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Les quatre premiers Volumes de la « Bibliothèque de Sociologie Contemporaine »

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Les quatre premiers Volumes de la «Bibliothèque de Sociologie Contemporaine » Author(s): PAUL KAHN Source: Cahiers Internationaux de Sociologie, Vol. 9 (1950), pp. 156-174 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40656759 . Accessed: 18/06/2014 13:56 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Cahiers Internationaux de Sociologie. http://www.jstor.org This content downloaded from 185.44.77.146 on Wed, 18 Jun 2014 13:56:52 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions
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Les quatre premiers Volumes de la «Bibliothèque de Sociologie Contemporaine »Author(s): PAUL KAHNSource: Cahiers Internationaux de Sociologie, Vol. 9 (1950), pp. 156-174Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/40656759 .

Accessed: 18/06/2014 13:56

Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at .http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

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Les quatre premiers Volumes de la « Bibliothèque de Sociologie Contemporaine »

PAR PAUL KAHN

Les sociologues français et étrangers seront heureux de saluer la Bibliothèque de Sociologie contemporaine, dirigée par Georges Gur- vitch1. Cette collection paraît au moment où meurt une sociologie traditionnelle qui n'est pas encore morte et où naît une sociologie nouvelle qui n'est pas encore née. Les quatre premiers volumes renferment à la fois l'héritage du passé et les promesses de l'avenir, la quintessence de l'enseignement des maîtres de l'École sociolo- gique française et les messages annonciateurs des lignes maîtresses de la « Sociologie du xxe siècle ». Ce n'est pas sans émotion qu'il convient d'ouvrir ces livres dont la parution simultanée symbolise la renaissance de la pensée sociologique française. Le premier, véritable « somme » des thèses de Georges Gurvitch, témoigne du courage intellectuel d'un homme qui s'efforce de réviser dans leur ensemble toutes ses positions antérieures, de les intégrer dans un système toujours en mouvement. Le second, composé des quatre chapitres manuscrits recueillis dans les papiers du regretté Maurice Halbwachs, contient comme le testament inachevé de cet illustre représentant de l'École sociologique française dont l'esprit s'ouvrait largement aux influences du dehors et qui était appelé à devenir le lien vivant entre les « sociologues d'hier et d'aujourd'hui ». Le troisième, réunissant certaines des études du grand sociologue Marcel Mauss dont « l'œuvre écrite restait trop dispersée et diffi- cilement accessible » (G. Gurvitch) apporte à la sociologie le plus précieux des legs puisque aussi bien l'enseignement de Marcel Mauss demeure un des plus vivants et a marqué d'une empreinte indélé- bile beaucoup de jeunes savants. Enfin, le quatrième volume Socio-

1. Georges Gurvitch, La Vocation actuelle de la Sociologie, Presses Universitaires, Paris, 1950, p. 608. - Maurice Halbwachs, La Mémoire collective, Presses Universitaires, Paris, 1950, p. 170. - Marcel Mauss, Sociologie et Anthropologie, précédée d'une Introduction à V œuvre de Marcel Mauss, par Claude Lévi-Strauss, Presses Universitaires, Paris, 1950, p# 390. - Roger Bastide, Sociologie et Psychanalyse, Presses Universi- taires, Paris, 1950, p. 292.

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La « Bibliothèque de Sociologie Contemporaine »

logie et Psychanalyse est la traduction française d'un livre dont M. Roger Bastide avait publié l'ébauche au Brésil en langue portu- gaise, en 1948, et dont, grâce à l'édition française, le rayonnement est désormais assuré.

Nous ne prétendons pas résumer, en cette courte étude, des textes dont certains ont déjà été connus dans une première version et qui peuvent être regardés comme des classiques de la sociologie. Nous nous bornerons à préciser l'apport de chacun des auteurs au renouvellement de la sociologie, renouvellement dont nous trou- vons une préfiguration dans l'œuvre de Marcel Mauss, une consé- cration dans celle de Georges Gurvitch, une illustration dans celles de Maurice Halbwachs et de Roger Bastide...

Marcel Mauss se considérait lui-même « comme le gardien de la tradition durkheimienne ». Il est non moins exact que bien des aspects de son enseignement ainsi que de son œuvre sont profon- dément novateurs; beaucoup de ses suggestions, de ses critiques, de ses propos laissent prévoir l'orientation de la sociologie contem- poraine. Le recueil Sociologie et Anthropologie ne comprend pas l'ensemble des publications de Marcel Mauss mais seulement celles qui prenaient leur point de départ dans les croyances et la psycho- logie collective des archaïques ou « convergeaient vers un sujet qu'on commence à désigner de plus en plus par le terme ̂anthro- pologie culturelle » (avertissement par G. Gurvitch, p. vin). Les textes choisis sont comme l'illustration de la communication pré- sentée le 10 janvier 1924 à la Société de Psychologie et le recueil pourrait tout aussi bien s'intituler Sociologie et Psychologie. Ces textes nous introduisent au centre des préoccupations communes aux sociologues des diverses écoles : caractère du fait social, rap- ports entre psychologie et sociologie, nature de l'explication sociolo- gique; ils nous permettent d'apercevoir dans quelle mesure MM. Lévi- Strauss et Georges Gurvitch prolongent, chacun à leur manière, l'enseignement du maître.

Dès 1924, Mauss posait nettement le problème des « rapports réels entre psychologie et sociologie ». Il affirmait que sociologie et psychologie humaines étaient une partie de V anthropologie, science de l'homme comme être vivant, conscient et sociable, l'anthropolo- gie étant elle-même partie de la biologie, science des êtres vivants. Mais il séparait dans la sociologie deux domaines, le premier où le sociologue n'avait rien à demander au psychologue, le second où psychologue et sociologue devaient collaborer. Le premier compre- nait les phénomènes morphologiques2, les phénomènes statistiques

2. Une équivoque réside dans le mot même de morphologie. Dans les Variations saisonnières des sociétés eskimos, la « morphologie sociale » est définie étude du « substrat matériel des sociétés, c'est-à-dire la form e

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Paul Kahn (phénomènes relevant de la physiologie sociale, c'est-à-dire du fonctionnement de la société), les phénomènes historiques (traditions, langages, habitudes). Le second domaine c'était celui des repré- sentations collectives : idées, concepts, catégories, mobiles d'actes et de pratiques traditionnels, sentiments collectifs... Mauss appelait cette partie essentielle de la sociologie psychologie collective ou sociologie psychologique. En marge de cette classification qui ne saurait aujourd'hui être maintenue sous cette forme, Mauss signa- lait, avec une incontestable avance sur son époque, des champs d'investigations ouverts à la collaboration des psychologues et des sociologues : le rythme et le chant, les phénomènes de la vie du corps : rires, larmes, lamentations funéraires, ejaculations rituelles..., etc. Lévi-Strauss a parfaitement noté, dans son Introduction, la conver- gence entre les préoccupations de FÉcole anthropologique améri- caine et celles de Mauss; étude « de la façon dont chaque société impose à l'individu un usage rigoureusement déterminé de son corps », intuition du rapprochement entre ethnologie et psychana- lyse par la découverte « d'états psychiques disparus de nos enfances », produits de « contacts de sexes et de peaux », de l'importance des modalités de sevrage ou de la manière dont le bébé est manié, avec la classification des groupes humains en « gens à berceaux... gens sans berceaux » (p. xi). Nous sommes d'accord avec Lévi-Strauss pour souligner les immenses terrains de recherches repérés par Mauss et encore incomplètement explorés tels « l'inventaire et la description de tous les usages que les hommes, au cours de l'his- toire et à travers le monde, ont fait et continuent à faire de leur corps » (p. xii ) ou le vaste domaine des symbolismes, symbolisme collectif et culturel des groupes sociaux, symbolisme autonome des conduites psycho-pathologiques individuelles. Le thème du sym- bolisme, dans ses relations avec sexualité, sociabilité, cultures, retiendra l'attention d'un Georges Gurvitch et d'un Roger Bas- tid*e 3; le thème de l'évolution de la notion de personne sera repris

qu'elles affectent en s'établissant sur le sol, le volume et la densité de la population, la manière dont elle est distribuée, ainsi que l'ensemble des choses qui servent de siège à la vie collective » [Année Sociologique, t. IX, p. 38). Dans la communication de 1924, les phénomènes morphologiques ne comprenaient pas seulement le volume et la densité du groupe, son territoire clos de frontières, mais aussi « son sentiment grégaire, sa limi- tation volontaire par filiation ou adoption, ses rapports entre sexes, âges, natalité, mortalité » (Sociologie et Anthropologie, p. 287). Enfin, dans Divi- sions et Proportions des Divisions de la Sociologie, Mauss affirme que les choses matérielles dont s'occupe la morphologie sont « morales déjà » (Année Sociologique, i. II, nouvelle sèrie, cf. pp. 100, 131, 151), par exemple, la division d'une ville américaine en quartiers nègres, chinois, américain ou les frontières...

3. Sur le symbolisme, cf. Lévi-Strauss, Inlrod., p. xv-xvn. ■ -

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La « Bibliothèque de Sociologie Contemporaine » et développé par Ignace Meyerson4. Qu'importe devant ces ren- contres spirituelles entre les maîtres actuels et Marcel Mauss que l'on ait accusé celui-ci d'impérialisme sociologique, qu'on Fait tantôt loué tantôt blâmé d'une prétendue « subordination du psycholo- gique au sociologique »! Ce qu'il faut retenir, c'est que le premier, il a marqué entre psychisme individuel et structure sociale une complémentarité qui fonde la collaboration aujourd'hui acquise entre ethnologues, psychologues et sociologues. Le premier, il a introduit et imposé la notion de fait social total, dans YEssai sur le Don et en a donné une définition initiale dans sa communication de 1924. Il s'agit de faits intéressant l'homme tout entier..., « son corps, sa mentalité..., donnés à la fois et tout d'un coup »..., des phénomènes de totalité où prend part non seulement le groupe, mais encore par lui, toutes les personnalités, tous les individus dans leur intégrité morale, sociale, mentale et surtout, corporelle ou maté- rielle (p. 303). Nous ne saurions trop insister sur l'importance de cette notion qui est au point de départ de la sociologie nouvelle, sociologie du concret et du complet. Lévi-Strauss marque le carac- tère tridimensionnel du fait social total : dimension sociologique puisqu'il embrasse les différentes modalités du social (juridique, économique, esthétique, religieux etc.); dimension historique ou diachronique puisqu'il s'incarne dans les différents moments d'une histoire individuelle; dimension physio -psychologique puisqu'il revêt différentes formes d'expression depuis les phénomènes physiolo- giques jusqu'aux catégories inconscientes et aux représentations conscientes. Ainsi, la notion de fait social total est en relation avec le double souci de relier d'une part le social et l'individuel et d'autre part, le physique et le psychique. De là découle pour Lévi-Strauss une série de considérations qui dépassent de beaucoup à notre avis les limites extrêmes où s'est aventurée la pensée de Mauss. C'est le problème de la double appréhension du fait social dans son objec- tivité et dans sa subjectivité et de la valeur de la transposition « de l'appréhension interne (celle de l'indigène ou tout au moins celle de l'observation revivant l'expérience indigène) dans les termes de l'appréhension externe » (p. xxvm). De son côté G. Gurvitch qui dédiait à Mauss ses Essais de Sociologie, première ébauche de la Vocation actuelle de la Sociologie, retrouve l'idée de fait social total dans des textes du jeune Marx inconnus de Mauss et dont les termes rappellent étrangement les formules de ce dernier sur « l'homme

Gurvitch, La Vocation actuelle de, la Sociologie, pp. 74-81 (avec bibliogra- phie). - Bastide, Sociologie el Psychanalyse, pp. 201-210.

4. Cf. Ignace Meyerson, Les Fondions psychologiques el les Œuvres, Vrin, 1948.

5. G. Gurvitch, La Vocation actuelle de la Sociologie, pp. 3G, 49 et suiv., 583.

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Paul Kahn total » et « la société totale » « qui se recouvrent 5 ». C'est la médi- tation sur cette conjonction entre les deux penseurs qui, à côté des analyses phénoménologiques, a conduit G. Gurvitch à sa con- ception actuelle des paliers de la réalité sociale.

Par ailleurs, l'œuvre de Mauss nous invite à réfléchir sur la nature de l'explication sociologique. Comme chez Durkheim 6, on découvre chez Mauss une oscillation entre deux types opposés d'explication des faits sociaux; tantôt l'explication par des faits de même nature notamment par des faits morphologiques; tantôt l'explication par des faits psychiques notamment par les représentations collectives. Dans le mémoire sur les Variations saisonnières dans les sociétés eskimos, prédomine le premier type d'explication, dans YEssai sur le Don et la Théorie générale de la Magie, le second. Examinons de plus près le processus de l'explication dans ces deux mémoires. Dans la Théorie de la Magie il s'agit d'étudier les agents (statut et rôle du magicien) les actes, les représentations impliquées (vertu magique, position sociale, etc.). Au cours d'une première étape de l'analyse, toutes les représentations sont ramenées à des expressions d'une catégorie inconsciente de la pensée collective : le mana. Au cours d'une deuxième étape, le mana est identifié à la notion de valeur reconnue par la société; enfin après une troisième étape la catégorie mana-valeur sociale devient l'expression des forces collectives : besoins, sentiments, volitions, croyances. Lévi-Strauss refuse de suivre Mauss précisément au moment où il passe à la troisième étape; il s'en tient à la notion de mana qu'il réinterprète comme une « réflexion subjective de l'exigence d'une totalité non perçue » (p. xlvi) ou comme liaison de l'un et de l'autre, identification de l'un à l'autre. Dans YEssai sur le Don, l'explication part de la théorie indigène, du principe du hau selon lequel la force du donateur pénètre la chose donnée et peut nuire au donataire. L'analyse se poursuit par une explicitation de la pensée des archaïques au moyen de notions empruntées à notre civilisation : obligation, liberté, libéra- lité, générosité, luxe, épargne, intérêt, désintéressement, prestige. Lévi-Strauss s'inspire du travail de Mauss, dans les Structures élémentaires de la Parenté 7; il en retient l'enseignement essentiel; tous les produits de l'activité sociale, technique, économique, rituelle, esthétique ou religieuse... ont un caractère commun, celui d'être transférable et en conclut à une conception de l'ensemble des prestations et des événements de la vie sociale : naissance, initiation, mariage, contrat, mort... comme inscrits dans des cycles d'échange mettant en cause comme récipiendaires, intermédiaires ou dona-

6. Cf. Georges Davy, « Sociologie générale », in Année Sociologique, 3e série, pp. 184-185.

7. Cf. Claude Lévi-Strauss, Structures élémentaires de la parente, Presses Universitaires, 1949.

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La « Bibliothèque de Sociologie Contemporaine » teurs des groupes de personnes. Ainsi est-il amené à la découverte de « structures psychiques inconscientes 8 innées à l'esprit humain, en particulier d'une structure fondamentale : celle des rapports de réciprocité ou communication entre le moi et l'autrui « tantôt entre un moi subjectif et un moi objectivant, tantôt entre un moi objec- tif et un moi subjective » (p. xxxi). La clé finale de l'antinomie entre substrat matériel et représentations collectives comme prin- cipe d'explication résiderait dans un appel à l'inconscient qui ne serait ni l'inconscient individuel, ni l'inconscient collectif, mais « le terme médiateur entre moi et autrui ». Cette position paraît nous faire passer du plan sociologique au plan métaphysique, mais une exploration sociologique de l'inconscient demeure possible qui mènera Roger Bastide à la découverte de la relativité de l'incons- cient ou du pluralisme des inconscients.

L'ouvrage de Georges Gurvitch nous ramène sur le plan sociolo- gique et constitue à bien des égards une espèce de charte de la sociologie du xxe siècle, en entendant par là un recueil de préceptes méthodologiques, de suggestions et d'indications bibliographiques en vue de recherches concrètes, en même temps qu'un raccourci critique de l'histoire de la sociologie (notamment la deuxième par- tie intitulée Antécédents et Perspectives). - Quelles seront les carac- téristiques de la sociologie du xxe siècle? On peut les réduire à quatre : sociologie empirique et relativiste, sociologie engagée et pragmatique % sociologie en profondeur, sociologie différentielle ou typologique.

Sociologie empirique et relativiste, la sociologie rejette la plupart des « faux problèmes » qui ont préoccupé les sociologues du xixe siècle : sens du progrès et direction de l'évolution, ordre et progrès, individu et société, facteur social prédominant, psychologie ou sociologie, lois sociologiques. Derrière ces faux problèmes G. Gurvitch dénonce avec raison la persistance de préjugés dogmatiques, lourds de con- fusions méthodologiques. Il dresse un véritable syllabus ou cata- logue des erreurs : absence de distinction entre jugements de réalité et jugements de valeur, postulat du développement unilinéaire de la société, tendance moniste à ériger la Société avec un grand S ou l'Individu avec un grand I en entités irréductibles, croyance en la possibilité et en la nécessité de résoudre les conflits, tensions et antinomies observables dans la vie sociale, méconnaissance de la réciprocité de perspectives entre les consciences, conception de la loi comme liaison nécessaire entre antécédent et conséquent ou affirmation de rapports constants... Ainsi, la sociologie se propose « de déjouer toute idéalisation ou dogmatisation » et n'a d'autre objet que de décrire dans sa totalité et dans sa complexité la réalité

8. « La Sociologie Française », par Lévi-Strauss, in La Sociologie au XXe siècle, t. II, pp. 536-537.

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Paul Kahn sociale. Elle reconnaît que les aspects, les couches, les niveaux de cette réalité sociale sont eux-mêmes extrêmement variables et que la hiérarchie de tous ces éléments en tant que forces dynamiques de changement se renverse sans cesse en fonction des types de société. Autrement dit, elle admet l'importance relative des « forces produc- tives matérielles », des « structures sociales », des « rapports de production », de « la conscience réelle » et de ses « œuvres objectives », importance variable selon les types de sociétés et les différentes conjonctures historiques et sociales.

Sociologie engagée et pragmatique, la nouvelle sociologie « va concen- trer ses efforts non pas de préférence sur le passé de la société ni même sur des structures et situations sociales déjà cristallisées, mais sur la société présente, en train de se faire, en état de lutte, d'effer- vescence et de création » (p. 4). Si elle doit abandonner la prétention de pouvoir « connaître et prescrire en même temps », non seulement elle n'interdit pas « d'appliquer en pratique les connaissances socio- logiques descriptives une fois acquises » (p. 6), mais elle élargit énormément le champ de la sociologie appliquée qui s'étend pour elle « des problèmes de planification économique aux problèmes pédagogiques, des problèmes de réorganisation politique aux pro- blèmes de réforme de la grammaire, des problèmes des nouvelles techniques juridiques aux problèmes de renouveau des concepts logiques et des styles esthétiques ».

Sociologie en profondeur, la sociologie est avant tout pluridimen- sionnelle : elle vise à saisir la réalité sociale telle qu'elle se présente à l'observateur tant sur le plan vertical que sur le plan horizontal. Sur le plan vertical apparaissent des « paliers », des « niveaux », des « plans étages », des « couches de profondeur », des « infra et supra-structures... » « qui s'interpénétrent et s'imprègnent mutuel- lement... » « ne cessent d'entrer en conflit... », autrement dit dont « les rapports sont tendus, antinomiques, dialectiques ». Sur le plan horizontal, c'est-à-dire au niveau de chaque palier en profondeur, apparaissent des antagonismes, des conflits « dont la lutte des groupes et particulièrement celle des classes... est un exemple » (p. 49). De ces paliers en profondeur, nous trouvons les premières analyses chez Proudhon, Marx, Durkheim, Hauriou, Bergson et les phénoméno- logues. Que faut-il entendre exactement par l'expression paliers en profondeur? : « Les couches plus profondes de la réalité sociale sont simplement celles qui exigent pour les saisir et les étudier scientifi- quement un effort accru ». Tous ces paliers sont « toujours et indisso- lublement interpénétrés... »; ce sont « des moments du phénomène social total dans son unité irréductible et indécomposable » (p. 53); leur discontinuité est aussi réelle que leur continuité. Ils se retrouvent avec leurs conflits aussi bien dans chaque forme de sociabilité que dans chaque groupe ou dans chaque société globale. Enfin, « les

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La « Bibliothèque de Sociologie Contemporaine » caractères et le nombre des plans étages qu'il convient de distinguer sont essentiellement flexibles et reposent sur des considérations stric- tement pragmatiques » (p. 55), leur but est de fournir « des cadres appropriés aux recherches sociologiques ». Ceci dit, on peut distin- guer avec Gurvitch dix paliers : la surface morphologique ou écolo- gique, les organisations sociales ou les superstructures organisées, les modèles sociaux, les conduites collectives d'une certaine régu- larité mais se déroulant en dehors des superstructures organisées, les trames des rôles sociaux, les attitudes collectives, les symboles sociaux, les conduites collectives effervescentes, novatrices et créa- trices, les idées et valeurs collectives, les états mentaux et les actes psychiques collectifs...

Sociologie différentielle, la sociologie emploiera la méthode typo- logique par opposition à la méthode généralisante des sciences natu- relles et à la méthode individualisante des sciences historiques, géographiques et ethnographiques. Cette méthode construit des types sociaux discontinus, qualitativement différents mais qui peuvent se répéter : types microsociologiques ou formes de sociabi- lité, multiples manières d'être lié par le tout ou dans le tout; types de groupements, types de sociétés globales. Les types microsociolo- giques constituent des cadres sociaux non structurés et non struc- turables; les types de groupements particuliers, des cadres sociaux structurés ou du moins structurables. G. Gurvitch aboutit à une classification pluraliste des formes de la sociabilité par l'application de huit critères et à une classification pluraliste des groupements par l'application de quinze critères 9. Les types de sociétés globales sont les plus concrets et les plus proches de l'existence historique et Gurvitch reconnaît qu'on peut les construire d'après une grande variété de critères essentiellement pragmatiques, mais où la hiérar- chie variable des groupements particuliers toujours en lutte joue un rôle essentiel. Il ne nous a pas encore donné cette troisième classification pluraliste, couronnement de l'édifice, classification qui serait d'un grand intérêt à l'heure où l'on parle de société occidentale ou européenne sans bien déterminer le contenu de ces concepts (cf. cependant la première recherche de cette troisième classification dans les Éléments de Sociologie Juridique, 1940, p. 210 et suiv.).

De cette esquisse d'une sociologie nouvelle, sociologie du complet et du concret ou des phénomènes sociaux totaux, ou sociologie hyp er -empirique et sur -relativste découlent certaines conséquences quant aux questions déjà soulevées par Mauss : rapports entre sociologie et disciplines voisines, l'explication sociologique.

9. On trouvera un excellent résumé de certaines de ces classifications dans P. -H. Maucorps, Psychologie des Mouvements sociaux, Presses Universi- taires, 1950, pp. 73-80 et 110-114.

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Paul Kahn Entre sociologie et sciences sociales particulières, la différence est

de point de vue. Les sciences sociales particulières « se bornent... à étudier un des plans étages de la réalité sociale ». Ainsi, la science du droit se situe sur le plan des modèles abstraits du droit, la gram- maire sur celui des signes et symboles du langage, la géographie sur celui de l'écologie et de la morphologie, l'économie politique classique sur celui des conduites collectives régulières touchant à la production et aux échanges. Ce qui caractérise la sociologie c'est l'intervention de la considération du phénomène social total, même dans les branches spécialisées telle que la morphologie sociale, la sociologie des techniques, la sociologie de l'esprit et la psychologie collective « qui peuvent s'appliquer plus particulièrement à l'étude de tel palier précis de la réalité sociale qu'elles prennent comme point de repère, ou base de départ » (p. 95) mais tiennent compte, dans leurs analyses, de tous les autres paliers. La distinction paraît plus difficile à établir en ce qui concerne deux sciences particu- lières : l'histoire et l'ethnographie ainsi qu'en ce qui concerne les rapports entre sociologie et psychologie.

Sur les rapports entre psychologie et sociologie, Gurvitch est appelé à rouvrir le débat puisque aussi bien il s'agit d'une « fausse alter- native ». Aucune des définitions proposées ne résiste à l'examen, ni celle de Blondel basée sur l'existence de trois psychologies, ni celle de Mauss que lui-même, nous l'avons vu, s'efforçait de dépas- ser. Si l'on reconnaît des niveaux différents également caracté- ristiques pour le social et pour l'individuel, il n'y a plus à confron- ter la psychologie et la sociologie, « mais la psychologie indivi- duelle, la psychologie intermentale et la psychologie collective. Or, cette confrontation démontrerait qu'elles sont interdépen- dantes; en effet, leurs domaines respectifs : le Moi, l' Autrui et le Nous ne sont que des directions divergentes et inséparables du même processus mental, trois pôles dont la tension et la liaison constituent... ce qu'on appelle la conscience » (p. 35). C'est le prin- cipe de réciprocité de perspectives entre l'individuel et le social, qui joue sur le plan des paliers en profondeur de la réalité sociale, comme sur celui des formes de la sociabilité où s'établit à l'aide des signaux, signes et symboles, la communication entre Moi, Toi, 11 par une union préalable au sens d'un Nous. Si Mauss avait « proclamé la fin de la guerre entre psychologie et sociologie » Gurvitch a démontré l'artificialité de l'opposition de ces deux dis- ciplines. Et nous verrons Bastide proclamer la fin de la guerre entre psychanalyse et sociologie... Sur les rapports entre histoire et sociologie, nous regrettons que Gurvitch se borne à quelques lignes, car là, la guerre continue.

Histoire et ethnographie, nous dit-il en substance, se rapprochent de la sociologie en ce qu'elles prennent également en considération

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La « Bibliothèque de Sociologie Contemporaine » la réalité sociale dans tous ses plans étages. Elles s'en distinguent par l'emploi de la méthode individualisante et aussi parce « qu'elles opèrent dans le cadre d'un temps écoulé et reconstruit tandis que l'objet de la sociologie est situé... dans le temps vécu » (note p. 96). C'est que, pour Gurvitch, le sociologue se penche essentiel- lement sur la réalité sociale vécue. Mais peut-on étudier ce vécu social sans faire appel au passé? La réalité sociale contemporaine ne nous offre-t-elle pas un tableau composite où s'enchevêtrent des survivances de la « civilisation traditionnelle » au sein de la « civilisation mécanicienne »? En outre, l'on peut se demander si l'opposition n'est pas davantage entre deux conceptions de l'his- toire, qu'entre sociologie et histoire; ou comme le montrera Halb- wachs, entre une mémoire collective et une mémoire historique, un temps abstrait et universel et une durée concrète faite de la continuité des générations, à la fois vécue et reconstruite.

Si pour bien des aspects, les pensées de Mauss et de Gurvitch nous ont paru se recouper, sur la portée de l'explication sociolo- gique la divergence demeure sensible. Il semble que pour Mauss, comme pour Lévi-Strauss, la sociologie soit « une science du même type que les autres et... que la fin dernière est la découverte de relations générales entre les phénomènes 10 ». Si en dernière ana- lyse, Mauss reconnaissait le jeu de sentiments et d'instincts collec- tifs, Lévi-Strauss cherche à découvrir des structures fondamentales de l'esprit humain. Les ambitions de Gurvitch sont plus modestes. Pour lui « l'explication causale en sociologie doit s'appuyer sur les types sociaux discontinus considérés à tous les niveaux en profon- deur à la fois. Cette explication causale par le type global ou le cadre social particulier, envisagés dans l'ensemble et leurs multiples infra et super-structures, reste liée à la particularité de la conjonc- ture sociale » (p. 46). A l'explication dite causale, se substitue en fait, une description intégrale des structures d'un type social donné, à la recherche des causes la détermination de « corrélations fonc- tionnelles », de lois de probabilité dans certains domaines et à l'échelle macrosociologique, de « régularités tendancielles ». C'est par un appel à un nouvel effort « d'enquêtes et d'interprétations inédites » pour explorer « toute la profondeur et la richesse du monde social »... « monde des infrastructures et des superstructures multiples, chargé de collisions virtuelles et actuelles, monde des tensions complexes et variées »... que se termine l'ouvrage de Gur- vitch. En nous associant à cet appel, nous soulignons combien, malgré le langage abstrait dans lequel ils devaient nécessairement être formulés, les schemes conceptuels forgés par Gurvitch four- nissent des instruments d'une grande précision pour des analyses

10. « La Sociologie Française », par Lévi-Strauss, ouv. cit., p. 514.

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Paul Kahn de la réalité sociale! Curviteli se propose d'en fournir la preuve dans les deux monographies sur la Sociologie de la Connaissance et sur la Sociologie de la Morale, auxquels l'ouvrage analysé doit servir de fondement.

L'ouvrage posthume de Maurice Halbwachs illustre le principe de la réciprocité de perspectives entre le social et l'individuel ou entre mémoire collective et mémoire individuelle et contient des analyses très fines des menus faits de la vie quotidienne. Dans les Cadres sociaux de la Mémoire, Maurice Halbwachs abordait le problème de la mémoire « en suivant les psychologues, sur leur terrain »; il entrait dans un combat déjà engagé avec les armes traditionnelles par ceux qui expliquaient la conservation des sou- venirs par des processus physiologiques ou admettaient la subsis- tance dans l'esprit à l'état inconscient de « souvenirs purs ». Il acceptait en apparence de situer le débat en opposant dans un détachement artificiel l'Individu et la Société, quitte à prouver précisément combien cette opposition était artificielle. Il parve- nait aux conclusions célèbres sur l'impossibilité de concevoir une mémoire en dehors des cadres dont les hommes en société se servent pour fixer et retrouver les souvenirs. Dans la Mémoire collective, il part de ces conclusions et pousse plus avant sa pensée en quittant le terrain des psychologues pour se placer résolument sur un plan sociologique au-delà de l'antinomie Individu-Société et par voie de conséquence, au-delà de l'antinomie Mémoire individuelle- Mémoire collective. Plutôt que de deux mémoires, ma mémoire qui serait strictement individuelle et intérieure et la mémoire des autres qui serait strictement sociale et extérieure, il apparaît plus exact de parler « d'une mémoire collective plus large qui compren- drait à la fois la mienne et la leur », ou dont la mienne et la leur seraient deux aspects. Ce qui différencie ma mémoire de la mémoire des autres, c'est la participation à des expériences différentes au sein de groupements identiques et aussi d'autres groupements. Il n'y a mémoire que dans la mesure où il y a chez moi comme chez autrui communauté d'expériences et de préoccupations. La mémoire est « une reconstruction qui s'opère à partir de données ou de notions communes qui se trouvent dans notre esprit aussi bien que dans ceux des autres parce qu'elles passent sans cesse de ceux-ci à celui-là et réciproquement, ce qui n'est possible que s'ils ont fait partie et continuent à faire partie d'une même société » (p. 13). Autrement dit, « chaque mémoire individuelle est un point de vue sur la mémoire collective..., ce point de vue change suivant la place que j'y occupe et... cette place elle-même change suivant les relations que j'entretiens avec d'autres milieux » (p. 33). Ou encore, on peut parler si l'on veut de deux sortes de mémoires, si l'on admet qu'il y ait pour les souvenirs deux manières de s' or-

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La « Bibliothèque de Sociologie Contemporaine »

ganiser suivant qu'ils « se groupent autour d'une personne définie qui les envisage de son point de vue », mémoire individuelle ou qu'ils « se distribuent à l'intérieur d'une société grande ou petite dont ils sont autant d'images partielles » (p. 35), mémoire collec- tive. Surtout, il ne faut pas établir d'opposition tranchée entre ces deux formes de mémoire qui s'interpénétrent souvent, la mémoire individuelle s'appuyant sur la mémoire collective « pour confirmer tel de ses souvenirs pour les préciser..., pour combler quelques- unes de ses lacunes », la mémoire collective enveloppant les mémoires individuelles.

On ne saurait en aucun cas identifier mémoire individuelle avec mémoire autobiographique et mémoire collective avec mémoire his- torique. La mémoire individuelle n'existe que par et dans la société où nous trouvons toutes les indications nécessaires pour reconstruire telles parts de notre passé que nous nous représentons de façon incomplète ou indistincte. La mémoire collective ne se confond pas avec la mémoire historique et même s'en distingue sous trois rapports. En premier lieu, l'histoire est discontinuité, si l'on entend par histoire le recueil des faits qui ont occupé la plus grande place dans la mémoire des hommes, c'est-à-dire un tableau, suite des événements dont l'histoire nationale conserve le souvenir : des faits, des dates, des personnages. La mémoire collective représente au contraire « un courant de pensée continu, d'une continuité qui n'a rien d'artificiel puisqu'elle ne retient du passé que ce qui est encore vivant ou capable de vivre dans la conscience du groupe qui l'en- tretient » (p. 70). En second lieu, la mémoire historique « se place hors des groupes,... au-dessus d'eux », introduit dans le courant des faits des divisions simples dont la place est fixée une fois pour toutes : siècles, périodes..., elle accentue les différences et les oppo- sitions, « concentre et reporte sur une figure individuelle les traits éparpillés dans le groupe, reporte aussi et concentre sur un intervalle de quelques années des transformations qui en réalité s'accomplirent en un temps bien plus long » (p. 72). Inversement, la mémoire collective se place au sein des groupes « s'étend jusque là où elle peut, c'est-à-dire juxqu'où atteint la mémoire des groupes dont elle est composée » (p. 73). En troisième lieu, l'histoire est une, elle embrasse la série et la totalité des faits tels qu'ils sont, non pour tel pays ou tel groupe, mais indépendamment de tout juge- ment de groupe; elle peut se représenter comme la mémoire unive- selle du genre humain. La mémoire collective est multiple, et il est plus exact de parler de mémoires collectives au pluriel, mémoires des divers groupes : famille, école, lycée, cercle d'amis, collègues, relations mondaines, société politique, religieuse ou artistique, et même des sous-groupes : amis anciens et nouveaux, subdivisions de la famille où « deuils, mariages, naissances sont comme autant

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Paul Kahn de points de départ successifs et de recommencements ». En résumé, l'histoire est « un tableau des changements » qui considère les groupes du dehors et embrasse une durée assez longue, la mémoire collective,« un tableau des ressemblances» qui considère les groupes du dedans comme foyers de tradition.

Cet approfondissement des notions de mémoire individuelle et de mémoire collective conduit Halbwachs à réviser la notion même des cadres sociaux, notamment de temps social et d'espace social; c'est peut-être là l'apport le plus considérable du second livre par rapport au premier. C'est aussi la partie la moins développée et nous ne pouvons que regretter une fois de plus que la mort ait interrompu tragiquement l'œuvre. « II existe un temps social dont les divisions s'imposent aux consciences individuelles » (p. 82) et recouvrent les divisions astronomiques : horaires des travaux, des transports, des spectacles, des repas, des activités professionnelles, des jours fériés... Ce temps social s'oppose aux autres formes de temps : temps abstrait et homogène de la mécanique et de la phy- sique impliquant la représentation latente d'un milieu entièrement uniforme, temps vécu individuel de Bergson impliquant la repré- sentation d'une conscience enfermée en elle-même, temps univer- sel de l'histoire impliquant la représentation de l'humanité comme un tout continu. Plutôt que temps social, mieux vaut employer le terme de durées collectives ; chaque groupe ayant sa mémoire propre et sa propre représentation du temps, on peut dire qu'il y a autant de temps collectifs que de groupes séparés, ou que les divisions du temps s'appliquent dans chaque groupe « à des séries d'événements ou de démarches qui ne sont pas les mêmes », et qui « se terminent et recommencent à des intervalles qui ne se cor- respondent pas d'une société à l'autre » (p. 107) : année scolaire, religieuse, laïque, financière, militaire, etc. On parvient ainsi à définir le temps social comme le cadre commun à la pensée d'un groupe qui lui-même, pendant une période donnée, ne change pas de nature, conserve à peu près la même structure, tourne son attention vers les mêmes objets. D'où le caractère permanent et continu du temps social, d'une permanence et d'une continuité relative comme celle du groupe lui-même qui évolue suivant les changements qui se produisent dans son sein (par exemple, l'adjonction à une famille de membres nouveaux, ou la superposition d'une cité nouvelle à une cité ancienne).

De même que la notion de temps social est liée au groupe, de même la notion d'espace social. Cela est évident pour certains groupes associés à un lieu déterminé où « c'est le fait d'être rapprochés dans l'espace qui crée entre les membres des rapports sociaux » (p. 140) : famille, ville. Cela est non moins vrai d'autres formations sociales qui tendent à détacher les hommes de l'espace puisqu'elles font

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La « Bibliothèque de Sociologie Contemporaine » abstraction du lieu qu'ils occupent et ne considèrent entre eux que des qualités d'un autre ordre : groupes juridiques, économiques, religieux. Même ces formations sont liées plus ou moins directement à une image spatiale. Ainsi l'on peut définir un espace juridique « espace permanent au moins dans certaines limites de temps qui permet à chaque instant à la mémoire collective lorsqu'elle perçoit l'espace d'y retrouver le souvenir de droits » (p. 149); un espace économique « ensemble des lieux ordinaires de réunion des groupes qui ont pour fonction de se rappeler et de rappeler aux autres groupes quels sont les prix des différentes marchandises» (p. 154); un espace religieux, « étendue des espaces consacrés à la religion ou occupés habituellement par des communautés religieuses » ou des emplacements où la tradition situe les principaux événements d'une communauté religieuse n.

Nous ne pouvons dans les limites de cette étude que marquer les points où Halbwachs a précisé les notions-clefs : mémoire collec- tive, cadres sociaux, temps, espace. A partir de là, la voie était ouverte à une refonte des études ébauchées dans la deuxième par- tie des cadres sociaux de la Mémoire sur la mémoire des divers groupes et des classes sociales. Ces chapitres dépassaient de beaucoup l'ob- jet initial du livre et comportent des indications précieuses pour une description concrète des idéologies en fonction des divers grou- pements. Cette description demeure ò faire en s'inspirant tant des essais d' Halbwachs que de l'appareil conceptuel de Gurvitch. Elle viendrait, sans aucun doute, confirmer cette pénétration réciproque du psychique et du social qui fonde la collaboration entre psycho- logues et sociologues, et également entre psychanalystes et socio- logues...

Roger Bastide pose le problème des rapports entre sociologie et psychanalyse, d'une façon très analogue à celle dont Marcel Mauss posait celui des rapports entre sociologie et psychologie. Dans une première partie, il expose quels ont été les rapports réels entre socio- logie et psychanalyse à l'époque où Freud écrivait, puis quelles transformations ont subi ces rapports à la suite des découvertes des psychiatres, des anthropologues et des sociologues américains, et de la constitution d'une nouvelle psychanalyse et d'une nouvelle socio- logie. Dans une seconde partie, il examine sur le plan théorique les rapports qu'il est souhaitable d'établir entre les deux disciplines. Nous ne pouvons que souscrire à l'historique si clair, si facile à lire, parfois même amusant de la doctrine de Freud, avec les dévelop- pements inattendus apportés aux thèses du maître par des disciples rarement d'accord entre eux.

11. Maurice Halbwachs a étudié l'évolution des traditions et croyances collectives relatives aux « lieux saints » dans La Topographie légendaire des Évangiles en Terre sainte, Presses Universitaires, 1949.

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Paul Kahn A quoi se ramènent, selon Bastide, les conceptions sociologiques

de Freud? A certains concepts, à certains principes, à certains pos- tulats. Des concepts, Bastide souligne combien, malgré les ressem- blances apparentes, ils sont incompatibles avec ceux de la socio- logie durkheimienne : censure sociale essentiellement inhibitrice, accidentellement créatrice, qui n'est ni la contrainte sociale, créa- trice au premier chef, ni le contrôle institutionnel; surmoi mythique ou social, principe de réalité, opposé au principe de plaisir comme le monde social au monde physique, étant entendu que, pour la psy- chanalyse, le réel social c'est la famille. Des principes constitutifs, Bastide en retient trois : Yorigine libidineuse du sentiment social; le principe de répétition selon lequel l'enfant recommencerait le passé de la race et les institutions se développeraient selon les mêmes lois suivant lesquelles se développe le moi... (traumatisme de la naissance, érotisme oral et anal, narcissisme, complexe d'Œdipe); le dualisme de V instinct de mort et de V instinct de plaisir. Aux trois principes répondent trois postulats. Premier postulat, Yidentité de Vesprit humain : « tous les hommes ont la même structure libidi- neuse, sont soumis aux mêmes lois psychologiques du principe du plaisir, du refoulement, du déplacement, de la substitution sym- bolique, de la projection, de l'identification, de la sublimation » (p. 38). Deuxième postulat : l'existence d'une psyché collective, âme de la race à développement historique « dans laquelle s'accom- plissent les mêmes processus que ceux ayant leur siège dans l'âme individuelle ». Troisième postulat : l'hérédité des caractères acquis : « l'enfant porte dans ses profondeurs l'histoire de ses ancêtres », c'est-à-dire « qu'au-dessous de l'inconscient personnel, il existe un inconscient plus profond, collectif et traditionnel » (p. 39).

Il est à remarquer que Bastide se limite volontairement à une analyse un peu schématique de la doctrine freudienne telle qu'elle se dégage des premiers livres. Il ne consacre que quelques pages aux derniers livres de Freud : V Avenir d'une illusion, Malaise de la Civi- lisation, Moïse, pour conclure « que nous sommes toujours ramenés au problème central : Comment la libido peut-elle créer les institu- tions sociales, puisqu'elle a besoin de ces institutions sociales pour se désexualiser et devenir sociale »? (p. 43). Encore s'en tient-il à la première définition de la libido comme ensemble des impulsions sexuelles, laissant de côté la deuxième définition de Freud, celle de la libido comme l'Èros qui s'efforce d'attirer l'une vers l'autre les particules séparées de la matière vivante et de les tenir réunies, ou comme le prototype de toutes les formes d'attraction. Morris Ginsberg12 a montré comment, selon que l'on accepte l'une ou

12. Morris Ginsberg, « Conceptions sociologiques de Freud », in Cahiers Internationaux de Sociologie, V, 1948.

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La « Bibliothèque de Sociologie Contemporaine » l'autre définition, toutes les explications du freudisme sont sérieu- sement modifiées. A-t-on le droit de sacrifier la deuxième défini- tion sous prétexte de son caractère métaphysique et d'affirmer « qu'elle aboutit à faire disparaître presque toute l'originalité de la sociologie freudienne »? (p. 44). Dans les chapitres III à VII, Bas- tide passe en revue successivement les diverses branches de la sociologie freudienne, puis les critiques émises par des sociologues (Sorokin, von Wiese), des psychanalystes contemporains (Kardi- ner), des anthropologues (Malinowski, lord Raglan, Krœber, Gol- denveiser, le P. Schmidt, Van Gennep) qui toutes visent principa- lement le biologisme du freudisme. Il résulte de ces critiques qu'une conciliation pourra se faire entre sociologie et psychanalyse à une double condition « que la psychanalyse abandonne la théorie des instincts, pour la remplacer par celle des tendances plus ou moins profondément modelées par le social et que la sociologie reconnaisse la place des individus et de leur dynamisme créateur dans la vie des groupes » (p. 95). Cette coopération fructueuse entre sociologie et psychanalyse est en train de s'établir grâce aux nouvelles orien- tations de la psychanalyse avec Sullivan, Karen Horney, Burrow et sous un certain aspect Moréno, de la sociologie et de l'anthropo- logie avec Zillboorg, W. Burgess, Thomas et Znaniecki, Laswell, Malinowski, Ruth Benedict, Margaret Mead, Kardiner et Linton. L'un des mérites et non des moindres de l'ouvrage de Bastide sera de contribuer à familiariser le lecteur français avec ces auteurs. Bastide a cru également devoir intituler un chapitre Marxisme et Psychanalyse, mais là où l'on s'attendait à une confrontation serrée de deux courants de pensée et de leurs notions cardinales (par exemple l'aliénation) on est quelque peu déçu de ne trouver que l'interprétation freudienne du capitalisme et un résumé des livres de Fromm!...

Beaucoup plus précieuse est la partie originale de l'ouvrage où Bastide en vient à prendre position dans le débat, tant sur les prin- cipes de la méthode psychanalytique que sur le rôle de la sexualité dans la vie sociale. Au fond, le procédé constant de Freud et de ses disciples est d'expliquer les faits sociaux à partir de données patho- logiques : le totémisme à partir des phobies animales ou le mythe du héros à partir du « roman familial »... Ceci implique un certain nombre de postulats de méthode : la maladie constitue une « cari- cature du social », « un appareil grossissant qui permet de mieux voir et de mieux analyser certains processus sociaux » (p. 176)... Ou encore les névroses nous permettent de capter sur le vif le pro- cessus de création des interdits ou des rites, la pathologie repré- sente le social in statu nascendi. En résumé, entre le normal et l'anormal, il n'y a qu'une différence de degré. C'est la position de Claude Bernard en biologie, appliquée par Ribot à la psycholo-

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Paul Kahn

gie, c'est celle d'un Pierre Janet se servant des faits pathologiques pour comprendre les conduites sociales. Nous serons d'accord avec Bastide et également avec Lévi-Strauss pour dénoncer dans cette position une contradiction, la maladie ayant été souvent décrite comme un processus de subjectivation, et les conduites anormales comme des « conduites désocialisées ». Une autre thèse, celle des anthropologues et psychiatres contemporains tend à affirmer que la névrose révèle le désajustement de l'individu à la société, et que l'absence des névroses dans une société témoigne d'un parfait ajustement social, tandis que la multiplication des névroses prouve une désintégration de la société. « La névrose est ainsi définie sociologiquement comme par l'écart avec la moyenne statistique ou avec les valeurs courantes de la culture envisagée » (p. 180). Il y a là confusion entre le désajustement social et le désajustement névropathique. Ce qu'il faut conclure au sujet du rapport du social et du pathologique, c'est que les faits sociaux peuvent dans certains cas s'expliquer par des faits pathologiques, lorsque la société se modèle sur le névropathe ou le situe dans un ensemble culturel (par exemple le rôle du sorcier dans certaines sociétés archaïques ou de l'idiot dans la vie de certains villages ruraux). Réciproque- ment, des faits pathologiques peuvent dans d'autres cas s'expliquer par des faits sociaux. Dans certains délires, des malades recourent à des représentations collectives : délires religieux, délires démo- niaques, délires spirites, délires pseudo-scientifiques. Dans ces cas, le contenu manifeste est fourni par la société et orienté par la libido.

Ainsi, à la pénétration réciproque de l'individuel et du social correspond la pénétration réciproque du normal et du pathologique, étant entendu qu'entre normal et pathologique la différence est de nature et non de degré, et que le social n'est explicable en termes pathologiques que dans des circonstances très rares où il émane de personnes malades. Enfin il faut souligner la relativité du normal et du morbide selon les types de société où les diverses civilisations d'où un certain nombre de recommandations : tenir compte de la différence entre névroses actuelles et névroses primitives; - expli- quer l'archaïque par de l'archaïque et non par de l'actuel; - ne pas comparer le primitif adulte avec l'enfant civilisé, mais le pri- mitif adulte avec l'enfant primitif, en un mot rester toujours dans le même domaine culturel, dans le champ de la même civilisation. Et Bastide défend contre Freud et après Malinowski le pluralisme des inconscients. Il tente de le démontrer par la sociologie des rêves où viennent interférer « comme deux fleuves peuvent mêler leurs eaux » « deux ordres de phénomènes différents », le libidineux qui prend naissance « dans l'animalité » et le social qui prend naissance « dans l'interpénétration des consciences » (p. 189). D'où la dis- tinction fondamentale entre deux espèces de sexualités, l'une libi-

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La « Bibliothèque de Sociologie Contemporaine » dineuse et purement individuelle, l'autre sexualité symbolique créée par la société afin de signifier matériellement et rituellement l'idée de solidarité, d'agrégation entre individus. La désexualisation c'est le passage de l'une à l'autre, du plan de la libido ou sexualité libre au plan de la sexualité contrôlée. Sexualité et société se pénètrent réciproquement. Les institutions sont des ensembles de règles, de formes coutumières, de liaisons cristallisées. Elles ne vivent que de la vie des individus et par conséquent en descendant en eux, elles réveillent le sexuel et désormais le sexuel les pénètre. Ainsi, rencon- trons-nous des interférences entre la vie professionnelle et la vie sexuelle : caractère sadique de certaines relations entre chefs de bureau et employés, professeurs et élèves; entre la vie religieuse et la vie sexuelle : extases mystiques, cultes phalliques. Nous ren- controns également des cas de collaboration créatrice du sexuel et du social : rites d'initiation ou magie dans les sociétés archaïques, utilisation par certaines sociétés de perversions sexuelles comme l'homo-sexualité 13.

Hétérogénéité du libidineux et du social, rapports d'implications et d'inférences mutuelles entre social et sexuel, pluralisme des inconscients, conception de la société comme ensemble de symboles et de valeurs fournissant les cadres sociaux aux rationalisations : telles sont les contributions de la sociologie à la psychanalyse. Existence du libidineux à tous les paliers en profondeur de la réa- lité sociale comme sur le plan horizontal des inter-relations humaines : plan de la communication mimétique ou verbale, plan des symboles sociaux, plan des formes de la sociabilité, telle est la contribution de la psychanalyse à la sociologie. Bastide entreprend d'appliquer ces conclusions à l'étude des phénomènes de rencontre des races et d'interpénétration des civilisations. Dans le préjugé racial, il recon- naît la présence d'éléments sexuels : complexe d'Œdipe colonial, tabou de la femme blanche, dualisme du père et du maître blanc, de la maîtresse blanche et de la maman noire. Ces éléments doivent toujours être situés dans l'ensemble social. Ils varient selon le sexe, la condition de l'enfant dans la famille, la classe économique, la région, etc. Dans les cultes africains au Brésil on retrouve un des processus à travers lesquels le noir minimise ses conflits intimes ou dans le messianisme noir aux États-Unis, une réaction contre la frustration...

Au terme de cette revue des quatre premiers volumes de la « Biblio- thèque de Sociologie contemporaine », nous comprenons mieux

13. Bastide cite le rôle des homosexuels dans certaines sociétés guer- rières comme celle des Amis chez les Grecs, des Samouraï au Japon; nous rapprocherons de ces exemples l'existence dans la « Résistance » pendant la guerre 1939-1944 de réseaux d'invertis qui ont rendu les plus grands services (voir le roman de Malaparte, La Peau, chap. V, Le Fils d'Adam).

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Paul Kahn combien sont désuets les prétendus conflits d'impérialismes entre Sociologie et Anthropologie, Sociologie et Psychologie, Sociologie et Psychanalyse. Toutes ces sciences ont au fond le même objet : l'homme envisagé dans son comportement global à travers les méca- nismes biologiques, psychiques ou sociaux. Toutes sont des branches d'une science unique que l'on pourrait désigner sous le terme d'an- thropologie sociale. Et nous nous retrouvons d'accord avec Marcel Mauss pour constater : « C'est aux confins des sciences, à leurs bords extérieurs, aussi souvent qu'à leurs principes, qu'à leur noyau et à leur centre que se font leurs progrès » et pour souhaiter qu'aux interminables procès de compétences entre sciences sociales succède définitivement une collaboration qui paraît bien acquise entre psy- chologues, psychiatres et sociologues et s'imposera demain entre sociologues, juristes, historiens et géographes. Il reste que le com- portement humain à la fois et indissolublement individuel et social peut et doit être saisi sous une double perspective immanente et transcendante, d'un côté sous un aspect interne, au sein d'une inter- subjectivité où se tissent les relations constitutives des «moi», des « autrui » et des « nous », d'un autre côté sous un aspect externe, à travers les institutions où se saisissent les valeurs fondamentales, la moralité et la normatività des groupes. Ne retrouvons -nous pas cette dualité, comme le souligne justement Dufrenne, dans l'ap- préhension d'autrui, sympathiquement senti comme « immanent au pouvoir constituant de ma conscience » et s'insérant en moi comme « une présence », un « destin qui atteste ma facticité », comme « quelque chose qui ne procède pas de moi », quelque chose « d'objectif au sein de l' intersubjectivité » 14? Ne la retrouvons- nous pas également dans l'opposition d' Halb wachs entre deux espèces d'historicité, l'historicité tout externe ou la mémoire his- torique, l'historicité tout interne ou mémoire collective, courant continu de traditions héritées d'un lointain passé et transmis de génération en génération? Ne la retrouvons -nous pas à chacun des paliers en profondeur de la vie sociale, dans chacun des types sociaux? Cette dualité ou ambiguïté d'une réalité psycho -sociale unique, tantôt intériorisée tantôt extériorisée, nous paraît en définitive beaucoup plus significative que la dualité artificielle longtemps conservée par la sociologie entre faits morphologiques et faits idéo- logiques ou par la philosophie entre faits qualitatifs et faits quanti- tatifs.

Centre d'Études Sociologiques, Paris.

14. M. Dufrenne, « Sociologie et Psychanalyse », in Année Sociologique, 3e série, p. 233.

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