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Photos : quelle valeur ?

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PHOTOS : QUELLE VALEUR ? Monique Sicard Association Médium | Médium 2012/3 - N° 32 - 33 pages 198 à 217 ISSN 1771-3757 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-medium-2012-3-page-198.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Sicard Monique, « Photos : quelle valeur ? », Médium, 2012/3 N° 32 - 33, p. 198-217. DOI : 10.3917/mediu.032.0198 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Association Médium. © Association Médium. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Laurentian University - - 142.51.1.212 - 12/03/2013 17h44. © Association Médium Document téléchargé depuis www.cairn.info - Laurentian University - - 142.51.1.212 - 12/03/2013 17h44. © Association Médium
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PHOTOS : QUELLE VALEUR ? Monique Sicard Association Médium | Médium 2012/3 - N° 32 - 33pages 198 à 217

ISSN 1771-3757

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-medium-2012-3-page-198.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Sicard Monique, « Photos : quelle valeur ? »,

Médium, 2012/3 N° 32 - 33, p. 198-217. DOI : 10.3917/mediu.032.0198

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© Association Médium. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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Monique siCaRD

La possibilité d’un clic a des effets vertigineux. Entre la délinquance

et la légalité, l’autocratie et la démocratie, le pirate et le navigateur, les frontières se déplacent ou s’effacent : une zone de trouble, voire de non droit, prend naissance.

questions et PaRaDoxes

Que copie-t-on lorsque l’on clique sur un fichier image ? Il est possible que l’immatériel se vole. Mais si la copie crée du tort à autrui, on s’interroge : de quel type est ce dommage quand la pratique extrême de la reproductibilité, la diffusion quasi gratuite au plus grand nombre, la libre circulation intégrale des images et des œuvres, sont promues comme actes généreux ? L’image si parfaitement semblable à la précédente a-t-elle statut de contrefaçon quand le double semble partie prenante d’une logique de la photographie, une part même de ce qui la fonde et la définit ? D’évidence, la copie numérique a ses rituels, ses langages, ses acteurs, ses militants, ses sociétés industrielles, ses hiérarchies sociales. « Si l’information est une valeur sacrée à défendre dans

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les sociétés démocratiques, alors la copie qui la multiplie est un sacrement », affirme l’église du Kopinism, désormais reconnue par l’État suédois comme religion officielle. Et si copier, l’interdiction absolue de notre enfance, devenait une valeur, un mode de vie, une culture, une éthique ?

Le « nous » numérique impose sa morale et ses valeurs. Parfois dans une grande méconnaissance de l’autre « nous », normal, plus simple, qui sous-tend la plupart des œuvres de culture : l’engagement, l’implication collective, la pensée de la différence. Mais que faire d’une liberté lorsqu’elle est imposée ? La définition même de la photographie est mise à mal. Elle était cette transformation profonde d’une surface sensible – électronique, argentique ou autre – sous l’effet de la lumière, puis sa solidification quasi simultanée la rendant inaltérable à la plus puissante des lumières, celle du soleil, par exemple. Extraordinaire invention résultant d’une intelligence rare, celle qui ouvre la voie tant d’une idée que de son contraire, et met en pratique leur paradoxale cohabitation.

La photo-fichier, elle, est lumineuse. Matrice de zéros et de uns, souvent reçue comme « belle », elle circule d’un ordinateur à l’autre, d’un support numérique à l’autre, modifiable à volonté, non stable, étroitement dépendante des modalités du visionnement. De format imposé ou presque, d’une matière de verre toujours la même, elle obéit à de nouvelles normes. Serait-il auteur, celui qui ne produirait que des images écrans, quand se banalisent la réception

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et l’échange de fichiers, que la prise de vue se fait clic, que le don de l’image se réduit au surgissement bref et programmé sur iPad d’enfants rigolards sur le sable des dernières vacances ? Serait-il encore auteur, celui qui n’est que « le sujet mécanique d’un instant mécanique » 1 ? Qu’est-ce qu’être auteur photographe quand la traçabilité même est mise en défaut par une insolente ubiquité planétaire, quand les créateurs se bousculent pour s’effacer sur Flickr.com derrière de sidérants couchers de soleil ou la marque d’un appareil photo ?

Lorsque devient illusoire la construction de l’unique qui préside tant au statut de l’œuvre qu’à celui de son inventeur, l’auteur ne vit plus. Il se bat pour exister.

une œuvRe De L’esPRit

Le Code de la propriété intellectuelle reconnaît explicitement les photographies comme œuvres de l’esprit. La loi du 11 mars 1957 exigeait que les images protégées possèdent un « caractère artistique et documentaire », mais la mention fut supprimée en 1992 dans le nouveau Code en vigueur : l’auteur, ainsi, fit irruption au sein de l’image alors que s’éloignait le référent. Les légendes des images, leur indexation dans de nombreuses collections, confortent ce fait symptomatique : une photographie ne renvoie plus seulement à cet objet qu’elle figure, mais à son inventeur. Sont aujourd’hui reconnus

1. L’expression est de Gaston Bachelard dans La Flamme d’une chandelle.

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comme auteurs les créateurs d’« œuvres photographiques et de celles réalisées à l’aide de techniques analogues à la photographie 2 ». Comme tout auteur, ils jouissent du droit au respect de leur nom, de leur qualité, de leur œuvre. Ce droit, attaché à la personne, est perpétuel, inaliénable et imprescriptible.

Par principe, toutes les images sont protégées, même lorsque leurs auteurs sont inconnus. Les copier intégralement ou partiellement, les utiliser à des fins autres que personnelles sans le consentement de leurs créateurs relève du délit de contrefaçon. En matière d’image – et contrairement au texte –, la citation 3 est illicite. La mention DR (droits réservés) qui fleurit de plus en plus fréquemment dans les journaux et magazines facilite certes, pour les secrétariats de rédaction, le fastidieux travail de recherche des auteurs, mais elle bafoue le droit moral. Il en va de même lorsque la signature de photothèques privées, d’administrations publiques, de sociétés de production, de collections, remplace celle des artistes, comme si les images étaient anonymes, mécaniques, sans auteurs, « acheiropoïètes ».

L’instruction fiscale du 25 juin 2003 rappelle les critères de définition d’une œuvre d’art : « Le photographe, par le choix du thème, les conditions de mise en scène, les particularités de prise

2. Soit les photographies de commande, les photographies d’architecture, les photographies aé-riennes, les photographies de plateau, les reproductions d’œuvres d’art, les photographies réali-sées par une équipe, etc.3. Soit la publication d’un détail de l’image.

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de vue ou toute autre spécialité de son travail touchant à la qualité du cadrage, de la composition, de l’expression, des éclairages, des contrastes, du choix de l’objectif ou de la pellicule, ou aux conditions particulières du développement du négatif, réalise un travail qui dépasse la simple fixation mécanique du souvenir ou d’un événement, d’un voyage ou de personnages, et qui présente donc un intérêt pour tout public 4. »

Le fisc donne sa propre définition de la photographie comme œuvre d’art. Sont reconnues comme telles « les photographies prises par l’artiste, tirées par lui ou sous son contrôle et numérotées dans la limite de trente exemplaires, tous formats et supports confondus5. » Le chiffre 30 émane certainement des limites imposées au nombre de copies cinématographiques réalisables à partir d’une même matrice négative Celluloïd. Au-delà, cette matrice est considérée comme irrémédiablement abîmée. À l’ère numérique, le chiffre perdure comme référence pour les tirages photographiques.

Une instruction de la Direction générale des impôts 6 précise que ne peuvent être considérées comme œuvres d’art susceptibles de bénéficier du taux réduit de TVA que « les photographies portant témoignage d’une intention créatrice manifeste de la part de leur auteur ». L’auteur peut sous-traiter ses tirages, argentiques

4. Voir le Guide 2010 du photographe professionnel, Éditions du Puits fleuri, 2009.5. Décret n°95-172 du 17 février 1995, codifié sous l’article 98A de l’annexe III du Code général des impôts.6. Bulletin officiel (BOI) 3 C3-03, numéro 115 du 2 juillet 2003.

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ou numériques, à condition qu’ils soient effectués sous son contrôle et selon ses instructions précises, mais le tireur lui-même n’est pas reconnu comme auteur ou coauteur.

Le photographe doit faire valoir son intention créatrice. À cette fin, il peut justifier de l’exposition de ses œuvres dans des espaces culturels (salons ou galeries d’art), à l’exclusion de lieux exclusivement dédiés au commerce.

La révolution numérique écorne, de fait, le droit d’auteur. L’original argentique, négatif ou inversible 7, était unique, donc aisément contrôlable. Sa reproduction nécessitait des investissements coûteux et conduisait à une altération de sa qualité. Le fichier numérique original est duplicable sans limitation, sans perte de qualité, d’un seul geste minuscule, même s’il s’altère à la longue et demande à être régulièrement recopié. La modification des images par des logiciels performants qui, traitant les défauts optiques des appareils, en viennent à mimer les focales d’une prise de vue qui n’a pas eu lieu 8, la diffusion instantanée, planétaire, des images, l’instabilité de la qualité de visionnement, déstabilisent les auteurs. Il leur revient, dès lors, de ne plus être passifs, de se protéger de manière active en préservant soigneusement ce qui tient lieu d’« original » (les « ekta numérique », données brutes en format RAW), en ne fournissant aux utilisateurs que des fichiers légers,

7. Inversible : film positif dont le développement donne une image positive.8. Logiciel DxO Optics Pro.

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de moindre définition, en légendant les images de manière précise, en mentionnant précisément les copyrights. La loi n° 2006-961 du 1er août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information 9, prolongée par la loi HADOPI, précise de nouveaux délits applicables à la contrefaçon d’images sur les médias numériques. Elle réprime notamment le fait de neutraliser les systèmes électroniques de protection, celui de supprimer les mentions de copyright.

naissanCe D’un MaRChé

La prolifération des images numériques induit la dévalorisation de la photographie, partant, celle de ses auteurs.

La fin du xixe siècle avait vécu des faits semblables avec l’apparition d’un marché des appareils photographiques légers, d’usage simplifié, les petits Kodak. Les pellicules en rouleau – des négatifs secs –, une fois exposées, pouvaient être déposées au laboratoire pour développement et tirage. La manie de la photo s’empara des non-spécialistes : il n’était plus besoin de disposer d’un atelier, de pratiquer soi-même le développement, de réaliser les tirages, pour disposer des images. Ceux qui défendaient une photographie de qualité espérèrent un moment que l’arrivée de la bicyclette épuiserait ces pratiques triviales 10. Ce fut peine perdue.

9. La loi dite « loi DADVSI » (Droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information).10. Il s’agit d’Alfred Stieglitz, cité par François Brunet dans La Naissance de l’idée de photographie,

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La photographie fut rendue à la médiocrité d’un marché de masse : 25 000 possesseurs d’appareils Kodak envoyèrent leurs images pour l’exposition Kodak de Londres, en 1897. François Brunet 11 raconte comment le slogan « You press the button and we do the rest ! » (Appuyez sur le bouton et nous ferons le reste !) fut raillé par les défenseurs d’une photographie d’art et remplacé par « You jab the jigger and we’ll finish the mess ! », soit « Tapez sur le bidule, on finira le gâchis ! ».

Marcel Proust 12 témoigne de cette déconsidération de la photographie dans les débuts du xxe siècle. « Elle [ma grand-mère] eût aimé que j’eusse dans ma chambre des photographies des monuments ou des paysages les plus beaux. Mais au moment d’en faire l’emplette […], elle trouvait que la vulgarité, l’utilité reprenaient trop vite leur place dans le mode mécanique de représentation, la photographie. […] Au lieu de photographies de la cathédrale de Chartres, des Grandes Eaux de Saint-Cloud, du Vésuve, elle se renseignait auprès de Swann si quelques grands peintres ne les avaient pas représentés, et préférait me donner des photographies de la cathédrale de Chartres par Corot, des Grandes Eaux de Saint-Cloud par Hubert Robert, du Vésuve par Turner, ce qui faisait un degré d’art en plus. »

PUF, 2000.11. François Brunet, Op. cit.12. À la recherche du temps perdu, Du côté de chez Swann.

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De nos jours, cependant, le marché des tirages vit une belle envolée. Le 11 novembre dernier fut vendue chez Christie’s, à New York, la photographie la plus chère du monde : 4,3 millions de dollars pour un tirage de grand format de l’auteur allemand Andreas Gursky : Rhein II 13. Dans ce marché, Gursky et Cindy Sherman occupent chacun leur tour la première place, mais les auteurs anciens tels Steichen, Stieglitz, Le Gray ou Girault de Prangey y sont fort honorés.

La reconnaissance des auteurs photographes est récente. La première galerie dédiée française, Agathe Gaillard fut créée en 1975. Les galeries, lieux du dialogue entre vendeurs spécialistes et acheteurs, favorisèrent l’émergence d’une indispensable confiance. Les ventes aux enchères, plus anonymes, prirent place dans un second temps. Le 27 octobre 1999 eut lieu chez Sotheby’s à Londres la vente des collectionneurs André et Marie-Thérèse Jammes. Ce fut un summum. Jamais une vente de photographie, n’avait atteint des sommes si élevées 14. Les 21 et 22 mars 2002 eurent lieu les deuxième et troisième ventes Jammes.

La Grande Vague de Gustave Le Gray fut adjugée sept cent soixante-deux mille euros. De pratique longtemps considérée comme mineure, la photographie était irréversiblement élevée au rang d’art. Dès le début des années 1980, cependant, on avait reçu

13. Rhein II, 1999, 185,4 x 363,5 cm.14. 11,5 millions d’euros.

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un choc en comprenant que ce n’était plus le référent de l’image qui était vendu dans ces enchères, ni même la qualité technique et artistique du tirage, mais bien Atget ou Le Gray ! Les auteurs, enfin, existaient ! L’invasion numérique invita par contraste à l’hommage au passé, sa reconnaissance émue. Plus simplement, à sa connaissance. L’étude des pionniers français par les collectionneurs, les historiens et les chercheurs fut la conséquence de la reconnaissance de la photographie comme art autant qu’un passage obligé pour la naissance d’un marché. En matière de photographie, le Vieux Continent est celui des inventeurs ; le Nouveau Monde, celui du commerce. L’association des deux fut mise à profit par les marchands. Reste que cette propulsion de la photographie et de certains de ses auteurs ne fut pas le fruit d’une évolution naturelle mais un fait construit. De grands collectionneurs, tels Helmut Gersheim, André Jammes, Harry Lunn, ont contribué à la construction des savoirs relatifs aux objets photographiques et à la gestion d’une rareté. Harry Lunn 15, par exemple, avait acquis une bonne connaissance de l’histoire de la photographie et de ses acteurs. Il se procura des collections d’autant plus importantes qu’il s’agissait de photographies et non d’œuvres plastiques. Ce furent, pour chaque auteur (Lewis Hine, Walker Evans, Eugène Atget, Robert Frank, Edward Steichen, Heinrich Kühn…), des centaines, voire des milliers d’œuvres collectées, réunies dans l’attente d’un jour de vente.

15. Samuel Kirszenbaum, « Harry H. Lunn, la vision du marchand », Études photographiques, 21 décembre 2007, mis en ligne le 18 septembre 2008. URL : http://etudesphotographiques.revues.org/index1052.html/

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Peu à peu, la photographie adoptait les critères en vigueur sur le marché des arts plastiques. Pour Nathalie Moureau et Dominique Sagot-Duvauroux 16, l’ancienne convention académique en vigueur laissait place à ce qu’ils nomment la « convention d’originalité ». Également implicite, celle-ci offrirait des références communes aux différents acteurs, empêchant ainsi de laisser prise à des spéculations sans fondements.

Pour ces auteurs, la convention doit être comprise dans les trois dimensions : unicité, authenticité, innovation. La dynamique d’un marché nécessitait en outre la requalification de cette photographie si longtemps déconsidérée.

L’unicité est gérée. Les tirages multiples des livres, des revues, des journaux, sont d’emblée disqualifiés. Il serait pourtant vain de croire que la photographie est le règne du seul multiple. D’une part, les procédés historiques du positif direct (sur papier ou sur métal) produisaient une image non reproductible ; d’autre part, l’extrême foisonnement des procédés et des dispositifs photographiques qui marque le xixe et le xxe siècle, et qui se poursuit au xxie, rend chaque image singulière propriétaire de sa propre histoire.

En conséquence, le vocabulaire s’affine. Aux ruptures économiques et symboliques répondent des évolutions sémantiques.

16. Nathalie Moureau, Dominique Sagot-Duvauroux, « La construction du marché des tirages photographiques », Études photographiques, n°22, septembre 2008, mis en ligne le 9 septembre 2008. URL : http://etudesphotographiques.revues.org/index1005.html/

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Les tirages sont rendus rares par leur connaissance affinée et les mots choisis pour les désigner.

Le vintage ne désigne le tirage original d’époque que depuis l’année 1975. Le mot vient du vocabulaire de la vigne. Il évoque un vin de grande qualité, millésimé. Mais il convient de ne pas confondre un tirage original d’époque avec un tirage original tardif (effectué par l’auteur ou sous son contrôle mais postérieur au développement), ni surtout avec un tirage posthume (réalisé après la mort de l’auteur) ; un tirage de travail (de moindre qualité que le tirage d’exposition), un tirage de presse (moins contrasté que le tirage d’exposition), avec un tirage d’exposition. Il importe enfin, de reconnaître le tirage de tête (le meilleur de tous les tirages). Cette terminologie n’est pas figée mais évolutive, en cours d’élaboration. Elle se précise sous l’effet des jurisprudences. Chaque tirage d’un même négatif, d’un même fichier, est riche d’un passé qui lui est propre. Il est possible, du moins théoriquement, en retraçant ce qui tient lieu pour lui de biographie, de lui rendre sa rareté.

De fait, les artistes photographes contemporains opèrent souvent à flux tendus : ils effectuent ou font effectuer les tirages au fur et à mesure de la demande. Pour la plupart d’entre eux, le chiffre de 30 n’est que rarement atteint. Ainsi, certains auteurs fixent d’emblée un nombre maximal de tirages qu’ils tirent d’avance ou ne tirent pas, atteignent ou n’atteignent pas. D’autres numérotent leurs tirages sans pour autant les limiter. D’autres enfin ne numérotent

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ni ne limitent leurs tirages, estimant que la photographie dispose de qualités propres qui ne sont pas à calquer sur celles des arts plastiques.

L’authenticité implique la participation de l’artiste lui-même non seulement à la prise de vue, mais encore au contrôle effectif du tirage. Cette remarque appelle deux nuances. D’une part, il existe de grands tireurs, véritables artistes, maîtres du jeu, du geste et de la main dans les pratiques argentiques 17, des matériaux et matériels dans les tirages numériques. Il est remarquable, cependant, que certains artistes, telle Sophie Calle, n’appuient pas eux-mêmes sur le déclencheur. Faisant à l’occasion effectuer par d’autres la prise de vue, ils dénoncent ainsi le caractère mécanique de la reproduction photographique du réel. Paradoxalement, le choix d’un tel geste fait partie des stratégies d’affirmation d’un statut d’auteur.

L’innovation constitue le troisième critère de jugement. Elle nécessite pour l’auteur de s’inscrire au sein d’une histoire de la photographie dont il doit, par force, posséder une bonne connaissance, qu’il choisisse la continuité ou la rupture. De fait, les procédés anciens ou dont l’usage s’est affaibli (négatif calotype, collodion humide, Polaroid) connaissent aujourd’hui un intéressant renouveau, notamment lorsqu’ils sont couplés avec des techniques 17. Dans le tirage argentique, la lumière est le matériau. Traversant le négatif, elle vient modifier la surface sensible du papier photo. Par un grand savoir-faire et le jeu subtil des mains, le tireur facilite ou freine cette action de la lumière sur l’une ou l’autre partie de l’image. Ainsi, chaque tirage d’un même négatif possède ses caractéristiques propres. La reproductibilité évoquée par Walter Benjamin est ici mise à mal.

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numériques. Une photographie n’acquiert une belle valeur que si ces trois qualités d’unicité, d’authenticité et d’innovation prennent appui sur des témoignages jugés sérieux. Sont ainsi recherchés les textes de chercheurs, d’historiens, de philosophes. L’écrit joue un rôle indispensable dans l’établissement d’une confiance.

La requalification du statut de l’image photographique, enfin, fut un préalable à la constitution du marché de la photographie d’art qu’il ne faut pas confondre avec la photographie de presse, la photographie familiale ou la photographie dite professionnelle (portraits de studios, photos de classe ou de mariage, photos publicitaires, etc.). Chacune de ces catégories dispose de critères de valeur qui lui sont propres. Mais, par chance, entre tous ces domaines, les métissages sont nombreux.

Il ne suffit plus aujourd’hui de préciser dans la légende d’une photographie que l’on fait entrer dans l’histoire s’il s’agit d’un papier salé ou d’un papier sensible insolé par laser, encore convient-il de dire quelle est la matrice de l’image : un papier sec ou humide ? une plaque de verre ? un négatif Celluloïd ? un fichier RAW ? Ainsi les photographes contemporains soucieux de figurer dans les annales de l’histoire de l’art doivent-ils prendre soin d’un légendage précis de leurs images, mentionnant non seulement la date, le lieu de la création, mais aussi l’ensemble des processus de fabrication. Intimement liés à cette reconnaissance de la photographie comme

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art, les ateliers de restauration 18 contribuent aujourd’hui amplement à l’écriture d’une histoire de la photographie en découvrant peu à peu la richesse foisonnante des anciens procédés de fabrication. Cette photographie, reçue il y a peu comme une image sans support, évolue vers l’objet fabriqué, un fétiche au sens où l’entend Bruno Latour : nous savons bien qu’elle est fabriquée car nous en connaissons les acteurs, les outils et les gestes associés, mais, sans conscience du paradoxe, nous la faisons parler au nom d’une transcendance : une nature, une magie, un invisible… Elle est un artefact qui n’est plus marqué par l’instantanéité, l’anéantissement du temps ou sa maîtrise absolue, mais par la durée d’une fabrication qui ne dissocie pas la chose et l’humain.

L’intérêt porté au temps long de la photographie, au geste, du façonnement des matériaux et de la lumière à celui des écrits d’accompagnement, est de retour. Avec lui, chaque tirage apparaît singulier, unique, inégalable et surtout incopiable. Car même s’il est en théorie possible de créer un double de tout ce que l’être humain fabrique, il reste qu’un tirage photographique est unique, toujours différent d’un tirage voisin, infiniment difficile à reproduire. Son histoire, son passé, inscrits dans sa trame même, le protègent des contrefaçons.

18. Citons notamment l’ARCP (Atelier de restauration et de conservation des photographies de la Ville de Paris), dirigé par Anne Cartier-Bresson à la Maison européenne de la photographie.

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Le sPeCtRe Du Faux

Si les fichiers numériques et la copie facilitée redonnent une vigueur inégalée à la construction d’une histoire de la photographie, rendant ainsi l’image à son médium et à ses médiations, ils font planer le spectre du faux.

Quelques affaires récentes ont défrayé la chronique. Celle des faux Man Ray, qui éclata à la fin des années 1990, est un exemple. L’acquéreur, à grands frais 19, et sur une durée de treize ans, de plus de soixante tirages des années 1920 et 1930 authentifiés « tirages Man Ray d’époque » par des certificats d’experts, fut un jour en proie au doute. La nouvelle analyse qu’il demanda fit apparaître que le papier Agfa utilisé était une édition « Nostalgia », commercialisée en 1992 et1993.

L’affaire souleva la question du faux et de sa définition même. Qu’est-ce donc qui serait faux ici ? Le retirage, après la mort de l’auteur, d’images positives de grande qualité à partir de négatifs authentiques ? S’agissait-il de tirages effectués à partir d’un internégatif 20 ou d’un contretype, sachant que seuls sont considérés comme authentiques les tirages réalisés à l’époque même de la prise de vue ?

19. Il s’agit de Werner Bokelberg, célèbre collectionneur allemand. 20. L’internégatif est le double d’un négatif original. Le contretype est réalisé par la prise de vue d’un tirage précédent.

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La controverse fit grand bruit. Elle bénéficie d’un regain d’actualité à l’époque conjointe d’une dynamique d’emballement du marché et d’une crise économique qui fait de la photo d’art une belle valeur refuge. N’était-il pas dans l’ordre des choses, dans la logique même de la photographie argentique, de multiplier les tirages à partir d’une matrice originale ? La photographie, dès lors, ne relèverait pas d’une œuvre unique mais d’un ensemble à conserver sous ses multiples formes reproductives.

En juin 2011, 185 épreuves sur papier salé et 73 négatifs ont été vendus à Deauville par Artcurial, première maison française de vente aux enchères. Le lot aurait été acheté quelques années auparavant dans une braderie, pour une somme vingt fois moindre. Leur auteur annoncé serait le peintre et graveur Charles de Crespy Le Prince, « le baron de Crespy », né en 1785, dont on ignorait jusque-là qu’il avait pratiqué la photographie. Les images apparues en 2011 sont signées et datées. Elles auraient été réalisées en 1848, soit neuf ans à peine après la naissance officielle de la photographie, et ont été vendues chacune plus de 250 000 euros. À titre d’exemple, une photographie de Gustave Le Gray, datée de 1856, fut vendue en ce même mois de juin 2011 plus de 900 000 euros. Charles de Crespy Le Prince était borgne : on décela dans son travail un léger flou conséquent. Les acheteurs, cependant, furent sujets au doute : les images avaient été réalisée à l’aide d’une cire qui ne fut connue qu’après 1848. L’un d’eux refusa de payer. Les premiers experts appelés conclurent à l’impossibilité de formuler des certitudes

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sur la date de réalisation. La société Photoceros fut, quant à elle, catégorique : il ne s’agissait pas de photos du xixe siècle. Le lot entier serait faux.

Le mal était fait. Le baron Crespy, promu photographe au mois de juin, allait mettre un frein à l’ensemble du marché de la photographie ancienne, sans qu’un jugement définitif soit formulé. Peu importent d’ailleurs le fondement et la réalité. La rumeur, la peur, le spectre du faux, suffirent à faire cesser les transactions. Durant neuf mois, aucune vente n’eut lieu. Les économistes estimèrent que les transactions baisseraient ensuite de moitié.

La banalisation des pratiques photographiques sous l’emprise des procédés industriels Kodak de la fin du xixe siècle ou sous celle des outils numériques un siècle plus tard conduit à rendre invisible le médium. « Faites un clic, nous ferons le reste ! », clament les petits compacts numériques. L’image (stricto sensu) fut la gagnante. On ignora ses supports, ses processus de fabrication, sa matérialité même. Les auteurs, la part humaine de la photographie furent souvent niés. Les légendes des images témoignent de telles exclusions.

Mais, paradoxalement, les travaux des chercheurs, les acquisitions et les pratiques des collectionneurs provoquaient une revalorisation de l’image-objet. Par mimétisme avec le marché des arts plastiques, l’unicité de la photographie, pourtant

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ontologiquement partie prenante du multiple, fut recherchée. Elle redonna au médium ses lettres de noblesse. Le passé ne fut pas dévalué par les nouvelles technologies de l’image. À l’inverse, il devint l’objet de toutes les attentions. Le numérique redonna vigueur à l’argentique ou aux procédés anciens non argentiques, comme la photographie le faisait pour la peinture.

En janvier dernier, l’entreprise Kodak a annoncé qu’elle se restructurait et déposait le bilan. En 1975, alors que le mot vintage devait apparaître, l’entreprise mettait au point le premier appareil photo numérique. Elle s’est, depuis, trouvée dépassée par l’univers même qu’elle avait contribué à créer. Les cinq années de retard prises sur les concurrents Fuji, Canon et Sony relevaient de l’irrattrapable. Treize usines et cent trente laboratoires furent fermés, quarante-sept mille emplois supprimés. Le groupe ne disparaîtrait pas pour autant mais il recentrerait ses préoccupations sur la vente des encres et des imprimantes et sur la gestion de ses 1100 brevets, porteuse en filigrane de nouvelles promesses de judiciarisation.

Au moment même où étaient détruites les usines Kodak de Chalon-sur-Saône, berceau de la photographie, une extraordinaire découverte avait lieu dans le voisinage. Un atelier de photographie intact, avec ses fioles, ses appareils, ses produits, était mis au jour dans une pièce restée fermée depuis 1855. Son propriétaire, Petiot-Groffier (1788-1855), un ami de Nicéphore Niepce, avait bien pu l’utiliser jusqu’à sa mort.

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Les conséquences de l’effet boomerang induit par la révolution numérique se révélaient paradoxales.

La destruction d’usines qui comptaient, il y a quelques années, au rang des joyaux de la modernité, le licenciement des personnels, eurent pour corollaire l’extrême protection d’un très vieil atelier situé au premier étage d’une maison de vigneron.

MOnIquE SICaRD est chercheur à l’Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS/ ENS), responsable de l’axe « Genèse des arts visuels ». Collaborateur de la revue Médium.

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