+ All Categories
Home > Documents > Lefort - Lectures de la guerre le Clausewitz de Raymond Aron [crítica

Lefort - Lectures de la guerre le Clausewitz de Raymond Aron [crítica

Date post: 25-Oct-2015
Category:
Upload: maxaue01
View: 25 times
Download: 0 times
Share this document with a friend
Popular Tags:
13
Claude Lefort Lectures de la guerre : le Clausewitz de Raymond Aron In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 32e année, N. 6, 1977. pp. 1268-1279. Citer ce document / Cite this document : Lefort Claude. Lectures de la guerre : le Clausewitz de Raymond Aron. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 32e année, N. 6, 1977. pp. 1268-1279. doi : 10.3406/ahess.1977.293893 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1977_num_32_6_293893
Transcript
Page 1: Lefort - Lectures de la guerre  le Clausewitz de Raymond Aron [crítica

Claude Lefort

Lectures de la guerre : le Clausewitz de Raymond AronIn: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 32e année, N. 6, 1977. pp. 1268-1279.

Citer ce document / Cite this document :

Lefort Claude. Lectures de la guerre : le Clausewitz de Raymond Aron. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 32eannée, N. 6, 1977. pp. 1268-1279.

doi : 10.3406/ahess.1977.293893

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1977_num_32_6_293893

Page 2: Lefort - Lectures de la guerre  le Clausewitz de Raymond Aron [crítica

Note critique

LECTURES DE LA GUERRE C/ausewitz efe Ray/none Aron

Penser guerre Clausewitz ce titre choisi avec bonheur par Raymond Aron plus un sens il fait entendre que interprétation se développe sur plusieurs registres Pour une part le livre porte sur Clausewitz écrivain qui fut le premier vouloir faire de la guerre objet une science rigoureuse Sans doute autres étaient-ils intéressés la guerre avant lui ils avaient tenté de définir art de la conduire ils avaient parlé de la stratégie et de la tactique des problèmes particuliers de attaque et de la défense du mode de recrutement des armées de leur discipline et de leur approvisionnement de la disposition des troupes sur le champ de bataille des conditions géographiques dont doit tenir compte le chef militaire Avant lui déjà Machiavel avait eu le souci de lier la guerre et la politique et ses idées avaient obtenu un large écho au xvie siècle notamment en France Mais il revient Clausewitz avoir cherché penser la guerre comme telle subordonner toute considération particulière la tâche de la concevoir en son essence Ainsi un livre consacré Clausewitz celui de Raymond Aron prend-il naturelle ment en charge ce projet désormais associé son nom Mais son titre dit plus que Clausewitz penseur de la guerre il suggère que interprète en attachant Clausewitz attache ce qui fit objet de sa pensée la guerre Il suggère plus précisément que celui qui veut présent penser la guerre écrivain Raymond Aron est conduit affronter enseignement de Clausewitz De ce dernier sens nous ne saurions douter si le premier volume intitule VAge européen et le second VAge nucléaire est bien le signe que méditant Clausewitz et la pensée clausewitzienne de la guerre leur auteur ne cesse de penser de sa propre place la guerre celle du début du xixe siècle et celle de la fin du xxe la guerre moderne

Multiple intention donc que celle Aron Comment étonnerait-on Toute interpré tation digne de ce nom se meut dans un espace plusieurs dimensions Elle implique des questions distinctes sans doute mais qui se renvoient nécessairement les unes aux autres et se combinent dans une seule interrogation La question qui porte sur oeuvre sur intention de son auteur sur la logique interne du discours cette question serait sans force sans vérité si elle était liée la question qui porte sur ce que uvre est faite pour penser et donner penser et si elle était encore liée la question elle éveille en nous celle-ci déjà formée ou prête se former dans les horizons de notre vie Pour le dire brutalement seule industrie universitaire pu produire des travaux en masse qui se circonscrivent la connaissance des écrits un auteur dans un souci purement tech-

1268

Page 3: Lefort - Lectures de la guerre  le Clausewitz de Raymond Aron [crítica

LEPORT LE CLAUSEWITZ DE ARON

nique ou historique est-à-dire dans indifférence la vérité mise en jeu Le livre de Raymond Aron qui par son érudition relève du genre de la critique universitaire est assigné des uns qui en détachent Mais il se distingue également par son souci de ne pas exploiter Clausewitz au service une démonstration La véritable interprétation trouve effectivement son chemin ce prix Elle se soumet exigence de prendre en charge le discours de autre dans le respect des choses dites dans le temps même où elle se laisse induire par ce discours son objet et cherche penser ce qui pas encore été pensé

Rien au reste dans ces remarques qui soit de nature définir une théorie générale de interprétation Et puisque Raymond Aron veut bien faire allusion au début de son introduction mon propre livre sur Machiavel je souhaite signaler au passage il se trompe vouloir imputer ambition une telle théorie Il importait seulement de réfléchir sur le problème philosophique de interprétation pour éclairer ma propre pra tique non de forger un système ou indiquer une méthode Comment ne le suivrais-je pas quand il écrit Une même théorie de interprétation ne vaut pas pour tous les au teurs et chaque interprète garde sa liberté ajouterai seulement que la liberté chacun la traduit dans sa démarche mais aussi la conquiert difficilement épreuve de impos sible détermination de la distance de soi autre on consulte la Préface de ouvrage de Raymond Aron Elle fait bien connaître les

conditions dans lesquelles se forme interprétation auteur rapporte il eut une pre mière rencontre avec Clausewitz en 1935 alors il se trouvait en Allemagne puis une seconde rencontre Londres pendant la guerre chaque fois grâce un ami historien dont les travaux et la conversation avaient éveillé son intérêt Ce est en 1955 il lut le Traité dans la traduction de Denise Naville Mais alors même il entrait désor mais dans une familiarité durable avec son uvre il ne se souciait encore que en exploiter certaines formules Londres elle demeurait pour lui un trésor de citations et plus tard composant Paix et guerre entre les nations il ne fait encore que utiliser une manière précise-t-il qui ne le satisfait plus présent En revanche le désir in terpréter ne lui vient que il raccorde expérience de la guerre en notre propre temps et les questions elle lui pose expérience de la guerre au temps de Clau sewitz et aux questions que celui-ci formulait En bref il quelque connaissance de Clausewitz avant avoir lu son uvre majeure Il la lit la médite en fait son profit avant elle ne devienne en tant que telle objet de son interrogation Et elle le devient quand les problèmes du présent se font plus pressants La quête du sens de la guerre dans le présent ne le détourne pas le reconduit impérativement au contraire Clau sewitz se convertit en une quête du sens de uvre Il enfouit alors dans étude des textes pour déterminer les dates et distinguer les états successifs de la pensée goûter le plaisir que donnerait un roman policier amputé de son premier chapitre

Raymond Aron il est vrai affirme on ne doit pas confondre les divers plans une interprétation étude de Clausewitz est une chose Elle implique celle du cadre de sa pensée par une enquête historique sur son milieu sur les événements qui consti tuaient la matière de son expérience sur sa formation et elle requiert élucidation de son système de pensée la faveur une étude minutieuse des textes pris dans leur chronolo gie étude des représentations et des interprétations que uvre engendrées est autre chose Et encore autre chose celle que nous tentons de faire de la guerre au xxe siècle dans le prolongement de la pensée de écrivain

Personne ne saurait opposer raisonnablement ces propositions-recommandations Il va de soi notamment que interprète faillirait sa tâche il voulait faire parler Clausewitz sa propre langue et lui imposer son propre système conceptuel On peut toutefois se demander si les distinctions tranchées que souligne Introduction peuvent être observées dans le travail même de interprétation Aron note Machiavel Marx Clausewitz méditèrent sur certains problèmes ils tentèrent de répondre certaines quês

269

Page 4: Lefort - Lectures de la guerre  le Clausewitz de Raymond Aron [crítica

LES FORMES DU POLITIQUE

tions que leur posaient les contemporains la société laquelle ils appartenaient Ils don naient aux mots ils employaient un sens que historien découvre en étudiant aussi bien leurs textes que ceux de leurs adversaires ou partisans II raison Et autant plus il précise aussitôt que interprétation historique épuise le contenu aucune grande

uvre Mais cette dernière réserve ne suffit pas Car le fait est un écrivain puise dans son temps de quoi penser pour autres temps et il ne se lie pas seulement des contemporains mais veut être lu par des hommes qui auront une autre expérience que la sienne De telle sorte que le lecteur présent ne lui est pas infidèle il mêle ses pensées aux siennes lorsque au cours de sa lecture il charge les réponses il croit entendre du poids de ses propres questions enquête historique ne lui permet pas de effacer devant objet Elle est elle-même possible que parce elle met en jeu sa sensibilité au monde il habite

Quant aux représentations et aux interprétations déjà élaborées dont nous avons pour une part connaissance avant avoir lu uvre qui les suscitées elles ont certes pas le même statut que le texte que nous voulons comprendre mais nous les prenons en charge plus ou moins délibérément elles contribuent nous donner un accès ce texte soit elles servent son intelligence soit en le dénaturant elles nous provoquent reconnaître ce qui est éludé ou masqué Comme nous le signalions Raymond Aron confie il connaissait quelque chose de Clausewitz avant avoir lu le Traité il suggère il est affranchi un préjugé Enfin on voit que son renversement du sens tradi tionnel de la célèbre formule clausewitzienne porte la marque une réfutation de opi nion établie Et si on en tient la lecture du premier volume apparemment limité analyse des textes de écrivain on mesure la part qui est faite en elle la discussion interprétations antérieures Contentons-nous de relever ce passage 170 Pourquoi idée que la fin de la guerre détermine la fin dans la guerre est-elle pas banale ou tri viale La meilleure manière de réfuter accusation de banalité ou de trivialité me paraît encore de suivre une voie indirecte je souligne et de passer en revue quelques interpréta tions fausses Je crus longtemps moi aussi en raison de usage que la propagande fit maintes fois de la Formule que celle-ci exprimait ou supposait une philosophie milita riste des relations internationales Quelle meilleure preuve on ne saurait séparer absolument interprétation de uvre de interprétation des interprétations

Dans sa Préface et son Introduction Aron tient parfois des propos qui surprennent et paraissent peu conformes la relation il établit avec Clausewitz Par exemple in tention de Clausewitz elle se livre elle-même qui consent le lire attentivement

23 Et encore interpréter est avant tout comprendre ce il dit en partant de cette hypothèse de bon sens il dit ce il voulait dire 18)

On dirait alors il se défend contre sa propre liberté interprète ou contre le risque inhérent interprétation des textes dont il se montre ailleurs pleinement convaincu ou contre indétermination une uvre laquelle il est plus que tout autre sensible De fait il écrivait aussi dans sa Préface on le veuille ou non enseignement de Clausewitz reste et restera toujours ambigu 12 était annuler hypothèse de bon sens Car nul écrivain ne veut ambiguïté Et dans Introduction après avoir de nouveau jugé que intention ne prête pas au doute il observait que Clausewitz est pas arrivé lui-même tirer au clair ses propres idées ou mieux encore de multiples occasions interprète se demande si homme Clausewitz exprime toujours en un langage qui accorde avec la logique de son système 24)

Notre interprète assurément souligne inachèvement du Traité et juge en consé quence que celui-ci pas pu résoudre sa propre énigme 143 Mais les questions il formule sur le sens dernier de la synthèse clausewitzienne ne surgissent pas seule ment du fait que uvre est inachevée Au ur du livre il écrit Nous voici parvenu

interrogation décisive entre le principe anéantissement et la suprématie de la poli-

1270

Page 5: Lefort - Lectures de la guerre  le Clausewitz de Raymond Aron [crítica

LEFORT LE CLAUSEWITZ DE ARON

tique a-t-il pas en profondeur divergence et peut-être incompatibilité 143 est là suggérer que intention de Clausewitz était équivoque Et il demande encore

la fin de sa vie Clausewitz craignait-il aussi les erreurs par excès La logique de sa pensée je souligne le conduisait dans cette direction même il arrêta interdit devant les perspectives inconnues qui ouvraient devant lui 144 est cette fois suggérer que inachèvement tient un événement intellectuel Ce dernier jugement de Raymond Aron paraît bien fondé Mais il est ne faut-il pas reconnaître plus fermement la liberté de interprète convenir il arroge le droit de distinguer ce que auteur dit de ce il voulait dire et davantage même de distinguer ce il voulu dire de ce il était mis dans la nécessité de dire et devant quoi il arrêta interdit

Quand interprète se réfère une logique de la pensée il ne évade pas de la lettre du texte certes mais il fait valoir un ordre de détermination invisible Le concept in tention perd de sa pertinence Cette logique ne offre pas qui consent lire attenti vement Elle se livre dans le non-dit comme dans le dit Mieux interprète hésite pas dans la conviction où il est de la découvrir induire du texte ce il ne contient pas faire parler auteur au-delà du point où il est arrêté Or cette démarche est pas infidèle celle de Clausewitz elle témoigne au contraire de la plus grande attache écrivain dont on voulu penser la pensée

Et comment ne pas observer enfin au moment même où Aron met en évidence la logique de la pensée il nous fait accueillir indétermination qui la travaille Quand il écrit Nous voici parvenu interrogation décisive. il ne pose pas un problème il résoudra ensuite Ce problème pas été posé pour être résolu Il accompagne les analyses ultérieures Il grandit ce que interprète déclare Le général découvre pour ainsi dire impossibilité de la théorie il voulut élaborer 355 Et plus loin

Le testament intellectuel de Clausewitz pour qui en suivi là logique ne constitue pas un reniement de oeuvre de sa vie entière mais il en constitue une remise en question

356) Or on ne croie pas que ces propos se situent aux franges de interprétation ils se

logent en leur centre Selon Aron les découvertes de Clausewitz entre 1827 et 1830 soit dans la toute dernière période de sa vie éclairent le cheminement de sa pensée depuis 1804 et simultanément elles lui imposeraient de remanier son Traité remaniement qui ne concernerait pas tant le détail que la perspective générale et ordonnance de ou vrage qui annulerait pas le travail accompli en un sens il serait appelé par lui mais rendrait caduque la théorie initiale

Abandonnons donc les considérations Aron sur la méthode et parfois éthique de interprétation pour tenter de cerner son argument Audacieux plus il ne le laisse en tendre joignant le souci rigoureux du déchiffrement des textes et de leur genèse celle une interrogation sur uvre de Clausewitz et sur la guerre cet argument me paraît éminemment dialectique Il tend établir le vrai Clausewitz en faisant surgir une contradiction ultime Cette contradiction reconnue il devient la fois possible de donner sens ensemble de ses écrits et de les subordonner exigence un nouveau départ exigence non remplie et qui sans doute ne pouvait être Il devient la fois possible de dénoncer la défiguration de ses écrits par la postérité et de expliquer voire en fournir la justification relative

Quel est donc le point de vue que gagne Clausewitz la fin de sa vie sur ensemble de son travail et qui modifie sa tâche La réponse est étayée sur établissement minu tieux de la chronologie des textes Elle tire partie surtout de deux notes une dite Aver tissement de 1827 autre Note finale elles sont en tête de la traduction de Denise Naville) Sans entrer dans le détail de cette analyse il importe en faire ressortir les con clusions En 1827 Clausewitz se fixe pour objectif de rédiger le Livre vu puis la lumière de deux idées majeures de rédiger le Livre viii enfin de réviser les six pre-

1271

Page 6: Lefort - Lectures de la guerre  le Clausewitz de Raymond Aron [crítica

LES FORMES DU POLITIQUE

miers livres dans le même esprit Ce plan semble-t-il ne sera pas suivi Ce est pas le Livre vu qui occupera en premier lieu consacré aux problèmes de attaque) mais le vin dont il attend le couronnement de son ouvrage il porte sur le plan de guerre et rassemble tous les éléments auparavant traités Mais essentiel est pas là Le Livre vin acquiert pour notre interprète un statut privilégié car il témoigne une ré flexion nouvelle de auteur en raison des deux idées majeures il existe deux sortes de guerre la guerre se définit comme la poursuite de la politique par autres moyens La seconde conclusion se tire de la Note finale On apprend que seul le chapitre du Livre est considéré comme achevé Il faut donc admettre que la rédaction de ce cha pitre est postérieure celle du Livre vin donc que ce dernier si important soit-il ne donne pas le dernier état de la pensée de Clausewitz et fortiori que le reste du manus crit pas atteint aux yeux mêmes de son auteur une formulation satisfaisante Ce chapitre du Livre donc un statut doublement privilégié Or il contient outre les deux idées majeures mentionnées une troisième idée laquelle celles-ci avèrent subor données la distinction de la guerre absolue guerre idéale conforme son concept la nature de la chose et de la guerre réelle il ne agisse pas en 1827 une rupture avec les écrits antérieurs Aron le sou

ligne fortement au moins quant la subordination de la guerre la politique Dans la Stratégie de 1804 13 en effet Clausewitz distingue déjà les fins de la guerre équiva lent des fins politiques et les fins dans la guerre 92 Et il ne agisse pas non plus avec la rédaction du chapitre une rupture cette fois avec argument du Livre vin il

insiste également Mais un principe est par deux fois éclairé et qui appelle une modification de architecture du Traité Au point que notre interprète peut écrire Si étonnante que puisse sembler cette affirmation Clausewitz posé les fondations de sa cathédrale conceptuelle savoir irréalité de la guerre absolue que dans les deux der nières années de sa vie entre 1827 et 1830 118)

de multiples reprises Aron met en évidence la continuité et la discontinuité de la réflexion Des premiers textes de Clausewitz il conclut une part Clausewitz semble déjà maîtriser sa méthode et posséder ses idées majeures un autre côté idée qui plus que toute autre contribué sa gloire je veux dire la guerre continuation de la politique par autres moyens ou bien apparaît pas ou bien apparaît en filigrane sans elle affecte la considération purement militaire 93)

Concentrons donc notre attention sur les motifs qui auraient déterminé Clausewitz repenser son travail dans la dernière période et faire après le Livre ni un nouveau pas Mieux vaut citer longuement évolution de la pensée de Clausewitz au cours de ses dernières années se résumerait de la manière suivante Le contraste entre la manière de faire la guerre aux xviie et xvine siècles le frappe au cours de ses études historiques Il con oit donc abord la dualité des espèces Il exprime cette dualité en se référant la pratique napoléonienne abattre ennemi pratique il considérait jusque-là comme normale logique nécessaire les autres pratiques lui apparaissant autant plus dégénérées elles portaient la responsabilité des défaites subies par les coalisés et des victoires de la France revolutionaire et impériale

Bien entendu il avait pas ignoré les conditions politiques des guerres de cabinet indifférence des peuples pas plus il avait ignoré la participation du peuple entier au cours de la période postérieure Ce qui manque est la mise sur le même plan de la guerre qui tend vers la forme extrême anéantissement des forces armées et le renver sement de tat ennemi et de la guerre qui en éloigne le plus conquête une pro vince aux frontières ou observation armée Dans sa jeunesse il introduit dans sa théorie les forces morales dans son âge mûr il introduit les distinctions concep tuelles nécessaires pour réconcilier la théorie transhistorique et histoire autrement dit

1272

Page 7: Lefort - Lectures de la guerre  le Clausewitz de Raymond Aron [crítica

LEFORT LE CLAUSEWITZ DE ARON

les deux formes extrêmes de guerre chacune elles conditionnée ou déterminée par les circonstances ou les intentions politiques 118)

Telle est donc la prise de conscience il est impossible de séparer la guerre conforme son concept qui viserait la destruction de ennemi une guerre dénaturée cette

représentation est inacceptable elle aurait pour conséquence de réduire au silence la théorie dans la plupart des cas De fait Clausewitz remarque Que pourrons-nous dire alors de toutes les guerres depuis Alexandre et de certaines campagnes des Romains

Bonaparte Il faudrait les mettre au rancart et sans doute ne pourrons-nous pas le faire sans être effrayé de notre présomption Et il introduit aussitôt un autre argu ment dont son interprète fait état plus loin rien autorise affirmer que dans avenir

court terme on aura pas de nouveau affaire des guerres de la seconde espèce Mais le pire est que nous devons admettre que dans les dix prochaines années on

pourrait bien voir une guerre de ce genre en dépit de notre théorie et que cette théorie avec sa logique rigoureuse est encore tout fait impuissante contre la force des circons tances VIII 673)

suivre Raymond Aron ce que découvrait Clausewitz en 1827 et quoi il donnait expression dans le Livre vin requérait un nouveau fondement Pour fonder égalité de statut des deux sortes de guerre il devait reconnaître irréalité de la guerre absolue il prétendait jusque-là en de multiples textes comme seule conforme au concept 118)

Sans doute pourrait-on objecter que cette conception était pas absente du Livre vin Le fait est il expose dans le chapitre intitulé éloquemment guerre absolue et guerre réelle En outre le chapitre cohérence interne de la guerre contenait une sorte de survol de histoire de la guerre qui la montrait indissociable du caractère historique des tats et des rapports inter-étatiques Ainsi la représentation de toute guerre comme guerre réelle quelle que fût son espèce introduisait logiquement la grande idée du chapitre la guerre est un instrument de la politique

Dès lors que la guerre dans ses multiples variantes perdait son autonomie il avérait déjà nécessaire de rendre manifestes et son unité et la forme commune de sa dépendance Cette unité écrivait Clausewitz consiste dans le concept que la guerre est une partie des rapports politiques et par conséquent nullement quelque chose indépendant On sait évidemment que seuls les rapports politiques entre gouverne ments et nations engendrent la guerre mais on se figure généralement que ces rapports cessent avec la guerre et une situation toute différente soumise ses propres lois et elles seules établit alors Nous affirmons au contraire la guerre est rien autre que la continuation des relations politiques avec appoint autres moyens VIII 703

Mais analyse de Raymond Aron nous le suggérions veut éclairer équivoque de Clausewitz cette étape et faire mesurer le chemin parcouru dans le chapitre du Livre Telle est en effet sa conviction que il franchit un pas décisif dans le Livre vin avec opposition de la guerre absolue et de la guerre réelle Clausewitz continue assi miler ici et là la guerre absolue la guerre selon son concept En tout cas sa représenta tion semble bénéficier un statut privilégié 120 Il est dit au chapitre elle doit fournir le point de référence général Dans le chapitre que la guerre de seconde espèce doit être utilisée comme une modification de la première justifiée par les circons tances incertitude de Clausewitz est encore soulignée par usage il fait de la notion de demi-guerre comme si demeurait une opposition entre guerre intégralement guerre et guerre affectée par la politique 121)

Or le chapitre du Livre délivrerait de ces ambiguïtés Pourquoi Parce il ache minerait le lecteur très délibérément et rigoureusement une définition initiale une définition finale celle-ci seule susceptible de appliquer toutes les guerres et de fonder une théorie cohérente

Résumons argument La définition initiale est donnée dans le La guerre est

1273

Page 8: Lefort - Lectures de la guerre  le Clausewitz de Raymond Aron [crítica

LES FORMES DU POLITIQUE

un acte de violence destiné contraindre adversaire exécuter notre volonté De celle-ci se déduit le mouvement ascension aux extrêmes Clausewitz met en évidence trois actions réciproques En fait tout est dit avec énoncé de la première Chacun des adversaires fait la loi de autre Les deux suivantes signale justement Aron décompo sent la première une en prenant en considération aspect physique et autre aspect moral de la lutte Or cette définition initiale est avancée que pour être renvoyée au domaine abstrait du pur concept partir du Tout prend nous dit auteur une forme différente si on passe de abstraction la réalité La guerre montre-t-il succes sivement est jamais un acte isolé elle ne consiste pas en un seul coup sans durée enfin elle est jamais quelque chose absolu dans son résultat Utilisant selon ses propres termes la méthode des modifications dans la réalité auteur induit

rendre la politique aux motifs du conflit aux fins visées leur importance exacte 112 Dès lors indique la possibilité un autre mouvement que ascension aux ex

trêmes lequel était donné dans abstraction celui de la descente la simple obser vation armée 11 qui effectue dans le réel En la troisième étape Clausewitz met en évidence plusieurs facteurs qui tendent nouveau dégager les traits effectifs de la guerre du schéma idéal abord prenant en considération un phénomène jugé para doxal un point de vue logique la suspension des hostilités il paraît inintelli gible que les deux adversaires tirent un égal avantage un arrêt provisoire des opé rations si est avantage de un de différer le combat ce devrait être celui de autre de engager) il enseigne que le principe de polarité ne applique pas dans ce cas du fait que attaque et la défense sont asymétriques ou si on préfère elles ont une force inégale la seconde étant supérieure la première Ainsi se découvre une autre possi bilité de frein ascension aux extrêmes

Une seconde cause est mentionnée 18 qui peut contrarier enchaînement des opérations la connaissance imparfaite de la situation par les acteurs La possibilité une trêve introduit dans acte de guerre une nouvelle modération elle le dilue dans le facteur temps elle freine le danger de sa progression et accroît les moyens de restaurer équilibre des forces Par la même raison la fonction des hypothèses dans la conduite des opérations prend une importance décisive de sorte que la guerre se rapproche un calcul de probabilités on ajoute au défaut informations un nouvel élément le hasard et la guerre se

dévoile comme un jeu Nous voyons donc que dès origine élément absolu en quel que sorte mathématique de la guerre ne trouve aucune base certaine sur laquelle fonder les calculs relatifs art de la guerre il mêle emblée un jeu de possibilités et de probabilités de bonne et de mauvaise fortune qui se poursuit le long de chaque fil dont est tissée sa trame et qui fait de la guerre activité humaine qui ressemble le plus un jeu de cartes 21 Ces observations incitent mettre en valeur les qualités spécifiques du chef de guerre qualités qui ne sont pas simplement celles de entendement le courage la bravoure audace même ont partie liée avec accidentel Sans exclure la sagesse et la prudence elles introduisent un nouvel élément qui marque la limite du schéma idéal et dont doit tenir compte la théorie

est au terme de cette troisième étape que Clausewitz revient au thème de la poli tique Au moment ou il poussé au plus loin opposition de intellectuel et de affec tif de entendement et des qualités morales comme le dit Aron 115) auteur réta blit un principe général intelligibilité mais en se situant sur un nouveau registre celui il établi depuis le celui du réel Ainsi écrit-il 23) Telle la guerre tel le commandant qui la conduit et telle la théorie qui la régit Mais la guerre est ni un passe-temps ni pure et simple passion du triomphe et du risque non plus que uvre un enthousiasme déchaîné est un moyen sérieux au service une fin sérieuse

Quelle fin La politique Voilà désormais argument que Clausewitz va développer

1274

Page 9: Lefort - Lectures de la guerre  le Clausewitz de Raymond Aron [crítica

LEFORT LE CLAUSEWITZ DE ARON

en soulignant dans sa célèbre formule que la guerre est une simple continuation de la politique par autres moyens que cette dernière est pas seulement son origine mais lui dicte sa conduite que une et autre espèce de guerre sont également politiques même si la première semble abolir objectif politique dans objectif militaire dès lors on entend par politique intelligence de tat personnifié

Faisons ressortir une articulation de argument Tandis il éloigne de la définition initiale pour mettre en évidence les traits de la guerre réelle Clausewitz montre la com plexité du phénomène Mieux elle apparaît et plus avère limitée la part de entende ment dans la guerre Non il ait pas exercer il calcul des probabilités mais son élément est incertitude cette limite se trouve pleinement rétabli le pouvoir de entendement politique de entendement de la guerre Sitôt la théorie est en mesure de prendre en charge ensemble des données analysées ou comme dit Clausewitz les

trois tendances qui apparaissent comme autant de législatrices Raymond Aron peut bon droit juger que la définition finale est aboutissement

rigoureux de la démarche de écrivain appelée elle est se substituer la définition initiale

Définition trinitaire qui efface la définition moniste et seule applique toutes les guerres réelles La guerre écrit Clausewitz est donc pas seulement un véritable caméléon qui modifie quelque peu sa nature dans chaque cas concret mais elle est aussi comme phénomène ensemble et par rapport aux tendances qui prédominent une éton nante trinité où on retrouve abord la violence originelle de son élément la haine et animosité il faut considérer comme une impulsion naturelle aveugle puis le jeu des probabilités et du hasard qui font elle une libre activité de âme et sa nature subor donnée instrument de la politique par laquelle elle appartient entendement pur

Grâce la définition trinitaire il semble donc que la théorie soit définitivement réconciliée avec la réalité Chaque guerre réelle ou si on préfère toutes les espèces de guerre les deux formes extrêmes et toutes formes intermédiaires se laissera conce voir en fonction de la combinaison singulière des tendances qui manifestent Suivant le cas envisagé on verra prédominer élément violence et la part du peuple ou élément hasard et la part du commandant liée au courage et au risque calculé ou bien la part du gouvernement Mais dans tous les cas les trois tendances se repéreront tout en variant de grandeur Il agira apprécier justement ces grandeurs La théorie qui voudrait en laisser une de côté ou qui établirait entre elles un rapport arbitraire se mettrait immédiatement dans une telle contradiction avec la réalité il faudrait la considérer comme nulle pour cette seule raison Et Clausewitz ajoute plus explicitement si pos sible Le problème consiste donc maintenir la théorie au milieu de ces trois ten dances comme en suspension entre trois centres attraction

Que Raymond Aron soit fondé donner la définition trinitaire un statut privilégié comment en douterait-on Elle nous livre le dernier état de la pensée de Clausewitz Et comment se déroberait-on dès lors devant ses implications Le général prussien nous dit son interprète ne saurait être le théoricien de la guerre absolue Celle-ci il la tient pour irréelle il en construit le concept est parce que expérience historique la guerre napoléonienne lui révélé opposition de la guerre objectif limité et de la guerre qui tend prendre une forme absolue et ordonne selon la logique de ascension aux extrêmes Mais ce mouvement il montré il ne accomplit jamais Et une fois on repéré on est mis en demeure de rendre raison de son échec Or cette démar che induit pas seulement détecter dans le réel les facteurs qui freinent le mouvement ou en inversent le sens elle fait découvrir par-delà les limites internes acte de guerre sa limitation essentielle elle est rigoureusement subordonnée la politique

En ce sens la logique de la pensée de Clausewitz lui impose élaborer une analy tique de la guerre Et au niveau de la doctrine elle exclut un enseignement au sens où

1275

Page 10: Lefort - Lectures de la guerre  le Clausewitz de Raymond Aron [crítica

LES FORMES DU POLITIQUE

des impératifs action seraient de nature appliquer universellement elle autorise déduire de la théorie que des conséquences conditionnelles toute proposition supposée conforme esprit de la guerre ne valant que dans hypothèse destruction de en nemi Enfin loin aboutir une valorisation de élément volontariste et irrationnel elle privilégie le rôle de intelligence politique incarne le chef tat

Reste que les implications de la théorie trinitaire Clausewitz ne les pas formulées Et son interprète ne laisse pas croire que seul le temps lui manqué il rappelle plusieurs reprises inachèvement du Traité Il efforce de restituer le vrai Clausewitz mais sans masquer la distance qui le sépare du Clausewitz tel il apparaît en nombre de ses écrits Davantage il souligne les difficultés de la synthèse finale faire douter que le vrai Clausewitz ait pu accepter ou mieux dire que auteur ait jamais consenti assumer la vérité qui sortait de lui

De quelles difficultés agit-il Reportons-nous la dernière partie du chapitre dans lequel Aron établit la fonction nouvelle de la définition trinitaire Après avoir montré le progrès accompli dans le chapitre du Livre sur le Livre vin il revient sur ce dernier pour interroger un texte il juge bon droit énigmatique est pourquoi nous devons dire que objectif que se fixe celui qui entreprend la guerre les moyens il mobilise se déterminent après les traits strictement individuels de la situation mais ils doivent aussi porter le caractère de époque et des circonstances générales enfin ils demeurent soumis aux conséquences générales qui doivent être tirées de la nature générale de la guerre est au dernier membre de la phrase que attache interprète

Quelles conséquences demande-t-il doivent être tirées de la nature est-à-dire de essence du concept de la guerre Le principe de anéantissement des forces armées en tant objectif prioritaire dominant Certes mais que reste-t-il de ces conséquences générales tirées du concept partir du moment où celui-ci ne applique une guerre fictive séparée de ce qui la précède et de ce qui la suit partir du moment où la poli tique fixe objectif militaire conduit les opérations et tranche en dernière instance Quelle valeur conservent les préceptes déduits une définition de la guerre fictivement autonome 143)

Or la question posée conserve toute sa légitimité après le commentaire du chapitre Comment ignorer Ici se place la phrase déjà citée Nous voici parvenu inter rogation décisive Entre le principe anéantissement et la suprématie de la politique a-t-il pas divergence et peut-être incompatibilité De fait cette suprématie de la poli tique nous avons appris est nulle part mieux affirmée que dans Inutile de résumer le débat Aron entame alors avec Schering seule sa conclusion nous retient elle dévoile ambiguïté dernière du Traité Ou bien nous dit-il en substance la destruc tion des forces armées de ennemi demeure un objectif prioritaire sinon exclusif mais alors que devient la subordination du plan de guerre intelligence du chef

tat autrement dit la suprématie de la politique Ou bien la priorité de la destruc tion de valeur que un point de vue strictement logique en conséquence de la définition de la guerre en tant que telle séparée de ses origines et de ses fins mais alors elle perd les implications praxéologiques qui lui ont été constamment données Or cette alternative il paraît impossible de la dépasser Car nul doute Clausewitz définitivement subordonné le militaire au politique mais il cessé de prétendre joindre la pratique la théorie

Cependant dans le prolongement de interrogation de Raymond Aron il paraît nécessaire de poser une autre question Quelle est la fonction de la définition initiale de la définition dite moniste le terme est de Schering il est vrai que seule la définition trinitaire doit être en définitive retenue

Nous ne songeons pas nier la critique que fait Clausewitz de sa première définition Il lui attribue un caractère logique idéal abstrait ou philosophique Il affirme avec force

1276

Page 11: Lefort - Lectures de la guerre  le Clausewitz de Raymond Aron [crítica

LEFORT LE CLAUSEWITZ DE ARON

elle ne vaut que pour une guerre coupée de ses origines et de ses fins Mais pourquoi avance-t-il Est-ce pour repérer le phénomène de ascension aux extrêmes Cepen dant ce phénomène ne serait-il pas saisissable dans une théorie de la guerre réelle puis elle est capable de faire place idée que chacun fait la loi de autre Raymond Aron croit pouvoir trancher entre le problématique du Livre vin et du Livre Dans le premier chronologiquement parlant la guerre absolue ou guerre parfaite relève déjà du pur concept elle est donc déjà irréelle mais il une espèce de guerre qui se rapproche de la guerre absolue et on peut dire conforme son concept tandis que toutes les autres guerres appréhendent dans histoire Dans le Livre en revanche les guerres qui se rapprochent de la perfection ne sont ni plus ni moins politiques que les autres est la politique même qui détermine leur caractère absolu 121)

Ainsi interprète conclut-il sur ce point Dans le Livre vin idéalité de la guerre absolue tient la distance inévitable entre le concept et le phénomène dans le Livre elle tient aussi une définition partielle de la guerre ibid. Entendons que celle-ci in clut pas encore élément politique Mais cet aussi que nous soulignons est troublant Car il faut admettre que opposition concept/phénomène persiste autrement dit on ne saurait réduire la définition initiale une partie de la définition trinitaire Et de fait com ment le pourrait-on puisque élément violence abord mentionné est rattaché la haine et animosité impulsion naturelle et aveugle et non pas la volonté Cette remarque me semble décisive la définition initiale écartée dans la suite parce elle ne en tient au concept de la guerre se donne abord comme une définition complète ce elle nous livre est la nature de la chose est essence En ce sens Clausewitz peut bien prendre distance par rapport cette définition il ne saurait la sup primer Et elle continue pour lui de rendre possible la lecture du réel et plus encore éclairer action

Au demeurant Raymond Aron en vient modifier son interprétation de la problé matique du premier chapitre quand il analyse la relation de la théorie avec histoire Il faut ici le citer longuement il en soit de origine de la théorie il ne me paraît pas douteux que cette dernière résulte une combinaison analyse conceptuelle et expérience historique cet égard Clausewitz pas changé entre les écrits de jeu nesse et son testament intellectuel quels que soient les progrès accomplis entre les frag ments de 1804 et la cathédrale conceptuelle de 1830 Si même les textes ultimes nous paraissent parfois équivoques la raison en est que la conceptualisation clausewitzienne caractéristique de la pensée du xvme siècle oscille entre deux pôles le type idéal essence ou encore le modèle simplifié une part la réalité concrète de autre Aux yeux un scientifique aujourdhui le chapitre prend pour point de départ un modèle et il découvre en chemin sous le nom de polarité le jeu somme nulle égalité de avantage de un et de la perte de autre Mais dans la notion de guerre absolue ou de forme absolue de la guerre Clausewitz investit davantage de signification que nous ne le faisons dans un modèle au type idéal simple instrument de intelligence désireuse appréhender une réalité complexe 323)

Laissons de côté le parallèle esquissé avec Marx interprète hésite pas dans ce passage restituer la guerre absolue un rapport au réel il semblait avoir effacé Du même coup il autorise redécouvrir dans le Livre vin là où enracinement de la théorie dans histoire est manifeste un mode de pensée qui ne saurait être disqualifié Dans le chapitre vin on signalé Clausewitz distingue guerre absolue et guerre réelle Il attache alors montrer pourquoi la guerre devient dans la réalité quelque chose de tout différent de ce elle devrait être après son concept une affaire miti gée une essence sans cohésion interne Fort subtil est son argument En bref est sous cet aspect elle se présente un peu partout il faudrait donc douter de la notion de son essence absolue mais nous avons vu de nos jours la guerre réelle

1277

Page 12: Lefort - Lectures de la guerre  le Clausewitz de Raymond Aron [crítica

LES FORMES DU POLITIQUE

dans sa perfection absolue impitoyable Bonaparte poussée ce point est-il pas nécessaire de concevoir la guerre partir de cette expérience mais

comment mettre au rancart la plupart des guerres antérieures et faut-il exclure hypothèse que dans un proche avenir se déroulent des guerres objectif limité

enfin comment oublier que la guerre de Bonaparte elle-même est une guerre réelle qui procède des idées sentiments et circonstances du moment Or la conclusion de argument est claire La théorie doit admettre tout cela mais son devoir est de donner la première place la forme absolue de la guerre comme un point de référence de sorte que celui qui veut apprendre quelque chose en théorie ne habitue jamais le per dre de vue et le considère comme la mesure fondamentale de ses espoirs et de ses crain tes afin de en approcher là où il le peut ou là où il le doit souligné par Clausewitz vin 673)

Soit écrivain ne juge pas que les guerres futures seront nécessairement des guerres absolues mais il pense que Napoléon en quelque sorte libéré esprit de la guerre et créé les conditions une connaissance de la guerre en tant que telle Des caractères des guerres dans un avenir prochain il interdit de décider Toutefois reformulant ses doutes dans le chapitre il précise mais chacun de nous accordera une fois ren versées les bornes du possible qui existaient pour ainsi dire que dans notre inconscient il est difficile de les relever et enfin chaque fois que de grands intérêts sont en question hostilité mutuelle se déchargera de la même fa on elle fait notre époque 689)

Non seulement ces considérations ne sont pas étrangères idée que la guerre est un instrument de la politique mais dans le chapitre où il met celle-ci pleinement en évi dence il écrit Si la guerre appartient la politique elle prendra naturellement son caractère Si la politique est grandiose et puissante la guerre le sera aussi et pourra même atteindre les sommets où elle prend sa forme absolue Dans cette conception nous ne devons pas perdre de vue la forme absolue de la guerre et son image doit plutôt demeurer en permanence arrière-plan Et ajoute-t-il encore Seule cette concep tion de la guerre lui restitue son unité seule elle nous permet de considérer toutes les guerres comme des choses un seul genre seule elle donne le fondement précis et vrai et le point de vue qui permettrait élaborer et de juger de vastes plans 705)

Aucun de ces textes Aron ne les ignore ou ne les passe sous silence Il suggère même parfois ils appartiennent au vrai Clausewitz Tel est du moins ce que nous entendons dans le passage déjà cité ... dans la notion de guerre absolue ou de forme absolue de la guerre Clausewitz investit davantage de significations que nous ne le faisons dans un modèle ou un type idéal ... Mais il en minimise la portée voire annule quand il affirme que dans le chapitre les deux espèces de guerre sont strictement sur le même plan Si elles le sont est du point de vue purement méthodologique en raison de la subordination de la guerre sous toutes ses formes la politique mais ce point de vue est-il pas gagné la faveur de la découverte un double changement de sens de la politique et de la guerre Or cette découverte est celle de la nature de la chose de essence De telle sorte que il bien esquissé le projet une analytique en fonction de la définition trinitaire on peut juger il reste dans la dépendance du mouvement premier qui institue unité de la guerre dégage de toutes les figures de la guerre le concept

Que Clausewitz ne doive rien Hegel Aron emploie le démontrer Au niveau de la conceptualisation et de la méthode il raison Mais on ne peut empêcher de faire le rapprochement la lecture du Livre vin De histoire émerge la guerre absolue la guerre parfaite la guerre napoléonienne De histoire émerge homme Dieu de la guerre le terme est de Clausewitz Ce moment est celui de la philosophie de la guerre celui où elle advient sa représentation Dès lors le discours philosophique ou scienti-

1278

Page 13: Lefort - Lectures de la guerre  le Clausewitz de Raymond Aron [crítica

LEFORT LE CLAUSEWITZ DE ARON

fique perce le secret de toute guerre passée présente et venir Ainsi la guerre napoléo nienne est dans histoire comme est pour Hegel tat prussien mais elle étaye Vidée de la guerre qui se détache de la guerre réelle historiquement donnée comme Vidée de

tat se détache de la figure de tat réel tout en se rapportant elle La limite de Clausewitz nous ne parlons que de celle de sa propre entreprise sans

donc engager le débat sur la vérité de Clausewitz qui fait la matière de la dernière partie du second volume de Raymond Aron cette limite ne tient-elle pas finalement la faiblesse de sa réflexion sur la politique Son interprète lui reconnaît le mérite contre opinion communément répandue avoir pleinement reconnu la subordination de la guerre la politique et en conséquence celle du commandement militaire la décision gouvernementale Les textes il cite ne laissent pas de doute sur ce point Mais le rap port établi entre guerre absolue et politique grandiose reste indéterminé faute une théorie de tat

il est vrai que la guerre conforme son concept est irréelle parce que coupée de ses origines et de ses fins) mais en dépit de ce statut idéal elle conserve le pouvoir de rendre intelligible le réel en est-il de tat qui rend possible la guerre proche de sa perfection Soit Clausewitz dit que la guerre moderne est celle qui est devenue redeve nue précise-t-il au souvenir des guerres antiques affaire du peuple Observation origi nale dont on sait comment elle fut exploitée mais qui reste en de de toute analyse des régimes politiques de la nature de tat moderne de la lutte des classes en son sein au sens de Marx ou de état social au sens de Tocqueville défaut analyse il se borne évoquer sous le nom de politique entendement du chef de tat et les conditions on dirait de nos jours objectives Raymond Aron il soit attentif cette confusion

note xix) semble privilégier le rôle du chef de tat La guerre entendre est dans ses origines et dans ses fins suspendue intelligence de tat personnifié Tel est en définitive ce qui décide de tout aptitude du chef politique la décision rationnelle la capacité il interpréter justement les conditions Sans doute peut-il défaillir mais il occupe le lieu de la rationalité Impossible ouvrir la discussion dans le cadre une mo deste note. Mais du moins il soit permis de poser la question le point de vue du pouvoir tat est-il celui de la rationalité Peut-on réduire au statut de conditions les rapports socio-politiques pris dans leur généralité au plan national et international Question qui débouche sur une autre idée de la guerre moderne liée elle est celle de la toute-puissance de tat engendre-t-elle ou accompagne-t-elle idée de action rationnelle Ou bien ce on nomme action rationnelle action politico-militaire ou politique ne deviendrait-il pas pour parler le langage de Clausewitz et Aron le modèle de action humaine coupée de ses origines et de ses fins

Claude LEFORT

NOTE

Gallimard 1976 Les textes de Clausewitz que nous citons nous-même sont empruntés la traduction de Denise NAVILLE De la guerre Paris ditions de Minuit 1955

1279


Recommended