DENISE DÉJEAN

L’ArmierLe Danseur d’argile

Roman J

L’ArmierLe Danseur d’argile

Du même auteurLardoulens - 978-2-911137-18-1Collection Terroir éd. Elan Sud

Femmes en leurs Jardins - 978-2-911137-36-5Collection élan d’elles éd. Elan Sud

L’Armier. Mystère à Saint-Paou - 978-2-911137-41-9Collection elan J éd. Elan Sud

Le Crime du Gamat - 978-2-911137-48-8Collection Terroir éd. Elan Sud

© Elan Sud 2017Dépôt légal juillet 2017ISBN : 978-2-911137-53-2Composition : Elan Sudphoto sous license : numéro 90747195 © eugenesergeev

Denise DÉJEAN

L’ArmierLe Danseur d’argile

R o m a n

élan JElan Sud

À AlexandreD. D.

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Redouane s’est bien gardé de raconterau médecin ses aventures, il aurait jugédéraisonnables les efforts consentis pour aiderles archéologues à fouiller la nécropolemérovingienne de Saint-Paou. Et ce qu’ilcraignait était arrivé : le docteur lui a ordonnéde reprendre ses béquilles et son attelle, et durepos, encore du repos, toujours du repos!

«Au moins jusqu’à la rentrée scolaire… »

Comment se contenter de cela à quinze ans,lui qui tient difficilement en place? Sanscompter que cette malheureuse interruptiondans son parcours sportif risque de ruiner sonavenir de footballeur professionnel.

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Il a vécu des journées trépidantes à Saint-Paou, mais depuis deux semaines, le site estfermé jusqu’à l’année suivante, et lesfouilleurs repartis chacun dans son monde,Seb vers Paris, Vincent vers le Canada,Mathieu vers le laboratoire de Toulouse où ilcommencera bientôt l’étude des piècesrecueillies pendant la campagne de fouilles.L’adolescent se les remémore toutes, une àune, dans sa tête, les ossements et les objetspatiemment exhumés des tombes, lescramasaxe1, les poteries, le couteau, maissurtout la merveilleuse plaque-boucle deFaustus, sa plaque-boucle2.

Il se force à se concentrer sur cela, le concret,le tangible, pour ne pas penser à Léa, sescheveux relevés en chignon échevelé, son rireunique. Même son fichu caractère lui manque.Léa… Redouane ne la reverra sans doutejamais, ou bien pendue au cou de son Kevin.

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1- Long couteau de guerre de l’époque mérovingienne.2- Plaque de ceinturon de la même époque. Voir L’Armier,Mystères à Saint-Paou, éditions Élan Sud.

S’il regarde les choses en face, sa raison luisouffle d’oublier la jeune fille, d’étouffer lessentiments qui bouillonnent en lui, desurmonter la douleur de son absence. Il estbien trop jeune, elle bien trop brillante.À chaque fois, la vision du cavalier fantômelui revient en coup de poing, en jet d’acide,aussi claire et puissante qu’au premier instant.Il soupire, se retourne dans son lit. Le tempssuspendu s’effiloche en minutes, en heuresinutiles. Il dort très mal. À cause de la chaleur,du manque d’exercice, de la maison inconnueoù l’hébergent les gens.Car les dernières vingt-quatre heures ont étépleines de surprises. Jusqu’à hier, les vacancesscolaires n’en finissaient pas de s’étirer. Ilavait lu tout ce que la bibliothèque de la villepouvait lui fournir de documents sur lesMérovingiens, les Romains, et même lesWisigoths. Il n’était pas plus avancé. Etmaintenant?Rien. La télé ne lui apprenait rien et nel’amusait plus. Dans le quartier, aucun de ses

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amis ne partait au bord de la mer ou àl’étranger, mais ils étaient libres de faire duvélo à longueur de journée, de se balader surleur hoverboard, ou de shooter dans un ballon.Lui pas. Il s’ennuyait à mourir. Sa vie luiapparaissait comme un vide sidéral que rienne viendrait jamais plus ni animer ni combler.Quand on avait sonné à la porte de l’appar-tement où il vit avec sa mère, il avait sursauté.Qui pouvait bien leur rendre visite? Alex, toutsourire, était là, l’ami fidèle.

« Je viens t’inviter.

— Moi? Mais à quoi? Je ne suis bon àrien. Si j’écoutais le médecin, je devrais resterau lit jour et nuit.

— Ça te dirait quelques jours devacances chez mes grands-parents?

— Ils ne me connaissent pas. Peut-être nevoudront-ils pas de moi? »

Alex s’est mis à rire aux larmes. Il lui avaitalors expliqué que les parents de son pèreétaient instituteurs à la retraite, qu’ils venaientd’acheter une très ancienne maison au

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Paradie, un village situé à une centaine dekilomètres de là, et proposaient à leur petit-filset à son ami de visiter les lieux avant que lestravaux de rénovation n’aient tout modifié.Quelques jours à aider de leur mieux lesfouilleurs d’un chantier archéologique avaientfait d’eux des spécialistes, pensaient-ils.

« La charpente et les murs dateraient duMoyen Âge. Ils sont persuadés que ça va êtrepassionnant pour nous de les observer… »

Redouane n’avait pas répondu, il ne voulaitpas froisser Alex. Comment lui dire quepasser une semaine avec son père, le major degendarmerie qui le soupçonnait de vol il y aquelques jours encore, non, franchement, çane le tentait pas vraiment. Heureusement, cedernier, toujours aussi bavard, avait précisé :

« Mes parents vont simplement nousdéposer au Paradie, et reviendront nouschercher dans sept jours, parce que mon pèrene peut pas s’absenter de la brigade plus dequelques heures, à cette saison. De vraiesvacances avant la rentrée des classes, ce serait

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chouette, non? De toute façon, nous nepasserons pas nos journées à quatre pattes, lenez au sol, à jouer les Indiana Jones. Juste unpeu pour faire plaisir à mes grands-parents,mais je compte bien me faire des copains,explorer la ville et ses environs…

— À condition de ne pas forcer sur mongenou. Je n’ai pas envie de rester boiteuxtoute ma vie. Et que dira ma mère?

— Mon père se charge de lui demanderl’autorisation dès ce soir, et de la convaincre.Ah oui, je ne te l’ai pas dit : nous partonsdemain à treize heures. Prépare tes bagages! »

À treize heures précises, Alex était là. Laponctualité chez lui est un trait génétique! Lamère de Redouane l’avait fait entrer dans lacuisine pour lui confier un grand platrecouvert d’un torchon noué.

« C’est pour tes grands-parents, quelquesdouceurs de chez nous, le Maroc… C’est moiqui les ai faites. Juste quelques makrouts, desbaklavas, des chabakias et des cornes degazelle.

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— Merci madame, ils apprécieront. Ilssont aussi gourmands que moi… ou l’inverse! »

Elle avait suivi les garçons en portant le sac deRedouane, qui se trouvait quelque peumaladroit avec ses béquilles. La familleTardieu était descendue de voiture pour saluerla mère et le fils, tandis que le major rangeaitles affaires de Redouane dans la malle. Lesdeux adolescents s’étaient installés à l’arrièreavec Clara, la petite sœur d’Alex, cramponnéeau plateau de pâtisseries. Et puis le départ.De grands signes de la main, un sourireradieux à sa mère, et déjà l’immeuble avaitdisparu. Mais le sourire de Redouane étaitretombé aussi vite qu’un soufflé. Il ne voulaitpas l’avouer, mais c’était la première fois qu’ilétait invité plusieurs jours seul, chez desinconnus ou presque, et une étrange boulenouait sa gorge. Comment devrait-il secomporter? Que devrait-il dire ou faire pourne pas importuner ses hôtes? Pour paraîtrebien élevé? Heureusement, il pourraittoujours compter sur Alex pour l’aider.

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Le major avait vu dans le rétroviseur le visagecrispé de leur invité. Il avait compris.

« Fiston, je te fais confiance pour fairevisiter la ville à Redouane, n’est-ce pas?

— Je ne la connais pas bien.— Vous la découvrirez ensemble. Et puis,

vous trouverez bien un voisin qui pourra vousaccompagner. Ou bien ton grand-père, si sonchantier ne l’occupe pas trop. Mais j’en doute.Au téléphone, il m’a paru enthousiasmé parses occupations : gratter du vieux ciment,enlever des gravats, vider des brouettes desaletés diverses…

— Ils ont beaucoup de courage, à leurâge, de se lancer dans un chantier pareil, étaitintervenue madame Tardieu.

— Mes parents ne sont pas si vieux queça!

— C’est vrai, mais ils pourraient aspirerau repos, après leur carrière bien remplie.

— Je compte sur toi, Alex, pour leurdonner un coup de main, même s’ils ne ledemandent pas. Redouane, pour toi, c’est

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formellement interdit. Tu dois reposer tongenou pour reprendre les entraînements auplus tôt. Si je ne l’avais pas promis à ta mère,jamais elle n’aurait accepté de te laisser partir.Alors, pas de bêtises, compris? Tu ne faisstrictement rien.

— Oui, monsieur. »Un silence pesant s’était installé dans lavoiture. Clara, du haut de ses huit ans,réfléchissait à sa façon. Elle avait demandéd’une petite voix :

« Redouane pourra quand même tournerla salade? »Ce qui avait fait rire tout le monde, et rendul’atmosphère plus légère. La boule, dans lagorge de Redouane, avait diminué. Clara s’étaitendormie, une corne de gazelle à la main.

* * *

Après plus d’une heure de route, un panneaude signalisation, Le Paradie, annonçait qu’ilsétaient arrivés.

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« Drôle de nom pour un village, non?,avait remarqué Alex.

— Et surtout drôle d’orthographe, avaitrépliqué sa mère. Le paradis s’écrit avec un« s » final, pas un « e ». J’espère que tu avaisremarqué cette faute.

— Pourquoi cette différence? »

Les parents avaient soupiré. Depuis sanaissance, leur fils posait toujours la questionà laquelle ils ne savaient pas répondre.Le Paradie n’était qu’un gros village, forméde deux parties distinctes : le quartiermoderne, où de coquets lotissementsencerclaient un supermarché avec galeriemarchande, pompes à essence et fast-food, et,le dominant de ses constructions patinées parle temps, un quartier visiblement plus ancien.C’est là que se trouvait la maison des grands-parents d’Alex, face à une haute tour crénelée.

« Bienvenue dans la Maison du consul! »

Le père du major les avait accueillis à brasouverts, sur le seuil de sa demeure. Ce quiavait étonné Redouane, c’est que le major ne

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ressemblait pas du tout à ses parents. Legrand-père d’Alex, Auguste, était un géantfiliforme, aux cheveux ébouriffés, et tout grisde poussière de la tête aux pieds. Près de lui,son épouse, Alicia, paraissait naine, bienqu’elle soit aussi grande que Redouane.Ils les avaient invités à s’asseoir devant lamaison, où une petite terrasse entourée d’unmuret offrait l’ombre bruissante d’une treille.Sur la table, il y avait diverses boissonsfraîches, mais personne ne s’en souciait, cartout le monde parlait en même temps, lemajor à son père, madame Tardieu à sa belle-mère, Clara à ses grands-parents, et Alex àtous à la fois! Redouane observait. Chez lui, iln’avait que sa mère avec qui discuter, et leurssoirées, quand elle ne travaillait pas au cinémade la ville, étaient souvent silencieuses, oumeublées par la télé. Il chercha sur la façadeune antenne parabolique, mais n’en vit pas.Ça promet! pensa-t-il, dépité. Huit joursd’ennui en perspective…

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Ce bavardage bruyant avait duré une bonnedemi-heure. Puis le major avait invité sa filleà terminer son makrout, à lécher ses doigtspoisseux de miel, et à grimper dans la voitureavec son épouse, car il devait reprendre sonservice à seize heures. Ils étaient repartisaussitôt. Le dernier geste d’adieu expédié, legrand-père s’était tourné vers les deuxgarçons, les yeux brillants.

« Il serait temps de vous faire visiter notrepalais, non? Je propose que Redouane passeen premier.

— Auguste, tu es incorrigible! Laisse-lessouffler et s’installer tranquillement dans leurchambre.

— Plus tard, rien ne presse, Alicia. Tu esd’accord, Redouane?

— Euh… oui, monsieur.— Ici, tout le monde m’appelle Auguste.

Tu t’y feras vite. »La Maison du consul était visiblement trèsancienne. On l’aurait crue sortie d’un livred’histoire : de la pierre claire, régulièrement

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taillée, jusqu’au premier étage, puis descolombages faits de poutrelles croisées. Àcertains endroits, les espaces étaient comblésde briques ocre mal alignées, à d’autres devieux torchis. Les fenêtres, plutôt étroites,entourées de bois sombre, étaient disposées àintervalles réguliers et abondamment fleuries.Une marotte d’Alicia : dans quelques jours,cette façade porterait une plaque officielle« Maison de Messire Jean de Mestre, consuldu Paradie – XIVe siècle ». Une cérémoniedevait avoir lieu, et elle tenait à ce que lafaçade soit belle pour cette inauguration. D’oùles cascades de géraniums et de surfinias.

« Et le corbeau? Avez-vous remarqué lemagnifique corbeau, les jeunes? »

Alex et Redouane avaient cherché dans le cielun quelconque volatile, déclenchant le fou rired’Auguste et d’Alicia. Quand ils avaientrepris leur souffle, ils leur avaient montréfièrement, à hauteur du deuxième étage, unepierre sculptée prise dans la maçonnerie.

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« Ce mot de corbeau désigne une pierrequi fait saillie sur le mur. En règle générale, uncorbeau supporte une poutre ou une corniche.Ici, il n’a qu’un but purement décoratif.

— On dirait qu’il y a un visage gravédessus…

— Exact! J’ai l’honneur de vous présenterMonseigneur Jean de Mestre en personne! Dumoins, c’est ce que prétend notre historienlocal. Ce qui est rarissime. En général, ce sontles princes, les grands seigneurs ou lespuissants abbés qui faisaient sculpter leureffigie ailleurs que sur leur gisant. »

Sur cette pierre, l’homme était représentéavec les attributs de sa fonction, un mantelet àrevers, un bonnet, et sa main gauche tenant lesclefs de la ville. Entre deux rouleaux decheveux bien lisses et ordonnés, le visageapparaissait sévère, fermé, et toisait la petiteassemblée de toute sa noble hauteur. Il n’avaitpas l’air commode, le consul!À l’invitation des grands-parents, Alex etRedouane avaient franchi une porte de bois

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massive, lourdement cloutée, pour pénétrerdans ce qui serait plus tard une entrée donnantsur le futur salon, mais qui servait provisoi-rement à stocker des matériaux, sacs deciment, poutres, carrelage, boîtes à outils. Paropposition avec la belle façade fleurie, l’intérieurprésentait un capharnaüm vertigineux! Lacuisine serait sur la gauche, avec deux fenêtresétroites ouvertes sur la treille. Pour l’instant,l’installation très sommaire se réduisait à unsimple réchaud à gaz de camping, un vieuxrobinet qui gouttait au-dessus d’un évier toutécaillé, une table bancale au centre, quatrechaises fatiguées, un frigo cabossé, descouverts en plastique, deux ou trois casseroles.Et partout des tas de gravats, des outils, et cettepoussière fine et collante qui s’infiltrait detoutes parts et recouvrait tout.

Cela ne semblait pas gêner Auguste quiretrouvait le ton professoral pour faire leshonneurs de leur maison. Il se prenaitvisiblement pour un grand seigneur.

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« La Maison du consul est un magnifiqueexemple des constructions civiles médiévales.Bien que modeste si on la compare à d’autresdemeures de la même époque, elle présentetoutes les particularités et les modernités duXIVe et du XVe siècles. Les Archives départe-mentales possèdent des dossiers fortintéressants sur ses occupants, en particulierJean de Mestre, le consul qui l’a fait construire.

— C’était un diplomate?, demanda Alex.

— Pas du tout. Il y a quelques siècles, unconsul remplissait les fonctions d’un conseillermunicipal doublé d’un juriste. Dans le nord dela France, on l’appelait échevin. En réalité,Jean de Mestre était marchand de drap.

— D’accord, ricana Redouane. Pas lapeine de frimer quand on vend des draps, deshousses de couette et des taies d’oreiller… »

Mais Auguste leur avait expliqué qu’autrefois,le terme de « drap » désignait toutes sortes detissus. De laine essentiellement, mais aussi delin, de chanvre, de soie. Il les invita ensuite àtourner à droite pour jeter un œil sur

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l’ancienne bassière, une petite pièce borgne,fraîche, où jadis, en l’absence de réfrigérateur,les ménagères entreposaient le fromage, lebeurre, les légumes et toutes les denréespérissables. Auguste voulait le moderniser etle transformer en bibliothèque ou en petitsalon pour la télévision, alors qu’Aliciasouhaitait lui conserver ses pierres apparenteset sa voûte d’origine, et se l’attribuer commeatelier de couture.

« Mais cette pièce manque terriblementde lumière. J’ai beau lui dire qu’elle s’yabîmera les yeux, elle ne m’écoute pas. Detoute façon, il faudra en premier enlever cettemontagne de gravats qui l’encombre. Voilà untravail pour vous, les garçons! »

Depuis le début de la visite, Redouane sesentait mal à l’aise. Pas du tout le même genrede sensation, profonde, étrange et violente,que lorsque Faustus lui était apparu à Saint-Paou. Il avait plutôt l’impression d’êtresurveillé, chacun de ses gestes épié, chacun deses pas suivi de près… Il avait vite compris

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pourquoi. Auguste ne le quittait pas des yeux,observait discrètement ses réactions…Qu’attendait-il ? Puis, il avait remarquéqu’Alex, dans son dos, attendait lui aussi, lesyeux brillants. Pas besoin de lui faire undessin : son ami avait parlé à son grand-pèrede son pouvoir d’armier. Il le savait bien quecommuniquer avec les défunts ne pouvait quelui attirer des désagréments! Après la terreurqu’il avait éprouvée à la vue de Faustus surson cheval fantôme, ses interrogations, sacrainte d’être pris pour un fou, voilàmaintenant qu’Alex voulait faire de lui unanimal de foire. Son grand-père scrutait levisage de Redouane à la dérobée, guettant uneexpression de surprise, un sursaut, un haut-le-cœur, ce genre de réaction que l’on devaitcertainement ressentir face à un spectre. Peut-être espérait-il que sa vieille baraque soitencore habitée par quelque ectoplasme, gentedame, ménestrel ou preux chevalier? C’était uncomportement compréhensible et bieninoffensif de sa part, mais tout à fait horripilant.

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Auguste poursuivait ses explications surl’histoire de la demeure. Construite au XIVe

siècle, au début de la guerre de Cent Ans, ellereposait sur de solides assises de calcaireblond jusqu’au premier étage. Le reste de labâtisse était à pans de bois et encorbellement,chaque étage dépassant de celui du dessous dequelques décimètres. Les poutres verticalesde la façade, sculptées par d’habiles coups dehache, de feuilles et d’entrelacs, donnaient àl’extérieur un aspect particulièrement cossu.D’après Auguste, Le Paradie était à cetteépoque un bourg important, avec denombreux commerces, des fabriques dedraps, des forgerons, des tisserands, descharpentiers, des charrons, et de prospèresdomaines agricoles qui s’étendaient toutautour, dans la plaine.

« Une sorte de paradis. D’où le nom duvillage, je suppose… »

Ils étaient passés au premier étage, explorantchaque pièce, détaillant les boiseries et lescloisons de pisé. Auguste et Alicia étaient

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ravis de faire étalage de leur érudition, et sousleurs explications savantes, la maisonreprenait vie. Les garçons avaient déposéleurs sacs de voyage au second, puis avaientdû monter jusqu’au grenier pour admirer lacharpente de châtaignier, un enchevêtrementcomplexe de poutres chevillées, de pannes, desolives et de chevrons. La visite terminée,Alicia avait jugé qu’il était temps d’allerdîner, et tout le monde était redescendu.Alors qu’il allait atteindre le rez-de-chaussée,au moment où il posait son pied sur latroisième marche de l’escalier, Redouanes’était arrêté. Tétanisé, claquant des dents, ils’était mis à trembler de tous ses membres.Alex avait adressé un clin d’œil de connivenceà son grand-père : il l’avait prévenu, son amisentait la présence des fantômes. Et là, certai-nement, il avait une vision.L’armier pivota vers eux et leva son bras àl’horizontale, index tendu. Il désignait,derrière ses compagnons, l’entrée du cellier.Le grand-père avait frissonné malgré lui. Alex

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avait senti ses cheveux se hérisser sur sa tête,tandis que sa grand-mère mordait son poingpour ne pas hurler de terreur. Comme dans unmauvais film, la scène s’était figée.Un instant. Juste après, Redouane était partidans un grand éclat de rire.

« Je vous ai bien eus! »

Malgré ses excuses, Alex ne lui avaitpratiquement pas parlé de la soirée, et sesgrands-parents s’étaient montrés tout justepolis. Le séjour risquait d’être difficile, s’ilsn’avaient aucun sens de l’humour. Et pourfinir, cette nuit blanche, à écouter cette maisonbizarre qui résonnait, soupirait et craquait detoutes ses boiseries… À un moment, il luisembla percevoir des bruits de pas.Instinctivement, Redouane s’enfouit sous lesdraps. Puis se moqua de ce réflexe. Aurait-ilpeur, lui qui avait vu Faustus, lui qui avait lepouvoir de communiquer avec les morts?Ridicule!

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Éditions Elan Sud

233 rue de Rome - 84100 Orange

http://www.elansud.com

http://www.elansud.info

Composition : Elan Sud

Impression : Laballery

N° d’impression :

Dépôt légal : juillet 2017

ISBN : 978-2-911137-53-2

Prix : 15€

ISBN: 978-2-911137-53-2www.elansud.fr/dejean

L’été est loin d’être terminé pour Redouane. AprèsSaint-Paou, c’est au Paradie qu’il va conclure sesvacances. Avec Alex, Auguste et Alicia, il vivra denouvelles aventures mystérieuses et palpitantes dansla Maison du consul.Le pouvoir d’armier de Redouane sera cette fois-cirenforcé par celui de Jess, la jeune cavalière. Avec lacomplicité de la jument Jenny, les adolescentschercheront à résoudre l’énigme d’Ysarn, le danseurd’argile, dans les souterrains datant du Moyen Âge.

Impliquée dans le monde culturel, l’auteur a cosignéplusieurs ouvrages ethnographiques sur les Pyrénéesariégeoises, avant de se lancer dans l’écriture denouvelles, puis de romans régulièrement primés. DeniseDéjean signe ici son cinquième roman chez Elan Sud, lesecond destiné à la jeunesse.

Denise DÉJEAN

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j : 7-9j : 9-10j : 10-13j : 13 & +