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Lectures et citations des ueteres poetae dans les Nuits ...

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HAL Id: hal-02197278 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02197278 Preprint submitted on 30 Jul 2019 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Lectures et citations des ueteres poetae dans les Nuits Attiques d’Aulu-Gelle Jean-Marc Verge-Borderolle To cite this version: Jean-Marc Verge-Borderolle. Lectures et citations des ueteres poetae dans les Nuits Attiques d’Aulu- Gelle. 2019. hal-02197278
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Page 1: Lectures et citations des ueteres poetae dans les Nuits ...

HAL Id: hal-02197278https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02197278

Preprint submitted on 30 Jul 2019

HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinée au dépôt et à la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publiés ou non,émanant des établissements d’enseignement et derecherche français ou étrangers, des laboratoirespublics ou privés.

Lectures et citations des ueteres poetae dans les NuitsAttiques d’Aulu-GelleJean-Marc Verge-Borderolle

To cite this version:Jean-Marc Verge-Borderolle. Lectures et citations des ueteres poetae dans les Nuits Attiques d’Aulu-Gelle. 2019. �hal-02197278�

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1

Lectures et citations des ueteres poetae dans les Nuits Attiques d’Aulu-Gelle

Jean-Marc Vergé-Borderolle

Les Nuits Attiques constituent un précieux réservoir de citations d’œuvres non

conservées par la transmission manuscrite. Sans compenser leur perte, ces nombreuses

citations jettent un rayon de lumière sur la vieille littérature latine que nous connaîtrions

encore plus mal sans elles. Aulu-Gelle ne cite guère ses contemporains, mais manifeste un vif

intérêt pour les ueteres scriptores, révélant par là un goût archaïque hérité de ses maîtres

Favorinus et Fronton, mais partagé aussi par bon nombre de ses contemporains, à commencer

par ceux qu’il met en scène dans ses Nuits, tel l’anonyme de 2,21,6 ou l’amicus noster de

1,7,4 ou le grammairien Fidus Optatus de 2,3,5, amateur de leçons authentiques et

d’exemplaires originaux, ou encore les bene litterati homines de 3,3,1 et le uir doctus de

5,21,1-5, dont le langage même a fini par être influencé par la fréquentation assidue des

ueteres scriptores.

Nous nous intéresserons ici aux seules citations poétiques, mais avant d’étudier la

façon dont Aulu-Gelle lit les ueteres poetae linguae latinae et les raisons pour lesquelles il les

cite, encore faut-il s’entendre sur le contenu réel de cette appellation.

*****

Qui sont pour Aulu-Gelle les ueteres scriptores et plus particulièrement les ueteres

poetae ? En prose comme en poésie, Aulu-Gelle ne fixe aucune limite chronologique bien

nette, l’appellation restant toujours dans le domaine de l’implicite. Dans la pratique, il s’avère

cependant que la classicisme cicéronien pour la prose oratoire et virgilien pour la poésie

épique constituent un repère globalement valide : occupant une place privilégiée dans

l’éducation et la formation rhétorique, ces classiques sont intemporels et ne « vieillissent »

pas. L’œuvre de Cicéron1 et celle de Virgile

2 nous donnent donc un terminus ante quem tout

auteur latin est considéré comme uetus. Après eux, les auteurs ne sont plus antiqui et

n’intéressent plus guère Aulu-Gelle : on a souligné à juste titre pour la prose l’absence notoire

de Tite-Live, la critique virulente de Sénèque, et, pour la poésie, l’impasse totale sur Horace,

Ovide, Tibulle et Properce d’une part, sur Lucain et les épiques flaviens de l’autre. La

frontière susdite n’est cependant pas toujours bien nette. Pour la prose historique3, on doit

compter Salluste4 parmi les ueteres, bien qu’il soit postérieur à Cicéron. Contemporain de ce

1 Le point de vue d’AULU-GELLE semble être celui de CICÉRON lui-même dans le Brutus : l’Arpinate est au bout de

la chaîne qui a conduit l’art oratoire romain à sa perfection. Si cette prétention a pu être contestée au second

siècle par certains « antiquaires » (dont FRONTON) dénonçant les facilités d’une prose trop abondante, AULU-

GELLE voue à CICÉRON une admiration sans borne, qui ne souffre quasiment pas d’exception. 2 Si AULU-GELLE le qualifie de multae antiquitatis hominem…peritum (5,12,13), VIRGILE n’est pas un uetus poeta,

comme il ressort de 3,2,14, où son œuvre est clairement distinguée des libri ueterum. En 13,27, jugé inférieur à

l’original dans un passage qu’il traduit d’HOMÈRE, il est même qualifié de neoterikw,teroj. 3 Pour la prose didactique juridique, ANTISTIVS LABEO, SULPICIVS RVFVS et C. TREBATIVS contemporains de

CICÉRON, sont des iure consulti ueteres (4,2,2), mais pas MASVRIVS SABINVS (temps de Tibère), ni CAELIVS SABINVS

(temps de Vespasien), ni NERATIVS PRISCVS (temps de Trajan et d’Hadrien). Le grammairien VALERIVS PROBVS

(deuxième moitié du premier siècle p.C.) n’est pas non plus considéré comme un auteur ancien. 4 cf. 14,14,26 : in Iugurtha Sallusti summae fidei et reuerendae uetustatis libro

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2

dernier, le polygraphe Varron est pourtant un uetus scriptor, témoin irremplaçable des

anciennes coutumes et de la vieille langue. Pour la poésie, il faut même envisager des degrés

dans la uetustas : en 19, 9 Valerius Aedituus, qualifié de uetus poeta, Porcius Licinius et Q.

Lutatius Catulus sont considérés comme antiquiores par rapport à Helvius Cinna, Laevius,

Hortensius et Memmius, contemporains de Catulle et Calvus, différence de degrés qui nous

autorise à classer ce dernier groupe dans la catégorie des ueteres. Pas de problème pour la

tragédie et la comédie, tous les auteurs d’Ennius à Accius étant de vieux poètes. De même

Ennius, Lucilius et Lucrèce pour la poésie dactylique historiographique, satirique et

didactique. Les mimographes Laberius, Publilius Syrus et Cn. Matius entrent aussi dans le

groupe des ueteres, sans doute parce que leur latin, très proche du latin parlé, revêtait pour un

lecteur du IIème siècle p. C. une coloration archaïque.

*****

Gros lecteur1 d’ouvrages en prose et en vers, Aulu-Gelle apprécie donc

particulièrement les auteurs anciens. Il ne commente ni ne cite les représentants du

classicisme augustéen (Virgile excepté) ni les poètes ou prosateurs des temps « baroques »

claudiens, néroniens et flaviens. Tous sont passés sous silence et si Sénèque est nommé en

12,2, c’est pour être vertement critiqué pour son style vulgaire2, Aulu-Gelle ne lui pardonnant

pas d’avoir osé juger sévèrement Cicéron, Ennius et Virgile dans une Lettre à Lucilius du

livre XXII, qui ne nous est pas parvenu. Les « antiquaires » du second siècle remettent au

goût du jour les vieux poètes qui semblent n’avoir été guère lus au cours du premier siècle de

notre ère. La crise des formes dramatiques « nobles », tragédie et comédie, et l’émergence

d’une poésie subtile et raffinée comme le fut celle des élégiaques auront induit une forme de

mépris pour un art jugé primitif et balbutiant.

Les Nuits Attiques mettent en scène3 Aulu-Gelle comme lecteur dans des circonstances

variées et sa pratique de la lecture apparaît très diverse. La Praefatio nous renseigne sur sa

méthode de travail : il prend des notes en lisant4 et ces recueils de notes serviront de

matériaux pour la rédaction des Nuits. Ces notes constitueront également un réservoir de

citations où l’auteur puisera en fonction de ses besoins. Qu’il s’agisse de littérature grecque

ou latine, de prose ou de vers, la méthode ne varie pas. Au travail, Aulu-Gelle lit donc seul en

prenant des notes5 ou en compagnie d’un secrétaire qui le seconde

6. Mais cette lecture

1 Cf. Praef. 12 : ipse quidem uoluendis transeundisque multis admodum uoluminibus (…) exercitus defessusque

sum. 2 NIKOLAÏDIS (2001), p. 139-159.

3 Comme certaines des lettres de PLINE, les Nuits supposent une mise en situation de divers personnages

largement artificielle et fictive, même quand elle se présente comme histoire vécue. Mais, si fiction il y a, chaque

« scène » requiert évidemment que l’auteur se conforme aux usages du temps, sans quoi ne pourrait s’opérer la

réception du texte par le lecteur. On peut donc considérer comme réalistes tous les passages où AULU-GELLE

représente son activité de lecteur. Cf. MARACHE (1967), p. XXXI-XXXVI ; E. ROSSI (1997), p. 67-107. 4 Excerpere et (an)notare sont les verbes par lesquels AULU-GELLE définit son travail de sélection et de prise de

notes (Praef. 2-3 ; Praef. 11 : in excerpendis notandisque rebus). Les matériaux recueillis sont ensuite mis en

forme dans les Nuits, définies comme des commentarii (Praef.3) ou des commentationes (Praef.4). 5 3,3,8 : Ex qua (i.e. comoedia) duo hos uersus exscripsimus etc… ; 4,11,12 : Verba ipsa Plutarchi (…)

subscripsi ; 5,21,16 : versum Plauti subscripsi ; 4,6,10 : Propterea uerba Atei Capitonis (…) scripsi. 6 3,18,9 : Versum quoque Laberii (…) notari iussimus, quem legimus etc…

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solitaire1, moins « spectaculaire », est moins fréquemment mise en scène dans les Nuits que la

lecture « sociale », partagée entre amis. Aulu-Gelle lit in conuiuio avec des amis anonymes2,

aput mensam lors d’une lecture comparée de Théocrite et de Virgile3. C’est aussi au cours

d’un repas4, chez le poète Julius Paulus, qu’il est donné lecture de l’Alceste de Laevius

5. Il lit

lit un livre des Annales d’Ennius au milieu d’une assemblée nombreuse, profitant de l’otium

des jours de fêtes 6. Il lit une pièce de Plaute, en présence de son maître et ami Favorinus, qui

écoute la lecture7. Dans un autre cas, il s’agit d’une lecture publique et même théâtrale. Une

lecture des Annales d’Ennius est donnée au théâtre de Pouzzoles par un Ennianista8 : Aulu-

Gelle fait partie de l’assistance avec de jeunes amis autour du rhéteur Antonius Julianus.

On a souvent écrit qu’Aulu-Gelle, même s’il donne l’impression d’avoir eu un contact

direct avec les œuvres qu’il cite, manipule des matériaux de seconde main9. Encore

adulescentulus, il fréquente cependant les libraires10

. Il manifeste un vif intérêt pour les vieux

exemplaires qu’il compulse pour dénicher des textes anciens11

. Il consulte aussi des ouvrages

dans les bibliothèques : un livre de L. Aelius, le maître de Varron, à la bibiothèque du temple

de la Paix12

. On le trouve assis in domus Tiberianae bibliotheca13

en compagnie de Sulpicius

Apollinaris et de quelques familiares. Ces pratiques semblent attester que sa connaissance des

œuvres a pu souvent se faire sans intermédiaire.

La disponibilité des livres, même ceux d’auteurs très anciens, ne semble pas poser de

problème insurmontable. Chez le libraire on peut acheter des livres, mais aussi en louer. Le

rhéteur Antonius Julianus conduxit magno pretio un vieil exemplaire des Annales d’Ennius

pour vérifier une seule leçon14

. Même en dehors de Rome on trouve des libraires et des

bibliothèques bien pourvues : au cours d’une discussion chez un riche ami à Tibur, un

philosophe se rend à la bibliothèque du temple d’Hercule, pour en retirer un exemplaire

d’Aristote15

. Mais les uolumina sont sans doute d’un usage peu commode16

et la disponibilité

des livres temporaire17

. L’annotatio permettra donc de remédier aux défaillances de la

mémoire18

. Exercer la mémoire est cependant indispensable1. Dans certains cas même, Aulu-

1 14,6,2 : recondo me penitus, ut sine arbitris legam.

2 2,22,1.

3 9,9,4.

4 On lit beaucoup dans les cenae. Cf. JACOB (2005), p.507-530. Pour le choix des lectures, AULU-GELLE cite

(13,11,5) le conseil que VARRON donne dans ses Satires Ménippées : in conuiuio legi non omnia debent, sed ea

potissimum quae simul sint biwfelh, et delectent. 5 19,7.

6 16,10,1 ; cf. JOHNSON (2010).

7 3,3,6.

8 18,5,1-2 ; le succès de ce spécialiste d’ENNIVS (celebrantibus eum laudantibusque omnibus) et le néologisme

lui-même en disent long sur l’ampleur de la diffusion du goût archaïque chez les contemporains d’ AULU-GELLE. 9 cf . ROLFE (1946), p.XVII.

10 18,4,1 : in Sandaliario forte apud librarios fuimus

11 18,9,1 : il trouve un discours de CATON in libro uetere.

12 16,8.

13 13,20.

14 18,5.

15 19,5,4.

16 cf. MARACHE (1967), p.xv-xvi explique la prise de notes comme une nécessité liée à la difficulté de revenir en

arrière pour le lecteur qui déroule le uolumen. 17

Praef. 2 : quando libri (…) ex quibus ea sumpseram non adessent… 18

Praef. 2 : ut quando usus uenisset aut rei aut uerbi, cuius me repens forte obliuio tenuisset, (…) facile inde

nobis inuentu atque depromptu foret.

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Gelle mémorise certains passages avant la prise de notes2 et, après avoir écouté la lecture de

l’Alceste de Laevius au cours d’un repas chez Julius Paulus, sur le chemin du retour, il se

remémore figuras habitusque uerborum noue aut insigniter dictorum3. Ailleurs il cite de

mémoire (absentes) six vers des Annales d’Ennius qu’il a trouvés particulièrement

remarquables4.

Si utile que fût l’annotatio, il ne s’agissait pas de noter tout et n’importe quoi. A la

différence d’autres auteurs d’ouvrages comparables, surtout grecs, qui dispensent sans

discernement5 une confusanea doctrina

6 risquant de lasser le lecteur, dont l’animus senio ac

taedio languebit7, Aulu-Gelle ne retient que quod sit uoluptati legere aut cultui legisse aut

usui meminisse8. Ce désir de cultiver son lecteur en joignant l’utile à l’agréable s’accompagne

du souci de dispenser un savoir qui soit à égale distance d’une vulgarisation trop basique9 et

d’une spécialisation trop hermétique10

. En vérité Aulu-Gelle se tient plus loin du premier

écueil que du second : il annote et cite ce qui est a uolgo remotum11

et minus usitatum12

, et

s’intéresse surtout aux res inopinatae13

. Il avoue par exemple –et prête à ses semblables – un

goût marqué pour les mots ou expressions rares14

qu’il collecte avec gourmandise et

s’empresse de remployer.

*****

Les lectures et notes d’Aulu-Gelle, si nombreuses et variées, se concrétisent en

citations dans le texte des Nuits Attiques. Pourquoi l’auteur recourt-il à ce procédé ? On peut

d’abord constater que la citation chez lui, en particulier la citation des vieux poètes latins,

fonctionne de façon très différente de l’usage qu’en fait par exemple Cicéron, autre grand

pourvoyeur de fragments de vieux poètes latins. Chez l’Arpinate, la citation entre en

résonance avec les situations ou le contexte évoqués dans ses traités, ses lettres ou ses

discours : un lien intertextuel s’établit entre le fragment cité et le corps du texte. Rien de tel

ici. La citation chez Aulu-Gelle remplit deux fonctions principales. Le plus souvent elle

participe d’une stratégie argumentative, en servant de preuve au discours dont elle justifie le

bien fondé, dans des domaines relevant principalement du lexique ou de la grammaire, mais

aussi de la morale ou de la science. Dans d’autres cas, moins nombreux mais plus

1 Cf. 17,2,1-2.

2 17,2,27 : Haec ego pauca interim super eo libro, quorum memoria post lectionem subpetierat mihi, notaui.

3 19,7.

4 20,10,4.

5 Praef.11 : sine cura discriminis

6 Praef. 5.

7 Praef.11.

8 ib. ; cf. Praef.12 : eaque sola accepi quae etc…

9 Praef. 15 : non esse haec neque in scholis decantata neque in commentariis protrita

10 Praef.13 : Non enim fecimus altos nimis et obscuros in his rebus quaestionum sinus.

11 4,6,9-10.

12 5,21,16.

13 4,11,12.

14 16,9,2 : Ita plerique nostrum, quae remotiora uerba inuenimus, dicere ea properamus.

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intéressants1, le texte cité fait l’objet d’une appréciation d’ordre esthétique, par où se révèlent

les goûts littéraires de l’auteur.

1. Les ueteres poetae garants de latinitas

Convoqués comme auctores et testes, les poètes cités permettent de trancher un débat

concernant le bien parler. Cette conception utilitaire de la citation renvoie à une pratique de

l’auctoritas et du testimonium à mettre en rapport avec la formation juridique d’Aulu-Gelle et

le métier de juge qu’il a longtemps exercé. Le débat linguistique oppose généralement

l’auteur et ses pairs à des ignorants ou des demi-savants aussi arrogants que prétentieux, les

grammatici et les jeunes blanc-bec occupant dans cette dernière catégorie une place

privilégiée. Pour convaincre ces adversaires ou les ridiculiser en les réduisant au silence, il est

indispensable d’invoquer des auctoritates2. La Praefatio déjà invite les lecteurs critiques à

bien soupeser le poids des témoignages qu’ils pourraient opposer à ceux qu’invoque l’auteur3.

l’auteur3. Il y a en effet deux extrêmes : d’une part ceux qui ont crée la langue latine et le

groupe d’élite, dont l’auteur et ses semblables font évidemment partie, de ceux qui en ont

ensuite fait bon usage4 en préservant sa pureté originelle

5 ; de l’autre la masse

6 des ignorants,

ignorants, dont les mauvaises habitudes ont perverti la langue7. Mais les adversaires les plus

dangereux se situent au milieu : c’est le groupe des male docti homines8, régulièrement

rabroués par l’auteur, le uulgus semidoctum9 de ceux qui prétendent donner des leçons aux

autres10

.

Que des poètes soient invoqués pour justifier la latinitas de tel mot ou de tel usage peut

surprendre, par rapport notamment à la notion de licence poétique. Pourtant la distinction

entre témoigage de prosateur et témoignage de poète n’est jamais posée dans les Nuits. Tout

se passe comme si le prestige de l’antiquitas conférait à la source une autorité suffisante.

Aulu-Gelle distingue bien11

en théorie deux critères de latinitas, la ratio (la « règle ») et les

auctoritates, mais dans la pratique c’est l’usage des bons auteurs qui fonde la règle. Plus un

auteur, poète ou prosateur, est ancien, plus il est proche de la vérité originelle de la langue et

1 cf. GALIMBERTI BIFFINO (2008).

2 cf. 12,10 : qui nisi auctoritatibus adhibitis non comprimuntur

3 Praef. 18 : et rationes rerum et auctoritates hominum pensitent, quos illi quosque nos secuti sumus.

4 cf. 13,17 qui uerba Latina fecerunt quique his probe usi sunt ; 15,5,2 : qui diligenter locuti sunt ; 15,5,5 : qui

latine locuti sunt 5 cf. 13,17 : qui sinceriter locuti sunt

6 C’est le uolgus que la Praefatio rejette violemment (Praef.19 : abeant a Noctibus his procul) et qu’AULU-GELLE

évoque toujours avec mépris ou condescendance : cf. 13,17 intr. quod uolgus putat ; 13,17,4 : ut uolgo dicitur.

7 cf. 13,30 : consuetudine et inscientia temere dicentium quae cuimodi sint non didicerint

8 cf. Praef. 20.

9 1,7,17 ; AULU-GELLE semble avoir hérité de son maître FRONTON cette aversion pour les semidocti ; cf. FRONT.

Ad Marc. Caes. 4,3,1 : Omnium artium, ut ego arbitror, imperitum et indoctum omnino esse praestat quam

semiperitum ac semidoctum. 10

Tel est le cas du grammaticus de 4,1 qui se ridiculise in circulo doctorum hominum en dissertant sur les genres

et les cas tamquam interpres et arbiter Sibyllae oraculorum. Sa méthode ne diffère pourtant pas de celle d’AULU-

GELLE (atque horum omnium et testimoniis et exemplis constrepebat) – dont on peut d’ailleurs penser que, faisant

d’une pierre deux coups, il fait malgré tout passer sa leçon lexicale par le biais de cette scène burlesque. Mais

son tort est dans le ton, l’ostentation et le choix du moment (salutation impériale). 11

1,7,19 : Vt et rationem autem istam missam facias et auctoritates etc…

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moins son témoignage est sujet à caution. Fronton à vrai dire, mis en scène en 19,8, introduit

dans le groupe des ueteres scriptores une distinction, qu’Aulu-Gelle ne conteste pas, entre le

classicus scriptor et le proletarius scriptor1. Par cette métaphore sociale, les auteurs nobles

sont donc séparés des auteurs « ignobles » ou populaires. Mais dans les faits, et pour ce qui

concerne les ueteres poetae, aucun témoin dans les Nuits ne semble a priori exclu sur ce

critère : les poètes comiques, voire les mimologues ou les auteurs d’atellanes, dont les oeuvres

sont sans doute les plus proches du registre populaire, apportent des témoignages jugés aussi

valides que ceux des auteurs d’épopée ou de tragédie. Tous semblent avoir conservé la vérité

originelle de la langue, au point qu’on peut se demander s’il faut, en 2,6,62, interpréter la

proposition relative qui…locuti sunt comme une relative déterminative ou comme une relative

appositive. Nous y reviendrons. Dans cette première partie, nous nous contenterons, sans

donner le texte cité, de classer les références par rubrique. Nous donnerons, après la référence

aux Nuits, le mot ou l’expression dont il s’agit, et la référence du texte cité à titre de preuve.

1.1. questions de phonétique, de métrique et d’orthographe

4,7,5 Hannibalis avec un a long : Ennius (Scipio, 13 V3).

6,7 Problème de l’accentuation des mots où la composition n’est plus sentie : adfatim : Plaute,

Cist. 231 ; exaduersum : Térence, Phorm. 88 ; adprobus : Caecilius (Triumphus, 228 R) ;

adprimus et praemodum : Livius Andronicus (Odissia, 13 et 37 W).

17,7 La longue par position4 dans les préfixes ob-/sub-/con- devant –icio = -jicio : Lucilius

(394-5, 411-2, 509 Ma) ; Plaute, Ep. 194 ; Ennius (Achilles, 10-11 V) ; Pacuvius (Chryses, 94

R).

18,9 insece : Aulu-Gelle s’appuie sur Livius Andronicus (1 W) pour trancher un débat entre

un litterator, autrement dit un grammaticus, et un litteras sciens5. Contre l’avis du premier il

faut lire insece et non inseque dans un vers d'Ennius (Ann. 326-7 V). Par ailleurs Varron se

trompe en lisant sectius (« plus digne d’être raconté ») au lieu de setius en Plaute, Men. 1047.

20,3 sicinnistae (danseurs de sicinnium, sorte de danse du drame satyrique) avec deux n :

Accius (Pragmatica, 7 W p.590).

1.2. questions de morphologie

1,7,11 L’infinitif futur en –urum est invariable dans la vieille langue : Plaute, Cas. 691-3 ;

Laberius (Gemelli, 51 R).

1,16,2 et 11 mille est à l’origine un nom singulier : Lucilius (124, 506-8 et 327 Ma).

1 cf. 19,8,15 : e cohorte illa dumtaxat antiquiore uel oratorum aliquis uel poetarum, id est classicus adsiduusque

aliquis scriptor, non proletarius 2 Non igitur (…) debet uis uera atque natura uerbi deperire, quae a ueteribus, qui proprie atque signati locuti

sunt, ita ut decuit, conseruata est. 3 V = Vahlen ; R = Ribbeck ; Ma = Marx ; Mo = Morel ; W= Warmington ; L = Lindsay ; B = Bährens ; G =

Götz. 4 4,17,8 : positu longam

5 18,9,2 : id est alter docens, doctus alter

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4,16,2 génitif singulier en –uis pour les noms de la quatrième déclinaison : Térence, Heaut.

287.

4,16,6 datif en –u dans les noms de la même déclinaison : Lucilius (1288 et 280 Ma).

5,21,16 compluriens : Plaute, Persa 534. Cette forme permet de considérer compluria, où l’on

ne doit pas voir un comparatif, comme la forme neutre correcte de complures.

6,9 parfaits archaïques avec un redoublement en consonne + e ; memordi : Ennius (Sat., 63

V) ; Laberius (Galli, 49 R et Colorator, 27 R) ; Plaute (Aul., 2 L) ; Atta (Conciliatrix, 6 R) ;

pepugi : Atta (Aedilicia, 2 R). Autres parfaits archaïques : praemorsi : Plaute (Trigemini, 117

L) ; scicidi : Accius (Didascalica, 5 W) ; descendidi : Laberius (Catularius, 19 R).

9,14 Le génitif en -ies pour les noms de la cinquième déclinaison est du latin correct, malgré

la règle « moderne »1 : Ennius (Ann., 413 V). Il a existé aussi un génitif en –i : Lucilius (430

Ma) ; Pacuvius (349 R) ; Cn. Matius (Ilias, 7 Mo). Datif en –e chez Lucilius (1257-8 et 269-

70 Ma), qui est implicitement rangé dans le camp de ceux qui purissime locuti sunt2.

10,11,8-9 praecox doit faire au génitif praecocis et non praecoquis : Afranius (Titulus, 335

R).

15,9 l’emploi de frons au masculin n’est pas une licence poétique blâmable : Caecilius

(Subditivus, 79-80 R).

15,15,2-4 Les anciens ont dit passus de pando et non pansus : Caecilius (Synaristosae, 197-8

R) ; Plaute, Mil. 359-60.

19,8 Substantifs plura tantum : un poète anonyme3 fait remarquer à Fronton invoquant

l’autorité de César De analogia, que Plaute, linguae Latinae decus4, a employé (Poen. 365)

delicia au sg. et Ennius (Achilles, 12 V) inimicitia au sg. En fait Fronton, qu’on sait plutôt

méfiant par rapport aux rationes des analogistes5, ne défend César que pour la forme et se

réfère in fine à l’usage des bons auteurs.

20,6 uestri génitif pluriel de uos : Térence, Phorm.172 ; Afranius (417 R) ; Laberius

(Necyomantia, 62 R). Cette forme laisse perplexes le jeune Aulu-Gelle et son maître Sulpicius

Apollinaris6.

1.3. questions lexicales

3,12,4 bibosus : Laberius (Salinator, 80 R). Aulu-Gelle trouve la dérivation curieuse, car

l’adjectif n’est pas, comme uinosus par exemple, dérivé d’un nom, mais d’un verbe.

1 cf.9,14,2 : quod nunc propter rationem grammaticam ‘faciei’ dicitur

2 9,14,21.

3 19,8,3 : bene eruditus homo et tum poeta inlustris

4 19,8,6.

5 Analogie ou anomalie ? La question est débattue en 2,25, mais ce débat ne semble pas passionner AULU-GELLE,

car il donne lieu à des loci communes trop faciles, sans qu’on puisse trancher dans un sens ou dans l’autre. Il

constate que VARRON lui-même semble n’avoir pas pris parti. Son peu de goût pour la théorie et son intérêt pour

les formes rares semblent cependant éloigner AULU-GELLE du camp des analogistes. Cf. MARACHE (1967), p.

XXIII. Comme son maître FRONTON, il se réfère à l’usage des bons auteurs : cf. MARACHE (1952), p. 208. 6 Ils ne connaissent visiblement pas (!) la règle de nos grammaires modernes qui réservent nostrum et uestrum

aux emplois du génitif partitif. Au final Sulpicius Apollinaris rechigne à se prévaloir de l’auctoritas…uetustatis

non nimis anxie neque superstitiose loquentis et préfère uestrum à uestri. AULU-GELLE s’abstient de tout

commentaire, mais sa réserve laisse entendre que l’explication de son maître, qui heurte la conception qu’il s’est

faite de la uetustas, ne le convainc pas.

Page 9: Lectures et citations des ueteres poetae dans les Nuits ...

8

5,12,7 Lucetius (épiclèse de Jupiter) : Naevius (Bell. Pun., frg. non classé W p.596).

10,20,4 priui = singuli dans la vieille langue : Lucilius (49-50 Ma).

10,25,3-5 noms d’armes utilisés par les anciens ; lingula : Naevius (Hesiona, 18 R) ; rumpia :

Ennius (Ann., 390 V).

11,7 mots obsolètes exhumés par des orateurs ridicules : apluda (= frumenti furfur, « le

son ») : Plaute (Astraba, 16 Ernout) ; floces,um f.pl. (= uini faex, « la lie ») : Caecilius

(Polumeni, 190 R) ; bouinator (= tergiuersator) : Lucilius (417 Ma).

12,10 aeditumus : Pomponius (2 R) ; meilleur que le plus récent aedituus, ce mot a servi de

modèle à la création de claustritumus par Laevius (16 Mo). Lucrèce, 6,1275 préfère

aedituentes à aeditui.

13,3 acritas (= acritudo) : Accius (Neoptolemus, 467 R).

13,11,7 Liberi bellaria (= uina dulciora) : dans les vieilles comédies (pas d’exemple).

17,2,8 fruniscor (= fruor) : Novius (Parcus, 77 R).

17,2,21 arra (« arrhes ») : plusieurs fois employé par Laberius1 (pas d’exemple).

19,10 praeterpropter (« approximativement ») : Ennius (Iphigenia, 234-241 V). Le mot n’a

rien de vulgaire pour Fronton.

19,13 nanus peut aussi se dire des chevaux de petite taille : Helvius Cinna (9 Mo).

20,10 ex iure manum conserere : Ennius (Ann., 268-273 V).

1.4. questions de sémantique

1,22,16 Polysémie de superesse ; Aulu-Gelle se demande an ‘superesse’ dixerint ueteres pro

‘restare et perficiendae rei deesse’. Ennius (Ann., 158 V) présente bien ce sens, mais on doit

lire super esse en deux mots.

2,6,19-25 squalor ne désigne pas à l’origine la « saleté »2 : Accius (Pelopidae, 517-8 R).

2,19,6 Le préverbe re- dans rescire ne marque pas la répétition comme d’ordinaire3 : Naevius

(Triphallus, 96-8 R).

3,14 Subtile4 distinction varronienne entre dimidius (indiquant le résultat de la division) et

dimidiatus (s’appliquant à l’objet divisé). Sont cités5 pour l’ illustrer : Ennius (Ann., 536 V),

Lucilius (1342, 1282-3 et 570 Ma) et Plaute, Bac. 1189, Aul. 291 et Men.157.

4,6,4 Sens de l’adjectif succidaneus : Plaute, Ep. 139-140.

4,9 Polysémie de l’adjectif religiosus : vers6 d’un vieux poète anonyme (148 R) cité par

Nigidius Figulus7 ; Térence, Heaut. 228, cité par Aulu-Gelle pour valider le rapprochement

religio/relinquere.

1 Sed nunc ‘arrabo’ in sordidis uerbis haberi coeptus ac multo uidetur sordidius ‘arra’.

2 2,6,24 : Quicquid igitur nimis inculcatum obsitumque aliqua re erat, ut incuteret uisentibus facie noua

horrorem, id ‘squalere’ dicebatur. 3 2,19,4 : Aliter enim dictum esse ‘resciui’ aut ‘rescire’, apud eos qui diligenter locuti sunt, nondum inuenimus

quam super is rebus quae aut consulto consilio latuerint aut contra spem opinionemue usu uenerint. NAEVIVS fait

donc partie, même quand il écrit des comédies, de ceux qui diligenter locuti sunt. 4 3,14,6 : quam subtiliter quidem, sed subobscure explicat

5 Le premier explicitement par VARRON, et les autres sans doute aussi, mais implicitement, si bien qu’on ne peut

pas faire, ici comme ailleurs, le départ entre VARRON et AULU-GELLE, dont la voix se confond avec celle du

polygraphe. 6 Religentem esse <ted> oportet, religiosus ne fuas.

7 4,9,1: homo, ut ego arbitror, iuxta M. Varronem doctissimus

Page 10: Lectures et citations des ueteres poetae dans les Nuits ...

9

5,11,12 status (« bien équilibré ») : Ennius1 (Melanippa, 294 V).

6,17 Polysémie de obnoxius : Caecilius (Chrysium, 22-24 R) ; Ennius (Phoenix, 300-303V) ;

Plaute, As. 282 ; St. 497.

7,16 Le sens que Catulle, c. 92 donne à deprecor est parfaitement justifié : Ennius

(Erechtheus, 137-8 V) ; (Cresphontes, 134 V).

9,12 Adjectifs au sens tantôt actif, tantôt passif ; laboriosus « pénible » : Calvus (2 Mo) ;

somniculosus « endormant » : Laberius (Sorores, 86 R) ; Helvius Cinna (10 Mo). Plaute,

Rud. 275 présente les deux sens de nescius, « ignorant » / « ignoré ».

10,1 Sur la différence de sens entre les adverbes numéraux en –o (tertio, quarto etc…) et en –

um (tertium, quartum etc…) selon Varron : Ennius (Ann., 295 V).

10,11 Le sens moderne de mature (= propere, cito) n’est pas conforme au sens originel du

mot, que P. Nigidius Figulus a bien défini2. Afranius (Titulus, 335 R) a raison d’employer,

comme équivalent de festinantius, non pas mature, mais praemature.

10,24,5 Ancienneté de la forme diequarte : Pomponius, Meuia (77 R) ; l’adverbe se dit de

l’avenir, alors que die quarto renvoie au passé : Cn. Matius (Mimiambes, 11 Mo).

10,26,9 transgredi : Lucrèce (4,528-9, gradiens…clamor) garantit l’emploi métaphorique du

verbe3.

10,29,2 Valeur augmentative de la particule atque redoublée : Ennius (Ann., 537 V).

13,30 Conformément à l’étymologie4, le nom facies, loin de désigner le seul visage , a un sens

sens beaucoup plus large : Pacuvius (Niptra, 253-4 R) ; Plaute, Poen. 1111-14.

15,13 Verbes déponents employés au passif : Aulu-Gelle, sans distinguer emploi passif du

participe passé et emplois purement verbaux, considère cela comme possible en théorie pour

la plupart des verbes. Il ne s’étonne pas de tours comme supellex…quae non utitur (Novius,

Lignaria 43 R) ou uereri se ab suis (Afranius, Consobrini 33 R), pourtant rarissimes. Cela en

dit long sur l’auctoritas qu’il attribue aux vieux poètes.

16,5 uescus (analysé ue + esca) : la double valeur, majorante ou minorante, de la particule –

ue selon Sulpicius Apollinaris5 explique les deux sens de l’adjectif : « qui dévore » (Lucrèce

1,326 : uesco sale saxa peresa) ou « mal nourri » (Lucilius, 602 Ma : fastidiosum ac uescum

uiuere).

16,6 bidens désigne une victime qui en est à sa seconde dentition, mais pas forcément une

brebis : Pomponius (51 R : bidenti uerre).

16,9 Sens de l’expression susque deque habere/ferre (« ne pas se soucier de ») : Laberius

(Compitalia, 29 R) ; Lucilius (110-113 Ma).

16,10 Sens du mot proletarius : Ennius (Ann., 183-5 V).

17,6 Sens du verbe recipere (« réserver une part sur une vente ou une dot ») : Plaute, Trin.

194.

18,5,1 Les anciens ont employé eques aussi bien pour le cheval que pour le cavalier : Lucilius

(1284-6 Ma) emploie le verbe equitare en parlant du cheval.

1 perquam eleganti uocabulo

2 10,11,2 : « ‘mature’ », inquit, « est quod neque citius est neque serius sed medium quiddam et temperamentum

est ». 3 AULU-GELLE répond aux puristes qui auctoritatem requirunt et negant dictum ingredi transgrediue in

nauigantibus (10,26,7) et autorise même aux prosateurs huiuscemodi translationes. 4 ib. : factura quaedam corporis totius a faciendo dicta, ut ab aspectu species et a fingendo figura

5 16,5,5 : -ue particula (…) tum intentionem significat, tum minutionem.

Page 11: Lectures et citations des ueteres poetae dans les Nuits ...

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18,12 Emploi ancien de l’actif intransitif à la place de la voix passive : maculare (Juventius, 5

R) ; rugare (Plaute, 145 L) ; puluerare (Plaute, 146 L). Aulu-Gelle y voit une forme

d’élégance1. Il cite enfin l’emploi de contemplare pour contemplari (Plaute, As. 538), cas

différent, puisqu’il n’y a pas là différence de sens.

1.5. questions de syntaxe

1,7,17 Le tour in mentem esse est correct : Plaute, Amp. 180.

15,14 Correction du tour exigere aliquem aliquid (au passif exigitur aliquis aliquid), sur le

modèle du grec eivspra,ttein ti, tina : Caecilius (Hypobolimaeus Aeschinus, 92 R).

2. Les ueteres poetae garants de sapientia

Il est un autre domaine dans lequel Aulu-Gelle fait fond sur l’auctoritas des vieux

poètes, c’est celui de la sagesse populaire qu’il considère comme supérieure aux leçons des

philosophes. Elle s’exprime à travers le style sentencieux, dont les maximes sont susceptibles

de se retrouver dans presque tous les genres poétiques : fable, satire, tragédie, comédie, mime.

C’est une autre façon d’ « instrumentaliser » les poètes, la priorité du lecteur étant orientée

vers les utilia monitu suasuque2, puisqu’il s’agit d’envisager ces passages comme des oeuvres

de salubrité publique orientant son esprit vers les res salubriter ac prospicienter

animaduersas3. Les considérations esthétiques peuvent cependant affleurer dans ces citations,

si bien que nous devrons aussi examiner certaines d’entre elles dans la deuxième partie.

2,29 Paraphrase d’une fable ésopique4. L’apologue porte de amicorum et propinquorum leui

plerumque et inani fiducia5. Aulu-Gelle cite les deux derniers vers de la traduction qu’Ennius

en a donnée dans ses Satires 6

.

5,15 La voix est-elle corporelle ? Les subtilités philosophiques sur le sujet n’apportent aucun

emolumentum(…)solidum ad rationem uitae pertinens7. Une citation d’Ennius (c’est

Néoptolème qui parle dans une fabula incerta, 376 V) permet de clore le débat : un peu de

philosophie, soit, mais point trop n’en faut !

5,16 Après l’ouïe, la vue : Aulu-Gelle passe rapidement en revue les théories philosophiques

sur la cernendi natura, avant d’arriver à la même conclusion, empruntée au même personnage

de la même tragédie d’Ennius8.

12,4 Portrait de l’ami idéal chez Ennius (Ann., 234-251 V), qu’Aulu-Gelle apprécie tant sur le

plan esthétique (cf. infra p. 15) que pour sa haute portée philosophique et morale : Eos ego

1 18,12,1 : elegantiae genus ; 18,12,2 : impendio uenustius gratiusque

2 2,29,1.

3 ib.

4 cf. Fabulae Aesopiae, 201 Halm ; BABRIVS 88.

5 2,29,17.

6 57-58 V.

7 5,15,9.

8 Le fragment, cité librement, semble contenir une antithèse entre degustare ex philosophia et in eam

ingurgitare. RIBBECK(1871-73), p.74 a proposé de le restituer ainsi : degustandum ex ea, non in eam

ingurgitandum censeo, avant de se raviser et de laisser à AULU-GELLE la paternité de ces mots.

Page 12: Lectures et citations des ueteres poetae dans les Nuits ...

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uersus non minus frequenti adsiduoque memoratu dignos puto quam philosophorum de

officiis decreta1.

13,8 Eloge de la sagesse pratique : Afranius (298 R) fait de Sapientia la fille de Vsus et

Memoria ; Pacuvius (348 R) stigmatise les faux philosophes, incapables d’accorder leurs actes

à leurs paroles.

14,1 Condamnation des Chaldéens par Favorinus ; Aulu-Gelle ajoute2 deux citations de vieux

vieux poètes latins : Pacuvius (30 R), contre les devins ; Accius (169-170 R), contre les

augures.

17,14 Aulu-Gelle cite quatorze vers de Publilius Syrus, renfermant, une par trimètre, des

sententiae (…) ad communem sermonum usum commendatissimae3. Il s’agit de maximes bien

bien senties, que nous étudierons plus loin (cf. p.16).

3. Les ueteres poetae, garants de scientia

Notre mentalité moderne exclut la compétence du poète du domaine de la vérité

scientifique. Or Aulu-Gelle raisonne comme le faisaient avant lui les Grecs, qui, dans les

domaines les plus divers des connaissances scientifiques et techniques, consultaient Homère

comme un oracle4. Il mentionne ainsi en 13,7 un différend entre Hérodote et Homère, qu’il

tranche en faveur de ce dernier en utilisant l’arbitrage d’ Aristote, De animalibus. Ces

exemples restent cependant rares, l’auteur portant beaucoup moins d’intérêt à ce genre de

questions qu’aux questions grammaticales et lexicales.

3,16 Durée de la gestation chez la femme. Pour une naissance decumo…mense exacto, Plaute,

Cist. 162-3 ; Caecilius (164 R) atteste une naissance au huitième mois, et l’autorité de Varron

témoigne en sa faveur5. Le témoignage des poètes revêt autant de crédit que celui d’

Hippocrate ou Pline l’Ancien, également cités par ailleurs.

5,15 Définition philosophique de la notion de « corps ». Aulu-Gelle note que la définition de

Lucrèce, 1,304 utilise l’opposition tangere/tangi pour rendre le couple grec poiei/n/pa,scein.

4. Les ueteres poetae comme témoins historiques

La dernière « utilisation » des vieux poètes par Aulu-Gelle consiste à les prendre pour

témoins d’événements anciens, coutumes, lois, res gestae ou comportements de personnages

historiques.

2,24,4 Sur des lois somptuaires ; Lucilius (1172 Ma), témoin de la lex Fannia ; Laevius

(Erotopaegnia, 23 B) et Lucilius (1200 Ma), témoins de la lex Licinia.

3,11,7 Homère, originaire de l’île de Ios : une épitaphe rédigée par Varron (1 B).

1 12,4,2.

2 14,1,34 : Praeter haec autem, quae dicentem Favorinum audiuimus, multa etiam memini poetarum ueterum

testimonia, quibus huiuscemodi ambages fallaciosae confutantur. 3 17,14,3.

4 Les Romains eux-mêmes (cf. QUINT. Inst. orat. 10,1,46-51) prêtaient à Homère un savoir universel.

53,16,5 : Eam rem Caecilium non inconsiderate dixisse neque temere a Menandro atque a multorum opinionibus

desciuisse, M. Varro uti credamus facit.

Page 13: Lectures et citations des ueteres poetae dans les Nuits ...

12

3,18,9 Pourquoi certains sénateurs étaient appelés pedarii. Quoi qu’il en soit, c’est d’eux que

se moque Laberius dans un vers des Stricturae (88 R).

4,5,5 Châtiment d’haruspices étrusques, coupables d’avoir donné un mauvais conseil aux

Romains. Un trimètre populaire anonyme1 en garde le souvenir.

5,6,12 Certaines couronnes civiques étaient faites de chêne vert : Caecilius (269 R).

7,8 Sur la jeunesse désordonnée de Scipion l’Africain : Naevius (108 R).

13,23 Une tradition donne Nerio ou Nerienes comme épouse à Mars : Plaute, Truc. 515 ;

Licinius Imbrex (Neaera, p.39 R) ; Ennius (Ann., 104 V).

17,21 Apparition de la poésie à Rome lors de la seconde guerre punique : Porcius Licinus (1

Mo).

Telles sont les citations « utilitaires » des ueteres poetae dans les Nuits Attiques. Elles

sont au nombre de 149, pour 26 poètes, dont 2 anonymes. Un classement des citations par

genre littéraire donne ceci :

poésie scénique : 103 (comédie : 48 ; mime et atellane : 312 ; tragédie : 24)

poésie satirique : 213

poésie épique : 13

poésie didactique : 7

poésie lyrique : 4

poésie populaire : 1

Les genres comiques, qui fournissaient à Aulu-Gelle un réservoir inépuisable de particularités

lexicales, morphologiques ou syntaxiques, représentent plus de la moitié du total. La poésie

satirique est également bien représentée et devance la poésie épique.

Un classement des citations par auteur et par fréquence dégressive permet d’affiner ces

résultats :

Plaute : 26 Ennius : 24 (trag.13, ép. 9, sat. 2) Lucilius : 17

Publilius Syrus : 14 Laberius : 10 Caecilius : 8

Accius : 5 (3 trag. + 2 didact.) Afranius : 5 Pacuvius : 5

Térence : 4 Naevius : 4 (2 com., 1 trag., 1 ép.) Lucrèce : 4

Livius Anronicus : 3 Pomponius : 3 Mattius : 2 (1 ép., 1 sc.)

Atta : 2 Novius : 2 Laevius : 2

Helvius Cinna : 2 Catulle : 1 Calvus : 1

Licinius Imbrex : 1 Juventius : 1 Porcius Licinus : 1

anonyme (sc.) : 1 anonyme (poésie pop.) : 1

Les comiques en général, et Plaute en particulier, se taillent la part du lion. Le goût d’Aulu-

Gelle pour les curiosités ou les raretés lexicales, morphologiques ou syntaxiques, le conduit à

citer plus souvent les auteurs les plus archaïques : Plaute4 est en effet beaucoup mieux

représenté que Térence (même en tenant compte de sa prolixité supérieure), et Ennius, de

même, est plus souvent cité qu’Accius. Le prestige5 de l’antiquitas est tel, que ces vieux

1 37 B.

2 Les quatorze citations de PVBLIVS SYRVS en 17,14 gonflent ce total.

3 Dont deux citations de LAEVIVS Erotopaegnia.

4 C’est aussi le cas chez FRONTON : cf. MARACHE (1957), p.97-8.

5 Cf. GRIFFE (2004).

Page 14: Lectures et citations des ueteres poetae dans les Nuits ...

13

auteurs, si étrange que leur latin puisse paraître parfois aux lecteurs du second siècle, n’en

restent pas moins d’intouchables garants de la latinitas.

*****

Si la citation des vieux poètes fonctionne souvent dans les Nuits Attiques comme

argument d’autorité ou témoignage capable de trancher un débat, il arrive aussi à Aulu-Gelle

de citer un texte parce qu’il l’a trouvé beau, ou de porter un jugement esthétique sur ce qu’il a

lu. La dimension du labor s’efface alors pour laisser place à la uoluptas1. La perspective

utilitaire de l’usus, sans disparaître totalement, n’est plus en rapport avec l’instrumentalisation

qui fait de la citation un argument ; elle recherche, dans le texte poétique qu’on a aimé lire, les

ressources lexicales et d’expression qui pourront éventuellement enrichir la prose d’un

orateur2. C’est un peu la perspective de Quintilien, qui estimait que la pratique des poètes

pouvait ne pas être sans profit pour l’orateur. Il s’agira de savoir jusqu’où le prosateur peut

aller dans l’imitation des poètes, ce que l’on peut garder de leurs uetera uerba, de leurs

créations, ce que l’on doit penser des figures et des écarts que leur autorise la « licence

poétique ».

Le jugement esthétique, éloge ou blâme, comme dans l’éloquence épidictique, est

parfois porté dans le cadre d’une comparaison entre les Grecs et les Latins et se posera alors la

question de l’imitation et de la traduction des premiers par les seconds. Il s’agira aussi dans

certains cas de définir l’ingenium d’un auteur, dans d’autres de s’accorder sur le sens de tel ou

tel passage obscur.

1. Laudis adnotamentis digna : les appréciations élogieuses

1.1. poètes tragiques

2,26,13 Fronton cite trois septénaires de Pacuvius (Niptra, 244-6 R), qu’il a trouvés

particulièrement plaisants3 :

Cedo tuum pedem mi, lymphis flauis fuluom ut puluerem

manibus isdem, quibus Vlixi saepe permulsi, abluam

lassitudinemque minuam manuum mollitudine

Il ne donne pas d’explication, mais la source du plaisir du lecteur doit probablement être mise

en relation avec l’ubertas4 du style de Pacuvius, qui se manifeste ici par un jeu très étudié

d’allitérations et d’échos sonores.

1 Cf. Praef. 19. Nous donnerons désormais le texte des citations.

2 17,2,1 : Cum librum ueteris scriptoris legebamus, conabamur postea memoriae uegetandae gratia indipisci

animo ac recensere quae in eo libro scripta essent in utrasque existimationes laudis aut culpae adnotamentis

digna, eratque hoc sane quam utile exercitium ad conciliandas nobis, ubi uenisset usus, uerborum

sententiarumque elegantium recordationes. 3 Cuius uersus, quoniam sunt iucundissimi, libens commemini. C’est FRONTON qui cite et apprécie, mais, comme

souvent, la voix d’AULU-GELLE se confond avec celle des personnages qu’il met en scène. 4 cf. 6,14, où AULU-GELLE, dans la distinction qu’il opère entre les tria dicendi genera, donne PACVVIVS comme

modèle de l’uber genus.

Page 15: Lectures et citations des ueteres poetae dans les Nuits ...

14

1.2. poètes épiques

2,26,21 Discutant avec Fronton, Favorinus cite élogieusement deux vers des Annales

d’Ennius (384-5 V)1 :

Verrunt extemplo placide mare marmore flauo

caeruleum, spumat sale conferta rate pulsum

12,4 Portrait de l’ami idéal tiré des Annales d’Ennius (234-251 V). Aulu-Gelle en apprécie et

le fond et la forme, dont il souligne d’ailleurs la parfaite adéquation. Il y trouve une harmonie

parfaite entre le style archaïque (color quidam uetustatis), la pureté et la simplicité de

l’expression (suauitas tam impromisca tamque a fuco omni remota) d’une part, et les

sacrosaintes lois de l’amitié antique de l’autre.

Haece locutus, uocat quocum bene saepe libenter

mensam sermonesque suos rerumque suarum

comiter inpertit, magnam cum lassus diei

partem triuisset de summis rebus regendis,

consilio indu foro lato sanctoque senatu ;

quoi res audacter magnas paruasque iocumque

eloqueretur sed cura, malaque et bona dictu

evomeret si qui vellet tutoque locaret ;

quocum multa volup ac gaudia clamque palamque,

ingenium quoi nulla malum sententia suadet

ut faceret facinus levis aut malus ; doctus fidelis

suavis homo facundus, suo contentus, beatus,

scitus, secunda loquens in tempore, commodus, uerbum

paucum, multa tenens antiqua, sepulta uetustas

quae facit, et mores ueteresque nouosque, tenens res

multorum ueterum, leges diuumque hominumque,

prudenter qui dicta loquiue tacereue posset.

Hunc inter pugnas Seruilius sic conpellat.

1.3. poètes satiriques

2,29,20 Aulu-Gelle cite les deux derniers vers d’un apologue ésopique qu’Ennius a rendu

dans ses Saturae. Il trouve ces septénaires bien tournés et dignes d’être gardés en mémoire2 :

Hoc erit tibi argumento semper in promptu situm :

Ne quid expectes amicos, quod tute agere possies.

1.4. mimographes

10,17,2-4 Citation de 8 sénaires du Restio de Laberius, dont Aulu-Gelle souligne l’élégance3.

Laberius a habilement (non inconcinniter) mis en scène un riche et avare senex, qui ne

1 uerba illa (…) amoenissima

2 Hunc aesopi apologum Q. Ennius in Satiris scite admodum et uenuste uersibus quadratis composuit. Quorum

duo postremi isti sunt, quos habere cordi et memoriae operae pretium esse hercle puto. 3 10,7,2 : uersibus quidem satis munde atque graphice factis

Page 16: Lectures et citations des ueteres poetae dans les Nuits ...

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supporte pas d’avoir sous les yeux la vie dissolue de son fils, et prétend s’aveugler en imitant

Démocrite.

Democritus Abderites physicus philosophus

clipeum constituit contra exortum Hyperionis,

oculos effodere ut posset splendore aereo.

Ita radiis solis aciem effodit luminis,

malis bene esse ne uideret ciuibus.

Sic ego fulgentis splendorem pecuniae

uolo elucificare exitum aetati meae,

ne in re bona uideam esse nequam filium1.

17,14 Si elles sont susceptibles de servir pour la conversation de tous les jours, les quatorze

sententiae suivantes de Publilius Syrus, une par vers, sont aussi citées par Aulu-Gelle pour

leur charme (lepidae) et le plaisir qu’elles donnent à la lecture2 :

a) Malum est consilium, quod mutari non potest.

b) Beneficium dando accepit, qui digno dedit.

c) Feras, non culpes, quod uitari non potest.

d) Cui plus licet quam par est, plus uult quam licet.

e) Comes facundus in uia pro uehiculo est.

f) Frugalitas miseria est rumoris boni.

g) Heredis fletus sub persona risus est.

h) Furor fit laesa saepius patientia.

i) Inprobe Neptunum accusat, qui iterum naufragium facit.

j) Ita amicum habeas, posse ut <facile> fieri hunc inimicum putes3.

k) Veterem ferendo iniuriam inuites nouam.

l) Numquam periclum sine periclo uincitur.

m) Nimium altercando ueritas amittitur.

n) Pars benefici est, quod petitur si belle neges.4

Ici encore l’auteur se contente de signaler une réussite formelle qui semble aller de soi.

L’adverbe graphice, rare et expressif, permet cependant de la mettre en relation avec la

concision d’un style renfermant (circumscriptae) la maxime dans le cadre d’un vers au dessin

très net, tant sur le plan syntaxique que sur le plan métrique. Les schémas syntaxiques sont en

effet récurrents : SN + copule + SN attribut (e, f, g, h, n), relative substantive sujet + SV (a, b,

d, i), gérondif à l’ablatif + SN + SV (k, m). L’habile répartition des termes permet d’autre part

de placer des antithèses vigoureuses, soit à l’intérieur du premier hémistiche (b, c, d, f), soit

entre les deux hémistiches (g, h, j, k, l), soit à ces deux niveaux ensemble (b, d).

1 72 R.

2 17,14,4 : ex quibus sunt istae singulis uersibus circumscriptae, quas libitum hercle est adscribere.

3 Septénaire trochaïque (avec la correction) ; tous les autres vers sont des sénaires iambiques.

4362, 55, 176, 106, 104, 193, 221, 178, 264, 245, 645, 383, 416, 469 R.

Page 17: Lectures et citations des ueteres poetae dans les Nuits ...

16

1.5. poètes lyriques

7,16,2 A propos des divers sens de deprecari, Aulu-Gelle défend contre un semidoctus le

juste emploi de ce verbe par Catulle dans le c.92, qu’il cite en entier, car il en juge les vers

non pas frigidissimos, comme le fait l’individu en question, mais omnium quidem iudicio

uenustissimos.

Lesbia me dicit semper male nec tacet umquam

de me ; Lesbia me dispeream nisi amat.

Quo signo ? quia sunt totidem mea ; deprecor illam

assidue, uerum dispeream, nisi amo.

19,9 Réponse d’Antonius Julianus, rhéteur dont l’accent trahit l’origine espagnole, par

ailleurs florentis homo facundiae et rerum litterarumque ueterum peritus, aux sarcasmes de

jeunes convives grecs se moquant des lyriques latins, incapables à leurs yeux de rivaliser avec

les Anacréon et Sapho, dont on vient de chanter des odes au cours d’un repas d’anniversaire.

Catulle et Calvus, disent-ils, sont à peine passables, tandis que Laevius, Hortensius, Cinna et

Memmius sont jugés respectivement implicatus, inuenustus, inlepidus et durus1. Julianus

riposte en citant trois poètes latins plus anciens2 dont il chante quatre courts poèmes, deux de

Valerius Aedituus, uetus poeta dont les vers sont qualifiés de dulces par Aulu-Gelle, un de

Porcius Licinius, un de Q. Lutatius Catulus.

Dicere cum conor curam tibi, Pamphila, cordis

quid mi abs te quaeram, uerba labris abeunt,

per pectus manat subito <subido> mihi sudor

sic tacitus, subidus, dum pudeo, pereo3.

Quid faculam praefers, Phileros, qua est nil opus nobis ;

ibimus sic, lucet pectore flamma satis.

Istam nam potis est uis saeua extinguere uenti

aut imber caelo candidus praecipitans,

at contra hunc ignem Veneris, nisi si Venus ipsa,

nullast quae possit uis alia opprimere4.

Custodes ouium tenerae propaginis, agnum,

quaeritis ignem ? ite huc ; quaeritis ? ignis homost.

Si digito attigero, incendam siluam simul omnem,

omne pecus flammast, omnia quae uideo5.

Aufugit mi animus ; credo, ut solet, ad Theotimum

1 cf. 19,9,7. C’est Julianus qui riposte, mais il est clair que sa démarche –chercher chez les antiquiores poetae les

meilleurs exemples de poésie lyrique latine – est approuvée par AULU-GELLE. La première personne ne tardera

pas d’ailleurs à apparaître plus bas (19,9,10). 2 19,9,9 : discite nostros quoque antiquiores ante eos quos nominastis poetas amasios ac uenerios fuisse.

3 VAL. AEDIT. 1 Mo. Ces deux distiques font écho au poème de SAPHO librement traduit par CATULLE c. 51.

4 VAL. AEDIT. 2 Mo.

5 PORCIVS LICINIVS, 6 Mo.

Page 18: Lectures et citations des ueteres poetae dans les Nuits ...

17

deuenit. Sic est : perfugium illud habet.

Quid si non interdixem ne illunc fugitiuum

mitteret ad se intro, sed magis eiceret ?

Ibimus quaesitum ; uerum ne ipsi teneamur

formido. Quid ago ? da, Venus, consilium1.

Aulu-Gelle réunit ces quatre épigrammes érotiques dans un même éloge : il en apprécie

personnellement l’élégance et le raffinement2, sans argumenter. Il est également sensible au

charme de la voix de Julianus3.

1.6. épitaphes

1,24 Aulu-Gelle cite et présente comme authentiques4 trois épitaphes de Naevius, Plaute et

Pacuvius5. Il les trouve dignes de citation nobilitatis eorum gratia et uenustatis. Il reproche à

Naevius sa superbia et son immodestie, et apprécie particulièrement la modeste grauitas de

Pacuvius6.

Inmortales mortales si foret fas flere,

flerent diuae Camenae Naeuium poetam.

Itaque postquam est Orcho traditus thesauro,

obliti sunt Romae loquier lingua Latina.

Postquam est mortem aptus Plautus, Comoedia luget,

scaena est deserta, dein Risus, Ludus Iocusque

et Numeri innumeri simul omnes conlacrimarunt.

Adulescens, tam etsi properas, te hoc saxum rogat,

ut sese aspicias, deinde quod scriptum est legas.

Hic sunt poetae Pacuui Marci sita

ossa. Hoc uolebam nescius ne esses. Vale.

2. Les commentaires d’ordre stylistique

A côté de ces appréciations élogieuses pas ou peu argumentées, Aulu-Gelle précise parfois

les raisons de ses choix au nom de divers critères esthétiques.

2.1. euphonie et plaisir de l’oreille

1 Q. CATVLVS, 1 Mo.

2 19,9,10 : quibus mundius, uenustius, limatius, tersius Graecum Latinumue quicquam reperiri puto. Les quatre

adjectifs répondent aux quatre critiques formulées par les Graeci. 3 19, 9,10 : uoce admodum quam suaui

4 cf. 1,24,1 : epigrammata(…) quae ipsi fecerunt et incidenda sepulcro suo reliquerunt. Les modernes ont parfois

douté de cette authenticité : cf. WARMINGTON (1982⁵), p.155 n. 5 3,4 et 5 B respectivement .

6 1,24,4 : Epigramma Pacuuii uerecundissimum et purissimum dignumque eius elegantissima grauitate

Page 19: Lectures et citations des ueteres poetae dans les Nuits ...

18

6,20 Ce qui est melius suauiusque ad aures1doit être pris en compte quand il s’agit d’établir

un texte sûr en choisissant entre diverses leçons. Le hiatus, quand il permet la rencontre

harmonieuse de deux voyelles de même timbre, n’est pas un effet du hasard2, mais le produit

d’une recherche dont Homère a donné le modèle. Catulle, qualifié de elegantissimus

poetarum, en donne un bon exemple au quatrième vers du c. 27 :

Minister uetuli puer Falerni,

inger mi calices amariores,

ut lex Postumiae iubet magistrae

ebria acina ebriosioris.

La grâce du hiatus3 conduit l’auteur à écarter les leçons ebriosa acina ou ebrioso acino (avec

élision), qui se rencontrent dans de mauvaises copies4.

13,21 Selon le grammairien Valerius Probus, un écrivain doit privilégier l’euphonie à toute

autre considération, y compris grammaticale5. Il illustre son propos par des exemples

virgiliens, que le lecteur moderne jugera sans doute peu probants (choix entre les finales –is et

-es, -im et –em) et qui ne réussissent pas en tout cas à convaincre un élève jugé indocilis et

renvoyé sans ménagement ! Mais Aulu-Gelle, convaincu6, apporte d’autres exemples, tirés

notamment des ueteres poetae. Ennius et Lucrèce n’ont pas hésité à changer le genre de

certains substantifs7 pour sacrifier aux exigences de l’euphonie

8. Ennius a écrit aere fulua

9

(Ann., 454 V) et rectos… cupressos10

(Ann., 490 V) :

Capitibus nutantes pinos rectosque cupressos,

et Lucrèce (2,1153-4)11

aurea…funis :

Haud, ut opinor, enim mortalia saecla superne

aurea12

de caelo demisit funis in arua

18,8 Mais là comme ailleurs, il est capital d’éviter les excès. Lucilius (181-8 Ma) s’en est

spirituellement13

moqué en parodiant les effets trop faciles des orateurs qui abusent des

homéotéleutes, homéoptotes ceteraque huiusmodi scitamenta14

.

Quo me habeam pacto, tam etsi non quaeris, docebo,

quando in eo numero mansi quo in maxima non est

1 20,20,2.

2 20,20,3 : huiuscemodi suauitatis multa, quae appareat nauata esse, non fortuita

3 AULU-GELLE remarque que, pour l’obtenir, le poète a préféré le féminin acina au neutre acinum, pourtant plus

courant. Sur la question, cf. G.G. BIONDI (2003). 4 6,20,6 : Qui ‘ebriosa’ autem Catullum dixisse putant aut ‘ebrioso’ (…) in libros scilicet de corruptis

exemplaribus factos inciderunt. 5 13,21,1 : « Si aut uersum » inquit « aut orationem solutam struis atque ea uerba tibi dicenda sunt, non

finitiones illas praerancidas neque fetutinas grammaticas spectaueris, sed aurem tuam interroga quo quid loco

conueniat dicere ; quod illa suaserit, id profecto erit rectissimum. » 6 Même s’il concède à demi-mot qu’on est là dans le domaine de l’inexplicable (13,21,12 : iniucundum nescio

quo pacto et laxiorem uocis sonum feceris) et qu’il faut avoir l’oreille musicale pour apprécier ces phénomènes

subtils (13,21,10 : si …aliquid tamen auris habes). 7 13,21,13 : contra receptum uocabuli genus

8 13,21,5 : in consonantia uocum proximarum ; 13,21,11 : sonare aptissime

9 13,21,14 : quod hic sonus, opinor, uocabilior est uisus et amoenior.

10 13,21,13 : firmior ei, credo, et uiridior sonus esse uocis uisus est.

11 13,21,21 : Lucretius, aeque auribus inseruiens, ‘funem’ feminino genere appellauit.

12 AULU-GELLE fait remarquer que LUCRÈCE aurait pu écrire aureus e caelo avec le même schéma métrique et que,

s’il a écarté ce choix, c’est qu’il a jugé aurea plus musical que aureus. 13

18,8,1 : facetissime 14

18,8,1 : isti apirocali, qui se Isocratios uideri uolunt, in conlocandis uerbis immodice faciunt et rancide.

Page 20: Lectures et citations des ueteres poetae dans les Nuits ...

19

pars hominum

ut periisse uelis quem uisere nolueris cum

debueris. Hoc ‘nolueris’ et ‘debueris’ te

si minus delectat, quod a;tecnon et Eisocratium est

lhrw/dej que simul totum ac summeirakiw/dej,

non operam perdo, si tu hic.

2.2. figures

7,6 Hygin reproche à Virgile d’avoir employé l’adjectif praepes en s’écartant du sens propre

qu’on trouve dans la langue augurale1. Aulu-Gelle lui donne tort de refuser aux poètes le droit

droit de s’éloigner du sens originel dans des énoncés métaphoriques2, comme l’ont aussi fait

Cnaeus Matius (Ilias 3 Mo) :

dum dat uincendi praepes Victoria palmam

et Ennius (Ann. 488 et 94 V) :

Brundisium pulcro praecinctum praepete portu

……… praepetibus sese pulcrisque locis dant

18,11 Aulu-Gelle valide comme non insuauis une métaphore du poète Furius Antias, pourtant

condamnée par le grammairien Caesellius Vindex :

increscunt animi, uirescit uolnere uirtus3

La métaphore est soulignée par une vigoureuse allitération, caractéristique de la vieille poésie

latine.

20,9,3 Le rhéteur Antonius Julianus aimait à citer (dictitabat) deux choliambes4 tirés des

Mimiambes de Cnaeus Matius. Il en appréciait la facture (iucunde lepideque fictum), sans

doute à cause de leur densité métaphorique (tonsiles tapetes, tapetes ebrii, quos concha

uenenauit) :

Iam tonsiles tapetes ebrii fuco

quos concha purpura imbuens uenenauit

2.3. stilus Plautinus

3,3 A la recherche d’un critère5 permettant d’établir le corpus des pièces authentiques de

Plaute, Aulu-Gelle refuse, avec d’autres6, de se référer aux listes de fabulae ambiguae établies

1 7,6,3 : « praepetes » inquit « aues ab auguribus appellantur, quae aut opportune praeuolant aut idoneas

sedes capiunt ». 2 7,6,7 : si (…) inspexisset, ueniam prorsus poetis daret similitudine ac tranlatione uerborum, non significatione

propria utentibus. 3 3 Mo.

4 13 Mo.

5 3,3,2 : iudicii norma

6 3,3,1 : Verum esse comperior quod quosdam bene litteratos homines dicere audiui, qui plerasque Plauti

comoedias curiose atque contente lectitarunt

Page 21: Lectures et citations des ueteres poetae dans les Nuits ...

20

établies par de nombreux auteurs1. Comme Varron

2, il préfère se référer ipsi Plauto

moribusque ingeni atque linguae eius, en se laissant conduire filo atque facetia sermonis

Plauto congruentis3, pour ajouter aux pièces canoniques d’autres pièces pourtant attribuées à

d’autres poètes, notamment une comédie intitulée Boeotia. Il en cite neuf sénaires4, qu’il juge

Plautinissimi et qui suffisent à garantir l’authenticité de l’œuvre :

Vt illum di perdant, primus qui horas repperit,

quique adeo primus statuit hic solarium,

qui mihi comminuit misero articulatim diem.

Nam unum me puero uenter erat solarium,

multo omnium istorum optimum et uerissimum :

ubiuis monebat esse, nisi quom nil erat.

Nunc etiam quod est non estur, nisi soli libet,

itaque adeo iam oppletum oppidum est solariis,

maior pars populi iam aridi reptant fame.

Un seul sénaire5 suffirait même à Favorinus, delectatus uerborum antiquitate, meretricum

uitia atque deformitates significantium6, pour attribuer avec certitude à Plaute une pièce

intitulée Neruularia, dont Aulu-Gelle lui donne lecture :

Scrattae, scrupipedae, strittiuillae, sordidae.

Lisant lui-même7 par ailleurs une pièce intitulée Fretum, à l’attribution contestée, Aulu-Gelle

n’hésite pas à la juger authentique et omnium quidem maxime genuina8. Il en cite deux vers

9 :

vers9 :

Nunc illud est quod responsum Arreti ludis magnis dicitur :

Peribo, si non fecero, si faxo, uapulabo.

Mais cette référence subjective à une essence du sermo Plautinus, fait de pétulance verbale et

de comique burlesque, à une authenticité de nature (genuinus), n’est pas sans poser problème.

Les vers de Caecilius cités en 2,23 (cf. infra), si on n’en connaissait pas l’auteur, ne

pourraient-ils, sur ce seul critère, être attribués à Plaute ? En outre, quand il propose de

considérer comme écrites par d’autres, mais retouchées par Plaute toutes les pièces parvenues

sous son nom sans que leur authenticité soit reconnue10

, Aulu-Gelle leur trouve la saveur du

1 ib. : non indicibus Aelii nec Sedigiti nec Claudii nec Aurelii nec Accii nec Manilii super his fabulis quae

dicuntur ‘ambiguae’ crediturum. AULU-GELLE reprend plus loin une citation d’ACCIVS, qu’il a trouvée chez

VARRON, trois sotadéens issus des Didascalica (19-22 W) :

Nam nec Geminei Leones nec Condalium nec

Plauti Anus nec Bis compressa nec Boeotia umquam

fuit, neque adeo Agroecus neque Commorientes

Macci Titi.

Mais le texte n’est pas sûr : cf. ERNOUT (1932) t. I, p.V. 2 NADJO (2002).

3 3,3,3.

4 AQUIL. 1 R.

5 100 G.

6 3,3,6.

7 3,3,7 : Nos quoque ipsi nuperrime, cum legeremus Fretum…

8 3,3,7.

9 76 G.

10 Soit plus de cent pièces ! cf. 3,3,11 : Feruntur autem sub Plauti nomine comoediae circiter centum atque

triginta ; sed homo eruditissimus L . Aelius quinque et uiginti eius esse solas existimauit.

Page 22: Lectures et citations des ueteres poetae dans les Nuits ...

21

style plautinien1, saveur qui devrait suffire, à l’aune du critère validé plus haut, à lui en

attribuer la paternité exclusive !

2.4. les néologismes poétiques

15,25 Aulu-Gelle a relevé dans les Mimiambes de Cn. Matius deux néologismes dignes

d’intérêt2 et en cite deux passages

3 :

iam iam albicascit4 Phoebus et recentatur

commune lumen hominibus uoluptatis

quapropter edulcare conuenit uitam

curasque acerbas sensibus gubernare

18,11 Aulu-Gelle défend le uetus poeta Furius Antias contre les accusations du grammairien

Caesellius Vindex, qui lui reproche, petulanter insciteque, d’avoir souillé la langue latine par

des néologismes trop audacieux5. Aulu-Gelle valide au contraire ces cinq créations verbales

6.

verbales6. Il cite six hexamètres

7 :

a) sanguine diluitur tellus, caua terra lutescit

b) omnia noctescunt tenebris caliginis atrae

c) increscunt animi, uirescit uolnere uirtus

d) sicut fulca leuis uolitat super aequora classis,

spiritus Eurorum uiridis cum purpurat undas

e) quo magis in patriis possint opulescere campis

Pour uirescere il s’agit non d’un néologisme, mais d’un emploi métaphorique du verbe (cf.

supra p.19).

20,9 Antonius Julianus appréciait8 les Mimiambes de Cn. Matius, qu’Aulu-Gelle qualifie de

homo eruditus. Le second des deux vers cités9 renferme un néologisme plutôt heureux, qui ne

ne doit pas être étranger au jugement du rhéteur10

, implicitement partagé par Aulu-Gelle :

sinuque amicam refice frigidam caldo

columbulatim labra conserens labris

1 3,3,13 : Neque tamen dubium est quin istae (…) ueterum poetarum fuerint et ab eo retractae et expolitae sint ac

propterea resipiant stilum Plautinum. 2 15,25,1 : Cn. Matius, uir eruditus, in mimiambis suis non absurde neque absone finxit ‘recentatur’ (…) id est

‘denuo nascitur atque iterum fit recens’ ; 15,25,2 : Idem Matius in isdem mimiambis ‘edulcare’ dicit, quod est

‘dulcius reddere’. 3 9 et 10 Mo.

4 Curieusement, AULU-GELLE ne relève pas ce verbe comme un nouom uerbum, alors que pour nous il constitue

un hapax. 5 AULU-GELLE a été lui-même auteur d’un grand nombre de néologismes, bien plus que FRONTON : cf. MARACHE

(1957), p.263. 6 18,11,2 : Furium, ueterem poetam, dedecorasse linguam Latinam scripsit huiuscemodi uocum fictionibus, quae

mihi quidem neque abhorrere a poetica facultate uisae sunt neque dictu profatuque ipso taetrae aut insuaues

esse, sicuti sunt quaedam alia ab inlustribus poetis ficta dure et rancide. 7 1-6 Mo.

8 20,9,1 : Delectari mulcerique aures suas dicebat Antonius Iulianus figmentis uerborum nouis Cn.Matii.

9 12-13 Mo ; d’après MARACHE (1957), p. 206-7, AULU-GELLE n’a pas pour sa part forgé d’adverbes en -im.

10 On peut aussi souligner la très heureuse forme-sens du premier vers, où la place des mots épouse le sens.

Page 23: Lectures et citations des ueteres poetae dans les Nuits ...

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3. Vsus : que garder de la lecture des ueteres poetae ?

Le plaisir de la lecture n’est pas toujours une fin en soi. Le travail de l’annotatio ne perd

guère de vue l’utilité pour l’orateur de la pratique des ueteres poetae, s’agissant notamment

du lexique, question centrale dans les Nuits. S’il faut, dans la conversation courante, parler la

langue de tous les jours, sous peine de ne pas être compris1, la question est moins nettement

tranchée dans le domaine du discours oratoire et de l’écriture. Amateur d’antiquités et friand

de mots rares, Aulu-Gelle admet fort bien, comme d’autres avant lui2, que l’orateur fasse son

miel de la lecture des poètes en général, des ueteres poetae en particulier. Il s’agira cependant

d’éviter les excès, tant dans l’usage des uetera uerba que dans l’emploi des uerba noue dicta.

Le problème des néologismes se pose ici dans une nouvelle perspective, à la fois plus

utilitaire et plus normative : il ne s’agit plus de savoir si la création verbale est heureuse du

point de vue poétique, mais de distinguer ce que l’orateur peut garder du lexique poétique et

ce qu’il en doit rejeter.

3.1. Ce qu’on peut garder

11,15 En s’interrogeant sur la valeur3 du suffixe –bundus, Aulu-Gelle remarque que Labérius

(Lacus Auernus, 57 R) a forgé amorabundus sur le modèle de errabundus. Il ne porte pas de

jugement de valeur, mais donne raison, contre les grammairiens Caesellius Vindex et

Terentius Scaurus, eux-mêmes en désaccord, à son ami Sulpicius Apollinaris, qui prête au

suffixe une valeur intensive4, peut-être au prix d’une fausse coupe permettant de le rapprocher

rapprocher du verbe abundare.5

19,7 Alors qu’il vient d’entendre lire apud mensam chez Julius Paulus, poète rerum

litterarumque ueterum inpense doctus, l’Alcestis6 de Laevius et qu’il rentre à Rome en

compagnie de Julius Celsinus, les deux amis passent en revue figuras habitusque uerborum

noue aut insigniter dictorum, dans l’intention de mémoriser tout ce qui pourrait leur servir7. Il

Il s’agit pour l’essentiel des néologismes restés pour la plupart des hapax. Aulu-Gelle cite

d’abord trois vers (8 Mo)8 :

corpore pectoreque undique obeso ac

mente exsensa tardigenuclo

senio obpressum

1 cf. 1,10, où Favorinus reprend vertement un adulescens ueterum uerborum cupidissimo ; 1,10,2 : sermone

abhinc multis annis iam desito uteris, quod scire atque intellegere neminem uis quae dicas. Nonne, homo inepte,

ut quod uis abunde consequaris, taces ? 1,10,4 : Viue ergo moribus praeteritis, loquere uerbis praesentibus. La

leçon se termine par le rappel d’un conseil donné par CÉSAR dans le De analogia : habe semper in memoria atque

in pectore, ut tamquam scopulum, sic fugias inauditum atque insolens uerbum. 2 cf. QVINT. Inst. orat. 1,8,8 : Multum autem ueteres etiam Latini conferunt, quamquam plerique plus ingenio

quam arte ualuerunt, in primis copiam uerborum, quorum in tragoediis grauitas, in comoedis elegantia et

quidam uelut atticismos inueniri potest. 3 11,15,5 : requirere (…) an quid et quantulum differret a (…) ‘errabundo’ ‘errans’ ceteraque horum similia (…)

et quam omnino uim haberent particula haec extrema eiusmodi uocabulis addita. 4 11,15,8 : ceteraque omnia ex ea figura ita dici ostendit, ut productio haec et extremitas largam et fluentem uim

et copiam declararet. 5 Il glose en effet laetabundus par qui abunde laetus sit et errabundus par qui longo atque abundanti errore sit.

6 Poème des Erotopaegnia, à coloration satirique et burlesque, et non une tragédie, malgré JULIEN (1998), p.124.

7 19,7,2 : ut quaeque uox indidem digna animaduerti subuenerat, qua nos quoque possemus uti, memoriae

mandabamus. 8 Avec un texte et une colométrie différents, BÄHRENS (1886), p.288 en fait trois dimètres anapestiques complets.

Page 24: Lectures et citations des ueteres poetae dans les Nuits ...

23

où il relève le sens archaïque1 de l’adjectif obesus (« décharné »), sans commenter les

néologismes exsensus et tardigenuclus2. Toutes les autres citations (9 Mo) se limitent au mot

ou au syntagme :

oblittera (gens) pour oblitterata

foedifragi (hostes) pour foederifragi3

pudoricolor (aurora) pour rubens

nocticolor (Memnon)

dubitanter pour forte

silentus pour silens ; pestilentus pour pestilens ; puluerulentus4

magno impete pour magno impetu

fortescere pour fortem fieri

dolentia pour dolor

auens pour libens

intolerantes (curae) pour intolerandae

mancioli pour manes

siliceum,i : « dureté de silex »

inpendio pour inpense

accipitrare pour lacerare

Un seul exemple concerne non le lexique, mais une construction syntaxique archaïque :

carendum tui est au lieu de carendum te est.

Cette liste peut surprendre, car on voit mal Aulu-Gelle ou son ami reprendre telle ou telle de

ses particularités lexicales dans leurs ouvrages en prose, à moins d’écrire une prose poétique

dans le style de certaines pages d’Apulée. On a la nette impression qu’Aulu-Gelle, toujours à

l’affût du mot rare ou du tour archaïque, se laisse emporter par son goût immodéré des

antiquités.

3.2. Ce qu’on doit rejeter

Tout n’est pas à garder évidemment dans le lexique poétique, comme l’enseignait ici

encore Quintilien : meminerimus tamen non per omnia poetas esse oratori sequendos, nec

libertate uerborum nec licentia figurarum5, la poésie étant loin d’être toujours un modèle,

notamment en raison des écarts engendrés par les contraintes métriques : quod alligata ad

certam pedum necessitatem non semper uti propriis possit, sed depulsa recta uia necessario

ad eloquendi quaedam deuerticula confugiat6. La Nuit 11,7 nous rappelle ainsi que l’orateur

doit éviter à la fois les uetera uerba désuets, poétiques ou non, et les uerba noua, incognita,

inaudita7, sans perdre de vue que ressusciter des mots sortis de l’usage revient à créer un

uerbum nouom8. Sans quoi il s’exposera à la mésaventure des deux orateurs mis en scène dans

1 19,7,3 : ‘Obesum’ hic notauimus proprie magis quam usitate dictum pro exili atque gracilento.

2 Moins heureux à notre sens que le tardigradus de PACUV. (2 R), mais il s’agit sans doute d’un composé à effet

burlesque. 3 On attendrait l’inverse, car foederifragus est un hapax, alors que foedifragus est cicéronien.

4 Cet adjectif, d’un emploi classique en poésie et même attesté en prose, fait partie de la série, mais on ne voit

pas bien à quel adjectif plus usuel LAEVIVS aurait pu le préférer. 5 Inst. orat. 10,1,28.

6 ib. 10,1,29.

7 11,7,1 : Verbis uti aut nimis obsoletis exculcatisque aut insolentibus nouitatisque durae et inlepidae par esse

delictum uidetur. 8 11,7,2 : Noua autem uideri dico etiam ea quae sunt inusitata et desita, tametsi sunt uetusta.

Page 25: Lectures et citations des ueteres poetae dans les Nuits ...

24

dans les deux anecdotes burlesques illustrant la leçon : ils déclenchent, pour avoir usé d’un

vocabulaire obsolète (monstrum uerbi !) tiré de la lecture des vieux poètes (cf. supra p.8), l’un

l’hilarité générale1, l’autre un murmure d’étonnement

2.

16,7 Aulu-Gelle relève plusieurs néologismes abusifs3 de Laberius, restés pour la plupart des

hapax :

mendicimonium pour mendicitas

moechimonium/adulterio/adulteritas pour adulterium

depudicare pour stuprare

abluuium pour diluuium

manuari et manuarius pour furari et fur4

Les contraintes métriques ont pu jouer pour favoriser ces créations, mais elles participent

aussi d’une exubérance verbale en rapport avec les champs lexicaux propres au genre du

mime.

A partir de 16,7,4, Aulu-Gelle cite des termes qu’il condamne pour une autre raison :

ils appartiennent à la langue vulgaire, ce qui n’est pas étonnant chez un mimographe, et ne

relèvent pas du « bon usage »5. Laberius emploie l’expression in catomum

6 dans un vers (87

R) des Staminariae :

tollet bona fide uos Orcus nudas in catomum ;

de la même pièce (151, 147 et 148 R) Aulu-Gelle cite comme appartenant au même registre :

le verbe elutriare (lintea) « rincer », le substantif lauandaria (= quae ad lauandum sint data),

l’expression coicior in fullonicam, et le vers

quid properas ? ecquid praecurris Calidoniam ?

dans le Restio (148 R) il relève talabarriunculi (pour talabarriones) – mots de sens inconnu- ;

dans les Compitalia (37 R) le syntagme verbal malas malaxaui7 ; dans le Cacomnemon (13 R)

R) l’adjectif gurdus « balourd », issu du passage suivant :

hic est, inquit,

ille gurdus, quem ego me abhinc menses duos ex Africa

uenientem excepisse tibi narraui ;

dans le Natalicius (60-61 R), les substantifs cippus « borne, pierre funéraire »8, obba

« coupe », camella « écuelle », pittacium ( « pièce rapportée ») et capitium9, les deux derniers

derniers issus du vers

induis capitium tunicae pittacium ;

dans le mime Anna Perenna (3 R) les substantifs gubernius (hapax) pour gubernator, planus

« charlatan »1, nanus « nain » pour pumilio

2 ; dans les Saturnalia (80 R) il condamne l’emploi

1 11,7,4 : omnes qui aderant (…) universi riserunt.

2 11,7,8 : Commurmuratio fieri coepta est a plerisque qui aderant, quasi monstrum uerbi admirantibus.

3 16,7,1 : Laberius in mimis quos scriptitauit oppido quam uerba finxit praelicenter.

4 150 ; 39 ; 46 R.

5 21,7,4 : obsoleta quoque et maculantia ex sordidiore uulgi usu ponit.

6 Issue du grec kaq ,w=mon, elle se disait de la position de l’esclave juché sur les épaules d’un autre pour être

fouetté (cf. CIC. Fam. 7,25,1). 7 Le verbe restera rare, mais sera repris par SÉNÈQUE (Ep. 66,53)…dont AULU-GELLE pense le plus grand mal,

comme on sait. 8 cf. ERNOUT / MEILLET (1932), s.u. p.122 : « Semble appartenir à la langue populaire ; Aulu-Gelle en reproche

l’emploi à Laberius ». 9 Au sens de « capuche » ? cf. JULIEN (1998 ), p.172.

Page 26: Lectures et citations des ueteres poetae dans les Nuits ...

25

l’emploi de botulus3 « boudin » pour farcimen, et de leuenna, « doublet vulgaire de leuis

4 »,

au sens de « tête en l’air », dans la Necyomantia (63 R) celui de cocio, « mot rare et sans

doute vulgaire »5, préféré à tort à arillator, mot plus littéraire et ancien

6, dans le fragment

suivant :

duas uxores ? hercle hoc plus negoti est, inquit cocio ;

sex aediles uiderat ;

enfin dans son Alexandrea (1 R), Laberius a usé, comme le vulgaire, du mot grec emplastrum,

qu’il a eu cependant le mérite d’employer probe latineque, c’est-à-dire au neutre, au lieu d’en

faire un féminin ut isti nouicii semidocti7 :

quid est ius iurandum ? emplastrum aeris alieni.

Aulu-Gelle condamne, sans relever la portée satirique de la jolie métaphore.

De cette liste disparate, se dégage nettement une règle implicite : le bon usage de la

langue latine commande d’éviter les mots vulgaires, surtout s’ils sont d’origine étrangère, y

compris grecque, au profit des mots latins « de naissance », même anciens ou rares. Le

jugement de classe n’est pas loin : les mots du bas peuple sont « de basse naissance »

(ignobilia) et « sales » (sordentia), ils « souillent » (maculant) le discours.8 On pourrait

s’étonner que Plaute reste à l’abri de cette critique : bien que le vocabulaire populaire, y

compris d’origine grecque, soit très présent chez lui, beaucoup plus que chez Térence en tout

cas, Aulu-Gelle le qualifie en 19,8,6 de linguae Latinae decus et en 6,17,4 d’homo linguae

atque elegantiae in uerbis Latinae princeps, suivant le fameux jugement qu’Aelius Stilon

aurait porté sur le poète comique, au dire de Varron9. Mais Quintilien, qui rapporte la chose,

était loin de partager cet avis et l’ « indulgence » d’Aulu-Gelle s’explique peut-être par la

fluidité de la syntaxe de Plaute et la limpidité de ses récits, sans compter que le vocabulaire de

ses comédies devait passer pour moins trivial que celui des mimographes.

18,2,16 Ennius (Annales, 380 V) a créé le verbe uerare (« dire la vérité »). Si Aulu-Gelle ne

porte aucun jugement sur ce néologisme, resté pour nous un hapax, on peut déduire du fait

qu’aucun des convives mis en scène dans cette Nuit n’en a gardé le souvenir10

, que le mot n’a

pas fait école.

- satin uates uerant aetate in agunda ?

19,7,13-16 S’il doit éviter les ignobilia nimis et sordentia uerba, le prosateur doit aussi se

garder des nimium poetica uerba. Après avoir relevé dans l’Alceste de Laevius les mots

remarquables susceptibles d’être employés par les prosateurs et dignes, à ce titre, d’être

1 AULU-GELLE en relève cependant l’emploi par CICÉRON Pro Clu. 72.

2 Le mot, d’origine grecque, « passait pour vulgaire » selon ERNOUT / MEILLET (1932), s.u. p. 429. Cf. 19,13,2, où

AULU-GELLE fait dire à Fronton : ‘nanos’ autem sordidum esse uerbum et barbarum credebam. 3 Pour ERNOUT / MEILLET (1932), s.u. p. 74-75, le mot est « ancien et usuel », mais « probablement emprunté à

l’osque », alors que farcimen est « proprement latin ». 4 ib. s.u. p. 353.

5 ib. s.u. p.130.

6 cf. cocionem peruolgate dixit, quem ueteres ‘arillatorem’ dixerunt.

7 16,7,13.

8 AULU-GELLE partage évidemment la condamnation de la consuetudo inperiti uolgi par Sulpicius Apollinaris,

mis en scène en 19,3. Comme lui, il désapprouve les uerba quae a Laberio ignobilia nimis et sordentia in usum

linguae Latinae intromissa sunt (19,3,3). 9 QVINT. Inst. orat. 10,1,99 : Licet Varro Musas, Aeli Stilonis sententia, Plautino dicat sermone locuturas fuisse,

si Latine loqui uellent etc… 10

18,2,12 : Nemo enim tum commeminerat dictum esse a Q. Ennio id uerbum

Page 27: Lectures et citations des ueteres poetae dans les Nuits ...

26

gardés en mémoire (cf. supra p.23), Aulu-Gelle donne quelques exemples, tirés du même

poème, de mots trop étrangers aux usages de la prose1. Il s’agit de trois adjectifs composés (9

Mo), illustrant assez bien les tentatives que firent les ueteres poetae pour rivaliser avec la

langue grecque, beaucoup plus riche et souple dans ce domaine : trisaeclisenex et

dulciorelocus, qualifiant Nestor, et multigrumus, mot métaphorique employé dans le

syntagme fluctibus multigrumis pour tumidis magnisque fluctibus. S’y ajoutent un adjectif

emprunté au grec, onychinus, attesté dans un syntagme métaphorique sans doute du plus bel

effet, mais exclu de la prose : flumina gelu concreta ‘tegmine’ esse ‘onychino’ dixit2, et un

substantif surcomposé à coloration burlesque et effet satirique (7 Mo), dont Laevius a usé

contre ses critiques : subductisupercilicarptores, « censeurs au sourcil froncé ». Notons –

c’est tout le paradoxe ! – qu’Aulu-Gelle, sous couleur d’écarter ces abus, consacre cependant

à chacun d’eux une adnotatiuncula3, trahissant par là son goût pour les mots rares et le

lexique antique.

4. L’interprétation

Les Nuits font parfois état de discussions sur le sens de tel ou tel passage dans l’oeuvre

d’un uetus poeta.

2,26,11 A la faveur d’une discussion sur les adjectifs de couleur en grec et en latin, Fronton

fait remarquer à Favorinus que le latin en ce domaine n’a rien à envier au grec. Favorinus le

remercie notamment pour son analyse sémantique de l’adjectif flauus4, qui lui permet de

mieux apprécier5 deux vers des Annales d’Ennius (cités supra p. 14), où, après la remarque de

de Fronton, les adjectifs flauus et caeruleus lui paraissent associés avec bonheur, ce dont il

avait jusque là douté6.

6,2 Aulu-Gelle reprend une mauvaise lecture d’un passage (381-3 V) des Annales d’Ennius

par Caesellius Vindex, grammairien de l’époque d’Hadrien :

Hannibal audaci dum pectore de me hortatur

ne bellum faciam, quem credidit esse meum cor

suasorem summum et sudiosum robore belli.

Omettant de lire le troisième vers, le grammairien a vu dans quem un adjectif interrogatif

déterminant cor et a cru qu’Ennius avait fait de ce nom un masculin. Aulu-Gelle corrige cette

lecture en ajoutant le troisième vers et en faisant de quem un pronom relatif accordé à son

antécédent Hannibal, le syntagme meum cor étant le sujet de credidit. Il glose le texte ainsi :

Hannibal ille audentissimus atque fortissimus, quem ego credidi – hoc est enim ‘cor meum

credidit’, proinde atque diceret ‘quem ego stultus homo credidi’ - summum fore suasorem ad

bellandum, is me dehortatur dissuadetque ne bellum faciam7. Il force un peu le trait : les deux

deux superlatifs et le syntagme stultus homo surinterprètent quelque peu le texte, mais c’est

pour la bonne cause. Au passage il rend compte aussi de la tmèse du premier vers (de me

1 19,7,13 : Cetera enim quae uidebantur nimium poetica, ex prosae orationis usu alieniora, praetermisimus.

2 19,7,15.

3 19,7,12.

4 2,26,12 : ‘Flauus’ contra dicitur e uiridi et rufo et albo concretus.

5 2,26,21 : fecistique ut intellegerem uerba illa (…) amoenissima, quae minime intellegebam. Cf. VITALE (2003).

6 2,26,23 : non enim uidebatur ‘caeruleum’ mare cum ‘marmore flauo’ conuenire. Sed cum sit, ita ut dixisti,

flauus color e uiridi et albo mixtus, pulcherrime prorsus spumas uirentis maris ‘flauom marmor’ appellauit. 7 6,2,10.

Page 28: Lectures et citations des ueteres poetae dans les Nuits ...

27

hortatur = me dehortatur). Le plus intéressant peut-être est de voir comment s’introduit la

glose : l’explication passe par une équivalence (hoc est) et par l’approximation d’un « comme

si » (proinde atque diceret) dans le cadre d’une paraphrase très pédagogique.

18,2,7 C’est sans doute une paraphrase de ce genre qu’appelait la première des sept

« énigmes » proposées aux convives, lors d’un repas où plusieurs amis romains fêtent, fort

sagement, les Saturnales à Athènes. Elle portent sur quatre vers des Satires d’Ennius, quatre

saturniens1, mètre de circonstance :

Nam qui lepide postulat alterum frustrari

quem frustratur frustra eum dicit frustra esse ;

nam qui sese frustrari quem frustra sentit,

qui frustratur is frustrast, si non ille est frustra.

Particulièrement emmêlés2 par la répétition du verbe frustrari et de l’adverbe frustra (tantôt

pris, avec dicere et sentire, comme adverbe dans le sens de « à tort », tantôt inclus dans la

locution frustra esse « être trompé »), ces vers appellent une explanatio3, qu’ils recevront,

mais qui n’est pas relatée.

5. Imitation et traduction

La Nuit 2,23, une des plus commentées, aborde la question de la traduction de Ménandre

par Caecilius. Elle commence par un préambule général sur les mérites comparés des

comédies latines et de leurs originaux grecs. Le jugement, tel celui que Quintilien4 porte sur la

la comédie latine, est des plus sévères. Tant qu’il les lit seules, le lecteur5 ne les trouvera pas

déplaisantes et pourra même leur trouver certains mérites6, mais la comparaison avec les

originaux éclipsera tout leur charme. Les mots sont rudes et catégoriques : oppido quam

iacere atque sordere incipiunt quae latina sunt ; ita Graecarum, quas aemulari nequiuerunt,

facetiis atque luminibus obsolescunt7. D’un côté négligence et vulgarité, de l’autre finesse et

éclat.

Aulu-Gelle en vient ensuite à l’examen d’un cas particulier : il va comparer

méthodiquement8 quatre loci du Plocium de Caecilius avec l’original de Ménandre.

I :Ep ,avmfo,teran ri/n , h`pi,klhroj h kalh,

me,llei kaqeudh,sein) Katei,rgastai me,ga kai. peribo,hton e;;rgon \ evk th/j oivki,aj evxe,bale th.n lupou/san( h]n evbou,leto( i[n , avpoble,pwsi pa,ntej eivj to. Krwbu,lhj pro,swpon h=| t , eu;gnwstoj ou=s ,evmh. gunh, de,spoina) Kai. th.n o;yin( h]n evkth,sato(

1 59-62 V.

2 18,2,7 : (uersus) uno multifariam uerbo concinniter inplicati

3 18,2,15 : Haec (…) proposita atque singulis sorte ductis disputata explanataque sunt…

4 QVINT. Inst. orat. 10,1,99 : In comoedia maxime claudicamus.

5 AULU-GELLE emploie la 1P du pluriel (lectitamus ; legebamus ; nobis) ou la 2S au subjonctif (si conferas et

componas). L’indétermination du sujet, si elle atténue l’engagement personnel, augmente la portée d’une critique

où tout lecteur des Nuits est invité à se reconnaître. 6 cf. 2,23,2.

7 2,23,3.

8 2,23,3 : singula considerate atque apte iunctis et alternis lectionibus

Page 29: Lectures et citations des ueteres poetae dans les Nuits ...

28

o;noj evn piqh,koij( tou/to dh. to. lego,menon e;stin) Siwpa/n bou,lomai th.n nu,kta th,n pollw/n kakw/n avrchgo,n) Oi;moi Krwbu,lhn labei/n e;m , e`kkai,deka ta,lanta a;gein e;sw th.n ri/n ,e;cousan phce,wj \ ei=t , evsti. to, fru,agma, pwj upo,staton * ma. to.n Di,a to.n VOlu,mpion kai. th.n VAqhna/n( ouvdamw/j) Paidiska,rion qerapeutiko.n de. kai. lo,gou ta,cion evpage,sqw de, tij\ ti,j a;r , avnteisaga,goi*1

Is demum miser est qui aerumnam suam nesciat occultare

foris ; ita me uxor forma et factis facit, si taceam, tamen indicium,

quae nisi dotem omnia quae nolis habet. Qui sapiet de me discet,

qui quasi ad hostis captus liber seruio salua urbe atque arce,

dum eius mortem inhio, egomet inter uiuos uiuo mortuus.

Quaen mihi quidquid placet eo privatum it me seruatam uelim?

Ea me clam se cum mea ancilla ait consuetum ; id me arguit ;

ita plorando orando instando atque obiurgando me optudit

eam uti uenderem. Nunc credo inter suas

aequalis et cognatas sermonem serit :

“Quis uostrarum fuit integra aetatula

quae hoc idem a uiro

impetrarit suo, quod ego anus modo

effeci, paelice ut meum priuarem uirum ?”

Haec erunt concilia hocedie ; miser sermone differor.2

L’adaptation/traduction de Caecilius ne déplaît pas foncièrement à Aulu-Gelle3. Mais

dès qu’il a lu l’original grec, les défauts du latin lui sautent aux yeux : a principio statim, di

boni, quantum stupere atque frigere quantumque mutare a Menandro Caecilius uisus est !4 La

La critique porte sur deux points : défaut d’élégance et de grâce (uenustas) dans le fond et la

forme5, et omission des passages les plus éclatants et les plus spirituels de l’original

6. Ce

faisant, Caecilius a retranché illud Menandri de uita hominum media sumptum, simplex et

uerum et delectabile ; il a omis le meilleur de Ménandre, l’imitation « bourgeoise » de la vraie

vie des hommes et de leurs sentiments, pour le remplacer par un comique de farce dont Aulu-

Gelle dénonce le burlesque grossier : alia nescio quae mimica inculcauit.

La critique est sévère et surprend de la part d’un auteur qui conseille par ailleurs7 au

poètes latins traduisant les grecs, de ne pas s’attacher à rendre mot pour mot, quitte à prendre

quelques libertés avec le modèle. Mais surtout Aulu-Gelle semble ignorer l’effort

1 402 Kock.

2 142 sq. R ; mais nous ne suivons pas toujours son texte.

3 2,23,5 : hautquaquam mihi et qui aderant displicebat. AULU-GELLE a du mal à porter un jugement franchement

positif. 4 2,23,7.

5 2,23,11 : Praeter uenustatem autem rerum atque uerborum, in duobus libris nequaquam parem…

6 2,23,11-12 : quae Menander praeclare et apposite et facete scripsit, ea Caecilius (…) quasi minime probanda

praetermisit. 7 cf. 9,9,1-2 : non semper aiunt enitendum ut omnia omnino uerba in eum in quem dicta sunt modum uertamus.

Perdunt enim gratiam pleraque, si quasi inuita et recusantia uiolentius transferantur.

Page 30: Lectures et citations des ueteres poetae dans les Nuits ...

29

d’adaptation de l’original par Caecilius : une pièce de la ne,éa est devenue une comédie latine et

si l’argumentum est bien le même, l’esprit, le ton, la manière ont changé. Comment Aulu-

Gelle ne s’avise-t-il pas que la tirade en trimètres de Ménandre est devenue chez Caecilius un

mutatis modis canticum ? Comment peut-il reprocher à un texte si vivant d’être froid et

engourdi ? La tirade uniforme de trimètres bien sages1 est devenue un texte latin plein de vie

et de verve. La variété des mètres épouse parfaitement le sens. Même si les éditeurs divergent

sur le texte, les variantes induisant souvent une analyse métrique différente, on peut dégager

le mouvement d’ensemble suivant :

a) v.1-3 octonaires anapestiques : entrée de rôle du senex

b) v.4-8 septénaires trochaïques : exposition

c) v.9-10 sénaires iambiques (texte discuté) : introduction des propos de la matrone

d) v. 11-14 tétramètres crétiques (v.12 incertain) : les propos de la matrone

e) v.15 septénaire trochaïque : conclusion

Tout le sel de la tirade vient précisément du burlesque qu’ Aulu-Gelle méprise : la métrique

détache bien la citation ironique des propos de la matrone par le senex, dont la parodie

s’accompagne d’un pas, d’un ton et d’une gesticulation burlesques2. Le jeu de l’acteur se

déroule sur deux plans : le personnage qu’il incarne (le senex) se met à « jouer » un autre rôle

(la matrona). Par ailleurs le dynamisme de la phrase, le contrepoint mètre-syntaxe, le jeu

vigoureux sur la place des mots qui s’entrechoquent avec bonheur (v. 4 et 5), tout cela relève

d’un style puissant dont Horace3 a bien perçu la grauitas.

II :Ecw d , evpi,klhron La,mian \ ouvk ei;rhka soi

tou/t ,* - ei=t , a;r , ouvci,* - kuri,an th/j oivki,aj kai. tw/n avgrw/n kai. ! pa,ntwn avnt , evkei,nhj e;comen( :Apollon( wj calepw/n calepo,taton\ a[pasi d , avrgale,a , sti,n( ouvk evmoi. mo,nw|( ui`w/|( polu. ma/llon qugatri,)

Pra/gm , a;macon le,geij) Eu= oi=da4)

Sed tua morosane uxor, quaeso, est ?

Va ! rogas ?

Qui tandem ?

Taedet mentionis, quae mihi

ubi domum adueni, adsedi, extemplo sauium

1 cf. SOUBIRAN (2003), p. 22, à propos de la métrique de Ménandre : « Le dialogue consiste à peu près

entièrement en trimètres iambiques, de technique plus souple et plus libre que ceux de la tragédie attique (…) de

manière à donner l’impression d’un énoncé aussi proche que possible de la langue quotidienne d’individus

moyens ». 2 GRIMAL (1970), p.286, a bien vu que le canticum « comprend (…) un petit mime (…). Tout cela, naturellement,

se prêtait à des gesticulations, des éclats de voix, bien étrangers au poète grec. » 3 HOR. Epist. 2,1,59 : dicitur…uincere Caecilius grauitate, Terentius arte. Cf. GRIMAL (1970), p. 286 : « pour

Horace, les vers des comédies de Caecilius méritent l’épithète de grauis à cause de leur puissance et de leur

efficace rythmique et (…) c’est l’absence de cette qualité que Luscius reproche à Térence, lorsqu’il parle de sa

scriptura leuis » (cf. TER. Phormio v.5). 4 403 Kock.

Page 31: Lectures et citations des ueteres poetae dans les Nuits ...

30

dat ieiuna anima.

Nihil peccat de sauio :

ut deuomas uult quod foris potaueris.

L’extrait (158 R) est un passage de diuerbium où les sénaires latins répondent aux trimètres

grecs. Il s’agit d’un dialogue entre le senex mal marié et un sien ami. Mais quand l’ami, chez

Ménandre, manifeste une curiosité polie, et très policée, en simple faire-valoir porteur

d’éléments d’exposition (on est encore sans doute proche du début de la pièce), il montre chez

Caecilius une liberté de ton cocasse et se permet, dans la foulée de la remarque triviale du

senex, une plaisanterie relevant du burlesque de farce. On ne s’étonnera pas qu’Aulu-Gelle

déplore la bouffonnerie de l’adaptation latine et préfère la bienséance feutrée1 du modèle grec.

III (Pas de texte cité)

Le troisième locus ne donne lieu à aucune citation. La comparaison porte sur le passage de

l’intrigue où un seruos, posté devant la maison du senex, entend une jeune fille, dont il ignore

la grossesse, pousser des cris horribles à l’intérieur. Elle est en train d’accoucher et Ménandre

lui fait exprimer une variété de sentiments dans un style dont Aulu-Gelle admire l’acuité et la

netteté2. Il trouve que l’adaptation de Caecilius manque de noblesse et de grâce. Nous n’avons

pas le texte, mais les critères de jugement sont les mêmes : vraisemblance psychologique et

bienséance.

IV +W tri.j kakodai,mwn o[stij w’'n pe,nhj gamei/

kai. paidopoiei/) ~Wj avlo,gistoj evst , avnh,r o]j mh,te fulakh.n tw/n avnagkai,wn e;cei( mh,t , a’'n avtuch ,sh| eivj ta. koina. tou/ bi,ou( evpamfie,sai du,naito tou/to crh,masin( avll , evn avkalu,ptw| kai. talaipw,rw| bi,w| ceimazo,menoj zh|/( tw/n me.n avniarw/n e;cwn to. me,roj apantwn( tw/n d , avgaqw/n ouvde.n me,roj) ~Upe.r ga.r eno.j avlgw/n a[pantaj nouqetw/)3

Is demum infortunatus est homo

pauper qui educit in egestatem liberos,

cui fortuna et res ut est continuo patet.

Nam opulento famam facile occultat factio4.

1 2,23,13 : Caecilius uero hoc in loco ridiculus magis quam personae isti quam tractabat aptus atque conueniens

uideri maluit. Pour AULU-GELLE le discours doit s’adapter à la psychologie du personnage, le senex étant à ses

yeux un « bourgeois » bien sous tout rapport…même quand il lutine la petite esclave bien mise que sa femme

veut, sans doute avec de bonnes raisons, lui faire vendre (cf. extrait précédent) ! Le réalisme bourgeois de cette

morum imitatio, l’hvqopoii<a des Grecs, est étrangère à la comédie romaine antérieure à TÉRENCE. 2 2,23,18 : timet, irascitur, suspicatur, miseretur, dolet. Hi omnes motus eius affectionesque animi in Graeca

quidem comoedia mirabiliter acres et illustres. 3 404 Kock.

4 169-172 R.

Page 32: Lectures et citations des ueteres poetae dans les Nuits ...

31

Aulu-Gelle reproche à Caecilius d’avoir perdu la sobriété réaliste1 de l’original, en le

démembrant (Caecili trunca quaedam ex Menandro dicentis) et en raccommodant les

morceaux dans un style ampoulé (consarcinantis uerba tragici tumoris). A vrai dire le lecteur

moderne saurait plutôt gré au comique latin d’avoir abrégé la tirade moralisante de l’esclave

Parménon chez Ménandre, et en fait d’enflure tragique, on n’en trouve guère plus que dans

l’original. L’exclamation initiale, parodie tragique, est la même. Le vocabulaire ampoulé et

volontiers métaphorique, très présent chez ce dernier (fulakh.n( evpamfie,sai( avkalu,ptw|(

ceimazo,menoj% est absent chez son imitateur. Où se situe donc le tragicus tumor ? Sans doute

faut-il chercher du côté de la grauitas des vers de Caecilius évoquée par Horace (cf. ci-dessus

p. 29), qui se manifeste ici par les allitérations du vers 4, et qui éloigne l’auteur du mediocre

genus dicendi caractéristique de la comédie et dont Térence constitue le modèle2. Il s’éloigne

encore plus du gracile genus qu’Aulu-Gelle déplore dans la prose oratoire de C. Gracchus et

qu’il considère en revanche comme bien adapté à la comédie3.

On voit donc bien les critères qui régissent les jugements esthétiques d’Aulu-Gelle. Il

s’établit d’abord un rapport entre la pureté du langage et la pureté des mœurs4. La corruptio

dont il est question en 2,23,13 semble en effet devoir s’entendre sur ces deux plans, notre

auteur ne faisant en ce domaine que prolonger son modèle Cicéron5. Si Caecilius ne saurait

passer pour un modèle de latinitas6, on a aussi vu que son comique de farce est peu

compatible avec la notion de bienséance. Il n’était pas anodin que le poète, né chez les

Insubres, peut-être à Milan, fût un étranger de culture gauloise, ancien esclave qui plus est,

comme Aulu-Gelle le rappelle en 4,20,13. Il a beau remonter à un temps que l’auteur des

Nuits idéalise, une époque où presque tout le monde parlait un bon latin, ses origines le

disqualifient7. La subordonnée relative de 2,6,6 (cf. supra p.6) doit donc finalement être

interpétée comme une relative déterminative. La majorité des ueteres scriptores a écrit un bon

latin, à l’exclusion de ceux qui portent , tels Caecilius et Pacuvius au jugement de Cicéron, la

tare indélébile de leur barbaries domestica.

L’outrance verbale ensuite, liée au burlesque qui grossit le trait, constitue une forme

d’excès incompatible avec la vérité psychologique des caractères (conuenientia) : elle dépasse

la mesure des humanae condiciones. En 2,27,3 Aulu-Gelle montre que Salluste, en faisant le

portrait de Sertorius dans ses Histoires, s’inspire du portrait de Philippe par Démosthène8. Il

déplore que l’historien aille jusqu’à dire que Sertorius se réjouissait (maxime laetabatur) des

cicatrices qui le défiguraient : le verbe lui paraît insolens et inmodicum et ultra naturae

humanae modum, tandis que le texte de Démosthène, qui se contente d’évoquer l’acceptation

1 2,23,21 : sinceritatem ueritatemque uerborum

2 Cf. 6,14.

3 Cf. 10,3 : breuitas sane et uenustas et mundities orationis est qualis haberi ferme in comoediarum festiuitatibus

solet. 4 Sur la prépondérance des critères moraux dans la critique littéraire chez AULU-GELLE, cf. JENSEN (1997).

5 CIC. Brutus 258 : aetatis illius ista fuit laus tamquam innocentiae, sic latine loquendi.

6 cf. CIC. Att. 7,3,10 : secutusque sum non dico Caecilium (…) (malus enim auctor latinitatis est), sed Terentium

cuius fabellae propter elegantiam sermonis putabantur a C. Laelio scribi. 7 CIC. Brutus 258 : nam illorum aequales Caecilium et Pacuuium male locutos uidemus ; sed omnes tum fere, qui

nec extra urbem hanc uixerant neque eos aliqua barbaries domestica infuscauerat, recte loquebantur. 8 Sur la couronne 67.

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par Philippe de ses infirmités physiques comme rançon du pouvoir, lui semble sincerius

ueriusque et humanis magis condicionibus conueniens1.

Enfin, amateur d’antiquités, Aulu-Gelle est aussi homme de son temps. Depuis bien

longtemps déjà, la comédie ne se joue plus à Rome, mais se lit2. Elle fait l’objet de lectures

publiques3, fait partie des acroamata lors des cenae

4 : elle ne donne plus lieu à de véritables

représentations théâtrales. Il ne faut pas s’étonner dans ces conditions qu’Aulu-Gelle soit

incapable d’apprécier ce qu’un spectacle vivant, un spectacle total (jeu expressif, danse,

musique), pouvait représenter à l’âge d’or de la comédie latine. Ainsi s’explique sa préférence

pour un théâtre plus sage, plus psychologique, plus littéraire, et donc plus adapté à la simple

lecture : le théâtre de Ménandre ou de Térence. En 15,24 il cite 13 sénaires5 du De poetis de

Volcatius Sedegitus, passage où ce uetus poeta (c. 100 a. C) propose un classement des dix

meilleurs comiques latins. Caecilius y remporte la palme, Térence n’occupant que la sixième

place. Aulu-Gelle ne fait aucun commentaire, mais cette réserve pourrait bien être

déapprobatrice et condamner implicitement la prétention de Sedegitus à vouloir clore6 une

question faisant toujours débat. On peut mettre cette difficulté à se représenter et à apprécier

le jeu exubérant de la vieille comédie latine en parallèle avec la réticence dont fait preuve

Aulu-Gelle en 1,11,10-16 à propos d’une anecdote concernant l’art oratoire de C. Gracchus.

La tradition rapporte qu’une tibia contionaria l’aurait accompagné lors de ses discours, pour

exciter sa froideur ou calmer ses ardeurs, en cas de besoin. Aulu-Gelle cite Cicéron7, mais

répugne à lui donner raison sur deux points : la place du joueur de flûte derrière l’orateur et le

rôle d’aiguillon de l’instrument de musique8. Tout se passe comme s’il avait du mal à se

représenter l’éloquence vigoureuse et mouvementée d’une contio républicaine, dont

l’éloquence judiciaire de son temps n’offrait plus, avec les limites imposées par le régime

impérial, qu’un bien pâle reflet. Ce grand spectacle aussi avait depuis longtemps disparu.

******

Toujours à l’affût du mot rare et à l’écart des a uolgo protrita9, la citation des ueteres

poetae dans les Nuits n’a pas et ne peut pas avoir une fonction proprement transactionnelle10

1 2,27,4.

2 cf. PLIN. Ep. 6,21,2 : nam et comoedias audio et specto mimas.

3 cf. PLIN. Ep. 6,21,2.

4 cf. PLIN. Ep. 1,15,2.

5 1 Mo.

6 multos incertos certare hanc rem uidimus,

palmam poetae comico cui deferant.

Eum meo iudicio errorem dissoluam tibi,

ut, contra si quis sentiat, nihil sentiat.

SEDIGITVS est cité en 3,3,1 parmi les auteurs de listes non fiables, s’agissant des fabulae ambiguae de PLAUTE. 7 Brutus 3,225 : idem Gracchus (…) cum eburnea solitus est habere fistula qui staret occulte post ipsum cum

contionaretur, peritum hominem qui inflaret celeriter eum sonum qui illum aut remissum excitaret aut a

contentione reuocaret. 8 1,11,13 : Sed nequaquam sic est, ut a uulgo dicitur, canere solitum qui pone eum loquentem staret, et uariis

modis tum demulcere animum actionemque eius, tum intendere. Quid enim foret ista re ineptius, si, ut planipedi

saltanti, ita Graccho contionanti numeros et modos (…) tibicen incineret ? Sed qui hoc compertius memoriae

tradiderunt, stetisse in circumstantibus dicunt occultius, qui fistula breui sensim grauiusculum sonum inspiraret

ad reprimendum sedandumque inpetus eius efferuescentes. 9 5,21,4.

10 Il en va peut-être autrement de certaines citations grecques et des citations virgiliennes, hors du champ de

notre étude.

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consistant à introduire une référence qui établisse entre l’auteur et ses lecteurs une connivence

dans un espace culturel commun. Elle affiche en revanche, lorsque elle ne remplit pas une

fonction purement argumentative, une culture et un goût où le lecteur pourra éventuellement

se reconnaître. Le goût des antiquités est manifeste dans les Nuits Attiques et il ne fait pas de

doute que leur auteur est un amateur des ueteres poetae. Mais à la différence d’un Fronton1 et

peut-être d’un Favorinus, il ne préfère pas Ennius à Virgile, ni C. Gracchus ou Caton à

Cicéron. Sa passion des anciens auteurs cohabite avec l’adhésion à une esthétique néo-

classique pleine de déférence pour les jugements esthétiques portés par des auteurs (Cicéron,

Quintilien) dont l’auctoritas supérieure ne saurait être mise en doute. L’archaïsme doit ainsi

baisser pavillon devant l’hellénisme et l’atticisme revendiqués par l’auteur des Noctes Atticae.

S’il devait prendre parti dans le débat opposant Térence au poeta uetus qui le critique en

rival envieux, nul doute qu’il arbitrerait en faveur du plus jeune des deux, beaucoup plus

proche de Ménandre que ne le furent Plaute, Caecilius ou Luscius.

Les citations se trouvent ainsi dans les Nuits au centre de multiples tensions qui

constituent l’originalité de cette oeuvre. Leur nombre doit manifester la culture, sans jamais

verser dans l’ostentation, leur originalité permet à l’auteur d’instruire le lecteur, en lui

proposant des exemples à suivre ou à éviter, sans pour autant devenir un reprehensor

audaculus uerborum2. Le goût des mots rares s’affirme, mais doit s’effacer devant les

contraintes de la communication3. Et si la contradiction affleure parfois, elle se résout dans le

processus d’assimilation4 par lequel la prose d’Aulu-Gelle, en invitant à lire les ueteres

scriptores, se nourrit de ses lectures et, en cultivant un certain archaïsme, s’incorpore un

lexique ou des tournures qui lui confèrent une couleur et une patine originales.

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1 Sur l’influence de FRONTON et ses limites, cf. MARACHE (1967), p. XXI-XXII.

2 5,21,4.

3 C’est aussi la leçon de FRONTON, Ad Marc. Caes. 4,3 : multo satius est uolgaribus et usitatis quam remotis et

requisitis uti, si parum significent. 4 Le meus amicus de 5,21,1-3 est sans conteste un alter ego pour AULU-GELLE : Sed, opinor, assidua ueterum

scriptorum tractatione inoleuerat linguae illius uox quam in libris saepe offenderat. Cet amicus anonyme

ressemble aussi beaucoup à Favorinus, dont le style était également influencé par la vieille prose latine : cf.

BEALL (2001).

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