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Parole Et Silence - Levinas

Date post: 08-Apr-2016
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EMMANUEL LEVINAS Parole et Silence et autres conferences inedites au College philosophique Volume public sous la responsabilire de Rodolphe Calin et de Catherine Chalier Etablissement du texte, avertissement par Rodolphe Calin Preface et notes explicatives par Rodolphe Calin et Catherine Chalier Ouvrage publit avec le concours du Centre National du Livre BERNARDGRASSET/IMEC
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Page 1: Parole Et Silence - Levinas

EMMANUEL LEVINAS

Parole et Silenceet autres conferences inedites

au College philosophique

Volume public sous la responsabilire deRodolphe Calin et de Catherine Chalier

Etablissement du texte, avertissement

par Rodolphe Calin

Preface et notes explicatives

par Rodolphe Calin et Catherine Chalier

Ouvrage publit avec le concours

du Centre National du Livre

BERNARDGRASSET/IMEC

Page 2: Parole Et Silence - Levinas

Le.cornite scientifique reuni pour la publicationdes CEuvres d'Emmanuel Levinas

est coordonne par Jean-Luc Marion, de l'Acadernie francaise.

ISBN 978-2-246-72731-6

Tous droits de traduction, de reproduction et d' adaptationreserves pour tous pays.

© Editions Grasset & Fasquelle, IMEC Editeur, 2009.

Sommaire

Avertissement 9Preface de Rodolphe Calin et Catherine Chalier........ 13Notice editoriale 61Remerciements 63

Parole et Silence.......................................................... 65Pouvoirs et Origine ~................... 105Les Nourritures........................................................... 151Les Enseignements....................................................... 173L'Ecrit et l'Oral................................................ .......... 199Le Vouloir '........................................ .................... 231La Separation............................................. ................ 259Au-dela du possible 291La Metaphore 319

Appendice I : <La Signification> "........... 349Appendice II : Liste des conferences d'Emmanuel

Levinas au College philosophique 385

Notes 387Index des noms 403

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Notice sur Parole et Silence

L'ensemble des feuillets de la conference est range dans l' en­veloppe carronnee d'un colis postal. Sur cette enveloppe, plieeen deux, figurent, ecrits au crayon a papier, le titre, le lieuet les dates de la conference. II s'agir en effet d'une confe­rence prononcee en deux seances les 4 et 5 fevrier 1948, sousle titre Parole et Silence. A. I'inrerieur de l'enveloppe, on trouveegalement le second feuillet du programme du College philo­sophique de I'annee 1948, mentionnant les deux conferencesde Levinas. On decouvre aussi une lettre de P. Champromis,probablement secretaire du College, accornpagnee de cartesd'invitation du College philosophique dont les noms sontlaisses en blanc.

La conference se presence sous la forme d'un dactylogrammeet de son double, qui comportent chacun des annotations manus­crites. Sur le double sont reportees, a quelques exceptions pres,les corrections manuscrites de l'original. Mais il contient egale­ment d' autres corrections. On peut done Ie considerer comme uneversion plus avancee de la conference, raison pour laquelle nousl'avons choisi pour notre transcription. Nous indiquons en notesles differences entre les deux versions.

Chaque dactylogramme comporte 40 feuillets non pagines auformat 21 x 26,8 em. Si les feuillets de l'original sont d'un memepapier, ceux du double sont de provenances diverses et Levinas ena utilise le verso vierge. Certains d'entre eux sont des imprirnes

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dates (nous les indiquons en note) : 1'un est de 1949, quatre sontde 1953, douze de 1955. Le present texte est donc une reectiturede la conference prononcee en 1948.

Parole et SilenceConferences du College philosophique des

4 et 5 fevrier 1948a

<f. 1> Parole et silence

10 Misere et grandeur du langage.11 existe dans la philosophie et dans la li tterature contemporaines,

une exaltation du silence. Le secret, le mystere, 1'insondableprofondeur d'un monde sans paroles ensorcelant. Bavardage,indiscretion, pretention - la parole rompt ce charme. On oublievolontiers, que, lieu naturel de la paix et de « 1'harmonie desspheres »1{,} le silence est aussi 1'eau stagnante, 1'eau qui dort OUcroupissent les haines, les desseins sournois, la resignation et lalachete. On oublie le silence penible et pesant ; celui qui emanede ces « espaces infinis », effrayent" pour Pascal:'. On oublie 1'in­humanite d'un monde silencieux.

Cette mefiance a l'egard du langage tient a bien des causessecondes et qui, certes ne sont pas contingentes. L'appel aautrui,contenu dans son essence aHeSre {avoue} la faiblesse de la penseequi y recourt. 11 existe un romantisme du genie solitaire qui sesuffit dans le silence. Une raison qui parle, sort de son splendideisolement, trahit sa superbe suffisance, abdique sa noblesse etsa suffisance {souverainete}, Produit-cs» de 1'histoire, les mots

a. Ecrit au crayon apapier, sur Ie feuillet double cartonne aI'interieur duquel se trouvaient lesdeux dactylogrammes de la conference.

b. II faut sans doute lire « effrayant ».

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a. Le verso comporte, dans sa partie superieure gauche, les annotations manuscrites suivantes,ecrites obliquement : « Revenir sur l'i.dee de : intellection - pouvoir = attitude a l'egard de lalumiere ».

b. Les deux alineas qui suivent sont dactylographies sur un morceau de feuillet colle sur lefeuillet 2. Ce morceau de feuillet masque une ancienne version de ces deux alineas,

2° Le langage au service de la pensee"Cette suspicion qui pese sur le langage s'explique par le role

servile qu'il semble jouer a l'egard de la pensee. II sert - de l'accordcommun - a la communication de la pensee, et par consequent,est tenu a rester dans ~{son} obediencel.] de la pensee. La fonctiondu verbe a toujours ete comprise en relation avec la pensee et avecla lumiere, element de la pensee OU l'objet apparaitl.] se livre et OUle signe verbal le designee La puissance organisatrice de la raison

sont surcharges de tous les sentiments, de toutes les allusions, deroutes les associations auxquelles ils furent rneles, mais perdenrsouvent, ainsi surcharges {,} l'objet qu'ils sont appeles a designer.Car il est entendu que la fonction du langage consiste a commu­niquer une pensee en designant - en nommant ses objets. Deslors le langage introduit dans les relations humaines I'equivoque,l'erreur, le vide. C'est lui qui est mis en cause chaque fois que l'onpretend retourner aux choses elles-mernes.

Signe de l'objet perdant le contact de son objet, signe de la pensee{se} faisant passer pour la pensee merne, il s'expose a toutes les"<f. 2> critiques. Le langage scientifique lutte contre I'inevitableequivoque du mot vivant, et se retugie dans l'algorithme.L'utilisation de l'argot dans la conversation et la litteraturemodernes precede de ce besoin de remplacer le mot historique­ment compromis - a la fois use et trop encombrant - par unsigne neuf, nous placant brutalement devant les choses et enrealite bien moins signe que pointe de l'index qui montre. Enlitterature, l'argot ne vaut pas comme element de couleur locale.Son pouvoir d' expression coi"ncide w;ec la distinction du mottransmis par la {se nourrit du vide laisse par les langues mortesdes} civilisation-cs». L'argot temoigne d'une civilisation parfaite.

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a. « ou » en surcharge de « et »,

b. « la » en surcharge de « sa »,

C. II convient, semble-t-il, de ne pas lire cet ajout, d'ailleurs absent de l'original dactylogra­phie (sur les deux versions de la conference, if notice).

d. « le » en surcharge de « la »,

e. Point-virgule manuscrit, qui remplace une virgule que Levinas n'a cependant pas raturee,mais que nous ne reproduisons pas.

f. « les » en surcharge de « des ».

g. « les » en surcharge de « des ».

h. « contextes » en surcharge de « contacts ».

i. « Cette » en surcharge de « cette ».

j. Le soulignement est manuscrit.

- totalisant pour permettre d'embrasser - commandait celle dudiscours. Logos - a la fois verbe et raison, laissait surprendre dansla grammaire ses categories fondamentales ou" lab logique.

Si le langage apporte a la pensee une occasion de s'elever aI'universalire - puisque la necessite de communiquer de raison araison oblige la pensee a revenir a son essence de raison - de cetteessence, la pensee {en]" possede deja la virtualite et le secret.

<f. 3> L'obedience du mot ala pensee ne disparait pas quandon accorde au mot une tache plus large que l'expression de lapensee purement logique, quand on led prend pour l'expressionde l'ensemble de notre vie psychologique et, quand allant plusloin encore, on voit en elle-Ilui} le resume de se:a {1'}histoire ;e{quand on insiste sur} les' variations de sens qu'il a subies, {sur}les" contextes" culturels ou il s'etait trouve et qui resonnent quandil est prononce. Si le mot au lieu de traduire I'intellecr devaittraduire l'ensemble de notre etre en rant que realite historique etsociale, le mot ri'en conserve{ -craic ?>} pas moins son role de purreflet de la pensee. II designe une realite qui se monrre ala pensee,reside dans cette apparition de la realite. Quelque disrincte quesoit de la realite purement theoretique [contemplee] <,> la realirehistorique et sociale que le langage exprime, elle est [n'en demeurepas moins} realite se revelant dans la lumiere, theme. Gest- Cette'possibilire de presenter comme {reduire a une} thematisation'tout contact avec la realite quelle qu'elle soit {(et}, par consequenttoure {notre} vie psychologique{)}, ¥{s'} affirme {dans} la theorie

Parole et Silence70

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husserlienne des Logische Untersuchungen 00 {qui met} l'acte objec­tivant es-f {a} la base de tout acre psychologique et la {en fait une]condition universelle de l'expression verbale. C'est encore cetteverite qu'affirment {II en est egalement question dans} les Ideen deHusserl, lorsqu'elles accordent un primat a ce qu'elles appellentla conscience thetique et doxique'. Partout la pensee est indepen­dante du langage. La pensee acheve toute l'(£uvre necessaire, elle{son eeevre} a malaxe entierernent une pensee qui des lors se preteal'expression, comme aun signe qui s'accroche aelle du dehors.

<f. 4a > Toutefois il y aurait a premiere vue une fonction dulangage distincte de la communication. Le langage jouerait unrole dans la pensee elle-rnerne. Et ce role du langage dans lapensee irait plus" loin. Le nominalisme interprerair le mot commeun instrument de la raison elle-rneme en decouvrant le role dusymbolisme dans la pensee, Mais en fait ce symbolisme supposele schema traditionnel d'un langage designanr des objets penses,A une designation se bornant aun objet unique se substitue.unedesignation sirnultanee d'une rnulriplicite et ainsi s'epuiseraitl'intention de generalite qui semble animer la pensee concep­tuelle. Ce symbolisme se reduisant en fin de compte aun rapportd'association devait expliquer l'ecart entre la pensee incapable deviser un objet general et le langage qui semblait s'y referer, Ecartdont la pensee de Huss'erl a denonce le caractere apparent: un objetuniversel peut etre pense. Des lors le mot se subordonne cornple­tement a la pensee, le symbolisme nominaliste devient inutile.Le mot est la fenetre par laquelle la raison se penche au dehors.L'intention de la pensee traverse la transparence au langage. Si lemot fait ecran il est a rejeter, Reduit chez Husserl au rang d'unesperanto ideal, le mot retrouve chez Heidegger certes toute lacouleur et toute la densite d'un fait historique'. La predilection

a. Dactylographie au verso d'un imprime date de 1955.b. « plus» en surcharge manuscrite de « tres » dans l'original dactylographic (sur les deux

versions de cette conference, if notice).c. Dans l'original dactylographic, cette phrase est precedee d'un crochet ecrit a la main qui

demande de faire un alinea (sur les deux versions de cette conference, if notice).

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a. Dacrylographie au verso d'un imprirne date de 1949.

de Heidegger pour l'erymologie de termes grecs tient pour lui a['antiquite et au genie d'une langue qui fut modelee par la philo­sophie. N'oublions pas en effet que pour Heidegger la philoso­phie grecque est un moment indispensable de la revelation memede I'etre comme pour la religion la revelation du Sinai.appartienten quelque fa~on a 1'essence (ou au rnystere) de Dieu ; que pourlui, les ecrits d'Aristote sur la puissance et 1'acte par exemplesernble-cnt> avoir <f. sa> pour 1'essence de la verite autantde portee quasi sacree que pour un religieux les termes du versetde 1'Ecriture, revelant deja en esprit et en verite, debarrasse deroute gangue contingente. La philosophie pour Heidegger est eneffet une possibilite aussi fondamentale de l'etre que la religion,et rnerne plus fondamentale puisque route religion se tient dejapour Heidegger au sein d'une philosophie inexprirnee. La philoso­phie grecque serait pour lui, la revelation de la philosop,hie a elle­rneme. Cette revelation est la langue grecque elle-rneme et plusspecialement les poernes presocratiques. La langue dont usent lesphilosophes est a mi-chemin entre la philosophie inexprimee etla philosophie exprirnee. Le langage joue donc chez Heideggerle role de l' expression, mais l' expression est pour lui un momentessentiel de la pensee qui ne se reduit pas a la fonction de trans­mission et de communication. Certe fonction consiste a prendreattitude a l'egard de sa propre comprehension et peut-etre dejaen perdre quelque chose. Cette attitude est certainement pourHeidegger un evenement historique au sens fort du terme. N'ern­peche que le langage n' en reste pas moins lie pour Heideggerau processus de la comprehension (inseparable de la lumiere). SiHeidegger distingue le mot de l'algorithme - qui pour Husserlest l'accomplissement me me du langage - il n'en continue pasmoins a chercher dans le mot tout ce qu'il a devine, compris-c;»articule, ce qu'Il recele de connaissance, ce qu'il a mis en lumiere ;avant que l'histoire ulterieure n'ait efface ce que le mot avait de

revelateur.

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Nous pouvons donc dire que-c ,»" quel que soit le role attribueau langage au-dela de son role de signe, on ne le libere pas de sonobedience ala pensee. C'est que la fonction de dire se ramene pourles philosophes au nommer et qu'elle s'y rarnene a cause" <f. 6> dela conception qu'ils se font de la pensee".

Cette fonction au service de la pensee, le langage 1'accomplitd'une part comme systeme de signes - designant le deroulement dela pensee ou les objets vises par cette pensee. En surmontant lacontingence de la multiplicite humaine, OU s'etait eparpilleela Raison pour en retrouver l' unite <,> il actualise la raison enchacun. Si 1'histoire consiste en cet eparpillement de la Raison,le langage defait l'histoire. Et si 1'histoire apparait comme reali­sation de l'Idee, il fait I'histoire. Mais dans cette perspectivela tache du langage depasse celle d'un simple signe. II ne peutnommer une pensee qui est seulement en train de se degager del'histoire ou qui se trouve a son terme. Le signe doit donc auprealable lutter avec les signes provisoires - Avant de designer lapenseeet son objet, il faut supprimer les mauvais signes qui fontecran. Autrement dit, le langage n'a pas seulement a designer lapensee mais a faire silence. Telle est la raison d'etre du langagepoetique. Aboutir a l'intimite silencieuse de la pensee avec l'etreou designer par un signe la pensee ou'' l'etre - telle semble etre lafonction du langage. Elle est toujours servile. Certes chez Platon,ce n'est pas le langage qui se definit par la pensee, mais la penseepar le langage : dialogue silencieux de I'ame avec elle-meme'".

Cette definition annonce certes' une idee tres remarquable :il faut une opposition de soi a soi comme dans Ie langage, pour

a. Virgule ajoutee a la main dans l'original dactylographic (sur les deux versions de cetteconference, if notice).

b. « ... rarnene acause ... » est presque entierement efface. Nous le retablissons grace al'ori-ginal dactylographie (sur les deux versions de cette conference, if notice).

c. « de la conception qu'ils se font de la pensee » est ecrit ala main.d. « ou » en surcharge, semble-t-il, de « et ».

e. Cerce phrase est precedee d'un crochet ecrit au stylo-plume aencre noire, qui demandede faire un alinea, Un trait ecrit au stylo-bille aencre violette la relie en outre al'alinea suivant.

f. « certes » est barre dans l'original dacrylographie.

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a. Ce point-virgule, absent dans le double, est ajoute dans l'original dactylographie.b. Cette virgule, absente dans le double, est ajoutee dans l'original dactylographic.

c. « fractionnement » en surcharge de « fonctionnement ».

d. « saisir » en surcharge de « saisit ».e. « correlative» en surcharge de « correlation».

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pas dans la presence d'autrui, ayant une dignite quelconque, diffe­rente de celle que confere une rnaterialisation d'une universelleraison correlative de I'etre, mais dans le fait de nommer - tient a.cette correlation initiale entre exister et se reveler. Mais enoncerI'etre comme phosphorescent (idee) ou comme saisissable(concept) est aussi une indication sur sa structure. Idee, concept, ilest coherence et systerne, c'est-a-dire to- <f. 8> talite. Le passagede la visibiliteet de la saisissabilite qu'indiquent ces termes a. lacoherence et au systeme qu'ils enoncenr au merne titre, n'est pasdfi. au hasard. La totalite - la possibilite de la totalisation - estla perrneabilite merne a. la pensee. La pensee anterieure a. la rota­lite, parcourt cette totalite, puisque ce parcours par la pensee ouraison n'est rien d'aurre que la totalisation rneme de la totalite.Et inversement : la phosphorescence de I'etre n'est rien d'autreque la totalisation de sa totalite par laquelle la totalite devientrotalite, c'est-a-dire cesse d'etre etrangere a. elle-rneme, et commedit Hegel, pour soi. C'est Hegel precisernent qui nous aura apprisque la totalisation de la totalite ou pensee est le parachevernentrneme de la totalite.

4° Notre methode et nos positionsL'etude du rapport entre le silence et le langage, du langage

comme signe de la pensee et comme asservi a. elle, nous ouvredonc une perspective qui n'est pas purement anthropologique.Et dans la notion de la personne qui parle et dans celle de lapensee ou de la raison que le langage traduit ou revele et danscelle de la relation sociale que la parole instaure ou suppose, ilfaut distinguer les articulations de 1'exister. On pourrait appelerontologique la demarche qui ramene les structures de 1'anthro­pologie a. l'econornie generale deI'etre, c'est-a-dire qui la rneneau-dela de la partie strictement humaine de I'etre. Mais depuisHeidegger, l'ontologie s'est limitee a. une recherche qui tend a.devoiler l'etre comme phosphorescence ou luisance c'est-a-dire,comme se jouant dans la comprehension qu'il determine, mernesi dans l'irnpossibilite de la verite il se jouait de cette compte-

Parole et Silence

<f. 7> 3° Le langage nomme l'etre, car l'etre est themeEn realite cette conception du langage repose sur une these

plus profonde : avant la parole, les penseurs accedent chacun poursa part, silencieusement a. l'etre et le parler se place deja. danscette verite prealable que le langage nomme et actuaiise commeuniverselle. These qui, radicalement pensee, signifie, d'une part,qu'au fond, dans la pluralite des penseurs, agit une seule Raison,que son fracrionnernent' est purement contingent et que la parolene sert qu'a reparer cet incident metaphysique. These quiimplique d'autre part que la verite est une revelation silencieuse

de 1'Etre a. une raison.Cette derniere implication qui peut sembler un truisme a un

sens aigu qui domine la philosophie occidentale: 1'Etre est ce quise revele a. la Raison. Son evenement ontologique reside dans cetterevelation. L'essence de l'etre, c'est quil se donne, qu'ilse {laisse}saisir", L'essence de l'Etre, c'est sa phosphorescence. L'etre est ideeou concept, ou encore la Raison est correlative" de l'Etre. Sa posi­tion, - sa these - est par la meme sa thernatisation, sa presence detheme. C'esr pourquoi le parler qui communique est un parler quidesigne, est un parler qui nomme. C'est ie nom qui se presencecomme la partie principale du discoursQue l'etre soit ce dont onparle - c'est-a-dire un theme - que 1'essence de la parole ne reside

penser< ;>a le face-a-face du langage, essentiellement interro­gation et reponse est condition de pensee. Mais on en retientsurtout l'unite reelle de l'arne <,> b double en apparence et rnedi­tant simplement en deux temps, pour aboutir a. un accord avecsoi, ou rien ne rappelle plus cette dualite, aboutissant par conse­quent au silence qui, en realite, est deja. realise des le debut de

la pensee.

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i,;~J 78 Parole et Silence Parole et Silence 79

hension. Plus <f. 9a> proche qu'on ne dit souvent, de la tota­lite hegelienne OU I'achevernent de I'etre s'accornplit par la verite- quand l'etre est en et pour soi - I'etre heideggerien s'inter­prete en termes de comprehension. L'homme est des lors pouvoir,prise de possession, volonte de puissance et de maitrise, Une onto­logie qui designe au pouvoir lui-meme une place dans l' economiegenerale de l'etre - tel est le but que nous nous proposons.

Pour eclaircir la position du langage dans l'economie gene­rale de l'etre, il nous faut rappeler quelques idees que nous avonsdeja. eu 1'occasion d'exposer et par rapport auxquelles se situentnos analyses", L'etre en general, 1'ceuvre d'etre, se distingue - eten cela nous suivons fidelement Heidegger - de ce qui est, dece qui accomplit cette ceuvre. Nous distinguons comme lui, leverbe etre- Sein - de l'etre substantif, de l'etant, Seiendes. - Noussuivons peut-etre moins Heidegger en caracterisant cette ceuvred'etre comme evenement impersonnel et anonyme, comme un i!~ indeterrnine dans son sujet, non point parce que le sujet enserait inconnu, mais parce que 1'exister par Iui-rnerne est indiffe­rent a. l'existant et que l'apparition de l'existant au sein de l'existerimpersonnel, constitue un retournement radical. Ce qui existeaffirme sa maitrise sur I'exister qui ... devient sien. Cette appari­tion dans le pur verbe d'exister d'un substantif qui 1'assume, nous1'avons appele hypostase. L'etant se pose, et par la, l'etre anonymedevient attribut, perd son anonymat en reposant sur le sujet quilui donne un nom. L'etre comme ambiance, comme pur champ deforces, se trouve assume par un etant.

<f. 10> Nous ne suivons pas Heideggerdu tout quand nousaffirmons la priorite de I'etant par rapport aI'etre, c'est-a-dire lanecessite d'avoir rencontre I'etant pour poser le problerne de l'etre.Toute thernatisation supposant un interlocuteur - toute penseereposant sur le langage. Mais c'est deja. une conclusion de lapresence etude. Cette maitrise du sujet sur son etre semble se situerau terme de l'analyse : son accomplissement concret reside dans

a. Dacrylographie au verso d'un imprime date de 1955.

la representation, articulation premiere de la conscience et fonde­ment de la raison", Le pouvoir fondamental, celui par lequel unsujet s'est affirrne comme maitre avant d'exercer aucun pouvoir- c'est la conscience, c'est le savoir, Par le savoir, le sujet est centredu monde. Par le savoir, le flot anonyme de l'etre devient objet,c'est-a-dire une exteriorite qui, tout en etanr au dehors, est commesi elle venait d'un interieur : 1'element ou pareille situation estpossible - est la lumiere. Au monde nocturne de l'il y a - s'opposele monde de la lumiere, celui de 1'hypostase ou du sujet.

La conscience et la raison ne sont donc pas ...... deja. au niveau de1'analyse qui saisit 1'etre en termes de pouvoirs - un don rnyste­rieux que le sujet recoit en plus de son existence. Ils constituentau contraire le fait rnerne de 1'hypostase - le retournement de1'exister anonyme en etant, en un quelque chose, en un subs­tantif Par la conscience le sujet se pose et commence - n'a rienavant soi, tire tout de soi, est maitre.

On peut ne pas chercher au-dela de l'hypostase ni en" decade l'hypostase. La notion du sujet telle qu'elle se trouve preco­nisee par la philosophie moderne, represente precisernenr lalimitation de la recherche philosophique a. l'evenement de I'etrequi commence <f. 11> a. 1'hypostase - a. 1'apparition de I'etant,Leprimat de la connaissance commefonction de I'etre ne signifie quele souci de la rnaitrise de l'etant. L'etre doit etre decrit comme sujetou comme assujetti. L'humanisme devient un souci d'assurer dans1'homme les pouvoirs. La personne est une Iiberte, c'est-a-direun pouvoir. Non seulement par 1'action dont Ie savoir, pere destechniques<,> accroit demesurernenr les possibilites, mais deja.par 1'intellection elle-merne qui est l'evenementpremier de l' ap­propriation - qui est comprehension et saisie.

C'est par rapport au sujet et a. son pouvoir que routes les rela­tions de l'etre sont comprises rnerne dans lesdoctrines qui affir­ment l' existence de l'irrationnel. Les relations autres que celles

a. Cette phrase est precedee d'un crochet manuscrit qui demande de faire un alinea,b. « en » en surcharge de « au ».

t:r1

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80 Parole et Silence Parole et Silence 81

de la raison sont precisernent comprises comme une negation dela raison, mais c'est par rapport a la raison, en categories deraison-c.> qu'elles sont posees. Chez Heidegger lui-meme, ou Iecote contemplatif de la vie spirituelle est subordonne au souci,c'est le pouvoir - le pouvoir fini qui caracterise 1'homme et lesevenements de I'etre sont concus, comme des comprehensions. Ceproblerne de 1'homme est une obsession du pouvoir. Le problernede 1'homme dans une collectivite, qu'a son tour on cherche afixera partir de pouvoirs, {a partir de representations collectives -}consiste a assurer le pouvoir de 1'homme. Assurer le pouvoir de1'homme au milieu d'une societe qui absorbe 1'homme. La dignitede 1'homme reside dans sa liberte quil s'agit de maintenir contrela pression de puissances qui l'alienent.

La philosophie et la vie spirituelle en general, deviennentainsi une entreprise de divin{is}ation de 1'homme. 1'humanismemoderne est une aspiration a remplacer Dieu, a devenir Dieu.Merrie lorsqu'elle n'enonce qu'un rapport a Dieu. Intellection,elle devient <f. 12a > pouvoir sur Dieu, absorption de Dieu ouabsorption en Dieu. Le spinozisme est le fond de toute philoso­phie moderne. Par rapport a1'hypostase et au sujet, dans l'elementde la lumiere - le reste de la realite devient un jeu de lumiere, ledevoile, le phenornene, 1'objet.

La relation collective elle-rneme, la relation avec 1'autre serarnene a une relation collective, a une representation. Aucuneautre relation n'est possible ici, car aucune autre relation n'estpossible au sujet : le sujet ne se definit que par le pouvoir. Lesrepresentations collectives sont certes pour 1'individu la sourced'une exaltation et d'un depassernent de soi mais elles s'integrentasa psychologie, deviennent son pouvoir er sa liberte. La concep­tion d'apres laquelle le langage ne sert qu'a transmettre la pensee,est une conception naturelle pour une philosophie du sujet, pourune philosophie de la maitrise, puisque toute relation humainevire inevitablement en une relation de pouvoir.

a. Dactvlographie au verso d'une lettre recue datee de 1953.

5° Langage et societe.L'essentiel de la pensee dans certe conception qui remonte a

Platon, se passe donc de langage. Le langage sert tout au plusa developper et a expliciter, tout en laissant a la pensee et lebenefice de cette explicitation et en fin de compte 1'initiative.Mais signe de la pensee, le langage signifie la pensee aquelquunet, dans ce sens, suppose autrui. Mais cette presence d'autrui aete toujours abordee du dehors-c ,» le pluralisme de sujets futtoujours pose comme pluralite du nombre. L'universalite de lapensee ne reside pas dans la <f. 13> communication reelle dela pensee d'une raison a une autre, dans l'enseignement, maisdans le fait que chaque individu, participe pour son compte ala rnerne verite. La verite est a l'avance un patrimoine communet comme anonyme. En fait ce pretendu anonymat de la penseeest son caractere stricternent personnel. La pensee raisonnableest la pensee d'un moi et d'un je - essentiellement pensee noncommunicable, enferrnee dans le moi. Aussi le langage n'est­il pas enseignement, mais un appel a autrui, pour que autruipense aussi par Iui-rneme. Toute pensee est pensee d'un k, routepensee est personnelle. Une exigence d'apparence contradic­toire. Toute pensee doit etre a la fois universelle et personnelle- il faut penser par soi-rnerne - objective et interieure. Aussicette universalite est-elle interpretee comme vision - I'etre estphosphorescent - ala fois monde commun et monde interieur :1'objet eclaire est dehors, mais la clarte est pour I'etre unernaniere de se donner comme si, exterieurc ,» il venait de 1'in­terieur, C'est precisernenr cette transformation ole I'exterieur eninterieur - par la lumiere - et en merne temps cette possibiliteinterieure qui nous met d'accord avec les autres -qu'est 1'intel­lection. Que peut des lors etre la collectivite elle-merne ? Soit <, >

au cas ou la pensee n'est pas un monde sans porte ni fenetre, unepure et simple negation de 1'individuel, un pantheisme <,> soitune monadologie.

La communion dans la raison, c'est la confusion des personnesdans I'irnpersonnalite de la Raison. II faut comme Spinoza ou

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comme.Braunschvicga penser la personne dans sa negation totalepour chercher la communion dans la raison qui est la solitude d'unpantheisme monotheiste. Absorbes dans 1'objet com~un, ~ous

y abimons notre particularite et notre unicite. Le social de:le~t

su- <f. 14> pra-individuel ou anonyme. Si par contre, les indi­vidus qui communient dans la raison sont des pensees separees- en quoi leur pensee commune a-t-elle rapproche leur solitude?Si la pensee personnelle, le monologue, peut etre impersonnelle- c'est que chaque monacle sans porte ni fenetre, touche aI'inte­rieur de soi un objet dans une harmonie pre-etablie.

Ou bien la communion se fait dans I'identite de quelque chosequi leur demeure exterieur, La communication et l'expr~s~ion. dedeux pensees reste-cnt » de l'ordre de I'echange et la participationen" commun se fait selon la categorie de 1'avoir. Or posseder encommun n'est pas erre en commun. La socialite que c~ commu­nisme suppose, doit venir d'une autre source. C'est le contenucommun qui passe de 1'un a 1'autre, mais pas la personne elle­merne. Les deux partenaires restent isoles avant comme apresl'operation.

Comprendre, c'est se poser en pair. Lidee comprise devientle propre de celui qui 1'a comprise, de sorte que la relation entrepersonnes devient comme si elle n' etait pas. Le__~ilenceest en finde compte l'elernent de la raison: les signes suffisent. S'il existecependant une relation interpersonnelle, reel le dans la verite, ellen'est pas dans cette communion merne. Elle s'arteste par 1'ensei­gnement.

La socialite de 1'intellection qui doit etre autre chose quepantheisrne ou monadologie - n'est donc pas une fusion d'etresindividuels dans la raison qui accomplit leur individualite (veri­table) ni un isolement dans une harmonie pre-etablie par un Dieuqui les domine et dans lequel au fond les monades font nombre,mais dans une possibilite pour des individus d'etre proches les

a. Lire « Brunschvicg »:

b. « en » en surcharge de « au ».

uns des autres - c'est-a-dire la possibilire pour la raison d'erre<f. 15"> autre pour une raison. Dire que la raison accomplit sonexistence sociale non pas dans son accord interne avec elle-rnememais dans son accord avec une autre raison, c'est avouer qu~quelque chose d' autre que l'evidence domine la rationalite elle­rneme, que la pensee plonge dans l' enseignement qui n' est pass,eule~ent maieutique. La raison C01l11l1e tuvoila ce qu'implique1enseignemenr, Le langage n'esr quel'admissioli de Ii distinctionde je et de tu non pas sur Ie plan de l'affectivite, non seulementen fonction de notre animalite, rnais sur le.plan de la raison elle­rneme. 11 y a transmission de raison a raison. Le langage est rele­logie comme on parle de tele-pathie sans que le terme de raisonn'implique cependant rien de spirire <sic>. Transitivite qui n'estpas celle de l'action, ni celle de l'influence. Agir sans agir ou parirsans patir - c'est precisemenr parler et entendre ? ; c'est la leurlieu dialectique. Si la lumiere est le retournement de I'exteriorireen inreriorire - l' enseignement, la tele-Iogie ne se fait pas dansI'elernenr de la lumiere,mais dansceIiii dll son - il est entendre.Si la sensation sonore qui en rant que sensation est lurniere, c'esr­a-dire se retourne en interiorite, n'esr pas sensation seulemenr,n' est pas Iurniere, c'est qu'elle suppose autrui ; le visagedel'aun­inconvertible en interiorire.

6° La socialite de 1'enseignement.

En quoi consiste donc la socialite qui rend possible I'ensei­gnernent ? Elle n'est pas purernenr et simplement la quanrired'individus, leur nombre, rnulriplicire de sujers se connaissanrles uns les autres dans I'elernenr de la Iumiere comrne <f. 16b>des objets c;» et <h cette multiplicite du nombre<,> a cellede l'isolement ou a celle, illusoire, du pantheisrne, er partouren effet, la parole n' est que le signe d'une pensee isolee - on araison d'opposer une relation sociale ou les sujets sont presents les

a. Dactylographic au verso d'un imprirne date de 1955.b. Dactylographie au verso d'une lettre re~ue datee de 1955.

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uns pour les autres ret non pas simplement} autour d:une ve.ritecommune <sic>. La theorie des representations collectives retientprecisement de la collectivite, la coexisten~e, l~ p~rticipation aun contenu commun. Rapport avec autrui, qUl n est pas monpouvoir sur autrui. Car autrui n'est pas un objet. Ne pas etre objetpeut vouloir dire purement et simplement qu'il est .'?" ~ibert~identique a la mienne. Cela expliquerait certes le fait qu autruin'est pas donne ou qu'il est donne comme ce qui m'echappe.Mais alors le rapport avec l'autre ne consisterait qu'en une tenta­tive infiniment et vainement renouvelee de saisir 1'insaisissable,puisqu'entre Iiberte-cs> , il ne peut y avoir d'autre relation quunelutte ou une coexistence pure et simple. Si autrui dans la parolen'est qu'une liberre, ou est avant tout liberte, la communication,la relation sociale, n'est qu'un echec. On a donc raison de poserau depart la relation sociale, comme absolument irreductiblc. etau pouvoir, c'est-a-dire a 1'intellection, et a la coexistence de laparticipation a quelque chose de commun. La socialite se fait reel­lement dans routes les relations concretes entre individus, entremaitres et serviteurs, entre parents et enfants, entre homme etfemme, plutot que dans l' obeissance aux regles anonymes de .lamorale et du droit. Ce n'est pas la societe qui est mon vis-a-vis,de la relation sociale, mais 1'autre. Certes, routes ces relationscomportent des regles, se referent au fond commun autour duquelces relations se nouent : le travail, le repas aprendre en commun,la lecon a apprendre, les reflexions et les idees a echanger. M~isces regles communes <f. 17> sont-elles l' essence du rapport socialou au contraire le rapport entre personnes qui se fait en dehors ducommun, instaure a un certain moment de sa dialectique un ordrecommun <sic>. Il nous apparait donc impossible de traiter larelation sociale en termes de subjectivite, puisque la subjectiviteest pouvoir er intellection, et puisque la psychologi.e - sci~.nce d~sujet _ n'existe en somme que comme psychologie de I'inrelli-

gence. -Nous avons essaye, ail leurs" de degager la forme originelle de

ce rapport que nous avons rapproche de la relation erorique. Elle

nous a paru trancher" sur toutes les relations intellectuelles etlogiques, et que nous avons pose dans son irreductibilite <sic>. Cen'est pas une autre Iibertequi estdonneedansle face~~~face'rnaisle ~:stere d'~utrul;lefem~tlinb "' lui, non point quelque 'choseqUl echappe a notre pOUVOlr, mars qui, essentiellement se cachec'est-a-dire n' existe pas dans l'element de lumiere et se trouveen dehors du pouvoir et dif·~noff~p·ouvoir.La sexualite que nousa~ons rap~roche<e> du temps Iui-merne, nous a paru constituerI acco~pllssement de cette relation sociale, qu'en termes d'in­tellection nous ne pouvons decrire que negarivemenr. Mais cespremieres analyses posees, notre tentative consistera desorrnais adecrire la place que le langage jouedans les relations sociales.iEtcela consiste a dire qu'au fond de toutes les relations sociales setrouvent celle" qui rattacheae maitres et eleves - l'enseignement.L'essence du langage est enseignement.

7° Intellection et religion.Mais avant d' entreprendre cette deduction, nous voudrions

montrer les perspectives que nous semble ouvrir la distinctionentre la relation sociale d'une part, et le lien entre intellectionsou pouvoirs d'autre part, rnerne si le lien entre intellections estrernplace par une participation apatrimoine commun.

<f. 18d> Si 1'intellection est la seule forme de relation dans'I'etre c ,» 1'humanisme ne peut se preoccuper que de la rnaitrisede 1'homme et de sa puissance. Le desir de Nietzsche de devenirDieu" est 1'aboutissement d'une interpretation intellectualistede 1'existence. En dehors de 1'intellection aucune autre relationne semblait capable de conferee a1'homme une existence a partdans I'etre, une existence de personne. Toute relation qui ne seraitpas intellection serait rnecaniste et materialiste. Mais intellection

a. « trancher » en surcharge de « toucher ».

b. « feminin » en surcharge de « feminisme ».

C. « celle » en surcharge de « celui », Iui-merne en surcharge de « celles ». Levinas a omis demettre au singulier le verbe « trouver» qui precede.

d. Dactylographic au verso d'un brouillon d'une lettre administrative datee de 1953.

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signifie pouvoir et pouvoir signifie volonte de puissance et de

maltrise.La relation avec autrui sans fusion avec lui dans une extase c .>

sans son absorption par la connaissance - relation oii la dualitede deux termes est inregralement maintenue - est par contre unabandon de I'idee de rnaitrise et de l'heroisme comme accomplis­sement de l'humanite en nous. Le but de la vie humaine n'estpas de devenir Dieu. L'image religieuse de la proximite de Dieu,mais oii cette proximite n'est pas concue comme une degradationde 1'union mais valable par sa distance autant que par sa proxi­mite _ voila le prototype de la collectivite relle que nous I'avonsdegagee jusqu'a present par 1'analyse du langage. C'est preci­sernent la theologie qui cherche le logos du divin qui reduit laproximite de Dieu a 1'intellection et par la rnerne ouvre la voie ala divinisation de 1'humain. Et c'est encore par rapport aux philo­sophes que le rnystere de Dieu est pose comrne passant les facultescognitives de Dieu" ; mais cela d'une fa~on purement negative.

Voici le point qui nous importe : la relation sociale n'estpas irrationnelle parce qu'elle resisterait au pouvoir de 1'intelli­gence<,> elle se situe en dehors du pouvoir et du non-pouvoir ;elle indique un <E. 19b> ordre de relations plus vaste que celuide 1'intellection enracinee dans 1'hypostase et par rapport auquelnous essayerons precisement de situer 1'intellection elle-meme. Lacollectivite ne nous apparalt pas seulement comme une situationde fait de 1'homme mais comme une categorie generale de l'etre,la seule qu'on puisse opposer a I'universalire de 1'intellection.Notre rappel de la religion n'a pas pour but de les confirmer, maisde se referer a un point de 1'experience hurnaine-c.> de 1'opposera l'universalite de 1'intellection et du pantheisme qui en decoule,d'y opposer l'universalite de la relation sociale dont la conceptionreligieuse d'une socialite avec Dieu toujours transcendant, proche

et distant, est l' expression.

a. 11 faut sans doute lire « l'homme ».

b. Dacrylographic au verso d'un irnprime date de 1955.

Enfin ~otre .recher~he ne consiste pas seulement a reprendred~n~ la dlscus~lOn qm oppose idealisrne et realisme le parti durealisrne. Le realisme en niant ce que I'idealisrne affirme ne serefere" qu'a 1'intellection comme rnaitresse de I'etre et h~i c~ntestecette prerogative. En aucune facon il ne cherche a etablir en des~ermes a~tres que ceux de 1'intellection et du pouvoir ou de non­intellection ~u du non-pouvoir ce que peut etre le rapport avec le~onde. 11 lui man~.ue une ~tude de l'economie generale de I'etreou les rapports de I'intellection apparaissent a un certain momentsans l'epuiser.

8° Etre chez soi.N ous chercherons donc a determiner la relation sociale en

dehor.s de 1'inte.llection et du pouvoir. Mais comment le sujetpe.ut-11 enr;etentr un~ relatio~ fUt-elle avec un autre sans qu'ellesort du meme coup intellection et pouvoir ? Comment d'autrepart une relationreu.t-:ll~ rattacher un terme a un autre sans quecette dua- <f. 20 > lite vire en unite?

.Qu'est-ce qui, dans le sujet compris comme sujetde pouvoir,peut en dehors de la raison etablir une relation? Comment evirerun rnaterialisme assez plat, si on pense un lien entre deux termes'qui ne soit pas un mouvement de pensee ?

Le sujet saisi comme pensee, le sujet idealiste, ne peut en effetque ~ouvoir a.partir de son present. Mais ce present apartir duquelle sUJ~t peut: 11 ne.pe~t pas sur lui. Cette disparite entre le pouvoirdu sujet ~t I appUl meme de son pouvoir, quece pouvoir suppose-,s?n assise - est sing~li(~rement appauvri-ce» dansce fameux « jen ar ~as voulu mon existence » sur lequel il fut tantphilosophe cesdern~ers temps. II caracterise precisernent le surplus que comportele sujet par rapport aux phenomenes. Rapporte aux pouvoirs, il estce sur quoi le pouvoir n'a pas prise ; mais tout ce qui est hors dupouvoir n'est pas un assujettissement, ni une servitude. Or, c'est

a. « refere » en surcharge dactylographiee d'un mot illisible.b. Dactylographie au verso d'un brouillon d'une lettre administrative datee de 1953.

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cette interpretation limitee qu'en donnent et Heidegger et Sartre.Pour Heidegger, la Geworfenheit est le fait que certaines possibi­lites sont a l'etat du d' ores et deja saisi, du d'ores et deja impose ;pour Sartre le present est plus fort que ce passe de la Geworfenheitet peut etre assume dans un engagement volontaire : on peut sur lepasses. Pour nous, cette assise du pouvoir dans l'erre, n'est pas unobstacle au pouvoir, mais sa condition, son privilege; son refuge eten quelque fa~on sa gloire. C'est ce par quoi le sujet est autre chosequ'un phenornene, qu'un jeu de lumiere. La preeminence du sujetsur l'objet, ne tient pas au fait que le sujet est l'origine de l'objetet qu'il resiste au doute, mais au fait que source de la liberte, iln'est pas a son tour etre flottant <f. 21 > et arbitraire, mais assisdans l'etre ; comme le dit d'une facon merveilleusement preciseDescartes, une chose qui pense, dans lieu d'habiter.

La position dans l'etre est foncierement distincte de l'acte nonpas parce qu'elle est passivite. La passivite suppose deja une liberte_ elle est la limitation d'une liberte. Alors que la position est endehors de l'activite et de la passivite. Dans l'acte et dans 1'effort del'acte, il y a projection vers autre chose que soi et comme une nega­tion de soi. Le hors de soi du pouvoir de l'acte et de 1'intellectionest originellement negation de soi - c'est la transcendance. Dansla position <,> par contre <,> l'acte de se poser n'a pas d'objethors de lui. Il ne se nie pas mais au contraire s'affirme. Ce n'est passon existence mais son insistance qui importee II est chez soi. Laposition est l'etre chez soi. Si nous pouvons lui trouver une trans­cendance, elle sera d'un type totalement different de la projectiondu pouvoir. L'etre chez soi est totalement different de la phospho­rescence. II consiste tout au contraire en une fa\on de demeurer aI'inrerieur de ... chez soi - et non pas a se devoiler. L'erre chez soiest bien distinct de l'etre des objets - puisque par la lumiere preci­sernent les objets se donnent, s'abandonnent a l'intelligence. Sil'existence peut se reveler dans ce que Sartre a appele son obscenite",c'est qu'initialement elle est interieure et que sa revelation rnerne

a. « obscenite » en surcharge de « obscurite ».

est en quelque fa\on une impudeur". La condition de tout pouvoirest donc la position. L'etre du pouvoir est mystere, refractaire ala lumiere, en soi. Mais cet en-soi extreme = sans transcendance- cette affirmation sans negation e ,» cette interiorite integrale ­est tout le poids de I'etre. La <f. 22a> decrire comme une indiffe­rente et inoffensive presence, c'est la transformer en phenornene,la situer dans un ensemble, lui preter un sens, c'est trahir precise­ment ce poids que possede le sujet, ce debordernent qu'il possedernalgre 1'absence de toute negation, de toute transcendance : unpoids d'etre par lequel l'etre s'affirrne. En quoi peut consister cettetranscendance sans transcendance ? Comment I'etre peut-il, a lafois etre en soi et dehors? Comment un dehors est-il possible sansque ce soit au prix d'une negation? Comment un rnystere peut-ilse reveler sans se profaner? Et quelle peut etre cette relation avecle dehors qui ne doive pas etre intellection? Encore une fois I'etrequi a une assise -Ie sujet<,> contient comme un appel a un ordrepublic auquel il s'impose comme un droit a l'existence II estcomrne revetu d'une importance qui engage rnerne ce qui n'estpas lui. I,'aspect phenomenal et concret de cette affirmation - nousl'avons precisernent dans la dignite de la personne et le caracteresacre de toute creature; en dehors de route theologie - l'impor­tance de ce qui est. Nous l'appelons la gloire de I'etre. Par sa gloire,le sujet rnalgre son rnystere, et tout en conservant son mystere- s'est deborde. Son en soi devient un pour autrui.

Et cette transcendance autre que celle du pouvoir et de l'intel­lection qui se fait par projection - c'est precisement l'expression.Ce n'est pas la lumiere qui est ici le prototype sensible, mais leson. La relation avec l'etre, dans sa gloire d'etre - c'est entendre.

<f. 23b> 9°La phenomenologie du sonLe son se presence a nous d' abord comme une sensation parmi

d'autres, faisant par consequent partie du monde de la lurniere.

a. Dactylographic au verso d'un imprirne date de 1955.b. Dactylographic au verso d'un irnprime date de 1955.

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II se rerere, comme toute lumiere - au sujet. Venant du dehors,entendu, il est comme s'il venait de nous et entendre, n'est que lesynonyme de comprendre, dont le terme est evidence. Toutefois enquoi consiste la sonorite du son? Dans son retentissement. Dansson etre merne, le son est eclat. Ou pour le dire, d'une fac;on quifait davantage ressortir son caractere social - le son est scandale.Le monde de la lumiere est un monde de transparence a traverslequel nous possedons le monde en l'embrassant. Monde continu,ou la forme epouse parfaitement le contenu : le contenu, et c'esttout l'evenement du phenomene c .> est clarifie par la forme quilui prete un sense Monde de solitude ou tout ce qui est autreest a la fois mien". Par contre, l'essence du son est une rupture.Non pas la rupture dans le monde de la lurniere et du silence_ ou la rupture decouvre une continuite plus profonde<,> oii ladechirure est sous-tendue par la continuite et l'universalite del'espace. Mais rupture pure qui ne conduit pas aquelque chose delumineux mais qui fait res-sortir de la lumiere. En tant que qualitesensible, en rant que phenornene, le son est lumiere ; mais c'estun point de lumiere oii le monde eclate, ou il est deborde. Cedebordement de la qualite sensible par elle-rneme, son incapacitede tenir son contenu - c'est la sonorite me me du son.

Mais la possibilite de sortir du monde de la lumiere par le son,n' est pas l'ouverture d'une fenetre par laquelle nous penetrerionsdans un autre monde de lumiere plus vaste. Si vaste que soit lemonde de la lumiere, c'est un monde solitaire. Or le son <f. 24>n'annonce pas a celui qui 1'entend quelque chose qui peut etreenglobe dans sa solitude, mais dans la gloire d'un autre etre. Cen'est donc pas un defaut, mais un avantage du son, que de debordersa forme et de ne pas nous donner un autre monde qui en rant queIumiere serait englobe dans celui ou nous sommes. Le son est l'ele­ment de l'etre comme etre autre et comme cependant inconvertibleen identite du moi qui saisit comme sien le monde eclaire. Nousavons dit comment le son dechire le monde de la lumiere et intro-

a. « mien » en surcharge de « rnerne ».

duit une alterite et un au-dela dans le monde. {L'autre peut ala foisse poser comme absolu et comme en relation avec moi. L'absolu dela substance n'est pas altere par cette relation. Par le son tout endemeurant absolument autre, l'absolu s'impose : le son n'est queson, il n'est rien, le sujet n'a rien livre de soi.}

N ous voulons aborder par un autre cote encore la phenorne­nologie du son. Le son n'est pas une qualite de la chose commela couleur ou comme la forme, comme I'odeur, la saveur oule contact. II est comme une qualite superflue, comme une qualitede luxe. II faut deranger la chose pour qu'il" emette un son. Leson double toutes les manifestations de la chose. Le canon tire,le rabot rabote, le vent souffle, 1'homme marche - et toutes cesactions se doublent de bruit - qui par rapport a I'acte ne sontque des epiphenomenes, mais qui annoncent precisernent cequ'il y a d'evenernents dans toutes les manifestations de I'etre,Resonner, c'est nous imposer ce qu'il y a de verbe dans tous lessubstantifs. Le son n'est pas une qualite purement et simple­ment - il est une qualite qui se deverse dans Ie temps, qui entre­tient avec le temps une relation qui ne ressemble en rien a cellequi caracterise la couleur. La couleur a aussi une duree mais letemps passe en quelque maniere sur elle, alors que le son roule letemps lui-rnerne, comme s'il etait le deplacement ou le retentis­sement du temps Iui-merne, comme s'il etait le temps devenantvisible. Manifestation de ce qui, par essence ne se manifeste pas­voila <f. 25> la difference entre entendre et voir.Le son en estl' element connu, la lumiere est l'element de .l'inrellection et dupouvoir.

Dans un poeme intitule « Le Prophete », Pouchkine, en decri­vant la transformation du sens qui conduit a la connaissanceprophetique <,> etend precisement graduellement l'ouie jusqu'ala perception de l'evenement meme de I'etre, comme si I'etrernerne des choses pouvait etre entendu :

« II a effleure mes oreilles

a. Lire « elle ».

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Et elles se remplirent de bruits et de sonsEt j'ai entendu la contradiction des cieuxEt le vol des anges qui montaientEt la marche des monstres sous-marinsEt la croissance de la branche dans la vallee »10

Le son est donc la gloire de l' evenement autre : le rnysterieuxde l'etre en tant qu'autre. II n'en est pas le signee Le signe estune qualite sensible renvoyant aune qualite sensible absente, enrernplacant cette qualite. Le son peut certes devenir signe - maissa fonction originelle - telle que nous venons de la degager - estdifference. Le rapport avec l'evenement d'erre qu'il ne remplacepas, dont il n' est pas l'image - mais simplement le retentisse­ment - est un rapport irreducrible. II ne peut etre ramene qu'a lasonorite meme du son. Si I'elernent naturel du mot est le son, c'estque le symbolisme du mot ne consiste pas simplement a servirde signe a des qualites ou a des pensees ayant des qualites pourobjet, mais afaire retentir l'alterite meme du sujet. Le mot n'estpas seulement le nom d'un objet ou d'une idee, il est le retentisse­ment de I'etre du sujet. Nous pouvons le dire encore autrement :le mot n'est pas un nom, il est verbe. Etant bien entendu que leverbe n'est pas le nom d'une action, comme le nom est nom d'unechose. Mais que le <f. 26> rapport du verbe a l'exister que leverbe exprime, est comme le retentissement meme de l'etre. C'estdans ce sens que la sonorite du son - c'est le symbole. C'est ainsique le symbole est autre chose qu'une allegoric ou un signee

Nous sommes encore loin du mot tel que nous le connaissonsdans le langage courant - ou le mot a une signification <, > oii ilest par consequent aussi signee Mais si la fonction premiere dumot consiste dans ce retentissement de I'etre, il doit etre possibled'en deduire la modification essentielle du son en mot. La placeexceptionnelle du langage dans l'economie de l'etre apparaitramieux dans cette deduction, sa place exceptionnelle par rapportau signe en general egalement.

Mais le son n'est rien, pur epiphenomene dans le monde deschoses visibles. II est aussitot qualifie. La sonorite est qualifiee-: ,>

integree dans un ensemble, constituant une musique. Certes laqualite, le contenu qu'est le son, n' est que cette rupture de la conti­nuite : le rompre, et la perceptibilite du rompu comcide-cnt >.

Mais c'est la qualite qui l'emporte dans les bruits du monde sur lasonorite - car il n'y a dans les choses aucune alterite. La fonctiond' eclat et de rupture peut cependant l'emporter sur l'esthetique etla qualite. La cloche est un instrument aproduire du son dans lesfonctions du son. Elle fait crever le monde continu de la lumierecomme un appel de I'au-dela, La sonorite dans son ensemble,decrit la structure d'un monde ou l'autre peut apparaitre.

Cette qualite et cette rnusicalite {du son} est precisementsurrnonte <sic> dans le mot, mais sonorire pure: le son qualiteest dans ce sens comme un mot ayant perdu sa signification. Lesens du mot reside non pas dans l'image qui lui est associee,mais dans le <f. 27> fait qu'un objet peut nous venir du dehors- c'est-a-dire peut nous etre enseigne.T,e langage, c'est la possi­bilire pour un etre d'apparaitre du dehors, pour une raison d'erretoi, de se presenter comme visage, tentation et impossibilite dumeurtre.

On pense d'habitude que le mot est associe a une idee et quecommuniquer le mot, c'est susciter l'idee qui lui est associee, quele dialogue est posterieur aux notions, al'elevation des sensations al'idee generale. Ce n'est pas la generalite, mais I'alterite de la notion- le fait qu'elle est enseignee, vient d'une raison autre, unenotion associee au son est le residu d'une situation qui consistea apprendre <sic>. Apprendre n'est pas communication d'unepensee (ce qui serait revenir ala preexistence des pensees ala paroleet par consequent fatalement a une harmonie preetablie), maisrelation premiere: se trouver devant une raison autre, exister meta­physiquement. La pensee ne precede donc pas le langage, maisn'est possible que par Ie langage, c'esr-a-dire par l'enseignement etpar la reconnaissance d' autrui comme maitre, Le passage que l'on sedonne comme un miracle personnel de l'implicite al'explicite {del'individuel au general} suppose un maitre et une ecole. La doctrineparlee -l'Ausdriicklich deneen" - suppose ecole et enseignement.

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ase demander pourquoi le langage est aussi un systerne designe.Quelle est la place de la signification dans la relation avec la trans-

cendance que represente la societe ?

<f. 30> 110 Le rapport avec 1'Autre et la significationPour cela, revenons a1'hypostase dont nous etions partis, pour

voir de plus pres l'evenement d'erre qu'elle accomplit. La gloire,c'est 1'existence d'Autrui. La gloire de l'etre passe inapercue enmoi et peut paraitre comme faralite. C'est en autrui que sa gloireapparait ; c'est-a-dire que l'etre apparait comme creation. Desorte que le moi ne se connaitra comme justine qu'a partir de Toi.Mais le sujet qui se pose, s'il n'accomplit pas en se posant un actede pouvoir, sil est comrne I'Autre assis dans I'etre, ne" le sait" pas,car il est rive a soi. La Gloire de la creature ne me vient que de

1'Autre, est entendue.II ne s'agit donc pas pour le sujet de remplacer la naissance

dont il n'aurait pas eu volorite, par une naissance assumee.Meme une naissance choisie aurait eu<,> du fait merne qu'elleserait une entree dans l'etre, quelque chose de definitif. Ce n'estpas le fait de s'irnposer a une liberte qui constirue le tragique del'etre mais si 1'on peut dire, son identite merne, le fait que le moide l'etre est rive ason soi. Le sujet qui assume l'etre par 1'hypos­tase est aussi tenu par I'etre. Et dans ce sens, avant route mani­festation de la liberte, l'etre est rive asoi. C' est dans la nostalgied'une autre personnalite - nostalgie dans son expression brute,insensee-c.> puisque si moi je devait" etre 1'autre - il faudrait unelement de continuite qui ne peut etre que mon moi - que ce

tragique de I'identite peut etre saisi.Singuliere tragedie ! Mais c'est elle que nous decouvrons au

fond de 1'ennui. L'ennui n'est pas seulement la nostalgie d'un autrehorizon, monotonie d'un monde trop familier, mais 1'ennui avecsoi. Non seulement enchainernent aun caractere, ades instincts

- mais aussi a soi-rnerne - qui eveille la nostalgie de <f. 31>I'evasion, mais qu'aucun ciel inconnu, aucune terre nouvelle, n'ar­rivent a satisfaire, car dans nos voyages, nous nous emportons.Nostalgie insensee certes : car si je m'evade de moi - amoins dern'annituler" - il faut que dans 1'autre moi - il reste un moi - unelement de continuite, Evasion de soi qui ne me permet que lacondition d'un avatar.

Mais absurdite par rapport a une conception qui ne va pasau-dela des notions, qui decrivent depuis Parrnenide I'etre commeunite.

Le malheur de la subjectivite ne tient pas ala finitude de monetre et de mes pouvoirs, mais precisernent au fait merne que jesuis un etre ou un etre un.

Malheur qui revele ce par quoi I'etre complet est incomplet.Ce par quoi il est seul. La solitude n'est pas la privation d'unecollectivite de semblables - mais le retour fatal de moi asoi. Etreseul, c'est etre son idenrite. Malheur auquel tous les pouvoirsn'offrent qu'une illusion d'evasion. Ce « il n'est pas bon pour1'homme d'etre seul »12 dont parle la Bible ases debuts se reveleau moment OU 1'homme a passe en revue tous les etres auxquelsil a donne des noms, mais OU il n'a pas encore parle, oii il n'apas d'assistant en face de lui ; malheur qui se resout par l'appa­rition du feminin parce qu'en lui l'hommereconnait sa propresubstance - parce que le rapport avec le feminin est precisernent1'accomplissement de sa'' nostalgie d'etre 1'autre : Etre 1'autre estinsense si on se 1'imagine comme une identification avec lui parcequ'alors on n'est plus soi-merne, on est complerement 1'autre.Eire l'autre, est un evenement dans I'etre de structure irreduc­tible et qui est articule dans la relation sociale - rarnene d'unesimple representation d'autrui - ala relation erotique. Originalited'une <f. 32> relation qui echappe, - qui se transforme en coexis­tence quand on aborde la relation erorique apartir des relations

97Parole et SilenceParole et Silence96

a. « ne » en surcharge de « le »,

b. « sait » en surcharge de « suit».

c. Lire « devais ».

a. Lire « m' annihiler ».b. « sa » en surcharge de « la »,

---

Page 19: Parole Et Silence - Levinas

98 Parole et Silence Parole et Silence 99

sociales telles qu'elles s'offrent dans le monde de la civilisationcomme des representations collectives, par consequent en termesde pouvoirs qui ne peuvent pas repondre a la nostalgie de l' eva­sion de soi qui est le malheur de I'hypostase.

Nous comprenons mieux maintenant comment la relationsociale en tant que relation erotique - n'est pas seulement un faitempirique, mais repond a la structure rnernedu sujet et est unmoment ineluctable dans l'economie generale de l'etre.

Mais le rapport erotique n'est possible Iui-rneme que si l'autreest humain - c'est-a-dire si dans I'alterite totale d'autrui je recon­nais mon semblable. Cela ne revient pas a l'idee d'un sujet iden­tique sous la diversite ; mais le maintien de la difference radicalequi est celle du sexe et de I'identite du semblable - c'est precise­ment la conception de la raison dans sa difference de moi et de toi,contre la raison impersonnelle qui en realite n'est que la raison duje. Mais cette necessite d'un visage humain derriere la differencemerne du sexe, nous pouvons la montrer en nous posant la ques­tion de la remporalite qu'irnplique la relation erotique.

Si la relation erorique n'est pas seulement une societe de coexis­tence ou de participation a une representation collective communemais l'evasion de soi et un recommencement, elle doit etre etroite­ment liee au temps. Le temps de la sexualite ne peut pas ressemblera cette serie d'instants a travers laquelle une substance se main­tient et qui, simple avatar, fait dans l'instant nouveau une nouvelleexperience; tel est le temps que connait l'intellect - et ou le tempslui-meme n'est que l'objet d'un pouvoir. <f. 33> La substance estprecisernent ce qui ne recommence pas. Quel estle sujet, dans le senserymologique du terme, le support dans rna relation avec l'autre. Jepense que c'est le fils. Je ne vais pas y revenir aujourd'hui13

• Le faitque le terme commun est posterieur aux termes de la relation - estla seule possibilite ontologique de I'evenernenr de I'evasion. S'il seplac.;ait dans l'abirne infranchissable qui separe le sujet de l'alteritetotale du feminin -Ie sujet {em}porterait dans son evasion, le fonddernier de soi-merne. Le moi ne se serait pas evade de soi, mais

n'aurait connu qu'un avatar.

Mais cet avenir OU la relation intersubjective permet au sujetde s'evader - doit aussi conserver une relation avec le present.

Le successif de la relation intersubjective, doit etre en quelquernaniere simultane, Car le sujet ne s'evade pas en se reincarnantdans le fils - Nous n'avons pas presence une theorie de la migrationdes ames. l'evasion de soi n'est pas un simple recommencement dusujet. Elle est faite de la relation avec le fils. La paternite n'est passimplement un renouvellement du pere dans le fils et sa confusionavec lui. Elle est aussi une exteriorite du pere par rapport au fils: unexister pluraliste. II y a une multiplicite dans le verbe exister, quimanque aux analyses existentialistes les plus hardies.

II faut donc a l'accomplissement de l' ordre intersubjectif quiest le temps - un ordre oii le successif du temps est sirnultane.

Cet ordre intermediaire entre la succession du rapport inter­subjectif et la simultaneite de l'ordre cosmique de la lumiereest <f. 34 a > la fable. La parole en tant qu'instauration du recitintegre ·la relation intersubjective essentiellement temporelledans la simultaneite d'un monde, constitue cette interpretationde la societe et du cosmos qui forme une civilisation. Le son,au lieu de manifester la plenitude de l'exister - l'exprime enrenvoyant a autre chose qui la subjectivite -csicc-", le son devientsigne. Ce n'est pas de moi qu'il est question - mais de moi commed'un lui. Le sujet se manifeste non pas comme rnystere, dans sanudite d'etre, mais revetu de son mythe, dans sa decence. C'estmoi-rneme, mais deja engage dans des relations qui rn'idenrifientet que le mot comme un signe evoque.

Par Ia le mot est essentiellement dialectique. En merne tempsqu'il revele, il cherche. La parole comporteun mensonge essen­tiel. Et cette conscience du mensonge constitue tout le tourmentde la parole. Le mensonge reside dans le caractere ineffable d'unerelation qui cependant s'accomplit par une fabulation. Maisl'apparition de la fable comme condition de la transcendance

a. Dactylographic au verso d'un imprirne date de 1955.b. II faut sans doute lire: « que la subjectivite».

Page 20: Parole Et Silence - Levinas

100 Parole et Silence Parole et Silence 101

erotique - indique precisement le primat definitif d'un ordre de1'intelligence - non pas impersonnel - mais d'un face-a-face de

visages.

12° La dialectique de la paroleII y a dans la parole une impossibilite de sincerite qui en

constitue 1'unique sincerite. Dans certaines situations des romansde Dostolevsky ou de Gide, les personnages en pleine confessions'interrompant pour declarer quils jouent de la comedic, qu'rlsfont de la Iitterature - et cet aveu de cabotinage encore - estla seule sincerire qui leur soit donnee. Parler pour le person­nage <f. 35a> des Notes dJun souterrain'" - est un depouillementprogressif et desespere pour se retrouver encore et toujours desdeguisements que chaque nouvelle parole ajoute au lieu de lesarracher - incapable de decouvrir la nudite recherchee. A chaqueinstant lab personnage se retrouve conforme a. un my the qu'Il

voudrait depasser,II existe aussi des situations opposees a. cette sincerite - ou loin

de lutter contre le deguisement du my the la personne se conformea. son personnage, se drape dans son my the. C'est l'heroisme de1'habitude, c'est se mirer dans le miroir de 1'histoire, c'est parlercomme si on etait deja. son propre portrait suspendu dans unegalerie d' ancetres ou dans une revue illustree - c'est toutes cesphrases qui commencent par le « nous autres », La personne serefugie dans son mythe au lieu de lac faire.

Mais les formes degradees de cette mystification et de cettemauvaise foi n'annulent pas la signification ontologique de l'ceuvrede la parole. La sirnultaneite du successif, les personnes abordeesa. travers la fable - instaurent l'ordre rnerne de la civilisation de lapersonne qui se degage de sa position sexuelle, situee desormaisdans un ordre simultane et dans une egalite de personnes.

a. Dactylographic au verso d'un imprirne date de 1954.

b. Lire « le ».

c. 11 faut lire « le ». I,'original dactylographie porte la correction et ajoute ala main: « ou de

le defaire »;

Le monde de la parole ne recouvre donc pas le domaine duquotidien heideggerien. II ne represente pas une chute. Pour 1'ac­complissement meme de la relation sociale par l'eros - il faut1'instauration d'un ordre cosmologique et simultane, Les traitsfondamentaux d'une societe polissee" - avec son hypocrisie et sesmensonges - qui rend possible cette aisance de la courtoisie, quienleve ce qu'il peut y avoir de tourrnente et de crispe et de chao­tique dans le rnystere de l'eros, n'esr pas une chute, mais un abou­tissement de la parole, necessite par I'intersubjecrivite elle-rneme<sic>. L'erreur consisterait a. la prendre pour la forme originellede la collectivite <f. 36b> et a. ranger dans le domaine de 1'empi­rique et de l'accidentel, la structure de l'eros.

Nous avons repondu aussi a. la deuxierne question: le mot estsigne mais signe qui ne transmet une pensee que pour cacher I'etredu sujet er son evenement mysterieux de I'intersubjectivite.

Signe aussi, qui taille dans l'element du son confere aux notionssignifiees, un rapport avec le mystere de I'etre, c'est-a-dire la fonc­tion de symbole, qui brise parconsequent la continuite de 1'uni­vers lumineux.

13° La relation socialeNous voudrions en terminant, insister sur quelques idees qui

me <sic> semblent particulierernent importantes, dans le deve­loppement que je viens de faire.

D'abord sur l'idee de relation sociale, comme ne se reduisantpas a. l' <interaction ?>c et qui introduit dans l'idee merne d'etre,un pluralisme contraire absolument a. l'ontologie de Parmenideet de Platon.

En aucune facon cela ne revient a. une espece de romantismede la vie impersonnelle qui, par del a. les individus et en se servantd'individus« ,> realise ses desseins mysterieux. Doctrine defenduesouvent, au cours des dernieres 15 annees, par les philosophes

a. Lire « policee »,

b. Dactylographic au verso d'une lettre recue datee de 1955.c. Ecrit ala main dans un espace laisse libre dans le dactylogramme.

Page 21: Parole Et Silence - Levinas

,102

Parole et Silence Parole et Silence 103

officiels d'outre-Rhin15. Rien n'en est plus eloigne en realite.Car la relation sociale dont nous avons affirme lirreducribilitepar rapport aux relations d'intellection - a ete traitee par nousd'un bout a 1'autre, comme un problerne de la personne, car c'estprecisement la revolution radicale qui se produit dans I'etre avecI'hypostase, avec la position du sujet qui a ete le point de depart

<f. 37> de notre deduction.C' est precisement pour preserver la relation sociale de toute

idee de fusion et de participation, que nous avons pose le sujetcomme etre qui ne se revele que par sa gloire, et qui demeure chezsoi. C'est ensuite la crispation merne du sujet dans le retour demoi sur soi -1'insuffisance en quelque rnaniere de son trop-pleinqui nous a conduit vers les idees de l'eros et de la fecondite.

Nous avons voulu d'autre part remettre en question la notionde la Geworfenheit, non pas comme vous le pensez pour rejeterl'idee de la creation, mais pour la retrouver, degagee de la male­diction qui s'attache a. la Geworfenheit ou a. ses succedanes chezHeidegger et chez Sartre. 1'« avoir deja ete », se refusant a unemernoire susceptible de 1'assumer, se refusant au pouvoir, est enfin de compte la culpabi l ite. Cette confusion entre l'ens creatumet l'enspeccatum est ineluctable rant que ron fait de la phenorne­nologie, c'esr-a-dire tanr que ron analyse la conscience, c'est­a-dire encore, tant qu'on philosophe par rapport aux pouvoirshumains. La conscience est le mode d'existence d'un etre quipeut, et des lors, le rapport avec le commencement est une rela­tion avec ce qu'on ne peut pas. Elle apparai't comme une limiteet comme un malheur. Ne sentez-vous pas tout le rnanicheisrneinclus dans la notion heideggerienne de la Geworfenheit ? N'ya-t-il pas avec le commencement une relation autre que celIe de« pouvoir ou de ne pas pouvoir » ? N'y a-t-il pas avec l'avenirune autre relation que celle du « projet » ? Voila des questionsqui peur-etre obligent a. sortir de la phenomenologie. La rela­tion avec le commencement au lieu de constituer le malheurde la Geworfenheit, nedoit-il pas apporter la foi dans le Pere,la securite dun monde cree? La faute n'est pas dans 1'origine

passee - <f. 38 a> dans ce « profond jadis, jadis jamais assez" »,

mais dans 1'origine du sujet - de 1'orgueil essentiel du moi- ignorant le passe, tranchantsur lui, de par son evenemenr depresent. C'est pourquoi j'ai essaye de retrouver le tragique del'existence - et la faute - non pas dans la Geworfenheit mais dansla liberte merne du present, dans son absolu, dans cette libertequi tourne en responsabilire et qui appelle l'avenir, c'est-a-direle pardon. Avenir bien different du projet tout entier encore lieau present - tout entier concu comme un pouvoir, et que dansmes conferences sur le Temps et I'Autre!", j'ai essaye de saisir atravers la sexualite, la relation avec le Ferninin et avec le Filial,comme une relation avec l'Autre. C' est pourquoi je me trouveoppose au principe angelique et tout-puissant de Sartre ; et a laGeworfenheit heideggerienne.

14° ConclusionLa rnaitrise et l'evasion de soi apparaissent donc comme deux

poles entre lesquoels oscille le mouvement de l'etre. Par la fable,l'expression de 1'homme qui est ini tialement sa transcendancetemporelle elle-rnerne, son etre a deux, ce par quoi il est ouvertsur le temps et se degage du definitif de sa position, se ramene aun pouvoir de 1'homme. En aucune fa~on ce mouvement qui fondela civilisation ne devrait etre considere comme une degradation ouune chute: le bonheur de 1'homme n'est possible que s'il existe unepersonne qui a le pouvoir du bonheur-c,» qui 1'assume. La civilisa­tion ou la personne s'affirrne comme une souverainete est la condi-"tion d'une transcendance comme accomplissernentd'une promesse.La fable et la pensee annoncent la transcendance <qui> peut se fairenon plus comme une antici- <f. 39> pation - comme une prise a1'avance, puisque 1'avenir est refractaire a tout pouvoir.

Le rapport du sujet a 1'autre doit donc se referer a une situationou cette transcendance se fait dans un present. Cette situation oule sujet se rapporte a 1'autre dans son present - tout en conser-

a. Dactylographic au verso d'un irnprime date de 1955.

Page 22: Parole Et Silence - Levinas

vant son propre rnysrere et OU il anticipe autrui sans pouvoir surlui - c'est la parole. La parole instaure 1'ordre intersubjectif dansIe present ou encore permet de s'en rendre compte. Seul1'hommecivilise peut se rendre compte de son bonheur, c'est-a-dire 1'ac­complit explicitement.

Si Ie bonheur en fin de compte est un evenement et non pasune comprehension - si la destinee humaine en fin de compten'est pas une ontologie - si d'autres relations que des relations decomprehension la rattachent a. I'etre et constituent son etre - sietre ne se reduit pas a. pouvoir - 1'ontologie, la comprehension,Ie pouvoir, sont des conditions de 1'accomplissement de I'etre- dans la mesure OU 1'accomplissement est realisation et supposeun avant et un apres, et un apres donne dans 1'avant. Une simul­taneite de 1'avant et de I'apres est donc la condition d'un apres quiconserve la structure de 1'accomplissement et cette simultaneiteest la pensee et la conscience tournee fatalement vers le cosmos.Elle est Ie secret de 1'homme en tant qu'etre civilise, en tantque se comprenant apartir de la fable qui par Ie recit historiquearrete son histoire, qui englobe son devenir dans un present et« peut » sur l'avenir. C'est apartir d'ici que l' on peut situer toutepensee theorique, tout savoir, dans l'economie de I'etre. Et en finde compte comprendre Ie role de la philosophie elle-rnerne qui nesaurait jamais se confondre <f. 40> avec l'etre merne de l'etant,qui se sert de concepts et qui enonce des structures, rneme quandelle emprunte ces concepts a1'histoire ou a. la theologie <, > qui enfin de compte eclaire. Mais qui peut dans la simultaneite d'unecosmologie donner Ie sens a ce qui sera accompli ; qui annonce1'avenir, mais ne 1'accomplit pas.

104 Parole et Silence

Pouvoirs et Origine

Page 23: Parole Et Silence - Levinas

maio D'ores et deja Car" dire que la liberte ne justifie pas laliberre - c'est situer en dehors de l'emprise de la subjectivite sa

justification.

172 Parole et Silence

<feuillet isole>« La limite de la priere individuellel'' ~11~,n 1:1 1,j1f.jt1l 1 Synhe-

drin ( ?) ».

a. « Car » en surcharge de « car »:

Les Enseignements

Page 24: Parole Et Silence - Levinas

Notice sur Les Enseignements

Conference prononcee Ie 23 fevrier 1950, qui prend I'irnrne­diate suite des Nourritures (cf supra, notice sur LesNourriturest', Lemanuscrit est conserve dans une chemise carronnee sur laquellefigurent Ie titre, la date et Ie lieu de la conference, ecrits au crayonapapier repasse au stylo-plume aencre bleue. II est compose de38 feuillets manuscrits pagines, de format 20,8 x 26,7 em, extraitsd'un bloc-notes, a l'exception des feuillets 12 (20,7 x 29,4 em),24 (feuillet d'epreuve), et 29,31-35, de format 15,1 x 22,9 em.L'ensemble est manuscrit recto, al'exception de certains passagespour lesquels Levinas a repris un feuillet et des morceaux defeuillets d'epreuves de son article « Pluralisme et transcendance »(cf f. 24-26b

) . Le texte est eerie avec differents instruments d'ecri­ture : stylo-plume aencre bleue ou noire, stylo-bille bleu, crayonapapier. Les numeros de page sont ecrits au stylo-bille rouge.

Signalons qu'a I'interieur de la chemise dans laquelle se trouvela conference on trouve une page d'agenda sur laquelle est ecrit,d'une main qui n'est pas celIe de Levinas, Ie poerne de Lamartine,« l'enfant» .

a. Nous n'avons pas trouve d'elernenr nous permettant de savoir si, comme c'est le cas pourLes Nourritures, la redaction des Enseignements est posterieure ala date alaquelle la conference futprononcee.

b. Cf « Pluralisme et transcendance », in E. W. Berth, H. J. Pos and J. H. A. Hollack (eds.),Proceedings of the Tenth International Congress of Philosophy (Amsterdam, 11-18 aout, 1948), NorthHolland, Amsterdam, 1949, pp. 381-383. Le texte sera repris, avec quelques modifications sous letitre « La transcendance et la fecondite », dans Totaliteet Infini, op. cit., pp. 251-254.

Page 25: Parole Et Silence - Levinas

Les Enseignemenrs

Conference faiteIe 23 'fevrier 1950

au college philosophique"

<f. 1> Les enseignements

]e me suis dernande a. la fin de rna 1re conference! si dans lemonde des nourritures et du travail

les outils et nos collaborateurs - c'est-a-dire la civilisation ­ne nous rarnenent pas a. I'histoire er a. la societe dont ces outils

sont le produit et le ternoignageet sans lesquelles ils sont a. proprement parler impensableset si par la. merne nous ne quittons pas le monde des nourritureset par consequent le present OU le moi coincide avec soi - ~c'esr-a-dire OU {ill se comprend a. partir de Iui-merne.

Sans aucun doute.Mais seulement en supposant que certaines conditions sont au

prealable realiseesconditions par lesquelles je vais decrire la situation de l'ensei­

gnement.

a. Ecrit sur la couverture de la chemise aI'interieur de laquelle sont ranges les feuillets de laconference.

Page 26: Parole Et Silence - Levinas

178Parole et Silence LesEnseignements 179

<f. 2> FJl.es. {Cesconditions} ne consistent pas - dans le simple

faitde resider au sein d'une societe civilisee et historique.Notre position consiste precisement a distinguer -contre route la philosophie contemporaine - la VIe, la

conscience comme accomplissement de la vie d'une part

et la re£lexion.La vie n'est pas une re£lexion simplement impliciteet la retlexion n'est pas un simple prolongement de la vie et de

ses pouvoirs.11 existe certes un moment OU 1'une s'ouvre a 1'autre - et c'est

cette situation que nous appellerons enseignement.

<f. 3> Par elle<s>-meme<s> en effet-la civilisation, 1'histoire, la collectivite ne nous conduisent pas

au-deja du monde des nourritures.Rien ne renvoie moins au passe que I'outil. Les choses que

nous saisissons - avec lesquelles nous travaillons - sont sans passe,

offertes a nous, anonymement.Les installations de notre civilisation at multi-millenaire -les

rues, les places, les eglises, les autobus, les usines - sont presents

comme la nature.Nous nous servons des telephones, d'automobiles - comme s'il

y en avait toujours eu.

Le rapport avec le passe qui les a inventes et fabriques sereduit a 1'achat. La communication du moi de la jouissance - duconsommateur - avec le passe de 1'invention et de la fabrication_ se reduit a l'acte anonyme de 1'achat. Les objets sont etales dansles magasins comme les fleurs sont repandues dans les champs.

Vivre c'est oublier I'histoire-c.> {c'est etre jeune}. Ce n'est pasvenir a partir d'une serie infinie - mais rompre avec le passe ­etre present - etre a partir de soi. - ou si l' on veut encore - errelibre.

<f. 4> Le passe {reconnu n'existe qu'[en fonction du present- en vue du present -

11 doit etre assume dans la repetition : la comprehension de1'histoire en tant que repetition - est par excellence 1'histoire d'unetre jouissant. {Les figures du passe prennent de grandes dimen­sions - mats s'enferment dans se statufient, se ferment dans leursmythes - et entrent dans notre present.}

Le passe est en vue du present. Le present est le sommet de1'histoire : « Combien on doit etre malheureux d'exister autreEDis» comme

Comme le passe devait etre arriere ! Comme il manquait de"achevement {maturite} ! Et comme le present est acheve - fini,complet {abouti}. 11 peut y avoir du progres - mais 1'essentiel estlao

Cette conscien L'homme des nourritures - est un moderne.

Autrui - ne me concerne pas. II est l'etranger, - C'est-a-direcelui qui me concerne uniquement par la manifestation de saliberte. II me concerne en tant qu'il entre dans mon monde. Dansmon ipseite je suis absolument independant de lui. Dans ma posi­tion, {dans mon domicile - chez moi -} je me possede en effetinregralernenr.

]e me tiens sur terre - rna supreme condition.<f. 5> II me suffit comme a Antee de toucher a la terre - de me

poser - pour y retrouver toute ma puissance",

Autrui m' est etranger, Mais je pense posseder" quelque choseen' commun avec lui - travailler en commun avec lui - ,echangerdes produits ou des services avec lui. C'est autour de quelquechose de commun - mais autour d'un troisierne terme - que lasocialite se fait. Ou bien je rn'oppose a lui. Dans ce cas il Pourguelque chose egalement. ]e ne lui en veux pas, comme je ne

a. « de » en surcharge de « d' »,

b. « posseder » en surcharge de « avoir »,

c. « en » en surcharge de « de ».

Page 27: Parole Et Silence - Levinas

180 Parole et Silence Les Enseignements 181

l'aime pas. On n'en veut pas aun erranger, Je ne commence alehair que s'il me gene. Je ne deviens son assassin qu'a <c ?> le tueque pour quelque chose, jamais sans raison.

<f. 6> Hostile - il se trouve sur le merne plan que les forcesmemes de la nature dans la mesure OU elles excedent mon pouvoiret constituent l'exteriorite du monde -

comme les forces de la nature deviennent pour moi des person-

nages rnyrhiques" - des dieux.L'homme est my the pour I'homme' - er le culte qu'on lui rend

est un culte d'echange de services.II s'agit d'une collectivite fondee sur le partage {- de la terre.

se nouant autour d'un troisierne terme-}Les libertesPartage consistant en un certain equilibre des libertes - domi-

nant 1'une 1'autre, s'associant 1'une a 1'autre, exterminant 1'une

1'autre.<f. 7> Societe des etrangers qui s'opposent dans la guerre ou

qui s'entendent dans la nationautour de la me me terre.Et pourquoi les etrangers ne se tueraient-ils pas et pourquoi ne

se grouperaient-ils pas? Hospitalite et guerre - cela neb ensembles'exclue' pas toujours. Ni le prendre, ni le donner n'a pas" <sic>encore <Ie ?>e dramatique de la relation sociale.

<f. 8> Dans le monde des nourritures, 1'organisation des indi­vidus en groupe est done parfaitement possible. Precisernentparce que les individus y restent etrangers les uns aux autres.

Cet arrangement technique de la societe, n'est pas plus para­doxal que la domination de la nature elle-rneme. La doctrineutilitariste de l' origine - ou de l'essence - de la societe l'a toujourssoutenu, et, avec raison, tant quil s'agit du groupement des

a. « mythiques » en surcharge de « mystiques».b. « ne » en surcharge de « va »,

C. Lire « s'exclut ».

d. « pas », Iegerernent en dessous de la ligne, est peut-etre un ajout,

e. « «le ?> » en surcharge de « <de i » ».

hommes dans le monde des nourritures. L'utilitarisme impliqued'ailleurs cette notion de nourriture.

Le Miteinandersein4 de Heidegger, pose comme notion irre­ductible, est en realite multivoque. Heidegger le pose commedeterminant le Dasein sans le deduire des autres structures de lasubjectivite et sans lui laisser, au moins dans Sein und Zeit un------,grand role dans le drame de la subjectivire. En tant que mit, en tantqu'avec - il exprime la collaboration. Cette structure ne tranchepas sur les autres structures de la subjecrivite dont I'etre consiste ase comprendre apartir de soi et non pas apartir d'Autrui.

<f. 9> Je ne veux pas mettre en doute la valeur morale de lanation. Elle est certainement au-dela des nourritures en raisondes enseignements qui la penetrenr. Mais le sol nourricier qui lasoutient - ou le souvenir de ce sol nourricier - constitue le lien leplus solide de la nation. Elle est un ensemble d'individus groupesautour des memes sources nourricieres. Les paysans representent1'ossature de la nation. Ce sont les fils de la terre. Et route la litre­rature du terroir - les Giono, les La Varende, les Chateaubriand ­pousse ce rapport qui s'etablit entre les hommes atravers la terrejusqu'a y voir I'hurnanite merne de 1'homme. Dans I'etroiresse,la limitation de leur horizon et, par consequent, dans la rudesse, laviolence et la sincerite de leurs mouvements tfl:l:e la Iitterature duterroir cherche ase consoler de 1'hypocrisie des bonnes rnanieres.Quel intellectuel en vacances, n'en est-il pas emu ? Qui n'a pascherche dans le retour ala terre les liens veri tables qui rattachent ala nation ? Qui n' a pas eu 1'impression, en retrouvant les champs,d' avoir plonge dans l'element national ?

Mais cette union autour des sources nourricieres n' enleve" auxindividus aucune de leurs structures fondamentales : les indi­vidus n'ont pas perdu, dans cette union, leur position centrale desujet, se comprenant apartir de soi. Dans cette collectivite, 1'in­dividu <f. 10> s'apercoit que, dans un certain sens, il est,commeles autres ; que sa main, que sa force, est un element du travail

a. « n'enleve » en surcharge de « n'enlevent »

Page 28: Parole Et Silence - Levinas

Parole et Silence Les Enseignements 183

comme I'outil me me qui les prolonge ; que 1'individu exerce unefonction et, par la, fait partie d'un ensemble.

Mais le fait de s'apercevoir que 1'on est comme les autres, necoincide pas avec le fait d'apercevoir que les autres sont commemoi. Le fait que « 1'autre est comme moi » ne saurait etre donned'une fa~on simple, comme une perception. Et cela deja pourcette bonne raison que percevoir - ou saisir -1'autre, c'est preci­sernent 1'assujettir et laisser echapper son essence de moi. II fautun long circuit de pensee pour arriver a la subjectivite de 1'autre,pour penser autrui comme un moi hors de moi, ce" qui n'esr pasune donnee immediate de la conscience.

<f. 11> Ce qu'il y a de central dans rna subjectivite ne setrouve pas englobe et maintenu dans la pretendue universalitede la societe organisee. L'universalite a laquelle s'eleve 1'Etat - jereprends contre Hegella critique de Kierkegaard' - n'est pas uneuniversalite concrete parce que precisernent elle n'englobe pas{- ne satisfait pas -} le prive. Non pas le privilege particulier,mais le privilege du moi des nourritures, le privilege de la placecentrale qu'occupe le moi precisernent parce quil se comprend apartir de lui-rneme. Je n'invoquerai pas contre Hegel la protes­tation du moi qui en tant que moi proteste contre le tout quipretend 1'englober et 1'apaiser et qui continue a crier moi, mernequand la derniere synthese s'acheve. J'invoquerai plutot la situa­tion reelle de 1'individu dans 1'Etat liberal, a qui 1'Etat demeureabstrait ; j'invoquerai 1'Etat qui ne peut penetrer dans le domicileinviolable ou qui n'y penetre qu'en le violant, c'est-a-dire par laterreur, <f. 12> j'invoquerai 1'Etat - que 1'on appelle « ils » dansroutes les protestations des citoyens mecontents des « rnefaits »

de I'etatisme er toujours disposes a « carotter« »> 1'Etat. J'in­voquerai 1'Etat qui est « personne », tel qu'il apparait quand on« fait la queue» chez le percepteur, oU<,> malgre des annees deformation civique, I'impot est une grace ou un acte d'heroisme.

a. « ce » en surcharge de « <et i » »,

C'est peut-etre la 1'une des raisons qui expliquent la seductionde la philosophie heideggerienne qui renonce deliberernent al'universaliser" I' existence subjective, chez qui le Miteinander­sein6 ~ du moins d'apres Sein und Zeit - n'apparait pas comme le« man »7 <, > chez qui toute la dialectique du Dasein est orienteepar le fait personnel de la mort.

Mais en formulant cette critique avec Kierkegaard nous nepensons pas qu'il faille en rester a cette individualite tranchantsur 1'universel, seul-ce» avec Dieu ou seule en lutte avec Dieu secomplaisant dans le scandale de son cri individuel, de sa protesta­tion contre 1'ordre.

Je voudrais, precisement dans 1'ordre de' 1'enseignement,trouver une universalite qui puisse englober et apaiser la subjecti­vite, Je voudrais, autrement dit, contre Ie droit politigue de 1'Etatpromouvoir la justice'qui reconnait la personne unique.

<f. 13> Pour cela, il faut se demander, si la justification de laliberte par elle-rneme, c'est-a-dire la justification implicite de soidans la liberte inalienable des nourritures, c'est-a-dire encore lacomprehension de soi par soi dans la sante OU 1'homme se tientnaturellement - si cette justification ne peut pas etre mise enquestion.

Comme je 1'avais deja dit au debut de rna premiere conference,la philosophie moderne ne met jamais en question la liberteelle-rnerne comme justifiee. Les conflits de la subjectivite tien­nent uniquement aux limites que la liberte peut rencontrer. Leproblerne surgit lorsqu'une donnee fait obstacle a la liberte ouque, d'une rnaniere plus aigue - que'' cet obstacle se revele dansmon existence rneme qui n'avait pas ete choisie ni voulue par moi,mais s'etait imposee a moi comme une condition fatale, commeune Gewor{enheit8

a. « l'universaliser » en surcharge de « l'universalisation ». II faut lire « universaliser ».

b. II convient de ne pas lire ce mot.

Page 29: Parole Et Silence - Levinas

184 Parole et Silence Les Enseignements 185

Or, dans le desir de soumettre a notre liberte notre existencerneme, reside - si nos analyses de la semaine derniere sont justes­un paralogisme. La liberte et le pouvoir sont diriges sur le monde- ils sont I'action ; les exiger" ftt::l* pour les conditions memes deI'action, c'est leur preter un emploi qui n'est pas le leur.

<f. 14> Les philosophes contemporains admettent cornmeallant de soi la bonne conscience de la liberte. La Iibertcpeurtout au plus etre redoutable et difficile et conditionner une fuitedans I'inauthentique. Elle peut etre trahie - elle ne I'est pas parelle-merne, elle n'apparait jamais comme perfidie et honte. Sousle regard d' autrui, rna mauvaise conscience n'est que de l'orgueilblesse, craignant de ne pas suffisamment s'atfirmer, craignant dene pas etre reconnue et de se laisser traiter comme chose depourvuede liberte.

Mais cette crainte n'est-elle pas rnotivee par le fait que, danscette timidite fonciere eprouvee en face d' autrui, mon droit rnerne ala liberte, - le bon droit de rna Iiberte - m'apparait commecontestable, comme si je I'exercais rllegitimement, comme sije n' avais pas ete investi pour l'exercer, comme si essentiellement lemoi etait un usurpateur, <f. 15> comme si sa souverainete etaitusurpee, comme si I'etre dont dispose le sujet libre n'etait pas alui, comme si le monde OU il se trouve n'erait pas sa pattie, maisun exil, comme si ce monde etait toujours aux autres et commes'il fallait me le promettre et me le donner, comme si rna liberteetait totalement nue.

Dans cette honte d'etre moi, dans ce besoin de recouvrir la nuditede sa liberte, de la recouvrir pour la cacher et pour la revetir deja depourpre qui remplace I'investiture, s'annonce donc un evene­ment de justification de la liberte, une installation dans l'etre quiprecede la liberte, une creation, une election.

Le drame de n'avoir pas choisi son existence ne se denoue-t-ilpas lorsque j'apprends que j'ai ete choisi ? Etre moi - c'est etre creeet elu, Le moi souverain se decouvre comme cree et comme elu,

a. « exiger » en surcharge de « appliquer »,

Non pas que le moi existe d'abord et soit elu ensuite - son ipseitereside dans son election. Son election est sa creation. <f. 16> Seulun etre cree et elu se justifie comme libre. Une Iiberte injustifieen'est qu'une capricieuse contingence.

L'evenernent de creation precede la liberte. Le mot <<<>precede <» > doit etre pris ici dans un sens exrremernent fort :~ il indique un passe absolu, un passe dont precisement il nepeut y avoir souvenir, pas de reminiscence, pas d'assornprion,pas de repetition comme dans le passe heideggerien. )'appelle lafa~on dont ce passe absolu de mon election et de rna creation peutm'etre donne - enseignement.

Et c'est parce que j'ai d'ores et deja recu un enseignementque rna Iiberte dans le monde des nourrirures a pu m'apparaitrecomme honte.

La creation et I'election ne peuvent etre assumees, car elles nepeuvent" etre donnees a rna Iiberte qu'elles I'investissentb seule­ment. Mais il ne s'agit pas en recevant I'enseignement, commepour l'eleve platonicien, de retrouver <f. 17> en soi le souvenir dece qu'on savait deja. C'est cette assomption du premier souvenirqui fait du savoir platonicien un souvenir sans enseignement.Le maitre qui enseigne I'eleve, n'est pas seulement I'accoucheurde l'esprit de l'eleve. 11 lui donne une attache avec un point quel'eleve ne peut pas retrouver, mais a partir duquel il peut penser.L'inversion premiere de la reflexion - car c'est une inversion - estun enseignement. La refiexion, en rant qu'elle penetre en deca dela liberre, n'esr pas, a son tour, une liberte, mais un enseignementprecisernenr.

Cette penetration en de~a de sa" condition pour .justifier sacondition est dans sa structure la plus formelle -Ie fait du savoir.Elle I'est dans sa structure la plus formelle, car on ne peut pas endeduire les rnodalires de I'analyse mathematique ni de la logique,ni de la physique contemporaines.

a. « peuvent » en surcharge de « peut »,

b. II faut lire « investissent ».

C. « sa » en surcharge de « la ».

Page 30: Parole Et Silence - Levinas

a. « la » renvoie probablement a la critique.b. « donne» en surcharge de « donnee ».C. « de » en surcharge de « le ».

d. « du » (deja recrit dans l'ajout) en surcharge de « de ».

Cette penetration n'est pas un devoilement, elle ne peut etrequ'un enseignement. Son mouvement consiste a se tourner verssa propre condition, le mouvement rnerne de ce que l'on appeHe

« esprit critique».<f. 18> Mais ce mouvement n'est precisement pas un acre,

pas un pouvoir. Il ne fait pas partie des pouvoirs par lesquels noussommes engages dans le monde des nourritures.

Par la critique nous ne sommes pas enracines dans notre condi-tion, la critique n'est pas un acre ; mais en revanche elle n'est pas

engagee.Par la, nous donnons au savoir route son originalite - en Ie

separant de I'action, certes; mais aussi en le separant de la contem­plation, concue comme une neutralisation de I'acte. Ni l'activite,ni la passivite - ne la" depeignent ; mais Ice qui la definit, c'est]ce mouvement vers un profond jadis - « jadis jamais assez-: »>9_ jamais saisissable - mais un jadis enseigne.

l'acre createur en effet ne peut pas etre assume par la creature ;laquelle peut apprendre cet acre ; apprendre un enseignement estdonc une relation transcendante. C'est pourquoi precisernent 1'~prendre n'est pas un devoilement, n'est pas la vision d'une idee,la revelation de l'eternel, une fois pour routes, donne". La visionde Dieu n'est pas 1'affaire d'etres vivants'". C'est dans la mesureoii la parole ne devient pas chair qu'elle peut nous enseigner. Le« une fois pour toutes » est de' fa:it [l'ordre du} dud saisir, ou {soit}1'on tient soit on Iache. 1'enseignement, parce qu'il ne sauraitetre assume, parce qu'il est refractaire a. la prise - est parole ou

dialogue avec Ie passe.<f. 19> Le « ne pas assumer » du savoir, c'est la question

de l' eleve chez qui la reponse du maitre est accueillie par unenouvelle question. La verite n'est pas l'adequation de la pensee etde la chose, mais I'inadequarion -la transcendance si 1'on veut -

187LesEnseignements

a. « questionner » en surcharge de « <xxxxxxxxx> »,

de la reponse et de la question ; transcendance « assumee » parune nouvelle question. L'assomption d'une verite est donc uneexegese. La place de la verite n'est ni dans le jugement (Aristote),ni, par le devoilement, dans I'etre rneme (Heidegger) ; elle estdans la question. Contre Aristote, Heidegger a raison: ce n'estpas la liberte qui est condition de la verite, c'esr la verite quiconditionne la liberte!'.

C'est pour cela que 1'enseignement (et la parole qui est sonelement) est le vrai syrnbolisme". Non pas en rant que lesymbole serait signe renvoyant a. une image; mais en tant que,arretant notre emprise sur la realite et nous mettant dans la situa­tion non pas de comprendre, mais d'apprendre - de communi­quer sans emprise, de questionner'.

Si la philosophie est le savoir par excellence - le savoir de lacondition - il ne faut pas que l'echec de ses <f. 20> argumenta­tions nous pousse vers 1'irrationalisme qui se contredit en s'enon­cant ou vers le mysticisme bayard de 1'ineffable.

Si notre confiance en la venue de quelque genie qui redigeraitun jour le traite definitif de la philosophie est ebranlee.x'esc qu'ilfaut reconnaitre la discussion - c'est-a-dire l'ordre de l'enseigne­ment oral (de preference au definitif des ecrits) comme l'elementrnerne de la philosophie. II faut se dire que si elle doit etre sanscontradiction, elle ne saurait etre sans contradicteurs. Les livresappellent des Iivres, mais cette proliferation d'ecrits s'arrete ouculmine au moment oii la parole vivante s'y insere, ou la critiques'epanouit en enseignement. Et puis, de nouveau, il y a des livres.

Avant d'aborder la partie finale de mon expose ou j'essayeraide montrer, comment 1'enseignement concerne plus particulie­rement le rapport entre 1'individu et 1'universel, c'esr-a-dire lajustice, je dois revenir un instant a. I'idee de la creation, de l'in­vestiture, du choix, de I'election, de la liberte - dont j'etais parti.

<f. 21> L'idee de transcendance quimplique la creation n'estpas compatible avec la notion d'etre qu'irnplique la philosophie

Parole et Silence186

Page 31: Parole Et Silence - Levinas

a. « permettre » en surcharge de « <faire ?> »,

b. « perdre » en surcharge de « -cxxxx> ».

traditionnelle : comment, en effet, une liberte peut-elle etre creee ?N'est-elle pas, essentiellement, reference a soi ? Mais, dans cesens, elle nie son propre concept. C'est precisement I'etre libre quiest responsable - se trouve done deja engage par sa propre liberte.Contradiction, dont la source est, semble-t-il, dans le fondementrnerne de sa subjectivite : dans le fait que 1'acte humain ne sauraiten aucune facon faire sortir le moi de son soi et que le moi souve­rain est rive a [ui-rneme, qu'il peut s'ennuyer dans son identite,que la transcendance de I'acte peut, certes, transporter le moi dansune autre ambiance OU il s'ernporte, que la transcendance peut luifaire connaitre un avatar (oii il s'emporte encore) ou lui permettre"de se perdre'' dans 1'extase, mais non pas d'y devenir autre.

<f. 22> Lidee de transcendance est dans un certain sens contra­dictoire. Le sujet qui transcende s'ernporte dans sa transcendance.II ne se transcende pas. Si au lieu de se reduire a un changementde proprieres, de climat ou de niveau, la transcendance engageaitl'idenrite merne du sujet, nous assisterions a la mort de sa subs-

tance.Mais on peut se demander si la mort n'est pas deja la transcen-

dance elle-merne ; si parmi les evenementsde ce monde - simplesavatars - ou le changement transforme seulement, c'est-a-diresauvegarde et suppose un terme permanent, la mort ne representepas 1'evenement exceptionnel d'un devenir de rranssubstantiationqui, sans retourner au neant assure sa continuite autrement quepar la subsistance d'un terme identique. Mais cela n'equivaudraitqu'a definir le « concept problernatique » de la transcendancebien qu'il ebranle les assises de notre logique.

Celle-ci repose en effet sur 1'indissoluble lien entre 1'Un et1'Etre ; lien qui s'impose ala retiexion parce que nous envisageonsl' exister toujours dans un existant qui est un, dans le mondedes nourritures. L'etre en rant qu'etre est pour nous monade. Lepluralisme ne s'est rnanifeste dans la philosophie occidentale que

189LesEnseignements

a. La suite du mot barre n'est plus lisible en raison de la dechirure du papier. 11 s'agissaitprobablement du mot « pluriel », ajoute ensuite par Levinas dans l'interligne.

b. On lit, au verso de ce feuillet d'epreuve extrait de l'article « Pluralisme et transcendance »

(if notice), un texte manuscrit qui sera recopie a l'identique sur le feuillet 25 (ala suite de la partieirnprirnee), et au debut du feuillet 26 (juste avant la partie irnprimee). 11 est ecrit au crayon etbarre par une croix.

c. Feuillet d'epreuve extrait de « Pluralisme et transcendance » (if notice).

comme une pluralite de sujets qui existent. Jamais il n'est apparudans l'exister de ces existants.

<f. 23> Exterieur a 1'existence des etres, le pa {pluriel} sedonne a un sujet qui compte. II est nombre, deja subordonne a lasynthese du « je pense », L'unite seule conserve le privilege onto­logique. La quantite inspire a route la rnetaphysique occidentalele rnepris que 1'on voue a une categoric superficielle.

Aussi la transcendance elle-rneme ne sera-t-elle jamaisprofonde. Elle se situe, en fin de compte, en dehors de I'evene­ment d'etre, elle est simple relation.

En articulant l'exister comme temps au lieu de le figer dansla permanence du stable, la philosophie du devenir cherche a sedegager de la categoric de 1'un qui compromet la transcendance.Le jaillissement ou la projection de 1'avenir transcendent. Nonpas par la connaissance seulement, mais par 1'exister rnerne deI'etre. L'exister se libere de I'unite de 1'existant.

<f. 24>b <Debut du texte imprirnec-" Substituer le Devenir a1'Etre, c'esr, avant tout, envisager I'etre en dehors de 1'existant.Interpenetration des instants de la duree, ouverture sur 1'avenir,« etre pour la mort » - ce sont des moyens d'exprimer un existerqui ne se conforme pas a la logique de I'unite.

Cette separation de 1'Etre et de 1'Un s'obrient par la rehabilita-, tion dupossible. N'etant plus adossee a I'unite de I'acte aristoteli­cien, la possibilite recele la multiplicite merne de son dynamisme,jusqu'alors indigente a cote de I'acte accompli, dorenavant plusriche que lui. Mais le possible s'invertit aussitot en Pouvoir et enDomination. Dans le nouveau qui jaillit de lui, le sujet se recon­nair. II s'y retrouve, il le maitrise. Sa liberte ecrit son histoire

Parole et Silence188

Page 32: Parole Et Silence - Levinas

190 Parole et Silence Les Enseignements 191

qui est une, ses projets dessinent un destin dont il est maitre.Un existant demeure le principe de la transcendance du pouvoir.L'homme assoitfe de puissance, aspirant a sa divinisation et, parconsequent, voue a la solitude apparait au terme de cette trans-

cendance.II y a dans la « derniere philosophie » de Heidegger, une

impossibilite, pour le pouvoir, de se maintenir comme monarchie,d'assurer sa rnaitrise totale. La lumiere de la comprehension et dela verite baigne dans les renebres de I'incornprehension et de lanon-verite; le pouvoir rattache au mystere s'avoue impuissance.Par la, .l'unite de 1'existant semble rompue et le destin commeerrance se moque a nouveau de l'etre qui par la comprehensionentend le diriger. En quoi consiste cet aveu ?

Dire comme 1'a rente M. de Waelhens dans son introduction a1'« Essence de la Verite »13 que 1'errance comme telle ne se connaitpas, mais s'eprouve - c'est peut-etre jouer sur les mots. L'etrehumain chez Heidegger<,> saisi comme pouvoir<,> demeure, enrealite, verite et lumiere. Heidegger ne dispose des lors d'aucunenotion pour decrire le rapport avec le mystere que la finitude duDasein implique deja. Si le pouvoir est a la fois impuissance, c'estpar rapport au pouvoir que cette impuissance est decrite.

Peut-on trouver, en dehors de la conscience et du pouvoir, unenotion d'etre fondant la transcendance ?a L'acuite du problernereside dans la necessite de maintenir le moi dans la transcendanceavec laquelle jusqu'alors il semblait incompatible. Le sujet est-ilseulement sujet de savoir ou sujet de pouvoir ? La relationrecher­chee, satisfaisant a la fois aces exigences contradictoires, noussemble inscrite dans la relation avec l'autre.

On peut douter quil y ait la un principe ontologique nouveau.Le rapport social ne se resout-il pas entierernent en relations deconscience et de pouvoir ? Representation collective, il ne differeen effet d'une pensee que par son contenu et non pas par sa struc-

a. Un trait au crayon sous la phrase qui precede demande sans doute de faire un alinea.

ture formelle. La representation suppose les relations fondamen­tales de la logique des objets et rneme chez Levy-Bruhl elle esttraitee comme une curiosite psychologique. Elle masque 1'ori­ginalite absolue d'un rapport que, dedaigneusement, on rejettedans le biologique : la relation erotique.

Chose curieuse ! La philosophie du biologique Iui-rnerne,quand elle depasse le mecanisme, se rabat sur le finalisme et surune dialectique du <f. 25>a tout et de la partie. Que I'elan vitalse propage a travers la separation des individus, que sa trajec­toire soit discontinue - c'est-a-dire qu'il suppose les intervallesde la sexualite et un dualisme specifique, dans son articulation ­demeure sans consideration serieuse. Lorsque, avec Freud, lasexualite est abordee sur le plan humain, elle est ravalee au rangd'une recherche du plaisir sans que jamais la signification ontolo­gique de la volupte et les categories irreductibles qu'elle met enceuvre soient merne soupconnees. On se donne ce plaisir commetout fait, on raisonne a partir de lui. Ce qui reste inapercu, c'estque l'erotique que ce soit dans Ie rapport des sexes ou dansla paternite decoupe la realite en relations irreductibles auxrapports de genre et d'espece, de partie et de tout, d'action et depassion, de verite et d'erreur ; que par la sexualite le sujet entre enrapport avec ce qui est absolument autre - avec une alterite d'untype irnprevisible en logique avec cequi demeure autre dans larelation sans jamais se convertir en « mien » ; - et que cependantcette relation n'a rien d'exratique, puisque le pathetique de lavolupte est fait de dualite.

Ni savoir, ni pouvoir. Dans la volupte, autrui -Ie feminin - seretire dans son rnystere. La relation avec lui est une relation avecson absence; absence sur le plan de la connaissance, l'inconnu ;mais presence dans la volupte. Ni pouvoir : 1'initiative ne se placepas au depart de 1'amour jaillissant dans la passivite de la blessure.

a. Feuillet manuscrit sur la partie superieure duquel Levinas a colle un marceau de feuilletimprirne provenant des epreuves de l'article « Pluralisme et transcendance » (if notice). II s'agitde la suite du precedent feuillet lui-rnerne extrait de cet article.

Page 33: Parole Et Silence - Levinas

La sexualite n'est en nous ni savoir, ni pouvoir, mais la pluralirsrnerne de notre exister.

C'est en effet, comme caracteristique de l'ipseite meme dumoi, de la subjectivite rnerne du sujet qu'il convient d'analyser larelation erotique. <fin du texte imprirne»

D'une part experience de I'Autre - jouissance ; mais d'autrepart irreductibilite de l'autre acette experience. L'amour - jamaisvictoire - ne se reduit ni a la collaboration, ni a la domination.Et cependant dans la caresse, se produit comme une sensationbicephale. Non pas deux sensations semblables, mais comme unesensation unique eprouvee par deux erres, sans qu'il y ait confu­sion entre ces deux rnoi's. Nous avons pu dire que le sujet est la,au-dela de soi, dans un avenir. II est l'autre tout en restant soi.On peut encore le dire autrement : dans la relation erotique, lesujet ne se saisit pas apartir de lui-rneme. II a vraiment un existerpluraliste.

<f. 26>a Rupture du monde des nourritures - situation ou ily a quelqu'un derriere rna liberte, commencement de la commu­naute.

Autre situation. Dans une situation <texte imprimec-" commela parernite, le retour du moi vers le soi qui articule le conceptmoniste du sujet identique - se trouve totalement rnodifie. Le filsn' est pas simplement mon oeuvre comme un poeme ou un objet.II n' est pas non plus rna propriete. Ni les categories du pouvoir, nicelles de l'avoir, ni celles du Jti;1;)f)if" ne decrivent rna relation avecl'enfant. La fecondite du moi n'est ni cause, ni domination. Je n'aipas mon enfant, je suis mon enfant. La paternite est une relationavec un etranger qui tout en etant autrui estmoi ; une relation dumoi avec un soi qui cependant n'est pas moi. Dans ce « je suis »

- I'etre n'a plus l'unite eleatique. Dans l'exister lui-rnerne il y aune multiplicite et une transcendance. Transcendance ou le moi

<f. 28> La creation comme justification de la liberte ­ne saurait ffre etre justification d'une libertesi le moi cree ne devenait pas - dans un certain sens etranger

au createur,

193Les Enseignements

ne s'emporte pas, puisque le fils n'est pas moi ; et cependant je suisrnon fils. La fecondite du moi, c'est sa transcendance merne. Sonorigine biologique ne neutralise en aucune fa~on le paradoxe de sasignification. _a <Fin du texte irnprirne».

C'est dans ce sens que rna Iiberre peut etre positivement saisiedans sa relation avec la creation. J e suis <, > dans rna liberte<, > filsd'un pere et je suis libre non seulement dans le monde des nour­ritures ; I'ipseite de mon moi est faite de rna fecondite. Je peuxm'affranchir de moi-rneme sans cesser pour autant d'etre un moi- par le fait que j'ai un fils et que je suis mon fils.

<f. 27> Se comprendre apartir de l'autre dans l'Eros, c'est sortirdu monde des nourritures. Mais ce n'est pas quitter le domaine duprivel.] {Et cela}dans un sens precis. b¥ Au" niveau de l'analyseau nous nous tenons-c,» l'opposition rneme du particulier et del'universel n'est pas encore possible. La relation toute privee durnoi'' avec le Pere qui m'elit en me creant pose le problerne de lacollectivite dans un sens insoupconne pour le monde des nourri­tures.

Mais cela indique que le fils n' epuise pas la creation.Mais surtout c'est le choix createur qui nous a paru constituer

l'ipseire du moi -Je suis moi - comme prefere et eluMais puis-je etre prefere aquelque chose d'autre qu'a des moi's

ou ades elus,

Parole et Silence192

a. Feuillet manuscrit sur une partie duquel Levinas a colle un marceau de feuillet irnprimeprovenant des epreuves de son article « Pluralisme et transcendance » (if notice).

b. Dans la marge de gauche de ce marceau de feuillet imprirne, on lit, au crayon: « Autresituation ».

a. Tiret ajoure au crayon.b. « . » se substitue, sernble-il, a « : ».

C. « Au » en surcharge de « au »,

d. « Moi » en surcharge, semble-t-il, d'une lettre illisible.

Page 34: Parole Et Silence - Levinas

<f. 29> II est evident que ces relations s'affranchissent de leurlimitation animale.

Tous les hommes sont en fin de compte freres.

Le moi qui m'investit - investit done d'autrels} moi <s> amescote{s}.

Tout en etant elu - j'ai des freres elus comme moi.

Paternite, filialite, fraternite - vous me direz" que toute lafamille est en passe ~ de devenir <des> categories philoso­phiques.

Si la biologie - er cependant combien <humanise ?> <sic>­nous fournit le prototype de certaines relations et'' cela prouvepeut-etre plus totC qu'elle ne represente pas un ordre contingent-

Parole et Silence194

C'est a travers la fraternite que l'autre peut m'apparaitre nonseulement comme celui atravers lequel je me saisis dans l'eros ­

non seulement comme mon detachernent a l'egard de l' ennuide mon identite - dans le fils

mais comme un autre moi : comme un moi qui n'est pas moi<f. 30> i'investissement de rna liberte est une election. ie fils

n'est jamais fils unique. C'C'est dans mon rapport avec mes freres - et tous les hommes

sont freres - lorsque le fondement de la liberte peut" nous etreenseigne - que nair un nouveau problerne de la collectivite ­comportant une solution bien differente de celIe qui s'est poseedans Ie monde des nourritures. {C'est a travers la fraternite quel'autre peut m'apparaltre comme moi. II est comme moi et iln'est pas moi.}

« LesEnseignements », feuillet 3O.

a. « direz » en surcharge de « dirai t »:

b. Il convient probablement de ne pas lire le « et »,

C. Lire « plutot »,

d. « peut » en surcharge de « <nous ?> »,

Page 35: Parole Et Silence - Levinas

Haine d'assassin - plus terrible que haine de voleur.

<f. 32> La fraternite contient done une rivalitenon pas pour la nourriture et pour la terre ­une rivalite a. mort.

C'est par la frarernite que je concois un ordre universel.Je ne suis pas uniqueII existe un univers dont je ne suis qu'une partie,La fecondite du moi ttffi le libere de son enchainernent a. soi ­mais il y a un autre conflitComment puis-je etre le tout et la partie?

197LesEnseignements

Jalousie totalement desinteressee. Je suis jaloux que 1'autre est<sic> aussi moi.

Ce n'est pas la liberte de 1'autre qui me defie - mais son exis­tence.

Son existence et son privilege sont inscrits dans rna creationmeme-c.»

Se declarer satisfait en reconnaissant que tous les hommes sontdes freres - penser qu'il n'y a pas de problerne dans la fraternire<f. 34> c'est 1ft l'origine du [perpetuer le} mal social.

Proclamer la magie de l'amour - c'est comme dans le socia­lisme utopique -se fermer sur la condition reelle - c'est mysti­fier.

<f. 33> C'est comme fils que je suis d'avance pose contre lesautres.

C'est moi qui defie - suis agressif.

Le problerne seffiH. de la collectivite dans toute sa profondeurcommence seulement quand on s'est reconnu comme Frere.

Je peux resoudre certes le problerne de la societe par le meurtre.Le meurtre fratricide - voila. la chose nouvelle inconcevable dansle monde des nourritures.

Je peux le resoudre en luttant pour mon droit d'ainesse!",<f. 35> Alors les freres se separentoublient leur fraternite pour devenir des etrangersc'est-a-dire pour fonder des nations qui accompliront le

meurtre plus tard - qui se feront la guerre ou s'entendront - sansengager leur prive - dans une organisation internationale.

Parole et Silence

[Mais} on" s'imagine habituellement que le problerne de lasociete est resolu lorsque tous les hommes sont freres, En realitec'est a. ce moment quil" commence reellernent'.

En tant qu'etrangers les sujets ne se concernent pas mutuelle­ment. En tant que freres - ils m'irnportent non seulement commeobstacles a. rna liberte, mais comme le fondement meme - ou lajustification de rna liberte. Le choix qui m'investit est aussi lechoix des autres. Je suis ft la fois tout mais aussi partie. {- Necessite d'une fraternite pour concevoir l'ordre universel}d

C'est 1ft Ie farneux problerne de rna contingence. {Le fils n' estjamais fils unique. C'est en cela que reside rna contingence} - nonpas du fait que je ne me suis pas choisi - mais due le fait que j'aiete elu, mais les autres aussi. C'est dans mon etre le plus prive- dans la mesure OU je suis fils et elu - que je suis en rivalite avecmes freres - que je dois resoudre rna place dans cette <f. 31 >

universalite qu'a la fois je suis et ne suis pas.

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a. « on » en surcharge de « On ».

b. « quil » en surcharge de « que »,

C. Dans la marge de gauche: « Dite simple'».d. Dans la marge de gauche: « Ce n'cst pas la ntanifcs »,

e. « du » est probablement un ajout.

Mais on peut aussi chercher a. rester ensemble - c'est-a-d. a.resoudre le problerne de la frarernite-c ,» a. passer sur un plan OU1'universel et le particulier en moi se concilient.

Page 36: Parole Et Silence - Levinas

<f. 36> Le problerne consiste a creer une societe de freres.Non pas aelever la socialite ala fraternite, mais la fraternite alasociete. Creer une societe apartir de la fraterni te <.>

Comment?Peut-erre par 1'enseignement. Le conflit peut etre resolu si je

peux me trouver derriere rna condition; si je peux participer alaraison de mon etre, non pas pour assumer ce qui 1'a instaure, maispourcomprendre le monde dans son ensemble, pouretre aussi le peredu monde. C' est en recevant l'enseignement du pere que je peuxfonder une societe de freres. C'esr par la justice que j'arrive a1'amourdes freres, Ce n'est pas par la charite que je rrr'eleve a lajustice du pere. Le savoir ne nous rend donc pas maitre du monde- il est justification.

<f. 37> {Pas de stoicisrne. Car rapport avec l'enseignement estun rapport avec le Maitre.]

Le savoir - n'est pas pour s'assumer - mais pour se justifier.II comcide avec 1'aperception de la collectivite comme tout:

II est le passage Iui-rneme du monde limite de la vision eta parconsequent du pour-soi du sujet de la liberte - a1'aperception de1'universel ou" le rapport entre moi et les autres comme totalitedont je fais partie - tout en etant elu - peut se poser.

198 Parole et Silence

L'Ecrit et l'Oral

<f. 38> Je mets sous le signe du « peut-etre » cette solution.II rn'a importe de poser le problerne.On ne peut pas tout dire en deux conferences - ni avoir toutes

les solutions quand on est appele afaire desconferences.

a. « et » en surcharge de « a »,

b. Lire « oii »,

Page 37: Parole Et Silence - Levinas

Notice sur L'Ecrit et l'Oral

Conference prononcee le 6 fevrier 1952. Le manuscrit se trouvedans une chemise cartonnee, sur laquelle Levinas a ecrit le titre,le lieu et la date de la conference. Outre les feuillets de la confe­rence, on trouve un programme du College philosophique, anneeuniversitaire 1956-1957, premier trimestre, annoncant notam­ment la conference de Levinas intitulee La Pbilosopbie et l'Idee del'infini, le 11 decernbre 1956.

Le manuscrit de la conference se compose de 60 feuilletsmanuscrits recto pagines de 1 a 59 (le feuillet 19 erant, en effet,pagine par erreur 18 comme le precedent - erreur que nous recti­fions dans notre transcription). II s'agit de morceaux de feuilletsde provenances diverses et de formats differents (8,5 x 18,7 empour le plus petit; 15,7 x 21,8 em pour le plus grand), ecritsavec differents instruments d' ecriture : stylo-plume a. encre bleue,stylo-plume aencre noire, stylo-bille aencre bleue, stylo-bille aencre violette. Signalons en particulier que les feuillers 38-39, 41,43-46,48,50,53-59 sont d'un rneme papier et sont ecrits avec lernerne stylo-bille aencre violette (avec des corrections ou ajoutsau stylo-bille a encre bleue ou au stylo-plume a encre noire).Certains de ces morceaux de feuillets laissent deviner, dans leurpartie superieure ou inferieure, un texte plus long qui a ete coupe.II est manifeste que Levinas a extrait ces feuillets d'un ensembleplus vaste, afin de les integrer au present ensemble. II faut faire

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202 Parole et Silence

la rnerne remarque au sujet des feuillets 12-24, qui sont d'unrnerne papier, ecrits avec le rnerne stylo-bille aencre bleue, et quilaissent egalement deviner un texte plus long qui a ete tronque.

Signalons enfin que le feuillet 40 est un papier administratifdactylographie (provenant de la merne source que le feuillet 38de la conference Pouvoirs et Origine et le feuillet 4 de Nourritures),que l'on peut dater de 1960. La presence redaction est donc poste­rieure ala conference.

L'Ecrit et l'OralCollege philosophique

6 fevrier 1952a

<f. 1> L'Ecrit et l'Oral

L'Ecrit et l'Oral ne sont pas seulement deux facons dont leseleves attestent les connaissances qu'ils ont acquises. Ce sont deuxfacons pour la verite de se manifester.

Dans I'ecrit la verite sepresente au lecteur qui, au 20e siecle,est irremediablement philologue. L'importance de la philologietient, a son tour, a l'importance prise par les ecrits dans unesociete unie par la litterature. Notre monde merne repose sur destextes et des ecritures. Nous sommes une societe de lecteurs. MaisPlaton a fixe par une formule remarquable l'essence <f. 2> - etla faiblesse - de l'ecrit: « discours ne pouvant se porter secoursaIui-merne »1. Elle nous servira de fil conducteur pour decrire lamanifestation de la verite ecrite.

La verite seb manifeste oralement - contrairement a sa mani­festation ecrite - a celui qui peut poser des questions, {elle semanifeste apartir} due maitre a <l'>eleve. Elle s'expose aux ques­tions, c'est-a-dire repond au desir du savoir absolu. Elle permet

a. Ecrit sur le feuillet double cartonne aI'interieur duquel sont ranges les feuillets de la confe­rence.

b. « se » en surcharge de « orcale» »,

C. « du » en surcharge de « de »,

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204 Parole et Silence L'Ecrit et l'Oral 205

de remonter a sa source merne, vers la pensee qui pense la verite.Elle est selon un mot attribue, sans doute a. tort, a. Platon, « unecoulement qui passe par la bouche et a sa source <f. 3> dansla pensee » ou, plus simplement, « ecoulemenr d'une pensee par labouche »2.

Attitude philologique et attitude philosophique a. l'egard de laverite - voila le theme de cet expose. II nous amenera cependant aune distinction plus radicale : celle qui separe la verite du pheno­rnene (se produisant comme devoilement) et la verite de I'etre (seproduisant, en dehors des phenomenes, Ku8'umo, et dont il nousimportera precisernent de montrer la rnaniere).

<f. 4> II ne s'agit pas, avec le roi de Thebes, de deplorer lamalfaisante invention du dieu Teuth qui, en inventant I'ecriture,voulait faciliter l'ceuvre de la rnernoire, mais qui, d'apres le roiThamous, aurait foncierernent fausse la pensee humaine en ladispensant de rnemoire et de reminiscence c'est-a-dire d'Idees" ; eten y substituant des signes pe:t:lf aux choses, transforrne la pensee enun jeu d'ecriture". II ne s'agit pas de deplorer cette invention, carla verite originelle ne tient peur-etre pas ala vision des idees, c'est­a-dire a. la raison {au sens theoretique du terme}. Car d'autre part,la rnemoire rarnene tout a. soi et manque. de perspective univer­selle ou l'etre <f. 5> vrai pourrait se manifester. Le role de l'ecritn'est pas accidentel, ni, apres tout, regrettable. II tient a. la naturernerne de la liberte.

L'ecrit tributaire de la parole ouvre cette perspective univer­selle sans laquelle il n'y a pas de liberte. Mais separe de la parole,il devient mythologie ou philologie. Ces propositions abstraitesseront developpees dans la premiere partie de cet expose. II s'agirade caracteriser la place de l'ecrit dans la production humaine et lesens de la verite que cette place implique. La deuxierne partie del'expose montrera le caractere originel de la verite instauree parla parole. Caractere originel, car la verite du monde des ecrirs, estelle-rnerne accrochee a. la verite de la <f. 6> parole et s'y trans-

a. « Idees» en surcharge, semble-t-il, de « idees ».

cende en quelque rnaniere. II existe en effet, dans le monde desecrits, des textes qui instituent des ecoles, c'est-a-dire des lieuxoii, selon la definition de Carlyle", des rnaitres au contact deseleves leur apprennent a. lire des ecrits.

En traitant de l'Ecrit et de l'Oral nous en revenons done toutde meme a. l'Ecole.

Toute action de l'homme, exprime l'homme : rna demarche,les objets que j'utilise, ceux que je fabrique - a. condition dene pas considerer l'objet produit dans son usage. Pour un objetd'art qui est sans usage, le rapport avec l'auteur est essentiel. Etcependant il est impossible de considerer anonymement un objetfabrique par un artisan. II a comme un trou quand il est entiere­ment anonyme.

Mais cette expression est a. peine une expression. II est evidentque l'intention d'exprimer - ce rapport unique avec I'exteriorite,manque a. l'expression spontanee de l'action. <f. 8> J'v suis plussurpris que compris. On a surpris'' mon secret comme par indis­cretion quand on rn' a juge sur mes ceuvres, On a certes devinedans mon ceuvre mon intention, on a rneme devine peut-etre monintention reelle, mais on m'a juge par contumace. J'ai ete absentde mon proces, je n'ai pas pu porter secours a. moi-rneme: je n'aipas parle. On a penetre dans mon interieur en mon absence. Onm'a compris, comme on comprend l'homme prehistorique - quia laisse des haches et des dessins, mais pas d'ecrits. Tout se passecomme si rna parole - cette parole qui ment et dissimule, maisqui precede d'une volonte de s'exprimer, etait indispensable a.mon proces, pour eclairer les pieces de mon dossier et jusqu'aux

a. Le manuscrit ne distinguera pas d'autre partie. II s'agissait peut-etre de la premiere partiede l'ensemble dont ce feuillet et quelques autres de ce manuscrit faisaient initialement partie(cf notice).

b. « surpris » en surcharge de « «viole ?>.

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pieces a conviction ;. comme si la parole seule pouvait me livrercomme une liberre ames juges et retablir le contact entre mesjuges et moi, comme si, par elle seule, la verite se faisait. Sans laparole, on penetre dans rna vie, mais on ne se met pas en relationavec moi ; sans la parole qui me sollicite et a laquelle je reponds,je n'ai pas d'existence veritable - pleine et exterieure. S'exprimeruniquement par sa vie, par son action, par son oeuvre, c'est donerester absent de I'etre. Si la vie, 1'action et l'ceuvre ont deja unsens, un autre sens encore leur est prete par la parole, par 1'expres­sion libre.

On peut aller plus loin. Si les objets ouverts a la percep­tion ont deja un sens pour notre vie et pour notre action, avantqu'une parole ne se profere - il faut admettre deux significationsdistinctes que l'etre peut revetir, Une signification phenomenalecomme celle que 1'on me decouvre en me jugeant sur mes ceuvres,en mon <f. 10> absence - la signification prehistorique ; et lasignification reelle - celle que revet le monde des objets quand ils'enserre dans le langage.

mle L'intentionalite tisse mon interiorite. Habiter une maison,ce n'est pas s'en servir seulement, c'esty etre chez soi ; se main­tenir dans l'etre en se refusant a l'expression - voir sans etre vu,comme Gyges", {Or il faut etre vu pour voir 1'exterieur commeexterieur.} Habiter, est une rnaniere de se tourner vers I'interieur,<f. 12> mouvement oppose a celui de 1'expression. La percep-tion, comme I'activite-c ,» est et demeure economique : elle vientde la maison et y retourne. C'est le mouvement de 1'Odyssee OU1'aventure courue dans le monde, n'est que 1'accident d'un retour.Habiter, c'est seferrner sur I'exteriorire« > vivre dans un horizon,limite dont I'au-dela est oublie, ne pas se poser devant le finila question de l'infini, rester dans I'immediat sans rechercher lamediation : respirer, dorrnir-c ,> se nourrir, sans les prolonge­ments que la reflexion y decouvre - cela vaut par soi et pour moiet definit, apres tout, la sensibilite«.» Le monde habite n'a pasd'exteriorite,

<f. 13> Cette situation oii je suis decouvert mais oii je ne suispas exprime

oii j'apparais mais suis absent de mon apparition -decrit assezexactement le sens du phenomene : Ie phenomene est un etre EfH±qui apparalt mais demeure absent.

207L'Ecrit et l'OralParole et Silence206

Pourquoi penetrer dans rna vie, c'est me comprendre commeun absent?

Parce que Ie souci - et le « pour soi » - de mon activite n'ex­priment pas, mais constituent seulement mon intimite. L'expres­sion - elle - accomplit la relation avec l'Exterieur, alors que 1'in­tentionalite de l'acte, de la visee theoretique - font partie de monintirnite.

<f. 11> Son mouvement est 1'inverse de la relation avec ledehors. Ce n'est pas par hasard qu'il s'interprete sans difficultecomme justifiant l'idealisme. L'intentionalite qui anime la percep­tion delimite et dessine mon habitation dans le monde. Commela maison que j'ai construite, mais que j'habite en me fermantd'abord sur I'exterieur, le monde decrit ou construit par I'inten­tionalite, meuble de mes produits, rn'enferme dans mon horizon.

Le phenornene n'est pas une apparence - il est la realite, maisc'est une realite qui manque encore de realite,

Que peut etre cette realite encore absente de la realite ? Ce quise reflete en elle ? est cache?

Mais c'est lui donner [preter] par rapport {aI'egard] du" pheno­rnene - le rapport {<¥a ?>} {que} Eft:le le" phenomene conserve{a} a l'egard de I'apparence", C'est poser la <f. 14> C'est poser lad

a. « du » en surcharge de « au ».

b. « le » en surcharge de « des».c. « l'apparence » en surcharge de « l'apparent ».

d. Ce feuillet recopie probablement le texte qui se trouvait sur la partie inferieure du precedentfeuillet, partie qui a ete dechiree par Levinas. Cela peut expliquer la repetition, au debut de cefeuillet, de l'incipit de cette phrase sur lequel se termine le feuillet precedent.

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Esta es finalmente la respuesta a la pregunta incial. Porque penetrar en mi vida es comprenderme como un ausente?
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chose en soi comme un phenornene cache. Le devoilement renvoietoujours a. des phenomenes.

L'expression n'est-elle pas la presence de la chose en soi qui,precisement, n'est pas sous 1'apparition {de cette chose} ? - C'estla these que nous allons soutenir.

1'Ecrit est le seul produit humain qui ne m'exprirne pas commeI'habitation, {« prehistoriquernent »] c ,» mais qui repose sur laparole, animee par 1'intention d'exprimer,

<f. 15> I,' acte libre d' ecrire, acte aboutissant a. une ceuvre estaussi librement voulu comme expression. Certes en tant qu'oeuvre- en tant que produit -1'ecrit exprime son auteur au sens etudieplus haut, en qualite degeste ou de chose {et malgre 1'auteur} :j'ecris dans mon epoque et tout ce que j'ecris n'est que Iitte­rature ; le romancier, le poete et le rheteur - sont simplementdes peintres, des musiciens et des enchanteurs. Mais cette tradi­tion <f. 16> involontaire de I'oeuvre a. l'egard de son auteur esttranscendee - ou peut etre transcendee par €& l' art de la parolequand il est vraiment un art {et -cune» parole authentique}. Aussile produit de I'ecriture -1'Ecrit - perce-t-il vraiment 1'enceinte de1'habitation. II s'inscrit dans le projet qui vise I'exteriorite commeexteriorite et qui est leprojet meme de la parole. Car parler, c'estpenser vraiment <f. 17> le monde cornme" exterieur et non pascomme simple ambiance.

Seulement, cornme tout produit, l'ecrit devient, dans unecertaine mesure, ma condition, une chose qui me soutient. Commela parole gelee de Rabelais, il frappe a. la figure les hommes memesde la bouche desquels elle la parole s'envola", Mai~ I'ecrit n'estpas purement et simplement un produit qui, comme une maisonou une chaise ou un lit me <f. 18> supportent en s'integranr a.rna mernoire {deviennent rna propriete}. L'ecrit aborde 1'homme

a. « comme » en surcharge de « si-crnple» »,

toujours de face {il vient de I'exterieur qu'il ne quitte jamais} :l'ecrir ou j'ai parle me parle [s'adresse a. moil. II ne compte passeulement par mon passe oii il fut compose. II me vient du dehorset, en quelque rnaniere, rn'englobe et m'engage. En dechiffrantun ecrit je me retrouve a. nouveau dans la situation du dialogue.Que ce dialogue soit decevant - que I'ecrit me parle sans repondre{qu'il ne sache pas porter secours a. lui-rneme] - c'est la. une parti­cularite qui doit nous inciter a. subor- <f.' 19>a donner I'ecrit er lemonde qu'il institue a. une autre relation {au discours oral}. Maisil importe, avant tout, d'insister sur 1'existence d'un tel dialogueavec une realite qui est un produit humain et sur les conditionsparticulieres dans lesquelles il se deroule et sur la fa~on dont ilsemble donner au monde des phenomenes la consistance de lachose en soi en -csurmontant i » la phenornenalite du connaissable{et de l'habitation}. Comme la parole elle-rneme, il nous aborde a.partir d'un centre qui est absolument hors de nous.

<f. 20> Mais l'ecrit est-il le seul produit humain situe enface? .

L'oeuvre d'art semble, de prime abord, se constituer egalementdans un face-a-face. Une melodic sollicite du dehors. Le tableauest un monde entier avec son centre hors de nous. Et c'est pour­quoi, pour parler de la deception que laisse la communication<avec ?> l'ecrit, Platon compare l'ecrit a. la peinture qui semblepouvoir repondre, mais ne repond pas".

Mais I'oeuvre d'art qui se presence certes de nos jours- commeroute production moderne {- hors I'exteriorite, hors la maison,hors de 1'habitation} - dans une dimension qu'elle n'avait pasouverte, n'exprime que <ox> est expression {- dans une dimensiond'exteriorite ouverte par les ecrits -1'reuvre d'art est aussi expres­sion} au sens ou est expression un produit ou un comportement.Elle est d'une facon ou d'une autre le prolongement d'une spon­taneite, d'un chant d'oiseau, d'un jeu joue pour soi. Elle ne cree

a. Ce feuillet porte, comme le precedent, le numero 18. 11 s'agit probablernent d'une erreurd'inattention.

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La escritura es com la obra de arte una expresión o sentido donde es expresado a un producto o una conducta
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qu'une ambiance ou, encore, <f. 21 > elle ne cree qu'un rythme_ c'est-a-dire cette situation speciale ou des objets representes,effacent la limite entre eux et moi et m'ernportent dans leur tour­billon, oii j'entre dans rna propre representation comme dans unmonde qu'entr'ouvre le tableau en enjambant le cadre qui deli­mite ce monde. C'est en cela que consiste la magie de I'oeuvred'art. - Je peux certes connaitre~ l'ceuvre d'art. Elle me faitacceder a un plan de phenomenes jusqu'alors inconnus. Le poeme,le roman deviennent eux-rnemes tableaux, mondes magiquesau sein du monde, acces a une realite autre. Le paysage qui meregarde <f. 22> est entierement regarde (a la limite il m' absorbe,m'agglutine m'ernporte). C'est moi qui vais vers lui. L'ceuvre d'artest voie - elle n'a pas de visage. Non seulementelle ne repondpas - elle ne suscite pas de questions. Elle se donne dans un ravis­sement muet. On peut penetrer dans le monde qu'elle ouvre parla sympathie et la danse. Mais le langage viendra-t-il interromprecet ensorcellement ? Le poerne, le roman - parlent comme poureux. II faut 1'intervention d'une parole qui n'est pas art pour quece monde de phenomenes magiques se place dans l'inrelligibilitedu dialogue. Deja le titre est cette parole. Le titre du roman estle seul mot du roman ou la seule phrase quine fasse pas partie00 <f. 23> du roman. C'est le critique d'art - et c'est la sa raisond'etre rnerne - qui peut nous dire de I'oeuvre autre chose que cetteoeuvre rnerne. Sans cela, ernporte certes par son rythme, nous noustrouvons dans un monde anterieur au sens, devant des paroles quin'arrivent pas a s'enoncer, Aube de sens qui n'arrive pas a se fairejour, Galatee prete a parler, mais qui ne parlera pas",

Dans la parole vivante, le son - realite physique - est ernportedans le mode d'existence de la pensee elle-rnerne. La realitephysique disparait derriere la pensee exprirnee. Dans l'ecrit la parolese repose sur une chose. <f. 24a> Mais merne quand la parole colleainsi a une chose - a une pierre, a un parchemin<,> a un papier,

a. Feuillet dont les parties superieure et inferieure ant ete supprimees, On lit au devine encore

quelques mots le long des dechirures superieure et inferieure.

devient monument, Iitterature, lettre et livre, et adopte - semble­t-il-c ,» le mode d'existence d'un ustensile - et un dictionnaire,un indicateur de chemins de fer que sont-ils de plus? - memealors il n'est pas entierernent un ustensile. C'est quil n'annoncepas le monde comme une lampe annonce tout le systerne de refe­rences dont elle fait partie et toure 1'histoire humaine dont elleest issue," ilb n'a' pas'' {seulement la} tHle signification {de signe}('est <Jar> {que comporte} tout ustensile est signee L'ecrit a deplus un sens. II me parle, c'est-a-dire il englobe le monde. .Il nefait pas seulement partie du systerne - il est aussi en dehors dusysteme, II me donne a moi et a rna maison un point de referenceen dehors de moi. II parle a la fois a moi et de moi. II enleve ainsiamon acre son role d' acte subjectif, arna maison et a mes objetsleur signification purement economique. C'est par l'ecrit que mesobjets deviennent {se rapportent} ae l'etre' <f. 25> et rna penseedevient universelle.

Mais jusqu'alors, l'ecrit n'a prolonge que la merveille de laparole.

Or l'ecrit - chose dans le monde, chose parmi les choses - neparle <pas> dug passe seulement comme la lampe qui annonce safabrication, et I'evolution de 1'industrie et du gout, mais qui dansson etre de lampe est presentee L'ecrir me parle apartir du passe.Tout ecrit est testament, parole de mort et dernier mot. C'estdans ce sens que I'ecrit rn'ouvre un passe qui n'a jamais ete vecupar moi, qui n'a pas de place dans le prive de rna mernoire. Unpasse absolu. Dans la mernoire" celui qui se souvient fait partie dusouvenir comme le reveur apparait dans le reve.

a. « , » en surcharge de « . ».

b. « il » en surcharge de « -cxx» ».

C. « n'a » en surcharge de « c'est ».

d. « pas » en surcharge de « avoir »,

e. « a» en surcharge de « des »,

f. « l'etre » en surcharge de « etres ».

g. « du » en surcharge de « seu-clement» »,

h. « Dans la mernoire » en surcharge de « Passe absolu ».

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El escrito me habla porque el englobla al mundo.
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La escritura cancela en mis actos su ser puramente subjetivos.
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<f. 26> Passe absolu, cette fois-ci d'abord precisernent parceque c'est un passe qui parle. {Mais surtout} passequi n'a jamaisete present, comme un passe avant le temps, c'est-a-dire passe quiest non pas ce que l'on peut en saisir par la connaissance commeobjet (ffit-il spirituel) comme je saisis mon propre passe - maispasse qui n'a jamais ete present - un « profond jadis - jadis jamaisassez »9 - dont je saisis le discours {mais} qui se dissimule ajamais derriere ce discours. Pas cache, car le cache est en principedevoilable. Passe dissimule - en dehors de la distinction de cacheet de devoile. {Dire que le passe de l'histoire n'a pas ete vecu parcelui qui lit l'histoire, qu'on peut se rapporter a. un passe qui n'apas ete notre present, c'est dire un changement radical dans laconscience du passe er non pas sa simple extrapolation.}

C'est par lui que je cesse d'etre le sujet de mon histoire person­nelle. L'ecrit ne rend pas inutile la mernoire, il s'ouvre sur unpasse entierernent distinct <f. 27> de celui de la rnernoire, absoluauquel la mernoire se refere. []e suis objet de ce discours ecrir,sans retomber au rang de chose}«.»

Cette parole sans appel - puisque ecrite - elle parle sansecouter ; elle est loi. Mais autre chose qu'une .loi du destin- puisque parole {elle me parle}. C'est par cette parole precise­ment que je me libere du passe mythologique, que je ne suis passimple objet de l'histoire, mais son interlocuteur : puisque - apartir du passe -l'ecrit me parle.

Des lors nous comprenons comment un monde d'ecrits est, ala fois, un monde situe par rapport a. un principe exterieur a. cemonde et comment cette exteriorite seb se pense comme celle'd'une genese (j'allais presque dire de la Genese). La phenomena­lite inevitable du monde visible se trouve un appui dans un passea jamais invisible, mais absolu qui parle dans l'ecrit.

a. « passe » en surcharge de « Passe ».

b. « se » en surcharge de « est ».

C. « celle » en surcharge de « d », premiere lettre d'un mot apropos duquel il est hasardeuxde conjecturer.

Seulement la nature rneme de I'ecrit aboutit a. une histoire dansun autre sens encore. L'ecrit comporte l'insuffisance radicale dontparle Platon : il ne peut <f. 28> se porter secours a. Iui-rneme,L'auteur ri'est pas la. pour repondre aux questions que suscite letexte, Nous nous trouvons done avec l'ecrit dans la situation quenous avons decrite au debut ; ou, juge sur ses oeuvres, le sujetfut absent de ses ceuvres et leur laissait une existence purementphenomenale. Devant l'ecrit, cette situation a ceci de particulier- que ce sont les" mots - nous abordant de face qui manquentcependant de visage. Le discours ecrit qui suscite mes questions- ce qui indique une presence reelle derriere l'ecrit - n' entend pasmes questions.

Mais cetre absence de l'auteur comme interlocuteur n' est passon absence totale du texte. Puisqu'il fallait qu'il ffit la. et qu'il~ s'exprimar.

<f. 29> Nous verrons tout de suite comment il est present.Voyons d'abord ce qui arrive au discours lui-rneme.

Devant cette absence de l'auteur dans l'ecrit - commentrepondons-nous aux questions que le texte suscite ? Nous inter­pretons. Nous prenons conscience de l'ecrit, comme d'un systernede signes auquel le sens n'est pas attache de maniere simple ; nousnous apercevons d'un jeu qui s-e--jeHe reste entre les mots et leur-esc­significations-c,» nous prenons conscience du mot comme d'unsimple mot, comme d'un produit humain. Laphilologie commence.

C'est par la philologie - inevitable dans la lecture -que l'ecritdevient un produit offert a. une « vision-: ».» de phenomenes. Ledialogue qui comrnencair dans l'apparition de I'ecrit tourne courtet se mue en perception.

<f. 30> En interpretant on fournit soi-rnerne les questions etles reponses - c'est-a-dire on se trouve dans la situation merne quePlaton -cxxxxx» decrit pour caracteriser la pensee, dialogue silen­cieux de I'ame avec elle-merne!". La lecture cesse d'erre l'attitudede celui qui ecoure pour devenir la reconstitution d'une ceuvre

a. « les » en surcharge de « des ».

Page 44: Parole Et Silence - Levinas

Parole et Silence L'Ecrit et l'Oral 215

muette. Et, des lors, l'auteur absent devient Iui-rnerne, l'un deselements de cette reconstruction. II ne nous interesse plus" danssa realite de chose en soi qui s'exprirne, mais dans la phenomena­lite d'etre empirique qui travaille, qui ecrit-c ,» qui a une biogra­phie<,> qui a subi des influences<,> qui est tout fait d'adjectifs,de proprietes. II faut qu'il soit lui-merne connu, qu'il perde ladignire unique de celui dont <f. 31> on ne peut rien dire parceque on ne fait que parler avec lui. Le texte est depasse et rejetedans le passe, dans l'horizon de son auteur, son discours n'est pasregarde en face,mais de profil. II est lu en rant qu'il se rattache aun auteur et a l'horizon depasse de cet auteur. Ce qui compte, cen'est pas la verite de la pensee enoncee, mais cette .question parlaquelle Platon fixe dans le Phedre la destinee de toute philologie :Qui a dit ? De quel pays est-il ?

Qui a dit ? De quel pays est-il ? - l'auteur n'est plus interlo­cuteur - il est lui-merne objet de connaissance. II faut le situersocialement, geographiquement et historiquement. C'est precise­ment dans l'ecrit ou la connaissance de l'auteur explique le texte,que l'auteur cesse de jouer le role de la chose en soi par rapport ala verite quil enonce et qu'il est englobe dans le phenomene,

Celui qui lit est tout seul a penser. - II a devant lui un <f. 32 >etranger curieux, pittoresque c ,» un barbare qu'on regarde parler,mais que l'on n'ecoute pas. Le texte est depasse. Le lecteur est sonpropre maitre. Lire, ce n'est plus saisir la pensee d'autrui, c'est lajuger. C'est etre plus intelligent que le texte et croire aussi peuaux verites qu'il enonce que l'archeologue qui exhume une hacheprehistorique, mais ne songe pas une minute a s'en servir. Pour lephilologue tout est perime.

Nous avons affirrne au debut que rna parole donne a l'objetdont je parle le sens de la chose en soi et situe rna pensee sur leplan de la verite. Cela pourrait sembler paradoxal, puisque moiqui parle je <f. 33> n'interviens pas dans le contenu de rna pensee

a. « plus» en surcharge de « pas».

et que ce n'est pas moi qui me reflete dans rna pensee. Et voilaque dans l'ecrit l'auteur devient l'explication de I'ceuvre : il s'yretablit ce que l'on entend habituellement par le rapport entrela chose en soi et le phenornene (puisque l'ecrit reflete l'auteur)- nous nous trouvons en plein relativisme.

Une pensee qui se contente d'ecrits est une pensee foncierernentrelative. Elle devient comme une cecite a l'egard de la verite elle­meme, La" verite a travers l'ecrit est toujours aper~ue comme relative,comme perimee. « Les pretres de Zeus a Dodone ont bien assure quec'est d'un chene que sont sorties les premieres propheties ! Ainsi les

. gens de ce temps-Is, parce qu'ils n'etaient pas des savants commevous autres, <f. 34> les modernes, se contentaient dans leur naiveted'ecouter la voix d'un chene ou d'une pierre pourvu~ seulement quecette voix fUt veridique - mais pour toi, l'important probablement,c'est qui est celui qui parle? de quel pays est-il ? » (Phedre 275d-e)11.IIs'agit donc pour le philologue de faire apparaitre l'horizon oii la veriteecrite surgit. Dans ce sens l'attitude philologique revient a la veritecomme relative a son horizon. Tout devoilement comme source deverite, donne une pensee simplement conditionnee, phenornenale«. >

La verite comme devoilement est calquee sur la vision-c ,»

se retrouve dans l'attitude philologique. L'introduction de l'his­toire comme condition de la verite, ne met pas fin a la penseecomme vision, mais la promeut <.>

<f. 35> En remontant des signes vers le signifie, nous revenonsa la vision du signifie. Or toute vision est relative. Elle se refere al'horizon oules phenomenes apparaissent les uns, par rapport auxautres, mais n'ernanent pas d'une substance<.>

Certes on peut chercher pour reconstituer la substance aparcourir cette relativite jusqu'au bout. Et on appelle dialectique

cette methode <.>Mais ce mouvement comme oriente ne suppose-t-il pas au prea-

lable que les moments aient un minimum de fixite ? C'est pourquoicertes le monde du devenir doit etre erige en Idees eternelles. Mais les

a. « La » en surcharge de «El cle > ».

Page 45: Parole Et Silence - Levinas

idees - visibles a leur tour, Platon s'en apercoit - participent encoreles unes aux autres. Le « Pamlinide » le dit expressement':'. <f. 36> IIy a la l'affirmation de I'horizon OU {les idees-c,» comme} les pheno­menes-c.> apparaissent les unes par rapport aux autres, mais n'erna­nent pas de leur substance. Elle se tait, II n'y a, la encore, pour arreterce mouvement<,> qu'a le parcourir jusqu'au bout. Mais le mouve­ment comme oriente, ne suppose-t-il pas qu'au prealable il soit fixedans ses moments, c'est-a-dire que les phenomenes en avenir' soienrtout de rneme eriges en Idees. Et c'est la pour nous l'ceuvre de l'expres­sion. Comprendre une pensee, c'est avant tout l'accueillir a partir desa substance. Pour Ie dire en termes platoniciens: {L'expression est cepar quoi une idee est accueillie dans sa substance. Elle est la conditionde la dialectique}«.» Pour le dire en termes platoniciens : <£ 37> ilfaut avant tout la participation au meme, un arret dans le mouvementdialectique, la delimitation exacte du moment autrement que par lamise en mouvement de toute la dialectique dont il est le moment.

Et certes fixer le Merne, c'est deja fixer I'Autre. Mais c'esc quesur le plan ou les idees sont conternplees ce point substantiel esttoujours derriere, toujours recouvert par les essences. II y a neces­site de s'arreter, de partir~ de quelque chose qui n'est pas, a sontour, apparition-c ,» c'est-a-dire de quelque chose qui ne se definitpas par sa situation, par sa reference a ce qu'il n'est pas <f. 38> pas"et sur le fond de quoi il ressort. II faut que derriere cette penseequi se situe dans un pays - c'est-a-dire dans un horizon - quelquechose apparaisse en soi. II ne peut y avoir d' apparition sans quelquechose qui apparaisse - ce n'est pas la seulement un truisme [ueepensee verbale un jeugrammatical avec le mot apparaitre} ou lasupposition illicite duprincipe de causalite - mais la conditionrnerne de l'apparition dans quelque chose qui n'est pas une appa­rition!'. Mais cela ne veut pas dire dans quelque chose de cache.Cela veut dire que toute situation xl'apparition renvoie a une

presence en soi - ou la difference rnerne de cache et de revele n' aplus de signification. Cette presence de la pensee elle-rneme, ende~ors de toute relativite - c'est sa presence dans la parole durnartre <f. 39> car lorsque le maitre parle, la pensee a un visage.

~ertes entendre .une parole, c'est pouvoir poser une question.Mais cette constatanon purernenr empirique suppose une facon pourl~ parole de se manifester - et c'est cerre facon que nous appelonsvisage. Poser une question ne Suppose pas seulernenr qu'on connaitautrui ou qu'on connair sa presence, c'esr aussi l'invoquer. Le maitrequi parle n'apparait pas au nominatif, mais au vocatif En lui appli­quant un concept, en l'appelant ceci ou cela, deja j'en appelle a lui.Dans la question n'importe pas seulement ce qu'on demande - celaest vrai uniquernenr <f. 40> de la pensee philologique" OU l'on estseul aquestionner et arepondre. Ce qui compte dans la question,c'esr le fait qu'on la pose aquelqu'un. Ce n'est pas la merne chosed'au~re pa~ qu'interroger une experience ou ce qui est interroge estaUSSl ce qUl est en question. Interroger une experience, c'est s'inter­roger sur elle. Dans ma question au maitre, j'en appelle au maitre.La question est possible parce que la presence merne du maitre en~ace de moi,. ne peut se traduire en termes de connaissance. Parce queJe ne connalS pas le maitre, mais suis en commerce avec lui. II estimpossible de reduire aune connaissance ce rapport de commerce.Dira-t-on par exemple qu'il consiste a connaitre autrui et en rnemetemps aconnairre qu'il {nous} connair ? Mais connaitre qu'il nousconnait est deja precisernenr quelque chose de plus qu'une connais­sance. La connaissance est connaissance d'un donne, d'une chose quise renie et s'abandonne au regard, <f. 41> alors que oonnairre qu'on"~ nous connait suppose une situation nouvelle - regarder unreg~rd. ~'est regarder ce qui ne s'abandonne pas, ne se livre pas,mars qur vous vise - c'est precisernenr regarder un visage. Le visage

217L'Ecrit et l'OralParole et Silence216

a. Il faut peut-etre lire « devenir »,

b. Il s'agit de la repetition, sans doute due aune inattention, du dernier mot du feuillet prece­dent. Rappelons que Ie feuillet 38 ainsi que les feuillets 39, 41, 43-46, 48, 50, 53-59 (if supra,notice) proviennent d'un autre manuscrit.

a. « philologique » en surcharge de « philosophique »,

. b. Ce qui precede est ecrir au style-plume aencre noire. Le reste du feuillet, al'exception desaJ.out~ et surc~arges (au s~ylo-bille aencre bleue et au stylo-plume aencre noire), est ecrir au srylo­bille a encre violette. Levinas recopie probablement une partie du texte qui se trouvait sur la partiesuperieure de ce feuillet, qui a ete dechiree.

Page 46: Parole Et Silence - Levinas

218 Parole et Silenee L'Eerit et l'Oral 219

n'est pas l'assemblage d'un nez, d'une bouche, d'yeux, etc. II es.t toutcela, certes", mais'' prend la signification du visage par la dimen,sion nouvelle qu'il ouvre dans la perception d'un etre {au-dela dela perception}. Par le visage l'etre n'est pas seulement enferrne dansune forme pour" rayonne{r} dans l'univers. II est ouvert, s'installe enprofondeur et dans cette ouverture se presence en quelque manierepersonnellement _d {cequi ne veut pas dire precisement qu'il appa­rait. Etre present sans apparaitre, c'est precisement avoir un visageou parler.} Le parler visage est un mode irreductible selon <f. 42>lequel l'etre peut se presenter dans son identite, La substance querecouvrent toujours les attributs, n'apparait pas quand on ecarte lesattributs par abstraction. La substance sans attributs, c'est la parole.Le visage, c'est la possibilite pour une substance d'etre sans attri­buts. Des lors" nous pouvons exprimer notre these : c'est la subs- >

tance qui parle qui confere l'etre a 1'objet dont elle parle.Le visage, c'est ce <qui> rend possible l'existant comme exis­

tant - comme identite - en dehors de l'horizon. Il ne s'y rerere qu'a<f. 43> Iui-merne comme un absolu. Le caractere absolu d'autruiexclut la relativite inscrite dans la connaissance OU l'objet connusort de son absolu par le fait d'etre connu. Autrui - notons-le enpassant - dans l'absolu de l'invocation est ainsi l'etre inviolable durapport moral. Ajamais etranger a toute emprise de la connaissanceet de l'action, toujours en soi, a qui ron ne peut que parler. Rien nepeut se superposer a cette relation d'invocation ou l'en soi d'autruiest aborde. Toute autre relation ne saurait toucher qu'aux attributs.Dans la folie rneme, j'en' appelle encore a <f. 44> autrui - dans lamesure ou je suis encore devant Ie visage autrui, comme s'il yavaitune substance de raison derriere l'attribut de la folie. Cette subs­tance derriere l'attribut - est precisement Ie l'epiphanie dug visage.

a. « certes » en surcharge de « mais »,

b. « mais » en surcharge de « pr cend» ».

c. « pour » en surcharge de « et »,

d. « - » en surcharge de « . »,

e. « lors » en surcharge de « nous ».

f. « j'en » en surcharge de « <de i » ».

g. « ... l'epiphanie du ... » en surcharge de « ... fait d'avoir un ... ».

Dans 1'arnour par-dessus 1'amour il yale discours qui dit cetamour. L'amour va encore sur 1'attribut. Et certes je peux dire aautrui que je lui parle. Mais tout discours indirect est dit dans undiscours direct.

C'est pourquoi, si chacun de nos acres, rnerne Ie plus ernpi­rique, touche a la fois a l'individuel et a I'universel - puisquel'individuel ne peut apparatrre {que} sur un fond <f. 45> d'uni­versalite -la rencontre du visage et de I'identite de 1'autre au fonddu visage, tranche sur 1'universel - non pas parce qu'il touche a1'individuel, mais parce que le visage n'est" ni individuel ni 1'uni­versel - il est un etre identique a lui-merne dont precisernenton ne peut rien dire - car on ne peut rien en connaitre. Maisce qui s'oppose au connu, ce n'esr pas I'inconnu - ce qui s'op­pose au revele ce n'est pas le cache - ce qui s'oppose au connuet a 1'inconnu - c'est autrui dont on ne peut rien dire, rnais aqui on peut parler. C'est la la veritable signification de I'en soi.Situation ou tous les attributs et tous les adjectifs sont traverseset ou la substance au lieu d'apparaicre - ce qui serait'' absurde _est precisernenr 1'interlocuteur - en societe avec nous. Autrui,c'est 1'ineffable, mais c'est pour cela qu'on parle a lui. C'est ainsique la parole nous apparait en dehors de toute refe- <f. 46> rencea une pensee preexistante qu'elle aurait a exprimer - comme unerelation origineIle et fondarnentale dans I'etre. Dans la parole dumaitre" la pensee et le maitre qui l'enonce sont un''. C'est 13. quela pensee nous arrive par consequent dans son identite absolue.BUe doaae ea eUe meme. Elle n'est pas seulernenr degagee detout horizon contemporain tout en ayant ces horizons. Elle n'est

a. Ce qui precede est ecrit au stylo-plume aencre noire. Le reste du feuillet est ecrit au stylo­bille aencre violette. Levinas recopie probablement une partie du texte qui se trouvait sur la partieinferieure du precedent feuillet, qu'i] a dechiree.

b. « serait » en surcharge de « c'est ».

C. Ce qui precede est ecrit au stylo-plume aencre noire. Le reste du feuillet, a l'exception dela surcharge, de la rature (au stylo-bille aencre bleue), et de la derniere phrase (au stylo-plume aencre noire), est ecrit au stylo-bille aencre violette. Levinas recopie probablement une partie dutexte qui se trouvait sur la partie inferieure du feuillet precedent, qu'il a dechiree.

d. « un » en surcharge de « -cxxxc- ».

Page 47: Parole Et Silence - Levinas

a. « dessous » en surcharge de « -chaut i » »,

b. « il » designe, semble-t-il, « le monde »,

C. Cette phrase raturee est ecrite au stylo-bille a encre noire (le reste du feuillet est ecrit,pour l'essentiel, au stylo-bille aencre violette), et recopie peut-etre une partie du texte qui figu­rait dans la partie inferieure du feuillet que Levinas a dechiree. En outre, lie feuillet 48 (pagine«47 », puisque, comme nous l'avons indique plus haut, le feuillet 19 est pagine atort « 18 ») etairinitialement Ia suite du present feuillet, comme le montre 1) le fait que cette phrase raturee serareprise ala fin du feuillet 47 ; 2) le fait que sur le feuillet 48 (pagine « 47 »), Ie nurnero « 47 » estecrit par Levinas en surcharge du nurnero « 46 »,

d. « une » en surcharge de « son ».e. « Celui » en surcharge de « Le »,

f. « signes » en surcharge de « -cxxx» ».g. « depasse » en surcharge de « depassee ».

h. « il » en surcharge de « on ».i. « perspective» en surcharge de « perspectives».

plus depassee comme dans la philologie - dans le temps. L'objetdevient present - il est ce qu'il est. Ce qui caracterise, en effet<,>la rencontre de la verite dans la parole du maitre, c'est que lemonde ne nous vient pas comme d'en dessousa- comme toujoursdepasse, Depasser l'objet c'est deja le fausser. Mais qu'il'' nousrencontre precisernenr comme a notre niveau - que sa presenceest precisement son present«.»

En conversant avec un maitre au lieu de deceler indefinimentdes sous entendus, je prends les choses pour ce qu'elles sont.e

<f. 47> Mais en quoi consiste cette presence? Faut-il parler deces choses rnysterieuses - rayonnement personnel, gesticulation,accent, magie de la presence? au faut-il comprendre la droiturede cette presence comme une" exposition aux questions? Maiscela est <*****> vrai aussi de I'ecrit. II y a donc deux rnanieres deposer des questions. Celui" {qui interroge coincide avec celui quiest interrogee Ffir-ce a travers la civilisation. Le} lecteur se poseune question a laquelle il ne peut trouver de reponses que dansd'autres ecrits. On appelle cela interpreter. Interpreter, c'est etreplus intelligent que le texteet, par consequent, le reduire auxsignes', l'avoir depasse", Les mots apparaissent comme mots - etcette recherche de la verite a travers les mots, c'est precisernentla philologie. Le lecteur est maitre. En depassant le texte - ilh lerejette dans le passe. La perspective' de l'histoire s'ouvre aussirot,

« L'Ecritet l' oral », feuillet 46.

L'Ecrit et l'Oral 221

,

Page 48: Parole Et Silence - Levinas

a. « d'interroger » en surcharge de « de l'interroger ».

b. Lire « ou ».

C. « secours » en surcharge de « discours »,

d. « horizon» en surcharge, semble-t-il, de « Horizon».e. « le » en surcharge de « au ».

f. « que » en surcharge de « mais »,

g. « la » en surcharge de « a. ».

Cette notion de philologie peut etre erendue a la pensee en facedes choses. La philologie ne montre pas les choses, mais des motsou des choses reduites a des mots - devenues passees, ne valantplus, perirnees, historiques. L'autre facon d'interroger' - c'est etreune pensee qui entend raison - qui ne se rapporte pas aun horizonoii l'idee se profile, mais a I'idee elle-rneme, comme presente,comme elle-merne, comme visage, comme enseignante, commecommencement absolu.

En conversant avec un maitre, au lieu de deceler indefinimenrdes sous-entendus, je prends les choses pour ce qu'elles sont,

<f. 48> Ou" je ne <4 ?>cherche pas une intention cacheederriere ce qu'il dit - oii rna critique n'est pas une embfiche ­oii en <leila ?> critiquant, je ne depasse pas ce qui m'est dit,mais oii rna critique est vraiment une question, oii le secours'porte par le maitre a son discours est toujours presuppose et oii,par consequent, la pensee critiquee est toujours encore -ccrue ?>.Autrement dit ou la verite qui m'est dite est d'avance situee endehors de tout horizon" particulier-c,» ou Socrate est bien capablede raconter toute histoire, egyptienne ou autre, oii il n'est pasoriginaire d'un pays quelconque.

<f. 49> Mais je parle comme s'il y avait une verite d'une partet le maitre d'autre part alors que, lee fond de rna pensee consisteadire que c'est par le maitre qu'une pensee peut etre verite, quec'est par le maitre que les choses peuvent etre en elles-mernes. Ousi l'on veut : que la croyance ne s'ajoute pas aune verite, mais quec'est la croyance qui est la condition de la verite. Ou, si l'on veutencore, que la croyance ne tient pas aune adhesion par la volontea un contenu de jugement, ni a la force <f. 50> contraignantedu contenu Iui-rneme - contenu a jamais inepuisable - que' lag

223L'Ecritet l'Oral

a. « etre » en surcharge de « un »,

b. « elle », c'esr-a-dire la mai'eutique.c. II faut sans doute lire « present »,

d. « incarnee » en surcharge de « <xxxxxxxs ».

ttae ~cro~ancee~t l'}a~cessionparticuliere ala pensee lorsque cettepen~ee v.le~t d un visage. Le visage est une facon particuliere- bien distincte du devoilernem - selon laquelle I'etre s'ouvre anous dans le verbe.

~e qui est en relation avec nous sans etre objet d'une activitepratique, sans etre" vision dans un horizon - c'est un visage. Laparole est la pensee dans un visage. l'origine de la verite est dansl'enseignement. Le visage est condition de verite.

. La r~!s~n c'est le maitre. L'enseignement n'est pas une simple~lS~ ~ Idees en, no~s. L'enseignement comme ma'ieutique estJustlfi~ parce qu elle <f. 51 > monrre le role du disciple dans laconn~lssance. On ne peut pas enseigner an'imporre qui. Mais larheorie de la ma'ieutique meconnait le role du maitre dans I'en­seignement. Socrate se sous-estime. En realite le maitre et led~sc~ple co~ptent, car le maitre est toujours aussi disciple et le~lscl~le toujours maitre. La pensee se fait dans le dialogue deI e~selgnement. Nous sommes a priori non pas devanr les idees,mars en :ac~ ~'un maitre. L'en soi de la verite nest pas presenteedans la remllllSCence, mais dans le visage. Cetre presence de I' ideedans la parole du maitre et cette substantialite de la veritepa: ~a~ presence d~ns la parole du maitre - nous l'appelon~preC1s~ment.son VIsage. Cette facon pour la parole de ne pasdevenir objet sur un horizon, mais en elle-rnerne de

/ ,n~ pas e~.o~cer une chose, mais une idee - nous l'appelonsralson. {Lldee dans ce sens - mais dans ce sens seulernenr _ estincarnee

d. } L'enseignement est Ie rapport avec la raison comme

visage. La raison est un visage: {elle n'est pas un ensemble de~rincipe<s> ~ormule<s>, c'esr ce aI'egard de quoi] on ne peuterre ~ue face a face avec elIe. On ne l'enseigne pas, c'est eUe quienseigne. HIe ne se devoiIe pas logos, eUe parle. [EUe devoile}

Parole et Silence222

Page 49: Parole Et Silence - Levinas

a. Ce passage rature sera repris, et modihe, a la fin du feuillet suivant. Autrement dit, dansune precedence version de la conference, le feuillet 53 suivait directement le feuillet 51, com mele montre encore le fait que Levinas a ecrit sur le feuillet 53 le nurnero « 52 » en surcharge dunurnero « 51 » (rappelons que le feuillet 19 est pagine atort « 18 », ce qui donne done, dans notre

transcription, « 53 » au lieu de « 52 »).b. Faut-illire, comme plus haut, « depasse » ?c. « fais » en surcharge de « suis ».d. « accroche » en surcharge de « fi<xe> ».e. La majuscule de ce mot est incertaine.f. Il faut retablir le « que», ou alors ne pas lire le premier mot de cette phrase.g. Un trait vertical au stylo-bille aencre bleue dans la marge de gauche (le reste du feuillet,

excepte les ajouts, ratures et surcharges, ecrits au stylo-plume aencre noire ou au stylo-bille aencrebleue, est ecrit au stylo-bille aencre violette), souligne, semble-t-il, la phrase suivante.

h. « C'est » en surcharge de « Le vi-csage > ».

225

a. « enfoui » en surcharge de « <xxxxxx> ».b. « se place» en surcharge de « est».

perception - mais rapport avec le visage, par-dela le jeu de 1'en­foui" et du devoile.}

, L~ notion de devoilement est en effet ernpruntee ala vision. Ledevollement est en effet {se rerere a} I'etre en general dans 1'ouver­ture de qui I'etant apparait, L'idee du devoilement continue unetradition platonicienne ou la place du maitre se placeb {se trouve}

ent~e !es ?ommes e: ~e,qui est superieur au maitre. En placantl~ revela~l~n de l~.v~nte c.omme verite non pas dans une pure etsimple VISIon de 1Idee rnais dans la parole enseignante du maitre,ne retrouvons-nous pas l'idee de .vou<; 1to<t>rp;tKo<;14 d'Aristote ?

<f. 54> Rien n'est superieur au maitre. Au sommet ne se trouvepa~ l'idee ec1ai~an~e.du Bien, ce soleil intelligible, mais un dieuqUI parle. La definition de la pensee par Platon montre son carac­tere dialectique - dialogue silencieux de I'ame avec elle-merne ­elle fait abstraction du langage comme invocation comme rela­ti~n avec l~ substance dans laquelle la realite peut' apparaitr;-;;SOl, malgre le mouvement dialectique - relation grace a laquelleIe mouvement dialectique lui-meme est possible: il va d'inter­locuteur a interlocuteur et non pas de I'arne a elle-rnerne. Car latheorie platonicienne de l'ecrir, qui ne peut se defendre enonceen realite que la question de celui qui ecoute fait par:ie de lapensee de celui qui parle. a) L'insuffisance du texte ecrit peutcertes tenir a la rnediocrite de la pensee qu'il exprirne, mais alors~a ~resence de l' auteur n'y <f. 55> ajoute rien. b) Elle peut tenira I'insuffisance de 1'expression, a son infidelite a Ia pensee. Maisquelles sont alors les chances que la question de celui qui ecouterap~roche rexpression de cette pensee ? 11 faut don.c supposer queIe dl~logue est ~ne fOrme rndicftlement nouvelle de 1ft comprehension {la pensee elle-rneme, une forme radicalement nouvellede la comprehension}. La question de celui qui ecoute fait partiede 1'expression de celui qui parle. La pensee dans sa pretention ala verite n'est concevable que comme fixee dans la parole qui se

Parole et Silence224

J,a peasee absolue est iasepftrftble du verbe eateadre. C'est cette

anion de a

<f. 52> La raison est la condition du rapport direct avec unobjet, toujours {passe et} depasse dans la perception et dans laphilologie. La raison c'est l'elevation de l'objet a l'idee, lei l'objetest ce quil est<,> -cce> qu'il signifie. Le rapport direct n'est pasen effet la representation d'un objet - deja depose" - mais la paroleadressee a Autrui present dans le visage. C'est en recevant un ensei­gnement que je fais" ea face. Je ne peux voir le maitre de profil.Autrui en tant qu'autrui c'est le maitre. 11 cesse d'etre un objet, nonpas parce qu'on lui decouvre une nature tres difference de l'objetmateriel et de la chose, mais parce qu'on peut 1'entendre parler;on est accroche'' a ses levres, il n'est que face. La Raison, c'est ce quiparle - Logos - et celui aqui on parle, par « dessus la tete » deschoses, par-dessus l'erre rnerne, 1'histoire et la folie de la raison.

On n'enseigne pas la raison, c'est elle qui enseigne. Elle ne sedevoile pas - logos, elle parle. Elle devoile. La pensee absolue estinseparable du verbe entendre c .> C'est" cette union de <f. 53> lapensee et du verbe - cette presence de la pensee dans un maitre,Elt*f nous {l'}appelons visage". C'esr'' le visage qui est le moded'existence de la verite et non pas .le devoilement ernprunte a lavision. [Lidee dans la raison n'est plus rapportee. Commence­ment absolu elle parle absolument - On ne la manie pas, on ne ladepasse pas, on I'ecoute. L'enseignement n'est ni reminiscence, ni

Page 50: Parole Et Silence - Levinas

a. « Tout enseignement doit etre oral. L'ecrit est une verite visible de ... » est ecrit au style­plume aencre noire en surcharge de « L'ecrit est une verite visible de ... », redige, comme le reste

du feuillet (a 1'exception des ajouts), au sty.1o-bille aencre violette.b. Ce qui precede est ecrit au stylo-plume aencre noire (le reste du feuillet, a1'exception des

soulignements, est ecrit au stylo-bille aencre violette). 11 est possible que ce passage reprenne,peur-erre en le modifiant, un passage qui se trouvait probablement sur la partie inferieure duprecedent feuillet, que Levinas a dechiree. Initialement, le feuillet cornmencait par « d'existencedu Zuhandenes, c'est » (ecrit au stylo-bille aencre violette), incipit que Levinas a rature puis reprisdans le passage que nous supposons avoir ete recopie - raison pour laquelle nous ne l'avons pas

retranscrit.c. « un », ecrit a1'encre noire, en surcharge de « au ».

d. Un trait vertical dans la marge de gauche souligne la phrase qui suit.

tourne vers un regard - direct absolument. (II faut {se} tournervers la verite {de} toute son arne, dit Platorr'") et c'est precisernenrce qui depend de la parole du maitre exposee aux questions. Laparole du maitre permet de regarder la verite en face. {On ne peutavoir en face qu'un visage}. Tout enseignement doit etre oral.Lecrit est une verite visible de" profil seulement - deja. ramenee a.1'homme qui par<1e> la parle mais precisement - pas a. 1'hommesubstance, <f. 56> mais a. 1'homme recouvert de tous ses objectifadjectifs, vehicule d'une influence et des influences, signifieesdans des mots, devenant simples ustensiles. (Notons en passantque lorsque Heidegger dit dans Sein und Zeit que le langage a lemode d' existence de Zuhandenes, c'est" textuellement un" passagedu Cratyle quil reprend'"). Nous nous trouvons des lors non pasdevant des idees, mais devant les idees comme jeu de forces intel­lectuelles que nous mesurons. La pensee prend les dimensions deschoses finies - elle perd 1'infini de son absolu dans la parole du

A Q Amaltre .uant au maitreQuant au maitre je ne peux le voir de profil. Mais cela nous

arnene a. affirmer que toute parole n'est pas parole. Seulle maitreparled • La parole quotidienne et la parole insuffisante des profes­seurs qui ne sont pas maitres, ce sont deja des ecrits, Ce sontdes ustensiles. La philologie y est inevitable. Le maitre se recon­nair a. 1a qua1ite de son <f. 57> a. un enseignement qui consisteprecisement dans sa resistance a la philologie, dans la possibilitede se laisser entendre de face, a. etre recu a. partir d'un visage.

a. « qui » en surcharge de « que »,

b. « du » en surcharge de « le »,

C. « Dieu monotheiste », ecrit, comme la quasi-totalite du feuillet, au stylo-bille a encreviolette, a ete en partie tronque par la dechirure de la partie inferieure du feuillet, et reecrit ala

plume al' encre noire.d. « innombrables », ecrit au stylo-plume aencre noire, en surcharge, semble-t-il, du merne

mot ecrit au stylo-bille aencre violette.

227L'Ecritet l'Oral

Di~a-t-on que nous divinisons le maitre? Mais cette objectiondoit nous permettre precisemenr de fixer le dernier point de cetexpose. Dieu seul parle en effete Dans la mesure ou autrui meparle - c'est-a-dire dans la mesure oii je parle a. autrui - Autruiest ~ie.u. Je ~e divini~e pas autrui, c'est au contraire la categoriedu d!~1~ ~ S1 t~ut~f01S on peut po~er le divin comme categoric- 9!!! derlve du Dialogue. La relation avec le visage - ou un etreou plutot un etant sans m'apparaitre est en relation avec moi endehors de toute propriete ou attribut - OU il est en relation ~vecmoi mais demeure en soi - c'est-a-dire demeure sans entrer dansla connaissance - relation qui est precisernent parole - c'est cetterelation que nous proposons d' appeler religion. Le Dieu mono­t~eisteC se revele par la parole. <f. 58> Il depassetous les paga­rusmes, non pas parce que en lui le Parfait s'occupe des hommes,mais parce qu'il donne au divin la situation exceptionnelle de1'interlocuteur, le caractere absolu de la parole.

Seul Ie maitre parle. Mais dans la mesure ou la parole vivantefait notre situation dans le .rnonde et marque nos rapports avecles hommes - tout n' est pas philologie dans nos rapports avec leshommes. L'attitude morale est la reconnaissance de la maitrised'autrui en tant qu'autrui. Entendre « tu ne tueras point» enregardant les visages des hommes, c'est deja. sortir de la philo­logie. Autrui est toujours en quelque facon rnon maitre, je voistoujours le visage en autrui. Mon rapport avec les hommes est a. lafois philologie et philosophie. Dans la vision kaleidoscopique deces profils innombrables" ou les hommes sont toujours objets etpittoresques - oii je les observe comme mecanisme psychologique<f. 59> comme une comedic humaine -luit touiours son visage.

Parole et Silence226

II

Page 51: Parole Et Silence - Levinas

C'est alors qu'il m'apparait comme divin par quelque cote et qu'ilest pour moi - en soi - etre moral que je ne peux tuer.

C'est donc la parole et la parole comme enseignement ­c'est-a-dire saisie non pas comme un signe s'adaptant a. une

pensee - mais comme une pensee s'adressant a. quelqu'unet presentant un visageinvoquant autruic'est donc daBs la parole ainsi comprise quia s-accomplir la

veri te er la societe.

229L'Ecrit et l'Oral

Non pas par 1'amour, toujours pitie et jouissance et par lequel, lacreature est invoquee dans son neant, mais par la parole quia. l'aimee peut dire l'amour lui -rnerne, Hechequi transperce l'amourIui-merne et par laquelle 1'homme est Dieu pour 1'homme.

Parole et Silence228

La societe est le present de l'enseignement et non pas le passede I'ecrit.

Tout 1'acquis de la civilisation depose dans les ecrits - etdont certes la parole entre hommes se nourrit - ne serait rien si1'homme ne voyait pas Ie visage de 1'homme.

En subordonnant l'universalite des institutions et de 1'histoire- a. I'eternite du logos

eremite decrite precisernent par 1'absolu du verbe magistral­on apercoit la subordination de la politique a. la morale.

<f. 60> La politique n'est certainement pas une deformationdela morale, ni un minimum de la morale. Elle est dans ses insti­tutions fixees en lois par les ecrits, le destin d'une liberte qui n' estpas eschatologique - qui ne s'elance pas d'un seul bond vers la findu temps - mais qui se repose sur ses ceuvres devenues sa condi­tion, comme 1'homme qui vit dans la maison qu'il s'est construit.La liberte humaine connait la suspension des epoques, c'est-a-direun temps historique.

Mais a. chacune de <ses/ces i » epoques, elle est liberte, c'est-a.­dire sortie de sa condition par l'invocation d'autrui.

a. « qui » en surcharge de « que »,

Page 52: Parole Et Silence - Levinas

que j'ai cree rnerne si comme Pygmalion, je devais voir revivremon oeuvre. Mon fils est done un etranger qui n'est pas seulernenramoi, mais qui est moi. Ou encore c'esr moi qui dans 1'enfant suiserranger a moi. La fecondite n'indique pas tout ce que je peuxsaisir - mes possibilites - mais tous ceux que je peux devenir. Ellen'annonce pas un avatar nouveau - c'est-a-dire en fin de compte,une histoire et des evenements qui peuvent advenir a -un residud'identite, a une identite tenant a un fil tenu", a un moi qui assu­rerait la continuite des avatars. Et cependant la feconditeest !!!QQ

aventure et, par consequent, dans un sens tres nouveau, rnalgre ladiscontinuite, mon avenir. C'est que la notion du moi doit etrerepensee a partir de la fecondite et non pas etre maintenue dansla structure de la position d'un moi puissant et s'affirmant par lapuissance. Car la fecondi te < ,> relation avec l' avenir, par-dela lepossiblec.> n'est pas seulement en soi{,} visible uniquement a1'historien et, par consequent, du dehors{,} visible toujours commeun passe. La fecondite vecue dans la paternite est un recommen­cement de soi, - par soi et pour soi{,} mais sans le retour de soia soi. Sans ce retour oii le pouvoir s'elancant vers la nouveautedu possible retombe sur sa vieillesse et son ennui, retourne auMerne, au definitif de son passe auquel1'avenir du possible s'estdeja soude comme un Destin.

318 Parole et Silence

La Metaphore

a. Lire « tenu ». Le passage correspondant dans Totaliteet Infini, op. cit., p. 245, est egalementfautif, puisqu'on lit encore « tenu ».

-

Page 53: Parole Et Silence - Levinas

Notice sur La Metaphore

Manuscrit range dans une chemise sur laquelle Levinas a ecrit :« La rneraphore College philosophique le 26.2.62 ».

Outre Ie manuscrit de la conference, cette chemisecontient d' abord une page du journal LeMonde date des 25-26 fevrier1962, sur Iaquelle figure l'annonce de la conference de Levinas. Ontrouve ensuite quatre feuillets ranges dans un feuillet cartonne plieen deux: le premier, ecrit au stylo-plume aencre bleue, contientune bibliographie ; les trois suivants, ecrits au stylo-bille a encrebleue (Ie rneme, semble-t-il, pour ces trois feuillets), contiennentdes notes sur la rnetaphore. Celles-ci ne sont pas preparatoires alaconference que Levinas prononca en 1962, puisque le feuillet 4 estune lettre administrative recue, datee du 28 aofit 1972 dont Levinasa utilise le verso vierge, mais plutot asa redaction ulterieure, Dansla mesure OU le debut du texte de la conference reprend manifeste­ment, en les modifiant, ces notes, on peut penser que oe manuscritcorrespond a cette redaction ulterieure. II serait done posterieurd' au moins dix ans ala conference elle-merne, asupposer toutefoisque la date indiquee ala main sur cette lettre ecrite a la machine,seul element de datation dont nous disposons, ne soit pas fautive.

Le manuscrit de la conference comprend 30 feuillets deformat 21 x 27 cm (a l'exception du feuillet 30, qui est une carted'invitation double), manuscrits (f. 1-10 ; 14-17 ; 20-24 ; 30) etdactylographies (f. 11-13 ; 18-19; 25-29). L'ensemble, ecrit avecdifferents instruments d'ecriture, est pagine au crayon rouge.

Page 54: Parole Et Silence - Levinas

La MetaphoreCollege philosophique

le 26-2-62a

<Notes> b

<f. 1> La metaphore indique un transfert de sens. Le sens fr-tH.:lobjet quelconque offert d'un terme quelconque s'offrant dans Ietheme d'une pensee, glisse vers un autre sens le sens d'un autreterme ef s'unit alui {s'assernble avec lui} grace a la ressemblancequi se montre entre ces termes. La metaphore qui s'est produiteainsi et qui s'exprirne dans le langage etablit entre {rapprocheraitpar analogie} etres, objet, et situation-c ,» eH-:fd. actes c.» ef rela­tions, ef structures, generaliteC ou formelles, de la <pense <e> >{de genre ffi:l et de forme}<.>

Mais si dans la rnetaphore ne s'entendait que l'appel dusemblable par le semblable, en quoi la metaphore enrichirait-ellela pensee ? <f. 2> On pourrait certes se dernandersi la ressem­blance n'est pas deja une nouveaute et si elle est ladcause ou l'effet

a. Ecrit sur la couverture de la chemise dans laquelle se trouvent les feuillets de la conference.b. Ces notes figurent sur deux morceaux de feuillets irnprirnes dont Levinas a utilise le verso

vierge et un feuillet imprirne recto plie en deux dont il a utilise l'un des volets vierges (il s'agir,pour le troisierne feuillet, d'une lettre administrative recue, datee de 1972, if supra, notice). L'en­semble se trouve dans un feuillet cartonne plie en deux.

c. « generalite » en surcharge de « generales ».

d. « la » repete deux fois.

Page 55: Parole Et Silence - Levinas

La Mitaphore 325

<f. 1> lOLa rnetaphore indique - selon sa signification erymo­logique - un transfert de sens."~ s'opererait "[Ce sens' glisse­rait d'un terme al'autre grace a} la' ressemblance aressemblance

de la rnetaphore. Mais il y a dans la rnetaphore une elevationsernantique, le passage d'un sens elementaire et terre aterre aunsens plus nuance et plus noble, un miraculeux surplus. Commela conceptualisation - a moins que la conceptualisation ne soitqu'une rnodalite de la metaphore - celle-ci semble apporter uneamplification a la pensee - une emphase _a {Elle en} hausse'' seft

ffift {Ie} ton, l"epurec<,> eE le sublime'!-c,» tout en lui laisse" Ie[sen] contenu ante anterieur certes son contenu initial mais letransfigure'.

<f. 3> Elle semble avoir recueilli dans le sensible et le concretdes significations qui depassent l'experience. Mouvement de lapensee est mouvement sans rester mouvement, le « poids d'untemoignage » n' est <plus ?> <pe <santeur > ?> est poids etpesanteur sans etre la pesanteur calculable.

<Conference>

a. « - » en surcharge, semble-t-il, de « , ».b. « hausse » en surcharge de « haussant ».c. « l'epure » en surcharge de « l'epurant »,

d. « sublime» en surcharge de « sublimant ».e. « laisse » en surcharge de « laissant ».f. « transfigure » en surcharge de « transfigurant ».g. « . » en surcharge de « , ».h. Levinas avait d'abord ecrit « s'opere ». II a complete le mot, ecrit au debut all stylo-bille a

encre noire, au stylo-bille aencre bleue.i. « Ce sens » est saris doute posterieur au reste de l'ajout. II est ecrit au stylo-plume aencre

noire, tout comme d'ailleurs « . » en surcharge de « , », juste avant le passage rature « teqnd: iopbrerarr-» dans lequel la premiere rature est egalement au stylo-plume aencre noire -, quand laplupart des aut res ajouts sont au stylo-bille aencre bleue, le texte initial etant, quant alui, ecrit austylo-bille aencre noire. Levinas avait donc d'abord eerie : « ... un transfert de sens, lequel s'operede ressemblance aressemblance. », puis « ... transfert de sens, lequel s'opererait d'un terme l'autregrac~ a... » ; il a ensuite substitue « glisserait » a « s'opererait » et, pour finir, il a rernplace lavirgule avant « lequel s'opererait » par un point, puis rature « lequel » et, enfin, ajoute « Ce sens ».

j. « la » en surcharge de « de ».

cl(p.~,( e;fk

« La Metaphore », feuillet 1.

Page 56: Parole Et Silence - Levinas

326 Parole et Silence La Metaphore 327

{ee:tre qui existe entre ces termes.} Elfe {La metaphore] consis­terait d'abord a etablir des rapprochements entre etres, objets etsituations qui revelent une analogie.

Mais s'il n'y avait pa dans la metaphore que l'appel dusemblable par le semblable, on ne verrait pas tres bien le role dela metaphore peur dans la pensee.

En fait le rapprochement rnetaphorique pretend apporterquelque chose de nouveau a la pensee qui s'y livre, la mener plusloin oir' lui faire entendre plus que ce qu'elle entendait d'abord.{Et d'ailleurs des lors on peut se demander si la ressemblance{n'est pas deja une nouveaute, et par consequent si elle} est causeou effet de la metaphore.Hba quai consiste cette nouveaute ?}b.

{2°}C {En quoi consiste la nouveaute de la rnetaphore]Sans que cela soit implicitement contenu dans son etyrnologie,

il y a dans la metaphore une elevation de sens [semanrique}, lepassage d'un sens elemcntaire et terre a terre a un sens plus nuanceet plus noble-c,» un miraculeux surplus.

<f. 2> Comme la conceptualisation - mais peut-etre plusradicalement encore (a moins que la conceptualisation ne soitqu'une espece de meraphore) - la metaphore {semble} indi­quer une amplification de la pensee, [une emphase} haussant, enquelque fa~on, le ton, s'epurant et se sublimant, tout en demeurantdans Ie contenu meme dont elle part et qu'elle transfigure. De sorteque la metaphore pretend recueillir dans le sensible et le concretdes significations qui depassent I'experience. « Mouvement de lapensee » reste du mouvement tout en n'etant plus mouvement.

<f. 3> 300C'est cetteamplificationqui domine incontestablement,dans le phenornene de la rnetaphore, l'association par ressemblance

a. Lire « ou », ou alors comprendre : « plus loin, la OU elle pourra entendre... »,

b. Ajout distinct du precedent. Celui-ci, ecrit au stylo-bille aencre bleue, figure dans l'in­terligne ; celui-Ia, ecrit au stylo-plume aencre bleue, est a la suite du texte principal (ecrit austylo-bille aencre noire).

c. « 2° », ecrit au stylo-plume aencre noire (1'ajout suivant est au stylo-bille aencre bleue, le texteprincipal est au stylo-bille aencre noire), est un ajout posterieur (cf.plus loin, le feuillet 3 : le nurnero« 3 », ecrit au style-plume aencre noire, est en surcharge de « 2 », ecrit au stylo-bille aencre noire).

d. Cf note precedence.

que l'on voit en elle. {laquelle La ressemblance elle-rneme n'appa­rait dans la rnetaphore que comme une elevation du sens}. Lorsquecette ressemblance est le theme explicite de la pensee - comme dans« Tel pere, tel fils» ou « La terre est comme une orange »1 ou « cesyeux sont bleus comme Ie ciel » -la rnetaphore semble avoir perdusa force de suggestion. n II faut, pour que larnetaphore ait uneforce de suggestion poecique-c,» que le rapprochement soit bienentendu moins facile et qu'a la fois soienr' conscients I'eloignementet la proximite comme, comme quand nous evoquons sous la rnerneconstruction verbale des ordres differents de la realite. « Les sa~gf~tsYlongs des violons de l'automne »2 <.> Un" debordement de sens seproduit dans les termes rapproches < >C.

<f. 4> Mais le transfert de sens peut s'enferrner dans l'ety­mologie du mot et devenir a tel point insensible que le termemeraphoriquement employe semble avoir perdu tout caracterernetaphorique. Ici la metaphore ad opere jusqu'au bout son charmeet a" installe, une fois pour toutes, la pensee a un certain niveau.

C'est le propre de notre langage le plus <terf?> banal {usuel ;}comme {c'est aussi le propre du langage} le plus abstrait. « Seporter bien, elever des enfants, faire des economies », {maisaussi} tout comme transcendance, substance, accident et meta­phore {dans une rnetaphysique purement verbale} Ce sont desmetaphores. Tous les mots de notre langue sont l'effet des innom­brables mutations metaphoriques de l'histoire et laissent cepen­dant l'impression de termes pris dans un sens litteral. [Meis Lametaphore est-elle absolument oubliee ? On peut se Ie demander­Et--s.f. si elle ne coincide pas avec le sens lui-rneme, et si aucun dit"n'est entendu s'il n'est pas emphatique}.

a. « soient » en surcharge de « soit ».

b. « Un » en surcharge de « Le ».

c. Mots illisibles en raison de la dechirure du feuillet acet endroit.d. « a » en surcharge de « a».

e. « a » en surcharge de « a »,

f. Levinas avait sans doute pense ecrire « terre a terre ». Cf Carnets de captioite, suivi de Ecrits

sur fa captiuite et Notes pbilosopbiques diverses, op. cit., p. 236.g. « dit » en surcharge de « dire ».

Page 57: Parole Et Silence - Levinas

328 Parole et Silence La Metaphore 329

Ma-is- bla {Sa} puissance metaphorique se reveille <f. 5> quandleur interpretation erymologique commence ou quand un auteursait utiliser un terme a la fois dans sa signification" etymologiqueet derivee.

C'est done ceC deplacement de sens qui La Iitterature est deslors indispensable a la signification - elle consiste a reveiller{rallumer} les metaphores qui sommeille dans Ie erem sommeilleeteinte-cs> au fond d'un langage devenu systerne de signaux.

<f. 6> ~u Mais la rnetaphore ne dort pas seulement au seinde tous nos mots dont elle a marque revolution semantique,Lad rnetaphore pett ¥e peut fixer fe son propre mouvement en leposant dans l'absolu. La sublimation ou le superlatif ou la trans­gression des limites, la transgression, le transfert, la negation trU

liett -Ie transport de l2h la rnetaphore au lieu de jouer entre deuxsens - est posee au-dela de toute condition {limite}. Cetre Tellesdes" expressions comme au-dela, plus loin que tout ... Peut-etrele terme neant est-il l'effet fr-.Hfl:e de la' purification rnetapho­rique d'un contenu. Certains termes philosophiques commetranscendance, comme au-dessus de I'etre, peut-erre Dieu - ceg

sont des rnetaphores par excellence. Ici 1'usage de la rnetaphorepretend au sein de la pensee conduire au-dela des limites de lapensee.

~=----<f. 7> 4°Le probleme philosophique de la rnetaphore revienta la possibilite qu'aurait le langage - ffHl:i.sh d'exprirner ou d'en­tendre au-dela de la mesure de la pensee. Le problerne de l'em­phasei.

a. « La » en surcharge de « leur ».b. « signification» en surcharge de « <de? >, sans doute le debut d'un mot. Levinas pensait

peut-etre alors au mot « derive» qui termine la phrase.c. « ce » en surcharge de « le ».

d. « La » en surcharge de «Je »,

e. « des» en surcharge de « les », ou 1'inverse.f. « de la » en surcharge de « d'une ».

g. « Ce » en surcharge de « so-cut ?> »,

h. La rature de ce mot deborde vers la gauche et couvre, semble-t-il, un tiret.i. « Le problerne de 1'emphase » est ecrit au stylo-bille aencre bleue, et a sans doute ete ajoute

posterieurement ala redaction de cette page, ecrite au stylo-plume aencre noire.

Ce qui suppose certes 1° qu'il existe une mesure exacte de etune limite de la pensee (let} cela" q-:t:H peut etre rnontre d'unefa~on tres precise)-c,» 2° qu'il existe un sens simple ou Iitteral quele sens figure de la metaphore permet precisernent de depasser,

Si enfin le sens simple ou litteral ne peut etre depasse que parla rnetaphore, le langage OU se produit la metaphore ne seraitpas un simple appendice ni un simple instrument de la pensee,mais une intentionalite originale ou la pensee sort d'elle-merne<f. 8> dans un sens eminent, plus radicalement que dans l'inren­tion rnerne de la noese au noerne. {Comme s'il pouvait y avoir uneintentionalite menant au-dela de toute intentionalite.]

Ma-is- lIb faudra {seulement} voir dans quel sens le langage est-il<sic> le lieu de la rnetaphore ;c et" en {particulier} si la rnetaphoreabsolue - celIe qui permet de dire au-dela ou {qui perrnet de dire}transcendance, se situe dans le langage de lameme manierequela metaphore de toute signification verbale - fut-elle celle d'unlangage que" l'on se tient, sous forme de monologue, a soi-merne.

<f. 9>f La meraphore est-elle de la pensee ?g

a. Levinas avait d'abord ecrit « ce »,

b. « II » en surcharge de « il ».

C. Levinas a transforrne un point en un point-virgule.d. « et » en surcharge de « Et »,

e. « que» en surcharge de la lettre « m ». II est hasardeux de conjecturer ce que Levinas avait

I'intention d'ecrire.f. Leverso, egalemenc manuscrit, contient une version anterieure du feuillet 7, barree d'une croix:« 4 Le problerne philosophique de la metaphore revient, amon sens, ala possibilite qu'aurait le

langage - et d'une facon plus generale {a la possibilite qu'aurait] l'activite culturelle d'exprirnerou d'entendre - au-dela de la mesure de la pensee. Ce qui suppose certes {le}qu'i] existe une mesureexacte et une limite {qui tient ptecisCtnent connne} de la pensee {(cequi peut avoh une significationttts ptecise)}{(ce qui peut etre montre d'une facon tres precisej}c ,» {2e

} quil existe un sens simpleou litteral que le sens figure de la rnetaphore permet {precisernent} de depasserl.] ee qui {enfin-qne{Si, enfin} Ie sens {simple ou litteralj] ne peut etre depasse que par la metaphore ; {cet ?>} qne-parconsequent {Ie langage ou la rnetaphore se produit -ooo-} dans (l'hwnanite de l'honnne se definitpat la cOlnpr€hension des significations {consiste a <xxxx > }lia spititualite hwnaine qui se tientpanni les significations il faut placer acGte de la pensee sans langage, ni eerit, ni Olal dont parleFlaton dans la 7e lettte, une pensee qui est plus que pensee et qui serait attestte. pat la InetaphOlt.{n'est pas un simple annexe appendice ni un simple instrument de la pensee, mais une intentionaliteoriginale oii la pensee sort absolwnent d' elle-merne dans un sens eminent, plus radicalement quedansque dans 1'intention qui mene de la noese au noerne}. » Le chiffre « 2e

» est en surcharge duchiffre « 4 », amoins que ce ne soit 1'inverse. L'emplacement de certains ajouts est incertain.

g. Cette phrase est entouree d'un trait.

Page 58: Parole Et Silence - Levinas

a. « La » en surcharge de « la »,

b. « n'y » en surcharge de « n'e-cst» »,

C. « Deja. » est peut-etre un ajout posterieur,d. « pas» en surcharge d'un mot ou des deux premieres lettres d'un mot illisible.e. Le verso, egalement manuscrit, contient le texte suivant, dont le premier alinea semble etre

une version anterieure du § 2 et le second une version anterieure du debut du § 5. Cette page estbarree d'une cancellation en croix:

« La metaphore indique selon sa signification etymologique - un transfert de sens et, enmerne temps, (sans que cela [soit] marque dans son etymologie) une elevation de sens, le passaged'un sens elementaire et rerre-a-terre vers un temps sens plus <xx> raffine et plus noble: unesublimation. »

3° A l'egard de ce mouvement dans la signification - nous sommes invites a.une attitude dereserve, a.laquelle la critique kantienne n'est [cerres] petIt'=etre pas etrangere. Beta: {Mats} Socrate,eerres, [n'epargnait certes pas son ironie} twas a appris Wit a enscignClllent de l'itonie a l'cgard~ /-dn?> pOCkS<cbloai ?> <utivrc> {a. <en surcharge de « de ».» la rhetorique} dont iltllontrelc vide dinqaant des poCtes et des <tllcta<phores> ?> {dont les eclats ne sorrt [tiennent] peut-etrequ'au <xxxxxxx> [qu'a} la rnagie}. » Le chiffre « 3° » est en surcharge du chiffre « 5 », a.moinsque ce ne soit l'inverse.

f. « dissimule » en surcharge de « dissimulen-ct» ».

5° Deja a regard du mouvement metaphorique qui deplace lesens d'un mot, nous sommes invites a une attitude de reserve alaquelle La" critique kantienne n'y" est certes pas etrangere.'Dejac

Socrate n'epargnait pas" son ironie a la rhetorique dont les eclatsne tiennent peur-etre qu'a la magie des metaphores,

Mais c'est Kant qui nous a mis en garde contre les espoirs de lacolombe qui s'attend a voler plus aisernent dans le vide que dansles airs", II est vrai qu'il y fallait plusieurs centaines de pages desa dialectique transcendantale - plus qu'une cervelle d'oiseau nepouvait contenir. Mais depuis lors nous savons qu'il ne suffit pasd'avoir conscience de penser pour veritablement penser. La demys­tification, en tout cas, est a l'ordre du jour. <f. 10>e II s'agit detordre le cou a l'eloquence", de degonfler les boursouflures designes separes des chases, de dejouer les prestiges des mots pouraller aux choses elles-mernes ; mais il s'agit aussi de denoncer larnetaphore dans la legende dont s'est vetue l'histoire, {il s'agitde la denoncer} dans les diversions ou se cachent les complexesde notre psychologie, tie {il s'agit de la denoncer dans} la culturequi dissirnule' les dures lois du deterrninisme economique ; il s'agitde denoncer l'illusion transcendantale de la raison elle-meme.

a. Feuillet dactylographic recto avec interventions manuscrites.b. Phrase precedee d'un crochet qui demande de faire un alinea,c. 11 convient de ne pas lire cette particule de negation.d. Phrase precedee d'un crochet qui demande de faire un alinea, En outre, dans la marge de

gauche, devant cette phrase, on lit: « La signification sans monde. Les voies d'acces ne constituent

pas encore la signification. »

331

Ne pas etre dupe de metaphores - telle est notre reactionpremiere devant la rnetaphore des que nous quittons le domainede la poesie ou elle jouit d'un privilege unique.

<f. 11a> «Dactylogramme» Dans LeJardin d'Epicure5, Anatole

France ramene a sa signification pretendument concrete la propo­sition « l'esprit souffle ou il veut » dont le sens litreral semblaitpourtant si simple. Et cela indiquait a regard de la rnetaphoreune attitude de dernystificarion.

Ici, le precede qui consiste a aller de la metaphore vers laverite, s'inspire de l'atomisme d'un Dernocrite. Du faux pres­tige de la rnetaphore, il faut revenir a la morne pluie d'atomes,Les donnees de sens seules sont simples et vraies et tout Ie resteest Iitterature. Mais Platon n'aurait pas desavoue la denoncia­tion de la metaphore, rnalgre sa propre maitrise en la matiere et{malgre] son rnepris pour les simples donnees de sens. Quand ilchasse les poetes de la Cite, c'est a leur pouvoir rnetaphorique sanscontrolel.} quil en veut. Le problerne n'est pas pose quant a lasignification et a la verite propre des prestiges eux-mernes. L'exis­tence du sens Iitteral et simple des mots ne fait pas davantageprobleme". La signification se constitue a partir des qualites et desdonnees sensibles ou ideales, c'est-a-dire a partir d'une intuitiondroite [dirigee} sur les objets~ {Rs- Ces objets} ne constituentpas entre eux un champ que l'on appellera un jour Ie monde et ouils ne sont rien sans les perspectives par ou on accede a eux tffi{,et oii] ils ne' se cachent f*S" et fie se revelent f*S" mutuellement ;mais se situent comme {ils se logent encore} dans un espace eucli­dien, chacun visible tout entier et pour soi". {D'ailleurs} Cettedenonciation de la metaphore ne repese {concerne} pas seulementSHf une theorie du sens qui veut [ou on} arrives a la significationeft {a} partant {partir} d'elements strictement figes dans leur sens

La MetaphoreParole et Silence330

Page 59: Parole Et Silence - Levinas

a. Phrase precedee d'un crochet qui demande de faire un alinea.b. « dans » en surcharge de « a».

C. Feuillet dactylographie recto avec interventions manuscrites.d. « les » en surcharge de « ces »,

e. « L'on » en surcharge de « I'on ».

f. « primordial» en surcharge de « plus primitif »,

g. Soulignement dactylographie (cf plus haut, note d).

333La Metaphore

parle de correspondances - Rimbaud a pu faire le sonnet de voyelles",Dans une analyse des comparaisons horneriques (M. Snell, La Decou­verte de l'Esprit - je cite d'apres Lowith") fait <f. 13>a remarquer quelorsque dans I'Iliade on decrit l'attaque d'une phalange ennemie etlorsqu'on dit qu'elle a resiste comme un rocher sous Iels] ressac de lamer ondes - il ne s'agit pas necessairement de transferer sur le rocheranthropomorphiquement un comportement humain ; c'est le rochersous le{s} res5a€ ondes qui se prete a signifier la resistance humaine,car celle-ci s'interprete ici a son tour d'une fa~on petromorphiqueb

2.

semblablement au rocher. La resistance n'est apres tout ni le privi­lege du rocher ni celui de l'homme, mais une signification qui s'ac­complit et humainement et non-humainement, de sorte que l'expe­rience de l'un signifie et eclaire l'autre. Deja M. Minkovski" a montrecomment les termes, comme apres ou comme devant<,> n'ont ni unsens spatial ni un sens temporel et comme{nt] la signification dominela distinction que nous faisons entre les diverses regions de l'etre.

Tout objet, rnerne dans la simplicire de son sens elemenraire- est donc deja signifiant a partir d'une signification qui n'estpas Iimitee a cet objet et sa signification a lui est donc deja meta­phorique. M. Dufrenne dans son {recent} livre sur la notion' {d'}A priori' a rnontre le role de ces significations {dans} qu'il appelled'ailleurs a priori {dans I'experience quotidienne et scientifique.}<Fin du dactylogramme» .

<f. 14>d 7° D'ou, dans un mouvement diametralement opposea celui d'Anatole France, I'idee de la priorite du sens figure par

. a. Feuillet dactylographie recto avec interventions manuscrites.b. La premiere lettre du mot est en surcharge manuscrite d'une lettredifficilement lisible.c. « notion » en surcharge de « note ».

d. Le verso, egalemenr manuscrit, contient sans doute une ancienne version du feuillet 10 dela conference. Le texte, dont le debut se trouve au verso du feuillet 15 (cf. infra), est barre d'unecancellation en croix :

« revetue I'histoire, la metaphore des sublilnatioils {symboles} eir-s dans <en surcharge d'unmot illisible» lesquelles se subliment -cIe/ les i » complexe, la rnetaphore de la culture qui dissi­mule le determinisme economique ; 1'illusion transcendantale de la raison -cjotrerrr ?>: dms--±el'abscilcc d qui cst la 1l1ctaphViC qu qui est la rnetaphore de I'entendement,

Le droit que l'on aurait adenoncer la metaphore, sans sans peser {prendre au serieux] la signi­fication positive de cette sublimation, de ce transfert ».

Parole et Silence332

Iitterall.]" elle s'etend {On denonce la rnetaphore} aussi dans" l'ex­perience psychologique culturelle et historique - en admettantpartout des donnees statiques dont l'essence <f. 12>C se definit etse fixe d'une facon statique et univoque {definitif non depassableet identique}. C'est la psychologie des images cerebrales du passe,c'est I'histoire separee de la legende et reduite a des collocationssimples et univoques {de faits.}

6°- Or rien n'est plus discutable que cette {notion de} signifi­cation litterale des termes a laquelle la metaphore seule apporte­rait une fausse transcendance.

En realite le sens simple des mots ne se fixe que dans un contexte,et par consequent le mot n'est pas un simple nom d'une significationunique, mais reunit un jeu de significations possibles. Le mot tablea-t-il son sens litteral en indiquant le meuble oii 1'0n mange, unbureau ou 1'0n ecrit, les" repas que 1'0n prend-, ,» {quand on dit latable chez Mme X est detestable}. Chaque possibilite se fixe en fonc­tion du contexte et, par consequent, est a son tour metaphoriquel.]par elle meme{,} se debordant {en elle-merne} en divers sens. Lon"aurait tort de preter a certaine signification plus habituelle un sensprimordial'. Il n'est pas exact de supposer qu'un visage rayonnantd'une femme soit {seulement} ressemblant a une journee de mai{laquelle serait} rayonnante par excellence {primordialement}.N'est-il 'pas plus possible {plausible} que de tels termes se laissenttransferer", deviennent metaphoriques precisement parce qu'ils nesont pas plus specialernent limites a aucune des regions particulieresd'objets, mais qu'ils contiennent precisernentl.] d'ores et dejal.]cette rnultiplicite de significations qui s'appliquent et s'accornplis­sent dans diverses directions. C'est bien dans ce sens que Baudelaire a

Page 60: Parole Et Silence - Levinas

a. « a » en surcharge de « au »,

b. « l'evoquer » en surcharge des premieres lettres illisibles d'un mot.c. II faut probablement lire « ou »,

d. « le » en surcharge de « la ».

e. Le verso, egalemenr manuscrit, contient une ancienne version du feuillet 10 de la confe­rence. Le texte est barre d'une cancellation en croix:

« Mais c'est Kant qui nous a mis en garde contre ¥envot-de les espoirs de -c« de » en surchargede « des »> la colombe qui s'attend avoler plus aisernent encore dans le vide que dans les airs.Ii ne suffit plus d'avoir conscience de penstt pour penstt vCtitabltt11ent. {II est vrai qu'il y fallaitplusieurs centaines de pages de la dialectique transcendantale<,> pottr plus qu'une cervelle d'oi­seau ne peut contenir. Mais desorrnais nous savons qu'il ne suffit pas d' avoir conscience de penserpour penser veritablernent.]

Quoiqu'il en soit, La <en surcharge de « la ».» dernystification est ie-grcmdal'ordre du jour c.»II s'agit de "prendre l'Cloquence et de lui tordre le cou {a I'eloquence"} - dans lc langage ,

d'abord, au eHe cst {a la} boursouflure des signes liberes de tout rapport avec les choses. II s'agitde pourchasser la metaphore qui s'obtient pas pur effet de langage, sans concours de pensee et quidonne l' < « l' » semble-t-il en surcharge de « une ».» illusion de la pensee. "Aller aux choses elles­memes", c'est percer l'ecran des mots.

Mais il s'agit de la legende dont s'est «la suite se trouve au verso du feuillet 14. Cf supra> »f. « . » en surcharge de « , »;

rapport au sens litteral ou simple laquelle {lequel} ne seraittfl:l£ {pas}la presence pure et simple d'un objet devant la penses.Le monde serait signifiant a partir du langage et le langage neserait pas un ensemble de noms ou un systeme de noms designan­un ensemble d'objets presents a la pensee. Le mot ou le discoursconsiste non pas a evoquer un objet {par un signe}, mais aa1'evo­quer" d'emblee en tant que ceci ou cela, c'est-a-dire en tant quesignifications - Le transfert Ceci en tant gue cela ou' la metaphor­n' est pas la modification apportee a -l:lfl:e--Si. une signification quisoi-disant existerait en dehors de tout langage ; la metaphorsqui aborde ceci en tant gue cela~ [serait} le phenornene premierde la signification. Et d'ailleurs led signification ceci et le celasont deja des significations a leur tour - de sorte <f. 15>e que, aaucun moment, il n'y aurait de naissance premiere de la significa­tion a partir d'un monde etre sans signification. Les significationsne naissent pas d'une pensee visant d'abord de simples correla­tifs de I'intuition.' maf.s {Elle} renvoie deja aux significations. Etde cela temoigne Platon Iui-merne dans le Cratyle rnalgre toutela me fiance tlefl:.f {que dans} la 7e lettre il manifeste a la pensee

a. « ecrit » en surcharge de « ecrite ».b. « : » a, semble-t-il, remplace « . ».C. Le verso, egalement manuscrit, contient un texte correspondant aune version anterieure de

la conference. Le texte est barre d'une croix:« Notre expose n'aura donc pas pour theme l'analyse ni <en surcharge de « et »> la classi­

fication des meraphores comme figure de style et ni la dassincation ni l'appreciation de <ensurcharge de « des »> leur <en surcharge de <sa ?» valeur esthetique et expressive. Sans rnecon­naitre l'utilite d'une telle recherche pour le sujet qui nous occupe ici, nous ne pouvons qu'a <sic>nous attaquer ace sujet plus directement.

II concerne : la portee du <en surcharge de « de »> la phenornene rneme de la metaphore dansla cm11pr€hens pensee et la source de son <en surcharge de « sa »> miraculeux <en surcharge de« miraculeuse ».» surplus. »

d. « commun » en surcharge de « commune »,

e. « : » est probablement un ajout posterieur,f. « elle » en surcharge de « lui ».g. « comme » en surcharge de « -csi ?> »,

h. « pelent » en surcharge de « pelaient ».

335La Metaphore

liee non seulement ala pensee {au langage} ecrit", mais rnerne aulangage oral :b lffi±s les noms donnes aux dieux revelent~dans l'etymologie leur signification rnetaphorique!" ~-\ la functiondu nom,

La rnaniere dont la metaphore se produit dans le langage (erdont I'evolution semantique porte ternoignage) ne consiste pasa rapprocher des termes organiquement lies dans un systemede parente metaphorique telle qu'elle se reflete dans l'evolutionsemantique, n'est pas davantage le transfert d'un sens identique atravers <f. 16>c une multiplicite comme si <xxxxxx> une racine[un sens leur erair} cornmun" :e {de I'idee de} porter ne traversaittous les mots quip se refere-cnt» a elle' : rapport, support, impor­tation, comporter, porter un costume, etc. <sic>. Les diversessignifications. s'affirment dans une parente mais qui n' est pas oiiune signification surgit dans I'autre par une veritable participa­tion, comme" si chaque signification pelait en quelque facon enlaissant se detacher d' elle d' autres significations {semblables aelle} (}fti {Elles} ne la reproduisent <pas> pas comme des enfantset comme ... si [Et} ces nouvelles pelures, toutes fines qu'ellesetaient, pelent" encore, laissant tomber de nouvelles significa­tions et que ces feuilles mortes de la signification recouvraienttoutes les avenues du monde. {Biffures de Michel Leiris}!'.

Parole et Silence334

Page 61: Parole Et Silence - Levinas

336 Parole et Silence La Mitaphore337

:Qe La priorite du sens figure par rapport au sens dit simple- tela est le grand motif {et la grande force} des ~tymologies

heideggeriennes. II s'agit de remonter du sens concret et plat duterme, designant souvent son essence technique, vers une signi­fication procedant de toute une situation et qui ramasse en elleles possibilites d' objets nombreux qu'elle laisse se manifester <. >

<f. 17> dans des regions multiples ase manifester80b Sic la rnetaphore ne comporte pas de sens {absolument}

simple - si tout sens est- {n'est} simple {que} relativement - on peu-f

{est porte a} chercher afuret: considerer comme sens simple du reeleelui qui decrit l'insertion de l' action technique Stlf crdans le reel.Tout le reste serait litterature ou rnetaphore. Le sens s-:i-m:plereel du mot, comme Ie sens vrai du reel, serait la signification qu'ilprend pour l'action. Dans la langue ce be sens simple du motbe mot soustrai II s'agirait par-te des lors par tous les moyens desoustraire le mot ala metaphore en creant la terminologie scienti­fique ou algorithmique. Dans I'interpretation du reel, il s'agirait"tout autant de remonter vers I'aspect" ffite <-te-?> par lequel ellele reel s'offre a l'action ou exerce une action: en psychologie {onramenera le reel a} ce apartir de quoi on guerit - les complexespsychanalytiques fondamentaux sont le reel dont il faut denoncerles <f. 18>£ -cdacrylogramme» metaphores ou la sublimation,dans la culture est reel ce apartir de quoi on peut la maitriser oul~ modifier - la structure sociologique ou economique ou poli­rique - tout le reste etant superstructure ou metaphore.

Cela aura ete le grand merite de Bergson et de la phenorneno­logie que de denoncer le caracrere en apparence evident de cetteidentification entre realite et Wirklichkeit, en montrant le caracterernetaphorique de la designation technique de l'univers. Aucun

a. « tel » en surcharge de « telle ».

b. Numero de paragraphe ajoute posrerieurernent (il est ecrit au stylo-plume aencre bleue lereste du texte, excepte la plupart des ajouts, est au stylo-plume aencre noire). '

c. « Si » en surcharge de « Ou ».

d. « s'agirait » en surcharge de « s'agit »,

e. « l'aspect » en surcharge de « le »,

f. Feuillet dactylographic recto avec surcharges manuscrites.

privilege ne saurait etre accorde a l'interpretation. tec~nique e~aucun privilege ne peut etre accorde au langage sClentlfique qUl

ressort [ni-rnerne sur le fond de rnetaphores.Ainsi" done, loin d'apparaitre comme un phenomene excep-

tionnel du langage, comme une figure de style entre autres - lametaphore - deplacement de tout sens vers un autre, coincide avecle phenomene merne du langage ou de la signification. Le langagene serait pas un ensemble de noms designant des essences des choses,des acres et des relations ni rnerne des noeuds de relations materia­lises dans un symbole - ce qui n'aurait pas change cependant lafonction de « designation » de noms attachee au mot. Le langageest un systeme nouveau par rapport a celui gu'on aurait voulu voirdans la structure intentionnelle de la pensee - OU chaque penseeest pensee de quelque chose. Le langage, c'est le fait que ce gui estpense, ce noyau vise signifie, c'est-a-dire est deja depasse dans safixite, est en tant gue guelgue chose d'autre - est par consequentrnetaphore. Le fait que route signification signifie dans un contexte,ou comme le dit Heidegger dans un monde, n'est pas le resultatd'~ne accumulation, d'un amoncellement d'objets particuliers mais

la structure propre de leur devoilementb

<f. 19>( 9° Toutefois, le raractere universellement metapho-rique du langage et de la signification atteste, ipso facto, la depre­ciation de la transcendance inscrite dans la rnetaphore. L'au-delarneme qui s'annonce en elle ne represente pas, pour le langage, lepassage a ['alterite entierement autre, car ce serait une abstraction,une sortie hors du contexte{,} que 1'universalite de la metaphoreconstate precisernent. L'universalisation de la metaphore est unecondamnation de la transcendance. Des lors, la metaphore ne peutpas devenir une parole avec un Dieu. Cette metaphote ne reha­bilite que l'art - une transcendance de jeu, non pas une trans­cendance reelle''. La transcendance qu'ouvre 1'art et d'une fac;on

a. « Ainsi » en surcharge de « Autrui ».

b. Levinas a mis cet alinea entre crochets droits manuscrits.c. Feuillet dactylographie recto avec interventions manuscrites.d. Un trait vertical dans la marge de gauche souligne les deux phrases suivantes.

Page 62: Parole Et Silence - Levinas

338 Parole et Silence La Metaphore 339

generale la culture - demeure rnetaphorique au sens ou I'on dir« ce n' est qu'une metaphore -c » >. Car cette rnetaphore n' empechepas le retour a I'existence technique." - La vie artistique ne detruirpas l'enracinement de I'existence dans I'ici-bas de l'economie et dela technique{.} Ellebpretend {en} epuiser sa signification. Elle finitpar la perception du salaire, par les soucis de la vie quotidienne,comprise dans son sens Iitteral, Elle demeure par consequent unetranscendance de pur jeu - quels que soient le prix et l'ornementque ce jeu ajoute a la vie simple, a la vie au sens litteral et surlaquelle nous comprenons aussitot <sic>. Ce caractere purementjoue de la transcendance s'accorde avec la denonciation des meta­phores comme au-dela ou comme Dieu. <Fin du dactylogramme.,

<f. 20> Que d' [Une} autre forme de signifiance que celle dulangage et de la culture sei-f {n'est-elle pas} possible? - Nous lepensons en effete

Ne donne t elle pas lieu a {Elle ouvre} une transcendance quin'est pas seulement iouee, mais qui determine des lors I'economie{et la technique} elles-rnemes EfH:i- {Celles-ci} cessent de jouerle role de significations ultimes de I'etre~ dont on ne s'evadeque par ±a l'art mais pour y retourner imperturbablement {quandon redevient serieux] et pour y exercer I'art lui-meme commeprofession.

II existe la transcendance morale et religieuse" qui ne peuten aucune fa~on prendre la signification d'une profession-cprophete ?>d !

<f. 21 >ewu La signifiance - des significations verbales et'culturelles - fie SftU e ne luisant que dans le monde - reste tribu-

a. Un trait vertical souligne la fin de l'alinea.b. « Elle » en surcharge de « qui ».

c. « religieuse » ensurcharge de « religion ».

d. Ce mot, difficilement lisible, ainsi que Ie point d' exclamation, sont ecrits en plus petitscaracteres, en bas adroite du feuiIlet, sous le mot « profession », er sonr peut-etre un ajout.

e. Le verso, egalement manuscrit, contient quatre lignes appartenant probablement a uneancienne version de la conference. Elles sont la suite d'un texte dont le debut se trouvait sur unautre feuillet qui n' a pas ete conserve:

« non pas parce qu'on l'exerce atitre d'amateur mais parce que ces <deux i » -cinterrompu» »,

f. « et » en surcharge de « - ».

taire de la vision socratique de l' intelligence ou I'interlocuteur nejoue que le role d'accoucheur d'arne et ne peut introduire dansI'ame rien de ce qui ne s'y trouve pas deja. L'ame ne peut y rece­voir que ce qu'elle possede deja - €ee que ce dont en fin de compteelle est capable.

<f. 22> C'est pourquoi d'ailleurs a-t-on pu dire que le langagedit essentiellement I'etre. De par la copule-c ,» le langage dittoujours ce qu'il en est. Or l'etre est la notion I immanente parexcellence, celle que I'ame retrouve toujours en elle-rnerne, commesi elle en etait l'auteur.

Mais le langage - non pas comme un monologue que l'on setient impersonnellement a{et qui dit l'erre se revelant dans lesrnetaphores}«,» ne comporte-t-ilpas une autre intention {tl:flautre transport qu}- qui n'est pas culturelle, qui est erhique dansla mesure ou elle <men<c> ?> {est soulevee par un transport quimene} avant tout vers autrui par dela le monde ?a

<f. 23> Mais le langage non pas comme un monologue queI'on se tient irnpersonnelle' - et qui dit l'etre se revelant dans lesrnetaphores - ne comporte-t-il pas une autre intention qui n'estpas culturelle, qui est erhique dans la mesure au elle est souleveepar un transport qui par-dela le monde rnene vers Autrui ?

<f. 24> La significationParce que I'on part de la rnetaphore qui dit l'etreNous devons maintenant nous deman-cder» si lab pensee {ne}

peut elle-se {pas} transporter" au-dela du sens qui lui est fami­lier ?d

Est elle metaphorique ? {Ne} Peut elle {pas} contenir plusEfH£ {Mais le langage comme dirige vers autrui n'a-t-il pas} une"capacite pour accueillir du nouveau? li moins de s N'est elle pas

a . Cet alinea est barre par deux traits obliques.b. « la » en surcharge de « La ».

C. « transporter » en surcharge de « transformer »,

d. Tout ce qui precede dans ce feuillet est barre par des traits obliques.

e. « une » en surcharge de « sa ».

Page 63: Parole Et Silence - Levinas

340 Parole et Silence La Metaphore 341

comme l'a voulu {II n'est plus comme la pensee pour} Platone j,

vouee aux souvenirs {et a. la reminiscence}? N'est elle pas {Esta

mteb--&es€ II n' est pas} irreductiblement {Lapensee n' est plus irre,ductible'l mernoire. En effet, [Et] epouser' un sens qui excedsla pensee, c'est precisement {est ce toujou n'est plus des lors la}transformer en vieille habitude cette excessive aventure <SiC>d. fucomme Ie dit Baudelaire dans Ie poeme qui termine LC:f FI8#1":f dNMdt « Ah ! que le monde est grand a. la clarte des lampes ! Auxyeux du souvenir que le monde est petit! »12 eE One connait l'in­vocation de la mort sur laquelle se termine ce poerne, [ultirne desFleurs du Mal. L'invocation de} comme la seule rupture possibledu cercle enchante du deja. connu, comme de la seule porte del'inconnu et -cdu i » nouveau, de l'unique rnetaphore.

<f. 25 >f -cDacrylogramme» 11° Nous parlons en effet de latranscendance de l'au-dela, du surnaturel, de l'absolument autreet par-dessus tout de Dieu, terme de l'analogie qui reunit toutesces expressions, et nous opposons precisement a. la notion qui estsignifiee par tous ces termes, la notion de l'immanence. f.i:vonsnous done connaissance de ce qui deborde la connaissance. (?)Ce qui est designe par ces termes n' est pas un contenu €f"H:el­conque. La visee de la pensee ne concerne pas ici le transcendantou le surnaturel eux-rnemes, mais seulement la transcendance dutranscendant, ou la supernaturalite du surnaturel ou l'alterite del'autre. Ce qui est vise dans ces intentions de la pensee c'est Iemouvement rneme vers I'au-dela - et {d'ailleurs} si un contenu

a. « Est» semble-t-il en surcharge de « est».b. « Elle » en surcharge, semble-t-il, de « elle », En outre, la rature ne permet pas de voir s'il

y a un tiret entre « Est » et « Elle »

c. Levinas semble dans un premier temps avoir surcharge le « e » minuscule d'une majusculepuis, dans un second temps, avoir recrit une minuscule (peut-etre apres avoir rature les deuxpremiers mots de la phrase, « En effet », et les avoir rernplaces par « Et »},

d. Devant ce qui precede dans cet alinea, une accolade devant laquelle est ecrit le chiffre « II »,

Devant tout ce qui suit sur cette page, a partir de la citation de Baudelaire, une accolade devantlaquelle est ecrit le chiffre « I », II faut donc, a la lecture, inverser l'ordre de ces deux parties dutexte.

e. « On » en surcharge de « on »,

f. Feuillet dactylographie au recto avec interventions manuscrites.

venait a. correspondre a. ce mouvement, c'est-a-dire a. l'arrererl.} ilentrerait dans I'humain, l'immanent et le naturel et l'humain ­il dernentirait aussitot la transcendance merne de ce mouvernent".Mais l'au-dela a un sens{,} meme s'il n'est pas un contenu surlequella pensee bute comme sur un objet. Ce mouvement ultimeau-dela de route position - necessaire a. la pretendue constructionde I'idee de l'au-dela. - ne peut pas etre construit a. son tour. Savoirquand on est {tout enferrne] au dedans qu'un dehors existe, trans­porter a. l'ensemble du monde la suspension d'affirmation possiblea. I'interieur du monde, appliquer a. l'ensemble de I'etre la nega­tion possible a. I'interieur de l'etre - transformer une metaphorerelative" en un transport absolu - est un geste de pensee irreduc­tible{,} que Descartes a appele I'idee de l'infini. Mais ce passage a.la limite et de au-dela de la limite{,} suppose un tout autre ordrede signification que celui du langage disant I'etre.

II faut d'abord en reveler le caractere oriente. L'infiniment quipermet a. la metaphore de depasser toute limite a une <f. 26>csignification toujours positive sans qu'il soit possible de luiconcevoir de correspondance negative. L'infiniment petit est posi­tivement infini, un de plus en plus ...d Nous voudrions montrerla structure de conscience dans laquelle peut apparaitre ce surplusdans le moins.

12° La rnetaphore - le transporte qui permet d'apprehenderun sens depassant la capacite du penseur - suppose t:le:ac un autreordre de signifiance que celui de significations se traduisanten mots. L'ordre de significations se traduisant en. mots - nousl'avons decrit. C'est l'ordre de la culture, ordre de l'etre adequat a.

a. Devant ce qui suit, un crochet qui demande sans doute de faire un alinea.b. Dans l'interligne, commencant juste au-dessus de ce mot, cet ajout peu lisible et difficile

a placer, ecrit au stylo-bille a encre bleue (les autres ajouts sont au style-plume a encre bleue) :« toutes ces <xx> -cxxxxxxxxx» la genese de la transcendance sont deja -cinformee / infirrnee ?>par elle »,

c. Feuillet dactylographie au recto comportant des interventions manuscrites.d. Tout ce qui precede dans cet alinea qui commence a la fin du feuillet precedent est entre

crochets droits manuscrits.

Page 64: Parole Et Silence - Levinas

342 Parole et Silence La Metaphore 343

la pensee et par consequent souvenir dans" cette pensee, toujourscapable de se retourner sur son passe, ordre du monde en rant quejeu de significations qui fait luire la signification acomprendre,{signification} comprise toujours par son concret merne dans lecontexte .de signification. l'autre ordre de signifiance - capable

,,) de la metaphore absolue{,} depassant la capacite du penseur estl'ordre qui rend seulement le langage des mots possible - qui estcelui ou luit Ie visage meme auquel se tient Ie langage.

La signification de 1'interlocuteur en tant qu'interlocuteurn' est pas une signification com me celle que traduisent les mots,n'est pas- metaphorique comme le sont les significations quiconstituent le monde - quelle que soit la {et cela bien que dansune large} mesure dans laquelle autrui appartient a 1'ordre dumonde 6e-pftf {par}le role qu'Il y joue,~ {bien} que sof.fla partde fa « recitation de role» soit grande dans le discours par lequelje reponds a la [cette} signification {mondaine} que 1'interlocuteur a pour moi en tant qu'interlocuteur.

Mais reFEe {la} signification de 1'interlocuteur en tant qu'inter­locuteur tranche sur sa signification mondaine. Et c'est <f. 27>bdans la mesure ou elle y tranche, dans lamesure de son abstractionmerne que je lui tf.ea.s parle". Tout langage est langage d'hommeahomme{,} dans 1'abstrait qui rompt 1'histoire. Le transport estici tout autre chose que la comprehension. Et c'est ace transportqu'il convient de reserver le sens absolu du mot rnetaphore.

Mais il ne suffit pas de poser la signifiance de 1'interlocuteurcomme celle d'un Tu apparaissant au Je. Elle est susceptibled'une description phenornenologique plus complete. Commentcette signification peut-elle a la fois signifier et ne pas etre enve­loppee par 1'intellection ?

8i en abordant l'interlocuteur nous entrons dans un autreordre de signifiance, c'est que Lad relation avec 1'interlocuteur ne

a. « dans» en surcharge rrianuscrite de « de ».b. Feuillet dacrylographie avec interventions manuscrites.c. « parle » en surcharge de « parole »,

d. « La » en surcharge de « la ».

revient pas {pour le Moi} a se maintenir comme un moi domi­nant son interlocuteur, eta le retrouvant en soi comme Hfl: {a titrede} souvenir. Ne pas re [C'est en cela que nous avons ici afaire aun nouvel ordre de signifiance} {Mais ce ne pas re}trouver autruien soi - prend un sens positif : [c'est} etre mis en question parl'~Ai:utre {lui.}

La mise en question du Moi b par 1'Autre, se precise ason tourcomme une sommation de repondre. Non pas que le Moi prenneconscience de cette necessite de repondre, comme s'il s'agissaitd'une obligation ou d'un devoir dont il peut decider, Il" est danssa position meme de part en part responsabilite. Et la structurede cette responsabilite montrera en quoi Autrui dans Ie visage,interpelle de tres bas et de tres haut en ouvrant la dimensionmeme de l'elevation.

Etre Moi devant 1'interlocuteur signifie des lors ne pas pouvoirse derober a la responsabilite. Au lieu d'aneantir le Moi, la miseen question le rend solidaire d'Autrui d'une fa~on incomparable etunique. Non pas solidaire comme la matiere est soli- <f. 28>d dairedu bloc dont elle fait partie ou comme un organe de 1'organismeoii il a sa fonction. Le Moi est solidaire du non-moi comme si toutle sort de l'Autre etait entre ses mains. Et le fait que personne nepeut repondre arna place est precisernent l'unicite du Moi". Ici larelation avec ce qui est exterieur - avec la signifiance d'Autrui ­est en tant que responsabilite trop urgente pour laisser le tempsde se retourner {pour se ressouvenir ou pour reflechir sur soi.} 1a

. l' A ' • • • 1mise en question du ~{Oi par ~i:utre, n est pas initia ement unacte de re6exion OU Ie ~{oi ressurgit glorieux et serein. L,a mise enquestion de soi est un altruisme total. Ce qui veut dire qu'Autruidans cette relation est infiniment plus que Ie ~{oi qui lui repond

a. « et » en surcharge de « car ».

b. « Moi » en surcharge de « Merrie ».

c. « 11 » en surcharge de « il »,

d. Feuillet dactylographie avec interventions manuscrites.e. Devant la phrase suivante, Levinas a place un crochet ouvrant qui demande sans doute de

faire un alinea.

Page 65: Parole Et Silence - Levinas

344 Parole et Silence La Metaphore 345

et qui repond de lui. a L'Autre~ provoque {donc} un'' mouvementerhique dans la conscience, {Ie seul qui puisse} ef-Eti:H- dereglelr} labonne conscience de la coincidence du Moi avec lui-meme dansle souvenir.' {La responsabilite pour 1'autre} comporte un surcroitinadequat a l'intentionalite. A cause de ce surcroit inassimilable,nous avons appele la relation qui rattache a lui le Moi, idee de1'infini. Lideede 1'infini est la rnetaphore par excellence. L'idee de1'infini consiste precisement et paradoxalement apenser plus quece qui est pensel.} ea-Ie-Ilelconservant cependant dans laddernesurepar rapport ala {de ce qui est} pense".' Lidee- de l'infini consiste asaisir 1'insaisissable en lui garantissant cependant son statut d'in­saisissable. s:il y avait dans {Si} I'idee de 1'infini, visee {visait d'unefacon} adequate de 1'insaisissable ou de 1'impensable, elle ne seraitplus idee de 1'infini <sic>. Et cependant si le surplus ou le surcroirinsaisissable ou impensable ne concernait en rien leh pensee visantun theme [Moi}, il n'y aurait pas eu davantage d'idee de 1'infini.

Notre analyse a essaye de montrer que la rnetaphore par excel­lence ou l'idee de l' infini{,} est de la signifiance erhique.

<f. 29>i Descartes {ne donne pas a I'idee de 1'infini de senserhique. II} fait €e£teS, la distinction entre « 1'intellection conformeala portee de notre esprit, telle que chacun reconnait <assez en>soi-rnerne avoir de l'infini-c,» et la conception entiere et parfaitedes choses, c'est-a-dire qui comprenne tout ce qu'il y a d'intelli­gible en elle<s>, qui est telle que personnen'en eut jamais »13.

Mais cette distinction pose le problerne plutot qu'elle ne le resout.L'idee de 1'infini dans 1'homme, serait-elle une visee partielle etimparfaite de cet infini ? Mais comment de 1'infini peut-il yavoir

a. Devant la phrase suivante, Levinas a place un crochet ouvrant qui demande sans doute defaire un alinea.

b. « un » en surcharge de « ce »,

c. « . » en surcharge de « , »,

d. « la » en surcharge de « sa »,

e. « pense » en surcharge de « pensee ».

f. « . » en surcharge de « : »,

g. « L'idee » en surcharge de « I'idee »,

h. « le » en surcharge de « la ».

i. Feuillet dacrylographie avec interventions manuscrites.

comprehension partielle ? Comment dans une partie s'annonce untout? Comment le theme vise par une pensee est-il brusquementdeborde sans que, ici-c,» la structure meme de la pensee en tantque relation avec 1'infini ne soit pas profondement bouleversee ?Dira-t-on que 1'infini peut affecter le Moi par le fait que le surplusinsaisissable aurait une presence symbolique {?} {Mais la presencesymbolique} ne s'explique elle-rnerne que par le bouleversementde I'intentionalite - par le fait que contrairement a la maitriseparfaite de 1'objet, par le sujet dans I'intentionalite, 1'Infini desar­conne son idee". Ce bouleversement consiste dans le fait que leMoi rec;oit absolument, apprend absolument, {(}non pas au senssocratique{)}, une signification quil n'a pas pretee], et} precedanttoute Sinngebung14

•b La relation avec l'infini qui met en question

mais appelle d'urgence au point de ne pas laisser Ie temps pourse retourner ni pour s'enfCrmer dans Ie prive n'est pas en effetune intentionalite mutilee, amputee de son pow/oir de reflexionou encore anterieure ala connaissance critique de soi. Elle est dansune certaine mesure condition de toute reflexion et de son mouvement contre nature. La pure reflexion ne peut avoir Ie premiermot dans la spontaneite d'une force qui va. {qu'il apprend dansson mouvement direct, dans son qui est d'ernblee obeissance, obli­gation et responsabilite - avant meme Seule une intentionaliteethique pee:se de la responsabilite pour Autrui concilie contientplus qu'elle ne contient et ne peut retour <ner> s'assimiler dans lareflexion car la relation avec Autrui a un caractere d'urgence quine laisse pas Ie temps de se retourner.} <Fin du dacrylogramme».

<f. 30> c

<Recto> I. II ne s'agit pas d'etude sur le langage.

a. Levinas a place ici un crochet fermant, qui demande peut-etre de faire un alinea.b. Il convient de ne pas lire « . », que Levinas a omis de raturer.c. Feuillet manuscrit recto verso. Il s'agit d'un faire-part de mariage plie en deux, que Levinas

a utilise deplie. Il a, semble-t-il, d'abord ecrit sur le verso vierge (au style-plume aencre bleue,certaines ratures sont au stylo-bille aencre noire) puis sur une partie du recto imprirne (au stylo­bille aencre noire). Le present feuillet porte le numero « 30 », ecrit, comme les nurneros des autresfeuillets de la conference, au crayon rouge.

Page 66: Parole Et Silence - Levinas

346 Parole et Silence347

La Metaphore

II. 11 s'agit de se tourner vers la metaphore dans la rnesure OUelle semble annoncer la possibilite pour la pensee d'aller au-delade sa capacite - de se trouver au-dela du point ou elle se trouve ­transcendance.

III. Premier examen : la metaphore au sens de comparaisoncomme structure de toute signification culturelle - etudiee dansla comprehension du sens des mots bien que culture soit collec.five (mais hors du dialogue - dans un monologue : parler a soi)

Caractere de jeu que conservent 1'art et la culture.Resultat : pas de transcendance ; au-dela purement relatif.

IV. N'existe-t-il pas de signification dans un autre sens et-q-H-i-a~> que celle qui se-lige s'apprehendait a travers les mots etdans les activites culturelles et oii le s'accomplit cette <pas- ?b>apprehension du plus par le moins ?

La « metaphore » dans la relation avec Autrui. Le langage enrant que comprehension nouvelle par rapport a la pensee 1'inten­tionalite qui bute sur 1'objet - ou rnerne qui 1'aborde a partir designifications (metaphore)« .>

Reprise de rna conference ala 8. F de Ph. 15

La rnetaphore = idee de 1'infini = Dieu est la rnetaphore desmeraphores et qui apporte le « transport » necessaire pour allerposer « absolument » les significations memes qui sont transgressees dans les metaphores du premier <se ?>

<Verso> La signifiance ethique - accomplit la pretention dela metaphore.

Ordre qui precede la culture, mais qui est deja au-dela desatomes-c.»

Platon LettreVII I 6

a. « qui» en surcharge, semble-t-il, de « que».b. 11 est difficile de conjecturer le mot que Levinas avait pense ecrire.

<Bibliographie>

F. K. Schumann: Gedanken Luthers zur Frage der Entmythologi-

sierung dans Wort und Gestalt, 195617

Snell, Die entdeckung des Geistes,~ 195518

Mauthner, Beitriige zu einer Kritik der Sprache 190119

• .

Stenzel, Uber den Einfluss der griechischen Sprache auf die phtloso-phische Begriffsbildung ('N. ]ahr. fiir «das > klassische Altertum

XXIV 19212°.1. A. Richards The Philosophy of Rhetoric, 19362

1.

a. La parenthese fermante manque.

Page 67: Parole Et Silence - Levinas

Appendice I

<La Signification>

Page 68: Parole Et Silence - Levinas

Notice sur <La Signification>

Ainsi que nous 1'indique le programme de l'annee universi­taire 1960-1961 du College philosophique, Levinas a prononce,le 28 fevrier 1961, une conference intitulee La Signification. Si l'ontrouve plusieurs manuscrits portant sur la signification dans sonfonds d'archives, aucun n' est expressernent identifie par Levinascomme celui de la conference en question. Nous disposons detrois manuscrits : 1'un est celui de deux conferences intituleesQuJest-ce que Ie sens ?, faites a Bruxelles a la taculte universitaireSaint-Louis les 16 et 17 janvier 1963 (et dont le texte sera large­ment repris dans 1'article de 1964 intitule « La significationet le sensa ») ; le deuxierne est tres probablement une versionpreparatoire ala precedence conference (bien des pages de celle-ciproviennent de celui-la) ; ~~enfin, le troisieme manuscrit (rangeavec le precedent dans une chemise) donne alire un texte proba­blement anterieur aux deux precedents, puisqu'il est compose enpartie de pages extraites du manuscrit de Totalite et Infini, maisnon sans lien avec eux, puisque ces derniers lui ernprunteront, enles modifiant, de nombreux developpements. C'est de ce manus­crit, qui ne comporte ni titre ni precision sur sa destination,qu'on lira ci-apres la transcription. Qu'il s'agisse, tout d'abord,du manuscrit d'une conference, cela est fort probable, puisquel'on imagine difficilement que Levinas ait pu envisager le reem-

a. Cf supra, preface, p. 40.

Page 69: Parole Et Silence - Levinas

ploi de sept feuillets du manuscrit de Totalize et Infini en vue d'unepublication, alors que ce reernploi en vue d'une conference estparfaitement credible. Mais il y a peu de chances qu'il s'agisse dela conference du 28 fevrier 1961. En effet, sauf a envisager unerecriture posterieure en vue d'une publication de cette dernierr-,le fait que certains imprirnes, au verso desquels Levinas a redigesa conference, datent de 1962 nous invite a l'exclure. Toutefois,en l'absence de certitude absolue, nous avons choisi de la donneralire en appendice.

Le manuscrit comprend 38 feuillets, pagines _au crayonrouge, manuscrits (f. 2- 5 ; 9-16 ; 19-22 ; 29) et dactylographiesavec mentions manuscrites (f. 1 ; 6-8 ; 17-18 ; 23-28 ; 30-38).Les feuillets dactylographies proviennent de deux ensemblesdisrincts : les feuillets 1 ; 6-8 ; 17-18 ; 23-24 (il s'agit du morceaude feuillet colle sur la partie superieure du feuillet 24)- ; 33-38,sont respectivement les pages (dont les numeros sont parfaite­ment lisibles) 1 ; 3-5 ; 6-8 ; 13-14 ; 16-21 d'un premier ensembleque nous n'avons pu identifier; les feuillets 24-27 ; 30-32 sontrespectivement les pages 47-50; 238-240 du manuscrit de Tota­lite et Infini.

352 Parole et Silence

<La signification>

<f. 1> «Dactylogramme» Qu'elle soit d'origine hegelienne,bergsonienne ou phenornenologique - la philosophie contempo­raine s'oppose a Platon sur un point au moins {fondamental} :l'intelligible n'est pas concevable en dehors du devenirqui lesuggere. II n'existe pas de signification en soi qu'une pensee auraitpu atteindre en sautant par-dessus les reflets deformants ou fidelesmais sensibles - qui rnenent vers elle. II faut traverser l'histoireou revivre la duree ou partir de la perception {concrete} et dulangage installe en elle pour arriver al'intelligible. Ce ne sont pasles obstacles qui nous en separent mais des voies qui nous y fontacceder, Plus encore! ce sont les voies uniques, les seules possibles,irrernplacables et impliquees par consequent dans l'intelligiblelui-meme. C'est une tendance anti platonicienne, {A} la lumierede la philosophie contemporaine et par contraste, nous compre­nons mieux maintenant ce que veut dire la separation du mondeintelligible par dela le sens mythique qu'on prete au realisme desIdees: le monde des significations precede pour Platon le langage[et la culture} qui l'exprime, il est indifferent au systerne designes que l'on puisse trouver pour le rendre present ala pensee.II domine par consequent les cultures historiques. {Pour Platon}ila existerait une culture privilegiee qui s'en approche et dont lesens consisterait precisernent acomprendre le caractere provisoire

a. « il » en surcharge de « II ».

Page 70: Parole Et Silence - Levinas

354 Parole et Silence Appendice I : <La Signification> 355

et en quelque fa~on {comme} puerile" des cultures historiques, ilexisterait une culture qui consisterait a. deprecier la culture histo­rique et a. coloniser en quelque fa~on le monde<,> a. commencerpar le pays OU surgit cette culture revolutionnaire hostile auxcultures, il existerait une culture qui consisterait a. refaire unmonde en fonction de 1'ordre intemporel des Idees <fin du dacty­logramme> <f. 2> comme cette Republique platonicienne quibalaye les alluvions et les allusions de 1'histoire, {comme} cetteRepublique EfH± d'OU les poetes sont chasses {dans la mesureprecisement ou ils imitent tous les discours au lie~ de <****>-cconrer ?> ce -csic»}. Le langage des poetes fonctionne en effetcomme Ie veulent les modernes. Non {non} pas pour conduire versdes significations preexistantes et eternelles - {ce qu'il appelle Ee

qui serait Ie discours {recit} simple - il n' est pas ce que Platonappelle a1tA~ btirYllcrt<; (Rep. 104 b) av dven ~t~ilcrEffi<;l , sans imita­tion} mais pour les imiter dit Platon ; mais l'imitation telle quePlaton la decrit ne reflete pas, mais suscite des significationsapparentees au langage poetique qui les {tous les discours directsavec leur particularite en se Iaissan-ct » [entrainelr} ainsi dans led {Ie} devenir des" langage cs» et de culture et pour les instaureraussi comme signification ouv:erte {innombrables avec leur parti­cularite <,> etrangete et ~ indignes bizarreries bizarreries desinnombrables cultures}.

Pour la philosophie contemporaine, la signification n'est passeulement un objet vise demeurant transcendant ou etrangera. la pensee qui le vise et au langage qui la <sic> designe <. >Le viser n'epuise pas ce{tte} langage pensee, comme le designern'epuise pas ce langage. La signification s'est est apparentee Rf{ec(a] cette pensee avec fa) ce langage dans Ie jeu du monde et <X'X>

fr <[n'] ?> est pas seulement correlative de la pensee et <f. 3> lapensee n'est pas seulement correlative du langage. Ils sont <x> semontren sont, de plus, apparentees' dans le jeu du monde, dans

a. Lire « pueril ».b. « des» en surcharge, semble-t-il, de « du »:

C. Lire, semble-t-il, « apparentes ».

cette histoire" fondamentale dont parle Merleau-Ponty. L'amourde la verite qui place la pensee en face de la signification se revelecomme un trouble incestueux a. cause de cette consanguinite de1'intelligence et de 1'intelligible Elafls {pris dans} le t-:iss-tt [reseau]du langage{, dans une pensee qui est expression en merne tempsque pensee]. L'antiplatonisme de la philosophie contemporaineconsiste dans cette substitution de la perception a l'intellect, et:

{substitution} {ordination de 1'intellect a. 1'expression er} qui seproduit - non pas pour aller {platement} du moins concret auplus concret, mais pour ramener le vis-a.-vis du sujet et de 1'objeta. une relation ou 1'objet soutient le sujet rnerne qui le vise - Ee

~ relation qu'accompli t::lofl.f qui existe comme corps humainCette relation nouvelle tranche sur I'intentionalite - oii desnoeme]s} <f. 4> courent parallelement aux noeses-c.» Le corps a.la fois sentant et senti, voyant et vu - est [un} sujet faisant partiedes objets et par consequent familier familier avec les objets {sujetqui est} connaturel a sesb objets dansc--sesd mouvements lesquelscependant porte repondant deja. par des mouvements a. I'objet{et par consequent deja. appartenant au monde noematique] ; ouinversement se mouvant da~s les au milieu des objets pour les voirseulement de sorte que chacun des mouvements du corps exerce"ipso facto une fonction transcendantale. Personne, mieux que laphilosophie contemporaine, n'a~ fait ressortir la fonctiontranscendantale de toute l' epaisseur concrete de notre existencecorporelle, technique, culturelle-c,» sociale et politique ; mais parla rneme, personne n' a davantage montre le melange de la relationtranscendantale avec les rapports physique cs s , technique-esc- etculturelles <sic> qui constituent le monde <f. 5> ou l'historicitefondamentale. Ces relations non-transcendantalesne saurai-cenc- t

desormais - depuis Merleau-Ponty - se reduire a la plate struc-

a. « histoire » en surcharge de « historicite ».

b. « ses » en surcharge de « ces »,

C. « dans » en surcharge de « par ».d. « ses » en surcharge de « les ».

e. « exerce » en surcharge de « a ».

Page 71: Parole Et Silence - Levinas

356 Parole et Silence Appendice I : <La Signification> 357

ture d'une rotalite economique ou causale, precisement acause dela fonction transcendantale EJ:Hi- dont ils" sont l' envers, comme lecorps engage qui ala fois se meut dans le monde et se represente

le monde".Quoiqu'il en soit' pour Iesphenomenologues, comme pour

les bergsoniens, la signification ne se separe pas de l'acces quiy rnene. L'acces fait partie de la signification elle-merne. Onne peut jamais tirer l'echelle. Alors que l'ame platonicienne, libereedes conditions concretes de son existence corporelle et historiquepeut atteindre les hauteurs de l'Empyree pour contempler lesidees alors que 1'esclave, pourvu qu'il <f. 6> <dactylogramme>entende le grec qui lui permet d'entrer en relation avec le maitre,pet:ff arrived aux memes verites que le maitre; les contemporainsdemandent a Dieu Iui-merne s'il veut etre physicien<,> de passerpar le laboratoire, par les pesees et les mesures, par la perceptionsensible et merne par 1'innombrable serie d'aspects dans laquelle1'objet per~u se revele. {Un Dieu « leibnizien ?> ne saurait

posseder la science}"<. >Quand Bergson se refuse aseparer le choix que l'erre libre aurait

afaire, de tout le passe de cet erre, quand il se refuse aadmettreque le problerne qui exige une decision puisse se formuler entermes abstraits et intelligibles sur lesquels n'importe quel etreraisonnable soit a rnerne de se prononcer - il situe 1'intelligibledans le prolongement de toute 1'existence concrete d'un indi­vidu. La signification de cette decision ne peut etre intelligibleque pour celui qui y a vecu tout le passe qui a mene {menant} acette decision. Me {La signification} ne peut etre comprise direc­tement comme une fulguration qui eclaire et chasse la nuit oiielle surgit et qu'elle denoue. Toute l'epaisseur de 1'histoire est

a. Lire, semble-t-il, « elles ».

b. Cette phrase est entre crochets et barree par une croix.c. « Quoiqu'il en soit » est mis entre crochets; devant ce qui suit, Levinas a ecrit le chiffre

« 2 » et trace un trait.d. « arrive » en surcharge de « arriver ».

e. Devant ce qui precede, un trait precede du chiffre « 3 »,

necessaire pour que la signification soit seulement apercue", -cCequi suit est barre par une croix> II est {certes} assez paradoxal deconstater que le pretendu realisrne platonicien de Husserl fut, enfait, une source de I'antiplatonisme de la signification que nousvenons de mentionner decrire. Non pas qu'un point essentiel duplatonisme n'ait domine sa pensee jusqu'au bout et nous le dironsen concluant. Mais une philosophie qui est partie de 1'affirmationdes essences et de 1'intuition des idees donneels] « en chair et enos »<, > {par dela le langage qui} n' atteignait ces essences que par« 1'intention » {vide} qu'est 1'intention signifiante, une philoso­phie {qui} annoncait en platonisant une grammaire universellea laquelle toutes les langues culturelles doivent participer - aabouti, a rattacher les signi- <fin du passage barre> <f. 7> fica­tions a l'experience sensible qui en assure l'acces - et chez lesmeilleurs de ses disciples - aimpliquer les langues historiques etprecisernent leur fonction signifiante, leur fonction de systemesde signes simplement orientant la pensee leur fonction diacri~ dans la presentation la plus complete que" soit, de ces signi­fications a la pensee. Des les « Log Unt » il etait entendu queles essences ne peuvent etre donnees que sur la base des donneessensibles qui leur servent d'exernple, il etait entendu que ce sontdes intuitions au deuxierne degre inaccessiblesdirecternent''. Lerapport d'exernple aidee est certes sui generis, mais le sensible estindispensable a I'acte qui transcende le sensible. -cCe qui suitest barre par une croix> Et dans une page rarement citee des Ideenen traitant de la superstructure scientifique, Husserl ne veut pasque 1'objet sensible indique l'independance quelconque de cettesuperstructure par rapport a lui'. L'objet sensible ne signifie pascomme un signe devenu inutile lorsqu'on trouve le signifie commeune borne placee au carrefour, est oublie quand la bonne directionest prise. L'objet sensible ne s'efface jamais devant la superstruc­ture quil motive et suggere. II est seion 1'expression de Husserl

a. Devant ce qui precede, un trait precede du chiffre « 1 ».

b. Lire « qui ».

Page 72: Parole Et Silence - Levinas

358 Parole et Silence Appendice I : <La Signification> 359

lui meme « signe de Iui-rneme »4. <Fin du passage barre> Toutl'idealisme transcendantal des Ideen I consiste a impliquer dansles objets les voies d'acces qui y menent. Parmi ces acces ne serangent pas seulement des intentions desincarnees semblables au« je pense » cartesien, mais aussi en quelque fa~on<, > les objetsmemes vers lesquels cet acces a ete fraye, Le monde concret danslequel nous vivons en tant qu'etres corporels et ce corps lui-rnemeassument" un role transcendantal. Ce role transcendantal assumepar {tout} ce qui semblait objet a I'idealisme clas- <f. 8> sique- est certainement 1'une des nouveautes de la phenornenologie­En meme temps que {comme} 1'affirmation du lien indissolublequi rattache la signification a la consideration et a la comprehen­sion de tout l'enchevetrement des relations concretes qui menentvers ces significations. Le monde concret et corporel est revetud'une fenctien de signes eu plus exactement d'une fonctionsymbolique, si on entend par symbole un signe qui signifie ce quiresterait inaccessible ou se peffi {perdrait} sans" ce signe -la rela­tion du poerne a ce qui dit le poerne et qu'aucune prose ne sauraitredire ; qu'aucune narration ne sauraitreprendre sans le fausser.Et des lors le rattachement radical d'une signification a la culturehistorique ou elle naquit est affirrne contre tout platonisme.

-cCe qui suit est barre par une croix> La signification repre­senterait done une facon pour le reel de se reveler. Mais le carac­tere signifiant ou intelligible de la signification ne tiendrait pas,comme dans les premieres recherches husserliennes, a la presencedu signifie en pleine lumiere - a sa presentation « en chair et enos » conformernent a 1'intention vide qui la vise ou qui aspire aelle et qui se trouverait cornblee par cette presence. Pour Merleau­Ponty« ,> la signification serait signifiante' precisernent par le faitde se presenter arravers un symbole et en debordant le symbole(qui est precisernent symbole par cette vertu de se laisser deborder).

a. « assument » en surcharge de « assurent ».

b. « sans » en surcharge de « sous »,

C. « signifiante » en surcharge de « signifiable »,

L'intention signifiante ne serait pas" des lors moins qu'une intui­tion qui vise 1'intelligible d'une facon directe. La significationserait plus qu'une realite purement donnee. C'est precisernent cequ'il y aurait dans la signification de signifie au dela du donne quiconstituerait l'intelligibilite de la signification. La notion merned'un immediat donne est une fausse notion, rien n'est <inter­rompu» <fin du passage barre er fin du dactylogramme>

<f. 9>b Le caractere signifiant ou intelligible de la significa­tion ne tiendrait donc pas, comme dans les premieres rechercheshusserliennes, a la presence en pleine lumiere du signifie, a sapresentation « en chair et en os » contorrnement a l'intentionvide qui la vise ou qui aspire a elle et qui se trouverait cornbleepar cette presence. D'apres Merleau-Ponty, la signification seraitsignifiante non pas parce qu'elle possederait la vertu de rassasier lafaim de I'intention symbolique, mais au contraire par le fait de' semontrer a partir du symbole lequel renvoie a un autre symbole. 11y renvoie en ce sens qu'il signifie de par sa difference par rapport aun autre signe - lesdifferences entre signes concernent la penseeavant I'identite de ces signes, laquelle ne se constitue que dansle jeu de ces differences. L'intentionalite a donc ici une struc­ture bien distincte : elle vise la signification a travers les ecartsentre signes, tout a l'oppose de la pensee qui toucherait en quelquemaniere les identites.

La pensee se detourne ainsi de sa propension en ligne droite,dessinerait par cette inflexion meme, la signification dont preci­sernent on ne s'approche que par cette fonction diacritique dusymbolisme ou un signe vise Iateralement un autre signe et nonpas du tout la signification elle-meme et ou <f. 10> se corrige atout instant la droiture simpliste de 1'intuition. C'est la 1'excel­lence et non pas 1'insuffisance du symbolisme. Semblablement auxhypostases plotiniennes - telles qu'elles descendent au moment

a. « pas» en surcharge de « plus».b. Ecrit au verso d'une lettre recue, datee du 26 juillet 1962.c. « de » en surcharge de « se ».

Page 73: Parole Et Silence - Levinas

360 Parole et Silence Appendice I : <La Signification> 361

de I'ernanation de 1'essence superieure, le langage des signes estdeborde comme par le trop plein.. Le symbolisme ne saurait donc en aucune facon passer pour uneintuition defaillante, pour le pis aller d'une experience separee dela plenitude de l'etre et qui, pour cela en serait reduite aux signes.Le signe n'est pas le raccourci d'une presence reelle qui lui preexis­terait, entrevue et oubliee et dont desormais le signe orienteraitla recherche et la reminiscence et dont il entretiendrait la faim.La fonction du systeme des signecs» fonctionnant diacritique­ment est positive. Le signe donnerait plus qu'aucune receptiviteau rnonde ne pourrait jamais recevoir. Le signifie est signifie pardela le donne non pas parce quil depasserait nos facon-cs» de lecapter - alors que nous serions prives d'intuition intellectuelle ­rnais parce que la signification est plus merveilleuse que ce que1'intuition <f. 11> rnerne divine pourrait jamais se donner etque, encore route a venir, en incubation-e ,» elle suscite les signesmeme-cs» qui dessinent le champs ou elle est signifiee. Signesdont elle est inseparable - ce qui veut dire signes dont le jeu estla production ou la poesie merne. La signification ne preexiste pasaux signes comme dans le realisme. Elle n'est pas dans le passe,elle est dans l'avenir, elle appelle ces signes du fond de son cceur,Ou plus exactement, elle est dans un passe qui est inacheve, c'est­a-dire au bord d'un avenir-c. > Et c'est pourquoi si la significationne preexiste pas aux signes elle ne s'y reduit pas non plus, commele voudrait l' idealisme, elle transcende les signes.

Recevoir des donnee-cs », n'est donc pas la fa~on la plusvraie de se rapporter a l'Etre. Se donner - n'est pas une notionconforme au resplendissement de l'Etre. Au lieu d'etre structurescomme l'intuition braquee sur son objet, la I'intentionalite visantla signification intelligible (et dans L'CEil et l'Esprit, Merleau­Ponty montre qu'en fin de compte elle commande la vision elle­rneme) ne suit pas un itineraire aussi droit, ni aussi simple ni aussipredetermine <****> <*****><.> <f. 12> A la structure decette intentionalite - a son ceuvre merne de signifier et de trans­cender, appartient donc le corps. L'incarnation de la pensee n'est

pas un accident qui lui serait arrive et qui alourdirait son oeuvre enla detournant de sa droiture. Le corps signifie originellement dans lamesure ou il est le fait meme pour la pensee de plonger<,> d'etredans le monde qu'elle pense-c ,» {de se commettre avec le reel(tout en etant <xxxxxxx» sans s'additionner a lui par l'espaceou dans un ensemble causal}. Le corps c'est le sentant-senti-c,»le fait que le senti est deja {encore} de ce cote ci {que le sentantest deja de ce cote la -}. La presence du corps humain au mondeconsiste a signifier<.> Etre corps ce n'est pas s'adjoindre {comme}une etendue ala pensee pour donner a la pensee une <prise ?> surle monde reel. Cette possibilite qu'a le corps d'aller la ou la penseetend et a franchir ainsi tout I'abirne qui separe en principe - pourun cartesien - la pensee paralytique du mouvement aveugle «,»est precisernent le fait de signifier.

Mais dire que la presence rnerne du corps humain au mondeconsiste a signifier, ce n' est pas supposer au prealable un mondedefini par sa realite physico-marhemariquc oii se placerait a titrede curiosite un erant dont la nature consisterait a signifier. Ceserait d'abord oublier <f. 13>a que la realite physico-rnarhema­tique elle-rneme tient ft sa signification deja d'une certaine faconqu'a le corps de signifier. le monde. II faut'', tout au contraire,deliberement partir de cet acte de signifiecr» qui constitue l'errefondamental du corps pour pouvoir dire ce qu'est Ie monde. M

Mais dire que la presence rneme du corps humain au mondeconsiste a signifier, ce n' est pas reduire le corps aun signe - telleune Beche qui montre la direction ou Ie syrnptome qui atteste lamaladie. Car ce sont la deja des eBjet-s objets institues ou reconnusen tant que signes et qui supposent la fonction primordiale ducorps. {A de tels signes, I'etre signifie preexiste - il en est sepa­rable et separe] <. > Cette fonction consiste a unir et a tenir commeinseparable ce que 1'on designe par le percevoir (inrentionalire

a. Ecrit au verso d'un imprime date d'ocrobre 1962.b. « faut » en surcharge de « faudrait ».

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362 Parole et Silence Appendice I : <La Signification> 363

de" lab noese allant sur le noerne) et par 1'exprimer (mouvernenrdu percevant dans le monde percu - mais dans une conforrnitesui generis a ce percevoir). Cette unite inseparable -~ Cetteunite inseparable consiste a vivre une vie culturelle ou artistiquequi serait la vie rneme du corps. Etre corps c'est chanter, peindre,danser<,> versifier et tout simplement parler le monde. <f. 14>cDe sorte que la signification - et c'est cela qui est profondemenrantiplatonicien - est inseparable des contenus culturels qui larealisent. L'acte artistique ne vient pas s'ajouter a la perception oua la comprehension du monde - la creation artistique est l'autreface de cette receptivite meme «.» Et c'est cela precisement quidefinit 1'art comme art et situe 1'art au sein meme de 1'ontologieou de la comprehension de I'etre. La creation artistique fait partiede la perception-c,» est l'acces a I'etre. Et cela n'est precisernentpossible que par le corps. La visee de l'etre que 1'on croyait « pure­ment interieure » aboutit au geste expressif. Percevoir c'est a lafois recevoir une signification et la signifier], par une espece deprolepsie}. Le geste corporel est la coincidence de 1'accueillir etde 1'exprimer, c'est-a-dire du faire-signe. Par Ie corps Ie sujet secommet avec Ie reel Dans la culture, - peinture, poesie et toutsimplement langage -Ie sujet s'est commis avec le reel-a traversson corps, sans que cette commission ait ete simplement additionspatiale ou entree dans un systerne <de> causalite-c.»

<f. 15> La presence merne du corps au monde est deja une fa~on

d'exprirner ce monde. Elle 1'exprime comme un chant, comme ladanse. Selon 1'expression de Merleau-Ponty, elle le celebre?«..»La signification de l'etre se profile dans les moindres gesre cs» decette existence incarnee. La visee de l'etre qu'on croyait purementinterieur a-l:3e se double d'un geste expressif-c.» Ce geste n'est pasune decharge nerveuse qui suit la pensee, il est cette pensee rnerneen tant que celebrant Ie monde gu'elle vise dans ce monde rnerne.

a. « de » en surcharge de« du ».

b. « la » en surcharge de « no-ccme» »,

C. Ecrit au verso d'une lettre recue, datee du 4 septembre 1962.

Le geste n' est pas le prolongement de la pensee en action, maisexpression de la pensee contemporaine de la pensee.

Mais l'expression corporelle ne signifie pas le monde dernaniere a faire correspondre point par point I'etre a des signes,comme si 1'homme disposait a 1'avance d'un double registre designifications et de signes entre lesquels il aurait eu a etablir unecorrespondance<.> {Le geste ne resulte nullement d'un savoirquelconque de mes possibilites physiologiques}<.> D'aurre partle geste corporel en celebrant ce qui est pense sans que le pensepuisse etre pense en dehors de cette celebration - cree seulementde la signification dans I'etre. Le deroulemenr du geste <f. 16> entant que renvoi d'un signe a 1'autre - lateralernent (et non pas<de ?>a signe a signifie) diacritiquement - par leur jeu - rnenevers une signification qui les deborde. Nous restons fidele a laconception qui se refuse a admettre une signification liberee dessignes et du langage.

La signification toujours -cinachevee i » et toute la veritepossible de chaque instant<.> L'etre a jamais -cinepuise ?>, inta­rissable-, ,> <x> precede" <par i » 1'expression. II est essentielle­ment lie a sa manifestation. Les significations restent inseparablesdes signes comme si elles annoncaient les signes eux-memes. Lesigne dans ce sens est symbole<.>

<f. 17> <Dactylogramme » per~u sans qu'un systeme desymboles Ie fasse entrer dans les gestes significatifs qui sont ceuxdu corps humain. Et c'est pour cela que 1'homme- dont l'existenceincarnee a pour fonction de symboliser - est la condition de I'intel­Iigibilite et du devoilernent merne, de I'eclat OU resplendit l'etre.« Le signifie depasse toujours le corps signifiant, mais c'est la vertumerne du signifiant, c'est-a-dire du corps que de rendre possiblece depassernent » (Signes 112)6. Le corps humain n'est pas unedonnee de I'experience, mais un donneur {ou plus exactement alafois un donneur et donne}. II n'y aurait pour 11:. Merleau-Ponty

a. « <de i » » en surcharge de « d'un »,

b. Lire, sans doute, « precede».

Page 75: Parole Et Silence - Levinas

a. « signification » en surcharge de « satisfaction ».

b. Lire « Sein und Zeit».c. Phrase barree par une cancellation en croix.

aucune signification" de l'etre anterieure a la signification {cultu­relle}. L'intentionalite consiste a signifier la signification en lajouant corporellement. Au lieu d'avoir la droiture de l'intuition,l'intentionalite est essentiellement mediation signifiante. Onrejoint Heidegger. Letre-dans-Ie-monde n'est pas initialement larelation pratique avec le monde comme on peut le penser a lapremiere lecture de SUZb

, mais presence dans le signifiant, dansle langage qui se parle", Ce n'est pas parce que l'etre est pratiquequ'il est signifiant, c'est parce qu'il est signifiant que lapratique est possible.

<Ce qui suit est barre par une croix> On ne reprend pas icile theme traditionnel du donne qui devient signifiant lorsqu'onapercoit le systeme de relations ou il s'integre. C'est la notion del'activite signifiante du corps qui rattache l'intelligible a l' exis­tence incarnee de I'homme-c ,» qui marque I'interet de cetteconception profondernent antiplatonicienne. L'incarnation joueun role transcendantal. Le signe corporel n'est pas un objet - telle poteau indicateur ou un nceud au mou~hoir. Ade tels signes,l' etre signifie preexiste, il en est separable et separe. Le corpshumain n'indique pas, il exprime -cinrerrompuc- <fin du passagebarre>

<f. 18> Mais ces gestes corporels qui font surgir la significa­tion, sont l'ebauche de la culture elle-merne. La culture se situeainsi deja au niveau et a l'instant de la perception. L'expressioncorporelle n' est pas la consequence d'une perception prealable deschoses. La perception est d'ernblee comme une danse deja signi­fiant au dela d'elle-meme un monde au point rneme ou elle abordece rnonde".

Le geste qui exprime coincide donc avec la perception quiaccueille. La pensee est a la fois apprehension et expression, c'est­a-dire langage. La culture n'est pas consecutive a une connaissanceneutre et prealable de la nature. Elle est la perception merne. Le

a. Devant ce mot, une sorte de grand crochet ouvrant ecrit au stylo-bille bleu.b. « Cet » en surcharge de « cet »,

C. II faut sans doure lire « ne »,

d. « celui » en surcharge de -cxxx».

365Appendice I : <La Signification>

geste revelateur et le geste createur de formes culturelles, coinci­dent. Ils coincident avec la communication puisque l'expressions'offre a autrui. Perception, culture et langage coincident. L'objetqui est pur objet - en apparence libere de la culture - est enrealite inseparable de la vie culturelle qu'est la science. Mais" c'estdans les formes de l'art que .Merleau-Ponry semble developperde preference le symbolisme de la culture. Le geste signifiant del'expression fait eclater la beaute de I'etre. La beaute c'est la signi­fication. Nous retrouvons Heidegger et le primat ontologique del'art. Et nous le rejoignons en affirmant que I'homme - espritincarne - est comme suscite par le devoilement de l'erre dans lasignification. La signification culturelle reste l'ultime sens de lasignification. 1'humain ('est Ie culturel. <Fin du dactylogramrne»

<f. 19> Nous nous demandons si le phenomene culturel inter­prete le long du phenornene artistique est bien l' originel pheno­rnene du signifiant ? Comment admettre une expression qui seproduirait sur le plan, que Husserl appelait egologique, d'unemonade reduite a elle-rneme.

On pourrait certes repondre que le geste expressif n'est passeulement culturel, artistique et perceptif, mais qu'il ouvre ipsofacto I'intersubjectivite pour laquelle l'expression exprime. - Lamerveille de l' expression corporelle serai t alors une veri tablemagie. Mais alors aussi, le desir comprehensible eE fj-H (et justifiepar les phenomenes) d'enlever a la culture er a l'art la fonctionservile qui consisterait a reproduire point par point des signi­fications donnees a l'avance, irait jusqu'a supprirner complete­ment le moment de passivite et d'accueil que les philosophesdepuis toujours decouvr-cent / aient ?> dans la perception. {Nouspensons que cet accueil est inevitable dans la description} <. > Cet''accueil n'est' peut <etre> celui'' d'un sensible brutal qu'il s' quis'irnpose - il est~ est accueil d'une signification. II y a dans le

Parole et Silence364

Page 76: Parole Et Silence - Levinas

366 Parole et Silence Appendice I : <La Signification> 367

geste expressif du corps une reponse a des significations. Ce quine veut pas dire que le geste signifiant se reglerait point par pointsur les significations preexistantes, ffi.fti.s ¥* {ce qui veut direque le geste d'expression} se place dans un monde qui est signi­fiant prealablement a tout signe, ffi.fti.s cleftE: {ce qui veut dire que}la signifiance {du rnonde] c ,» precisement a cause de cette ante­riorite-c .> atteste un autre ordre. {Notre these consiste a affirmer€fHe ceci :}a

Cette signification a laquelle I'expression corporelle repond- est Autrui''. II se manifeste sans 1'entremise de signes. Son intel­Iigibilite Iuit de sa propre lumiere. C'est en elle que reside lafonction originelle du langage <f. 20> que nous definirons, parconsequent a) par son anteriorite aux signes et a rna Sinngebung etb) par son origine dans 1'Autre, venant d'un espace intersubjectifqui, par consequent-c,» est asyrnetrique.

Nous avons {en effet} coutume de raisonner sur le langage,comme si le langage etait une communication coordinatrice, unva et vient ou l'aller vaut le retour et comme si tlafl.s la {pourla theorie de la} connaissance de l'etre la communication entreinterlocuteur-cs» par echange de signes n'avait pour but que {de}confirmer l'objectivite flageolante de la perception egologique.

Or, Autrui habite le monde rnerne dont il doit me parler. IIen est Ie noyau, le cceur, l'hote qui rn'y attend et qui rn'y appelleeSa presence au monde d'ernblee me concerne et me vise, {et estrecherchee proleptiquement par moil rnerne s'il reI:le ne memontre pas sa face. Cette attente se manifeste d'abord a traversles signes eux-merne-cs». Les signes que" produit {autrui} nerenvoient pas seulement au signifie, ni meme diacritiquement ad'autres signes - ses ceuvres d'art {ne renvoie-cnt » pas seulement}aux mondes quil cree, ses marteaux outils aux fins pratiques qu'ilpoursuit, ses mots a ses idees. Ces signes conduisent a lui-meme.Ses signes - sont sa trace, des vestiges, 1'empreinte de ses pas sur

a. Qu'il s'agisse d'un ajout n'est pas certain.b. « Autrui », en surcharge, sernble-t-il, de « autrui »,

c. « que » en surcharge de « qu'il ».

le sable. La trace me rnene vers lui. Elle oriente le monde, c'est-a­dire y dessine un sens [une route, au sens eryrnologique«,» unemethode}. Autrui est d'ernblee la finalite du rnonde-c.» Tous lessignes culturels sont done signifient done en plus de leur signifi­cation {propre <comrne ?>}, la" trace de 1'Autre, qui est un deran­gement absolu du monde [et'' {ce} sens ~ me vient~ etn'est pas donne par prete par rnoi.]

<f. 21> La communication n' est pas un indifferent echange designes - elle est rna reponse a un appel qui me vient par dessusles choses remplissant le monde. It {Cet appel} accorde un sens aces choses, en elles-meme-cs » insignifiantes, susceptibles a toutmoment de retomber au rang d'apparences-c,» possiblement desombres comme 1'a dit Platon, de simples peaux abandonneespar un etre qui s'en retire, revenant a cette insignifiance sous lesouffle de la mort<,> dont la solitude les rend derisoires ou quim'absorbent dans la solitude de rnes" faim{s}. Dans rna marche,en quelque facon proleptique, vers Autrui, les choses perdentleur force de sollicitation et deviennent simple-esc- chose cs» audessous du plan oii mappelle autrui, je suspends leur fallacieuseexisten substantialite en les possedant et en les" transformant<. >Elles deviennent realites economiques.

Les ceuvres culturelles qui indiquent Autrui vers qui rnene unchemin, signifient certes des significations (choses - erres - situa­tions) ffi.fti.s et cette deuxieme <x> intentionalite des signes estde nature a cacher lee premiere - le langage dont elles apportentl'echo. Car le langage du signe qui me transmet 1'appel d'Au­trui ne vient pas du signe en rant qu'il signifie des significations,mais en tant qu'en lui resonne le langage par lequel Autrui sepresence comme Autrui. <f. 22> Leur fonction artistique peutse

a. « la » en surcharge de « leur ».

b. « et » en surcharge de « . »,

C. « rnes » en surcharge de « rna ».

d. « les » en surcharge, semble-t-il, de « la »,

e. « le » en surcharge, semble-t-il, de « la ».

Page 77: Parole Et Silence - Levinas

a. « Les » en surcharge de « les ».

b. « ernpecher » en surcharge de « empechenr ».

C. « Ia » en surcharge de « La ».

d. Ajoute a. la main.

jouer independamment de leur fonction de langage et peut mas lamasquer{.} se jouant d'une fa\on autonome Voila pourquoi toutesles formes de 1'existence humaine - part, politique-c ,» morale{science} et le langage lui-meme peuvent s'interpreter comme desmodalites de la culture.

Mats Les" signes cul turels - comme tout signe - secaracterise]nt]par le fait de ne pas <lfv.re.r ?>{laisser passer} le langage qui lesperce, mais~ {de I'[empecher'' aussitot.

(Or) laC relation a¥ec l\utrui, dans son langage parle, tranchesur la delivrance des signes que Ie langage delivre car Ie signifiant {celu! qui s'exprime} est alors present dans les signes qu'ildelivre. Le signe culturel est delivre, en quelque fa~on, en l'ab­sence de celui qui delivre le signee <f. 23> -c Dactylogramme»[Cette ab}dsence n'est pas necessairement un eloignemenr de faitde celui qui a laisse de son passage une trace equivoque. Cetteabsence est dans le caractere en quelque fa~on enigmarique et parconsequent equivoque de tout signe qui correspond precisernenta ce que Saussure et Merleau-Ponty appellent son caractere diacri­tique. Le signeest un clin d'ceil, un mouvement de 1'index quisurtout eloigne plutot qu'il ne rapproche d'une signification. IIest clin d'ceil et allusion - de celui qui n'a pas voulu en diredavantage, jeu de 1'artiste qui suggere et reste dans les enigmeset les mythes equivoques de I'oracle et mystification<, > panto­mime, celui qui a donne signe s'est soustrait a toute responsa­bilite - ~ toute reponse, et par consequent, a toute question. Lesigne est laisse a sa vie propre. II comporte veritablement l'objectivite d'un produit de culture, il resonne de sa sonorite propre, ilest poesie {hesitation selon Valery entre le son et le sens"}.~ce sens, {Des lors} tout signe et tout l-art que nous l";oulons bienplacer dans la categorie de l'expression symbolique est toujours{sont} plastique-cs » - et en quelque rnaniere verrouille-cs >.

369Appendice I : <La Signification>

Or, le langage qui use de signe est en meme temps depassement de tout signee C'est une fa~on de signifier telle que celuiqui signifie est present lui-memo dans cette manifestation pourdeverrouiller a tout instant les signes quil delivre, et pour briserson systerne propre et son style propre. II est essentiellementrupture de rythme, il est essentiellement prose. La prose est unefacon de signifier oii celui qui delivre le signe ne s'absente pas dece" signe etderange son rythme incanratoire, {le} rompt et {le}hache sa gracieuse continuite. La prose est critique, cette <f. 24>fameuse critique qui, rneme de I'ceuvre artistique peut dire autrechose que la repetition de cette ceuvre. Le langage est ainsi le seulsysterne de signes qui ne renvoie pas seulement au signifie qu'ilexprime, mais brise ce systeme pour manifester le signifiant quidelivreIes signes. Le langage dit en clair-; ,» {il dechiffre, il n'estpas a dechiffrer}, Le signifiant qui delivre les signes et ne se retirepas de cette delivrance {II} est la forme sous laquelle se produit lamanifestation de l'erre qui n'est pas aussitot cache par sa propreapparition {qui se manifeste Ka8' aut09}. {Lelangage est une reve­lation par excellence]",

La manifestation du Ka8' auto - ou l'etre nous concerne sansse derober et sans se trahir-: ,> consiste pour lui, non point a etredevoile, non point a se decouvrir au regard qui le prendrait pourtheme d'interpretation et qui aurait une position absolue domi­nant l'objet. La manifestation du Ka8' auto consiste pour l'etrea se dire a nous, independamrnent de toute position que nous

a. « ce » en surcharge de « son ».

b. Ce qui precede se trouve sur un morceau de feuillet agrafe au present feuillet. Le textemasque un autre texte, barre, dont voici la transcription: « de <fin d'un mot se trouvant sur unautre feuillet non conserve> de phenomenes - ne repond pas a. la recherche du vrai, il suffit a. lajouissance qui est la suffisance rnerne ; nullement outree < "outree" en surcharge de "xxxx".» parla derobade qu'oppose l'exteriorite a. la recherche du vrai. Ce monde de la jouissance ne suffit pasa. la pretention metaphysique. La connaissance du thernatise n'est qu'une lutte toujours recorn­rnencante contre la mystification toujours possible du fait, a. la fois, une idolatrie du fait c'est-.a-dire une invocation de ce qui ne parle pas et une pluralite insurmontable de significations etde mystifications{.} Ou <en surcharge de "ou" > cette connaissance invite le connaissant a. uneinterminable psychanalyse, a. la recherche desesperee d'une vraie origine au moins en soi-rnerne, a.I'effort de se reveiller ».

Parole et Silence368

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aurions prise a son egard, as'exprimer {a se reveler}. La, contrairement atoutes les conditions de la visibilite d'objets, I'etre ne seplace pas dans la Iumiere d'un autre mais se presence Iui-memsdans la manifestation qui doit seulement 1'annoncer, il est presentcomme dirigeant cette manifestation merne - present {en quelquemaniere} avant la manifestation qui seulement le manifeste.~perience absolue n'est pas devoilement mais revelation: comci­dence de I'exprirne er de celui qui exprime, manifestation; par larnerne privilegiee d'Autrui, manifestation d'un visage par-dela laforme<,> [par-dela] la" forme trahissant incessamment sa mani­festation -,- se figeant en forme plastique, puisque adequate auA{cme, aliene 1'exteriorite de 1'i\:utre. Le visage est une presence<f. 25> vivante, il est expression {revelation}. La vie de 1'express-i-efl {la revelation} consiste a defaire la forme OU I'etant, s'ex-posant comme theme, se dissimule par la merne. {Le surplus dela manifestation sur sa propre paralysie inevitable, c'est cela quenous exprimons en disant que} le" visage parle. La manifestationdu visage est deja discours. Celui qui se manifeste porte, selonle mot de Platon, secours a Iui-rnerne. II defait a tout instant laforme qu'il offre.

<f. 26> Cette fa~on de defaire la forme adequate au A{cmepour se presenter comme 1.4.Lutre, c'est signifier ou avoir un sens.Se presenter en signifiant{,}c'est parler. Cette presencel.} affirrneedans la presence de 1'image {manifeste et deja enferrnee dans sonmutisme} comme la pointe du regard qui vous fixe{,} est dite.La signification ou l'expression {la revelation} tranche ainsi surtoute donnee intuitive, precisement parce que signifier n'est pasdonner. La signification n' est pas une essence ideale ou une rela­tion offerte a 1'intuition intellectuelle, mai5 {encore} analogueen cela a la sensation offerte a I'ceil. -cCe qui suit est barre parun croix> Elle est par excellence la presence de l'exteriorire. Lediscours n'est pas simplement une modification de I'intuition (ou

de la pensee){,} mais une relation originelle avec I'etre exterieur,II n'est pas un regrettable defaut d'un etre prive d'intuition intel­lectuelle - comme si I'intuitionc ,» qui est une pensee solitaire{,}etait Ie modele de route droiture dans la relation. II est la produc­tion de sens. Le sensne se produit pas comme une essence ideale- il est dit et enseigne par la presence] ;} et 1'enseignement nese reduit pas a 1'intuition sensible ou intellectuelle{,} qui est lapensee du Meme. Donner un sens a sa presence est un evenemenrirreductible al'evidence. II n'entre pas dans une intuition-c. > <findu passage barre> {Il"] {Elle}<sic> est{,} ala fois{,} une presenceplus directe que la manifestation visible et une presence lointaine- celle de 1'autre. Presence dominant celui qui 1'accueille, venantdes hauteurs, imprevule] et{,} par consequentl.} enseignant sanouveaute merne. Elle est la franche presence d'un etant qui peutmentir, c'est-a-dire dispose du theme qu'il offre{,} sans pouvoir ydissimuler sa franchise d'interlocuteur, luttant toujours a visagedecouvert. A travers le masque percent les yeux, 1'indissimulablelangage <f. 27> des yeux. L'ceil ne luit pas, il parle. L'alternativede la verite et du mensonge, de la sincerite et de la dissimula­tion{,} est le privilege de celui qui se tient dans la relation d'ab­solue franchise, dans l'absolue franchise qui ne peut se cachero

-cCe qui suit est barre par une croix> L'action n'exprirne pas.Elle a un sens{,} mais nous rnene vers 1'agent en son absence.Aborder quelqu'un a partir de ses oeuvres, c'est entrer dans soninteriorite, comme par effraction; 1'autre est surpris dans son inti­mite, ou il s'expose certes, mais ne s'exprirne pas (l)b{,} comme lespersonnages de 1'histoire. Les oeuvres signifient leur auteur, maisindirectement, a la troisierne personne.

On peut{,} certes{,} concevoir le langage comme un acte,comme un geste du comportement mais alors on omet 1'essen­tiel du langage : la coincidence du revelateur et du revele dansle visage, qui s'accornplit en se situant en hauteur par rapport

370 Parole et Silence Appendice I : <La Signification> 371

a. « la » en surcharge de « La »,

b. « Ie » en surcharge de « Le »,

a. « II » en surcharge d'un point « . ».

b. lei, un appel de note, dont voici Ie texre : « Cf plus loin p. 286 et ss. ». Rappelons qu'ils'agit d'un feuillet extrait du manuscrit de Totaliteet Infini.

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372Parole et Silence Appendice I : <La Signification> 373

a nous - en enseignant. Et inversement, gestes, acres produitspeuvent devenir comme les mots, revelation; c'est-a-dire, commenous allons le voir - enseignement, alors que la reconstitution dupersonnage a partir de son comportement est I'oeuvre de notre

science deja acquise.L'experience absolue, avons-nous dit, n'est pas devoilement.

Devoiler {a partir d'un horizon subjectif}, c'est deja rater lenournene Seul1'interlocuteur est le terme d'une experience pureou autrui entre en relation, tout en demeurant Ku8' uirr6 : ou ils'exprime ee {sans que} nous fr. ayons" pas- a le devoiler a partird'un « point de vue », dans une lumiere ernpruntee. 1'« objec­tivite » que cherche la connaissance pleinement connaissance,s'accomplit au-dela de I'objectivite de 1'objet. Ce qui se <inter-

rompu> <fin du passage barre><f. 28> La signification dansante-c.> [operance, peignante}

du corps est a distinguer de la signification parlante du visage.Celle-ci n'est en aucune facon une modification de celle-la. Levisage n' est pas un signe qu'Autrui m'adresse mais sa presence ffi

original {dans une totale nudite}. Le visage tranche sur 1'expressi­vite du corps. En lui s'ouvre une dimension nouvelle anterieure ala culture. Tout signe que je delivre par l'expression corporelle estdeja une reponse a cette signification prealable du visage. La signi­fication serait 1'apparition d'un etre qui perce a tout moment 1'es­sence plastique de sa propre apparition{,} qui perce son image.

Mais si 1'image devait etre {est elle} percee par une autre image,il faudra un processus a l'infini <sic>. L'etre qui perce sa propreapparition plastique indique par la me me un autre plan que celuides images, une realite qui ne loge pas tout entiere dans son appa­rition. Et c'est pourquoi cette source de signes n'est pas [un-ce>donnee} une donnee mais s'appelle signification. L'apparition,tranchant sur toute delivrance de signes est l' epiphanie du visageessentiellement respectable. La caracteristique de cette epiphanie

a. « ayons » en surcharge de « avons »,

n'est pas simplement negative. Elle consiste dans la souverainete« interrompu» <fin du dactylogramme>

<f. 29> La transcendance d'}Lutrui est son sa condition d'{1'etre qui perse sa propre apparence est absolument nu. II estetranger a toute forme - il est<,> comme dit le psalmis-cte» }<,>etranger Elftfls {sur cette rerre'"}«.> Ie monde qu'il habite ; Ie¥:isage la nudite du visage est une condition {depouillement] dedepouille, sans aucun artifice {ornement} culturel condition de

1/· S /) L d· / d l'A. .pro etaire.on <ante 7>a nu itee etre qUi perce son image~ se prolonge dans la <xx> nudite du corps qui a froid et qui ahonte de sa nudite {quasiment sans forme<.> Ce depouillem' quirejette jusqu'a la protection de la forme se tenant dans l'amorpheabsolument <xxxxxxxxxxx> qui n'est pas en puissance mais plusactuelle que tout acte-c,» est -ctrouve ?> dans sa nudite}, L'exis­tence Ku8' uirr6 est dans le monde une misere. Ce regard qui Lanudite du visage est denuement {et deja supplication dans la droi­ture qui me vise}<. > Mais a la fois ce regard qui supplie exige - et

~ prive de tout<,> tla a droit a tout. Reconnaitre autrui, c'estreconnaitre une faim. Mats Reconnaitre Autrui<,> c'est donner.Mais c'est donner au maitre, au seigneur, a celui que 1'on abordecomme « vous », dans une dimension de hauteur {er qui me parlede haut}. {Dans le visage I'humilite s'unit ala hauteurj c.»

Et par la nous arrivons peu S'annonce la dimension erhique dela signification.

<f. 30> -cCequi suit est barre par une croix> ge'' peut menacerpresuppose la transcendance de 1'expression. Le visage -cxx»menace {de lutte} comme d'une eventualite, sans que cette menaceepuise I'epiphanie de 1'infini, sans qu'elle en formule le premiermot. La guerre suppose la paix, la presence prealable et non­allergique d'Autrui, elle interrompt un discours, mais ne marquepas le premier evenement de la rencontre.

a. Rature incertaine.b. Fin d'un mot qui se trouvait sur un feuillet qui n'a pas ete conserve.

Page 80: Parole Et Silence - Levinas

a. « II » en surcharge de « Elle ».

b. « c'est» en surcharge de « C'est».c. « Le » en surcharge, semble-t-il, de « le ».

d. Annotation marginale, difficile aplacer : « L'assistance a sa propre manifestation possede«l'acuite i » d'une sollicitation qui en appelle amoi, me concerne de toute sa misere et de toutesa hauteur. »

L'impossibilite de tuer n'a pas une signification simplementnegative et formelle ; la relation avec 1'infini ou I'idee de I'infinien nous {Ie Desirj l.}, la conditionne positivement. L'infini ne sepresente pas d'une fa~on impersonnelle et anonyme, mais commevisage. II se presente dans la resistance ethique qui paralyse mespouvoirs et se leve dure et absolue du fond des yeux sans defense.{Il"se presence dans sa nudite et sa misere comme une faim dontla comprehension {{de cette nudite et de cette faim} instaure laproximite elle-rnerne de I'Aurrc}c.» {Mais c'est ainsi que} L'epi­phanie de 1'infini est expression et instaure Ie discours. l'essenceoriginelle de 1'expression et du discours ne reside pas dans 1'infor­mation qu'ils fourniraient sur un monde interieur et cache. Dans1'expression un etre se presente lui-meme. Presentation distinctede la manifestation oii I'etre se devoile comme deja absent de sapropre manifestation - plastiquement. Dans le visage I'erre quise manifeste assiste a sa propre manifestation et par consequenten appelle a moi et ames reponses. {Cette assistance n'est pasle neutre d'une image mais [precisernent} une sollicitation~ffi d'une misere e~ qui me concerne de sa rnisere et de saHauteur}. Parler {a moil c'est surmonter a tout moment, ce qu'ily a de necessairement plastique dans la manifestation. {Le plas­tique, c'est ce qui ne me demande rien. Se manifester commevisage}c ,» c'est'' par consequent s'imposer par-dela la forme,manifestee et purement phenomenale, se presenter d'une faconincomparable {irreductible] a la manifestation, comme la droi­ture meme du face a face, sans <1'>intermediaire d'aucune image{dans sa nudite, {c'est-a-dire] dans sa rnisere et dans sa faim}.{{Dans} A4:ais Lec Desir seul reunit {se confondent} les mouvements qui vont Tiers la Hauteur et la A4:isere}d <Fin du passagebarre>.

375Appendice I : <La Signification>

a. « La » en surcharge de « L' »,

I,' expression ne rayonne pas comme une splendeur qui serepand a 1'insu de l'etre rayonnant, ce qui est peut-etre <f. 31>la definition de la beaute. Se manifester en assistant a sa mani­festation - ~ revient a invoquer 1'interlocuteur et a s'exposer a{susciter} sa reponse et ft sa question - {mais etre la pour y faireface}-c.» La" expression {revelation} presence un etre qui s'imposeautrement qu'a travers une representation vraie-c ,» autrementqu'a travers 1'engagement et 1'acte. L'etre offert dans la represen­tation vraie demeure possibilite d'apparence. het-re {Le monde}qui rn'envahit quand je rn'engage en lui ne peut rien contre la« libre pensee » qui suspend cet engagement ou meme le refuseinterieurement, reste capable de s'enfermer dans sa maison etvivre cachee. {I'exisre en premier, je demeure origine et maitre,merne de ce qui me precede. La conscience conserve sa structurequi consiste a exister en premier}. L'etre qui s'exprirne s'irnpose,mais precisernent en en appelant a moi {de sa nudite de sa misereet de sa nudite - de sa faim d-ej-ft} sans que je puisse etre sourd ason appel. <Ce qui suit est barre par un trait> De sorte que, dans1'expression, I'etre qui s'irnpose ne limite pas mais promeut rnaliberte, comme la bonte qui me concerne et suscite {en susci­tant} rna bonte. L'ordre de la responsabilite ou la gravite de I'etreineluctable glace tout rire, est aussi l'ordre ou la liberte est ineluc­tablement invoquee de sorte que le poids irremissible de I'etre faitsurgir rna liberte, L'ineluctable n'a plus I'inhumanite du fatal,mais le serieux severe de la bonte. <Fin du passage barre>

{La conscience qui accueille n' a plus la structure de laconscience, elle n'existe plus en premier, elle entre dans un autreordre «.»} Ce lien entre 1'expression et la responsabilite - cettecondition ou cette essence ethique du langage - cette fonctiondu langage anterieure a tout devoilement de I'etre et a sa splen­deur froide, permettent de le soustraire {Ie langage} a sa sujetion al'egard d'une pensee preexistante et dont il n'aurait que la servilefonction de traduire au dehors ou d'universaliser les mouvements

Parole et Silence374

Page 81: Parole Et Silence - Levinas

376 Parole et Silence Appendice I : <La Signification> 377

interieurs. La presentation du visage n'est pas vraie, car Ie vrai sererere au non vrai, son eternel contemporain {A proprement parler,la signification ainsi revelee n'est pas vraie, car le vrai se refere aunon-vrai, son eternel contemporain} et rencontre ineluctablernentle sourire et le silence du sceptique. La presenta- <f. 32> tionde l'etre dans le visage ne laisse pas de place logique a sa contra­dictoire. {Elle vient de haut. Elle ouvre la dimension ~eme dela hauteur}{Ma conscience a perdu en 1'accueillant la liberte quilui donne le privilege d'exister en premier}. Aus-st Au" discoursqu'ouvre l'epiphanie comme visage{,} je ne peux me derober {parIe}atI: silence comme Thrasymaque irrite s'y essaie dans le premierlivre de La Rfpublique (sans d'ailleurs y reussir)!'. {Lefait de laisserdes hommes sans nourriture ne saurait en aucune circonstance LafaHre « Laisser des hommes sans nourriture - ~ est une faute~ qu'aucune circonstance fl:e n'excuse" ; elle n'admet pas <x>a elle ne s'applique pas la distinction du volontaire et deI'invo­lontaire » dit Rabbi Yochanan a la page 104 b du Trait! Synhedrin.Devant la faim des hommes la responsabilite ne saurait se rnesure"Eft:Je qu' « objectivement »<. > Elle est irrecusable. Le visage ouvrele discours} 1.1,.1.: ce discours originel dont le premier mot est obliga­tion, ret que} je ne suis pas libre de me refuser {d'ignorer}. ¥etlftdonc un Discours" qui oblige a entrer dans le discours, le---¥micommencement du discours Elefl::f {que} le rationalisme classiquedesesperait {appelle de ses voeux}," Ce discours qui a {ll Aurait illla force de ~( convaincre {« force» qui convainque rnerne} {« [les'gens qui ne veulent pas entendre» (Rfpublique 327 bg

) ret} fonde

a. « Au » en surcharge de « au ».

b. « n'excuse » en surcharge de « s'excuse ».

C. « mesure » en surcharge de « mesurer ».

d. « Discours » en surcharge de « discours »,

e. « , » en surcharge de « . »,

f. « les » en surcharge de « des ».

g. lei, un appel de note : la note au bas de la page recrit les mots qui se trouvent dans -Iaparenthese. '

par consequent l' {ainsi la vraie} universalite de la raison {que{1'on} reconnait" ne serait-ce qu'en I'ecoutant},

<Ce qui suit est barre par une croix> Au devoilemenr deI'etre en general, commebase de la connaissance et comme sensde 1'etre, s'oppose la relation avec I'etant qui s'exprirne, irreduc­tible a la comprehension. Au plan de l'ontologie preexiste le planethique. Et pour utiliser la terminologie de Heidegger, 1'analyseexistentiale" n' a pas de priorite sur les relations existentielles.

30- Visage et raison

L'expression ne se produit pas comme la manifestation d'uneforme intelligible qui relierait des termes entre eux pour erablirl.]a travers la distance{,} le cotoiemenc des parties dans une totalite,oii les termes qui s'affrontent perdent leur originalite et emprun­tent deja leur sens a la situation creee par leur comrnunautelaquelle, a son tour, doit le sien aux termes reunis. Ce « cercle dela comprehension» ne s'impose pas comme l'evenemenr originelde la logique de I'etre. L'evenement propre de 1'expression precedeces effets coordinateurs visibles a un tiers <fin du passage barre>

<f. 33> <commu>nique {La (premiere) parole ne commufli.EtH:e}f*lS.C Lad presence du parlant dans le signe qu'il" delivreconsiste a signifier un ordre. La percee de toutes formes par l'etrelui-rneme n'a precisement plus la structure d'une conscience- mais d'une obligation, laquelle s-arrete precisernent la libertede la conscience. {La signification vient de haut. Elle ouvre ladimension rnerne de la hauteurj-c ,» {1'ordre OU Ia conscience quiaccueille est dorninee absolument et perd sa premiere place}«.»C'est dire qu'avant la culture et I'esthetique c ,» Ia significationse situe dans I'ethique et que I'ethique represente une condi­tion de toute culture et de route signification. C'est affirmer - et

a. « reconnait » en surcharge de « reconnaissent ».

b. « existentiale » en surcharge de « existentielle »,

C. « . » en surcharge « - »,

d. « La » en surcharge de « la »,

e. « qu'il » en surcharge de « qui »,

Page 82: Parole Et Silence - Levinas

a. Le manuscrit indique que cette phrase est aplacer ala fifi"del'alinea.

c'est la these principale que je veux soutenir - qu'il y a un ordrehumain avant la culture avant la sedimentation - que la religionet la morale n'appartiennent pas a la culture, que quelque choseest au-dessus des cultures et permet de les juger. Nous pensons­que dans un nouveau sens, la verite platonicienne non historiquedomine l'histoire de toute sa hauteur.

-cCe qui suit est barre par une cancellation en croix> _La signi­fication est d'habitude abordee sur le plan de la connaissance etdu donnel.} sur le plan de la vision. Elle est relation avec I'objet.Nous comprenons comme nous percevons. Intuition caregorialsde Husserlde la periode classique, du moins, reste dans cette atti­tude; relation objectivee.

Arriver a une signification par l' entremise du signe c'estvoir sans voir, c'est moins que voir, relation avec une realite{en <1'>absence de cette realite. La presence de cette realite} enchair et en os devant la conscience qui la viserait comme un sujetvise l'objet - serait plus que sa signification dans le signee Onne comprendrait pas alors que la signification puisse etre plus quel' experience <. > <fin du passage barre>

Que les signes du langage comme les signes de la cultureproduits par l' expression du corps - soient diacritiques et signifientlateralement de signe a signe - il n'en reste pas moins <f. 34> vraique la signification qu'ils etablissent est un objet de pensee {quela pensee y conserve sa priorite irremissible}. On ne comprendpas en quoi consiste la sphere nouvelle de la signification oii ilsfont penetrer, La signification, rnerne obtenue indirectement, parl'entremise de signes, est a sa fa~on donnee - et retrouve la struc­ture d'un objet. La signification est un renversement d'un mondedont je suis le centre, en un monde dont le centre est [dorninepar} Autrui". Si la signification qui luit dans le monde est unerelation avec ~A.Lutrui comme tel il est possible de montrer que lasignification nous met en rapport wlec l'etre en tant qu'il trancheabsolument sur le donne et impose une tout autre structure a

la conscience qui l'aborde, qui n'est plus conscience d'un donne.La these que nous soutenons-c ,» et qui ramene la significationa l'idee de l'infini {la dimension de hauteur} s'ouvrant dans levisage humain-c ,» concilie la droiture de I'intuition-c ,» qui visepar-dela I'historique dont l'intellectualisme avait la nostalgie,avec un « surplus» par rapport a l'image intuitionnee et qui estl'au dessus moral de l'Infini. Cela ne peut pas se dire en terrne-cs»sujet-objet. Ce qui est signifie est le superieur.

<Ce qui suit est barre par une cancellation en croix> La supe­riorite est deja annoncee dans la position du corps humain debas en haut et dans les autels qui fument partout ou existent deshommes. Mais il n'y a pas hauteur parce qu'il y a des corps, il ya des corps parce qu'il y a hauteur dans I'etre. Si le geste culturelest une reponse a un monde deja signifiant, le langage ne residepas initialement dans le mouvement aller et retour de la commu­nication a travers un espace intersubjectif parfaitement neutre etou les interlocuteurs occuperaient des positions symetriques. Lapriorite du langage indiquerait precisement une espece de polari­sation de cet espace, une asyrnetrie <f. 35> de l'intersubjectif etle caractere enseignant du langage. II faut poser la relation avecune signification comme originelle. Mais elle ne consiste pas enla Sinngebung12

, elle la precede. Mais si cette interiorite n' est pasintuitive, c'est qu'elle est superiorite. Voila la nouvelle dimen­sion qu'elle ouvre dans I'etre. II faut abandonner la distinction dudirect et de l'indirect par lequel <sic> on distingue l'intuitiondu symbolisme. Le donne-, ,» comme tel-c,» n'a pas de sens etrenvoie a autre chose, mais le symbolisme qu'on distingue en lui- est apres tout une voie indirecte er s'il est simplement la voiede I'etre - il est moins que la relation directe. <Fin du passagebarre> La superiorite - la hauteur, voila ce qui introduit un sensdans l'erre <.> et:-i! {Elle} est {certes} la premiere {I'[experiencedu corps humain qui est pour cette raison sans doute la merveillede la signification et inaugure le monde humain {et des societeshumaines qui toutes erigent des autels au-dessus desquelles<sic> -cs'elevent ?> des -cvolcans ?> de fumee}. Mais ce n'est

379Appendicel: <La Signification>Parole et Silence378

Page 83: Parole Et Silence - Levinas

pas parce que les hommes<,> de par leur corps-c,» ont une expe­rience exceptionnelle de la hauteur que 1'humain est place sous lesigne de la hauteur, {c'est parce qu'il y a de la hauteur dans 1'etre}que le corps humain est place dans un espace OU il distinguele haut du bas et decouvre le ciel qui-c ,» pour le Prince Andrechez Tolstor'!«,» est tout entier hauteur. {Sonciel n'est pas bleu iln'y voit aucune couleur-c. >}Le depassernent du signe PLir la signi­fication est la hauteur de la signification et non pas {et nindiquepas} un mystere qu'elle recclerait ou une absence pure et simplelaquelle ferait de la relation avec la signification un « moins » que1'intuition. <Ce qui suit est barre par une croix> Mais la supe­riorite ou I'elevation ne peut etre contenue dans une representa­tion directe comme 1'intuition ou indirecte comme le signee Elleest symbolique - parce que la le contenu deborde infiniment lecontenant. Le debordement du contenant par le contenu qui n'estpas simplement dft aux limites du contenant, mais preci- <f. 36>sernenr sa grandeur <sic>, est la hauteur. <fin du passage barre>

II est exrremernent important d'insister sur ce dernier point{l' <anteriorite ?> de la signification {l'anteriorite de la significa­tion} par rapport aux signes culturels}.

Rattacher route signification a la culture{,} s'opposelr} a unesignification{,} distincte de l'expression culturelle et de l'artqui la prolonge, c'est reconnaitre la valeur de toutes les person­nalites culturelles, puisque desorrnais aucune signification nesaurait se detacher de ces innombrables cultures pour fournir uncrirere permettant de juger et d' apprecier ces cultures. Desor­mais I'universalite ne saurait etre que laterale selon l'expressionde Merleau-Ponty'", Elle consisterait a s'entendre en penetrantdans les autres cultures, comme on apprend une autre langue,en renoncant a une grammaire universelle et a une langue {algo­rithmique} universelle batie sur 1'ossature de cette grammaire,a renoncer a tout contact direct ou privilegie avec le monde desidees. Cette conception de I'universalite est en somme une oppo­sition radicale - bien de notre epoque - a l'expansion colonialistede la culture - Au nom d' elle, coloniser ~et cultiver se separent

a. « perperuera » en surcharge de « perpetuanr ». II faut peut-etre lire « perpetuerait »,

b. « d' » en surcharge de « d'une ».

c. « emanciper » en surcharge de « emancipation ».

d. « les » en surcharge de « des ».

e. « a » en surcharge de « qu' ».

radicalement. Elle est en particulier a I'oppose de ce que nousenseigne Leon Brunschvicg, pour qui les progres de la conscienceoccidentale consistaient dans une epuracion de la pensee parrapport aux cultures et par rapport au langage qui, loin de signi­fier 1'intelligible<,> perpetuera" 1'enfantin. La culture occidentalese targuait d'une supreme dignite de se liberer des presupposesculturels de la verite, pour aller comme Platon vers les signifi­cations elles-rnemes separees du monde du devenir. Le dangerd'une telle conception c'est que sous le pretexte d'bemanciperc les"esprits a I'egard de leur culture, <f. 37> elle pouvait servir l'ex­ploitation et la violence. II fut peut-etre necessairede denoncerl'equivoque et de montrer la dependance des significations al'egard des cultures, dire que l'excellence de la culture occiden­tale apparait elle-rneme comme culturellement et historiquementconditionnee et de rejoindre ce qui passe pour Ie dernier cri dela sociologie [x l'erhnologie ?>} contemporaine <sic>. Voila leplatonisme vaincu. II est vaincu au nom de la generosite rnemede la pensee occidentale qui, apercevant I'homme abstrait dansles hommes, a proclarne la valeur absolue des personnes er aenglobe dans son respect jusqu'aux cultures ou ces personnes setiennent et s'expriment. II est vaincu grace aux moyens memesqu'a fourni la pensee occidentale issue de Platon - cette decrieecivilisation universelle qui a su comprendre les cultures particu­Iieres lesquelles n'ont jamais rien compris ae elles-rnernes. Mais lasarabande des cultures innombrables et equivalentes, chacune sejustifiant dans son propre contexte cree un monde {certes} desoc­cidentalise mais aussi desorienre. Apercevoir a la signification unesituation qui precede la culture - voir le langage comme ne dela revelation qui est en rnerne temps la naissance de la morale ­dans le regard de 1'homme visant un homme precisernent comme

381Appendice I : <La Signification>Parole et Silence380

Page 84: Parole Et Silence - Levinas

a. « a» en surcharge de « d' ».

b. Lire « Elles ».

homme abstrait degage de toute culture {dans la nudite de sonvisage} - c'est ala fois revenir d'une facon nouvelle au platonismeet permettre de juger les civilisations. La signification - l'in­telligible, consiste pour l'etre, aa erre present dans sa simplicitenon historique, dans sa nudite d'etre absolument inqualifiable etirreductible, sans qu'aucun etre nouveau soit soupconne derrierel'etre - c'est exister avant l'histoire et avant la culture. Comme jevous le disais en commencant, le platonisme - comme l'affirma­tion de l'humain, independamment <f. 38> de la culture et del'histoire - se retrouve chez Husserl lui-rneme - dans l'opinia­trete avec laquelle il postule la reduction phenomenologique et,en dernier lieu et en droit, la constitution du monde culturellui­rnerne dans la conscience transcendantale et intuitive. On n'estpas oblige de le suivre dans la voie qu'il emprunte pour affirmerle platonisme. Nous avons retrouve la droiture de la significationsur une autre voie. Que cette manifestation intelligible de I'etrese produise dans la rnoralite, cela mesure precisernent les limitesde la comprehension historique du monde et marque le retour alasagesse grecque - bien que mediatise par tout le developpementde la philosophie contemporaine. Ce ne sont certes pas les chosesni le monde objectif, ni rnerne le monde scientifique qui permet­tent de rejoindre les normes de l'absolu - car ils sont tout entiersbaignes par l'histoire et sont ceuvres culturelles. Mais les normesde la morale ne sont pas ernbarquees dans l'histoire et la culture.IIsb ne sont meme pas un iloc qui en emerge - mais le point quirend possible toute signification rneme culturelle et qui permetde juger les cultures.

382 Parole et Silence

Appendice II

Page 85: Parole Et Silence - Levinas

Liste des conferences d'Emrnanuel Levinasau College philosophique

Cette Iiste, qui reprend a la fois les conferences publiees etles conferences inedites (conservees ou non dans le fonds d'ar­chives Levinas), n'est peut-etre pas exhaustive, dans la mesure OUles programmes du College philosophique, d'apres lesquels nousl'avons erablie, sont parfois incomplets.

- Le Temps et l'Autre, mars-mai 1947a1•

- Parole et Silence, 4 et 5 fevrier 1948.- Pouvoirs et Origine, 1er et 3 fevrier 1949.- LesNourritures, 16 fevrier 1950.- Les Enseignements, 23 fevrier 1950.- Ethique ou Ontologie, 22 fevrier 1951 2

L'Ecrit et l'Oral, 6 fevrier 1952.- Liberti et Commandement, 16 fevrier 19533•

- Le Moi et la Totaliti, 22 fevrier 19544•

- Le Vouloir, 1er mars 1955.- L'lnteriorite, 8 mai 19565

- La Pbilosopbie et l'Idie d'infini, 11 decernbre 19566.

a. La conference fut prononcee en quatre seances au cours des deux premiers trimestres de1947, mais au sujet des dates de ces dernieres les programmes des premier et second trimestres quenous avons pu consulter ne concordent pas.


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