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L'obligation juridique dans le monde de l'après guerre froide

Date post: 11-Jul-2015
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M. le Juge Mohamed Bennouna L'obligation juridique dans le monde de l'après-guerre froide In: Annuaire français de droit international, volume 39, 1993. pp. 41-52. Citer ce document / Cite this document : Bennouna Mohamed. L'obligation juridique dans le monde de l'après-guerre froide. In: Annuaire français de droit international, volume 39, 1993. pp. 41-52. doi : 10.3406/afdi.1993.3119 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/afdi_0066-3085_1993_num_39_1_3119
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M. le Juge Mohamed Bennouna

L'obligation juridique dans le monde de l'après-guerre froideIn: Annuaire français de droit international, volume 39, 1993. pp. 41-52.

Citer ce document / Cite this document :

Bennouna Mohamed. L'obligation juridique dans le monde de l'après-guerre froide. In: Annuaire français de droit international,volume 39, 1993. pp. 41-52.

doi : 10.3406/afdi.1993.3119

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/afdi_0066-3085_1993_num_39_1_3119

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ANNUAIRE FRANÇAIS DE DROIT INTERNATIONAL XXXIX - 1993 - Editions du CNRS, Paris

L'OBLIGATION JURIDIQUE DANS LE MONDE DE L'APRÈS-GUERRE FROIDE

Mohamed BENNOUNA

« La bibliothèque est illimitée et périodique. S'il y avait un voyageur éternel pour la traverser dans un sens quelconque, les siècles finiraient par lui apprendre que les mêmes volumes se répètent toujours dans le même désordre, qui répété deviendrait un ordre, « L'Ordre ».

J.L. Borges, «La bibliothèque de Babel», Fictions, Gallimard, 1957

Dans la grande mutation qu'a subie le monde bipolaire à la fin de la dernière décennie avec l'écroulement de l'Union soviétique, et ce qu'il faut bien appeler le triomphe sans partage de l'autre superpuissance, les Etats- Unis d'Amérique, et du système qu'ils incarnent, certains ont vu un renouveau sans précédent du droit international auréolé par la naissance d'un « nouvel ordre international » et conforté par la renaissance des Nations Unies dont la charte, dans sa virginité originelle de 1945, serait enfin pleinement mise en œuvre. Et s'il fallait une illustration lumineuse de ce nouvel état de choses, comme le ferait une hypothèse d'école ou une expérience en laboratoire, la guerre du Golfe, au début de cette décennie, a démontré comment la communauté internationale rénovée pouvait réagir face à une agression, on ne peut plus caractérisée. « Le nouvel ordre » gagnait ainsi ses titres de noblesse et le Droit international, paré d'efficacité et de certitude, s'était trouvé des défenseurs, par-delà la doctrine timorée, au sein même des grands de ce monde.

Pourtant passée la fête ponctuée par les retrouvailles au sein du Conseil de sécurité, la chute du mur de Berlin et le règlement de tout le reliquat des contentieux régionaux de la guerre froide, Afghanistan, Namibie, Nicaragua, Cambodge, etc., la morosité et l'inquiétude sont revenues de plus belle, les feux des guerres civiles s'allument jusqu'au centre de l'Europe, l'Afrique sombre dans une crise endémique, les micronationalismes et les inté- grismes de toutes sortes sont menaçants, enfin même les riches se plaignent d'une économie déprimée. Il est vrai que la prépondérance des Etats-Unis ne signifie nullement que ce pays va assumer le rôle de gendarme omnipré-

(*) Mohamed Bennouna, Professeur agrégé des Facultés de Droit, Membre de la Commission de Droit international des Nations Unies.

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sent, dans la mesure où son action extérieure sera fonction de l'analyse de ses propres intérêts concernés, que le syndrome vietnamien opère toujours dans la conscience des dirigeants et qu'une certaine priorité est accordée désormais aux problèmes économiques et sociaux. Ainsi que le relève G. Par- mentier : « l'une des caractéristiques du système international d'aujourd'hui réside précisément dans l'incertitude devant laquelle se trouve le reste du monde quant aux intentions de la plus grande puissance » (1).

Comme on pouvait s'en douter, le nouvel ordre n'est pas synonyme d'harmonie universelle. Certes, la puissance militaire et économique, ainsi que la production idéologique sont désormais concentrées entre les mêmes mains, mais les sociétés connaissent par contre une accélération des mouvements centrifuges qui ne sont plus pondérés par un équilibre des pouvoirs, un système de poids et de contrepoids au niveau mondial. Dans la sphère des vivants, l'ordre et le désordre entretiennent incontestablement une relation dialectique. La liberté est d'une certaine façon l'expression de leur coexistence. En revanche, la recherche de l'ordre absolu, exclusif, revient à courtiser la mort, ainsi que cela ressort clairement de l'expérience des régimes totalitaires et fascistes.

Un auteur a reconnu avoir été «frappé par l'espèce de parallèle entre certains points de l'ordre du jour du Conseil de sécurité et certains points de l'ordre du jour du G7 (groupe des pays industrialisés) » (2). Bien entendu, l'homogénéité au niveau des structures politiques dominantes n'est pas nouvelle. Sans remonter aux empires, qu'il nous suffise d'évoquer le temps de la Sainte Alliance où la coutume était censée produire des obligations adéquates et en harmonie avec un monde réconcilié avec lui-même. En 1988, Roberto Ago nous décrivait une situation où le Droit international était débarrassé des méfiances qui ont prévalu à partir des années soixante avec l'avènement des Etats nouveaux, ajoutant qu'il ne voit plus la nécessité « de provoquer un changement radical » (par voie de codification), et qu'il ne fallait pas « vouloir modifier outre mesure l'équilibre si justement réalisé par l'Histoire entre un droit de formation spontanée et celui de formation volontaire » (3).

En réalité, les pays du Tiers-monde ont échoué dans leurs revendications d'un nouvel ordre économique international faute de disposer d'un pouvoir en conséquence. La codification évoquée par l'éminent juge a concerné essentiellement le droit formel ou procédural, sans que la substance de ce qu'il a été convenu d'appeler les relations Nord-Sud ait été réellement affectée. Les pays en question ont perdu désormais la petite marge de manœuvre dont ils disposaient à la faveur de la compétition entre les deux grandes puissances. Quant aux appréhensions de jadis contre la formation accélérée de la norme coutumière au sein des organisations internationales de caractère universel, elles ne seraient plus de mise puisque la « majorité automatique » a changé de camp (4).

(1) Le retour de l'histoire - stratégie et relations internationales pendant et après la guerre froide, éditions Complexe, Bruxelles, 1993.

(2) M.C. Smoots : « Le Conseil de sécurité » in Aspects du système des Nations Unies dans le cadre de l'idée d'un nouvel ordre mondial, éditions Pedone, Paris, 1992, p. 67.

(3) « Nouvelles réflexions sur la codification du droit international », RGDIP, 1988, n° 3, p. 574.

(4) J. Charney : « Universal international law », AJIL, 1993, n° 4, p. 548. L'auteur se réfère aux appréhensions de P. Weil dans « Vers une normativité relative en droit international », RGDIP, 1982, p. 5-47.

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Tout pouvoir cherche à établir un ordre qui lui sert simultanément de rempart pour la défense de ses intérêts essentiels et de source de légitimation. Sur le plan international, il y a de surcroît une distorsion permanente entre la proclamation de l'égalité en droit des Etats souverains et la profonde disparité de leur puissance et de leurs moyens. L'obligation juridique fondée sur le consentement des sujets de droit, quelles que soient par ailleurs ses modalités d'expression, trouve là ses limites. Leur évaluation, dans un monde oligarchique, nous conduira à examiner successivement l'impact de l'ordre (I) et l'impact du pouvoir (II).

I. - L'IMPACT DE L'ORDRE

Dans ses deux acceptions, qui se retrouvent d'ailleurs dans le langage courant, l'ordre se réfère d'une part à la règle du jeu suprême qui lie tous les acteurs et, d'autre part, au respect de cette règle, soit « le maintien de l'ordre » et l'organisation d'une sécurité pour tous.

Ainsi dans une première acception, l'ordre se confond avec la suprématie du Droit (l'Etat de Droit). Toute action est appréciée, « légitimée » par rapport à des normes fondamentales qui lient tous les partenaires sociaux. Il s'agirait en Droit interne des principes constitutionnels ou de ce que les philosophes des XVIIe et xvme siècles ont qualifié de « contrat social ». Cependant, sur le plan international, on en est encore de ce point de vue aux balbutiements. Les principes fondamentaux qui seraient hors de portée des sujets souverains sont encore frappés de grandes incertitudes quant à leur élaboration, leur portée et leur sanction. Les Etats développent certes des relations pacifiques dans un cadre juridique global, et l'ordre serait dans ce cas le fondement même de ce type de relations (A).

Dans une seconde acception, l'ordre se confond avec le dispositif destiné à maintenir les rapports étatiques dans un cadre pacifique ou, en d'autres termes, avec la garantie de leur sécurité. Il s'agit essentiellement, depuis l'avènement de la charte des Nations Unies, des normes contenues dans son chapitre VII.

Mais les Etats ont la prétention, sur le plan international, à s'occuper de leur propre sécurité et de celle de l'ensemble de la communauté internationale, dans l'exercice d'une sorte de dédoublement fonctionnel, pour reprendre l'expression de Georges Scelle. Les normes de sécurité collective sont donc soumises aux tensions propres à la structure des Etats (B).

A) L'ORDRE ET LES RELATIONS INTERÉTATIQUES

L'ordre rejoint ici le débat sur la légitimité, en ce sens qu'il constitue le principe fondateur du droit international, qui justifie l'adhésion de ses sujets et le respect des obligations qui en découlent. La condamnation du colonialisme et de toutes ses justifications, y compris la « mission sacrée de civilisation », ainsi que les progrès de l'anthropologie, ont permis de considérer la diversité et la relativité des cultures et des civilisations comme le principe fondateur des relations internationales. En ce domaine, il n'existe ni hiérarchie, ni vocation d'un système culturel à s'imposer à l'ensemble de la planète.

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Cela n'empêche bien entendu ni le dialogue, ni les influences réciproques qui se sont développées sous l'effet des progrès sans précédent des techniques de la communication. Cette ouverture a entraîné l'émergence aux côtés de la diversité et de la relativité, de facteurs d'unité qui prennent en considération l'homme en tant qu'individu, ou l'Humanité en tant que collectivité globale.

L'Etat demeurant l'entité de base, le respect de sa souveraineté ne va pas sans celui des droits de la personne humaine, y compris ceux des minorités ethniques linguistiques et religieuses qui coexistent en son sein. L'équilibre entre ces exigences est assuré pour l'instant par l'interdiction du recours à la force « contre l'intégrité territoriale et l'indépendance politique de tout Etat » (article 2 & 4 de la Charte des Nations Unies).

L'interaction des cultures subit de plein fouet l'évolution du rapport de forces, et il n'est pas surprenant qu'on assiste de nos jours à la tentation d'exporter et d'étendre, éventuellement par la contrainte, le système de valeurs dominant sous couvert « d'amitié et leadership » (5). Que signifie donc au niveau international « la légitimité démocratique », et quelles sont les limites de la protection de la personne humaine ?

1) La légitimité démocratique

Selon R.J. Dupuy, « on assiste aujourd'hui à un renversement des tendances au sein des Nations Unies. L'émergence au premier plan du Conseil de sécurité se double du rejet de la règle du libre choix par l'Etat de son régime politique, économique et social au profit de la démocratie libérale fondée sur les droits de l'Homme et les libertés fondamentales » (6).

Comment en est-on arrivé aussi rapidement à un renversement du principe de légitimité alors que la Cour internationale de Justice affirmait encore en 1986 : « Quelle que soit la définition que l'on donne du régime du Nicaragua, l'adhésion d'un Etat à une doctrine particulière ne constitue pas une violation du droit international coutumier. Conclure autrement reviendrait à priver de son sens le principe fondamental de la souveraineté des Etats sur lequel repose tout le droit international et la liberté qu'un Etat a de choisir son système politique social et culturel » (7).

La Cour s'en tient là à la réaffirmation de l'aspect interne du principe d'autodétermination tel qu'il découle de la Charte et des grandes déclarations des Nations Unies, dont la philosophie demeure le cantonnement du débat, sur le mode de gouvernement, à l'intérieur des frontières étatiques et en- dehors de toute contrainte extérieure. Seuls les régimes nazi et fasciste ont fait l'objet d'une condamnation ferme de la part de l'Organisation universelle (résolution 36/162 de l'Assemblée générale, le 14 décembre 1981).

En réalité si on ne peut que se féliciter des progrès de l'idée de démocratie dans le monde, dans le sens d'une participation des peuples à la gestion de leurs affaires, reconnue d'ailleurs dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et le Pacte sur les droits civils et politiques, on ne doit

(5) Déclaration de G. Bush à l'Assemblée générale des Nations Unies le 25 septembre 1991. Voir P. Herman : « Le monde selon Bush : genèse du nouvel ordre mondial » in Le droit international à l'épreuve, éditions Complexe, Bruxelles, 1993.

(6) « Concept de démocratie et action des Nations Unies », Bulletin du centre d'information des Nations Unies, décembre 1993, n° 7-8, p. 61.

(7) Affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c/Etats-Unis d'Amérique), Arrêt, fond du 27 juin 1986, Rec. p. 133.

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pas perdre de vue que chaque société élabore son expérience historique à son rythme avec des erreurs, des hésitations et des adaptations progressives. Il n'existe pas en la matière de normes ou de critère universels, et encore moins un droit des puissances extérieures ou d'un pouvoir hégémonique de les apprécier et d'imposer leur respect.

Il y a eu certes, du temps de la guerre froide et des zones d'influence, une prétention des organisations régionales concernées de garantir l'homogénéité idéologique de leurs membres, mais il était évident que l'action de ces institutions (hors le cas du chapitre VIII de la Charte) ne pouvait faire exception à certains principes fondamentaux tels que le non-recours à la force et la libre détermination. Invoquant une conception de « la souveraineté populaire par opposition à la souveraineté de l'Etat », M. Reisman estime que celle-ci peut être violée aussi bien par une force « indigène » qu'extérieure et que, dans le premier cas, une invasion, pour renverser un « caudillo » et installer le gouvernement élu, est légale (8).

Ces spéculations doivent être replacées, comme l'a fait O. Schachter, dans leur véritable contexte, celui des interventions américaines à Grenade (1983) et à Panama (1989), et des justifications qui s'en sont suivies; sans compter que les valeurs démocratiques en question ne sont défendues que là où la grande puissance estime ses intérêts en cause (9). Quoi qu'il en soit, l'idée d'une conformité des régimes politiques à un modèle universellement reconnu n'a fait son entrée dans les instances des Nations Unies qu'à la faveur de la renonciation de l'Union soviétique à son rôle de superpuissance. Et encore, ce fut sous l'angle de la tenue d'élections libres (inscription depuis 1988 à l'ordre du jour de l'Assemblée générale d'un point intitulé : « renforcement de l'efficacité du principe d'élections périodiques et honnêtes »). Mais les résolutions adoptées sont loin d'être consensuelles et certaines mettent l'accent sur la spécificité des processus électoraux selon les pays concernés (10). A l'examen de ces textes, « il est donc difficile de conclure, selon P. Klein, sur l'enracinement d'un droit effectif aux élections libres dans le droit international » (11).

D'autre part le pluralisme, auquel il est fait appel, peut-il se limiter à la sphère du pouvoir alors qu'il n'est que l'expression d'une diversité plus large à tous les niveaux de la vie sociale, intellectuelle, professionnelle, sexuelle, etc. ? Certaines expériences récentes de plaquage par le haut d'élections disputées, alors que la société, à la base, restait cloisonnée, enserrée dans un étau, ont malheureusement conduit à des échecs. Enfin, qu'en est-il lorsque l'urne génère des forces dont l'ambition proclamée est de la saccager définitivement ?

Il est incontestable que le temps historique est différent d'une société à l'autre. On ne peut donc les couler dans le même moule, à moins de consacrer un ordre impérial qui serait en charge de le faire. T. Franck semble avoir évacué de ses analyses les aspects culturels et historiques, tout en mettant l'accent sur les critères, dans l'abstrait, de la légitimité, à partir d'une communauté internationale mythique (12).

(8) « Sovereignty and human rights in contemporary international law » AJIL, 1990, p. 871- 872.

(9) « Is there a right to overthrow an illegitimate regime ? », Mélanges Michel Virally, éditions Pedone, 1991, p. 423-430.

(10) Voir les résolutions 45/150 et 45/151 du 18 décembre 1990. (11) «Le droit aux élections libres en droit international : mythes et réalités» in le Droit

international à l'épreuve, op. cité p. 112. (12) « The emerging right to democratic governance », AJIL, 1992, p. 46-91.

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La démocratisation des relations internationales ne va pas sans le respect des modèles culturels distincts d'une société à l'autre; mais ceci n'empêche pas certaines valeurs communes d'accéder à l'universalité et d'être consacrées par le Droit international général.

2) La protection des droits fondamentaux de la personne humaine

L'ordre international est indissociable du respect des droits de la personne humaine. Ainsi que l'a rappelé RM. Dupuy, « cette conviction irradie en réalité toute la Charte des Nations Unies », et relève de « la dimension structurelle de la paix internationale » (13). La Déclaration universelle des droits de l'Homme s'en est fait d'ailleurs l'écho de manière explicite : « toute personne a droit à ce que règne, sur le plan social et sur le plan international, un ordre tel que les droits et libertés énoncés dans la présente déclaration puissent y trouver plein effet » (article 28).

Il fallait donc déterminer les voies et moyens de leur effectivité, dans le monde des souverainetés, et dégager un « noyau dur » en tant que socle de l'ordre international.

Deux approches ont été tentées simultanément; la première consiste en la mise en forme de ces droits dans le cadre de traités multilatéraux généraux, en précisant ceux d'entre eux auxquels on ne peut déroger en aucune circonstance (14); la seconde sera de les élever dans la hiérarchie des normes, en consacrant leur caractère impératif. A ce propos, le pas décisif a été accompli par la Cour internationale de Justice lorsqu'elle a considéré, à l'occasion de l'affaire de la Barcelona Traction en 1970, « les principes et les règles concernant les droits fondamentaux de la personne humaine » comme « les obligations des Etats envers la communauté internationale dans son ensemble » (erga omnes). Il en découle que « tous les Etats peuvent être considérés comme ayant un intérêt juridique « à ce que ces droits soient protégés » (15).

Alors que la Cour ouvrait une voie de recours pour régler un différend né d'une obligation qui pèse sur tous les sujets de Droit dans la mesure où elle constitue l'un des piliers de l'ordre international, l'Institut de Droit international, lors de la session de St-Jacques de Compostelle en 1989, a estimé le moment opportun pour des initiatives unilatérales destinées à faire pression sur l'Etat fautif tout en les assortissant de conditions restrictives (16).

S'il est admis que les droits de l'Homme ne rentrent pas dans la catégorie des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale des Etats, au sens de l'article 2 § 7 de la Charte des Nations Unies, il n'en de-

(13) « Sécurité collective et organisation de la paix », RGDIP, 1993, 3, p. 623. (14) J. Dhommeaux : « De l'universalité du droit international des droits de l'homme : du pac-

turn ferendum au pactum latum », AFDI, 1989, p. 399-423. (15) Arrêt du 5 février 1970, CIJ Rec, 1970, p. 32. (16) Article 5 de la résolution du 13 décembre 1989 (adoptée sur rapport du Pr. Sperduti :

« protection des droits de l'homme et principe de non-intervention ») : « Toute mesure individuelle ou collective destinée à assurer la protection des droits de l'homme répondra aux conditions suivantes : - Sauf en cas d'extrême urgence, l'Etat auteur de la violation aura été en demeure de la faire cesser ; - La mesure sera proportionnée à la gravité de la violation; - Elle sera limitée à l'Etat auteur de la violation; - l'Etat qui y recourt tiendra compte des intérêts des particuliers et des Etats tiers, ainsi que de l'incidence de la mesure sur le niveau de vie des populations concernées. » Annuaire de l'IDI, 1990, vol. 63 II, p. 287.

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meure pas moins que les contremesures envisagées soulèvent toute la question de l'inégalité des moyens entre les Etats et de la subjectivité de leur appréciation des situations en cause. Et cette préoccupation est encore plus nette dans le monde de l'après-guerre froide. La simple mise en demeure adressée à l'Etat auteur de la violation (présumée) ne suffit pas, il faut encore qu'un organe de contrôle et/ou de règlement soit à même de se prononcer sur ce comportement, et/ou sur la légalité de la contre-mesure. Autrement, on aboutirait à des situations où certaines puissances ainsi que les organisations qui les regroupent (telle que l'Union européenne) peuvent être amenées, selon le cas, à suspendre accords de coopération et d'assistance économique au gré d'intérêts d'ordre géopolitique, sans que le souci des droits de l'Homme se traduise par les mêmes réactions selon les pays concernés.

En somme, l'intérêt moral et juridique de tous les Etats au respect des droits fondamentaux de la personne humaine est bien établi. Mais leur permettre d'adopter des représailles non armées, en se soustrayant à leurs engagements internationaux, reviendrait à légitimer les prérogatives de quelques puissances dans la grande majorité des ordres internes en question. Seul un renforcement des structures de contrôle des organisations universelles et des procédures de règlement des différends permettront de contenir les contre-mesures éventuelles dans un cadre compatible avec la suprématie du Droit.

Certes, « la pierre angulaire de l'édifice est et doit demeurer l'Etat et le respect de sa souveraineté et de son intégrité », mais celle-ci, comme l'a souligné également le Secrétaire général des Nations Unies dans son agenda pour la paix, doit se concilier avec la protection des droits des « minorités qu'elles soient ethniques, religieuses, sociales ou linguistiques » (New York, juin 1992). Ce dernier aspect peut être considéré comme l'une des faiblesses majeures de l'ordre international (17), marquant en conséquence les limites des instruments de la sécurité collective, ainsi que cela ressort clairement du drame dont l'ex- Yougoslavie est le théâtre.

B) L'ORDRE ET LA SÉCURITÉ COLLECTIVE

L'ordre est atteint, en l'occurrence, par l'exercice collectif de certaines prérogatives relevant traditionnellement de la souveraineté de chacun, en matière de recours à la force contre d'autres Etats, quel que soit le mobile, à l'exception de la légitime défense (18). Dans un tel schéma, l'Organisation universelle se substitue aux Etats pris individuellement dans une action destinée à neutraliser un agresseur actuel ou potentiel (menace). Poussant cette logique jusqu'à son terme, le chapitre VII de la Charte avait prévu la mise à disposition du Conseil de sécurité, assisté d'un comité d'état-major, de contingents nationaux de forces aériennes.

L'alliance politique des cinq membres permanents du Conseil se serait appuyée ainsi sur une véritable armée internationale placée sous le même commandement, pour faire régner l'ordre. On sait que la réalité de l'opposition des blocs a gelé ce dispositif et entraîné la mise au point d'autres formes

(17) Voir la déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques (Assemblée générale de l'ONU, résolution 47/135) et le commentaire d'Omanga Bokatola, RGDIP, 1993, 3, p. 746-765.

(18) Article 51 de la Charte des Nations Unies.

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d'action plus adaptées (forces d'urgence, opérations de maintien de la paix). M. Boutros Ghali, secrétaire général de l'après-guerre froide, a cru le moment venu de proposer dans son « agenda pour la paix » (31 janvier 1992) un retour au schéma initial de la Charte, en le complétant par « des unités d'imposition de la paix », créées en tant que « mesure provisoire au sens de l'article 40 de la Charte » et destinées, en cas de besoin, « à rétablir un cessez-le-feu et à le maintenir ». A l'unité retrouvée du directoire international devrait correspondre une puissance de frappe et une stratégie communes. Les décisions adoptées, dans ce cadre, s'imposent à l'ensemble des Etats membres et créent même des obligations qui prévalent sur toutes celles qu'ils auraient contractées en vertu de tout autre accord international (article 103 de la Charte). Encore convient-il que le Conseil s'en tienne aux compétences qui lui ont été dévolues par le traité constitutif et, sur le plan politique, qu'il soit réellement représentatif de la société des Etats. C'est à cette condition que ses décisions et les obligations qui en découlent peuvent être considérées comme légitimes par les destinataires.

Le débat sur la composition du Conseil, et surtout sur la qualité de membre permanent, est déjà largement ouvert; certaines candidatures devront être prises sérieusement en considération, celles notamment du Japon et de l'Allemagne qui figurent parmi les premiers contributeurs au budget de l'Organisation.

D'autre part, le Conseil a tendance à se fonder sur le chapitre VII de la Charte pour légiférer sur les questions les plus diverses qui vont de l'obligation faite à un Etat d'extrader ses propres nationaux, à la création d'un tribunal pénal international en passant par la démarcation définitive de la frontière entre deux pays membres (19). Cet organe peut certes recommander une procédure de règlement pacifique d'un différend opposant deux Etats membres, au titre du chapitre VI de la Charte, mais il n'est aucunement habilité à décider d'autorité à son sujet, surtout lorsqu'une convention internationale prévoit expressément la compétence de la Cour internationale de Justice en cas de litige (20).

N'étant pas tenu de motiver ses décisions et échappant à un contrôle de légalité, le Conseil ou les puissances qui en constituent le noyau, concentre ainsi entre ses mains des prérogatives exorbitantes, que ne tempère en rien l'opinion qui pourrait s'exprimer à l'Assemblée générale. D'ailleurs, dans le monde de l'après-guerre froide, les pressions sont telles que peu de pays membres, à l'intérieur ou en-dehors du Conseil, s'aventureraient à contester sérieusement les obligations imposées par le directoire des puissances, sans craindre des retombées négatives à tous les niveaux de leur situation socio- économique.

Le traitement est d'abord approprié au décideur avant de l'être à la crise en question. Comment expliquer autrement l'attitude observée dans la guerre qui fait rage dans l'ex- Yougoslavie et où les bosniaques musulmans sont

(19) Résolution 748 du 31 mars 1992 (demandes des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France concernant les attentats perpétrés contre les vols de la Pan American et de l'Union des transports aériens).

Résolution 808 du 22 février et résolution 827 du 25 mai 1993 créant un tribunal international chargé de juger les violations du droit humanitaire dans l'ex- Yougoslavie.

Résolution 833 du 27 mai 1993 entérinant les travaux de la commission de démarcation des frontières entre l'Irak et le Koweit, instituée par le Conseil.

(20) C'est le cas de la Convention pour la répression d'actes dirigés contre la sécurité de l'aviation civile (Montréal, 23 septembre 1971).

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confrontés à une opération de génocide ? La dernière péripétie, en février 1994, de l'ultimatum pour dégager Sarajevo, est révélatrice du fonctionnement réel de la sécurité collective. Contrairement aux dispositions du chapitre VIII de la Charte, c'est l'Organisation régionale qui dicte la marche à suivre à l'Organisation universelle.

La sécurité collective ainsi comprise ne serait que la poursuite de l'entreprise de « gestion difficile du désordre », ainsi que le souligne M. Bertrand qui plaide inlassablement pour une autre conception, non strictement militaire, et destinée à s'attaquer aux causes des catastrophes prévisibles. En effet, « ce sont les situations de misère, d'exclusion, de désespoir, qui poussent les populations, en quête d'une vie décente, de dignité, de reconnaissance de leur identité, à se réfugier dans les haines tribales, les intégrismes, la confiance en des dictateurs potentiels, ou à émigrer à l'étranger » (21).

Dans l'attente d'un autre « agenda pour la paix » qui s'écarterait de la philosophie du corps des pompiers, le pouvoir et l'intérêt national étroit qu'il incarne impriment toujours leur marque à l'obligation juridique internationale.

II. - L'IMPACT DU POUVOIR

Tout comme le metteur en scène s'abrite derrière sa caméra, anime l'image et lui donne un sens, le pouvoir se présente rarement à visage découvert; il essaie d'occulter les ficelles et autres manipulations afin d'exercer, dans les conditions les plus avantageuses, son autorité. Il agit alors le plus souvent par procuration (A). Mais il est des situations où le pouvoir lève le voile et s'expose directement au risque d'être plus facilement démystifié (B). C'est alors seulement que l'ordre et l'obligation prennent leur coloration définitive.

A) L'EXERCICE DU POUVOIR PAR PROCURATION

La sécurité collective demeure largement déconcentrée ; le Conseil de sécurité dépend étroitement de ses membres permanents et il ne dispose pas de moyens propres pour mener une action distincte et autonome. Au temps de la guerre froide, on pouvait considérer que le pouvoir était à même d'arrêter le pouvoir et qu'un certain compromis pouvait parfois émerger en conformité avec l'intérêt de toutes les parties prenantes, ou tout au moins sans que celui de l'une d'entre elles ne soit sérieusement malmené. Mais lorsque ce sont les mêmes puissances qui prennent les décisions et qui se donnent procuration pour les mettre en œuvre, sans d'autres contrôles et limites que ceux qu'ils entendent se donner, alors on assiste à une obligation à géométrie variable, dont les contours relèvent de la subjectivité des gouvernants mondiaux et des mouvements d'opinion au sein de leurs pays.

Le drame de la guerre du Golfe en est la meilleure illustration, d'autant plus que les effets de l'intervention armée sont toujours là car il appartient

(21) M. Bertrand : « Tragique impuissance de l'ONU », in supplément du Monde diplomatique, février 1994, n° 21.

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aux mêmes acteurs, qui agissent au nom de la communauté internationale, et à leurs conditions, d'y mettre un terme.

C'est par sa résolution 678 du 29 novembre 1990 que le Conseil de sécurité a confié aux Etats membres, qui coopèrent avec le Koweit, à savoir la coalition de 28 pays constituée et dirigée par les Etats-Unis, le soin de mettre en œuvre la résolution 660 du 2 août 1990 qui « exige que l'Irak retire immédiatement et inconditionnellement toutes ses forces pour les ramener aux positions qu'elles occupaient le 1er août 1990 ».

Cette délégation des compétences du Conseil est assez large, puisque les Etats sont autorisés à « user de tous les moyens nécessaires » (pour libérer le Koweit), sous réserve de « le tenir régulièrement au courant des dispositions qu'ils prendront ».

Si même on laisse de côté le processus particulier, incluant des pressions économiques et financières, par lequel la résolution 678 a été adoptée et qui confirme selon le Pr. B. Weston « à quel point le pouvoir des Etats-Unis sur le mécanisme décisionnel des Nations Unies est devenu total en l'absence de l'opposition du temps de la guerre froide » (22), il n'en demeure pas moins que le Conseil sera tenu à l'écart de toutes les opérations militaires qui se dérouleront, sur cette base, du 15 janvier au 28 février 1991. A la veille du déclenchement des hostilités, le Secrétaire général, M. Perez de Cuellar, a admis lui-même que « cette guerre n'était pas celle des Nations Unies » (23).

Notre propos n'est pas tant la question de principe en cause, puisque l'invasion du Koweït était manifestement illégale, tout comme était légitime et nécessaire la libération de ce pays, que la dérive du système des Nations Unies et du Droit qui le charpente et le justifie. Or en l'occurrence, ni l'appel à la légitime défense collective ni le précédent de Corée, ni la violation d'une obligation internationale essentielle (24), ni les dispositions du chapitre VII en matière de sanctions militaires, ne se sont révélés d'aucun secours pour confectionner un parapluie juridique étanche à l'action menée sous la houlette américaine. Une puissance militaire disproportionnée était donc livrée à elle- même et expérimentait, grandeur nature, son arsenal d'armements le plus élaboré, selon une stratégie qui faisait peu de cas des dégâts humains et matériels infligés à l'adversaire.

Le Conseil ne sera réactivé que pour signifier les premières conditions de l'arrêt des hostilités (résolution 686 du 2 mars 1991) et pour fixer les modalités du cessez-le-feu définitif par la résolution 687 du 2 avril 1991 analysée par R. Zacklin comme « un instrument historique sans précédent dans l'histoire des Nations Unies ». Et l'auteur d'ajouter : « Si du point de vue formel elle est une résolution du Conseil de sécurité, elle est à toutes fins utiles un traité de paix dans lequel le vainqueur impose au vaincu une série d'obligations onéreuses dont l'acceptation par l'Irak est garantie par le chapeau du chapitre VII et par la continuation des sanctions » (25).

(22) « Security council resolution 678 and Persian Gulf decision making : precarious legitimacy », AJIL, 1991, p. 523-25.

(23) Cité par B. Stern : Guerre du Golfe, le dossier d'une crise internationale, 1990-1992, la Documentation française, Paris, 1993, p. 20.

(24) G. Gaja : « Réflexions sur le rôle du Conseil de sécurité dans le nouvel ordre mondial - à propos des rapports entre maintien de la paix et crimes internationaux des Etats », RGDIP, 1992, 2, p. 297-319.

(25) R. Zacklin : « Les Nations Unies et la crise du Golfe » in Les aspects juridiques de la guerre du Golfe, sous la direction de B. Stern, éditions Montchrétien, 1991, p. 71.

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A partir de l'illégalité initiale de l'occupation du Koweit, les tenants du pouvoir mondial se sont attribués les droits appropriés et ont déterminé les obligations qui sont à la charge de l'agresseur, quitte à poursuivre parfois des objectifs contradictoires consistant notamment à imposer à l'Irak l'indemnisation des victimes, par l'intermédiaire de la commission de compensation des Nations Unies, sans lever l'embargo qui lui permettrait de commercialiser les ressources dont une proportion devrait être affectée à cette tâche. L'incertitude quant aux intentions de la plus grande puissance, que nous évoquions, ne consiste pas seulement en ce qu'une action est maintenue même si elle a apparemment atteint ses objectifs premiers, mais aussi en ce qu'elle est arrêtée prématurément pour des motifs de politique nationale.

C'est ce dernier scénario qui a prévalu dans l'affaire de la Somalie. En effet, l'inefficacité de l'UNISOM étant avérée, le Secrétaire général, M. Bou- tros Ghali, avait envisagé dans une lettre au président du Conseil de Sécurité, le 24 novembre 1992, plusieurs options dont l'intervention armée d'un groupe d'Etats membres, précisant toutefois que les Etats-Unis s'étaient proposés pour organiser et diriger l'opération (26). Le Conseil, par la résolution 794 du 3 décembre, va de nouveau sur la base du chapitre VII autoriser les Etats membres.... à employer tous les moyens nécessaires pour instaurer aussitôt que possible les conditions de sécurité pour les opérations de secours humanitaire en Somalie ». Ainsi est née la force d'intervention unifiée (UN- TAF), sous commandement et avec en majorité des contingents des Etats- Unis. Cependant, face aux difficultés rencontrées sur le terrain et en présence de pertes en vies humaines, les nouvelles autorités américaines vont décider au printemps 93 de mettre un terme à cette action, bien que l'UNTAF n'ait pas atteint les objectifs qui lui étaient assignés, notamment le désarmement des factions en lutte (création de l'ONUSOM II par la résolution 814 du 26 mars 1993). La détérioration de la situation à partir d'octobre 1993 les amènera à envisager un désengagement de toutes leurs forces de la Somalie, intervenu en mars 1994.

Ainsi, en se déchargeant sur la plus grande puissance de ses responsabilités, le Conseil n'obtient en contrepartie aucune garantie quant à l'efficacité de l'action entreprise et sa conformité aux objectifs de l'Organisation.

B) L'EXERCICE DIRECT DU POUVOIR

Le pouvoir opère à nu, il se donne des justifications à une action de contrainte directe, pour la défense d'un ordre qu'il est seul à prescrire et en-dehors des hypothèses prévues par la Charte des Nations Unies que ce soit la légitime défense ou les sanctions militaires sous l'égide du Conseil de sécurité. Si on laisse de côté certaines opérations de la Russie dans les ex-territoires de l'Union soviétique, c'est « l'humanitaire » qui sera le plus souvent sollicité, dans l'après-guerre froide, pour prendre le relais de « l'idéologique », mais de façon sélective. Le concept « d'ingérence humanitaire » avancé par quelques auteurs avec l'appui de certains milieux politiques tendait à semer la confusion et à ouvrir une nouvelle brèche au sein de l'obligation générale de ne pas recourir à la force. Désormais, on peut considérer que la tentative doctrinale a fait long feu, et que ceux-là même qui en ont

(26) J.M. Coicaud : « Les Nations Unies en Somalie - entre maintien et imposition de la paix », Le Trimestre du monde, 1994, 1, p. 104-5.

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été les promoteurs ont, depuis, atténué leurs ardeurs, revu et corrigé leurs épreuves pour réduire le prétendu « droit d'ingérence » à un accès et un secours aux victimes, sans violation de la souveraineté des pays considérés (27). L'Assemblée générale des Nations Unies a, de son côté, constamment insisté sur le respect de celle-ci lorsqu'elle recommandait l'assistance aux populations en détresse (28).

Les actions de contrainte directe se sont poursuivies en Irak, de la part des Etats-Unis et de certains de leurs alliés, en dépit de l'acceptation de la résolution 687, assimilable de par son contenu à un « traité de paix ». Ainsi, en avril 1991, ces puissances (opération dite «provide comfort ») dépêchaient des forces armées à l'intérieur du territoire irakien, afin de protéger, au sein d'enclaves, les populations kurdes. Ils décidaient ensuite d'établir une zone d'exclusion aérienne au nord du 36e parallèle, étendue ensuite au sud du 32e parallèle, pour couvrir les minorités chiites. Enfin, soupçonnant l'Irak d'avoir organisé une tentative d'assassinat du président Bush, au Koweit, les Etats-Unis n'ont pas hésité, en juin 1993, à envoyer des missiles en représailles, sur Bagdad.

Hors l'alibi humanitaire, on ne pouvait évoquer, à propos de ces opérations, aucun mandat ou autorisation des Nations Unies, sauf à estimer que certains pays, devenus « hors-la-loi » seraient exclus de la protection normale du Droit international, ainsi que semble le suggérer, par ailleurs, la liste établie par la grande puissance « d'Etats terroristes ».

Il reste que, même dans l'hypothèse de l'édiction de sanctions économiques par le Conseil de sécurité, il revient aux tenants du pouvoir mondial de décider, en dernier ressort, si le récalcitrant remplit les critères pour être réadmis dans le giron de la normalité internationale. Et il n'est pas exclu que les obligations, mises à sa charge par les Nations Unies, soient élargies et aggravées au gré d'une interprétation liée à la conjoncture politique.

En conclusion

Une nouvelle négociation globale, à l'instar de celle intervenue au lendemain de la seconde guerre mondiale, semble nécessaire pour tracer les limites du pouvoir dans la société des Etats, en fonction de toutes ses composantes et du nouveau rapport de forces. Le cinquantième anniversaire des Nations Unies en 1995 pourrait offrir l'opportunité d'amorcer le débat.

L'enjeu se situe aussi bien au niveau du principe de légalité et des contours de l'obligation juridique internationale que de la légitimité de celle- ci, ou encore de la perception par les sujets de droit des règles du jeu et de l'intérêt qu'ils auraient à s'y engager.

Le grand marchandage commercial périodique ne peut suffir à assurer une prospérité équilibrée, s'il n'est coiffé par un « round politique » ou les différentes sensibilités mondiales puissent s'exprimer, contribuant ainsi réellement à bâtir l'échafaudage de « l'ordre ».

(27) Voir l'évolution, à ce sujet, de la pensée de M. Bettati. (28) Voir les résolutions 43/131 du 8 décembre 1998 (victimes des catastrophes naturelles)

et 45/100 du 14 décembre 1990 (couloirs d'urgence humanitaire).


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