ne pense pas que son conjoint a besoin d’être hébergé. Elle dit prendre de

Figure 46

Masques. Madame à celui de gauche et monsieur a fait celui de droite.

Acrylique sur pâte magique. 1,5 x 1 x 0,5.

162

l’avance pour ne pas avoir à prendre une décision quand elle n’aura plus la tête à ça. Elle

nomme que ses enfants viennent moins souvent qu’avant et le relie à la situation actuelle : ils

ne peuvent échanger avec leur père qui s’implique peu dans les échanges. Martine ajoute que

les ressources ne sont pas souples et ne répondent pas à ses besoins de répit. Elle nomme

toutefois avoir un groupe d’amies avec qui elle va déjeuner de temps à autre. Elle espère que

ces relations durent puisqu’elle y trouve beaucoup de soutien.

Jocelyn revient. Je leur propose de réaliser une peinture (figure 47). Martine commence en

traçant des formes abstraites. Elle invite son mari à créer des formes géométriques. Il ajoute

du rose sur les lignes tracées par sa conjointe. Ils continuent ainsi puis Martine introduit

quelques lignes pour former un visage à partir de l’image. Jocelyn complète les yeux. Il

semble vouloir poursuivre alors Martine lui propose d’ajouter un cou, ce qu’il fait. Il est

toujours aussi minutieux. Il comble les espaces blancs laissés par les marques de pinceaux.

Il démontre beaucoup d’intérêt pour la peinture. Nous rions tous les trois de l’œuvre finale.

Jocelyn est face au visage. Sa conjointe le dessine pour qu’il soit face à lui. Jocelyn ajoute

l’oreille à gauche. Il ajoute aussi un trait aux cils de droite pour que leur nombre soit égal des

deux côtés. Martine suggère qu’il y a un appareil auditif à droite. Monsieur semble adhérer

à cette hypothèse puisqu’il le répète pour expliquer l’image.

Figure 47

Visage. Dessin à relais réalisé conjointement.

Acrylique sur papier 18 x 24.

163

Lors de cette séance, je ne fais pas d’observation particulière ou différente des autres

rencontres.

Neuvième rencontre

À mon arrivée, Jocelyn est assis à la table et lit son journal. Je le complimente sur sa tenue.

Il commente que j’ai, comme lui, un chandail bleu. Il fait aussi quelques blagues. Nous rions

ensemble.

Martine continue ses visites des résidences. Elle en parle sans nommer qu’il s’agit de

résidence, pour préserver son conjoint. Elle parle à mots couverts des questions qu’elle se

pose.

Je propose au couple de décorer une cabane d’oiseaux. Jocelyn est d’accord même s’il ne

démontre pas beaucoup d’enthousiasme. Martine l’invite à choisir ses couleurs. Jocelyn peint

en s’appliquant avec minutie. Martine le soutient techniquement. Elle lui fait calculer l’ordre

des couleurs et Jocelyn répond toujours avec justesse. Martine croit que son conjoint aime

faire ce projet. Elle pense que c’est parce que c’est plus concret. Je demande à Jocelyn s’il

aime faire ça. Il répond un « oui » hésitant. Martine me dit que ce n’est jamais un oui franc.

Plus tard, il répondra oui plus clairement. À un moment, alors que Jocelyn travaille en silence,

Martine lui demande avec douceur si ça va bien.

Dixième rencontre

Après les salutations d’usage, nous nous installons à la table. Nous échangeons un peu sur la

température et les activités de la dernière fin de semaine. Jocelyn est de bonne humeur.

Je propose au couple de terminer la cabane d’oiseaux (figure 48). Jocelyn ne se souvient pas

de l’avoir peinte. Je lui offre de la décorer, en collant des objets ou en peignant à partir de

pochoirs. Martine dit que c’est difficile pour lui de faire un choix. Jocelyn hésite en effet et

ne se prononce pas clairement. Martine le presse à choisir. Je comprends par son non-verbal

qu’il choisit de peindre.

Martine soutient son conjoint et corrige parfois quelques formes. Jocelyn s’applique et

travaille minutieusement. À un moment, il dit d’un ton ferme à sa conjointe « Attends un

peu » et continue de faire la correction qu’il est en train de faire quand Martine lui donne une

consigne. C’est la première fois que j’observe ce genre de réaction chez lui. Martine encadre

164

son conjoint. Elle répète les consignes avec un très léger ton d’impatience. À un moment,

alors que je tiens la cabane et que Jocelyn la peint, il me peint le bout du doigt, pour me

taquiner. Nous en rions tous les trois. Je lui demande s’il a aimé faire ce projet. Il me répond

que oui. Il fait oui de la tête quand je lui demande s’il est fier de sa cabane.

Je lui explique que c’était notre dernière rencontre. Nous prenons entente pour la date de la

rencontre post-intervention. Avant de partir, j’échange avec Martine sur sa dernière visite

d’une résidence. Elle dit avoir été déçue. Elle réitère qu’elle préfère se préparer plutôt que de

devoir prendre une décision précipitée. Elle évoque avec émotion l’idée qu’elle « n’aura

peut-être pas à y aller elle aussi ». Nous échangeons aussi sur l’état de Jocelyn. Il semble

s’être stabilisé depuis l’épisode de confusion.

Je les salue en quittant. Jocelyn me répond en blaguant.

Lors de cette rencontre, je constate que Martine a peu d’espace pour exprimer ses émotions

face à la situation. Elle se prépare à prendre des décisions difficiles.

c) Les perceptions du couple

Au début de la rencontre post-intervention avec le couple, monsieur parcourt un album de

finissants que sa conjointe a retrouvé. Il le regarde avec beaucoup d’intérêt et nous partage

le contenu à différents moments de la rencontre. Tout au long de la rencontre, monsieur ne

Figure 48

Cabane d’oiseaux. Décorée conjointement.

Acrylique sur bois. 9 x 6.

165

s’est pas prononcé sur son appréciation de la démarche malgré mes différentes stratégies pour

l’aider à partager son expérience. Madame, quant à elle, s’est dite peu satisfaite parce qu’elle

s’attendait à ce que la démarche ait des impacts positifs sur la condition de son conjoint.

Ben disons que je m’attendais à ce que ça donne des résultats, pis je pense qu’il y a

pas grand changement dans… [fait des regards qui laissent entendre qu’elle parle de

la condition de son conjoint]. […] J’avais tout le temps l’impression qu’il fallait que

je devance les choses. C’est correct. Mais je pensais qu’en commençant quelque

chose, ça débloquerait pis qu’il en ferait plus. En tout cas c’est un essai.

Madame dit toutefois avoir apprécié que son conjoint puisse interagir avec une tierce

personne et cela lui a fait prendre conscience que la présence d’un petit nombre de personnes

autour de son conjoint a un effet de stimulation sur lui et qu’il devient alors un peu plus

loquace.

Elle ajoute cependant que les activités artistiques ne lui ont pas donné l’envie de se remettre

à la création, elle qui en a fait pendant longtemps avant l’arrivée de la maladie chez son

conjoint.

Quand je la questionne sur ce qui aurait pu être fait autrement, madame répond que la

fréquence et la durée des rencontres étaient correctes. Elle ajoute que l’attitude de liberté

laissée aux partenaires a été facilitante :

Tu nous laissais libres de choisir ce que lui ça lui tentait plus de faire. Parce que si

ça avait été plus imposé, peut-être que ça aurait encore moins fonctionné. Ça aurait

bloqué.

Finalement, elle m’invite à privilégier des activités plus concrètes telles que la peinture de la

cabane d’oiseaux, une activité que son conjoint semble avoir davantage apprécié selon elle.

5.1.4 Le quatrième couple : Marie et Daniel

a) Présentation du couple

Dix rencontres ont été réalisées et elles ont duré en moyenne une heure trente. Le couple a

pris le temps d’échanger et de s’investir dans la production de leurs œuvres.

Ce couple est marié depuis plus de 25 ans. Il s’agit pour Daniel d’une seconde union. Il a

trois enfants d’un premier mariage. L’un d’eux est décédé. Le couple a des petits-enfants

dont il est très proche. Marie a complété des études universitaires tandis que son conjoint a

166

terminé un secondaire V. Marie a pris sa retraite quand elle a appris qu’elle était malade et

Daniel est en congé de maladie.

C’est Marie qui est atteinte de la maladie d’Alzheimer. Chez elle, la maladie se manifeste par

des pertes de mémoire, mais plus particulièrement la mémoire procédurale. Les rencontres

auront permis de constater aussi qu’elle développe un trouble de la perception visuelle,

qu’elle ne reconnaît plus certains symboles et qu’elle n’arrive plus à dessiner du figuratif,

alors qu’elle a longtemps peint et pratiqué diverses activités artistiques. Marie dit avoir de la

difficulté à s’organiser (faire son budget, organiser son horaire), ne peut plus conduire sa

voiture et ne peut plus faire la cuisine. Elle dit avoir un bon cercle d’amies, être bien entourée.

La famille de son conjoint semble aussi très présente et soutenante. Marie dit demeurer

active.

Marie et Daniel s’entendent pour dire qu’ils ont une bonne communication et que leur

relation est harmonieuse. Ils nomment cependant qu’au moment de l’apparition des

symptômes, ils réagissaient avec méfiance l’un envers l’autre. Daniel dit être allé à des

ateliers d’information sur la maladie d’Alzheimer et avoir compris que la suspicion pouvait

accompagner la maladie. Il s’y prend donc autrement quand il y est confronté. Les partenaires

s’entendent pour dire que cela va mieux à ce sujet.

Face à l’avenir, le couple se dit ouvert à accueillir ce qui viendra. Daniel confie qu’au début,

c’était difficile pour lui mais qu’il a accepté l’idée qu’il devra peut-être vendre la maison et

déménager dans une résidence adaptée à la réalité de Marie.

Le couple nomme avoir ces besoins et attentes face à la démarche proposée : vivre des

activités pour leur permettre d’approfondir leur compréhension de leur réalité; adapter les

rythmes de l’un et l’autre pour plus d’harmonie (Daniel est actif alors que Marie est plutôt

contemplative).

Tout au long de la rencontre, Daniel parle beaucoup et interrompt sa conjointe à plusieurs

reprises. Elle met du temps à s’exprimer, cherchant ses mots et perdant le fil de sa pensée.

Lors de la rencontre préparatoire, aucune activité artistique n’a été proposée.

Le couple n’utilisera pas le journal de bord durant la démarche.

167

b) Présentation de la démarche

Première rencontre

Le couple nomme avoir vécu quelques conflits dans la dernière semaine mais les avoir bien

résolus.

D’emblée, Marie dit avoir envie de faire de l’argile. Je n’en ai pas apporté mais je le note

pour la prochaine rencontre. Je leur propose de faire un dessin à relais avec des crayons de

cire (figure 49). Je leur donne la consigne de le faire en silence. Daniel invite Marie à

commencer. Elle trace une première ligne et Daniel la suit dans l’image en traçant une ligne

semblable. À plusieurs reprises, il émet des commentaires sur le dessin. Marie le rappelle à

l’ordre sur la consigne du silence. Daniel admet que c’est difficile pour lui de ne pas parler.

Il regarde sa conjointe quand il ne comprend pas, lui donne des indices sur ce qu’il fait, etc.

Marie demeure en silence tout au long de l’activité. À un moment, Daniel trace une ligne

horizontale en disant « On va lui mettre un sol. » puis à partir de ce moment, il dessine des

éléments réalistes (maison, gazon, piscine, etc.). Il dessine Marie assise avec un livre, en train

de se reposer. Elle tente de dessiner des voitures (en gris, sous la ligne) ou autres éléments

réalistes mais n’y arrive pas. Daniel complète certains de ces éléments.

Suite à la création, je les invite à parler de leur expérience. Marie nomme avec émotion être

confrontée à ses limites, dont elle prend conscience. Elle dit qu’elles sont plus présentes

Figure 49

Dessin à relais. Réalisé conjointement.

Crayon de cire sur papier 11 x 17.

168

depuis quelques jours. Nous observons dans le dessin qu’il lui reste la capacité de

l’imaginaire. Elle le reconnaît mais demeure affectée par ses pertes. Daniel nomme et prend

conscience qu’il a besoin de réalisme, de concret et qu’il est important pour lui d’être compris

et de comprendre. Il est aussi plus rapide à dessiner. Il parle davantage que sa conjointe. Tous

les deux conviennent que leur façon de s’exprimer est différente.

Nous discutons des projets des prochains jours. Daniel quitte pour quelques jours à l’extérieur

et il a organisé le séjour de Marie chez des amies. Elle nomme sa déception qu’il ne lui en

ait pas parlé avant et qu’elle ne pense pas en être rendue à ne plus pouvoir être seule à la

maison. Daniel lui reflète qu’elle aurait sans doute refusé s’il lui en avait parlé avant. Elle est

d’accord, et reconnaît que c’est peut-être mieux pour elle d’aller chez ses amies en l’absence

de son conjoint. Elle réitère toutefois qu’elle aimerait qu’il lui en parle avant. Daniel ne lui

confirme pas qu’il le fera. Marie me regarde alors en disant : « On a un problème de

communication. ».

Lors de cette rencontre, j’observe que Daniel parle beaucoup et interrompt sa conjointe, qui

elle, met plus de temps à s’exprimer. Marie prend conscience de certaines pertes et exprime

sa tristesse. Daniel exprime avoir de la difficulté à rester en silence. Les conjoints abordent

leurs conceptions différentes d’une façon d’agir face à la situation.

Deuxième rencontre

Je demande au couple de me parler de leur semaine. Daniel était parti en voyage pour

quelques jours et il en est revenu fatigué. La fatigue marque d’ailleurs son visage. Marie

raconte que ses amies ont pris soin d’elle et que cela l’a touchée. Elle a apprécié ses « petites

vacances » en l’absence de son conjoint.

Le couple me dit avoir cuisiné ensemble ce matin et avoir apprécié cette expérience. Marie

dit que son conjoint a été patient et qu’elle l’a apprécié. Cela permet à Marie de conserver

des acquis (elle adorait cuisiner mais ne peut plus le faire seule) et d’aider Daniel qui ne se

sent pas à l’aise dans une cuisine. Le couple dégage une belle complicité. Cette expérience a

permis à Marie et à Daniel d’être ensemble dans leurs limites tout en mettant à profit leurs

forces.

169

Je propose au couple de faire une création en argile. Daniel me demande s’ils doivent faire

quelque chose ensemble ou séparément. Je leur demande ce qu’ils souhaitent. Ils se

concertent et concluent qu’ils vont faire chacun quelque chose. Je leur suggère de faire

quelque chose qui représente l’autre.

Daniel dit que c’est la première fois qu’il fait de l’argile. Il dit faire quelque chose d’abstrait.

Finalement, il confectionne son couple à l’abri (figure 50). Daniel se reconnaît avec Marie

dans le premier cercle en haut. Puis, il associe les deux boules du bas à ses deux enfants

vivants. Il dit que Marie et lui sont à l’abri.

Marie commence à façonner l’argile dans l’intention de faire une fontaine, mais la forme se

transforme et devient ce qu’elle appelle un igloo (figure 51). Elle a de la difficulté à la faire

tenir et Daniel l’aide à sécuriser ce qu’il appelle l’abri. Marie se dit déçue du résultat final

mais nomme apprécier jouer avec l’argile. Je lui demande ce qui manque à son œuvre pour

qu’elle ne soit pas déçue. Elle dit qu’elle aurait aimé qu’il y ait du monde dedans. Daniel lui

propose de l’aider. Il solidifie son abri puis ils se mettent à deux pour l’agrandir, le solidifier

et y ajouter des personnages. Puis, ils ajoutent un environnement : un arbre que Marie veut

bien enraciné, avec des branches et des feuilles. Un arbre de printemps, comme dit Marie, ce

à quoi Daniel répond : « C’est encourageant! ».

Figure 50

Abri. Réalisé par monsieur.

Argile, 6 x 4 x 1.

170

Quand je leur demande en quoi leurs œuvres parlent d’eux, Daniel me dit que c’était un

travail d’équipe. Je leur reflète qu’il était beaucoup question de l’abri. Daniel dit que c’est

important d’avoir un refuge dans les épreuves. Marie précise qu’elle ne ressent pas le besoin

d’un refuge, mais qu’elle a envie de chaleur et de confort.

Marie reflète à son conjoint qu’il est bon pour travailler avec l’argile et qu’elle reconnaît en

lui son côté artiste. Les partenaires parlent de leurs petits-enfants et du bonheur qu’ils ont de

les voir heureux. Ils ajoutent avoir apprécié cette activité. Marie trouve que l’argile est plus

facile pour elle et surtout agréable.

Lors de cette rencontre, j’observe que Daniel parle moins et n’interrompt pas sa conjointe

lorsqu’elle s’exprime. Marie dit avoir eu du plaisir à jouer avec l’argile malgré son

insatisfaction face au résultat final. J’observe aussi qu’elle accepte l’aide de son conjoint et

lui reconnaît ses forces.

Troisième rencontre

Je propose au couple de faire un collage. Chacun sélectionne ses images mais il arrive qu’ils

se montrent les images choisies. Daniel est bienveillant envers sa conjointe et lui propose de

l’aider à quelques reprises.

Daniel est ordonné pendant la sélection des images alors que Marie agit aléatoirement avec

la pile d’images. Daniel travaille en silence, il est très concentré. Marie sourit en regardant

les images. Puis, chaque partenaire colle ses images sur une feuille individuellement. À ce

Figure 51

Abri. Réalisé par madame, aidée par monsieur.

Argile, 6 x 6 x 4.

171

moment, Daniel explique qu’il colle ses images sans les regrouper par thème parce que c’est

comme ça dans la vie : « Tout vient, bing, bang, bung, pis on fait juste gérer ça ».

Marie présente d’abord son collage (figure 52) : l’amitié, la famille, le plaisir partagé,

l’authenticité, la difficulté pour les jeunes qui sont confrontés à la pression du bien paraître,

beaucoup de joie qu’elle ressent en elle et c’est précieux, la résilience (petite fille avec une

tache, leur fille, un couple qui vieillit ensemble), son deuil de ne pas avoir eu d’enfant

biologique, sa foi, ses pertes (notamment la difficulté de comprendre la technologie). Pendant

sa présentation, Daniel l’écoute attentivement sans l’interrompre. Il lui indique à l’occasion

les images dont elle n’a pas encore parlé.

Daniel présente ensuite son collage (figure 53): Marie au centre, représentée par une plante;

la famille, des souvenirs heureux (dans l’enfance quand il allait à la ferme de son oncle, les

voyages, etc.), des moments agréables passés avec Marie en campagne, leur situation avec la

maladie, le bonheur de ses passions, sa période de monoparentalité, leur mariage, deux

couples qui représentent le bonheur à deux : « Je souhaite que ça demeure comme ça pour

nous deux. ». Il termine en disant qu’il n’a plus envie de faire des voyages mais que leur vie

en ce moment est une nouvelle excursion. Daniel ajoute que c’est un défi pour lui de diminuer

son rythme. Il se dit encore en adaptation. Marie cite ce verset de l’évangile : « Je ne vous

éprouverai pas au-delà de vos forces. »

Figure 52

Collage réalisé par madame.

Collage sur papier 18 x 24.

172

Nous concluons qu’ils ont illustré beaucoup de points en commun, qu’ils font équipe face à

leur situation, qu’ils apprécient pouvoir être ensemble et qu’ils sont bien entourés. Daniel

évoque qu’avant, il vivait beaucoup d’anxiété face à l’avenir et que maintenant, il a décidé

de ne plus s’inquiéter.

Daniel demeure en silence pratiquement tout le temps de l’exercice. Il est aussi patient avec

Marie et l’écoute attentivement. Il démontre encore beaucoup de bienveillance à son égard.

Marie sourit beaucoup. Elle démontre quelques difficultés à coller les images et exprime être

mêlée mais elle continue de sourire autant.

Quatrième rencontre

Marie raconte que le matin même, Daniel a abimé une de ses fleurs. Elle lui a dit que cela la

mettait en colère. Daniel a reconnu sa responsabilité. Marie dit en souriant : « On règle nos

comptes ». Alors que Daniel s’absente un moment, Marie me dit qu’elle souffre d’être

dépendante de son conjoint pour sortir. Nous envisageons ensemble des pistes de solutions.

Marie est ouverte. Elle mentionne également avoir de la difficulté à vivre sa limite avec les

nouvelles technologies (par exemple, elle ne peut pas avoir de cellulaire parce qu’elle ne

saurait le faire fonctionner).

Je propose au couple de créer avec de la pâte à modeler : « vous faites chacun quelque chose,

puis à un moment donné, vous échangez et continuez de travailler sur ce qu’a fait votre

Figure 53

Collage réalisé par monsieur.

Collage sur papier 18 x 24.

173

partenaire, et ainsi de suite ». Le couple accepte la proposition. La pâte que je mets à leur

disposition est colorée et ne sèche pas. De plus, elle se façonne facilement.

Chacun se met à la tâche avec plaisir. Marie sourit et dit à quelques reprises : « j’adore ça

faire ça! ». Daniel manifeste son accord. Il dit que cela lui fait du bien. Ils travaillent en

silence plusieurs minutes puis je leur propose d’échanger leur œuvre. Daniel avait commencé

un animal imaginaire auquel sa conjointe ajoute des pattes. Marie, quant à elle, avait

commencé une œuvre abstraite, toute petite et fragile. Quand Daniel la prend pour la

travailler, Marie lui dit : « Vas-y doucement! C’est fragile! ». J’ajoute que c’est « comme

une fleur » et Marie appuie en me regardant d’un sourire complice. Daniel fait aussi le lien

avec l’événement abordé plus tôt et sourit. Chacun travaille sur l’œuvre de l’autre, puis je

propose un dernier échange.

Daniel complète son œuvre, qui devient un chien (figure 54). Il se dit fier et surpris de ce

qu’il a fait. Il le peaufine avec le sourire. Il aborde la question présente dans son couple en

ce moment : avoir un chien. Les partenaires en discutent.

Figure 54

Chien. Réalisé par monsieur.

Pâte à modeler. 4 x 1,5 x 1.

174

Marie complète son œuvre, qui demeure abstraite (figure 55). Elle dit avoir voulu représenter

le cirque, la joie, le jeu. Je lui fais remarquer que certaines formes donnent en effet envie de

jouer. Marie est fière de ce qu’elle a fait et dit avoir davantage apprécié que le travail avec

l’argile. Elle reconnaît avoir encore de la difficulté à reproduire ce qu’elle imagine mais

apprécie ces moments de création.

Lors de cette rencontre, Marie s’exprime sur ses limites et les deuils qu’elles entrainent.

Daniel est bienveillant envers sa conjointe et il adopte un rythme plus proche du sien. Le

couple travaille en silence. Il exprime beaucoup de satisfaction face aux activités proposées

et avoir ressenti de la détente et du plaisir en particulier.

Cinquième rencontre

Marie raconte sa fin de semaine chez sa sœur. Elle dit s’être amusée. Elles ont ri beaucoup.

Daniel a gardé son petit-fils et dit avoir apprécié ce moment.

Figure 55

Œuvre abstraite. Réalisée par madame.

Pâte à modeler. 4 x 2,5 x 3.

175

Je propose au couple de faire un gribouillis. Je leur explique l’activité. Daniel réalise un

premier gribouillis et Marie intervient par-dessus avec un autre gribouillis. Elle n’a pas bien

compris la consigne. Daniel propose d’en faire un autre. Un bonhomme se dessine clairement

mais Marie ne le perçoit pas (figure 56). Daniel ajoute les yeux, les cheveux, le nez. Sa

conjointe fait une ligne pour la bouche et ajoute les formes rouges à côté. Elle y voit une

troupe de danseurs. Daniel agrandit la bouche. Marie y voit un hamac. Il continue sur cette

idée et donne des ancrages au hamac. Il demande à sa conjointe si elle voit le personnage,

puis ajoute les sourcils pour l’aider à le percevoir.

Daniel invite sa conjointe à faire un nouveau gribouillis. Elle trace des lignes rondes et il y

voit une pieuvre, qu’il complète (figure 57). Marie dessine une autre forme qu’elle identifie

comme un bébé qui veut sortir de l’utérus (la forme verte). Les partenaires s’amusent ensuite

avec l’idée de la pieuvre. Je leur demande : « Si cette pieuvre pouvait parler, qu’est-ce qu’elle

dirait? » Daniel répond qu’elle est heureuse dans son environnement. Marie répond : « Je

suis mêlée. Je sais pas où je vais. ». Je lui demande si c’est ainsi qu’elle se sent. Elle évoque

le fait qu’elle a des problèmes visuels et que cela fait partie de la maladie. Elle le dit en

souriant. Je la rassure sur le fait que l’activité n’engage pas de « bonnes » réponses.

Figure 56

Gribouillis. Réalisé par monsieur, complété conjointement.

Feutre sur papier 11 x 17.

176

Daniel retrace une nouvelle ligne, en montagnes russes (figure 58). Il dit « Les hauts et les

bas de la vie ». Nous discutons à partir de cette métaphore. Par exemple, les hauts : Daniel

dit que c’est plus agréable, Marie ajoute l’idée qu’on peut se faire plus mal si on tombe de

plus haut; elle ajoute aussi qu’on peut voir plus loin lorsqu’on est plus haut. Daniel choisit

alors un « haut » pas trop haut et y dessine un « espace où on est bien, tranquille. » Il dit qu’il

se sent ainsi, pas au « top » mais pas non plus au plus bas de sa vie. Marie lui demande il est

à combien sur 10. Daniel répond qu’il se sent à 6-7. Marie est surprise. Son conjoint évoque

leurs problèmes de santé, qui malgré qu’ils soient stables, sont tout de même préoccupants et

imposent des limites et des contraintes. Je demande à Marie à combien elle se situe : 8. Elle

se dit satisfaite de sa vie actuellement. Nous parlons de ce qui leur manque pour être à 10.

Marie évoque son manque d’autonomie. Par exemple, le fait qu’elle ne puisse plus conduire

la rend dépendante de son conjoint. Pour Daniel, ce qui est le plus difficile est de devoir

constamment être auprès de sa conjointe. Je leur reflète que les deux rencontrent la même

difficulté : leur manque d’indépendance, d’autonomie, de liberté.

À noter : la ligne jaune à gauche de la maison représente la courbe descendante qui est plus

douce que celle dessinée au préalable. Elle représente le souhait de Daniel que leurs maladies

dégénèrent le plus tranquillement possible.

Figure 57

Pieuvre. Gribouillis réalisé par madame, complété conjointement.

Feutre sur papier 11 x 17.

177

Le couple échange ensuite sur le fait que Daniel ne veut plus laisser sa conjointe seule plus

de quelques heures. Marie est surprise et un peu choquée de ce fait. Elle se dit encore capable

de prendre soin d’elle-même. Daniel explique que c’est un sentiment de responsabilité qui le

pousse à être prévoyant. Et que même s’il sait Marie encore capable de prendre soin d’elle,

il craint les accidents provoqués par des oublis. Marie l’écoute et lui confirme qu’elle

comprend.

Lors de cette séance, le couple aborde à nouveau les solutions pour pallier aux difficultés

qu’entraîne la maladie. Daniel est à l’écoute de sa conjointe, il s’assure de comprendre ce

qu’elle perçoit visuellement. Il exprime aussi sa difficulté à vivre le deuil d’une certaine

liberté.

Sixième rencontre

Les conjoints ont passé la fin de semaine en compagnie de leurs petits-enfants. Je leur

demande s’il y a un thème qu’ils aimeraient travailler. Marie parle de fleurs, de plantation,

de jardinage. Daniel n’a pas d’idée. Il n’y a pas pensé. Marie évoque une toile réalisée par

son petit-fils, qui exprimait de manière abstraite un mouvement floral.

Je leur propose de s’exprimer à l’aide de la peinture acrylique. Chacun réalise son œuvre.

Pendant leur création, Daniel fait la remarque « Je suis concret. ». Ils sont assis côte à côte et

Figure 58

Les hauts et les bas de la vie.

Gribouillis. Dessin réalisé par monsieur.

Feutre sur papier 11 x 17.

178

leurs pinceaux se touchent. Marie dit alors « Nos pinceaux se rejoignent. » Un peu plus tard,

Daniel ajoute « Je fais de la création. J’invente de nouvelles sortes de fleurs. » Ils travaillent

en silence la majorité du temps.

Lorsqu’ils ont terminé, nous échangeons sur leurs œuvres. Daniel s’exclame en regardant

l’œuvre de sa conjointe : « Wow, c’est beau! » (figure 59). Marie parle d’un tunnel mais qui

est positif; elle y perçoit un message : « La vie continue ». Elle voit aussi de l’espace et une

éclaircie. Elle apprécie son œuvre. Daniel y voit des enfants qui s’amusent dans un jardin.

Puis, ils parlent de l’œuvre de Daniel (figure 60). Il observe que c’est très concret, organisé.

Je leur demande de comparer leur œuvre : qu’est-ce qui est différent et qu’est-ce qui se

ressemble? Les deux nomment que les couleurs sont semblables. Daniel nomme que son

jardin est domestique tandis que celui de Marie est sauvage, naturel. Il parle aussi d’ordre et

de désordre. Je leur suggère qu’il y a plus de contrôle dans celui de Daniel et moins dans

celui de Marie. Daniel remarque que les deux sont beaux et qualifie celui de Marie de « plein

de vie et en santé ». Cela semble difficile pour eux de percevoir les ressemblances entre leurs

œuvres. Mais les deux conviennent que leur style propre leur ressemble.

Figure 59

La vie continue.

Création de madame.

Acrylique sur carton 8 x 10.

179

J’attire leur attention sur le fait qu’il y a beaucoup d’espace blanc dans les deux tableaux.

Daniel évoque le fait qu’il a de moins en moins d’espace pour lui, de temps pour faire ses

activités de manière indépendante. Il dit que c’est correct, qu’il s’adapte à ce rythme. Je

vérifie s’il en manque. Il me dit que non. Je lui demande ce qu’il ferait s’il en avait besoin. Il

nomme ses ressources : des proches qui pourraient assurer une présence à Marie. Elle dit ne

pas manquer d’espace mais évoque plus tard sa difficulté à assumer la perte de son

autonomie. Daniel raconte que c’était difficile pour lui de parler de ses émotions avant et il

constate que c’est plus facile à l’aide de l’image.

Je ressens beaucoup de calme lorsque le couple s’affaire à leurs créations. L’ambiance a

changé.

Septième rencontre

Leur fin de semaine s’est bien passée. Ils ont vécu un événement chargé émotivement.

Je propose au couple d’essayer le pastel sec, un médium qui évoque la douceur. Je leur tends

chacun une feuille, leur proposant d’illustrer spontanément comment ils se sentent. Daniel

amorce rapidement le travail (figure 61). Marie met plus de temps en disant qu’elle a

l’impression de ne plus avoir d’imagination. Je lui suggère de commencer spontanément, ce

qu’elle fait. Les deux travaillent en silence un bon moment. À mi-chemin, Daniel s’exclame

sur le dessin de sa conjointe : « C’est beau! ». Puis il me demande une autre feuille pour faire

Figure 60

Dessin libre. Création de monsieur.

Acrylique sur papier 11 x 17.

180

un second dessin (figure 62). Après son deuxième dessin, Daniel dit « Je suis parti en

vacances sur une île. » Marie lui demande si elle y est. Il répond que oui.

Nous discutons de leurs dessins. Daniel raconte que son île est exclusive et que cela doit

coûter cher pour y aller. Il parle de son besoin de tranquillité et de repos. Il évoque la

proposition de son fils d’acheter une maison bi-générationnelle. Le couple en a déjà discuté

et conclu que ce n’était pas le moment. Marie est organisée avec son réseau d’amies qui est

Figure 61

Dessin spontané. Création de monsieur.

Pastel sec sur papier 9 x 12.

Figure 62

En vacances sur une île. Création de monsieur.

Pastel sec sur papier 9 x 12.

181

proche, elle a ses repères dans la maison et elle ne souhaite pas vivre au quotidien avec de

jeunes enfants. Daniel comprend et respecte la position de sa conjointe.

Nous parlons ensuite du dessin de Marie (figure 63). Elle nomme un chemin, de la lumière.

Daniel dit qu’il voit une âme et Marie ajoute « …qui s’envole. » Puis, elle parle des rondeurs

qui reviennent dans ses dessins et se demande si c’est parce qu’elle a souvent l’impression

de tourner en rond. Je lui fais remarquer que ses ronds ne sont pas fermés et elle dit qu’elle

le fait volontairement parce qu’elle veut représenter l’ouverture et l’espace pour les autres.

Marie dit apprécier ce médium et le mouvement. Je lui demande si elle danse à l’occasion.

Les partenaires évoquent avec humour qu’ils ne dansent pas de la même façon. Daniel admet

être plutôt rigide mais démontre une ouverture à tenter à nouveau l’expérience.

Nous revenons sur la fatigue de Daniel. Je lui parle de la charge mentale qui semble l’épuiser

(il parle souvent de « tout ce qu’il y a à faire dans la maison »). Il le reconnaît. Je leur propose

de faire une liste que Marie pourrait consulter de temps en temps, afin de le décharger de

devoir penser à tout. Le couple est d’accord pour tenter de mettre en pratique cet outil de

gestion du quotidien. Daniel est content de la proposition.

Lors de cette rencontre, j’observe que le plaisir partagé est présent entre les partenaires.

Daniel verbalise des prises de conscience quant à ses propres limites. Sa conjointe lui offre

de l’aide. Elle exprime aussi de l’empathie envers son conjoint. Elle l’écoute avec attention.

Figure 63

Dessin spontané. Création de madame.

Pastel sec sur papier 9 x 12.

182

Huitième rencontre

Marie est contente de me montrer deux reproductions de Picasso qu’elle a retrouvées et dont

elle m’avait déjà parlé. Nous échangeons sur ces œuvres.

Je propose au couple de faire un triple mandala (figure 64). J’offre aux conjoints de choisir

leur médium. Daniel choisit le pastel gras et sa conjointe, le pastel sec mais ajoutera plus tard

le pastel gras. Chacun dessine sur son mandala. À un moment, Marie a dépassé dans le cercle

du milieu et s’ensuit cet échange :

Marie : Qui a mis ça là?

Daniel : D’après toi?

Marie : Ça doit être moi!

RIRES

Pendant la création, Daniel remarque qu’il fait de l’abstrait. Je lui reflète qu’il fait autre chose

que d’habitude. Il me répond « J’sus tanné de calculer. Je me laisse aller! ». Je lui demande

ce que cela lui fait. Il me répond que cela lui fait du bien, en poussant un soupir de

soulagement. Plus tard, Marie exprime qu’elle n’aime pas son dessin. Daniel l’encourage en

commentant positivement son dessin.

Puis, Daniel me demande quand peuvent-ils se joindre au centre. Je lui réponds que c’est à

eux de décider du moment. Alors il dit à Marie : « OK. Je m’en vas te rejoindre. » et il dessine

un pont vers le cercle de Marie. Il reprend un motif qu’elle avait fait dans son cercle. Il ajoute

ensuite une corde à linge. Marie veut y dessiner un vêtement mais n’y parvient pas. Daniel

le transforme en personnage qui accroche le linge. Elle le rejoint avec le gris, au bas du

dessin. Elle termine avec le cœur et demande à son conjoint s’il reconnaît ce qu’elle a fait. Il

voit un personnage. Marie remarque que ce personnage a l’air bougon. Son partenaire

répond : « Ça peut être moi » et elle confirme, puis ils rient avec complicité.

Nous échangeons à partir du dessin. Daniel dit avoir encore à s’adapter à la situation, au fait

de devoir être présent au moment où sa conjointe se lève le matin pour préparer son déjeuner.

Je lui demande si c’est encore difficile et il me dit que oui, mais que cela va mieux. Il dit être

en voie de diminuer son rythme. Je lui demande s’il voit du positif à ce nouveau rythme. Il

me répond « Quand j’suis pus dans ma tête, c’est ben mieux de même! ». Il reconnaît qu’il

est davantage « groundé » quand il est au ralenti, qu’il prend le temps de bien commencer la

183

journée, etc. Il évoque quelques moments où il est impatient et Marie dit que dans ces

moments, il lui tape sur les nerfs. Je demande à Marie si elle reconnaît les efforts que fait son

conjoint. Elle me répond que oui. Daniel rit en disant « Bon! Enfin! On va l’enregistrer! »

Les partenaires échangent un rire complice.

Nous parlons du dessin de Marie. Elle dit ne pas l’aimer. Je lui demande de me parler des

qualités de son dessin. Elle voit de la couleur et du mouvement. Daniel l’aide à les identifier

et il en ajoute. Marie reconnaît que le dessin global est intéressant.

Daniel évoque le fait que cette image créée à deux représente leur vie : colorée, animée,

pleine de mouvements, pas toujours facile mais belle. Il se dit étonné et amusé de voir à quel

point leur création reflète leur vécu.

Beaucoup de complicité entre les conjoints est observée lors de cette rencontre. Une certaine

intimité aussi : Marie se colle sur Daniel lorsqu’elle dessine. Le couple rit beaucoup, blague

et se taquine. Daniel exprime son désir de s’adapter à Marie qui, elle, reconnaît ses efforts.

Figure 64

Triple mandala.

Madame a réalisé la partie de gauche et monsieur, celle de droite.

Le centre a été fait conjointement.

Pastel sec et pastel gras sur carton 15 x 20.

184

Neuvième rencontre

Daniel se dit très fatigué. Je vérifie auprès de lui s’il dort bien. Il me confirme qu’il ne dort

pas beaucoup et qu’il n’a pas une grande qualité de sommeil. Il me dit qu’il pense beaucoup

et que cela l’empêche de dormir.

Je leur rappelle qu’il ne nous reste que deux rencontres incluant celle-ci. Je leur demande s’il

y a des thèmes qu’ils aimeraient explorer ou des médiums à essayer. Daniel propose de parler

du quotidien. Marie est enthousiaste d’utiliser l’aquarelle. Chacun réalise une œuvre.

Marie parle de son dessin (figure 65). Elle revient sur les cercles en disant qu’elle a

l’impression d’en faire souvent parce qu’elle se sent « tourner en rond ». Daniel et moi lui

reflétons qu’elle n’en a fait qu’un seul et qu’elle en fait moins qu’au début. Elle est d’accord.

Elle est fière de son œuvre. Daniel la complimente. Elle ne parle pas du sens que son œuvre

prend pour elle sauf pour dire qu’elle a aimé le médium, que cela la détend et qu’elle a eu du

plaisir.

Daniel parle de son œuvre en disant que c’est une représentation de leur vie (figure 66). Avec

des moments de bonheur, de la vitesse (le temps passe vite et il y a beaucoup à faire). Il

nomme qu’il y a de l’espoir tout au long du chemin (en vert). Daniel revient sur le fait qu’il

s’adapte à la situation et que c’est encore difficile. Il y a certaines contradictions dans son

discours et Marie le lui reflète : il dit que c’est lourd, mais que ça va, qu’il ne veut rien

Figure 65

Dessin libre. Création de madame.

Aquarelle sur papier 9 x 12.

185

changer, etc. Elle lui rappelle qu’il accumule et puis qu’il « explose ». Daniel répond qu’il

n’explose pas si souvent. Je lui demande s’il arrive à se donner de l’espace, à prendre des

pauses. Il répond qu’il s’accorde des moments de repos mais qu’il n’arrive pas à dormir. Je

lui reflète qu’il est en train de s’adapter et que ce n’est jamais fini, surtout dans un contexte

de maladie évolutive. Nous continuons d’explorer des pistes de solution.

Puis Daniel parle de son père qui, pour différentes raisons, avait du mal à assumer ses

responsabilités parentales (absence, peu de chaleur envers ses enfants, etc.). Il dit en avoir

souffert mais lui avoir pardonné. Il dit toutefois envier ses amis qui ont eu des enfances

heureuses avec un père présent. Marie évoque aussi des souvenirs familiaux.

Lors de cette séance, le couple exprime les émotions ressenties en lien avec la situation. Marie

est soucieuse de la santé de son conjoint.

Dixième rencontre

Marie rappelle que c’est notre dernière rencontre. Son conjoint s’empresse de dire qu’il

trouve que la démarche leur a permis de vivre un rapprochement, une plus grande complicité.

Marie ajoute que cela lui a donné le goût de se remettre à la peinture.

Le couple raconte avoir fait des ballades en voiture. Daniel dit que c’est bon pour lui, que

cela le repose des tâches de la maison. Je les félicite de prendre du temps pour eux, de sortir

Figure 66

Notre vie. Création de monsieur.

Aquarelle sur papier 9 x 12.

186

de la routine quotidienne. Les conjoints ont également gardé leur petite-fille. Ils apprécient

ce rôle de grands-parents.

Je leur propose de faire une œuvre pour honorer le couple qu’ils forment (figure 67). Ils

choisissent la peinture acrylique, sur une toile. Ils travaillent en silence. Pendant le travail,

Marie souligne leurs différences : le côté masculin est plus énergique, « punché », tandis que

le côté féminin est plus en douceur. Elle lui demande de faire un chien. Il peint le visage d’un

chien en haut au centre du tableau.

Je leur demande de parler du tableau. Daniel voit un équilibre entre les deux côtés. À gauche,

il voit une grotte. Il la décrit comme étant un refuge reposant mais pas plate, un lieu

accueillant et joyeux. Puis, il voit dans le côté droit un jardin vivant, où il y a du mouvement.

Il y voit leurs activités, leurs projets. Marie ajoute que c’est là aussi qu’il y a son

« bougonnage », ce que Daniel confirme, avec le sourire. Je demande ensuite à Marie de

parler du tableau. Tout de suite, Daniel l’invite à venir dans son refuge, en disant que c’est

invitant et confortable. Nous en rions. Marie voit de l’eau à côté du refuge. Elle lui demande

pourquoi il a fait une barrière au centre. Il répond que ce n’est pas une barrière mais un test

de couleurs. Il remarque que c’est ouvert en haut et en bas. Marie dit que son côté lui

ressemble : c’est joyeux et doux. Elle trouve d’abord qu’elle n’a pas beaucoup d’espace.

Figure 67

On est sur le même tableau.

Œuvre réalisée conjointement.

Madame a fait la partie de droite et monsieur celle de gauche.

Acrylique sur toile 8 x 10.

187

Nous en discutons. Je lui fais remarquer qu’elle avait mis du vert pâle sous ce qu’elle a appelé

la barrière. Après discussion, elle reconnaît qu’elle a autant de place sur la toile mais que ses

couleurs sont moins « punchées » donc on les voit moins au premier coup d’œil.

Je leur rappelle la grotte qu’ils avaient faite en argile. Daniel est surpris de la comparaison et

note que la première était plus austère tandis que celle-ci est plus accueillante.

Pendant que je me prépare à partir, le couple échange sur la possibilité de poursuivre ce genre

d’activités après la fin de la démarche. Il planifie l’achat de matériel artistique.

Lors de cette dernière rencontre, j’observe que le couple travaille en proximité physique

pendant la création. Leurs différences, abordées en riant, semblent mieux acceptées.

J’observe aussi beaucoup de complicité et de tendresse, par exemple à travers leurs échanges

de regards soutenus.

c) Les perceptions du couple

Ce couple est satisfait de la démarche réalisée et rapporte avoir pris conscience, avec surprise,

de l’impact des activités artistiques sur leurs perceptions de l’autre et de leur relation :

Ça peut aider à démêler des choses, à voir des choses. Ça parle énormément, ça là.

Je l’ai vu! On me l’aurait dit avant, j’aurais dit « Bof! », j’aurais été un peu sceptique.

Mais là je le vois.

Un des effets les plus souvent évoqués par les partenaires, en particulier par monsieur, c’est

la meilleure compréhension de l’impact de la maladie sur madame. Ainsi, monsieur saisit

mieux le vécu de sa conjointe :

Ça m’a permis de voir plus la situation, de voir l’effort que Marie fait, elle fait pas

exprès, là. T’as beau te le dire, mais de le voir, c’est comme voir au-dessus de la

situation.

Cette plus grande compréhension amène aussi une plus grande sensibilité à ce que l’autre vit.

Ça m’a sensibilisé plus, ben plus… Le fait de faire des dessins ou de l’art ensemble,

ça m’a beaucoup frappé, de voir les limites à Marie, qu’elle essaie quand même, pis

qu’elle veut… Ça me sensibilise, je suis plus sensible. Je l’étais avant, mais y a comme

une coche de plus, une marche de plus à ça. Faire attention, oui, c’est vrai, y a ça. Je

suis plus conscient.

188

Quand monsieur exprime son ouverture envers l’expérience de sa conjointe et son empathie,

madame est touchée et reconnaît à son tour que la situation n’est pas facile aussi pour son

conjoint qui prend soin d’elle.

Ce partage du vécu et cette sensibilité exprimée envers l’autre amène les partenaires à se

sentir plus près l’un de l’autre, à vivre plus de complicité :

Ben moi déjà de faire des choses ensemble, j’ai trouvé ça très bien. De le faire à deux,

j’ai trouvé ça l’fun, constructif, pis ça nous rapproche. Je me sentais proche de Marie,

je me sentais avec elle, solidaire. Ça j’ai ben aimé ça pour ça.

À différents moments pendant la rencontre post-intervention, les conjoints évoquent l’impact

de la démarche sur leur relation qui s’en trouve consolidée, comme s’ils avaient pris

conscience que la maladie ne les empêche pas de demeurer un couple :

De voir aussi la différence de nos deux, ça, on le savait mais de le vivre en le faisant,

c’est spécial. Pis le fait que ça continue pareil, que c’est pas un obstacle à notre

relation, ça c’est le fun.

Monsieur va même jusqu’à parler de leur identité conjugale et des fondements de leur relation

qui ont refait surface au fil des semaines :

Pour toutes ces raisons-là, pis ce qu’on a fait ensemble, ça vient toute… Le fond, là,

la fondation de notre couple, ça vient toute le faire ressortir. Ça vient comme toute…

En tout cas je trouve ça l’fun. Pis ça a… Parce que tu vis ton quotidien pis tu te dis

« Tabarouet, me semble que c’est lourd, c’est pesant… » Mais ça, ça a aidé à tout

ressortir notre relation, le lien qu’on a ensemble, ce qu’on a bâti. Ça fait quand même

26 ans qu’on est ensemble. J’ai tout revu ça à travers ça, pis pourquoi qu’on est

ensemble… C’était très très bien.

Pour eux, l’expérience en art-thérapie a donné du sens à la situation. Monsieur évoque qu’il

sait davantage pourquoi il choisit de demeurer présent et aidant auprès de sa conjointe, ce qui

l’amène à adopter une attitude plus positive envers la vie.

C’est ça qui est encourageant. Quand je me lève le matin, pis que ça me tente pas,

ben je le sais plus pourquoi je le fais. Je pourrais bougonner parce que je suis pas

content de mon sort, mais là, je le sais plus. Ce qu’on a fait ensemble, ça vient

renforcer la raison du quoi, pis du pourquoi que je fais le déjeuner, pis qu’on est

ensemble… On est là pour un but, pis le but, c’est premièrement d’être ensemble, pis

de continuer, malgré tout.

Ces paroles traduisent la présence d’un sentiment d’espoir que la situation peut être vécue

dans la sérénité et une plus grande harmonie. Elles traduisent aussi l’acceptation de la

situation et, en quelque sorte, une reprise de pouvoir sur un contexte difficile et exigeant.

189

Parmi les autres effets observés, madame évoque le fait d’avoir apprivoisé un autre mode

d’expression après avoir pris conscience des limites imposées par la maladie :

J’étais face à ma difficulté. Ça faisait longtemps que j’avais pas touché à ça. En

faisant de l’abstrait plus plus plus, ben au moins j’avais fait quelque chose, pis là

oups, ça peut avoir l’air de quelque chose, pis… Parce que c’est frustrant si tu veux

faire une maison pis que t’es pas capable de la faire, t’sé.

Quant à monsieur, il raconte que son passage de créations concrètes et sensiblement rigides

à des œuvres plus abstraites et expressives s’est transposé dans son quotidien et sa façon de

gérer la situation :

J’étais ben rigide dans mes dessins, je faisais des affaires ben définies. Pis un moment

donné je me suis mis à faire des affaires abstraites un peu. Ça fait partie de l’évolution

là-dedans parce que si je veux toute toute contrôler, ça va craquer, ça marchera

pas… Faut laisser aller les choses qui sont moins importantes, pis se concentrer sur

les choses les plus importantes… Comme le ménage, ben je suis pas tout le temps à

quatre pattes en train de torcher, mais comme hier on a dit « on va se partager des

tâches ». Je suis allé en bas, passer la balayeuse pis tout, pis Marie a fait en haut. On

vient à bout de faire de quoi qui a de l’allure tout en n’étant pas trop rigide.

Finalement, le couple rapporte avoir éprouvé beaucoup de plaisir à faire les différentes

activités réalisées et souligne leur désir de se donner à nouveau des temps de création en

couple, mais également en famille avec leurs petits-enfants.

Ce couple a aussi été questionné sur ce qui aurait pu améliorer l’intervention ou ce qui a fait

qu’elle a pu permettre les effets rapportés précédemment. Il se prononce en faveur d’une

attitude de l’intervenante qui favorise une certaine liberté dans la réalisation des activités

proposées, celle-ci facilitant l’expression mais aussi le développement du lien de confiance

entre les trois personnes impliquées dans la démarche.

Madame exprime avoir ressenti à différents moments le besoin que l’intervenante partage sa

lecture ou son interprétation des œuvres réalisées puis se ravise, disant qu’au fond ce n’est

pas si important de savoir ce qu’en pense l’intervenante. Elle ajoute avoir apprécié faire les

productions en argile ou en pâte à modeler parce que c’était plus concret pour elle.

190

5.1.5 Le cinquième couple : Jacqueline et Gérald

a) Présentation du couple

Dix rencontres ont été réalisées avec ce couple et elles ont duré en moyenne une heure trente,

mais certaines ont duré plus longtemps encore. Le couple avait beaucoup à dire et monsieur

s’est énormément investi dans la production de ses œuvres.

Ce couple est marié depuis plus de 50 ans. Trois enfants sont issus de leur union. Le couple

est grand-parent de cinq petits-enfants. Les liens familiaux sont positifs et harmonieux et

caractérisés par une grande proximité. Jacqueline et Gérald ont complété des études

universitaires.

C’est Gérald qui est atteint de la maladie d’Alzheimer. Chez lui, la maladie se manifeste

surtout par une désorientation dans l’espace mais des pertes de mémoire sont également

observées. Il ne conduit plus la voiture. Il évoque également ressentir un manque d’énergie.

Gérald est artiste autodidacte. Il peint et dessine quotidiennement. Il participe à une activité

hebdomadaire du centre de jour qu’il apprécie grandement.

Je leur demande ce qui les a attirés l’un et l’autre : Gérald a eu le coup de foudre! Jacqueline

dit s’être mariée parce qu’elle a vu en lui un homme honnête, qui allait faire un bon père et

qu’ils partageaient des valeurs (accueil et respect) et des intérêts communs. Elle ajoute qu’ils

étaient jeunes et ne savaient pas ce qu’ils faisaient, mais que les qualités qu’elle a vues en lui

comptent encore aujourd’hui. Elle raconte que dernièrement, son conjoint lui a dit qu’il ne

sentait pas qu’elle l’apprécie. Elle lui a répondu : « Écoute, écoute bien, je t’ai rechoisi le

jour où on m’a annoncé que tu faisais de l’Alzheimer. ». Elle ajoute que l’annonce de la

maladie a été un choc et qu’elle s’efforce avec difficulté d’accueillir ce qui est. Elle nomme

aussi que c’est la fidélité qui la motive à rechoisir de demeurer avec son conjoint. Je demande

à Gérald comment il reçoit ce que Jacqueline vient de nommer. Il dit être très content, parce

qu’il n’avait pas pensé à cela.

Le couple nomme avoir eu une relation tumultueuse avec de nombreuses tensions. Les

nombreux projets de Gérald et le peu d’énergie qu’il a pour les mener à terme constituent

l’une d’elles en ce moment. Jacqueline en sent ensuite la responsabilité et cela est source de

frustration pour elle. Elle reconnaît que son mari est artiste et aventurier, qu’il a beaucoup

191

d’idées et que c’est stimulant, mais qu’elle doit le suivre alors qu’elle a parfois d’autres

intérêts. Suite à l’annonce du diagnostic, Jacqueline et Gérald ont vendu leur maison de

campagne où ils ont habité pendant de nombreuses années et à laquelle ils étaient très

attachés.

Je leur demande quelles sont leurs forces en tant que couple. Gérald répond « L’accueil. De

l’un et de l’autre et l’accueil des autres. ». Jacqueline répond que ce sont les enfants qui, pour

elle peut-être davantage, les ont maintenus ensemble. Elle est d’accord aussi pour dire que

l’accueil et le respect les caractérise. Elle ajoute qu’ils sont complémentaires : Gérald est

primaire et aventurier, elle est secondaire et plus réfléchie.

Jacqueline parle ainsi de ses attentes et de ses besoins envers le projet : « J’ai le souci de

favoriser le bien-être de mon mari». Elle ajoute être soulagée qu’il y ait une autre personne

qui puisse écouter Gérald : « Quand on s’engage dans une démarche comme ça, ça nous

invite à conscientiser davantage notre quotidien. Et ça c’est pas mauvais pour la relation de

couple. Et ça aide à augmenter notre niveau de conscience, même si c’est exigeant, mais c’est

correct. ». Gérald dit ne pas avoir d’attente autre que celle d’approfondir la connaissance sur

un sujet comme celui de l’art-thérapie et de lui donner plus de valeur. Il ajoute : « J’arrive à

vivre avec ce qui m’est donné au quotidien. Il y a des choses qui sont sacrifiées pis d’autres

qui sont des cadeaux. C’est ça aussi la vie. J’suis rendu assez philosophe pour comprendre

ça. »

Lors de la rencontre préparatoire, nous rions beaucoup! Je leur reflète que cela semble être

une force chez eux. Gérald me dit que l’humour, c’est récent dans sa vie. Jacqueline dit

qu’elle aime beaucoup rire, mais ajoute en riant « Je peux pas dire que c’est lui qui me fait

rire… ». Gérald sourit à cette remarque.

Lors de cette rencontre, aucune activité artistique n’a été proposée.

Suite à cette rencontre, les conjoints écrivent ces lignes dans le journal de bord.

Gérald :

Globalement, j’ai bien apprécié la rencontre avec Nancy.

192

Ses sourires complices et accueillants, dans la complicité, le partage de nos

difficultés, est de nature à donner le goût d’une ouverture encore plus grande à

la prochaine rencontre.

Moi qui reconnaissais les lieux, rues et magasins facilement, j’accepte de me

laisser conduire puisque ce cadeau de l’orientation facile ne fait plus partie de

mon bagage actuel.

Merci Nancy, ta présence dans nos vies est déjà acquise comme précieuse.

Jacqueline :

Échanges permettant de nous connaître, font remonter des pans de vie

douloureux : relation de couple en dents de scie; diagnostic de l’Alzheimer;

déménagement; mon choix de demeurer avec Gérald en fidélité malgré les

nombreux irritants.

Je conscientise à nouveau ma difficulté à accueillir la dure réalité de la maladie.

Mon souci de rendre le quotidien acceptable pour nous deux est bien présent. De

ce souci découle l’acceptation des rencontres qui permettent qu’une tierce

personne accueille Gérald dans sa réalité.

Difficile pour moi de vivre avec 1. La dépendance de Gérald. Grand besoin pour

lui d’être écouté (commentaires en écoutant la TV), 2. Responsabilités accrues

maison, nourriture, etc., 3. Répétitions obligatoires de ma part, 4. Aidante à plein

temps – je suis quasi la seule personne avec laquelle il est en relation excepté les

ateliers du vendredi.

Pourrais-je tenir longtemps?

Grande fatigue à la fin de la rencontre.

Mon attente : ne pas vivre une thérapie de couple, nous avons déjà consulté. À

76 ans, j’aspire au repos. Merci pour ta joyeuse présence.

b) Présentation de la démarche

Première rencontre

Nous revenons sur le contenu de leur journal de bord. Je clarifie qu’il ne s’agit pas d’une

thérapie de couple et que je vais m’adapter à leurs besoins. Jacqueline se dit rassurée.

Je propose au couple de faire un collage. Gérald plonge tout de suite dans les images, s’amuse

et dit qu’il fait un collage sur les couleurs. Il choisit des images en fonction de leurs couleurs

de ton terre. Jacqueline me demande de lui donner un thème. Je lui propose de faire un collage

qui représente comment elle se sent aujourd’hui et/ou comment elle se sent face à la maladie

de Gérald.

193

Les conjoints travaillent individuellement. Gérald s’esclaffe de rire à plusieurs reprises et dit

souvent : « Je m’amuse comme un p’tit fou ». Jacqueline travaille plus sérieusement. Elle

choisit d’abord des images puis les assemble dans un collage. Les deux terminent leur collage

en écrivant certaines choses près des images.

Puis, Gérald présente son collage en disant qu’il avait commencé par choisir des images en

fonction de leurs couleurs mais qu’il prend conscience que le collage final le représente. Il

l’a titré : « Mon univers » (figure 68). Son collage parle de tendresse et d’affection, de

passage entre l’intérieur et l’extérieur, de l’observation. Il se reconnaît dans cet univers.

Jacqueline présente son collage en commençant par les images du haut : la reconnaissance et

la gratitude de son côté enfant, de sa relation avec sa fille et d’avoir eu une vie remplie et

riche (figure 69). Elle présente également son besoin de repos et le désir de « faire le ménage

dans mes croyances, mes habitudes, mes perceptions, pour me choisir en toute liberté, en

fonction de ce que je suis vraiment. ». Elle croit que c’est le chemin à prendre pour pouvoir

ensuite se positionner face à la situation actuelle. Je lui fais remarquer que la porte devant

laquelle une personne attend est ouverte. Jacqueline y attribue du sens : « tout est possible

devant moi ».

Figure 68

Mon univers.

Réalisé par monsieur.

Collage sur papier 18 x 24.

194

Suite à la présentation de Jacqueline, Gérald ajoute qu’il voit, dans son collage, son plus

grand petit-fils qui est toujours affectueux envers lui. Et il prend conscience, avec émotion,

qu’il est aussi observateur, une caractéristique qu’il ne s’était pas reconnu.

Lors de cette rencontre, j’observe que les conjoints s’écoutent avec beaucoup de respect. Ils

échangent également taquineries et rires.

Dans leur journal de bord, le couple écrit ces lignes.

Gérald :

Magnifique aide de Nancy (photos et découpures de magazines) pour me

permettre finalement d’identifier ce qui est présent dans ma vie…

Recherche qui s’accentue (en faisant aussi du triage) de ce qui est important

pour rester vivant en dépit de mes difficultés grandissantes au plan physique :

fin de la cueillette de champignons, fin de la conduite automobile en raison

d’étourdissements qui surviennent au moment le plus inattendu, fin de marche en

nature (seul) – il me reste à explorer qui et/ou quand quelqu’un pourrait

m’accompagner. Tout au plus, assis dans la balançoire sur le patio je puis encore

identifier les oiseaux qui passent et/ou carillonnent aux alentours… mes livres et

un CD viennent alors à mon secours.

Merci Nancy pour ta présence souriante à mon babillage pendant le collage qui

a tenté de cerner mon univers.

Figure 69

Collage. Réalisé par madame.

Collage sur papier 18 x 24.

195

Jacqueline :

Rencontre très agréable qui a permis de nommer les valeurs importantes pour

moi. Ça m’a confirmé une autre fois qu’il est essentiel pour moi de rester

vigilante à laisser vivre mon enfant.

Je suis très contente et satisfaite que Gérald puisse être entendu et accueilli dans

sa réalité d’aujourd’hui.

J’accueille ce temps comme un repos pour moi qui est à plein temps dans mon

quotidien pour écouter et accueillir.

Je fais mon possible.

Merci Nancy pour ta présence et ton exceptionnelle écoute.

Deuxième rencontre

Gérald parle de ses limites physiques et cognitives. Il parle aussi de ses deuils, liés surtout à

des activités en plein air qu’il ne peut plus faire. Il reconnaît toutefois qu’il peut transformer

ses activités pour vivre ses passions autrement. Il reconnaît aussi qu’il doit respecter ses

limites et donne en exemple le fait qu’il s’est résigné à ne pas faire de plate-bande à l’arrière,

tel que le lui a demandé sa conjointe. Nous en rions.

Je leur propose de faire des activités séparément. À Jacqueline, je propose de faire un collage

qui illustre ses valeurs et à Gérald, je propose de faire une œuvre avec de l’acrylique, un

médium qu’il ne connait pas.

Jacqueline travaille en silence, me faisant des sourires ici et là. Elle est très concentrée. Vers

la fin de sa création, elle prend des temps d’observation et ajoute, à divers moments, des mots

sur son collage. Gérald travaille autrement. Il parle beaucoup, me demande conseil,

m’explique ce qu’il fait. À divers moments, il pouffe de rire. Il s’amuse. Il réalise qu’il fait

le même genre de production qu’il a l’habitude de faire : un paysage (figure 70). Il

m’explique qu’il fait du « gros » (il applique le médium sans faire d’esquisse au préalable et

sans trop réfléchir) et du « détail » (plus raffiné et réfléchi, esquissé avant d’appliquer le

médium). Nous explorons cela : comment il se sent dans l’un et dans l’autre, à quelle énergie

cela fait appel, etc. Gérald me dit que lorsqu’il est « brut », ce n’est pas par manque de

politesse. Il ne veut pas faire de mal. Et, dans le même sens, lorsqu’il est dans le détail, ce

n’est pas par politesse non plus mais bien parce qu’il ne veut pas brusquer les gens. Il prend

du recul sur son œuvre et se dit agacé de ne pas y voir d’arbre mais à la toute fin, des traits

196

discrets derrière la maison laissent entrevoir une forêt. Il est heureux de voir que les arbres

qu’il croyait manquants étaient déjà là.

Jacqueline s’exprime sur l’œuvre de son conjoint : elle trouve que la maison reflète son

ouverture. Puis, elle présente ensuite son collage (figure 71). Elle dit y avoir exprimé son

besoin d’avoir un espace à elle et de l’occuper sans être en combat. Elle donne en exemple

le fait qu’elle aime passer du temps au téléphone à soutenir ses amies, qu’elle sent que c’est

Figure 70

Paysage. Réalisé par monsieur.

Acrylique sur papier aquarelle 10 x 15.

Figure 71

Collage. Réalisé par madame.

Collage sur papier 18 x 24.

197

une force pour elle d’offrir ce soutien. Mais Gérald lui a exprimé ne pas aimer quand elle

passe du temps au téléphone au détriment du temps qu’ils passent ensemble. Elle nomme que

c’est un enjeu pour elle en ce moment. Elle parle aussi de préoccupations financières et de sa

santé. Elle dit avoir des moyens concrets pour atteindre la paix intérieure souhaitée.

Lors de cette rencontre, Gérald explore un nouveau médium et fait des liens entre son

processus de création et sa façon de vivre ses relations. Beaucoup de plaisir est exprimé par

les conjoints. Le processus de création permet aussi l’exploration des limites et des frontières

par rapport à l’autre.

Suite à la rencontre, les partenaires écrivent ces mots dans leur journal de bord :

Gérald :

Au départ de Nancy, je prends conscience qu’elle est restée là deux heures… qui

ont coulé pour moi comme une seule heure d’expression et de réflexion sur ce

que je produisais!!! Je lui ai d’ailleurs donné mon acrylique14… J’avais le goût

du partage et aussi du contact avec elle; elle a dit oui autant à l’un qu’à l’autre…

C’est bon! Grand merci Nancy!!! C’est très bon!!!

J’ai comme mis le doigt sur le fait que je peux m’exprimer en gros mais autant

capable de rejoindre le détail, la finesse, quoi!!!

Il y a chez moi grande tendresse qui ne trouve pas toujours à s’exprimer et ta

présence, Nancy, me permet de la laisser monter… et comme tu la reçois sans

que j’y décèle aucune forme d’appréhension, ça me rend en paix d’être comme

je suis, tendre et affectueux!!! Pour cela, merci encore!

J’attendrai les 2 prochains mardis avec de la joie au cœur. Dieu te bénisse!

Jacqueline:

Une bonne brise d’air frais! C’est ce que m’apporte ta présence. Merci!

Troisième rencontre

À mon arrivée, Jacqueline est assise à l’extérieur. D’emblée, elle nomme sa fatigue. Elle se

dit affectée par le fait que Gérald ait passé la tondeuse le matin même et était très fatigué, au

14 Monsieur a insisté pour m’offrir son œuvre, en disant que c’était important pour lui parce que cela

représentait une ouverture à du nouveau, de l’inconnu et que j’en étais en quelque sorte responsable.

Considérant son grand besoin de reconnaissance, j’ai accepté, tout en étant consciente des enjeux éthiques que

cela soulève.

198

point de dire qu’il ne pouvait plus assumer cette tâche. Le couple est confronté aux limites

imposées par la maladie. Nous envisageons différentes solutions.

Je propose au couple de faire de la pâte à modeler. Gérald me dit qu’il n’en a pas envie mais

qu’il va en faire quand même. Jacqueline s’y met sans rien dire. Les deux travaillent sur leur

propre production généralement en silence. Gérald prend la parole à quelques reprises pour

partager ce qu’il vit.

Gérald crée à partir d’une idée de barque qui lui fait penser à son grand-père avec qui il

pêchait quand il était petit (figure 72). L’idée se transforme un peu, avec un personnage qui

s’ajoute. Il travaille à le solidifier car il a tendance à tomber.

Il nomme que le personnage n’a pas l’air solide et s’y identifie. Je lui demande ce dont le

personnage a besoin pour être plus solide. Gérald nomme « d’ancrage ». Il ajoute de la pâte

à modeler à la base du personnage. Puis, je lui demande à quoi correspond cet ancrage dans

sa vie. Il pose sa main sur le bras de Jacqueline, en continuant de regarder par la fenêtre. Je

les laisse ainsi en silence quelques instants. Gérald évoque ensuite des souvenirs de son

adolescence. Il est ému à plusieurs reprises. Il se demande pourquoi ces souvenirs reviennent

et nous parlons des impacts de la création artistique. Jacqueline reconnaît son conjoint dans

ses propos et dans sa création et lui reflète que la maladie l’amène à ressentir davantage dans

son corps plutôt que d’être dans l’analyse et l’intellect.

Figure 72

La barque. Réalisé par monsieur.

Pâte à modeler. 5 x 2 x 6.

199

Jacqueline crée une chaise et nomme que le repos est un thème récurrent pour elle (figure

73). Elle dit apprécier sa création : une chaise qui invite au repos, qui est solide même si ses

pattes ne sont pas parfaitement égales. Elle évoque le fait d’accepter ce qui est, d’accepter

l’imperfection. Je lui demande quels moyens a-t-elle pour se reposer. Jacqueline en nomme

quelques-uns. Elle nomme aussi que ce qui est plus difficile pour elle est de garder une saine

distance lorsqu’elle manque de patience avec son conjoint.

Suite à cet échange, Gérald parle de l’angoisse que lui créent ses problèmes de santé. Sa

conjointe le questionne sur l’intensité de cette angoisse. Il confirme qu’elle n’apparaît

seulement que lorsqu’il y est directement confronté mais qu’il n’y pense pas lorsqu’il

s’occupe l’esprit.

Lors de cette rencontre, Gérald s’exprime d’abord en « nous » puis se reprend pour

s’exprimer en « je ». L’humour et les rires sont encore présents.

Suite à la rencontre, le couple écrit dans leur journal de bord.

Jacqueline:

Bonne rencontre. J’ai apprivoisé la plasticine.

Je me réjouis d’entendre Gérald s’exprimer, se découvrir grâce à l’écoute

attentive, respectueuse de Nancy. Merci.

Figure 73

Le repos.

Réalisé par madame.

Pâte à modeler. 4 x 2 x 2.

200

Gérald :

Décidément, il s’agit d’art-thérapie! Nancy me laisse aller dans tout ce qui me

passe par la tête et le bout de mes doigts : formes et couleurs. Pourquoi donc ai-

je pensé à pépère qui n’était pas mon grand-père mais tout bonnement mon

parrain pour esquisser un bateau avec lequel il allait pêcher carpes et achigans

et perchaudes et dorés???... Bateau sur lequel (allégoriquement) je me suis

embarqué en le solidifiant tout au long de la séance?!

Parler de moi à travers ma création, c’est encore parler de ce que j’ai fait dans

la vie comme dans cette création… si c’est bien là le message à décrypter; ma

vie flotte sur du pas très solide : Alzheimer, diabète, étourdissements, neurones

qui s’élancent pour atteindre leur cible, manque de mémoire, etc.

Je ne puis plus prendre de longues randonnées en nature seul!!! Ce qui a été le

lot tout au long de ma vie.

Conclusion : je perds sûrement et irréversiblement à peu près tous mes moyens.

Il ne me reste que mes attitudes de fond. Bonté, accueil, tendresse.

Merci à toi Nancy de me permettre de le constater.

p.s. Je constate en me relisant : les mêmes attitudes que mon grand-père.

Quatrième rencontre

Je propose au couple de faire un jeu : s’asseoir l’un en face de l’autre et se répondre en

peinture sur une même feuille. J’ajoute que l’exercice doit se faire en silence.

Jacqueline laisse son conjoint commencer. Il met du rose au centre de la feuille. Elle rit et

ajoute du jaune. Gérald ajoute du vert foncé et dit : « Je n’ai pas l’habitude de travailler

comme ça! ». Sa conjointe cherche du vert pâle et n’en trouve pas. Je lui suggère de mélanger

les couleurs mais elle me répond : « M’a m’organiser autrement! ». Elle choisit le mauve et

trace des points au travers le vert foncé. Gérald utilise ensuite du bleu qu’il met devant lui.

Jacqueline reprend le bleu et le trace en miroir à ce que son conjoint a fait. Puis, elle vient

placer trois petites taches du côté de son partenaire. Gérald remplit tout le « haut » avec du

bleu et Jacqueline remplit le bas avec du rose et du jaune. Gérald remet du vert et sa conjointe

dit que c’est terminé. Il lui répond que non et il ajoute du bleu au bas et au centre. Je demande

à Jacqueline si elle veut ajouter quelque chose. Elle répond que non (figure 74).

201

Nous échangeons sur l’œuvre. Je commence par la leur montrer dans les deux sens et je leur

demande ce qu’ils ont vécu. Ils échangent sur leur expérience. Gérald parle du résultat

esthétique, de son intention d’arriver à créer une image figurative, de sa démarche rationnelle.

Jacqueline constate, sans surprise, que c’est le portrait de leur relation. Elle nomme que son

conjoint est « venu se mêler de mes affaires », qu’elle était dans l’émotion avec ses couleurs

vives alors qu’il était en quête d’un résultat esthétique. Elle critique le vert foncé peint par

Gérald parce qu’il est sombre alors qu’elle essayait de faire quelque chose de joyeux. Elle

associe cette expérience à leur relation : malgré beaucoup de volonté, le sombre demeure

présent. À ces mots, Gérald demande la permission à Jacqueline de plier la feuille. Il cache

ainsi la partie plus sombre et nous voyons apparaître un paysage plus lumineux (figure 75).

Gérald y voit un cimetière, mais un cimetière joyeux. Il dit qu’il a mis de la joie par l’absence

de couleur (les trous blancs du « ciel »). Jacqueline lui répond qu’elle a la perception qu’il

justifie ses choix esthétiques, son langage artistique étant encore très présent. Gérald ne

répond pas à cette remarque.

Je leur demande s’ils ont apprécié cette activité. Il semble que Jacqueline ne soit pas surprise

des constats qui en ressortent. Elle redit que leurs points de vue sont très différents. Je leur

reflète que l’idée d’être face-à-face n’aidait pas à adopter le même point de vue. Jacqueline

Figure 74

Communication visuelle.

Réalisé conjointement.

Monsieur était face à la partie du haut et madame face à celle du bas.

Acrylique sur papier 18 x 24.

202

me répond que même s’ils avaient été assis l’un à côté de l’autre, leurs points de vue auraient

été différents.

Lors de cette rencontre, Gérald parle de la tendresse qui l’habite et il me caresse le bras à

quelques reprises. Il exprime ses émotions liées aux pertes entraînées par la maladie.

Jacqueline préfère ne pas aborder la dynamique relationnelle avec son conjoint. Cela semble

être une source d’insatisfaction. Par exemple, quand elle parle du moment où Gérald a mis

de la couleur de son côté, elle le dit avec une pointe d’impatience dans la voix.

Suite à la rencontre, le couple écrit ces lignes dans leur journal de bord.

Jacqueline:

Une réalisation pour le couple. Notre perception du réel diffère. Surprise, le

résultat nous représente bien.

Gérald part de son sens esthétique.

Pour moi, la couleur du départ « rose » éveille l’image de la douceur et la

sensation d’apaisement. Mon souhait de me vivre ainsi dans le couple.

Les lignes plus foncées de Gérald m’invitent à y ajouter des couleurs plus pâles.

Je suis dérangée qu’il vienne vers la fin jouer dans l’espace en bas de la feuille.

Figure 75

Cimetière joyeux. Œuvre finale, repliée.

Réalisé conjointement.

Monsieur était face à la partie du haut et madame face à celle du bas.

Acrylique sur papier 18 x 19.

203

La conjugaison de nos deux personnalités a permis au fil des jours des

réalisations intéressantes (famille – vie à la montagne).

Tous les deux avons toujours eu le désir de rendre plus souple notre relation.

Nos apprentissages se poursuivent.

Gérald :

Sur la même « grande » feuille, Jacqueline et moi nous sommes exprimés en

lignes, formes et couleurs. Jacqueline surtout jaune et rose. Moi bleu et espaces

blancs… et j’ai introduit une grosse ligne brune pour « séparer » nos deux

espaces d’expression… ça « jurait » passablement… alors j’ai plié la grande

feuille pour faire disparaître cela… et le « rendu » était à la fois plus clair,

joyeux, agréable. Et quand Nancy a pris en photos les 2 façons de voir, nous

avons tous (les 3) constaté à quel point est apparu un cimetière avec ses croix au

fond.

Tout ceci traduisait bien ce que nous t’avions exprimé, Nancy; c’est que

l’harmonie entre nous s’est construite au fil des mois et des années…

Merci, Nancy, ta présence nous permet de révéler des éléments fort précieux de

nous; écoute, bonté, chaleur, tendresse.

La tête et le cœur se rejoignent alors pour dire merci à la grande Vie qui permet

ta présence en nos vies.

Cinquième rencontre

Je prends connaissance de ce qu’ils ont écrit dans leur journal de bord. Nous revenons sur

l’expérience de dessin à deux. Elle semble avoir bien traduit leur dynamique, qui est déjà

assez consciente. Il en ressort ce grand désir d’harmonie.

Je propose au couple de jouer avec le gribouillis. Premier gribouillis : chacun fait le sien et y

trouve une image. Les deux choisissent, sans se consulter, une couleur verte. Gérald dessine

un pied (figure 76). Je lui demande à qui est ce pied. Il ne le sait pas, mais assure que ce n’est

pas le sien puisqu’il a un ongle incarné.

Jacqueline trace le signe de l’infini ainsi qu’une note de musique (figure 77). L’infini est pour

elle amusant et parle de sa spiritualité. Elle reflète à Gérald que le pied dessiné semble solide.

Gérald y voit son besoin d’être « groundé ».

204

Deuxième gribouillis : chacun fait un gribouillis qui est ensuite « traité » par l’autre. Les deux

choisissent, sans se consulter, une couleur rose. Gérald fait un personnage avec le gribouillis

de Jacqueline (figure 78). Selon lui, ce personnage est « perdu ». Pour Jacqueline, il est

surpris face à l’inconnu. Il a besoin de réconfort. Elle perçoit ce personnage comme étant

fermé aux émotions, ce qui rend le plus malheureux selon elle.

Figure 77

Infini.

Gribouillis réalisé par madame.

Feutre sur papier 10 x 15.

Figure 76

Pied.

Gribouillis réalisé par monsieur.

Feutre sur papier 10 x 15.

205

Jacqueline fait des fleurs et des oiseaux avec le gribouillis de Gérald (figure 79). Elle en dit

que le vent transporte les semences et que les oiseaux évoquent l’univers de son conjoint.

Plus tard, Gérald fera des personnages avec les fleurs, après en avoir demandé la permission

à Jacqueline.

Figure 78

Gribouillis. Fait par madame, complété par monsieur.

Feutre sur papier 10 x 15.

Figure 79

Gribouillis. Fait par monsieur, complété par madame.

Feutre sur papier 10 x 15.

206

Ils réalisent ensuite un même gribouillis (figure 80). Les deux choisissent, toujours sans se

consulter, la couleur bleue. Je le leur reflète. Jacqueline répond que si c’est un signe

d’harmonie entre eux, c’est tant mieux. Elle voit d’abord un poisson. Gérald voit deux

montagnes. Jacqueline lui propose de leur donner une forme. Elle ajoute le soleil puis Gérald

ajoute le personnage qui a un cerf-volant. Jacqueline trouve que cela reflète l’aspiration. Je

lui demande à quoi. Elle répond à l’amour, qui mène à la source. Puis, elle se rappelle la

phrase qui était écrite sur leur faire-part de mariage. C’est Gérald qui complète la phrase que

Jacqueline commence à citer. Un échange s’ensuit sur la spiritualité qui est présente et

partagée dans leur couple.

Je vérifie s’ils ont apprécié l’exercice. Pour Jacqueline, c’était amusant. Pour Gérald aussi,

en plus d’éveiller son imaginaire. Cet échange sur le plaisir les amène à parler de leurs

différences. En fait, c’est Gérald qui compare en disant que Jacqueline prend plaisir à écouter

les gens et à les aider alors que lui est davantage ludique. Jacqueline lui reflète qu’il a

tendance à comparer plutôt qu’à apprécier ce qui est.

Lors de cette rencontre, j’observe à nouveau que le plaisir est partagé entre les partenaires.

Jacqueline évoque ce qui semble être le fondement de leur relation. Je la sens plus positive

et ouverte face à la possibilité de parler positivement de leur relation. Gérald est toujours

Figure 80

Gribouillis. Fait et complété conjointement.

Feutre sur papier 10 x 15.

207

respectueux quand il s’adresse à sa conjointe et lui demande la permission pour modifier leur

dessin.

Suite à la rencontre, les partenaires écrivent dans leur journal de bord.

Jacqueline:

Il me semble que j’ai beaucoup parlé… Je suis bien consciente que mon besoin

d’être entendue est présent.

J’ai plutôt développé l’écoute. Je me dis souvent que les besoins des autres sont

plus urgents. Avec Gérald, je choisis de ne pas entendre les justifications.

Gribouillage. Gribouillage.

Surprenantes les pensées, les émotions exprimées.

Je n’ai pas été fidèle à mon ressenti. Je n’aime pas que Gérald retouche mon

dessin. Je ne le reconnais pas. Il reste 5 rencontres et je focusse sur les bienfaits

qu’elles procurent à Gérald.

Merci!

Gérald :

Il est 10 heures pm quand je me mets au compte-rendu de la présente rencontre.

Globalement, Nancy est toujours aussi accueillante et ne tente pas de nous pister

sur un sujet ou l’autre pour nous permettre l’expression de ce qui monte à la

suite d’un graffiti ou quelque dessin que ce soit!!

De la douceur et de la hauteur dans mon expression… et pourtant je me suis

efforcé à une forme quelconque de neutralité dans mon expression. Te rejoindre

par le toucher est aussi bon, Nancy!

Je sens aussi que je rejoins Jacqueline sans la bousculer d’aucune façon!!! Cela

aussi est précieux… Je ne suis donc plus en « réaction » face à des perceptions!

Je sens moins d’attente sur moi, j’ai les épaules moins lourdes.

Le fait de donner la tondeuse à faire à quelqu’un me soulage aussi.

10h15 : finalement, à part la mémoire, ça va plutôt bien, merci.

Sixième rencontre

Nous échangeons quelques modalités d’usage puis Gérald lit ce qu’il a écrit dans son journal

de bord. Il y parle de son désir de s’exprimer dans la « neutralité ». Je le questionne sur cette

idée. Il évoque les reproches que lui font parfois Jacqueline et son entourage quant à son

impulsivité. Sa conjointe nuance en disant que son intensité fait partie de sa personnalité

créative et que c’est une qualité mais que cela entraîne aussi une impulsivité dans les choix

208

de vie. Gérald confirme qu’il veut faire attention à son impulsivité et introduire plus de calme

dans sa façon d’être.

Je propose aux partenaires de faire chacun une création avec de la peinture tactile puis je

mets entre eux une feuille en leur disant que c’est le « terrain de jeu » commun et qu’ils

peuvent aussi y dessiner quelque chose s’ils le souhaitent.

Gérald me dit qu’il a déjà commencé à y réfléchir. Je lui propose d’exprimer plutôt des

sensations que des idées et lui suggère de le faire les yeux fermés. Les deux ferment les yeux

pendant leur création. Gérald y va du bout des doigts de la main droite tandis que Jacqueline

s’exprime à pleines mains, enduisant ses deux mains de peinture. Aucun des deux n’a peint

sur la feuille commune.

Nous revenons d’abord sur l’œuvre de Gérald (figure 81). Il tourne sa feuille, disant qu’il

croyait avoir mis du bleu en haut mais il est en bas. Il voit dans son œuvre une voiture qui

fonce à toute vitesse sur un enfant. Il voit dans le ciel bleu le calme qu’il recherche. Cela lui

permet de nommer aussi que le fait de ne plus pouvoir conduire le freine dans ses activités et

que c’est ce qu’il trouve le plus difficile. Il aimerait pouvoir visiter ses amis comme avant.

Jacqueline lui rappelle que lorsqu’il conduisait, il n’allait pas si souvent voir ses amis mais

qu’il ne s’en souvient pas. Nous parlons du malaise ressenti par les personnes atteintes mais

aussi par les proches quand les symptômes de la maladie apparaissent. Jacqueline rappelle à

Gérald qu’il avait déjà commencé à se retirer à cause de la maladie. Elle lui rappelle aussi

qu’il n’était déjà pas très sociable avant la maladie.

Ensuite, nous échangeons sur la peinture de Jacqueline (figure 82). Elle est contente du

résultat, y voit des surprises, de l’ouverture. Elle a aimé la sensation de fluidité, que « ça

glisse » et ajoute que son œuvre la représente. C’est ce qu’elle tente d’intégrer dans sa vie

depuis longtemps. Elle parle aussi de diversité. Je lui demande où elle aimerait se situer dans

son œuvre : au centre, là où il y a un espace blanc, parce que c’est de là que l’on peut tout

voir.

209

Suite à ce que Gérald a nommé, Jacqueline parle de son deuil non résolu du lieu où ils

habitaient avant. Ils ont quitté cette demeure quand Gérald a reçu le diagnostic d’Alzheimer

alors ils ont eu à vivre plusieurs deuils en même temps. Elle commence à songer à y retourner

en allant conduire son mari chez une amie avec qui il avait l’habitude de peindre. Elle nomme

que c’est difficile pour elle. Je propose une piste : regarder le besoin derrière la souffrance

Figure 82

Ouverture.

Création de madame.

Peinture tactile sur papier 11 x 17.

Figure 81

Mollo Tonio, les enfants c’est important.

Création de monsieur.

Peinture tactile sur papier 11 x 17.

210

liée au deuil. Après un moment de silence, Jacqueline évoque aussi le fait qu’elle n’a peut-

être pas profité à plein de cette étape de sa vie. Je leur propose de continuer de porter ces

réflexions et d’en reparler à notre prochaine rencontre.

Lors de cette rencontre, le couple exprime les émotions ressenties face aux deuils qu’a

entraînés la maladie. Gérald accepte de se laisser toucher par les reproches de sa conjointe.

L’expression par les médiums s’est vécue dans le plaisir, en particulier pour Jacqueline.

Suite à la rencontre, ils notent ces pensées dans leur journal de bord.

Jacqueline:

Peinture aux doigts, yeux fermés, rien à décider, conscientiser la texture, goûter

la douceur.

Y a-t-il amélioration de la relation entre Gérald et moi? Accueil de ce qui

« EST » pour ma part, aide à assouplir les contacts.

Gérald :

Magnifique mise à jour (via le dessin à l’aveugle) autant des formes que des

couleurs. Je suis attentif aux autres particulièrement aux enfants… que je ne veux

perturber sous aucun prétexte!!!

Oui, le ciel est bleu et mon cœur est plein de joie pour ce que la vie m’apporte

au quotidien! Gratias!

Décidément, Nancy, tu peux te féliciter pour la qualité et la pertinence de tes

directives et/ou tes observations avant et pendant l’exécution de nos « chefs

d’œuvre »! Ah! Ah! Ah!

Septième rencontre

Nous commençons par faire un retour sur la dernière séance et sur la question des deuils.

Gérald dit accepter de plus en plus les pertes qu’il vit et le fait de devoir ralentir. Jacqueline

dit avoir pris conscience qu’elle a vécu à fond le temps de leur ancienne demeure. Mais que

le déménagement est venu en même temps que le diagnostic d’Alzheimer, que son conjoint

vit des deuils et qu’elle en vit indirectement. Elle ajoute qu’elle fait le deuil de l’homme

d’avant.

Comme le couple me dit ne pas ressentir le besoin de travailler les deuils en images, je leur

demande quel thème ils aimeraient explorer. Jacqueline quitte pour quelques jours chez sa

fille et Gérald ira chez sa bru pendant ces jours-là. Les deux nomment que c’est pour eux un

211

cadeau, pour des raisons différentes. Et ils décident de faire chacun un collage sur cette

expérience.

Gérald choisit des images qui illustrent l’accueil, son affection pour les femmes, des

souvenirs de son enfance et le fait qu’il accepte de ne plus être dans le « faire » (figure 83).

Jacqueline lui rappelle qu’il a toujours eu davantage d’amies femmes. Gérald semblait avoir

oublié cette caractéristique.

Jacqueline choisit d’abord une image dans laquelle elle se reconnaît par son imaginaire coloré

et son désir d’ouverture (figure 84). Elle explique que le cadeau offert par sa bru l’amène à

reconnecter avec l’enfant en elle car elle le reçoit comme une forme d’accueil inconditionnel.

Elle choisit des images d’enfant et exprime que pour elle, l’enfance est la pureté. Elle parle

aussi de son besoin de repos et de son désir de découvertes.

Gérald redit qu’il partage avec sa conjointe la valeur de l’accueil de l’autre. Cette

caractéristique de leur couple aura été identifiée à plusieurs reprises. Je le lui reflète.

Jacqueline remarque que Gérald a tendance à se comparer à elle. Il le fait par exemple en

soulignant le fait que son collage comporte peu de mots alors que celui qu’elle a fait en

comporte beaucoup. Elle lui reflète que c’est lui, elle le reconnaît dans cette façon de

s’exprimer. Elle le confronte sur cette pratique de comparer et le questionne sur sa pertinence

puisqu’elle trouve que les façons d’être sont uniques et que c’est bien ainsi. Plus tard, elle

Figure 83

Collage. Création de monsieur.

Collage sur papier 18 x 24.

212

évoque le fait qu’il arrive à Gérald d’oublier des bouts de son histoire et qu’elle les lui

rappelle. Je lui reflète que le fait de comparer est une façon de se reconnaître. Jacqueline est

d’accord mais invite son conjoint à ne pas le faire avec culpabilité. Gérald reconnaît en effet

qu’il peut avoir tendance à se sentir coupable. Sa conjointe lui reflète qu’il a fait du chemin

par rapport à la culpabilité et raconte que beaucoup plus jeune, il avait tendance à se dire « Je

ne peux être heureux parce que tant de gens sont malheureux. ».

Lors de cette rencontre, j’observe que Jacqueline fait preuve d’empathie envers son conjoint.

Suite à la séance, ils écrivent ces lignes dans leur journal de bord.

Jacqueline:

Vacances chez ma fille. Silence. Lectures. Rires. Très bienfaisant!

Je me ré-enligne. Pas d’inquiétude pour l’avenir. Je traverserai le pont quand

j’y arriverai. Je suis contente de ma dernière création remplie de joie!

Gérald :

Joie intérieure depuis le matin dans l’attente de Nancy. J’apprécie beaucoup

pouvoir m’exprimer par l’art… car l’art a toujours fait partie de ma vie : dessin,

pastel, aquarelle. Tout cela est comme pour moi un jeu… une extension du jeu…

Bien sûr ma présentation est CHARGÉE. Ça manque un peu d’espace… car j’ai

d’ailleurs trop longtemps pris trop de place dans notre couple, imposant sans en

prendre conscience MA vision des choses.

Figure 84

Collage. Création de madame.

Collage sur papier 18 x 24.

213

La feuille de présentation de Jacqueline et la mienne sont ainsi très révélatrices.

AÉRÉ et INTENSIF… Ben oui, c’est nous et on arrive à s’y retrouver en

s’acceptant mutuellement.

Merci Nancy de nous offrir l’occasion de nommer ainsi les visages de notre

relation de couple qu’on arrive même à nommer… WOW! Gratias, tu mérites ton

titre de thérapeute15.

Affection.

Huitième rencontre

Nous commençons par un retour sur la dernière semaine alors que Jacqueline était en

vacances chez sa fille. Elle dit avoir grandement apprécié ses vacances. Elle s’est accordée

des moments de silence et de repos. Gérald a aussi apprécié ses vacances. Il est allé chez sa

bru, a peint et lu. Il me montre une création faite au pastel. Elle représente des enfants en

patin dans un paysage hivernal et de soir. C’est la première fois que je vois des personnages

dans ses œuvres. Puis, il cherche une feuille sur laquelle il a écrit des pensées sur la paix. Il

voulait me les partager mais ne la retrouve plus.

Je leur propose de faire une création en argile, individuellement. Ils travaillent en silence. À

un moment, Gérald dit en riant « Ça jase en dedans! ». Puis, à un autre moment, Jacqueline

rit parce qu’elle bouche des trous et se demande en quoi cela parle d’elle. Les deux terminent

en même temps.

Gérald présente son œuvre (figure 85): le cercle de la vie sur lequel sont placés une mère et

son enfant, des animaux et une tortue. Il en dit que tout est relié, qu’on peut en sortir et y

revenir. Il parle d’un animal qui n’est pas défini et s’identifie à lui. Il dit qu’il observe ce qui

se passe dans le cercle. Plus tard, il se situe ailleurs, au pied de la mère et l’enfant, couché et

au repos.

Jacqueline présente ensuite son œuvre (figure 86). Elle a plutôt dessiné dans l’argile. Elle a

tenté d’écrire des mots mais c’était difficile. Puis, elle a fait les rayons du soleil et pris

conscience que si elle y allait en douceur, c’était plus facile. Elle écrit ensuite « Souplesse ».

Elle nomme que ce n’est pas une prise de conscience mais que cela vient lui confirmer que

« ce n’est pas nécessaire de forcer » et qu’elle n’a pas à être une mère parfaite, une épouse

parfaite, etc. Elle nomme aussi que les racines qu’elle a dessinées sont importantes. Par elles,

15 C’est un titre que je ne me suis attribuée à aucun moment pendant les rencontres.

214

elle obtient de la chaleur et la liberté. Je lui demande à quoi cela réfère dans sa vie. Elle parle

de la spiritualité. Elle nomme également que le processus de création est tout aussi important

sinon plus que le résultat et qu’il parle aussi d’elle.

Je leur demande ce qui reste de cette rencontre. Gérald revient sur le thème de la paix et

reparle de son texte. Jacqueline se lève pour aller le chercher. Pendant ce temps, Gérald me

dit qu’avant, il n’aurait pas démordu de le trouver et que maintenant, c’est sa conjointe qui

Figure 85

Cercle de la vie. Création de monsieur.

Argile, 6 x 7 x 6.

Figure 86

Souplesse. Création de madame.

Argile, 6 x 6 x 1.

215

cherche. Je lui demande s’il croit qu’elle cherche pour elle-même ou pour lui. Il me regarde

en silence un instant puis me dit « Merci Nancy de m’aider à voir plus loin que le bout de

mon nez. ». Quand Jacqueline revient avec le texte retrouvé, j’attends un instant puis je la

remercie. Son conjoint se tourne vers elle, la remercie et lui caresse le bras. Gérald me lit ses

quelques phrases. Il parle aussi de son grand-père et me lit un autre texte poétique écrit en sa

mémoire. Nous parlons de son lien filial et de comment il le reproduit avec ses petits-enfants.

Lors de cette rencontre, je suis témoin d’un échange de regards complices entre les

partenaires. Jacqueline semble plus détendue.

Après la rencontre, le couple écrit ces mots dans leur journal de bord.

Jacqueline:

Manipulation de l’argile. Je suis fière de ma réalisation. J’ai suivi mon

mouvement intérieur. Je suis demeurée dans la sobriété, la simplicité.

Confirmation d’une prise de conscience déjà faite avant : pas nécessaire de

forcer, de travailler très fort pour atteindre son objectif. Écouter la sensation, le

corps parle. Je le remercie, j’ai un assez bon, i.e. un bon thermomètre intérieur.

Gérald :

Laisser la plasticine et nos mains témoigner du ressenti… sans être une nouvelle

expérience, elle se révèle indicatrice d’un état d’âme.

Je vois la tendresse d’une mère (d’un père peut-être) pour son enfant… Merci

papa d’avoir cru en moi et de m’avoir guidé au moment de l’adolescence et merci

à pépère d’avoir été un modèle de paix et de silence pour moi.

À l’observation de mon cercle de glaise tout plein de personnages… je me vois

bien étendu et devant l’éventuel commentaire, j’ai une réponse toute prête : « Et

puis? ».

Il y a aussi un bébé dans les bras d’un adulte (moi pour les 2) car j’ai le goût de

la tendresse pour mes petits-enfants… Et j’apprends tout doucement aussi à la

recevoir des autres!!!

Oui, je dépasse l’aspiration à la paix : je la goutte à plein sans questionnements

sur si c’est juste, opportun, etc….

Merci Nancy de m’inviter à nommer mon vécu… comme je l’ai moi-même fait à

la lecture de la paix, texte écrit il y a 3 jours.

216

Neuvième rencontre

Gérald raconte que Jacqueline lui a offert une tisane pouvant l’aider à diminuer l’enflure de

ses jambes. Il parle de manière un peu confuse de ses problèmes de santé. Sa conjointe clarifie

les choses pour lui. Jacqueline me dit que les images créées lors des dernières séances lui

parlent encore. Elle y voit beaucoup de sens.

Comme nous l’avions prévu lors de la dernière rencontre, je propose au couple de faire un

collage, ce que Jacqueline avait appelé un « temps d’être », un collage qui la représente.

Pendant la réalisation, Gérald travaille en silence, sauf une fois où il dit « Je reviens toujours

au Mont blanc. » en parlant d’images sur lesquelles il revient sans le vouloir. Jacqueline me

parle à quelques moments de ce qu’elle voit dans les images ou encore d’anecdotes

familiales.

Gérald termine un peu avant Jacqueline. Il attend en silence. Puis, il présente d’abord son

collage en lisant les mots qu’il a écrits (figure 87). Il y parle de la nécessité d’accepter l’écart

entre l’ombre et la lumière et de son désir de tendresse et de douceur. Il parle également de

son désir d’offrir un cadeau à ses petits-fils : quelques outils dont il ne se sert plus.

Jacqueline présente son collage (figure 88). Il est très structuré, chaque image a un sens. Elle

affirme avoir la certitude de sa capacité d’écoute. Elle dit aimer rire et parle de ses enfants

qui la font rire beaucoup. Elle ajoute « Et il y a Gérald, qui essaie de me faire rire aussi. »

Figure 87

Collage. Création de monsieur.

Collage sur papier 18 x 24.

217

Les deux en rient beaucoup. Puis, elle parle de l’image qui représente la collaboration. Elle

se reconnaît cette qualité et parle de ce qu’elle a réalisé avec son conjoint : leur maison à la

montagne et leurs enfants. Gérald aperçoit le mot « deux » qui est resté sur l’image que

Jacqueline a découpée. Elle confirme : « Oui, on était deux là-dedans et c’est le résultat de

nos deux personnalités. ».

Gérald revient sur son collage. Il raconte qu’il n’a pas fait la paix avec la question de la

pureté. Nous en parlons et avec l’aide de sa conjointe, il prend conscience qu’il est exigeant

envers lui-même et qu’il y a certains aspects de sa personnalité qu’il n’accepte pas. Il évoque

surtout le fait de pleurer et prend conscience que lorsqu’il pleure, il pleure de joie ou parce

qu’il est touché et que c’est bon pour lui de vivre l’émotion. Nous parlons de l’acceptation

inconditionnelle de soi-même. Jacqueline dit l’avoir reçue de sa mère et reflète à son conjoint

qu’il n’a pas reçu ce cadeau de ses parents. Gérald revient sur des souvenirs partagés avec

son grand-père et prend conscience avec émotion qu’avec cet homme, il a pu se sentir libre

et reconnu. Jacqueline lui reflète que « La joie veut vivre en toi! » et lui propose de créer sur

le thème de la joie lors de la dernière rencontre. Gérald est d’accord. Il exprime le fait qu’il

est allé « loin » aujourd’hui dans l’émotion et les prises de conscience.

En effet, pendant la séance, j’observe que Gérald est davantage dans le ressenti. Jacqueline

est empathique envers son conjoint et le guide dans l’accueil de lui-même. Elle parle aussi

positivement de leur histoire.

Figure 88

Temps d’être. Création de madame.

Collage sur papier 18 x 24.

218

Suite à la rencontre, les conjoints s’expriment dans leur journal de bord.

Jacqueline:

Temps d’être pour moi. Collage : les caractéristiques (qualités) que je reconnais

en moi, ce matin, cet après-midi, en ce moment.

Bonne sensation à revivre.

Gérald :

Oui, oui, oui à tout ce qui est!!! À l’Alzheimer au tout premier point, ce mal qui

me tient et m’oblige à recourir 20 fois par jour à Jacqueline pour confirmer si

telle chose s’est réellement passée!!!

Oui à cette timidité à reconnaître devant les autres des qualités qui sont

miennes : tendresse, accueil, rapidité à saisir les points de vue opposés, capacité

au dessin, habileté à voir le côté positif des événements de la vie et de ma vie,

capacité à guider les autres dans des sociétés où j’ai joué un rôle important ou

que j’ai créés comme (…)

J’ai aujourd’hui fait aussi un pas de plus, celui de serrer Nancy dans mes bras

pour lui signifier combien elle était précieuse de m’aider ainsi à reconnaitre et

à dire oui à la plupart de mes talents et qualités.

Gratias… Le ciel est bleu et les quelques nuages (présents ou à venir) ne

pourront pas m’éloigner de la joie présente en mon cœur pour ce jour béni qui

m’a été donné… sans doute aussi pour pouvoir si facilement et agréablement

l’exprimer.

Dixième rencontre

Le couple raconte leur fin de semaine : leur fille est venue les visiter et ils ont passé beaucoup

de temps en famille. Gérald raconte avec plaisir que ses petits-fils sont attentionnés avec lui.

Jacqueline explique qu’il a toujours été ouvert avec ses proches sur sa maladie.

Je leur demande ce qu’ils ont envie de faire. Gérald se lève et va chercher son propre matériel.

Il me dit que c’est la réponse à ma question. C’est la première fois qu’il exprime ce qu’il

désire faire en création plutôt que de suivre mes suggestions. Il me montre une œuvre réalisée

il y a quelques mois et me dit qu’il veut en faire une autre dans le même genre : une œuvre

lumineuse (figure 89).

219

Pendant qu’il va chercher son matériel, Jacqueline me dit qu’il était peu énergique ce matin

et elle a pris conscience que lorsqu’il est dans cet état de lassitude, c’est que quelque chose

le préoccupe. Ce matin, Gérald était triste que ce soit notre dernière rencontre. Puis, quand

sa conjointe lui a rappelé qu’il y aurait des ateliers d’art-thérapie à la Société Alzheimer cet

automne, son énergie est revenue.

Jacqueline met plus de temps à se décider. Son conjoint a commencé à créer et elle me parle

de choses et d’autres. Elle décide finalement de faire un collage (figure 90). Pendant plus

d’une heure, Gérald s’affaire à son œuvre et Jacqueline feuillette les pages des magazines

tout en me parlant de sa famille, de Jung et de philosophie. De temps en temps, Gérald

intervient dans la conversation. À un moment, Jacqueline revient sur une citation de Jung16

que j’ai partagée lors d’une séance précédente et qui dit à peu près ceci : « Quand ma tête ne

sait plus, je laisse faire mes mains. » Elle dit que cette phrase l’a beaucoup marquée parce

qu’elle lui a fait prendre la mesure de l’importance de l’art, en particulier pour son conjoint.

Vers la fin, Gérald nous demande notre avis sur un espace laissé en blanc dans son dessin.

Jacqueline dit qu’elle y voit une étendue d’eau. Gérald est d’accord et termine son dessin

avec enthousiasme. Il est satisfait de son œuvre. Nous en discutons. Jacqueline reflète à

Gérald que son œuvre illustre ses racines. Il raconte quelques souvenirs d’enfance. Il évoque

16 La citation originale est mise en exergue du présent chapitre.

Figure 89

Dessin libre. Création de monsieur.

Pastel gras sur papier 12 x 18.

220

aussi le fait que le moulin de son dessin est en perte d’équilibre. Il dit du moulin qu’il croit

qu’il a déjà été bien droit, que ce n’est plus le cas mais que cela ne l’empêche pas de

fonctionner. Le couple échange aussi sur le besoin de Gérald d’être validé et encouragé

lorsqu’il crée et Jacqueline lui rappelle qu’il ne choisit pas toujours le bon moment pour faire

ses demandes.

Jacqueline parle des images qu’elle a choisies. L’image de l’homme couché au bord de l’eau

représente pour elle le plaisir, l’amusement. La phrase parle d’elle-même. Et quant à l’image

de la jeune femme, Jacqueline exprime que depuis qu’elle travaille à être dans le présent et à

ne pas s’en faire avec le futur, son esprit s’est allégé et celui lui donne envie de coquetterie.

Lors de cette rencontre, Gérald exprime davantage ses besoins. Je sens à un moment un

rapprochement physique entre les partenaires (Jacqueline se rapproche de Gérald pour

regarder son œuvre). Le plaisir est partagé, nous rions beaucoup pendant toute la rencontre.

Le couple note ces pensées dans leur journal de bord.

Jacqueline:

Très positif! Gros cadeau que d’avoir une personne de ton calibre dans la région.

Merci! Je vais souvent penser à Carl17 en souriant et pensant à toi!

17 Quand nous avons évoqué Carl Jung, nous parlions d’un ton complice de « Carl ».

Figure 90

Images choisies par madame.

221

Gérald :

Aujourd’hui, je me suis totalement abandonné à ce que je dessinais au point

d’oublier l’heure.

Nancy est arrivée à 9h… et repartie à 11h45… beaucoup plus que le temps prévu.

Mon dessin s’intitule : le chemin de la grange… En effet, ce fut le souvenir de

ma vie à St-… rang rivière… côté nord… où pendant que papa et maman

trayaient les vaches, je donnais à manger aux poules et aux cochons, je lavais

les œufs et étendais de la paille fraîche pour le bien-être des animaux.

Je constate que j’ai toujours aimé les bêtes; pas étonnant que dans mes dessins

on y retrouve des oiseaux et des animaux la plupart du temps.

Merci une fois encore Nancy de m’offrir l’occasion de revivre par le dessin et le

retour en arrière dans le temps de très bons souvenirs. Grâce à toi, ils atteignent

plus de vie et de consistance.

c) Les perceptions du couple

Ce couple a exprimé beaucoup de satisfaction face à la démarche. En tout premier lieu,

monsieur, qui avait déjà intégré la création à son quotidien depuis très longtemps, exprime

sa surprise de constater que ses œuvres reflètent son histoire et sa personnalité. Il ajoute

qu’elles traduisent des caractéristiques personnelles qu’il n’avait pas identifiées et que ses

proches ignoraient de lui. Il réfère par exemple à son besoin d’être affectueux avec certaines

personnes et la permission qu’il se donne maintenant de l’exprimer. Par ailleurs, il compare

son expérience avec l’art-thérapie à son propre processus créateur pour en conclure que les

activités réalisées dans le cadre de la démarche l’ont amené à transformer sa façon de créer :

Ça m’a apporté que j’ai pris conscience que par le dessin, le dessin pas planifié

d’avance, de laisser aller. J’ai commencé à en faire un en t’attendant tantôt… pis je

sais pas où je m’en vais. Ça va me dire des choses comme ça (il pointe un dessin) ça

me dit des choses.

En ce qui concerne madame, elle exprime qu’elle a apprécié qu’une tierce personne soit

présente et offre à son conjoint l’écoute patiente qu’elle n’arrive pas toujours à lui offrir mais

dont elle est consciente qu’il a besoin. Elle précise que cette présence a, en quelque sorte,

allégé son quotidien.

Quant à la question des changements observés dans leur couple, madame s’exprime ainsi :

Mon mari, c’est pas avancé du tout l’Alzheimer, c’est au début, pis comme il était

expert dans les mots, ben c’est ça qu’il va perdre en dernier. Donc la communication,

222

ben où il y avait des blocages, ils sont encore là. Moi en tout cas, j’ai pas débloqué à

travers ces rencontres-là. Ça n’a pas permis une meilleure communication. Sauf que,

dans l’ensemble des rencontres, moi j’ai vécu un revirement important, et

possiblement que c’est l’ensemble qui a fait que c’est venu chez moi, de dire « Ben là

c’est assez, reste dans l’instant présent, arrête de t’inquiéter de demain, après-

demain, pis l’année prochaine, dans 2 ans, qu’est-ce qui va se passer avec la maladie

de Gérald? ». Alors ça, ça s’est vécu au cours des dix rencontres. Comme si la façon

dont tu nous as présenté ça, le travail qu’on a fait dans le plaisir, ça a fait surgir ça

et pour moi c’est majeur. Parce que je réalisais pas que j’étais en train de brouiller

mon quotidien… Parce que comment je vais m’organiser dans deux ans? Tu sais,

c’est facile de s’en aller dans le futur. Mais ça donne rien, absolument rien. Ça oui,

c’est possiblement l’ensemble des rencontres, ta présence, le travail fait… C’est gros

ça là. C’est très gros. Pis par ricochet, ben dans le quotidien, je suis plus vigilante.

Quand il y a des irritants, parce qu’il y en a des irritants… Gérald est plus le même

qu’il était il y a dix ans. Alors quand il y a des irritants, je suis plus vigilante… en

tout cas je réussis pas tout le temps… mais plus vigilante à dire « Ah! C’est correct ».

Plus tard, elle reconnaît que cette capacité à être dans le présent est une force que son conjoint

a développée depuis qu’il est atteint de la maladie d’Alzheimer. Elle ajoute qu’elle s’en

inspire pour mieux vivre son quotidien.

Questionné sur l’apport de l’art dans la démarche d’intervention, le couple tient des propos

affirmatifs : l’art leur a permis de gagner en profondeur. Monsieur l’explique en ces mots :

Moi, l’art. Que tu poses la question « Qu’est-ce qui t’habites? », pis tu mets des

images. Je vais aller chercher des images qui m’habitent. Ça m’habite tout le temps.

La nature, la beauté de la nature, le roc, les couleurs du rocher, toute, ça me rejoint.

Mais juste intellectuellement? Ce qui m’habite intellectuellement? [Ça a permis]

d’atteindre un niveau autre qu’intellectuel. Parce que je suis un peu intellectuel…

Madame ajoute que l’image a eu un tel impact sur elle qu’elle souhaite intégrer dans sa vie

cette habitude de créer pour aller à la découverte d’elle-même. Elle raconte :

Mais ça va plus loin que ça parce que moi aussi j’ai appris des choses. D’abord au

niveau de l’art, pis des arts. J’ai été surprise de voir comment une petite image me

ramène à qui je suis profondément. Et dans mes premiers collages, c’était toujours le

repos, le repos, le repos… ça se répétait sans arrêt, tellement j’en avais besoin. Pis

un moment donné ça s’est dégagé. Ça c’est surprenant. Ça me plaît beaucoup.

Finalement, le couple suggère que l’attitude ouverte et souple adoptée par l’intervenante a

contribué à ce que l’expérience ait un effet positif. Madame associe cette attitude à une

confiance qui invite à l’abandon et à l’authenticité :

223

Pis toi, les objectifs que tu poursuivais pour ton travail, peut-être qu’il y a des fois, si

t’avais été plus directrice, il y aurait peut-être eu réponse à des interrogations que tu

portais, mais moi, de mon côté je trouve ça extra comment ça s’est passé. Faire

confiance à la vie, c’est laisser monter ce qui veut monter à ce moment-là. Si on

refaisait ça dans un an, ça serait autre chose. On ne serait plus les mêmes de toute

façon. Et puis, ça m’indique aussi, de ta part, une aisance pis une sécurité intérieure.

C’est pas des balises très serrées, pis « je me sens bien là-dedans, pis on y va là-

dedans ». C’est une grande ouverture.

Le couple ne soumet aucun commentaire nous permettant d’identifier des éléments à

améliorer ou à faire autrement dans l’intervention proposée.

Cela conclut cette première partie des résultats. La prochaine partie présente les

commentaires recueillis auprès des membres du groupe de pairs lors d’une rencontre réalisée

quelques mois après la dernière intervention.

5.2 Compte-rendu de la rencontre d’analyse avec le groupe de pairs

Au départ, quatre professionnelles ont manifesté leur intérêt à participer à la recherche. L’une

d’elles s’est désistée pour des raisons personnelles au moment de la deuxième rencontre. Une

seule des pairs était art-thérapeute sans être travailleuse sociale alors que les trois autres

cumulaient ces deux identités professionnelles. Le tableau 6 présente les caractéristiques des

professionnelles ayant constitué le groupe de pairs.

Tableau 6 : Portrait des membres du groupe de pairs

Pair 1 Pair 2 Pair 3 Pair 4

56 ans 48 ans 27 ans 58 ans

Art-thérapeute et ts Art-thérapeute, ts et

sexologue

Art-thérapeute Art-thérapeute et ts

Depuis 25 ans Depuis 22 ans Depuis 4 ans Depuis 28 ans

Santé mentale

jeunesse, violence

conjugale, grossesse

à risque élevé

Deuils, pertes,

transitions, enfants

endeuillés, santé

mentale, suicide

Personnes âgées,

deuil, adaptation,

anxiété

Oncologie et

femmes, personnes

âgées, adultes,

dyades parents-

enfants, adolescents

À deux reprises durant le processus, les pairs ont partagé leur expérience et leur expertise

mais également leurs propres réflexions quant à l’intervention réalisée. Une première fois

précédemment aux démarches d’intervention pour soutenir l’intervenante-chercheure dans

224

l’orientation de l’intervention, puis suite à toutes les démarches complétées avec les couples

pour enrichir le regard critique porté sur celles-ci. Pour cette deuxième rencontre, le compte-

rendu des démarches réalisées avec chaque couple a été transmis aux pairs en prenant bien

soin d’omettre toute information leur permettant d’identifier les couples participant. Les

séances ont pris la forme d’un groupe de discussions focalisées mené selon les principes émis

par Mucchielli, (cité dans Mayer et Saint-Jacques, 2000) : phase de dégel, où l’on prend

contact; phase d’affrontement pendant laquelle les opinions, parfois divergentes, sont émises;

phase de résolution, « … où l’on tente de clarifier et de synthétiser les divers points de vue

exprimés. » (p. 123).

Avant de tenir la deuxième rencontre, les pairs18 ont reçu les comptes-rendus intégraux des

séances réalisées avec les couples mais n’ont pas lu les perceptions et appréciations de ces

derniers afin de ne pas influencer leur analyse du contenu qui leur a été transmis. Lors de

cette rencontre, les pairs ont d’abord échangé à partir de leurs premières impressions sur la

démarche. Puis d’autres questions leur ont été adressées. Leurs réponses sont regroupées par

thèmes. L’une des membres du groupe a également partagé ses impressions par écrit. Ils sont

intégrés dans le présent résumé.

5.2.1 Une expérience au caractère humain

Les trois membres du groupe de pairs présentes à cette rencontre d’analyse ont d’emblée

exprimé avoir été touchées par les démarches réalisées par les couples ayant bénéficié de

l’intervention et ce, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la lourdeur de la situation

rencontrée par les couples et leur désir de s’engager, malgré tout, dans une démarche ont

touché les pairs :

On rentre dans leur intimité. C’est la confiance qu’ils te font aussi, tu rentres dans

leur univers. C’est touchant aussi parce que c’est une maladie insidieuse... Tu peux

pas savoir demain comment ça va se passer, il va peut-être y avoir tout un pan qui va

disparaître. Ils nous laissaient entrer dans leur univers. De voir aussi comment ils se

débrouillent avec les moyens du bord.

18 L’une d’elles est anglophone, ce qui explique que le français soit parfois incorrect dans les retranscriptions.

225

Le peu de soutien offert aux couples en tant que couples dans un tel contexte dérange aussi

et contribue à donner plus de sens et de valeur à la démarche qui leur a été proposée. D’autant

plus que les couples participants sont des couples mariés depuis très longtemps.

Je pense que c’est des personnes qui ont investi, qui sont mariées depuis très très

longtemps, qui se connaissent très bien. Pis comme tu le disais, on n’a pas de service,

ça va tellement de soi qu’ils ont besoin de quelque chose pour eux, le couple, qu’est-

ce qu’ils vivent ensemble. Parce que ça change le couple. Il y en a beaucoup qui

parlaient de leur retraite, le deuil de leur retraite idéale. De perdre des mémoires, de

pas savoir c’est qui la personne qui est assise devant toi puis que tu es marié avec.

C’est tellement gros. Et de voir qu’ils essaient encore de retrouver un sens, ils

essaient encore de voir… Il y avait des moments où on retrouvait cet amour-là qui

les gardait ensemble pendant si longtemps qui était encore présent ou qui pouvait

encore être présent…

Cet engagement qui se traduit dans les productions visuelles des partenaires qui osent sortir

de leur zone de confort a également touché les pairs :

Mais c’est cette sensibilité-là, pis cette vulnérabilité-là que je trouve très touchantes.

Et pour d’autres, comme le monsieur qui faisait des choses très très concrètes, là, la

maison et des personnes assises pis là il a osé faire des choses un peu plus abstraites,

pis il était content. Ça c’est touchant, je trouve ça très touchant.

Finalement, les membres du groupe de pairs évoquent aussi l’approche en elle-même comme

un élément touchant de la démarche réalisée. L’une d’elles rappelle qu’au départ, certains

couples ne savaient pas trop quoi faire et que leur malaise était palpable. L’approche

respectueuse, ouverte et sans jugement, a permis d’obtenir leur adhésion au processus et leur

implication dans la démarche.

5.2.2 Des impacts observés à plusieurs niveaux

Suite à la lecture des comptes-rendus de chaque démarche réalisée par les couples

participants, les membres du groupe de pairs ont identifié les impacts qu’elles perçoivent

comme étant reliés à l’expérience d’art-thérapie.

Elles évoquent d’abord l’impact observable sur la relation conjugale. Les séances d’art-

thérapie favorisent le fait de se retrouver en tant que couples, parce que les expériences

ramènent aux dynamiques relationnelles qu’ils ont développées avec le temps.

226

Le monsieur du couple quatre prenait toute la place au début, pis elle était très lente,

pis là finalement elle a pu… C’était toujours un petit peu flyé ses affaires et lui il

disait toujours que c’était beau. Finalement il disait « Hein c’est pas plate notre

affaire? ». Il était fier de lui. Je sentais toute cette histoire de leur couple qui était là,

ce plaisir de se retrouver et d’encore évoluer, c’était vraiment, tellement beau.

Cette expérience offre un moment de répit, autant pour l’aidant que pour la personne atteinte.

Selon les pairs, ce répit vient notamment de l’énergie que procure la créativité suscitée par

les activités proposées.

Au début on voit qu’il y a un conflit, que c’est fatigant pour l’aidant pis pour l’autre

aussi, mais ils retrouvent une certaine énergie dans la création qu’ils ont peut-être

pas dans leur vie au quotidien; mais la création rallume quelque chose. Je l’ai

ressenti dans ce qu’ils faisaient et dans les images.

De la même façon, les pairs observent que la création artistique a des effets sur la mémoire,

mais aussi sur l’humeur des personnes qui la pratiquent. Dans son commentaire écrit, une

professionnelle partage cette observation :

Les images ont permis autant à l’aidant qu’à l’aidé d’exposer au grand jour les

malaises, les peurs de prendre trop de place, les peurs de ne pas être à la hauteur,

les peurs de décevoir, les peurs des pertes cognitives au quotidien mais également les

images ont permis de révéler les limites de l’un et de l’autre, l’impuissance de l’aidé

et également les insatisfactions mutuelles quant au manque de communication.

Les pairs suggèrent que ces impacts disposent la personne atteinte de la maladie à être en

relation et à recevoir la stimulation qui lui est adressée.

Quand tu amenais les livres pour le monsieur (couple 3), il rentrait dans quelque

chose… il était plus obligé d’être dans le passé ou d’être dans le futur. Il était dans

le moment même, dans les sensations, dans la réactivité à ce qu’il voyait puis il était

plus calme on dirait parce qu’il était prêt à faire quelque chose. Tandis que quand

elle (sa conjointe) essayait de lui faire faire quelque chose, il résistait beaucoup. Alors

on voit comment la rigidité vient avec la maladie, comment l’art peut amener plus de

flexibilité ça a un impact sur l’humeur de la personne, elle est plus relax, moins

confuse. Tout ce qu’elle nommait, tu le voyais pas parce qu’il était souriant, il avait

beaucoup d’humour, il était drôle, participant et tout… Tu peux pas avoir ça juste

dans quelque chose où t’allais faire juste du travail social.

D’autres commentaires sont relevés quant aux effets individuels de l’intervention pour les

personnes qui en ont bénéficié :

La personne atteinte a pu, par le biais de l’art-thérapie, faire des prises de

conscience, être dans l’ouverture. Elle a pu, le temps de l’atelier, oublier la maladie,

227

avoir du plaisir, retrouver un sentiment de fierté, un sentiment de confiance et une

plus grande estime de soi. Elle a pu retrouver les mots pour mieux communiquer son

désarroi mais également sa grande reconnaissance envers l’autre.

La personne aidante a pu, par le biais de l’art-thérapie, se détendre, se retrouver,

prendre soin d’elle, mieux se comprendre mais également mieux comprendre l’autre.

Elle a pu s’exprimer mais aussi amorcer un dialogue en vue d’améliorer voire même

changer certains comportements mutuels qui nuisent au quotidien.

Finalement, les membres du groupe de pairs identifient l’impact des activités proposées sur

la communication dans le couple. D’une part, l’expression artistique permet de communiquer

autrement et de nommer ce qu’il est parfois difficile de nommer verbalement. D’autre part,

l’œuvre réalisée invite ensuite à l’échange, à la communication de soi et à l’écoute de l’autre.

Ce que je trouvais très touchant aussi, c’est justement, la perception de l’un et de

l’autre dans le couple à travers les réalisations, la fierté qui en ressortait, ils se

félicitaient ou bien ils voyaient la personne sous un autre jour quand dans le quotidien

c’est plus difficile de sortir de ça, on reste avec les pertes ou les choses qui sont plus

difficiles. Donc là, ça donnait un espace qui permettait à la fois d’exprimer ce qu’ils

trouvaient difficile mais aussi de reconnaître chez l’autre certaines forces. Pis l’art

donnait une distance aussi, je trouvais, de permettre d’être à l’écoute ou de voir

quelle place chacun avait donc ce support-là permettait un échange par rapport à

leur sentiment ou leur posture.

5.2.3 L’art-thérapie comme moyen d’accéder à la dynamique relationnelle du couple

De manière plus spécifique, l’échange a également porté sur le travail avec l’image et

l’expérience artistique. Par exemple, il semble que le fait d’observer un couple en train de

créer une œuvre met en lumière rapidement et d’une façon plus globale ses dynamiques parce

qu’on le voit interagir dans l’action. Il semble aussi que l’on gagne en profondeur dans les

échanges et dans la façon d’aborder des sujets qui peuvent être difficiles.

L’art-thérapie, ou l’art, a permis d’aller dans des choses que c’est difficile de faire

autrement qu’avec l’art. Et d’une façon très, non superficielle. Même pour des choses

qui étaient simples comme activités, ça touchait à des choses profondes.

Ici, on donne en exemple les cabanes d’oiseaux décorées par certains couples. Selon les pairs,

cet objet investi porte une forte symbolique : le nid, la sécurité, le confort, l’espace intérieur,

etc.

L’expression artistique est aussi une façon d’exprimer qui nous sommes, de se montrer sous

un autre jour et d’inviter l’autre à nous voir autrement.

228

Juste de voir la sensibilité dans l’art et la création, juste de voir oser faire des choses.

Il y en a qui… comme la dame qui avait perdu sa capacité de faire de l’art, mais qui

a trouvé quelque chose d’autre, une autre façon de s’exprimer qui était aussi valable

et en même temps, c’était une façon pour elle de transformer son conjoint, de le

rendre plus conscient de qui elle était depuis toujours, puis elle l’a fait avec de l’art

abstrait…

Toujours selon le groupe de pairs, l’image rend compte du cheminement du couple à travers

les séances d’art-thérapie et traduit les dynamiques qui s’installent.

Dans les images on le voit très bien, comment ils sont, les personnages qui sont

séparés… Puis ce qu’on voit aussi c’est l’évolution des images, au début pis à la fin.

On voit à la fois qu’il y a comme une réunification. J’ai essayé de voir, comme par

exemple, dans le couple deux, on voit que les personnages regardent dans des

directions opposées. Pis dans la dernière image, ils regardent dans la même

direction.

L’autre exemple évoqué par l’une des pairs vient du premier couple qui a réalisé des images

pour illustrer l’outil de gestion de conflit « Time out » et « Time in » :

Oui, et en parlant du « time out » et du « time in », ils voulaient faire ça plus en

douceur, alors il y a quelque chose qui s’est transformé en faisant l’image.

Rappelons que c’est en dessinant ces symboles que les partenaires ont exprimé leur besoin

que cela se vive en douceur et dans la gaieté. L’image a donc servi à confirmer leur désir de

vivre les conflits de la façon la plus harmonieuse possible.

Les membres du groupe de pairs ont par ailleurs souligné la dimension liée au travail social

présente dans cette intervention. Cela nous amène à porter le regard sur cet autre aspect de

l’intervention réalisée.

5.2.4 Le travail social et son intérêt pour le couple : une approche systémique

Moins d’éléments ont été soulignés par le groupe de pairs en regard de cette dimension de

l’intervention. Elles ont souligné avoir perçu que l’intervention tenait compte à la fois des

deux individus à qui elle s’adressait mais aussi à la dyade en soi. Cette attention portée sur le

couple repose sur une vision systémique propre au travail social.

J’étais vraiment touchée par comment les deux vivaient quelque chose de

particulier… y avait l’anxiété, c’est sûr, pis savoir comment organiser leur vie. Mais

y avait autre chose qui ressortait pis qui avait rapport aux couples comme tel.

229

Par ailleurs, la question des outils donnés aux couples tels que le guide des aidants qui leur a

tous été offert et celle des références vers des ressources qui ont été faites à différents

moments des rencontres réfèrent spécifiquement à une intervention en travail social.

L’une des membres du groupe de pairs a partagé faire une distinction nette entre son rôle de

travailleuse sociale, qui se traduit essentiellement par la référence vers des ressources du

milieu, et son rôle d’art-thérapeute, qui se concentre sur le travail avec l’expression artistique.

Cette question fait partie d’un ensemble de questionnements soulevés par le groupe de pairs.

5.2.5 Les questionnements soulevés par la démarche : des défis et des obstacles à

considérer

Ces questionnements se regroupent sous quatre grandes préoccupations. La première

concerne la gestion de la censure et des tabous présents chez certains couples rencontrés.

C’est arrivé notamment pour le troisième couple alors que madame parlait à mots couverts

des comportements difficiles de son conjoint mais devant lui. Nous avons effectivement

ressenti un malaise dans ce contexte et la posture à adopter ne nous est pas toujours apparue

claire. À ce propos, les membres du groupe de pairs questionnent la possibilité que des

rencontres individuelles aient lieu pour offrir aux conjoints un espace pour exprimer et

partager ces informations sensibles. Cela ne fait pas l’unanimité, considérant les enjeux

éthiques reliés à un tel cadre qui peut provoquer un sentiment de trahison ou de méfiance

chez les conjoints. Toutefois, le groupe reconnaît les avantages d’une telle perspective :

Peut-être que ça équilibrerait la chose parce que là, si tu fais une rencontre en

individuel avec elle, tu pourrais la guider un peu et la préparer aux rencontres en

couple. Mais ça c’est aussi délicat. Peut-être que ce serait juste de dire « des fois on

va parler de toi devant toi », l’important c’est juste de le nommer, que ce soit clair ce

qui est train de se passer.

Un lien est fait avec le lieu de l’intervention, soit le domicile du couple. Bien qu’il comporte

des avantages, ce choix entraîne aussi sa part de défis qui s’inscrivent dans ce thème des

confidences ou secrets qui naissent entre l’intervenante et l’un des membres du couple.

Ça ajoute une complexité le domicile, ça ajoute cette partie-là où il y a des petits

rituels comme un qui vient te reconduire à la porte et te donne des informations…

c’est riche mais en même temps, c’est un défi.

230

L’une des membres rappelle également les instants de lucidité qui peuvent surgir à des

moments inattendus et imprévisibles avec la maladie d’Alzheimer. Il faut considérer que la

personne atteinte peut toujours être en mesure de saisir ce qui se passe même si elle ne peut

le nommer clairement.

Une autre question soulevée par le groupe de pairs touche à la difficulté qu’entraîne le

contexte d’une maladie qui affecte la mémoire quant à l’intégration des stratégies mises en

place lors des séances. En effet, les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer voient leur

mémoire courte affectée par la maladie et nous avons constaté que la plupart d’entre elles

n’arrivaient pas à se souvenir de ce qui avait été discuté et même décidé d’une fois à l’autre.

À cela, nous avons apporté cet élément de réponse :

Je pense que de mettre en images c’est une stratégie pour s’en souvenir parce que

l’image laisse une empreinte différente que si on fait juste en parler.

Le groupe de pairs est d’accord pour dire qu’une image qui s’accompagne d’une charge

émotive et qui est reliée à une expérience lors de laquelle la personne s’est investie à plusieurs

égards offre un potentiel plus grand de s’inscrire dans la mémoire de la personne, en dépit de

sa maladie.

Une autre grande question soulevée par le groupe de pairs concerne le choix des couples

participants, en particulier le troisième couple dont l’homme ne se souvenait pas avoir été

marié à sa conjointe. Les pairs soulignent que cet état de fait plaçait le couple dans une

situation où il ne pouvait pas autant bénéficier, en tant que couple, des effets de l’intervention.

Quand je vois ce couple-là, je me dis que peut-être que c’était trop décalé par rapport

aux autres. Donc ce couple-là aurait dû avoir d’autres services. C’était plus grave et

les ressources qu’elle avait n’étaient pas adéquates.

Finalement, la dernière question que nous avons soulevée lors de cette rencontre concerne le

caractère occupationnel que pouvaient revêtir certaines séances réalisées avec les couples

participants. C’est un questionnement en ce sens que l’art-thérapie ne poursuit habituellement

pas une visée occupationnelle; il ne s’agit pas d’un loisir. Les pairs abordent cette question

avec nuance :

Oui, cette question-là de l’occupationnel, c’est le niveau de créativité. Des fois, c’est

créatif de choisir la couleur et de peut-être avoir une réflexion sur la couleur. Je sais

pas mais on peut… c’est pas que le couple a besoin d’être animé, c’est pleinement à

231

travers ça de le mettre en action, de le mettre en créativité, de permettre que les deux

partagent quelque chose. Comme je suis sûre que les personnes qui font de

l’occupationnel ne font pas juste de l’occupationnel.

Mais en même temps, je me rappelle de la cabane qu’elle a décorée avec les pochoirs.

C’est parfait, tout est parfait, y a pas de coulissure, etc. Ça parle aussi de son besoin

que… alors que tout son monde est en train de s’écrouler, ça parle aussi de son besoin

de sécurité.

En somme, les membres du groupe de pairs ne voient pas de contradiction entre l’art-thérapie

et le fait de réaliser des productions visuelles qui se rapprochent du bricolage pour « faire

joli ». Car à travers toutes ces activités, la personne se met en action et sollicite sa créativité,

ce qui a en soi une valeur « thérapeutique ». D’autant plus que chaque action créatrice porte

en elle une symbolique qui agit autant au niveau psychique qu’au plan de la relation.

5.2.6 À retenir de l’expérience

L’apport du groupe de pairs est également de porter un regard critique sur l’intervention

réalisée pour en extraire les éléments qui inspireront d’autres interventions du même ordre.

Parmi ces éléments, il y a tout ce qui est relatif au cadre. Les pairs nomment d’abord le fait

qu’une rencontre encadrée ou dirigée par une intervenante instaure un moment où

l’expression artistique est centrale sans être remise en question.

Et quand ils nommaient des choses, la dame qui passait ses journées à faire des mots

croisés et je pense que ça déprimait monsieur de voir sa femme comme ça, et quand

ils allaient dans l’art, elle commençait à être plus elle-même, elle était plus vivante.

Mais il avait de la difficulté à ce que ça continue durant la semaine. Contrairement

à d’autres couples. Mais à ton arrivée, ils étaient capables. Alors ils avaient besoin

de ce cadre-là, de cette permission.

Mais le cadre se traduit aussi par la fréquence et la durée des rencontres. Un consensus semble

se dégager à l’effet que les dix rencontres prévues au protocole sont insuffisantes. Des pairs

évoquent même qu’elles pourraient ne pas suffire à la création du lien de confiance nécessaire

à l’engagement authentique des couples dans la démarche. Elles suggèrent que les démarches

devraient durer au moins une quinzaine de séances et idéalement, que le service devrait être

rendu tant et aussi longtemps que les couples en expriment le besoin et bénéficient de

l’intervention. De la même façon, la durée des séances devrait être déterminée en fonction

des capacités des partenaires. L’expérience a permis de voir que dans certains cas, 90 minutes

était une durée optimale pour permettre aux personnes de prendre le temps requis pour leur

232

création et pour profiter pleinement des échanges qui suivaient. Pour d’autres couples,

l’heure prévue au protocole était suffisante.

Puis, l’expérience a permis d’identifier les outils les plus pertinents pour ce type de démarche.

D’un point de vue critique, il semble que le fait d’aborder directement les sujets tabous dans

les couples est un outil d’intervention auquel nous n’avons pas eu recours suffisamment alors

que, dans certains cas comme avec le deuxième couple, il aurait été pertinent de le faire

davantage. Les membres du groupe de pairs constatent aussi que l’utilisation du journal de

bord par certains couples les a menés plus loin dans leurs partages mais reconnaissent que

l’écriture n’est pas un mode d’expression privilégié par tout le monde, dans le cas présent

par des aînés. Cela s’explique peut-être par le fait que certains d’entre eux sont moins

scolarisés. Nous retenons également que toute la démarche a permis de créer des outils

d’intervention art-thérapeutiques s’adressant à des dyades adultes. Lorsque nous avons

partagé notre impression de ne pas avoir développé assez d’outils, une membre du groupe

nous a répondu ceci :

C’est sûr que tu pourrais te faire une liste d’outils. Ce que j’ai compris, c’est que tu

y allais avec ce que tu ressentais. Moi de plus en plus, en art-thérapie, je dis pas aux

gens quoi faire, c’est eux qui vont choisir quoi faire. Mais là c’est nouveau aussi pour

eux, t’avais pas trop le choix de proposer des choses. Mais plus tu vas faire de

rencontres, si t’avais fait 20 rencontres, tu pourrais les laisser plus autonomes. Là vu

que c’était nouveau pour eux, c’était dirigé. Pis l’objectif c’était de permettre une

discussion entre eux, qu’ils puissent entrer en relation entre eux. Tout dépend de

l’objectif que tu as aussi.

Finalement, il y a tout ce qui est relié au travail avec l’image. Les membres du groupe de

pairs ont apprécié tout le travail d’adaptation des outils art-thérapeutiques qui a été réalisé,

en particulier les activités qui interpellaient les deux partenaires sur un même projet.

Je trouvais ça génial de travailler en dyade. Ça leur permettait de trouver des façons

d’être ensemble et de se respecter. Tout le travail que t’as suggéré de faire ensemble,

je trouvais que c’était très puissant.

On questionne aussi la façon de mettre les images au service du travail d’intervention. Alors

que quelques couples ont mentionné qu’ils auraient apprécié avoir du feedback de

l’intervenante sur le sens de leurs créations, cette dernière a préféré ne pas influencer leur

processus en leur partageant sa propre lecture des images. Or, une membre du groupe de pairs

233

évoque sa propre expérience pour suggérer que nos interprétations intuitives du sens des

images créées peuvent être utilisées dans les interventions :

Mettons que tu voyais des images, des fois, ces images nous parlent beaucoup et ça

faisait une résonnance avec quelque chose en nous, des fois on l’exprime pour voir si

ça fait du sens pour la personne.

Nous avons échangé sur la pertinence de discuter des images après leur création mais

également sur la façon de travailler avec elles. Un consensus se dégage à l’effet qu’il est

pertinent de recourir à l’image au-delà du processus de création. Par exemple, lorsqu’on

demande « Si cette image pouvait parler, qu’est-ce qu’elle dirait? », c’est une façon de

travailler avec l’image.

Les motivations à la source des choix de médiums ou d’activités proposées ont également

fait l’objet d’une discussion avec les pairs. Une membre du groupe fait référence à son

expérience lors de laquelle elle choisissait des activités artisanales en fonction de la

symbolique qu’elles pouvaient représenter. Par exemple :

Les gens disaient qu’ils savaient pas quoi faire ni comment faire. Alors on proposait

l’artisanat comme façon de rentrer. Mais des fois, il y avait des affaires, comme par

exemple, de tricoter, il y avait quelque chose de pertinent dans le fait de tricoter pour

leur bébé et ils pouvaient au moins faire quelque chose pour le bébé. Mais il y avait

aussi tricoter une maille à la fois, comme une journée à la fois. Il y avait aussi le

cordon, pis le toucher, il y avait comme plusieurs choses à travers l’artisanat qui

étaient reliées à ce que je voulais aborder avec eux.

En résumé, le groupe de pairs reprend à son compte plusieurs des éléments du bilan réalisé

par les couples, notamment le grand niveau de satisfaction et les impacts positifs de

l’intervention sur le couple mais également sur les individus. Il soulève par ailleurs des

questions fort pertinentes concernant l’intervention et des orientations à lui donner.

Finalement, par leur sensibilité et leur expertise, les membres du groupe de pairs amènent

une profondeur à l’analyse des données qui sera élaborée au chapitre suivant. Mais

précédemment, l’expérience de notre point de vue est présentée.

5.3 L’expérience de l’intervenante-chercheure

La plupart des observations et des réflexions qui ont émergé de notre expérience étaient

intégrées à même les comptes-rendus des séances réalisées avec les couples. Un journal de

bord a aussi été tenu et a permis de colliger des impressions et des réflexions en lien

234

notamment avec notre posture et notre identité professionnelle. La plupart de ces éléments

se retrouvent dans le chapitre suivant puisqu'ils relèvent davantage d'une analyse des données

menée tout au long du processus. Toutefois, certaines réflexions et questions soulevées par

l’expérience sont rapportées dans les prochaines lignes.

5.3.1 Une expérience sensible

La double posture d’intervenante et de chercheure que nous avions adoptée n’a pas constitué

un frein au fait d’être touchée personnellement par l’expérience. Au contraire, à l’instar des

membres du groupe de pairs, l’expérience nous a touchée au plan humain et ce, à plusieurs

égards. Cet extrait du journal de bord rédigé dès les premières rencontres du couple 1 en

témoigne :

Je suis touchée par leur réalité mais surtout par leur capacité à nommer les choses,

à s’écouter et à vouloir en faire une expérience qui est source de vie et qui leur permet

de grandir.

Par ailleurs, la confiance accordée par les couples rencontrés et le partage de leurs plus

grandes souffrances dans l’espoir de retrouver du sens et de la joie, ont marqué cette

expérience. Les voir cheminer et constater les bienfaits de l’expression artistique sur leur

dynamique conjugale à plusieurs reprises est aussi un aspect de l’expérience qui nous a

touchée profondément.

Et je me disais à quel point je suis privilégiée d’être témoin d’un bout de la vie de

personnes parfaitement inconnues… et de contribuer, je l’espère, à mettre un peu de

douceur dans ce bout de vie plus difficile.

Considérant les particularités de chacun des couples rencontrés, l’expérience a été parsemée

de questionnements divers et a revêtu des allures distinctes selon les démarches. La principale

différence identifiée se situe au niveau de la capacité d’introspection des individus et des

couples et de son influence sur la posture que nous avons adoptée. Tout au long de ce

parcours, nous avons identifié qu’il nous était plus facile d’intervenir auprès des couples qui

ont l’habitude de se confronter et d’échanger sur leurs difficultés. Nous avons d’ailleurs écrit

dans notre journal de bord que ce contexte particulier nous donne le sentiment d’aller plus

loin avec eux. Dans le cas contraire, cela pose un défi supplémentaire qui nous mène à douter

de la pertinence de notre intervention et de nos capacités à soutenir ces couples.

235

Depuis la semaine dernière, ces mots me reviennent sans cesse : « Il y a plus d’un

chemin ». Je constate qu’il m’est facile de voir le chemin avec le couple 1 mais pas

avec le couple 2. Ce qui est intéressant cependant, c’est que je sais qu’il y a un chemin

pour le couple 2. Mais j’avoue avoir douté de ma capacité à le trouver. J’ai peur que

le couple 2 se retire du projet… pas pour le retrait mais parce que ça voudra dire

que je n’aurai pas trouvé leur chemin.

Cette dernière réflexion traduit une limite rencontrée qui rappelle que l’art-thérapie n’offre

pas nécessairement une réponse à tous les contextes. Nous aurons l’occasion de revenir sur

ce point au chapitre suivant.

5.3.2 Une expérience source de connaissances

Il a été noté à quelques reprises tout au long de l’expérience que ce contact privilégié dans le

quotidien de couples confrontés à la maladie d’Alzheimer nous a permis de développer une

compréhension plus intime de cette situation. Par exemple, nous avons pris conscience du

sentiment de solitude voire même de rejet que peuvent ressentir les personnes atteintes

lorsque la maladie en est aux premiers stades, comme le mentionne le participant du premier

couple rencontré :

Monsieur parle de l’absence de soutien psychologique pour lui, qui est atteint. Le

couple admet que les services sont davantage orientés vers les besoins de l’aidant.

Monsieur croit que les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer sont traitées

comme si elles étaient folles ou déficientes intellectuellement : « on est fou et on peut

pas nous sortir ». Une grande souffrance est associée à ce constat.

Par ailleurs, tout le rapport à la mémoire nous est apparu complexifié par une meilleure

compréhension de l’impact de la maladie sur la personne atteinte. En réalité, ce qui vient

d’être énoncé entraîne cette conséquence décrite ici :

La mémoire fluctue. Cette semaine, celui qui avait de la difficulté la semaine dernière

était tout là alors que celle pour qui ça va en général ne cessait de répéter cette

semaine. C’est imprévisible. À moins que la personne atteinte soit capable de faire

attention et que parfois, elle « baisse la garde »? En tout cas, je ne peux me fier à ça.

Ces réflexions traduisent à quel point la maladie est insidieuse et que bien des préjugés et

une méconnaissance de la situation perdurent encore dans nos communautés. L’expérience

nous a sensibilisée à la complexité de la maladie.

En ce qui concerne la situation vécue par les couples, un nouvel élément de compréhension

nous est apparu dès le départ. En fait, la lourdeur que portent les partenaires individuellement

236

est également portée par le couple et prend la forme d’une danse, une triste danse, avec

laquelle les partenaires tentent de continuer de faire valser leur couple. Porter cette lourdeur

pour la personne atteinte est difficile; il l’est tout autant, mais autrement, pour l’aidant. Mais

ce qui s’ajoute dans le portrait, c’est le besoin pour chaque personne de préserver l’autre de

cette lourdeur portée au quotidien. Et puis, une autre couche s’ajoute : ne pas porter la

lourdeur de l’autre; puis une autre : ne pas lui faire porter la nôtre. Bref, il nous a semblé à

un moment que tout cela ajoutait de la lourdeur à la situation déjà insoutenable. C’est sans

doute ce qui nous a incitée à intervenir sur ce sujet à quelques moments avec certains couples.

5.3.3 D’abord art-thérapeute ou travailleuse sociale?

Un sentiment qui s’est installé avec force tout au long de ce parcours est celui d’être

intervenue d’abord en tant qu’art-thérapeute. La travailleuse sociale agissait, mais plutôt en

arrière-plan, un peu comme si elle était la toile de fond. Cette phrase captée dans notre journal

de bord résume comment nous nous sommes sentie privilégiée de disposer de cet outil qu’est

l’expression artistique pour permettre aux couples de répondre à leurs attentes : « Tout passe

avec l’art. Tout se dit, tout se vit. ». En effet, il nous a été donné d’observer dans cette

expérience que l’expression artistique facilite grandement le travail d’introspection,

l’expression des émotions, etc. Mais nous avons été à même de constater que l’expression

artistique pouvait également œuvrer à améliorer la relation entre deux personnes. Ces autres

mots écrits dans notre journal de bord confirment cette vision : « En jasant, on tourne autour.

En créant, on construit. ».

Toutefois, ce n’est pas magique et en dépit de ce facteur facilitant, nous avons rencontré des

défis importants. Et puis, l’art-thérapeute a ressenti parfois le manque d’outils, comme en

témoigne cette phrase énoncée lors de la rencontre avec le groupe de pairs :

Je suis restée avec l’impression que ça aurait pu être développé davantage. Il y a

encore de la place pour l’invention, pour trouver d’autres propositions.

Comme nous l’avons mentionné d’entrée de jeu dans cette partie, la travailleuse sociale a

assuré la trame de fond mais aussi la fondation de l’intervention. Ses valeurs

d’autodétermination et de justice, son humanisme qui s’est traduit par son écoute et son

empathie, sa préoccupation pour le système – le couple, sa conscience d’en faire partie et

237

donc de l’influencer, sa connaissance des ressources et des outils et son aisance à les partager

sont les principaux apports de cette posture.

5.3.4 Des questionnements

Ce parcours a fait émerger trois grandes questions. La première touche à l’importance relative

de l’approche par rapport à celle de la relation qui s’est établie entre les couples et nous-

mêmes.

Je vois le sourire des personnes quand j’arrive et je le ressens comme vrai. Est-ce

que la relation est plus déterminante que l’art-thérapie? La littérature dirait que oui.

Mais comment départager ce qui appartient à l’art-thérapie de ce qui appartient

strictement à la relation?

Il s'agit d'une question complexe qui n’était pas posée au préalable dans le cadre de cette

thèse mais qui est tout à fait pertinente. Elle nous invite à la prudence en n’attribuant pas tous

les bienfaits de l’intervention à l’art-thérapie.

Une autre question soulevée par les réflexions de l’intervenante-chercheure porte sur la cible

de l’intervention. Dès le départ, elle a été établie comme étant le couple et sa dynamique

relationnelle. Or, l’expérience nous a menée à prendre également en considération les

individus et leurs propres besoins. Cette question a été formulée ainsi dans le journal de bord :

Je continue d’être touchée par les personnes qui se sont engagées dans une relation

conjugale et qui demeurent engagées encore. La quête d’équilibre entre ses besoins

personnels et ceux du couple se poursuit en dépit des années. Ceci est un défi aussi

dans l’intervention en dyade : tenir compte à la fois des réalités intimes personnelles

et nourrir la relation. Les besoins sont parfois contradictoires. Comment l’art peut-

il favoriser la réponse à ces besoins, rallier les deux voies, réunifier les êtres tout en

respectant leur individualité, leur unicité?

Finalement, le journal de bord révèle une dernière grande question qui rejoint l’histoire de

l’art-thérapie. Où est-ce que l’intervention réalisée avec ces couples se situe-t-elle sur le

continuum entre Art as Therapy et la thérapie par l’art? Et la réponse variait en fonction des

couples et même, à l’intérieur d’une démarche avec un seul couple. Cette question aussi sera

abordée dans la discussion des résultats.

En somme, ce chapitre qui constitue le cœur de la thèse traduit sous différents regards

l’expérience qui a été vécue. Dans une perspective plus intimiste, les couples ayant bénéficié

de l’intervention ont partagé leur expérience. D’un point de vue expert mais aussi extérieur

238

au sujet de l’étude, un groupe de pairs a partagé sa compréhension de l’expérience.

Finalement, par notre posture d’intervenante mais également de chercheure, nous avons porté

un regard à la fois intimiste et externe sur l’expérience.

Au croisement de tous ces regards se dégage une compréhension sensible et élargie de

l’intervention psychosociale en art-thérapie réalisée auprès des cinq couples participants.

Cette compréhension est traduite au chapitre suivant. Par ailleurs, cette lecture soulève des

questions auxquelles le prochain chapitre tentera également d’apporter des éléments de

réponse.

239

Donner une signification engendre toujours

un déplacement; le sens est étonnement

avant que d’être discours.

Éric Gagnon

CHAPITRE 6 : DISCUSSION

En faisant un pas de recul face à l’expérience vécue et rapportée au chapitre précédent, ce

chapitre en propose des clés de compréhension et ouvre sur quelques pistes de réflexion à

poursuivre.

Dans un premier temps, la discussion reprend chacun des trois buts de la recherche réalisée

et rassemble les éléments qui permettent de répondre à ces grands questionnements. Ainsi,

la première partie de ce chapitre revient sur l’intervention en tant que telle pour en extraire

les enseignements de l’expérience pour la pratique. La seconde partie se penche plus

spécifiquement sur l’expérience vécue. Il y sera alors question des impacts de cette dernière

sur les participants et d’une réflexion sur la portée de l’expression artistique dans ce type

d’intervention. Puis, le regard se tourne ensuite vers l’identité professionnelle qui s’est

dessinée au carrefour de nos deux identités : le travail social et l’art-thérapie.

Dans un deuxième temps, ce chapitre présente, de façon plus générale, les retombées de la

recherche pour l’intervention auprès des couples âgés mais également pour les personnes

atteintes de la maladie d’Alzheimer, pour les proches aidants et pour les dyades adultes en

général. La recherche nous amène aussi sur des pistes intéressantes à développer pour de

futurs projets de recherche, notamment quant à la parenté entre l’art-thérapie et d’autres

perspectives théoriques.

Finalement, l’inventaire des limites et des forces de la recherche conclut ce chapitre.

240

6.1 Premier but de la recherche : Concevoir et documenter une intervention en art-

thérapie auprès de couples dont l’un des partenaires est atteint de la maladie

d’Alzheimer

Le premier but de la recherche était de concevoir et de documenter une intervention en art-

thérapie auprès de la population ciblée par l’étude. Le caractère inédit de cette expérience

justifiait à lui seul sa pertinence. Inspirée de la littérature en art-thérapie et de l’état des

connaissances sur l’intervention auprès des couples, l’intervention conçue et proposée aux

couples participants s’inscrivait notamment dans une perspective systémique, constructiviste

et gestaltiste, en adoptant l’approche par le processus en art-thérapie.

Ainsi, la démarche conçue et décrite en détails au chapitre trois, menée auprès de cinq couples

confrontés à la maladie d’Alzheimer, nous renseigne sur différents aspects de ce type

d’intervention à prendre en compte. Ces aspects sont d’abord présentés, suivis des défis qui

ont été rencontrés et dont il faudra tenir compte à l’avenir. Finalement, nous avons déduit des

informations recueillies l’essentiel de ce qu’il faut retenir de cette expérience pour la pratique

de l’intervention psychosociale en art-thérapie auprès des couples confrontés à la maladie

d’Alzheimer.

6.1.1 L’intervention psychosociale en art-thérapie

L’intervention s’est déroulée sensiblement telle que prévue. Certains ajustements ont été

apportés en cours de route. Ceux-ci sont décrits dans les prochaines lignes.

La rencontre préparatoire

La rencontre préparatoire à la démarche a permis, tel que prévu, d’établir le lien de confiance,

de clarifier le rôle de l’intervenante-chercheure et de préciser les attentes des participants.

Évidemment, le lien de confiance ne se construit pas en une seule séance, mais cette rencontre

préparatoire a toutefois permis de jeter les bases d’une relation où les participants pouvaient

déjà se sentir à l’aise. Les pairs ont souligné que le lien de confiance n’a pas toujours pu être

créé en une seule rencontre, ce qui, pour elles, semble normal et habituel.

Nous en retenons cependant que ce lien de confiance est fondamental dans toute relation

d’aide, mais en particulier dans le contexte étudié. Tout d’abord, le défi pour les personnes

âgées de créer nécessite un espace qui leur permette d’être à l’abri de tout jugement (Hof,

2011). Ensuite, l’intervention auprès d’un couple exige de l’intervenant une capacité à créer

241

un lien de confiance avec les deux personnes et à le maintenir en dépit des conflits qui éclatent

lors des séances ou des tentatives d’alliances avec l’intervenant entreprises par l’une ou

l’autre des parties (Gottlieb, 1996, cité dans Bouchard, 2008).

Par ailleurs, il se dégage de la littérature un fort consensus à l’effet que la qualité de la relation

entre l’intervenant et la ou les personnes qu’il accompagne est la condition la plus

déterminante de l’issue positive de la relation d’aide (Lecompte, Drouin, Savard et Guillon,

2004).

Ainsi, à l’instar des pairs, nous réaffirmons l’importance d’accorder du temps au

développement de ce lien de confiance et reconnaissons que cela puisse prendre un certain

temps. L’expérience suggère néanmoins que cette rencontre préparatoire pourrait, dans

certains cas, contribuer à la mise en place du lien de confiance.

La population ciblée

Nous avons évoqué précédemment que l’un des couples participants (couple 3) présentait un

profil quelque peu différent des autres parce que l’évolution de la maladie chez monsieur

faisait en sorte qu’il ne se souvenait plus avoir déjà été marié.

Lors de la rencontre avec le groupe de pairs, certaines d’entre elles ont mentionné que ce

couple ne pouvait pas bénéficier de l’intervention au même titre que les autres à cause de

l’état de la personne atteinte. La conjointe du participant a également remis en question la

pertinence de leur participation au projet car elle n’en voyait pas les bienfaits pour son

partenaire.

Nos observations divergent de ces positions. En effet, à l’instar d’une membre du groupe de

pairs qui a plutôt perçu que l’intervention avait stimulé monsieur et l’avait disposé ensuite à

être en relation, nous avons observé que l’intervention avait eu un impact sur la relation

conjugale à certains égards, notamment sur la capacité de monsieur à exprimer ses limites.

Le déroulement des séances

Les séances se sont déroulées selon la séquence en trois temps qui était envisagée au départ.

Il s’est avéré tout au long de l’expérience que chaque couple établissait ses propres routines,

ce qu’en art-thérapie nous appelons des rituels. Ce sont des gestes ou des paroles qui

marquent le passage entre le moment qui précède ou qui suit l’intervention et celui où l’on

242

entre dans le processus (Duchastel, 2005; Gérin et Plante, 2010). Dans ce cas-ci, nous

suggérons que les différents rituels instaurés par les participants venaient introduire ou

boucler la séance. Par exemple, le couple formé par François et Thérèse a ritualisé l’arrivée

et le départ de manière à avoir chacun un moment seul avec nous, à l’extérieur de la maison

et donc, symboliquement, du lieu de l’intervention où ils se retrouvaient en tant que couple.

Ce scénario a été repris de manière sensiblement similaire par le couple formé de Marie et

Daniel et par celui de Jacqueline et Gérald. Dans ces deux cas, c’est la personne atteinte de

la maladie, soit Marie et Gérald, qui venait nous accueillir à l’extérieur de la maison dès notre

arrivée. Il est intéressant de noter cette dimension de « dans » et « hors » de l’espace où

l’intervention a lieu. Les couples qui ont utilisé le journal de bord le plaçaient sur la table de

travail avant notre arrivée et amorçaient la rencontre par la lecture de ce qu’ils y avaient écrit

depuis la dernière séance. D’autres rituels, ceux-là davantage associés au processus de

création, se sont aussi installés. Rappelons-nous le temps de contemplation des livres d’art

au début des séances avec Jocelyn et Martine. Ou encore toutes ces fois où Colette nous a

offert un café, marquant des pauses dans ses créations. En somme, il y a la séquence que nous

avons installée, comme une ossature autour de laquelle les conjoints sont venus greffer, en

réponse à leurs besoins, un peu de chair, donnant ainsi une couleur particulière, leur couleur,

à ce moment où l’intervention a lieu. Il nous apparaît que ces rituels, très souvent élaborés

par les participants, sont partie prenante de l’intervention et demandent à l’intervenante de

les détecter pour leur donner toute la place qu’ils requièrent. Hof (2008) ajoute que ces rituels

instaurés par les participants contribuent au sentiment de sécurité nécessaire à la création et

à la confidence.

Le cadre de l’intervention

Des circonstances ont fait en sorte que le cadre de l’intervention n’a pas été respecté

intégralement. Tout d’abord, certaines démarches se concluant pendant la saison estivale,

des rencontres ont été rapprochées pour éviter qu’une trop grande distance soit vécue entre

des séances en raison des vacances estivales et d’absences prolongées des participants ou de

l’intervenante-chercheure. Mais plus important encore, pour certains couples, la durée

prévue des séances n’a pas toujours été respectée. Nous sommes consciente des enjeux

cliniques et pratiques liés au respect du cadre d’une intervention.

243

Dans un contexte institutionnel ou de pratique privée, il n’est pas possible de déroger du

temps prévu pour une intervention. De plus, les règles établies au départ entre l’intervenante

et les personnes qu’elle accompagne encadrent le lien de confiance et facilitent la

concentration sur les objectifs à atteindre. Toutefois, il s’est avéré que 60 minutes pour

permettre à deux personnes de s’exprimer à la fois par la parole et par les médiums artistiques

peuvent être nettement insuffisantes lorsque ces personnes ont une facilité à s’exprimer et

que la situation qu’elles rencontrent est très chargée émotivement ou encore lorsqu’elles ont

une certaine lenteur à le faire ou qu’elles y trouvent un apaisement qu’elles souhaitent

prolonger. De fait, nous étions dans un contexte qui nous permettait de prolonger le temps

de présence et d’écoute. Nous étions également sensibles aux besoins exprimés et il nous est

apparu qu’il aurait été parfois inapproprié de mettre un terme aux séances, brimant ainsi

l’expression de ce qui avait besoin d’être exprimé. De plus, la curiosité nous a poussée à

savoir combien de temps il faudrait idéalement consacrer à ces rencontres pour aller au bout

des choses tout en prenant le temps. Dans ce sens, un consensus entre les différentes sources

d’informations se dégage à l’effet que les rencontres devraient durer entre 60 et 90 minutes.

L’approche

Les démarches qui ont été réalisées reflètent en grande partie la présence dominante de

l’approche par le processus qui est utilisée en art-thérapie et qui a été mise en œuvre dans le

projet. Le lecteur se souviendra que l’approche par le processus adopte comme point de

départ ce qui est présent dans l’instant présent pour la personne, sa gestalt. Par la suite, elle

suggère des activités d’expression artistique dont le but est d’élaborer des réponses à cette

gestalt, identifiée par la personne ou le couple ou encore perçue par l’intervenante. Cette

approche tient alors compte de ce qui est produit et de la façon dont ça l’est pour suggérer

une autre étape, favorisant ainsi la poursuite du processus. Elle prévoit également de boucler

un processus en favorisant son intégration par l’expression artistique ou la parole.

À travers les propos des couples qui ont été recueillis lors des rencontres post-intervention et

dans le journal de bord, les échanges du groupe de pairs et nos observations, l’expérience a

démontré que l’approche par le processus est tout à fait appropriée dans un contexte

d’intervention avec une dyade adulte. La présence des deux personnes n’empêche pas

244

l’intervenant de les accompagner dans un processus qui peut se vivre à une échelle

individuelle ou dyadique.

Par exemple, au début de la troisième séance avec François et Thérèse, cette dernière exprime

ressentir de la culpabilité lors des conflits avec son conjoint. Nous lui suggérons d’exprimer

par les médiums artistiques comment elle se sent dans ces situations. Une première œuvre

reproduit les émotions difficiles ressenties lors d’un conflit avec François. À notre demande,

Thérèse identifie un aspect de son œuvre qu’elle associe à davantage de bien-être et l’isole

pour lui redonner une valeur plus importante, au sein d’une nouvelle œuvre (figure 6). Une

fois de plus, elle se reconnecte aux sensations physiques ressenties pour prendre conscience

qu’elle se sent mieux.

Alors que l’on pourrait questionner la possibilité d’appliquer l’approche par le processus avec

des personnes atteintes de troubles cognitifs, notamment à cause de leur difficulté à suivre le

fil de leurs pensées, l’expérience a démontré qu’il peut en être autrement. Cet exemple vécu

par Marie permet de le constater. Lors de la septième rencontre, elle illustre un chemin qu’elle

perçoit comme étant lumineux et évoque les nombreux ronds qu’elle y a dessinés. Ce

symbole revient de manière récurrente dans ses productions. Elle lui associe le sentiment de

« tourner en rond ». De manière autonome, Marie a choisi de dessiner des cercles ouverts

afin d’expérimenter l’ouverture et de se donner une orientation.

Il nous a aussi été donné d’observer que l’approche par le processus peut s’appliquer à une

dyade. Cet exemple nous permet de saisir comment. À la troisième séance, Gérald évoque sa

grande fatigue et ses limites physiques qui se font de plus en plus importantes. Dans une

activité d’expression artistique, il reproduit un souvenir où il est en bateau (figure 72). Il

s’identifie au personnage qui y est installé dans un équilibre précaire. Nous lui demandons

de quoi le personnage a besoin pour être en meilleur équilibre, ce à quoi il répond

« l’ancrage » et qu’il traduit par un ajout de pâte à modeler aux pieds du personnage et la

création d’une ancre. Suite à sa réponse par l’art, nous lui demandons de faire un lien entre

sa production et sa situation actuelle. Cette dernière intervention amène Gérald à prendre

conscience que sa conjointe représente l’ancrage dont il a besoin dans sa vie. Il le lui exprime

par un geste affectueux, qu’elle accueille en silence. Afin d’amener le processus plus loin, il

aurait été intéressant de demander à Jacqueline comment elle recevait ce geste.

245

L’intervention étudiée nous révèle par ailleurs la pertinence d’adopter certaines attitudes,

dont le non-jugement et la promotion de la liberté. Selon les propos recueillis parmi les pairs

ainsi qu’auprès des couples participants, ce sont ces attitudes qui ont particulièrement

favorisé la confiance que les participants ont développée en nous mais également dans leur

propre processus de création et de transformation. Cette hypothèse est renchérie par les

propos de Rogers, cité dans Chambon et Marie-Cardine (1999), à l’effet qu’une attitude

d’accueil inconditionnel de l’intervenant est l’un des fondements d’une relation de confiance

dans laquelle la personne accepte de s’ouvrir et de partager sa vulnérabilité.

Par ailleurs, la plupart des participants ont mentionné avoir ressenti l’absence d’une

quelconque forme de pression à la performance et être détachés du besoin de plaire. Or, il

semble que cette pleine liberté ressentie, exempte de tout désir de performance, associée

également à la possibilité de s’exprimer à son rythme, soient des conditions favorisant la

créativité (Gérin et Plante, 2010).

Un autre aspect de l’approche par le processus qui a été mis en œuvre dans l’intervention

étudiée concerne la posture non-interprétative que nous avons adoptée en dépit des attentes

exprimées par certains participants. Des divergences de points de vue ressortent des propos

recueillis. Les pairs ont proposé de nuancer cette posture. Par exemple, une membre a suggéré

que dans un tel contexte, l’intervenant soit à l’écoute de ses interprétations intuitives et qu’il

les partage aux couples accompagnés. D’autres art-thérapeutes suggèrent de limiter les

interprétations afin de préserver un espace ludique où la créativité peut s’exprimer librement

(Plante, 2005; Proulx, 2003).

Une autre caractéristique de notre approche est la place réservée au silence, lors des activités

créatrices mais aussi au moment des échanges. Ces silences sont apparus comme étant

salutaires car ils permettaient le recueillement nécessaire à l’accueil de soi et de l’autre, et la

prise de contact avec ses propres émotions et sensations. Hétu (1990) confirme cette

explication lorsqu’il parle des silences d’intégration qui ont pour effet, chez l’individu qui le

pratique, d’être « présent à ce qu’il vient d’exprimer, ou aux échanges qui viennent de

survenir entre son aidant et lui. Il réfléchit sur tout cela, tentant de voir ce que ça lui fait et ce

que ça lui dit. » (p. 169). C’est ce qui s’est passé lors de la deuxième séance avec François et

Thérèse alors que, pendant l’exercice du triple mandala, chacun s’affairait silencieusement à

246

sa partie du dessin. Thérèse a pris conscience qu’elle avait besoin de son espace à elle. Le

silence de François et sa concentration sur sa tâche traduisaient son besoin d’espace à lui

aussi.

À différents moments, nous avons adopté un rôle d’éducation, en particulier pour informer

le conjoint aidant des impacts de la maladie sur son ou sa partenaire. Selon Sorensen et ses

collaborateurs (2008), il s’agit d’une des stratégies à mettre en œuvre dans une intervention

qui s’adresse aux dyades devant faire face à la maladie d’Alzheimer. Ce rôle a été endossé

aussi à quelques reprises pour soutenir les participants dans le maniement du matériel d’art.

Il fait partie du travail de l’art-thérapeute et assure un climat de confiance dans lequel la

personne s’abandonne pour créer (Plante, 2005). D’autres techniques ont été déployées tout

au long de la démarche.

Les techniques employées et les outils développés

La plupart des techniques utilisées réfèrent directement au travail art-thérapeutique car elles

visaient à favoriser la créativité ou à faciliter le processus de création. C’est le cas notamment

lorsque nous avons proposé à Colette d’utiliser comme modèle son collier à l’effigie d’un

hibou pour ajouter cette forme à son dessin. C’est le cas aussi quand nous avons suggéré à

Marie d’amorcer spontanément une œuvre alors qu’elle était figée face au support vierge.

Ces techniques sont couramment utilisées par les art-thérapeutes.

Dans un autre ordre d’idée, plusieurs techniques ont été mises de l’avant pour enrichir le

travail avec l’image réalisée : mettre un dessin en valeur en le collant sur un carton de couleur

(figure 30); demander « En quoi votre œuvre parle de vous? » (figures 56 et 57) ou encore

« Si cette œuvre pouvait parler… » (figure 78); demander à la personne où elle aimerait se

situer dans son œuvre (figure 82). Toutes ces techniques ont pour but de faciliter l’exploration

de l’œuvre et la découverte du sens qu’elle porte pour la personne qui l’a réalisée. Elles sont

également connues et pratiquées fréquemment en art-thérapie.

Par ailleurs, d’autres techniques relevant davantage de l’intervention psychosociale ont aussi

été mises de l’avant. Le reflet est sans doute la plus récurrente dans toutes les démarches

réalisées. Hétu (2014) le définit comme une « Intervention par laquelle l’aidant traduit et

communique dans ses propres mots le sentiment qu’il croit avoir perçu chez l’aidé,

généralement l’émotion qui est dominante, parfois celle qui est sous-jacente. » (p. 32). En

247

effet, nous avons reflété aux conjoints les sentiments exprimés parfois par les mots, souvent

par les images. Les reflets que nous avons faits ont notamment servi à valider les conjoints

dans ce qu’ils disaient ressentir.

Il est marquant également de constater l’importance du soutien que nous avons exercé envers

les couples tout au long des démarches qui ont été conduites. Il s’est traduit par exemple par

le reflet des forces, des capacités et des efforts déployés par les couples pour retrouver un

équilibre. Notre soutien s’est exprimé à travers l’empathie et le respect dont nous avons fait

preuve envers les participants, deux attitudes qui contribuent à mettre les personnes en

confiance (Drolet et Dubois, 2011; Hétu, 2014). Nous proposons qu’il a aussi servi de levier

à une créativité exprimée dans la liberté et la confiance.

La confrontation est une autre technique d’intervention qui a été utilisée tout au long des

démarches réalisées. C’est parfois par l’image créée qu’elle survient, car l’image a cette

capacité de surprendre. Par exemple, lorsque Thérèse transforme son collage sur son histoire

de vie personnelle (figure 18), elle prend conscience que ces événements l’ont forgée. La

confrontation incite à modifier sa conception d’une situation. Les systémiciens parlent de

recadrage, cette technique qui consiste à amener la personne accompagnée à appréhender une

situation dans un autre cadre pour en saisir un sens nouveau ou pour la vivre sous un autre

registre émotionnel (Watzlawick, 1981, cité dans Parratte, 2008). L’intervenant a parfois

recours à l’image, la métaphore, le symbole, bref, à l’imaginaire pour opérer le recadrage

(Parratte, 2008).

Il nous est apparu évident également, à la relecture des expériences relatées, que le modeling

a marqué l’intervention. C’est Thérèse la première qui nous a pistée sur la présence de cette

technique lorsqu’elle mentionne, dans son journal de bord : « J’observe ta façon de faire avec

François et cela m’aide à être « meilleure » ». Le modeling ne s’est pas fait uniquement

envers l’aidant mais également envers l’aidé, comme dans cet exemple où nous avons pris le

temps de remercier Jacqueline qui rapportait le texte tant cherché par son conjoint. Suite à

cela, Gérald s’est interrompu et l’a remerciée à son tour. Nous avons observé aussi que le

conjoint aidant pouvait exercer du modeling avec son ou sa partenaire. Par exemple, Jocelyn

a mimé ce que Martine faisait avec certains médiums à quelques reprises tout au long de la

démarche. Les pairs n’ont pas relevé cette dimension de l’intervention. Proulx (2003) et

248

Plante (2005) n’ont pas non plus souligné cette dimension de l’intervention dans leurs travaux

en dépit du fait qu’ils ont travaillé auprès de dyades parents-enfants. Toutefois, cela

correspond aux principes de l’approche systémique qui reconnaît le caractère actif de

l’intervenant au sein du système dans lequel il intervient (Côté, 2008). Nous proposons qu’il

n’est pas nécessaire de le nommer pour que ce rôle ait un impact, au contraire. L’intervenant

ne doit pas se positionner comme étant un « modèle à suivre » pour ne pas imposer une façon

de faire unique. Mais il doit être conscient de jouer ce rôle et être sensible à l’impact de sa

présence afin d’appuyer sur certains éléments dans son rapport aux individus et à la dyade.

Il serait intéressant d’approfondir les connaissances pour déterminer les modalités favorables

à un modeling optimal : à quelles conditions il s’installe, ce qui favorise son développement

tout au long d’un processus d’intervention, comment consolider les changements apportés,

etc.

Finalement, le journal de bord, un outil d’intervention reconnu en travail social et en

recherche évaluative (Turcotte et Tard, 2000) a aussi été exploité pendant les démarches

réalisées auprès des couples. La consigne donnée aux couples dès la rencontre préparatoire

était qu’ils pouvaient inscrire dans un cahier qui leur était remis tout ce qu’ils avaient envie

de nous partager, en lien avec l’expérience. Nous leur avons précisé toutefois qu’ils étaient

libres de se soumettre à l’exercice, mais que nous lirions le contenu de leur journal de bord.

Un seul cahier était remis à chaque couple, dans la perspective de recueillir leurs impressions

communes. Cependant, les partenaires qui ont écrit dans le journal de bord l’ont fait

individuellement, l’un à la suite de l’autre. Seuls les couples un et cinq se sont prêtés à

l’exercice. Bien que nous n’ayons pas demandé aux autres pourquoi ils ne l’avaient pas

utilisé, nous supposons que Colette et Jean n’avaient pas une aisance suffisante avec un mode

d’expression écrit pour avoir recours à l’outil. Pour ce qui est des couples trois et quatre, nous

suggérons que le stade de la maladie entraînait des problèmes importants à l’écrit pour Marie

et Jocelyn. Cet outil n’était donc pas adapté à leur situation. Ce sont toutefois des hypothèses

qu’il faudrait vérifier.

Thérèse et François ont abondamment utilisé le journal de bord pour faire des bilans

hebdomadaires de leurs états d’âme et des impacts observés de l’intervention. Même chose

pour Jacqueline et Gérald, qui y ont exprimé également leurs limites. Le contenu du journal

249

de bord était lu à chaque semaine en début de séance. Dans les deux cas, il était déjà déposé

sur la table de travail, comme s’il nous y attendait patiemment. Le contenu nous permettait

de faire le pont avec la séance précédente et de nous annoncer les enjeux dont il serait

question dans la séance courante. Gérald a demandé à plusieurs reprises de nous le lire à voix

haute. Nous proposons que cela a eu un effet mnésique qui lui permettait de garder le fil

d’une séance à l’autre, en plus de le rendre fier de sa capacité à s’exprimer de manière

poétique. Thérèse et François ont exprimé avoir apprécié disposer de cet outil pour faire le

point. Selon les propos recueillis auprès des couples et des pairs, l’outil du journal de bord

est à conserver pour d’autres interventions de ce type et ce, pour différentes raisons. Il semble

par exemple qu’un tel outil permette aux partenaires de partager leur vécu avec plus de

profondeur. Nous avons apprécié avoir les informations qu’il nous permettait d’obtenir. Les

pairs soulignent néanmoins qu’un outil qui recourt à un mode écrit ne convient pas à tout le

monde. Dans ce sens, il serait intéressant de réfléchir à d’autres modes permettant aux

couples de s’exprimer entre les séances. Un mode oral, par enregistrement numérique ou sur

une boîte vocale, pourrait être envisagé. Un cahier aux pages blanches inciterait peut-être

aussi les partenaires à continuer de s’exprimer en images.

Ce retour sur l’intervention qui a été menée nous enseigne comment reproduire l’expérience

de manière plus efficace et satisfaisante. Mais avant de souligner les conclusions à en tirer,

un détour par un compte-rendu des défis rencontrés s’avère pertinent.

6.1.2 Les défis rencontrés

L’intervention proposée visait à soutenir les couples face à la maladie de l’un des partenaires.

La cible était donc l’union conjugale. Mais le couple étant composé de deux personnes

distinctes, nous devions créer un lien de confiance avec ces deux personnes. Or, leurs enjeux

personnels se confrontaient parfois, nous amenant à prendre position sans prendre parti. Par

exemple, dans le cas du couple 2, Colette niait sa maladie alors que Jean portait seul une

charge émotive associée à sa situation de conjoint aidant. Il nous fallait naviguer délicatement

entre une position d’ouverture créant l’espace pour que Jean puisse vivre et exprimer ses

émotions face à la maladie de sa conjointe tout en ne dépassant pas les limites imposées par

Colette ni nuire à l’établissement du fragile lien de confiance que nous construisions avec

250

elle. Cette situation complexe avec ce couple était accentuée par le tabou entourant la maladie

d’Alzheimer, sorte de loi du silence prescrite par Colette.

Le tabou a pris une autre forme lorsque Martine nous parlait de son conjoint et de sa maladie

à mots couverts, devant lui. Selon notre compréhension, Martine agissait ainsi pour préserver

son conjoint des inquiétudes liées à l’avenir qu’elle appréhendait elle-même. En n’ouvrant

pas la discussion devant Jocelyn, nous nous sommes faites complice de cette loi du silence.

C’est le seul couple avec qui la situation s’est produite mais il y a fort à parier qu’au volume,

il s’agit d’une situation qui risquerait de se présenter à quelques reprises. Il nous apparaît

qu’une réflexion et une préparation à intervenir autrement dans ce contexte s’impose. Des

pistes de solutions sont d’ailleurs proposées dans la prochaine section.

Comme nous l’avons mentionné auparavant, d’autres couples ont instauré des rituels créant

des moments où nous étions seule avec l’un des partenaires. C’était le cas avec les couples

1, 4 et 5, alors que la personne atteinte venait à notre rencontre à l’extérieur de la maison

avant ou après les séances. Ces moments permettaient des confidences faites en dehors de la

triade, comme s’il s’agissait d’une parenthèse. Il semble toutefois que cela était accepté par

le partenaire qui demeurait dans la maison ou qui nous accompagnait à l’occasion. Il n’est

pas arrivé que des confidences risquant de trahir le lien de confiance avec le conjoint absent

nous soient faites. Mais tout comme pour le contexte relaté précédemment, une réflexion

s’impose afin de déterminer une façon d’intervenir adéquate en pareille circonstance.

Certains couples nous ont placée face à un autre défi, celui qui se présente lorsque l’aidant

s’implique peu dans les activités artistiques, comme dans le cas de Jean, ou encore qu’il

adopte une posture d’animation de son conjoint, comme Martine l’a fait à quelques reprises.

Le noble objectif plus ou moins avoué de ces conjoints aidants était de stimuler leur

partenaire, de le mettre en action afin de susciter son engagement actif dans des activités et,

ultimement, de ralentir l’évolution de la maladie. Conséquemment, Jean a adopté une posture

de retrait en dépit de nos nombreuses invitations et sollicitations auxquelles se sont ajoutées

celles de Colette. Martine était portée par ce même désir, mais à l’opposé de Jean, elle a agi

en imposant un rythme à Jocelyn, exprimant ses attentes de le voir se mobiliser efficacement

autour d’un projet de création. Ce contexte a d’abord été vécu et perçu comme étant un

obstacle à l’atteinte de nos objectifs. Dans le premier cas, nous avions davantage le sentiment

251

d’intervenir auprès de Colette en présence de son conjoint. Toutefois, à quelques reprises,

nous avons senti l’impact du travail accompli avec elle sur le regard que lui portait son

conjoint. De la fierté et de la reconnaissance de l’effort investi sont apparues dans son regard

et se sont traduites par des paroles d’encouragement ou d’appréciation des créations de

Colette. Ainsi, nous suggérons que le couple a bénéficié, par ricochet, de l’intervention où

Colette a été plus directement touchée. Dans le cas de Martine et Jocelyn, nous avons plutôt

senti que Martine intervenait auprès de Jocelyn en notre présence. C’est une façon

caricaturale de le présenter, bien entendu, pour illustrer le paradoxe de ces deux postures

adoptées par les conjoints aidants. Nos interventions ont cherché à amener Martine à ajuster

son rythme à celui de son partenaire, tout en la ramenant à sa propre expérience. Il y a eu

quelques instants où cela a pu être observé. Par exemple, lors de la septième séance où chaque

conjoint a décoré un masque miniature. À ce moment, une bulle distincte s’est installée et

Martine s’est concentrée sur son œuvre, sans se préoccuper de ce que faisait Jocelyn, qui

s’est investi tout autant dans sa création. En levant les yeux, elle a été surprise de constater

la beauté qui rayonnait du masque peint par son conjoint. Ou encore cet instant où Jocelyn a

exprimé une limite à Martine en lui faisant comprendre qu’il avait besoin de temps et de

concentration pour faire sa correction de peinture sur la cabane d’oiseaux. Ce sont des

histoires où chaque personne a pu, distinctement, expérimenter une nouvelle façon d’être

dans son couple. Dans ce sens, l’obstacle est devenu un levier pour s’adresser autrement à la

dynamique conjugale.

La maladie d’Alzheimer étant un trouble cognitif qui évolue de manière peu prévisible et qui

ne se manifeste pas de façon homogène chez les personnes atteintes, nous avons dû nous

adapter à chaque couple. Dans certains cas, il était aisé d’échanger avec le conjoint atteint

alors que dans d’autres cas, c’était plus difficile. Et la même personne pouvait se présenter

sous un jour nouveau d’une semaine à l’autre, de manière tout à fait imprévisible. Cela nous

demandait une très grande capacité d’adaptation et d’écoute et une connaissance de la

maladie d’Alzheimer.

Finalement, l’art-thérapie ayant recours à l’expression artistique, les troubles visuels associés

à la maladie auraient pu représenter des défis ou même des limites importantes. Nous y avons

été confrontée avec François qui avait un problème de vision et avec Marie, qui était aux

252

prises avec un trouble de la perception visuelle. Tous deux ont pu créer en dépit de cette

limite. François s’est adapté en accueillant cette limite sans s’y opposer ou y voir une

frontière insurmontable. Pour Marie, l’expression artistique a d’abord été confrontante

puisqu’elle lui a fait prendre conscience des limites imposées par la maladie mais plutôt que

d’abandonner l’idée de créer, elle a développé un autre mode d’expression, adoptant un style

plus abstrait et impressionniste.

Les défis ainsi rencontrés ont soulevé des questions pour lesquelles une réflexion s’impose

afin d’améliorer la prestation des interventions auprès de ces couples. Ces questions et

plusieurs autres sont décrites dans la partie qui suit et qui résume ce que nous retenons de

l’expérience en regard de l’intervention psychosociale en art-thérapie auprès des couples dont

l’un des partenaires est atteint de la maladie d’Alzheimer.

6.1.3 Recommandations et suggestions

Cette première partie ne nous révèle pas encore les impacts de l’intervention réalisée.

Toutefois, des enseignements émergent déjà quant à ce qu’il faut retenir en regard d’une

intervention de ce type.

Tout d’abord, il semble qu’une approche empreinte de souplesse, d’ouverture et de grande

liberté, exempte de tout jugement, soit favorable à l’établissement d’un lien de confiance qui

constitue le terreau dans lequel peut s’établir un espace de créativité et de rencontre.

Nous retenons aussi l’importance de soutenir les couples qui font face à la maladie

d’Alzheimer le plus rapidement possible dès l’annonce du diagnostic et même avant. Parce

qu’en tout premier lieu, la personne qui apprend être atteinte de cette maladie vit un choc qui

peut perturber de manière considérable son équilibre psychique et son intégrité. Elle a besoin

d’un accompagnement pour mieux comprendre ce qui lui arrive, pour exprimer ce qu’elle

ressent face à la situation et pour identifier des stratégies d’adaptation, en commençant par

l’acceptation de la maladie. Il nous a semblé plus facile d’intervenir auprès des personnes qui

étaient encore en mesure d’exprimer relativement clairement leur vécu et d’exposer avec

lucidité leur monde intérieur. Cela permet aussi aux partenaires d’échanger sur leur

perception de l’avenir et d’envisager ouvertement différents scénarios. Il nous a semblé que

cela allégeait considérablement aussi le poids porté par le conjoint aidant.

253

Quant au cadre, l’expérience nous amène à recommander que 90 minutes soient prévues pour

les séances. Un rythme hebdomadaire semble satisfaisant, mais idéalement, la démarche

devrait être maintenue tant que le couple en exprime le besoin et tire profit de l’intervention.

Néanmoins, si nous devions déterminer une limite temporelle aux démarches, nous

suggérons qu’au moins une douzaine de rencontres soient offertes, tout en proposant la

possibilité d’ajouter un certain nombre de rencontres lorsque la situation l’exige. Nous

retenons également la recommandation de François à l’effet d’offrir un suivi permettant aux

couples de préserver leurs acquis.

Nous avons apprécié travailler au domicile des couples et croyons qu’il s’agit d’une option

fort intéressante à considérer, pour toutes les raisons que nous avons évoquées plus haut dans

le texte. Les rejoindre sur leur terrain, symboliquement, est une façon de leur faire toute la

place, de considérer leur histoire et de leur donner des occasions de se retrouver dans leur

univers, autrement qu’à travers la maladie. C’est une approche déjà adoptée par bien des

travailleurs sociaux (Collins et al., 2013) et nous croyons que les art-thérapeutes gagneraient

également à adopter cette pratique dans certains cas, notamment lorsque l’intervention

s’adresse à un couple ou à une famille.

De plus, nous recommandons de continuer d’offrir aux couples une façon d’exprimer leur

vécu entre les séances en mettant à leur disposition diverses modalités permettant de recueillir

leurs propos, que ce soit par écrit, en images ou à l’oral. À la lumière de l’expérience et des

propos tenus par les couples qui ont eu recours au journal de bord, nous maintenons l’idée

que les partenaires ne disposent que d’un seul et même support. Cette recommandation

s’inscrit en cohérence avec la cible de l’intervention qui est le couple. Cet outil constitue en

quelque sorte la continuité de l’espace partagé de recherche d’équilibre qui se développe au

fil de la démarche d’intervention, un lieu de communication ouvert où s’expriment et

s’entendent les vécus personnels et conjugaux des partenaires. Il demeure également

pertinent pour l’intervenant de s’y référer en début de séance afin de suivre le cheminement

vécu par le couple entre les rencontres. Il faut toutefois considérer que le conjoint aidant

puisse être investi d’un rôle de rappel à son ou sa partenaire de faire l’exercice entre les

séances. Dans ce sens, il revient à l’intervenant de juger de la pertinence et de l’application

pratique du journal de bord en fonction des particularités de chaque couple qu’il accompagne.

254

Cela nous amène à une dernière recommandation. Certains des défis énoncés précédemment

nous invitent à clarifier, dès la première séance avec le couple, le but de l’intervention et les

limites de notre rôle. Nous retenons la proposition issue du groupe de pairs de faire une

rencontre individuellement avec chaque conjoint avant l’amorce de la démarche auprès du

couple. Cette rencontre leur permettrait d’exprimer leurs attentes, et pour l’intervenant,

d’évaluer leurs besoins individuels et de les référer, si nécessaire, à une ressource spécifique.

Certains auteurs le recommandent (Sabourin, Lorange, Wright, Lefebvre et Poitras-Wright,

2012). Lors de cette rencontre, il pourrait être nommé au conjoint aidant que les échanges

devant la personne atteinte de la maladie peuvent l’affecter même si elle n’en démontre pas

de signe apparent et qu’en conséquence, nous éviterons de parler d’elle en sa présence. Par

ailleurs, cette rencontre serait également une occasion de déterminer d’un mode de

communication avec le conjoint aidant, pour qu’il puisse nous transmettre des informations

qu’il juge pertinentes sur l’évolution de la maladie de son ou sa partenaire, sans avoir à le

faire devant lui ou elle. Toutefois, l’intervenant devra faire preuve de vigilance et de rigueur

à maintenir le cadre afin que cela ne devienne pas une intervention qui se réalise en parallèle

de la démarche conduite avec le couple. Dans ce sens, d’autres expériences pourront

contribuer à déterminer un mode opérationnel efficace et respectueux des règles éthiques

pour faire face à ce défi de l’intervention conjugale en contexte de maladie d’Alzheimer.

En somme, l’intervention psychosociale en art-thérapie auprès de couples confrontés à la

maladie d’Alzheimer est éclairée de ces derniers constats. Une nouvelle expérimentation qui

tiendrait compte de ces recommandations serait souhaitable, afin de parfaire l’intervention

offerte à cette population.

La prochaine partie de ce dernier chapitre tourne le regard sur l’expérience vécue par les

couples participants et sur les effets de l’intervention sur eux.

6.2 Deuxième but de la recherche : Comprendre ce que vivent les couples confrontés à

la maladie d’Alzheimer lorsqu’ils bénéficient d’une intervention psychosociale en

art-thérapie.

Le deuxième objectif de la recherche était de saisir, dans une perspective phénoménologique,

l’expérience des couples qui ont bénéficié de l’intervention à l’étude. Dans un premier temps,

nous tenterons de résumer l’expérience de chaque couple en en faisant ressortir les éléments

marquants. Ensuite, les effets observés de l’intervention sur les couples participants seront

255

présentés. Finalement, notre compréhension de l’intervention sera présentée sous l’angle des

relations qui ont été observées au cours de l’expérience (les relations des individus face à

eux-mêmes, les relations entre les conjoints, celles entre le couple et la maladie et, pour finir,

les relations entre nous, les couples et leurs créations) et de la fonction médiatrice de

l’expression artistique au cœur de celles-ci.

6.2.1 L’expérience vécue par les couples

Constats généraux

Tout d’abord, notons que l’expérience a généralement été très appréciée par les couples

participants et ce, pour diverses raisons. Les personnes qui ont bénéficié de l’intervention

nous ont rapporté y avoir vécu du plaisir et avoir fait des découvertes aussi diversifiées que

surprenantes. Ces propos rejoignent nos observations et celles des membres du groupe de

pairs. Rappelons que les constats de l’intervention sont influencés par la diversité des

conditions dans lesquelles les couples participants ont entrepris leur démarche : l’état de la

maladie chez la personne atteinte, le niveau de fatigue du conjoint aidant, la capacité

d’introspection des participants, leurs dynamiques relationnelles, etc. Conséquemment, ce

résumé des effets de l’intervention spécifiquement à chaque couple s’avère pertinent pour

entreprendre la suite de la réflexion et tirer ensuite de l’expérience des conclusions plus

générales.

François et Thérèse : Faire face ensemble ou nous ne sommes plus un couple (couple 1)

Le premier couple ayant bénéficié de l’intervention a su en tirer profit particulièrement en ce

qui a trait à leurs capacités à gérer leurs conflits induits par les changements liés à la maladie

d’Alzheimer. Il a été rapporté par le couple que le nombre et l’intensité des conflits rencontrés

au quotidien ont diminué. Le couple s’est approprié des outils de gestion de ces conflits et a

accru sa compréhension des dynamiques communicationnelles qui leur sont inhérentes. Puis,

Thérèse et François ont développé une compréhension mutuelle de leur vécu de sorte qu’ils

ont pu faire preuve d’empathie et de patience l’un envers l’autre. Ils ont également appris à

nommer leurs besoins, tout en respectant ceux de leur partenaire. Par ailleurs, François et

Thérèse ont nourri l’espoir de préserver leur union conjugale et, conséquemment, leur

confiance dans leurs capacités à faire face conjointement à la situation. Ce long parcours les

a amenés à réaffirmer leur engagement et leur désir de poursuivre la route ensemble, tout en

256

acceptant le couple qu’ils forment, un couple dont les fondements sont l’authenticité, la

complicité et la profondeur.

Les activités artistiques proposées au couple lui ont permis de trouver un certain apaisement,

de mettre son quotidien et sa lourdeur entre parenthèses pour s’accorder un temps de repos,

de légèreté, de plaisir et de calme. Cette énergie transformée a été salutaire, car elle aura

permis un changement de perspective favorisé par une saine distance établie entre les

conjoints et la situation. Le couple envisage avec moins d’anticipation le futur, tout en vivant

son quotidien avec plus de présence positive.

Colette et Jean : Se réfugier dans le présent (couple 2)

Ce qui distingue le deuxième couple ayant bénéficié de l’intervention est sans doute le fait

que la maladie d’Alzheimer et les difficultés qui lui sont reliées demeurent des sujets

relativement tabous entre les partenaires. Et bien que Jean dispose d’un espace pour exprimer

ce qu’il ressent face à la situation, ce n’est pas un sujet qu’il aborde avec sa conjointe.

Le couple n’a pas rapporté de changement significatif dans sa relation suite à l’intervention.

Toutefois, lors de la rencontre post-intervention, Jean mentionne qu’il vit moins de conflits

avec Colette au quotidien. Nous avons également observé que le couple a pu partager des

moments de plaisir à travers les activités réalisées. Cependant, Jean a adopté un rôle de

soutien et d’observateur davantage qu’un rôle de participant lors des rencontres.

Pour ce couple, la création artistique a joué un rôle plutôt occupationnel, offrant à Colette la

possibilité de s’investir dans des activités stimulantes, lui procurant du plaisir et un sentiment

de fierté. Quant à Jean, il a apprécié disposer d’un plus large éventail d’activités à proposer

à sa conjointe pour occuper son temps. Mais la création n’a pas permis, ou très peu, d’aborder

la situation, d’exprimer des émotions ou d’accompagner des deuils.

Martine et Jocelyn : Notre relation au-delà du couple (couple 3)

Les manifestations de la maladie d’Alzheimer chez Jocelyn ont soulevé plusieurs questions

quant à l’acceptation du couple dans le projet de recherche. D’une part, il présentait une

vivacité d’esprit, une présence et un intérêt pour certaines activités artistiques. Les premières

rencontres nous ont d’ailleurs permis d’observer qu’il démontrait un intérêt et les capacités

257

de s’engager dans un processus de création. D’autre part, Jocelyn ne reconnaissant plus avoir

été marié et ne pouvant plus identifier Martine comme étant sa conjointe, il était légitime de

questionner le potentiel du couple à s’investir dans la démarche. Finalement, Martine

présentait des signes importants d’épuisement et nommait ressentir une lourdeur associée à

son rôle d’aidante. En dépit de ces préoccupations, et le couple ne s’exposant pas à davantage

de risques que les autres couples participants, il s’avérait pertinent de lui offrir la possibilité

de bénéficier d’une intervention où les conjoints pouvaient partager des moments agréables

tout en nous permettant d’accroître la diversité des contextes conjugaux étudiés.

L’expérience avec ce couple nous a permis de constater que la création artistique offre une

occasion d’avoir du plaisir et de partager avec l’autre sur divers champs d’intérêts. De plus,

l’activité artistique a été dans ce cas-ci un outil privilégié de stimulation de la personne

atteinte de trouble cognitif. Le groupe de pairs souligne d’ailleurs cet apport spécifique

qu’ont permis les livres d’art suggérés à Jocelyn en début de séance, le disposant ensuite à

créer et éveillant ses capacités à être en relation.

Cependant, il existe un écart important entre nos observations et les conclusions auxquelles

la conjointe aidante est arrivée. En effet, à une occasion pendant la démarche ainsi que lors

de la rencontre post-intervention, elle a nommé sa déception quant à l’absence d’amélioration

constatée chez son conjoint. Elle semble également ne pas avoir su tirer profit des activités

réalisées conjointement, sentant que son conjoint ne s’investissait pas comme elle l’aurait

souhaité.

Marie et Daniel : Complices et solidaires jusqu’au bout! (couple 4)

Ce qui caractérise ce couple est sans nul doute le jeune âge des deux conjoints. Dans la jeune

soixantaine, Marie est atteinte de la maladie d’Alzheimer depuis déjà quelques années et son

conjoint, à peine plus vieux, a aussi des problèmes de santé.

Le couple fait face à des conflits mais semble déjà outillé pour les appréhender. La

communication est ouverte et les sujets délicats sont abordés de front. Le couple est fort aussi

d’une thérapie conjugale et familiale réalisée alors que les enfants étaient plus jeunes.

Néanmoins, les toutes premières rencontres ont permis d’identifier quelques défis

relationnels. En effet, leur rythme étant très différent, leur communication est en quête d’un

258

équilibre dans lequel chacun trouvera son espace et se sentira écouté par l’autre. La

réalisation des premières activités artistiques mettra en lumière ces dynamiques qui sont

parfois source d’insatisfaction pour les partenaires.

Les résultats observés et confirmés par les propos du couple laissent entrevoir une

transformation de leur mode relationnel. Daniel est davantage à l’écoute de sa conjointe qui

prend conscience des limites imposées par la maladie mais exprime aussi une sensibilité au

vécu de ce dernier. Les activités réalisées conjointement, et les échanges qui en suivent, font

place à une plus grande complicité et à l’expression d’une empathie mutuelle. Le groupe de

pairs souligne également la transformation d’un mode communicationnel où monsieur prend

d’abord beaucoup de place pour en laisser, peu à peu, à sa conjointe. Au fil des rencontres,

les partenaires prennent conscience que la maladie et leurs différences ne font pas obstacle à

leur relation. L’expérience leur permet de renommer les fondements de leur union et la valeur

qu’elle a dans leur vie. Les conjoints expriment par ailleurs vivre beaucoup de plaisir lors des

rencontres et projettent de continuer à se donner des temps de création en couple et en famille.

Jacqueline et Gérald : Toi et moi, moi et toi (couple 5)

L’histoire de ce couple a été tumultueuse et beaucoup d’irritants inhérents à la relation sont

encore présents. À ce portrait s’est ajoutée la maladie d’Alzheimer.

L’expérience, qui a été fort appréciée par le couple, a permis aux conjoints d’exprimer leurs

émotions liées aux multiples deuils auxquels la situation les expose. La place qu’a prise

l’expression artistique tout au long de la démarche a été pour eux une grande source de

satisfaction. Elle rejoignait la passion nourrie par Gérald depuis de nombreuses années et a

offert à Jacqueline l’occasion de prendre toute la mesure de ce que l’expression artistique

pouvait représenter pour son conjoint tout en en retirant des bienfaits pour elle-même.

En dépit du fait que l’intervention n’ait pas permis, selon Jacqueline, d’atteindre un meilleur

niveau de communication dans leur couple, elle a toutefois entraîné une plus grande

souplesse dans leurs dynamiques relationnelles. Et cela fait écho au désir exprimé par les

conjoints d’assouplir leurs contacts. Ils ont été à même de constater que ce désir demeure

présent et que leur engagement se vit dans le quotidien, un quotidien où chacun tente de

répondre à ses propres besoins tout en étant sensible à ceux de l’autre.

259

Ce résumé des cheminements réalisés par les couples ayant participé à la recherche présente

sous un angle singulier les impacts de l’expérience étudiée sur leur relation. Une plongée

dans tout le matériel recueilli nous permet maintenant de mieux saisir l’expérience vécue par

l’ensemble des couples participants.

6.2.2 Les effets de l’intervention psychosociale en art-thérapie sur les couples

participants

L’analyse par questionnement analytique (Paillé et Mucchielli, 2012) des données recueillies

nous a menée à identifier plusieurs effets de l’intervention sur les couples participants. Il

importe de préciser que tous ces effets n’ont pas nécessairement été observés chez tous les

couples rencontrés mais que nous les considérons suffisamment importants pour avancer

qu’ils ont le potentiel d’être observés à nouveau dans le cadre d’une intervention similaire.

Nous prétendons d’abord que le simple fait d’avoir proposé à ces couples une intervention,

peu importe la forme qu’elle ait pu prendre, a eu un premier effet positif sur leur situation,

qui est celui de briser leur isolement. À cet égard, nous rappelons au lecteur que, tel que nous

l’évoquions au premier chapitre, les couples ne sont généralement pas accueillis ni soutenus

dans leurs difficultés en tant que couples lorsqu’ils doivent composer avec la maladie

d’Alzheimer. On offre des services à la personne qui est atteinte, principalement seulement

lorsque son autonomie est affectée. Au début de la maladie, les personnes atteintes sont peu

soutenues pour vivre le tsunami causé par l’annonce du diagnostic. Quant au conjoint aidant,

il ne reçoit aucun accompagnement dans sa transition au rôle d’aidant. Il se voit offrir du

répit par le biais de séjours de la personne atteinte dans des ressources d’hébergement

temporaire ou encore de participer à des groupes d’entraide une fois son parcours d’aidant

bien entamé. Cela répond à un besoin et soutient essentiellement le conjoint aidant.

Cependant, au quotidien, le couple doit composer avec les aléas très souvent imprévisibles

de la maladie, se rendre disponible pour les rendez-vous médicaux qui se multiplient et,

puisqu’il ne veut pas tout perdre, tenter de maintenir une relation satisfaisante et stimulante

alors que ses repères s’étiolent. À cela s’ajoute un sentiment d’isolement et

d’incompréhension de l’entourage. L’une des premières paroles de Thérèse prononcée lors

de la rencontre préparatoire, validée par François, a été de nous dire à quel point ils

appréciaient ne plus se sentir seuls face à la maladie grâce à la perspective des rencontres qui

260

leur ont été proposées. Cela constitue-t-il un biais? Selon ces propos, on pourrait avancer que

peu importe le type d’intervention offert, les résultats seraient positifs, à certains égards du

moins puisque le seul fait d’offrir une présence bienveillante et soutenante répondait déjà à

un besoin du couple. C’est une donnée intéressante qu’il nous semble important de retenir

car elle traduit le besoin indéniable de ce couple – et peut-être de bien d’autres – de bénéficier

d’un soutien professionnel. Elle complexifie également la lecture des données, qui visent à

identifier ce que les couples vivent lorsqu’ils bénéficient spécifiquement d’une intervention

psychosociale en art-thérapie, réalisée à leur domicile sur une période de temps donnée.

Incidemment, l’analyse des données nous amène à traduire cette expérience à travers huit

grands thèmes que nous présentons sous la forme des fonctions que nous attribuons à

l’expression artistique dans le contexte d’une intervention psychosociale en art-thérapie :

ludique, apaisante, expressive, émancipatrice, stimulante, révélatrice, identitaire et

transformatrice. Nous ne prétendons pas que l’expression artistique a rempli en tout temps

toutes ces fonctions pour tous les participants, mais les résultats de la recherche nous

suggèrent que lorsqu’elle est pratiquée dans un contexte d’intervention psychosociale en art-

thérapie, l’expression artistique peut jouer ces différents rôles. Aussi, afin d’éviter toute

confusion, nous précisons que lorsque nous évoquons le concept d’expression artistique dans

les prochaines lignes, nous englobons tout son processus qui part de la mise en action, passe

par l’objet ou l’image créée et inclut également ce que la personne qui a créé et celle qui

contemple l’œuvre en disent. Il importe également d’ajouter que ce processus peut mener à

ces effets dans la mesure où il est encadré par une démarche d’intervention psychosociale en

art-thérapie, donc qu’il n’émerge généralement pas de lui-même, sans l’accompagnement

d’un intervenant formé également en art-thérapie.

La fonction ludique

L’expression artistique nous amène d’abord dans une zone ludique où le plaisir est ressenti.

Tous les couples en ont fait mention. Cette analyse est également partagée par les pairs et par

nos observations. Les rires et les sourires échangés avec tous les couples pendant les moments

de création en font foi. L’effet de surprise inhérent à la création artistique procure du plaisir

à la personne qui se laisse surprendre. Dès la première rencontre, François évoque cet état de

fait. Alors qu’il gribouillait avec sa conjointe, un personnage est apparu. François a exprimé

261

avoir eu du plaisir à partir de ce moment. Daniel était surpris, amusé et satisfait de

s’apercevoir que les œuvres créées avec sa conjointe reflétaient leur histoire et leur

personnalité. Jocelyn est sorti de son inertie pour faire des blagues, nous taquiner avec le

pinceau et créer des personnages souriants. L’humour était au rendez-vous à de nombreuses

reprises lors des séances. Dans ses mots, « s’amuser tout en étant sérieux », François nous

rappelle que le célèbre psychiatre D. Winnicott (2002) évoquait le jeu d’un enfant comme un

acte sérieux et profond de vitalité.

Aussi, à l’instar de plusieurs chercheurs et praticiens art-thérapeutes, il est possible d’affirmer

que le plaisir et l’esprit ludique que procure l’activité artistique font partie du processus

d’intervention en art-thérapie et contribuent à disposer les partenaires dans un esprit

d’ouverture et de créativité (Duchastel, 2005; Hof, 2008; Lairez-Sosiewicz, 2004; Plante,

2005; Proulx, 2003).

Le courant de la psychologie positive, né au début du présent millénaire, a identifié le plaisir

comme étant l’un des trois principaux aspects de l’expérience humaine positive (Seligman,

2000, cité dans Lambert, 2010). Dans ce sens, Lambert (2010) rappelle que l’art-thérapeute

doit avoir la préoccupation constante de mettre en place les conditions qui permettent à la

personne accompagnée d’avoir du plaisir, de jouer et de retrouver en elle ces sensations

agréables.

La fonction apaisante

Dans l’expérience étudiée, il a été rapporté par les couples et confirmé par le groupe de pairs

et par nos observations que le calme et l’apaisement se sont installés au fil des séances et

qu’ils ont procuré des bienfaits aux couples. Les activités artistiques offrent une parenthèse

dans un quotidien lourdement chargé, un espace transitoire exempt de compétition et

d’attentes. Les conjoints expriment avoir ainsi l’occasion de se retrouver comme avant la

maladie et de disposer d’un moment pour se parler d’autre chose que de la maladie ou de ce

qui l’entoure. L’ambiance en est allégée.

Le pouvoir apaisant de l’expression artistique se traduit également dans le lâcher-prise qu’il

favorise et dans l’invitation qu’il fait à la personne qui crée d’habiter pleinement le moment

présent. Ce moment est alors investi positivement, ce qui dégage la personne de la tension

liée à l’appréhension du futur qui est assombri par la maladie. Tel que le suggèrent certains

262

couples (1, 4 et 5) et les pairs, cette capacité à être dans le moment présent peut ensuite être

transposée dans le quotidien et devenir une stratégie adoptée par les conjoints aidants pour

réduire leur anxiété. Jacqueline exprime clairement l’impact majeur que cela représente dans

sa vie lorsqu’elle évoque que l’anticipation du futur « brouillait » son quotidien et que le fait

de vivre des activités qui la ramènent dans son présent la rend plus vigilante à se centrer sur

son quotidien et non sur des pensées qui envisagent le pire. Cette perspective rejoint les idées

développées par le courant prônant les vertus de la méditation de la pleine conscience

(Williams, Mark, Teasdale, Segal Zindel et Kabat-Zinn, 2007). Le troisième courant de la

TCC évoque aussi l’effet positif d’une « plus grande flexibilité attentionnelle [qui] permet de

prendre du recul et d’observer ses pensées afin de se libérer de leur emprise et d’être en

mesure d’agir selon nos valeurs. » (Dionne, Ngô et Blais, 2013, p. 120).

L’expression artistique fait du bien aussi par le calme et la détente qu’elle inspire et qui

semble perdurer dans le temps. À ce propos, Thérèse nous confie mieux dormir lorsqu’elle a

créé dans la journée. À plusieurs reprises tout au long des démarches il nous a été donné

d’observer un apaisement s’installer chez les conjoints, des moments de silence, un ton de

voix plus doux, des soupirs de détente, etc.

Nous proposons que cela s’explique notamment par le fait que la création artistique, qu’elle

soit réalisée seule ou en couple, s’est déroulée très souvent en silence. Cet espace transitoire

permet le recul et le contact avec soi-même. Nous suggérons qu’il constitue en quelque sorte

un refuge dont il est plus facile ensuite d’émerger pour aller à la rencontre de l’autre.

Finalement, l’expression artistique fait du bien parce qu’elle permet de rêver et donc, nourrit

l’espoir que l’on puisse vivre la situation avec le même plaisir et la même légèreté ressentis

pendant l’acte créateur. Rappelons cette séance où Daniel a illustré une île de repos où il se

retrouverait avec sa conjointe. Illustrer un rêve, c’est lui donner une forme matérielle, le

rendre déjà un peu plus accessible. L’image renforcit également la perspective de sa

réalisation et permet à son auteur de s’y projeter plus efficacement (Duchastel, 2005).

La fonction expressive

Certains couples l’ont évoquée (couples 1 et 5) mais cette fonction de l’expression artistique

dans un contexte d’intervention psychosociale en art-thérapie ressort essentiellement de nos

observations et de celles du groupe de pairs. Il semble que l’expression artistique encourage

263

une prise de parole authentique, intime et personnelle. On dit à l’autre des choses que l’on ne

disait plus, ou encore on lui confie un vécu jusque-là maintenu dans l’ombre ou le secret.

Pendant la création, on exprime ses limites et ses besoins comme Jocelyn l’a fait à quelques

reprises avec sa conjointe. Parfois, c’est la gratitude qui est exprimée à travers l’image créée,

comme ce cœur dessiné par François au centre du triple mandala qu’il a réalisé avec Thérèse.

Pour lui, ce symbole disait beaucoup plus que ce que ses mots ne pouvaient traduire.

De plus, l’expression artistique est un canal d’expression des émotions qui sont parfois

difficiles à circonscrire et donc à nommer, qu’elles soient positives ou plus laborieuses. Le

processus de création met la personne en contact avec elles et lui permet de les exprimer en

gestes, en couleurs, en lignes, mais aussi ensuite avec des mots. Des auteurs gestaltistes ont

confirmé ces observations (Duchastel, 2005; Hamel, 2007; Rhyne, 1990; Zinker, 1981).

Par ailleurs, certains épisodes survenus durant quelques séances nous ont menée à

l’hypothèse que la pratique artistique favorise aussi le travail du deuil. Nous attirons ici

l’attention du lecteur sur cette phrase affirmée dans toute sa spontanéité par Marie, en

complétant les mots de son conjoint : « Une âme… qui s’envole ». Il est difficile de ne pas y

voir un symbole représentant la mort, celle déjà vécue (des deuils passés) ou celle à venir.

Des art-thérapeutes ont d’ailleurs développé une pratique sur l’art-thérapie en soins palliatifs,

où le deuil est un thème central (Duflot 2016; Klein, 2010). Dans sa préface de l’ouvrage de

Duflot (2016), le Dr Larivière explique en quoi la création a une fonction expressive dans un

contexte art-thérapeutique de fin de vie : « En exprimant par la création l’intensité de ce qu’il

ressent, le malade s’ouvre au monde qui l’entoure, à ses proches mais aussi aux soignants,

aux médecins. Il peut crier sa colère, livrer son angoisse, évoquer ses symptômes. Il peut

exprimer simplement ce qu’il ne parvient pas à dire. » (p. 10-11).

La fonction émancipatrice

À travers les propos du groupe de pairs et les récits des démarches vécues par les couples,

nous avons identifié également une fonction émancipatrice à l’expression artistique dans un

contexte d’intervention psychosociale en art-thérapie en ce sens que lorsqu’elle est pratiquée

dans un contexte où la liberté de l’artiste est protégée, l’expression artistique invite à sortir

du cadre habituel des normes et des règles que la personne s’impose et auxquelles elle adhère

sans les remettre en question. Aussi, nous avons constaté, chez les conjoints aidants en

264

particulier, que l’expérience les a menés à se donner des permissions : la permission d’être

fatigué ou impatient; la permission d’être soi-même; la permission de désobéir ou de déroger

des règles contraignantes que le couple a érigées dans son quotidien ou qui sont implicitement

imposées socialement. Nous en déduisons aussi que l’expression artistique libère de la

culpabilité et des attentes irréalistes.

Ceci nous amène à la notion d’empowerment, une valeur importante en travail social, que

Carignan (2011) associe à l’approche structurelle qui est mise en œuvre en travail social.

Plusieurs auteurs se sont attardés à définir ce concept (Le Bossé, 2003; Lemay, 2009; Ninacs,

2008). L’empowerment peut se vivre sur le plan individuel, puis collectivement. Carignan

(2011) le définit comme « la façon par laquelle la personne accroît la prise en charge de son

devenir par le développement de ses habiletés, de son estime d’elle-même et de sa confiance

en soi » (p. 156). L’observation des couples et leurs propos corroborés par ceux des pairs

regorgent d’exemples de développement de confiance en soi et en ses capacités de faire face

à la situation. Les processus de création réalisés soulignent également une certaine forme de

reprise du pouvoir qu’ils ont sur leur vie, dans le contexte qu’ils rencontrent. En conséquence,

il est possible d’avancer que l’expression artistique ait pu jouer un rôle émancipateur dans le

contexte étudié.

La fonction stimulante

À l’instar du groupe de pairs, nous avons remarqué l’effet stimulateur de l’expression

artistique, en particulier sur les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Colette s’est

dite intéressée à plusieurs reprises et son investissement dans ses créations a fleuri de semaine

en semaine, la menant à prendre des initiatives et à faire des choix personnels. Mais ce constat

est davantage évident chez Jocelyn. Malgré la déception exprimée par sa conjointe, nous

avons observé que Jocelyn s’est engagé dans la plupart de ses créations, y a démontré un

intérêt grandissant et un désir de bien faire les choses. Peu à peu, il a pris des initiatives et a

repris un certain contrôle sur son processus de création vers la fin de la démarche. De plus,

nos observations sur son attitude lors de la contemplation d’images révèlent à quel point l’art

peut attirer le regard, vivifier l’imaginaire et développer la capacité d’attention. Waller

(2004) rapporte avoir observé, dans une étude randomisée avec groupes de contrôle, que

l’art-thérapie pouvait améliorer la vigilance des personnes ayant un trouble cognitif.

265

Toutefois, les propos tenus par Martine, la conjointe de Jocelyn, suggèrent que cette fonction

ne perdure pas au-delà des séances. Certains auteurs se sont déjà intéressés à cette question

et les résultats de leurs études portant sur des interventions psychosociales d’autres types

semblent confirmer cette hypothèse (Chancellor et al., 2014). D’autres recherches seront

toutefois nécessaires afin de valider ou non cette hypothèse et d’approfondir la

compréhension que l’on en a.

La fonction révélatrice

Nous avons vu que l’image ou l’objet créé dans le cadre de ce type d’intervention devient un

canal d’expression. L’expression artistique permet de parler de soi, de l’autre, de notre

relation. Mais avant tout, elle nous parle, nous informe sur ce qui nous habite, sur notre

manière d’entrer en relation avec l’autre. L’expression artistique est d’abord l’expression

subjective et intime d’une réalité qui n’est perçue réellement que par la personne qui

l’exprime par l’image (Chemama-Steiner, 2003; Lambin, 2005). Ainsi, la création permet à

la personne de se « voir », projetée sur le support. Par sa dynamique de projection, l’image

parle de la personne qui l’a créée. Les récits des démarches regorgent d’exemples de

projection personnelle dans l’image créée. C’est le cas lorsque Colette parle d’un personnage

qui n’est pas content; Daniel traduit sa conception de la vie en collant ses images de façon

aléatoire; Marie perçoit la confusion dans l’image d’une pieuvre issue d’un gribouillis. Les

pairs suggèrent que cela suscite parfois des prises de conscience puisque le message véhiculé

n’avait pas encore été porté à la conscience de son émetteur. Ainsi, l’image ou son processus

de création reflète en partie la personne qui l’a créée et ce, même lorsqu’elle croyait

reproduire l’autre. C’est ce qu’a constaté Thérèse lorsqu’elle a voulu illustrer sa perception

du cheminement de son conjoint pour se rendre compte que son œuvre représentait en fait sa

propre vie.

En ce sens, l’expression artistique joue un rôle de révélation de ce qui est fondamental pour

soi, même lorsque ce n’est pas conscient. C’est ce que vit François lorsqu’il choisit et

assemble des images représentant ses peurs et ses pertes. Il constate avec tristesse que les

pertes des personnes chères, passées ou à venir, sont sources de souffrance. Ce qui l’amène

à prendre conscience de la valeur de ces relations dans sa vie actuellement.

266

En ce qui concerne les couples, nous avons constaté que le processus de création est un

remarquable révélateur de leurs dynamiques relationnelles. Il était amusant de voir les

tentatives de Daniel pour distraire Marie lorsqu’ils faisaient un dessin à relais. Il a joué le jeu

de l’abstraction pendant un moment mais, rapidement, il a imposé son rythme et son style.

Plus tard, Marie tend d’un air inquiet sa sculpture à Daniel en le priant de lui faire attention,

rappelant par ce geste qu’il lui arrive d’abimer ce qui est précieux pour elle. Jacqueline

confirme qu’elle n’a pas apprécié partager la création d’une même image avec son conjoint;

elle y a été confrontée à ce qui cause des tensions dans leur relation.

Agissant en quelque sorte à titre d’agent de recadrage, l’expression artistique nous permet

aussi de porter un regard différent sur l’autre, adoptant une vision plus large et plus juste de

son vécu. Pour certains couples, la compréhension de la maladie gagne en profondeur

également. Pour appuyer ces propos, nous rappelons au lecteur ces paroles de Daniel,

communiquées à la toute fin du processus qu’il a vécu avec Marie :

Ça m’a permis de voir plus la situation, de voir l’effort que Marie fait. Ça m’a

sensibilisé plus. Le fait de faire des dessins ou de l’art ensemble, ça m’a

beaucoup frappé, de voir les limites à Marie, qu’elle essaie quand même, puis

qu’elle veut.

Nous avons également pu observer que cette ouverture au vécu de l’autre se vit dans les deux

sens. Tout au long de l’intervention, l’importance accordée au vécu des deux partenaires

amène aussi la personne atteinte à voir son conjoint aidant autrement et à concevoir avec plus

de lucidité la lourdeur de la situation qui repose sur ses épaules. Ainsi, l’image créée devient

un nouvel acteur qui agit dans le système en participant à la coconstruction d’une nouvelle

perception de la réalité (Mongeau, Asselin et Roy, 2013).

La fonction identitaire

L’expression d’une réalité subjective par un processus de création artistique installe une

distance entre la personne qui crée et ce qu’elle conçoit être sa réalité. Nous suggérons que

cela participe à la reconstruction de ses repères identitaires. Par exemple, le simple fait de se

donner le droit de créer, en dépit de la peur du jugement des autres, est une forme de

revendication et d’affirmation de son existence.

Le processus de création reflète aussi ce que la personne est fondamentalement, ce qu’elle

préfère, ce qu’elle déteste. Quand Jocelyn se positionne face à des œuvres d’artistes, il

267

exprime son unicité par rapport à sa conjointe ou à l’intervenante, qui ne partagent pas

nécessairement ses goûts.

Par ailleurs, il semble que la pratique artistique ait favorisé une plus grande estime de soi

personnelle. La fierté exprimée notamment par Colette le suggère. Le reflet de son conjoint

qui accorde une valeur à ses créations et les expose partout dans la maison renforcit

possiblement ce sentiment. Ainsi, nous pouvons avancer que la pratique artistique en couple

permet de mieux se connaître et d’affirmer qui nous sommes car le conjoint, par son regard

validant, confirme, rappelle et soutient le processus identitaire qui est à l’œuvre dans le

processus de création.

L’expérience a démontré que la création artistique favorise aussi le recouvrement de

souvenirs signifiants sur lesquels s’appuie la reconstruction identitaire de la personne. Dans

l’expérience étudiée, il est intéressant de constater que l’expression artistique a joué un rôle

de réminiscence. Quelques études ont d’ailleurs rapporté les impacts de la pratique artistique

sur la mémoire (Evers, 2010; Forestier, 2000). Tout au long des séances, il nous a été possible

d’observer que des souvenirs émergeaient de la création artistique et nous en retenons qu’il

y là un effet de l’activité artistique qu’il est intéressant de considérer, particulièrement dans

un contexte de trouble mnésique. Certains participants ont aussi partagé leur surprise de voir

émerger des souvenirs alors qu’ils créaient.

Ces derniers propos nous amènent à suggérer que l’expression artistique peut favoriser la

réaffirmation identitaire. Cet exemple vécu par Gérald lors de la troisième rencontre explique

comment l’expression artistique peut remplir cette fonction : Gérald représente un homme

tentant de préserver son équilibre dans une barque; cette image le ramène au souvenir de son

grand-père avec qui il allait pêcher, enfant; puis, il y perçoit sa propre vulnérabilité induite

par la maladie, tout en prenant conscience de ce qui est préservé, sa bonté et sa tendresse; il

reconnaît enfin ses attitudes chez son grand-père et intègre ainsi cet héritage laissé par un

homme qui a marqué son histoire. Les pairs appuient cette position lorsqu’ils soulignent que

les conjoints voyaient parfois leur partenaire « sous un autre jour ». Cela fait écho, dans la

littérature, au travail réalisé avec les approches narratives. Par exemple, Perry Magniant

(2004) a élaboré un outil art-thérapeutique inspiré de la révision de vie, un outil développé

par les tenants des approches narratives. Elle propose aux aînés de créer un lifebook, un livre

268

recueillant leur histoire qui reprend vie à travers des créations artistiques mais aussi des écrits.

L’auteure conclut notamment que cet outil d’intervention favorise le maintien d’un sentiment

identitaire chez la personne aînée.

La fonction transformatrice

L’analyse des récits des démarches nous mène à identifier une dernière fonction à

l’expression artistique en contexte d’intervention psychosociale en art-thérapie : la

transformation. Les démarches semblent en effet avoir entraîné chez certaines personnes un

changement de perception de leur situation. L’expérience de Thérèse avec l’image de

l’ascenseur est éloquente. L’image possède en elle-même un pouvoir de transformation

puissant notamment parce qu’elle symbolise une expérience, ce qui lui donne accès ensuite

dans toute sa globalité et permet de voir non seulement ce qui fait problème mais également

les alternatives possibles (Bachelard, 1978; Duchastel, 2005; Tanguay, 2005). Cette façon de

concevoir le rôle de l’image créée, du symbole qu’elle représente, est également éclairée par

la perspective de l’interactionnisme symbolique qui suggère que c’est à travers les

représentations qu’il partage avec son groupe d’appartenance que l’individu comprend sa

réalité. Ainsi, la production d’images traduisant l’expérience d’une personne l’amène à se

l’approprier, à la nommer autrement, avec plus de profondeur et de nuances.

Thérèse exprime par ailleurs avoir vécu une reprise de pouvoir sur la situation suite à cette

expérience. Ce sentiment entraîne nécessairement des changements sur la façon de vivre et

d’appréhender la situation mais peut également avoir un impact sur les dynamiques

relationnelles. Dans ce cas-ci, Thérèse est passée de la sympathie à l’empathie envers son

conjoint. À quelques reprises tout au long des rencontres suivantes, elle a nommé être

davantage détachée émotivement lors des situations conflictuelles avec François, ce qui lui a

permis d’accepter l’impact de la maladie sur lui sans endosser la lourde responsabilité de le

décharger de cette peine.

Le processus de création permet par ailleurs d’expérimenter de nouvelles façons d’être en

relation et de s’exprimer. L’exemple le plus éloquent est sans doute celui de Daniel, qui est

passé d’un mode d’expression figuratif et contrôlé à un mode plus abstrait et spontané. Cette

transformation a pris pour lui un sens qu’il a transposé à sa relation avec Marie et la maladie.

En se donnant la permission de créer de manière plus spontanée, Daniel a expérimenté le

269

lâcher-prise, une façon de vivre dégagée d’injonctions et d’attentes oppressives menant à une

surcharge mentale et, éventuellement, à l’épuisement. Prendre conscience de ce changement

et en explorer le sens lui ont permis d’identifier que son mode de fonctionnement était nocif

pour lui et inapproprié dans les circonstances. Expérimenter un autre mode de

fonctionnement à travers une démarche de création artistique lui a permis de s’approprier une

nouvelle façon de vivre sa situation. Cet exemple est appuyé par celui soulevé par les pairs

lorsqu’ils parlent de comment les « time out » et « time in » de Thérèse et François ont

transformé leur rapport aux conflits qu’ils rencontrent. En créant leurs images, les conjoints

y ont mis des symboles de bonne humeur et de douceur, ce qui, comme le suggèrent les pairs,

a un effet de transformation de leur attitude face à leurs conflits.

Cela conclut la présentation des effets de l’intervention étudiée sur les couples qui en ont

bénéficié. Ces dernières observations sont rassemblées dans le tableau 7 afin de permettre au

lecteur de saisir en un coup d’œil l’essentiel de nos propos.

En somme, par sa simplicité désarmante et les conditions de liberté et de confiance qu’elle

procure, l’expression artistique dans un contexte d’intervention psychosociale en art-thérapie

dispose les personnes qui la pratiquent à s’ouvrir et à se confier. Elle met en place les

conditions favorables à l’ouverture à soi et à l’autre. De plus, elle rappelle au couple, par

l’expérience, ce qu’il était avant la maladie et rend ce souvenir à nouveau vivant et accessible.

Conséquemment, l’espoir revit. Et cela fait un grand bien dans un contexte où la maladie

impose ses règles. Cette entrée dans le processus mène à un sentiment de libération ressenti

dans l’acte de création et à une reprise de pouvoir sur la situation.

Ainsi, on peut en déduire que l’intervention psychosociale en art-thérapie transforme les

modes communicationnels puisqu’elle permet, grâce au temps d’arrêt salutaire qu’elle

impose, un échange dans l’ouverture et le désir de compréhension de l’autre tout en favorisant

un discours authentique, éclairé d’un contact direct avec son monde intérieur. En ce sens, il

n’est pas surprenant d’avoir été témoin de rapprochements et d’expression d’une plus grande

complicité chez certains couples.

270

Tableau 7 Les fonctions de l’expression artistique dans une intervention psychosociale en

art-thérapie

Fonctions de l’expression artistique Manifestations

Fonction ludique Plaisir, jeu, humour, surprise

Fonction apaisante Détente, calme, apaisement, légèreté, lâcher-

prise, moment présent, silence, espoir

Fonction expressive Parole authentique et intime, expression des

émotions

Fonction émancipatrice Permissions, diminution des attentes irréalistes,

diminution du sentiment de culpabilité, reprise

du pouvoir

Fonction stimulante Intérêt, capacité d’attention, engagement,

initiatives

Fonction révélatrice Projection, prises de conscience, élargissement

des perceptions

Fonction identitaire Émergence de souvenirs, intégration de son

histoire, affirmation de soi

Fonction transformatrice Changement de regard, expérimentation de

nouvelles façons d’être en relation

Bien que ces observations et constats nous amènent déjà à mieux saisir l’expérience des

couples confrontés à la maladie d’Alzheimer lorsqu’ils bénéficient d’une intervention

psychosociale en art-thérapie, notre réflexion se poursuit. Les nombreuses relectures des

expériences vécues avec les couples participants nous amènent à proposer que l’intervention

psychosociale en art-thérapie joue un rôle de médiation des différentes relations qui sont en

jeu. Et l’expression artistique est le maître d’œuvre de ce processus. La prochaine section

s’affaire à expliquer cette dernière proposition.

6.2.3 L’intervention psychosociale en art-thérapie comme outil de médiation des

relations en jeu chez les couples dont l’un des partenaires est atteint de la maladie

d’Alzheimer

Afin d’appuyer ce constat, nous présenterons d’abord le concept de médiation. Ensuite, nous

reprendrons les différents niveaux de relations qui ont été au cœur du processus et illustrerons

en quoi l’intervention psychosociale en art-thérapie a œuvré en tant que médiatrice au cœur

de celles-ci.

271

La médiation : notion polysémique

Selon le Larousse, la médiation est une « Entremise, intervention destinée à amener un

accord. » ou encore, le « Fait de servir d'intermédiaire, en particulier dans la

communication. ». Ce dernier élément est intéressant lorsqu’on le met en lien avec notre sujet

de recherche. La racine de ce mot nous ramène à l’idée du lien, de la réconciliation mais aussi

à ce qui « agit au milieu ou sur le milieu. » (Cardinet, 1998, p. 14). Ainsi, le médiateur

s’installe au centre de polarités pour tenter un rapprochement entre elles. Comme le précise

Cardinet (1998),

Le médiateur est nécessaire en cas de trop grand écart entre les conceptions des

uns ou des autres, pour les réduire. On attend de sa présence la paix rétablie de

façon durable, le différend effacé par retournement de la compréhension de la

situation par les différents protagonistes. Sa présence même est signe de

médiation, la parole vient en second lieu, c'est en cela qu'il se distingue de

l'ambassadeur ou du négociateur commercial, ou encore du simple arbitre. Il y a

chez le médiateur quelque chose, dans sa nature, qui le différencie des autres

fonctions proches. (p. 27)

Nous en retenons que le médiateur, par sa simple présence, invite à un changement de regard

favorisant un rapprochement. Ici, il est sous-entendu que la médiation est opérée par une

personne investie de ce rôle mais nous proposons que cela puisse être transposé à l’image et

à son processus de création. Colignon (2015) nous invite cependant à nuancer ces derniers

propos : « Un dispositif de médiation n’assure pas en lui-même sa fonction; il ne suffit pas à

l’intervenant de décider d’instaurer un tel contexte d’accompagnement pour qu’il soit

opérant. […] Ce n’est pas, de ce fait, un objet individuel mais un objet identifié de part et

d’autre qui va devenir support d’échange. » (p. 20). Ainsi, l’image ne peut agir en tant que

médiatrice que dans la mesure où elle est reconnue comme telle.

Dans la pratique, depuis une vingtaine d’années au Québec, on a vu naître dans le milieu

communautaire des initiatives qui s’identifient comme étant des pratiques de médiation

culturelle ou artistique (Lafortune, 2012). Ces différentes interventions qui ont recours à l’art

« s’appuient sur des modalités d’expression et de prise de parole dans lesquelles le

phénomène artistique n’a pas pour finalité l’œuvre mais la relation : entre des personnes,

entre des personnes et des institutions. » (Caune, 2012, p. VIII). Casemajor, Dubé et

Lamoureux (2017) valident cette définition de la médiation culturelle qui intègre une

dimension politique par le biais « … de mise en relation, d’échange et de création, visant à

272

décloisonner les institutions culturelles, à créer des occasions de rencontre entre artistes et

populations, ou entre créations et publics, avec, dans certains projets, une volonté de

contribuer au changement social, selon un idéal d’émancipation et de justice sociale. » (p. 5).

L’art-thérapie fait également partie d’une constellation d’appellations qui réunissent

l’expression artistique et l’intervention thérapeutique : les thérapies médiatisées par l’art.

Dans cette perspective, la médiation représente

d’abord une fonction sociale, qui consiste à aider un individu à percevoir et à

interpréter son environnement. Le médiateur aide le sujet à en reconnaître et à en

sélectionner des caractéristiques physiques ou sociales, qui touchent directement

son expérience présente et passée. Il s’agit dans un second temps de faciliter leur

réorganisation. Les stimuli d’un environnement donné vont ainsi pouvoir

retrouver des liens et du sens pour l’individu qui les perçoit. (Colignon, 2015, p.

16)

Cette approche est utilisée pour intervenir auprès de groupes ou de collectivités mais il ne

ressort pas de la littérature que la médiation artistique soit appliquée à des réalités conjugales

ou familiales.

Par ailleurs, le concept de médiation est aussi utilisé dans des contextes de gestion des

conflits : médiation citoyenne, médiation familiale. Il semble que le Québec soit un

précurseur en matière de médiation. Par exemple, la médiation citoyenne est un outil

développé ici au tournant des années 1990 et s’étant constitué au sein d’un réseau de justice

alternative. Elle consiste en un accompagnement de citoyens et de citoyennes rencontrant des

conflits et cherchant à les résoudre par le dialogue (Équijustice, n.d.). La médiation familiale

est un outil s’adressant spécifiquement aux familles et dont la pratique est encadrée et

légiférée. Seule une personne accréditée en tant que médiatrice familiale peut offrir ce service

qui consiste en un soutien aux parents qui se séparent dans le but de leur permettre de

négocier une entente viable et équitable quant à l’organisation des soins aux enfants suite à

la rupture (De Dinechin, 2016).

Dans les dernières années, nous avons vu aussi se développer des projets de justice réparatrice

en matière de lutte contre la maltraitance envers les aînés. Par exemple, Groh et Linden

(2011) ont évalué un projet qui s’adresse aux personnes âgées qui ont vécu un abus de la part

d’une personne en qui elles avaient confiance. Ils soulignent notamment la sensibilisation de

la communauté aux diverses sources d’abus auxquelles sont exposés les aînés et la place qui

273

leur est accordée dans la résolution de ces situations. Néanmoins, les auteurs déplorent le peu

d’études réalisées sur de telles initiatives.

Dans tous ces cas, la médiation est un processus de pacification encadré et soutenu par une

personne habilitée à jouer ce rôle. Elle « permet de faire circuler à nouveau la parole partout

où celle-ci s’est tue et de garder ou de restaurer un lien [familial] rompu... » (De Dinechin,

2016, p. 17). On pourrait ajouter également que la médiation permet aux personnes qui

partagent cet espace avec l’intention de résoudre leur conflit de se projeter dans un avenir

pacifié (de Dinechin, 2016).

Afin d’assumer pleinement son rôle de facilitateur du processus, le médiateur doit démontrer

une écoute respectueuse et poser sur les personnes qu’il accompagne un regard exempt de

tout jugement. De plus, le médiateur « ouvre un espace confidentiel où il est possible

d’accueillir les blessures mutuelles (…) Il aide chacun à poser des mots sur sa souffrance.

(…) Cette écoute bienveillante renforce la capacité de retrouver sa propre valeur et de se

tourner vers l’autre redécouvrant le sens d’altérité. » (De Dinechin, p. 27).

En somme, la médiation est une notion polysémique et complexe et ne peut être réduite à un

rôle d’arbitrage entre deux parties qui s’opposent. La médiation révèle ce qui ne se donne pas

dans l’évidence. Elle agit en tant que filtre. Elle permet l’exploration d’une réalité subjective

et facilite la relation avec cette réalité (Colignon, 2015).

Dans la perspective d’une intervention psychosociale, la relation est ce qui nous intéresse.

Dans le contexte étudié, plusieurs relations ont été prises en compte et soignées. Notre

analyse a permis de mettre en lumière ces principales relations : les relations des individus

face à eux-mêmes; les relations entre les conjoints; les relations qui se sont tissées entre

l’intervenante et le couple; les relations entre le couple et la maladie.

Le rapport à soi-même

Être atteint de la maladie d’Alzheimer représente sans doute une menace à l’intégrité

psychologique d’une personne, à cause de la nature de la maladie. Il est difficile d’imaginer

ce qu’une personne ressent lorsque la maladie a évolué au point de rompre son contact avec

l’environnement, du moins verbalement. Mais, sauf pour Jocelyn, les personnes rencontrées

se situent au début de l’apparition des symptômes et demeurent en mesure de traduire leur

274

expérience de la maladie. François nous a expliqué ses peurs, Marie a parlé de ses limites,

Gérald a évoqué ses deuils. Dans tous ces cas, la maladie a placé la personne atteinte face à

la nécessité d’accepter ces difficultés mais également de se repositionner en fonction d’elles.

Le conjoint de cette personne atteinte est aussi concerné par l’arrivée de la maladie. Il est

notamment appelé à porter seul des responsabilités autrefois partagées, en plus de s’investir

d’une mission de préservation de la qualité de vie de son partenaire. Ses propres besoins,

désirs et rêves sont relayés aux oubliettes parce que ceux de son conjoint deviennent

prioritaires. Et c’est sans compter toute la souffrance liée aux nombreux deuils imposés

subitement et l’anticipation d'un avenir de plus en plus lourd, assombri par la maladie.

Peu à peu, les individus se perdent dans la maladie d’Alzheimer et leur sentiment identitaire

s’effrite, réduits à n’être qu’une personne malade ou un proche aidant. Or, nous suggérons

que la démarche réalisée a permis aux participants de se reconnecter à eux-mêmes, de prendre

conscience de l’ampleur des pertes actuelles et à venir mais aussi de leurs besoins et désirs

profonds présents. Nous suggérons aussi que l’expression artistique a contribué à cette

connexion.

Forestier (2000) distingue la communication de la relation. La première constitue, selon

l’auteur, une transmission d’informations alors que la seconde est un lien intime qui ne

nécessite pas un échange d’informations. La fonction existentielle de la création domine sur

le sens. Autrement dit, le simple fait de créer est une forme de relation que l’artiste établit,

au premier chef avec lui-même, indépendamment de ce qu’il crée. Le sens, s’il y en a un,

réside dans ce geste créateur, cet engagement à être à l’écoute de soi, à être avec soi. Ainsi,

les temps de silence dans lesquels la personne se dépose tout en se concentrant sur sa création

favorisent le contact avec son ressenti et son monde intérieur. La médiation se fait aussi par

la transformation de l’image produite par la personne. « Représenter une masse informe, ou

morcelée, ce n’est déjà plus être soi-même informe ou morcelé. C’est de cet effet de

décollement qu’on peut attendre qu’il permette ensuite d’accéder à une construction

identitaire. » (Chemama-Steiner, 2003, p. 91). Cet « agir » sur l’œuvre est en quelque sorte

une négociation que la personne fait avec elle-même afin d’en ressortir plus déterminée et

affirmée.

275

En somme, la création artistique réalisée dans le cadre d’une démarche d’intervention

psychosociale en art-thérapie permet aux personnes de se retrouver, de se redécouvrir et de

se dire à nouveau, à soi-même d’abord, puis à l’autre. Le conjoint, complice de cet acte de

création et de vie, est alors en mesure de saisir toute sa signification et de reconnaître la valeur

de ce geste vital. Ainsi, la relation conjugale est aussi transformée par l’intervention et le rôle

de médiation qu’elle a endossé.

La relation conjugale

En contexte d’Alzheimer, la relation conjugale est menacée de devenir davantage un rapport

aidant-aidé. Le couple amoureux n’existe plus et même si la relation s’était transformée avec

les années, les partenaires vivaient tout de même, avant l’arrivée de la maladie, un rapport

inscrit dans la réciprocité et dans la continuité d’une histoire conjugale. Le portrait change

avec la maladie qui limite l’autonomie des partenaires, l’un étant restreint par la maladie et

l’autre, notamment par le devoir qu’il s’impose de soutenir son partenaire.

Pour toutes ces raisons et d’autres encore, des conflits sont susceptibles de s’installer entre

les conjoints. La lourdeur de la tâche de l’aidant et la charge émotive qu’il porte réduisent sa

patience. Le stress vécu par la personne atteinte et son sentiment omniprésent de pertes la

rendent plus vulnérable. François a traduit à quelques reprises ce sentiment d’être confronté

à ses pertes par la simple offre d’aide venant de Thérèse. Une incompréhension mutuelle

fertilise le terreau dans lequel les conflits prennent racine et ces derniers deviennent le lot

quotidien dans le couple.

Pour la plupart des couples participants, la démarche proposée semble avoir permis une

certaine médiation des conflits notamment par une amélioration considérable de leur

communication et le développement de leur empathie. Joulia et Mezinski (2017), suite à une

étude sur l’impact d’une activité de médiation culturelle auprès d’adolescents, suggèrent que

l’objet d’art devient en effet l’intermédiaire entre les artistes et objet d’échanges et de

discussions auxquels chacun a pris part (Joulia et Mezinski, 2017).

En tout premier lieu, l’espace dégagé qui a permis aux personnes de reprendre contact avec

leur univers intime a mené à la capacité d’exprimer leurs émotions reliées à la situation et

d’entendre leur partenaire le faire également. Nous suggérons donc que les rencontres ont

276

permis de liquider une charge émotive qui empêche toute distance face à la situation vécue

par les couples participants.

Dans ce lieu de rencontre, l’œuvre crée est devenue un objet de médiation favorisant la

rencontre sur un terrain relativement neutre puisque l’image révèle avec générosité et

simplicité une réalité subjective qui, de par sa nature, ne peut être contestée. Cette image

devient l’intermédiaire autour de laquelle les partenaires se sont retrouvés pour échanger sur

leur vécu et leurs perceptions de la situation. Une relation se dessine entre celui qui a créé et

celui qui contemple (Forestier, 2000). Chacun a pu y exister pleinement à nouveau et ainsi,

établir un nouveau rapport avec l’autre. Ainsi, non seulement les conjoints se retrouvent-ils

autour de l’image en construction, mais petit à petit, ils s’y retrouvent symboliquement à

l’intérieur, adoptant une perspective partagée et s’associant pour faire émerger une image qui

représente l’univers où ils se retrouvent en tant que couple. De manière très touchante,

Thérèse et François ont raconté avoir repris contact avec ce couple qu’ils formaient avant

que la maladie ne s’invite. Thérèse a retrouvé ce sentiment d’étonnement agréable face aux

découvertes qu’elle a faites sur François. Elle s’est aussi sentie à nouveau une femme dans

son regard à lui, comme si elle avait repris ses droits de conjointe. La dernière image qu’ils

ont élaborée ensemble, le bateau qui navigue sur une mer changeante, illustre bien ces

derniers propos. Le rapport nouvellement établi entre les conjoints est inédit en ce sens que

bien qu’il intègre leur histoire conjugale, il se redéfinit aussi en fonction de la nouvelle

donnée qu’est la maladie.

Rappelons également au lecteur la perspective de Loser (2014) selon laquelle l’expérience

créative favorise la rencontre avec l’autre. Ainsi, dans ce processus réalisé conjointement, on

se positionne personnellement mais tout en étant invité par l’autre à s’ouvrir à sa rencontre

et à intégrer ses propositions dans la construction de l’œuvre en devenir. Le couple se

retrouve dans le plaisir partagé et la complicité d’un acte de révélation de soi à soi-même, de

soi à l’autre, de l’autre à soi, et ultimement, d’un nous re-solidarisé par la médiation

artistique. Mais le couple n’est pas seul. La perspective systémique nous rappelle que

l’intervenant fait partie du système qui est en quête d’un nouvel équilibre. Son apport doit

donc être considéré dans la compréhension de l’expérience.

277

Le rapport à l’intervenante

Lors des rencontres post-intervention, tous les couples participants ont évoqué nos attitudes

jugées facilitantes; ce sont essentiellement le non-jugement, le calme et la liberté à laquelle

les couples se sont sentis invités en plus d’inspirer la confiance. Les couples ont précisé que

ces attitudes ont facilité leur engagement dans le processus créateur auquel ils étaient conviés.

Les pairs ont toutes corroboré ces propos, les associant aux résultats positifs observés dans

les récits des démarches et rapportés par les couples. Ces conclusions suggèrent que la

relation que les couples ont développée spécifiquement avec nous a également été à la source

des changements qui se sont opérés tout au long de leur démarche.

Ces attitudes, qui relèvent évidemment de notre personnalité et qui se sont manifestées en

prenant nos couleurs, font aussi partie du cursus des attitudes et aptitudes recherchées chez

les travailleurs sociaux. Elles permettent de jouer les rôles attendus chez ces professionnels

de la relation d’aide. L’expérience à l’étude a mis en lumière principalement trois de ces

rôles : accompagnement, agent de changement et facilitation. Nous avons su accompagner

les couples en « soutenant leur capacité de prendre des décisions et de gérer leur vie. » (Drolet

et Dubois, 2011, p. 94). Cet accompagnement s’est traduit à la fois dans la situation de vie

rencontrée par les couples mais également dans leur processus de création. De multiples

exemples ont été soulignés dans les dernières lignes. Nous avons également agi à titre

d’agente de changement en valorisant et sollicitant les forces et les ressources des couples

participants (Drolet et Dubois, 2011). De plus, nous avons joué un rôle de facilitation que

Drolet et Dubois (2011) décrivent ainsi : « Suggérer des activités et mobiliser les énergies

pour susciter l’entraide, augmenter le pouvoir d’agir, aider à maintenir le cap sur les objectifs,

approfondir la réflexion sur un sujet ou un enjeu et valider les sentiments et les opinions. »

(p. 95). Il nous apparaît évident, à la lumière de l’analyse des données recueillies, que ce rôle

a également pu être joué par le processus de création des couples. Nous y reviendrons. En

outre, nous avons évoqué précédemment que nous avons joué, dans une moindre mesure, un

rôle d’éducation, l’un des autres rôles que peuvent endosser les travailleurs sociaux (Drolet

et Dubois, 2011).

Par ailleurs, Thibault (2011) attire notre attention sur le caractère unique de chaque relation

qui se développe entre une travailleuse sociale et une personne ou une famille. Cette relation

278

unique est teintée de la subjectivité des personnes qui la composent et d’une dimension

symbolique (Bourgon, 2007, cité dans Thibault, 2011). Ces caractéristiques sont les

fondements sur lesquels se développe ce que l’on appelle l’alliance thérapeutique, une

dimension incontournable de l’intervention sociale (Lecompte et al., 2004; Rogers et al.,

2001; Thibault, 2011). Mongeau et ses collaborateurs (2013) réfèrent quant à eux au doute et

à l’incertitude que doit adopter le travailleur social. Cela suggère non seulement qu’il est

constamment influencé par la dynamique du système auquel il appartient mais qu’il demeure

ouvert et en dialogue avec les autres membres de ce système. Cette posture exige un rapport

à soi qui est souple et en mouvement, afin de permettre à l’intervenant de se laisser toucher

par les personnes qu’il accompagne, de se reconnaître en elles et de « questionner [ses]

propres constructions du monde. » (Mongeau et al., 2013, p. 198). Dans ce sens,

l’intervention psychosociale exige du travailleur social qu’il soit à l’aise avec ce qui est

incertain, imprévisible ou qui ne tombe pas sous le sens du premier regard (Mongeau et al.,

2013). Conséquemment, il adopte une « éthique de la curiosité » (Gingras et Lacharité, 2009,

cités dans Mongeau et al., 2013, p. 192). De plus, cette idée nous ramène à la perspective

gestaltiste qui invite l’intervenant à être à l’écoute de ce qui se passe dans l’instant présent

avec la personne qu’il accompagne et de ce qu’il ressent en écho à ce dont il est témoin

(Zinker, 1981).

Nous avons longuement expliqué que cette ouverture à l’inconnu est présente en art-thérapie.

Maintenant que notre attitude a été décrite et que le rôle que nous avons joué dans la

démarche a été précisé, il est intéressant de se demander quel rôle a joué l’expression

artistique au cœur de la relation entre nous et les couples qui s’est développée tout au long

de la démarche.

D’emblée, quelques propos tenus dans notre journal de recherche suggèrent que les créations

des couples mais encore davantage les processus de création qui les ont précédées ont suscité

notre alliance avec les couples, puisque nous avons été touchée par ce que nous avons vu

naître dans la matière et par la complicité qui s’est développée entre certains conjoints dans

leur processus. Par ailleurs, l’observation des couples en train de créer nous a révélé des

informations précieuses sur les dynamiques relationnelles des conjoints. Par le partage de

nos observations, nous avons invité les partenaires à échanger sur ces dynamiques, à les

279

aborder avec ouverture et bienveillance, puisqu’après tout, on ne parlait que d’une création

artistique. Finalement, dans cette relation aussi, l’image et le processus de création ont servi

d’intermédiaire, d’objet d’échanges auxquels nous avons participé au même titre que les

autres personnes composant le système. Dans ces échanges, la maladie était présente. Ainsi,

elle était et est demeurée une interlocutrice avec laquelle les couples étaient en relation. Mais

cette relation a aussi été invitée à se transformer.

Le rapport à la maladie

Nous avons vu d’entrée de jeu que la maladie, lorsqu’elle s’invite dans la relation conjugale,

envahit tout l’espace et transforme le rapport conjugal en un rapport aidant-aidé, rapport qui

domine dorénavant le quotidien de ces couples, entraînant l’érosion de la relation conjugale.

Ce constat issu de la littérature a été corroboré par nos observations des dynamiques

conjugales des couples participants. En l’absence de la maladie, le couple est formé de deux

personnes qui partagent un espace commun tout en étant distinctes. Ce couple rencontre des

difficultés qui conservent une place relative dans sa relation. Selon nos observations et les

propos recueillis, la maladie d’Alzheimer envahit la personne qui en est atteinte, assombrit

la relation conjugale et affecte aussi le conjoint aidant de sorte que l’identité distincte des

personnes est troublée par cette maladie à laquelle les partenaires s’identifient et autour de

laquelle leur vie s’organise peu à peu. À la manière d’un dictateur, la maladie d’Alzheimer

gère l’ensemble de la relation et impose ses règles.

Il nous apparaît évident à cette étape-ci que l’expérience artistique, encadrée par une

démarche d’intervention psychosociale en art-thérapie, ait pu adopter un rôle de médiation

entre les conjoints. Il nous semble tout aussi pertinent de transposer ce rôle à la relation

conflictuelle au sein de laquelle se confrontent la maladie et le couple. Pourtant, nous avons

vu précédemment que par le biais des activités artistiques, le couple a pu aborder la maladie

et le contexte qu’elle impose avec plus de distance, de sorte qu’elle devient quasiment une

interlocutrice face à laquelle les individus et le couple qu’ils composent sont invités à se

positionner. Ce dialogue entre le couple et la maladie d’Alzheimer, construit à travers le

processus de création, mène naturellement à une reprise de pouvoir qui extirpe le couple

d’une position assujettie à la maladie. Dans ce travail de médiation facilité par l’expression

artistique, une différenciation s’installe entre le couple et la maladie de sorte que l’existence

280

de l’un comme de l’autre prend un tout nouveau sens et prend forme dans un avenir pacifié

par la médiation artistique.

En effet, la proposition d’une intervention psychosociale en art-thérapie auprès du couple

semble avoir ouvert un espace dans lequel il est possible d’évoquer la maladie pour en parler,

la décortiquer, l’apprivoiser, ou encore, comme pour Colette et Jean, un espace où il sera

possible de s’occuper l’esprit à autre chose. Par leur effet de surprise, les images issues de ce

processus invitent également à poser un regard neuf sur la situation.

En s’investissant dans un processus de création, les conjoints ont ainsi réorienté leur attention

vers un objet stimulant (Granier, 2011) pour vivre une expérience plaisante de laquelle la

maladie est en quelque sorte exclue ou, dit avec plus de justesse, mise à distance. Cette

distance relative qu’a prise la relation conjugale par rapport à la maladie a offert un véritable

répit aux partenaires. Un répit partagé, libre de faire allusion ou non à la maladie, vécu dans

un présent allégé. Le moment présent, redevenu accessible par la création artistique, est

réinvesti par les individus et par le couple qu’ils forment.

Nous constatons donc que cette mise à distance permet aux conjoints de reprendre leurs droits

sur la maladie et de lui accorder la place relative qu’elle doit prendre, au même titre que les

autres difficultés rencontrées tout au long de leur histoire conjugale. De plus, par cette mise

à distance, l’expression artistique permet au couple de modifier sa représentation de la

maladie, de l’aborder autrement, de transformer son rapport à elle.

Bref, l’analyse des données recueillies suggère que l’intervention psychosociale en art-

thérapie joue un rôle de médiation dans une perspective de résolution d’un conflit destructeur

qui s’est installé entre les conjoints, mais aussi entre le couple et la maladie. Ce processus se

traduit par une mise à distance de la maladie et par un changement de regard du couple sur

celle-ci afin d’attribuer un sens à son existence et de l’intégrer dans la continuité de son

histoire. En d’autres mots, l’intervention psychosociale en art-thérapie a le potentiel de

permettre non seulement aux partenaires de mieux gérer leurs conflits intrapersonnels et

interpersonnels mais également aux couples de faire, dans une certaine mesure, la paix avec

la maladie d’Alzheimer.

281

En somme, l’expression artistique pratiquée dans un contexte d’intervention psychosociale

en art-thérapie transforme la personne et, conséquemment, sa relation conjugale. Le pouvoir

de symbolisation de l’image modifie les perceptions et les modes relationnels et redonne à la

personne un pouvoir de réaffirmation de son identité, de ses besoins et de ses désirs. Le

processus de création se transpose à la vie quotidienne et sert d’ancrage auquel se rattachent

l’expérience et le sens.

Cela conclut cette partie qui correspond au deuxième objectif de la recherche et introduit la

partie qui portera sur le dernier objectif de la recherche, soit la réflexion critique sur notre

double identité professionnelle.

6.3 Troisième but de la recherche : Amorcer une réflexion sur une pratique

d’intervention qui allie deux identités professionnelles; le travail social et l’art-

thérapie.

Ce troisième et dernier but de la recherche nous transporte dans une toute autre perspective

en nous invitant à tourner notre regard vers notre identité professionnelle. Il va sans dire que

nous ne prétendons pas pouvoir épuiser le sujet dans le cadre de cette thèse dont le cœur

demeure l’expérience de l’intervention vécue par les couples. Le lecteur pourra y voir plutôt

l’amorce d’une réflexion qui profiterait qu’un espace plus vaste lui soit spécifiquement

accordé.

Au départ, la question portant sur l’identité professionnelle a pris racine dans ce tiraillement

ressenti entre ces deux domaines d’appartenance, comme s’il fallait choisir entre l’un ou

l’autre. Mais il s’agissait d’un piège. Nous expliquons ici notre pensée.

Le lecteur a pris connaissance, au chapitre précédent, de notre sentiment d’être d’abord art-

thérapeute, sentiment présent tout au long de l’expérience. Le plaisir de travailler avec le

matériel artistique, de voir les personnes que nous accompagnons redécouvrir le plaisir de

créer et les bienfaits que procure l’activité artistique nous remplissent d’une grande joie mais

aussi d’un sentiment profond de satisfaction et d’efficacité. Pourtant, au fil des relectures des

démarches vécues avec les couples, c’est la travailleuse sociale que nous avons vu apparaître,

notamment à travers les valeurs mises de l’avant et l’importance accordée à la relation.

Vouloir nous positionner en faveur de l’une ou l’autre de ces identités professionnelles est

venu occulter notre véritable identité qui est celle d’une intervenante. Le reflet des couples

282

et des pairs quant aux qualités et aptitudes qui nous sont propres et qui se traduisent

essentiellement par le calme, la souplesse et le non-jugement, a confirmé qu’au-delà des

titres, l’intervention est notre principale motivation professionnelle. Maintenant que cela est

nommé, prenons une distance de notre expérience personnelle pour réfléchir plus largement

à la cohabitation entre l’art-thérapie et le travail social au sein d’une démarche d’intervention.

L’expérience qui a été réalisée nous a permis de constater la complémentarité de ces deux

domaines d’intervention dans la pratique. L’expression artistique est un outil qui favorise les

prises de conscience et mène donc naturellement à l’autodétermination, une valeur

fondamentale du travail social. À l’inverse, les relations entre une personne et son

environnement, le champ d’expertise du travail social, sont facilitées par le processus de

création et les œuvres que produit une personne (ou une dyade) dans une démarche qui a

recours à l’expression artistique.

La réflexion suscitée par l’expérience nous ramène à un questionnement sur l’utilisation de

l’expression artistique en intervention. Il est intéressant de rappeler que des travailleurs

sociaux utilisaient déjà l’image et les outils art-thérapeutiques pour intervenir auprès des

familles dans les années 1980 et même avant (Du Ranquet, 1991). Par exemple, ils utilisaient

le dessin de la famille pour obtenir des informations sur les dynamiques familiales et les

perceptions qu’ont les membres de la famille des problèmes qu’ils rencontrent.

« L’interprétation du dessin et du processus de sa construction permet aux membres de la

famille d’exprimer ce qu’ils ressentent et de faire des propositions constructives. » (Du

Ranquet, 1991, p. 169). Formulé ainsi, cette manière d’utiliser l’expression artistique en

intervention rejoint les principes de l’art-thérapie : l’image tout autant que le processus sont

pris en compte dans l’intervention; l’expression artistique favorise l’expression du vécu et

des émotions; l’expérimentation de nouveaux rapports à soi-même et aux autres se fait

d’abord dans le processus de création avant de pouvoir être transposée au quotidien. Or, dans

les écrits que nous avons consultés, il n’est pas question d’art-thérapie et pourtant, ils

appartiennent à une époque où l’art-thérapie commençait à émerger en tant que domaine

d’intervention. Cet état de fait soulève bien des questions. Le travail social résisterait-il à

s’identifier à un domaine d’expertise qui est davantage associé à un mode thérapeutique et

qui adopte une posture plus psychologisante? Loser (2010) apporte un élément de réponse en

283

constatant que « la médiation artistique constitue un thème souvent évoqué en travail social,

mais qu’il demeure peu exploré en termes d’études des discours et encore moins en ce qui

concerne l’analyse des pratiques. » (p. 11). Nous suggérons ici que les travailleurs sociaux

ont eu recours à des outils d’expression artistique de manière intuitive, sans remettre en

question leur identité professionnelle pour s’ouvrir à un autre champ de compétences qu’est

celui de l’art-thérapie.

Par ailleurs, nous avons vu que l’art-thérapie s’est développée dans le milieu psychiatrique

d’abord, avant de rejoindre d’autres milieux d’intervention. Ainsi, c’est dans le champ de

connaissances de la psychologie et plus spécifiquement de la psychanalyse qu’elle a

approfondi ses concepts et ses méthodes de travail et c’est à ce domaine qu’elle s’apparente

le plus. Aussi, l’Ordre des psychologues du Québec reconnaît le caractère

psychothérapeutique que peut prendre la pratique en art-thérapie. Il apparaît donc laborieux

d’envisager que l’art-thérapie puisse être pratiquée en excluant toute forme de référence ou

de parenté avec la psychothérapie.

Nous constatons que lorsque l’expression artistique est utilisée en tant qu’outil d’intervention

sociale, en dehors d’une perspective psychothérapeutique, c’est le vocable « médiation

artistique » qui semble être davantage utilisé. Cependant, ce concept développé récemment

est vaste et peut être envisagé selon différentes perspectives. Selon Lafortune (2012), la

médiation artistique ou culturelle prend différents sens. Elle peut par exemple faciliter la mise

en relation de personnes ou de groupes dont les frontières sont peu ouvertes. La médiation

artistique encourage également le développement de l’empathie et d’une communication

sensible entre certains groupes. Un troisième élément apporté par l’auteur suggère que la

médiation culturelle

s’incarne dans des formes d’accompagnement qui, partant des fondements de

l’expérience esthétique, soit d’une quête de sens tournée vers les intentionnalités

et les démarches en contexte, peuvent conduire les personnes et les collectivités

touchées à devenir acteurs de leur vie en adaptant certains processus créatifs en

réponse à des situations parfois problématiques. (Lafortune, 2012, p. 5).

Selon nous, toutes ces conceptions de la médiation artistique rejoignent les préoccupations

et l’objet d’intervention des travailleurs sociaux. Par exemple, la mise en relation, la

communication et les liens entre les individus et leur environnement sont inhérents au travail

284

social. On perçoit également dans la dernière citation tout le potentiel d’empowerment qui

est recherché dans ce type d’intervention, une valeur chère au travail social (OTSTCFQ,

2012). En somme, le travail social et l’utilisation de l’art en intervention démontrent une très

grande compatibilité. Nous avons pu l’expérimenter dans la démarche à l’étude.

La littérature en art-thérapie nous propose, dès les débuts de son histoire, qu’il existe un

continuum sur lequel les différents modes d’intervention faisant appel à l’art peuvent se

retrouver. Nous rappelons au lecteur qu’à l’origine de l’art-thérapie, deux discours

s’opposaient; celui qui défendait l’idée que la psychothérapie pouvait être soutenue par

l’expression artistique et celui qui promouvait l’idée que la création artistique peut être

thérapeutique en soi. Loser (2010) ajoute un élément qui se retrouve au centre du pôle

artistique et du pôle thérapeutique : l’art en tant que source d’apprentissage et forme

d’éducation. Où se retrouverait la médiation artistique développée dans le cadre d’une

intervention psychosociale sur ce continuum? Un axe vertical sur lequel s’ajouteraient les

pôles individuel, dyadique et collectif aiderait-il à mieux représenter tout le potentiel de

changement que représente l’expression artistique dans les différents contextes

d’intervention possibles? La question demeure pour nous entière et continue de susciter un

grand intérêt. À notre avis, il s’agit d’un champ de la recherche qu’il serait pertinent de

continuer d’explorer.

À ce débat, qui est loin d’être résolu, s’ajoute la multiplication des titres et des termes

définissant les interventions où l’expression artistique est utilisée et la très grande confusion

que cela entraîne (Colignon, 2015; Loser, 2010). Devons-nous nous réjouir de voir apparaître

sur les tablettes des livres de coloriage qui sont présentés comme étant des livres d’art-

thérapie? Dans le langage commun et même chez certains intervenants, on associe un peu

trop automatiquement l’art à un processus d’art-thérapie. Cela n’aide pas à tracer la ligne qui

délimite une intervention art-thérapeutique d’une intervention de médiation artistique par

exemple. En revenant à l’expérience à l’étude, il nous apparaît clairement que l’intervention

réalisée était menée dans une perspective de travail social mais que notre intervention n’aurait

pas pu mettre autant à profit l’expérience artistique si nous n’avions pas été aussi art-

thérapeute. Cette double formation nous permet de donner de la profondeur à nos

interventions, d’accueillir la personne ou le couple dans son processus créateur avec plus de

285

sensibilité et de disposer des outils développés en art-thérapie qui permettent de mettre en

lumière les dynamiques et d’expérimenter de nouveaux rapports.

La réflexion sur la compatibilité entre le travail social et l’art-thérapie est bien amorcée mais

le débat ne peut être clos à cette étape-ci parce que les enjeux sont grands, en particulier dans

le contexte actuel de redéfinition des professions de la relation d’aide. Les professions du

travail social et de l’art-thérapie méritent d’être reconnues à leur juste valeur. Mais

paradoxalement, nous stipulons que de tracer des frontières rigides ne favorise pas le

développement des pratiques ni leur reconnaissance. L’humain est complexe et l’est

davantage lorsqu’on le met en relation avec son environnement. Mais quelle richesse de

pouvoir soutenir ces rapports avec tout le potentiel développé dans les différents champs

d’expertise de l’intervention psychosociale!

6.4 Retombées de la recherche

Les retombées du projet sont nombreuses. Tout d’abord, la recherche semble confirmer les

défis et les besoins des couples confrontés à la maladie d’Alzheimer et réaffirme la nécessité

de leur offrir une intervention appropriée et qui s’adresse à l’entité conjugale, afin de

favoriser le mieux-être individuel des conjoints mais aussi d’accroître leur potentiel de faire

face en couple à leur situation. Par exemple, les couples ont exprimé le besoin de partager

des moments de répit ensemble, d’avoir un espace où ils peuvent se parler d’autre chose que

de la maladie et se retrouver en tant que conjoints et non en tant qu’aidant et aidé. En ce sens,

les retombées de la recherche pour l'intervention psychosociale auprès des couples confrontés

à la maladie d’Alzheimer, qu’elle intègre ou non l’art-thérapie, sont fort intéressantes.

Ensuite, les perspectives que cette expérience ouvre pour le développement des

connaissances sur l’intervention auprès des couples âgés amènent d’autres questionnements

sur lesquels la recherche future pourrait se pencher. Tous ces éléments sont présentés ici.

6.4.1 Des perspectives pour l’intervention

Le contexte d’intervention nous a d’abord permis de constater les préjugés qui existent envers

les personnes atteintes de troubles cognitifs et la méconnaissance de la maladie par

l’environnement familial et social. Dans ce sens, un travail global de sensibilisation est à faire

à tous les niveaux de la société afin de déjouer les tabous qui entourent la maladie et de

286

permettre aux personnes concernées de poursuivre leur existence en limitant les changements

radicaux imputés au retrait et à la peur du jugement. Par ailleurs, une connaissance

approfondie de la maladie par l’intervenant qui agit auprès des personnes atteintes et de leurs

proches favoriserait l’éducation et la transmission d’informations qui permettrait aux aidants

de mieux comprendre la maladie et le vécu de la personne qui en est atteinte, d’expliquer les

comportements atypiques de leur proche et, ainsi, d’assouplir la dynamique relationnelle

assombrie par la maladie.

L’expérience a soulevé une question à laquelle nous ne pouvons répondre mais qui demeure

une hypothèse qu’il serait intéressant d’explorer : une intervention réalisée auprès des dyades

confrontées à des troubles cognitifs pourrait-elle réduire les risques de négligence ou de

maltraitance? À cause du rapprochement observé chez certains couples et du développement

de l’empathie entre les partenaires, nous suggérons que oui. Et pour pousser la réflexion

encore plus loin, une telle intervention pourrait-elle préparer les partenaires à mieux vivre

avec un éventuel hébergement de la personne atteinte ou à composer avec le deuil blanc qui

est présent tout au long de la maladie ? Lors de l’intervention, quelques couples ont échangé

sur cette possibilité et exprimé leurs limites quant à la cohabitation selon l’évolution de la

maladie. Des conjoints aidants ont aussi assoupli les exigences qu’ils s’imposaient face à la

situation en s’accordant le droit d’être fatigué ou de demander de l’aide de l’entourage.

L’empathie développée entre les partenaires favorise une plus grande sensibilité au vécu de

l’autre et, notamment chez la personne atteinte, une conscience de la lourdeur de la situation

pour son conjoint. Toutes ces conditions pourraient-elles amener les personnes à choisir elles-

mêmes l’hébergement plutôt qu’à attendre qu’il soit imposé par les circonstances, ou à tout

le moins à accepter plus facilement cette décision en s’allégeant par exemple d’un sentiment

de culpabilité ? Une étude à plus long terme aurait permis d’apporter des éléments de réponse

à ces questions. Nous avons appris cependant que l’un des couples participants a pris cette

décision quelques mois après la démarche et qu’elle s’est vécue dans l’harmonie et la paix.

Nos hypothèses s’inspirent d’ailleurs de leur histoire.

Cette dernière réflexion nous amène à proposer que ce type d’intervention soit offert aux

dyades qui en exprimeraient le besoin et fasse partie d’une offre de service dans les équipes

de soutien à domicile du réseau public de santé et de services sociaux. Nous sommes toutefois

287

consciente que cette proposition n’est pas possible dans le contexte actuel de l’organisation

des services dans le système public, mais nous réitérons son caractère préventif. Toutefois, il

serait sans doute envisageable que des organismes communautaires intègrent l’intervention

psychosociale en art-thérapie dans leur offre de services. En outre, des interventions de

groupe en art-thérapie pourraient répondre d’une autre manière aux besoins exprimés tant

par les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer que pour leurs proches. Ces initiatives

sont déjà mises en œuvre dans quelques milieux, notamment la Société Alzheimer de

certaines régions au Québec. Les résultats de notre étude confirment la pertinence de ce type

d’intervention auprès de cette population et encouragent le déploiement de ces initiatives.

Par ailleurs, bien que l’expérience étudiée ne se soit intéressée qu’aux couples, il nous semble

évident que les autres formes de dyades (parent-enfant; fratrie; amitiés) bénéficieraient

également de ce type d’intervention, en particulier lorsqu’il y a une cohabitation entre les

protagonistes. Les thèmes abordés pourraient être adaptés à la nature de la relation éprouvée

par la maladie. Mais nous suggérons que les bienfaits observés pourraient être transposés à

toute forme de relation qui rencontre cette situation et bénéficie d’une intervention

psychosociale en art-thérapie. Il nous apparaît également pertinent de suggérer que ce type

d’intervention puisse être proposé aussi à des couples qui ne sont pas touchés par la maladie

d’Alzheimer mais qui rencontrent d’autres difficultés ou défis relationnels.

6.4.2 Des perspectives pour la recherche

Comme nous venons de le mentionner, cette recherche a permis de mettre en lumière

plusieurs éléments d’une expérience d’intervention psychosociale en art-thérapie avec des

couples confrontés à la maladie d’Alzheimer. Il s’agit d’une expérience tout de même limitée,

réalisée auprès de cinq couples seulement. La réplication de l’expérience permettrait sans

doute d’éclairer les résultats obtenus et d’en approfondir leur compréhension. Une recherche

sur une expérience semblable mais ciblant davantage certains aspects, comme le modeling

ou différents effets pour les couples, serait également fort intéressante. Évidemment, un

protocole de recherche adoptant une méthodologie mixte, comportant un échantillonnage

plus vaste avec un groupe de contrôle ou de comparaison permettrait de quantifier les impacts

de l’intervention et d’en tirer de nouvelles conclusions ou de valider les fonctions de

l’expression artistique que nous avons identifiées.

288

Par ailleurs, nous avons perçu à travers l’expérience une parenté intrigante entre les effets

obtenus par l’art-thérapie et certaines dimensions de la thérapie cognitivo-comportementale,

en particulier la thérapie de l’acceptation et de l’engagement (ACT pour Acceptance and

Commitment Therapy), une approche qui relève de la troisième vague de la TCC (Hayes et

Lillis, 2012) ou encore la thérapie intégrative de couple (Jacobson et Christensen, 1996). Par

exemple, les couples ont mentionné à de multiples reprises et dans des contextes différents

avoir appris et apprécier être dans le moment présent, un concept que l’on retrouve dans la

méditation de la pleine conscience, un outil utilisé par l’ACT. Les conjoints ont aussi

mentionné avoir fait un travail d’acceptation de la situation, un effet aussi recherché par

l’ACT. Un autre élément qu’il est intéressant de souligner est qu’en art-thérapie, la personne

engage tout son être dans la création d’une œuvre (son corps, sa pensée, ses émotions, ses

souvenirs, etc.). Or, la thérapie de l’acceptation et de l’engagement invite aussi la personne

à s’engager concrètement dans le changement (Dionne et al., 2013). Il nous semble donc y

avoir une similitude entre la TCC et l’art-thérapie. Et ce n’est pas sans surprise. En fait, l’art-

thérapie se centre sur l’expérience, le ressenti, l’intuition alors que la TCC est reconnue pour

son travail cognitif, son caractère rationnel et les données probantes qu’elle peut produire.

Conséquemment, à prime abord, il semble difficile de voir la parenté entre ces deux

approches. Mais l’expérience nous invite à les revisiter pour identifier en quoi elles peuvent

se rejoindre. À notre avis, cela comporte un intérêt majeur pour la reconnaissance de l’art-

thérapie et l’approfondissement de la compréhension de son fonctionnement.

Un autre aspect de l’expérience qui nous semble prometteur pour la recherche à venir est

celui du lien entre l’art-thérapie et le récit de vie. Au tout début du projet, nous envisagions

d’aborder proposer aux couples des activités dans lesquelles ils pourraient créer des œuvres

qui illustreraient leur histoire de vie conjugale. Nous l’avons d’ailleurs proposé au premier

couple. Les circonstances ont fait en sorte que nous n’avons pas poursuivi dans cette voie.

Nous avons fait le choix de concentrer nos interventions sur ce qui préoccupait les couples

accompagnés au moment même de la rencontre. Le thème n’est pas revenu mais nous

demeurons convaincue de sa pertinence. Les souvenirs émergents à différents moments plus

ou moins prévisibles et le fait d’évoquer les débuts de la relation pour réaffirmer ses

fondements sont quelques observations qui motivent notre proposition. Mais nous croyons

289

qu’il serait plus pertinent d’avoir recours à cet outil alors qu’un certain équilibre a été rétabli

dans le couple.

Dans un tout autre ordre d’idée, il serait sans doute fort intéressant de sonder les travailleurs

sociaux qui utilisent l’expression artistique dans leurs interventions pour identifier dans

quelles perspectives théoriques et cliniques ils se situent et les distinctions qu’ils font entre

leurs interventions utilisant l’expression artistique et celles ne l’utilisant pas ainsi que pour

les comparer avec celles qui sont promues en art-thérapie.

Finalement, notre curiosité a été piquée par l’effet de stimulation de l’imaginaire des

personnes atteintes de la maladie lors des activités artistiques. Dans certains cas, comme pour

François, Gérald, Colette ou Marie, c’était lié au plaisir de créer et à la légèreté du moment.

Pour Jocelyn par contre, il semble que l’imaginaire, stimulé par l’image, l’amenait à

s’exprimer dans la fantaisie et à être plus disponible sur le plan relationnel. La recherche ne

visait aucunement à évaluer l’impact de l’expression artistique sur les effets de la maladie.

Cependant, il serait intéressant d’évaluer si l’expression artistique, dans un contexte

relationnel sécuritaire, peut avoir un quelconque effet sur l’évolution des troubles cognitifs,

à travers des dimensions telles que le sentiment identitaire, l’estime de soi, le sentiment

d’auto-efficacité, la concentration et les fonctions cognitives.

Cette recherche visait à apporter une contribution au développement des connaissances sur

l'intervention psychosociale faisant usage de l’art-thérapie. Elle possède des qualités qui lui

ont permis d’atteindre en partie cet objectif mais elle a aussi des limites. Ces éléments sont

explorés ci-après.

6.5 Les limites et les forces du projet

Malgré toutes les stratégies mises en œuvre pour les éviter, tout projet de recherche comporte

ses biais et ses limites. Ce projet ne fait pas exception à la règle. Cette dernière section du

chapitre décrit d’abord les principales limites de la recherche mais aussi ses qualités et ses

forces afin de permettre au lecteur d’y poser un regard critique et de nuancer ses conclusions.

6.5.1 Limites de la recherche

Puisqu’aucun projet n’est sans faille, quelques limites de la présente recherche ont été

identifiées. Tout d’abord, les conditions dans lesquelles le projet s’est déroulé – une séance

290

d’intervention hebdomadaire pour chaque couple pendant plus de deux mois – impliquaient

que l’étude soit réalisée auprès d’un certain nombre de participants seulement. La cible de

départ visait le recrutement de quatre à six couples. Finalement, cinq couples ont réalisé

l’expérience dans sa totalité. Bien que cela constitue un bassin nous permettant d’explorer

différentes perspectives, il ne s’agit pas d’un échantillon qui est représentatif de l’ensemble

des situations qui caractérisent les couples faisant face à la maladie d’Alzheimer. On ne peut

donc prétendre à la généralisation des résultats.

De plus, les couples ayant participé à la recherche ne présentaient pas un profil homogène ce

qui peut constituer à la fois une limite et une force. La diversité des couples participants

représente une limite en ce sens qu’elle ne permet pas de constater si l’expérience se

ressemble lorsqu’elle est vécue par des conjoints qui présentent sensiblement le même profil.

Dans le même sens, la maladie d’Alzheimer affectant la mémoire et évoluant à des rythmes

différents selon chaque individu, il est difficile de statuer que les effets de l’intervention

puissent être intégrés par la personne atteinte. De plus, on ne peut présumer de la pérennité

des effets de l’intervention sur la dynamique conjugale puisque le couple va continuer d’être

affecté par une maladie qui est dégénérative et dont les symptômes vont évoluer vers une

plus grande perte d’autonomie. Cependant, dans une perspective plus philosophique, il

importe de rappeler que le moment présent est le seul qui compte et que les moments

agréables que les couples ont partagé ont une valeur en soi.

Bien que les couples aient eu la chance de s’exprimer sur leurs perceptions de l’expérience

et que l’une des participantes ait formulé explicitement sa déception quant aux résultats, on

ne peut faire fi du biais de désirabilité sociale qui a sans doute influencé les commentaires

des couples participants. Le lien de confiance créé dès le début de la démarche d’intervention

suppose une certaine reconnaissance de la compétence de l’intervenante par les couples. Il

est possible d’avancer que les couples pouvaient craindre que leurs propos critiques soient

perçus comme une remise en question de la compétence de leur intervenante. Ce biais aurait

pu être évité en octroyant la responsabilité de recueillir les perceptions des couples à une

tierce personne. Toutefois, nous avons fait d’autres choix, essentiellement guidée par le

besoin de bien saisir les propos des couples, ce qui était facilité par notre connaissance

intimiste de l’ensemble de la démarche que chacun d’eux avait réalisée.

291

En dernier lieu, la limite la plus importante de l’étude à notre avis est celle de notre

subjectivité, qui est inhérente à la méthodologie qui a été mise en œuvre pour réaliser la

recherche (Berger et Paillé, 2011). Nous avons procédé à l’étude d’une intervention pour

laquelle nous étions la seule intervenante. Notre lecture de l’expérience est nécessairement

teintée de notre implication directe au cœur de celle-ci. Par ailleurs, notre identité d’art-

thérapeute nous place d’emblée dans une posture favorable à cette pratique, limitant sans

doute notre jugement critique à l’égard de celle-ci. Nous avons tenté cependant de restreindre

l’influence de ce biais sur les résultats par différents moyens, notamment le partage avec le

groupe de pairs, la lecture du journal de bord rédigé par certains couples et la rencontre post-

intervention réalisée avec ces derniers.

Nous nous en voudrions de ne pas souligner aussi l’écart considérable des niveaux de contenu

associés aux buts de la recherche. Alors que les deux premiers concernaient directement

l’intervention à l’étude, le troisième nous amenait à un tout autre niveau. Cet objectif a

d’ailleurs évolué au cours de processus de recherche pour être plus adapté à l’ensemble du

projet. Considérant l’ampleur des données à recueillir et à analyser, cette question, fort

pertinente par ailleurs, ne pouvait bénéficier de toute l’attention qu’elle aurait méritée dans

ce processus de recherche.

6.5.2 Forces de la recherche

La principale qualité de cette recherche nous semble être l’originalité du sujet auquel elle

s’est intéressée. L’art-thérapie, même si elle existe depuis un certain temps déjà, demeure

une pratique dont la compréhension du fonctionnement et la validation de son efficacité sont

encore incomplètes. La recherche présentée apporte, à sa mesure, un peu de clarté dans ce

tableau encore passablement défini et le fait en élargissant les connaissances sur l’art-thérapie

pratiquée auprès de dyades adultes, un volet encore peu abordé par la recherche dans ce

champ de compétence. Par ailleurs, l’originalité du projet s’étend à son intérêt pour un

contexte d’intervention sociale peu investi par les professionnels, tel que nous l’avons vu au

premier chapitre. Il propose qu’une intervention auprès des couples confrontés à la maladie

d’Alzheimer est nécessaire et démontre sa pertinence. En ce sens aussi, la recherche est

novatrice. La figure suivante (figure 91) traduit l’ampleur des terrains occupés par la

recherche.

292

Figure 91 : Terrains occupés par la recherche

De plus, le recrutement a permis de rejoindre cinq couples, suivis pendant 12 semaines à

raison d’une heure à une heure trente par semaine (donc entre 12 heures et 30 heures ont été

consacrées à chacun des couples pour un total d’environ 90 heures), ce que nous considérons

être un nombre relativement important d’heures et de couples dans les circonstances.

Ces couples se présentaient avec des situations sensiblement distinctes de sorte que cela a

permis d’expérimenter différentes avenues avec un même type d’intervention. Cela constitue

selon nous une force de l’étude puisqu’elle permet de saisir plus largement le potentiel de

cette approche avec des couples aux situations semblables mais au vécu singulier. Cette

particularité aura permis également de faire ressortir plus aisément les limites de cette

approche avec la population ciblée.

La triangulation des sources de données constitue sans doute également une force de la

présente recherche. En effet, le point de vue des couples participants ainsi que notre propre

perception de l’expérience ont été confrontés au regard du groupe de pairs de sorte que

certaines intuitions ou impressions ont pu être validées ou infirmées pour éviter les biais et

les préjugés favorables à l’approche.

art-thérapie

conjugalité

travail social

gérontologie

293

Notre subjectivité, ce biais qui constitue un des principaux risques d’une étude qualitative de

type exploratoire, en fait également une de ses plus grandes forces. Ce type de recherche

permet effectivement une compréhension sensible et en profondeur du phénomène à l’étude.

Certes, si nous n’avions été qu’observatrice d’un même processus d’intervention, notre

regard aurait été différent. Ce n’est pas le choix que nous avons fait. Nous avons plutôt opté

pour un regard intimiste et engagé. Cela a permis d’éclairer autrement l’expérience en plus

d’enrichir notre pratique.

294

CONCLUSION GÉNÉRALE

La présente recherche doctorale poursuivait trois buts : concevoir et documenter une

intervention en art-thérapie auprès de couples dont l’un des partenaires est atteint de la

maladie d’Alzheimer; comprendre ce que vivent les couples confrontés à la maladie

d’Alzheimer lorsqu’ils bénéficient d’une intervention psychosociale en art-thérapie; amorcer

une réflexion sur une pratique d’intervention qui allie deux identités professionnelles : le

travail social et l’art-thérapie.

La stratégie mise en œuvre pour atteindre ces objectifs est l’étude de cas multiple

exploratoire. Ainsi, nous avons réalisé l’intervention avec cinq couples rencontrant les

critères énoncés puis nous avons traduit cette expérience dans un récit qui relatait les séances

vécues d’un point de vue intimiste. De multiples regards ont ensuite été portés sur

l’expérience pour mettre en lumière quelques significations. Le portrait ainsi tracé est vaste

et sensible. Il n’a rien d’exhaustif et on ne peut en tirer des résultats statistiquement

significatifs. Mais il a cette qualité de nous offrir une compréhension en profondeur du

phénomène à l’étude, d’ouvrir diverses perspectives et de soulever de nouvelles questions.

Nous considérons avoir atteint les objectifs, du moins en grande partie. D’abord, la recherche

a permis d’expliciter les modalités d’une telle intervention et nous estimons qu’un

professionnel qui voudrait s’en inspirer pour offrir à des couples de faire une démarche en

art-thérapie y trouverait des pistes intéressantes qui lui permettraient également d’éviter des

écueils. Par exemple, nous retenons que la perspective d’intervenir au domicile des personnes

ciblées par l’intervention constitue une avenue intéressante. L’expérience a permis

d’identifier également qu’une rencontre individuelle avec chaque partenaire est souhaitable.

Celle-ci sera alors l’occasion de prendre en compte les besoins auxquels l’intervention

conjugale ne pourra répondre et de référer la personne aux ressources appropriées. En outre,

lors de cette rencontre, il pourra être expliqué au conjoint aidant que les rencontres ne seront

295

pas le lieu pour échanger sur l’évolution de la maladie en présence de la personne atteinte car

ceci pourrait lui causer du stress ou d’autres émotions non souhaitées. Dans ce sens, un mode

de communication alternatif pourra être établi en collaboration avec le conjoint aidant.

D’autres modalités ont été établies, telles qu’un temps optimal consacré aux séances ainsi

que la possibilité d’offrir le service tant que le besoin se manifeste et que le couple en tire

profit, puis d’instaurer par la suite un suivi ponctuel afin de préserver les acquis.

Ensuite, la description de l’expérience permet d’y jeter un regard sensible. Les échos venant

des pairs laissent entendre que l’on ne peut qu’être touché par l’expérience vécue par les

couples, ce qui démontre son caractère profondément humain. L’analyse nous a permis de

relever huit fonctions attribuées à l’expression artistique dans un contexte d’intervention

psychosociale en art-thérapie : ludique, apaisante, expressive, émancipatrice, stimulante,

révélatrice, identitaire et transformatrice. Cela suggère tout le potentiel de cet outil

d’intervention. Les conclusions suggèrent également que l’intervention psychosociale en art-

thérapie a agi en tant que médiation des différentes relations qui se sont retrouvées au cœur

de ce processus : la relation à soi-même, la relation conjugale, le rapport entre le couple et

l’intervenante puis, le rapport à la maladie. En somme, par l’action médiatrice de

l’intervention psychosociale en art-thérapie, les partenaires se solidarisent pour faire face à

la maladie, qui est dorénavant mise à distance. Le concept de médiation artistique est

relativement jeune et suscite des réflexions critiques qui visent à mieux le cerner. Nous

souhaitons que notre recherche contribue, à sa mesure, à ce travail. Ces mots de Casemajor

et ses collaborateurs (2017) traduisent un lien entre nos préoccupations et ce sens que prend

la médiation culturelle :

Ce pouvoir symbolique de l’art influe sur l’esprit critique de plusieurs manières :

il permet de mieux saisir le monde qui nous entoure et de se dégager soi-même

de ses propres contingences. Il contribue à générer, du moins potentiellement,

des savoirs, de nouvelles perspectives, de nouveaux regards, et des

représentations alternatives. Jumelant étroitement les deux domaines du sensible

et de l’analytique, il peut ouvrir le champ des possibles en consolidant la capacité

d’agir. (p. 24-25)

Certes, il ne s’agissait pas formellement d’art dans l’intervention qui a été menée mais plutôt

d’expression artistique. Néanmoins, il nous semble que cette dernière citation pourrait être

transposée à l’expérience qui a été étudiée. Cela nous amène à suggérer que l’expression

296

artistique a joué un rôle de médiation et que la conception de cette dernière en est par le fait

même enrichie.

En ce qui concerne le troisième but de la recherche, nous ne pouvons affirmer qu’il est

pleinement atteint. Toutefois, l’expérience a révélé qu’une identité professionnelle

transcende celles de la travailleuse sociale et de l’art-thérapeute; il s’agit de l’intervenante.

Cette identité réaffirmée et intégrant tout autant le travail social et l’art-thérapie permet de

constater la très grande compatibilité naturellement présente entre ces deux champs

d’expertise professionnelle. Dans un contexte de réorganisation des professions en relation

d’aide et d’une nouvelle loi qui encadre ces pratiques, la réflexion doit se poursuivre afin de

consolider le discours identitaire du travail social et de l’art-thérapie.

Comme plusieurs études portant sur un sujet encore peu exploré par la recherche, notre projet

soulève bien des questions sur lesquelles il sera intéressant de se pencher dans le futur. Par

exemple, une parenté entre l’art-thérapie et la troisième vague des TCC a été identifiée. Une

réflexion approfondie qui mettrait en parallèle les principes et approches sous-jacents à ces

deux perspectives serait fort instructive et faciliterait sans doute le travail de reconnaissance

de l’art-thérapie, qui est à poursuivre. Dans le même sens, l’expérience a nourri une intuition

présente préalablement, mais qui n’a pu être vérifiée, à l’effet que l’approche narrative et

l’intervention psychosociale en art-thérapie pourraient se compléter aussi de manière

efficace. D’autres recherches permettraient de vérifier cette hypothèse.

Ultimement, notre motivation la plus profonde qui fut sous-jacente tout au long de la

réalisation de ce projet était de contribuer au développement des connaissances sur l’art-

thérapie en l’envisageant sous l’angle pratiquement inédit de l’intervention sociale auprès

des couples. Et de façon plus générale, nous portions le désir d’attirer le regard sur le vécu

des couples âgés devant faire face à la maladie et à la perte d’autonomie en démontrant que,

dans ce contexte, leurs souffrances sont grandes mais leur volonté de continuer d’être engagé,

conjointement, pour un mieux-être n’est pas moins grand. L’art-thérapie utilisée dans une

perspective psychosociale et dans un contexte mixant à la fois la conjugalité et la

gérontologie constitue un champ de pratique et de recherche encore vierge, que nous avons

commencé à défricher.

297

Dans ce sens, nous espérons que notre recherche inspirera d’autres projets d’intervention où

l’expression artistique sera mise à contribution. Nous sommes consciente que ce n’est pas

réaliste d’espérer que cela se fasse, à court terme, dans le réseau public de la santé et des

services sociaux actuellement. Par contre, nous convions minimalement les travailleurs

sociaux à tenir compte des réalités conjugales et à reconnaître la conjugalité comme étant

une valeur dont il faut aussi prendre soin dans leur travail auprès des aînés. Également, à

considérer que la personne atteinte de la maladie d’Alzheimer puisse aussi collaborer à la

démarche d’intervention qui la concerne et contribuer à l’amélioration de sa dynamique

conjugale.

Peut-être est-il aussi envisageable que des organismes communautaires s’adressant aux aînés,

aux proches aidants ou œuvrant dans le domaine de la maladie d’Alzheimer développent des

projets de ce type? Ils disposent d’une certaine marge de manœuvre leur permettant d’innover

et de rejoindre autrement des populations marginalisées et vulnérables comme peuvent l’être,

parfois, les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et leurs proches. Des projets où

l’expression artistique est mise à contribution sont à leur portée et correspondent à leurs

valeurs et missions. Notre recherche démontre tout le potentiel de tels projets d’intervention

et surtout, les besoins non comblés par le réseau public auxquels les milieux communautaires

pourraient répondre. Il ne reste plus qu’à s’y mettre. Parce que les couples âgés et touchés

par la maladie d’Alzheimer, eux, semblent prêts!

298

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Zinker, J. C. (1981). Se créer par la Gestalt. Montréal: Les Éditions de l’Homme.

317

ANNEXE A

Formulaire de consentement pour les participants Présentation du chercheur

Cette recherche est réalisée dans le cadre du projet de doctorat de Nancy Couture, dirigé par Sophie Éthier, professeure agrégée et co-dirigé par Patrick Villeneuve, professeur agrégé, de l’école de service social de l’Université Laval. Avant d’accepter de participer à ce projet de recherche, veuillez prendre le temps de lire et de comprendre les renseignements qui suivent. Ce document vous explique le but de ce projet de recherche, ses procédures, avantages, risques et inconvénients. Nous vous invitons à poser toutes les questions que vous jugerez utiles à la personne qui vous présente ce document. Nature et objectifs du projet

La recherche a pour but de : 1) Concevoir et documenter une intervention en art-thérapie auprès de couples dont l’un des

partenaires est atteint de la maladie d’Alzheimer; 2) Comprendre ce que vivent les couples confrontés à la maladie d’Alzheimer lorsqu’ils

bénéficient de ce type d’intervention; 3) Porter un regard réflexif sur une pratique d’intervention qui allie deux identités

professionnelles; le service social et l’art-thérapie. Déroulement du projet

Votre participation à cette recherche consiste à participer à une démarche d’intervention qui s’échelonnera sur dix semaines, à raison d’une heure par semaine, à votre domicile. Pendant les rencontres, vous serez invités à réaliser des activités artistiques ensemble et à échanger sur ces activités. Les activités seront choisies avec vous et vous serez toujours libres de faire autre chose que ce qui vous sera proposé. Avant que la démarche ne débute, nous nous rencontrerons une première fois pour se connaître, pour que vous me racontiez votre histoire et pour que je comprenne bien quels sont vos besoins et vos attentes pour ce projet. Cette rencontre devrait durer environ 90 minutes. Quelques semaines après la dernière rencontre (environ 2 ou 3), je reviendrai vous voir pour faire le point et pour vous entendre sur ce que vous avez vécu pendant la démarche, ce que cela vous a apporté, ce que vous avez apprécié ou non, etc. Cette rencontre devrait aussi durer environ 90 minutes. Les échanges tenus lors de la première et de la dernière rencontre seront enregistrés et transcrits pour analyse.

318

Il vous sera également demandé de remplir, à chaque semaine, un journal de bord dans lequel vous inscrirez en quelques mots ce que vous vivez entre les rencontres. À la fin du projet, il sera recueilli par la chercheure pour analyse. Avantages, risques ou inconvénients possibles liés à votre participation

Le fait de participer à cette recherche offre à votre couple une occasion de bénéficier d’une intervention visant à vous soutenir dans l’épreuve de la maladie et à vous aider à vous y adapter. Cependant, la participation à une intervention psychosociale n’est pas sans risque. Il se peut qu’à certains moments, vous viviez des émotions plus difficiles et que vous soyez confrontés à des limites difficiles à assumer. Il se peut aussi que d’anciens conflits ou frustrations refassent surface. Sachez que l’intervenante est habilitée à intervenir afin de vous offrir le soutien nécessaire. Au besoin, elle obtiendra des conseils d’une superviseure avisée. Elle pourra également vous référer, au besoin, à des services professionnels répondant spécifiquement à vos besoins. Il se peut aussi que les rencontres entraînent de la fatigue et que dans les heures qui suivront, vous ayez moins d’énergie pour réaliser vos activités quotidiennes.

Participation volontaire et droit de retrait

Vous êtes libre de participer à ce projet de recherche. Vous pouvez aussi mettre fin à votre participation sans conséquence négative ou préjudice et sans avoir à justifier votre décision. Si vous décidez de mettre fin à votre participation, il est important d’en prévenir le chercheur dont les coordonnées sont incluses dans ce document. Tout le matériel permettant de vous identifier, incluant l’enregistrement de l’entrevue, et les données que vous aurez fournies seront alors détruits, à moins que vous n’autorisiez le chercheur à les utiliser pour la recherche, malgré votre retrait. Le cas échéant, ils seront conservés selon les mesures décrites ci-après et qui seront appliquées pour tous les participants. Comme les rencontres peuvent entraîner de la fatigue, vous pouvez décider à tout moment de mettre fin à une rencontre sans mettre fin à votre participation au projet. La démarche se poursuivra ensuite comme prévu. Confidentialité

En recherche, les chercheurs sont tenus d’assurer la confidentialité aux participants. A cet égard, voici les mesures qui seront appliqués dans le cadre de la présente recherche : Durant la recherche:

votre nom et tous ceux cités durant la démarche seront remplacés par un code;

seul le chercheur aura accès à la liste contenant les noms et les codes, elle-même conservée séparément du matériel de la recherche, des données et des formulaires de consentement;

tout le matériel de la recherche, incluant les formulaires de consentement et les enregistrements, sera conservé dans un classeur barré;

les données en format numérique seront, pour leur part, conservées dans des fichiers dont l’accès sera protégé par l’utilisation d’un mot de passe et auquel seul le chercheur aura accès;

319

Lors de la diffusion des résultats :

les noms des participants ne paraîtront dans aucun rapport;

les résultats seront présentés sous forme globale de sorte que les résultats individuels des participants ne seront jamais communiqués;

les résultats de la recherche seront publiés dans des revues scientifiques, et aucun participant ne pourra y être identifié ou reconnu;

un court résumé des résultats de la recherche sera expédié aux participants qui en feront la demande en indiquant l’adresse où ils aimeraient recevoir le document, juste après l’espace prévu pour leur signature.

Après la fin de la recherche :

tout le matériel et toutes les données seront utilisés dans le cadre exclusif de cette recherche et ils seront détruits au plus tard en décembre 2020.

Afin de soutenir la chercheure dans l’analyse des résultats de ce projet, un groupe de pairs composé de professionnels formés en art-thérapie et en service social sera formé. Il n’aura pas accès à des informations permettant de vous identifier mais aura accès à des photos des œuvres que vous allez créer lors des rencontres. Tous les membres de ce groupe ont signé un formulaire d’engagement à la confidentialité. Remerciements

Votre collaboration est précieuse pour nous permettre de réaliser cette étude. C’est pourquoi nous tenons à vous remercier pour le temps et l’attention que vous acceptez de consacrer à votre participation. Signatures

Je soussigné(e) ______________________________consens librement à participer à la recherche intitulée : Intervenir en contexte de conjugalité et d’Alzheimer : quand l’art-thérapie et le service social se rencontrent. J’ai pris connaissance du formulaire et j’ai compris le but, la nature, les avantages, les risques et les inconvénients du projet de recherche. Je suis satisfait(e) des explications, précisions et réponses que le chercheur m’a fournies, le cas échéant, quant à ma participation à ce projet. __________________________________________ ________________________ Signature du participant, de la participante Date En cas d’inaptitude de la part d’un des membres du couple, __________________________________________ ________________________ Signature du conjoint, de la conjointe ou du représentant légal Date Un court résumé des résultats de la recherche sera expédié aux participants qui en feront la demande en indiquant l’adresse où ils aimeraient recevoir le document. Les résultats ne seront pas disponibles avant le mois de septembre 2017. Si cette adresse changeait d’ici cette date, vous êtes invité(e) à informer la chercheure de la nouvelle adresse où vous souhaitez recevoir ce document.

320

L’adresse (électronique ou postale) à laquelle je souhaite recevoir un court résumé des résultats de la recherche est la suivante :

Le numéro de téléphone où la chercheure pourra me joindre pour valider cette adresse : _____________________________________ J’ai expliqué le but, la nature, les avantages, les risques et les inconvénients du projet de recherche au participant. J’ai répondu au meilleur de ma connaissance aux questions posées et j’ai vérifié la compréhension du participant. __________________________________________ _______________________ Signature du chercheur ou de son représentant Date Renseignements supplémentaires

Si vous avez des questions sur la recherche, sur les implications de votre participation ou pour se retirer du projet, veuillez communiquer avec Nancy Couture, candidate au doctorat en service social, à l’adresse courriel suivante : [email protected]. Plaintes ou critiques

Toute plainte ou critique sur ce projet de recherche pourra être adressée au Bureau de l'Ombudsman de l’Université Laval : Pavillon Alphonse-Desjardins, bureau 3320 2325, rue de l’Université Université Laval Québec (Québec) G1V 0A6 Renseignements - Secrétariat : (418) 656-3081 Ligne sans frais : 1-866-323-2271 Courriel : [email protected]

321

ANNEXE B

Formulaire d’engagement à la confidentialité pour les professionnels formant le groupe de pairs Présentation du chercheur

Cette recherche est réalisée dans le cadre du projet de doctorat de Nancy Couture, dirigé par Sophie Éthier, professeure agrégée et co-dirigé par Patrick Villeneuve, professeur agrégé, de l’école de service social de l’Université Laval. Avant d’accepter de participer à ce projet de recherche, veuillez prendre le temps de lire et de comprendre les renseignements qui suivent. Ce document vous explique le but de ce projet de recherche, ses procédures, avantages, risques et inconvénients. Nous vous invitons à poser toutes les questions que vous jugerez utiles à la personne qui vous présente ce document. Nature et objectifs du projet

La recherche a pour but de : 1) Concevoir et documenter une intervention en art-thérapie auprès de couples dont l’un des

partenaires est atteint de la maladie d’Alzheimer; 2) Comprendre ce que vivent les couples confrontés à la maladie d’Alzheimer lorsqu’ils

bénéficient de ce type d’intervention; 3) Porter un regard réflexif sur une pratique d’intervention qui allie deux identités

professionnelles; le service social et l’art-thérapie. Déroulement du projet

Votre participation à cette recherche consiste à participer à un groupe de pairs qui portera un regard critique sur l’intervention qui sera validée. Pour ce faire, vous aurez à

- participer à une première rencontre de groupe lors de laquelle vous serez invité à échanger avec les autres membres du groupe sur les orientations à donner à l’intervention et à proposer des outils art-thérapeutiques que l’intervenante pourra utiliser;

- participer à deux autres rencontres de groupe (une à mi-parcours de la démarche d’intervention et une autre après la démarche) où vous échangerez avec vos pairs sur l’intervention réalisée et les constats à en tirer.

Afin de vous préparer à ces rencontres, l’intervenante-chercheure vous transmettra, quelque temps avant, des documents de bilan de l’intervention réalisée ainsi que des questions qui vous seront soumises lors des rencontres. Vous aurez donc à lire ces documents et à vous préparer. Les échanges tenus lors des rencontres seront enregistrés et transcrits pour analyse. Avantages, risques ou inconvénients possibles liés à votre participation et compensation

Le fait de participer à cette recherche vous offre une occasion de réfléchir à votre pratique professionnelle, de développer votre réseau de pairs et de vous former à l’utilisation de l’art en intervention psychosociale.

322

Cependant, la participation à la recherche pourrait aussi avoir des inconvénients, tels que le temps que vous devrez y consacrer (pour la préparation et les déplacements). Une compensation monétaire de 40$ vous sera offerte pour vous dédommager pour vos frais de déplacement. Participation volontaire et droit de retrait

Vous êtes libre de participer à ce projet de recherche. Vous pouvez aussi mettre fin à votre participation sans conséquence négative ou préjudice et sans avoir à justifier votre décision. Si vous décidez de mettre fin à votre participation, il est important d’en prévenir le chercheur dont les coordonnées sont incluses dans ce document. Tout le matériel permettant de vous identifier, incluant l’enregistrement de l’entrevue, et les données que vous aurez fournies seront alors détruits, à moins que vous n’autorisiez le chercheur à les utiliser pour la recherche, malgré votre retrait. Le cas échéant, ils seront conservés selon les mesures décrites ci-après et qui seront appliquées pour tous les participants. Confidentialité

En recherche, les chercheurs sont tenus d’assurer la confidentialité aux participants. A cet égard, voici les mesures qui seront appliqués dans le cadre de la présente recherche : Durant la recherche:

votre nom et tous ceux cités durant la démarche seront remplacés par un code;

seul le chercheur aura accès à la liste contenant les noms et les codes, elle-même conservée séparément du matériel de la recherche, des données et des formulaires de consentement;

tout le matériel de la recherche, incluant les formulaires de consentement et les enregistrements, sera conservé dans un classeur barré;

les données en format numérique seront, pour leur part, conservées dans des fichiers dont l’accès sera protégé par l’utilisation d’un mot de passe et auquel seul le chercheur aura accès;

Lors de la diffusion des résultats :

les noms des participants ne paraîtront dans aucun rapport;

les résultats seront présentés sous forme globale de sorte que les résultats individuels des participants ne seront jamais communiqués;

les résultats de la recherche seront publiés dans des revues scientifiques, et aucun participant ne pourra y être identifié ou reconnu;

un court résumé des résultats de la recherche sera expédié aux participants qui en feront la demande en indiquant l’adresse où ils aimeraient recevoir le document, juste après l’espace prévu pour leur signature.

Après la fin de la recherche :

tout le matériel et toutes les données seront utilisés dans le cadre exclusif de cette recherche et ils seront détruits au plus tard en décembre 2020.

323

Remerciements

Votre collaboration est précieuse pour nous permettre de réaliser cette étude. C’est pourquoi nous tenons à vous remercier pour le temps et l’attention que vous acceptez de consacrer à votre participation. Signatures

Je soussigné(e) ______________________________consens librement à participer à la recherche intitulée : Intervenir en contexte de conjugalité et d’Alzheimer : quand l’art-thérapie et le service social se rencontrent. J’ai pris connaissance du formulaire et j’ai compris le but, la nature, les avantages, les risques et les inconvénients du projet de recherche. Je suis satisfait(e) des explications, précisions et réponses que le chercheur m’a fournies, le cas échéant, quant à ma participation à ce projet. __________________________________________ ________________________ Signature du participant, de la participante Date Un court résumé des résultats de la recherche sera expédié aux participants qui en feront la demande en indiquant l’adresse où ils aimeraient recevoir le document. Les résultats ne seront pas disponibles avant le mois de septembre 2017. Si cette adresse changeait d’ici cette date, vous êtes invité(e) à informer la chercheure de la nouvelle adresse où vous souhaitez recevoir ce document. L’adresse (électronique ou postale) à laquelle je souhaite recevoir un court résumé des résultats de la recherche est la suivante :

J’ai expliqué le but, la nature, les avantages, les risques et les inconvénients du projet de recherche au participant. J’ai répondu au meilleur de ma connaissance aux questions posées et j’ai vérifié la compréhension du participant. __________________________________________ _______________________ Signature du chercheur ou de son représentant Date Renseignements supplémentaires

Si vous avez des questions sur la recherche, sur les implications de votre participation ou pour se retirer du projet, veuillez communiquer avec Nancy Couture, candidate au doctorat en service sociale, à l’adresse courriel suivante : [email protected].

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Plaintes ou critiques

Toute plainte ou critique sur ce projet de recherche pourra être adressée au Bureau de l'Ombudsman de l’Université Laval : Pavillon Alphonse-Desjardins, bureau 3320 2325, rue de l’Université Université Laval Québec (Québec) G1V 0A6 Renseignements - Secrétariat : (418) 656-3081 Ligne sans frais : 1-866-323-2271 Courriel : [email protected]

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ANNEXE C

Canevas d’entretien de la rencontre préalable avec les couples

Racontez-moi votre histoire.

Comment ça s’est passé quand l’un de vous a appris qu’il était atteint de la maladie

d’Alzheimer?

Comment vivez-vous cette situation maintenant? Quel est votre plus grand défi? Quelles sont

les forces qui vous permettent de vivre cette situation?

Quels sont vos besoins actuellement?

Est-ce que ça a changé quelque chose entre vous? Si oui, quoi?

Qu’est-ce qui vous a attirés dans la proposition qui vous a été faite de participer à cette

recherche?

Quelles sont vos attentes envers la démarche d’art-thérapie?

Avez-vous des craintes?

Avez-vous des questions?

Est-ce qu’il y a autre chose que vous aimeriez me dire avant que l’on commence?

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ANNEXE D

Canevas des questions de la rencontre post-intervention

Parlez-moi de l’expérience que vous venez de vivre.

Est-ce que ça a changé quelque chose pour vous?

Si oui, qu’est-ce qui a changé? Pourquoi vous pensez? Qu’est-ce qui a fait que ça a changé?

Si non, pourquoi vous pensez? Qu’est-ce qui aurait pu être fait autrement?

Est-ce que la démarche vous a permis de faire des découvertes? Lesquelles?

Qu’est-ce que vous avez apprécié de l’expérience?

Qu’est-ce que vous avez moins apprécié?

Après quelques semaines, qu’est-ce que vous retenez de cette démarche?

Est-ce qu’il y a autre chose que vous aimeriez me dire sur cette expérience?

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ANNEXE E

Canevas des questions pour la rencontre finale avec le groupe de pairs

À la lumière du bilan qui nous a été présenté de l’intervention et des constats qui s’en

dégagent,

- Qu’est-ce qui me surprend, m’étonne ou me dérange?

- Qu’est-ce que je peux dire sur l’apport de l’art dans ce type d’intervention?

- Qu’est-ce que je peux dire sur l’art comme outil de médiation du lien conjugal?

- Qu’est-ce que j’en retiens pour ma pratique?

- Quelles questions surviennent et méritent qu’on s’y attarde pour l’avenir?

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ANNEXE F

Questions du premier canevas investigatif

À la lumière des propos recueillis…

Est-ce que l’art peut être un outil de médiation du lien conjugal?

Est-ce que l’art peut favoriser le développement de stratégies d'adaptation des couples âgés

confrontés à la maladie d’Alzheimer?

Est-ce que l’art peut les soutenir dans la préservation de leur intégrité conjugale?

Est-ce que l’art peut contribuer à

a) soutenir les partenaires dans l'expression de leurs émotions et dans l'accueil mutuel

de leurs vulnérabilités?

b) favoriser une transformation positive des rôles qu’ils jouent au sein de leur couple;

c) soutenir ces couples dans le développement de nouveaux modes de communication;

d) favoriser le développement et l’expression de l’empathie entre les partenaires;

e) soutenir le sentiment identitaire des individus et du couple.

Quelle posture une professionnelle qui est à la fois travailleuse sociale et art-thérapeute

adopte-t-elle lorsqu’elle intervient auprès de couples âgés dans le contexte d’une intervention

psychosociale faisant appel à l’art?

Qu’est-ce qui surprend, étonne ou dérange dans ces propos?

Qu’est-ce que cela nous apprend sur l’apport de l’art dans ce type d’intervention?

Qu’est-ce que nous en retenons pour la pratique en art-thérapie auprès des couples âgés

confrontés à la maladie d’Alzheimer?

Qu’est-ce que nous en retenons pour l’intervention psychosociale auprès des couples âgés

confrontés à la maladie d’Alzheimer?

Quelles questions surviennent et méritent qu’on s’y attarde pour l’avenir?

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ANNEXE G

Questions du deuxième canevas investigatif

1a) Comment l’intervention psychosociale en art-thérapie s’est-elle déployée?

1b) Quelles sont les techniques et outils utilisés?

1c) Quels défis ont été rencontrés?

1d) Qu’est-ce que nous en retenons pour la pratique en art-thérapie auprès des couples âgés

confrontés à la maladie d’Alzheimer?

1e) Qu’est-ce que nous en retenons pour l’intervention psychosociale auprès des couples âgés

confrontés à la maladie d’Alzheimer?

1f) Comment je qualifierais l’approche ou les approches utilisées auprès des couples?

2a) Qu’est-ce qui surprend, étonne ou dérange dans ces propos?

2b) Qu’est-ce qui ressort du discours des couples quant à leur expérience?

2c) Qu’est-ce qui est commun à tous les couples dans ces propos?

3a) Qu’est-ce que cette expérience m’a appris sur moi, en tant qu’intervenante portant ces deux

identités professionnelles?

3b) Quelle place a pris la travailleuse sociale?

3c) Quelle place a pris l’art-thérapeute?

3d) Comment ces deux identités professionnelles ont-elles cohabité pendant l’intervention?

4a) Quel est l’apport spécifique de l’art dans l’expérience?

4b) Comment l’image est-elle intervenue dans les processus des couples?

4c) Comment l’art et l’expression artistique ont-ils « médiatisé » les rapports entre les conjoints?

4d) Quels sont les outils/techniques qui ont pu jouer ce rôle?

5a) Quelles stratégies d’adaptation les couples ont-ils développées à travers cette expérience?

5b) Quel(s) rôle(s) a joué l’art dans le développement de ces stratégies?

5c) Quels indices de la préservation de l’intégrité conjugale des couples avons-nous observés?

5d) Quel(s) rôle(s) a joué l’art dans la préservation de l’intégrité conjugale des couples?

6a) Quelle est l’influence de la TS dans l’intervention réalisée?

6b) Quelle est l’influence de l’ATH dans l’intervention réalisée?


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