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M’hammed BEL ARBI - IPSA Online Paper Roompaperroom.ipsa.org/papers/paper_46409.pdf · 3 dans le...

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1 24 ème Congrès mondial de science politique Poznań, Pologne: 23-28 juillet 2016 CS - Congress Sessions/ CS02 Identity Politics, Social and National Movements Panel Code: CS02.61 "The Discursive Politics of Rights and Representation" M’hammed BELARBI Université Mohammed V Faculté de Droit Rabat Agdal / CERSS : Maroc [email protected] "La science politique au Maroc. Du déni à la réhabilitation d’une discipline fragmentée" Résumé : En s’affranchissant de la ligne de démarcation entre science politique en contexte démocratique et science politique en contexte autoritaire, cette réflexion décomplexée revisite des questions classiques quant à l’évolution de la science politique comme discipline, sa pertinence et son utilité dans un contexte semi-autoritaire. A travers ce tour d’horizon, de la genèse, des enjeux et des défis de la science politique au Maroc, nous proposons de montrer au fil de notre développement les logiques qui gouvernent l’exploration politiste. Mettant en relation science politique et sociologie des sciences, cet exercice épistémologique prête à la fois attention aux pratiques et aux complexes du savoir politique au Maroc. Mots clés : science politique, institutionnalisation, territoire disciplinaire, vocation camérale, juridisme, anthropologisation, épistémologie, communauté scientifique. "Political science in Morocco. From denial to the rehabilitation of a fragmented discipline" Abstract: By dispensing with the dividing line between political science in democratic and authoritarian context, this uninhibited reflection revisits classic questions as for the evolution of the political science as the discipline, its relevance and its utility in a semi-authoritarian context. Through this survey, the genesis of the issues and challenges of political science in Morocco, we intend to show throughout our development logic that govern political scientist exploring. Putting in relation political science and sociology of the sciences, this epistemological exercise pays attention at the same time on the practices and on the complexes of the political knowledge in Morocco. Keywords: Science Political, Institutionalization, Disciplinary Territory, Mission Cameral, juridicity, Anthropology, Epistemology, The Scientific Community.
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24ème Congrès mondial de science politique

Poznań, Pologne: 23-28 juillet 2016

CS - Congress Sessions/ CS02 Identity Politics, Social and National Movements

Panel Code: CS02.61 "The Discursive Politics of Rights and Representation"

M’hammed BELARBI

Université Mohammed V – Faculté de Droit Rabat Agdal / CERSS : Maroc

[email protected]

"La science politique au Maroc. Du déni à la réhabilitation d’une discipline fragmentée"

Résumé : En s’affranchissant de la ligne de démarcation entre science politique en contexte démocratique

et science politique en contexte autoritaire, cette réflexion décomplexée revisite des questions classiques

quant à l’évolution de la science politique comme discipline, sa pertinence et son utilité dans un contexte

semi-autoritaire. A travers ce tour d’horizon, de la genèse, des enjeux et des défis de la science politique au

Maroc, nous proposons de montrer au fil de notre développement les logiques qui gouvernent l’exploration

politiste. Mettant en relation science politique et sociologie des sciences, cet exercice épistémologique prête

à la fois attention aux pratiques et aux complexes du savoir politique au Maroc.

Mots clés : science politique, institutionnalisation, territoire disciplinaire, vocation camérale, juridisme,

anthropologisation, épistémologie, communauté scientifique.

"Political science in Morocco. From denial to the rehabilitation of a fragmented discipline"

Abstract: By dispensing with the dividing line between political science in democratic and authoritarian

context, this uninhibited reflection revisits classic questions as for the evolution of the political science as

the discipline, its relevance and its utility in a semi-authoritarian context. Through this survey, the genesis

of the issues and challenges of political science in Morocco, we intend to show throughout our development

logic that govern political scientist exploring. Putting in relation political science and sociology of the

sciences, this epistemological exercise pays attention at the same time on the practices and on the complexes

of the political knowledge in Morocco.

Keywords: Science Political, Institutionalization, Disciplinary Territory, Mission Cameral, juridicity,

Anthropology, Epistemology, The Scientific Community.

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Introduction

Cette communication compte s’interroger, dans une perspective socio-historique sur la manière dont la

science politique s’est construite et développée au Maroc. L’institutionnalisation d’une discipline est un

objet complexe qui prend forme par rapport à ses moments d'ambiguïté et ses courants marginaux ainsi que

ses discontinuités et ses césures. L’analyse des facteurs matériels et institutionnels qui rendent une science

politique possible ou en freinent le développement est susceptible d’informer sur son statut.

Dans cette vision, notre recherche se définit donc au confluent des travaux sur l'institutionnalisation de la

science politique telle qu’elle s’est implantée dans ses foyers d’origines nord-américaines et européennes

(Terry, 1972). Dans un contexte où elle lutte encore pour avoir une existence et une identité, les pressions

exercées par la mondialisation et les agendas néolibérales sur la production scientifique généralement et

plus particulièrement sur la manière « de faire » de la science politique constituent des compléments

intéressants pour actualiser les connaissances sur cette discipline (Coakley, 2004). Quel état des lieux donc

peut-on faire de la science politique au Maroc d’aujourd’hui ? Peut-on identifier si on peut parler à

proprement dit d’une "école" marocaine de science politique qui se serait consolidée au cours des années ?

D’emblée, il est d’usage d’identifier le développement institutionnel de chaque discipline politiste, limitée

par un cadre national selon trois temporalités : une situation de préhistoire (phase pré-institutionnelle), de

progrès (processus d'institutionnalisation) et de normalité (discipline établie). C’est donc à travers les

ajustements, les confrontations et les négociations entre divers registres de représentations que peut naître à

un moment donné, un référentiel disciplinaire qui renvoie aux convictions des praticiens de la science

politique1.

Dans cet ordre d’idées, un certain nombre d’indices contribuent à apprécier l’institutionnalisation d’une

discipline : ne pas être soumise à une autre discipline, former son propre corps de spécialistes aussi bien

comme professeurs que comme praticiens, dépenser des enseignements spécifiques et poursuivre des

activités de recherche, de même que posséder de propres organes de diffusion et de promotion (mise sur

pied d’une association savante, création d’une revue scientifique, tenue des colloques ou des congrès

spécialisés,…). S’ajouteraient, à ces différents éléments, l’acquisition d’une reconnaissance et d’une

visibilité sociale, non seulement au sein de l’université, mais également auprès du public et plus globalement

des différents milieux institutionnels susceptibles de recruter ses diplômés. En bref, la multiplication de

nouveaux objets propres et la considération d’une communauté scientifique comme source de légitimité

participent à concrétiser cette institutionnalisation.

Si l’on se fie à ces différents indices, on peut dire qu’au tournant des années 2016, la science politique au

Maroc est peine à être reconnue comme discipline à part entière. Certes, elle fait l’objet d’enseignements,

de recherches, d’applications et d’expertises à la mesure de la complexité des phénomènes qui la nourrissent.

Mais elle reste un champ disciplinaire "jeune". Du coup, on voit mal comment la science politique pourrait

être mieux traitée dans des pays où l’approfondissement de la démocratie et du savoir scientifique sur les

humains ne sont pas des priorités (Schemeil, 2010).

Loin d’engendrer un regard distant et détaché, la science politique se heurte à des obstacles locaux et devrait

composer avec les priorités politiques et socio-économiques qui affectent le choix des objets de recherche,

des problèmes pertinents et des questions intéressantes, le choix des méthodes praticables et légitimes, ainsi

que la construction des hypothèses et des orientations théoriques (Eberhard et all, 2010). Toutefois, la

responsabilité des insuffisances de la science politique n’est pas imputable aux spécificités culturelles de la

région à laquelle le Maroc appartient, mais aux contraintes propres à la construction de la discipline partout

1 Par-là, nous entendons, cette conviction qui permet de regrouper les spécialistes partageant un intérêt commun, d’articuler et d’institutionnaliser leurs échanges, d’arbitrer les débats intellectuels et de créer un substrat académique autour duquel ses adhérents sont en mesure de se connaître et

de communiquer (Bélanger,1996).

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dans le monde2. La science politique se développe quand elle est neutre en préconisant des chemins neufs

et équitables par le biais de moyens et d’outils en vue d’assurer la créativité des idées politiques afin de

moderniser les sociétés.

En s’affranchissant de la ligne de démarcation entre science politique en contexte démocratique et science

politique dans un contexte autoritaire, notre réflexion revisite des questions classiques quant à

l’institutionnalisation de la science politique comme discipline et son utilité dans un contexte semi-

autoritaire3. Nous nous proposons donc de présenter et de documenter l’évolution disciplinaire de la science

politique dans les conditions spécifiques du Maroc. L’implantation disciplinaire de la science politique ayant

comme objet le Maroc est alors perçue comme un processus complexe et dynamique de production d’un

savoir politique dont la validité est irréductible à ses conditions de production (Boudon, 1992). En ce sens,

les publications constituent un matériau privilégié pour l'étude des pratiques politistes puisqu'elles en sont

l'extrant principal. Autant, les différentes études au Maroc qui ont pris comme objet la science politique

l'ont d'abord considérée comme une leçon universitaire (Saaf, 1991; Boujdad, 2005). C'est pourquoi la

démarche institutionnelle s’impose comme méthode évidente.

La science politique est donc indéniablement liée à l'institution qui l’adopte, qu’est l’université. C’est cette

dernière qui lui permet de se déployer, en même temps qu’elle lui impose un espace de choix parfois limité.

Ainsi, si l’émergence des sciences sociales du politique au Maroc est intimement liée à la période coloniale,

à la veille de l’indépendance une nouvelle génération s’approprie ces savoirs4. À partir de cette époque,

l’institutionnalisation des sciences sociales du politique au Maroc est marquée par une longue période de

rupture voire d’exclusion du champ académique5. De ce fait, accorder une attention aux séquences par

lesquelles, elle s'est constituée, implique de revisiter les multiples expressions du savoir politique au Maroc,

qui ont pris diverses formes et plusieurs visages. Les sciences sociales du politique traverseront des étapes

de développement théorique, ainsi que de renforcement et de diffusion, suivies par des phases de décrépitude

et de transformation, jusqu’à la consolidation quantitative qu’elles connaissent à peine à deux décennies6.

Aujourd'hui, si l'on s'en tient au discours le plus élémentaire, la science politique est un programme

universitaire spécifique permettant à des étudiants d'acquérir des connaissances en ce qui a trait aux

questions d'ordre politiques7.

2 A titre indicatif, le 6ème Congrès des Associations Francophones de Sciences Politiques qui s’est tenue à l’université de Lausanne en Suisse, du 05 au 07 février 2015, a eu pour thème "discipline (s) et indicsipline (s)" et a constitué l'occasion pour les représentants de la discipline de s'interroger

sur les défis méthodologiques des approches politistes. Malgré les efforts déployés pour l’amélioration et la promotion de la condition faite à la

science politique dans les pays démocratiques, le savoir politiste ne semble pas croître à la même vitesse que les complexités socio-politiques des sociétés d’aujourd’hui. 3 Il a été montré dans des séquences similaires la relation étroite entre la constitution de la science politique espagnole, la crise du régime franquiste,

puis la transition et la consolidation démocratiques dans l’Espagne (Genieys, 2002 ; Jerez, 2002). Un phénomène similaire a pu être observé en

Allemagne où le souci civique a été à la base de la naissance de la discipline dans le pays au lendemain de la Seconde Guerre mondiale (Jobard,

2002). 4 Certains textes de notre corpus ciblés ici sont signés par des sociologues, des historiens, des anthropologues ou par d'autres acteurs qui ne possèdent pas le titre de politiste ou politologue. C’est pourquoi, nous utilisons l’expression « sciences sociales du politique » pour désigner ce corpus fondateur

des sciences sociales du politique au Maroc. 5 C’est dans cette perspective qu’il faut lire la création avortée de l’institut des études politiques marocain en 1962-1963 et la fermeture de l’Institut marocain de sociologie en 1970. Ce n’est qu’à la fin des années 1990 que les sciences sociales retrouvent leur place au sein des universités

marocaines. 6 Les propos sous forme de témoignages, de quelques socials scientist tels, M.Tozy (pp.221-247), R. Bourquia (pp.249-275), H. Rachik (pp.277-301), A. Mouadden (pp.303-319) et A. Saaf (pp.321-343), in F. Ait mous & D. Ksikes, (2014), au moins pour ce qui nous tient ici informent sur

l’historicité des sciences sociales du politique au Maroc. 7 Au niveau de la Licence d’études fondamentales en droit, le système de formation universitaire actuel réserve un modèle relatif à l’introduction à la science politique durant le premier semestre. L’un des deux parcours du droit public à l’issue du 5ème et 6ème semestre est désormais intitulé

"science politique et relations internationales" durant lequel des modèles relatif à l’histoire des idées politiques, aux politiques publiques et à la

science politique sont dispensés. Aussi, tout récemment, au niveau de la FSJES de Rabat-Agdal (université Mohammed V), les modèles dispensés au niveau de la Licence d'études fondamentales d’excellence en sciences politiques et au niveau du Master intitulé "science politique et action

publique" sont plus centrés sur des matières politistes.

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Pour esquisser une description des acteurs et des œuvres qui ont progressivement mené à l'installation de la

science politique dans le contexte marocain8, notre point de départ serait que la science politique au Maroc

est venue à travers une galerie de disciplines connexes9. Les évaluations récentes des sciences politiques au

Maroc montrent bien qu’elles n’ont pas encore constitué un corps de savoirs sur les grandes transformations

que connaît le Maroc et que la société politique comme la société globale restent "sous analysées"10.

Désormais, à nos jours, les politistes marocains se voient "contraints" d’importer et de bricoler des outils

d’analyse multidisciplinaires afin de comprendre la complexité socio-politique marocaine. De façon plus

générale, il s’avère que le rôle d’un savant politiste au Maroc n’est pas d’imposer une voie politiste, destinée

à faire autorité et à se connecter à une communauté, mais d’ouvrir les choses et de rester au stand des « coups

d’œil», (Saaf, 1987 : 7). Cette condition parait convenir davantage à la recherche interdisciplinaire que de

la science politique tout court.

À travers moins de modèles théoriques que de pratiques historicisées, il s'agit de rendre compte de

l'évolution de ces orientations qui ont engendré un savoir politique sur l’objet "Maroc"11. Sans vouloir entrer

dans le registre quelque peu fastidieux du panorama et de proposer un quelconque bilan du développement

de la science politique au Maroc, nous tenterons d’entreprendre une présentation hybride entre une filiation

des savoirs politiques et une analyse historique des positions et des pratiques de la discipline qui peut paraitre

imagée, inventée et nécessairement incomplète.

Par-delà la disparité des recherches et des travaux confrontés à la complexité institutionnelle du pays, une

des spécificités des sciences sociales du politique au Maroc est de produire des discours pour les besoins

des constructions nationale12 et démocratique13. Cette orientation doctrinaire semble d’autant plus adéquate,

dans un pays dans lequel l’indépendance est le point de départ d’une séquence historique dans laquelle l’État

s’auto-attribue la charge d’à peu près tous les aspects de la vie socio-politique, ce qui concourt à baliser la

vérité cultivée. Plus décisive encore est l’influence du système politique lui-même sur toutes les phases des

pratique scientifiques. Les sciences sociales du politique, sont immédiatement, par définition, une «affaire

d’État». Sans que l’on ne puisse identifier de véritables écoles, la conséquence est que de nos jours la science

politique s’autonomise peu à peu sans sortir de l’empreinte camérale14.

Renonçant à toute prétention d’exhaustivité, nous proposons de considérer d’une manière très schématique

deux moments significatifs, définis en fonction des "pratiques" et des "complexes" du savoir politique au

8 Nous nous inspirons donc largement de la démarche de P. Favre, qui s'est efforcé de décrire les conditions d'apparition qui ont rendus possible le

développement institutionnel et l'avènement d'une communauté politiste française. (Cf. Favre, 1983, 1989, 2010). 9 Circulant à la marge de disciplines telles que le droit constitutionnel, l’anthropologie, la sociologie ou encore l’histoire, cette manière de se faire politiste n’a pas assez été favorable au rapprochement entre politologues, même si, comme nous le verrons plus loin, des contacts existaient et ont

contribué à épauler quelques collaborations. 10 Si on excepte le travail de M. Tozy (1999), de M. Tozy et B. Hibau (2015), celui de A. Hammoudi (2001 [1997]), ceux d’A. Saaf, (1999, 2001, 2009) et de Bourquia (2012), on pourrait dire que la période actuelle est marquée par la carence des études académiques qui mettraient en exergue

la dynamique et les processus caractérisant la complexité d’un système politique marocain vacillant entre autoritarisme et démocratie. 11 Dans cet exercice, nous prêtons attention aux pratiques du savoir (knowledge-practices) et aux complexes du savoir (knowledge-complexes).

D’une part, les pratiques du savoir inclut des théories, des schèmes conceptuels et des prescriptions politiques, ainsi que les nombreuses façons par

lesquelles le savoir est construit et validé, l’expertise attribuée et la légitimité intellectuelle accordée. D’autre part, les complexes du savoir sont

constitués des institutions et des structures organisées dans lesquelles le savoir est fertilisé, rendu intelligible et disséminé (Bell, 2009 : 12). 12A l’encontre d’une recherche coloniale ou anglo-saxonne qui parle d'inexistence de l'unité politico-nationale, et évoque plutôt un système

permanent de violence continue, la recherche nationale travaux associant chercheurs appartenant à des horizons divers (Histoire, Sociologie,

Economie, Droit, et des Sciences politiques en général) a défendu la thèse de l'unité politico-nationale du Maroc pré-colonial : (Lahbabi, 1958 ; Ayache.A, 1956 ; Ayache.G, 1979 ; Laroui, 1993[1977], Santucci (dir), 1992,…) 13 Voir à titre indicatif : Berdouzi, 2000 ; Saaf, 2001 ; El Mossadeq, 2001 ; Gallaoui, 2007. Pour une synthèse sur ce volet, (Vairel, 2007, Belarbi,

2015) 14 Le terme caméral provient du latin Camera et désigne généralement l’appartement du prince et ultérieurement ses domaines administrés. Dans le

cadre des sciences sociales, sont qualifiées de "camérales" les pratiques savantes visant à renseigner des commanditaires réels ou supposés sur les

phénomènes sociopolitiques plutôt qu’à expliquer ceux-ci (Boudon, 1992). Selon les périodes, le terme de caméralistes désigne des agents d’un Etat princier spécialisés ou non dans les finances, mais aussi la science fondée dans les universités qui a pour projet d’asseoir le caméralisme. Les

"sciences camérales" sont ainsi le creuset des politiques publiques contemporaines (Laborier et al. 2011). Rappelons que le sens de Kamera qui

désignait en allemand l’endroit où étaient conservés les deniers publics est si proche du sens du terme arabe Makhzen qui signifiait le lieu où étaient entreposées les recettes fiscales. En bref, la qualification de camérale serait en quelques sortes l’attribut d’une science au service d’un commanditaire

qu’il soit un pouvoir absolutiste, un État autoritaire ou une autre organisation (parti, syndicat, association, ONG…).

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Maroc. Nous avons de bonnes raisons de prendre note, d’abord, de l’apport des économistes et des

sociologues au savoir politique au Maroc, de son appropriation par la science juridique et le droit public et

du défi de l’attraction "camérale" (I), avant de revenir sur les appels au secours anthropologique, sur son

identification troublée et sur sa fragmentation (II). En bref, tout en se demandant si le problème de sa

fragmentation provient des contraintes doctrinaires et socio-politiques, nous cherchons à mettre également

en évidence la tension entre la production purement scientifique et les pratiques résultant de la montée en

force de la littérature "grise". En optant dès le départ pour le choix d’un fil conducteur à notre exposé, il

paraît ainsi clairement qu’une analyse de l’implantation de la science politique dans un contexte semi-

autoritaire pourrait difficilement se concevoir en dehors d’une histoire globale des rapports entre le savoir

et le pouvoir.

I. Les voies contingentes du savoir politique dans le Maroc indépendant

S’il est inutile de revenir sur le procès longuement instruit de la science sociale coloniale15, il n’est pas tout

à fait inopportun de se poser la question du rapport que les spécialistes des sciences sociales au Maroc

continuent de nos jours à entretenir avec cet héritage (Bouderbala, 1984 ; Roussillon, 2002 ; Rachik,

2012,…). Outre les enjeux qui président à l’appropriation du legs scientifique colonial ou de son déni, cette

question brûlante ne cesse d’alimenter le débat tourmenté et endémique des savants du politique16. Après

avoir donné forme aux principales orientations des sciences sociales du politique post-coloniale, une science

nationale fondamentalement construite contre la science du colonisateur a pris corps, par la disqualification

des objets privilégiés durant la parenthèse coloniale (tribalisme, rites magico-religieux, coutumes rurales,

etc.) et par le rejet de la tradition et de la discipline ethnologiques dans leur ensemble17. Bien que les

processus d'institutionnalisation se soient enclenchés un peu plus tardivement, les sciences sociales du

politique au Maroc n’ont connu que récemment une "départementalisation"18 ainsi que des rassemblements

associatifs19. Nous nous bornerons à évoquer dans les développements qui suivront l'entrée endurée et

dissimulée du savoir politiste dans le paysage universitaire marocain.

Promue pour participer à la construction du nouvel État indépendant, les sciences du politique ont connu au

Maroc un sort particulier. D’abord, les débuts y seraient marqués, d’entrée de jeu, par une «étape cognitive »,

un véritable «âge d’or» favorisé par la fécondité heuristique de méga-théories (ségmentarité,

néopatrimonialisme) apportées par d’illustres outsiders prenant le Maroc et l’Afrique du Nord pour objet

expérimental (Gellner, Bourdieu, Geertz, etc.)20. A mi-parcours de cette trajectoire, se profile une seconde

étape qu’on qualifierait de «critique» durant laquelle, des universitaires «indigènes» s’y approprient

15 Cette période voit apparaître de nombreux travaux ethnologiques et sociologiques qui sont menés par les mêmes personnes, d’où la difficulté de

tracer des frontières claires entre ces disciplines. Orientée vers le but de saisir les dynamismes internes de la société marocaine, la connaissance

scientifique coloniale touche divers thèmes (système tribal, confréries, villes, ses coutumes...). C’est l’époque faste d’une science sociale camérale « où se mêlent une curiosité scientifique est une saveur idéologique caractéristique d’une science sociale au service du politique» (Cf. Bentahar &

Bouasla, 1988 : 27). 16 Le Maghreb dans les débats anthropologiques (Rachik, 2005), a rassemblé une quinzaine de contributions abordant les divers objets de la

recherche de l’air coloniale et post-coloniale, et n’a pas manqué de mettre en évidence tout ce que doit l’ethnographie/anthropologie à l’apport des

praticiens et théoriciens tels que Edmond Douté, Robert Montagne, Jacques Berque. Voir aussi : La sociologie musulmane de Robert Montagne

(Rivet et al, 2000) 17 Nous évoquons ici quelques-unes des catégories et des thèses majeures développées par la littérature ethnologique coloniale. Les catégories de

makhzen et de siba désignent respectivement l’espace politique que l’État parvient à régenter et l’espace tribal qui échappe à l’emprise de l’institution

étatique. Le fonctionnement du système politique traditionnel au Maroc a été longtemps considéré comme étant structuré autour de cette polarité et analysé en termes d’alternance entre pouvoir oppressif et anarchie «organisée». Par ailleurs, la théorie des leff-s a été essentiellement développée

par Robert Montagne pour rendre compte du fonctionnement des sociétés berbères du Haut-Atlas. L’hypothèse de départ de cette théorie est fondée

sur l’idée d’un dualisme structural, celui de deux leff-s ou ligues entre lesquelles se divisent les cantons du Haut-Atlas, mais qui serait aussi observable à des niveaux inférieurs, donnant lieu à une forme d’anarchie équilibrée qui structure l’ensemble de la société. Sur ces questions, nous

nous permettons de renvoyer à : Laroui, 1993 ; Khatibi, 2002, Berdouzi, 1987 ; Adnaoui, 2005 ; Tozy, 2004 ; Rachik, 2005, 2012… 18A titre d’exemple, depuis la fin des années 1990, l’enseignement de la sociologie a connu une nette évolution. On compte à ce jour 10 départements de sociologie dans les différentes universités du pays. Toutefois, l’ouverture des nouveaux départements est soumise à des logiques particulières et

s’opère dans des conditions académiques difficiles et parfois précaires. (Cf. Zahi, 2014 : 186-187). 19 Depuis les années 1990 ont voit apparaitre des associations de sociologues, d’économistes, de politologues, d’anthropologues… 20Ces modèles théoriques forgés pour appréhender l’Etat marocain des années 1960 et 1970, l’ont représenté comme un système clientéliste

généralisé. Ils ont suscité des critiques et des discussions de leurs postulats (Berdouzi, 1987 ; Saaf, 1999…)

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l’héritage pionnier des outsiders et en le renouvelant très souvent par l’économisme marxiste.

Ensuite,« ballottés » entre une tradition française, attachée à la description des institutions politiques, et une

tradition anglo-saxonne, soucieuse du détail empirique qui permet de réinventer les liens avec une tradition

de la sainteté et le fait tribal, les politistes marocains ont déployé leur activité intellectuelle plutôt dans le

sens d’une nouvelle exégèse, traduit aussi par un ancrage au positivisme attaché au droit politique et

administratif marocains et dont la science politique "nationale" ne s’en est éloignée récemment que

partiellement. L’état d’un champ de savoir et de pratiques savantes ne peut se comprendre hors sa genèse

historique nationale. Suivant la synthèse historique que nous avons proposée ailleurs (Belarbi, 2015), ce

regard d’ensemble sur les parcours du savoir politiste amène à proposer un découpage analytique en trois

temps.

I.1- Trajectoires et pluralité référentielle du savoir politique au Maroc

La question de l’implantation du savoir politiste au Maroc est tout sauf neuve. Elle a au contraire une longue

histoire qu’il faut connaître pour comprendre la situation actuelle. Sans négliger le rôle des acteurs

individuels, majoritairement des outsiders, l’institutionnalisation du savoir politique ne peut, en effet, être

comprise que si elle est resituée par rapport à des transformations plus profondes qui se sont produites dans

le champ intellectuel et dans le champ sociopolitique du Maroc à partir des années 1960. L’émergence du

savoir politique dans sa version moderne au Maroc est intimement liée à la période coloniale. Alors qu’il

s’est constitué timidement comme objet spécifique et singulier à la veille de l’indépendance (Flory et al,

1959 : 425-433), les porteurs de la remise en question du savoir colonial et de la refonte profonde de ces

objets de recherches et de ces méthodes de travail, se voient assignés le but de construire une nouvelle

connaissance socio-politique de la société marocaine sur des bases à la fois scientifiques et idéologiques.

En opérant une rupture avec la période coloniale, de multiples entreprises vont construire le savoir politique

mais l’optique change complètement. Une périodisation répandue reste tout à fait éclairante sur ces

inflexions21.

D’abord, une première phase dite de lutte nationale (1956-1960), qui scande une première période de

production scientifique imprime, dans le contexte spécifique de la décolonisation, le débat théorique contre

l’approche "ségementariste", telle qu’elle a été développée par R. Montagne et E. Gellner dans une première

tentative de théorisation et qui a été exploitée par la suite par J. Waterbury (1975[1973]).

Puis une seconde phase dite de radicalisation (1960-1975), ou la tournure prise par les luttes politiques

semble freiner le mouvement général initié dans la première phase22. Globalement, cette phase mitigée est

marquée par les affrontements idéologiques, du blocage du jeu politique et des tensions sociales. Pourtant,

l’apport au savoir politique au Maroc à cette époque des économistes, des sociologues et des historiens, a

été des plus importants et des plus marquants. Ce sont des individualités qui vont poser les premières bases

d’un champ scientifique autochtone au Maroc. Même si, au départ, les frontières disciplinaires apparaissent

nécessairement floues dans la mesure où il s’agit de poser, dans l’urgence, le schéma d’une « vision globale

de l’objet Maroc », (Saaf, 1991 : 20).

La recherche économique au Maroc jusqu’à la fin des années 1970 est pour l'essentiel une recherche

"militante" ou pratique politique et activité intellectuelle sont indiscutablement liées pour ne pas dire

"confondues"23. La plume était au service de l’action. Se balançant entre et l’enfermement "dogmatique" et

21 Cf. Saaf, 1989, p.263, note n° 20. 22La fermeture de l’Institut marocain de sociologie en 1970 freine la mise en œuvre du projet de construction d’une science sociale ambitieuse et

autonome cherchant à «appréhender le réel». Cet échec n’est pas imputable uniquement à la fermeture du système et au climat tendu de l’époque.

Elle est due aussi à une conception idéologisante de la science sociale et à la stérilité du champ intellectuel de l’époque (Cf à l’entretien intitulé : « Je ne suis pas marocologue », accordé par M. Tozy à la revue Economia, n° 9, juin-septembre, 2010, pp.118-119). 23 Le Bulletin économique et social du Maroc (BESM) a été incontestablement le support qui a attiré le plus, les travaux de recherches socio-

économiques émanant d'universitaires économistes (Belal, Lahbabi, Oualalou, EL Malki, Benali). Ses numéros rassemblent l’essentiel de la littérature socio-économique sur le Maroc des années 1970 et 1980 (Cf. Alaoufi, 1988:90-91) ainsi que ceux de La revue juridique, politique et

économique du Maroc (RJPEM) à partir de 1976 et sans oublier que le mensuel Lamalif a réussi à s'imposer comme un outil de diffusion

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l’engagement militant, cette recherche est produit social de son temps. Elle occupe une place forte et

originale, moins par un effort de construction théorique ou d'études concrètes que par une présence critique

constante et remarquable sur tous les fronts de la politique économique officielle24. Mais pour la dimension

politique dans les écrits des économistes marocains-notamment, on ne peut passer sous silence ceux traitant

de l’Etat marocain comme instrument de domination, instrument de modernisation, producteur des

capitalistes et reproducteur de dépendance. Par ailleurs, il faut noter que durant la période1966-198625,les

frontières épistémologiques entre la sociologie et l’économie, étaient assez floues et la division du travail

intellectuel entre les deux disciplines s’efface presque totalement lorsque le savoir économique devient

fondamentalement critique de l’économie politique (au sens marxiste du terme), et lorsque la sociologie

élabore ses propres concepts et déplace son champ d’analyse et prend ses distances par rapports à la

sociologie coloniale.

Néanmoins, le courant sociologique26 en particulier s’est avéré politologique à plus d’un titre et a constitué

un creuset de formation pour une génération de politistes-sociologues-anthropologues27. A côté de P.

Pascon - qui symbolise à la fois une figure indépendante et engagée -, en raison de sa production28 qui

témoigne d’une rigueur scientifique29, d’autres universitaires marocains se sont inscrits dans une perspective

d’une «sociologie engagée » tels A. Khatibi30 et M. Guessous31. Le discours savant se voulait donc critique

sur le plan théorique et politique. Davantage, pour cette génération de sociologues marocains, la recherche

et l’engagement politique devraient, aller de pair. À cette époque, l’engagement dans un projet de société

plus ou moins défini et explicité allait de soi. Ceci se traduit par ce que Pascon appelait une « sociologie

d’action », notion plus proche d’une sociologie "appliquée" et "engagée". La tâche essentielle de cette

« sociologie engagée » consiste donc à mener un double travail critique : «déconstruire» les concepts

ethnocentristes des sociologues et des anthropologues qui ont parlé à la place des Marocains et mener une

critique du savoir et des discours élaborés par la société marocaine sur elle-même. Ce discours savant a

d'informations et de connaissances socio-politiques. On voudra bien se reporter à Saaf qui présente clairement les enjeux d’un échantillon de cette

recherche : A. Saaf a procédé à une démarcation entre les écrits à caractères idéologiques et ceux ayant une prétention scientifique dans « interférences entre l’économie et le politique. Notes sur l’Etat des économistes » in Images politiques du Maroc, pp.57-62. Voir également dans

ce même ouvrage, « l’idée socialiste à travers les écrits de quelques économistes marocains », pp.45-56. Il y commente et analyse, les textes

d’Oualalou, de Belal et d’El Malki. Par ailleurs, pour une lecture critique politiste de l’explication du phénomène de la siba, à la suite de la publication de "Le Maroc précapitaliste" (SMER, 1983), de l’économiste Driss Benali, je me permets de renvoyer à : (EL Rhazi, 1990 :13-19). 24A titre indicatif, on se reportera aux écrits de l’économiste Aziz Belal : L’Investissement du Maroc (1912-1964), 1re édition chez Mouton, Paris-

La Haye, 1968, 2e et 3e éditions, Éditions Maghrébines, 1970 et 1980 ; Développement et Facteurs non économiques, SMER, 1980 ; Impératifs du Développement national (ensemble d’articles publiés dans BESM, 1984). 25 Le BESM, semble dans cette optique comme un laboratoire expérimental ou il s’avère extrêmement difficile de séparer à l’intérieur de cette revue

entre un texte sociologique et un autre économique, de façon tranchée. A titre d'exemple, la sociologie rurale mobilise à son compte des concepts qui appartiennent aussi à la (critique) de l’économie politique : (à titre illustratif : forces productives, rapports sociaux, mode de production,

articulation, dualisme, développement…). (Cf. Alaoufi, 1988: 91). 26 Il faut souligner que la création en 1959 de l’Équipe interdisciplinaire de recherches en Sciences humaines (E. I.R.E.S.H) de l’Institut de sociologie à Rabat en 1960 et en 1965 de l’Association des chercheurs en sciences sociales a participé d’une première tentative d’une institutionnalisation

académique d’une science sociale du politique au Maroc. Or, Conçu comme structure à la fois d’enseignement et de recherche, l’institut de

sociologie est devenu pratiquement un organisme d’enseignement à cause du manque d’enseignants et de la faiblesse des moyens financiers et

logistiques. Le rapport d’expertise de Pierre Conne, initié par l’UNESCO, soulignait l’absence d’un département de recherche à l’Institut de

sociologie. (Cf. Conne, 1964). 27A titre d’exemple, se reporter aux témoignages M. Tozy, H. Rachik (in Ait mous & Ksikes, 2014)… 28Cf. Pascon, 1971, 1977, 1978, 1979, 1980. Une vaste bibliographie de l’auteur est publiée dans « 30 ans de sociologie du Maroc », BESM, n° 155-

156, janvier 1986, (spécial Paul Pascon, à la suite de sa disparition). 29Cf. Pascon, (1976).Voir également les pages consacrées par A. Saaf à l’itinéraire politique et intellectuel de P. Pascon in (Saaf, 1991 : 18-32). Sur le plan méthodologique, Pascon a accordé une attention particulière à l’étude et à l’observation des faits sociaux. A travers la notion «société

composite » – catégorie bricolée à partir du marxisme, des enseignements de Berque et de ceux des théoriciens de la segmentarité –, il s'agit pour

Pascon de rendre compte tout à la fois de la segmentation et de la stratification de la société marocaine et de l'articulation des différents ordres (politique, juridique, social, symbolique). L’entreprise de Pascon, traduit ce souci de construire de nouveaux concepts pour analyser les différentes

sociétés ("patriarcale", "théocratique", "tribale", "caïdale"), qui coexistent, parfois au même moment et sur le même lieu, au sein de la société

marocaine. Cette nature «composite» de la société marocaine impose aux chercheurs de suivre une démarche méthodologique spécifique (Pascon, 1986 : 211-215). 30 Cf. Khatibi, 2002 : 113-129. 31 L’enseignement de la sociologie pour Guessous était considéré comme une action militante en soi. Il est fréquent de trouver dans ses entretiens et des peu de ses écrits des exposés critiques sur les théories et les concepts du changement, de la modernisation, de la spécificité, de la culture et de

l’idéologie (Guessous, 1989, 2003).

8

développé ainsi les instruments d'une mémoire que les acteurs politiques n'ont cessé d'exploiter et de

manipuler (Rachik, 2003, 2016).

Par ailleurs, au vu d’un faisceau de recherches éclairant les soubassements de la nation marocaine, l’histoire

est devenue abri de la politologie. Cette dernière, se précipitant sur les conclusions du premier, se voit

identifier le pouvoir à la monarchie et confondre l’Etat avec l’organisation administrative. La majorité des

études qui portent sur le sujet l’Etat au Maroc partage une approche « évolutionniste » et surtout « dualiste »

du pouvoir, oscillant entre un «tropisme stato-national» portant sur le bon gouvernement et un « tropisme

de la singularité », qui met en scène un makhzen exotique et tout-puissant, inscrivent les rapports de pouvoir

et les modalités de gouvernement dans une perspective culturelle, voire culturaliste. (Tozy et Hibau, 2015 :

5). Aussi, outre l’usage de l’affinité de la revendication de sainteté de la dynastie alaouite avec la notion

wébérienne de légitimité historique et charismatique, le référentiel religieux sert souvent de paradigme pour

penser la relation de pouvoir, dans ses fonctions, ses droits et ses obligations. Même les politistes français

et américains- s’intéressant au Maroc comme objet politique- ne contribuèrent guère à renouveler la

problématique du pouvoir au Maroc. Ainsi, les sciences sociales ayant pour objet le Maroc politique ont

pendant longtemps pratiqué l’observation par le haut32. Le paradigme y était encore celui de l’élite.

Une troisième phase qui couvre les années (1975-1990)33 va croiser et épauler une demande circonstancielle

très forte, enclenchée par la cause nationale. Autant, ce croisement va générer une profusion de textes (pas

forcément commandités), «qui consacrent l’autoritarisme comme un fait indégénéisé et non plus comme un

état d’exception34». La "marocanisation" des concepts dans une perspective de "déconstruction" a été

récupérée et remixée dans un même moule général, avance M. Tozy35. Dans le même ordre d’idées, A.

Agnouche remet en cause une certaine «vision eurocentriste» du discours "constitutionnaliste-politiste" des

années 1970, crues découvertes par des publicistes-politistes dans les années 1980 à l’occasion des

soutenances de leurs thèses (y compris la sienne)36. Il souligne nettement à cet égard : « Pour ma part, je

pense qu’il n’y absolument rien à reprocher à nos aînés. En revanche, je reproche à mes collègues – et moi-

même -, de ne pas avoir pris suffisamment en considération l’historicité des écrits, des cours, et des

séminaires de nos professeurs ; et d’avoir contribué, sans le savoir peut être à légitimer le pouvoir en

expliquant les instruments de son idéologie mis en œuvre à partir de la "Grande Marche Verte" de 1975».

A ceci, il ajoute que les ténors de la première génération des constitutionnalistes37, «dissertaient et parlaient

dans un contexte plus emprunts d’idées "libérales" et "sécularisantes" que d’idéologie traditionaliste»,

(Agnouche, 1998 :59-60). Désormais, fascinés par le statut politico-religieux du roi-calife, sans voir qu’il

s’agissait là d’une «invention de la tradition», ces chercheurs ont ainsi contribué à asseoir la suprématie

constitutionnelle de l’institution monarchique, en prenant en compte la dualité du référentiel doctrinal des

lois fondamentales, et en élargissant l’interprétation du dispositif constitutionnel à la sphère

théologique.(Tozy et Hibau, 2015 : 5).

32 Le rapport de la monarchie à l’élite politique (mouvement national, partis politiques, syndicats…) a dominé les études politiques menées par des

chercheurs étrangers lors des années 1960 et 1970 (voir à ce propos entre autres : Waterbury, 1975 ; Leveau, 1985). Ces décennies ont été marquées par des tensions violentes (Monjib, 1992). Dans les années 1980 et 1990, des chercheurs nationaux vont suivre cette voie et consacrer encore d’autres

recherches à ces rapports. Notons aussi que certaines recherches s’inscrivant en quelques sortes dans ce type de problématiques du développement

et des rapports de pouvoir, se traduisant entre autres par une récurrence thématique telle que celle du Makhzen qui fait comme l’un des mots les plus fréquents et les plus « rayonnants » dans la production politiste sur le Maroc de 1980 à 1990. Voir entre autres, (Cherifi, 1987 ; Pascon &

Ennaji, 1988 ; Claisse, 1992…). En somme, le parti pris dans de tels travaux est de décrypter les arrangements, les compromis, les accords qui se

nouaient quand, au même moment, le paysage institutionnel marocain apparaissait traversé par de profondes lignes de clivage. 33 Cette phase va s’étaler sur une quatrième période, dite de "transition démocratique", qui semble avoir été amorcée au milieu des années

1990.Toujours à l’œuvre, nous y reviendrons plus loin. 34 Cf. M. Tozy : « Je ne suis pas marocologue », cité, p.122 35 Les constitutionnalistes français qui devaient développer le plaidoyer marocain dans le cadre de l’affaire du Sahara ont puisé dans cette « néo-

littérature politiste », les concepts clés nécessaires : Bey’a, tribus, etc, (Cf, Tozy, Ibid, p.122). 36 A titre indicatif, on peut citer les travaux de : de Tozy, 1979, 1984 ; Agnouche, 1985, Moattassim, 1992… 37A la suite d’A. Agnouche, 1998, on cite du côté français : Duverger, Javeille, Chambergeat, Robert, Rousset ; Et du côté marocain, on peut citer :

Kadiri, EL Kaderi, Amalou…

9

Par ailleurs, fortement marquées par les hypothèses et les thèses hégémoniques38 d’un Waterbury, d’un

Leveau, d’un Palazoli, d’un Laroui, la recherche politiste sur le Maroc concentre ses analyses pérennes sur

la monarchie et le mouvement national et ne semble guère attentive aux détails de la vie politique indigène.

En effet, cette même période sera jalonnée à partir de 1983 par les injonctions de l’ajustement

macroéconomique. Et du coup, une telle évolution dont les retombées impacteraient les secteurs socio-

politiques, ne peut que susciter une nouvelle réflexion politique au Maroc.

En définitive, l’émergence d’un savoir (d’une science) politique autonome n’était pas l’affaire de ces

"défricheurs" qui transcendaient les appartenances disciplinaires et les découpages académiques. A. Saaf, a

relevé les faiblesses de tous ordres d’une supposée "science politique marocaine" et en soulignait le retard

par rapport aux autres disciplines des sciences sociales de cette phase39. Défenseur d’une

professionnalisation de la science politique, il s’interrogeait si elle serait tout au plus «une honorable raison

sociale que quiconque peut s’estimer en droit de pratiquer» (Saaf, 1991 : 134). Par ailleurs, la science

politique perdait du terrain sur le plan institutionnel au profit de la science juridique. Aussi, la production

universitaire est impliquée dans la compétition pour le pouvoir. Il en résulte une «surpolitisation» de

l’université. On sait que les sciences sociales présentent une spécificité dans leur rapport avec le champ

politique : comme le discours politique, celui des sciences sociales concourt à produire une représentation

légitime du monde social.

I.2- Le "juridisme" à l’assaut de l’enseignement du savoir politiste

Une fois indépendant, le Maroc a mis en place ses propres cycles d’enseignement supérieur et intégré dans

ses systèmes académiques et scientifiques l’essentiel des disciplines existantes, sans rompre pour autant

avec le modèle français. A en croire, le décret du 15 Mai 196140, portant création de l’institut d’études

politiques de Rabat, celui-ci, est chargé de développer l’enseignement et de promouvoir la recherche dans

le domaine des sciences politiques, assure la préparation et la délivrance des diplômes de licence, d’études

supérieures et de doctorat ès sciences politiques 41 . De même, pour donner de l’élan à l’institut, des

passerelles ont été ouvertes avec d’autres établissements, entre autres, l’institut marocain de sociologie, la

faculté de droit, l’institut de l’économie appliquée. Les auditeurs libres ont été autorisés à assister aux cours

dispensés à l’institut et des certificats de présence pourraient leur être délivrés pour sanctionner leur assiduité

et leurs travaux42.Or, cette idéale image, ne va pas durer très longtemps. Dans un contexte de tensions

politiques, quelle pertinence et quelle visibilité d’un institut d’études politiques ?

En effet, des modifications substantielles ont été portées aux textes fondateur43 et organisateur des études et

des examens44 au sein de l’institut des études politiques45.Ces changements d’envergure qui ont touché les

38 Le Maroc politique de Jean-Claude Palazzoli (1974), Le Commandeur des Croyants de John Waterbury (1975), Le fellah, défenseur du trône de

Rémy Leveau (1985 [1976]), ont constitué les plus importants produits sur le système politique depuis l’indépendance (Saaf ,1991 b : 73-47). Aussi,

Les Origines sociales et culturelles du nationalisme marocain et d’autres ouvrages de Laroui (ou il tend à opposer la « tradition » et la «modernité

» en mettant l’accent sur la thèse de la dualité du pouvoir au Maroc) ont constitué une bible pour les chercheurs marocains de tous bords. 39 Après la fermeture de l’Institut de sociologie, la recherche sociologique s’implante au sein de l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II où

Pascon continue, jusqu’à son décès accidentel en 1985, avec les membres de son équipe, de jeter les bases de la sociologie rurale. La majorité de ses recherches, à titre individuel ou en collaboration avec les membres de son équipe, sont publiées dans le Bulletin économique et social du Maroc

(BESM). Cette revue est arrêtée, à son tour, en 1988. Il faut souligner que cette période se caractérise par l’isolement et le repli des sociologues

"producteurs" du savoir politique si on excepte le cas de Pascon jusqu’à sa disparition en 1985. Ce repli se manifeste soit par un changement d’objet d’étude ou de centre d’intérêt (c’est le cas de Khatibi qui s’est consacré par la suite à l’écriture littéraire. Il a exprimé son regret d’avoir abandonné

la sociologie quelques années avant sa disparition en 2009) ; soit par l’investissement dans une carrière administrative. 40 Voir Décret n° 2-60-046 du 15 Mai 1961, in Bulletin officiel, n°2535, p.763 41 Voir L’arrêté ministériel (du Ministre de l’éduction) n° 889-60, du 06-071961, in BO, n°2544, pp.1075-1076, portant organisation des études et

des examens en vue du diplôme d’études supérieures et doctorat ès sciences politiques. 42 Voir l’aricle 8 du Décret n° 2-60-046, cité 43Le Décret n° 2-60-046 du 15 Mai 1961, a été modifié par le Décret n° 2-62-278 du 11 juin 1962. 44L’arrêté ministériel (du Ministre de l’éduction) n° 889-60, du 06-071961 a été modifié par celui du 16-05-1963 45Notons que le premier directeur chargé de l’institut d’études politiques, J. Garagnon, était un professeur de droit administratif. De même, le corps enseignant est constitué majoritairement de juristes ou des agrégés en droit public (à l’époque l’agrégation en science politique en France n’avait

pas encore vu le jour).

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dispositions relatives aux contenus et programmes de la formation infléchiraient vers une tendance

"juridicite" plus tôt que politiste46, s’éloignant de la science politique et se muant davantage dans la science

juridique. Ce revirement, changea la nature et l’autonomie de l’institut et incitera à sa fusion au sein de la

faculté de droit de Rabat, comme le laisse entendre le décret modificateur du 11 juin 1962, signé par le

Directeur du cabinet royal47.Chemin faisant, l’institut se mue en une branche de sciences politiques au sein

de la faculté de droit à côté du droit privé et des sciences économiques48. Avec l’avènement de la réforme

universitaire de 197549, les sciences politiques deviendraient le droit public. C’est dire que la faculté de droit

a constitué le lieu où est étudiée la politique. Le programme enseigné englobait des matières telles que les

sciences politiques, l’histoire contemporaine, les relations internationales, ainsi que différentes catégories

de droit : constitutionnel, administratif, fiscal, civil, international, etc. Arrivés au troisième cycle, les

étudiants peuvent choisir entre droit public ou droit privé. Dès lors, la recherche politiste et l’enseignement

de la science politique se sont essentiellement organisés au sein des départements du droit public de quelques

universités.

En toute justesse, la science politique nationale, à ses débuts, ne se développe pas d’une manière

indépendante, mais croit sous les ailes de la science juridique, qui a reçu les faveurs d’un «pouvoir d’Etat

juriste», (Saaf, 1989). L’échec de l’institut à s’implanter trouve son explication dans le contexte politique

tendu des années 1960. En effet, l’avortement de l’expérience de l’institut des études politiques et le

retardement de la fermeture de l’institut marocain de sociologie, revient peut être d’après un chercheur, aux

choix des pouvoirs publics entre «le moins et le plus subversif», (Boujdad, 2005 : 232). En ce sens, la fusion

précoce de l’institut dans la faculté de droit50 est liée en quelques sortes à la pratique politique encore au

stade embryonnaire. En fait, «l’évolution politique marocaine a connu une multitude de soubresauts, passant

de l’intolérance la plus meurtrière au confusionnisme malsain, tout en vivotant dans un air de dialogue, de

collaboration et de compréhension, voire de compromis», (Bensbia,1996 :5). Il faut ajouter à ce constat, que

la phase (1956-1973), a coïncidé avec la restructuration de l’Etat-nation marocain51.

46Il faut souligner à ce propos que les matières de la sociologie, des méthodes des sciences sociales ont été supprimées et seul le cours de

l’introduction aux sciences sociales, préfigurerait à la première année de la licence ès sciences politiques. Pour la deuxième année, toutes les matières sociologiques et politiques ont été remplacées par des matières de nature juridique. Les matières de la troisième année, sont d’ordre général et de

nature juridique. De même, les heures d’apprentissage des langues étrangères ont été revues à la baisse. (Cf. L’arrêté du ministre de l’éducation

nationale n° 290-62 du juin 1962 portant organisation du régime des études et des examens en vue de la licence en droit (sciences politiques), BO, n° 2591 du 22-06-62, p.788) 47L’article 2 de ce décret est très significatif : « l’institut assure, pour la faculté des sciences juridiques, économiques, et sociales, la préparation des

diplômes nationaux suivants : i-licence en droit (mention "sciences politiques" ; ii-diplôme d’études supérieures de sciences politiques ; iii-Doctorat ès sciences politiques (doctorat d’Etat)… » 48 Le propos de H. Rachik sur son parcours résume l’ambiguïté du sort de la science politique au Maroc dans les années 1970 et après : « En 1974,

je me suis inscrit dans la section Sciences politiques. Mais sous ce label, nous étions davantage initiés au droit public, et nous nous identifiions comme publicistes par opposition aux privatistes (département du droit privé). L’identité des privatistes et des économistes paraissait claire. Les

premiers étudiaient le droit privé, les seconds les sciences économiques. Pour moi et mes pairs, la discontinuité était d’abord d’ordre terminologique,

nous étions des publicistes (et non des politistes, par exemple) censés apprendre les sciences politiques. En fait, je n’ai guère étudié ni les sciences

politiques, ni le droit en tant que discipline. J’avais plutôt affaire à un compartimentage rigide de matières en droit public et en droit privé,

agrémentées de cours inclassables, comme l’économie politique, la géographie économique et l’histoire des idées politiques, mais qui auraient pu

être, comme on le répétait dans les manuels, des disciplines voisines ou auxiliaires du droit. Il manquait terriblement à notre cursus, et c’est toujours le cas, des disciplines comme la sociologie et la philosophie du droit. (…) C’est lors de mes études doctorales que j’ai commencé à me familiariser

avec le vocabulaire des sciences sociales. J’ai été marqué par deux séminaires de Bruno Etienne (1978-1979), l’un en sciences politiques sur le

thème "Tradition, modernité et identité nationale dans les systèmes politiques internes : quelques exemples maghrébins", l’autre une sorte d’initiation aux méthodes des sciences sociales (…). Nos facultés de droit préparaient pour plusieurs métiers, mais pas pour celui de chercheur. Pour la première

fois dans l’histoire de notre faculté (FSJES de Casablanca), des étudiants ont opté pour des thèmes relativement originaux : le champ religieux, le

cinéma, le changement social, l’histoire politique, la morphologie sociale. Quant à moi, la problématique de mon mémoire, qui portait sur la modernisation de trois tribus zemmours, était directement inspirée du séminaire animé par Etienne sur la tradition et la modernité et de celui de F.

Paul Blanc sur l’histoire de l’administration marocaine. J’ai pu ainsi rapprocher ce que je savais des théories de la modernisation de mes incursions

dans l’histoire des instituions administratives traditionnelles comme le Makhzen et la Jma’a. ». (Cf. Rachik, 2016 : 12-13). 49 Il s’agit du Dahir portant loi n° 1-75-102 du 25 février 1975 relatif à l'organisation des universités, Bulletin Officiel, n° : 3252 du 26/02/1975,

p.305 50Le paradoxe que cette même faculté a été nommée initialement Faculté de droit et sciences politiques et économiques au Maroc (1957-1958), pour céder à celle de faculté de sciences juridiques, économiques et sociales (1966-1967), dénomination maintenue à nos jours. 51 Cf. L’Edification d’un Etat moderne. Le Maroc de Hassan II, Albin Michel, Paris, 1986.

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En pareille situation, lorsque l’analyse politique post-colonial s’empare du système politique marocain,

désormais seuls le pouvoir monarchique et le caractère centralisateur de l’Etat marocain seront scrutés dans

leurs faits et leurs gestes. En effet, d’après un observateur, «l’indépendance a ainsi ouvert une ère

d’unanimité doctrinale», (Abouhani, 2000 : 6). Le pouvoir d’Etat et les tentatives de sa limitation par les

partis politiques issus du mouvement national, le parlement ou la constitution, la question démocratique et

le problème de la légitimité, fourniront la matière essentielle des analyses qui ont été faites du système

politique marocain depuis 1960 jusqu’à la fin des années 198052. Au moment même où surgissait la

contestation politique et sociale et ou le pays négociait ses premières réformes structurelles et

institutionnelles reposant sur le principe du "moins d’Etat" et sur la réduction de la part de son

interventionnisme dans les sphères de l’économie (programme d’ajustement structurel), les analyses et les

travaux académiques à prétention politiste, focalisaient encore leur attention sur les structures précoloniales

du Maroc du XIXème siècle. La fonction d’occultation de la réalité qui avait commencé à jouer à partir de la

seconde moitié des années 1970 ne fera l’objet de remise en cause qu’à la suite de l’effondrement du Mur

de Berlin et la mise en mode du temps de la démocratie53. Dans le prolongement de cette analyse, une autre

séquence, dite de construction démocratique, semble avoir été amorcée au milieu des années 1990. Une telle

évolution ne peut que susciter une nouvelle réflexion qui véhicule et renouvelle le discours sur le politique

et les politiques au Maroc mais sans tourner la page du discours normatif.

En ce sens, le questionnement épistémologique sur les obstacles à l’institutionnalisation de la science

politique porterait principalement sur son identification dans des enseignements juridiques. En effet, cette

manière de «faire» la science politique valorise les formes politiques et institutionnelles manifestant

l’harmonie, l’équilibre et la continuité. Pour le dire autrement, le droit public, à travers le droit

constitutionnel et l’histoire des idées politiques, pour cette raison, était appelé à jouer des rôles de premier

plan : le premier parce qu’il proposait une description essentiellement -juridique du politique-, insistait sur

la séparation et l’équilibre des pouvoirs et le centralisme. La deuxième branche parce qu’elle offrait un

modèle qui en montrant « la lente accumulation du passé et la sédimentation silencieuse des choses élites »

attribuait en général une certaine cohérence aux discours qu’elle analysait. Si cette cohérence n’apparaissait

pas à un niveau explicite, elle invoquait un ordre caché à un niveau plus profond, que ce soit dans

l’organisation d’un texte, dans la construction d’une œuvre ou dans l’esprit d’une période (Belghazi &

Madani, 2001 : 90). C’est dire que les tentations d’un discours idéologique, ont constitués des limites réelles

à la promotion de la neutralité et de l’objectivité d’un discours scientifique se réclamant d’une démarche

politiste.

Toutefois, cette orientation répondait aux besoins du pouvoir d’Etat de compter sur des diagnostics juridico-

politiques, tout en diminuant les risques d’avoir des critiques politiques envers l’autoritarisme du système,

par une approche théorique et méthodologique plus centrée sur des données rationnelles. Ainsi, en sus

qu’elle est sans monopole du discours savant sur son objet, la science politique nationale s’identifie à ce

niveau avec le droit public et y reste annexée. Ce sont donc les facultés de droit et le droit public qui ont

joué un rôle essentiel dans sa reconnaissance prononcée et son orientation54. Le label science politique est

désormais associé par des revues dominées par les juristes qui offrent peu de place aux politistes55. Les

52Sans doute faut-il faire état à ce niveau d’analyse de l’exception constituée par les travaux de quelques politologues tels Saaf, Tozy, Agnouche,

Rachik, entre autres. 53Le constat de Saaf, est si éclairant sur ce point. Il note à ce propos : « il n’était possible de pratiquer la recherche au début des années 1990 de la même manière qu’elle se faisait durant les années 1980. Dans ces dernières, nous n’avons pas assez prendre conscience de l’entrée du Maroc dans

la phase du PAS. La recherche a été reprise de la même façon et pour les mêmes catégories. Evidement les résultats de recherches se ressemblent

comme si rien n’est arrivé. Notre assimilation des retombées du PAS et des faits qui lui sont connexes, n’a eu lieu que tardivement alors que la formation idéologique, politique, économique et sociale du Maroc a été remuée violement et brusquement. Ni la revue Abhath, ni ses consœurs ou

celles appartenant au champ de sciences sociales, n’ont reflété ces changements consubstantiels et les efforts continuent dans leurs permanences

comme si le livre des sciences sociales de notre pays, est un texte formulé, lu et annoté d’une manière définitive, au-dessus de l’histoire, ne connaitra aucun changement…», (Cf. Saaf, 2003, « Introduction », in Abhath, n°55, pp.7-8, (en arabe : c’est nous qui traduisons)). 54Il faut noter que ce sont les professeurs du droit public-notamment les constitutionnalistes- qui ont été les meneurs du jeu institutionnel (Boutaleb,

Menouni, Mouatassim,...) 55 A titre d’exemple, voir la Revue juridique politique et économique du Maroc, publiée par la faculté des sciences juridiques, économiques et

sociales Rabat-Agdal (depuis 1976) et la Revue marocaine de droit et d’économie de de développement de la Faculté des sciences juridiques,

12

spécialisations à l’intérieur de la science politique restent insignifiantes et englobées dans la filière du droit

public, ou sont dénommées «droit public et sciences politiques ». C’est dire que le monopole des facultés

du droit dans la diffusion et l’enseignement de la science politique au Maroc est toujours d’actualité.

Cette prédominance se traduit sur le plan didactique par la relégation de la science politique au rang d’une

discipline "marginale" dont l’enseignement même est problématique : la conception de l’enseignement des

matières juridiques privilégie principalement la connaissance du droit positif. Hermétique aux fétiches

sciences sociales existantes, les méthodes d’enseignement de la science politique en tant que tel ont peu

évolué. Il faut attendre les années 1980, pour échapper à cette emprise timidement par le biais de la

densification de la collecte des faits et des données (Saaf, 1991 : 136). Dans cette optique, l’émergence de

la science politique comme «problème» au Maroc à la fin des années 1980 exprime les inflexions de la

production du discours politiste56. Les mutations qui affectent l’ordre des savoirs bouleversent la conception

même des facultés de droit. En quête d’une visibilité plus grande aux yeux des usagers et du grand public,

de nouveaux acteurs, intitulent des programmes d’enseignement de façon attirante conformément aux parts

du marché des diplômes, aux subventions et aux savoirs immédiatement rentables, tout en s’éloignant de la

problématique disciplinaire.

Désormais, ce sont des dispositions particulières et des opportunités académiques qui font le politologue,

l’enseignant-chercheur, le spécialiste et l’expert en sciences politiques au Maroc. Mais, derrière ces

étiquettes, l’affranchissement de la discipline n’est pas à l’ordre du jour. En effet, les politistes en perte

d’identité se frayent leur chemin entre une variété de profils et de vocations : profession, métier, expertise,

consultation, spécialisation. Après avoir examiné la condition de la science politique au Maroc rythmée par

les canaux de la faculté du droit, nous nous penchons dans la suite de nos développements sur les tentatives

du balisage d’un terrain politiste et d’un agenda du chercheur.

I.3- Le militantisme politiste à l’épreuve de la tentation camérale

La très faible institutionnalisation aboutit à des pratiques plutôt individuelles ou en lien avec des

opportunités extérieures au champ politiste. En ce sens, la mise en présence de deux logiques, celle de

l’enseignement et celle de la recherche, a conduit à s’interroger sur le statut scientifique de la science

politique enseignée dans les facultés de droit et sur le rôle des juristes dans la production du savoir politiste

(Saaf ,1991 a ; Ennaji, 1991; Tozy, 1995 ; Boujdad, 2005…). Les équilibres successifs qui se constituent

autour de cette interaction rendent compte à la fois des orientations de l’enseignement et des modifications

de la capacité structurante des facultés de droit 57 et de l’arrivée de nouvelles écoles privées crées

dernièrement58. Les instituts privés ont alors pu chercher à capter, voire à organiser la demande en sciences

économiques et sociales de Casablanca (depuis 1982). Il faut noter au passage que ces deux facultés accaparent la part du lion des thèses et mémoires

es-sciences politiques : voir les recueils : Répertoire des thèses et mémoires Universitaires soutenues à La F. S.J.E.S –Agdal Rabat, (1968 – 2005),

Université Mohamed V et Répertoire des thèses et mémoires Universitaires soutenues à La F.S.J.E.S Aïn Chock Casablanca, (1975-2007),

Université Hassan II. 56 A titre comparatif, l’émergence de la science politique comme problème en Algérie et en Tunisie, est à relier à une conjoncture cruciale. Pour

l’Algérie, les émeutes de 1988 ont à la fois ébranlé le système politique et avec lui les savoirs routiniers, produits dans le cadre du développementalisme d’Etat. Pour la Tunisie, la déposition de Bourguiba, placé sous le signe d’un changement, donnera naissance à la politique de

la transition (Cf. Camau, 2010 :29) 57La situation universitaire a changé au cours de ces dernières années avec l’introduction de cursus spécialisés. En effet, suite au processus de Bologne, le système LMD a été adopté depuis 2008. Dès lors, le diplôme de Master remplacera le DESA et les durées de préparation de thèses de

doctorat et de la Licence sont réduites. La nouvelle réforme est orientée sur une «logique professionnelle» favorisant une comparabilité

internationale. Les modules d’apprentissage, limités dans le temps, conduisent à une structuration plus marquée des cursus. Le système à deux niveaux doit contribuer à la création de deux profils différenciés, un Master orienté vers la science, l’autre orienté vers la pratique. C’est dans cette

perspective, qu’il faut concevoir l’entreprise de la faculté de droit Rabat-Agdal, de se doter à partir de 2010 d'une filière nationale de Licence d'études

fondamentales en sciences politiques à accès régulé (dite Licence d’excellence en sciences politiques). 58Les formations universitaires (publiques) dans le domaine des sciences politiques au Maroc, sont de plus en plus concurrencées avec la

multiplication des écoles privées dispensant des formations en sciences politiques. Parmi les écoles supérieures privées qui proposent des études en

sciences politiques, on trouve l’Ecole de Gouvernance et d’Economie à Rabat, créé en 2008 et qui a tissu des partenariats avec science Po Paris, la London School of economic, et autres institutions universitaires étrangères. On cite aussi, l’Université International de Rabat, qui propose quant à

elle, une licence en sciences politiques et internationales et un Master en sciences politiques en double diplomation avec sciences Po Grenoble. De

13

politiques, contribuant par là même à la mise en place de nouvelles pratiques politologiques à l’heure de la

"technicisation" intense du métier du politiste.

Par ailleurs, le déploiement des sciences sociales des grands thèmes nationaux vers des thèmes plus

fragmentés et leur configuration actuelle a stimulé la différenciation des sciences sociales en sociologie,

anthropologie et science politique (Rachik, 2008). Dans cette entreprise, Il est question du bagage

méthodique, intellectuel et conceptuel de la science politique. En plus de ce bilan qui s’inscrit dans le cadre

de la fièvre de l’évaluation toute azimute (Cherkaoui, 2009), c’est dans la perspective de l’auto-

compréhension de la science politique en tant que discipline mais aussi sur son positionnement au sein de

la société que des débats ont eu lieu et se sont plus au moins accumulées (Saaf, 2010 ; Mouaden, 2013).

Désormais à la pertinence de la collection des faits plus au moins objective, se sont superposées ipso facto

les dimensions socio-politique et institutionnelle qui ne sont pas sans influence sur l’autonomisation de la

science politique nationale. Dans cette optique, la science politique au Maroc, jusqu’au début des années

2000 - avec des exceptions notables ici et là -, continue à se retirer à l’arrière-plan, derrière la science

juridique ou elle tend à se confondre avec d’autres disciplines comme l’anthropologie et la sociologie, etc. Et

souvent, elle « s’adonne davantage aux regards extérieurs d’autres traditions de recherche, anglo-saxonnes

ou continentales, ou même d’autres horizons, armées des ressources scientifiques et matérielles propres à

leurs champs social-scientifiques et à leurs histoires propres», (Saaf, 2010). Parallèlement, elle est emportée

substantiellement par la tentation camérale, au sens de confusion de l’agenda du chercheur avec celui des

décideurs ou des acteurs59.

Inévitablement, la "voie camérale" a incité les chercheurs à réduire leur ambition, à être plus modestes, à

se donner des objets de recherche et à faire des projets qui n’ont plus l’envergure "totalisante" du passé.

Mais peut-être est-ce là un trait qui peut paradoxalement être un facteur favorable à un recentrement de la

réflexion sur "ce qui est". La combinaison d’éléments théoriques et d’éléments empiriques induit des

caractéristiques heuristiques et confère parfois une féconde originalité aux travaux politistes, en

s’impliquant davantage à éclairer le débat public et à cerner les ambigüités de la vie politique. De même,

les différentes composantes de la société civile suscitent plus fréquemment l’intérêt des chercheurs.

Au cours de la dernière décennie, un mouvement semble se dessiner pour la science politique au/sur le

Maroc, un appel de plus en plus important à une expertise politiste. Or, les transformations survenues dans

les activités de recherches, en lien avec les agendas du new management, indique que la rechute camérale

est de retour avec l’emprise du discours sur la transition démocratique, l’amorce des politiques publiques et

l’engouement pour la good gouvernance. Sous l’effet à la fois de la mondialisation et du contexte politico-

social local, les pouvoirs publics ressentent le besoin de s’informer des mutations socio-économiques et

culturelles qui travaillent en profondeur la société marocaine. Avec la montée de l’islamisme, d’une part, et

l’ouverture à l’économie de marché d’autre part, les pouvoirs publics n’hésitent pas à se saisir des sciences

sociales du politique afin de faire face à l’urgence de la question sociale (pauvreté, chômage, exclusion,

etc.).

Désormais, le besoin d’expertise est devenu quasiment «une affaire d’État». Cette hypersensibilité

s’explique par le fait que la monarchie est au cœur de la politique, de l’économie, de la société et elle est en

quête de solutions aux divers problèmes qui assaillent la société marocaine de toutes parts. Désormais cette

posture camérale consiste à nos jours, à recueillir des informations utiles pour diverses catégories de

décideurs sur tel ou tel phénomène politique, économique ou social. Dans cette condition, des pans entiers

de la vie publique sont ainsi préservés de la discussion critique.

même, l’Université Mundiapolis à Casablanca et Sciences Po Bordeaux proposent une formation intégrée débouchant sur un double diplôme en sciences politiques depuis 2009. 59 Voir le dossier de la Revue Marocaine de Science politique, n°1, 2010.

14

C’est dire que cette ambivalence initiale marque durablement la discipline qui bénéficie d’une légitimité sur

le plan académique sans pour autant définir son "objet fondamental" ni déterminer ce qui la distingue des

autres sciences sociales, voire des discours ordinaires sur la politique. D’où une identité disciplinaire

contingente, incertaine et fragile, qui impose sur le plan épistémologique de reconsidérer l’autonomie

intellectuelle de la science politique nationale. De même, les études d’aires culturelles demeurent une

entreprise moins soucieuse de la «science normale» que de l’acquisition d’un savoir régional mis au service

d’objectifs pratiques (Bennani, 2009).

La place de la science politique parmi les autres sciences est singulière par ses objets (J. Leca et B. Jobert,

1980). Dès lors, afin que la science politique marocaine, ou sur le Maroc, complète son parcours, les objets

dont elle peut légitimement se saisir devraient en bonne logique se focaliser sur tout ce qui est central dans

la société marocaine. Au-delà de la problématique des lieux de l'enseignement de la véritable science

politique - instituts d'études politiques ou universités possédant des départements plus ou moins spécialisés

en science politique-, au-delà également de la diversité de profils présentée par la science politique, les

politistes sont contraint de s'accorder enfin, non sur leur objet, mais sur leur rôle et celui de leur science

aujourd'hui. Les appels à la fertilisation du regard politiste par des ingrédients anthropologiques cachent

d’autres débats souvent plus profonds qui mettent en cause les méthodes, les théories, les façons de pratiquer

la science politique, de même que la capacité des leurs spécialistes à définir des grandes tendances

méthodologiques ou théoriques, ou du moins les infléchir.

II- La légitimité60 de la science politique entre le flou identitaire et l’évolution fragmentaire

L’activité politique ne se laisse pas toujours observer au niveau où elle se déroule, celui du système politique

tout entier, de la culture politique majoritaire, et du gouvernement. La tâche est lourde et malaisée partout

(en raison des effets de «boîte noire», et du manque d’expérience de nombreux politistes dans l’exercice du

pouvoir). Elle est plus malaisée encore au Maroc comme dans le monde arabe où est refusé aux observateurs

extérieurs l’accès aux lieux où les décisions les plus importantes pour la société se prennent. De plus, la

fragilité de la communauté politiste autorise toutes les dérives interprétatives, qui tendent à faire passer des

essais pour des explications. Davantage, des pans entiers de la vie publique sont ainsi préservés de la

discussion critique (Schemeil, 2010).

Néanmoins, à partir des années 2000, au Maroc, le surinvestissement des objets liés à la vie politique, à

l’action publique et aux mouvements sociaux instruisent des perspectives de professionnalisation et par là

le renforcement des chances de l’émergence de la science politique comme une discipline à part. Des travaux

de science politique se sont penchés vers l’analyse micrologique des faits et des évènements politiques en

délaissant le recours aux méta-théories61. C’est dire que il y a une tendance à se désintéresser des grands

problèmes et des thèses macrologiques tels qu’ils étaient investis au cours des décennies précédentes pour

se concentrer davantage sur des sujets et des thématiques plus délimités. Sur ce, la banalité associée au

métier de politologue a profondément changé de nature. Dans les années 1980, l’image dominante

correspondait à celle d’un individu, qui n’est pas engagé dans une transformation radicale des rapports de

domination et mobilisant finalement assez peu les connaissances académiques62. Faute d’appartenances

institutionnelles et de capitaux appropriés, ceux qui se revendiquaient politologues étaient donc peu

60 La légitimité scientifique de la science politique au Maroc met en question sa capacité à rendre compte du fonctionnement effectif du politique.

Plus précisément, les recherches en science politique empirique font souvent un usage des méthodes ethnographiques et des apports théoriques et

méthodologiques de l’anthropologie. 61 Si l’on met à part les écrits des politologues amateurs, des journalistes et des témoins-acteurs, l’accumulation issue de la recherche universitaire

semble traversée par trois axes, à savoir les élections comme élément central dans l’analyse du système politique et de ses élites, les mouvements

sociaux au flanc de l’essor de la société civile et le rapprochement des phénomènes connexes à l’islam politique. A travers ces contours thématiques, la science politique au Maroc alterne théorie et empirie. Voir par exemple, (Bennani-Chraïbi et al, 2005 ; Zaki, 2009; Tozy, 2010 ; Vairel , 2005 ;

Belal, 2011 ; Bennani,2012, 2013…). 62 Depuis longtemps, devenir politicien au Maroc ne nécessitait pas des formations spécifiques sur le plan académique, la plupart des politiciens s’initiaient à la politique à travers une appartenance partisane, un engagement associatif ou tout simplement par un passage à l’université qui était à

un certain moment un espace de politisation de nombreux jeunes étudiants.

15

nombreux, souvent isolés, malgré des tentatives périodiques de regroupement63. Mais ces groupements

restent pour l’heure modestes avec des parcours professionnels assez largement hétérogènes et atomisés.

Bien que rarement systématiques, quelques démarches politistes ont essentiellement envisagé la question

de la science politique et le terrain à travers le prisme de sa professionnalisation. Aujourd’hui, l’image du

politiste est altérée par deux types de confusions plus au moins objectives. D’abord, celles qui définissent

le statut de la science politique par rapport aux "incursions" anthropologiques et ensuite celles liées à l’entrée

en jeu de l’expertise qui transforment la nature même de l’activité politiste. Avec les nouvelles attentes

sociales vis-à-vis de la science politique, il est nécessaire de rappeler que son progrès ne se fait sentir qu’à

travers cette science d’elle-même. Evidemment, notre propos ne vise ni à délimiter le champ politologique

en l'opposant au domaine de l’anthropologue, ni à exhorter l’apologie d’une science "contemplative" mue

par l’éthique mertonienne. A la confluence, d’un ensemble de logiques et de contingences sociales et

économiques, l’enjeu est de dégager le modèle d’une science "normale", dotée d’un éthos professionnel plus

ou moins cohérent.

II.1- Le regard anthropologique : un appui obligé de la science politique nationale ?

Plus récemment, c'est finalement la démarche anthropologique qui a fourni de nouveaux outils pour faire

travailler des politistes qui se représentent bien comme faisant partie de la communauté des sciences sociales

sans pour autant souhaiter oublier leur spécificité politiste. Alors que la sociologie entretient plus au moins

des liens proches avec la vie politique nationale, avec plus au moins d’identification thématique (Rachik &

Bourqia, 2009), l’anthropologie politique va bien au-delà des études des traditions ou de la vie traditionnelle,

elle cible les dynamiques sociétales64. Compensant la rareté (ou la manière dont nombre) des travaux en

science politique, qui aujourd’hui encore, outre qu’ils abordent timidement ou fuient leur objet d’étude-pour

différentes raisons et non du moins le syndrome caméral- des politologues marocains ont été également

amenés à se faire anthropologues, à s’inspirer des traditions anthropologiques65. Selon A. Labdaoui,

«l’explication de la conversion (partielle ou totale) à l’anthropologie résiderait dans les traits caractéristiques

des pays étudiés » ; et d’ajouter que « pour qui s’intéresse au changement en pays arabes, nous croyons qu’il

doit se faire anthropologue. La modernisation y est encore un processus en cours», (Labdaoui, 1993 : 17).

Dans le même ordre d’idées, M. Tozy, appuie le constat en avançant que « pour survivre, le politologue se

fait anthropologue. Il interroge les structures profondes de la société, ceci est un premier niveau. Un

deuxième niveau, une deuxième stratégie est de devenir historien des faits et des institutions sociales »,

63 Il convient de rappeler que la première « association marocaine des sciences politiques », qui a été créé en janvier 1977, n’a pas donné naissance

à une puissante collectivité scientifique et a peu (ou mal) imposé son objet dans le champ intellectuel. L’association a eu comme premier président

Mohamed Bouzidi. Elle avait organisé une rencontre scientifique du 23 au 27 septembre 1977 autour du thème : « Les sciences sociales et le développent en Afrique », à laquelle ont participé les chercheurs d’une trentaine Etats africains. Mais rapidement, elle s’éclipsa. Et d’ailleurs, elle a

été gelée au milieu des années 1980. Ce n’est qu’en décembre 1996 que l’association marocaine de sciences politique (AMSP) a pris un nouveau

décollage et a pu tenir ses activités en partenariat avec le Centre des Etudes et Recherches en sciences politiques (CERSS), présidés tous les deux

par A. Saaf. Son 4ème Congrès (après celui du 21 et 22 novembre 1997 et celui du 14 au 15 décembre 2007 à Mohammedia) a eu lieu le 13 et 14

janvier 2012 à Settat. Il a offert l’opportunité de renouveler la composition des instances de l’Association (Bureau exécutif et Conseil administratif).

Les congressistes ont ainsi élu Ali Karimi, président de l'Association (succédant à Abdallah Saaf devenant président fondateur de l'AMSP). Le conseil d'administration a été élargi à 49 membres et le bureau exécutif à 17, pour s'adapter à l'élargissement de l'AMSP et à son ouverture sur toutes

les facultés de droit du Royaume. Le 5ème congrès (le dernier), s’est tenu à Marrakech, le 22 et 23 février 2015. Lors de ce congrès, il a été également

question de renouveler la composition du bureau exécutif de l’association (revue à la hausse, soit 21 membres représentant les différentes universités du Maroc), en plus de l’élection des membres de son Conseil administratif. C’est Abderrahim El Maslouhi qui a été élu nouveau président de

l’AMSP à son issue. 64 Au centre du débat scientifique, deux questions paraissaient attirer l’attention des outsiders (Gellner, Hart, Geertz, Waterbury….) : comment caractériser la société marocaine et rendre compte de sa singularité historique tout en restant rattaché aux grands courants théoriques du moment :

le marxisme, le structuralisme et les théories de la modernisation ? Quel sens donner au fait tribal et à l’approche segmentaire ? 65 Le témoignage de H. Rachik sur son parcours est assez éclairant sur ce point : « J’avais l’habitude, au début de ma carrière, de m’identifier comme juriste de formation et anthropologue de conversion. (…) Dans mon cas, la conversion s’est faite sans abandonner l’espace de ma formation initiale.

Le sujet de mon diplôme d’études supérieures par lequel j’entamai ma conversion portait sur la modernisation de trois tribus zemmours (1980-

1982). Celui de ma thèse de doctorat ès-sciences politiques, par lequel je consacrai ma conversion, portait sur des repas sacrificiels observés dans une tribu du Haut-Atlas (1983-1986). (…) Choisir le sacrifice comme sujet de thèse était plus audacieux. C’était une déclaration explicite

d’autonomie par rapport à ma discipline de formation ». (Cf. Rachik, 2016 : 11-12)

16

(Tozy, 1995 : 105-112 , 1999 : 17). Ce n’est certainement pas pour rien que l’anthropologie politique a eu

tendance à colmater la brèche, et que les travaux d’anthropologues-politologues fournissent souvent les

meilleures introductions aux systèmes politiques d’une bonne partie de l’Afrique, le Moyen-Orient et

l’Afrique du Nord y compris le Maroc. Soucieux de ce qui est advenu des études politiques et reconnaissant

que le "politique" en tant qu’une sphère autonome, ne pourrait être appréhendée correctement qu’en ses

propres termes et territoires, on ne peut occulter que durant les cent dernières années, l’approche

anthropologique et politique du Maghreb et plus particulièrement du Maroc, s’est répandue, avec des

conséquences qui se font encore ressentir sur les études politiques en Afrique du Nord et au-delà66.

Dans cette lignée, d’autres universitaires marocains soulignent que dans des sociétés comme le Maroc, les

politistes sont confrontés à des phénomènes culturels qui dépassent le champ de leurs traditions

disciplinaires (Rachik & Bourqia, 2009). En effet, l’examen de l’Etat marocain précolonial (le Makhzen)

ne pourrait se faire sans la référence à la littérature relative aux formes de l’Etat traditionnel67. Désormais,

la production anthropologique jette un éclairage théorique sur les différentes formes étatiques et par

conséquent aide à comprendre le processus de fonctionnement de l’Etat traditionnel marocain (Bourquia,

2012 : 31-33). De même, M.O. Benjelloun, note que « notre sentiment est que aujourd’hui plus que jamais,

les méthodes historique et anthropologique constituent pour la recherche politologique du pouvoir au

Maroc et de ses mécanismes des passages obligés. (…), il s’agit là d’une science politique qui par nécessité

n’hésite pas à se décloisonner et aller chercher voire recourir aux techniques méthodologiques forgées et

aux résultats pratiques obtenus hors de ses frontières ». Pour l’auteur, cette tendance et cette nécessité

interdisciplinaire sont accentuées par la globalisation qui a rendu les frontières entre le dedans et le dehors,

l’économique, le sociale et le politique, le national et l’international, plus mouvantes moins tranchées et

définitives (Benjelloun, 2002 : 28). Ceci a suscité l’intérêt à mobiliser la démarche anthropologique68.

Les politistes marocains impliqués dans la construction de leur champ disciplinaire ne pouvaient pas se

soustraire au dialogue et au positionnement théorique par rapport à ces écrits anthropologiques, notamment

sur les questions du partage du pouvoir, sur le rapport individuel et collectif au politique et sur les

articulations culturelles et identitaires. Il faut ajouter à ces appels au secours anthropologique que l’atrophie

de l’espace public et l’intérêt limité pour la politique dénote que la «société marocaine reste apolitique»,

c’est pourquoi il ne faut pas la mettre sur pied d’égalité avec des sociétés qui ont vécu des révolutions, des

guerres civiles et de longues gestations institutionnelles, constate l’un des figures de proues de la science

politique nationale (Saaf, dans Ait Mous & Ksikes, 2014 : 328-329).

Par ailleurs, cette production scientifique, si diminuée soit elle, est marquée par l’émergence de nouveaux

objets de recherche et de nouvelles orientations théoriques et méthodologiques. En effet, ces travaux

anthropologiques qui sont fruits des initiatives individuelles, ont exploré des domaines divers comme la

sainteté, les groupes religieux, le rapport entre le religieux et le politique, et ont développé une approche

66 M. Tozy n’hésite pas à historiciser cette conversion disciplinaire du côté des sociologues marocains, à partir de l’article de Hammoudi, 1974 : «

Segmentarité, stratification sociale, pouvoir politique et saints, réflexions sur la thèse de Gellner», article qui relevait selon Tozy de la controverse

scientifique tout en étant un peu idéologique, mais qui se démarquant de la génération qui a pris position dans le champ théorique, notamment, à partir de l’article de Khatibi, 1975. Cette trajectoire selon l’auteur les a conduit vers l’anthropologie, avec comme stratégie de légitimation, la prise

de possession, non pas d’un corpus théorique mais du terrain ». (Propos de Tozy dans Mahe & Bendana, 2004 : 98). 67 Parallèlement, à une certaine littérature se situant dans le sillage de Max Weber qui attribue la rationalité à l’Etat moderne à sa forme occidentale, la diversité des formes étatiques que les sociétés et l’histoire ont connues reflète d’autres formes de rationalité et d’autres configurations qui ont été

décrits dans la littérature d’anthropologie politique. Désormais, les critères de définition de l’Etat traditionnel comptent : le lien territorial ;

l’imbrication entre le segmentaire et le centralisé ; une administration compétente basée sur la personnalisation des rapports sociaux et le caractère personnel du pouvoir régissant les rapports politiques. (Cf. Balandier, 1967 : 156 -157). 68Il convient de rappeler que : Ernest Gellner, David Hart et tout un courant anthropologique dirigé par Clifford Geertz, ont produit des œuvres de

référence (Gellner, (2003 [1969] ; Hart, 1970 ; Geertz, 1992 [1968]) ; Geertz. C, Geertz .H and Rosen. L, 1979 ; Rabinow, 1975, 1977 ; Rosen. L, 1984 ; Eickelmann, 1977). Il faut ajouter, la toute récente entreprise de l’anthropologue et politologue américain James C. Scott, qui se place dans

la lignée des études réalisées par Ernest Gellner au Maroc (Scott, 2013[2009]). Pour une synthèse critique de ces approches qui ont alimenté la

grammaire politiste au Maroc, on se reporte aux travaux ci-après : (Berdouzi, 1987 ; Saaf, 1991 ; Adnaoui, 2005 ; El Rhazi, 1986, Tozy, 1999, 2004 ; Rachik, 2005, 2012,…).

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critique et analytique du modèle segmentaire. Pourtant, la production anthropologique au Maroc ne paraît

pas s’inscrire comme l’est la science politique ou la sociologie dans une posture de plus en plus camérale.

Elle est plutôt créée par l’exigence de dialoguer avec l’anthropologie anglo-saxonne mais aussi de mobiliser

les acquis théoriques de l’anthropologie pour comprendre des phénomènes culturels variés, portant sur la

tribu, les rituels, le système politique, le religieux et les confréries entre autres (Rachik, 2012).

Dans cette perspective, le gouvernement traditionnel et ses fondements symboliques, l’organisation tribale

et les questionnements sur le système segmentaire, l’enjeu politique et les conflits sociaux, le fondement du

pouvoir autoritaire, seront pris en charge à partir des années 1990 par des essais d’anthropologie politique

qui ne cesse de s’accumuler (Bourqia & Hopkins, 1991 ; Rachik ,1992 ; Tozy, 1999 ; Hammoudi, 2001 ;

Benjelloun, 2002 ; Benhaddou, 2010). C’est dire que l’anthropologie politique au Maroc a donc un rôle

pionnier en ce qui concerne l’ouverture de nouveaux champs de recherche, même si, le choix des objets

d’étude semble conservateur69. Toutefois, cette nouvelle conjoncture a mobilisé de nouveaux groupes de

chercheurs autour des nouvelles questions sociales posées.

Les approches anthropologiques récentes du politique mettent l’accent sur la description et l’interprétation

systématique de processus sociaux concrets ainsi que leurs cadres culturels de référence. Elles permettent

ainsi de reconstruire et d’interpréter autrement les objets traditionnels de l’anthropologie religieuse et de

l’anthropologie socio- politique. De même, elles se penchent sur d’autres objets, tels que les transformations

du monde rural, les nouvelles formes d’urbanité, les mouvements sociaux en s’inspirant de certaines

tendances théoriques comme l’anthropologie dynamique et celle des mouvements sociaux. En mettant

l’accent sur des groupes sociaux particuliers et en enquêtant auprès de populations restreintes, telles que les

femmes ou les jeunes ou les groupes religieux, cette tendance qui ne cesse de s’accentuer, focalise l’analyse

sur le niveau microsociologique, en phase avec cette «société des individus» en émergence (El ayadi,

Rachik, Tozy, 2009 ; Gandolfi (dir), 2008). Ainsi, pendant les dix dernières années, les chercheurs en

sciences sociales au Maroc ont traité d’un grand nombre de thèmes (Rachik, 2008). Le répertoire inclut des

thèmes comme les politiques publiques en général, les questions culturelles, sans oublier les dynamiques et

les relations sociales. A titre indicatif, Le Maroc au présent : d’une époque à l’autre, une société en

mutation, expose plusieurs facettes des tensions qui traversent la société marocaine et montre qu’elles ne

sont ni figées ni subies par les marocains (Dupret et al, 2016).

Par ailleurs, si la production plus récente des sciences sociales du politique semble confirmer que la

compréhension de la société marocaine – à travers ces multiples thèmes – est le noyau dur de la réflexion,

c’est, nous semble-t-il, parce que les grandes questions posées traditionnellement par les sciences sociales

du politique, liées au "macropolitique" (l’Etat, la légitimité du pouvoir politique, …) ne répondent plus aux

souhaits de compréhension des jeunes générations de chercheurs70. Il paraîtrait que les jeunes chercheurs au

Maroc seraient dans cette vague qui préfère l’étude de phénomènes plus circonscrits, moins référencés aux

structures socio-politiques. Néanmoins une certaine autolimitation semble continuer de marquer

qualitativement la production politiste au Maroc. Les chevronnés n’osent que rarement intervenir dans la

formulation théorique de la discipline politiste, et souvent, ils ne sélectionnent que des thèmes développés

dans d’autres sociétés liés à d’autres réalités comme objet d’étude. Ceci dit, il y a des exceptions militantes

sur ce volet et qui d’ailleurs sont comptés sur les doigts71.

C’est peut être donc la pertinence de l’anthropologie politique dans le Maroc contemporain qui doit être

revisitée par les savants du politique. A notre sens, la science politique au Maroc devrait être poussée vers

69 A ce niveau on peut constater une permanence des phénomènes étudiés, qui semblent les mêmes que ceux traités par l’anthropologie coloniale : Confréries, Sacrifice, Culte des saints, Makhzen, etc 70Celles-ci paraissent avoir abandonné le terrain des projets collectifs, alors que pour leurs aînés, formés pendant les années 1960 et 1970, moment

culminant de la théorie marxiste dans les sciences humaines et sociales au Maroc comme ailleurs, la motivation centrale de leurs travaux était d’aider à surmonter les plaies de la colonisation et d’affronter l’autoritarisme étatique. 71Cf. aux propos de M. Tozy, de R. Bourquia, d’A. Mouadden dans (Ait Mous & Ksikes, 2014).

18

un nouvel exercice épistémologique vis à vis de la pertinence de ses compétences à comprendre le réel

marocain sinon la discipline semble s’inscrire encore à reporter son identification.

II.2- L’absence d’un territoire politiste à défendre ou la constance d’une identité "floue"

L’idée que l’enseignement de la science politique présenterait une irréductible spécificité au regard des

autres disciplines universitaires constitue un dénominateur commun, un élément fédérateur qui, pour la

communauté des politistes, relève de l’évidence et leur permet de se reconnaître et de s’identifier. Cette idée

s’enracine peu à peu dans le champ académique marocain. Alors que la science politique tente, au Maroc,

de s’affirmer en tant que programme universitaire, les politistes ne parviennent pas en tant que tel à s’établir

en communauté. La professionnalisation est donc une question centrale pour les politistes car c’est sur elle

que repose l’affirmation de la spécificité d’un enseignement politiste.

Par ailleurs, la construction intellectuelle voire le montage heuristique de quelques objets dépendant de la

science politique, est une manière à son insu de revendiquer un certain champ, avec ses domaines d’études

propres, ses méthodes spécifiques, et par conséquent le traçage de ses frontières répond à un effort de

cadrage de la science politique au Maroc. Il définit tout à la fois ce qui est son objet de réflexion et comment

l’aborder, mais aussi ce qu’il en écarte. Une discipline se définit tout autant par ce qu’elle est que par ce

qu’elle n’est pas. C’est dire que ce ne sont pas tant les pratiques englobées par le champ de l’exercice

praticien qui ont changé que les conditions extérieures de sa légitimité et de son exercice. En plus des

conditions institutionnelles (université et systèmes de formation), d’autres sont liées au marché du travail, à

l’enrichissement des modèles de référence des postures d’exercice et de leur légitimité. En plus d’une

démarche par les grands enjeux sociaux, politiques et économiques, à caractère synthétique, les

transformations constatées et analysées ont été aussi appréhendées à partir d’une approche ethnographique

(Rachik, 2016). Puisant leur inspiration aux sources de nombreuses problématiques théoriques, parfois très

distantes les unes des autres, n’hésitant pas à les ajuster, voire à les renouveler, les politistes marocains ont

tenté de mettre en forme les questions notamment posées à la société marocaine de la fin du XXème siècle

et du début de ce siècle. Cette évolution qui doit être reliée aux changements intervenus dans la seconde

moitié des années 1980, au sein même du champ scientifique académique, a conduit à la modification d’un

certain nombre d’aspects liés à la production du savoir politique (concepts, pratiques et usages).

Parallèlement à l’institutionnalisation «autoritaire» de l’espace politique, le jeu politique sera limité voire

fermé. Dans cette condition, ou le sécuritaire prend le dessus du discours savant sur le développement, le

foisonnement des interdits et des lignes rouges assujettit l’évolution du regard politiste national et minimise

les chances et les conditions de la production des idées, des points de vues et d’analyses politiques originaux

et objectifs (Mouaden, 2013). Ni le niveau de la société politique les assimila, ni le champ politique est

capable de les épauler. Il n’est pas apparent que les choses ont subi une nette démarcation dans le fond,

malgré les multiples réformes universitaires, qui se sont soldées dans la charte nationale de l’éducation et

de la formation. La science politique n’est pas toujours en mesure de s’émanciper. Ces développements

récents qui rappelle le rôle de la science politique participent-t-ils des savoirs d’État et des techniques de

gouvernement ?

Par les questions qu’elles posent et les indicateurs qu’elles forgent, les productions scientifiques peuvent

s’insérer dans des rapports de pouvoir, des mécanismes de légitimation politique et des dynamiques

d’institutionnalisation. Celles-ci peuvent participer à la définition de catégories d’action publique. Il arrive

également que des institutions extérieures à l’espace académique utilisent leurs résultats pour dresser des

diagnostics et formuler des pronostics qui assoient leur propre légitimité72. Dans cette articulation entre

science et politique, la définition d’une discipline dépend d’une part, de l’autonomie de l’activité

72 Un Etat, une organisation internationale, une administration, un mouvement politique ou un opérateur économique privé peuvent ainsi appuyer –

voire solliciter – des recherches qui valident leurs préconisations.

19

scientifique face au pouvoir politique. Elle dépend d’autre part, du statut réservé à l’expertise scientifique,

à ses évolutions et aux effets des mécanismes supposés associer les profanes à la prise de décision

politique73.

Désormais, compte tenu des nouveaux impératifs économiques et politiques, les pratiques professionnelles

en parenté avec la science politique s’estompent sous la pression du contingent (Mouaqit, 1995 :111-115).

La montée en puissance d’un discours expert dans la sphère socio-politique nationale lors des deux dernières

décennies, mérite d’être identifié et déconstruit. Plus généralement, le recours massif aux sciences sociales

du politique outre qu’il est devenu ici comme ailleurs un moyen de rationalisation de l'évolution sociale et

un dispositif de pilotage des politiques publiques, est de nature à consolider les «ressources discursives» de

la légitimation politique. Dans tous les cas, «rendant plus floues les frontières entre activité scientifique et

activité politique, le développement de ces pratiques impose aux chercheurs de s'interroger sur la nature du

rôle qu'ils jouent lorsqu'ils sont ainsi appelés par les gouvernants en tant qu'experts» (Chevallier, 1996 : 34).

En ce sens, dans un contexte politique ou les grands cadres de gouvernance sont des cadres techniques et

ou le pouvoir prend surtout appui sur des experts, les nouvelles formes de pouvoir qui se mettent en place

pour gouverner la société marocaine outre qu’ils font assez peu l’objet d’études empiriques, n’ont pas suscité

des analyses scientifiques approfondies.

Dès lors, l’expertise politiste sert à produire un discours, qui aide en retour à désamorcer le potentiel

conflictuel par un processus de dépolitisation des problèmes socio-politiques délicats. Apparemment

expression d'une complémentarité renouvelée entre le savant et le politique, la régénération camérale

contribue donc à brouiller les frontières entre le champ scientifique politiste et le champ politique dont les

valeurs et les règles de fonctionnement sont radicalement différentes par rapport à celles du premier. En

effet, le chercheur, devenu expert, se trouve écartelé entre la légitimité scientifique qu'il a conquise et la

légitimité sociale et politique qui lui est octroyée. Sans possibilité même d’une critique et d’une distance, et

à force de mobiliser le même lexique, les mêmes arguments, l’expert-politiste arrive à présenter comme

évident ce qui ne relève pourtant que d’une option politique. Les politistes se retrouvent dans le rôle

déplaisant de «politologue de service» impuissants devant les «nouvelles formes de modernisation» qui

agitent la société marocaine en mutation. C’est dire que la réflexion sur les déterminants camérales de la

science politique au Maroc pose donc la question préjudicielle de la compénétration entre les agendas de

recherche et les injonctions institutionnelles74.

Globalement, la construction du nouveau rôle scientifique, l’invocation de la science pour la science et de

l’autonomie professionnelle et scientifique semblèrent aller de pair avec les usages politiques que la plupart

des politologues firent de ce rôle. Dans une large mesure, les premiers fondateurs nationaux du savoir

politique au Maroc, qui n’avaient, eux, jamais invoqué le principe de la science pour la science, avaient

construit un rôle et un savoir beaucoup plus autonomisé que ne l’avaient fait les professeurs des sciences

politiques des deux dernières décennies 75 . Ces derniers, en même temps qu’ils invoquaient leur rôle

scientifique, autonome du monde social, assument un point de vue politique au grand jour. Néanmoins,

l’hétéronomie vis-à-vis de l’action politique et publique serait donc à la fois un obstacle et un passage obligé

pour l’autonomisation scientifique de la science politique nationale.

On se trouve ici au cœur de la problématique wébérienne du "savant" et du "politique" : le politiste marocain

et plus largement le social scientist, se trouve dans l’incapacité de se dire en dehors du politique et pèse peu

pour imposer toute forme d’objectivation du savoir politique. L’Etat définit, non seulement, les objets de

73 Pour des éléments de réponse empirique sur ce volet, les contributions de la revue Politix (n°111, 2015) invitent à reprendre le dialogue et à retrouver le chemin d’une sociologie politique des sciences en opérant des croisements entre sociologie politique et sociologie des sciences. 74 La question se pose, il est vrai, pour l’ensemble des sciences sociales et bien davantage pour la sociologie et l’anthropologie que pour la science

politique (Rachik, 2010). 75C’est fort reconnu par Khatibi lorsqu’il affirme : « A cette époque (1960), devenir sociologue était plus une question problématique qu’une réponse

précise, plus un état diffus d’intellectualité que l’apprentissage méthodique d’un métier qui fût reconnu et valorisé », (Cf. Khatibi,2002 : 7).

20

recherche en fonction de ses attentes et de ses intérêts de l’heure, à travers sa politique et ses esprits mais

contrôle aussi étroitement les lieux de production : universités, instituts, centre de recherches76, sans oublier

la diffusion du savoir politique qui était étroitement surveillée 77 . Dans le même temps, le champ

politologique s'est progressivement transformé, notamment par la multiplication des phénomènes émergents

qui échappent aux cadres institutionnels traditionnels, par l'irruption de nouvelles thématiques (la société

civile, le féminisme, l'environnement, etc.), par le déplacement des frontières entre public et privé et par la

dynamique de la mondialisation, de la globalisation et de la constitution de réseaux sociaux.

Même si la déconstruction reste à venir, le contenu, les orientations, les frontières de la science politique

/savoir politique demeurent "floues". La définition de son objet est loin de faire l’unanimité au sein

d’une communauté de politistes, qui certes, se reconnaissent mutuellement à travers l’appellation "science

politique", mais dont les préoccupations restent assez diversifiées, au point de rendre aléatoires des

collaborations d’envergure. Aussi estime-t-on que la question de l'identité scientifique de la science

politique est loin d'être clarifiée et que dans le champ scientifique marocain, voire même intellectuel, les

lignes de démarcation semblent encore loin d’être nettes entre les territoires du scientifique et les espaces

où s'élabore l'analyse intéressée.

Dns la mesure où la désignation des faits comme politiques renvoie inévitablement à une conception du

politique, la distinction entre "faits" et "valeurs" et la conception de la science comme pratique donnent une

importance particulière à l’éthique de la communauté scientifique. Ce sont les principes éthiques qui

gouvernent la production du savoir. Les valeurs non seulement éclairent les faits, mais soutiennent les

identités des chercheurs et permettent la pratique de la science. En l’absence d’engagements éthiques

régentés, il est clair, que l’engagement éthique du chercheur demeure une question de choix individuel.

Aujourd’hui, nombre d’auteurs se détournent de l’engagement éthique par un effet attendu de la division du

travail et de la nécessité de trouver une niche où s’épanouir, un territoire à marquer. Cette situation pour le

moins ambiguë, laisse perplexe au regard précisément des efforts déployés par quelques chercheurs-

militants pour clarifier l’identité et le territoire de celle-ci et pour rendre effectifs et performants

enseignement et formation en science politique au Maroc. La diversification accrue des champs

d’expression des savoirs politistes et des pratiques sociales conduit à une fragmentation qui remet en cause

le désir et le souci de cohérence épistémologique et brouille la crédibilité de la discipline et son rôle civil.

II.3- De la nécessité d’un tournant épistémologique

Dans la mesure où la pertinence scientifique de la science politique passe par le renouvellement permanent

de ses questions épistémologiques, par la critique systématique des connaissances scientifiques acquises.

Comme cela fut/est le cas ceux d’autres cieux, le temps est venu de chercher à agencer en un tableau politiste

d’ensemble les différents savoirs jusqu’alors éclatés, afin qu'ils deviennent objets d'enseignement et de

professionnalisation. Autant, la fragmentation de la science politique, remarquée aux Etats-Unis (Almond,

1997) puis en France (Favre, 2010) atteint la science politique au Maroc au moment même où elle

s’affranchit peu à peu des obstacles qui ont longtemps pesé sur son développement comme discipline à part

entière. Autrement dit, la science politique, c’est ce que les professionnels et les praticiens en font.

Incontestablement, la science politique progresse au Maroc en tant que mode de connaissance et ressource

politique. Ses praticiens et ses professionnels s’imposent dans différents domaines de la vie sociale et

politique. Malgré cet activisme, il est encore difficile de parler de communauté de chercheurs et

d’enseignants capable de diffuser le savoir politique au vrai sens du terme. Loin d’être uniforme et

76Pour nuancer le propos, il est nécessaire de souligner la percée de quelques centres à élan politiste, présidés par des politologues marocains : C’est

le cas du Centre d’études et de recherches en sciences sociales (CERSS), dirigé par A. Saaf et du Centre Marocain des Sciences Sociales (CM2S), dirigé par M. Tozy, entre autres. 77Dans le cadre de la libéralisation amorcée depuis le milieu des années 1990, des revues sont venues pour bousculer cet état de fait : revue Abhath

avec un nouveau souffle (cette revue est en vie depuis 1983 malgré son irrégularité d’apparition), Revue marocaine des politiques publiques (2009), Revue marocaine de science politique (2010), Revue marocaine des sciences politique et sociale (2011), Apoleius, Revue Maghrébine de Sociologie,

d’Economie et de Science politique (2015)…

21

cohérente, cette évolution exprime, combine et véhicule des logiques et des rationalités contradictoires qui

questionnent la neutralité axiologique préconisée. Pourtant, si la science politique et ses praticiens sont

assujettis à un destin pluriel, il va sans dire que les transformations institutionnelles du paysage académique

ainsi que la pression croissante en faveur d’une professionnalisation des cursus universitaires gardent sous

silence les recompositions intellectuelles de la discipline et de ses frontières.

Pour sensibiliser sur ces mutations, le thème fédérateur retenu à l’occasion du cinquième congrès de

l’Association marocaine de science politique (AMSP), a porté sur "L’université à l’épreuve des

transformations politiques au Maroc". Une thématique dont les différents aspects ont fait l’objet de

communications au niveau de tables rondes, et a eu le mérite de nourrir des réflexions croisées sur le rôle

de l’université marocaine dans le changement démocratique, dans le production de la connaissance du

politique, l’analyse des politiques publiques et le décryptage des structures et des acteurs qui fabriquent,

façonnent et produisent les réformes et les changements78.

Aussi à rebours d’un marché scientifique divisé par une spécialisation croissante pour que chaque

producteur individuel se distingue de tous les autres, le travail collectif a d’autres vertus que celle d’accélérer

le rythme de la production scientifique. Par exemple, il a le même effet que n’importe quelle délibération.

Car, il oblige les chercheurs à présenter leurs arguments de façon à les rendre recevables par autrui, et de

revenir sur des positions tranchées, antithétiques les unes des autres, qu’elles soient méthodologiques ou

idéologiques. Aussi, le travail collectif ou en équipe contraint à formater ses arguments pour les ajuster aux

procédures et aux normes admises, à faire des concessions sur la «pureté épistémologique». Bien entendu,

le travail en commun n’a évidemment pas que des avantages. Outre « les rivalités », «les stratégie de niche »,

il faut ajouter, les problèmes liés aux «gratifications» obtenues dans le cadre d’un travail collectif (Schemeil,

2010).

Si la science politique et ses praticiens sont assujettis à un destin pluriel et fragmenté, il ne reste pas moins

souhaitable, pour sa crédibilité heuristique et son rayonnement, que les instrumentalisations et les finalités

pratiques qui structurent son déploiement constituent une exception et non la règle. Il va sans dire que la

science politique nationale est d’abord l’affaire d’un groupe assez restreint de chercheurs. C’est dire que

moins diverse et peu unifiée, l’activité politiste des revues au Maroc informent aussi des clivages entre les

porteurs du savoir politiste. Sur ce, la recherche plus moins politiste évolue dans un environnement aux

champs multiples, complexes et interactifs : le champ de "la demande sociale ", le champ "axiologique", le

champ de la "doxa", et le champ "épistémique". Pour autant, l’objectif référentiel lié au champ épistémique

n’est plus assez visible aujourd’hui : il est relayé voire dominé par l’économique, le politique et le social.

La recherche scientifique en sciences sociales plus globalement se construit dans un cadre sociétal qui n’est

pas neutre.

Pour dépasser de telles contingences, pas toujours immédiatement perceptibles, il convient d’adopter une

démarche critique scientifique, reposant sur quatre exigences complémentaires79. D’abord, une exigence de

pertinence : c’est le rôle de l’épistémologie qui offre cette vigilance critique propice au doute dans la

recherche de la vérité. Cette première exigence est susceptible d’assurer «l’objectivation», c’est-à-dire la

production de l’objet scientifique. En second lieu, une exigence de formulation explicative : c’est le rôle de

la théorie, de la conceptualisation dans la démarche entreprise. En troisième lieu, une exigence de cohérence

: c’est le rôle de la morphologie de la recherche qui envisage l’organisation du phénomène étudié. Et en

78 Lors de ce congrès de l’AMSP qui s’est tenu à Marrakech du 22 au 24 février 2015, les interventions ont été axées notamment sur le rôle de

l'université dans la démocratisation de l'Etat et le pluralisme politique, partisan et associatif. Les contraintes néolibérales qui pèsent sur l'offre de la formation universitaire, les politiques publiques sectorielles questionnées à travers leurs pratiques, leurs instruments de gouvernance, leurs logiques

d'action et du changement d'échelle, leurs enjeux, leurs catégorisations, ont ensuite attiré l’attention des chercheurs. L’université comme champ de

production des élites locales, régionales et nationales, ainsi que le rôle de l'université dans la connaissance du politique, la production du discours politique et du savoir scientifique, a suscité des débats fructueux lors de cette manifestation scientifique. 79 Voir sur ces aspects les notes de De Bruyne et al (1974 : p. 34 et s.).

22

quatrième lieu, une exigence de testabilité : c’est le rôle des techniques permettant la collecte, le contrôle,

le traitement et l’évaluation des données de la recherche80.

Travaillant sur la réalité sociale, la science politique est partie prenante à cette réalité ce qui explique les

difficultés d'une distanciation qui est souvent plus apparente que réelle. Ainsi, face à l’accélération de

l’histoire récente, la demande sociale s’intensifie pour mieux comprendre. Et désormais, dans le concert

d’expertise mobilisée, c’est l'ensemble des sciences sociales qui est mis à contribution. A la fois conçue

comme investissement professionnel et personnel, la recherche en sciences sociales ne peut faire l’économie

d’une réflexion sur les conditions de production du savoir politique, sur la façon d’écrire et de décrire une

histoire dans laquelle les observateurs sont eux-mêmes engagés81. Pourtant, il appartient au chercheur

d'opérer lui-même une claire distinction de ses pratiques d'expertise et de ses pratiques scientifiques, en

n'oubliant jamais qu'elles restent gouvernées par des axiologies différentes : l'autorité scientifique est

fonction de l'indépendance présumée du chercheur par rapport aux déterminations politiques et toute

interférence ne pourrait que saper les fondements de cette autorité.

En somme, on problématise sur l'avenir de la discipline dans une faculté de droit où l'indiscipline reste un

défi. L’émancipation de la science politique est un défi lancé à ses spécialistes qui se doivent de le relever.

Sa réussite dépendra d’un certain nombre de facteurs dont la délimitation de l’objet politiste, la recherche

d’une coloration théorique propre mais sans enclavement, la spécialisation des pédagogues, une offre de

formation adaptée aux besoins du marché et le parachèvement de l’émancipation par le positionnement de

la discipline dans une vision prospective. Aussi, face à des appareils d’Etat qui ont logiquement et

régulièrement la tentation de considérer la recherche comme une simple auxiliaire technique, au service des

cadres idéologiques dominants à chaque conjoncture et moment de l’histoire, c’est du reste du débat

épistémologique que se nourrit une discipline bien établie. Il va sans dire que l’usage de notions "non

conceptualisées" permet l’inscription et la reproduction de "schèmes de pensée", qui utilisés avec régularité,

par les médias notamment, permettent de donner l’apparence "d’évidence" à des visions sociales des plus

discutables. Les "notions dominantes", ont-elles un "sens " en dehors de ceux qui les fonts "fonctionner» ?

Participent-elles à l’activation de nouveaux débats à l’intérieur des disciplines ou entre elles ?

La science politique nationale se trouve donc aujourd’hui face au défi de constituer ses propres démarches

scientifiques et d’élargir ses horizons d’enquête pour pouvoir réellement contribuer à une meilleure

compréhension du politique marocain. En ce sens, le principal enjeu de la science politique au Maroc réside

aujourd’hui dans sa renaissance et sa refondation sur de nouvelles bases permettant de donner une nouvelle

dynamique tant au renouvellement des enseignements qu’à la production de la connaissance scientifique.

Dans le contexte de la mondialisation, l’ouverture à l’international impose une véritable mutation de la

science politique nationale, pour rendre intelligible les nouvelles formes d’action politique.

Conclusion

En guise de conclure, il va sans dire que dans les disciplines à forte institutionnalisation, le champ

scientifique est bien dessiné. Au contraire, dans les disciplines dont l'institutionnalisation est faible, il n’y

a ni structuration claire de l’enseignement, ni de démarcations qui soient la base d'une identité disciplinaire.

On comprend donc que l’institutionnalisation de la science politique dans un contexte comme celui du

Maroc n’arrive pas encore à régler la question de son contenu, de son identité disciplinaire et de sa mission

"savante". Issue d’une expérience multidisciplinaire qui s’est développée dans un contexte théoriquement

80 A titre indicatif, quelques soient les conflits épistémologiques sur l'efficacité des méthodes (quantitatives ou qualitatives), quelques soient les procédés de recherche adoptés (entretiens semi-directifs, observation participante,…), le politiste, lorsqu'il s’intéresse aux partis politiques, aux

mouvements sociaux ou aux élections, n'est pas un militant ou un commentateur de sondages mais l'analyste des considérations de l'engagement et

des déterminants du vote 81 La vague contestataire amorcée en 2010/2011 dans les pays arabes, par exemple, invitent à une démarche réflexive qui interroge la position du

chercheur, la spécificité de son métier et sa capacité à rendre intelligibles les événements majeurs de l’histoire récente.

23

incohérent, politiquement contrôlé et dépendant de l’État, la science politique au Maroc, ne s’est ouverte à

la diversité que depuis peu en matière d’approches et de méthodes. Alors que le Maroc souffre d'un

désinvestissement citoyen à l'égard des organisations militantes traditionnelles, il appartient aux chercheurs

en science politique d'adapter leurs objets à ces défis et de réfléchir au rôle qui pourrait être le leur

aujourd'hui. Non qu'il s'agisse d'appeler à une instrumentalisation du travail des politistes, mais parce que

la force de la science politique est de pouvoir contribuer au progrès démocratique. Au Maroc comme

ailleurs, la discipline politiste est contrainte de s'interroger sur le rôle dans et pour la démocratie. Se dessine

ainsi en creux dans les années à venir, la figure d'un chercheur en science politique ancré dans l'actualité et

prêt à répondre aux défis de l’apolitisme et de l’ancrage démocratique.

Parler de ce qui est central dans une société, c’est d’abord approfondir la recherche au sein de cette société,

puis la comparer avec d’autres, enfin l’englober dans une trame d’interactions plus vaste. A vrai, dire la

recherche scientifique correspond ainsi à un besoin de se connaître, de connaître le monde et la société dans

lesquels nous évoluons, pour les comprendre et les changer (Favre, 2005). En projetant les rationalités

scientifiques et disciplinaires dans un espace épistémologique en mutation, les sciences sociales, et

notamment la science politique, vivent des moments critiques. Elles s'interrogent sur leur caractère

scientifique, de même que sur leur impact réel dans la société. L'histoire de la science politique au Maroc

n'y échappe pas. Il est donc nécessaire de prendre en considération les différents types de pratiques

discursives politistes ou autres qui se concurrencent dans la compréhension du politique82.

À défaut de volontés politiques affirmées, éclairées et déterminées pour asseoir la science politique au

Maroc comme ailleurs, la science politique perdurera, inévitablement «entravée» et perçue comme

«dangereuse»83. En effet, quelle que soit la diversité des contextes, très souvent, l’argument de l’inutilité

cache un désir de contrôle et de soumission de la pensée et de la connaissance. Bien entendu, la capacité des

sciences sociales à prévoir le devenir d'une société et les effets de nos actions dans le monde reste cependant

très limitée. On ne peut jamais expliquer que ce qui s'est passé. Le futur éloigné demeure par essence

imprévisible, il est utopique de le présager. Marqué par des processus contradictoires et des logiques

antagoniques, le présent, au Maroc comme ailleurs, pose problème aux catégorisations des sciences sociales

plus globalement et politiste plus spécifiquement. A en croire P. Favre, La science politique, dans son volet

théorique, doit se donner pour tâche de penser les principes rationnels de l'ordre social sur la base des

connaissances acquises, et concrètement, de mettre en débat les décisions qui peuvent y concourir,

redonnant ainsi son unité à la science politique (Ibid).

82 En ce sens, on peut considérer à la suite de Claude Lefort que tout comme le politique, qui en tant qu'objet fondamental ne peut être entièrement circonscrit, le savoir et la science qui lui sont affiliés ne peuvent fixer leurs limites et doivent éternellement reconstruire leurs bases et repenser leur

champ d'investigation (Cf. Lefort, 1986 : 7). 83 Voir à ce propos, la carte blanche parue dans Le Monde du 31 mars 2016, signées par les associations membres du réseau francophone des associations de science politique, à la suite de la relocalisation du présent congrès mondial d’Istanbul vers Poznań. Cette prise de position a alarmé

sur des décisions politiques inquiétantes mettant à mal le développement de la science politique (en Turquie, en Ouzbékistan, au Japon et aux USA,

entre autres). Outre qu’elle condamne avec force de telles décisions politiques, elle tient aussi à rappeler que l’analyse scientifique des faits sociaux est fondamentale pour la maîtrise collective et démocratique de notre destinée humaine. « Sans sciences sociales et humaines, les pouvoirs politiques

gouverneraient le monde en aveugle, en amnésie et pour le pire (…) La bonne santé de ce type de sciences implique qu’elles restent totalement

libres dans la détermination de ce qui est important et nécessaire d’étudier, de rechercher et d’enseigner ».

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