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Les sénateurs socialistes...PPL n°3176 de Jérôme Bignon adoptée par l’Assemblée nationale...

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Les sénateurs socialistes www.senateurs-socialistes.fr B ULLETIN DU G ROUPE SOCIALISTE DU S ÉNAT N°10 Jeudi 9 février 2012
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Les sénateurs socialistes

www.senateurs-socialistes.fr

BULLETIN DU

GROUPE SOCIALISTE DU SÉNAT

N°10

Jeudi 9 février 2012

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NOTE D’INFORMATION...

- Ppl portant diverses dispositions d’ordre cynégétique

- Ppl tendant à interdire les licenciements boursiers

POINT SUR...

- Projet de loi organique relatif au remboursement des dépenses électorales de la cam-

pagne présidentielle

INTERVENTIONS...

RÉPRESSION DE LA CONTESTATION DE L’EXISTENCE DES GÉNOCIDES

Jean-Pierre SUEUR : page 15 Intervention du Rapporteur de la Commission

page 28 Défense de l’exception d’irrecevabilité

page 41 Explications de vote sur l’ensemble du texte

Philippe KALTENBACH : page 19 Intervention dans la discussion générale

page 31 Explications de vote contre exception d’irreceva-

bilité

Luc CARVOUNAS : page 23 Intervention dans la discussion générale

page 33 Explications de vote contre exception d’irreceva-

bilité

Bernard PIRAS : page 26 Intervention dans la discussion générale

Yannick VAUGRENARD : page 35 Explication de vote contre demande de renvoi en

commission

Catherine TASCA : page 37 Explications de vote sur l’ensemble du texte

Jean-Noël GUERINI : page 39 Explications de vote sur l’ensemble du texte

Gaëtan GORCE : page 40 Explications de vote sur l’ensemble du texte

COMMÉMORATION DE TOUS LES MORTS POUR LA FRANCE LE 11 NOVEMBRE

Alain NERI : page 43 Intervention dans la discussion générale

page 47 Explications de vote sur l’ensemble du texte

Ronan KERDRAON : page 45 Intervention dans la discussion générale

EXERCICE DES PROFESSIONS DE SANTÉ PAR DES TITULAIRES DE DIPLÔMES ÉTRANGERS

Yves DAUDIGNY : page 48 Rapporteur de la Commission des affaires sociales

Claudine LEPAGE : page 52 Intervention dans la discussion générale

Jean-Jacques MIRASSOU : page 54 Intervention dans la discussion générale

AGENTS CONTRACTUELS DANS LA FONCTION PUBLIQUE

Catherine TASCA : page 56 Intervention de la Rapporteur de la Commission des

Lois

Michel DELEBARRE : page 60 Intervention dans la discussion générale

Virginie KLES : page 64 Intervention dans la discussion générale

Jean-Yves LECONTE : page 67 Intervention dans la discussion générale

PROTECTION DE L’IDENTITÉ - CMP

Jean-Pierre SUEUR : page 70 Intervention du Président de la Commission des Lois

Virginie KLES : page 73 Intervention dans la discussion générale

Jean-Yves LECONTE : page 77 Intervention dans la discussion générale

STATUT DE LA MAGISTRATURE - CMP

Jean-Yves LECONTE : page 79 Intervention du Rapporteur de la CMP

Alain ANZIANI : page 81 Intervention dans la discussion générale

Réforme des ports d’outre-mer

Odette HERVIAUX : page 84 Intervention de la Rapporteure de la Commission de

l’économie

Serge LARCHER : page 88 Intervention dans la discussion générale

Maurice ANTISTE : page 90 Intervention dans la discussion générale

Georges PATIENT : page 92 Intervention dans la discussion générale

Bulletin duGroupe Socialiste

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QUESTIONS D’ACTUALITE...

- Politique de l’emploi par François PATRIAT page 94

- Campagne électorale dans les médias par David ASSOULINE page 96

- Fusion entre France 24 et RFI par Claudine LEPAGE page 98

COMMUNIQUÉS DE PRESSE...

- La majorité sénatoriale améliore le projet de loi sur le 11 novembre, journée d’hom-

mage aux «Morts pour la France»

- Proposition de loi sur la neutralité religieuse des structures éducatives de petite

enfance

- Logement et prix de l’immobilier : Nicolas Sarkozy dans le rôle de l’arroseur arrosé

- La majorité sénatoriale s’insurge contre le projet de loi de programmation sur l’exécu-

tion des peines par le gouvernement et le modifie profondément

- Le Président de la République parcourt l’Europe, négocie au nom de la France, mais ne

dit rien au Parlement

- A moins de 3 mois de l’élection présidentielle, une proposition de loi UMP porte un

coup fatal au métier d’enseignant

- Réaction aux propos de Claude Guéant devant l’UNI

- La gauche doit être solidaire du peuple grec, victime de l’impasse austéritaire du

couple Merkel-Sarkozy.

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Deux propositions de loi en concurrence

Une fois adoptée, cette loi sera la 6ème loi portantsur la chasse sur une période de 11 ans ! Ce sujet adonc tout autant occupé l’ordre du jour du Parlementque les lois sur la sécurité.

Cette fois-ci, l’exercice est assez particulier puisquedeux propositions de loi comportant des dispositionssimilaires, celle de Pierre Martin examinée au Sénatle 5 mai 2011 et celle de Jérôme Bignon examinée àl’Assemblée nationale le 17 mai 2011 se sont fait con-currence du fait du désaccord opposant les par-lementaires UMP de la Somme qui présidaient lesgroupes d’étude sur la chasse dans les deux assem-blées.

Aucun parlementaire ne voulant céder la politesse àl’autre, nous étions dans une curieuse situation deblocage puisqu’aucun texte ne pouvait poursuivre sanavette.

Finalement, ce sont les sénateurs UMP qui ont pliéet c’est la proposition de loi adoptée à l’Assembléenationale qui poursuit sa route à la demande dugouvernement. Celle adoptée au Sénat a doncoccupé bien inutilement notre ordre du jourpuisqu’elle deviendra caduque après les électionslégislatives.Il y a 25 articles dans la PPL transmise par l’Assembléenationale :- 5 articles supprimés lors de l’examen- 10 articles portent sur les mêmes dispositions quela PPL Martin adoptée au Sénat en mai 2011

- 9 articles qui portent sur des dispositions nouvelles - un gage financier

Un contexte tendu du fait de la décision du Conseild’Etat d’avancer la date de fermeture de la chasseaux oies

Le 23 décembre dernier, le Conseil d’Etat suite auxrequêtes présentées par l’association France NatureEnvironnement, l’association Ligue pour la protectiondes oiseaux et l’association Ligue ROC pour la préser-vation de la faune sauvage et la défense des non-chasseurs a décidé :- d’annuler le refus du ministre de l’écologie, dudéveloppement durable, des transports et du loge-ment d’abroger l’arrêté du 19 janvier 2009 modifié entant qu’il fixe au 10 février la date de fermeture de lachasse aux oies cendrées, rieuses et des moissons.(confirmé dans l’arrêté du 22 novembre 2010)- d’enjoindre au ministre de l’écologie, dudéveloppement durable, des transports et du loge-ment de fixer une date de clôture de la chasse auxoies cendrées, rieuses et des moissons qui ne soientpas postérieure au 31 janvier.

Pour prendre cette décision d’avancer de deuxsemaines la date de fermeture de la chasse aux oies,le Conseil d’Etat s’est appuyé sur la directive duConseil du 2 avril 1979 concernant la conservationdes oiseaux sauvages (directive oiseaux ), dont lesdispositions sont désormais reprises à l'article 7, § 4,de la directive du Parlement européen et du Conseildu 30 novembre 2009. Elle impose notamment auxEtats membres de veiller à ce que les espèces

Note d’information...Proposition de loi portant diverses dispositions d’ordre cynégétique

PPL n°3176 de Jérôme Bignon adoptée par l’Assemblée nationaleNote après l’examen en commission

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Calendrier- PPL de Jérôme Bignon, député de la Somme, président du groupe « chasse et territoire» adoptée le 17 mai 2011 à l’Assemblée nationale- Examen du rapport de J-J Mirassou en commission de l’économie le mercredi 25 janvier (délai d’amdt :vendredi 20 janvier à 12h)- Examen en séance le jeudi 2 février et éventuellement le 3 février dans le cadre de la semaine dédiée au gouvernement (délai d’amdt : lundi 30 janvier à 11h / 15 min en dg )- Examen à l’AN en 2ème lecture : 13 février- Chef de file du groupe : Claude Bérit-Débat

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auxquelles s'applique la législation de la chasse nesoient pas chassées pendant la période nidicole nipendant les différents stades de reproduction et dedépendance, ni pendant le trajet de retour vers leurlieu de nidification.

Il résulte de l'interprétation qu'a donnée la Cour dejustice de l'Union européenne de cette dispositionque la protection est une protection complète, exclu-ant des risques de confusion entre espèces dif-férentes, et que la fixation de dates échelonnées enfonction des espèces ou en fonction des différentesparties du territoire n'est légalement possible que s'ilpeut être établi, au regard des données scientifiqueset techniques disponibles

Or il ressort des données scientifiques actuellementdisponibles que « si la période de vulnérabilitédébute, pour ces espèces, à la première décade defévrier, la tendance révélée à l'augmentation impor-tante du niveau de migration atteint au cours decette décade impose une fermeture de la chasse dèsla fin de la décade précédente pour satisfaire à l'ob-jectif de protection complète de ces espèces. »

La Fédération nationale des chasseurs a très malaccueilli cette décision qui découle de requêtedéposée par des associations environnementalesqui ont été partie prenante des tables rondes organ-isées par le gouvernement. Elle estime qu’elle arespecté son engagement de mettre en place unPrélèvement maximum autorisé pour la chasse à labécasse alors que les associations environnemen-tales n’ont pas respecté leur engagement sur lesdates de fermeture de la chasse aux oies. (commu-niqué du 22 décembre 2011)

Elle estime que la décision du Conseil d’Etat ne tientpas compte de l’état des populations d’oies con-cernées puisque ces mêmes « oies sont tellementnombreuses qu’elles sont détruites par dizaines demilliers en Hollande chaque printemps / été » pourlimiter les dégâts aux cultures. (communiqué du29 décembre 2011)

Elle n’exclut pas : « d’appeler tous les chasseurs àmanifester d’abord au niveau régional début mars,puis à Paris si nécessaire, début avril, pour exprimerleur ras-le-bol devant le manque de courage dumonde politique à l’égard de la chasse et dénoncerles dérives des mouvements écologistes que l’Etatcouvre avec complaisance et finance grassement. »

Nul doute que ce contexte tendu risque de per-turber l’examen de la ppl Bignon au Sénat et ce,alors que les dates d’ouverture et de fermeture de lachasse sont du domaine du règlementaire et n’ontpas à être discutées par le Parlement. C’est bien augouvernement de prendre ses responsabilités et nonaux parlementaires de trancher.

Cette problématique ne manquera pas d’être utiliséependant la campagne présidentielle.Le Front national s’est déjà emparé du sujet puisquele conseiller politique de Marine Le Pen, GuillaumeVouzellaud a fait la déclaration suivante : « Les chas-seurs français ne seront pas, en ce début de XXIèmesiècle, les nouveaux serfs d’une Union européennedéracinée, hégémonique et totalitaire. »

Le contenu de la présente PPL

� Reconnaître aux chasseurs leur rôle dans lagestion de la biodiversité

- habiliter les chasseurs à mener des actions d’infor-mation et d’éducation dans une logique dedéveloppement durable en matière de préservationde la faune et de ses habitats.Il s’agit d’acter le rôle des fédérations départemen-tales des chasseurs auprès des scolaires en matièrede développement durable, ce qui heurte certainsopposants à la chasse qui y voient une forme deprosélytisme. En pratique, la FNC a déjà signé uneconvention avec le ministre de l’éducation nationale.- étendre l’agrément au titre d’association de protec-tion de l’environnement aux fédérations régionaleset interdépartementales de chasseurs (et pas seule-ment FNC et FDC)

Etendre l’exonération partielle de taxe foncièresur le non bâti aux zones humides sur le territoiredesquelles se pratique la chasse.

Clarifier les modalités de validation du permisde chasser et le montant des redevances cynégé-tiques et les réductions dont peut bénéficier un nou-veau chasseur

Déterminer les dispenses dont bénéficient lespropriétaires d’enclos cynégétique

Prendre en compte des décalages existants surle territoire français quand au lever et au coucher dusoleil notamment pour la chasse au gibier d’eau à lapassée.

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Encadrer les déplacements de postes fixes dechasse de nuit au gibier d’eau

� Etendre le principe de responsabilité financièredes propriétaires de terrains non soumis à un plande chasse ou sous-chassé en cas de dégâts sur lesparcelles agricoles attenantes. (y compris terrainsmilitaires)

Définir les infractions pouvant conduire à lasuspension du permis de chasser et le pouvoir del’Office national de la chasse et de la faune sauvage

Faire évoluer le droit des associations commu-nales de chasse agréées (ACCA)

Donner un pouvoir d’initiative à la FNC auniveau national en matière de PMA (prélèvementmaximum autorisé) sur le modèle de ce qui se fait auniveau départemental

Encadrer explicitement la pratique de la chasseau grand duc artificiel

A l’Assemblée nationale, les parlementaires social-istes ont voté pour la présente PPL comme nousl’avions fait au Sénat après la défense de plusieursamendements.Les députés verts s’y sont opposés comme les séna-teurs verts.

Les points qui feront vraisemblablement le plusdébat seront :

- Le rôle du Préfet dans la création d’une réserve dechasse par rapport aux détenteurs du droit de chasseou de la fédération départementale des chasseurs.- La régulation des espèces sur les propriétés d’op-posants à la chasse- L’application du droit commun de la chasse dans leparc amazonien de Guyane au risque de remettre enquestion les pratiques traditionnelle des Amérindiens- L’indemnisation des dégâts de gibier sur les par-celles agricoles - La pratique de la chasse dans des enclos

Les propositions du rapporteur adoptées en com-mission de l’économie le 25 janvier 2012

Après avoir souligné que l’on était face à un gravedysfonctionnement parlementaire puisque le Sénatest obligé de se prononcer à nouveau sur des dispo-sitions examinées il y a seulement quelques mois, le

rapporteur Jean-Jacques Mirassou, a déclarésouhaiter chercher l’apaisement sur un certain nom-bre de points afin que l’inflation législative sur laquestion de la chasse cesse enfin.

En effet, il ne faudrait pas selon lui surévaluer l’im-portance de ce dossier par rapport aux perturbationséconomiques et sociales que notre société traversemême s’il est vrai que le poids de la chasse au niveaulocal n’est pas à négliger : un poids économique éva-lué à 2,2 milliards d’euros, des recettes importantespour le budget de certaines communes, 24 000emplois générés et une contribution importante à lapréservation des territoires via la régulation des nui-sibles, la gestion de la faune et la préservation desespaces naturels.

Les propositions du rapporteur s’inscrivent dans lesdeux axes de cette PPL qui sont d’améliorer le quoti-dien des chasseurs, leur pratique de la chasse et sagestion sur les territoires et d’entériner ce qui estaujourd’hui reconnu par tous comme un pointd’équilibre :

- modification de l’article 1 pour préciser que le chas-seur est un acteur à part entière en matière de ges-tion de la biodiversité

- modification de l’article 2 pour enrichir la formula-tion du rôle des fédérations départementales etrégionales des chasseurs d’information et d’éduca-tion au développement durable en matière de ges-tion de la biodiversité

- suppression de l’article 3 qui introduisait la confu-sion en matière de création de réserves de chasse

- modification de l’article 4 bis pour encadrer le dis-positif incitatif prévu : un nouveau chasseur pourraprofiter, lors de sa première campagne cynégétique,d’une validation lui permettant de chasser sur tout leterritoire national (et non tous les chasseurs pouréviter le nomadisme)

- suppression de l’article 8 bis, qui prévoyait que lesinfractions au plan de gestion cynégétique ou auprélèvement maximal autorisé pouvaient être sanc-tionnées par une suspension du permis de chasser(déjà possibilité de sanction par une contraventionde 4ème classe : amende de 135 euros et jusqu’à375 euros quand il y a majoration)

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- modification de l’article 13 pour s’assurer que l’ap-plication de la sanction prévue pour le fait de chas-ser dans un parc naturel à la Guyane n’empêche pasles populations locales, amérindiennes etBushinenguées de chasser

- modification de l’article 14 pour que l’automaticitédu refus de délivrance du permis de chasser par ledirecteur de l’ONCFS ne soit appliquée qu’aux per-sonnes condamnées pour des faits graves et en rap-port avec l’exercice de la chasse ou la détention d’unearme afin de conserver le pouvoir d’appréciation dudirecteur de l’ONCFS.

Selon le rapporteur, il est important d’éviter de ren-trer dans des débats qui sont du domaine du règle-mentaire et d’introduire des solutions ponctuelles àcertains problèmes locaux qui seraient invalidéessur le court terme.

En conséquence, il a refusé les dispositions sui-vantes :

- la possibilité de déposer une demande d’autorisa-tion annuelle globale pour l’ensemble des périodesdérogatoires de chasse : c’est au Préfet d’apprécierl’opportunité des demandes de dérogations auxdates d’ouverture et de fermeture de la chasse pourchaque espèce concernée

- l’exonération de la chasse à caractère commercialen enclos de toute règlementation cynégétique

- la possibilité de chasser les espèces nuisibles pen-dant toute la période de chasse à l’aide d’appelantsvivants

- l’attribution de missions de police générale auxgardes-chasse particuliers

- l’utilisation du grand duc artificiel pour tout type dechasse et pas que pour les nuisibles

- la suppression de la possibilité d’associer les cham-bres d’agriculture et la commission départementalede la chasse et de la faune sauvage à la décision duPréfet sur les dégâts de gibier.

______________________

Je vous invite à consulter la note détaillée sur l’extranet dusite du groupe socialiste : www.senateurs-socialistes.fr oul’obtenir auprès de la collaboratrice du groupe à l’adressesuivante : [email protected]

Bulletin du Groupe Socialiste du Sénat n° 10 page 7

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I. LES DEUX PRINCIPAUX ELEMENTS DE CONTEXTE

1/ Cette proposition de loi au titre ambitieux vise àrépondre à plusieurs opérations de licenciementséconomiques collectifs réalisées par de grandsgroupes depuis une dizaine d’années, et qui ontvivement frappé l’opinion publique.

Ainsi l’exposé des motifs mentionne l’entrepriseMichelin qui, en 1999, avait licencié 7500 personnes,en distribuant parallèlement des dividendes en aug-mentation et en annonçant des bénéfices en haussede 20 %. Dans le même temps, Michelin créait desusines au Mexique et au Brésil notamment, avec desconditions juridiques, salariales et sociales évidem-ment totalement différentes.

C’est avec cette affaire, contre laquelle lesParlementaires socialistes s’étaient élevé avec force,que l’expression « licenciements boursiers » a faitson apparition. De nombreuses affaires analoguesont eu lieu depuis, dont certaines sont aussi men-tionnées par la PpL. (Total, Danone, Caterpillar,Continental délocalisé en Roumanie, Molex -Villemur sur Tarn,…etc)

Dans la période actuelle, on rappellera les problèmesrécurrents de la sidérurgie lorraine, avec Gandrange,Petroplus en Seine maritime menacé de faillite frau-duleuse, Lejaby - Yssingeaux délocalisé enTunisie…etc.

Sur ce dernier cas, il faut distinguer le repreneur deLejaby, qui ne reprendra pour l’activité lingerie que195 salariés sur 450, du financier proche de

N. Sarkozy qui reprend le site d’Yssingeaux et les93 salariées pour une activité maroquinerie de luxe.162 emplois restent donc supprimés. (Depuis 2003,le groupe Palmers propriétaire de Lejaby avait déjàsupprimé 443 emplois).

Dans toutes ces affaires emblématiques, il n’est pascontesté que la société propriétaire de l’entreprisen’est pas immédiatement menacée. Les licencie-ments et fermetures d’usines sont notoirement des-tinés à « améliorer la compétitivité », essentielle-ment par des délocalisations vers des pays à très bassalaires et sans protection juridique ni sociale pourles personnels.

2/ D’autre part, il convient de rappeler qu’aujour-d’hui, parmi les motifs d’inscription au chômagerecensés par Pôle emploi, les licenciements sont enbaisse constante à 12 %.

Sur le total des licenciements, les licenciements pourmotif économique ne représentent plus que 2,4%,alors que le nombre des licenciements « pour autresmotifs » a explosé, passant de 30 % des licenciementsen 2008 à 41 % en 2010.

Le dispositif créé en 2008 de rupture convention-nelle les a largement remplacés, ainsi que le licencie-ment pour motif personnel. Aucun motif n’est àinvoquer pour la rupture conventionnelle, ce quiévite les aléas de « l’absence de cause réelle etsérieuse » qui risque d’être constatée par les juridic-tions. Il est aussi plus facile de licencier les salariés« par petits paquets » en évitant les plans sociaux etles obligations afférentes.

Note d’information...

Proposition de loi tendant à interdire les licenciements boursiers

Bulletin du Groupe Socialiste du Sénat n° 10 page 8

Calendrier :

PPL du groupe CRC déposée le 13 septembre 2011Rapport de Dominique Watrin en Commission des Affaires sociales mercredi 08 février à 14 heures 30Séance publique jeudi 16 février matin

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En fait, ce sont les fins de CDD (26 % des entrées àPôle emploi) et de missions d’intérim (6,6 % desentrées) qui grèvent le plus lourdement les financesde l’assurance chômage, et qui sont aussi facteurs deprécarité et de multiplication du nombre de tra-vailleurs pauvres, avec l’ensemble des problèmessociaux qui en découlent. La PpL du groupe CRC adonc surtout une forte charge symbolique dont il nefaut pas mésestimer l’impact, mais l’impact « statis-tique » est quant à lui beaucoup moins élevé.

II. L’EVOLUTION JURISPRUDENTIELLE

L’article L. 1233-3 définit le licenciement pour motiféconomique, individuel ou collectif :

« Constitue un licenciement pour motif économiquele licenciement effectué par un employeur pour unou plusieurs motifs non inhérents à la personne dusalarié résultant d’une suppression ou transforma-tion d’emploi ou d’un modification refusée par lesalarié d’un élément essentiel du contrat de travail,consécutives notamment à des difficultés écono-miques ou à des mutations technologiques.

Première étape

La notion de « difficultés économiques » a été élargiedepuis un premier arrêt en ce sens de la Cour deCassation le 5 avril 1995 : « Constitue un motif éco-nomique toute mesure de réorganisation décidéepour sauvegarder la compétitivité de l’entreprise. »Cette notion de sauvegarde de la compétitivité del’entreprise a donné lieu à une jurisprudence abon-dante et détaillée en fonction des différentes situa-tions exposées devant la justice. Elle renvoie à lanotion de licenciement estimé « nécessaire » parl’employeur, et ne pouvant donc être évité dans un contexte de compétitivité où la survie de l’entrepriseserait menacée à terme. (arrêt Cass. Soc. dit « Pagesjaunes du 24 /01/2006)Les licenciements « boursiers » entrent dans cettevaste catégorie des licenciements « compétitivité »lorsqu’ils concernent un groupe qui cote en Bourse.Sont donc justifiés des licenciements d’adaptationdes effectifs à la charge de travail, de suppressiond’un site devenu obsolète, de délocalisation dans lesouci de réduire les prix de revient Progressivement,les difficultés économiques prévisibles qui justifiaientles suppressions d’emplois, ont été estimées demanière plus lointaine.

Ex : une réorganisation est jugée nécessaire pouraffronter la concurrence, ce qui procède d’une bonnegestion prévisionnelle des emplois et des compé-tences (GPEC). Elle est donc nécessaire à la sauvegar-de de la compétitivité de l’entreprise. En lien avecl’obligation légale de développer la GPEC, les entre-prises peuvent donc anticiper les difficultés et seréorganiser, avec des suppressions d’emplois.L’employeur doit établir la source des difficultés pré-visibles, tel le contexte concurrentiel. Les licencie-ments ont une cause réelle et sérieuse.

En revanche, les licenciements ne sont pas justifiésdans un seul souci de rentabilité (Cass. Soc.22/09/2009), de recherche de profits plus importants(Cass. Soc. 06/03/2007), de réduction de frais fixes oude la masse salariale (Cass.soc. 12/01/2001). Commeon le voit, la marge d’appréciation est ténue. LeConseil constitutionnel est aussi intervenu par uneDécision du 12 janvier 2002, consacrant la possibilitépour une entreprise « d’anticiper des difficultés éco-nomiques à venir en prenant des mesures de natureà éviter des licenciements ultérieurs plus impor-tants. »

Deuxième étape

Le motif économique - cause réelle et sérieuse - quijustifie des licenciements a donc connu une grandeextension par ces jurisprudences. Il en résulte que laliberté d’appréciation des juges du fond a été sévère-ment limitée.

Toutefois, le nombre important d’abus constatésvient de conduire plusieurs juridictions à rendre desdécisions jugeant que l’absence de motif écono-mique justifie la nullité d’un plan de licenciements.

Trois arrêts viennent d’être rendus :- TGI Troyes - février 2011 - Sodimédical, - CA Paris - 12 mai 2011 – Viveo, en Cassation- TGI Nanterre - 21 octobre 2011 - Ethicon

Pour information, Viveo est une entreprise de logi-ciels bancaires, rachetée par le groupe suisseTemenos le 23 décembre 2009. Le 5 février 2010,Viveo a présenté à son Comité d’entreprise un plande licenciements de 84 postes sur 180.Dans ces trois affaires, les juges ont décidé que lasituation financière de l’entreprise ne constituait pasune cause réelle et sérieuse de licenciement écono-mique, ce qui entraîne habituellement le paiement

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de dommages et intérêts aux salariés. Les juges sontcette fois allés au-delà et ont déclaré la nullité duplan de licenciements. Celui-ci est donc inexistant etles salariés doivent être réintégrés.

Si ces décisions sont confirmées, les élus salariés descomités d’entreprise ne manqueront pas, dès laconsultation sur un plan de licenciements, de deman-der au juge d’examiner le bien fondé du motif écono-mique, ce qui conduit à un nouveau délai (réduit sil’administration du travail peut être saisie).

III. LA PROPOSITION DE LOI BUFFET « MESURESURGENTES DE JUSTICE SOCIALE EN FAVEUR DE L’EM-PLOI, DES SALAIRES ET DU POUVOIR D’ACHAT »

Le jeudi 28 mai 2009, l’Assemblée nationale a exa-miné une PpL du groupe communiste intitulée« Mesures urgentes de justice sociale en faveur del’emploi, des salaires et du pouvoir d’achat ». Le votesolennel, de rejet par la droite, a eu lieu lemardi 2 juin. Cette PpL comprenait une quinzained’articles, dont le premier proposait d’exclure duchamp légal des licenciements économiques ceuxréalisés dans des entreprises ayant réalisé des béné-fices, constitué des réserves, distribué des dividendesau cours des deux derniers exercices, délocalisé leurproduction ou reçu des aides publiques. La mise enœuvre de cette disposition aurait été confiée obliga-toirement à l’inspecteur du travail.

Parmi les interventions des députés socialistes(Christian Eckert, Michel Liebgott, CatherineLemorton, Martine Pinville, Marisol Touraine) onrelèvera l’intervention de Patrick Roy, décédé depuis,sur l’article premier :

Bulletin du Groupe Socialiste du Sénat n° 10 page 10

« L’article 1er traite du problème, bien évidemmentdramatique, des licenciements. La France souffre,monsieur le secrétaire d’État chargé de l’emploi. M. lerapporteur le sait certainement bien mieux que vous.Le chômage explose, et pendant ce temps Pôle emploiimplose… Chaque jour, dans nos permanences, noussommes confrontés à des situations dramatiques,parce que le Gouvernement n’a pas su faire face. Il atrès mal organisé les services de Pôle emploi, dont lesmalheureux employés essayent de faire ce qu’ils peu-vent pour répondre à des situations personnelles parti-culièrement difficiles.

Le chômage explose, disais-je, parce qu’il y a beaucoupde licenciements. D’où la question : une entreprise a-t-elle le droit de licencier ?

Au risque de vous étonner, monsieur le secrétaired’État, je pense que oui. Lorsqu’une entreprise rencontrede vraies difficultés et que sa survie est en cause, elledoit parfois se résoudre à des décisions douloureuses,mais nécessaires. Je cite souvent l’exemple d’un nouveaurestaurant : si, quelques mois après l’ouverture, il n’y atoujours pas de clients, je comprends que le patron ailleexpliquer aux cuisiniers et aux serveurs qu’il n’est pluspossible de continuer.Mais, monsieur le secrétaire d’État, l’article 1er ne serapporte pas à une telle situation. Il vise les licencie-ments immoraux, abusifs et indécents, qui ne reposentsur aucune réalité économique. Or ceux-ci représententaujourd’hui la grande majorité des licenciements, vousle savez bien. Vous essayez de l’occulter en soutenantque la proposition du groupe GDR est une vieille lune,encore une manière de remettre en cause l’autorisationadministrative de licenciement. Mais M. le rapporteur a dénoncé votre mensonge endémontrant qu’il ne s’agit pas de cela. L’objectif est demoraliser les relations économiques, sinon le capitalis-me. Il s’agit d’avoir des comportements tout simplementhumains. Je me tourne vers vous, chers collègues de lamajorité : les yeux dans les yeux, dites-moi commentvous pouvez accepter qu’une entreprise qui fait desbénéfices présente des plans de licenciements.Comment pouvez-vous le justifier ? Un profit insuffisam-ment juteux pour quelques patrons, pour quelquesactionnaires, est-ce à vos yeux un motif suffisant pourlicencier ? Prenons l’exemple des suppressions d’emploischez Total, que M. le secrétaire d’État avait immédiate-ment déploré dans une belle déclaration… C’est gentil,mais discourir la main sur le cœur ne suffit pas : il fautdes actes. Ce que propose l’article 1er devrait donc nousrassembler, mes chers collègues. Comment pouvez-vousjustifier qu’une entreprise comme Total puisse annoncerdes licenciements après avoir distribué force dividendesà ses actionnaires ?Cela ne repose sur aucune réalité, si ce n’est celle del’appât du gain, du profit. Comment pouvez-vous accep-ter qu’une entreprise bénéficiaire licencie et délocalise ?C’est le cas de l’entreprise PPG, située dans la circons-cription d’une députée présente : elle dégage des béné-fices mais, à Pittsburgh, ses actionnaires les trouventinsuffisants et ils veulent aller produire ailleurs, là où lamain-d’œuvre est moins chère, pour augmenter encoreles profits. Comment, les yeux dans les yeux, peut-onaccepter ? C’est intolérable ! Ce n’est pas humain, c’estimmoral !Enfin, comment accepter qu’une entreprise qui a reçudes aides de l’État puisse licencier ? Car c’est bien de celaqu’il s’agit, monsieur le secrétaire d’État ! M. le rappor-teur l’a rappelé publiquement : ce n’est pas une vieillelune !Comment pouvez-vous ne pas accepter de voter l’ar-ticle 1er, sauf à y voir une complicité avec ceux qui sontmus par l’appât du gain et veulent s’enrichir impuné-ment ?

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On relèvera aussi l’explication de vote finale deC. Eckert, s’adressant à la droite :

Pour mémoire, la PpL Vidalies « Augmentation dessalaires et protection des salariés et des chômeurs »proposait la généralisation du contrat de transitionprofessionnelle et la prolongation de six mois de l’in-demnisation des chômeurs après une fin de CDD oude mission d’intérim. La PpL Muet « Hauts revenus et solidarité » propo-sait la suppression du bouclier fiscal et la limitationdes rémunérations excessives.

IV. LE CONTENU DE LA PRESENTE PROPOSITION DELOI

Article premier

Cet article propose de compléter l’article L. 1233-3 ducode du travail par deux nouveaux alinéas. L’article L.1233-3 définit le licenciement pour motif écono-mique, individuel ou collectif :« Constitue un licenciement pour motif économiquele licenciement effectué par un employeur pour unou plusieurs motifs non inhérents à la personne dusalarié résultant d’une suppression ou transforma-tion d’emploi ou d’un modification refusée par lesalarié d’un élément essentiel du contrat de travail,consécutives notamment à des difficultés écono-miques ou à des mutations technologiques.

1/ Le premier alinéa propose qu’un licenciement nepuisse être qualifié d’économique si l’entreprise adistribué des dividendes aux actionnaires dansl’exercice comptable précédent.

Cet alinéa ne mentionne donc pas, comme le faisaitla PpL Buffet, la réalisation de bénéfices, les délocali-

sations et l’octroi d’aides publiques. Les dividendespeuvent être distribués sur d’autres exercices. Cesomissions laissent une latitude certaine à l’em-ployeur avisé.Il limite son champ à la distribution préalable de divi-dendes, ce qui correspond à une logique de réparti-tion équitable des profits entre l’apport en capital etl’apport en travail conforme à la ligne du groupeCRC : les apporteurs en capitaux ne doivent pas êtrerémunérés si des emplois, donc la rémunération desapporteurs en travail, est parallèlement supprimée.

2/ Le deuxième alinéa propose que l’inspecteur dutravail procède aux vérifications nécessaires, ce quiimplique un contrôle a priori et conduit donc à réta-blir l’autorisation administrative de licenciement,supprimée par la loi de 1986, et que nul n’a rétabliedepuis. Au demeurant, cette autorisation ne permet-tait pas de limiter au-delà de quelques % le nombrede licenciements économiques, qui était à cetteépoque fort élevé. Une saisine optionnelle par le salarié auquel lelicenciement est notifié serait sans doute plus envi-sageable. De plus, le nombre réduit d’inspecteurs etde contrôleurs du travail, déjà en surcharge, ne per-mettrait pas une saisine automatique.

Article deux

Cet article propose d’insérer un nouvel article dans lecode du travail, disposant que « les établissements ou entreprises qui bénéficientde subventions publiques, sous quelques formes quece soient, s’engagent pour conserver le bénéfice deces aides à ne réaliser aucun licenciement autre queceux pour motif personnel ou économique (tels quedéfinis par l’article L.1233-3 du code du travail). Adéfaut, les établissement ou entreprises sont tenusde rembourser la totalité des aides publiques reçuesaux autorités qui les ont octroyées. »

Cet alinéa prévoit donc un engagement a priori del’entreprise qui reçoit une aide publique. Il seraitdonc important que soit précisé le délai durant lequelles licenciements qu’il prohibe ne peuvent être réa-lisés, la situation de l’entreprise étant susceptible dese modifier avec le temps. On pourrait aussi imaginerque l’engagement soit modulé en fonction du niveaude l’aide, tout ceci étant du domaine réglementaire.

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Vous pourriez, avec les articles 1, 2 et 3 mettre des ver-rous aux licenciements abusifs, que vous constatez parcentaines dans vos circonscriptions, mais que vous per-sistez à ne pas vouloir encadrer, ici, à l’Assemblée natio-nale.La PpL de notre collègue Marie-Georges Buffet et dugroupe GDR porte les mêmes valeurs de justice socialeet économique que celles portées par Alain Vidalies etPierre-Alain Muet dans les PpL défendues le 30 avril aunom du groupe socialiste. Le groupe socialiste les approuvera par son vote

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Sur le fond, cette proposition de remboursement desaides publiques peut rencontrer un large assenti-ment, tant les Elus ont souvent été échaudés. Deplus, cette proposition a souvent été faite par lesParlementaires socialistes ces dix dernières années,par des amendements qui ont été rejetés.

************

Au total, il apparaît que cette PpL couvre un champlimité aux opérations les plus grossièrement abu-sives, compte tenu de l’importance des entrepriseset groupes financiers qui en sont propriétaires. Elleentre globalement dans le cadre des options qui ontété défendues par les Parlementaires de gauchedepuis de nombreuses années.

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Alors que la campagne présidentielle était déjà large-ment engagée, le Gouvernement a déposé àl’Assemblée Nationale le 30 novembre 2011 un projetde loi organique relatif au remboursement desdépenses de campagne de l’élection présidentielle.

Les candidats à l’élection présidentielle devraientainsi voir diminuer le plafond de la part du rem-boursement de leurs comptes de campagne prise encharge par l’État, les comptes de campagne étantpourtant déjà ouverts, et ce depuis le 1er mai 2011 :- pour les candidats ayant comptabilisé moins de5% des suffrages, la part de remboursement de leursdépenses passerait de 5% à 4,75% ;- pour les candidats ayant obtenu plus de 5% desvoix, la part de remboursement de leurs dépenses decampagne passerait de 50% à 47,5%.

Parallèlement, le plafond des dépenses rem-boursables ne serait pas réévalué. Pour le groupe PS du Sénat, ce texte est l’occasion deréfléchir plus en profondeur sur les conditions néces-saires au bon déroulement de la campagne présiden-tielle.

Ainsi, afin de garantir à nos concitoyens une cam-pagne propre, le Sénat s’est saisi de ce texte et aadopté le 12 janvier dernier une série de mesuresvisant à clarifier le cadre juridique s’appliquant aufinancement des campagnes présidentielles :- interdiction d’utiliser à des fins électorales lesmoyens publics tirés de l’exercice d’une autre fonc-tion élective ;- imputation sur le compte de campagne detoutes les dépenses engagées dans l’année quiprécède le scrutin dès lors qu’elles sont en rapportavec le débat politique national (jurisprudence CSA);

- consultation possible, ouverte à tous les candi-dats, de la Commission Nationale des Comptes deCampagne et du Financement des Partis (CNCCFP)sur l’imputabilité de telle ou telle dépense et saisinepossible du Conseil Constitutionnel en cas de désac-cord pour stabiliser les règles juridiques applicables ;- contestation ouverte à tout candidat de la régu-larité des comptes de campagne d’un autre candidatdevant le Conseil Constitutionnel ;- modification des règles de remboursement quiseraient désormais calculées en fonction du nombrede voix obtenues par chaque candidat.

Ce dispositif d’ensemble, rendu nécessaire à la foispar les polémiques récentes et par les révélations dif-fusées ces dernières semaines sur l’origine des fondsayant alimenté certaines campagnes présidentielles,a été rejeté sans débat par la majorité UMP lors de laCommission Mixte Paritaire qui s’est tenue le mer-credi 18 janvier, ce qui manifeste clairement le refusdu Président de la République comme du gouverne-ment de lever les ambiguïtés de la législationactuelle.

En 2ème lecture, la majorité de l’AssembléeNationale a rétabli, sans autre forme de procès, sontexte initial.Le gouvernement s’est en effet retranché derrière lefait que l’on ne modifie pas les règles à trois moisd’un scrutin alors que c’est pourtant ce qu’il nouspropose de faire à travers le projet de loi organiquequi sert de base à la réforme ambitieuse et juste quenous proposons.

Hier, le Sénat a souhaité placer la majorité UMP del’Assemblée Nationale devant ses responsabilités, enrétablissant tous les amendements votés en 1ère lec-ture.

Point sur...Projet de loi organique relatif au remboursement des dépenses électoralesde la campagne présidentielle

Bulletin du Groupe Socialiste du Sénat n° 10 page 13

Le Sénat dénonce le refus de l’UMP de clarifier les moyens de financement des campagnes présidentielles

par Gaëtan GORCE,Sénateur de la Nièvre

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RÉPRESSION DE LA CONTESTATION DE L’EXISTENCE DES GÉNOCIDES

Jean-Pierre SUEUR : page 22 Intervention du Rapporteur de la Commission

page 27 Défense de l’exception d’irrecevabilité

page 40 Explications de vote sur l’ensemble du texte

Philippe KALTENBACH : page 18 Intervention dans la discussion générale

page 30 Explications de vote contre l’exception d’irrecevabilité

Luc CARVOUNAS : page 22 Intervention dans la discussion générale

page 32 Explication de vote contre l’exception d’irrecevabilité

Bernard PIRAS : page 25 Intervention dans la discussion générale

Yannick VAUGRENARD : page 34 Explication de vote contre la demande de renvoi en

commission

Catherine TASCA : page 36 Explications de vote sur l’ensemble du texte

Jean-Noël GUERINI : page 38 Explications de vote sur l’ensemble du texte

Gaëtan GORCE : page 39 Explications de vote sur l’ensemble du texte

COMMÉMORATION DE TOUS LES MORTS POUR LA FRANCE LE 11 NOVEMBRE

Alain NERI : page 42 Intervention dans la discussion générale

page 46 Explications de vote sur l’ensemble du texte

Ronan KERDRAON : page 44 Intervention dans la discussion générale

EXERCICE DES PROFESSIONS DE SANTÉ PAR DES TITULAIRES DE DIPLÔMES ÉTRANGERS

Yves DAUDIGNY : page 47 Rapporteur de la Commission des affaires sociales

Claudine LEPAGE : page 51 Intervention dans la discussion générale

Jean-Jacques MIRASSOU : page 53 Intervention dans la discussion générale

AGENTS CONTRACTUELS DANS LA FONCTION PUBLIQUE

Catherine TASCA : page 55 Intervention de la Rapporteur de la Commission des Lois

Michel DELEBARRE : page 59 Intervention dans la discussion générale

Virginie KLES : page 63 Intervention dans la discussion générale

Jean-Yves LECONTE : page 66 Intervention dans la discussion générale

PROTECTION DE L’IDENTITÉ - CMP

Jean-Pierre SUEUR : page 69 Intervention du Président de la Commission des Lois

Virginie KLES : page 72 Intervention dans la discussion générale

Jean-Yves LECONTE : page 76 Intervention dans la discussion générale

STATUT DE LA MAGISTRATURE - CMP

Jean-Yves LECONTE : page 78 Intervention du Rapporteur de la CMP

Alain ANZIANI : page 80 Intervention dans la discussion générale

Réforme des ports d’outre-mer

Odette HERVIAUX : page 83 Intervention de la Rapporteure de la Commission de

l’économie

Serge LARCHER : page 87 Intervention dans la discussion générale

Maurice ANTISTE : page 89 Intervention dans la discussion générale

Georges PATIENT : page 91 Intervention dans la discussion générale

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Monsieur leprésident,monsieur le

ministre, mes cherscollègues, nousexaminons aujour-d’hui la propositionde loi présentée parnotre collèguedéputée, ValérieBoyer, visant àréprimer la contesta-tion de l’existencedes génocides recon-nus par la loi, adoptée par l’Assemblée nationale, le22 décembre dernier.

Vous venez de le rappeler, monsieur le ministre, cetexte vise à punir d’un an d’emprisonnement et de45 000 euros d’amende les personnes qui contestentou minimisent de façon outrancière l’existence d’unou plusieurs crimes de génocide reconnus commetels par la loi française. En l’état du droit, ce disposi-tif s’appliquerait donc uniquement aux personnes quicontestent ou minimisent de façon outrancière l’exis-tence du génocide arménien, puisque seul ce derniera été reconnu comme tel par la loi du 29 janvier2001. Si cette proposition de loi était adoptée, ilpourrait toutefois, à l’avenir, s’appliquer à la contes-tation ou à la minimisation outrancières d’autresgénocides que le législateur souhaiterait égalementreconnaître.

Mes chers collègues, je ne m’exprime pas à cette tri-bune au nom d’un parti politique ni d’un groupe poli-tique. Je parle au nom d’une commission, la commis-sion des lois du Sénat. Celle-ci a décidé à une largemajorité – par 23 voix contre 9, et 8 abstentions – devoter une motion tendant à opposer l’exception d’ir-recevabilité, ce qui revient à rejeter le texte au motifde son inconstitutionnalité. Je déclare que touteexploitation politique de notre décision serait vaine,

puisque je suis rapporteur d’une décision qui a étévotée majoritairement par des sénateurs de gauche,des sénateurs de droite, des sénateurs du centre etdes sénateurs écologistes.

La question que nous nous sommes posée et qui adonné lieu à un débat long, riche et serein a porté surle droit, sur la loi, sur ce qui relève de la loi et ce quine relève pas de la loi, sur ce que la loi doit dire et cequ’elle ne peut pas dire, en vertu de l’article 34 de laConstitution. Tel est le débat de fond qui nous réunitaujourd’hui, mes chers collègues, au-delà despolémiques et pressions de toutes sortes. C’est sur cedébat de fond, et exclusivement sur lui, queporteront mes deux interventions, celle-ci et celle parlaquelle je défendrai la motion tendant à opposerl’exception d’irrecevabilité. Sur cette question fonda-mentale, chacune et chacun d’entre vous sera amené– puisque, vous le savez tous, « tout mandatimpératif est nul » – à se prononcer en son âme etconscience à l’issue du débat.

J’ajoute que la position de la commission des lois duSénat témoigne, à la fois, d’une cohérence et d’unecontinuité certaines, puisque, sous la présidence demon prédécesseur, M. Jean-Jacques Hyest, égale-ment rapporteur, notre commission avait voté uneexception d’irrecevabilité sur une proposition de loiayant le même objet, le 13 avril 2011.

Mes chers collègues, nous ne devons pas noustromper de débat. Je sais les espérances et lescraintes que l’examen de cette proposition de loi asuscitées, en particulier chez nos compatriotes d’o-rigine arménienne qui conservent, au plus profondd’eux-mêmes, la mémoire douloureuse des épreuvesendurées et de l’exil forcé. Je tiens à réaffirmer icisolennellement la compassion et le respect que lareprésentation nationale éprouve à l’égard des vic-times du génocide arménien de 1915.

Proposit ion de lo i . . .

Répression de la contestation de l’existence des génocides

Intervention de Jean-Pierre SUEUR, Rapporteur de la proposition de loi,Président de la Commission des lois, sénateur du Loiret, dans la discussiongénérale(séance du lundi 23 janvier 2012)

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L’existence de ce dernier ne fait aucun doute : denombreux documents l’attestent et notre collègueEsther Benbassa, qui a consacré sa thèse à l’histoirede l’Empire ottoman au début du XXe siècle, nous aindiqué la semaine dernière, en commission, qu’elleavait elle-même pu prendre connaissance de ces do-cuments.

Je le réaffirme : il ne s’agit pas ici de contester ni deminimiser, de quelque manière que ce soit, l’exis-tence du génocide de 1915 et les immenses souf-frances qu’il a causées. Notre pays s’est honoré enreconnaissant officiellement ce génocide, même si lerecours à une résolution, à l’époque impossible,aurait probablement constitué une voie plus appro-priée.

Le débat d’aujourd’hui ne porte pas sur le génocidearménien. Le débat que nous devons avoir aujour-d’hui porte sur le rôle de la loi, sur ce qu’elle peutfaire et ne peut pas faire, sur ce qu’elle peut dire etne peut pas dire, sur ce qu’elle doit faire et ne doitpas faire.

Les génocides et les crimes contre l’humanité sontinsupportables, car, au-delà des souffrances infligéesaux victimes, ils remettent en cause l’identité et lapart d’humanité de tout être humain et portentatteinte aux valeurs essentielles de nos civilisations.Les souffrances des rescapés et de leurs descendantssont indicibles, et nier la réalité des massacres com-mis et du génocide lui-même conduirait à perpétuerces souffrances. Le négationnisme est odieux. Nousle condamnons tous, sans aucune réserve.

La question qui nous est posée aujourd’hui est cellequi consiste à savoir s’il appartient à la loi pénale dedire quels événements historiques peuvent être dis-cutés sur la place publique et quels événements his-toriques ne souffrent aucune discussion. Quelle estnotre légitimité à nous, législateur, pour dire cequ’est l’histoire ? Le Conseil constitutionnel a rap-pelé, à de multiples reprises, que « la loi n’exprime lavolonté générale que dans le respect de laConstitution ». Je développerai tout à l’heure lesraisons qui nous conduisent à penser que la présenteproposition de loi encourt un fort risque de censureconstitutionnelle.

Je voudrais pour l’instant m’attarder sur les raisonspour lesquelles, dans sa grande majorité, la commis-sion des lois du Sénat a considéré qu’il n’appartenaitpas à la loi, en particulier à la loi pénale, d’intervenirdans le champ de l’histoire et de disposer en matière

de vérité historique. Pour résumer mon propos, jedirai avec Robert Badinter que le Parlement n’est pasun tribunal et avec Pierre Nora qu’il ne revient pas aulégislateur de faire l’histoire.

En tant que représentants de la nation, nous dis-posons de plusieurs voies d’expression : en tant quelégislateur, nous votons la loi, mais nous disposonségalement de plusieurs moyens de contrôler l’actiondu Gouvernement et de l’interpeller sur sa politique ;il y a les commémorations ; depuis la révision consti-tutionnelle de 2008, nous pouvons voter des résolu-tions. La loi n’est que l’un de nos moyens d’expres-sion.

En tant que représentants de la nation, nous avonsnaturellement un rôle à jouer dans la perpétuationde la mémoire nationale. Laissez-moi citer en cetinstant les propos tenus par notre éminent anciencollègue Robert Badinter devant la mission d’infor-mation de l’Assemblée nationale sur les questionsmémorielles, qui a donné lieu à un très remarquablerapport signé par le président Bernard Accoyer :

« Il faut mesurer ce que peut signifier, pour lesdescendants de victimes de crimes contre l’huma-nité, un déni de mémoire. Ce refus de l’existence dece qui fut frôle l’intolérable. « Mais l’émotion et la compassion que l’on peutéprouver devant ce que Jaurès appelait “le long cri dela souffrance humaine” n’empêchent pas le juriste defaire preuve de distance. « Je suis tout à fait favorable à la commémoration,c’est-à-dire à la conservation d’une mémoire aussivivante que possible. La mémoire est nécessaire,c’est un devoir vis-à-vis des morts. « Mais une chose est la commémoration sous sesformes multiples, autre chose est le recours à la loi. Ilest un principe constitutionnel fondamental, que leConseil a été amené maintes fois à rappeler : la loin’est l’expression de la volonté générale que dans lerespect de la Constitution. « S’agissant de la loi sur le génocide arménien, beau-coup se sont interrogés sur la compétence duParlement français à légiférer sur un événement his-torique – à mes yeux indiscutable – qui est survenu ily a près d’un siècle dans un territoire étranger, sansqu’on ne connaisse ni victimes françaises ni auteursfrançais. Mais l’important est ailleurs : à l’évidence,l’article 34 de la Constitution ne permet pas auParlement de se prononcer ainsi sur un évènementhistorique. »

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Comme lui, une forte majorité des membres de lacommission des lois du Sénat estime qu’il n’appar-tient pas à la loi, dont le rôle est d’édicter des normessusceptibles d’être invoquées devant les tribunaux,de se prononcer sur la qualification de tels ou telsfaits historiques et les éventuelles conséquencespénales qui en découleraient. Cela reviendrait à con-fondre histoire et mémoire, et cela ne pourrait queporter atteinte à la recherche historique dans notrepays. Les historiens sont très inquiets du débat quenous avons à l’heure actuelle, et à raison ; notre com-mission des lois pense à cet égard qu’il convient dene pas entraver leur travail en leur imposant des con-clusions que nous aurions édictées. Cela reviendrait àréinstaurer une histoire officielle, alors que notreRépublique est au contraire fondée sur le principe dela libre communication des pensées et des opinions.

Comme l’a notamment souligné notre collègueCatherine Tasca la semaine dernière en commission,nous pensons également que permettre à la loi de seprononcer sur des faits historiques contreviendraitau principe de la séparation des pouvoirs. En tant quelégislateur, nous édictons des lois pénales punissantles faits qui portent atteinte à notre société. Maisc’est au juge, mes chers collègues, et non au législa-teur, qu’il appartient de qualifier de génocide ou decrime contre l’humanité tel ou tel événement.

Laissez-moi citer le doyen Georges Vedel, éminentjuriste reconnu de tous, dans le dernier article qu’il apublié avant sa mort, qui était consacré à la constitu-tionnalité de la loi du 29 janvier 2001 reconnaissantle génocide arménien : « […], le principe de sépara-tion des pouvoirs législatif et judiciaire, consacré tantpar la Déclaration de 1789 que comme principe fon-damental reconnu par les lois de la République, met(outre le bon sens) un obstacle infranchissable à ceque le législateur se prononce sur la vérité ou la faus-seté de tels ou tels faits, sur leur qualification dansune espèce concrète et sur une condamnation mêmelimitée à une flétrissure ». La commission des loispartage cette observation.

Enfin, plusieurs membres de la commission – jepense notamment à Jean-René Lecerf et à FrançoisZocchetto – ont souligné la semaine dernière lerisque que l’adoption de la présente proposition deloi entraîne une « concurrence des mémoires ». Eneffet, les rescapés ou les descendants d’autrestragédies du XXe siècle – elles ont été nombreuses –ou des siècles précédents pourraient alors êtrefondés à nous demander de reconnaître officielle-ment par la loi les souffrances dont ils ont été vic-

times. Faudrait-il alors adopter une loi pour recon-naître une à une chacune de ces tragédies ? Notremémoire nationale est le produit de notre histoirerépublicaine, comme l’a rappelé Gaëtan Gorce, etnon l’addition de mémoires particulières. Nousdevons prendre garde ici à ne pas risquer de désta-biliser un édifice fragile.

Au total, dans sa grande majorité, la commission deslois souhaite attirer l’attention du Sénat sur les dan-gers des « lois mémorielles ». Elle n’est pas la pre-mière à le faire : en 2008, je l’ai dit, la mission d’in-formation sur les questions mémorielles, présidéepar le président de l’Assemblée nationale, BernardAccoyer, a proposé de renoncer désormais à la tenta-tion des lois mémorielles. Cette préconisationempreinte de sagesse devrait être entendue.

J’ajoute que, comme l’a noté Mme Anne Levade, pro-fesseur à l’université Paris-Est, le Conseil constitu-tionnel, dans sa décision de délégalisation de l’unedes dispositions de la loi du 23 février 2005, a con-sidéré que l’appréciation d’un fait historique – en l’e-spèce le rôle positif de la présence française outre-mer – ne relève pas de la compétence du législateur.En ce qui concerne plus précisément la propositionde loi que nous examinons aujourd’hui, qui crée undélit pénal de contestation ou de minimisation defaits qualifiés de génocide par la loi, nous estimonsque celle-ci contrevient à plusieurs principes fonda-mentaux de notre droit.

J’expliquerai tout à l’heure plus en détail pour quellesraisons nous pensons qu’elle contrevient au principede légalité des délits et des peines, qui est un principefondamental en matière pénale.

Nous pensons aussi qu’elle porte atteinte au principede liberté d’opinion et d’expression, car les limita-tions susceptibles d’être apportées à cette libertédoivent être restreintes. Comme le considère la Coureuropéenne des droits de l’homme, « [la liberté d’ex-pression] vaut non seulement pour les "informa-tions" ou "idées" accueillies avec faveur ou consi-dérées comme inoffensives ou indifférentes, maisaussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiè-tent l’État ou une fraction quelconque de la popula-tion. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de"société démocratique ". Il en découle notammentque toute “formalité", "condition", "restriction" ou"sanction" imposée en la matière doit être propor-tionnée au but légitime poursuivi. »

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Comme le soulignait au sein de notre commissionPierre-Yves Collombat, la liberté d’expression a sansdoute des inconvénients, mais interdire l’expressiond’idées, d’analyses ou d’opinions divergentes oudissidentes, pourvu qu’elles n’incitent pas à la haineou à la discrimination, reviendrait à instaurer un délitd’opinion.

Nous pensons que la contestation de faits historiqueset l’absurdité du négationnisme doivent être combat-tues sur la place publique. Quant à la diffamation, àl’injure raciale ou religieuse, ainsi que la provocationà la discrimination, à la haine ou à la violence àl’égard d’une personne ou d’un groupe de personnesen raison de leur origine, elles sont passibles de sanc-tions pénales en vertu de plusieurs articles des lois envigueur. Ces articles ont d’ailleurs déjà été appliquéspar nos juridictions, comme je le montrerai tout àl’heure en défendant l’exception d’irrecevabilité, àl’égard d’auteurs de propos tenus à l’encontre de lacommunauté arménienne. C’est d’ailleurs cette con-statation qui a conduit Bertrand Mathieu, professeurde droit à l’université Panthéon-Sorbonne, à consi-dérer que la présente proposition de loi était ouinconstitutionnelle ou inutile, le code pénal offrantdéjà tous les moyens que je viens de rappeler.

Enfin, nous pensons que cette proposition de loi, quiferait peser un risque de poursuites pénales sur leshistoriens, n’est pas compatible avec le principe deliberté de la recherche, qui constitue lui aussi unprincipe fondamental reconnu par les lois de laRépublique.

Certains ont argué, monsieur le ministre, que laprésente proposition de loi ne présentait pas lemême caractère d’inconstitutionnalité que les précé-dentes, car elle transposait une décision-cadreeuropéenne. Je montrerai ultérieurement que cetargument ne résiste pas à l’examen, puisque leprésent texte omet une part essentielle de la déci-sion-cadre dont la finalité est de lutter contre leracisme et la xénophobie, par ailleurs d’ores et déjàréprimés, je le répète, par notre code pénal.

Au total, je veux appeler votre attention sur lesrisques de censure constitutionnelle qu’encourt cetexte. Ce risque n’est pas uniquement juridique. Carsi le Conseil constitutionnel censurait ce texte, s’ildécidait de se prononcer à cette occasion sur la con-stitutionnalité de la loi du 29 janvier 2001 relative àla reconnaissance du génocide arménien de 1915,une censure pourrait être interprétée comme une

victoire pour les négationnistes. Ce risque est réel, etil ne peut être méconnu sous peine de faire à noscompatriotes d’origine arménienne un « cadeauempoisonné ».

Mes chers collègues, pour l’ensemble des raisons queje viens d’évoquer et pour les arguments que j’ex-poserai tout à l’heure, la commission des lois vousinvite à voter l’exception d’irrecevabilité qu’elle aelle-même adoptée.

Permettez-moi, pour finir, de vous dire que je suispour ma part persuadé, au-delà de ce débat dont jesais qu’il se déroulera, au Sénat, dans l’écoute desuns et des autres, et quelles que soient les conclu-sions de celui-ci, que la réponse aux questions quinous occupent se trouve dans l’infini respect quenous devons – j’y insiste – à la mémoire des innom-brables victimes du génocide arménien, ainsi que,indissociablement, dans les universités, dans le tra-vail des historiens soucieux d’objectivité attachés àfaire progresser la connaissance du passé, en un motdans la science, le savoir et la connaissance.

Je rêve que, sous l’égide, par exemple, de l’UNESCO,des historiens arméniens, des historiens turcs, deshistoriens européens, des historiens du monde tra-vaillent ensemble à mieux connaître le passé, tâcheinlassable et tellement indispensable, car tournéevers l’avenir. On ne construit pas l’avenir sur l’am-nésie et sur l’oubli, nous le savons tous.

À côté de l’œuvre de mémoire, l’œuvre de l’histoire,fondée sur la lucidité et sur les vertus de la connais-sance est sans doute la manière la plus forte de direaux martyrs que nous ne les oublierons jamais.

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Monsieur leprésident,monsieur le

ministre, mes cherscollègues, depuismon élection, c’est lapremière fois que jemonte à cette tri-bune. Je suis partic-ulièrement ému etfier de le faire pourexpliquer pourquoile groupe socialisteapporte son soutienà ce texte, qui tend à sanctionner la négation desgénocides reconnus par la loi, et donc celui desArméniens de 1915.

Je suis ému car, depuis de longues années, je suisengagé aux côtés de mes amis Arméniens deClamart, d’ailleurs pour que ce génocide soit reconnuet respecté. J’espère que nous allons clore aujour-d’hui le volet législatif de ce combat.

Je suis fier, car en adoptant cette loi le Parlementmontrera qu’il ne renie pas ses valeurs sous la pres-sion d’un État étranger, si puissant soit-il. Ce sont lavérité, la justice et l’amitié qui doivent nous guider.

La vérité, car ce qui s’est passé en Turquie ottomaneen 1915 est bien un génocide. Aujourd’hui, tous leshistoriens sérieux qui ont travaillé sur ce sujet lereconnaissent. Les preuves sont aussi nombreusesqu’accablantes.

La justice, car la loi de 2001 n’avait pas prévu de dis-positif de sanctions contre celles et ceux qui la viol-eraient. Malheureusement, le négationnisme s’estdéveloppé et est devenu de plus en plus virulent. Nosconcitoyens d’origine arménienne ont le droit d’êtreprotégés contre ces propos et ces actes négation-nistes, qui sont autant de coups de poignards dansleurs cœurs.

Comme l’a écrit Elie Wiesel, « tolérer le négatio-nnisme, c’est tuer une seconde fois les victimes ». LaShoah bénéficie de la loi Gayssot. Il était alors naturelque la négation du génocide des Arméniens soit aussisanctionnée. Pourquoi y aurait-il deux poids deuxmesures ?

L’amitié, enfin, car nous avons des liens anciens avecl’Arménie, liens que ce génocide a indéfectiblementrenforcés. Ce n’est pas un hasard si des dizaines demilliers de rescapés ont trouvé refuge en France. Ilsse sont parfaitement intégrés et ont payé le prix dusang ; je pense à Missak Manouchian et à biend’autres. Ils ont aussi, par leur travail, contribué audéveloppement économique de notre pays. Et quedire des nombreux artistes qui participent au rayon-nement de la France ?

En définitive, ils ont trouvé une seconde patrie, leursenfants, leurs descendants sont Français, mais tousont conservé un morceau d’Arménie au fond du cœuret cette plaie mal refermée du génocide sur laquelleles négationnistes jettent du sel par poignées.

Certes, je suis un modeste maire de banlieue pari-sienne, mais je puis vous dire que l’enjeu du vivreensemble dans des territoires qui accueillent despopulations diverses est fondamental.

Ce vivre ensemble n’est possible que si chacun sesent reconnu, respecté et protégé. Notre Républiquedoit protéger tous ses enfants, quels que soient leurshistoires et leur parcours. Si ces femmes et ceshommes ont décidé de lier leur avenir à celui de laFrance, la République doit être soucieuse de leur per-mettre d’honorer sereinement la mémoire de leursancêtres. Personne, sur notre territoire, ne doit pou-voir leur nier ce droit.

C’est cette volonté qui anime les socialistes depuisplus de dix ans.

Le 29 janvier 2001, nous avons soutenu la loi relativeà la reconnaissance du génocide arménien de 1915.

Proposit ion de lo i . . .

Répression de la contestation de l’existence des génocides

Intervention de Philippe KALTENBACH, sénateur des Hauts-de-Seine, dansla discussion générale(séance du lundi 23 janvier 2012)

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Cette reconnaissance officielle est partagée par plusd’une trentaine d’États et d’institutions régionales etinternationales.

Devant la recrudescence sur notre sol d’actes néga-tionnistes, les socialistes ont été à l’initiative del’adoption par l’Assemblée nationale de la proposi-tion de loi du 12 octobre 2006 tendant à réprimer lacontestation de l’existence du génocide arménien. Cetexte a été présenté au Sénat le 4 mai 2011 dans lecadre de la « niche » parlementaire du groupe social-iste, mais a également reçu, à l’époque, l’avis défa-vorable de la commission des lois et été rejeté parl’ancienne majorité de la Haute Assemblée au motifd’une prétendue irrecevabilité.

Les socialistes veulent conduire à son terme unedémarche entamée il y a maintenant dix ans, commeMartine Aubry, au nom du parti socialiste, l’a rappeléau printemps dernier et comme notre candidatFrançois Hollande en a pris l’engagement en septem-bre.

Dès mon élection, j’avais d’ailleurs redéposé uneproposition de loi en ce sens avec une douzaine demes collègues.

La proposition de loi qui nous est soumise aujour-d’hui a été déposée à initiative de l’UMP. Nous lavoterons toutefois car, sur ce sujet, les clivages parti-sans doivent être dépassés. Pour nous, seul le résul-tat compte.

Nous soutenons de longue date la cause armé-nienne, nous sommes fidèles à nos engagements.

Nous avons su nous adapter à un calendrier serré.Nous l’avons fait de manière sérieuse. Luc Carvounaset moi, pour le groupe socialiste, avons organisé desauditions afin d’éclairer l’avis de nos collègues. Qu’ilme soit permis, d’ailleurs, de regretter que la com-mission des lois n’en ait pas tenu compte. Quinze per-sonnes, dont les ambassadeurs d’Arménie et deTurquie, ont répondu à notre invitation et ont putémoigner devant les sénateurs. Des historiens, desjournalistes, des écrivains, des intellectuels, desresponsables associatifs d’origine turque et arméni-enne, des juristes ont exprimé des opinions très dif-férentes sur la question. Je les remercie de nouveaude leur précieux concours.

Légiférer, c’est écouter, débattre et décider. À l’issuede ces échanges, je suis encore plus convaincu de lanécessité de sanctionner le négationnisme.

En le faisant, le législateur est bien dans le rôle quelui confère la Constitution.

Ces dernières semaines, les détracteurs de la loi ontutilisé de nombreux arguments. Je souhaite y répon-dre pour éclairer le débat et ne laisser aucune amer-tume au sujet de cette loi, qui est du petit-lait pourles défenseurs de la vérité et de la justice.

Tout d’abord, des voix se sont élevées pour dénoncerune prétendue volonté du législateur d’écrirel’Histoire. Je tiens à rappeler que les parlementairessocialistes ont toujours soutenu les lois dites« mémorielles », qui leur semblent conformes auxvaleurs humanistes de la République quand la réalitédes faits n’est pas contestée par les historiens. Ce futle cas, pour la reconnaissance officielle du génocidearménien comme ce fut aussi le cas pour la recon-naissance des traites et des esclavages comme crimescontre l’humanité. Les socialistes ont, cependant,toujours refusé que le Parlement vote des textes quiportaient un jugement de valeur comme la loi du23 février 2005, qui tend à reconnaître « le rôle posi-tif de la présence française outre-mer ». L’UMPvoulait imposer aux enseignants une lecture de l’his-toire sur la colonisation qui était loin de faire consen-sus, bien au contraire. Les socialistes ont toujoursrefusé cela.

Je sais que certains de mes collègues éprouvent desréserves, car ils craignent que ce type de dispositiflégislatif n’entrave le travail des chercheurs.

Je crois qu’il faut préciser, tout d’abord, qu’une telleloi tendant à réprimer la contestation de l’existencedes génocides présentera l’immense avantage delibérer le champ d’investigation des historiens desfaussaires et des manipulateurs. Je voudrais aussirappeler que la loi Gayssot du 13 juillet 1990, votéepour protéger du négationnisme la mémoire des vic-times de la Shoah, n’a jamais gêné le travail des his-toriens. Il faut surtout souligner que la proposition deloi sur laquelle nous nous prononçons aujourd’huivise à incriminer la contestation ou la minimisationd’un génocide quand elle est faite de façon outran-cière.

Le fait d’ajouter par rapport au texte de mai dernierl’élément intentionnel, fondamental en droit pénal,permet au législateur de démontrer qu’il ne vise pastant la contestation du génocide en tant que telle quel’incitation à la haine raciale dont elle est porteuse.

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Pour ce qui serait une atteinte à la liberté d’expres-sion, personne ne saurait contester que dans toutÉtat démocratique la liberté d’expression connaît deslimites. Ces limites ont ici, pour objet de prévenirtoute incitation à la haine induite par le négation-nisme.

Par ailleurs, cette proposition de loi ne transformerapas le Parlement en tribunal. En effet, alors que laprécédente proposition rejetée le 4 mai dernier étaitmuette sur les éléments constitutifs du génocide con-testé, l’actuelle proposition incrimine la contestationou la minimisation d’un crime de génocide tel qu’ilest défini par l’article 211-1 du code pénal. Le fait derenvoyer à une définition pénale du génocide lève legrief d’inconstitutionnalité relatif à une violation duprincipe de légalité des délits.

On ne peut donc plus accuser le Parlement de vouloirse muer en tribunal ; c’est seulement le juge qui, surle fondement de l’article 211-1 du code pénal, seraamené à qualifier juridiquement les faits.

Rappelons qu’existent les verdicts des cours martialesde Constantinople en 1919 et en 1920 à l’encontredes principaux responsables et organisateurs dugénocide. C’est précisément au cours de ces procèsqu’a été reconnue la nature des crimes « contre laconscience de l’humanité » et « contre les normesuniverselles ». La France ne sera pas, en outre,comme j’ai pu le lire dans le rapport de la commissiondes lois, le premier pays à mettre en place un tel dis-positif législatif. La Slovaquie dispose d’une telle lé-gislation et la Suisse a déjà condamné un négation-niste en considérant que la négation du génocidearménien était un motif qui appartient à la catégoriedes « mobiles racistes et nationalistes qui ne relèventpas du débat historique ».

Un autre argument employé contre ce texte seraitque le vote de cette proposition de loi pourrait con-duire à l’inconstitutionnalité de la loi de 2001. Ce fut,notamment, un des motifs avancés par RobertBadinter lorsqu’il vota l’exception d’irrecevabilité le4 mai dernier contre la précédente proposition deloi. Je veux le remercier de la précieuse contributionqu’il continue d’apporter à nos débats, même horsdu Sénat.

Cependant, je le souligne une nouvelle fois, le texteque nous examinons aujourd’hui diffère sub-stantiellement de celui qui a été rejeté le 4 maidernier.

La présente proposition de loi vise à amender la loide 1881 sur la liberté de la presse en y insérant unnouvel article, l’article 24 ter, alors que la précédenteproposition exposait la loi de 2001, en l’amendant, àun risque de censure.

Certains considèrent que la France ne devrait pasintervenir faute d’avoir été directement impliquéedans les crimes perpétrés en 1915.

Je rappelle qu’un génocide est un crime contre l’hu-manité tout entière et non simplement un crime con-tre le groupe de personnes visées. Nous sommesdonc tous concernés !

Il ne s’agit aucunement de faire ingérence dans lesrapports entre la Turquie et l’Arménie, mais il s’agitde veiller à préserver les valeurs de respect et detolérance à l’intérieur de nos frontières.

Cette proposition de loi ne fera pas non plus obstacleà ceux qui s’emploient à une réconciliation arméno-turque. Ce n’est certainement pas en nous taisantque nous aiderons la Turquie à faire un travail demémoire. Le mouvement de reconnaissance interna-tionale du génocide arménien, qui est en marchedepuis une vingtaine d’années, contribue fortementà influencer la société civile turque. Surtout, c’estpure naïveté ou cynisme de s’en remettre au seul dia-logue des autorités turques et de la communautéarménienne pour que la Turquie reconnaisse enfin cecrime. Le sociologue et historien turc Taner Akçamnous exhorte au contraire à réveiller ce « fantôme »qui « hante » la Turquie pour mettre fin à la grande« solitude » des chercheurs, historiens et journa-listes.

Hrant Dink, la veille de son assassinat disait juste-ment : « Les seuls moments où on se souvient, c’estquand il y a une pression extérieure. »

Et le droit turc fait encore, je le rappelle, obstacle à cedialogue, car tout débat est sanctionné ou risque del’être au nom du délit de « dénigrement de la turcité». Cette incrimination, insérée à l’article 301 du codepénal, fait pourtant l’objet de condamnationsrégulières par la Cour européenne des droits del’homme, comme ce fut encore le cas le 25 octobredernier sur saisine de Taner Akçam.

Enfin, certains estiment qu’il s’agit d’une loi à viséeélectoraliste. Un tel reproche ne peut être adresséaux socialistes, car nous sommes constants dansnotre action.

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Mais il est vrai qu’on peut légitimement se poser laquestion pour le Chef de l’État, compte tenu de sesvolte-face depuis 2007.

Nous aurions dû disposer de plus de temps pourmener un débat serein. Mais, je l’ai dit, seul le résul-tat compte, et il faut parfois profiter de ces momentsparticuliers que sont les campagnes électorales pourobtenir des soutiens auxquels on ne croyait plus.C’est le miracle de la démocratie !

Mes chers collègues, j’espère avoir démontré qu’au-cun argument ne s’oppose finalement à l’adoption decette proposition de loi.

Il y a un siècle, sidéré par le déchaînement de vio-lence qui frappait les populations arméniennes de laTurquie ottomane, Jean Jaurès déclarait : « Nous ensommes venus au temps où l’humanité ne peut plusvivre avec, dans sa cave, le cadavre d’un peupleassassiné. » Cette phrase est toujours d’actualité.

Serge Klarsfeld nous a rappelé, le 18 janvier dernier,lors de son audition, combien la négation d’un crimecontre l’humanité est toujours porteuse d’oubli etdonc source de malheurs futurs.

Adolf Hitler, qui tenta d’exterminer l’ensemble despopulations juives d’Europe, n’avait pas manqué dedéclarer, à l’aube des ténèbres qui allaient s’abattresur notre continent, pour faire taire les derniersscrupules de son entourage : « Qui se souvientencore du massacre des Arméniens ? » À cet instant,son raisonnement fut aussi simple qu’effrayant : per-sonne ne nous le reprochera, car personne ne s’ensouviendra.

Nous affirmons avec force aujourd’hui le contraire.

Nous nous souvenons de la tragédie du génocide desArméniens et, si quiconque entend nier le droit auxdescendants des victimes d’entretenir la mémoire deleurs morts, il devra s’en expliquer devant la justice.

Monsieur le président, mes chers collègues, leParlement n’outrepasse pas ses prérogatives envotant cette loi. Bien au contraire, il les assume, etnous pouvons en être fiers !

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Monsieur leprés ident ,monsieur le

ministre, mes cherscollègues, en 1915,avec la Grande-Bretagne et la Russie,la France lançait déjàun appel contre lescrimes de « lèse-humanité » quiétaient perpétrés parles autoritésottomanes à l’encon-tre des Arméniens. Exterminées à l’aide de procédésbarbares au nom d’une idéologie nationaliste etraciste, ce qui constitue la première grande tragédiehumaine du xxe siècle, les victimes des crimes de1915 demeurent ancrées dans nos mémoires.

L’acte génocidaire vise à l’anéantissement d’ungroupe, d’un peuple. Mais il ne s’arrête pas là, unefois l’horrible forfait commis. La volonté génocidairese perpétue incontestablement à travers le négation-nisme. Si le génocide est l’anéantissement des corps,le négationnisme est l’anéantissement desmémoires.

Quel rôle vient jouer le législateur dans cetteaffaire ? Selon certaines critiques, le Parlement sechargerait ici de délivrer une vérité historique offi-cielle en empruntant un chemin intrusif à travers lechamp de l’Histoire. D’autres critiques s’épanchentsur le caractère répétitif de l’adoption de lois ditesmémorielles ou sur le fait que nous attenterions à laliberté d’expression se manifestant à travers larecherche scientifique.

L’intention du législateur est non pas d’adopter uneloi mémorielle, mais bien de mettre en place un dis-positif pénal permettant, d’une part, de protéger lamémoire des victimes de génocides et, d’autre part,de sanctionner ceux qui incitent à la haine par la dif-fusion de messages négationnistes.

En la matière, le Parlement, s’inscrivant dans le pro-longement de la loi Gayssot, reste cohérent dans savolonté de libérer le champ de l’histoire des faus-saires.

A-t-on empêché seulement un seul chercheursérieux de mener librement à bien ses travaux sur laShoah après le vote de cette loi ? Je récuse cette cri-tique qui tend à faire du Parlement un « tribunal del’Histoire ». D’ailleurs, l’Histoire n’appartient pasqu’aux seuls historiens, comme la politique n’appar-tient pas qu’aux seuls politiciens. Dans cette affaire,il y a quelque chose de profond, qui mobilise bienplus qu’un simple enjeu législatif ou politique. SergeKlarsfeld affirmait avec justesse que nous sommes iciface à une problématique d’histoire de civilisation,celle qui mobilise une mémoire collective puissante,qu’elle soit ou non conscientisée.

Il rappelait, lors des auditions que PhilippeKaltenbach et moi-même avons menées, à quel pointcette mémoire collective demeurait fragile. Il illus-trait sa démonstration en évoquant le souvenir ducamp de Nexon, implanté en Haute-Vienne pendantla Seconde Guerre mondiale, qui réussit à disparaîtrede notre mémoire collective pendant plusieursdécennies avant qu’une plaque commémorative dudrame vécu sur place ne soit enfin posée, voilà prèsde vingt ans.

On l’aura compris, les « incendiaires des esprits » quesont les négationnistes participent activement àtransformer ou à supprimer cette mémoire collectivequi construit une partie de ce que nous sommesaujourd’hui.

Nous respectons donc notre rôle de législateur enprotégeant nos valeurs, les droits d’autrui et l’ordrepublic.

Et nous nous honorons de partager ce qui constituel’identité des génocides, arménien et juif, que la loifrançaise reconnaît : la « mémoire de la souffrance ».

Proposit ion de lo i . . .

Répression de la contestation de l’existence des génocides

Intervention de Luc CARVOUNAS, sénateur du Val de Marne, dans la discussiongénérale(séance du lundi 23 janvier 2012)

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À ceux qui prétendent, y compris sur les travées denotre assemblée, qu’il n’y aura « jamais assez deplace pour toutes les mémoires », je répondrai qu’ilne s’agit pas d’une mémoire communautarisée, saufà considérer qu’un crime contre l’humanité ne con-cerne en réalité que celui qui le subit et celui qui lecommet.

Mais quelle drôle d’idée ! Le génocide de 1915 neconcerne pas seulement les Turcs et les Arméniens, ilconcerne la communauté humaine dans son ensem-ble.

À ceux qui prétendent que « les négationnistes nesont pas légion », je rappellerai que l’on a recensé aumoins cinquante actes violents liés au négationnismedu génocide arménien depuis 2006 en France. Je mesouviens à titre d’exemple de la marche des Loupsgris, ces ultranationalistes lyonnais, et je profite de cetriste souvenir pour saluer l’action de notre collègueGérard Collomb, qui a toujours été à nos côtés dansce combat. Quand bien même il ne resterait qu’unseul négationniste dans ce pays, faudrait-il l’absoudreau prétexte de son isolement ? Je réfute formelle-ment ce point de vue.

Rappelons aussi qu’il est de notre devoir de protégernos concitoyens d’origine arménienne de toute inci-tation à la haine à leur encontre.

Chacun en convient, le négationnisme est violentlorsqu’il est organisé à l’aide d’appareils idéologiquesd’État. Mes chers collègues, je sais que la vérité, ledialogue et l’introspection nécessitent parfois uncoup de pouce. Et je ne confonds pas le négation-nisme structurel qu’un État peut maintenir avec lasociété civile de ce même pays, plus ouverte et richede ses intellectuels, de ses historiens et de ses jour-nalistes.

Je ne suis pas naïf : je sais parfaitement que nous neréglerons pas ici le problème des relations turco-arméniennes. Un dialogue constructif entre les deuxparties est nécessaire – je le crois foncièrement pos-sible – et la communauté internationale doit jouerincontestablement un rôle central dans cetteentreprise de pacification entre ces deux grands pays.

Je crois également que c’est la méthode employéepar le Chef de l’État, teintée de précipitation et deconvictions à géométrie variable dans un contexteélectoraliste, qui a froissé notre partenaire turc. Alorsque nous devrions transcender nos clivages partisanssur ce texte et le faire avec intelligence, le Président

de la République a choisi de créer une suspicionautour de ce texte, desservant ainsi la cause qu’il pré-tend servir.

Par ailleurs, je récuse avec force la critique tendant àfaire des défenseurs de ce texte des potentats locauxsoumis à des obligations communautaires électora-listes.

Dois-je rappeler que la gauche a toujours défenducette cause, et ce depuis maintenant presque trenteans ? Dès 1984, François Mitterrand prononça un dis-cours fondateur à Vienne, relayé par l’initiative dessocialistes au Parlement européen en 1987 visant àreconnaître le génocide ; c’est encore une majoritéde gauche qui fit adopter la loi de 2001 ; c’est tou-jours la gauche qui proposa celles de 2006 et de 2011au Sénat. Je regrette d’ailleurs que nos collègues del’UMP ne nous aient pas rejoints sur ce texte en maidernier : que de temps perdu !

La gauche défend depuis trente ans cette cause ;alors le résultat nous importe plus que lespolémiques politiciennes dont nous nous tiendronséloignés. Ce que le Parlement est en train de réaliser,il le fait pour l’honneur de la France et de sa mémoirecollective.

Ce que le Parlement fait, je le dis simplement maisavec conviction, il le fait pour l’humanité tout entièrecar il protège notre mémoire universelle. Soyonsfiers, au fond, de ce qui fait la puissance et lagrandeur même de « l’idée France » depuis le siècledes Lumières : l’universalisme.

Mes chers collègues, la Turquie est un grand pays.Nous sommes liés à lui par des liens indéfectibles –chacun le reconnaît – qui puisent leurs racines jusquedans l’Antiquité. Je suis convaincu que notre avenirest commun au sein de cette grande et belle Europeque nous sommes en train de construire ensemble.Et ce que nous faisons aujourd’hui, d’une certainemanière, nous le faisons aussi pour la Turquie et pourson avenir !

Respecter un ami, ce n’est pas éluder les vérités quidérangent au bénéfice d’intérêts économiques ou deje ne sais quelle stratégie géopolitique.

Je ferai d’ailleurs remarquer que, en 2002, un anaprès le vote de la loi de 2001 et tout ce que nousavions alors pu entendre sur ce qu’il allait advenir desrelations franco-turques, les échanges commerciauxentre les deux pays ont augmenté de 22 %...

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Alors, monsieur le président, monsieur le ministre,mes chers collègues, je regrette que certains par-lementaires, quelle que soit leur appartenance poli-tique, subissent des pressions ou répondent à desrecommandations politiques extérieures à notreenceinte. Je me pose ici, librement, deux questions :quelle valeur donne-t-on à notre conscience ? Quelleconscience donne-t-on à notre mémoire ?

Partageant l’avis de Serge Klarsfeld, qui estime que« reculer sur ce texte serait une défaite morale pourla France », en cohérence avec la position communede notre président, Jean-Pierre Bel, du groupe socia-liste, rappelée par son président François Rebsamen,et avec l’engagement de François Hollande, je sou-tiens l’adoption de cette proposition de loi.

Je citerai pour conclure ces paroles du présidentFrançois Mitterrand à propos du génocide arménien :« Cela doit s’inscrire dans la mémoire des hommes etce sacrifice doit servir d’enseignement aux jeunes enmême temps que de volonté de survivre pour qu’onsache, à travers le temps, que ce peuple n’appartientpas au passé, qu’il est bien présent et qu’il a unavenir. »

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Monsieur leprés ident ,monsieur le

ministre, mes cherscollègues, lorsque lepeuple français, parl’adoption de la loi du29 janvier 2001, areconnu l’existencedu génocidearménien de 1915, ila redonné une placedans la mémoire col-lective au premier génocide du XXe siècle. En votantce texte, nous avions déjà conscience que ce premierpas en appelait un second : la sanction de la négationde ce génocide sur notre territoire. La proposition deloi que nous examinons aujourd’hui n’est doncqu’une suite logique et incontournable ; elle donneun sens et une portée à la loi du 29 janvier 2001.

La position que je défends, et qui est partagée parbon nombre de mes collègues, notamment GérardCollomb, Didier Guillaume, Jean Besson et Jean-NoëlGuérini, qui s’associent pleinement à mes propos,n’est pas dogmatique ni électoraliste, contrairementà ce que tentent de faire croire ceux qui la dénigrent.

Comme tout bon démocrate, j’ai pris connaissanceavec attention des arguments avancés, y compris parnotre rapporteur, contre la proposition de loi quinous est soumise. En toute objectivité, aucun n’aemporté mon adhésion et encore moins ma convic-tion.

Ce texte serait communautaire et électoraliste ? Il nel’est pas à mes yeux. En réalité, il a une portéegénérale, puisqu’il s’applique à tous les génocidesreconnus par la loi française. Cette préoccupationdépasse tous les clivages politiques ; les divisions quenous constatons aujourd’hui au sein de la HauteAssemblée en sont une démonstration flagrante.L’absence de fondement de l’argument électoralisteaurait certes été encore plus évidente si la majorité

sénatoriale n’avait pas repoussé, le 4 mai 2011, uneproposition de loi déposée dans le même but.Réduire notre débat, comme tentent de le faire cer-tains contradicteurs, à une lutte d’influence de deuximportantes communautés présentes sur notre terri-toire, est une grave erreur et constitue une attitudedangereuse.

Ce texte serait une loi mémorielle ? C’est faux, mon-sieur Placé : il s’agit de la simple transcription d’unedisposition-cadre de l’Union européenne visant àsanctionner les faits de négation d’un génocide. Untel reproche aurait éventuellement pu être adressé àla loi du 29 janvier 2001, mais non pas – en aucunemanière – au texte qui nous est soumis aujourd'hui :selon notre Constitution, la définition et la sanctiond’une infraction relèvent de la compétence duParlement.

Ce texte irait à l’encontre des relations franco-turques ? Au contraire, les relations fortes qui lientnos deux pays ne peuvent s’établir sur des tabous,sur des non-dits... La franchise est une preuve deconfiance. Je regrette sincèrement que l’évocation dugénocide arménien constitue aujourd’hui une infrac-tion pénale en Turquie. Le gouvernement turc n’adonc même pas une position neutre sur cette ques-tion. C’est bien la particularité de ce génocide.

Il faudrait laisser travailler les historiens ? Cesderniers ont eu un siècle pour se pencher sur cesévénements. Ils ont peut-être rencontré des diffi-cultés pour accéder à toutes les archives ; cependant,les travaux reconnus par tous et publiés concordents'agissant de la portée de ces événements. En outre,lorsqu’un grand historien turc – Taner Aksham –con-firme par écrit la réalité et l’importance de ce géno-cide, il est poursuivi par la justice turque... Le rôle deshistoriens est d’établir la réalité des faits. Or, d’aprèstout ce que j’ai pu lire comme d’après tout ce que j’aientendu aujourd'hui dans cet hémicycle, ce qui s’estpassé en 1915 est désormais bien établi...

La France serait le seul pays à agir ainsi ?

Proposit ion de lo i . . .

Répression de la contestation de l’existence des génocides

Intervention de Bernard PIRAS, sénateur de la Drôme, dans la discussiongénérale(séance du lundi 23 janvier 2012)

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C’est inexact, puisque près de trente États et institu-tions ont également reconnu le génocide arménien ;certains ont même adopté des dispositions pénalessanctionnant la négation de ce génocide. En outre, lasensibilité de notre pays à l’égard des droits del’homme est tout à son honneur.

Il n’existerait pas actuellement en France de trouble àl’ordre public en lien avec cette question ? C’est faux,comme en témoignent les diverses exactions, certespeu médiatiques mais bien réelles, qui ont été com-mises sur notre territoire ; je ne mentionnerai entreautres que quelques cas survenus dans les régionslyonnaise et valentinoise. N’oublions pas en outre lerôle avant tout préventif de la sanction pénale.

En revanche, les arguments plaidant pour l’adoptionde cette proposition de loi me paraissent parti-culièrement pertinents.

Notre droit souffre d’un vide juridique ; reconnaîtrel’existence d’un génocide sans permettre de sanc-tionner sa négation n’aurait pas de sens. C’est pour-tant ce que souhaitent les opposants à ce texte.

De même, pourquoi sanctionner en France la néga-tion de la Shoah et non celle du génocide arménien ?C’est une question de logique et de justice. Je ne voispas qui pourrait se satisfaire de la situation actuelle.Le peuple arménien ne saurait pâtir de ce que, àl’époque des faits incriminés, aucune juridictioninternationale n’existait pour condamner les auteursde ce génocide. Ajouter de l’injustice à une injusticene peut guider notre action politique ! Je m’insurgecontre l’établissement de toute comparaison ouhiérarchie entre les génocides. Il est donc évidentque notre engagement ne peut se limiter à certainsgénocides et que nous devons rester vigilants.

Le génocide arménien est une réalité ; les actes per-pétrés répondent à la définition internationale dugénocide : extermination physique, intentionnelle,systématique et programmée d’un groupe ou d’unepartie d’un groupe en raison de ses origines eth-niques, religieuses ou sociales. Je n’ai d’ailleurs pas lesouvenir d’avoir entendu ou lu, dans le cadre desdébats qui se sont déroulés depuis une dizaine d’an-nées au Parlement, que la réalité des faits est con-testée.

La Turquie elle-même n’a pas toujours contesté laréalité de ce génocide : le gouvernement démocra-tique de Ferid Pacha a ainsi reconnu son existence, la

cour martiale de Constantinople ayant, en 1919, con-damné à mort ses auteurs. Cette position me paraîtd’autant plus forte que, d’une part, elle émane desautorités de l’État concerné, et que, d'autre part, ellea été prise juste après les événements incriminés. Laportée de ces jugements, qui bénéficient de l’autoritéde la chose jugée, est systématiquement oubliéealors qu’elle me paraît plus importante que l’absencede juridiction internationale à l’époque.

Sanctionner la négation d’un génocide est bien uneaction politique. En votant cette proposition de loi,nous jouons pleinement notre rôle de parlementaire,nous ne nous égarons pas, mes chers collègues. Dansquelques années, nous serons fiers d’avoir contribuéà cet acte politique empli de justesse et d’humanité.

Au regard de ces éléments, le refus de voter laprésente proposition de loi me semble incohérent.Ceux qui se figent dans cette position n’en tirent pasles conclusions qui s’imposent. La loi du 29 janvier2001 se veut uniquement déclarative ; il lui manqueun aspect normatif. Autrement dit, l’absence d’outilsjuridiques dans l’arsenal législatif français empêche lejuge de sanctionner la méconnaissance des termesde cette loi, en vertu du principe de légalité desincriminations et des peines. Le juge se trouve ainsidémuni, puisqu’il ne peut faire respecter une loi.Cette proposition de loi vise à mettre un terme àcette situation.

À partir du moment où nous partageons tous lemême sentiment, à savoir que les évènements de1915 constituent bien un génocide, aucune raisonobjective ne peut légitimer le refus de voter laprésente proposition de loi. J’ai donc la certitudeque, en votant ce texte, nous ferons œuvre de con-viction, de courage et de cohérence dans l’actionpolitique. J’espère sincèrement que la majorité dessénateurs partageront ce sentiment. Je compte survous, mes chers collègues !

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Monsieur leprés ident ,monsieur le

ministre, mes cherscollègues, comme jel’indiquais tout àl’heure, la commis-sion des lois a, danssa large majorité,estimé que laprésente propositionde loi, qui crée undélit pénal de contes-tation ou de minimisation outrancière des génocidesreconnus par la loi française, était contraire àplusieurs principes reconnus par notre Constitution.

Je vais successivement aborder quatre principesauxquels nous considérons que la proposition de lois’oppose.

Le premier de ces principes est celui de la légalité desdélits et des peines, avec lequel il y a un risque decontrariété. Bien qu’elle s’en inspire, la présenteproposition de loi diffère en réalité du dispositifretenu par la loi Gayssot s’agissant de la pénalisationde la contestation de la Shoah. En effet, le dispositifde la loi Gayssot est adossé à des faits précis, recon-nus par une convention internationale – l’accord deLondres du 8 août 1945 –, par une juridiction inter-nationale – le tribunal de Nuremberg – et par les juri-dictions françaises, au terme de débats contradic-toires auxquels ont participé des magistrats français.

Comme l’avait observé notre ancien collègue CharlesLederman, rapporteur de la loi Gayssot pour la com-mission des lois, l’infraction que crée ce texte n’a paspour but d’instituer une vérité officielle, mais vise àfaire respecter l’autorité de la chose jugée qui s’at-tache aux décisions de justice. La loi Gayssot ne pro-tège donc pas une vérité historique, elle apporteseulement une protection particulière au respect del’autorité de la chose jugée par des juridictions

françaises, internationales ou reconnues par laFrance.

C’est ainsi que, dans un arrêt du 7 mai 2010, la Courde cassation a estimé que la question de la constitu-tionnalité de la loi Gayssot « ne présent[ait] pas uncaractère sérieux dans la mesure où l’incriminationcritiquée se [référait] à des textes régulièrementintroduits en droit interne, définissant de façon claireet précise l’infraction ».

La situation est très différente s’agissant du génocidearménien de 1915, qui a été commis avant l’adoptionde la Convention pour la prévention et la répressiondu crime de génocide de 1948 et dont les auteursn’ont jamais été jugés ni par une juridiction interna-tionale ni par une juridiction française. De ce fait, surun plan strictement juridique, il n’existe pas de défi-nition précise, ni dans une convention internationaleni dans des décisions de justice revêtues de l’autoritéde la chose jugée, des actes constituant ce génocideet des personnes respon-sables de son déclenche-ment.

Cette difficulté pourrait également valoir pourd’autres génocides que le législateur pourraitsouhaiter qualifier comme tels par la loi. Ainsi, lorsdes débats sur cette proposition de loi à l’Assembléenationale, un amendement a été déposé afin de per-mettre la reconnaissance officielle, par la Républiquefrançaise, du génocide vendéen de 1793-1794. Orcomment définir celui-ci ? Par ailleurs, au cours desannées récentes, plusieurs propositions de loi ont étédéposées au Sénat ou à l’Assemblée nationale ten-dant à reconnaître, par la loi, l’existence du génocidetzigane pendant la Seconde Guerre mondiale ouencore celle du génocide ukrainien de 1932-1933.Hélas, mes chers collègues, la liste pourrait êtrelongue ! Comme l’a écrit Bertrand Mathieu, « la listepotentielle des martyrs de l’histoire est infinie. Laréécriture ou le gel de toute recherche en serait laconséquence inévitable ».

Proposit ion de lo i . . .Except ion d’i rrecevabi l i té

Répression de la contestation de l’existence des génocides

Intervention de Jean-Pierre SUEUR, Rapporteur, Président de laCommission des lois, auteur de la motion, sénateur du Loiret(séance du lundi 23 janvier 2012)

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Il convient également de souligner l’imprécision destermes retenus par la proposition de loi. Le fait de« contester ou de minimiser de façon outrancière »l’existence d’un génocide est plus large que sa seulenégation : la contestation ou la minimisation peutporter sur les lieux, les auteurs, les méthodesemployées, le champ temporel des massacres, sansforcément nier de façon générale qu’un génocide aété commis. Ces termes seraient susceptibles desoulever de réelles difficultés d’appréciation s’agis-sant d’événements historiques sur lesquels subsis-tent encore des zones d’ombre.

Au total, le champ de l’infraction créée par la propo-sition de loi nous paraît contraire au principe de lalégalité des délits et des peines. Mes chers collègues,je vous rappelle que le Conseil constitutionnel con-sidère que ce principe est respecté, dès lors que l’in-fraction est définie « dans des conditions qui per-mettent au juge, auquel le principe de légalitéimpose d’interpréter strictement la loi pénale, de seprononcer sans que son appréciation puisse encourirla critique d’arbitraire ». Il ne s’agit pas là d’une sim-ple question formelle, mais bien d’une question sub-stantielle. En effet, comme l’indique le commentaireofficiel de la décision du Conseil constitutionnel du21 avril 2005 relative à la loi d’orientation et de pro-gramme pour l’avenir de l’école, qui constitue laréférence en la matière, « la liberté ne serait plusassurée si la loi comportait trop de zones grises, tropde bornes floues et de limites incertaines ».

J’en viens au second principe, celui de la libertéd’opinion et d’expression.

La création d’un délit de contestation de l’existenced’un génocide reconnu par la loi paraît contraire auprincipe de liberté d’opinion et d’expression, protégépar l’article XI de la Déclaration des droits del’homme et du citoyen ainsi que par l’article 10 de laConvention européenne des droits de l’homme.Laissez-moi citer l'article XI de la Déclaration desdroits de l’homme : « La libre communication despensées et des opinions est un des droits les plus pré-cieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler,écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abusde cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi ».

Certes, cette liberté n’est pas absolue : elle admet desrestrictions, destinées à protéger des droits et li-bertés également reconnus par la loi. L’article 10 dela Convention européenne des droits de l’hommevise notamment la sécurité publique, la préventiondes infractions, la protection de la santé ou de la

morale, ou encore le respect de la vie privée. Encorefaut-il que ces restrictions soient proportionnées auxobjectifs poursuivis.

Ainsi, si la loi Gayssot paraît compatible avec leprincipe de liberté d’opinion et d’expression, c’estparce qu’elle tend à prévenir aujourd’hui la résur-gence d’un discours antisémite. C’est ce qu’a jugé laCour européenne des droits de l’homme dans unedécision Garaudy du 24 juin 2003.

En l’espèce, force est de constater que, heureuse-ment, aucun discours de nature comparable à l’an-tisémitisme ne paraît viser aujourd’hui, en France etde façon massive, nos compatriotes d’origine arméni-enne. De ce fait, la création d’un délit de contestationou de minimisation de l’existence du génocide de1915 pourrait être considérée comme excédant lesrestrictions communément admises pour justifierune atteinte à la liberté d’expression. Il s’agit là d’unrisque très sérieux soulevé par la plupart des consti-tutionnalistes que nous avons consultés ou qui sesont prononcés sur cette question.

Le troisième principe auquel l’adoption de cetteproposition de loi pourrait porter atteinte est celui dela liberté de la recherche.

Mes chers collègues, je vous rappelle que le principede liberté de la recherche scientifique découle, d’unepart, des principes de liberté d’opinion et d’expres-sion que je viens d’évoquer et, d’autre part, duprincipe d’indépendance des professeurs de l’en-seignement supérieur, que le Conseil constitutionnelregarde comme un principe constitutionnel depuisune décision en date du 20 janvier 1984. Selon lestermes de cette dernière, « par leur nature même, lesfonctions d’enseignement et de recherche [...]demandent, dans l’intérêt même du service, que lalibre expression et l’indépendance des personnelssoient garanties par les dispositions qui leur sontapplicables ».

Or la création d’un délit de contestation ou de min-imisation d’événements historiques qualifiés degénocide par la loi ferait peser un risque certain surles travaux scientifiques que des historiens seraientamenés à conduire de bonne foi, dès lors que leursconclusions, fondées sur l’étude de sources his-toriques, seraient regardées par certains comme con-testant ou minimisant ces événements tragiques.Enfin, c’est à la compétence du législateur que cetteproposition de loi porterait atteinte si elle était adop-tée.

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Mes chers collègues, j’attire votre attention sur le faitque, en inscrivant dans la loi la condamnation deceux qui contestent l’existence des génocides« reconnus comme tels par la loi française », le légis-lateur se conférerait à lui-même une nouvelle com-pétence que ne lui reconnaît pas la Constitution, cellede reconnaître des génocides. Or, comme le rappellele commentaire de la décision du Conseil constitu-tionnel du 21 avril 2005, « la présence dans une loid’un texte qui n’est pas au nombre de ceux que laConstitution soumet au vote du Parlement doit êtrecensurée, car, sous la Ve République, et contraire-ment aux régimes précédents, le Parlement ne peutvoter sur tout objet de son choix ». En effet, con-trairement aux Parlements des IIIe etIVe Républiques, notre Parlement, en vertu de laConstitution, est doté d’une compétence d’attribu-tion. C’est donc uniquement le pouvoir constituantqui pourrait nous conférer le pouvoir d’exercer lescompétences dont la présente proposition de loi pré-suppose que nous disposons.

Certains ont prétendu – vous l’avez dit vous-même,monsieur le ministre – que cette proposition de loi neprésentait pas les mêmes caractères d’inconstitution-nalité que les précédents textes, au motif qu’elle seprésentait comme la transposition en droit interned’une décision-cadre du Conseil européen du28 novembre 2008 sur la lutte contre certainesformes et manifestations de racisme et de xénopho-bie au moyen du droit pénal.

Or cet argument ne résiste pas à l’examen puisquecette proposition de loi ne prévoit qu’une transposi-tion très imparfaite de cette décision-cadre. L’article1er du texte européen dispose en effet que « chaqueÉtat-membre prend les mesures nécessaires pourfaire en sorte que [...] soient punissables [...] l’apolo-gie, la négation ou la banalisation grossière publiquesdes crimes de génocide, crimes contre l’humanité etcrimes de guerre, tels que définis aux articles 6, 7 et8 du statut de la Cour pénale internationale, visantun groupe de personnes ou un membre d’un telgroupe [...] lorsque le comportement est exercéd’une manière qui risque d’inciter à la violence ou à la haine à l’égard d’un groupe de personnes ou d’unmembre d’un tel groupe ».

Ainsi, l’incrimination prévue doit viser explicitementles comportements exercés « d’une manière quirisque d’inciter à la violence ou à la haine ». Sa final-ité est donc de lutter contre le racisme ou la xéno-phobie, et non pas seulement de protéger lamémoire.

Or l’infraction créée par la proposition de loi ne com-porte pas cet élément intentionnel, qui est absolu-ment essentiel, ce qui fait perdre toute pertinence àla référence à cette décision-cadre destinée à nousdémontrer que cette proposition de loi serait con-forme à la Constitution.

Mes chers collègues, j’appelle votre attention sur lefait que si, en l’état du droit, seule la négation de laShoah peut donner lieu à des poursuites pénales, lesrescapés d’autres génocides ne sont pas pour autantdépourvus de toute voie de recours contre les proposnégationnistes.

Tout d’abord, la diffamation et l’injure raciale oureligieuse, ainsi que la provocation à la discrimina-tion, à la haine ou à la violence à l’égard d’une per-sonne ou d’un groupe de personnes en raison de leurorigine sont passibles de sanctions pénales, à l’instarde l’apologie des génocides et autres crimes contrel’humanité. C’est prévu par la loi. Par ailleurs, si lacontestation des génocides autres que la Shoah nepeut donner lieu, en l’état du droit, à une action aupénal, la jurisprudence estime que de tels faits sontsusceptibles de donner lieu à une action au civil, surle fondement de la responsabilité de droit communédictée par l’article 1382 du code civil.

Je tiens à souligner que c’est sur ce fondement qu’unhistorien a été condamné en 1995 par le tribunal degrande instance de Paris à un franc de dommages etintérêts. Cette juridiction a en effet considéré qu’ilavait ainsi « manqué à ses devoirs d’objectivité et deprudence, en s’exprimant sans nuance, sur un sujetaussi sensible ; que ses propos, susceptibles de raviv-er injustement la douleur de la communauté arméni-enne, [étaient] fautifs et [justifiaient] une indemnisa-tion ». Des voies de recours existent donc déjà contreles personnes qui contesteraient ou minimiseraientde façon outrancière l’existence de génocides etautres crimes contre l’humanité.

Par conséquent, mes chers collègues, nous ne pen-sons pas qu’il soit pertinent de s’engager dans la voiepénale, qui présente les risques très sérieux d’incon-stitutionnalité que je viens d’évoquer. En outre, cetexte serait totalement inefficace si le but est de lut-ter contre des propos négationnistes tenus à l’é-tranger, car je vous rappelle que la loi pénalefrançaise ne s’applique qu’aux faits commis sur le ter-ritoire de la République. Pour l’ensemble de cesraisons, mes chers collègues, la commission des loisvous invite à voter la motion tendant à opposer l’ex-ception d’irrecevabilité.

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Je veux répondreaux argumentsavancés par la

commission des lois.Il est reproché à laproposition de loi deporter atteinte à laséparation des pou-voirs en substituantle législateur au juge.J’entends naturelle-ment cet argument :la séparation despouvoirs est un principe essentiel dans notredémocratie. D’ailleurs, au cours des dix dernièresannées, aucun groupe n’a été plus résolu que legroupe socialiste à protéger le pouvoir judiciaire con-tre les ingérences des autres pouvoirs, notammentcelles du pouvoir exécutif.

Toutefois, en l’espèce, cette objection doit êtreréfutée.

Tout d’abord, prétendre que la réalité du génocidearménien n’aurait pas été reconnue par un juge, c’estignorer l’Histoire : comme cela a été rappelé àplusieurs reprises, les cours martiales deConstantinople ont rendu, en 1919 et 1920, des ver-dicts condamnant ses principaux responsables. Lesobjections portant sur le fond de la proposition de loine sont pas plus convaincantes. La loi du 29 janvier2001 ne qualifie pas les événements de 1915 : elle les« reconnaît » comme constitutifs d’un génocide.Rapportée au texte de la proposition de loi, cettereconnaissance ne produit qu’un seul effet : celui derendre applicable la nouvelle incrimination, sanspriver le juge de sa compétence de qualifierjuridiquement les massacres de 1915.

Que la reconnaissance de faits comme constitutifsd’un génocide produise cet effet limité est confirmépar le libellé même de la proposition de loi : seules sont visées la contestation ou la minimisation ou-

trancière de « l’existence d’un ou plusieurs crimes degénocide défini à l’article 211-1 du code pénal ».

Il appartiendra bien au juge de qualifier les faitssoumis à son examen. Aussi n’y a-t-il aucune atteinteau principe de la séparation des pouvoirs. II n’y en apas davantage au principe constitutionnel de la légal-ité des délits puisque l’incrimination de contestationou de minimisation outrancière repose sur la défini-tion pénale du génocide, laquelle est précise et par-faitement fidèle aux définitions internationales de cecrime.

La commission des lois fait encore grief à la proposi-tion de loi de porter atteinte à la liberté d’expressionet à la liberté de la recherche. Cependant, tellequ’elle est rédigée, la proposition de loi laisse au jugela faculté d’apprécier ce qui est « outrancier » ouraisonnable. Ainsi, les travaux scientifiques sont mis àl’abri de toute poursuite.

De manière plus technique, M. le rapporteursouligne le risque de voir la loi du 29 janvier 2001 re-lative à la reconnaissance du génocide arménien de1915 déclarée inconstitutionnelle. Cet argument nenous semble pas fondé.

Pour ce qui est du grief tiré de la prétendue violationde la séparation des pouvoirs, j’y ai déjà répondu.Quant à l’objection fondée sur l’absence de valeurnormative de la loi du 29 janvier 2001, elle doit juste-ment être levée par l’adoption de la présente propo-sition de loi. En effet, la loi relative à la reconnais-sance du génocide arménien de 1915 rendra applica-ble la nouvelle incrimination. Il est paradoxal de s’op-poser à une proposition de loi qui fait disparaître unmotif d’inconstitutionnalité d’une loi en vigueur !

Enfin, on nous objecte que la proposition de loiprocéderait à une transposition imparfaite de la déci-sion-cadre 2008/913/JAI du Conseil du 28 novembre2008 sur la lutte contre certaines formes et manifes-tations de racisme et de xénophobie au moyen dudroit pénal.

Proposit ion de lo i . . .Except ion d’i rrecevabi l i té

Répression de la contestation de l’existence des génocides

Explication de vote de Philippe KALTENBACH, sénateur des Hauts-de-Seine(séance du lundi 23 janvier 2012)

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Celle-ci impose aux États membres de prendre lesmesures nécessaires pour rendre punissables, en par-ticulier, « l’apologie, la négation ou la banalisationgrossière publiques des crimes de génocide, crimescontre l’humanité et crimes de guerre ».

Cet argument repose sur une erreur d’analyse, ladécision-cadre n’ayant ni pour objet ni pour effet delimiter la compétence pénale des États membres. Eneffet, dans le cadre du troisième pilier, l’Unioneuropéenne exerce seulement une compétencepartagée avec les États membres. Par conséquent, leParlement français n’est pas privé de sa compétence.

Cette décision-cadre poursuit uniquement l’objectifd’une harmonisation minimale permettant le rap-prochement progressif des droits internes et unereconnaissance mutuelle des décisions judiciairesrendues dans le domaine de la lutte contre le racismeet la xénophobie.

Ainsi, à l’occasion de la transposition à laquelle elleprocède, la proposition de loi ne porte atteinte àaucune obligation constitutionnelle.

C’est pourquoi, mes chers collègues, au nom de lamajorité des membres du groupe socialiste – puisqueson vote ne sera pas unanime –, je vous demande debien vouloir rejeter la motion tendant à opposer l’ex-ception d’irrecevabilité.

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Voici le résultat du scrutin n° 89 :

Nombre de votants 263

Nombre de suffrages exprimés 253

Majorité absolue des suffrages exprimés 127

Pour l’adoption 86

Contre 167

Le Sénat n’a pas adopté.

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J’ai écouté avecattention les argu-ments défendus

par notre collègueJean-Michel Bayletvoilà quelquesinstants. Je vais ten-ter de répondre trèsbrièvement à chacund’entre eux : non,cette proposition deloi n’est pas une loimémorielle ; non,avec ce texte, le législateur n’intervient aucunementdans le champ de l’histoire ; enfin, il faut minimiserles risques d’inconstitutionnalité de ce texte.

Je ne crois pas, pour reprendre les propos de SergeKlarsfeld, que nous écrivions avec ce texte le « verdictde l’histoire ». Comment peut-on croire que l’inten-tion du législateur est ici de poser une vérité his-torique officielle ? Si certains, en dehors de cetteenceinte, nous prêtent cette intention, c’est qu’ilsdoutent encore du caractère génocidaire, pourtantincontestable, de l’extermination des Arméniens parl’Empire ottoman en 1915.

Yves Ternon a écrit qu’il n’y avait pas l’ombre d’undoute sur le caractère génocidaire de ces événe-ments. Il n’y a donc pas de controverse historiquescientifique possible. En revanche, il subsiste despolémiques nauséabondes à caractère négationniste.

Nous ne sommes pas face à une loi mémorielle visantà établir une vérité historique. Cette proposition deloi condamne les négationnistes du génocidearménien, comme la loi française condamne désor-mais les négationnistes de la Shoah.

Nous récusons donc l’argument d’une intrusion dulégislateur dans le champ de l’histoire. Il est au con-traire dans son rôle lorsqu’il légifère dans le but deveiller au respect d’une loi, en l’espèce celle de 2001.

Cette proposition de loi, si elle est adoptée, n’em-pêchera pas les historiens, je l’ai dit tout à l’heure, depoursuivre librement leurs recherches. En revanche,elle permettra de démasquer les faussaires de l’his-toire et de les marginaliser.

Concrètement, l’expérience de l’application de la loiGayssot visant à pénaliser le négationnisme de laShoah a montré qu’aucun chercheur sérieux n’avaitvu sa liberté de recherche entravée par une con-damnation pénale.

J’ajoute que l’intention du législateur n’est nullementde porter atteinte à la liberté d’expression. Chacunsait qu’elle a des limites légales. Dans le cas présent,nous veillons bien à prévenir toute incitation à lahaine induite inévitablement par les discours néga-tionnistes.

Enfin, je souhaite apporter un éclairage sur lescraintes exprimées par certains, craintes que com-prend le groupe socialiste, sur la conformité de cetteproposition de loi à la Constitution.

Comme le rappelle le professeur Coussirat-Coustère,« une infraction de génocide peut être poursuiviedevant le juge pénal national avant même que lesfaits ne soient qualifiés de génocide par une juridic-tion internationale ». En effet, la compétence desjuridictions pénales internationales est subsidiaire. Ilen résulte que la France a compétence pour incri-miner les faits en rapport avec un génocide avantmême qu’ils ne soient internationalement reconnuspar une juridiction pénale. Nous respectons donc, enl’espèce, le domaine de la loi.

De plus, cette proposition de loi modifie la loi de1881 sur la liberté de la presse et non celle de 2001.L’appréciation laissée au juge sur l’élément intention-nel du négateur écarte le risque de condamnationautomatique de l’auteur de la contestation. La propo-sition de loi est donc conforme au principe constitu-tionnel de légalité des délits et des peines.

Proposit ion de lo i . . .Quest ion préalable

Répression de la contestation de l’existence des génocides

Explication de vote de Luc CARVOUNAS, sénateur du Val de Marne(séance du lundi 23 janvier 2012)

Bulletin du Groupe Socialiste du Sénat n° 10 page 33

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Concernant le risque de voir la loi soumise au Conseilconstitutionnel à la suite du dépôt d’une questionprioritaire de constitutionnalité – en admettantqu’elle passe le filtre de la Cour de cassation –, jecrois bon de rappeler que le Conseil reconnaît au lég-islateur une marge d’appréciation quant au besoin deprotéger soit l’ordre public, soit les droits d’autrui,soit des valeurs. Nous sommes bien dans ce cadrepuisque le négationnisme porte atteinte à ces troiséléments.

Enfin, au regard de nos engagements internationauxet de la jurisprudence de la Cour européenne desdroits de l’homme, la contestation d’un crime inter-national n’est pas protégée par la liberté d’expres-sion.

Quant à la recherche scientifique, elle ne constitueun abus punissable que lorsqu’elle est effectuée àl’aide de méthodes intentionnellement viciées – doncvicieuses –, méthodes qu’utilisent les faussairesnégationnistes.

En conclusion, monsieur le président, monsieur leministre, monsieur le rapporteur, mes chers col-lègues, vous l’aurez compris, même si le groupesocialiste n’est pas unanime en l’occurrence, nousvoterons, pour notre part, contre cette motion ten-dant à opposer la question préalable.

Bulletin du Groupe Socialiste du Sénat n° 10 page 34

Voici le résultat du scrutin n° 90 :

Nombre de votants 261 Nombre de suffrages exprimés 252 Majorité absolue des suffrages exprimés 127 Pour l’adoption 81 Contre 171

Le Sénat n'a pas adopté.

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Monsieur leprés ident ,monsieur le

ministre, mes cherscollègues, je voudraisen préambule meréjouir du climat derespect réciproquequi caractérise noséchanges depuis ledébut de nos travaux.Si nos débats sedéroulent dans un telclimat, c’est parce qu’aucune voix ne s’est élevéepour contester la réalité du génocide arménien. Lagrandeur de la démocratie est de pouvoir débattre etdécider en dehors de toute contrainte, d’où qu’ellevienne.

Compte tenu du calendrier pré-présidentiel, lamotion tendant au renvoi à la commission a pourobjectif réel d’empêcher l’adoption de la propositionde loi. J’y suis donc hostile puisque, à mon sens, cetteloi est absolument nécessaire. Toutefois, avant d’ex-poser ma position sur le fond, j’aimerais direquelques mots du contexte dans lequel nos travauxs’inscrivent. Certains l’ont d’ailleurs évoqué.

Premièrement, nous sommes en période électorale.C’est seulement à la veille d’un scrutin présidentielque nous sommes saisis d’un texte pourtant promisvoilà maintenant près de cinq ans ! Si certains ontvoulu exploiter cette question à des fins électoral-istes, ce n’est pas à leur honneur.

Mais cela ne doit pas nous interdire de discuter sur lefond. Le sujet est suffisamment important, suffisam-ment ancré dans la mémoire collective pour quenous en débattions. Quelles que soient leséventuelles arrière-pensées de certains, nous nedevons pas renoncer à exprimer nos convictions surce sujet !

Deuxièmement, au vu du contexte géopolitique, ceuxqui s’opposent à cette proposition de loi s’alarmentde ses possibles conséquences économiques et com-merciales. Sur ce sujet comme sur d’autres, on nousdit que ce n’est pas le « bon moment ». D’ailleurs, cen’est jamais le « bon moment »…

Mes chers collègues, l’honneur et le respect dû auxmorts pèsent plus lourd que des préoccupationscourt-termistes, aussi importantes soient-elles !

Erik Orsenna nous rappelait fort justement que lamémoire était « la santé du monde ». Eh bien, celaimplique que nous laissions de côté les contingencesgéopolitiques, économiques ou commerciales dumoment.

Je voudrais répondre à certaines des interrogationsou inquiétudes possibles de nos concitoyens.D’ailleurs, j’ai moi-même pu les partager avant de meforger ma propre opinion, en assistant à un certainnombre d’auditions et en consultant des constitu-tionnalistes bien plus compétents que moi.

Ce n’est pas, nous dit-on, aux parlementaires d’écrirel’histoire. Bien sûr ! Qui a prétendu le contraire ?Simplement, aujourd'hui, l’histoire est écrite. Les his-toriens sont d'accord entre eux, de manière quasiunanime ! L’affaire est entendue. L’ONU, l’Unioneuropéenne et plus de trente pays se sont pronon-cés.

Par conséquent, si ce n’est effectivement pas aux par-lementaires d’écrire l’histoire, il leur appartient bien,une fois l’histoire écrite, d’en tirer les conséquenceslégislatives, le cas échéant sur le plan pénal. De lamême manière, il n’est pas non plus possible derefaire l’histoire du droit.

Lorsque des massacres ont été perpétrés contre lesArméniens, aucune convention internationale netraitait du génocide, mais ce caractère criminel a étéreconnu par les tribunaux ottomans eux-mêmes,

Proposit ion de lo i . . .Demande de renvoi en commiss ion

Répression de la contestation de l’existence des génocides

Intervention contre de Yannick VAUGRENARD, sénateur de la Loire-Atlantique(séance du lundi 23 janvier 2012)

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dans les jugements prononcés par une cour martialeen 1919. Or le traité de Lausanne de 1923, toujoursen vigueur en France comme en Turquie, contientune clause d’amnistie qui n’aurait aucun sens si lesmassacres de 1915 n’avaient pas été considéréscomme des crimes internationaux.

Certains affirment également qu’une telle loi pour-rait pénaliser le travail des historiens. Je penseexactement le contraire. Ceux qui empêchent les his-toriens de faire leur travail, de mener leurs recher-ches, ce sont les négationnistes. Je pense donc quecette loi a plutôt tendance à protéger les historiens.

Par ailleurs, et cela a été souligné cet après-midi,aucun historien ne s’est plaint d’avoir été empêchépar la loi Gayssot de continuer à mener des recherch-es. Pourtant, à l’origine, des craintes avaient étéexprimées en ce sens.

On nous dit aussi que la liberté d’expression pourraitêtre remise en cause. Je n’en crois rien. La recherchefait évidemment partie de la liberté d’expression.Mais contester des vérités historiquement établies,au même titre que faire l’apologie de crimes contrel’humanité, c’est abuser de la liberté d’expression.

D’ailleurs, les deux actes ont été condamnés par laCour européenne des droits de l’homme.

Fallait-il une loi ? Je pense que oui, car la vérité n’estpas toujours assez forte pour terrasser le mensonge.Le négationnisme, à l’instar du racisme, ne peut et nedoit pas être considéré comme une opinion. Ce sontl’un et l’autre des délits, condamnables par les lois denotre République ! Alors, oui, une loi est nécessairepour tous les génocides !

Contrairement à ce qu’on entend parfois, ce n’est pasune loi contre la Turquie ! Cela va sans dire, mais celava encore mieux en le disant.

À mon sens, un jour viendra où le peuple turc com-prendra qu’il est bon pour lui-même de reconnaîtreson histoire, tout en sachant qu’il n’est évidemmentpas responsable des fautes du passé.

Certes, comparaison n’est pas raison, mais je tiens àrappeler qu’un Président de la République d’unefamille politique autre que la mienne, dans son dis-cours du Vélodrome d’Hiver, a reconnu officiellementla responsabilité de la police française, donc de l’État,dans des rafles odieuses. Faisant cela, a-t-il affaibli laFrance ?

Je ne le pense pas. Au contraire, je crois qu’il l’agrandie.

Un jour viendra, j’en suis convaincu, où le peuple turclui-même sera plus fort d’une telle reconnaissancehistorique. Et, à ce moment-là, oui, la Turquie pourraentrer dans l’Union européenne ! Car l’Unioneuropéenne a autant besoin de la Turquie que laTurquie a besoin de l’Union européenne.

Je le répète, la demande de renvoi en commission nese justifie pas. Le débat a été large, il a eu lieu, et ilpeut évidemment continuer.

Pour terminer, j’évoquerai un souvenir d’enfance.Lorsque mes parents m’ont emmené voir Oradour-sur-Glane, j’ai compris que l’humain était capabled’atrocités. Il est, certes, capable du meilleur, mais ilest aussi capable du pire.

Permettez-moi de citer cette phrase de Vercors, quiest inscrite à l’entrée du village d’Oradour-sur-Glane :« L’humanité n’est pas un état à subir. C’est une dig-nité à conquérir. »

Eh bien, par cette loi, il faut rendre la dignité à ceuxqui ont subi des génocides ! J’ai le sentiment que, enleur rendant cette dignité, et en condamnant ceuxqui la leur refusent, nous ferons progresser, à notreniveau, avec l’humilité qui convient, la dignité del’humanité !

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Voici le résultat du scrutin n° 91 :

Nombre de votants 243 Nombre de suffrages exprimés 238 Majorité absolue des suffrages exprimés 120 Pour l’adoption 42 Contre 196

Le Sénat n'a pas adopté.

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Monsieur leprés ident ,Monsieur le

ministre, mes cherscollègues, au termede ce débat, on nepeut que regretterque ce texte, que jene voterai pas, ait étédéposé dans un con-texte forcément trèspolémique, au débutd’une campagneprésidentielle et sous la pression constante des deuxparties. Les porte-parole des descendants des vic-times arméniennes veulent croire que les opposantsà cette proposition de loi manquent de respect à l’é-gard des victimes des massacres de 1915.

Or personne, que ce soit dans cet hémicycle ouailleurs, n’oserait aujourd’hui nier les événementsqui ont conduit à la mort tant d’Arméniens voilà unsiècle. L’injustice et l’élimination dont ce peuple futvictime ne sauraient être effacées, tout comme nesauraient d’ailleurs être oubliées les souffrancesinfligées à tant d’autres minorités dans l’Empireottoman et plus près de nous : Juifs, Grecs, Kurdes.On peut espérer que la Turquie moderne, qui con-forte chaque jour son implication dans le concertinternational, assume enfin les fautes du passé ettrouve tout particulièrement avec l’Arménie les voiesd’une réparation et d’un voisinage serein.

Je ne doute pas que la question de la constitution-nalité de ce texte sera tôt ou tard tranchée par le jugeconstitutionnel. Cependant, il nous faut dénoncerdès aujourd'hui l’opportunisme et la manipulationpolitique opérée par le Président de la Républiquequi, avec ce texte, espère faire coup double àquelques mois de l’élection présidentielle. D’unepart, il croit s’acquérir ainsi les voix des Arméniens deFrance ; je veux croire que ceux-ci sont maîtres deleur vote et se détermineront en fonction de leursconvictions. D’autre part, il trouve de nouveau argu-

ments pour faire barrage à la candidature de laTurquie à l’Union européenne, dont il a fait depuislongtemps son cheval de bataille, sur fond d’hostilitédéclarée au monde musulman. Qui plus est, il tentede maquiller le but de cette proposition de loi en pré-tendant qu’elle ne vise pas un peuple ou un État enparticulier. Or nous savons bien qu'il s'agit du géno-cide arménien et de la Turquie.

Mes chers collègues, ne laissons pas Nicolas Sarkozyinstrumentaliser ainsi le Parlement ! Posons-nous aucontraire sincèrement, et en toute liberté de pensée,comme nous y oblige notre mandat, les questionssuivantes.

Ce texte sert-il les intérêts de l’Arménie ? Assurémentpas, car il intervient comme un jugement venu del’extérieur. Aucun peuple ne peut souhaiter se voirdicter son histoire. Ces dernières années, quelquesprogrès ont été enregistrés dans le dialogue entre laTurquie et l’Arménie. L’ingérence brutale du législa-teur français peut mettre à mal cette démarche, voirela condamner durablement. Les réactions violentesdu gouvernement turc ne peuvent que susciter notreinquiétude sur l’avenir du dialogue entre les deuxpays. Nous devons plutôt prendre en compte l’évolu-tion de l’opinion publique turque sur ce sujet et lerôle positif de certaines élites intellectuelles et desmodernistes de progrès qui travaillent justement àune réconciliation.

Cette proposition de loi ne peut qu’affermir la voixdes fractions les plus dures et du nationalisme le plusréactionnaire en Turquie. Craignons pour nous l’effetboomerang que nous avons déjà subi par la mise encause de nos actions en Algérie.

Ce texte sert-il les intérêts de la France ? Assurémentpas, car il compromet gravement les chances d’unediplomatie française vigilante et constructive, enpartenariat respectueux avec la Turquie. En outre, ilne conditionne en rien nos relations avec l’Arménie.Le Parlement français doit rester à sa juste place : nijuge ni historien, il peut contribuer efficacement à la

Proposit ion de lo i . . .Expl icat ions de vote sur l ’ensemble du texte

Répression de la contestation de l’existence des génocides

Intervention de Catherine TASCA, sénatrice des Yvelines(séance du lundi 23 janvier 2012)

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compréhension et à l’amitié entre les peuples turc etfrançais, ce à quoi s’attache notre groupe d’amitié. Enrevanche, il ne doit pas interférer avec l’action diplo-matique.

Comme je l’ai souligné lors de l’examen de l’article1er, la politique étrangère ne se définit pas auParlement : cette responsabilité relève duGouvernement. En revanche, il nous revient de con-trôler cette politique. En l’espèce, je considère queNicolas Sarkozy fait porter au Parlement une respon-sabilité qui n’est pas la sienne et que, sur le fond, ilsacrifie les chances d’un dialogue avec la Turquie.Pouvons-nous prêter la main à une opération politici-enne et renoncer à un dialogue équitable avec laTurquie, ce grand pays qui joue un rôle croissant danscette région du monde ? Je pense qu’il s’agit d’uneerreur grave de politique étrangère et je ne souhaitepas que la Haute Assemblée s’y associe.

Cela a été rappelé, notamment par notre collègueGaëtan Gorce, la cohésion nationale doit être l’unede nos préoccupations. Notre pays compte nombrede citoyens ou de résidents d’origine arménienne outurque. Ce serait une faute de réveiller entre eux unehostilité que le vivre ensemble a forcément estom-pée.

Enfin, je veux souligner que, en s’opposant à l’adop-tion de ce texte, la commission des lois et son rap-porteur défendent non pas la force du droit pour lui-même mais le respect de notre Constitution commeindispensable vigile de nos principes fondamentauxet rempart contre tous les arbitraires.

Pour toutes ces raisons, je voterai contre cette propo-sition de loi. Certes, je suis consciente que ce n'estpas la position de la majorité de mon groupe, maisc'est aussi l'honneur des parlementaires de pouvoirquelquefois assumer leurs convictions, quitte à êtreminoritaires.

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Des historiens etspécialistes del’Holocauste,

dont Elie Wiesel, ontfait connaîtrepubliquement leurposition à l’orée dece siècle, pour quesoit déclarée « incon-testable la réalité dugénocide arménienet inciter lesdémocraties occiden-tales à le reconnaître officiellement ». En reconnais-sant l’existence de ce génocide, la Républiquefrançaise a rendu au peuple arménien la place dansl’histoire que certains ont cherché à occulter, à effa-cer, à détruire.

Mes chers collègues, nous sommes aujourd’huiplacés devant nos responsabilités et, sans céder aurituel des lois mémorielles, sans vouloir écrire l’his-toire à la lumière des textes de loi, comment ne pasreconnaître que, « presque toujours, la responsabil-ité confère à l’homme de la grandeur. »

Aujourd’hui, nous avons un devoir de cohérence ennous donnant les moyens de sanctionner la négationdu génocide. J’entends bien les arguments de cer-tains de mes collègues, mais la question de la consti-tutionnalité est-elle à la hauteur des responsabilitésqui sont les nôtres ?

L’objectif premier du négationnisme, j’y insiste, estde falsifier l’histoire pour nier une réalité historiqueet effacer toute trace des génocides de la mémoire.

Personne ne peut l’accepter !

Je conclus mon propos en réaffirmant que garantir àchacun le respect auquel il a droit en tant qu’êtrehumain est un moyen efficace pour combattre lecommunautarisme.

Notre inertie et notre silence seraient coupables : nepas légiférer sur la pénalisation du négationnismeserait un sinistre retour en arrière !

Pour toutes ces raisons, je voterai cette propositionde loi.

Proposit ion de lo i . . .Expl icat ions de vote sur l ’ensemble du texte

Répression de la contestation de l’existence des génocides

Intervention de Jean-Noël GUERINI, sénateur des Bourches-du-Rhône(séance du lundi 23 janvier 2012)

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La passion que j’aimise tout àl’heure dans

mon propos a mani-festement soulevéquelques réactions.Si mes paroles, par laconfusion qu’ellesont pu susciter dansles esprits, ontchoqué certainsparmi nous, je leregrette. Mon objec-tif n’était pas de blesser qui que ce soit, au travers dela mémoire qu’il porte, de la souffrance qu’il ressentou qu’il veut faire partager.

Il n’y a donc aucun doute pour moi, comme, me sem-ble-t-il, pour l’ensemble de cette assemblée : ce dontnous parlons aujourd’hui, à savoir l’exterminationdes Arméniens en 1915, est bien un génocide.

J’ai simplement voulu indiquer que nous ne pouvonspas traiter les génocides les uns à l’égal des autres. Jene dis pas qu’ils ne se valent pas ou que la souffranceressentie n’est pas la même, mais je pense quechaque sujet doit être traité spécifiquement, dans sasingularité, avec le souci de toujours apporter à lafois une compassion et une réponse propres. À mesyeux, la Shoah a laissé sur chaque homme une mar-que indélébile que nous ne saurons jamais effacer.

La liberté de vote qui nous est offerte me permetd’indiquer que je voterai contre ce texte.

Je me réjouis des débats que nous pouvons avoir etdéplore les incompréhensions que, malheureuse-ment, ils peuvent parfois susciter. Néanmoins, jepense que ce débat ne relève pas des groupes et despartis politiques. Chacun de nos concitoyens doit levivre intimement dans son cœur, dans son esprit, etavoir sa réflexion propre. Nul ne doit pouvoir êtreempêché de le mener jusqu’à son terme.

Proposit ion de lo i . . .Expl icat ions de vote sur l ’ensemble du texte

Répression de la contestation de l’existence des génocides

Intervention de Gaëtan GORCE, sénateur de la Nièvre(séance du lundi 23 janvier 2012)

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Monsieur leprés ident ,monsieur le

ministre, mes cherscollègues, j’ai dit endébut de séance quej’intervenais aujour-d’hui non pas en tantque représentantd’un groupe ou d’unparti politique, maisau nom d’une com-mission, la commis-sion des lois. Or celle-ci a une histoire : elle a toujoursdéfendu, dans la diversité des membres qui la com-posent et dans des contextes différents, la mêmeposition.

Au terme de notre débat, même si les opinions sontpartagées, je dois dire que j’ai été frappé, commebeaucoup d’entre vous sans doute, par la qualité deséchanges, par l’écoute et par le pluralisme qui s’estexprimé sur toutes les travées, de part et d’autre del’hémicycle.

Ce qui nous préoccupe vraiment, c’est la loi : cequ’elle peut dire ou non, ce qu’elle peut faire ou non,ce qu’elle doit dire ou non. Nous devons nous posercette question : quel est notre champ de compé-tences ?

Nous sommes intimement persuadés qu’il y a, en l’e-spèce, de très lourds risques d’inconstitutionnalité.Nous disons cela tout en rappelant l’infini respect dûà la mémoire des Arméniens et de leurs martyrs. Cen’est pas contradictoire.

Mes chers collègues, nous nous sommes tousécoutés. J’ai entendu les grandes voix qui se sontexprimées de part et d’autre. Le fait que deux anciensprésidents du Sénat, notamment, prennent la parolen’est pas anodin, vous en conviendrez. Après avoirsuivi l’ensemble du débat, qui a été riche, je n’ai pas

de doute sur l’issue du vote. Je répète que la com-mission est contre cette proposition de loi, pour lesraisons que nous avons exposées.

En cet instant, je souhaite simplement que chacund’entre nous s’interroge : le vote de ce soir va-t-ilfaire avancer l’histoire ? Va-t-il résoudre les prob-lèmes, permettre de réels progrès diplomatiques,favoriser le rapprochement des peuples, préparerl’avenir ? Va-t-il clore le débat ? Personne ne le penseici.

Si nous pouvons nous tromper, sur ce point, nouscroyons avoir raison. C’est pourquoi nous contin-uerons, à la commission des lois – mais nous nesommes pas exclusifs –, à défendre comme une vigieune certaine idée de la loi et, partant, de l’histoire.Nous ne cesserons de dire et de répéter que l’œuvrede mémoire est nécessaire, indispensable, pour lesArméniens comme pour tous les autres.

Dans mon département, il y a eu deux camps où l’oninternait les enfants et leurs mères avant de lesenvoyer vers Drancy et Auschwitz. Je suis, commetout le monde, hanté par la Shoah, par le génocidearménien, mais aussi par ce qui s’est passé auRwanda, en Corée, dans nombre d’endroits dumonde. Je pourrais continuer la liste, tant elle estlongue.

Notre rôle est de défendre le droit, en France, auniveau international, les droits de tous les hommes etde toutes les femmes, sans aucune distinction. Nousdevons faire œuvre de mémoire pour tous les mar-tyrs de l’histoire, car, jamais, ils ne doivent êtreoubliés. Ceux qui prétendent bâtir un avenir rayon-nant sur l’amnésie, l’oubli du passé ou la déformationdes faits sont des imposteurs. Nous devons, inlass-ablement, faire œuvre d’histoire, de science, de con-naissance. Quelqu’un a dit que les historiens n’é-taient pas toujours d’accord. C’est vrai, mais c’estainsi que progresse le savoir.

Proposit ion de lo i . . .Expl icat ions de vote sur l ’ensemble du texte

Répression de la contestation de l’existence des génocides

Intervention de Jean-Pierre SUEUR, Rapporteur, Président de la Commission deslois, sénateur du Loiret(séance du lundi 23 janvier 2012)

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Monsieur le ministre, mes chers collègues, le débatd’aujourd’hui s’est déroulé dans le respect, et c’estsur ce mot que je veux terminer. À notre sens, le votede ce soir ne clôt pas la discussion ni la controverse,n’apaise pas ce qui doit l’être. Mais nous aurons l’oc-casion de continuer à travailler ensemble sur toutesces questions.

Bulletin du Groupe Socialiste du Sénat n° 10 page 42

Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.Le scrutin est ouvert.

Voici le résultat du scrutin n° 93 :

Nombre de votants 237 Nombre de suffrages exprimés 213 Majorité absolue des suffrages exprimés 107 Pour l’adoption 127 Contre 86

Le Sénat a adopté définitivement la proposition de loi.

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Monsieur leprés ident ,monsieur le

secrétaire d'État, meschers collègues, aumoment où je prendsla parole ici, devant laHaute Assemblée,pour m’exprimer surce projet de loi fixantau 11 novembre lacommémoration detous les morts pour laFrance, je voudrais, comme vous tous, avoir une pen-sée pour ces quatre soldats français qui viennent delaisser leur vie en Afghanistan. C’est pour moi l’occa-sion d’envoyer un message de soutien à leurs familleset à leurs compagnons d’armes. En effet, lorsqu’unsoldat français meurt, c’est l’ensemble de la Nationqui est touché.

Monsieur le secrétaire d'État, nous sommes d’accordsur l’importance du devoir de mémoire, même si samise en œuvre pose parfois question et suscite, deloin en loin, des débats difficiles. Plus que tout autresujet, la mémoire doit permettre de se rassembler.On se rassemble pour se souvenir, se recueillir et ren-dre hommage à tous ceux qui ont sacrifié leurjeunesse et leur vie en répondant à l’appel de laNation pour défendre la République, ses valeurs etses lois.

La loi du 24 octobre 1922 appelle à célébrer, le11 novembre, « la commémoration de la victoire etde la Paix ». Elle reprenait une idée qui correspondaità cette période de notre histoire. Aujourd'hui, uneautre conception de l’histoire, une autre conceptionde la vie permet d’élargir la notion de commémora-tion et de rendre hommage à ceux qui, à l’appel de laNation, ont su sacrifier ce qui leur était le plus cher,leur vie, ainsi qu’à leur famille.

Le projet de loi que nous avons à examiner vise doncà faire du 11 novembre, jour anniversaire de

l’armistice de 1918, une journée de commémorationde tous les morts pour la France.

Nous n’avons aucune opposition de principe à cesujet. Mais, monsieur le secrétaire d'État, noussommes obligés de dire que nous avons été quelquepeu surpris du choix du Gouvernement d’engager, surce texte, la procédure accélérée.

Cette procédure ne nous paraît pas parfaitement jus-tifiée. Elle peut même laisser à penser que, dans l’e-sprit de certains, ont germé quelques idées qui vontau-delà de la commémoration et de l’hommagerendu à l’ensemble des combattants. En effet, des voix diverses et variées s’élèvent parfois,ici ou là, pour dénoncer le trop grand nombre demanifestations commémoratives. En 2008, une com-mission spéciale, la commission Kaspi, a même étécréée pour faire des propositions en ce sens. Mais lesconclusions auxquelles elle est parvenue ne visent enaucune façon à privilégier une seule date. Cette com-mission ne propose pas de retenir une date uniquede commémoration, qui serait, en quelque sorte, unMemorial Day à la française.

D’ailleurs, nous ne sommes pas obligés de copier nosamis américains, qui ont leurs traditions quand nousavons les nôtres. De plus, si l’on prend la peine deregarder les choses de plus près, n’oublions pasqu’aux États-Unis il existe, outre le Memorial Day, leVeterans Day !

Donc, nous sommes attachés à une date spécifiquepour commémorer chacun des conflits.

Dans le rapport Kaspi, il était proposé de privilégiertrois dates : le 14 juillet, le 8 mai et le 11 novembre.Nous trouvons impensable d’accepter un jour decommémoration unique pour toutes les guerres ettous leurs combattants. Cela reviendrait, en quelquesorte, à banaliser, voire à diluer la mémoire.

Chacune des générations du feu a droit, au nom de laspécificité de tout conflit, avec ses causes propres,

Projet de lo i . . .

Commémoration de tous les morts pour la France le 11 novembre

Intervention d’Alain NERI, sénateur du Puy-de-Dôme, dans la discussiongénérale(séance du mardi 24 janvier 2012)

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avec ses conséquences propres, à une journée his-torique et symbolique de reconnaissance de laNation.

Occasion de donner une leçon d’instruction civiqueet de renforcer la cohésion nationale, ces dates decommémoration doivent être le moment privilégiédu devoir de mémoire et de la transmission du mes-sage aux jeunes générations. Ce travail aura sûre-ment lieu à l’école, mais je pense aussi, mes cherscollègues, au sein des familles. Pour moi, chaquepère ou mère de famille, chaque grand-père ougrand-mère, chacun d’entre nous peut saisir l’occa-sion de ces journées pour « prendre un enfant par lamain » et l’amener au monument aux morts de lacommune pour lui expliquer les causes et les con-séquences des conflits, les raisons pour lesquellesnous nous rassemblons devant ces monuments auxmorts dans ces occasions-là.

Monsieur le secrétaire d'État, c’est certainementl’une des raisons de voir évoluer l’évocation du11 novembre. Mais je m’étonne que vous ayez men-tionné devant nous la nécessité d’engager le proces-sus pour fêter le centenaire de la Première Guerremondiale. En effet, c’est en 2014 que nouscélébrerons le début de la Première Guerre mondi-ale. Quant à la commémoration du centenaire del’armistice, il faudra attendre le 11 novembre 2018 !Convenez avec moi que nous avions un peu de tempsdevant nous pour mener ensemble une réflexionapprofondie afin d’imaginer de nouvelles façons decommémorer et de donner un nouvel élan au devoirde mémoire.

À l’étonnement a succédé l’inquiétude quand, mon-sieur le secrétaire d'État, vous avez évoqué la dispari-tion, en 2008, du dernier poilu français. Elle aprécédé, m’avez-vous fait remarquer, celle du dernierpoilu australien, survenue en 2011. En effet, cetteguerre a été mondiale. Ce fut une affreuse boucheriedont personne ne pouvait envisager le degré d’hor-reur. Pourtant, la Seconde Guerre mondiale n’eutrien à lui envier ! Certes, le temps a fait son œuvresur les générations. Il a déjà balayé tous les poilus de1914-1918, et il arrive qu’il n’y ait plus d’ancienscombattants de 1939-1945 devant nos monumentsaux morts lors des commémorations. Alors, il merevient un douloureux souvenir, celui de la suppres-sion de la commémoration du 8 mai 1945 par unPrésident de la République qui était de ma région,M. Valéry Giscard d’Estaing. Il a fallu que FrançoisMitterrand soit élu Président de la République pour

que les anciens combattants de 1939-1945 et lesrésistants soient rétablis dans leur droit, le droit àune juste reconnaissance de leur sacrifice, eux quirépondirent à l’appel de la Nation quand il fallutrelever la République qui avait été abattue.

Pour toutes ces raisons, nous avions hésité, monsieurle secrétaire d'État, à voter votre texte. Je m’en étaisouvert à M. le rapporteur, auquel je tiens à rendrehommage pour son ouverture d’esprit, que vouspartagez, monsieur le secrétaire d'État. La preuve enest que vous avez bien voulu accepter de prendre encompte l’amendement que j’avais déposé au nom dugroupe socialiste.

Je tenais en effet à préciser que l’hommage prévu parle texte ne se substitue pas aux autres journées decommémoration nationales. Certes, vous ne nousdisiez pas autre chose et je ne vous ferai pas deprocès d’intention. Peut-être n’aviez-vous en effetpas dans l’idée de supprimer une ou deux dates pourn’en laisser qu’une. Ma crainte, c’est que noussommes en quelque sorte de passage dans notreœuvre de législateur. Et d’autres, mal intentionnés,pourraient avoir la volonté de nous imposer une dateunique. Cette date unique, avec l’ensemble des com-battants, nous la refusons, au nom du juste droit àune commémoration de chacun des conflits.

Notre amendement, déposé à titre de précaution,visait avant tout à apporter des garanties et desassurances. Après discussion, la commission desaffaires étrangères, de la défense et des forcesarmées de notre assemblée a voté à l’unanimité unerédaction modifiée, avec l’accord de M. le rapporteuret de vous-même, monsieur le secrétaire d'État.

Aujourd’hui, nous considérons donc avoir obtenuaujourd'hui les garanties pour que le 11 novembresoit un moment fort de commémoration qui n’excluecependant aucun autre moment de recueillement,aucune autre occasion d’exercer le devoir demémoire et de rendre hommage à tous ceux qui ontrépondu à l’appel de la Nation et de la patrie pourdéfendre les valeurs de la République.

C'est pourquoi, dans un souci d’unité nationale, nousvoterons ce texte, monsieur le secrétaire d'État.

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Monsieur leprés ident ,monsieur le

secrétaire d’État,monsieur le rappor-teur, mes chers col-lègues, nous sommesréunis cet après-midipour débattre dutexte fixant au 11novembre la date decommémoration detous les morts pour laFrance. Comme AlainNéri l’a annoncé, le groupe socialiste votera ce texte.Pour autant, ce projet de loi, qui fait suite au discoursqu’a prononcé le Président de la République le11 novembre dernier, suscite quelques interroga-tions. J’en ai relevé au moins quatre.

Premièrement, pourquoi engager la procédureaccélérée sur un tel texte ? Dans le contexte actuel,d’autres sujets n’étaient-ils pas plus urgents ? Nefaut-il pas déceler dans cette précipitation l’arrière-pensée d’un bénéfice électoral à tirer dans quatre-vingt-dix jours ?

Deuxièmement, pourquoi choisir le 11 novembre ?N’existait-il aucune autre possibilité, aucune autredate spécifique et plus appropriée ?

Troisièmement, le Président de la République nes’engage-t-il pas sur la voie aventureuse d’une améri-canisation de la commémoration du 11 novembre,avec une sorte de Mémorial Day qui ne dirait pas sonnom ?

Quatrièmement, ne craignez-vous pas, par cette con-fusion mémorielle, de légitimer les guerres impéria-listes menées par la France ? Certes, depuis plus devingt ans, notre pays se trouve engagé sur de multi-ples théâtres d’opérations extérieures : Liban, ex-Yougoslavie, Afghanistan.

Beaucoup de soldats, trop bien sûr, sont morts :depuis la fin de la guerre d’Algérie, ce sont plus de600 militaires qui sont tombés pour la France, et qua-tre encore à la fin de la semaine dernière.

Leur sacrifice mérite respect et reconnaissance de lapart de la Nation tout entière.

Cependant, ma conviction est que ces engagementsn’ont pas la même portée historique, humaine etgéopolitique que la Grande Guerre.

L’ampleur inégalée du drame qu’a représenté pour laFrance la Première Guerre mondiale justifierait, s’ilen était besoin, que soit maintenue la spécificité dela cérémonie du 11 novembre.

Selon moi, le 11 novembre aurait dû rester consacréà la commémoration de l’armistice de la guerre de1914-1918, terrible carnage qui fit plus de 10 millionsde morts et qui devait toucher presque toutes lesfamilles. Souvenons-nous des écrits d’HenriBarbusse, pour la France, et d’Erich Maria Remarque,pour l’Allemagne.

Le 11 novembre aurait dû rester l’occasion du rappeldes ravages des nationalismes, des esprits derevanche et des haines entretenues pour de mau-vaises causes. Par ailleurs, la Première Guerre mondi-ale marque véritablement l’entrée dans le XXe siècle.La carte de l’Europe a été redessinée par le traité deVersailles, les empires allemand, austro-hongrois etrusse ont disparu, des alliances se sont nouées, denouveaux États ont vu le jour et la Société desnations a été créée.

En outre, monsieur le secrétaire d’État, adopter cetexte sans la garantie du maintien des autres datesmémorielles, dont celle du 8 mai, serait en contradic-tion avec les efforts que nous faisons, en tant qu’élus,dans nos communes sur la Première Guerre mondi-ale, mais aussi sur la Deuxième Guerre mondiale, laRésistance, la Libération ou encore la Déportation.

Projet de lo i . . .

Commémoration de tous les morts pour la France le 11 novembre

Intervention de Ronan KERDRAON, sénateur des Côtes d’Armor, dans la dis-cussion générale(séance du mardi 24 janvier 2012)

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N’était-il pas plus urgent de revenir sur les réformesdes programmes d’histoire ayant conduit, depuis2009, à un appauvrissement et à un affaiblissementinquiétants de cet enseignement, qui demeure pour-tant l’un des meilleurs remparts contre les dérives detoute nature ?

Pour autant, nous sommes également persuadésqu’un hommage spécifique doit être rendu aux sol-dats morts ou blessés en opérations extérieures.C’est pourquoi nous regrettons que l’organisationd’une cérémonie en leur mémoire n’ait pas fait l’ob-jet d’une réflexion approfondie, comme ma collèguel’a souligné, et d’un véritable débat, non seulementavec les associations patriotiques, avec les élus, maisaussi avec le milieu enseignant.

Toutefois, je ne crois pas que cet hommage puisse sefaire au détriment de la réalité historique, de la con-fusion et de la mémoire d’un conflit dont il ne resteplus aujourd’hui de témoins. Je suis intimement per-suadé que le souvenir et le sens des conflits nedoivent pas s’effacer avec la disparition des combat-tants.

Par ailleurs, j’ai constaté dans mon département,notamment dans ma commune, que l’idée de com-mémorer à une même date l’ensemble des mortspour la France est loin de faire consensus.

Certes, monsieur le secrétaire d’État, vous nous avezrassurés en annonçant qu’aucune commémorationne serait supprimée. Nous en prenons acte. Celaétant, nous préférons que la précision figure noir surblanc dans la loi, car nous savons ce que valent lesengagements du Gouvernement et du Président de laRépublique, ce quinquennat ayant été marqué parune longue suite de reniements !

Nous n’avons pas à écrire une histoire officielle. Enrevanche, un double constat unanime peut, à monsens, être fait : le peu d’appétence de nos conci-toyens pour les commémorations et un sens de cesdernières quelque peu brouillé.

Dès lors, quel rôle doit jouer le Parlement dans lescommémorations ? De fait, quelle place tiennent-elles au sein de la Nation ? Sont-elles utiles, indis-pensables ? Faut-il en supprimer ou en choisird’autres ? Quelles sont les valeurs à inclure dans cescommémorations ?

Comme réponse à cette dernière question, je faismienne la position adoptée par André Kaspi, qui affir-

mait : « Les valeurs à inclure dans ces commémora-tions doivent reposer sur trois piliers. Les valeursrépublicaines : liberté, égalité, fraternité,démocratie ; les valeurs patriotiques : héroïsme, sa-crifice, indépendance nationale, paix, engagement ;les valeurs sociales : adhésion à la Nation, réhabilita-tion des victimes, respect, citoyenneté. »

Malheureusement, le texte que vous nous proposezaujourd’hui est loin de répondre à toutes nos interro-gations. Surtout, il ne traite le véritable sujet qu’autravers d’un prisme, certes indispensable, maisréducteur.

Pour autant, et dans la mesure où la commission aadopté l’amendement déposé par Alain Néri, au nomdu groupe socialiste, qui permet de garantir le main-tien des dates mémorielles existantes, nous approu-verons ce texte.

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Le groupe socia-liste votera cetexte, car le

devoir de mémoiredoit, selon nous, con-stituer une prioritédans l’éducation desfuturs citoyens. C’esten associant lesjeunes aux dif-férentes manifesta-tions commémora-tives que nous con-serverons les valeurs de la République. Dans chaquecommune, le monument aux morts est un lieu derassemblement et un symbole d’unité. Il vient rap-peler que, quel que soit le conflit concerné, ceux quise sont engagés ont répondu à l’appel de la Nation.

La camaraderie, la fraternité, le respect de la douleurdes uns et des autres : autant de signes d’unité quel’on retrouvait dans les tranchées de la Grande guerrecomme dans les rangs de la Résistance. Si cettedernière a réuni ceux qui croyaient au ciel commeceux qui n’y croyaient pas, tous étaient soudés pourdéfendre les valeurs de la République et rétablir l’É-tat, qui avait été immolé à Vichy un sinistre jour dejuillet 1940 !

De même, ceux qui sont partis en Algérie ont accom-pli leur devoir en répondant à l’appel de la Nation,même si certains d’entre eux se posaient des ques-tions.

La volonté du groupe socialiste s’est exprimée àtravers l’amendement que nous avons déposé etdéfendu en commission. Le fait qu’un amendementidentique ait été rejeté à l’Assemblée nationale mon-tre toute l’utilité du Sénat. Nous devons prendre letemps de la réflexion, de l’échange, de l’écoute et nepas nous précipiter.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État,monsieur le rapporteur, considérez aujourd’hui notrevote comme un appel au respect des personnes etdes convictions des uns et des autres, qui savent sibien s’unir dans la défense de la République et de sesvaleurs.

Projet de lo i . . .Explications de vote sur l’ensemble du texte

Commémoration de tous les morts pour la France le 11 novembre

Explication de vote d’Alain NERI, sénateur du Puy-de-Dôme(séance du mardi 24 janvier 2012)

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Monsieur leprés ident ,madame la

secrétaire d'État, meschers collègues, lesprofessionnels titu-laires d’un diplômeobtenu dans un Étatnon membre del’Union européenneoccupent, de longuedate, une placeessentielle dansnotre système de santé. Ils assument le fonction-nement quotidien de nombre de services hospita-liers, notamment dans les zones sous-dotées enpraticiens, que ce soit dans de petites ou moyennesagglomérations ou en banlieue.

Certes, il existe une procédure de reconnaissance desdiplômes, longue et complexe, qui prend la formed’un concours pour un nombre de places très limité.Mais ceux qui ne s’y soumettent pas, ou quiéchouent, se retrouvent placés dans la situation déli-cate où ils ne disposent pas d’une autorisationd’exercice pleine et entière. Leurs compétences sontalors limitées, et ils exercent sous la responsabilitéd’un titulaire. Leur statut reste précaire et leurs con-ditions de rémunération sont souvent indécentes parrapport à celles de leurs collègues diplômés enFrance et au regard de leurs responsabilités effec-tives, sachant qu’ils assurent de nombreuses heuresde garde et ont la confiance de leur chef de service.

Cela étant, cette dépendance n’est en fait quethéorique et très éloignée de la pratique, car, dans lesfaits, ils assument pleinement leur rôle de soignant.

L’objet de la proposition de loi que nous examinonsaujourd’hui est de trouver une solution pérenne àune question ancienne. Il est aussi, au fond, de recon-naître le travail que ces professionnels accomplissenttous les jours au service des patients.

Le dispositif du texte est à double effet : immédiat etde plus long terme.

Il s’agit tout d’abord de permettre aux médecins etaux chirurgiens-dentistes recrutés sur diplômeétranger avant le 3 août 2010 dans un hôpital ou unétablissement privé à but non lucratif de continuerd’exercer jusqu’au 31 décembre 2016, alors que cettefaculté s’est éteinte le 31 décembre dernier.

Ensuite, au cours de cette période de cinq ans, ceuxqui auront travaillé durant trois années pourront seprésenter à une épreuve de vérification des connais-sances. Aujourd’hui, les épreuves reposent sur uncontrôle à la fois théorique et pratique, ce qui peutêtre rédhibitoire pour des praticiens diplômés, quiexercent depuis de nombreuses années mais qui con-sacrent la majeure partie de leur temps à assurer desgardes. Désormais, cette épreuve reposera unique-ment sur le contrôle des compétences, de l’expé-rience professionnelle, du cursus du candidat.S’inspirer d’une procédure de validation des acquisde l’expérience me semble tout à fait positif. Desépreuves seront ainsi organisées chaque annéejusqu’en 2016. Ceux qui auront satisfait à cetteépreuve de vérification des connaissances devrontensuite exercer durant une année probatoire avantde présenter leur dossier devant une commission oùsiégeront leurs pairs. Les fonctions exercées aupara-vant pourront être prises en compte pour validercette année de stage. Après avis de cette commis-sion, le ministre chargé de la santé pourra autoriserl’exercice plein et entier de sa profession par le can-didat. Cette nouvelle procédure est étendue auxpharmaciens et aux sages-femmes et adaptée auxspécificités de leur statut.

Mes chers collègues, vous le savez, il est urgentd’adopter cette proposition de loi, car le régimedérogatoire précédent, mis en place par la loi definancement de la sécurité sociale pour 2007, estarrivé à échéance le 31 décembre dernier.

Proposit ion de lo i . . .

Exercice des professions de santé par des titulaires de diplômes étrangers

Intervention d’Yves DAUDIGNY, Rapporteur de la commission des affaires sociales,sénateur de l’Aisne, dans la discussion générale

(séance du mardi 24 janvier 2012)

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Théoriquement, les professionnels qui exerçaientsous ce régime ne devraient plus pouvoir le faire : lapériode de vide juridique doit être la plus courte pos-sible.

Les ministres compétents ont certes signé uneinstruction destinée aux agences régionales de santéet aux établissements de santé, mais sa portéejuridique est fragile.

À cet égard, il faut reconnaître que le Gouvernementa tardé à proposer une mesure tendant à assurer lacontinuité du service public, inscrivant celle-ci, audernier moment, dans la loi de financement de lasécurité sociale pour 2012, qui a été adoptée ennovembre dernier.

On peut aussi s’étonner de la décision du Conseilconstitutionnel de censurer cette mesure, au motifqu’elle n’entrait pas dans le champ d’une loi definancement de la sécurité sociale. Cette décisionétait inattendue, car il avait accepté une mesure ana-logue lors de la précédente réforme, qui figurait dansla loi de financement de la sécurité sociale pour2007.

Saisi à l’époque de ce texte, le Conseil constitutionneln’avait rien trouvé à y redire. Nous ne pouvons doncque prendre acte de l’évolution de la jurisprudencedu Conseil constitutionnel… En raison de l’urgence, lerapporteur du présent texte à l’Assemblée nationaleet moi-même nous sommes concertés en amont,pour convenir qu’il était préférable de retenir pouréchéance 2016 plutôt que 2014, comme initialementprévu. En effet, bien que simplifiées, les procéduresdemeureront longues, et ce délai supplémentaire dedeux ans permettra de prendre en compte la situa-tion des candidats qui exercent à temps partiel.

En commission des affaires sociales, beaucoup d’en-tre vous se sont demandé si cette énième réformesuffirait et s’il ne faudrait pas y revenir en 2016. Cesera peut-être le cas, mais un élément a changé en2010. Auparavant, les praticiens ayant obtenu leurdiplôme dans un pays extérieur à l’Unioneuropéenne pouvaient aisément s’inscrire en facultépour compléter leur formation par une spécialisationen France. C’est par ce biais que les établissementsde santé les recrutaient, et nombre de ces profes-sionnels enchaînaient les spécialisations pour pou-voir, en fait, assumer leurs fonctions à l’hôpital.

Depuis le 3 août 2010, cela n’est plus possible.L’université de Strasbourg centralise la procédured’inscription en spécialisation pour ces diplômés, etles établissements de santé ne peuvent donc plus lesrecruter directement.

Madame la secrétaire d’État, même s’il est encore unpeu tôt pour dresser un bilan de la mise en œuvre decette nouvelle procédure, pouvez-vous nous enprésenter les premiers résultats ? Je l’ai dit, l’adop-tion de ce texte est nécessaire et urgente. Pourautant, permettra-t-il de résoudre les problèmesaigus que connaît l’hôpital en France pour recruterdes professionnels médicaux, auxiliaires et paramédi-caux, notamment dans certaines zones ? Ce sontd’ailleurs souvent dans les mêmes territoires que l’onconstate des difficultés en matière d’accès aux soinspour ce qui concerne la médecine de ville.

J’imagine que le Gouvernement espère que l’aug-mentation du numerus clausus permettra de pour-voir les postes vacants, mais que l’on me permetted’en douter. Nous aurons, dans les prochains mois,un débat sur le niveau adéquat du numerus clausus.Le Gouvernement vient de relever très légèrementcelui-ci, mais la Cour des comptes estime plutôt qu’ilsera nécessaire, à moyen terme, de l’abaisser. Pourma part, je crois surtout qu’il faut avoir une perspec-tive pluriannuelle fiable et stable, mais tel n’est pas lesujet de notre débat d’aujourd'hui.

La question du recours à des praticiens titulaires d’undiplôme obtenu dans un État non membre de l’Unioneuropéenne se pose depuis le début des années soi-xante-dix, c’est-à-dire depuis plus de quarante ans !Je ne crois donc pas qu’elle soit fondamentalementliée à celle du nombre de médecins que nous for-mons chaque année dans nos universités, car lenumerus clausus était élevé à cette époque. À monsens, elle l’est davantage à celle de l’attractivité desmétiers de l’hôpital. Or, à cet égard, la situation estinquiétante. Certes, le nombre de praticiens hospita-liers a beaucoup progressé au cours de ces dernièresannées, à la fois pour accompagner l’aménagementet la réduction du temps de travail et pour trans-former des postes de contractuel en emplois de titu-laire. Pour autant, d’après les chiffres dont je dispose,les postes statutaires vacants sont très nombreux :22 % des postes à temps plein et 37 % des postes àtemps partiel ne sont pourvus ni par un titulaire nipar un stagiaire. En outre, la réflexion ne peut plusêtre menée de manière globale, mais plutôt par ter-ritoire et par spécialité.

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Je le répète, car c’est le cœur du problème : certainsde nos territoires connaissent un sous-effectifchronique de médecins ou d’auxiliaires médicaux, cequi participe de l’augmentation du nombre des per-sonnes renonçant à des soins, que toutes les étudescorroborent.

À l’hôpital, par exemple, le tiers des postes à tempsplein sont vacants statutairement en Basse-Normandie ou en Picardie.

Par ailleurs, les difficultés sont très variables selon lesspécialités. À l’hôpital, plus du tiers des postes sontvacants statutairement en oncologie ou en radiolo-gie. Comment admettre que, dans certains départe-ments, un patient doive attendre six mois pour êtrereçu par un ophtalmologiste ? C’est, là aussi, une si-tuation inacceptable !

En travaillant sur ce texte – beaucoup plus longue-ment d’ailleurs que je ne l’aurais pensé, malgré lesdélais contraints qui nous ont été imposés –, j’ai étéfrappé par la complexité des cadres d’emploi. Aprèsl’internat, les médecins qui souhaitent continuerd’exercer à l’hôpital peuvent être recrutés selon tantde positions statutaires qu’il est très difficile de s’yretrouver : chef de clinique, attaché, praticien, assis-tant, chacun de ces postes ayant une déclinaisonpour les titulaires d’un diplôme obtenu dans un paysextérieur à l’Union européenne. Ne pourrions-noussimplifier ce paysage administratif, qui ne peut, enl’état, que favoriser la cooptation et la précarité ?

Pas moins de six rapports, études et enquêtes ont étéadressés au Gouvernement entre 2008 et 2011 surl’exercice médical à l’hôpital. Le constat est doncconnu.

Pour attirer les jeunes praticiens et fidéliser ceux quisont déjà engagés dans le service public, il fautnotamment valoriser et accompagner les carrières etles parcours, trop erratiques aujourd’hui, améliorerles conditions de travail, concentrer le tempsdisponible sur l’activité médicale, faire vivre leséquipes et recourir davantage à la pluridisciplinarité.

Quelle ne fut donc pas ma surprise, hier soir, de liredans une dépêche l’annonce de la signature par leministre du travail, de l’emploi et de la santé d’unaccord-cadre relatif à l’exercice médical à l’hôpital !« Tout ça pour ça ! », aurais-je envie de dire… La plu-part des « annonces » renvoient en fait à un groupede travail, d’autres sont subordonnées à des concer-tations multiples et variées.

On envisage, par exemple, « l’ouverture d’une négo-ciation statutaire débutant au premier semestre2012 ». De telles annonces sont pour le moins dila-toires, à quelques semaines d’échéances électoralesmajeures !

Les seules mesures concrètes, décidées depuis juillet2011 mais dont la mise en œuvre est encore ren-voyée à des textes d’application à venir, concernentune amélioration des régimes complémentaires etsur-complémentaires de retraite.

Derrière ce que j’appellerai un « enrobage », le cœurde cet accord consiste, en réalité, à tenter de traiter,enfin, la question lancinante des comptes épargne-temps. Toutefois, les premières réactions syndicalessont pour le moins mitigées, ce qui me donne àpenser que rien n’est réglé. Madame la secrétaired’État, pouvez-vous apporter à la représentationnationale des éléments d’information sur ce sujet ?

Enfin, la création d’une nouvelle strate administra-tive, les « équipes médicales », s’ajoutant aux ser-vices et aux pôles médicaux, me laisse quelque peuperplexe. Autant je défends l’existence d’équipes desoins pluridisciplinaires, autant je ne vois pas biencomment les mesures prévues dans l’accord pourrontêtre réellement mises en place, eu égard à la com-plexité déjà très grande de l’architecture de l’hôpital,que nous avions d’ailleurs dénoncée lors de l’élabora-tion de la loi portant réforme de l’hôpital et relativeaux patients, à la santé et aux territoires, dite loiHPST.

L’hôpital est ouvert tous les jours, toute l’année,vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il est souventun repère, un point d’ancrage dans la ville, et il estnécessairement au cœur du système de soins.L’architecture d’ensemble de la prise en charge despatients doit bien sûr s’adapter aux évolutions de lasociété et des techniques thérapeutiques, notam-ment le développement de l’ambulatoire, lié à lavolonté de nos concitoyens d’être soignés à domicile.

Il est impératif que notre société puisse s’appuyer surun système de santé efficace et solidaire ; or cettesolidarité est aujourd’hui mise en péril, ce qui portepréjudice aux patients n’ayant plus les moyens d’ac-quitter le reste à charge, d’une part, aux habitantsdes territoires souffrant d’un manque de profession-nels de santé, d’autre part. Cette question, qui seral’un des enjeux de la campagne présidentielle,dépasse, j’en suis conscient, l’objet de la présente

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proposition de loi, mais il me semblait impossible dela passer sous silence dans ce débat.

Mes chers collègues, notre commission a adopté àl’unanimité et sans modification le texte qui lui a étésoumis, parce qu’il est urgent de sécuriser le fonc-tionnement quotidien de nos hôpitaux. Cet objectifest éminemment prioritaire, et j’appelle chacune etchacun d’entre vous à suivre la commission danscette démarche.

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Monsieur leprés ident ,madame la

secrétaire d'État,chers collègues, nousexaminons, ce 24 jan-vier, une propositionde loi visant àencadrer les condi-tions d’exercice decertains profession-nels de santé titu-laires d’un diplômeobtenu dans un pays non membre de l’Unioneuropéenne, qui a été déposée le 20 décembre 2011sur le bureau de l’Assemblée nationale et examinéele 18 janvier 2012 par nos collègues députés. Quel’on me permette de saluer l’exceptionnelle efficacitédu Parlement… Mais ne faut-il pas plutôt parler deprécipitation imposée par l’urgence de la situation ?

Certes, si nous débattons de ce texte aujourd’hui,c’est en raison de la censure par le Conseil constitu-tionnel, voilà quelques semaines, de l’article de la loide financement de la sécurité sociale pour 2012 quitraitait de la question qui nous occupe.

Le Conseil constitutionnel a en effet estimé qu’ils’agissait d’un cavalier législatif. D’aucuns ont alorsfait remarquer qu’il s’était, en l’occurrence, montréparticulièrement scrupuleux. Peut-être, mais il n’endemeure pas moins que cet épisode ne serait passurvenu si la majorité présidentielle avait suanticiper : là est bien le problème. Cela nous obligede nouveau à légiférer dans l’urgence.

Déjà, il avait fallu attendre la fin de l’année 2006 pourque soit mis en place, au travers de la loi de finance-ment de la sécurité sociale pour 2007, un examendérogatoire, parallèlement à la nouvelle procédured’autorisation d’exercice qui astreint les praticiens tit-ulaires d’un diplôme étranger à passer un concourstrès sélectif, alors même que leurs compétences sontreconnues et qu’ils occupent déjà un poste.

Il était prévu que cette mesure dérogatoire prendraitfin le 31 décembre 2011. Quelques jours seulementavant cette date, le Gouvernement a donc décidéd’introduire dans le projet de loi de financement dela sécurité sociale un article la prorogeant. C’est ceque l’on peut appeler faire preuve d’une belle capac-ité d’anticipation… En définitive, à la suite de la déci-sion du Conseil constitutionnel, ce sont quelque4 000 praticiens qui, depuis le 1er janvier dernier,exercent dans l’illéga-lité.

Or, quand on sait que, dans certaines régions, commele Nord-Pas-de-Calais, ces médecins ayant obtenuleur diplôme dans un pays extérieur à l’Unioneuropéenne, qu’ils soient français ou étrangers,représentent près de 50 % des effectifs hospitaliers,on mesure aisément les conséquences alarmantesd’une telle négligence.

La désertification médicale est telle que les praticiensà diplôme étranger jouent un rôle absolument essen-tiel pour assurer la continuité du service public desanté en France. D’après le Centre national de ges-tion des praticiens hospitaliers et des personnels dedirection de la fonction publique hospitalière, lenombre de ces professionnels de santé ayant obtenuleur diplôme dans un pays non membre de l’Unioneuropéenne s’établissait, en 2011, entre 6 700 et7 100 ; s’y ajoutent 3 300 praticiens en formation. Surles 214 000 médecins en activité au 1er janvier 2007,17 000 étaient des PADHUE.

Pourtant, aussi indispensables soient-ils, ces prati-ciens subissent une grande précarité : leur statut con-tractuel est renouvelable d’année en année, sansprise en compte de leurs nombreuses années d’exer-cice ; leur salaire est bien inférieur à celui de leurscollègues à diplôme français, alors même qu’ils exer-cent le même métier et assument de fait les mêmesresponsabilités ; ils exercent dans des conditions sou-vent extrêmement difficiles, dans des zonesdésertées par leurs collègues titulaires d’un diplôme

Proposit ion de lo i . . .

Exercice des professions de santé par des titulaires de diplômes étrangers

Intervention de Claudine LEPAGE, sénatrice représentant les Français établis hors deFrance, dans la discussion générale

(séance du mardi 24 janvier 2012)

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français ; ils sont contraints d’accumuler les gardes, àla fois pour répondre aux besoins et pour améliorerleur salaire ; enfin, ils n’ont aucune perspective decarrière et n’obtiendront jamais l’autorisation des’installer.

La proposition de loi que nous examinons ce soir estincontestablement nécessaire, mais elle ne résoudranullement le problème de la quasi-exploitation deces praticiens et ne répondra pas à leur légitimebesoin de reconnaissance, voire de dignité.

À cet égard, la Haute Autorité de lutte contre les dis-criminations et pour l’égalité avait très clairementdénoncé, dans sa décision du 27 février 2006, unediscrimination à l’encontre de ces praticiens àdiplôme étranger, trouvant sa source dans« l’exploitation qui est faite de leur absence de statut,alors même que leurs responsabilités concrètes sontidentiques ».

Par ailleurs, le vote par nos collègues députés dureport du 31 décembre 2014 au 31 décembre 2016du terme de la période transitoire est bienvenu. Celapermettra en effet aux praticiens recrutés par lesétablissements de santé avant le 3 août 2010 de seprésenter dans les meilleures conditions auxépreuves de vérification des connaissances, maisqu’en sera-t-il des étudiants et des médecins àdiplôme étranger ayant commencé à exercer après2010 ? À n’en pas douter, en 2016, le Parlement serade nouveau saisi dans l’urgence d’un texte analogueà celui qui nous est soumis ce soir…

Il importe de prévoir une solution pérenne et de met-tre fin à une hypocrisie qui ne nous honore pas : si cesmédecins ont les compétences requises, comme entémoignent la place qui leur est accordée dans noshôpitaux et le fait qu’ils y donnent satisfaction, nousdevons, madame la secrétaire d'État, cesser de voterdes textes à courte vue et offrir à ces médecins unstatut qui leur rende leur dignité.

En tout état de cause, notre groupe votera cetteproposition de loi, en dépit de ses imperfections.Bien qu’elle ne fasse que régler provisoirement leproblème des PADHUE et n’appréhende pas la ques-tion de leur statut dans sa globalité, il convient de nepas rendre encore plus précaire la situation juridiqueet statutaire de ces praticiens, dont la France a tantbesoin.

Avant de conclure, je souhaite évoquer rapidement lasituation spécifique des futurs médecins français à

diplôme étranger qui n’ont pas la possibilité de béné-ficier d’un recrutement en qualité d’étudiant« faisant fonction d’interne ». J’ai déjà abordé àplusieurs reprises ce problème, qui touche un grandnombre de nos concitoyens, placés ainsi dans une si-tuation parfaitement injuste. Pour mettre fin à l’iné-galité dont ils pâtissent, il suffirait, madame la secré-taire d’État, d’amender l’article 1er de l’arrêté du8 juillet 2008, afin de permettre aux ressortissantscommunautaires résidant dans un pays extracommu-nautaire d’accéder aux cycles de formation médicalespécialisée.

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Monsieur leprés ident ,madame la

secrétaire d'État,monsieur le rappor-teur, mes chers col-lègues, nous exam-inons donc ce soir,dans l’urgence, untexte essentiel pourgarantir à très courtterme la continuitédes soins dans denombreux hôpitaux. Que nous soyons contraints d’é-tudier cette proposition de loi dans de telles condi-tions n’est pas neutre, tant s’en faut. La situation dif-ficile que connaissent de nombreux établissementset leurs praticiens a été signalée à de nombreusesreprises. Cela fait non pas des mois, mais des années,que la question qui nous occupe aujourd’hui se pose.

Je ne pense pas que le manque de réactivité de dif-férents ministres, qui met notre système de santésous tension, soit uniquement imputable à une sim-ple inertie. Le phénomène s’est amplifié, pour demultiples raisons, depuis quelques années, sin-gulièrement depuis l’entrée en vigueur de la triste-ment célèbre loi HPST, qui n’a pas renforcé, madamela secrétaire d'État, l’attractivité de l’hôpital, bien aucontraire.

Cette loi aligne de fait la gestion de l’hôpital sur celled’une entreprise privée, soucieuse de rentabilité. Cen’est pas un hasard si nombre de praticiens ont fuil’hôpital public après y avoir suivi tout le cursus desétudes médicales, internat et clinicat compris. Leursmotivations à le faire ne se résument en aucunefaçon à la seule quête d’une meilleure rémunérationdans le secteur privé !

Fort logiquement, nos établissements de soins sontobligés, dans ce contexte, de faire appel à des pro-fessionnels de santé qui ne sont pas issus du circuitde formation classique.

On se satisfaisait jusqu’à présent, avec une sorte defatalisme, d’utiliser comme variables d’ajustementdes médecins compétents titulaires de diplômesobtenus dans des pays extérieurs à l’Unioneuropéenne, ces praticiens étant relégués dans leszones grises de la réglementation.

La crise sérieuse que traverse notre système de santérévèle les dysfonctionnements profonds qui affectentl’hôpital. Nous affirmons qu’il revient au politique dedonner à celui-ci les moyens de fonctionner ; on nesaurait le condamner à recourir, en matière derecrutement, à des solutions hasardeuses sur lesplans juridique et financier, se situant aux limites dela légalité. Nous affirmons également que l’on nesaurait laisser des professionnels de santé compé-tents à la périphérie du système de santé français,avant de les en exclure totalement pour ne pas avoiradapté les procédures trop contraignantes permet-tant de régulariser leur activité.

De lourdes incertitudes – le mot est faible ! – pèsentsur l’avenir professionnel des personnes concernées,qui sont de surcroît sous-payées alors qu’elles accom-plissent parfaitement leur mission de service publicau quotidien, avec compétence et dévouement.Circonstance aggravante, au moment où je parle,personne n’est en mesure de préciser quel estexactement leur nombre !

La contribution de ces médecins, chirurgiens-den-tistes, sages-femmes et pharmaciens est à juste titrequalifiée d’indispensable. Il y a donc urgence àadopter le présent texte, car, depuis le 1er janvier2012, et malgré les instructions émanant du min-istère, il est patent que les établissements et les prati-ciens concernés courent un risque majeur en casd’incident ou d’accident médical.

Il faut donc permettre à cette catégorie de profes-sionnels de continuer à exercer sereinement leuractivité. Cette proposition de loi ne résout rien sur lefond, elle est loin d’être parfaite, mais nous devonsnéanmoins l’adopter, afin d’offrir aux professionnels

Proposit ion de lo i . . .

Exercice des professions de santé par des titulaires de diplômes étrangers

Intervention de Jean-Jacques MIRASSOU, sénateur de la Haute-Garonne, dans ladiscussion générale

(séance du mardi 24 janvier 2012)

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de santé titulaires d’un diplôme obtenu dans un paysnon membre de l’Union européenne la possibilité derester en fonctions jusqu’en 2016.

Pour autant, madame la secrétaire d'État, nous nepouvons manquer de nous interroger sur le fait quel’une des premières puissances économiques dumonde soit aujourd’hui incapable de former et derecruter des professionnels de santé dans des condi-tions garantissant un fonctionnement serein de sonsystème de soin.

Je ne reviendrai pas sur l’insuffisance des moyensdonnés aux établissements de santé, préférant met-tre l’accent sur la question du numerus clausus pourles études médicales.

Lors de la discussion de la loi du 7 juillet 2009 portantcréation d’une première année commune aux étudesde santé et facilitant la réorientation des étudiants,beaucoup d’entre nous s’étaient étonnés que la fixa-tion de ce numerus clausus soit déconnectée detoute projection à dix ou vingt ans en matière dedémographie médicale. Nous en subissons main-tenant les conséquences !

En tout état de cause, comment justifier que la sélec-tion soit à ce point sévère, quand les besoins sonttrès importants et les postes très difficiles à pour-voir ?

Quid, dans ces conditions, de la ventilation desmédecins entre les zones urbaines et le milieu rural,entre médecine de ville et hôpital public ? Il ne fautpas non plus oublier que la féminisation croissantede la profession médicale a de fait pour corollaire ledéveloppement du temps partiel, ce qui pénalisera àterme le fonctionnement de notre système de soin,qu’il s’agisse de l’hôpital ou de la médecine de ville.

Enfin, j’évoquerai le cas des étudiants en médecineétrangers qui, bien qu’ayant accompli leur cursus enFrance, ne sont pas certains de pouvoir intégrer dansde bonnes conditions notre système sanitaire, du faitde la circulaire Guéant.

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Madame laprés idente,monsieur le

ministre, mes cherscollègues, le législa-teur est appelé à valid-er les termes d’unaccord négocié entrele Gouvernement etles organisations syn-dicales. En effet, leprésent projet de loi,déposé sur le bureaudu Sénat le 7 septem-bre 2011, vise d’abord et principalement à transpo-ser dans la loi les stipulations du protocole signé le31 mars 2011 portant sécurisation des parcours pro-fessionnels des agents contractuels dans les trois ver-sants de la fonction publique : accès à l’emploi titu-laire et amélioration des conditions d’emploi.

Monsieur le ministre, ce projet de loi apparaîtcomme une éclaircie dans un contexte très sombrede dénigrement systématique des fonctionnaires etde réduction drastique des effectifs, dans le cadre dela révision générale des politiques publiques. Il nesaurait occulter les difficultés croissantes que les ser-vices publics rencontrent dans leur fonctionnementen raison des suppressions de postes.

La commission des lois a abordé avec pragmatismel’examen d’un projet de loi qui se présente commeessentiellement technique et apporte des réponsesconcrètes à des situations d’injustice et de précarité,mais dont l’efficacité dépendra de la réalité de samise en œuvre et du nombre de postes ouverts à latitularisation.

Par un mouvement pour ainsi dire naturel, des dispo-sitions se sont greffées sur le projet de loi qui répon-dent à des difficultés d’importance inégale.

C’est ainsi que des retouches sont apportées à la loidu 3 août 2009 relative à la mobilité et aux parcoursprofessionnels dans la fonction publique, ainsi qu’à laloi du 5 juillet 2010 relative à la rénovation du dia-logue social et comportant diverses dispositions rela-tives à la fonction publique.

En outre, le vivier de recrutement des juridictionsadministratives et financières est élargi. Je rappelled’ailleurs que les projets de réforme de ces dernières,attendus depuis plusieurs années, n’ont pas abouti àce jour.

Le présent projet de loi est, en quelque sorte, ledernier train de la législature. Il constitue donc l’ul-time opportunité de modifier ou de compléter lesstatuts de la fonction publique pour conforter leurcohérence et la bonne marche des institutionspubliques.

C’est dans cet esprit que, suivant son rapporteur, lacommission des lois a examiné le projet de loi. Parréalisme, elle en a adopté les différentes parties, touten regrettant une hétérogénéité qui n’est pas debonne pratique législative. Elle a décidé de s’en tenirau périmètre ainsi fixé, afin de conserver à l’ensem-ble une certaine cohérence sans anticiper desréformes qui méritent de faire l’objet d’un débat spé-cifique.

Au cœur du texte se trouve un nouveau plan derésorption de la précarité qui fragilise de nombreuxagents non titulaires. Malgré les efforts passés et latitularisation de dizaines de milliers d’entre eux, quine furent que des améliorations fugitives, la situationantérieure est réapparue. Le recours commode auxnon-titulaires comme variable d’ajustement d’effec-tifs tendus ne se tarit pas : beaucoup trop sont main-tenus dans la précarité, alors même qu’ils con-tribuent à assurer durablement le fonctionnementnormal du service public.

Projet de lo i . . .

Agents contractuels dans la fonction publique

Intervention de Catherine TASCA, rapporteure de la Commission des lois,

sénatrice des Yvelines, dans la discussion générale(séance du mercredi 25 janvier 2012)

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Votre rapporteur observe que ce quinzième plan s’ac-compagne d’une sécurisation pour les « recalés » parla « CDIsation » et de plusieurs mesures destinéesprincipalement à renforcer l’accès au CDI introduitpar la loi du 26 juillet 2005 portant diverses mesuresde transposition du droit communautaire à la fonc-tion publique.

Approuvant dans son ensemble l’esprit du doublevolet consacré aux contractuels – plan de titularisa-tion et réforme du régime juridique des contrats –, lacommission des lois, tout en lui apportant des cor-rections techniques, en a renforcé les garanties surplusieurs points.

Le dispositif spécifique de titularisation arrêté auterme de la concertation conduite par leGouvernement repose sur un équilibre que les parte-naires sociaux, dans leur très grande majorité, ontaccepté. Le fait est suffisamment rare pour êtresouligné et soutenu ; la commission n’entend pasaltérer cet équilibre.

Pour la première fois depuis que, en 2010, il a rénovéle cadre légal du dialogue social, le législateur estappelé à donner force de loi aux conclusionsfructueuses d’un accord.

En conséquence, en dehors de diverses rectificationsdestinées à préciser le projet de loi et à assurer sacohérence dans l’ordonnancement juridique ainsique sa lisibilité, la commission n’a adopté, pourl’essentiel, que quatre modifications.

Par cohérence, tout d’abord, elle a intégré dans lecalcul de l’ancienneté requise les services accomplissoit pour assurer le remplacement de fonctionnairesmomentanément absents ou autorisés à exercerleurs fonctions à temps partiel soit pour pourvoir àun emploi temporairement vacant.

Ensuite, elle a fondé le droit d’accès à l’emploi titu-laire sur la réalité des services accomplis par le candi-dat. À cette fin, elle a distingué deux cas : les agentsen CDI seront titularisés dans un corps ou dans uncadre de même niveau que celui correspondant auxfonctions qu’ils exerceront au 31 mars 2011 ; lesagents en CDD accéderont à la catégorie dans laque-lle ils auront exercé le plus longtemps s’ils ont quatreans d’ancienneté ou, si leur ancienneté estsupérieure, à la catégorie la plus élevée, quelle quesoit la durée pendant laquelle ils auront exercé lesfonctions correspondantes.

En outre, pour tenir compte de la diversité desemployeurs territoriaux, la commission leur a offertla faculté de confier l’examen de la recevabilité dudossier d’un candidat pour le cadre d’emplois ouvertpar le recrutement auquel il se présente à la com-mission d’évaluation professionnelle mise en placepour conduire les sélections professionnelles. Lechoix ainsi donné à l’autorité territoriale devraitfaciliter la mise en œuvre du dispositif de titularisa-tion, notamment dans les petites collectivités.

Enfin, la commission a étendu le bénéfice du disposi-tif aux contractuels des administrations parisiennesainsi qu’aux personnels des établissements quiseraient exclus du bénéfice des dérogations à l’em-ploi titulaire. Elle a aussi sécurisé pour l’avenir la si-tuation de ces agents et de ceux des institutions sousle même régime dérogatoire qui réintégreraient, augré des aléas de l’architecture administrative et insti-tutionnelle, le droit commun de l’emploi statutaire.

Les clarifications apportées au régime des contratspour prévenir les effets pervers des modalitésactuelles du renouvellement des contrats et de leurtransformation en CDI méritent d’être approuvéesdans leur principe : en resserrant leurs conditionsd’emploi, le texte présenté aujourd’hui au Parlementdevrait écarter, à l’avenir, les abus les plus criants.

Les rapprochements opérés entre les trois versantsde la fonction publique ainsi que la réaffirmation duprincipe essentiel de l’emploi titulaire permettrontde conforter le statut alors que, dans le même temps,la place du CDI y est élargie. Certes, la « CDIsation »est le moyen de lutter contre la précarité, mais ellene doit pas devenir une voie parallèle de recrutementdans les services publics.

Je demeure cependant prudente sur les résultatsescomptés. Seule la pratique permettra de mesurerles effets du système. Il n’en reste pas moins que lesmodifications proposées devraient limiter lesdétournements du mécanisme et sécuriser davan-tage la situation des personnels concernés.

C’est pourquoi la commission des lois n’a déposé surce second volet, traduction fidèle de l’axe 2 du proto-cole d’accord du 31 mars 2011, que des amende-ments destinés à préciser, assouplir, clarifier et com-pléter les mesures proposées.

Elle a notamment porté de trois à quatre mois ladurée des interruptions entre deux contrats qui

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autorise la prise en compte des services discontinusdans le calcul de la durée de la condition de six anspour donner accès au CDI. Cet élargissement devraitnotamment sécuriser la situation de nombreux con-tractuels de l’éducation nationale.

Le titre III du projet de loi comporte des dispositionsdestinées principalement à renforcer la mobilité desfonctionnaires dans l’esprit qui a présidé au vote dela loi du 3 août 2009.

La commission est favorable à ces assouplissements,qui renforceront la possibilité, pour les fonction-naires, de conduire des parcours professionnelsdiversifiés, sous réserve que soient apportées autexte proposé plusieurs harmonisations, précisions etactualisations afin d’en conforter la cohérencejuridique.

La commission a notamment voulu clarifier la faculténouvelle d’une mise à disposition de fonctionnaires àl’étranger auprès d’entités fédérées assurant des mis-sions qui, en France, sont confiées à l’État.

Sur proposition du Gouvernement, elle a ajustéponctuellement les lois statutaires pour tenircompte, d’une part, de la suppression du paritarismeau Conseil supérieur de la fonction publique de l’Étaten adaptant sa composition lorsqu’il siège en tantqu’organe supérieur de recours – là, le paritarismeest évidemment nécessaire – et, d’autre part, de ladisparition des sièges préciputaires au Conseilsupérieur de la fonction publique territoriale en cequi concerne la composition des conseils régionauxd’orientation placés auprès du délégué régional duCentre national de la fonction publique territoriale.

Par ailleurs, la commission des lois a retenu l’institu-tion de commissions consultatives paritaires pour lescontractuels des collectivités territoriales, dispositionproposée par notre collègue Hugues Portelli.

Elle a complété le projet de loi en adoptant unensemble de mesures d’harmonisation et d’ajuste-ments ponctuels proposées par le Gouvernement.

Elle a tiré les conséquences de la réforme desretraites de 2010. Elle a ainsi prévu un dispositif tran-sitoire pour les fonctionnaires territoriaux en congéspécial et a aligné l’âge d’ouverture des droits àretraite des agents publics ayant la qualité de tra-vailleur handicapé sur celui du régime général d’as-surance vieillesse. Elle a aussi abaissé de trois à unmois la durée du sursis de l’exclusion temporaire des

fonctions dans la fonction publique territoriale pourl’aligner sur celle des deux autres versants. Elle a fixéau 16 juin 2011, date d’entrée en vigueur du décretclassant en catégorie B les personnels du corps despermanenciers auxiliaires de régulation médicale, ladate d’effet de leur intégration. Elle a enfin prolongéde trois ans, jusqu’au 31 décembre 2016, la périodedurant laquelle les fonctionnaires de La Poste peu-vent demander leur intégration dans l’un des corpsou cadres d’emplois des trois fonctions publiques :d'État, territoriale et hospitalière.

La commission des lois a complété le volet consacréaux juridictions administratives et financières avec lavolonté de renforcer leurs moyens de travail et defaciliter ainsi l’exercice de leurs missions. Il s’agit prin-cipalement d’élargir leurs viviers de recrutement,notamment pour pallier le tarissement progressif despromotions de l’École nationale d’administrationdécidé par le Gouvernement.

L’ensemble de ces dispositions, celles que contenaitinitialement le projet de loi comme les ajouts de lacommission, reprennent pour partie, et parfois bienau-delà des clivages partisans, les mesures, d’unepart, d’un avant-projet de loi de 2008 consacré auxjuridictions administratives – ce texte n’a jamais étédéposé devant le Parlement – et, d’autre part, duprojet de réforme des juridictions financières,déposé au mois d’octobre 2009 à l’Assembléenationale, mais dont l’examen n’a pas dépassé lestade de la commission.

Je me réjouis que la commission des lois du Sénat, enadoptant à l’unanimité le texte modifié, ait suivi laposition de son rapporteur et approuvé l’élargisse-ment de l’accès au Conseil d’État des conseillers detribunaux administratifs et de cours administrativesd’appel par la voie du tour extérieur ou encore parl’affectation de magistrats des tribunaux administrat-ifs et des cours administratives d’appel au Conseild’État, auprès de la mission d’inspection des juridic-tions administratives.

De plus, il me semble que la pérennisation du con-cours dit « complémentaire » de recrutement demembres des tribunaux administratifs et des coursadministratives d’appel, provisoire, mes chers col-lègues, depuis 1977, était devenue indispensable.

Les propositions du Gouvernement de détacher desmilitaires et des professeurs titulaires des universitésdans le corps des magistrats des chambres régionalesdes comptes et d’aligner la durée des incompatibi-

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lités applicables à ces magistrats sur le régime desautres fonctionnaires, soit trois ans, semblent justi-fiées.

La commission est toutefois allée plus loin. Elle arendu obligatoire chaque année la nomination auConseil d’État d’un second maître des requêtes choisiparmi les membres des tribunaux administratifs etcours administratives d’appel. Elle a instauré la qua-lité de maître des requêtes en service extraordinaire.Elle a pérennisé le recrutement complémentaire deconseillers des chambres régionales des comptes.Elle a facilité la mobilité des présidents de tribunauxadministratifs et cours administratives d’appel en li-mitant à sept le nombre d’années qu’ils peuvent pas-ser à la tête d’une même juridiction. Sur propositionavisée de notre collègue Michel Delebarre, elle a con-sacré le statut de magistrat administratif des mem-bres des tribunaux administratifs et des cours admi-nistratives d’appel. Elle a diversifié le vivier desrecrutements effectués par la voie du tour extérieurau grade de conseiller référendaire à la Cour descomptes. Elle a assorti de garanties supplémentairesles détachements dans le corps des chambresrégionales des comptes.

Bref, par le texte qu’elle a adopté, la commission deslois s’est efforcée d’organiser plus efficacementencore les moyens humains dont disposent les juri-dictions administratives et financières.

Je regrette, cependant, qu’il n’ait pas été possibled’examiner ces dispositions dans le cadre de textesspécifiquement consacrés à ces juridictions.

Sans pour autant donner quitus au Gouvernement desa politique conduite dans le domaine de l’emploidans la fonction publique, je souhaite, tout commeM. le ministre, que le texte que nous examinonsaujourd’hui, très attendu, fasse l’objet d’un examenserein.

Compte tenu de l’ensemble de ces observations, jevous invite, mes chers collègues, à concrétiser l’ac-cord du 31 mars 2011.

Je veux le souligner une fois encore, la traduction parla représentation nationale dans un texte législatifd’un accord obtenu grâce à une très forte participa-tion des organisations syndicales constitue un événe-ment marquant dans l’histoire du dialogue socialdans la fonction publique, comme dans celle duParlement.

Tout au long de l’examen du présent projet de loi, j’aiété inspirée par la conviction que telle était d’ailleursl’attente de ces organisations.

Je forme le vœu que l’ensemble des dispositions quivous sont proposées, mes chers collègues,améliorent l’environnement statutaire et les condi-tions d’emploi de ces milliers d’agents publics qui,dans les administrations de l’État, dans les collectiv-ités locales, dans les hôpitaux, assurent chaque jourle bon fonctionnement de nos services publics.

Pour l’heure, la commission des lois soumet à ladélibération du Sénat le texte qu’elle a établi.

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Madame laprésidente,monsieur le

ministre, monsieur leprésident de la com-mission des lois,madame le rappor-teur, mes chers col-lègues,… j’en aipresque terminé ! Eneffet, tout a été dit,et bien dit, en parti-culier par vous,madame le rapporteur, qui avez fait un travailremarquable sur un texte rendu difficile parl’enchevêtrement inévitable de dispositions parti-culières. Vous en avez livré une analyse extrême-ment pertinente et vous avez proposé un certainnombre d’amendements susceptibles de l’enrichiret de l’orienter dans un sens positif.

Ce projet de loi découle directement d’un proto-cole d’accord signé en mars 2011 entre leGouvernement et de nombreuses organisationssyndicales. C’est la procédure qu’il fallait effec-tivement suivre !

Il a pour objet de réduire la précarité existante etde prévenir la précarité pour l’avenir Il s’agit d’unnoble objectif ! Toutefois, il ne doit pas être sifacile de l’atteindre puisque, au cours des vingtdernières années, on a régulièrement entendu desdéclarations allant dans ce sens sans que ne cessejamais de resurgir le problème des contractuels.

Je n’ai pas besoin de dire que le Gouvernement etle Parlement s’honorent de conduire cette action.Notre collègue Christian Favier a bien décrit la sit-uation de ces contractuels angoissés par l’incerti-tude de l’avenir. Ces situations ne sauraient per-durer et il est bien qu’il y soit mis fin.

Monsieur le ministre, vous le comprendrez bien,je ne vais pas pouvoir dire que des choses gen-tilles sur ce texte !

Si, j’ai dit que, globalement, il n’était pas si mal.Venant de moi, c’est plutôt un compliment !

Permettez-moi donc une remarque.

Le texte contient un certain nombre de disposi-tions qui portent sur l’égalité professionnelleentre les hommes et les femmes et la lutte contreles discriminations. Il s’agit évidemment là d’en-jeux d’une importance considérable, notammentdans la fonction publique. Ce qui m’inquiètetoutefois, c’est que les dispositions prévuesparaissent se résumer à la réalisation d’un certainnombre de rapports sur le sujet. Entre nous, je nesuis pas sûr que cette vaste ambition fasse pro-gresser la cause de l’égalité entre les sexes…

Aussi, monsieur le ministre, j’aimerais en savoirun peu plus sur l’état de vos négociations avec lespartenaires sociaux. Quelles évolutions concrètesvont avoir lieu sur ces questions qu’on s’accorde àjuger fondamentales ?

Inévitablement, avec un texte comme celui-ci, quitouche à beaucoup de sujets, les parlementaires,au travers de leurs amendements, attirent l’atten-tion du Gouvernement sur des préoccupationscomplémentaires. Aucun de ces amendementsn’est inutile, car ils ont tous pour objectif derégler d’autres problèmes qui se posent dans lafonction publique et que certains acteurs ontlégitimement intérêt à voir résolus.

J’ai moi-même déposé un amendement tendant àreconnaître le statut de magistrat aux membresdes tribunaux administratifs et des cours adminis-tratives d’appel. Il s’agit certes d’un vieux débat,mais autant le conclure aujourd’hui !

Projet de lo i . . .

Agents contractuels dans la fonction publique

Intervention de Michel DELEBARRE, sénateur du Nord, dans la discussion

générale(séance du mercredi 25 janvier 2012)

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En effet, la manière de travailler de ces juges, lessujets qui leur sont confiés, les règles qu’ils obser-vent les renvoient au statut de magistrat, qu’onpersiste pourtant à ne pas leur attribuer. Je pensequ’il serait bon d’en finir une fois pour toutes aveccette ambiguïté juridique. L’occasion nous en estofferte avec l’examen de ce texte.

De la même manière, j’ai prêté mon concours àl’amélioration de l’organisation interne des juri-dictions financières, proches dans leur fonction-nement du Conseil d’État et des cours administra-tives d’appel. J’ai donc souhaité que soit prévueune disposition tendant à permettre aux plusimportantes chambres régionales des comptesd’être dotées de postes de vice-présidents.

Un amendement allant dans ce sens a été déposé,mais la commission des finances l’a jugé irrece-vable au titre de l’article 40 de la Constitution.Pour ma part, je continue de m’interroger : enquoi l’article 40 peut-il être opposé à cet amende-ment ?

Je tiens simplement à rappeler que sont con-cernées les chambres régionales de Rhône-Alpes-Auvergne, Provence-Alpes-Côte-d’Azur et Nord-Pas-de-Calais-Picardie, c’est-à-dire les plus impor-tantes, étant précisé que la chambre d’Île-de-France jouit déjà de la possibilité d’avoir des vice-présidences. Ne pas doter ces institutions de cettefaculté de s’organiser serait malvenu, d’autantqu’il s’agit d’une suggestion émanant du présidentde la Cour des comptes, Didier Migaud, qu’on nepeut suspecter de vouloir contrevenir à l’article 40de la Constitution.

Monsieur le ministre, par des amendements de cetype, marginaux de prime abord, on peut faire dece texte, qui, je le rappelle, est fondamental parcequ’il découle d’un accord avec les organisationssyndicales, une occasion d’améliorer le fonction-nement de nos institutions. Ne mesurons pas tropnos ambitions et essayons plutôt d’avancer !Malgré les observations de la commission desfinances, le Gouvernement a encore la possibilitéde se saisir de cette question et de s’inscrire danscette démarche d’amélioration.

Ainsi donc, le Gouvernement a entendu les organ-isations syndicales – enfin ! serais-je tenté de dire.Monsieur le ministre, vous avez raison de prendreconscience maintenant, à quelques mois d’une

échéance cruciale, qu’il est important d’avoir undialogue social dans la fonction publique d’État etdans les fonctions publiques hospitalière et terri-toriale.

Pourquoi n’a-t-il pas eu lieu avant ? Je n’en saisrien, mais je suis heureux de voir que ce progrèsse réalise alors que vous êtes ministre. Peut-êtrevotre personnalité y a-t-elle contribué ? Je suis entout cas prêt à le croire !

Cela étant, j’ai tout de même du mal à me laisseraller à donner un blanc-seing à l’action duGouvernement en matière de fonction publique àl’occasion de l’examen de ce projet de loi. Maréserve va d’ailleurs bien au-delà de ce texte,mais, pour m’en tenir à l’objet de celui-ci, je medemande si vous avez les moyens de financer l’ap-plication des dispositions qu’il contient. La loi definances pour 2012 ne comporte pas, semble-t-il,les crédits correspondant aux dépenses qu’en-traînerait effectivement leur mise en œuvre.

Pouvez-vous nous apporter des précisions sur cepoint. Auriez-vous signé l’accord de mars 2011 ensachant pertinemment que vous ne disposeriezpas, en 2012, des crédits permettant d’en appli-quer les clauses ? Un tel comportement seraitpour le moins anormal…

Depuis dix ans, les gouvernements de droite s’em-ploient, souvent par idéologie, à dévaloriser lesservices publics et la fonction publique. Il s’agit degouvernements dont M. Sarkozy faisait d’ailleurspartie, avant d’adopter la même attitude durant lapériode où il était…, pardon, où il est, Présidentde la République. Je me projette bêtement dansl’avenir !

Lancée le 10 juillet 2007 à grand son de trompe, larévision générale des politiques publiques étaitl’un des plus grands chantiers du Gouvernementpour le quinquennat. L’ambition affichée – laréforme de l’État – était parfaite pour être inscriteau fronton de l’édifice, mais, très rapidement,cette réforme a été dévoyée et n’a finalementaccouché, à mes yeux, que d’une politique pure-ment comptable de réduction aveugle des postesde fonctionnaires, au détriment de la qualité duservice rendu à la population et des conditions detravail des agents publics.

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La Cour des comptes a ainsi estimé que le gain netdes économies réalisées du fait de la RGPP étaitde 1 milliard d’euros par an… Il convient de com-parer ce chiffre à celui de l’allégement de l’impôtsur la fortune – 1,5 milliard d’euros – mis enœuvre par le Gouvernement en juillet dernier, enpleine crise économique et financière.

Honnêtement, je crois que cette RGPP a entraînéune cascade de conséquences néfastes pour lesservices publics, et qui se feront de plus en plussentir.

On constate d’abord une diminution de la proxi-mité du service public : le pays compte moins defonctionnaires, moins bien répartis à travers leterritoire, à la suite de fusions de services, deréorientations, de réductions du nombre desimplantations. On peine aujourd’hui, dans cer-tains territoires, à trouver la présence de l’Étatdéconcentré. Je suis convaincu, monsieur le min-istre, que la région Bourgogne n’y échappe pas.

La qualité du service, ensuite, est entamée par lemanque de moyens. C’est le cas de Pôle emploi.Lors du sommet social organisé à l’Élysée lasemaine dernière, a été décidée la création, mesemble-t-il, de 1 000 postes d’agents temporairespour cette structure, ce qui prouve que, lors de lafusion entre l’ANPE et les ASSEDIC, leGouvernement n’a pas veillé à ce que la nouvelleentité soit dotée des moyens en personnels et enfonctionnaires suffisants pour assumer une mis-sion aujourd’hui vitale pour des millions dedemandeurs d’emploi.

Toutes ces fusions mal préparées et mal réaliséesont, à mon avis, été sources de désorganisation etde détérioration du service public dans le pays. Ladémoralisation des fonctionnaires est aussi unélément, diffus mais déterminant, de cette baissede qualité du service. Les fonctionnaires ont été lacible explicite de la RGPP. La suppression depostes de fonctionnaires, souvent aveugle et assezhétérogène, a abouti à de véritables saignéesdans certains ministères, apparaissant vraimentcomme l’une des variables d’ajustement descrédits de l’État.

Permettez-moi de citer la baisse continue deseffectifs d’enseignants et de professeurs. Depuis2007, 66 000 postes d’enseignants ont été sup-primés.

L’académie de Lille a été particulièrement touchéeet les services du rectorat ont encore annoncé,pour la rentrée prochaine, 1 020 nouvelles sup-pressions de postes.

Dans l’ensemble de la fonction publique, il estprévu de supprimer plus de 30 000 emplois en2012. Vous avancez vous-même, monsieur le mi-nistre, des chiffres considérables en ce qui con-cerne l’évolution des effectifs au cours desdernières années.

On ne saurait faire porter sur les seuls servicespublics la réduction de la dette et du déficitbudgétaire du pays. L’effort doit être partagé partous, je suis prêt à l’admettre, mais surtout par lesplus riches. Des services publics efficaces et dequalité sont d’abord au service des plus pauvresde nos concitoyens ; il faudrait tout de même s’ensouvenir de temps en temps !

L’amélioration du service public passe souvent parun accroissement des coûts. La modernisationd’un service nécessite des investissements parfoislourds, qui ne sont rentables qu’à terme.

L’excellence des services publics est un objectif cléen France : le niveau élevé des dépensespubliques françaises ne se justifie que si le servicerendu au public est meilleur qu’ailleurs.

À cet égard, monsieur le ministre, permettez-moid’ouvrir une parenthèse.

À juste titre sans doute, on s’inquiète de la perted’un des A du fameux triple A, ce qui signified’ailleurs qu’il nous en reste tout de même deux.Si la France faisait l’objet d’une comparaison inter-nationale au regard d’un certain nombre decritères sociaux, du fonctionnement de la société,je crois que, par la qualité de ses services publics,elle aurait droit au triple A. Or ce qui se passe àl’heure actuelle nous conduirait à perdre aussi,dans quelque temps, ce triple A de la qualité desservices publics et du climat social.

Pour revenir au texte, qui, comme je l’ai dit, peutaussi servir de support à bon nombre d’évolutionspositives, sachez que la commission des lois aégalement été amenée à examiner des disposi-tions relatives aux centres de gestion de la fonc-tion publique territoriale.

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En effet, en même temps qu’elle examinait cetexte, elle a été saisie d’une proposition de loidéposée par notre collègue Hugues Portelli oùétait abordée la question de l’évolution de cescentres.

Nous avons travaillé sur cette proposition de loi,nous n’avons pas approuvé l’ensemble de son dis-positif, mais nous sommes d’accord sur un certainnombre des grands objectifs qu’elle vise s’agissantdes centres de gestion. Nous avons donc suggéréd’introduire, par la voie d’amendements à ce pro-jet de loi, quelques dispositions permettant de lesfaire évoluer.

Je crois que, sous l’autorité du président Sueur,avec M. Vial, M. Portelli, Mme Klès etM. Reichardt, nous avons fait un travail plutôtutile, de nature à améliorer la situation dans cedomaine.

Cela va de soi, monsieur le président, puisquevous y avez apporté votre contribution ! Ellen’avait sans doute pas cette qualité à l’origine,mais votre concours en a fait une excellente idée !

Nous avons travaillé sur cet objectif et noussommes arrivés à l’idée que les centres de ges-tion, outre le travail qu’ils accomplissent au ser-vice des plus petites collectivités territoriales,lesquelles y sont automatiquement affiliées,assurent aussi des prestations pour le compted’un certain nombre de collectivités plus impor-tantes, et ce dans des domaines précis tels que lagestion du personnel. Cela touche notamment lesecrétariat des commissions de réforme, celui descomités médicaux et la gestion des déchargesd’activités.

Conscients que les centres de gestion rendent demultiples services, nous avons envisagé d’intégrerces différentes prestations au sein d’un bouquetde services proposé aux collectivités – non pasuniquement à celles qui y sont obligatoirementaffiliées –, moyennant une contribution ne dépas-sant pas 0,2 %. Les collectivités ainsi concernéesseraient associées, dans le cadre d’un collège par-ticulier, à l'administration des centres de gestion.

Monsieur le ministre, je le pense sincèrement, ils’agit d’une excellente idée, fort utile, qui sert lescentres de gestion.

Malheureusement, la commission des finances ainvoqué l'article 40 de la Constitution, sous pré-texte que le montage proposé ne prévoyait pas lefinancement correspondant.

Or cette disposition est financée ! Elle ne coûterien aux centres de gestion puisque ceux-ci vontpercevoir la contribution de 0,2 % versée par lescollectivités qui prendront l'ensemble du bouquetet participeront ainsi au fonctionnement des cen-tres de gestion.

Le Gouvernement devrait donc réfléchir à unetelle évolution, excellente à nos yeux, qui rendraitun réel service tant aux centres de gestion qu’auxcollectivités territoriales concernées.

Le présent projet de loi peut selon moi être trèsutile, encore plus utile que les mesures annoncéesdans le cadre de l’accord, dont je salue le contenu,conclu avec les organisations syndicales, du moinss’il reprend un certain nombre de dispositionsparticulières. Nous serons donc très attentifs,monsieur le ministre, au sort que vous réservereznotamment aux amendements proposés par lacommission, car leur adoption permettrait d’en-richir le texte.

Dans le fond, il s’agit quasiment, en l’espèce,d’une coproduction, entre les différentes com-posantes de cette assemblée, entre le Parlementet le Gouvernement, puisque lui-même a suivi lespropositions des organisations syndicales. End’autres termes, ne sommes-nous pas en traind’aller dans le bon sens, de faire véritablementœuvre de démocratie ?

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Monsieur lem i n i s t r e ,mes chers

collègues, puisquetout le monde s’ac-corde à reconnaîtreque ce projet de loiest débattu dans unclimat constructif etserein, je ne peuxpas m’empêcher –mais je sais quevous ne m’envoudrez pas ! – de vous lancer une ou deux piqueset de vous égratigner quelque peu, ne serait-ceque pour éviter un endormissement général…

Je commencerai néanmoins, comme il se doit, pardes remerciements. Vous nous avez en effetdémontré, dans votre propos liminaire, l’aptitudedu Gouvernement à aborder la question de l’em-ploi dans les fonctions publiques autrement quesous l’angle purement comptable et financier dela RGPP, laquelle privilégie de surcroît le courtterme. Notre collègue Michel Delebarre vientd’exposer notre position sur la RGPP avec telle-ment de talent que je m’en voudrais de répéterses propos !

Le croyez-vous vraiment ? Je m’en tiendrai à ladescription parfaite que vous venez de nous enfaire.

Monsieur le ministre, compte tenu du constatdressé, il était effectivement temps de nousintéresser au dossier de la précarité dans les troisfonctions publiques. Vous nous avez d’ailleurs citévous-même quelques chiffres tout à l’heure. Ceux-ci sont, certes, parlants sur un plan quantitatif,mais il importe, au regard du nombre de person-nes concernées, de ne pas occulter l’humain et lequalitatif.

À l’époque de la création du revenu de solidaritéactive, le RSA, m’étant intéressée à sa mise enplace au niveau national et plus particulièrementdans mon département, j’ai été très surprise deconstater le nombre important d’agents des troisfonctions publiques, y compris donc de la fonctionpublique d’État, susceptibles de relever de ce dis-positif. Outre la nature de leurs contrats, ces per-sonnes étaient assujetties à un temps de travailtellement partiel que les revenus qu’elles entiraient les plaçaient dans une situation véritable-ment précaire. Un pourcentage bien trop impor-tant d’entre elles pouvait donc légitimementbénéficier du revenu de solidarité active.

Le Gouvernement a choisi la période actuelle pourse préoccuper de la résorption de cette précarité.Nous sommes à quelques mois des prochaineséchéances électorales, mais cela n’a certainementrien à voir ! Honni soit qui mal y pense, et loin demoi cette idée !

J’ai voté contre le texte sur le génocide arménien,ma chère collègue ! Après tout, tant pis, l’essentielest que ce projet de loi existe : c’est bon à pren-dre ! Quelles que soient les motivations qui ontprésidé à son élaboration, le travail réalisé étaitprioritaire. C’est toujours cela que nous n’auronspas à faire quand nous serons aux manettes dansquelques semaines ! En cela, je vous dis merci,monsieur le ministre !

Nous en reparlerons sans doute !

En tout état de cause, sur un ton plus sérieux, jetiens à mon tour à saluer l’esprit de négociation etde concertation qui a régné, au sein des organisa-tions syndicales et dans leurs relations avec leGouvernement. Comme quoi, dès lors qu’il y aune volonté de discuter en amont les textes defaçon à la fois très transparente, très libre et trèsintense, on aboutit à un relatif consensus.

Projet de lo i . . .

Agents contractuels dans la fonction publique

Intervention de Virginie KLES, sénatrice d’Ille-et-Vilaine, dans la discussion

générale(séance du mercredi 25 janvier 2012)

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Tout à fait !

Même si nous ne sommes pas toujours d’accord,le Parlement et le Gouvernement ne peuventdonc pas faire moins que d’avoir cette même atti-tude constructive dans le cadre des débats quinous occupent aujourd'hui.

Bien évidemment, il restera du travail à faire. Jepartage ainsi les inquiétudes, les préoccupationset les attentes encore légitimes en matière de par-ité homme-femme dans la fonction publique terri-toriale, dans la fonction publique d’État et dans lafonction publique hospitalière. Oui, nous pouvonsmieux faire s’agissant de l’accessibilité aux postesà responsabilité, mais pas seulement.

Ne l’oublions pas, dans les trois fonctionspubliques, d’une manière générale, les femmesoccupent les emplois les moins qualifiés, etmajoritairement les emplois à temps partiel. Ellesont des horaires compliqués, car morcelés dans lajournée, alors mêmes qu’elles accomplissent destâches indispensables. Je pense, par exemple, àtoutes celles qui, au sein de la fonction publiqueterritoriale, travaillent au contact des enfants,dans les cantines, font le ménage ou accompag-nent les personnes âgées. Sur ce sujet, il y a cer-tainement encore beaucoup à faire.

En matière de mobilité, il s’agit d’être très con-cret, « pratico-pratique », dirais-je même.Connaissant bien la fonction publique territoriale,je sais que la mobilité entre les trois fonctionspubliques est une avancée qu’il faut favoriser :oui, nous avons besoin des passerelles.Néanmoins, là aussi, il restera à faire, car cespasserelles ne doivent pas être quasi systéma-tiquement à sens unique. Ainsi, la fonctionpublique territoriale n’a pas vocation à accueillirtoutes les personnes qui sortent de la fonctionpublique d’État.

Un point ne doit pas être occulté : aujourd'hui, lesformations sont trop techniques. Or, pour despostes à responsabilités identiques, la façon de secomporter diffère grandement selon qu’il s’agit dela fonction publique d’État ou de la fonctionpublique territoriale. Les agents qui travaillentdans cette dernière doivent tenir compte decritères spécifiques, car ils ont affaire à unehiérarchie à la fois administrative et politique touten étant en relation directe avec nos concitoyens.

Cela peut poser quelques soucis. J’ai moi-mêmerecruté un directeur général des services venantde la fonction publique d’État qui a eu beaucoupde mal à appréhender cette triple dimension deson poste.

Il y a donc encore beaucoup à faire. Il convient,très concrètement, de rechercher le meilleuréquilibre, ce qui passe, notamment, par des for-mations plus adaptées et très spécifiques.

Pour en rester à la fonction publique territoriale,j’évoquerai la situation des centres de gestion,dont a magnifiquement parlé Michel Delebarre.Oui, de telles structures ont toute leur impor-tance, au regard des missions qu’elles mènent, etil est primordial d’assurer leur pérennité, et doncleur financement, notamment pour tous nos terri-toires organisés autour de petites collectivités,communes ou intercommunalités.

Je le pense très sincèrement, le niveau de forma-tion et de compétences des fonctionnaires territo-riaux a fortement augmenté au cours desdernières années. Nous avons aujourd'hui affaireà des personnes de grande qualité, qui se voientoffrir des carrières attractives, y compris enrestant dans la fonction publique territoriale. Siles petites collectivités peuvent accueillir desfonctionnaires territoriaux d’un tel niveau, c’esten grande partie au travail des centres de gestionque nous le devons. Ces derniers accompagnentles collectivités de taille réduite dans le suivi descarrières, lorsqu’elles n’ont pas forcément lesmoyens de le faire elles-mêmes, dans la forma-tion, dans la mutualisation des postes et des com-pétences. Leur rôle est extrêmement important. Àcet égard, je partage l’approche de Hugues Portelliquant aux objectifs de la proposition de loi qu’il adéposée et qui a fait l’objet d’un rapport de Jean-Pierre Vial. Michel Delebarre, Alain Richard, leprésident de la commission des lois et moi-mêmeavons effectivement travaillé sur cette base pourincorporer, sous la forme d’amendements auprésent texte, un certain nombre de dispositionssuggérées à l’époque.

Monsieur le ministre, nous en avons discuté unpetit peu avant la séance et j’ai bien entendu vosengagements sur le sujet. Michel Delebarrel’ayant excellemment évoqué tout à l’heure, je nem’appesantirai pas sur ce sujet effectivementessentiel.

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Les amendements proposés aujourd'hui tendent àrégler des problèmes immédiats, actuels, liésnotamment à la réorganisation territoriale. Pourautant, un réel travail de fond restera à entrepren-dre autour des centres de gestion, pour prendreen compte le bilan de la loi de 2007 et les con-séquences du transfert d’un certain nombre decompétences du CNFPT vers lesdits centres.

Il faudra tirer les conclusions des expériencesmenées, qui conjuguent réussites et dysfonction-nements. Aujourd'hui, les relations entre les cen-tres de gestion et les collectivités sur l'ensembledu territoire sont marquées par une grandehétérogénéité. Il convient d’être cohérent et d’a-vancer sur ce sujet ; mais nous nous en occupe-rons un peu plus tard…

Monsieur le ministre, mes chers collègues, cetexte a fait l’objet d’un énorme travail, à tous lesstades de la concertation, avant de nous êtreprésenté cet après-midi. Je tiens notamment àrendre hommage à la commission des lois et à sonrapporteur.

Monsieur le ministre, j’ai bien entendu vosengagements tout à l’heure, avant la séance, surla parité d’abord, notamment sur le fait qued’éventuels amendements déposés à l’Assembléenationale seraient discutés au préalable avec leSénat, sur les centres de gestion ensuite. Nousattendons encore quelques réponses de votrepart, s’agissant en particulier du financement del'ensemble des dispositions prévues dans ce pro-jet de loi.

À l’instar de mes collègues, je précise que le votede ce texte relatif à la résorption de la précaritédans les fonctions publiques ne vaut ni quitus niblanc-seing au Gouvernement pour l'ensemble desa politique en matière d’emploi. Mais je recon-nais qu’il était attendu et nécessaire. Comptetenu de la confiance dont il est entouré, nousvoterons en faveur de ce projet de loi, malgré toutle travail qui reste à accomplir. Mais celui-là, nousle ferons !

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Madame laprésidente,mon s i e u r

le ministre, meschers collègues,sous l’ impulsionefficace de Mme lar a p p o r t e u r eCatherine Tasca, lacommission des loisa tenté d’améliorerun texte importantpour la qualité denotre service public comme pour le statut desagents qui le servent. Ainsi, le législateur estaujourd’hui appelé à valider les termes d’unaccord négocié entre le Gouvernement et lesorganisations syndicales il y a près d’un an, le31 mars 2011.

Le présent projet de loi était très attendu par lespartenaires sociaux et nous pouvons légitimementnous interroger sur la cause de tels délais, sur lespriorités réelles du Gouvernement et sur la placeque celui-ci accorde au débat parlementaire pouraméliorer ce texte.

Ainsi, quelques dispositions prévues par le proto-cole, qui traduisaient des engagements duGouvernement, ne figurent pas dans le projet deloi. Nous avons tenté d’en rétablir certaines parvoie d’amendement, en particulier à l’article 3.Malheureusement, ces amendements ont étédéclarés irrecevables au titre de l’article 40 de laConstitution.

Cette situation met en lumière le constat suivant :le Gouvernement ne s’est pas donné les moyensde respecter les engagements pris devant lesorganisations syndicales, ce qui engendre desinquiétudes quant à la mise en œuvre de ce texte,en particulier dans certains ministères, en raisondes plafonds d’emplois imposés.

Pour l’heure, le présent projet de loi constitue lequinzième plan de titularisation, général ou secto-riel, mis en œuvre depuis 1946. Or le recours com-mode aux non-titulaires ne se tarit pas, et ce textene résoudra rien.

De fait, au 31 décembre 2009, on recensait plusde 890 000 contractuels dans l’ensemble de lafonction publique, placés dans des situations trèsdiverses, variant du CDI à l’enchaînement de con-trats de très courte durée. Variables d’ajustementd’effectifs tendus, un nombre bien trop élevéd’entre eux sont installés dans la précarité, alorsmême qu’ils contribuent à assurer le fonction-nement du service public. Rappelons que la loi du12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dansleurs relations avec les administrations a tiré lesconséquences de la jurisprudence du tribunal desconflits conférant la qualité d’agents de droit pub-lic aux personnels non statutaires travaillant pourle compte d’un service public à caractère adminis-tratif géré par une personne publique, quel quesoit leur emploi.

Le gouvernement de Lionel Jospin avait souhaitésécuriser la situation des agents en fonction à ladate de publication de la loi du 12 avril 2000recrutés sur la base de contrats de droit privé. Sile texte qui nous est proposé pose des conditionsrestrictives à l’accès à la titularisation, nousdevons admettre qu’il présente un certain nom-bre d’avancées pour les non-titulaires : les con-cours ou examens professionnalisés réservésseront ouverts à des agents contractuels de droitpublic en CDD étant en fonction au 31 mars 2011,dès lors qu’ils justifient d’une durée de servicepublic effectif au moins égale à quatre ans aucours des six années précédant la date de clôturedes inscriptions du recrutement. À ce titre, jedéfendrai un amendement afin que la date butoirpuisse être fixée au premier jour des épreuves,disposition qui, du reste, avait été validée par leprotocole d’accord.

Projet de lo i . . .

Agents contractuels dans la fonction publique

Intervention de Jean-Yves LECONTE, sénateur représentant les Français

établis hors de France, dans la discussion générale(séance du mercredi 25 janvier 2012)

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Le projet de loi prévoit également l’obligationd’accorder un CDI à un agent contractuel dès lorsqu’il a été employé six années durant au sein d’unmême ministère au cours des huit dernièresannées à la date de publication de la loi.

En outre, l’ancienneté exigée sera réduite à troisans pour les agents âgés d’au moins cinquante-cinq ans à la date de la publication de la loi. Deplus, l’ancienneté pourra être acquise de manièrediscontinue, ce qui constitue une avancée,puisqu’une interruption de trois mois entre deuxcontrats sera désormais tolérée. Toutefois, cetexte n’est pas encore voté que nous en consta-tons déjà des effets pervers : ainsi, certainesadministrations – notamment dans l’enseigne-ment supérieur ou au sein du ministère desaffaires étrangères – refusent de renouveler desCDD afin d’empêcher leurs titulaires de bénéficierd’un CDI.

Monsieur le ministre, de semblables attitudesdoivent être condamnées, car elles constituentune violation de l’esprit du projet de loi que nousdiscutons présentement. Dans ce cadre, je comptesur votre écoute pour résoudre les problèmes quenous pourrions être conduits à vous signaler.

C’est également pour cette raison que j’ai déposé,avec plusieurs de mes collègues, un amendementqui tend à empêcher l’administration de justifierle non-renouvellement d’un CDD par le seulintérêt du service. Le « CDD Kleenex », qui affran-chit l’administration de toute gestion de sesressources humaines, n’est acceptable ni pour lespersonnels ni pour la qualité du service et sapérennité.

Voici le témoignage d’une enseignante en univer-sité : « Les universités emploient en effet de mul-tiples intervenants en qualité d’enseignants con-tractuels. Ces enseignants possèdent la qualifica-tion et l’expérience requises pour pouvoirenseigner à ce niveau du système éducatif. Biensouvent, les cours dont ils ont la charge nécessi-tent par ailleurs une spécialisation particulière,peu répandue parmi les enseignants titulaires,qu’ils soient professeurs des universités, maîtresde conférences ou agrégés du secondaire.

« Au fil des années, les universités, pour pouvoirconserver ces enseignants, ont imposé différentstypes de contrats – lecteur, attaché temporaired’enseignement et de recherche, contractuel d’en-

seignement, vacataire, et j’en passe – qui n’ontcontribué qu’à pérenniser leur précarité. Parfois,l’enseignant en poste se voit attribuer un contratà durée déterminée de six mois, à temps plein ouà temps partiel, à l’issue duquel il est rétrogradé àun autre régime encore plus fragile, celui devacataire : il assure ainsi ses enseignements et lestâches adjacentes qui lui incombent, notammentle suivi des étudiants, pendant une année univer-sitaire complète, mais en n’en étant salarié quedurant la moitié de celle-ci.

« L’université conserve de la sorte des enseignantscompétents, dont l’utilité est reconnue, sans pourautant leur fournir un statut stable, par exempleen leur proposant un contrat à durée indéter-minée, ainsi que le prévoit la loi. Cette instabilitécontractuelle permanente et le manque de recon-naissance statutaire ont pour conséquence queles enseignants ne disposent d’aucune perspec-tive d’évolution de carrière et que leurs droits à laretraite deviennent sérieusement limités.

« Aujourd’hui, des enseignants contractuels,enseignants précaires, assurent les cours en mas-ter 1 et master 2, les cursus qui requièrent le plusde qualifications. Ils font partie des jurys demémoires et de diplômes. On fait très souventappel à eux pour remplacer les enseignants titu-laires pour la surveillance des examens, pourassurer une permanence lors de journées portesouvertes ou pour bien d’autres services, pourlesquels ils ne sont d’ailleurs souvent pasrémunérés. En un mot, ils effectuent les mêmestâches que les titulaires et, dans de nombreux cas,depuis plus de dix ans. « Mais, à cause des “pau-ses contractuelles” qu’on leur impose, cesenseignants contractuels se retrouvent bien sou-vent empêchés d’avoir les six années d’anciennetérequises par la nouvelle loi pour pouvoir être titu-larisés ou passer sur un contrat à durée indéter-minée, alors même qu’ils ont une ancienneté biensupérieure dans la même université et que leursactivités professionnelles y ont été, de fait, con-tinues. » Pourtant, le texte actuellement en dis-cussion ne corrige rien de tout cela. Au contraire,les effets pervers de la loi appliquée par uneadministration tétanisée par la RGPP vontaggraver de nombreuses situations. Les étudiantsseront ainsi privés d’enseignants compétents, quifont de surcroît preuve, le plus sou-vent, d’uneforte implication pédagogique, ce qui n’amélior-era pas de ce point de vue la situation des univer-sités françaises.

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En voulant lutter contre la précarité, on incite cer-taines administrations à ne pas renouveler lescontrats avec les mêmes intervenants, afin queces derniers ne puissent pas bénéficier de la loi :cela n’est pas acceptable !

Au ministère des affaires étrangères, les 5 000recrutés locaux ne sont pas concernés par ce plan,ce qui est regrettable pour certains d’entre eux,compte tenu des fonctions fondamentales pournos services qui leur sont confiées.

Les assistants techniques sont également exclusde ce plan. Cette exclusion est compréhensiblelorsqu’il s’agit de faire appel à leurs compétencespointues pour une période donnée. Toutefois,certains d’entre eux répondent à des besoinsrécurrents et ne devraient pas entrer dans cettecatégorie.

Et je ne parle pas des personnels à qui l’on pro-pose un changement de contrat à l’occasion de lamise en place de l’Institut français. Au demeurant,ce n’est pas seulement une histoire de statut. Sinous voulons conserver, préserver et renforcernotre capacité d’influence et d’action dans lemonde, nous devons respecter tous ceux qui ycontribuent.

Il ne faut pas oublier non plus le recours aux sta-giaires et aux volontaires internationaux, quiacceptent ces emplois pour avoir une premièreexpérience à l’étranger, mais qui se retrouventsouvent, après leur mission, sans emploi et sansaucune protection sociale.

Aucune personne qui effectue une mission, mêmeprovisoire, au sein d’une administration publiqueou de l’un de ses établissements rattachés nedevrait être dans une telle situation, y compris àl’étranger.

Au ministère des affaires étrangères, sur les 1 800agents qui sont encore en CDD, seuls 3 % sont sus-ceptibles d’obtenir une titularisation, et 3 % unCDI. Cela souligne bien que, malgré les effets d’an-nonce, le projet de loi est profilé pour ne rienchanger à la politique de gestion de la fonctionpublique du Gouvernement, bien au contraire.

Les administrations justifient souvent les CDD pardes besoins spécifiques de personnels, qui nesauraient faire l’objet de formations ou d’un suivide carrière.

Lorsqu’ils ne sont plus assez opérationnels, l’ad-ministration les rejette et les remplace. C’estdéplorable ! La formation professionnelle des per-sonnels en CDD est donc indispensable.L’administration est un mauvais employeur, carelle ne prévoit aucune évolution de carrière pourson personnel contractuel.

La lutte contre la précarité est essentielle. C’estune question de dignité et d’efficacité. Sur le plande la dignité, il n’est pas concevable qu’un salariéaccomplisse toute sa carrière avec la peur au ven-tre que son engagement ne soit pas renouvelé,jonglant entre différents types de contrats.Maintenir des personnels dans de telles si-tua-tions, c’est en outre leur limiter, voire leurempêcher tout accès au crédit et au logementdans des conditions autonomes, ce qui devraitpourtant être le cas de tous ceux qui travaillent.Sur le plan de l’efficacité, c’est les empêcher des’impliquer totalement dans leur travail ; c’estrenoncer à avoir une démarche d’améliorationprogressive de leurs compétences et de leur pro-jet professionnel ; c’est, finalement, une atteinte àla qualité du service public.

La demande que nous formulons à l’État n’est pasextravagante. Il s’agit simplement d’une exigenced’exemplarité. Pourquoi l’État s’affranchirait-il desrègles qui s’imposent – qu’il impose – au secteurprivé ? L’État considérerait-il qu’il est préférablede recourir à « l’emploi Kleenex » plutôt que d’as-surer un suivi de carrière, une progression et uneformation pour tous ses contractuels ? C’est cesuivi qui permettrait d’avoir une gestion plus effi-cace des ressources humaines, gage à la fois d’é-conomies et de qualité.

Malgré le principe de l’unicité de l’État, ce textepermet de multiplier les types d’employeur –département ministériel, établissement public…Cette solution de facilité permet d’échapper à unevision d’ensemble, qui imposerait une gestion plusrigoureuse mais aussi plus humaine de l’ensembledes agents travaillant pour l’État. Pour l’heure,malgré toutes ces réserves et en dépit de son car-actère ambigu au regard de la politique qui frappela fonction publique depuis 2007 – qu’il s’agissede son périmètre d’action ou de ses moyens –,nous voterons ce texte, par respect pour l’accordconclu avec les organisations syndicales, après luiavoir apporté quelques améliorations dont nousallons maintenant discuter.

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Monsieur leprés ident ,monsieur le

ministre, mes cherscollègues, si nousavons dû demanderque la séance fûtreportée d’un quartd’heure, c’est parceque nos conditionsde travail sont diffi-ciles. Cette semaine,nous examinons enséance publique trois textes relevant de la commis-sion des lois et, la semaine prochaine, nous enétudierons deux. Hier soir, à minuit, nous avonsachevé dans cet hémicycle la discussion de quelquesarticles du projet de loi relatif à l’accès à l’emploi ti-tulaire et à l’amélioration des conditions d’emploi desagents contractuels dans la fonction publique, et, dèssept heures quarante-cinq ce matin, nous étions réu-nis en commission des lois pour examiner lesamendements sur le projet de loi de programmationrelatif à l’exécution des peines.

Le Gouvernement souhaite qu’un certain nombre detextes soient examinés par le Parlement. Il en va demême des différents groupes politiques, dans lecadre du temps qui leur est réservé. Or ces différentstextes tombent très souvent dans l’escarcelle de lacommission des lois. Je tenais à le signaler à toutesfins utiles.

Nous avons donc fort à faire. Je tiens d’ailleurs àremercier les collaborateurs de la commission, quitravaillent beaucoup, ainsi que la direction de laséance.

Monsieur le président, monsieur le ministre,madame le rapporteur, mes chers collègues, il n’estpas habituel pour le président de la commissionmixte paritaire que j’ai été sur cette proposition de loi

– un président d’ailleurs éphémère puisque la CMP,qui s’est déroulée au Sénat selon l’alternance coutu-mière et à la date convenue pour permettre lerespect de l’ordre du jour prioritaire et la bonne findu présent texte, cesse d’exister lorsqu’elle a achevéson ouvrage – de prendre la parole à l’occasion del’examen des conclusions de la CMP.

Si je me résous à intervenir aujourd’hui, c’est pourapporter la réponse qui me paraît absolument néces-saire aux propos qui ont été tenus – ils ne vous ontpas échappé, monsieur le ministre – à l’Assembléenationale lors de l’examen de ces conclusions, le12 janvier dernier.

Cette mise au point ne vous concerne en aucun cas,monsieur le ministre, non plus que vos collègues, carces propos n’ont pas été tenus par le Gouvernement.Le Journal officiel, édition des débats de l’Assembléenationale, porte témoignage de ce que M. le ministrede l’intérieur s’en est tenu strictement à la défensede son amendement, sans aucunement commenterla procédure d’adoption des conclusions de la com-mission mixte paritaire.

Je tiens cependant à faire deux observations auGouvernement.

En premier lieu, je regrette le dépôt de cet amende-ment par le Gouvernement après la réunion de lacommission mixte paritaire. J’ai toujours été très réti-cent sur ce procédé, certes inscrit dans laConstitution. J’ai trop vu de fâcheux exemples à cetégard, lorsque les représentants d’une majorité par-lementaire se trouvaient de ce fait quasiment con-traints d’adopter des dispositions qu’ils avaientrefusées lors des débats précédant la commissionmixte paritaire. De surcroît, en l’espèce, cet amende-ment est parfaitement inutile puisqu’il suffisait àl’Assemblée nationale de rejeter les conclusions de lacommission mixte paritaire pour obtenir le mêmerésultat et qu’il revenait, en tout état de cause, à

Projet de lo i . . .

Protection de l’identitéCMPIntervention de Jean-Pierre SUEUR, Président de la Commission des lois,

sénateur du Loiret, dans la discussion générale

(séance du jeudi 26 janvier 2012)

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chaque assemblée de délibérer de nouveau avantque, in fine, l’Assemblée nationale soit invitée àtrancher en dernière instance.

En second lieu, monsieur le ministre, j’observe qu’ilest inhabituel de faire examiner les conclusions d’unecommission mixte paritaire en premier par la se-conde assemblée saisie, a fortiori s’agissant enl’espèce d’une proposition de loi sénatoriale puisque,en l’occurrence, cela ne permettra pas au Sénat de seprononcer séparément sur l’amendement et sur lesconclusions de la commission mixte paritaire.

Ces premières observations sont une premièreréponse à plusieurs députés, au rapporteur de lacommission mixte paritaire et à un autre député quin’en était pas membre, lesquels ont cru discernerdans la réussite de cette commission mixte paritaireune « manœuvre dilatoire », « une attitude qui apour objectif de retarder l’adoption du texte » ouencore l’« objectif d’entraver l’action de la majoritéde l’Assemblée nationale ». C’est assez mal connaîtrela genèse de ce texte et l’état d’esprit qui nous anime.

La proposition de loi relative à la protection del’identité a été déposée en juillet 2010 par nos col-lègues Jean-René Lecerf et Michel Houel. Elle est unelointaine traduction de travaux menés au sein denotre commission en 2005-2006 par nos collèguesJean-René Lecerf et Charles Guené. Examinée enséance publique le 31 mai 2011 par le Sénat, elle estinscrite dès le 7 juillet pour sa première lecture àl’Assemblée nationale. Dès la rentrée sénatoriale, le19 octobre 2011, la commission des lois examine lerapport en deuxième lecture de notre collègueFrançois Pillet, confirmé rapporteur après le change-ment de majorité au Sénat. Le texte est adopté enséance publique par le Sénat le 3 novembre, avec unvote conforté par une forte majorité – 340 voix con-tre 4 – sur la seule disposition qui demeurait ennavette à l’issue de la deuxième lecture à l’Assembléenationale effectuée le 13 décembre. La commissionmixte paritaire s’est réunie le 10 janvier 2012, c’est-à-dire le jour même de la reprise des travaux duParlement en janvier. On ne pouvait pas faire mieux !Elle n’avait à se prononcer que sur un seul article,signe que des convergences ont été trouvées sur lereste du texte au cours de la navette, exemplaire.

Que demande la Constitution aux sept députés etaux sept sénateurs titulaires, ainsi qu’à leurs sup-pléants participant au débat en tout état de cause, etle cas échéant au vote si un titulaire manque à l’ap-

pel, comme ce fut le cas en l’espèce pour FrançoisPillet, rapporteur, qui ne put être parmi nous, ce quivaudra à Virginie Klès de vous rendre compte du fonddu sujet dans un instant ?

La Constitution, dans son article 45, prévoit que lacommission mixte paritaire est « chargée de propo-ser un texte sur les dispositions restant en discus-sion ». C’est l’un des libellés les plus simples et lesplus limpides qui soit.

On ne demande pas aux membres de la commissionmixte paritaire de faire preuve de prescience etd’aboutir à tout coup, comme le voudraient certainsdéputés et comme l’a déclaré Jean-Luc Warsmann,« à une version susceptible de rassembler unemajorité dans chacune des deux assemblées ».

On ne leur demande pas non plus, contre la majoritéprésente en leur sein, de faire plaisir à l’Assembléenationale parce que celle-ci est impatiente d’avoir ledernier mot et – je cite les propos tenus en séancepar un député – d’« aboutir à l’adoption du texte decompromis issu des travaux de l’Assemblée nationaleen deuxième lecture, dans la mesure où celui-cirépondait véritablement aux principales inquiétudesexprimées par le Sénat ».

Cette citation du député Philippe Goujon, rapporteurpour l’Assemblée nationale de la commission mixteparitaire, montre qu’il considère qu’une assembléeest subordonnée à une autre, qu’elle est subsidiaireen quelque sorte, ce qui est contraire à la lettre et àl’esprit de notre Constitution. Cette curieuse concep-tion réductrice, qui imposerait à la commission mixteparitaire de s’autocensurer pour rechercher unemajorité en son sein en vue de « proposer un textesur les dispositions restant en discussion », a conduitmon homologue de l’Assemblée nationale, le prési-dent Jean-Luc Warsmann, à parler de « majorité decirconstance » et de « dévoiement de la procédurede la CMP ». Si j’en crois les propos de son rappor-teur, de telles pensées ne l’auraient sans doute paseffleuré si la majorité de la commission mixte pari-taire avait été d’une autre sorte. On se croirait revenuau temps d’avant 1981, quand l’Assemblée nationalene désignait pour la représenter aux commissionsmixtes paritaires que des membres de sa majorité. Ortel n’est heureusement plus le cas, l’Assembléenationale ayant depuis cette époque rejoint le Sénatdans sa pratique et chaque assemblée respectant desproportions homothétiques pour sa composition.

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Ainsi Jean Gicquel peut-il indiquer : « Le principelogique est que la composition des commissionsmixtes paritaires reflète les rapports des forces poli-tiques ».

Tel fut bien le cas en l’espèce. Chacun était en placeet le vote de la commission mixte paritaire reflètebien les votes intervenus au cours de la navette.

Que l’Assemblée nationale ait rejeté le texte élaborépar la commission mixte paritaire, c’est bien sûr par-faitement constitutionnel et prévu à l’article 45. Celamontre à l’évidence que la Constitution attend desmembres de la commission mixte paritaire non pasqu’ils fournissent à tout coup un texte « adoptable »,mais bien qu’ils tentent de montrer à leurs assem-blées la voie d’un compromis, et que, en tout cas, ilest évidemment légitime que la commission mixteparitaire puisse adopter une position par un votemajoritaire en son sein. Convenez, mes chers col-lègues sénateurs – je m’adresse en fait à certains demes collègues députés… – que c’est la moindre deschoses dans une instance démocratique !

Il est donc scandaleux et totalement inacceptablequ’un député – en l’espèce M. Éric Ciotti – ait pu par-ler à l’Assemblée nationale, s’agissant de cette com-mission mixte paritaire, d’un « coup de force institu-tionnel ». Je dénonce avec la dernière énergie cepropos absurde et offensant pour celui qui a présidécette commission mixte paritaire.

Mes chers collègues, cette mise au point étant faite,je vais laisser la parole à Mme Virginie Klès, que jeremercie d’ailleurs chaleureusement d’avoir accepté,en ces circonstances, d’être rapporteur pour le Sénatde la commission mixte paritaire.

Lors de la très probable nouvelle lecture, nousretrouverons François Pillet, qui est toujours rappor-teur de la commission des lois et toujours pleinementd’accord, comme il me l’a confirmé hier, avec la posi-tion adoptée par le Sénat en deuxième lecture par340 voix contre 4 et retenue par la commission mixteparitaire.

Cette mise au point, vous l’avez compris, me tenait àcœur, car nous ne pouvons laisser sans réponse lespropos ineptes que je viens de rappeler. Quelles quesoient nos légitimes différences, je suis persuadé quenous serons unanimes pour déplorer et condamnerde telles déclarations.

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Monsieur leprésident,mo n s i e u r

le ministre, meschers collègues, jeremercie M. leprésident de la com-mission des lois durappel qu’il vient defaire concernant laprocédure applica-ble en cas de CMP.J’en viens main-tenant aux conclusions de la commission mixteparitaire sur la proposition de loi relative à la pro-tection de l’identité.

Le Gouvernement et les députés de la majoritégouvernementale ont la très ferme volonté, pourlutter contre l’usurpation d’identité, de créer unebase de données à lien fort, laquelle permettraitd’établir de façon univoque un lien entre, d’unepart, les empreintes digitales d’une personne ousa photographie et, d’autre part, son identité.

On ne peut que s’interroger sur les raisons d’unetelle obstination. Des intérêts majeurs, peut-êtreéconomiques, sont sans doute en jeu. Mais cettebase de données à lien univoque est d’uneampleur et d’une dangerosité telles qu’il meparaît primordial d’évaluer très précisément lesintérêts économiques en jeu en même temps queles risques, en dressant un rapport bénéfices-risques, ou contraintes-coûts.

Ce fichier concernera demain tous les Français, ycompris les enfants. Il semble donc importantd’expliquer la notion de lien fort ou de lien faibleavec des mots simples, que tout le monde peutcomprendre. Même moi, qui ne suis pas infor-maticienne, je les ai compris ! Que les spécialistesme pardonnent les quelques approximations unpeu grossières qui pourront apparaître au cours

de mon explication, mais celle-ci aura au moins lemérite d’être entendue par tous les Français. Lesinformaticiens que j’ai consultés sur le sujet m’ontd’ailleurs affirmé que l’image utilisée était assezproche de la réalité.

Chaque Français a deux pieds, que l’on habilled’une paire de chaussettes. Imaginons que chacunpuisse être identifié par sa paire de chaussettes.Sur une chaussette figurent son identité et sonnom, en somme, son identité biographique. Surl’autre est inscrite son identité biométrique.

Le rangement de cette paire peut se faire de deuxfaçons.

Ces deux chaussettes peuvent tout d’abord êtrerangées dans deux commodes différentes, reliéesl’une à l’autre par un seul fil, dont la loi garantitqu’il ne peut être tiré que dans un sens. Cela si-gnifie que l’on a juste le droit de vérifier que lachaussette présentée par M. Dupond correspondbien à l’autre chaussette, sur laquelle figure sonidentité biométrique.

Mais ces deux chaussettes peuvent aussi êtrerangées différemment – et c’est la solution quenous préconisons –, toutes les chaussettesdroites, comprenant l’identité biographique desindividus, étant regroupées dans un tiroir d’unecommode, tandis que toutes les chaussettesgauches, composant l’identité biométrique de cesmêmes individus, étant regroupées dans un tiroird’une autre commode. En ce cas, ce sont les tiroirsque l’on relie par un fil.

La présente proposition de loi prétend relier leschaussettes par un seul fil, qui ne puisse jamaisêtre tiré que dans un sens. Néanmoins, elleprévoit déjà des dérogations pour tirer le fil dansles deux sens ! Je ne suis donc pas du tout certaineque ce texte offre toutes les garanties juridiquesnécessaires.

Projet de lo i . . .

Protection de l’identitéCMPIntervention de Virginie KLES, rapporteure de la Commission mixte pari-

taire, sénatrice d’Ille-et-Vilaine, dans la discussion générale

(séance du jeudi 26 janvier 2012)

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Que le fil soit tiré entre deux tiroirs me semblepréférable. En ce cas, je suis sûre que l’on ne pour-ra pas, à partir de la chaussette gauche, remonterdirectement et sans aucun contrôle à la chaus-sette droite.

La solution que nous préconisons interdira, pré-tend-on, de remonter jusqu’aux fraudeursautrement qu’en faisant appel à cent policiers et àdix mille citoyens – c’est l’estimation approxima-tive utilisée par le ministre de l’intérieur –, qui necompteront pas leurs journées de travail pourapparier les paires de chaussettes en cas debesoin.

Ce n’est absolument pas vrai !

D’une part, les moyens informatiques dont on dis-pose aujourd'hui permettent facilement, en util-isant un système de tamis, de lier, en cas debesoin, une identité biographique à une identitébiométrique. Face à une personne qui allègue uneidentité, on dispose déjà d’un certain nombred’informations, qui permettent de faire le tri dansles chaussettes de l’autre tiroir. En effet, on con-naît son genre, sa taille approximative, la couleurde ses cheveux, par exemple, ce qui permet den’avoir plus que quelques identités biométriquesentre lesquelles il faut choisir pour vérifier que lapersonne est bien la bonne.

D’autre part, il ne faut pas oublier que la présenteproposition de loi comporte d’autres garantiescontribuant à lutter contre l’usurpation d’identitépar des fraudeurs. Elles résident notamment dansle contrôle de la délivrance des documents d’état-civil qui permettent l’établissement d’une cartenationale d’identité. Ces contrôles sont en effetrenforcés par la loi. Il y aura donc moins de tenta-tives de fraude.

Lors de la discussion de ce texte à l’Assembléenationale, le ministre de l’intérieur a lui-mêmereconnu que le système de base de données à lienfort ne permettra pas toujours de retrouver lefraudeur, lorsque celui-ci voudra se faire délivrerle titre d’identité d’une personne non encoreinscrite dans les bases. Cela dit, dans cinq ou dixans, tout le monde – même les enfants ! – seraenregistré.

Il ne m’a pas échappé que la détention de la cartenationale d’identité n’est pas légalement obliga-toire.

Mais dans la vie courante, elle l’est. Pour partir envoyage scolaire, au collège, nos enfants ont besoind’une carte nationale d’identité.

Puisque tout le monde figurera dans la base, latentation d’usurper l’identité de quelqu'un n’y fi-gurant pas sera rendue impossible, nous dit-on. Ils’agit, là encore, d’un faux argument, car, danscinq ou dix ans, soixante millions de Français, soi-xante millions de gens honnêtes, seront enre-gistrés dans les bases de données.

En face de cet outil extraordinairement puissant,et donc, de fait, extraordinairement dangereux,combien d’usurpations d’identité ? Je suis d’ac-cord avec vous, chère collègue. Mais on ne sait sicette souffrance frappe dix mille, quinze mille oudeux cent mille Français !

Cela étant, même avec les bases de données à lienfort, il sera encore possible d’usurper des iden-tités. Internet permet, par exemple, de se fairepasser pour quelqu'un d’autre, ou d’envoyer desmessages avec une identité usurpée. La souf-france ne peut donc être totalement exclue.

De plus, une utilisation frauduleuse du fichier créépermettra de fabriquer les preuves de la présenced’une personne en un endroit précis ou de faus-ses empreintes digitales. Dès lors, comment prou-ver votre innocence ? Quelle souffrance ces situ-ations pourraient-elles entraîner !

On prétend, en outre, que la base de données àlien fort entraîne un taux d’erreur de 0 %. Ce n’estpas vrai ! Là aussi, elle entraîne une souffranceimmense, parce que l’usurpation d’identité seraforcément perpétrée à des fins de délinquance oude malveillance. Avec la création de la base dedonnées à lien fort, la souffrance liée à desusurpations d’identité sera donc pire, ma chèrecollègue.

Elle sera pire, monsieur le ministre, parce qu’ilvous sera impossible de démontrer que vousn’étiez pas à l’endroit où l’on prétend que vousétiez : on peut fabriquer des empreintes digitaleset les laisser où l’on veut, car ce sont desempreintes traçantes.

La grande faiblesse de cette base de données àlien fort est qu’elle autorise la création de fichiersqui permettent de retracer l’histoire de ceuxqu’elle recense.

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Une fois l’outil créé, il sera à la disposition de ladélinquance, du grand banditisme, du terrorisme,voire à la disposition d’un gouvernement qui,demain, n’aura peut-être pas les mêmes scrupulesque ceux éprouvés par le gouvernement d’unedémocratie, dans laquelle nous vivons aujour-d'hui. Il s’agit donc d’une « véritable bombe àretardement », et l’expression figure dans le rap-port de notre collègue François Pillet, que l’on nepeut pourtant accuser d’être à gauche !

On prétend aussi que la base de données à lienfaible empêchera l’identification des cadavres oudes personnes désorientées, en cas de catastro-phe naturelle, par exemple. Pas du tout ! Cetteidentification sera rendue possible par le systèmede tamis que j’exposais tout à l’heure. Il suffira devoir la personne désorientée pour disposer surelle de nombreuses informations, qui permet-tront, à l’aide du tiroir contenant les donnéesbiométriques, de retrouver son identité.

L’identification de personnes désorientées ou decadavres sera aussi rendue possible par la consul-tation d’autres fichiers, qui permettront de se liv-rer à des recoupements, éventuellement souscontrôle judiciaire. On pourra toujours consulterle fichier des personnes recherchées pour retrou-ver l’identité d’une personne désorientée. Dans lecadre d’une enquête judiciaire ou du traitementde la délinquance, il sera également possible derecourir à des fichiers de délinquants. Un grandnombre de fichiers sont donc à disposition pourprocéder, dans un cadre judiciaire, à des recoupe-ments nécessaires, sans avoir besoin de base dedonnées à lien fort.

La Commission nationale de l’informatique et deslibertés, ou CNIL, et le Conseil d’État ont d’ailleursexprimé de fortes réticences sur ce fichier.

On nous rétorque que personne n’a mis en placede base de données à lien faible. Cela prouveraitque cette solution n’est pas valable, qu’elle posedes problèmes technologiques, et qu’elle n’est pasfiable.

Ce n’est pas vrai ! Cette base de données à lienfaible n’a pas été mise en œuvre parce que lebesoin n’en a pas été ressenti, et non pas parabsence de volonté. De plus, la mise en place decette base de données est non pas une affaire detechnologie, mais une question de mathéma-

tiques et d’informatique, son application étantpurement virtuelle et théorique. Pour que cettesolution marche, nul besoin de technologie. Denombreuses entreprises peuvent donc mettre aupoint les techniques informatiques et mathéma-tiques nécessaires à la mise en place d’une basede données à lien faible.

Très sincèrement, monsieur le ministre, un tauxd’erreur de 0 %, résultat selon vous de l’utilisationd’une base de données à lien fort, cela n’existepas ! De même, il est faux de prétendre que labase de données à lien fort ne présente aucunrisque : en effet, l’homme peut toujours défaire cequ’il a fait ! Quels que soient les systèmes infor-matiques que l’on met en place, quelles quesoient les protections qui les entourent, lepiratage existe. La base de données à lien fortpourra donc être piratée !

Les moyens de pirater un système informatique,de l’infecter par un virus, existent avant même saprotection. On le sait, les hackers et autres infor-maticiens de haut niveau ont toujours un train oudeux d’avance sur les pouvoirs réglementaires etsur les démocraties.

Il est donc erroné d’avancer que la base de don-nées à lien fort sera sûre à 100 %. En revanche, cetoutil sera extrêmement dangereux quand iltombera dans les mains du premier fraudeur !

Vous prétendez aussi, pour nous rassurer, que lalégislation, une fois en place, ne sera pas trans-gressée. C’est bien connu, personne ne trans-gresse les lois sur les fadettes ou les écoutes !Certes, sur un plan quantitatif, le phénomène serapeut-être marginal.

Même marginale, la situation sera exceptionnelle-ment difficile à accepter pour les personnes qui enseront victimes. Il a aussi été dit, pour rassurer leSénat, que la loi, qui met en place toutes les bar-rières nécessaires à la protection des données, nebougera pas. Mais, que je sache, la loi créant lefichier des empreintes génétiques a beaucoupévolué. Ainsi, sur ces trois aspects – un tauxd’erreur de 0 %, et donc l’absence de risque, latransgression impossible et l’immuabilité de la loi–, le Gouvernement fait preuve de l’angélismequ’il reproche souvent à la gauche de manifesterquand il s’agit de sécurité ou de délinquance,monsieur le ministre.

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Je peux continuer de parler, monsieur le ministre !Si vous n’écoutez pas, vous aurez du mal à merépondre !

Je ne peux donc pas croire que le Gouvernementfasse preuve d’un tel angélisme sur les trois pointsque je viens d’évoquer.

Vous me répondrez tout à l’heure, monsieur leministre, comme vous venez de le proposer.

Je n’ai pas envie de vivre une situation ressem-blant à ce que l’on voit dans La Vie des autres oudans Brazil. Ce scénario, aujourd'hui fictif, pour-rait demain être imaginé en France.

Pour toutes ces raisons, le Sénat, dans son infiniesagesse, reviendra, j’en suis sûre, à son texte ini-tial et à la base de données à lien faible, qui estsuffisante pour garantir la non-usurpation d’iden-tité et n’est pas dangereuse pour la vie privée desindividus.

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Monsieur leprésident,mo n s i e u r

le ministre, meschers collègues,bien des choses ontdéjà été dites etnous avons déjàdébattu de cettequestion en novem-bre dernier. Je réaf-firmerai certainsprincipes et cer-taines convictions du groupe socialiste, qui ont,jusqu’à présent, recueilli l’assentiment de lamajorité du Sénat.

La préoccupation de notre assemblée, lors desprécédentes lectures du texte, était d’assurer unbon équilibre entre la protection des libertés indi-viduelles et celle de l’identité. Il s’agissait, en par-ticulier, de garantir la protection contre l’usurpa-tion d’identité.

Le Gouvernement, à l’occasion de la mise en placedes cartes d’identité biométriques, souhaite créerun fichier à lien fort, ce qu’aucun autre pays n’aprévu de faire jusqu’à présent. Il s’agirait de con-stituer une base établissant un lien clair et précisentre, d’une part, l’identité des personnes, et,d’autre part, leurs empreintes biométriques.

Or ce type de fichier à lien fort peut conduire àd’énormes dérives. Une caméra de surveillance,des empreintes relevées par-ci par-là permettentde repérer les déplacements et de déterminer lesactivités de n’importe qui. Les libertés individu-elles sont donc, à l’évidence, menacées par cetype de fichier. C’est pourquoi le Sénat a proposéune voie médiane permettant d’éviter que la basede données ne devienne un fichier de police.

Soyons clairs, le lien faible protège parfaitementdes risques d’usurpation d’identité, puisqu’il per-met les détections de fraudes. Pourquoi aller au-delà, d’autant qu’établir un lien fort, aujourd’huipour lutter contre l’usurpation d’identité, demainpour protéger les citoyens d’autres délits, faitcourir à l’ensemble de la population un risque réelde fichage, ce dernier pouvant être détourné deson objectif initial ?

C’est la raison pour laquelle nous souhaitons lemaintien d’un lien faible. L’actualité judiciaire deces derniers mois, le détournement de certainsfichiers et l’usage abusif de certaines « fadettes »ont fait naître de larges soupçons au sein de lapopulation.

Un fichier à lien fort ne permettrait-il pas à ceuxqui y ont accès de menacer et d’attaquer les li-bertés individuelles ? Compte tenu de l’actualitédes derniers mois, des menaces, des usagesabusifs et des sérieux soupçons pesant sur la pro-tection des libertés individuelles, nous ne pou-vons accepter la proposition du Gouvernement.

Par ailleurs, la plupart des pays qui ont mis enplace dans l’espace Schengen des cartes d’identitébiométriques n’ont, pour ce faire, créé aucunfichier. Si nous voulons lutter efficacement contrel’usurpation d’identité au sein de la zoneSchengen, qui est un espace de libre circulation,

Nous ne pouvons agir seuls, entre Gaulois ! Nousdevons également convaincre l’ensemble de nospartenaires de l’utilité d’un tel fichier, lequel, jeme répète, ne peut être qu’à lien faible afin de nepas mettre en danger les libertés individuelles.Aller plus loin serait faire peser une menace pourles libertés individuelles en France. Vous ne réus-sirez jamais à convaincre nos partenaireseuropéens d’adopter ce type de protection pourlutter contre l’usurpation d’identité dans l’espaceSchengen.

Projet de lo i . . .

Protection de l’identitéCMPIntervention de Jean-Yves LECONTE, sénateur représentant les Français

établis hors de France, dans la discussion générale

(séance du jeudi 26 janvier 2012)

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La mise en place d’un fichier dans lequel fi-gureront tous ceux qui demandent une carted’identité, c'est-à-dire tous les Français, y comprisles enfants, risquerait, si ce répertoire étaitdétourné de sa finalité à l’occasion d’éventuellesévolutions législatives, de porter atteinte aux li-bertés individuelles, ce que nous ne pouvonsaccepter. De plus, ce fichier est inutile au regardde l’objectif que vous prétendez viser. Le lienfaible permet de protéger les victimes et de nousdoter d’un outil qui puisse convaincre nos parte-naires d’aller dans la même direction que nous.Ainsi, dans l’espace Schengen, nous pourrons lut-ter réellement et efficacement contre les usurpa-tions d’identité, tout en respectant les libertésindividuelles.

Monsieur le ministre, vous prétendez que lebrevet empêchera toute dérive. Permettez-moi devous faire remarquer que le lien faible n’est riend’autre qu’un concept permettant d’éviter laréversibilité totale entre l’identité d’une personneet ses empreintes biométriques. Il s’agit non pasd’un programme informatique ou d’un objet deconsommation, mais, tout comme le lien fort,d’un concept mathématique de gestion de fichiersque de nombreuses sociétés informatiques sontcapables de mettre en place. Un brevet ne peutprotéger un concept mathématique !

Nous tenons au principe de non-réversibilité com-plète entre l’identité et les empreintes d’une per-sonne. Je le répète, nous voulons nous doter d’unoutil qui nous permette de convaincre nos parte-naires de lutter contre l’usurpation d’identitédans l’ensemble de l’espace Schengen tout en pro-tégeant les libertés individuelles.

Nous ne sommes donc pas convaincus par votreidée de brevet. Dans ces conditions, le groupesocialiste restera fidèle aux votes précédents duSénat et restera sur la position qu’il avaitexprimée en novembre dernier.

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Monsieur leprés ident ,monsieur le

ministre, mes cherscollègues, il revientau Sénat d’examinerle texte résultant destravaux de la com-mission mixte pari-taire réunie, aprèsune lecture danschaque chambre, surle projet de loiorganique portant diverses dispositions relatives austatut de la magistrature.

À l’origine, ce texte avait pour seul objet d’appliqueraux magistrats l’accélération du calendrier dedéploiement de la réforme des retraites décidée parle Gouvernement à la fin de l’année dernière.

À plusieurs reprises, la majorité sénatoriale a mani-festé son désaccord avec les principes sur lesquelsrepose la réforme des retraites. Elle l’a notammentfait à l’occasion de l’examen de l’accélération du ca-lendrier de déploiement de cette réforme prévue parla loi de financement de la sécurité sociale, puis lorsde l’examen du présent texte.

Ce désaccord politique ayant été acté, et la loi definancement de la sécurité sociale promulguée, laquestion qui nous est aujourd'hui posée est celle del’alignement, pour la limite d’âge, du statut des ma-gistrats avec celui des autres agents publics, étantentendu que les autres dispositions de la réforme desretraites, qui relèvent de la loi ordinaire, s’appliquentd’ores et déjà aux intéressés.

À ce premier point de désaccord, le Gouvernementen a ajouté un second, puisqu’il a souhaité profiterde l’occasion que constituait ce projet de loiorganique pour y intégrer des dispositions quin’avaient rien à voir avec la réforme des retraites.

On ne peut que déplorer que ces mesures aient étépiochées arbitrairement dans un projet de loi plusample négocié avec les organisations syndicales etportant sur le statut de la magistrature et les conflitsd’intérêt, que le Gouvernement n’a pas jugé utiled’inscrire à l’ordre du jour parlementaire.

Toutefois, dans un esprit de responsabilité, tout enlaissant au Gouvernement le soin d’assumer le risqueconstitutionnel y afférent, le Sénat a adopté con-formes la plupart des dispositions du texte, quirépondaient à des difficultés avérées.

À l’issue de la première lecture du projet de loiorganique par chacune de nos chambres, les désac-cords entre nos deux assemblées se réduisaient àdeux points.

Tout d’abord, nous désapprouvons, par principe, laréforme des retraites, donc la disposition sur la limited’âge pour les magistrats de l’ordre judiciaire. Cedésaccord avait, d’une certaine manière, déjà étéacté par le vote de première lecture.

Ensuite, nous avons une divergence d’appréciationsur l’extension à douze ans de la durée pendantlaquelle un magistrat peut exercer la fonction demagistrat placé au cours de sa carrière.

Le Sénat a considéré qu’une telle évolution était dan-gereuse, ce qui nous a conduits à refuser d’autoriserqu’un même magistrat puisse exercer cette fonctionpendant douze années au cours de sa carrière.

Dans un esprit de responsabilité et en accord avec lerapporteur de l’Assemblée nationale, M. FrançoisVannson, j’ai proposé aux sénateurs de la commis-sion mixte paritaire d’accepter le maintien de l’ac-célération du calendrier de déploiement de laréforme des retraites aux magistrats, afin d’éviterl’extension à douze ans de la durée d’exercice maxi-male des fonctions de magistrat placé au cours d’unecarrière.

Projet de lo i . . .

Statut de la magistratureCMPIntervention de Jean-Yves LECONTE, rapporteur de la Commission mixte paritaire,

sénateur représentant les Français établis hors de France, dans la discussion générale

(séance du jeudi 26 janvier 2012)

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En effet, l’emploi de magistrat placé constitue uneatteinte au principe de l’inamovibilité des magistratsdu siège. Certes, un magistrat ne peut occuper cettefonction que s’il y consent. Cependant, une fois qu’ila accepté d’être placé auprès des juridictions d’unecour d’appel, il revient au seul chef de cour dedécider discrétionnairement de l’emploi de magistratqu’il occupera dans son ressort.

Cette « discrétionnalité » d’affectation se conciliemal, dans son principe, avec l’indépendance qui doitcaractériser la magistrature.

Bien sûr, le plus souvent, il s’agit pour le chef de courde répondre pragmatiquement à une vacance deposte pour congé ou à la suite d’une mutation.Toutefois, il arrive que les magistrats placés devien-nent un outil de gestion de la pénurie des emplois demagistrats : il en est ainsi lorsque, plutôt que d’af-fecter un magistrat de manière pérenne, le choix estfait de pourvoir le poste correspondant par une suc-cession de magistrats placés. Il en résulte une désor-ganisation du travail correspondant à cet emploi, quinuit à l’institution judiciaire comme aux justiciables.

Conscient de ces risques, le législateur organiqueavait, à l’origine, limité à six ans la durée d’affectationdans les fonctions de magistrat placé, ce que leConseil d’État a réaffirmé dans un arrêt récent. Ladirection des services judiciaires avait toutefoisretenu une lecture très souple de ce texte, qui l’a con-duite à proposer des affectations pour une duréeplus longue, découpée en séquences de six ans.

Le présent projet de loi organique visait à consacrercette lecture contestable des textes organiquesprécédents, en confirmant une extension à douze ansau cours d’une carrière de la durée possible d’exerci-ce de la fonction de magistrat placé. Néanmoins, lesréserves précédemment énoncées ont logiquementconduit les parlementaires de la commission mixteparitaire à refuser une telle extension.

Mes chers collègues, le texte qui vous est aujourd’huiprésenté renforce les limites auxquelles est soumisl’exercice des fonctions de magistrat placé etpréserve ainsi les garanties apportées à l’inamovibil-ité des magistrats. L’accord intervenu en CMP permetà chaque chambre du Parlement d’apporter sa con-tribution à l’élaboration de cette loi. Grâce à lui seraévitée l’extension d’un dispositif qui suscite parminous de très nombreuses réserves. Je vous invite parconséquent à adopter ce texte.

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Monsieur leprés ident ,monsieur le

ministre, mes cherscollègues, comme l’adéjà dit M. le rappor-teur, nous nous félici-tons de l’accordobtenu en commis-sion mixte paritaireet nous nous pronon-cerons en faveur dece texte. Toutefois,nous le voterons, sinon avec quelques réticences, dumoins avec quelques réserves. Je tiens tout d’abord àsouligner avec force que nous nous sommes toujoursopposés à la réforme des retraites. Ayant combattucette réforme générale, nous ne pouvions que refus-er sa déclinaison aux magistrats. Or tel est bien l’ob-jet de ce projet de loi organique.

Pourquoi veut-on étendre la réforme des retraitesaux magistrats ? Il suffit, pour répondre à cette ques-tion, de citer le Premier ministre : celui-ci déclarait, le7 novembre 2011, que le plan d’équilibre desfinances publiques devait permettre « de réduire plusrapidement le déficit des régimes d’assurance vieil-lesse et de sécuriser ainsi les pensions de retraites ».Vaste programme ! Toutefois, selon l’étude d’impactqui accompagne ce texte, il n’aboutit qu’à uneéconomie de 475 000 euros : force est de constater ladisproportion entre les objectifs et la réalité. Toutcela a été parfaitement expliqué, notamment parMme Nicole Borvo Cohen-Seat, et je n’y reviendraidonc pas.

Je tiens également à souligner un autre point, àsavoir les effets du recul de la limite d’âge applicableaux magistrats sur la bonne administration de la jus-tice. Ce recul aura nécessairement une conséquencesur la démographie judiciaire, car l’application de lanouvelle limite d’âge ralentira le déroulement descarrières.

Nous savons déjà, aujourd’hui, que la structure de lapyramide des âges du corps des magistrats se carac-térise par un « goulet d’étranglement » au sommetde la hiérarchie. Avec l’allongement des carrières, lespostes « hors hiérarchie » resteront occupés pluslongtemps et deviendront hors d’atteinte pour desmagistrats plus jeunes. Évidemment, nul ne souhaiteabréger la carrière des magistrats, mais il aurait éténécessaire de suspendre l’application mécanique dela réforme des retraites aux magistrats pour « per-mettre une certaine respiration du corps », selon l’ex-pression de notre collègue député DominiqueRaimbourg.

La suspension de cette réforme aurait été d’autantplus aisée que l’économie attendue est minime.Comme le rappelle l’Union syndicale des magistrats,compte tenu du taux de remplacement particulière-ment faible du corps judiciaire – aux alentours de50 % – le gain sera « probablement nul ».

Revenons-en aux conclusions de la commission mixteparitaire : si la disposition relative à l’âge de laretraite avait été la seule en discussion, comme dansle texte initial, aucun compromis n’aurait été possi-ble, je tiens à le réaffirmer avec force aprèsMme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le « Sénat degauche », si l’on me permet cette expression, auraitrejeté ce texte.

Comme l’a souligné notre rapporteur, il nous fautchoisir, si j’ose dire, « entre la peste et le choléra » :d’un côté, l’avancement de l’âge de la retraite, del’autre, des dispositions que nous considérionscomme tout à fait attentatoires à l’indépendance dela justice.

Sur la forme – même s’il s’agit d’une critique deprincipe, il faut toujours l’énoncer, car il y va de notretravail parlementaire –, je constate que nous noussommes accoutumés à la procédure accélérée, quiest devenue une mauvaise habitude, ainsi qu’àl’adjonction de cavaliers en cours de procédure.

Projet de lo i . . .

Statut de la magistratureCMPIntervention d’Alain ANZIANI, sénateur de la Gironde, dans la discussion générale

(séance du jeudi 26 janvier 2012)

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Dans le cas présent, monsieur le ministre, vousfaites le maximum : vous nous infligez en quelquesorte une double peine, avec une procédureaccélérée assortie de cavaliers !

La commission des lois de l’Assemblée nationaleavait « enrichi » le texte du projet de loi organiquede plusieurs amendements sans rapport avec sonobjet initial : les articles 2, 4, 5 et 6 relevaient decette catégorie. L’article 3, en revanche, issu d’unamendement de notre collègue René Dosièreadopté par la commission des lois de l’Assembléenationale, avait, quant à lui, été supprimé enséance publique.

Pour la plupart, ces amendements étaient issus duprojet de loi organique relatif au statut de la mag-istrature. Vous avez donc profité de la discussionparlementaire pour effectuer, en quelque sorte,un transfert. Pour ma part, je regrette que ce pro-jet de loi organique n’ait jamais été inscrit à l’or-dre du jour de nos assemblées.

Cette adjonction, ce que j’appelle ce transfert, aévidemment changé la nature du projet de loiorganique que nous examinons. Elle vous a aussipermis de renouer avec une très mauvaise habi-tude, à savoir soustraire ce texte à l’examen duConseil d’État. Celui-ci a donc été empêché dedonner son avis, qui nous aurait sans douteintéressés.

Au passage, vous avez procédé à une autre sous-traction, puisque vous avez évité la concertation.Il n’y a pas eu la moindre concertation avec lesorganisations syndicales des magistrats sur untexte qui les concerne au plus haut degré ! Et, làaussi, nous ne pouvons que le regretter.

Une autre critique précise concerne les magistrats« placés », dont M. Hyest, tout à l’heure, asouligné combien ils étaient nécessaires. Dans larédaction initiale, il était prévu d’étendre à douzeans, contre six ans aujourd’hui, la période pen-dant laquelle un magistrat pourrait, durant sa car-rière, être affecté à un emploi de magistrat placé.

Ces magistrats placés posent des difficultés. J’aibien écouté les arguments avancés par l’ancienprésident de la commission des lois, mais celui-cioublie tout de même un élément, à savoir que cedispositif porte atteinte au principe d’inamovibi-lité des magistrats du siège.

Or c’est là une règle sur laquelle nous ne devrionsabsolument pas transiger, me semble-t-il.

Il y a peut-être à ce système des nécessités tech-niques, mais il existe sans aucun doute des exi-gences juridiques, voire constitutionnelles, qu’ilnous faut respecter. Jean-Pierre Michel, qui nepeut aujourd’hui s’exprimer à cette tribune et quim’a chargé de l’en excuser auprès de vous, a rap-pelé, au cours de précédents débats, que leConseil d’État avait strictement encadré la duréed’exercice de ces magistrats placés, dits « magis-trats volants », ce qui est déjà tout un pro-gramme ! Je regrette donc que le Gouvernementait cherché à contourner cette jurisprudence.

Lors de la réunion de la commission mixte pari-taire, on nous a donné l’assurance que l’on nereviendrait pas sur la durée de placement de cesmagistrats. Monsieur le ministre, j’aimerais doncque vous nous confirmiez que le Gouvernementne tentera pas de revenir, d’une façon ou d’uneautre, sur la durée de placement de ces magistrats« volants ».

Je dirai également un mot sur les lacunes de cetexte. Puisque le Gouvernement a puisé dans leprojet de loi organique qui était en préparation, ilaurait pu se remémorer l’exposé des motifs de cetexte, qui se proposait « d’étendre à certains mag-istrats de l’ordre judiciaire le renforcement desobligations de transparence et la formalisation decertains des mécanismes de prévention des con-flits d’intérêt ».

Monsieur le ministre, puisque vous vouliez puiserà cette source, pourquoi ne pas avoir retenu cepoint ? Pourquoi lui avoir préféré d’autres élé-ments, alors qu’un tel volet aurait sans doute ététout à fait nécessaire en matière de déclarationd’intérêt pour les magistrats nommés à la Cour decassation, comme pour les conseillers et avocatsgénéraux qui y sont en service extraordinaire ?

La seule mesure qui, finalement, aurait pu se rap-procher de cet objectif était la proposition deRené Dosière, qui prévoyait que les magistratsjudiciaires ne puissent recevoir la Légion d’hon-neur ou l’Ordre national du mérite « pendant l’ex-ercice de leurs fonctions ou à ce titre ».

Cette suggestion a fait l’objet de nombreuxdébats.

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Sur le principe, on comprend le raisonnement deRené Dosière. Il s’agissait d’appliquer au troisièmepouvoir, à la justice, des contraintes qui sontimposées aux deux autres pouvoirs, notammentau Parlement. Sans doute cette discussion était-elle prématurée.

Monsieur le ministre, je voudrais terminer en évo-quant une autre question. Derrière cette histoirede médaille, en réalité, René Dosière nous parled’autre chose, à savoir de l’indépendance de lajustice. Tout à l’heure, mon collègue NicolasAlfonsi a évoqué ce point, sur lequel je voudraisrevenir.

Voilà quinze jours, j’ai interpellé M. le garde dessceaux sur la question de l’indépendance de lajustice, plus particulièrement sur le fait qu’ungrand nombre de magistrats du parquet – 126 pro-cureurs de la République sur 163 – ont adoptérécemment une résolution demandant, d’unepart, qu’on leur donne les moyens de travailler, et,d’autre part, que l’indépendance du parquet soitenfin garantie dans notre pays.

M. le garde des sceaux a bien voulu me répondrepour me dire : « Circulez, il n'y a rien à voir ». Iln’est pas là aujourd’hui, mais vous serez moninterprète auprès de lui pour lui transmettre cettequestion, monsieur le ministre, que je pose à nou-veau aujourd’hui, avec encore plus de force.

Nous venons de constater que le procureur deNanterre avait été mis en examen. Ce n’est pas unévénement d’une grande banalité dans uneRépublique ! Il a été mis en examen pour sonenquête, jugée illégale par la Cour de cassation,sur les sources des journalistes du Monde.

C’est là un fait qui, au regard de l’ordonnance de1958, constitue certainement une violation gravedes obligations d’un magistrat. Ainsi en a jugédéfinitivement la Cour de cassation.

Pourtant, le garde des sceaux ne bouge pas. Il amême annoncé qu’il ne saisirait pas le Conseilsupérieur de la magistrature ! Comment peut-il nepas le faire alors qu’une faute est avérée et recon-nue par la plus haute juridiction de notre pays ? Etcomment peut-il, parallèlement, saisir le Conseilsupérieur de la magistrature afin de poursuivreMme Prévost-Desprez, également magistrate àNanterre, pour une opinion qu’elle a exprimée

dans un livre au titre, certes, un peu dérangeantpour certains, Sarko m’a tuer ?

D’un côté, nous avons un comportement fautif quine donne pas lieu à saisine du Conseil supérieurde la magistrature, qui n’est pas sanctionné. Del’autre, nous avons une opinion qui, elle, fait l’ob-jet d’une menace de sanction. Sur ce point, nousaurions aimé entendre l’opinion du garde dessceaux !

Surtout, à la place de ce projet de loi organique,dont l’intérêt, s’il est réel, est tout de mêmerelatif, nous aurions préféré être enfin saisis dugrand texte sur l’indépendance du parquet quenous attendons !

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Monsieur leprés ident ,monsieur le

ministre, mes cherscollègues, quatre ansaprès la réforme desports maritimeshexagonaux, nousexaminons aujour-d’hui le projet deréforme des portsd’outre-mer relevantde l’État. La commis-sion de l’économie se réjouit à deux titres du dépôtde ce projet de loi par le Gouvernement.

D’une part, la commission se félicite que leGouvernement ait déposé un texte portant spéci-fiquement sur les outre-mer. Trop souvent en effet –nos collègues ultramarins l’ont dénoncé à de nom-breuses reprises –, la détermination des règles lé-gislatives applicables aux outre-mer est renvoyée àdes ordonnances, comme ce fut le cas dans le cadrede la loi de modernisation de l’agriculture et de lapêche.

D’autre part, la commission de l’économie salue l’u-tilisation par le Gouvernement, une fois n’est pascoutume, du premier alinéa de l’article 73 de laConstitution, qui autorise l’adaptation de la législa-tion nationale aux réalités des départements d’outre-mer. Trop souvent également, les dispositions législa-tives nationales votées par le Parlement sont inadap-tées aux réalités des outre-mer, comme l’avaitnotamment souligné en 2009 la mission d’informa-tion sénatoriale sur la situation des départementsd’outre-mer, présidée par Serge Larcher et dont lerapporteur était Éric Doligé.

Sur le fond, la commission de l’économie estime quela réforme des ports d’outre-mer telle qu’elle estprévue par l’article 1er du projet de loi constitue uneréforme importante pour les outre-mer, attendue

avec impatience par les acteurs locaux. Elle est rela-tivement consensuelle, comme vous l’avez soulignédans votre propos, monsieur le ministre.

Ce texte est essentiel pour nos départementsd’outre-mer, car le port constitue bien souvent, plusqu’une infrastructure, un « poumon économique »incontournable. Le rôle du port est bien plus impor-tant en outre-mer que dans l’Hexagone, où il a pour-tant déjà une place importante.

Le port constitue en effet le point quasiment uniqued’approvisionnement : dans les quatre départementsconcernés par le présent projet de loi, à savoir laGuadeloupe, la Guyane, la Martinique et La Réunion,plus de 95 % du fret transite par le port. De ce fait, ilest vital pour le bon fonctionnement de l’économiedes départements concernés que le port fonctionneen continu. Sa paralysie entraîne celle de l’ensemblede l’économie.

Je souhaite souligner ensuite que la réforme desports d’outre-mer relevant de l’État est aujourd’huiindispensable. Le fonctionnement de ces ports, etnotamment celui des trois ports d’intérêt nationalconcédés aux chambres de commerce et d’industrie,est plus que perfectible, comme l’a souligné un rap-port de 2009 cosigné par l’Inspection générale desfinances, l’Inspection générale de l’administration etle conseil général de l’environnement et dudéveloppement durable.

Les conclusions de ce rapport étaient particulière-ment sévères. Elles dénonçaient le caractère illisiblede l’organisation de ces ports, avec une directionbicéphale État-chambre de commerce. Ellespointaient un mauvais fonctionnement de la formulede la concession, les concessionnaires ayantrarement été à la hauteur. Ainsi, la trésorerie desports a parfois servi à financer la concession aéro-portuaire. Elles soulignaient également que l’État s’é-tait désintéressé de la gestion de ces ports, en n’as-surant aucun contrôle de l’activité des concession-

Projet de lo i . . .

Réforme des ports d’outre-mer

Intervention d’Odette HERVIAUX, rapporteure de la Commission de l’économie,

sénatrice du Morbihan, dans la discussion générale

(séance du jeudi 26 janvier 2012)

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naires. Par exemple, bien que la trésorerie des troisports concédés ait été excédentaire, l’État n’a jamaisimposé une baisse des tarifs portuaires ! Monsieur lemi-nistre, cette situation est incompréhensiblequand on connaît la sensibilité de la question des prixdans nos outre-mer. Dans ces conditions, le présentprojet de loi prévoit l’application aux départementsd’outre-mer de la réforme portuaire de 2008, sousréserve de quelques adaptations.

Ces départements sont en effet restés à l’écart de laréforme portuaire de 2008, comme ils l’avaient étéd’ailleurs de celle de 2004.

L’article 1er du projet de loi définit les modalités d’ap-plication des dispositions de 2008 aux futurs grandsports maritimes ultramarins que le Gouvernementcompte créer entre juillet 2012 et janvier 2013 – j’espère que vous nous confirmerez cette volonté,monsieur le ministre.

Je vous rappelle, mes chers collègues, que le texte de2008 prévoyait notamment la réforme de la gouver-nance des ports avec la mise en place d’un conseil desurveillance, d’un directoire et d’un conseil dedéveloppement, ainsi que l’élaboration d’un projetstratégique par chacun des ports.

La première adaptation prévue par l’article 1er portejustement sur la composition du conseil de surveil-lance : elle vise à accorder davantage de place auxacteurs locaux, notamment aux chambres de com-merce et d’industrie. Par ailleurs, cette compositionest adaptée à la situation locale : un siège de plus estainsi accordé aux collectivités territoriales en Guyaneet en Guadeloupe, c’est-à-dire aux territoires dont lesports sont situés sur plusieurs communes.

La seconde adaptation porte sur les outillages, dontla cession constituait une disposition phare de laréforme de 2008 : par dérogation aux règles applica-bles aux ports hexagonaux, les grands ports mar-itimes pourront, s’ils le souhaitent, acquérir etexploiter les outillages, éventuellement pour s’a-grandir, comme vous l’avez évoqué, monsieur le mi-nistre.

La commission de l’économie estime que la réformeprévue par le projet de loi constitue une avancéeimportante. Toutes les personnalités que j’ai audi-tionnées au cours de mes travaux ont affirmé leursoutien à la réforme, nombre d’entre elles estimantmême qu’il fallait qu’elle entre en vigueur le plus tôtpossible.

Les adaptations apportées à la réforme de 2008 sontbienvenues.

La modification de la composition du conseil desurveillance me paraît indispensable pour tenircompte des spécificités ultramarines : la surreprésen-tation des chambres de commerce et d’industrie estjustifiée par leur rôle essentiel en matière dedéveloppement économique outre-mer et par le faitque trois d’entre elles ont géré pendant plusieursdécennies ces ports.

En ce qui concerne les outillages, le dispositif prévuest également adapté à la réalité ultramarine :il s’agit non pas d’interdire le transfert des outillages,mais de permettre à chaque port ultramarin dedécider s’il les conserve. Cette question ne concerneen fait que les départements antillais. Il n’existe eneffet pas d’outillage en Guyane, tandis que PortRéunion a été en avance par rapport à l’Hexagone :avant même la réforme de 2008, les outillages yétaient opérés par les manutentionnaires. Dans lesAntilles, il me paraît préférable, à court terme, de nepas prévoir le transfert des outillages, notammentparce que la prédo-minance au sein des manuten-tionnaires du principal armement pourrait conduire àune situation mono-polistique.

La commission de l’économie soutient également lesdeux dispositions introduites dans le texte par lesdéputés.

D’une part, la désignation des personnalités quali-fiées amenées à siéger au sein du conseil de surveil-lance sera soumise à l’avis des collectivités territori-ales. Cette disposition permettra d’associer davan-tage les acteurs locaux à la gouvernance des ports.

D’autre part, un conseil de coordination interportu-aire est institué entre les trois ports guadeloupéen,guyanais et martiniquais. L’institution d’une telleinstance de concertation est indispensable à l’heureoù les deux ports antillais portent des projets quipourraient être concurrents.

La commission de l’économie a complété la semainedernière le projet de loi par deux dispositions qui neremettent en rien en cause l’équilibre du texte adop-

té par les députés. Ces deux dispositions portent surla question des prix, problématique particulièrementsensible dans les outre-mer et intimement liée à l’or-ganisation portuaire.

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Sur l’initiative de notre collègue Serge Larcher, lacommission a prévu que le conseil de développe-ment des futurs grands ports maritimes ultramarinscomprendra au moins un représentant des consom-mateurs. Dans les grands ports maritimes hexago-naux, seules les associations de protection de l’envi-ronnement représentent les milieux associatifs ausein de cette instance.

Pour ma part, j’ai proposé d’introduire dans le projetde loi un article 2 bis visant à consacrer l’existencedes observatoires des prix et des revenus existantdans les outre-mer, en prévoyant qu’ils assurent latransparence des coûts de passage portuaire.

Les amendements que nous examinerons tout àl’heure, déposés notamment par nos collègues ultra-marins et pour lesquels la commission a émis un avisfavorable, ne visent d’ailleurs pas à revenir sur lesgrands axes de la réforme. Ils permettent simplementde la compléter utilement.

Au-delà du bilan positif de cette réforme, je souhaiteprofiter de mon intervention pour appeler votreattention, monsieur le ministre, sur les attentes desacteurs locaux, et notamment des personnels.

Une fois le projet de loi définitivement adopté – nousœuvrerons pour que cela soit fait rapidement ! –, unenouvelle étape s’ouvrira avant la création effectivedes grands ports maritimes ultramarins. Cette étapesera notamment marquée, dans trois des quatreports concernés, par les discussions portant sur lesconditions du transfert des personnels des chambresde commerce et d’industrie et des services de l’Étatconcernés. Les personnels, qui soutiennent laréforme, sont légitimement inquiets des conditionsde ce transfert. Cette inquiétude s’explique en partiepar le fait qu’ils ne disposent pour le moment d’au-cun interlocuteur à même de répondre à leurs inter-rogations. Monsieur le ministre, il sera donc urgent,une fois la loi votée, que le Gouvernement nommedes préfigurateurs à même de prendre en chargecette période transitoire importante.

Monsieur le président, monsieur le ministre, meschers collègues, vous l’aurez compris, la commissionde l’économie soutient la réforme des ports d’outre-mer relevant de l’État, portée par l’article 1er duprésent projet de loi. Elle vous invite donc à voter letexte, modifié par les amendements sur lesquels elleaura émis un avis favorable.

Monsieur le ministre, vous l’aurez deviné, la commis-sion n’apporte pas le même soutien aux articles 3 à 8du projet de loi, qu’elle a supprimés – après de longsdébats – la semaine dernière et que leGouvernement nous propose de rétablir aujourd’hui.Ces articles visaient à mettre en œuvre – pour cinqd’entre eux, via le recours aux ordonnances – sixtextes européens portant sur des questions variées,telles que le transport routier ou l’aviation civile.

La commission de l’économie juge que les argumentsdéveloppés par le Gouvernement pour justifier laprésence de ces articles dans ce texte ne sont pasrecevables.

D’ailleurs, nous ne sommes pas les seuls à ne pas êtreconvaincus par ces arguments. Mes chers collègues,permettez-moi de vous lire un court extrait de la pre-mière page du rapport de notre collègue députéDaniel Fidelin, à qui je rends hommage pour la qua-lité de ses travaux : « [Le projet de loi] fait office de"voiture-balai". […] Une nouvelle fois, il est insup-portable de voir le Parlement être quasiment forcéde se dessaisir de ses compétences car leGouvernement n’a pas été en mesure de présentersuffisamment tôt les textes adéquats. »… « Sansdoute faudra-t-il qu’un jour nous décidions de refu-ser l’habilitation demandée par le Gouvernement,quitte à prendre le risque de voir la France con-damnée par la Cour de justice des communautéseuropéennes. »

Qui pourrait être plus clair ?

Les articles 3 à 8 du texte transmis par l’Assembléenationale et, par conséquent, les amendements quele Gouvernement a déposés pour les rétablir ne noussemblent donc pas acceptables. Tout d’abord, ilsn’ont strictement aucun lien avec la réforme desports d’outre-mer, à moins que M. le ministre neprenne comme argument que, puisqu’il y a des ports,il y a des bateaux, des camions également, certes.Admettez toutefois que ce raisonnement est quelquepeu tiré par les cheveux.

Ces dispositions témoignent selon moi d’une formed’irrespect à l’égard de nos outre-mer : alors qu’ils’agit du premier projet de loi en matière dedéveloppement économique spécifique à l’outre-merdepuis le vote, en 2009, de la LODEOM – la loi pourle développement économique des outre-mer –,pourquoi parasiter le débat avec de telles disposi-tions ?

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Monsieur le ministre, vous soulignez ensuite que lamise en œuvre de ces six textes européens – etnotamment la transposition des trois directives con-cernées – est urgente. Mais je vous le demande : quiest responsable de cette situation ?

Qui n’a pas présenté dans les temps de projet de loien en permettant la mise en œuvre ?

La commission de l’économie estime que ces articlesconstituent une nouvelle illustration des défaillancesen matière de mise en œuvre des textes européens.Monsieur le ministre, mes chers collègues, dois-jevous rappeler que, l’année dernière, en raison de cesmêmes défaillances, nos collègues Jean-PaulEmorine, Jean Bizet et Gérard Longuet avaient dûdéposer sur le bureau du Sénat une proposition deloi afin d’accélérer la mise en œuvre de plusieurstextes européens ?

Prenons un seul exemple : l’article 3 du texte adoptépar l’Assemblée nationale vise à permettre la trans-position d’une directive datant de 2002, dont latransposition devait intervenir avant le 23 mars 2009.Pourquoi ne pas avoir déposé dans les temps le pro-jet de loi visant à en permettre la transposition ?

L’urgence conduit le Gouvernement à effectuer unefois de plus un « chantage à l’amende » pour obligerle Parlement à accepter le recours aux ordonnances.Il est difficilement acceptable que le Gouvernementdemande au Parlement de se dessaisir de ses prérog-atives afin de réparer ses propres défaillances ! Il estencore moins acceptable que le Gouvernementreproche au Sénat son refus de valider une telle pra-tique.

Comme le disent nos collègues ultramarins, « sé kodyanm ki ka maré yanm » ce qui correspond à notreproverbe « Nul ne peut se prévaloir de ses propresturpitudes ».

Monsieur le ministre, je souhaite souligner que lerecours aux ordonnances pour transposer les textes

européens est une bien mauvaise habitude ; je penseque nous la déplorons tous. Je prendrai un seulexemple : la loi du 5 janvier 2011 portant diverses dis-positions d’adaptation de la législation au droit del’Union européenne – issue de la proposition de loi,déposée par nos collègues Bizet, Emorine et Longuet,que j’évoquais tout à l'heure – comprenait, sur20 articles, 7 articles d’habilitation visant à mettre enœuvre 12 directives et 9 règlements européens.

Au demeurant, un an plus tard, et malgré l’urgenceévoquée alors, toutes les ordonnances prévues n’ontpas encore été publiées…

La semaine dernière, lors de l’examen du texte encommission, les échanges ont été nourris sur cettequestion. Je regrette d'ailleurs qu’ils viennent para-siter le débat d’aujourd'hui, lequel devrait être con-centré sur l’avenir des ports de nos outre-mer… Entout état de cause, il me semble qu’un relatif con-sensus s’est dégagé en commission autour d’unconstat : la méthode de mise en œuvre des texteseuropéens est défaillante et associe bien insuffisam-ment le Parlement. En conséquence, la commission avoté, dans sa majorité, la suppression des articles 3à 8. Elle vous proposera de rejeter les amendementstendant à les rétablir qui seront présentés tout àl’heure par M. le ministre.

En conclusion, je souhaite remercier l’ensemble desmembres de la commission de l’économie, notam-ment M. Raoul, son président, de m’avoir désignéecomme rapporteur sur ce texte. Après avoir participél’année dernière aux travaux du groupe de travail surla réforme portuaire, institué par notre commissionet présidé par notre collègue Charles Revet, que jetiens à saluer, j’ai trouvé passionnant d’avoir puétudier de si près la mise en œuvre de la réforme de2008 dans nos outre-mer ; j’y ai pris beaucoup deplaisir.

Je souhaite également remercier tous nos collèguesdes départements d’outre-mer, que j’ai consultés àplusieurs reprises au cours de mes travaux et quim’ont été d’une aide très précieuse. J’espère quenotre assemblée adoptera à l’unanimité la réformedes ports d’outre-mer, tout en complétant surquelques points le texte issu de l’Assembléenationale. Elle marquera ainsi une fois de plus sonattachement à ces territoires ultramarins, qui,comme l’indiquait, en 2009, le rapport de la missioncommune d’information du Sénat sur la situation desdépartements d’outre-mer, représentent tout à lafois un « défi pour la République » et une véritable «chance pour la France ».

Monsieur le ministre, je ne peux bien entendupréjuger de la suite du débat, mais sachez que nousne chercherons pas à retarder indéfiniment l’adop-tion de ce texte ; nous veillerons bien évidemment àtrouver des solutions conformes aux intérêts des unset des autres.

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Monsieur lep r é s i d e n t ,monsieur le

ministre, mes chers col-lègues, nous exa-minonsaujourd’hui une ques-tion cruciale – ô combi-en ! – pour led é v e l o p p e m e n téconomique dela Guadeloupe, de laGuyane, de laMartinique et dela Réunion : l’avenir de leurs ports. Avant tout, jetiens à féliciter notre rapporteur, Mme Herviaux,pour son excellent travail.

Certes, le port est un poumon économique pourtoute région qui en dispose, qu’elle soit ultramarineou non. Mais, dans nos territoires, il constitue le seulvéritable point d’entrée et de sortie des marchandis-es, alors que les autres régions bénéficient égale-ment de la route et du rail. Autant dire que notre vieéconomique est organisée, je dirais même struc-turée, autour du port. C’est de lui et de lui seul quedépend notre capacité à exporter nos produits, ainsimalheureusement qu’à nous nourrir et à nouséquiper.

Dès lors que j’ai expliqué le caractère vital que revêtle port dans les territoires ultramarins en général eten Martinique en particulier, vous comprendrez queje porte un grand intérêt au présent projet de loi.Mon analyse à son égard est contrastée : je suisagacé par la forme, plutôt favorable au fond et inqui-et quant à sa mise en œuvre.

Sur la forme, mon agacement a plusieurs causes.S’agissant d’abord des délais, je ne comprends pasque ce projet de loi soit soumis à notre examen prèsde quatre ans après le vote de la loi du 4 juillet 2008portant réforme portuaire, qui organisait cetteréforme au niveau national. Qu’il ait fallu attendre silongtemps montre le peu de considération que le

Gouvernement porte à l’outre-mer, alors même queles ports de la Réunion, de la Martinique et de laGuadeloupe sont respectivement les troisième, cin-quième et sixième ports français pour le trafic desconteneurs, après Le Havre et Marseille.

Pis, en dépit des délais anormaux qui ont été néces-saires pour que la réforme portuaire soit adaptée auxterritoires ultramarins, le Gouvernement a présentéun projet de loi qui s’accompagnait d’une longuesérie d’habilitations destinées à lui permettre deprendre, par voie d’ordonnance, les dispositionsnécessaires à l’application de règlements et de direc-tives de l’Union européenne.

Autrement dit, on confisque au Parlement son pou-voir et on utilise la réforme des ports d’outre-mercomme véhicule législatif, véritable voiture-balai,pour prendre dans l’urgence des dispositions diver-ses et variées… C’est dire la considération que leGouvernement porte au travail parlementaire !

S’agissant du fond, le projet de loi est plutôt satis-faisant. Pour l’essentiel, il rationalise la gouvernancedes ports en adaptant aux situations ultramarines lesprincipales dispositions de la loi du 4 juillet 2008 por-tant réforme portuaire.

Reste qu’il est perfectible et que les parlementairesde l’outre-mer ont déposé quelques amendementsdans le but de l’améliorer. Sans présenter ici l’ensem-ble de leurs propositions, je veux insister sur troisd’entre elles qui me tiennent à cœur.

La première proposition consiste à établir un lienétroit entre cette réforme et le chantier, ouvert en2009, sur le coût de la vie en outre-mer. En effet, lessurcoûts supportés par les consommateurs de nospays ne peuvent pas être exclusivement imputés àl’octroi de mer, ainsi qu’à la voracité des grossistes etde la grande distribution. Une partie d’entre eux s’ex-plique par le port, qui est un maillon de la chaîned’importation.

Projet de lo i . . .

Réforme des ports d’outre-mer

Intervention de Serge LARCHER, sénateur de la Martinique, dans la discussiongénérale(séance du jeudi 26 janvier 2012)

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Aussi me semble-t-il important que le Gouvernementadosse à la présente réforme une étude relative auxsituations monopolistiques dans divers ports desrégions d’outre-mer.

En outre, alors que ces ports affichent un résultatexcédentaire, il n’a jamais été envisagé de réduire lestarifs portuaires. En outre-mer, la moyenne de cestarifs s’établit entre six et sept euros par tonne, con-tre un euro et cinquante centimes par tonne enmétropole…

Les deux autres propositions auxquelles je suisattaché sont étroitement liées à la première.

Afin de prendre en considération le problème dessurcoûts en toute transparence, il convient que lesconsommateurs soient étroitement et formellementassociés aux organes d’administration des nouveauxports. C’est pourquoi nous proposons qu’unreprésentant des consommateurs siège au conseil desurveillance de chaque port, de la même façon qu’untel représentant siégera au conseil de développe-ment, ainsi que l’a décidé la commission del’économie.

Peut-être m’opposera-t-on qu’il ne s’agit que d’uneloi d’adaptation, déposée en application de l’arti-cle 73 de la Constitution, et que ces propositionss’éloignent par trop du cadre national... Mais alorspourquoi avoir attendu plus de trois ans pourprocéder à cette adaptation, si l’on se contente dereproduire purement et simplement le dispositifnational ?

En fait, compte tenu de l’importance de l’enjeu, il eûtété plus pertinent que cette réforme fût l’occasiond’un véritable projet de loi de décentralisation : unprojet de loi qui dotât les ports d’une organisation àla mesure de ce qu’ils représentent pour les terri-toires ultramarins.

S’agissant enfin de la mise en œuvre de cetteréforme, je nourris quelques inquiétudes. La princi-pale porte sur les modalités du passage de témoinentre la chambre de commerce et d’industrie etl’État. À ce propos, deux questions me semblent par-ticulièrement importantes.

D’abord, les transferts de personnels devront avoirlieu de manière à ne laisser personne sur le carreauet à ne dégrader la situation sociale d’aucun agent.

Ensuite, les chambres de commerce devront béné-ficier d’une juste compensation des efforts qu’ellesont pu consentir. En effet, dans un contexte de criseéconomique et de l’emploi, il me sembleraitdéraisonnable de fragiliser financièrement les cham-bres de commerce, qui doivent continuer de remplirleur mission d’accompagnement des entreprises.

Pour conclure, je veux insister sur le fait que laréforme des ports d’outre-mer ne peut être qu’unesimple réforme à caractère administratif. Elle doitêtre accompagnée d’une réflexion de fond sur lesconditions de la croissance économique dans nosterritoires. C’est à cette condition qu’elle contribueravraiment au développement économique des outre-mer !

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Monsieur leprés ident ,monsieur le

ministre, mes cherscollègues, noussommes tous d’ac-cord pour recon-naître la nécessité dela réforme des portsd’outre-mer, mêmes’il faut regretter leretard avec lequelelle intervient parrapport à la réforme des ports de métropole. Celle-ci,en effet, a eu lieu en 2008, alors que le poids desports dans l’économie est plus important en outre-mer qu’en métropole…

Je veux d’abord saluer l’excellent travail de Mme lerapporteur, Odette Herviaux, concernant la suppres-sion de la série d’habilitations à légiférer par ordon-nance. Ces habilitations nous privaient, nous législa-teurs, de nos prérogatives.

Je la félicite également pour la consécration législa-tive des observatoires des prix et des revenus, ainsique pour l’adoption par la commission de l’économied’un amendement, déposé par Serge Larcher et moi-même et soutenu par plusieurs de nos collègues, ten-dant à permettre la présence d’un représentant desconsommateurs au sein du conseil de développe-ment.

Monsieur le ministre, lorsque le dépôt du projet deloi a été annoncé, je me suis d’abord réjoui : commele dit le proverbe, « mieux vaut tard que jamais » !Mais, très vite, mon enthousiasme a laissé place àune grande perplexité devant le peu d’ambition dutexte, la faible représentation des collectivités terri-toriales dans la gouvernance des ports, l’absence desolution pour l’indemnisation des chambres de com-merce et d’industrie à la suite de la rupture anticipéede leur contrat de concession, enfin le manque deprécision quant aux moyens mis à la disposition desfuturs grands ports maritimes d’outre-mer.

L’activité portuaire joue un rôle stratégique dans l’é-conomie ultramarine. En outre-mer, contrairement àla métropole, les ports sont la porte d’entrée et desortie quasi exclusive des marchandises : 95 % desproduits alimentaires, des ressources énergétiques etdes biens manufacturés transitent par eux.

Par exemple, le chiffre d’affaires du port de Fort-de-France s’est élevé en 2010 à plus de 19 millions d’eu-ros, pour un trafic de marchandises estimé à un peuplus de 3 millions de tonnes. Cette prééminence duport est devenue manifeste lorsqu’en février 2009, aucours du mouvement social contre la vie chère enoutre-mer, le blocage du port de la Martinique aentraîné la paralysie de l’économie locale dans sonensemble.

Le projet de loi n’est pas à la hauteur de ces revendi-cations sociales. En effet, il ne propose aucune véri-table solution au problème du coût de la vie, en par-ticulier à celui du prix des produits alimentaires,importés à 90 %. Pour remédier à ce problème, lanécessité se fait jour d’un arrière-pays dont ledéveloppement pourrait être encouragé, par exem-ple, par la création d’une zone franche d’activités.

Accolée aux ports, cette zone permettrait de pro-duire sur place, donc de créer des emplois – je rap-pelle que la Martinique compte aujourd’hui trente-cinq mille chômeurs. Elle favoriserait l’installation denouveaux investisseurs, ainsi que l’implantationd’unités de production et de logistique visant à créerun flux d’importation et d’exportation entre l’Europeet la zone Caraïbe. Elle permettrait l’émergence denouveaux emplois et de compétences spécialisées.Rien ne serait acquis, bien sûr, sans l’assurance d’uneadhésion financière et administrative de l’État et dela Commission européenne. C’est à ce prix et avec detelles solutions que l’on pourra influer sur lesemplois, les activités portuaires et le coût de la viedans les collectivités d’outre-mer.

Enfin, monsieur le ministre, je voudrais m’attardersur un aspect qui, alors qu’il est essentiel, ne mesemble pas être traité, dans la réforme, d’une

Projet de lo i . . .

Réforme des ports d’outre-mer

Intervention de Maurice ANTISTE, sénateur de la Martine, dans la discussion générale(séance du jeudi 26 janvier 2012)

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manière conforme aux enjeux de l’économie ultra-marine : je veux, bien sûr, parler de la gouvernancedes ports.

Je regrette que le projet de loi n’accorde qu’unefaible place aux collectivités territoriales dans la ges-tion des ports, car, contrairement à ce que j’ai pu lireici et là, une présence accrue de celles-ci au sein deces structures reviendrait non pas à priver l’État deses prérogatives, mais simplement à transcrire dansla loi la possibilité pour elles d’influer véritablementsur les orientations stratégiques du conseil desurveillance.

Cela est encore plus vrai au regard des importantesparticipations financières consenties par les collecti-vités et au rôle fondamental qu’elles ont joué etjouent encore dans le développement du secteurportuaire.

En effet, il est essentiel que les collectivités, que cesoient les communes où sont installés les ports, lescollectivités régionales ou les communautés de com-munes, puissent disposer d’un nombre de sièges leurpermettant d’exercer en pleine responsabilité leurscompétences de développeurs économiques, notam-ment en prenant l’initiative, avec le soutien de l’État,de la création d’une zone franche.

Ainsi, monsieur le ministre, tout en étant conscientsde l’urgente nécessité d’une évolution du statut desports tendant à les redynamiser à de les inscrire dansl’effort national, donnons réellement aux collectivitésterritoriales, et donc à la future collectivité unique,cette capacité d’agir, ne serait-ce qu’en considérationde leur importante participation financière. Nosports pourront alors devenir la porte ouverte à unenouvelle expérience de zone franche et dedéveloppement économique tourné vers la zone duCaricom.

Tout comme vous, nous savons qu’il s’agit dupoumon de notre économie, un poumon ouvert, sij’ose dire, sur la France et prochainement, nousl’espérons, sur nos amis de la Caraïbe, voire sur lemonde. Rappelons d’ailleurs l’ouverture programméepour 2014 de la troisième écluse du canal dePanama, qui devrait permettre aux ports d’outre-mer, à celui de Fort-de-France notamment, de densi-fier les flux de marchandises. C’est d’ailleurs aussidans cette optique que d’importants projets de mod-ernisation des installations ont lieu.

Pour conclure, je dirai que la gouvernance imaginéeme paraît singulièrement inachevée et qu’elle risquefort de s’apparenter à de l’agitation sympathique sinos amendements ne sont pas pris en compte.

Oui à un nouveau port ! Oui à une nouvelle gestiondes ports ! Mais oui aussi à une gestion collégialepermettant à chacun de donner son avis, à chaquepartenaire de trouver sa place ! Oui, donc, à unestructure nouvelle au sein de laquelle chacun pourrafaire entendre sa voix !

Et pourvu que l’outil nouveau serve à casser progres-sivement la caractéristique économique de nos pays,terre d’« import-import » ! Oui à un véritable import-export, nous intégrant enfin dans nos bassins géo-graphiques naturels !

Puisse ce projet de loi, amendé, être le coup d’envoid’une nouvelle conception de la notion d’échangecommercial et même de la notion d’échange toutcourt.

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Monsieur leprés ident ,monsieur le

ministre, mes cherscollègues, le présentprojet de loi visant àréformer les portsd’outre-mer s’impo-sait parce qu’il n’étaitpas concevable quela réforme de 2008relative aux grandsports maritimesfrançais ne prenne pas en considération les portsd’outre-mer, plus précisément ceux des départe-ments d’outre-mer, sachant que le port de LaRéunion est le troisième port français de conteneurset que ceux de Fort-de-France et de la Guadeloupesont respectivement les cinquième et sixième portsfrançais.

Véritables poumons économiques, car c’est par leurbiais que transitent l’ensemble des biens manufac-turés, les produits alimentaires, les ressourcesénergétiques, ils ne pouvaient donc être exclus d’uneréforme dont l’objectif est de donner aux ports lesmoyens de leurs ambitions en les modernisant, enaméliorant leur compétitivité et en simplifiant leurgouvernance.

Faut-il rappeler une fois de plus que 97 % des sur-faces maritimes françaises se trouvent dans lesoutre-mer et que, grâce aux outre-mer, la France estainsi la deuxième puissance maritime au monde ?

Aussi ce texte était-il très attendu et a-t-il recueilli,s’agissant des grands principes qu’il pose, un certainconsensus parmi tous les acteurs concernés, qu’ils’agisse des chambres de commerce et d’industrie,des collectivités territoriales, des syndicats.

La gouvernance modernisée des ports, l’accroisse-ment de leur compétitivité, le renforcement de leur

contribution au développement du territoire surlequel ils sont implantés étaient souhaité depuis trèslongtemps déjà par les différents partenaireséconomiques et politiques.

Le principe d’une loi d’adaptation prenant en consid-ération le contexte particulier de nos territoires estégalement positif et part d’une bonne intention.Malheureusement, monsieur le ministre, vous avezeu du mal à intégrer cette donnée dans votre texte,singulièrement pour ce qui concerne la Guyane. Leprojet de loi ne tient pas compte de la réalité géo-graphique particulière de ce territoire.

Même si le port principal de Guyane, celui deDégrad-des-Cannes, est le plus petit port maritime decommerce de France, il est néanmoins le point detransit d’environ 95 % du fret de Guyane, constituantainsi, si je puis dire, le cordon ombilical de notre ter-ritoire avec l’extérieur. Certes, ce port accuse une trèsfaible productivité, notamment du fait de la vétustéde ses équipements. L’amélioration de ses infrastruc-tures est donc un préalable à un réel désenclave-ment. De plus, certaines charges spécifiques – dra-gage continuel du chenal, frais de manutention – enfont l’un des ports le plus chers du monde.

Aussi, avant l’entrée en vigueur de ce texte, il importeque certains préalables soient levés.

La gouvernance de la structure doit être modifiée,par le biais d’une augmentation du nombre dereprésentants d’élus locaux, comme l’ont demandétous mes collègues ultramarins.

Une véritable concertation doit être établie, en vuede mieux définir les garanties statutaires des agentsde la place portuaire, notamment celles du gestion-naire.

Les modalités d’indemnisation de la ruptureanticipée de la concession avec la chambre de com-merce et d’industrie doivent être clarifiées.

Projet de lo i . . .

Réforme des ports d’outre-mer

Intervention de Georges PATIENT, sénateur de la Guyane, dans la discussion générale(séance du jeudi 26 janvier 2012)

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Le financement par l’État du coût du dragage du portde Dégrad-des-Cannes, opération qui représente unecharge de plus de 5 millions d’euros, doit être péren-nisé. Cette charge sera-t-elle intégrée par le nouvelétablissement public ?

Enfin, la création d’une zone franche, adossée auport, doit permettre le développement des filièresendogènes et de donner au port toute sa dimensionéconomique.

Pour ce qui concerne la Guyane, un autre élémentdoit être pris en compte, à savoir l’existence de deuxautres ports, celui de Pariacabo et le port fluvial del’Ouest, situé à 250 kilomètres de Dégrad-des-Cannes. L’enjeu du développement de ce dernier estparticulièrement important, car le potentiel de con-sommation et d’activité de l’ouest guyanais pèse d’unpoids grandissant en Guyane et nécessite des filièresd’approvisionnement renforcées. La population del’ouest de ce territoire, en forte croissance, dépasseracelle du reste du territoire d’ici à vingt ans. Il ne seraitdonc guère sensé de limiter le ravitaillement d’unaussi grand territoire à un seul point d’entrée, en l’oc-currence le port de Dégrad-des-Cannes.

Enfin, monsieur le ministre, quid des relations entreles ports de Guyane et les ports en eaux profondesdes pays voisins, notamment le Brésil, avec l’ouver-ture prochaine du pont de l’Oyapock et celui duSurinam ? Par ailleurs, le pétrole de Guyane transi-tera-t-il par un port guyanais ?

Je ne pourrais pas conclure mon intervention sanssaluer le travail de la commission, notamment de sonrapporteur, Mme Herviaux, qui a rendu un rapport detrès grande qualité et a modifié le texte de façon qu’ilprenne mieux en compte la réalité des ports d’outre-mer.

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Ma questions'adressait àM. le Premier

ministre. On le sait, lechef de l’État avait faitde la lutte contre lechômage le thèmed’action majeur de sonquinquennat. Or, auterme de ce dernier,on dénombre mal-heureusement un mil-lion de chômeurs deplus qu’en 2007… C’est là, madame Des Esgaulx, unrecord absolu depuis 1945 !

Nous ne nions pas l’ampleur de la crise, mais nousdénonçons le fait que les mesures prises aient tou-jours été contracycliques au regard de l’évolutiondramatique de la situation de l’emploi. Hier, lePremier ministre a enjoint aux membres duGouvernement de ne surtout pas dire que tout avaitété essayé. De fait, vous n’avez pas tout essayé,puisque les mesures décidées ces cinq dernièresannées, en particulier dans le cadre des différenteslois de finances, ont systématiquement joué contrel’emploi ! En cinq ans, vous avez démantelé notre sys-tème de protection de l’emploi ! Lors des derniersdébats budgétaires, je me suis élevé contre la réduc-tion des crédits alloués à la politique de l’emploi. Ilsont en effet baissé de 11 %, soit une diminution de1,4 milliard d’euros.

Madame Pécresse, vous avez soutenu hier que cettebaisse était seulement nominale. Or il n’en est rien !Le budget de 2012, malgré l’apport des crédits prévusau titre de la fin du plan de relance, est marqué parune réduction des moyens affectés aux missionslocales et aux maisons de l’emploi, ainsi que par desponctions sur les fonds paritaires, une diminution dunombre des contrats aidés et, quoi que vous endisiez, la poursuite d’une mise en œuvre drastique dela RGPP à Pôle Emploi…

Dans ces conditions, vous comprendrez, madame laministre, que nous jugions indigentes et inefficacesles mesures qui ont été annoncées, de façon quelquepeu cynique, le 18 janvier dernier.

En effet, le redéploiement de 480 millions d’euros decrédits n’est pas à la hauteur de l’enjeu. D’autres paysont mobilisé des moyens beaucoup plus importantspour remettre à niveau leurs services de l’emploi etaccompagner les chômeurs. Chez nous, plus leschômeurs sont nombreux, moins vous leur consacrezde moyens !

Les crédits destinés à la formation ont été mis à mal.Le chômage et l’endettement ont aujourd’hui atteintdes niveaux records, hélas ! Le chef de l’État a endet-té notre pays autant que tous ses prédécesseurs de laVe République réunis ! Madame Des Esgaulx, ce sontles classes moyennes et les chômeurs qui paient lespots cassés de la politique menée ces cinq dernièresannées !

Madame la ministre, pensez-vous que les mesuresannoncées le 18 janvier, avec un grand battage médi-atique, sont réellement de nature à inverser la ten-dance, à rendre espoir à nos compatriotes et àrestaurer une politique de l’emploi que vous avezmise à mal pendant cinq ans ?

Réponse de Mme Valérie Pécresse, ministre dubudget, des comptes publics et de la réforme del'État, porte-parole du Gouvernement.

Monsieur Patriat, nous avons en effet changé de siè-cle ! Il faut ouvrir les yeux sur le reste du monde !Nous traversons malheureusement une criseéconomique sans précédent, qui touche tous lespays. Vous seriez en droit d’imputer auGouvernement la responsabilité de l’augmentationde la dette et du chômage si les chiffres n’étaient passingulièrement meilleurs en France que chez nosvoisins !

Questions d’actualité...Politique de l’emploi

François PATRIAT, sénateur de la Côte d’Or

(séance du jeudi 26 janvier 2012)

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Monsieur Patriat, rétablissons la vérité des chiffres :selon l’OCDE, depuis le début de la crise, si le nombredes chômeurs a augmenté de 31 % en France – c’esténorme, je le reconnais –, il a progressé de 51 % auRoyaume-Uni, de 115 % en Espagne et, en moyenne,de 41 % dans l’Union européenne !

La hausse du chômage a donc été en France de dixpoints inférieure à la moyenne de l’Unioneuropéenne depuis le début de la crise.

Cela signifie peut-être que nous avons su prendre lesbonnes mesures pour endiguer cette hausse et met-tre en œuvre les réformes structurelles propres àsoutenir nos entreprises, qu’il s’agisse de la créationdu crédit d’impôt recherche, de la suppression de lataxe professionnelle ou de la réforme des universités.

Vous l’aurez compris, la stratégie du Gouvernement,c’est l’action ! Nous allons en parler, monsieur Néri !

Au cours du sommet social du 18 janvier dernier,nous avons pris toute une série de mesures. Je citerail’exonération totale de charges pour l’embauche d’unjeune par une très petite entreprise, applicable dèsmaintenant, l’assouplissement du dispositif de chô-mage partiel, qui permettra le maintien des salariésdans l’entreprise… Cette mesure entrera en vigueurdans les semaines qui viennent.

Monsieur Patriat, les propos que vous avez tenus surPôle emploi sont totalement erronés ! Depuis 2007et la fusion de l’ANPE et de l’UNEDIC, 5 000 agentssupplémentaires lui sont affectés, et nous lui enaccorderons encore 1 000 de plus cette année.

Monsieur Patriat, révisez vos chiffres !

Au-delà, pour améliorer la compétitivité de nosentreprises dans la concurrence mondiale, desréformes structurelles doivent être conduites, que jene retrouve pas dans le programme socialiste. C’estpourtant la seule façon de sauvegarder les emplois.Des accords de compétitivité doivent être conclus, ledialogue social doit être rénové, le coût du travaildoit être abaissé.

Monsieur Patriat, le programme de M. Hollandeprévoit une hausse des charges sociales afin definancer l’abandon de la réforme des retraites. Cesont les classes moyennes et les salariés quipaieront !

Bulletin du Groupe Socialiste du Sénat n° 10 page 95

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Je souhaite inter-peller M. le mi-nistre de la culture

et de la communica-tion sur une situationq u ’ a u c u n edémocratie ne devraitbanaliser. Nous assis-tons à une confusiondes genres absolue :le Gouvernementmène campagne aulieu de s’occuper desFrançais en cette période de crise. D'ailleurs, icimême, une représentante de l’UMP a tout à l'heureinterrogé le Gouvernement sur le programme deFrançois Hollande !

Le Président de la République parcourt le pays èsqualité pour présenter ses vœux aux Français. Or, aucours de ces cérémonies, qui constituent normale-ment un moment de concorde et de rassemblement,il ne manque jamais d’attaquer le candidat socia-liste ! Le président-candidat entend utiliser lesmoyens de l’État pour faire campagne ! Le summumsera atteint dimanche : les six principales chaînes detélévision seront mobilisées, à l’heure de plus grandeécoute, pour diffuser la parole présidentielle ! AucunFrançais ne pourra y échapper ! Jamais on n’avait vucela, sauf peut-être au temps de l’ORTF et de lachaîne unique…

Monsieur le ministre, trouvez-vous qu’une telle situ-ation de captation des moyens et de confusion desgenres soit saine dans une démocratie ?

Réponse de M. Frédéric Mitterrand, ministre dela culture et de la communication.

Monsieur Assouline, je voudrais faire une bonneaction en ce début d’année, en vous aidant à réparervotre téléviseur !

En effet, si vous aviez pu regarder la télévision cetautomne, vous n’auriez pas manqué un programmede téléréalité de longue haleine particulièrementréussi : les primaires socialistes !

Le suspense était prenant : qui serait admis à reveniren deuxième semaine ? Des millions de téléspecta-teurs n’ont pas eu d’autre choix que de suivre cettesorte de loft politique, diffusé sur toutes lesantennes. Je ne sache pas non plus que le formidableshow de la rock-star du Bourget ait pu échapper auxtéléspectateurs puisqu’il a été très largementretransmis.

Quand, dans une période de crise extrêmementgrave, le Président de la République souhaiteinformer les Français, il est légitime qu’il utilise tousles moyens de communication appropriés pour cefaire.

Je constate en outre, monsieur Assouline, que vousn’avez manifestement assisté à aucune cérémoniedes vœux du Président de la République. En effet,pour avoir participé à plusieurs d’entre elles, je puistémoigner qu’elles ont été d’une très grande éléva-tion et d’une très grande équanimité. Vos propos à cesujet sont donc tout à fait injustes !

Cela étant, je rappelle qu’il existe des règles très pré-cises et claires en matière de répartition des tempsde parole en période électorale. Elles répondent par-faitement aux préoccupations que vous avezexprimées d’une manière quelque peu polémique.

Les recommandations du Conseil supérieur de l’au-diovisuel relatives à l’élection présidentielle sontentrées en vigueur le 1er janvier dernier, pour unedurée de dix-huit semaines, c'est-à-dire jusqu’audimanche 16 mai, date de la publication par leConseil constitutionnel de la liste des candidats.L’équité dans la répartition des temps de parole etdes temps d’antenne sera assurée par les chaînes de

Questions d’actualité...Campagne électorale dans les médias

David ASSOULINE, sénateur de Paris

(séance du jeudi 26 janvier 2012)

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télévision, qui procèdent en s’appuyant sur un fais-ceau d’indices, tels que les résultats des précédentsscrutins, la notoriété ou les résultats de sondages. Dequoi parlez-vous ? Elles ne subissent aucune pres-sion !

Les chaînes mesurent les temps de parole et d’an-tenne des candidats et de leurs soutiens liés à l’actu-alité électorale. Dans ce cadre, les interventions duPrésident de la République sont évidemment com-ptabilisées, en fonction de leur sujet.

Les règles sont claires, elles s’appliqueront. Les pro-pos relevant du débat électoral seront imputés sur letemps de parole des candidats déclarés ou présumés.Il appartient aux chaînes, sous le contrôle du CSA, deveiller à l’équilibre des temps de parole entre les can-didats, selon ce principe d’équité.

Faites donc preuve d’un peu de modération et d’ob-jectivité, monsieur Assouline ! Ne vous inquiétezpas : les règles seront respectées. Ne réveillez pas, jevous en prie, ce vieux fantôme de la manipulationdes médias : au contact de la réalité, il s’évanouira !

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Ma questions'adresse àM. le mi-

nistre de la culture etde la communication. Demain, le conseild ’adm in i s t ra t i o nd ’ A u d i o v i s u e lextérieur de laFrance, AEF, se réuni-ra pour confirmer lafusion juridique entreRadio France interna-tionale, RFI, et France 24. Le 16 janvier, cette opéra-tion menée à marche forcée avait été suspendue parla cour d’appel de Paris pour irrégularité de procé-dure. Qu’à cela ne tienne, le Gouvernement a pro-mulgué ce matin même, en toute hâte, le cahier descharges de la fusion, et le présente en ce momentmême au comité d’entreprise.

La fusion, soutenue aveuglément parM. de Pouzilhac, premier dirigeant de l’audiovisuelpublic nommé par le Président de la République, seraréalisée, au mépris de son coût social et financier.Une subvention exceptionnelle de 45 millions d’eurosa ainsi été votée en décembre pour financer le démé-nagement de RFI dans un bâtiment qui n’accueilleramême pas les équipes de France 24, et le nouveauplan social, qui se traduira par la suppression de126 postes, s’ajoutant à celle de 206 postes déjàintervenue en 2009.

Quant au gain stratégique à attendre d’une fusionentre la troisième radio internationale et la toutejeune chaîne de télévision, il reste à démontrer !Depuis sa création il y a près de quatre ans, AEF nageen plein marasme : quasi-crise diplomatique avec lespartenaires francophones, climat social délétère etplus longue grève de l’histoire de l’audiovisuel public,gabegie financière et scandales à répétition, gouver-nance à la recherche d’une véritable lignestratégique…

Notre audiovisuel extérieur mérite beaucoup mieuxque cette casse sociale, cette dilapidation de l’argentpublic et cette terrible mise en péril d’un formidableoutil qui permet de porter haut la voix de la Francedans le monde.

Monsieur le ministre, quelles mesures comptez-vousprendre pour mettre un terme à ce gâchis et recon-sidérer la réforme de notre audiovisuel extérieur,dans le respect de tous : salariés, contribuables, audi-teurs et téléspectateurs ?

Réponse de M. Frédéric Mitterrand, ministre dela culture et de la communication.

Madame la sénatrice, je reconnais que France 24 aconnu des difficultés, même si vous les exagérez àloisir. Ces difficultés sont aujourd'hui derrière nous.L’impact de France 24 pendant les révolutions arabesen témoigne : elle est devenue une chaîne respectée,suivie et à l’évidence nécessaire.

Le fait que France 24 ait réussi le passage en versionarabe vingt-quatre heures sur vingt-quatre est égale-ment à porter à son crédit. Certes, il y a eu des pro-blèmes de gouvernance, mais ils sont désormaisréglés.

Quant à RFI, je ne vais pas rappeler les raisons pourlesquelles il était nécessaire d’engager une réformede cette chaîne. Son cadre général d’interventionétait obsolète. Par exemple, des programmes étaientdiffusés dans un certain nombre de langues très peuparlées et faisaient l’objet d’une forte concurrence.En revanche, certains pays, notamment en Afrique,étaient insuffisamment couverts par RFI, en dépitd’une demande considérable. Il fallait donc réformerl’entreprise en profondeur, pour lui redonner la forcenécessaire.

Questions d’actualité...Fusion entre France 24 et RFI

Claudine LEPAGE, sénatrice représentant les Français établis hors de France

(séance du jeudi 26 janvier 2012)

Bulletin du Groupe Socialiste du Sénat n° 10 page 98

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Dès lors que France 24 sortait de sa terrible crised’adolescence et que l’on refondait RFI, il était par-faitement logique que les deux entreprises se rap-prochent pour donner à l’ensemble de l’action audio-visuelle extérieure de la France une cohérence et unehomogénéité. Cela permettra de rassembler les ta-lents, de définir une ligne stratégique d’entreprise.Cette démarche me semble tout à fait normale !Dans cet esprit, il est en outre logique que RFI démé-nage pour se rapprocher de France 24.

S’agissant du problème de procédure que vous avezévoqué, il sera réglé aujourd'hui, en présence du per-sonnel de RFI. Le tribunal administratif avait invalidéun volet de la procédure sur quatre : AEF a mis sagouvernance en conformité avec cette décision dejustice.

Bulletin du Groupe Socialiste du Sénat n° 10 page 99

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La Commission mixte paritaire a adopté, ce jour, le texte amélioré et voté par le Sénat permettant que chaque11 novembre, jour anniversaire de l’armistice de 1918, soit rendu hommage à l’ensemble des « Morts pour laFrance ». Grâce à l’amendement du sénateur Alain NERI, soutenu par le groupe socialiste du Sénat, cet hom-mage ne se substituera pas pour autant aux autres journées de commémorations nationales.

Le 11 novembre, jour de « commémoration de la victoire et de la Paix » deviendra désormais aussi un jour demémoire pour l’ensemble des morts pour la France, qu’ils soient civils ou militaires, qu’ils aient péris dans desconflits actuels, anciens, ou au cours d’opérations extérieures. En modifiant le texte initial pour permettre quetoutes les cérémonies et journées d’hommage spécifiques soient maintenues, la majorité sénatoriale a veillé àque la mémoire ne s’efface pas.

Diffusion le 31 janvier 2012

COMMUNIQUE DE PRESSE

Bulletin du Groupe Socialiste du Sénat n° 10 page 100

La majorité sénatoriale améliore le projet de Loi sur le 11 novembre, journée d’hommage aux « Morts pour la France »

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Un certain nombre de citoyens, ainsi que l'association des familles laïques, ont émis des critiques contre la pro-position de loi de Mme Laborde, adoptée par le Sénat à une large majorité dans les termes que j'ai proposés entant que rapporteur.Trois règles nouvelles sont posées, applicables aux activités d'accueil de la petite enfance :

1. Lorsqu'une structure privée bénéficiant d'une aide financière publique ne se réclame pas explicitement d'uncaractère religieux, elle est tenue de respecter la neutralité religieuse dans son activité au contact de l'enfant ;2. Lorsqu'une structure privée bénéficiant d'une aide financière publique se prévaut explicitement d'uncaractère religieux, elle peut exprimer son engagement au contact de l'enfant ; mais elle est tenue d'accueillir lesenfants sans distinction de croyances et, si les parents l'ont demandé, de soustraire l'enfant aux rites et activitésreligieuses ;3. Même non bénéficiaire d'un financement public, une structure privée peut librement instaurer en son seinla neutralité religieuse et par suite demander à ses salariés de s'y conformer.

Les critiques s'étonnent de la possibilité de financer des crèches confessionnelles et de l'affirmation du respect deleur caractère propre, comme c'est déjà le cas pour les établissements scolaires privés.

On ne peut que leur rappeler que rien, dans notre droit, ne permet de refuser pour un motif religieux un finan-cement public à une crèche privée accomplissant les obligations légales définies pour l'accueil de la petite enfan-ce. La France est liée depuis des décennies par la Charte européenne des droits de l'homme qui reconnaît la libertéde culte et un tel refus serait jugé discriminatoire. Ajoutons que le financement public en pareil cas est strictementdestiné à l'activité d'accueil et d'éducation de l'enfant, sous le contrôle des pouvoirs publics. Ce financement neconsiste nullement à "salarier un culte" au sens de cette expression dans la loi de Séparation des églises et del'Etat.Quant au respect du" caractère propre" de l'établissement qui exprime clairement un engagement religieux, cen'est pas non plus une nouveauté. Cette obligation a été énoncée dans une décision du Conseil Constitutionnel du23 novembre 1977, sur la base du principe fondamental de liberté d’enseignement reconnu par les lois de laRépublique et de la liberté de conscience proclamée à l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et duCitoyen de 1789. Ces principes supérieurs s'imposent à toute nouvelle loi en la mati-ère qui, à défaut, seraitdéclarée non conforme à la Constitution et privée d'application. C’est la règle dans un Etat de droit.

Le texte que nous avons adopté a fondamentalement pour but de préserver de façon partagée la liberté deconscience des personnes intéressées. Il doit amener les structures privées en règle générale à respecter la neu-tralité, donc à garantir la liberté de conscience de toutes les familles qui s'adressent à elles ; et, lorsqu'il permetaux structures ayant un engagement religieux de l'exprimer dans l'activité éducative, c'est en ayant assuré la trans-parence de ce choix vis-à-vis des familles, qui ne leur confieront leur enfant qu'en toute connaissance de cause.

Des citoyens peuvent certes souhaiter que la laïcité française aille plus loin et exclue toute reconnaissance et toutfinancement d'activités éducatives à base religieuse. Mais on doit leur rappeler d’une part que ce n’est pas ce queprévoit la loi de Séparation du 9 décembre 1905 et d’autre part que, pour cela, il faudrait modifier la Déclarationdes Droits de l'Homme et du Citoyen et rompre notre engagement à l'égard de la Charte européenne des Droitsde l'Homme.

Alain RICHARDSénateur du Val d’Oise

Diffusion le 2 février 2012

COMMUNIQUE

Bulletin du Groupe Socialiste du Sénat n° 10 page 101

Proposition de loi sur la neutralité religieusedes structures éducatives de petite enfance

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Nicolas Sarkozy découvre à seulement 3 mois de l’élection présidentielle la réalité que subit la grande majo-rité des français à savoir l’explosion des prix de l’immobilier, qui est pourtant engagée depuis maintenant 10ans que la droite est au pouvoir.

Nombreux ont été ceux qui, à gauche comme chez les économistes, ont tiré la sonnette d’alarme en s’oppo-sant à chaque mesure de défiscalisation aveugle et inefficace proposée par Nicolas Sarkozy dans son pro-gramme, ou mise en œuvre au cours de son mandat.

Il était évident qu’à l’instar du système des miroirs de loyers existant en Allemagne, il fallait réguler la haussedes loyers lors des mises en location et des renouvellements de bail, afin qu’elle ne dépasse pas la moyennenormalement constatée.

Cette disposition, demandée par le Parti Socialiste et en particulier par Bertrand Delanoë, a été à systémati-quement refusée par Nicolas Sarkozy, son gouvernement et sa majorité parlementaire à chaque fois que lessocialistes l’on proposée.

Aujourd’hui, Nicolas Sarkozy découvre qu’il est « l’arroseur arrosé » et que c’est bien sa politique qui a causécette situation inacceptable de prix excessifs, de coût du logement qui explose et plombe le pouvoir d’achatdes français.

Dans le même moment et en dépit d’annonces mirobolantes, il apparait que le parc HLM n’a cru que de200 000 logements en 10 ans, soit une moyenne de 20 000 par an seulement. Une réalité qui se trouve à desannées lumières des 100 000 logements HLM financés dont s’est targuée chaque année la droite.Or l’insuffisantes construction de logement sociaux, et singulièrement ceux à loyers réellement modérés,constitue un élément de hausse des prix car la production de logement social HLM joue un rôle régulateur surl’ensemble de l’immobilier.

Comment s’étonner de cette situation lorsque l’on sait que le gouvernement n’a de cesse de baisser les aidesà la pierre et d’instaurer dans le budget de l’Etat et même d’instaurer des ponctions sur les organismes HLM ?Sarkozy ne convaincra pas les français à travers son annonce sur constructibilité ou la vente des terrains auxprix du marché aux promoteurs.

Encore moins s’agissant du prétendu effet à la baisse des coûts de construction qu’engendrerait la TVA ditesociale, alors qu’il a augmenté la TVA pour la construction et la rénovation des logements sociaux de 5,5 à 7%.On a vu aujourd’hui un candidat aux abois devant le bilan du Président de la République sortant.

Marie-Noëlle LienemannSénatrice de Paris

Diffusion le 2 février 2012

COMMUNIQUE

Bulletin du Groupe Socialiste du Sénat n° 10 page 102

Logement et prix de l’immobilier: Nicolas Sarkozydans le rôle de l’arroseur arrosé

Page 103: Les sénateurs socialistes...PPL n°3176 de Jérôme Bignon adoptée par l’Assemblée nationale Note après l’examen en commission Bulletin du Groupe Socialiste du Sénat n° 10

Le gouvernement, suite à un fait divers bouleversant, a présenté ce jour au Parlement un projet de loi de pro-grammation concernant la sécurité publique dans une procédure accélérée, aux multiples annonces, pour l’es-sentiel matérielles, mais sans financement suffisant. La majorité sénatoriale s’est appliquée à améliorer cetexte mais ne peut adhérer à un tel procédé.

A 82 jours de la fin de sa mandature, le gouvernement a proposé une loi de programmation alors que ce typede loi ne peut, décemment, dans une démocratie respectueuse des citoyens comme des élus, être proposéqu’en début de mandat pour s’installer dans le temps. Une loi organique nécessite la réalisation d’études quantà ses impacts, des propositions de moyens en rapport avec ses objectifs, et son élaboration se doit d’êtreaccompagnée de dialogue avec les professionnels concernés.

Le texte initial se focalisait essentiellement sur des investissements immobiliers, à partir de chiffrages tronquésquant aux besoins et aux coûts impliqués, et en utilisant sans aucune mesure le dispositif du Partenariat PublicPrivé. Ce dispositif, dit « PPP », dont aucune étude ne démontre qu'il permet de réaliser des économies consti-tue d'évidence le "crédit revolving" favori du gouvernement, peu soucieux de la dette laissée ainsi aux géné-rations futures.

Une fois de plus, le texte présenté révèle la méconnaissance totale du sujet par le gouvernement et son achar-nement aveugle à la mise en œuvre d’une politique sécuritaire à court terme et inefficace. La majorité séna-toriale s’est appliquée à le remplacer par un projet pénitentiaire revu intégralement.

Diffusion le 2 février 2012

COMMUNIQUE

Bulletin du Groupe Socialiste du Sénat n° 10 page 103

La majorité sénatoriale s’insurge contre le projet de loi de programmationsur l’exécution des peines présenté par le gouvernement

et le modifie profondément

Page 104: Les sénateurs socialistes...PPL n°3176 de Jérôme Bignon adoptée par l’Assemblée nationale Note après l’examen en commission Bulletin du Groupe Socialiste du Sénat n° 10

Au nom de la France, le président de la République a choisi d’engager, seul, notre pays dans le parcours incer-tain d’un traité dont les objectifs, la force juridique et les traductions au niveau nationaux même posent ques-tion.

Ni dans sa négociation, ni dans son processus d’élaboration, le Parlement français n’a été informé ou consultépour ce traité. Une fois de plus, ce texte est le résultat d’une vision purement intergouvernementale de laconstruction européenne. Il conduit les sénateurs de la majorité socialiste à poser clairement la question desa légitimité démocratique.

Alors que la place des parlements nationaux, comme celle du Parlement européen d’ailleurs, se trouve rédui-te à portion congrue dans le texte final du Pacte, il est urgent que les parlementaires défendent leurs droits.Une plus grande participation dans le cadre des procédures législatives et de contrôle européennes, et unecoopération politique accrue entre institutions représentatives permettra, demain, le renforcement d’uncontrat politique entre les nations d’Europe. La majorité sénatoriale lance un certain nombre de propositionsau niveau national et au niveau européen pour aller en ce sens.

Cette légitimité affirmée permettra d’engager, à l’échelle européenne, une politique économique, fiscale, etbudgétaire de croissance pour permettre à l’Europe de sortir réellement de la crise alors que le président dela République s’est contenté d’un texte dont les engagements ne sont guère plus contraignants que ceux quiexistaient déjà. Face à la dictature de l’urgence imposée par les marchés, les sénateurs socialistes souhaitentrépondre par l’urgence démocratique.

Simon SUTOUR, Sénateur du Gard

Diffusion le 2 février 2012

COMMUNIQUE

Bulletin du Groupe Socialiste du Sénat n° 10 page 104

Le Président de la République parcourt l’Europe,négocie au nom de la France,mais ne dit rien au Parlement

Page 105: Les sénateurs socialistes...PPL n°3176 de Jérôme Bignon adoptée par l’Assemblée nationale Note après l’examen en commission Bulletin du Groupe Socialiste du Sénat n° 10

Jeudi 2 février, la commission chargée de l’Education de l’Assemblée Nationale a adopté une proposition deloi UMP sur la formation des enseignants.

Cette proposition de loi prétend supprimer toutes les références aux IUFM encore présentes dans le Code del’Education et vise à promouvoir les officines privées et les instituts catholiques.

A moins de 3 mois de l’élection présidentielle, il faut croire que l’UMP a décidé de porter un coup fatal à laformation des enseignants.

Quand on connaît les difficultés dans lesquelles se retrouvent de jeunes enseignants placés face à des réalitésbrutales sans jamais avoir mis les pieds dans une classe, sans maîtriser les actes pédagogiques, on comprendla nécessité de lancer un débat constructif et de faire une remise à plat de la mastèrisation.

Contrairement à la précipitation des députés UMP, la majorité sénatoriale de gauche travaille sur le fond decette importante question. La commission de la Culture, de l’Education et de la Communication du Sénat amis en place une Mission pour la formation des enseignants.

De nombreuses auditions des parties prenantes à ce débat ont commencé. Elles se poursuivront pendant plu-sieurs semaines et permettront de faire des propositions sérieuses pour améliorer la formation des ensei-gnants et rétablir une attractivité que ce métier a aujourd’hui perdue.

Jacques-Bernard MAGNERSénateur du Puy-de-Dôme

Diffusion le 3 février 2012

COMMUNIQUE

Bulletin du Groupe Socialiste du Sénat n° 10 page 105

A moins de 3 mois de l’élection présidentielleune proposition de loi UMP porte un coup fatal au métier d’enseignant

Page 106: Les sénateurs socialistes...PPL n°3176 de Jérôme Bignon adoptée par l’Assemblée nationale Note après l’examen en commission Bulletin du Groupe Socialiste du Sénat n° 10

Les propos du Ministre de l’intérieur tenus Samedi devant l’UNI sont un pas de plus dans son escalade de lahaine et la stigmatisation de l’étranger.

Echec scolaire, délinquance, incapacité à s’intégrer, le florilège des déclarations accusatoires et mensongèrescontre les étrangers, émanant d’un Ministre de la République font honte à la France et aux Français.

Que les propos de Monsieur Guéant soit le reflet de ses opinions ou qu’ils soient dictés par sa volonté deséduire les électeurs du Front National, peu importe, le seul fait de les prononcer le rend indigne de la fonc-tion qu’il occupe.

Le discours du Président de la République à Dakar annonçait cette dérive de hiérarchisation des civilisations. Un pas de plus est franchi aujourd’hui.

Il est temps que la France tourne la page de ce quinquennat et renoue avec le respect des droits de l’Homme,et avec l’égalité et la fraternité universelles.

Diffusion le 5 février 2002

COMMUNIQUE de

François RebsamenSénateur Maire de Dijon

Président du Groupe socialiste du Sénat

Bulletin du Groupe Socialiste du Sénat n° 10 page 106

Réaction aux propos de Claude Guéant devant l’UNI

Page 107: Les sénateurs socialistes...PPL n°3176 de Jérôme Bignon adoptée par l’Assemblée nationale Note après l’examen en commission Bulletin du Groupe Socialiste du Sénat n° 10

Marie-Noëlle Lienemann affirme que la gauche française doit apporter son soutien et exprimer sa solidaritéavec le peuple grec, victime d’un nouveau plan de rigueur.

Ce énième plan, qui prévoit la réduction du salaire minimum et des coupes dans les retraites complémen-taires, provoque aujourd’hui à juste titre une grève générale dans le pays, qu’il s’agisse du public comme duprivé.

Elle réaffirme la nécessité absolue d’un pacte de croissance et d’emploi qui permette à la Grèce et à l’Europede sortir de la crise en cassant la spirale austéritaire dans laquelle ses dirigeants actuels l’ont plongée.

Elle juge indispensable de mobiliser les peuples et les citoyens pour refuser le nouveau traité européen et exi-ger de fait une renégociation.

La gauche française doit fédérer les forces progressistes autour d’une voie nouvelle pour l’Europe en mettanten avant des propositions concrètes en faveur des couches populaires de l’Europe entière, qu’il s’agisse de laconvergence des salaires minimums vers le haut ou de la création d’eurobonds pour relancer l’investissementet la croissance.

La construction d’une alternative au couple austéritaire Merkel-Sarkozy sera dès lors plus forte en ce que larenégociation du traité dépend d’un nouveau rapport de force politique et social.

Marie-Noëlle LienemannSénatrice de Paris

Diffusion le 7 février 2012

COMMUNIQUE

Bulletin du Groupe Socialiste du Sénat n° 10 page 107

La gauche doit être solidaire du peuple grec, victimede l’impasse austéritaire du couple Merkel-Sarkozy

Page 108: Les sénateurs socialistes...PPL n°3176 de Jérôme Bignon adoptée par l’Assemblée nationale Note après l’examen en commission Bulletin du Groupe Socialiste du Sénat n° 10

Bulletin du Groupe socialiste du Sénatavec la participation des collaborateurs du groupe

Coordination : Marie d’OUINCE

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Reprographie : Sénat


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