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LE CONTRLE DE GESTION - Paris Dauphine University · 2010-06-14 · Eu égard aux évolutions des...

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CAHIER DE RECHERCHE DE DRM N° 2010-11 LE CONTROLE DE GESTION : REPERES PERDUS, ESPACES A RETROUVER Henri BOUQUIN Université Paris-Dauphine – DRM-UMR 7088 F - 75775 Paris Cedex 16 Tél : (33) 1 44 05 43 42 - Fax : (33) 1 44 05 40 31 E-mail : [email protected] Michel FIOL HEC Paris F-78351 Jouy-en-Josas Cedex Tel: (33) 1 39 67 72 81 - Fax: (33) 1 39 67 70 86 E-mail: [email protected] Résumé Face aux évolutions des périodes récentes, qu’adviendra-t-il du contrôle de gestion. Alors que, dans ses fondements, la discipline fait le lien entre une approche financière et opérationnelle et une orientation organisationnelle et managériale, elle devient de plus en plus technique dans la pratique et se fait marginaliser dans le champ de la recherche. Plusieurs réponses sont apportées par les théoriciens du contrôle de gestion pour faire face à cette problématique. Ces contributions sont, à notre avis, de fausses réponses. Cinq scénarios de redéploiement sont ensuite proposés. Ne s’excluant pas mutuellement, ils se fondent sur l’hypothèse que le contrôle de gestion n’est pas seulement fait pour accompagner l’action, il l’est aussi pour stimuler la réflexion. Il nous semble urgent que la discipline recrée des espaces pour que les managers puissent penser. Mots-clés Contrôle de gestion, management, constats, fausses réponses, scénarios possibles Abstract In the face of recent developments, what is the future of management control? Although this discipline is fundamentally meant for linking an operational and financial approach to an organizational and managerial orientation, it is increasingly technical in practice and isolated in the research field. Theoreticians in management control have several suggestions about how to handle this problem. However, we think that those contributions are misleading. We propose five redeployment scenarios. They are not mutually exclusive and are built around the assumption that management control is designed to support not only action, but also thought. We believe that the discipline urgently needs to create new spaces, in order to allow managers to think. Key-words Management control, management, statements, misleading answers, possible scenarios 1
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CAHIER DE RECHERCHE DE DRM

N° 2010-11

LE CONTROLE DE GESTION : REPERES PERDUS, ESPACES A RETROUVER

Henri BOUQUIN Université Paris-Dauphine – DRM-UMR 7088

F - 75775 Paris Cedex 16 Tél : (33) 1 44 05 43 42 - Fax : (33) 1 44 05 40 31

E-mail : [email protected]

Michel FIOL HEC Paris

F-78351 Jouy-en-Josas Cedex Tel: (33) 1 39 67 72 81 - Fax: (33) 1 39 67 70 86

E-mail: [email protected]

Résumé Face aux évolutions des périodes récentes, qu’adviendra-t-il du contrôle de gestion. Alors que, dans ses fondements, la discipline fait le lien entre une approche financière et opérationnelle et une orientation organisationnelle et managériale, elle devient de plus en plus technique dans la pratique et se fait marginaliser dans le champ de la recherche. Plusieurs réponses sont apportées par les théoriciens du contrôle de gestion pour faire face à cette problématique. Ces contributions sont, à notre avis, de fausses réponses. Cinq scénarios de redéploiement sont ensuite proposés. Ne s’excluant pas mutuellement, ils se fondent sur l’hypothèse que le contrôle de gestion n’est pas seulement fait pour accompagner l’action, il l’est aussi pour stimuler la réflexion. Il nous semble urgent que la discipline recrée des espaces pour que les managers puissent penser.

Mots-clés

Contrôle de gestion, management, constats, fausses réponses, scénarios possibles

Abstract In the face of recent developments, what is the future of management control? Although this discipline is fundamentally meant for linking an operational and financial approach to an organizational and managerial orientation, it is increasingly technical in practice and isolated in the research field. Theoreticians in management control have several suggestions about how to handle this problem. However, we think that those contributions are misleading. We propose five redeployment scenarios. They are not mutually exclusive and are built around the assumption that management control is designed to support not only action, but also thought. We believe that the discipline urgently needs to create new spaces, in order to allow managers to think.

Key-words Management control, management, statements, misleading answers, possible scenarios

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Eu égard aux évolutions des vingt dernières années, on peut se demander ce qu’il advient de la discipline de contrôle de gestion dans les organisations. 1 Appréhendée comme la courroie de transmission de la stratégie, elle s’est dévalorisée en accentuant son rôle de reporting financier. Face à une focalisation excessive de l’attention des Directions Générales sur le positionnement de leur entreprise dans leur environnement, sur leur marché, elle a souffert du moindre intérêt porté au management interne de l’organisation. Trop orientée vers la division des décisions le long des lignes hiérarchiques, elle a laissé échapper la gestion des processus transversaux au niveau opérationnel au bénéfice de la démarche qualité. Au moment où elle s’interrogeait sur la pertinence de résultats exclusivement financiers et sur la nécessité de recourir à des indicateurs plus qualitatifs et plus opérationnels, des ERP sont apparus pour organiser la collecte la transmission et l’analyse des données ; loin de libérer les contrôleurs, ils les ont souvent asservis à leur maintenance. Portant une attention excessive à la réduction des coûts, cette évolution a transformé les managers en simples responsables de ressources consommables. On peut aussi s’interroger sur l’avenir de la discipline dans nos universités et écoles de gestion. Aux Etats Unis, de nombreuses universités ont déprogrammé la matière ou ont réduit son périmètre au calcul et à la gestion des coûts (Management Accounting). Alors que la discipline présente cette fantastique vertu de faire le lien entre une approche financière et opérationnelle et une orientation organisationnelle et humaine, elle se fait marginaliser dans le champ de la recherche car insuffisamment sous-tendue par des modèles statistiques. Et le nombre de doctorants qui s’orientent vers le contrôle de gestion décroît régulièrement. Les réflexions développées dans ce papier se fondent sur nos expériences de professeur-chercheur et de conseiller dans de nombreuses entreprises françaises et étrangères, en contrôle de gestion ou en management entendu comme partie interne du processus de gouvernance de l’entreprise. Elles entrent en résonance avec nos différents travaux d’observation, de formation-action et de recherche-action menés pendant des années dans ces mêmes entreprises. Elles sont renforcées par les conclusions des thèses de doctorat que nous avons dirigées. Notre thèse sera la suivante. Le concept de gouvernance de l’entreprise s’est exclusivement focalisé sur la relation entre actionnaire et direction générale, ce que l’on pourrait qualifier de « gouvernance externe ». Il a ignoré les interrelations entre la direction générale et les autres membres internes de l’organisation, ce que nous appellerons par la suite « gouvernance interne »2. Quatre facteurs ont contribué à dégrader le modèle de gouvernance interne hérité de Sloan et conceptualisé par Anthony, qui était fragile par construction. L’émergence de la gouvernance d’entreprise a concentré l’attention sur le contrôle interne en le réduisant à un ensemble de dispositifs mécaniques et en occultant la dimension comportementale du management. En outre, le développement des ERP a donné l’illusion aux dirigeants d’un contrôle complet de la gestion des opérations qui rendait superflu le talent du manager. Par ailleurs, la montée en puissance d’un leadership élitiste et créatif, en grande partie inné, a contribué à limiter la pratique du management à une activité administrative et impersonnelle, reposant sur des dispositifs instrumentaux et relevant d’un apprentissage technique. Finalement, la complexité croissante des aspects légaux de la gestion des ressources humaines

1 On entend par contrôle de gestion ce que Anthony appelle « management control », qui désigne l’art de faire en sorte que dirigeants et cadres travaillent dans le même sens. 2 C’est cette idée qu’exprime une définition classique ; « l’art de faire faire les choses par d’autres » (getting things done through people). Celle-ci s’applique aussi bien aux relations entre actionnaires et direction générale, qu’aux interrelations entre direction générale et membres de l’organisation.

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a focalisé l’attention de cette fonction sur les enjeux administratifs au détriment du développement personnel des managers. Cette quadruple évolution a eu pour effet de dépecer la discipline de management, et en conséquence de vider le contrôle de gestion de sa composante managériale, pour le réduire à sa dimension de calcul et de réduction des coûts. La situation ainsi créée engendre une dynamique négative : la réduction du contrôle de gestion à une fonction reporting contribue à renforcer la perte de substance du management lui même. Notre discipline a-t-elle encore un avenir ? Face à la crise de la gouvernance interne, au malaise des managers qui se sentent de plus en plus seuls et abandonnés, à la perte de prestige de la finance d’entreprise, à la course sans fin à la réduction des coûts, nous soutiendrons qu’un vide entier s’est créé dans les organisations et qu’il ne demande qu’à se remplir. Ce papier tente tout d’abord de rappeler le modèle de gouvernance interne promu par Sloan chez General Motors et de dresser quelques constats sur l’état actuel de la discipline de contrôle de gestion. Il s’interroge ensuite sur quelques propositions soi-disant salvatrices, mais qui conduisent, selon nous, à de fausses réponses. Enfin, il suggère quelques pistes de réorientation possible qui nous semblent gratifiantes.

1. Le modèle fondateur de gouvernance interne de Sloan

Pour mieux situer ces différentes évolutions, nous considérons utile de partir du modèle de base de gouvernance interne proposé par Sloan. Celui-ci constitue un difficile équilibre conflictuel et évolutif entre centralisation et décentralisation, un compromis toujours en tension entre la direction centrale et les directions de divisions. Les deux entreprises pionnières que furent General Motors (GM) et Du Pont, firent du contrôle de gestion la clé de la gouvernance interne par la simulation d’un marché interne de la création de valeur. De ce fait, ils l’ont financiarisé. Les mémoires de Sloan (1963, chap. 8) ne mentionnent pas le « management control » mais les « financial controls ». Cet auteur ne cache pas l’enjeu de gouvernance interne derrière l’instrument de management : on connaît son expression récurrente de « decentralization of responsabilities with co-ordinated control » (chap.23). Un paradoxe dont lui-même s’amuse (ibid. p. 53) en soulignant que c’est là « le nœud du problème ». C’est bien une contribution à la maîtrise financière du gouvernement des entreprises que construisent Sloan et son directeur financier Brown, laissant les managers intermédiaires libres de leur style de management (Drucker, 1978, p. 266, à propos du management de Chevrolet). Sloan, il est vrai, a cru à l’invariance à l’échelle des systèmes d’organisation, à leur mimétisme potentiel. La vision de la comptabilité de gestion, dont il a fait, vraisemblablement par généalogie taylorienne, plus un instrument de surveillance que de réduction des coûts, y encourageait aussi. Le controller, responsable de la comptabilité, présent bien avant l’invention du contrôle de gestion (Bouquin, 2005), fut un acteur de l’enracinement du modèle de contrôle financier de délégation verticale. La tradition française, comme, probablement, la tradition allemande (Bouquin et Schwarz, 2006), voire européenne, la Grande-Bretagne mise à part, semble différente : absence de corps social de contrôleurs voire même de comptables de gestion, alors que 1919 voit leurs organisations se fonder aux États-Unis, en Grande-Bretagne, au Canada (Loft, 1986). Le contrôleur de gestion à la française, responsable fonctionnel (staff) à la différence du

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controller, s’est parfois construit contre le comptable, appuyé par les « tableaux de bord » des ingénieurs, doté d’une comptabilité de gestion sans doute plus tournée vers les coûts des produits que vers la surveillance des personnes. L’existence de deux modèles qui en résulte ne doit pas être oubliée pour juger les évolutions. Les controllers nord-américains et britanniques ont su institutionnaliser très tôt leur profession, mais ils ont construit leur légitimité autour du management accounting. Les contrôleurs de gestion français n’ont pas créé d’institution reconnue, mais ils ont cherché à se démarquer du métier comptable. Très tôt, leur ambition a été d’être les business partners généralistes, des experts en modélisation économique. Mais, faute d’une reconnaissance claire de leurs compétences, l’institutionnalisation du modèle Sloan-Brown semble bien ne pas leur avoir profité. Le modèle divisionnel construit dans les années 1920 à la General Motors (GM) s’est diffusé au point de constituer désormais une quasi-norme dans les grandes entreprises et les groupes. Initialement conçu comme le complément organisationnel d’une stratégie de différenciation, subordonné à elle (Sloan, 1963 ; Fligstein, 1990), ce modèle s’est institutionnalisé avec les succès de GM. Il a alors été appréhendé comme une source de croissance externe, un levier de croissance du bénéfice par action, donc un dispositif permettant un pilotage par les financiers, dont il a permis la montée en puissance (Zorn, 2003 ; Fligstein, 1990). Relu par eux, le modèle divisionnel de GM et DuPont a été le support de la croissance externe dont les conglomérats des années 50 et 60 furent l’exemple extrême. Il fut présenté comme le dispositif permettant de tout diriger – donc libérant la direction générale du besoin de connaître les business dans lesquels elle investissait. L’idéologie associée à cette épopée fut cependant battue en brèche par des échecs retentissants, et les vagues de « recentrages » auraient dû provoquer un retour à d’autres pratiques. Mais la financiarisation des années 80, puis la globalisation sauva le pouvoir des dirigeants financiers et éloigna encore plus les dirigeants de la pratique des activités sur le terrain. L’institutionnalisation de ce modèle de management n’est pas surprenante. Son examen montre qu’il s’agit d’un véritable système global de gouvernance interne d’entreprise dans lequel chaque composante permet aux autres d’être efficaces. Mais on y constate aussi que l’architecture d’ensemble est conçue pour que les effets pervers potentiels, c’est-à-dire les risques inhérents aux dispositifs qui constituent ce système, soient « maîtrisés »3. Ce système de gouvernance cache une architecture de risk management (fig. 2). Il suffit de modifier un de ses éléments pour détruire la cohérence de l’ensemble. C’est précisément ce qui s’est produit quand le modèle GM-DuPont ne fut plus subordonné à la stratégie marketing, qui avait assuré le succès de General Motors.

1.1. Des dispositifs de gouvernance interne en synergie (fig. 1)

Pour mener à bien une stratégie de croissance par différenciation, que doit faire une direction générale ? Sa ressource rare étant le temps de dirigeant, elle doit l’allouer aux décisions qui ne peuvent pas être mieux prises aux échelons inférieurs. La finalité du système Sloan-Brown

3 Le concept de « maîtrise » de la gestion est une illusion occidentale. Que maîtrise-t-on vraiment ?

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(Sloan, 1963) est de permettre à la direction générale de se concentrer sur la définition de politiques (policies) orientant les comportements des managers et d’arbitrer entre les projets en instaurant un véritable marché financier interne. La première de ces politiques consiste à orchestrer la stratégie de croissance par différenciation et innovation (face à Ford, champion du « low cost »). La Direction Générale doit donc déléguer la mise en œuvre des politiques au management intermédiaire et alléger les tâches de coordination et d’arbitrage. La modalité la moins coûteuse de coordination, comme l’a noté Thompson (1967), c’est la mise en cohérence par les plans que permet l’interdépendance « de communauté », réduite à une concurrence pour les ressources communes. C’est l’organisation par produit-marché qui respecte ces critères (flèches 1 et 2 fig. 1). L’épargne du temps des dirigeants se paie cependant par le besoin d’un staff important de fonctionnels et d’experts (flèche 3).

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Facturations internes

FIG. 1

LA GOUVERNANCE INTERNE INDUITE PAR SLOAN

L’évaluation des performances est doublement centrale : il faut comparer les divisions entre elles pour exercer l’arbitrage de l’allocation des ressources ; il faut aussi exiger des managers

Multiplication des fonctionnels

Stratégie de croissance par différenciation et innovation

ROI Besoin de

coordination : plans et budgets

Jugement sur les résultats

Négociation du couple risque-

rendement (slack)

Que doit faire la DG ?

Intéressement aux résultats de

l’entité

A B

signifie que A permet ou renforce B

8

86 53

4

2 Organisation cloisonnée en divisions de produits-marchés

(business units)

7 1

Allouer les ressources

Définir les « policies »

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qu’ils rendent compte de la délégation qu’ils ont reçue. L’idée centrale est celle de responsabilité : qui reçoit délégation doit répondre de l’usage qu’il en a fait. La coordination par les plans appelle une évaluation par les résultats (flèche 4). Celle-ci ne peut être acceptée et mobiliser les acteurs que si un « slack » – une marge de manoeuvre qui donne une chance raisonnable d’atteindre le résultat – est concédé (flèche 5), et si l’évolution dans l’entreprise est liée à la performance, par exemple par un intéressement (flèche 6). Le système d’information comptable est l’outil essentiel de cette division du travail : il permet aux dirigeants de suivre l’action des managers en termes de résultats financiers. La généalogie du modèle Sloan-Brown trouve sa source dans les progrès de la technique comptable au début du XXe siècle – on a pu affirmer (Kaplan, 1984a, 1984b) que l’essentiel était en place en 1925. Cette maturité est contemporaine de l’apparition du modèle GM-DuPont. La culture comptable et financière est appelée à jouer un rôle majeur : un véritable marché financier interne, qui arbitre entre les projets, est construit autour du ROI (flèche 7), cet indicateur établi par Brown à la demande de Coleman Du Pont qui recherchait un moyen de comparer les performances des divisions de son entreprise. Les centres de profit qui structurent l’entreprise ne peuvent cependant exister que si les transactions qui s’établissent entre eux sont facturées (flèches 8). Si l’on ordonne le graphe obtenu pour en faire ressortir les sommets, c’est-à-dire les dispositifs organisationnels sur lesquels tous les autres s’appuient directement ou indirectement, la figure 1 montre que ce modèle de gouvernance repose en définitive sur quatre conditions qui rendent possible l’architecture d’ensemble :

• des facturations internes, une culture de marché qui organisent les relations transversales entre divisions,

• des fonctionnels nombreux, qui auront à composer avec les opérationnels, et donc un enchevêtrement de relations entre la direction centrale et les directions de divisions,

• le slack (on est donc dans un modèle où la performance n’est pas maximisée, c’est le prix à payer pour mobiliser certaines parties prenantes)

• le lien entre le résultat et la carrière. Cependant, chaque dispositif de gouvernance comporte un risque. Chacun des sommets du graphe de la figure 1 peut être interprété, en effet, comme un source de dérive.

1.2. Un modèle de contrôle interne et de gestion des risques (fig. 2) La stratégie de différenciation et d’innovation risque de dériver si les nécessaires équilibres financiers ne sont pas rappelés : le ROI et le marché financier interne jouent donc le rôle de contrepoids face à ce risque (flèche a, fig. 2). Mais le ROI, et, plus généralement, la culture de gouvernance par un marché financier interne, peut, comme certains l’ont souvent souligné, conduire la finance et la performance à court terme à prendre le pas sur la performance durable de l’entreprise. Les plans sont là pour garantir contre ce risque (flèche b).

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On constate à ce stade que l’architecture de gouvernance contient son propre contrôle interne, mais, et il est intéressant de le noter, que celui-ci ne porte que sur les risques de la logique financière (et partiellement, puisque rien ne vient résoudre les risques liés à une facturation interne mal conçue) et ne prévoit pas de contre mesure pour les risques liés aux choix de structure. Les questions ouvertes sont les suivantes :

- les fonctionnels suffisent-ils à prévenir des plans irréalistes ? - Comment définir des facturations internes ? - Comment éviter la dérive en baronnies d’une organisation cloisonnée en divisions, le

risque est amplifié par l’intéressement aux résultats locaux ? - Comment réguler le slack ?

Il faut donc ajouter des dispositifs de management des risques pour couvrir ces domaines.

Organisation cloisonnée en divisions de produits-marchés

Gouvernance par un marché

financier interne

Budgets

Facturations internes

Multiplication des

fonctionnels

ROI

Plans

Jugement sur les résultats

Négociation du couple risque-

rendement (slack)

La DG doit définir les « policies »

Intéressement aux résultats de

l’entité Comités

transverses

Connaissance du business par les dirigeants et

knowledge management

Existence de prix de marché

Si l’ensemble de l’entreprise est profitable

Stratégie de croissance par différenciation et innovation

ji

h

g

g

f

ed

cb

signifie que B est un régulateur du risque né de A

a

Risque non géré

Dispositif source du contrôle interne

Dispositif de contrôle interne ajouté pour gérer les risques

A B

FIG. 2

LE SYSTEME DE CONTROLE DANS LA GOUVERNANCE INTERNE L’examen du cas historique de GM montre quels furent ces dispositifs.

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Le risque inhérent au cloisonnement en divisions est contrebalancé par l’institution de comités transverses multiples (flèche c). Comme les dirigeants (Sloan) s’y impliquent, ces comités permettent de créer un véritable processus de gestion de la connaissance des dirigeants (knowledge management) (flèche d). Leur rôle officiel d’aide à la coordination est institué. Ils permettent au management intermédiaire de s’exprimer informellement sur les stratégies (Freeland, 2001). Ils aident la direction à rester en contact avec les opérations et à juger les plans qui émanent des divisions sans entièrement dépendre de l’expertise des fonctionnels (flèche e) et notamment des planificateurs (flèche f), dont le rôle est essentiel pour éviter que les budgets ne deviennent de pures enveloppes financières et l’entreprise un seul marché financier interne (flèches g)4. Ces comités modèrent, au prix des efforts des dirigeants, la vision initiale cloisonnée. Les facturations internes devaient permettre de simuler une économie de marché interne et de mesurer la rentabilité des divisions. Elles doivent donc être issues d’un prix de marché (flèche h). Ce dernier contribue à limiter le slack mis de côté par les divisions en le plafonnant à un niveau qui ménage la compétitivité des coûts de l’entreprise (flèche i). Les risques de cloisonnement sont limités par le lien établi entre les stocks options et le résultat d’ensemble (flèche j). Ainsi, les jeux internes, la marge de manœuvre concédée aux managers ne peuvent pas priver les clients et les actionnaires d’une part de la performance de GM. En ordonnant le graphe pour faire apparaître les dispositifs qui servent de socle au contrôle interne du modèle managérial ainsi construit, on constate que celui-ci se réduit à une architecture dont le management des risques repose sur trois piliers : - la connaissance du « business » par les dirigeants, ce qui n’est pas trivial dans un

environnement qui valorise les compétences financières ; - l’arbitrage par des prix de marché, - l’exigence d’une profitabilité globale. Mais on constate aussi que cette architecture laisse deux domaines « libres » de régulation :

- l’activité de Direction Générale : La notion de « politique », on l’a vu, reste vague. Qui doit participer au processus stratégique ? A quelques dizaines d’années de distance, cette incertitude trouve un écho troublant dans les hésitations d’aujourd’hui quant à la définition du contour de la notion de contrôle interne. Le référentiel du COSO et le référentiel français hésitent à intégrer les dispositifs de définition des stratégies.

- Les risques liés au jugement sur les résultats sont indirectement modérés par les dispositifs conçus pour canaliser les tentations du « court termisme », mais ils restent cependant largement présents. On sait que ce point est le plus fréquemment évoqué comme une cause majeure des effets pervers de ce mode de gouvernance.

Les trois piliers paraissent aujourd’hui fragilisés : la connaissance des « business » par les dirigeants s’est souvent réduite, sous l’influence même du modèle fondateur ; l’intégration croissante du commerce mondial, constitué pour plus de 50% des flux intragroupes, tend à

4 Rappelons que Sloan se plaignait de son peu de connaissance de l’automobile, alors que nombre de dirigeants de divisions étaient issus de la technique ou avaient créé leur entreprise.

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rendre plus incertaine la notion de prix de marché ; l’individualisation des bonus offre de nombreux exemples de déconnection entre ceux-ci et la profitabilité globale. Par ailleurs, la non-régulation des deux domaines cités plus haut a produit ses effets : les directions définissent-elles des politiques ? Les débats sur l’éthique posent la question. Quant aux risques liés au jugement sur les seuls résultats, ils ont cruellement montré leur ampleur.

2. Les constats actuels sur la mise en œuvre de ce modèle fondateur

Au long de ces dernières années, le contrôle de gestion s’est trouvé à la fois malmené et reconnu plus nécessaire que jamais. Cette situation paradoxale en apparence n’a été favorable ni aux contrôleurs de gestion dans les entreprises, ni au contrôle de gestion comme champ académique d’enseignement et de recherche. Cette évolution a été renforcée à la fois par l’absence fréquente d’intérêt des dirigeants pour la gouvernance interne et par le manque d’ampleur des perspectives académiques. Les péripéties de la gouvernance externe, la remise à l’honneur du contrôle interne ont encouragé encore plus les dirigeants à se détourner de la gouvernance interne. Le retour des outils de gestion modernisés a instrumentalisé le management et pesé dans le même sens : trop souvent, le « comment ? » a remplacé le « pourquoi ? ». Quatre constats s’imposent à nous. La perspective de gouvernance interne imaginée par Sloan s’est délitée, sans avoir jamais été remplacée. Une confusion au niveau des définitions et des champs d’application s’est installée entre les disciplines de contrôle de gestion et de contrôle interne. Sous l’effet de la montée en puissance de la gouvernance externe, les directions générales se sont mises à négliger la gouvernance interne pour satisfaire les exigences financières croissantes des actionnaires. Enfin, un certain nombre de postulats de base plutôt simples sur lesquels reposaient les instruments de gestion interne sont devenus obsolètes ou n’ont pas résisté à la montée en puissance de la complexité des situations de management.

2.1. Une discipline au service d’une vision réductrice de la gouvernance interne Il est bien connu que le contrôle de gestion est une discipline non dépourvue d’ambiguïtés, peut-être parce que, au service du management, il lui appartient de gérer des paradoxes et des contradictions. Pour tenter une mise au point, il semble utile de distinguer la perspective que les entreprises ont développée et celle que les enseignants et chercheurs ont construite.

2.1.1. Dans les entreprises

L’architecture de contrôle, instaurée par Sloan, contient des dispositifs auxquels deux rôles sont alloués : assurer la synergie exigée par la convergence des buts et tempérer des risques. Certaines configurations de l’architecture concilient les deux rôles, d’autres ne privilégient que l’un d’eux. L’analyse montre la fragilité d’un modèle plus subtil qu’il n’y paraît.

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Peut-on modifier un dispositif sans le ruiner ? Peut-on trouver d’autres équilibres que ceux du modèle fondateur, voire d’autres principes d’architecture ? Les fondements mis en évidence semblent tous d’actualité. Seul le rôle du slack est aujourd’hui problématique. Face à la nécessité de réduire rapidement les coûts, la confiscation du slack a souvent été tentée ; un des piliers du modèle de gouvernance a ainsi été sacrifié – faute d’avoir identifié à temps la dégradation de productivité qui appelait une réaction. Peut-être le contrôle de gestion n’avait-il pas, dans de tels cas, analysé l’environnement pour alerter à temps, préférant s’engluer dans des routines budgétaires internes. Le slack étant une condition du bon fonctionnement du jugement par les résultats, dont on a vu qu’il constitue un risque peu piloté, on peut supposer que le déséquilibre ainsi créé a engendré des effets en chaîne, autour des inconvénients potentiels d’une organisation compartimentée. Le contrôle de gestion, dont la vocation même est de créer la cohérence, ne remplit alors plus son rôle (Fiol M., Jordan H., Sullà E. 2004). Ce n’est donc pas par hasard que les innovations rapportées par la recherche en gestion portent sur des mesures de renforcement de la transversalité. Doz et Kosonen (2007) montrent que les équipes dirigeantes éprouvent des difficultés à coopérer, à saisir les occasions de développement qui mettent en cause la division établie des responsabilités et des territoires des business units. Diverses solutions sont observées : la mise en œuvre d’un business model unique dans les diverses branches d’activité, ce qui encourage les managers à échanger, la distribution d’une responsabilité fonctionnelle transversale à des directeurs de divisions, une gestion des carrières développant plusieurs compétences chez chacun. On peut cependant s’interroger : s’agit-il de développer la complémentarité des comportements, ou la cohésion d’une équipe qui n’en est plus une et a besoin de retrouver un sentiment d’interdépendance ? On relèvera en tout cas que l’hypothèse qui ferait du contrôleur de gestion un acteur de la transversalité n’est pas évoquée. Elle ne peut, en fait, être vérifiée que localement, de manière contingente ; elle l’est parfois d’ailleurs, par l’effet de l’entregent du contrôleur : en effet, la transversalité allant à l’encontre des détenteurs du pouvoir « vertical » hiérarchique, en confier institutionnellement le développement à un fonctionnel sans autorité paraît improbable – d’autant que le contrôleur de gestion, en France, n’a pas pris le soin de créer les organismes professionnels qui le soutiendraient. C’est donc dans les racines mêmes du contrôle de gestion que les facteurs de son évolution récente peuvent se déceler : si la logique du contrôle financier s’est imposée comme moyen de gouvernance, son extension à l’identique vers les activités opérationnelles a été progressivement critiquée. La financiarisation a, en effet, imposé au sommet un modèle de mesure de performance actionnariale qui n’était autre que celui du ROI de GM, parfois revisité (EVA). Les normes comptables IFRS, la réglementation (SOX ou LSF) ont renforcé la tendance à l’institutionnalisation du modèle (IAS 14, par exemple). En revanche, l’hyper compétition, la construction des partenariats, ont fait passer à la base la logique des processus avant celle des centres de responsabilité, concept des années 50 selon Drucker, territoire générique du management et du manager. Une mutation de certaines logiques de management devrait en résulter, mais elle est loin d’être perceptible aujourd’hui. En revanche, un mouvement s’annonce car la mutation de certaines fonctions d’appui au management est claire : qualité, contrôle de gestion, risk management, aujourd’hui, GRH demain peut-être, disposent du référentiel commun des processus. Il s’étendra rapidement au contrôle interne. Cela comporte sans doute deux conséquences : implosion et fusion.

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Implosion : la tendance est déjà d’intégrer le contrôle de gestion dit « opérationnel » aux opérations, alors que le contrôle de gestion pour les dirigeants est vu comme un simple reporting financier. Fusion d’autre part : une grande fonction d’ingénierie du management se profile, synthèse lente et douloureuse de ce que Minztberg nommait la technostructure. Partitionné dans ses processus, condamné à fusionner sur le terrain avec d’autres expertises fonctionnelles, le contrôle de gestion dans l’esprit de Sloan peut-il survivre ?

2.1.2. Au plan académique

L’observation des pratiques académiques n’est pas rassurante. Certes, l’histoire du contrôle de gestion comme discipline académique reste à faire. Quand apparaît-elle ? Quand s’est-elle imposée comme un processus de management et non comme une simple collection d’instruments comptables de prévision et de suivi (comptabilité de gestion, contrôle budgétaire) ? Les académiques, dans leur enthousiasme, sous l’influence majeure d’Anthony, n’ont-ils pas créé une réalité (management control, le contrôle de gestion) qui n’était pas celle des entreprises (controlling, controllership, le contrôleur de gestion) ? On peut suggérer l’évolution suivante. La première phase, avant 1940, fait du contrôle de gestion l’instrument du management des marges voire de la rentabilité (Glover et Maze, 1937 ; Mareuse, 1938). La modélisation progresse après guerre (recherche opérationnelle) de sorte que les ouvrages de management control tendent à intégrer les instruments mathématiques et les références cybernétiques. Dans les années 60, la typologie adoptée par Anthony (1965), mais ignorée par lui jusqu’en 1964 et identifiable chez d’autres auteurs avant lui (Rose, Newman), refonde une discipline. L’évolution des années récentes a tendu à la scinder en deux composantes, à l’instar de la pratique des entreprises. Au « sommet », le contrôle de gestion, instrument de gouvernance, a été occulté par la notion de création de valeur « actionnariale », jusqu’à ce que les académiques s’aperçoivent que des indicateurs de création de valeur ne peuvent tenir lieu de théorie de la création de valeur : les actionnaires perçoivent ce qui reste de la performance financière après distribution aux autres parties prenantes, d’où l’importance de faire la théorie de la création de valeur pour les autres parties prenantes. On l’attend toujours. A « la base », l’approche processus a ancré le contrôle de gestion dans les opérations, le ramenant du même coup à ses outils, scindés entre les départements de comptabilité et ceux que les universités américaines nomment « OPIM » (Operations and Information Management), qui fédèrent déjà les utilisateurs des approches processus. Le contrôle de gestion souffre spécialement de la dualité des paradigmes qui traversent les sciences de gestion : sociologique et comportemental, d’un côté, économique, d’un autre. Les tenants du paradigme comportemental se sont effacés devant les théoriciens des organisations et n’ont pas marqué suffisamment l’appartenance du contrôle de gestion à des problématiques de gouvernance. Le paradigme économique (théorie de l’agence) ne permet pas d’identifier un champ spécifique au contrôle de gestion. Celui-ci, marqué par la modélisation des processus, qui, vus comme une simple technique d’organisation des flux, n’appartiennent à aucun des deux paradigmes précédents (sauf à mentionner de rares exceptions comme les travaux de Lorino, qui montre la portée sociologique du paradigme des processus) s’est dès lors condamné à sortir du champ de la recherche académique visible. La situation est particulièrement claire aux États-Unis, comme mentionné plus haut, et ce n’est pas un hasard, puisque le paradigme économique s’y est imposé. Ce n’est que dans certains pays européens,

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à commencer par le Royaume Uni (mouvance AOS) que le paradigme sociologique reste vivace et la situation moins dégradée. En résumé, le modèle de contrôle de gestion imaginé par Sloan et traduit en termes académiques par Anthony a été dénaturé dans la pratique par ceux qui n’en ont pas saisi l’esprit et l’ont ramené à une collection d’outils à améliorer sur le plan technique. Le mouvement de dégradation du contrôle de gestion a été amplifié par l’émergence d’une gouvernance d’entreprise que nous avons qualifiée précédemment d’externe, qui a préféré privilégier une conception restrictive du contrôle interne.

2.2. Contrôle interne, gouvernance, contrôle de gestion : l’occasion manquée

Il n’y a pas si longtemps, certains s’interrogeaient sur la différence entre contrôle interne et audit interne, et se demandaient si le contrôle de gestion se situait dans le contrôle interne, bien que la définition adoptée en France par l’Ordre des Experts-Comptables fût claire en apparence (OECCA, 1977). Le débat surprendrait aujourd’hui. Il reflétait sans doute la césure faite en France entre la comptabilité (et son organisation) et le contrôle de gestion. Pourtant, les définitions du contrôle interne retenues par les organisations professionnelles de culture anglo-saxonne n’étaient pas ambiguës, elles visaient bien les systèmes de contrôle de gestion. Cependant, le débat maintenant tranché, des ambiguïtés subsistent, et elles ne sont pas nécessairement à l’avantage du contrôle de gestion. Le COSO (1992), en France les propositions de l’IFACI5 (AMF, 2006), élaborées pour le compte de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF), indiquent que le contrôle interne vise la qualité des informations financières et la cohérence entre les opérations et les politiques adoptées (efficacité des opérations, efficience de l’emploi des ressources, selon l’IFACI). A première vue, le contrôle de gestion se trouve donc enserré dans un cadre conceptuel pas très éloigné de celui d’Anthony. Cependant, tout comme ce dernier, celui du COSO affecte de laisser à part le processus de choix des stratégies, certes du ressort du conseil d’administration, mais dont on sait que l’émergence est souvent une caractéristique. Ainsi, l’élaboration des objectifs d’ensemble de l’organisation, de ses missions, le chiffrage des performances et les plans stratégiques ne relèvent pas du contrôle interne (COSO, 1992, 1994, p. 33). Le fait peut s’expliquer par la perspective retenue à l’époque (1992), qui fait du contrôle interne un instrument du Conseil d’Administration et de la Direction Générale, se limitant à l’assurance d’obéis. Mais, surtout, le COSO est soucieux de réserver un traitement à part aux « opérations » (par opposition à l’information financière), puisqu’à leur égard il n’est pas possible d’obtenir « l’assurance raisonnable » que les objectifs seront atteints, en raison du risque des affaires. N’ayant pas retenu de norme pour le processus de fixation des objectifs (au prétexte que des « normes externes » n’existent pas dans ce domaine), le COSO est contraint de marquer en conséquence sa réticence quant à la réalisation des objectifs en cause : outre le poids des aléas externes, que sait-on de leur réalisme (COSO, 1992, 1994, p. 57). L’assurance raisonnable de réalisation des objectifs n’étant pas possible, on s’en tiendra à l’assurance raisonnable « d’être alertés lorsque la réalisation des objectifs est compromise » (ibid. p. 58).

5 Institut Français des Auditeurs et Consultants Internes.

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En France, le texte de l’IFACI, plus récent, ne constitue pas un progrès. Il est ironique d’y lire aussi que la stratégie et la fixation des objectifs sont exclues du contrôle interne. Ce texte exclut aussi « le suivi des performances » (IFACI, 2006, p. 14). Par ailleurs, le texte du COSO fait du contrôle de gestion un sous-processus de la gestion financière (au sens du département du controller anglo-saxon). D’autre part, ce cadrage tend à renforcer la fonction de reporting du contrôle de gestion et à l’aligner sur le reporting externe. Les normes IFRS (après FASB) vont dans le même sens (IFRS 14, notion d’UGT). La mise en cohérence des informations financières rend indirectement le contrôle de gestion plus dépendant de l’information financière externe et de la finance en général. Cette situation n’est sans doute pas faite pour lui rendre sa place au sein des dispositifs de gouvernance interne.

2.3. La faible importance accordée par les dirigeants à la gouvernance interne.

Selon Hirschman (1972), le déclin d’une organisation n’est dû qu’en partie à la dégradation des relations qu’elle entretient avec son environnement. Il est également la conséquence de la détérioration de facteurs intrinsèques, rassemblés habituellement sous l’expression « climat de management » et que nous résumons ici sous le vocable de gouvernance interne. Préoccupés par l’évolution du marché et s’estimant soumis aux attaques de la concurrence, les dirigeants suivent en priorité et de très près les nombreux indicateurs qui affectent l’existence même de leur organisation dans son environnement et n’accordent que peu d’attention aux données internes. Au sein de l’organisation, ils ne veulent voir qu’une seule tête, qu’une loyauté sans faille. En outre, nous dit Hirschman, les dirigeants manquent d’indicateurs fiables sur les facteurs internes de dégradation. Certes, il existe bien des enquêtes de climat social ou des questionnaires « 360°». Mais les premières concernent souvent l’ensemble du personnel et ne sont pas focalisées sur l’encadrement. Les seconds n’appréhendent pas les contradictions inhérentes au management. Pour Hirschman, deux signaux peuvent néanmoins alerter les dirigeants sur un possible malaise de l’encadrement : les démissions (Exit) et les manifestations orales d’insatisfaction (Voice). Or, les causes de défection sont rarement étudiées dans les organisations ; elles sont même dépréciées ou occultées. Et les managers qui osent élever la voix et défendre des points de vue contraires aux positions officielles sont pris pour des opposants, des ingrats ou des « empêcheurs de tourner en rond ». En outre, comme les dirigeants vivent mal les démissions et les prises de parole décalées par rapport au discours officiel, ils exigent la loyauté de leurs cadres (Loyalty), empêchant ainsi les deux signaux de malaise de jouer leur rôle. A la cécité des dirigeants à percevoir le malaise croissant des managers (Dupuy, 2008), s’ajoute le sentiment d’iniquité éprouvé par ceux qui occupent des fonctions à vocation interne (ressources humaines, contrôle de gestion, qualité, etc.) vis-à-vis des opérationnels. Considérés comme des générateurs de coûts et des exécuteurs de tâches moins nobles, à la différence de leurs pairs chargés de fonctions à vocation externe (stratégie, finance, marketing, etc.) et perçus comme des créateurs de valeur, ils sont souvent sacrifiés. Ce biais a été documenté par Miller (1990), qui fonde son diagnostic sur la tendance des entreprises à caricaturer leur propre modèle économique, rompant ainsi l’équilibre des dispositifs de management qui conditionne la pérennité. « Les héros qui ont forgé la formule gagnante d’une entreprise se voient adulés et dotés d’une autorité absolue, alors que d’autres tombent dans une citoyenneté de troisième zone » (Miller, 1990, p. 4).

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Cette faible considération pour la gouvernance interne a un double impact négatif sur la cohésion au sein des équipes de direction. D’une part, les inégalités dans le traitement des managers sont contraires à l’harmonisation de toutes les fonctions dans un tout convergent. D’autre part, la tendance à plutôt sacrifier les managers générateurs de coûts lors de licenciements collectifs ou de départs en retraite anticipée réduit paradoxalement le nombre de promoteurs et de développeurs de la cohérence au sein même des organisations, affectant ainsi à terme la cohésion (Pech, 2003). Le cadre conceptuel proposé par Simons (1995), qui distingue quatre leviers du contrôle, et notamment « le contrôle interactif » et le « contrôle diagnostique », comme ses constats de terrain, va dans le même sens. Selon lui, les dirigeants s’engagent personnellement dans le contrôle interactif, suivi des « incertitudes stratégiques » qui déterminent le sort des stratégies engagées. En revanche, le contrôle diagnostique, formé d’indicateurs qui déclenchent une action corrective relativement standardisée, est délégué aux contrôleurs de gestion et managers intermédiaires. On retrouve chez Simons une direction tournée vers l’extérieur et la réussite des « paris » pris sur la stratégie, délaissant volontiers la gouvernance interne. On pourrait avancer l’hypothèse que, lorsque de tels paris sont très risqués, le succès donne la conviction d’avoir construit de nouvelles compétences et encourage à les surestimer au détriment des équilibres nécessaires jusqu’au « momentum » (perte de contrôle) décrit par Miller (voir aussi Miller et Friesen, 1980). Tous les modèles économiques ne sont pas équivalents devant ce type de risque. Les appréhensions de Hirschman sont confirmés par les résultats de recherche de Probst et Raisch (2004, 2005). Ces chercheurs ont essayé de comprendre pourquoi cent grandes entreprises très connues (Arthur Andersen, Marks et Spencer, Vivendi, Swissair, World Com, Enron, Daimler Benz, etc.) ont disparu ou vu leur valeur boursière s’effondrer alors qu’elles étaient au sommet de leur gloire. Selon eux, ces entreprises peuvent se classer en deux catégories. Les unes ont eu une croissance démesurée, ont activé des processus de changement effrénés et donc destructeurs d’identité, ont été dirigées par un leader autiste divisant pour régner, et ont vu leur culture interne se détériorer au point de disparaître. Les autres, à l’inverse, ont connu une croissance insignifiante en cherchant à se consolider, ont recherché la stabilité au mépris du changement, se sont donné un dirigeant ne s’entourant que de clones et ont cultivé le concept de communauté à outrance en niant toute différenciation. Dans les deux cas, les dirigeants se sont désintéressés de la gouvernance interne. Les uns ont sous-estimé les besoins de convergence des buts au sein de leur entreprise en altérant la cohérence et la cohésion "managériales". Les autres ont négligé la première au profit de la seconde devenue ainsi uniformisante et étouffante pour les managers. Les résultats d’une étude menée en 2006 et 2007 par questionnaire auprès de 267 cadres dirigeants de niveau hiérarchique N-2, N-3 et N-4 d’une grande entreprise multinationale (Fiol et Mangin, 2008) confortent les conclusions des travaux de Hirschman et Probst et Raisch. Certes, 61% de ces managers (cf. tabl.1, trois premières colonnes) se sentent aussi autonomes qu’ils le souhaitent, tous niveaux confondus6. Mais, 69% de l’ensemble des managers consultés manifestent tout de même un fort besoin de direction par le sens7 (cf.

6 Ce pourcentage varie d’ailleurs relativement peu d’un niveau à l’autre (63%, 65%, 57% respectivement pour les niveaux N-2, N-3 et N-4), même s’il semble tout de même régresser au niveau N-4 qui correspond à un management de proximité. 7 Un manager se considère dirigé par le sens, par son supérieur hiérarchique, quand ce dernier contribue à ce qu’il puisse : 1) se situer dans la temps et dans l’espace de l’organisation, 2) rêver, c’est-à-dire progresser, se

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tabl.1, cinq dernières colonnes). Interviewés par la suite, ces derniers déclarent se sentir délaissés, désorientés, entravés, surmenés ou égarés et ressentir un malaise de manque de direction de la part de leur supérieur hiérarchique direct ; en un mot, ils se considèrent abandonnés.

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Besoin de plus… Satisfaits Délaissés Désorientés Entravés Surmenés Egarés… d'autonomie = = = ++ + +… de direction = ++ ++ ++ + ++… d'analyse du passé = = ++ + = ++… de projection = + + + + ++… d'action = = = = ‐‐ ‐… de réflexion ++ +++ ++ +++ +++ +++Répartition 31% 19% 11% 15% 4% 20%

Tableau 1: Des cadres dirigeants insuffisamment dirigés (source : Fiol, M. et Mangin, N., Cadres dirigeants :

leaders, managers ou simplement exécutants. Les Echos, L’Art du management, juin 2008) Cette faible intérêt porté à la gouvernance interne par les dirigeants a peut-être été renforcé par le clivage entre leadership et management prôné par la Business School de Harvard (Saleznik, Kotter, Bennis): au leader, la vision, la stratégie de l’entreprise, le changement, la proactivité, l’intuition ; au manager, la besogne, le suivi des réalisations, la stabilité, la réactivité, la rationalité. Trop occupé et séduit par les jeux de la gouvernance externe, le leader néglige la gouvernance interne et les obligations inhérentes. En résumé, il semble que l’on puisse faire aujourd’hui un double constat dans les grandes entreprises. D’abord une faible attention portée au management interne par les plus hauts dirigeants et une tentation de ces derniers à exiger de leurs managers qu’ils s’alignent sans discuter sur la stratégie et les objectifs généraux de l’entreprise, avec toute l’ambiguïté liée au terme d’alignement. Mais aussi un déficit non négligeable de cohérence interne accentué par le « chacun pour soi » que génère aux niveaux hiérarchiques supérieurs la mesure de performance individuelle8.

2.4. Des postulats de base des instruments de gestion qui ne sont plus acceptables

La Direction par Objectifs ou DPO (Drucker, 1954, Odiorne, 1965), un des fondements du contrôle de gestion, peut se définir comme une démarche de mise en cohérence des différentes parties qui composent une organisation. Le triptyque – définition des objectifs globaux, organisation des chaînes fins-moyens, répartition des sous-objectifs entre les différents

développer, organiser sa carrière, 3) se sentir utile, valorisé, reconnu, 4) faire du bon et du beau travail (esthétique), 5) travailler dans un climat éthique, 6) prendre du plaisir et mettre de la passion dans ses activités, être en confiance dans l’équipe, 7) avoir confiance en l’entreprise, ressentir de la pulsion de vie et non de la pulsion de mort. Les personnes, interviewées pour les repérer, n’accordent pas la même importance à ces différents facteurs, mais toutes en ont mentionné au moins un. 8 Ce constat est peut-être moins vrai au niveau de l’encadrement intermédiaire, où la démarche de qualité totale a tout de même contribué à donner une signification aux relations latérales et à tenter de les renforcer.

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responsables – est loin d’être démocratique dans les organisations. La formulation des objectifs qui pourrait aussi se faire du bas vers le haut de la hiérarchie, opère habituellement dans le sens inverse. La négociation des objectifs entre chaque supérieur et ses subordonnés est pratiquement inexistante. Bien sûr, les managers peuvent rajouter des objectifs propres à ceux communiqués par les échelons supérieurs de la hiérarchie, mais les seconds apparaissent si importants qu’ils évincent les premiers. Rappelons le titre d’un article célèbre de Levinson (1973) : La direction par objectifs ? Mais les objectifs de qui ? La DPO repose sur un grand nombre de postulats9 (Simon, 1947, Papandreou, 1952, Cyert et March, 1967) : la stratégie de l’organisation est rationnellement définie, clairement expliquée, connue de tous et acceptée par tous au sein de l’entreprise ; plus on est haut hiérarchiquement, plus et mieux on voit les situations organisationnelles ; face à une même situation, les membres de l’équipe de direction partagent les mêmes chaînes de causalité entre objectifs et moyens ; la structure de l’organisation est dénue d’ambiguïté et transparente ; l’organisation est un ensemble de parties qui s’emboîtent hiérarchiquement et sont juxtaposables ; les membres de l’organisation adhèrent aux objectifs organisationnels et font leurs ceux qui leur sont alloués ; les faits et les valeurs sont facilement dissociables (on peut donc ne travailler que sur les faits (Simon, 1958) ; subdiviser un objectif en plusieurs sous-objectifs est un exercice réversible ; définir et subdiviser des objectifs est un exercice naturel et facile à mettre en œuvre ; tout objectif doit être observable ou mesurable ; etc. Ces postulats sont nombreux, discutables, voire simplistes. Ainsi, par exemple, la stratégie n’étant que rarement explicitée et communiquée de façon claire, elle est peu ou mal perçue par les collaborateurs de l’entreprise. La structure organisationnelle est souvent floue et sujette à diverses interprétations ; chaque acteur a une représentation de sa fonction qui est loin de coïncider avec celles que s’en font les autres acteurs. Les faits et les valeurs sont si fortement intriqués qu’ils sont difficilement dissociables ; isoler un fait le rend parfois peu interprétable. Face à une même situation, les chaînes de causalité varient d’un individu à l’autre ; il arrive parfois qu’elles soient contraires. Enfin, il est toujours difficile d’affirmer que la formulation d’un objectif se réfère à une fin. Ces postulats étant facilement oubliés par les promoteurs et les utilisateurs de la DPO, les effets induits par leur acceptation naïve peuvent être dévastateurs. Ainsi, par exemple, la finalité se dilue et ne fait plus sens, la cohérence est imposée du sommet et donc subie, les relations latérales sont sacrifiées au profit des relations hiérarchiques. Mais, le pire est qu’il y a « déplacement des buts », selon la thèse de Merton ; les objectifs se transforment ou bien en résultats à atteindre ou en consignes de mise en œuvre et les managers deviennent de simples exécutants. En entrant dans le jeu de la DPO et de la recherche de performance de leurs propres services, la plupart des Directions des Ressources Humaines, ont eu tendance à déshumaniser leurs prestations et à sacrifier leur rôle de veille du développement du potentiel humain dans l’entreprise. Elles ont perdu en qualité d’accompagnement des managers dans leur cheminement de carrière, ce qu’elles ont gagné en efficacité administrative aux yeux de leur Direction Générale. Elles ont ainsi renoncé à stimuler le développement de la gouvernance interne et par conséquence atténué l’importance de cette dernière.

9 La liste qui suit est loin d’être exhaustive.

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3. Des problématiques qui conduisent à de fausses réponses

Plusieurs réponses sont apportées par les théoriciens du contrôle de gestion pour faire face aux problématiques précédentes. L’une d’elles est la « complexification » des instruments de gestion pour sortir du piège de la simplification et mieux appréhender la complexité. Une autre est de faire passer le contrôle de gestion d’un rôle de courroie de transmission de la stratégie à celui de gardien de la gestion des processus. Une autre encore consiste à renforcer encore plus le rôle de générateur de performance des managers. Une quatrième est de transformer les managers en des créateurs de savoir afin de mieux reconnaître leur environnement et « coller » davantage à ses évolutions. Ces quatre contributions sont, à notre avis, des fausses réponses.

3.1. Le dilemme de la complexité et de la simplification

Le contrôle de gestion – et plus généralement le management – en tant que science de l’action, est pris dans une dialogique opposant la dérangeante complexité des situations à l’indispensable simplification pour l’action (De Geuser et Fiol, 2002). Confrontés à des situations complexes, les managers ont tendance à recourir immédiatement à des solutions sans avoir cerné les problèmes auxquelles elles sont censées répondre, à focaliser leur attention sur un périmètre limité de la situation à laquelle ils ont à faire face en appauvrissant leur champ de vision, à se réfugier derrière leurs certitudes sans se rendre compte que ce ne sont que des croyances et, plus généralement, à simplifier leur monde de manière inconsciente. Cette tendance à la simplification, qui s’explique par le besoin de passer rapidement à l’action, s’apparente à de la déformation professionnelle dans la mesure où les managers n’en sont pas conscients. Elle se manifeste par des réflexes mentaux simplificateurs (repli sur les certitudes, mentalité solution, vision étroite des situations, refuge dans le mythe du réalisme, ou de la réalité indépendante de l’œil de l’observateur, logique de conflits d’opinions, fuite dans l’action, recherche de consensus, etc.) qui présentent tous deux facettes, l’une formatrice (l’aide à la prise de décision), l’autre déformatrice (l’oubli qu’il y a eu simplification). En conséquence, un manager déformé n’est pas quelqu’un qui simplifie les situations auxquelles il se confronte, mais celui qui oublie qu’il les simplifie. Pour Fiol et De Geuser (2005), cette dialogique entre simplification et complexité a toujours constitué un des principaux défis du contrôle de gestion. Pendant longtemps, la discipline a reposé sur des postulats, pas toujours conscients, d’approche exclusivement « réaliste » des situations (pour reprendre le terme utilisé par d’Espagnat, 1981) – il existe une réalité extérieure, c’est-à-dire un environnement, auquel les entreprises et les managers doivent toujours plus et toujours mieux s’adapter pour survivre – et de simplification conséquente des modes de management – organisation de la division des décisions verticales le long des lignes hiérarchiques, remplacement du concept d’efficience « sociale » de Barnard (1938) par celui d’efficience « économique » de Simon (1948), séparation entre les niveaux de la stratégie, de la gestion et des opérations (Ansoff, 1965), séparation entre faits et valeurs (Simon, 1948), limitation volontaire de l’incertitude (Cyert et March, 1963), direction par objectifs et autocontrôle (Drucker, 1954), motivation de l’individu à travers la mesure de sa performance (Vroom, 1964) –. En résumé, la Direction Générale, qui « voit » mieux (au sens réaliste du terme) dans le temps et dans l’espace, se charge de sélectionner la « bonne » stratégie ; les

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collaborateurs ont la responsabilité de « bien » la mettre en œuvre selon un processus de coopération consciente (Papandreou, 1952). Pour cela, le contrôle de gestion a proposé des modèles relativement simples de structure en centres de responsabilité, d’organisation des chaînes fins-moyens, de formalisation des relations objectifs-ressources-résultats, de calcul des coûts, de suivi de l’activité périodique et d’évaluation de la performance, qui avaient pour vocation d’aider à orienter les décisions et les actions dans la « bonne » direction. Pour faire face à une complexification croissante des situations de gestion, de nouveaux instruments comme ABC, le balanced scorecard ou Six Sygma sont apparus. Dans leur raison d’être et leur définition, ils visent tous à s’adapter à la complexité de plus en plus avérée des situations. Comme leur fonction de représentation se veut homologique, ils augmentent leur complexité interne pour prendre en compte celle des situations. Ainsi, quand ils tentent par exemple de multiplier les axes d’analyses (ex : les 4 axes du balanced scorecard), ils sont supposés « monter en complexité ». Pour nous, cette référence à la complexité de la part de ces nouveaux instruments de gestion est une fausse solution. D’abord, parce la complexité devient la condition de leur acceptabilité ainsi que leur objectif. En cela, ils cèdent à une idéologie de la complexité (Fiol et De Geuser, 2005), c’est-à-dire un système de croyances partagées, non ré-interrogées et mobilisées comme justification légitimante. C’est ce rôle incantatoire de l’idéologie que l’on retrouve chez les défenseurs du balanced scorecard pour dénigrer le tableau de bord. De plus, cette idéologie s’avère parfois contre-productive. Comme la complexité est la science des limites (Girin, 2000), c’est-à-dire la reconnaissance d’une impossibilité à tout savoir, à tout prévoir et à tout maîtriser, elle fonde une conception limitée de l’homme, incapable de saisir la totalité du monde qui l’entoure. Le danger repose alors sur la tendance que peut engendrer cette science des limites à ne plus permettre que le scepticisme ou le relativisme (Le Goff, 2002). En outre, les instruments de gestion, compte tenu de leurs postulats fondateurs « simplistes », se sont donc davantage technicisés qu’adaptés à la complexité des situations de gestion, au risque de se voir dévalorisés comme mode de représentation simple des situations de management. Enfin, le fait que les situations de gestion soient complexes semble être indéniable. Les instruments de contrôle de gestion, en tant que système de représentations, doivent en tenir compte et chercher à augmenter leur représentativité de cette complexité. Mais le fait que l’action, rapide, efficace, repose sur une simplification de cette situation est autant indéniable. Les instruments de contrôle de gestion, en tant que système d’action, doivent contribuer à cette simplification. On comprend alors le paradoxe interne de ces instruments, porteurs à la fois d’un impératif de complexité cognitive et de simplification pragmatique.

3.2. Du suivi de la stratégie à la gestion par les processus

Selon Zaleznik (1976), les dirigeants peuvent se classer en deux catégories – les leaders et les managers –, qui diffèrent dans leur vue du monde. Les leaders sont des personnes de vision, d’audace, de rupture, de changement, de création, de risque, de danger et d’intuition ; dotés d’une forte personnalité, ils sont résistants, émotifs, empathiques, actifs, foisonnant d’idées. A l’inverse, les managers se caractérisent par la régulation de l’ordre existant, le conservatisme, la continuité, la stabilité, la routine, l’instinct de survie, le compromis et la démarche essais-erreurs : ce sont des gestionnaires impersonnels, rationnels, besogneux, suiveurs, voire

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« impénétrables, sans préjugés et manipulateurs »10. Pour Zaleznik, un dirigeant est soit leader, soit gestionnaire ; il ne peut pas être les deux à la fois. Cette vision manichéenne des dirigeants a certes été atténuée par Kotter11 en 2001 : les entreprises auraient autant besoin de leaders que de managers car les premiers sont nécessaires dans les phases de changement, alors que les seconds sont indispensables dans celles de stabilité. Il n’en reste pas moins qu’il ressort de l’approche de Zaleznik une figure noble et une autre qui l’est moins. Pour nous, cette appréhension duale du dirigeant n’est pas dénuée d’influence sur l’image de la discipline de contrôle de gestion. Les leaders définissent la stratégie globale de l’entreprise, les managers sont des gestionnaires chargés de la mise en œuvre, de « l’intendance » (les résultats de l’enquête présentés antérieurement dans le tableau 1 montrent que, même à des niveaux hiérarchiques élevés, 39% des managers se considèrent comme de simples exécutants). L’approche taylorienne de la séparation entre la prise de décision et l’exécution est ainsi maintenue ; elle sous-tend depuis longtemps bien des cadres conceptuels. Ainsi, Anthony (1965), dont l’œuvre est ambiguë et comporte des contradictions, mentionne que le contrôle de gestion, à la différence de la stratégie, ne demande aucune créativité. Il reprend ainsi une distinction faite par Ralph C. Davis, un important auteur académique d’entre les deux guerres, qui distingue « creative planning » et « routine planning » et qui considère que la planification de routine est une phase du processus de contrôle (Davis, 1940, p. 43). Si la créativité n’est pas un attribut du manager dans la phase de contrôle de gestion, le slack doit être exclu des budgets. Anthony (1965, p. 64) cite une note de travail de Zaleznik : « Dans les conditions présentes, les individus sont créatifs en dépit des systèmes d’organisation plutôt que grâce à eux. Je suis entièrement convaincu que les organisations d’aujourd’hui pèsent lourdement dans le sens du contrôle et ont peu d’impact positif sur le processus créatif ». Néanmoins, cette vision du leadership n’est pas partagée par tous. En effet, de nombreux théoriciens du management ou du leadership retiennent à peu de choses près la même définition pour les deux concepts, à savoir « l’art de faire faire des choses par d’autres »12, et associent étroitement les deux fonctions à l’image des deux faces d’une même monnaie (Ansoff, 1965 ou, plus récemment Helfer, Kalika et Orsini, 2006). En outre, pour Selznick (1957) ou Larçon et Reitter (1979), des dirigeants s’affirment comme leaders dans des situations données, mais ne le restent pas à vie ; quand la situation change, ils partent ou sont remplacés. Enfin, pour des experts du leadership comme Mary Follett (1932 - 1949) ou Enriquez (1983), le leadership peut s’apprendre en partie et des leaders se trouvent à tous les niveaux de l’organisation. Pour résumer, définir le contrôle de gestion comme la courroie de transmission au quotidien de la stratégie revient à allouer au contrôle de gestion un rôle relativement pauvre de mise en œuvre à court terme par des managers, d’une stratégie conçue à long terme par des leaders. Ce qui contraint le contrôle à accepter implicitement le postulat de différence d’envergure et de statut entre les leaders et les managers, proposé par Zaleznik. Aux leaders, le choix brillant intellectuellement des intentions stratégiques, aux managers les déboires de la mise en oeuvre d’une stratégie non discutable et la vérification de sa bonne exécution.

10 Dans la traduction française de l’article de Zaleznik, « Dirigeants : Leaders ou Gestionnaires, Harvard

L’Expansion, été 1978, p. 21. 11 Selon Kotter, « Les managers promeuvent la stabilité alors que les leaders insufflent du changement. Seules

les organisations qui adoptent les deux côtés de cette contradiction peuvent réussir dans des périodes de turbulence » (2001, p. 85).

12 Donnée par Simon au début de son livre Administrative Behavior (1948).

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Ce point mérite un commentaire. L’idée même selon laquelle le contrôle de gestion met en œuvre des stratégies a pu paraître provocatrice quand elle a été redécouverte dans les années 80. Le cadre conceptuel le plus utilisé sans doute, celui d’Anthony, n’allait pas contre cette idée mais n’établissait aucun lien clair entre la stratégie (faite par ailleurs selon le modèle Zaleznik) et le contrôle de gestion. En outre, il jouait (jusqu’au début des années 2000) bizarrement sur l’ambiguïté : le « strategic planning » qu’il distinguait comme orientant les systèmes de contrôle devait s’entendre comme « formulation de la stratégie » (expression récemment adoptée) et non comme « planification stratégique », partie du contrôle de gestion. La coupure de fait entre contrôle et stratégie a conduit à ignorer celle-ci, au profit du processus de contrôle. Lorsque Anthony lui-même, au début des années 80, a modifié sa définition de 1965 pour rappeler que la mission du contrôle de gestion13 est « d’influencer d’autres membres de l’organisation pour mettre en œuvre les stratégies » le changement a été accueilli comme une importante évolution. Mais ce changement recelait un piège : comment décliner la stratégie ? A travers les centres de responsabilité ? Sa décomposition en facteurs clés de succès conduit souvent à en localiser plusieurs dans un même centre, ou à en partager certains entre plusieurs centres, ce qui manifeste une difficulté méthodologique. D’ailleurs, la définition classique des centres de responsabilité est comptable (centres de coût, de chiffre d’affaires, de profit) et non stratégique. A l’évidence, un chaînon manquait. Ce chaînon va être trouvé assez rapidement, mais il va, paradoxalement, contribuer à écarter le contrôle de gestion des logiques de gouvernance d’entreprise. Ce chaînon, c’est la notion de processus. L’approche par les processus est devenue une référence. Elle donne une méthodologie au contrôle de gestion, elle constitue le chaînon manquant entre la stratégie et les centres de responsabilité. Mais, en même temps, elle entraîne des conséquences ambiguës pour le contrôleur dans les entreprises et pour le contrôle dans le champ académique. Elle ne donne aucune légitimité nouvelle au contrôleur. Certes, la littérature professionnelle (Strategic Finance, par exemple, pour l’IMA) veut faire de lui un business partner, l’architecte d’une amélioration des processus. Bien des questions restent pourtant ouvertes : les contrôleurs comptables, puissants dans le modèle classiques, sont-ils ici légitimes ? Si les centres de responsabilité subsistent, un modèle managérial par projets, matriciel, reste à concevoir. C’est au chef de projet de se saisir de la performance, plus au contrôleur. Il entre en pleine concurrence avec les autres fonctionnels utilisant les mêmes concepts. Et quelle réalité l’approche par les processus connaît-elle dans la pratique ? Quelle légitimité, assise sur une efficacité démontrée, peut-elle obtenir aujourd’hui ? En se consacrant aux opérations, tandis que le reporting financier tient lieu de contrôle de gestion dans les directions générales, les contrôleurs de gestion, loin d’être business partners, se positionnent comme techniciens de la ressource financière. Au plan académique, bien rares ont été les réflexions sur un nouveau modèle managérial adapté au nouveau modèle de contrôle (Lorino, 1997). Simons (1995) a pensé que le schéma d’Anthony s’en trouvait déstructuré, car principalement justifié par une vision verticale de l’organisation – ce qui reste pourtant à prouver. Cette déstructuration, jointe à la montée du modèle des parties prenantes (stakeholders), qui prive le contrôle de gestion de sa base classique, décrit pour le moment un contrôle de gestion (appellation d’ailleurs abandonnée par

13 Rappelons que pour Anthony le « management control » est exercé par les managers, et pas seulement par les contrôleurs. Il maintient l’expression selon laquelle le contrôle de gestion (management control) est le processus par lequel les managers…. » aussi bien dans la première que dans la deuxième des définitions (1965, 1988).

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Simons) sans contrôleur, pur et simple processus de management qui reste à organiser. On dira, il est vrai, que cette déstructuration ne touche pas que le contrôle de gestion. Il reste que cette discipline doit être replacée dans ce champ bouleversé. Elle ne l’est pas. La notion d’OPIM répond à ce vide. Mais, dans une grande entreprise diversifiée, l’analyse des processus concerne le niveau infra-divisionnel. La coordination entre divisions n’en relève pas, elle reste liée à la régulation de ce que Thompson (1967) appelait une interdépendance de communauté (pool) gérée par les plans et les budgets. Le contrôle de gestion se trouve ainsi écartelé entre sa composante qui sert à la direction générale (une approche financière) et celle qui régule « le terrain » et ses processus. Il est clair que c’est à ce deuxième niveau que se perçoit la valeur ajoutée du contrôle, l’autre niveau le réduisant à un simple reporting. De surcroît, la logique de gestion des processus, si elle a fourni au contrôle de gestion un cadrage méthodologique, l’a placé dans une logique technicienne retrouvée et a doté les contrôleurs de nouveaux concurrents. En conclusion, l’exigence de toujours plus d’efficacité et d’efficience face à la concurrence conduit les dirigeants à imposer à leurs collaborateurs des résultats à atteindre de plus en plus contraignants. Les managers se voient cantonnés dans des rôles de plus en plus étriqués (Kanter, 1989). Ils deviennent en conséquence de simples exécutants. Ayant de moins en moins de marge de manœuvre sur les fins, ils restent au mieux responsables de la mise en oeuvre des moyens ; mais certains se plaignent de jouir de moins en moins de ce dernier pré-carré d’autonomie.

3.3. Préparer les managers à être des créateurs d’information pour réduire l’incertitude

Dans notre société, la seule certitude selon Nonaka (1991) est l’incertitude. Face à elle, l’auteur japonais affirme que l’unique source d’avantage concurrentiel durable aujourd’hui est le savoir, et rappelle que « de Frederick Taylor à Herbert Simon, la conception de l’entreprise en tant que machine à "traiter l’information" est profondément ancrée dans les traditions de management occidentales » (p.96). Effectivement, les fondateurs du management moderne, Simon (1948), March et Simon (1957) et Cyert et March (1963), comme les auteurs de contrôle de gestion, ont fondé leur approche du management sur le postulat selon lequel de meilleures informations conduisent à de meilleures décisions. Ils ont souligné les difficultés éprouvées par les dirigeants et les managers à vivre avec l’incertitude et à prendre des décisions sans des informations pertinentes et suffisantes. Ils ont alloué au contrôle de gestion la finalité de fournir aux dirigeants cette information dont ils avaient besoin pour mieux gérer leur entité et prendre des décisions plus éclairées ; il fallait pour cela qu’ils disposent d’un système d’information correctement articulé, fiable et régulièrement alimenté, et d’instruments de planification et de suivi anticipateurs et rassurants.

Mais, dans le même article, Nonaka met en garde le lecteur contre cette collecte et ce traitement de l’information dans le monde occidental : « Selon cette vision, seul le savoir formel systématique est utile : des données dures quantifiables, des procédures codifiées, des principes universels. Et les mesures pour évaluer la nouvelle connaissance sont également dures et quantifiables : efficacité accrue, coûts réduits, meilleur retour sur investissement » (p. 96). Selon l’auteur, le savoir explicite incite les dirigeants à être conservateurs et myopes, alors que le savoir tacite est essentiel pour l’imagination et l’innovation dans l’entreprise.

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Nonaka n’est pas le seul à critiquer cette approche de l’information formelle au service de la décision. De très nombreux auteurs occidentaux ont aussi montré les dangers. Ainsi, selon Mintzberg (1973), les entreprises sont devenues ingérables à cause de l’excès de rationalité dans tous les aspects du management, entre autres dans le traitement de l’information ; elles ont sous-estimé le recours des dirigeants à l’intuition. Hofstede (1981) rappelle l’importance décisive des informations informelles transmises par les « fous du roi » à leurs seigneurs sur l’état d’âme de leurs sujets. En étudiant la façon dont les dirigeants prennent leurs décisions, Solé (1996) remet en cause la relation classique de cause à effet entre information et décision ; il constate que les dirigeants se servent plutôt de leur imagination pour prendre leurs décisions les plus importantes et ont tendance à ne se servir de l’information que pour justifier rationnellement et valider les décisions qu’ils ont déjà prises. March (1991) interroge lui-aussi le postulat de la relation de cause à effet entre le système d’information et la prise de décision. Cohen, March et Olsen (1991), avec leur modèle de décision de la poubelle, démontrent que les processus de décision dans les entreprises sont peu rationnels et que les dirigeants ont tendance à ne traiter que les problèmes qu’ils savent résoudre.

Malgré ces mises en garde, Kaplan et Norton (1996) persistent à affirmer que les dirigeants ne disposent pas de l’information formelle pertinente pour prendre de bonnes décisions et qu’il convient pour cela d’en modifier les caractéristiques. L’information collectée était essentiellement interne ; elle a à inclure des données sur l’environnement, les concurrents, les clients, les fournisseurs, etc. Elle était exclusivement financière ; elle doit s’étendre aux données opérationnelles et sociales. Elle était éminemment quantitative ; elle se doit d’être aussi qualitative. Elle était spécifique à chaque entité ; elle est à partager entre l’ensemble des acteurs au sein de l’entreprise. En agissant ainsi, les deux auteurs du contrôle de gestion ont certes modifié les sources, le périmètre et la nature des informations. Mais ils ne sont pas sortis du paradigme réaliste qui postule l’existence d’une information extérieure aux dirigeants à accumuler « toujours plus et toujours mieux » afin de guider la décision des dirigeants.

A l’instar de Kaplan et Norton, les auteurs de contrôle de gestion sont, pour la plupart, restés sourds aux leçons de Nonaka. D’ailleurs, ce dernier ne se contente pas seulement de critiquer l’approche occidentale de l’information, il souligne aussi la finesse de l’appréhension du savoir qu’ont les japonais. « La grande force de la démarche japonaise, c’est d’avoir compris que la création de nouveaux savoirs n’est pas juste une question de traitement de l’information objective. Elle dépend également de la capacité à capter les points de vue, les intuitions et les pressentiments tacites et éminemment subjectifs des salariés pris individuellement et à les mettre à la disposition de l’ensemble de l’entreprise pour qu’elle les teste et les utilise. Au cœur du processus, se trouve l’engagement personnel et le sens de l’identité de l’entreprise et de sa mission » (p.97). Pour le théoricien japonais, le savoir tacite est éminemment personnel et difficile à codifier et à diffuser. Il est à relier à l’analogie et à la métaphore et non à la logique rationnelle. Il est fait de schémas mentaux, de croyances et de points de vue qui sont si profondément enracinés en nous qu’ils sont difficiles à codifier et même à exprimer.

Nonaka n’élimine pas le savoir explicite du domaine de la connaissance ; il souligne le caractère essentiel du savoir tacite et les possibles passages de l’un à l’autre. « Considérer la création de savoir comme un processus rendant le savoir tacite explicite, comme une histoire

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de métaphores, d’analogies et de modèles, conclut Nonaka (p. 101), a des incidences directes sur le mode d’organisation et de conception des rôles des responsables dans l’entreprise » Ce détour par ce qu’on a pris l’habitude d’appeler le « knowledge management », que n’ont pas voulu prendre les auteurs de contrôle de gestion, est pourtant porteur de plusieurs leçons pour leur discipline : - l’information n’est pas seulement objective, explicite, logique, mesurable, donnée, programmable et impersonnelle. Elle est aussi, et surtout pourrions-nous dire, subjective, tacite, analogique, floue, construite, aléatoire et personnelle (Morin, 1986) ; - l’essence de l’innovation vient de l’ouverture de possibles jusqu’ici impossibles ou impensables (Solé, 1996); elle est de recréer le monde en fonction d’un ensemble de visions et d’idéaux disséminés dans l’entreprise, et non d’une stratégie descendante selon laquelle le savoir est concentré au sommet ; - Le fondement de la création de savoir est plus de nature humaine que procédurière ; il requiert non seulement de l’intelligence cognitive et de l’intelligence technique, mais aussi de l’intelligence émotionnelle (Goleman, 2000 et 2004, Boyatsis, 2004, Goleman, Boyatzis et Mc Kee, 2001) - Ce que Nonaka appelle le « chevauchement « ou la « redondance », c’est-à-dire la constitution d’équipes générant le dialogue, la communication directe et la confrontation de points de vue et le recoupement délibéré de l’information et des responsabilités pourrait s’interpréter comme un gaspillage de temps ou d’argent. C’est une manière d’inciter les salariés à réexaminer, voire remettre en cause ce qu’ils prennent pour des acquis. Le changement n’est pas dans l’environnement, mais dans le têtes de tous les membres de l’entreprise, sans discrimination de statut ou de niveau hiérarchique ; il demande de ne pas focaliser seulement son attention sur la réduction des coûts à terme (Deming et Gogue, 1988, Pascale et Athos, 1981). La recherche de « toujours plus d’informations formalisées », renforcée par le développement des ERP, semble une voie sans issue : elle rassure mais il n’a jamais été démontré qu’elle garantisse une vision plus claire du chemin à emprunter et de meilleures décisions pour les dirigeants. Elle formate, mais elle ne fait pas sens pour les membres de l’organisation car elle ne les conduit pas à un niveau d’engagement personnel plus élevé. Paradoxalement, selon Nonaka, une vision plus équivoque de l’entreprise et une mise en valeur de l’information tacite à tous les niveaux hiérarchiques donnerait plus d’imagination, de liberté et d’autonomie pour définir les apports individuels au cheminement collectif. Donner du sens au travail commun permettrait à chacun d’établir des critères pour évaluer un savoir qu’il crée constamment et à prendre en mains son destin. Face à ces fausses réponses, quels scénarios restent possibles pour le contrôle de gestion ? On peut en recenser au moins quatre.

4. Quelles pistes pour le futur ?

Le pouvoir des financiers a pris son essor (Fligstein, 1990) grâce au démantèlement de l’entreprise en centres de profit – et surtout en pseudo centres de profit – qui est allée de pair avec le paradigme stratégique qui considère l’entreprise comme un portefeuille d’actifs dont il importe de mesurer la contribution à la valeur globale. Ainsi s’est mis en place le paradigme

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organisationnel et managérial des marchés internes (business units, prix de transfert) qui a institutionnalisé la vision financière de l’entreprise. Celle-ci, réduite à une zone de calculs économiques et de transactions dans une ambiance de compétition à tous les niveaux, est conçue pour reproduire la logique des marchés financiers réels. Cela appelle l’installation d’indicateurs de performance censés traduire l’évolution de la valeur de marché de l’entreprise qu’induisent ses performances espérées, planifiées et réelles (indicateurs de création de valeur comme EVA). Les indicateurs existaient en fait depuis longtemps (ROI de General Motors, residual income du General Electric de Cordiner, discounted cash flow) ; ils ont été institués par les progrès de la théorie financière (mesure du coût du capital). La théorie financière de l’entreprise s’est alors posée, pour certains, comme théorie des organisations. L’entreprise devient « pilotable » par des indicateurs codifiables, financiers voire non financiers. Le non-codifiable devient suspect, voué à être omis. « On n’améliore que ce que l’on mesure », disent la plupart des consultants. Les facteurs qui ont engendré le pouvoir de la finance et la financiarisation du contrôle de gestion vont-ils s’estomper ? Le futur ne sera probablement pas construit sur une remise en question de leurs pratiques par les financiers eux-mêmes. Il dépendra de leur stratégie, et de celles des directions générales, si certains des facteurs ayant favorisé le pouvoir financier sont remis en cause. La source du paradigme organisationnel financier est l’hypothèse d’invariance à l’échelle, qui postule la pertinence d’un mimétisme organisationnel. Elle conduit à reproduire vers le bas de l’organisation la logique du business units, entité dont le dirigeant est responsable du résultat financier. Le principe d’un management par les résultats – mesurables, financiers – en découle : au sein des business units, centres de profit, ou, plus rarement, à côté d’elles, se créent des centres de coûts et des centres de chiffre d’affaires. Leur appellation même montre la nature de la pensée organisationnelle qui les a institués. La remise en cause du paradigme d’invariance prend des formes diverses, que nous classons en fonction de la menace qu’elles constituent pour le pouvoir financier dans la gouvernance interne, c’est-à-dire de la capacité stratégique, au sens de Crozier (Crozier, Friedberg, 1977), qu’elles leur laisse. Les deux premières catégories touchent l’instrumentation du management, les deux autres visent directement son contenu. S’agissant de l’instrumentation :

- la remise en cause de la pertinence des indicateurs financiers comme mesure de la performance des niveaux intermédiaires tend à rompre l’invariance à l’échelle,

- la gestion par processus ouvre aux contrôleurs de gestion une mission nouvelle, au-delà du simple reporting, celle de professionnaliser les managers dont ils peuvent devenir les business partners.

Si ces deux changements constituent autant une menace qu’une opportunité pour les dirigeants financiers, les deux suivantes sont une menace difficile à nier :

- la recherche d’une cohérence interne volontaire dans l’organisation remet en cause les dérives actuelles,

- la prise en compte directe des contradictions inhérentes au management n’autoriserait plus la vision schématique d’aujourd’hui.

Les constats qui portent sur les dérives qu’induit une vision financière dominante se multiplient. Il suffit de se référer, d’ailleurs, aux multiples travaux consacrés aux rôles des managers (par exemple Mintzberg, 1973) pour constater que la plupart d’entre eux sont

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désormais négligés. Les managers intermédiaires ne sont pas les seuls à être désorientés (Courpasson, Thoenig, 2008). Nos propres observations (voir 4.4.) montrent qu’une fracture se creuse entre les dirigeants et leurs subordonnés directs.

Ouverture de nouveaux espaces de gouvernance interne par remise en cause de l’invariance à l’échelle

Capacité stratégique décroissante de la fonction

financière

SCENARIO 1 : le management par reporting financier se double d’indicateurs non financiers

Enjeu : garder la main sur l’interface entre la finance et les

opérations

SCENARIO 2 : le contrôleur de gestion business partner, notamment grâce à l’approche processus

Enjeu : contrôler le contrôle de gestion

SCENARIO 3 : recherche d’une cohérence interne volontaire

Situation difficile pour le maintien du pouvoir financiers

SCENARIO 4 : prise en compte des contradictions inhérentes au management:

Situation difficile pour le maintien du pouvoir financiers

Tableau 2

Hypothèses d’évolution

Le tableau 2 recense ces quatre scénarios d’évolution de la gouvernance interne, qui ne sont pas mutuellement exclusifs. Ils représentent d’ailleurs des situations qui existent déjà parfois. Ils sont à évaluer à la lumière de tendances naissantes, mais probablement durables : - l’émergence d’une gouvernance plus soucieuse de toutes les « parties prenantes », qui apparaît de plus en plus comme la condition de la viabilité d’une gouvernance orientée vers l’actionnaire. Or les modèles de mesure des valeurs non financières que l’entreprise crée pour ces autres parties prenantes font défaut. Ils pourraient être un chantier pour les contrôleurs (plus que pour les financiers) ; - le rééquilibrage tendanciel des rôles des budgets et des indicateurs non financiers : les contrôleurs de gestion, qui se sont laissés engluer dans les travaux budgétaires éloignés des enjeux stratégiques (Zorn, 2003), sont là plus légitimes que les financiers ; - la prise de conscience des risques créés à agir artificiellement sur les indicateurs de la performance financière, plutôt qu’à la construire à travers la performance des processus opérationnels. Ces trois tendances peuvent favoriser l’émergence d’un contrôle de gestion rénové, mais les rapports de force existants peuvent aussi permettre aux dirigeants financiers de s’y adapter en les contrôlant. En effet, chaque tendance porte le risque de ne pas rapprocher la gouvernance interne des préoccupations de direction générale : - comme le management des parties prenantes est politique, les techniciens, même s’ils ont une vision élargie des enjeux, peuvent s’en trouver écartés ;

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- les indicateurs non financiers peuvent rester associés à un niveau de management subalterne, ou être jalousement accaparés par les managers opérationnels, renvoyant les contrôleurs à la fiabilisation des données chiffrées ; - la performance des processus n’a probablement de sens pour une direction générale que si elle se relie à des enjeux de synergie stratégique, pas si elle se limite à une perspective de réduction des coûts. C’est-à-dire si elle s’associe à une stratégie d’expansion horizontale ou géographique, qui ne fait plus de la firme un portefeuille d’actifs diversifiés. En outre, et c’est un des scénarios discutés, les financiers détenteurs du pouvoir ont souvent compris que leur intérêt n’est pas de combattre ces tendances mais de les orchestrer. Les contraintes du développement durable, la préoccupation de la responsabilité sociale de l’entreprise peuvent être des signes annonciateurs. L’enjeu réside dans leur conséquence : révision des indicateurs, ou changement de gouvernance interne ? En d’autres termes : l’espace de la gouvernance interne s’ouvrira-t-il à de nouvelles logiques ? Qui s’en emparera avec quelles stratégies ?

4.1. Le scénario de différenciation des indicateurs (scénario 1)

La phrase célèbre et apocryphe de Charles E. Wilson devant une commission d’enquête sénatoriale en 1953 : « Ce qui est bon pour General Motors est bon pour le reste des États-Unis » 1 cache aussi une croyance en matière d’organisation. Celle d’invariance à l’échelle, d’un « mimétisme vertical » : Sloan indiquait avoir organisé GM en s’inspirant de la constitution américaine. D’où la subdivision de centres de profit en centres de profit toujours plus petits... et toujours plus éloignés de la notion de domaine d’activité stratégique. Drucker (1964, p. 20) dénonçait ce simplisme dès les années cinquante : dans une entreprise, il n’y a que des centres de coût. Les évolutions récentes du contrôle de gestion ont mis en évidence un réel malaise à l’égard du postulat d’invariance. Les entreprises japonaises, Toyota en tête, n’ont pas hésité à instaurer une rupture entre la logique financière du siège et la logique opérationnelle des unités, centres de coûts chargés de la politique de kaizen, la réduction des coûts variables directs (Tanaka, 1994). Cette situation fait des budgets un instrument de planification pour la direction générale, la base opérationnelle s’inscrivant dans une logique d’indicateurs physiques. Le rôle du contrôle de gestion devient charnière : il lui revient de traduire en coûts, puis en flux financiers, les améliorations de processus, ce qui n’est possible qu’en modélisant économiquement les processus en question. Une expertise visible est ainsi l’attribut indiscuté du contrôle de gestion. Le fossé entre l’équipe dirigeante et les managers opérationnels se comble du fait même de cette traduction des faits en flux. On peut se demander si tel n’est pas le véritable objectif de Hope et Fraser dans leur critique du budget « classique » (Hope et Fraser, 2003). Dans la configuration de l’entreprise en centres de coûts, le contrôle de gestion peut ainsi évoluer vers une expertise en efficience renouvelée, le contrôleur devenant l’expert

1 « Et vice versa » avait-il ajouté. Président de GM, il venait d’être nommé secrétaire à la Défense par Eisenhower et il était questionné sur un éventuel conflit d’intérêts.

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économique de l’efficience des processus, dans une approche de coûts cibles permanente. Ce schéma semble favorisé par des stratégies de recentrage dans des activités à cycles long. Il comporte le risque d’éloigner le management opérationnel des logiques financières des dirigeants si les contrôleurs, à l’inverse du modèle Toyota, sont en charge d’une délégation d’aide au pilotage local dont les dirigeants souhaitent être libérés. Une variante de ce modèle pourrait aussi surgir des pratiques et des travaux divers induits par la notion de gouvernance d’entreprise : contrôle interne, risk management. Il y a là, avec les réserves mentionnées plus haut, une véritable remise en cause du rôle de la technostructure et une possibilité de la voir s’unifier autour du concept de processus. La capacité stratégique des financiers dans un tel scénario est réelle, on voit déjà qu’ils l’ont compris. Pour garder la main sur l’interface entre la finance et les opérations, ils peuvent sans doute s’appuyer sur les systèmes d’information et sur leur capacité à revendiquer la fiabilisation des indicateurs non financiers.

4.2. Le scénario du business partner pour professionnaliser les managers (scénario 2)

L’importance accordée aux indicateurs physiques conduit le contrôle de gestion à modéliser le processus de génération des performances financières. S’il peut assumer le rôle d’expert économique, le contrôleur est en position d’étendre sa compétence au domaine d’activité dans son ensemble et non aux seuls coûts. On voit apparaître ce rôle dans les appellations de business analyst, de business partner. C’est, semble-t-il, celui dont rêvent les professionnels du contrôle de gestion réduits à alimenter un reporting financier, à travers les manifestes et les témoignages que contiennent leurs organes de communication comme les revues Strategic Finance aux États-Unis et Echanges en France, par exemple. Si le scénario précédent rapproche le contrôle de gestion de la gestion de production, et débouche, comme on l’a mentionné, sur la fédération « OPIM », celui-ci fait du contrôleur un généraliste très au fait des compétences nécessaires pour comprendre l’environnement des domaines d’activité de l’entreprise. La stratégie et le marketing entrent nécessairement dans les connaissances et démarches qu’il doit connaître. On peut même aller plus loin : un tel scénario place le contrôleur de gestion dans la position d’un expert en ressources clés, capable d’identifier celles qui sont à la base de la gestion des facteurs clés de succès et des facteurs stratégiques de risque de l’entreprise et de ses domaines d’activité. Il a ainsi vocation à aller jusqu’au bout de la démarche décrite par le balanced scorecard : jusqu’aux ressources humaines. Il n’y a rien de choquant à affirmer, dans ce scénario, que la gestion des compétences et de la connaissance (knowledge management) font partie des domaines dans lesquels le contrôleur de gestion doit proposer expertise et appui. Il est à peine nécessaire de dire, pourtant, que rares sont sans doutes les esprits qui y sont prêts. Cette hypothèse, comme, à un degré moindre, la précédente, suppose que le contrôleur de gestion devienne un catalyseur et un expert, un analyste, une ressource de connaissances, pas un simple pourvoyeur d’informations de reporting. Les profils à rechercher ne sont évidemment pas les mêmes dans les deux cas et ce simple fait rend la transition problématique en soi. Le risque est clair : les managers apparaissent dans ce modèle comme des techniciens à éduquer, image qu’ils n’ont aucun avantage à accepter. On retrouve en filigrane le contremaître de Taylor, expert face à de simples exécutants – sauf que les managers ne sont pas de simples exécutants. Mais des signes forts existent aussi. La restructuration de la fonction (prélude peut-être à la grande restructuration de la technostructure) a permis, dans certains cas (voir celui d’IBM 2) de centraliser des processus

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jadis confiés aux contrôleurs locaux, pour les libérer de tâches redondantes et les pousser vers un rôle d’analyste. Les techniques d’outsourcing ou encore de centres de services partagés ont touché la fonction contrôle de gestion dans les entreprises mondialisées, désireuses de piloter certains processus supports au niveau mondial. La technologie de l’information et des communications a rendu possible des organisations mondiales de processus. Il en a résulté un accroissement des données consolidées disponibles au niveau mondial, et un allègement de certaines tâches des contrôleurs. De producteurs de rapports ils sont devenus destinataires de l’information produite ailleurs. Ils se rapprochent des opérationnels de ce fait même. Le contrôle de gestion devient ainsi le gage de professionnalisation des managers. Il exprime le sens de leur mission, les place en position de pilotage des résultats afin de permettre aux dirigeants de construire un vivier de futurs dirigeants. Il est la partie clé du contrôle interne oubliée par certains, qui le réduisent à une conversation entre actionnaires et dirigeants, l’organisateur de la zone sensible qui sépare équipes dirigeantes et management intermédiaire. Ce scénario contient aussi des incertitudes : être business partner, cela consiste-t-il à « aider » les managers à décider (position ambiguë) ou à les doter d’outils d’aide à la décision plus appropriés ? Cela consiste-t-il à les « coacher », voire à les surveiller ? Les enjeux de pouvoir sont nombreux : entre fonctionnels si les contrôleurs sortent du domaine financier strict, entre eux et la ligne hiérarchique qu’ils se posent en institution garante du « bon » management. On sait que les cas de contrôleurs business partner sont rares, d’autant que le concept n’est pas clair, mais il reste à documenter les situations dans lesquelles cette position s’observe. Les études de terrain (Lambert 2005, Morales 2009) tendent à montrer que les ERP ne libèrent pas les contrôleurs pour en faire des business partners, bien au contraire ils les asservissent à l’outil. La capacité stratégique des dirigeants financiers dans un tel scénario semble nettement plus faible que celle qu’ils détiennent dans le scénario 1. En effet, si la finance s’adjoint le contrôle de gestion business partner, elle apparaît comme une puissance redoutable pour tous, à commencer par les directions générales. Si celles-ci lui délèguent un tel domaine, la fonction financière devient l’architecte de la gouvernance interne, plus puissante encore qu’aujourd’hui. Des directeurs financiers, portés par la vague de la gouvernance et du contrôle interne, se sont rendu compte de l’importance du contrôle de gestion et, plus généralement, de l’intérêt majeur que représente le contrôle du contrôle interne. Les discours sont très explicites 3. En France, par exemple, le lauréat du Trophée du directeur financier de 2006 plaide d’ailleurs pour que le directeur financier, « qui doit jouer à tous les postes sur le terrain » 4, co-signe un rapport sur le contrôle interne beaucoup plus analytique que celui prévu par la loi.

4.3 : Le scénario du garant d’une cohérence interne volontaire dans l’organisation (scénario 3)

Un autre axe de revitalisation du contrôle de gestion est de redonner du sens à sa finalité première de convergence des buts proposée par Anthony (1965), c’est-à-dire de rendre la discipline responsable de la cohérence volontaire et partagée des responsabilités, des décisions et des actions entre les différents acteurs au sein de l’organisation. Nous avons montré dans la première partie que cette convergence des buts était fondatrice de la dynamique d’ensemble du modèle fondateur du contrôle de gestion (élaboration de plans

3 Voir notamment les interviews des candidats au titre au « Trophée de directeur financier de l’année » dans Echanges, décembre 2006, hors série. 4 Par ailleurs directeur du développement, il indique superviser la supply chain, les achats et l’informatique.

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unificateurs, régulation du slack, organisations de facturations internes entre les entités, intensification des interrelations entre opérationnels et fonctionnels, etc.). Nous avons aussi montré combien elle avait vu son rôle se déliter et s’opacifier sous les effets de la financiarisation. Nous avons enfin identifié quelques-uns des risques sous-jacents à cette nécessaire cohérence de la gouvernance interne : décrochage entre le financier et les opérations, cloisonnement entre divisions, centration des entités sur leurs propres enjeux, difficile harmonisation entre la politique d’entreprise et les politiques locales, appropriation des processus de planification et de contrôle de gestion par des services centraux spécialisés, conflits permanents entre court-termisme des uns et vision à long terme des autres, rôle d’aide à la coordination des comités transverses altéré, fractures cognitives entre fonctionnels et opérationnels, etc. Paradoxalement, le concept de cohérence est très présent dans la littérature de contrôle, mais, avec d’autres sens. Ainsi, il est utilisé pour évaluer la relation entre environnement et stratégie de l’entreprise ; il représente alors une cohérence que l’on pourrait qualifier d’« externe ». Il est aussi associé à l’adéquation entre la stratégie et le contrôle de gestion ; il ne reflète dans ce cas qu’une vision instrumentale de la cohérence. Il s’applique enfin à la qualité de l’alignement des managers sur les objectifs généraux de l’entreprise ; dans ce cas, le concept s’assimile à une cohérence forcée. Pour définir ce que nous entendons par cohérence, il convient de le distinguer du concept de cohésion14, à la fois voisin, différent et complémentaire. La cohésion, expression du sentiment communautaire au sein d’une organisation, peut se définir comme la capacité de celle-ci à former un tout, une unité fondée sur un idéal, des valeurs communes et des émotions partagées. Portée à ses extrémités, la cohésion conduit une organisation à une sorte de secte dans laquelle la personnalité individuelle est annihilée au bénéfice de l’idéologie du groupe ou du leader. C’est pourquoi une organisation ne peut pas se contenter de promouvoir seulement la cohésion en son sein. La cohérence reflète l’état de coordination et de coopération dans l’organisation. Elle peut se définir comme une double capacité : celle de faire en sorte que les responsabilités, les décisions et les actions des membres de l’organisation soient les plus différenciées possible de façon à ce que chacun puisse assumer son rôle individuel et mesurer sa propre performance ; et celle de créer les conditions pour que les unes et les autres s’intègrent de façon harmonieuse et efficace en vue d’atteindre ensemble les objectifs globaux communs. La cohérence s’apparente donc à la gestion d’une tension vécue par les acteurs entre deux forces : une différenciation des fonctions et une intégration des différents couples « rôle-responsable » et de leurs interrelations. Les deux forces sont, l’une et l’autre, opposées et complémentaires à la fois. La cohérence est verticale ou hiérarchique, entre le supérieur et ses subordonnés, mais aussi latérale entre pairs. Les organisations semblent avoir relativement peu de difficultés à différencier. Les efforts de délégation et d’exercice autonome des responsabilités ainsi que les tentatives de délimitation des performances individuelles des collaborateurs contribuent à promouvoir cette différenciation. Il n’en est pas de même pour l’intégration : la verticale est habituellement ressentie comme imposée par la Direction Générale, et donc subie ; l’horizontale est faible, voire très faible. En d’autres termes, les dirigeants auraient plus appris à déléguer qu’à diriger (ce que confirment les résultats d’enquête présentés dans le tableau 1 : si seulement 39% des managers interviewés se considèrent insuffisamment autonomes, 61% se déclarent insuffisamment dirigés).

14 Pour un définition plus ample des concepts de cohésion et cohérence, voir Pech Varguez (2003), Fiol, Jordan

et Sulla (2004) et Fiol et De Geuser (2007)

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Les deux graphiques suivants (figures 3 et 4) illustrent le fait que, même entre les membres du comité de direction de la filiale française d’un grand groupe américain doté d’un système de contrôle de gestion hypermoderne, la cohérence verticale et la cohérence latérale apparaissent comme nettement insuffisantes. La cohérence verticale (fig. 3) telle que se la représente le Directeur Général (courbe rose) est loin de coïncider avec celle ressentie par ses collaborateurs directs (courbe jaune). Sur une échelle de 0 à 6, deux items obtiennent des notes particulièrement basses : la négociation des objectifs entre le Directeur Général (score de 3 sur l’item 3) et les autres membres du Comité de Direction (score de 3,5) et le fait que les collaborateurs disposent d’indicateurs propres (score de 3 pour le Directeur Général et inférieur à 4,5 pour les collaborateurs sur l’item 11). La cohérence latérale (fig. 4) est, quant à elle, très insuffisante aux yeux du Directeur Général, avec deux pics fortement négatifs aux items 4 (pas de travail collectif entre collaborateurs) et 18 (pas de réunions de travail pour que les pairs fassent face ensemble à leurs difficultés de travail). Ce constat est confirmé par les scores de ses collaborateurs directs ; ceux-ci déclarent ne pas travailler ensemble (moins de 3 pour l’item 4), ne pas harmoniser leurs objectifs entre eux (également moins de 3 sur l’item 12) et ne pas faire face ensemble à des difficultés de travail (près de 2 sur l’item 18). Cohérence verticale de l'équipe

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Questions

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Ecarts-types

DirecteurNégociation des

objectifs

Indicateurs propres

Figure 3 : La cohérence verticale au sein du Comité de Direction de la filiale française d’un grand groupe international

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Cohérence latérale de l'équipe

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4 8 12 14 18 20 22 23 24

Questions

Vale

urs

Moyennes

Ecarts-types

Directeur

Travail collectif

Harmonisation des objectifs

avec les collègues

Collaborateurs se réunissent pour faire face à des diffcultés de travail

Figure 4 : La cohérence latérale au sein du Comité de Direction de la filiale française d’un grand groupe

international On comprend alors à quel point l'activité interne de direction doit intégrer ces deux dimensions. Le contrôle de gestion ne joue plus, à notre avis, son rôle essentiel de veille du maintien ou du renforcement de la cohérence verticale et latérale, en particulier aux plus hauts niveaux hiérarchiques des organisations. Après tant d’années de quête vaine de cohérence dans les organisations, on ne peut que se demander si le contrôle de gestion n’est pas en crise. Par ailleurs, les auteurs de contrôle de gestion n’ont jamais considéré que leur discipline devait veiller à maintenir ou renforcer la cohésion. Or, les travaux de recherche de Pech Varguez (2003) et Fiol, Jordan et Sulla (2004) mettent en évidence la relation étroite entre cohésion et cohérence dans l’organisation. Selon eux : - l’absence de cohésion inhibe le travail sur la cohérence ; - dans la mesure où les équipes de direction promeuvent la différenciation des rôles joués par

les uns et les autres, le renforcement de la cohérence repose plus particulièrement sur l’amélioration de l’intégration des responsabilités, des décisions et des actions ;

- mais intégration et cohésion ne doivent pas être confondus : si la première a trait à une meilleure harmonisation des rôles différenciés afin qu’il constituent un ensemble et à un renforcement de la solidarité organique, la seconde fait de l’entreprise un tout à forte solidarité communautaire ;

- très rares sont les organisations au sein desquelles règnent de fortes incohérences ; comme il y a toujours un minimum de cohérence forcée, c’est plutôt un manque de cohérence volontaire et partagée entre les activités de leurs différents acteurs qui les caractérisent ;

- il existe une relation de cercle vertueux ou de cercle vicieux entre cohésion et cohérence ; l’une et l’autre se renforcent ou se détruisent mutuellement.

En résumé, en focalisant son attention sur la cohérence verticale au détriment de la cohérence horizontale, le contrôle de gestion n’a traité qu’en partie la problématique de la cohérence et s’est éloigné du modèle initial de Sloan. En séparant arbitrairement la cohérence et la

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cohésion et en ne s’intéressant qu’au maintien ou au renforcement de la première, il a failli à son rôle de garant de la gouvernance interne. Ce scénario touche à une remise en cause de l’approche financière du management et semble laisser peu de capacité stratégique aux financiers.

4.4. Le scénario d’une prise en compte des contradictions inhérentes au management (scénario 4).

Ce quatrième scénario réduit plus encore les marges de manœuvre de la fonction financière au sein de la gouvernance interne. Taylor, Barnard, Follett, Thompson, Drucker, mais aussi Sloan, ont défini le management comme la capacité à harmoniser des composantes en tension et à adopter des attitudes opposées, mais complémentaires. Cette nécessité de faire face aux dualités du management n’a pas échappé à quelques-uns des pères fondateurs du contrôle de gestion (Cordiner, 1956, Rose, 1958, Bonini et allii, 1964, Anthony, 1965). Néanmoins, par la suite, les références à ces tensions ont disparu de la littérature de contrôle de gestion. Il a fallu attendre quelques années pour que l’on s’y intéresse à nouveau. Pour Simons (1995, p. 4), le contrôle de gestion ne peut plus ignorer certaines de ces tensions : liberté et contrainte, être responsable de ses actes et rendre des comptes, orientations top-down et créativité bottom-up par exemple. Il est même fondé sur une tension : « Gérer la tension, déclare-t-il, entre l’innovation créatrice et l’atteinte d’un but prédictible est l’essence même du contrôle de gestion » (p. 91). Il n’a pas à choisir entre les deux pôles de ces tensions, mais à les tenir ensemble. Bouquin (2001, p. 12) adopte une position semblable quand il affirme : « Au fond, le contrôle de gestion est par excellence une technique de gestion des paradoxes et c’est pour cela qu’il faut être prudent avant de parler de ses ‘effets pervers’. Intégrer, mais différencier. Favoriser l’excellence dans les processus de mise en œuvre de la stratégie, mais ne pas stériliser l’innovation, la créativité ». Pour Bourguignon (2003), la relation autonomie-conformité agit comme une double contrainte du « nouveau » contrôle de gestion. Selon Fiol, Jordan et Sulla (2004), les managers sont confrontés à de multiples paradoxes et contradictions inhérents au management, qu’ils ont du mal à appréhender et qu’ils ne ressentent que de façon diffuse. Ne sachant les traiter, ils ont tendance à les oublier, voire à les nier. Ils confondent, en outre, situations de double contrainte et relations contradictoires. Pour Watzlawick (1988), les situations de double contrainte sont des situations dans lesquelles le manager est soumis à deux messages qui s’excluent. Comme il lui est impossible de sortir du cadre fixé par les deux messages, il ne peut pas réagir mais, en même temps, il ne peut pas ne pas réagir ; il est pris dans un piège. Les situations contradictoires font appel à deux attitudes à la fois opposées (les deux se détruisent mutuellement) et complémentaires (les deux s’enrichissent mutuellement) : par exemple être au service de la performance du client et être au service de sa propre performance de manager. Elles laissent donc le choix au manager. Mais c’est un choix dangereux : les deux attitudes sont à mettre en œuvre l’une ET l’autre, et non l’une OU l’autre. Comme le « ET » exige réflexion et créativité pour trouver des réponses appropriées intégratives et originales, les managers optent inconsciemment pour le « OU » demande en conséquence moins de temps et d’imagination. A des fins de simplification ou d’incommodité, le management traditionnel nie les contradictions et incite à adopter une position en « OU » : il faut être au service du client-roi (impact sur la performance du manager faible à court terme, mais fort à long terme) OU au service de sa

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propre performance à court terme (efficace pour l’évaluation du manager, mais nuisible à long terme dans la relation au client). Cependant, comme les deux attitudes contradictoires sont aussi importantes l’une que l’autre, tout choix est considéré par le manager comme un appauvrissement. En résumé, si les situations de double contrainte enferment les managers dans des pièges dont ils ne peuvent sortir, les situations contradictoires les conduisent à un refoulement de l’option non choisie. Il n’est pas rare que des managers soient exposés à des situations de double contrainte ; celles-ci font apparaître des déchirements paradoxaux entre l’exigence de performance et l’éthique. Par contre, il est courant qu’ils soient soumis à des contradictions. Un grand nombre de ces contradictions sont étroitement liées aux risques inhérents au modèle fondateur de gouvernance interne de Sloan –Brown15 : harmonisation entre global et local, long terme et court terme, rationalisation et intuition, slack et rigueur budgétaire, enjeux individuel et intérêts collectifs, centralisation et décentralisation, service au client et performance de l’entreprise, apprentissage du passé et projection dans le futur, etc. Elles affectent, entre autres, les principales relations que les participants entretiennent avec les composantes de leur milieu professionnel : le contenu de travail (finance, production, marketing, commercial, etc.), le supérieur hiérarchique, les pairs, les collaborateurs, les clients, le temps, etc. Les nombreuses enquêtes que nous avons effectuées dans plusieurs entreprises françaises conduisent entre autres aux résultats suivants : - Dans leurs relations avec leur supérieur hiérarchique direct, les managers peuvent se sentir

autonomes ou non. Ils peuvent en parallèle se sentir dirigés par le sens ou non. S’ils se sentent autonomes et non dirigés par le sens, ils se considèrent abandonnés par leur supérieur hiérarchique. S’ils se sentent dirigés par le sens sans être autonomes, ils s’estiment soumis à un management trop paternaliste. C’est une mise en application des deux attitudes qu’ils attendent de leur supérieur hiérarchique : ils ne peuvent pas se sentir autonomes s’ils ne sentent pas en même temps dirigés par le sens. Le déficit de direction par le sens est plus marqué que celui d’autonomie ; plus d’un tiers des managers qui répondent à nos enquêtes sur les contradictions en souffre sérieusement. Il n’est pas également réparti selon les entreprises, les métiers et les niveaux hiérarchiques.

- Dans leurs relations à leur contenu de travail, qui n’est pas le même selon que l’on est, par exemple, en production ou dans la commercialisation, les managers doivent maintenir leur vigilance vis-à-vis de deux attitudes contradictoires : apprendre à être plus concret (être dans l’action, appliquer des solutions, focaliser son attention sur l’aspect critique de la situation, simplifier pour agir, etc.), mais aussi plus abstrait (être dans la réflexion, identifier des problèmes, élargir son champ de vision, appréhender la complexité, etc.). Les managers étant essentiellement ancrés dans l’action, le déficit de réflexion est général.

- La relation au temps est aussi problématique. Ils vivent intensément le moment présent et courent désespérément après le temps. Se considérant peu rétrospectifs, les managers souhaitent pratiquement tous plus de temps pour faire des analyses de résultats, apprendre du passé, faire des bilans, tirer des enseignements. En parallèle, se sentant très peu prospectifs, la quasi-totalité regrette de ne pas pouvoir se projeter davantage dans le futur et anticiper.

Comme les managers ne font pas face à ces contradictions de la même manière selon leur niveau hiérarchique, des fractures apparaissent entre supérieurs et subordonnés le long des lignes d’autorité.

15 Sloan ne fait pas référence au concept de contradiction ; il utilise celui de tension entre des intérêts opposés qui génère des conflits.

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Cette tendance à prendre en compte les tensions, les paradoxes ou les contradictions nous paraît désormais incontournable. Elle doit se poursuivre, entre autres, au niveau de la recherche. Elle exige que ces deux concepts, qui sont différents, soient définis avec davantage de précision. Elle requiert que les instruments de gestion en tiennent compte et se présentent davantage comme des heuristiques, certes plus difficiles à mettre en œuvre mais moins simplistes. Bouquin (2001, p. 421) a montré que les contradictions inhérentes au management et exacerbées par la décentralisation des pouvoirs de décision appellent des dispositifs de contrepoids et de contrepouvoirs qui font du contrôle de gestion un ensemble qui relève plus de la logique des mobiles de Calder que de celle de l’alignement pur et simple d’objectifs supposés décomposables (voir ci-dessus partie 1). On rejoint là le thème développé par Miller, selon lequel les systèmes complexes se dégradent, mais en raison d’une dynamique sur laquelle bien peu de recherches ont, en réalité, été menées jusqu’ici, peut-être parce qu’elle n’entrent que difficilement dans les paradigmes dominants et les approches quantitatives. Le défi est ainsi posé à la recherche en contrôle. Tous ces scénarios peuvent cohabiter. De plus, une dynamique existe sans doute entre eux, comme on l’a noté. Elle est complexe et circonstancielle, car elle dépend des facteurs locaux qui fondent la légitimation des fonctions supports, dans un contexte donné mais aussi en général comme les messages d’organisations professionnelles le montrent. Historiquement, les contrôleurs ont pu se saisir d’une zone de compétence où ils n’avaient pas de concurrents, mais la montée en puissance des financiers la leur a ôtée. Face aux ingénieurs, ils souffrent, semble-t-il, d’un manque de légitimité. Sortir de la sphère financière n’est pas sans risques. L’issue dépend largement de la capacité des contrôleurs à apparaître comme détenteurs d’un savoir spécifique et nécessaire au bon fonctionnement d’interfaces dans les organisations (finance-technique, direction générale-directions de centres de responsabilité). Et que ce savoir soit perçu comme une compétence de direction. Conclusion En conclusion, la finalité première du contrôle de gestion - à savoir l’organisation et l’accompagnement d’une décentralisation coordonnée pour Sloan et un mode fondamental de convergence des buts pour Anthony – nous paraît avoir dérivé au fil du temps vers un modèle de prévision et de suivi des seuls résultats financiers. Dans ce délitement, les employés sont assimilés à une ressource consommable, c’est-à-dire un coût, au même titre que les matières premières ou le matériel. En conséquence, ils ne trouvent plus de sens à ce qu’ils font : ils sont appréhendés par les dirigeants comme des moyens au service de création de valeur pour les actionnaires alors qu’ils aspirent à être reconnus davantage comme un potentiel humain à développer. Selon nos enquêtes auprès de publics de managers en formation au management, neuf managers sur dix ne déclarent que des objectifs de nature financière, commerciale et technique, lorsque l’on leur demande d’énoncer leurs objectifs annuels. Le développement de leurs collaborateurs est considéré comme un moyen et non comme une fin en soi. Ce qui était mis en lumière il y a quelques décennies, et par les meilleurs auteurs, comme une des missions majeures du management (développer les compétences des équipes) apparaît donc aujourd’hui largement oublié. Le rôle économique du manager suscite lui-même des questions. Un manager est, certes, responsable de l’atteinte de résultats « par l’intermédiaire d’autres personnes » (Anthony, 1965). Mais la mission qu’il reçoit est aussi celle de faire face à l’imprévu, ou à

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l’imprévisible. Sa situation est donc paradoxale, et un des enjeux de la gouvernance interne est de réguler ce paradoxe. L’exclusive attention portée aux résultats des managers est sans doute un des facteurs qui les conduisent à se percevoir comme simples exécutants, comme le montrent les constats présentés dans l’article. Or, plus le manager se situe vers le bas dans la ligne hiérarchique, plus, sans doute, la reconnaissance de son rôle de résolution de problèmes et de saisie des opportunités est faible, ce qui conduit à la frustration constatée. La lecture des mémoires de Sloan montre, inversement, combien il était conscient du paradoxe du management : « Experience has convinced me that for those who are responsible of a business, two important factors are motivation and opportunity. The former is supplied in good part by incentive compensation, the latter by decentralisation. […] From decentralization we get initiative, responsability, development of personnel, decisions close to the facts, flexibility – in short, all the qualities necessary for an organization to adapt to new conditions. » (Sloan, 1963, p. 429) Les dispositifs construits par Sloan ne prévoyaient qu’un ensemble de « financial controls », mais ils étaient complétés par des règles de gouvernance interne qui en faisaient du « management control ». L’institutionnalisation de ce concept entre les années 1950 et 1960, dans un processus auquel est attaché le nom d’Anthony, aurait pu déboucher sur un véritable référentiel de gouvernance interne, faisant leur place à tous les aspects des missions des managers. Mais, en dénommant « management control » un ensemble de dispositifs qu’il aurait été préférable d’appeler, par exemple, « business management control » pour marquer qu’ils ne traitaient que la performance économique confiée aux managers, le domaine s’est vite réduit à son contenu financier et les autres volets du véritable « management control » ont disparu. Les contrôleurs de gestion s’en sont trouvés relégués au management control, et à ce qu’il nomment eux-mêmes le « sale boulot » (Morales et Lambert, 2009). Assez logiquement, ils n’ont pas pu tirer profit de l’institutionnalisation du contrôle. Certes, certains instruments de gestion récents, comme le balanced scorecard, reconnaissent combien il est impératif de corriger cette anomalie et de disposer d’indicateurs humains et managériaux. Néanmoins, ce souci, louable au demeurant, ne pourrait être qu’un leurre. Tout d’abord, l’ajout d’indicateurs non financiers n’est qu’un détail au regard de la problématique générale de gouvernance interne qui reste sous-estimée ; en conséquence, la préoccupation figure dans les documents, mais n’apparaît pas autant qu’il le faudrait dans les têtes des managers. De plus, ce phénomène de discrédit des moyens humains se manifeste aujourd’hui de plus en plus haut dans la hiérarchie ; il concerne maintenant les managers de haut niveau. Il y a quelques années encore, ceux-ci pouvaient négocier leurs objectifs avec leurs supérieurs hiérarchiques directs. Puis, ils se sont fait imposer leurs objectifs, en gardant l’initiative sur la gestion des moyens. Il semblerait qu’avec la mondialisation et les structures matricielles à deux ou trois entrées, ils ne conservent plus qu’une faible prise sur les moyens. Enfin, les indicateurs humains et managériaux qui leur sont imposés sont si nombreux, exigeants et standardisés qu’ils permettent aux directions générales de comparer les managers à des surhommes ayant toutes les qualités requises pour être des héros du management ; à ce compte-là, les managers deviennent paradoxalement plus vulnérables encore. Un vide de gouvernance interne s’est donc installé dans les entreprises. Il était déjà prévisible dans le modèle de direction de Sloan, qui en avait souligné les dangers. « There is a natural tendency to erode that framework unless it is consciously maintained. […] There is a strong temptation for the leading officers to make decisions themselves without the sometimes onerous process of discussion, which involves selling your ideas to others » (Sloan, 1963, p. 435). Ce vide est-il encore supportable par les managers ? Le contrôle de gestion tel qu’il est

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exercé aujourd’hui dans les entreprises se trouve à la croisée des chemins. Soit il se financiarise encore davantage au risque d’accroître encore plus ce vide auquel ne s’intéresse d’ailleurs aucune autre fonction ou discipline de base du management, y compris la stratégie et les ressources humaines. S’intéressant exclusivement aux écarts entre « ce qui est demandé » aux managers (l’atteinte des objectifs) et « ce qu’ils produisent » (les résultats obtenus), le contrôle de gestion continuera d’ignorer ce que « ça leur demande » en termes physiologiques, psychologiques, voire éthiques, pour ne pas faillir. La perte de sens au travail, les choix éprouvants face à de multiples dilemmes, l’engluement dans des doubles contraintes vont s’accentuer. Soit le contrôle de gestion prend en charge ce vide et se transforme en mode d’organisation et d’accompagnement de la gouvernance interne. Dans ce cas, un sérieux travail de reconstruction de la discipline est à prévoir car, avec l’intensification de la financiarisation du monde des entreprises, les repères initiaux prônés par Sloan ont eu tendance à se perdre. En considérant que la mission essentielle du contrôle n’est pas de faciliter l’action, mais de créer des espaces de réflexion, d’apprentissage et donc d’épanouissement pour les managers, Follett alerte dès 1932 sur le risque d’une fracture entre ceux qui dirigent et ceux qui exécutent. En définissant l’efficience comme la satisfaction collective ressentie par les membres de l’organisation et mesurable seulement par eux, Barnard se refuse en 1938 à une dégradation du rôle des managers de l’entreprise à celui d’automates et leur ménage un espace de parole essentiel pour leur santé psychique. En affirmant que le contrôle de gestion doit être au service de la gouvernance interne, Sloan met en garde contre les dangers d’un management rationnel simpliste face à l’émergence d’une organisation plus complexe. N’hésitons pas à revenir à ces grands textes fondamentaux du management, et à bien d’autres, afin de retrouver des espaces de refondation pour notre discipline.

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