Date post: | 10-Sep-2018 |
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Nudges environnementaux et norme sociale :
une analyse controversée des discours des consommateurs
Isabelle Robert*
Maître de Conférence, Université de Lille – SKEMA Business School
MERCUR Research Center
Institut du Marketing et du Management de la Distribution
Anne-Sophie Binninger
Professeur, NEOMA Business School
Nacima Ourahmoune
Professeur Associé, NEOMA Business School
* Institut du Marketing et du Management de la distribution,
6, rue de l’hôtel de ville, 59051 Roubaix,
Tel : 03.20.73.08.05 - 06.65.27.41.45
Fax : 03.20.73.95.01
1
Nudges environnementaux et norme sociale :
une analyse controversée des discours des consommateurs
Résumé
Cette recherche explore le phénomène des nudges verts, dispositif de communication
persuasive vis-à-vis des consommateurs afin qu’ils changent de comportement et reproduisent
une norme sociale écologique. Via une étude qualitative nous identifions quatre registres de
discours traduisant les représentations profondes et tensions vécues par les consommateurs
confrontés à ces nouvelles pratiques de communication. À la différence des
conceptualisations issues des théories comportementales, notre approche socioculturelle du
phénomène met à jour des résistances et contradictions complexes de la part des
consommateurs qui oscillent entre Soi et l’Autre, Méthode et Contenu, Conformité et
Déviance.
Mots-clés : Consommation durable, comportement écologique, norme sociale, nudge,
Transformative Consumer Research
Abstract:
The paper explores the emerging phenomenon of green nudge as a mean of persuasive
communication toward consumers. It aims at changing their behaviours and making
consumers enact ecological social norms. Through a qualitative research, we identify four
discourses that enlighten the consumers’ deep representations and lived tensions while
exposed to these new communication practices. Far from behavioural theorizations, our
sociocultural lens reveals consumers’ resistances and complex contradictions as oscilations
between Self and Other, Method and Content, Conformity and Deviance to the norm.
Keywords: Sustainable Consumption, Environmental behaviour, social norm, nudge,
Transformative Consumer Research
2
Nudges environnementaux et norme sociale :
une analyse controversée des discours des consommateurs
Introduction
Le terme nudge a été inventé par Thaler and Sustein dans leur ouvrage de référence paru en
2008 et constitue littéralement un « coup de pouce » qui doit permettre de générer des
comportements nouveaux en matière de « santé, de richesse et de bonheur ». Son objectif est
de créer des mécanismes capables de modifier de façon simple et non coûteuse le
comportement des individus d’une manière prévisible, sans créer d’interdictions et sans
changer les incitations économiques. Il repose sur la définition et la proposition d’une
architecture de choix qui est proposée pour aider les individus à prendre de meilleures
décisions, tout en leur laissant la liberté de faire ces choix. Les nudges se veulent donc neutres
et non culpabilisants se plaçant dans un registre informatif où l’individu garde au final la
liberté d’agir. L’utilisation de la norme sociale faisant référence au comportement des autres
dans les nudges incite néanmoins à nuancer cette vision communément admise, dans la
mesure où une tentative d’influence comparative peut toujours être perçue comme
culpabilisante. Les domaines d’application des nudges se situent dans la sphère économique -
épargne, choix de régimes de retraite complémentaire - (Thaler R.H. et Benartzi S, 2004) mais
surtout sociétale (prévention en santé publique, lutte contre l’obésité et le tabagisme, dons aux
associations). Etudiés essentiellement par des chercheurs issus de la psychologie sociale
(Schultz P.W. et Zelezny L, 2003, Allcott H. et Mullainathan S, 2010, Weber E.U, 2006),
elles sont présentées aujourd’hui comme un moyen efficace pour développer des
comportementaux pro-environnementaux plus pérennes (Goldstein et al, 2008). Ayant fait
l’objet de nombreuses recherches dans un contexte nord-américain et britannique, elles ont été
étudiées majoritairement dans la sphère publique mais peuvent concerner tout aussi bien les
organisations privées. Leur intégration en France reste plus récente mais fait l’objet d’un
intérêt politique au plus haut niveau1.
L’intérêt pour les nudges fait écho à un problème récurrent des comportements pro-
environnementaux. Ainsi, la littérature observe depuis longtemps une dissonance entre les
attitudes positives témoignant d’une sensibilité au développement durable et les
comportements réels, dénommée « attitude-behaviour gap » ou « value-action gap »
(Kilbourne et al, 1997, Kollmuss A. et Agyeman J, 2002, Binninger et Robert, 2008, Prothero
1 “Nudges verts” : de nouvelles incitations pour des comportements écologiques », (2011), Centre d’Analyse Stratégique,
Mars, N°216.
3
et al. 2011, Thøgersen 2005). La construction théorique du consommateur écologique se
heurte aux connaissances et capacités cognitives des individus, à leur compréhension des
informations et des enjeux ou à leurs compétences (Thøgersen 2005, Gordon et al. 2011).
Mais il parait acquis que la difficulté des passages à l’acte en faveur d’une consommation plus
durable, même reconnue comme une orientation désirable, ne se limite pas au défaut de
compréhension des informations et critères et que des lacunes en matière de processus
d’engagement mis en place existent. Les modes de communication classiques sont considérés
comme déficients, globalement inadaptés aux attentes des consommateurs et à leurs pratiques
comportementales (Leonidou et al, 2011). Ils génèrent de la confusion et du scepticisme
(Carlson, 1996, Kilbourne 1995, 2004) et souffrent d’un manque d’efficacité patent en
matière de modification des comportements (D’Souza and Taghian, 2005, Chang 2011).
En s’appuyant sur un cadre théorique issu des sciences comportementales, les nudges
environnementaux se conçoivent comme des dispositifs nouveaux de réponses aux enjeux
environnementaux de modification des comportements, mais se situent indéniablement au
cœur de tensions et de difficultés propres à la communication durable. Ils constituent un
phénomène de marché émergeant encore peu étudié. En effet, les études se sont
majoritairement penchées sur les mécanismes des nudges, mais aucune ne s’est focalisée sur
les consommateurs en tant que tels. Dans cet article, nous proposons donc d’étudier les
discours des consommateurs et de révéler comment ils mettent en place leurs stratégies de
résolution des tensions vécues après exposition à des nudges environnementaux. Il s’attachera
plus particulièrement à interroger les liens entre ces incitatifs comportementaux, le
développement durable et la norme sociale. Pour comprendre profondément les
représentations des consommateurs quant à ces nouveaux modes de communication et de
persuasion écologiques, notre méthodologie sera de nature qualitative. Nous définirons dans
un premier temps le cadre théorique des nudges en partant des travaux de l’économie
comportementale puis nous étudierons la littérature issue de la psychologie sociale puis du
marketing traitant plus particulièrement de ce mode d’incitation dans un cadre
environnemental. Nous présenterons ensuite notre méthodologie, puis nos résultats avant
d’envisager une discussion des enjeux des nudges dans une perspective socioculturelle qui fait
défaut à l’appréhension du phénomène essentiellement conceptualisé jusqu’à présent depuis
les sciences comportementales ou la psychologie.
1. Cadre théorique des nudges
1.1 Le paternalisme libertarien
4
Les nudges s’appuient sur les travaux issus de l’économie comportementale qui font le lien
entre la psychologie, l’économie et la rationalité de l’individu (Tirole, 2013). Ils découlent
d’une nouvelle doctrine le « paternalisme libertarien » (Thaler et Sunstein, 2008) qui revisite
la notion de paternalisme en mettant en avant l’aspect bénin et non intrusif de celui-ci tout en
l’associant aux principes de « liberté de choix » pour tous, propres aux libéraux. Cette
doctrine fait référence au paternalisme du libéralisme de John Stuart Mill, dont l’objectif était
de développer le meilleur de l’individualité (Orobon, 2013). Ainsi, comme le précise Ferey
(2011, p 737), le paternalisme libéral, libertaire ou libertarien « tente une synthèse entre action
paternaliste de la puissance publique par l’utilisation des heuristiques et des biais subis par les
acteurs et le respect des libertés formelles de choix. » Partant du principe que les individus
ont une rationalité limitée et qu’ils ne peuvent être assimilés au célèbre homo oeconomicus,
Thaler et Sunstein (2008) suggèrent de prendre en considération le « simple mortel » avec
toutes ses irrationalités, ses émotions, ses erreurs de jugement… Dans cette logique, les
auteurs identifient un certain nombre d’heuristiques et de biais cognitifs qui peuvent modifier
le jugement des individus et « les amener à se tromper de manière systématique dans la
poursuite de leur propre bien-être» (Ferey, 2011 p 738). Thaler et Sunstein (2008) font
référence à plusieurs processus d’évaluation non pertinents chez l’individu : l’heuristique de
« l’ajustement-ancrage 2 », de la « disponibilité
3 », de la « représentativité » ou de la
« similarité », l’optimisme et l’excès de confiance et le manque d’attention qui conduit
l’individu à l’inertie. Pour contrer ces processus d’évaluations biaisées, Thaler et Sunstein
(2008) proposent donc de recourir aux nudges, méthodes permettant aux individus de faciliter
leur prise de décision tout en leur permettant de revenir à tout moment sur leur choix. Selon
Orobon (2013, p 24), « les nudges sont donc présentés comme des remèdes à notre faillibilité
qui préserveraient notre authentique liberté ». Thaler et Sunstein (2008) font référence à la
notion d’architecture du choix qui repose sur une organisation de l’environnement facilitant la
prise de décision des individus dans le sens de l’intérêt général. Ainsi, proposer par défaut
l’option la plus bénéfique pour l’individu (Madrian et Shea, 2001, Smith et al, 2013) ou la
société (exemple de l’option d’impression par défaut en recto-verso plus respectueuse de
l’environnement) permet de jouer sur l’inertie au changement. D’autres dimensions figurent
parmi cette architecture du choix : anticiper les erreurs possibles des individus (exemple des
véhicules dotés d’allumage automatique des feux de position qui éliminent les possibilités de
2 Principe selon lequel l’individu part d’un ancrage, un chiffre et l’ajuste dans la direction qu’il pense appropriée.
3 Principe selon lequel l’individu surévalue les risques en fonction des évènements présents dans l’esprit de tout
à chacun
5
décharger les batteries en cas d’oubli d’extinction des feux), donner des repères, rendre plus
compréhensible l’information, faciliter la prise de décision en faisant référence à autrui en
exploitant la méthode du « filtrage collaboratif » qui consistent à proposer à l’individu de lui
révéler les opinions ou évaluations d’autres personnes qui ont fait des achats similaires. Dans
les travaux en marketing se référant aux nudges, l’architecture de choix a été étudiée
récemment par Johnson et al. (2012). Ces derniers considèrent que le recours à cette pratique
encourage les bons comportements sans interdire les mauvais et doit permettre d’éviter les
phénomènes de résistance ou de réactions intempestives à l’égard des politiques restrictives
souvent appliquées aux problématiques environnementales.
1.2 Nudges et normes sociales
Parmi la palette de mécanismes proposés dans les nudges, l’influence sociale et plus
spécifiquement la référence aux actions d’autrui peut jouer un rôle déterminant. Deux sources
d’influence sociales sont identifiées par Thaler et Sunstein (2008) : l’information et la
pression des pairs avec son corollaire constitué par le désir de ne pas être l’objet de la
désapprobation du groupe. Selon les auteurs, « un comportement désirable peut-être favorisé,
au moins dans une certaine mesure, si l’on attire l’attention du public sur ce que font les
autres ». (2008, p 124). Ces deux sources d’influence visant à développer un comportement
pro-social engendrent deux types de normes : les normes descriptives qui consistent à révéler
aux individus les actions et pensées de leurs pairs ou de leur communauté et les normes
prédictives qui dévoilent des informations « sur ce qui perçu comme étant admissible »
(Tirole, 2009, p 588). De nombreuses recherches prouvent que le comportement des autres a
une influence déterminante sur les attitudes et comportements des individus (Bearden et Etzel
1982, Goldstein et al, 2008) même dans des situations nouvelles (Griskevicius et al. 2006).
Toutefois, toutes les informations sur le comportement des pairs ne sont pas à diffuser :
Bénabou et Tirole (2011) suggèrent de « donner de l’information positive lorsque
l’information est bonne quant à un comportement pro-social ». Cette heuristique de
l’imitation peut également être conditionnée par le degré de similitude perçu entre les autres
et l’individu (Burnkrant et Cousineau, 1975). L’identification au groupe et l’importance du
groupe souvent incarnée par l’identité sociale apparait également comme une variable
déterminante dans le processus d’adhésion (Kleine and al, 1993; Terry et al. 1999). Cette
prévalence de l’identité sociale est à mettre en relation avec les motivations réputationnelles
qui joueraient un rôle clé dans la prise de décision des acteurs (Tirole, 2013). Ces travaux
rejoignent sur ces points la théorie de l’engagement qui s’intéresse à l’ensemble du processus
6
de modification comportementale et s’efforce d’aller vers la stabilisation de celle-ci (Kiesler,
1971). Il est ainsi démontré dans cette perspective que le regard de l’autre et la déclaration
d’un jugement positif sur l’individu permettent à celui-ci de mettre en œuvre des
comportements favorables aux bonnes causes (Ariely et al. 2009).
1.3. L’application des nudges dans le domaine de l’environnement
Thaler et Sunstein (2008) prônent le recours aux nudges dans le domaine environnemental
pour pallier les biais cognitifs en revendiquant plus précisément la diffusion d’information sur
les conséquences environnementales des comportements de citoyens, à l’instar des messages
obligatoires sur les risques du tabagisme. Thompson (2007) démontre que le fait de diffuser
une information sur la façon de consommer via l’utilisation d’un indicateur lumineux qui
clignote au rouge lorsque les consommateurs surconsomment de l’énergie, et au vert lorsque
ces derniers ont une consommation modeste, peut générer une baisse de leur consommation
de 40%. L’expérience de Nolan et al. (2008) menée dans le domaine de la consommation
énergétique, visant à remplacer les climatiseurs par des ventilateurs et reposant sur une
heuristique de l’imitation s’est également soldée par un changement de comportement plus
conséquent. Cependant la littérature fait état de certaines limites ou contraintes des nudges
environnementaux, notamment lorsque le recours aux autres est utilisé. Ainsi, Schultz et al
(2007) notent un effet inverse pour les consommateurs pro-environnementaux qui relâchent
leurs efforts alors que leur comportement pouvait jusqu’ici être considéré comme efficient.
Des questions restent également posées quant à la durabilité et la temporalité des changements
adoptés après exposition à un nudge, ainsi que la difficulté à dupliquer les expériences à
grande échelle. Des travaux récents montrent des modalités d’amélioration des nudges
environnementaux, comme par exemple avec des approches de data-mining qui permettraient
d’isoler des groupes homogènes de personnes chez qui la référence aux autres même à grande
échelle sera efficace (Allcott et Mullainathan 2010). D’autres mettent en lumière certains
traits de personnalité comme l’altruisme, la sensibilité politique, la sensibilité
environnementale qui constitueraient des indicateurs pertinents d’une bonne réactivité aux
nudges (Schulz et Zelesny, 2003, Costa et Kahn 2010), tout comme le contexte socio-culturel
dans lequel ils s’établissent (Chen et al. 2009). Peu étudiée dans la littérature marketing, le
principe des nudges est expérimenté par Goldstein et al. (2008) dans le domaine de
l’hôtellerie. Cet article de référence s’attache à mieux comprendre les types de normes
capables d’influencer les comportements pro-environnementaux, en reliant l’identité de
l’individu et la référence aux autres à l’endroit où il se trouve. Les individus sont ainsi plus
7
influencés par des normes descriptives lorsqu’ils se situent dans l’endroit même où ces
normes ont été calculées (ici la chambre d’hôtel). Au-delà de l’identification au groupe choisi
comme référence, les auteurs mettent en lumière la nécessité d’une correspondance entre
l’individu et la situation et les circonstances dans lesquelles la norme a été créée.
L’ensemble de ces travaux apporte des éclairages décisifs au concept des nudges sous l’angle
de la réponse comportementale et du mécanisme, mais aucune étude n’a à notre connaissance
étudié ces derniers dans une perspective interprétative fondée sur les représentations des
individus. Pourtant, le courant de la « Transformative Consumer Research » (Mick et al.
2012), a pour objet d’interroger de manière critique et selon un prisme socioculturel la
connexion entre problématiques sociétales, le comportement du consommateur et les
initiatives du marché. L’objectif de la Transformative Consumer Research est d’impacter
positivement la société par la connaissance des mécanismes du marché et du comportement
du consommateur. Dès lors, les nudges environnementaux qui émergent comme des
dispositifs managériaux à visée sociétale peuvent s’inscrire dans cette démarche et constituer
un phénomène d’investigation légitime. Aussi, cette recherche s’attachera à révéler les
représentations complexes des consommateurs confrontés à ces nouveaux modes de
persuasion et de communication dans le domaine durable. Plus particulièrement, l’étude
mettra au jour (1) comment sont appréhendés par les consommateurs le message de norme
sociale environnementale et la méthode en elle-même dans leur capacité à modifier les
comportements et (2) comment sont vécues les tensions alors que les individus sont guidés
par leur propre référentiel de valeur.
2. Méthodologie
L’objectif étant de comprendre les représentations des consommateurs quant aux incitations
écologiques via un phénomène de marché émergeant-les nudges-, les études qualitatives sont
appropriées pour découvrir le sens donné par les consommateurs à ces nouvelles formes de
communication et de persuasion.
2.1.Données
Pour ce faire, la recherche s’appuie sur 25 entretiens semi-directifs avec des consommateurs
âgés de 19 à 62 ans, hommes et femmes, de situations familiales variées, de CSP diverses,
intéressés par les thèmes écologiques ou non (C.f Annexe 1). L’échantillon a été obtenu par
une méthode boule de neige, essayant d’atteindre une diversité qualitative (Schwarz, 1990)
8
plutôt qu’une représentation statistique. L’atteinte d’une saturation théorique où le moment où
l’on n’apprenait plus de concepts nouveaux via les entretiens a déterminé la fin de la collecte
de données.
2.2.Guide d’entretien et Méthodes projectives
Le guide d’entretien a reposé sur les incitations écologiques via les divers supports de
communication, la perception de leur efficacité et utilité par les consommateurs mais aussi le
ton employé, les sentiments générés face aux communications durables en général dans un
premier temps.
Dans un second temps, le chercheur a demandé au répondant s’il savait ce qu’était un nudge.
Dans la majeure partie des cas, le concept étant inconnu, l’interviewer a donné une définition
simple et proposé une illustration du nudge social en prenant appui sur la méthode de scénario
proposée par Goldstein et al (2008) : « 75% des clients qui ont fréquenté cette chambre ont
utilisé leurs serviettes de toilette plusieurs fois » (C.f Annexe 2). Cette forme projective a
permis de libérer de manière concrète le discours des répondants et de générer des réactions
variées quant à la signification et à l’efficacité potentielle de ces nouvelles méthodes
d’incitation au geste écologique en mobilisant l’influence sociale. Si le scénario choisi
reprend l’expérience réalisé par Goldstein et al (2008), c’est pour mieux laisser la parole aux
répondants, comme lors d’une « conversation naturelle » (Thompson, Locander and Pollio,
1989) sans associer un agenda strict à l’interview.
Les interviews ont été réalisées par trois chercheurs en marketing aux postures idéologiques
variées quant à la question écologique. L’objectif était de donner confiance à l’interviewé par
une présence positive, sans jugement, avec pour rôle de relancer ou demander une
clarification à l’informant. Les interviews ont duré entre 40 et 55 minutes, ils ont été
enregistrés, retranscrits, une synthèse a systématiquement été envoyée aux répondants pour
validation. Enfin, les résultats préliminaires ont été discutés avec 10 personnes de
l’échantillon améliorant la validité externe de l’étude.
2.3.Analyse des Données
Une analyse manuelle des entretiens s’est faite au fur et à mesure des interviews, le premier
tour des interviews enrichissant la collecte suivante, l’analyse s’est faite selon les thèmes
émergents, avec un aller-retour systématique entre les données et la littérature (Denzin and
Lincoln 2011 ; Belk 2006). Dans un deuxième temps, chacun des trois auteurs a analysé
l’entièreté du corpus séparément, et une forte fiabilité inter-codeurs a émergé. Dans un dernier
9
temps, les auteurs ont réanalysé ensemble le corpus pour faire émerger un consensus quant à
la compréhension des données.
3. Résultats
Le résultat principal qui émerge de nos données repose sur une catégorisation basée sur quatre
positions distinctes du discours des répondants, qui montre des représentations variées et un
registre complexe du discours.
3.1.Les réfractaires à la méthode ou l’injonction perçue comme référence au sectarisme
et au communautarisme
Les nudges peuvent faire l’objet de rejet de la part du consommateur lorsqu’ils sont perçus
comme une nième
forme d’injonction de la part de la société et du marché. Sans nier leur
possible efficacité, certains consommateurs s’élèvent contre une pression sociale via la
communication les incitant à se comporter de telle ou telle manière.
Le registre de la contrainte est donc spécifié en premier par ces consommateurs qui, bien que
comprenant le but du nudge écologique, y voient une restriction de leur libre-arbitre, une
manière d’orienter leurs actions de façon non « naturelle » et in fine, déplaisante.
« Disons que si tu es en vacances, tu te dis « ah ça y est, une contrainte » alors que ça aurait
pu être quelque chose de naturel que j’aurais fait de moi-même, sans que ce soit écrit. Voilà,
donc c’est peut-être le côté contrainte qui me chagrine. » (Isabelle, 48 ans).
Une identification plus fermée est également mise en avant par les répondants qui ne se
reconnaissent pas dans la manière de faire des nudges, jugés trop « clivants » et mettant une
distance entre ceux qui se comportent bien et les autres, dans un esprit qualifié de
« sectarisme ».
« Spontanément … bon … spontanément, ça ne me plait pas ! Je ne dis pas que c’est mal,
mais spontanément ça ne me plait pas ! … Moi ça me fait un peu penser à une secte (rires) !
Je ne dis pas que c’est mal, mais moi ça ne me plait pas ! » (Françoise, 58 ans).
Ces réactions rejoignent les formes de résistance aux normes sociales et aux normes de
marché qui sont considérées comme pesant sur les individus habitués aux discours sur la
consommation comme divertissement dans un contexte postmoderne. Elles font aussi écho à
la libération du récit personnel du consommateur via la consommation comme projet
identitaire (voir les travaux cités par Arnould et Thompson, 2005). Enfin, selon une autre
perspective, ces réponses peuvent être interprétées selon la théorie de l’effet d’éviction
(Monin et al, 2008) qui met en avant le potentiel d’ostracisme présent dans une proposition
10
généreuse, dans le sens où elle contient en elle-même un moralisme qui dérange. Les
individus perçus comme trop généreux finiraient par être ostracisés par les autres car perçus
comme donneurs de leçons.
3.2.Les réfractaires à la méthode ou le refus d’une dissolution du moi dans une
perspective quantifiée
L’utilisation de l’argument de la majorité absolue pour supporter le bien fondé d’un
comportement génère chez certains répondants un inconfort lié au sentiment de dilution de sa
personnalité propre dans une masse inconnue, une perte d’individuation et in fine un rejet du
nudge : « je vais pas faire comme les moutons et suivre 75% sans savoir les tenants et les
aboutissants, on n’est pas des moutons non plus, quand on pense au livre La vague (de Todd
Strausser). » (Marie, 54 ans).
La pression par l’argument du nombre engendre même une mise à distance de l’argument
plutôt qu’un renforcement positif et génère une volonté affichée de raisonner à l’encontre de
la majorité, en spéculant qu’elle puisse être dans l’erreur. « Non, faire référence au
comportement des autres ne me touche pas, surtout que la majorité peut être dans
l’erreur. Peut-être faire l'inverse justement, si 70% des gens font quelque chose de mal,
j'aurais plutôt envie d'agir pour contrebalancer cela. » (Christian, 49 ans).
En définitive, une réaction individuée et personnelle est appelée par certains répondants qui
rejettent l’effet statistique pour en revenir à la qualité intrinsèque du message pour décider
d’un geste écologique ou non. Ici c’est moins le caractère persuasif ou injonctif qui dérange
mais bien la méthode de la référence à la norme entendue comme majoritaire qui déplait. La
responsabilité individuelle versus la norme sociale est questionnée ici.
Derrière les représentations qui valorisent le moi face à l’argument des autres ou de
l’écrasante majorité qui agirait d’une certaine manière, on constate une autre forme de
résistance se traduisant par un rejet du statut de suiveur. En effet, indépendamment de la
validité du message auquel les consommateurs se disent sensibles, le nudge induit chez
certains répondants la volonté de se démarquer, de sortir du lot, de se distinguer : suivre le
mouvement induirait une forme de faiblesse morale. « Non…je ne trouve pas ça bien de
comparer les gens aux autres. Pour moi ce qui compte c’est l’individu, ces valeurs et
comment il agit avec le monde, pas comment le monde interagit avec lui. C’est plus une
démarche personnelle qu’il faut avoir. Pas une comparaison. Je pense que les comparaisons
ça rabaisse l’individu. » (Pauline, 32 ans).
11
Dans la société de consommation où l’individualisme est érigé en valeur centrale (Lipovetsky,
1989, 2006), un esprit compétitif se fait jour dans le récit des répondants, qui tout en
reconnaissant l’intérêt du dispositif nudge vert, rejettent l’argument de l’alignement sur les
autres comme source d’incitation valorisante. « Je suis sensible à la protection, la survie, la
logique, le raisonnement, mais se comparer aux autres est un manque de confiance en soi, un
manque d'affirmation. Valoriser le "moi" est important pour se démarquer des
autres…Montrer que quelqu'un fait une bonne action n'encourage en rien les autres, au
mieux on se sent obligé…Pour qu'un quelconque modèle fasse sens aux individus, celui-ci
doit être un message fort, utiliser une icône, ou toucher la bonne conscience du public. »
(Alexandre, 33 ans).
De ce fait, les répondants tout en adhérant au message, rejettent la méthode fondée sur le
caractère quantitatif. Ils affirment que leur décision reste basée sur le contenu du message
plutôt que sur sa forme : « le fait que 75% des gens aient fait quelque chose ne va pas me
guider, c'est vraiment l'action en elle-même qui m'intéresse. » (Thomas, 19 ans).
3.3.Les pro-nudges ou l’Autre comme source de réassurance, de retour positif sur soi et
de pédagogie
Lorsque les répondants ont montré une adhésion au nudge, la référence aux autres s’est
montrée structurante voire co-constitutive de l’identité personnelle. Les interviewés ont
reconnu que la référence à une écrasante majorité de consommateurs peut renforcer leur
comportement, notamment si ils sont déjà sensibles au discours écologique. Cela peut
également les inciter au changement lorsque la pratique décrite par le nudge n’est pas une
habitude chez celui-ci. Les répondants reconnaissent d’abord un mérite de questionnement
légitime via cette référence aux comportements des autres. « La comparaison à autrui est un
élément qui me sensibilise, et qui m’incite à consommer dans la même voie car je penserai
qu’ils sont efficaces et qu’il faut donc les prendre en considération. », (Brigitte, 57 ans).
Les discours s’orientent également vers le constat que c’est une preuve d’ouverture d’esprit
d’accorder du crédit aux comportements d’autrui voire même l’occasion d’une possible
remise en cause de soi. Dès lors, l’individu se conçoit comme co-solidaire de ses semblables,
et donc nécessairement attentif aux autres, ou en comparaison avec les autres. Cela constitue
une marque de civilité minimale qui est mise en avant et pourtant perçue comme seule
possibilité pour faire évoluer ses représentations et ses opinions. A partir de là, le nudge vert
fonctionne de manière vertueuse permettant de se positionner au milieu des autres de manière
positive.
12
« Je pense que c’est quand même important d’avoir l’avis des gens qui nous entourent même
si on n’est pas toujours d’accord avec leur opinion. C’est en se confrontant à l’avis des
autres que l’on se forge sa propre opinion…De toute façon il est difficile de vivre sans se
comparer aux autres dans une société. Tout le monde se compare aux autres pour essayer
d’évoluer. Je pense que la comparaison aux autres peut nous sensibiliser quand ça a un
intérêt pour nous et que c’est quelque chose qui nous tient à cœur ou une valeur que l’on
défend.» (Angèle, 21 ans).
Enfin, à l’arrière-plan de ces discours positifs, il y a l’idée d’une introspection possible qui
n’est possible qu’avec autrui. Un substrat idéologique voire religieux qui consiste en une foi
en l’Autre pour trouver la « Voie » peut être identifié. Le nudge vert apparait comme une
possible révélation, le début d’un changement possible, d’une prise de conscience.
« Je pense que j’adopterais ce comportement ou du moins l’affiche me ferait réfléchir si c’est
un comportement que je n’ai pas l’habitude d’avoir. Savoir que les autres l’ont fait me
poussera à m’interroger et à reproduire ce qu’ils ont fait. J’ai conscience que les efforts
doivent être faits et accomplis par tout le monde » (Geneviève, 53 ans).
« Quand le produit interroge les consciences, réveille le questionnement, fait une
démonstration indiscutable (exemple la publicité pour les utilisateurs de places de parking
réservées aux handicapés. « Si vous voulez ma place, prenez mon fauteuil ».), la référence aux
autres est importante » (Mady, 60 ans).
Dès lors, la référence à Autrui sur le mode quantitatif devient un outil pédagogique permettant
d’impulser un effort collectif et solidaire. « Ça m’intéresse de savoir que les comportements
des gens ont évolué et qu’on peut participer à un mouvement d’ensemble, à un effort
collectif » (Eric, 48 ans).
Faire référence à la quantification de l’effort de chacun permettrait de réduire les
comportements de passagers clandestins. Les autres étant un repère dans cette conception.
Une certaine soif de savoir comment évoluent les comportements guide les répondants dans
leur volonté d’être actifs avec les autres, ce, dans un projet qu’ils jugent positif. Pour ces
interviewés, le changement individuel ne fait sens que s’il est partagé par le plus grand
nombre. La méthode est validée lorsqu’elle donne le sentiment de faire avancer une cause,
d’être partie prenante du mouvement vertueux.
« Moi j’aurais été encore plus sensible si on avait précisé que le pourcentage en question a
évolué « Il y a 5 ans, ¼ des personnes qui logeaient dans cette chambre utilisaient 2 fois leurs
13
serviettes, aujourd’hui ils sont 3/4 et demain, avec vous, nous pouvons faire encore mieux. » »
(Eric, 48 ans).
3.4.Les pro-nudges ou l’adhésion conditionnée à des comportements sans sacrifices ni
changements fondamentaux
Tout en restant dans une perspective positive, une autre forme de discours plus ambivalent
transparait. Ainsi, certains consommateurs se disent prêts à investir dans des changements de
comportements écologiques à la condition qu’ils soient peu couteux. Ils n’entendent pas que
la méthode puisse les enjoindre à révolutionner leurs comportements. Ils considèrent que de
petits pas sont possibles lorsqu’ils ne réduisent pas le confort habituel.
« Je pense que ce serait essentiellement pour des biens non-essentiels à notre besoin. Pour
certains bien « accessoires » et dont on peut se passer, ce genre de campagne pourrait
m’inciter à ne pas réaliser un achat. Par contre pour les biens dont on a besoin au quotidien
et qui sont essentiels à notre vie, je ne suis pas sûre que cela pourrait m’inciter à modifier
mes modes d’achats et de consommations. » (Angèle, 21 ans).
Malgré l’intérêt manifesté par ces répondants, ce, avec des grilles de lecture différenciées
entre individualisme et solidarité, entre utilitarisme et existentialisme, entre inertie et volonté
de changement, le maintien du confort et le caractère non couteux du changement sont une
limite importante. Pour générer une modification de pratique, le nudge environnemental basé
sur la norme sociale doit s’appuyer sur un très faible coût du changement, ce qui rejoint les
conclusions relatives à la théorie de l’engagement.
4. Discussion
A travers ces résultats, nous identifions un registre de discours complexe validant et
invalidant à la fois la perception positive des nudges dans la littérature, ce, dans leur capacité
à générer des comportements environnementaux plus vertueux. Les deux derniers discours et
plus spécifiquement le discours 3 corroborent les résultats issus de la recherche
comportementale démontrant la validité de l’influence sociale lorsqu’elle est exploitée dans
des incitations telles que les nudges. L’information sur les actes des autres, première catégorie
d’influence sociale identifiée par Thaler et Sunstein (2008), contribue bien à rassurer
l’individu et à construire son identité sociale en lui permettant d’opérer un retour positif sur
lui-même par la pédagogie du mimétisme. Les nudges constituent alors un incitatif perçu
favorablement dans toutes leurs dimensions (environnemental, social).
14
Par ailleurs, le discours 4 pointe des limites liées à leurs conditions d’application qui ne
doivent pas concerner des modifications trop importantes des habitudes de vie. Générateur
possible d’un changement de comportement, le nudge peut être considéré comme trop intrusif
s’il est vecteur d’efforts non voulus. Dans les deux cas, il s’inscrit bien dans les principes des
théories comportementales comme un coup de pouce, pied dans la porte ou encore amorçage
d’un changement de comportement. Mais il apparait certain que le niveau et le cout de l’effort
demandé sont vecteurs de moindre adhésion à la méthode.
Les discours 1 et 2 permettent de mettre en évidence des stratégies de résistance encore peu
explorées dans ce cadre. Cette résistance se fait globalement à l’encontre de l’heuristique de
l’imitation sur laquelle repose les nudges sociaux. Elle s’explique d’un côté par la
construction identitaire de l’individu (perte du libre-arbitre et dissolution du moi) et de l’autre
par une réaction plus large face aux multiples injonctions venant du marché et de l’Etat
concernant les thématiques sociétales dont fait partie l’environnement (notion d’injonction
trop souvent rencontrée, référence au sectarisme, au communautarisme). Cette résistance aux
nudges s’apparente à la résistance à la persuasion observée dans le domaine de la publicité
dont la principale source est motivationnelle (menaces contre l’image de soi ou sentiment
d’une perte de liberté) (Cottet et al, 2012).
Les nudges se référant aux normes sociales, interprétées comme des leçons de morale dictées
par des individus qui « détiennent la vérité », peuvent conduire aux phénomènes d’éviction
bien connus des travaux en économie et se traduire par des effets contre-productifs (Tirole,
2013) comme le fait de faire le contraire de ce qui est recommandé. On retrouve aussi dans les
discours de rejet (discours 1 et 2) la notion de résistance situationnelle identifiée par Roux
(2007, p 60), c’est-à-dire « une réponse diversement active ou réactive d’un individu à une
pression perçue ». Cette résistance au contenu du message (se fier aux comportements
d’autrui dans le cadre d’une incitation environnementale) est d’autant plus probante qu’elle
entre en conflit avec les représentations de la consommation actuelles.
Ces discours de résistance peuvent s’expliquer de plusieurs façons. Ils peuvent caractériser
une nouvelle forme de résistance au fonctionnement du marché (Kates et Belk, 2001) due au
fait que la consommation et la communication durables s’institutionnalisent et deviennent une
valeur culturelle dominante (Ourahmoune et al, 2014). La résistance peut découler de la
gouvernementalisation croissante de la consommation dictée par des experts qui décrètent le
Bien ou le Mal en matière de consommation. Or, comme le précise Orobon (2013, p25), « le
paternalisme libertaire peut induire une confiance presque aveugle dans ce que les experts,
dont rien n’indique qu’ils rendront des comptes en cas de défaillance, auront soir choisi pour
15
nous, soit organisé pour notre bien ». Finalement cette résistance au nudge social met en
exergue le « biais d’optimisme du paternalisme libertaire, faisant croire que les individus
s’inscriront dans ce qui a été pensé pour eux » (Orobon, 2013, p25)
Ces résultats sont aussi le reflet d’une situation socio-culturelle assez paradoxale qui met en
avant deux mouvements contradictoires : un mouvement de responsabilisation du
consommateur d’un côté et d’encouragement à l’autonomie du consommateur (Shamir, 2008,
Orobon, 2013) qui se traduit par un transfert de la responsabilité des acteurs privés et publics
vers les consommateurs de l’autre (Giesler et Veresiu, 2014). Ainsi, comme le résume
Rumpala (2009, p 968), dans cette nouvelle logique, « c’est donc la somme des adaptations
individuelles qui devrait pouvoir bénéficier à la collectivité en la mettant sur le chemin de la «
durabilité ». Elle dicte au consommateur la façon dont il doit se comporter et se conformer
aux normes qui conduisent à la stabilité du capitalisme et au renforcement des structures
sociales sur lesquelles ce marché se construit (Amable, 2011).
Cette gouvernementalité des consommateurs dans le sens de Foucault, qui transite par
différentes incitations (financières, nudges…) visant à conditionner le citoyen à consommer
responsable (Robert-Demontrond 2004, Canel-Depitre, 2012), se heurte à la barrière de la
recherche d’autonomie, de la volonté de ne pas se laisser infantiliser et de réguler soi-même
sa propre consommation. A la lumière de ce travail, les nudges considérés jusqu’ici comme
des incitations douces et indolores montrent des failles allant au-delà de leur simple
mécanisme, de leur nécessaire contextualisation ou du caractère pérenne du changement
qu’elles encouragent, identifiés jusqu’alors dans la littérature (Schultz et al. 2007, Goldstein
2008, Johnson et al. 2012). Leur principal écueil repose finalement sur le fait qu’elles
encapsulent l’individu dans des approches d’injonction -même douces- qui diluent son
identité et ne lui permettent pas de s’interroger sur le sens donné à sa consommation, en ayant
alors un effet contre-productif.
D’autre part, de nombreux travaux ont spécifié que la consommation environnementale et plus
généralement la consommation durable ne peuvent véritablement prendre leur essor que si le
paradigme social dominant caractérisé par une croyance en l’abondance illimitée et en la
croissance matérielle est véritablement questionné par le consommateur (Prothero et al. 2011,
Kilbourne et al., 1997, Dolan 2002, Thogersen, 2005, McDonagh et Prothero, 2011). Dans
cette lignée, notre étude ouvre des perspectives nouvelles concernant les nudges. Une des
pistes serait d’avancer vers une conceptualisation de la consommation environnementale
16
comme une force culturelle positive décryptant les codes émotionnels, éthiques et socio-
culturels usuels et s’y insérant intelligemment.
Des limites inhérentes à la nature exploratoire de cette recherche doivent être mentionnées
comme le choix de tester une seule forme de nudge vert ou encore la difficulté de dissocier
pleinement chez certains consommateurs le motif explicite de résistance face à la méthode des
nudges. Cette recherche nécessiterait d’une part d’explorer et de dissocier de manière plus
approfondie la résistance à la méthode et la résistance au message. En effet, dans les discours
de certains consommateurs, la perception « négative » de nudges découle non seulement des
injonctions croissantes et des codes de conduite « moralisateurs » dictés par les entreprises ou
les pouvoirs publics mais également des normes de consommation propagées par les autres.
En outre, le fait d’étudier la perception de la méthode nudge se référant aux normes sociales à
travers une seule annonce écologique contient des limites qui nécessitent d’être minorées par
une nouvelle étude portant sur l’attitude envers les nudges dans d’autres domaines de la
« Transformative Consumer Research » comme la santé, la consommation à risque… (Gorge
et al, 2015). Cette nouvelle recherche permettrait de dissocier les types de résistance inhérents
à la méthode ou au message lui-même. Il apparait également opportun de mettre davantage en
lien les attitudes à l’égard de la méthode nudge vert et des éléments d’identité des
consommateurs tels que sa sensibilité au développement durable, son degré d’altruisme…
Parmi les voies de recherche possibles, il est nécessaire de valider cette recherche exploratoire
par une étude quantitative en soumettant aux consommateurs différents messages écologiques
incluant plusieurs méthodes persuasives dont les nudges et d’identifier certaines variables
modératrices comme le degré de modification du comportement (mineur ou majeur), la
sensibilité écologique du consommateur, son orientation culturelle individuelle ou
collective… D’autre part, cette recherche nous invite à étudier plus précisément les
phénomènes de résistance liés à l’institutionnalisation de certains codes culturels tels que la
consommation responsable et aux méthodes prescriptives qui en découlent souvent inspirées
des théories du comportement planifié (Dubuisson-Quellier S. et Plessz M. 2013). En se
référant au courant de la « Transformative Consumer Research, ces méthodes incitatives
doivent être analysées dans une perspective macrosociale prenant en compte les dimensions
collectives du changement et les jeux de pouvoir entre les parties prenantes.
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21
Annexes
Annexe 1 : Présentation de l’échantillon
Pseudonyme Age Profession Sensibilité écologique
Pauline 32 ans Employé Aucune
Michel 52 ans Artiste Comportement écologique : tri des
déchets, lutte contre le gaspillage,
consommation locale
Michel 62 ans Ingénieur Sensible aux économies d’énergie
Mady 63 ans Retraité Forte sensibilité à l’écologie
Jean-Baptiste 21 ans Etudiant Aucune
Brigitte 57 ans Consultante
informatique
Aucune
Adélaïde 50 ans Comptable Forte sensibilité à l’écologie
Véronique 46 ans Documentaliste Comportement écologique : tri des
déchets, lutte contre le gaspillage,
consommation de produits de saison…
François 47 ans Agent immobilier Economies d’énergie
Marine 21 ans Etudiante Aucune
Christian 49 ans Informaticien Forte sensibilité à l’écologie
Françoise 58 ans Aide-soignante Sensible aux économies d’énergie
Angèle 21 ans Etudiante Faible sensibilité à l’écologie
22
Julien 27 ans Etudiant Economies d’énergie
Thomas 19 ans Etudiant Faible sensibilité à l’écologie
Geneviève 53 ans Professeur des écoles Forte sensibilité à l’écologie
Éric 48 ans Fonctionnaire du Trésor
Public
Aucune
Oscar 20 ans Etudiant Economies d’énergie
Valérie 47 ans Professeur des écoles Forte sensibilité à l’écologie, membre
d’une AMAP
Véronique 48 ans Mère au foyer Economies d’énergie
Alexandre 33 ans Employé Forte sensibilité écologique
Antoine 21 ans Etudiant Aucune
Marie 54 ans Chef de projet
informatique
Faible
Isabelle 48 ans Professeur des écoles Comportement écologique : tri des
déchets, achat de produits biologiques et
équitables…
Simone 57 ans Enseignante dans le
secondaire
Economies d’énergie
Annexe 2 : Exemple d’argumentaire présenté aux répondants, adapté de Goldstein et al.
(2008)
Faites comme nos clients, aidez-nous à
protéger l’environnement !
75% des personnes qui ont séjourné dans cette chambre avant vous ont
accepté de participer à notre nouvelle politique de l’environnement en
utilisant leurs serviettes de toilette