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Principes et enjeux Mécanismes et principes de la ... · Il y a cependant une longue liste de...

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La Lettre du Neurologue • Vol. XIX - n o 7 - septembre 2015 | 193 DOSSIER Principes et enjeux Mécanismes et principes de la vaccination, danger d’une surstimulation vaccinale ? Mechanisms and principle of vaccination, danger of vaccine overstimulation? M.L. Gougeon* *Unité immunité antivirale, biothéra- pies et vaccins, Institut Pasteur, Paris. L a vaccination est un procédé qui permet de lutter contre les maladies infectieuses en stimulant les défenses immunitaires de l’organisme. Elle peut être préventive de l’infection ou thérapeutique pour le traitement de patients infectés. La vacci- nation préventive consiste à exposer l’organisme à des formes non pathogènes ou à des composants des micro-organismes, conduisant à la production d’anti- corps spécifiquement dirigés contre les agents infec- tieux ciblés par le vaccin. Lors du contact ultérieur avec l’agent infectieux, la production d’anticorps de même spécificité chez le sujet vacciné sera suffi- samment rapide pour empêcher l’apparition des manifestations cliniques et éliminer l’agent infec- tieux avant qu’il n’envahisse l’organisme. La vacci- nation préventive représente l’une des mesures les plus efficaces pour le contrôle des maladies infec- tieuses, et on considère qu’elle a permis de sauver au xx e siècle 2 à 3 millions de vies par an. Elle a permis d’éradiquer la variole, et la poliomyélite est en voie de disparition. La plupart des maladies virales et bactériennes sont maintenant évitables grâce aux vaccins (GIVS 2006-2015 sur http://apps.who.int/ iris/bitstream/10665/69352/1/GIVS_fre.pdf). Il y a cependant une longue liste de virus (par exemple, le VIH, la dengue, le cytomégalovirus [CMV], le virus respiratoire syncytial), de parasites (par exemple, Plasmodium, Leishmania, Trypanosoma, Schistosoma) et de bactéries (par exemple, Mycobacterium tuber- culosis, Staphylococcus aureus, Meningococcus groupe B) pour lesquels il n’existe pas de vaccin, et qui représentent une cause majeure de décès dans le monde. Dans le futur, le développement de nouveaux vaccins aura un impact considérable sur la mortalité liée aux maladies infectieuses. Réponse immunitaire vaccinale et corrélats de protection Un vaccin est fabriqué à partir d’un agent infec- tieux (virus, bactérie, parasite) complet, de ses constituants (protéines, polysaccharides) ou de ses produits (toxines), dont on enlève la capacité d’induire la maladie tout en conservant celle d’induire une réponse immunitaire. On distingue aujourd’hui 3 types de vaccins : les vaccins vivants atténués : BCG, fièvre jaune, rougeole-rubéole-oreillons (RRO), par exemple ; les vaccins inactivés : choléra, hépatite A, polio- myélite, rage, par exemple ; les antigènes vaccinaux purifiés : par exemple, coqueluche, diphtérie, tétanos pour les vaccins protéiques, pneumocoque ou typhoïde injectable pour les vaccins polysaccharidiques, Haemophilus influenzae de type B ou méningocoque groupe C pour les vaccins conjugués polysaccharides + protéines. L’immunogénicité d’un vaccin dépend de sa nature chimique, de la voie d’administration et de l’uti- lisation d’adjuvants. Les vaccins protéiques sont les plus immunogènes. Certains vaccins constitués de polysaccharides de petit poids moléculaire sont conjugués à une protéine, telle que l’anatoxine diphtérique ou l’anatoxine tétanique, afin d’aug- menter leur immunogénicité. Pour la plupart des vaccins, la protection contre l’infection passe par l’induction d’anticorps neutrali- sants car beaucoup d’agents infectieux atteignent leur cible sous une forme extracellulaire. D’autres agissent au travers de la production de toxines, neutralisables par des antitoxines, ou se répliquent à la surface de muqueuses qui produisent localement des anticorps.
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La Lettre du Neurologue • Vol. XIX - no 7 - septembre 2015 | 193

DOSSIER

Principes et enjeuxMécanismes et principes de la vaccination, danger d’une surstimulation vaccinale ?Mechanisms and principle of vaccination, danger of vaccine overstimulation?

M.L. Gougeon*

*Unité immunité antivirale, biothéra-pies et vaccins, Institut Pasteur, Paris.

La vaccination est un procédé qui permet de lutter contre les maladies infectieuses en stimulant les défenses immunitaires de l’organisme. Elle

peut être préventive de l’infection ou thérapeutique pour le traitement de patients infectés. La vacci-nation préventive consiste à exposer l’organisme à des formes non pathogènes ou à des composants des micro-organismes, conduisant à la production d’anti-corps spécifiquement dirigés contre les agents infec-tieux ciblés par le vaccin. Lors du contact ultérieur avec l’agent infectieux, la production d’anticorps de même spécificité chez le sujet vacciné sera suffi-samment rapide pour empêcher l’apparition des manifestations cliniques et éliminer l’agent infec-tieux avant qu’il n’envahisse l’organisme. La vacci-nation préventive représente l’une des mesures les plus efficaces pour le contrôle des maladies infec-tieuses, et on considère qu’elle a permis de sauver au xxe siècle 2 à 3 millions de vies par an. Elle a permis d’éradiquer la variole, et la poliomyélite est en voie de disparition. La plupart des maladies virales et bactériennes sont maintenant évitables grâce aux vaccins (GIVS 2006-2015 sur http://apps.who.int/iris/bitstream/10665/69352/1/GIVS_fre.pdf). Il y a cependant une longue liste de virus (par exemple, le VIH, la dengue, le cytomégalovirus [CMV], le virus respiratoire syncytial), de parasites (par exemple, Plasmodium, Leishmania, Trypanosoma, Schistosoma) et de bactéries (par exemple, Mycobacterium tuber-culosis, Staphylococcus aureus, Meningococcus groupe B) pour lesquels il n’existe pas de vaccin, et qui représentent une cause majeure de décès dans le monde. Dans le futur, le développement de nouveaux vaccins aura un impact considérable sur la mortalité liée aux maladies infectieuses.

Réponse immunitaire vaccinale et corrélats de protectionUn vaccin est fabriqué à partir d’un agent infec-tieux (virus, bactérie, parasite) complet, de ses constituants (protéines, polysaccharides) ou de ses produits (toxines), dont on enlève la capacité d’induire la maladie tout en conservant celle d’induire une réponse immunitaire. On distingue aujourd’hui 3 types de vaccins :

➤ les vaccins vivants atténués : BCG, fièvre jaune, rougeole-rubéole-oreillons (RRO), par exemple ;

➤ les vaccins inactivés : choléra, hépatite A, polio-myélite, rage, par exemple ;

➤ les antigènes vaccinaux purifiés : par exemple, coqueluche, diphtérie, tétanos pour les vaccins protéiques, pneumocoque ou typhoïde injectable pour les vaccins polysaccharidiques, Haemophilus influenzae de type B ou méningocoque groupe C pour les vaccins conjugués polysaccharides + protéines.L’immunogénicité d’un vaccin dépend de sa nature chimique, de la voie d’administration et de l’uti-lisation d’adjuvants. Les vaccins protéiques sont les plus immunogènes. Certains vaccins constitués de polysaccharides de petit poids moléculaire sont conjugués à une protéine, telle que l’anatoxine diphtérique ou l’anatoxine tétanique, afin d’aug-menter leur immunogénicité.Pour la plupart des vaccins, la protection contre l’infection passe par l’induction d’anticorps neutrali-sants car beaucoup d’agents infectieux atteignent leur cible sous une forme extracellulaire. D’autres agissent au travers de la production de toxines, neutralisables par des antitoxines, ou se répliquent à la surface de muqueuses qui produisent localement des anticorps.

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Points forts

Mots-clésVaccinAdjuvantInflammationCytokines

Highlights » Vaccination remains an

important public health tool for infectious disease prevention.

» The safety of vaccines is a priority, particularly in the prophylactic programs.

» They may include adjuvants that ensure the potency and quality of the immune response.

» However, adjuvants can cause many toxic reactions due to an overstimulation of the immune system, leading to systemic reactions, including the acute phase response, hypersensitivity reactions, auto-immune manifestations, altera-tion of the hepatic metabolism, etc.

» The adjuvants mimic signals induced by pathogens, acti-vating the innate immune cells, leading to the release of pro-inflammatory mediators, such as IL-1β, IL-6, TNF-α, which can cause severe adverse events if produced at high concentra-tions.

KeywordsVaccineAdjuvantInflammationCytokines

» Un vaccin est fabriqué à partir d’un agent infectieux complet, de ses constituants (protéines, polysaccha-rides) ou de ses produits (toxines), dont on enlève la capacité d’induire la maladie tout en conservant celle d’induire une réponse immunitaire. Un corrélat de protection est défini comme une réponse à un vaccin associée à la protection contre l’infection, la maladie ou tout autre critère d’évaluation.

» Bien que le corrélat de protection vaccinale soit très fréquemment associé à la réponse humorale, les réponses T à médiation cellulaire sont indispensables à une protection contre les infections intracellulaires.

» Un vaccin adjuvanté contient des signaux de danger, reconnus par les cellules de l’immunité innée, conduisant à la production de médiateurs pro-inflammatoires, pouvant entraîner des manifestations d’immunotoxicité.

» Les adjuvants inclus dans les vaccins prophylactiques ou thérapeutiques sont impliqués dans différents types de réactions systémiques, dont les mécanismes sont mal compris, mais qui révèlent un rôle clé des cytokines pro-inflammatoires.

Ainsi, les anticorps peuvent neutraliser le virus, neutraliser la toxine et induire une opsonophago-cytose ou la destruction dépendante du complément de la bactérie. La première exposition à un antigène vaccinal induit une réponse humorale lente, peu spéci-fique, se traduisant par la production d’anticorps IgM par les cellules plasmocytes. Lors du rappel vaccinal, la réponse est plus rapide, les titres d’anticorps sont plus élevés et les IgG produites sont plus spécifiques et à plus longue durée de vie. La protection vaccinale repose sur l’existence de cellules B mémoires produc-trices d’IgG induites par le vaccin, et dont le pool sera augmenté lors des rappels vaccinaux.Un corrélat de protection est défini comme une réponse à un vaccin associée à la protection contre l’infection, la maladie ou tout autre critère d’éva-luation (1). L’administration passive d’anticorps ou la mise en évidence du rôle protecteur des anticorps maternels chez le nouveau-né représentent un moyen de démontrer qu’ils sont un corrélat de protection. C’est le cas notamment dans la variole, la diphtérie, le tétanos, l’hépatite A, l’hépatite B, la varicelle, la rougeole, la rubéole, la varicelle, ou la poliomyélite. Les tests sérologiques permettent de définir si le niveau d’anticorps induits par un vaccin est suffisant pour conférer une protection. Ces tests, fondés sur la liaison de l’anticorps sérique à l’antigène vaccinal, ne donnent pas d’information sur la fonction des anticorps, donc leur capacité protec-trice. Par exemple, le vaccin polysaccharidique contre la méningite à méningocoques est peu protecteur chez les enfants jeunes, bien que le titre des anticorps soit significatif. En réalité, les tests bactéricides montrent une faible activité, qui augmente avec l’âge et est corrélée à la protection (2). Un autre exemple concerne le vaccin polysaccharidique contre le pneumocoque, très efficace chez les jeunes adultes et beaucoup moins chez les personnes âgées. Cette disparité est associée aux taux d’anticorps opsono-phagocytiques, bien meilleurs chez les adultes âgés de moins de 46 ans (3). Les anticorps présents à la surface des muqueuses − soit des IgA sécrétées localement, soit des IgG transcytosées − peuvent avoir un rôle protecteur contre des micro-organismes qui sont pathogènes au niveau mucosal, tels que les virus respiratoires. Une démonstration du rôle protecteur de ces anticorps a été apportée dans

le cadre du développement d’un vaccin atténué contre la grippe, administré à des enfants par voie intranasale. Ceux qui ne présentaient ni anticorps sériques ni anticorps intranasaux excrétaient le virus beaucoup plus fréquemment (63 % du temps) que ceux qui présentaient les 2 types d’anticorps (3 %), des IgG sériques uniquement (15 %) ou des anticorps intranasaux uniquement (19 %). Ainsi, 2 corrélats de protection, agissant en synergie, étaient identifiés pour ce vaccin atténué (4).Bien que le corrélat de protection vaccinale soit très fréquemment associé à la réponse humorale, on sait que les réponses T à médiation cellulaire sont indispensables à une protection contre les infections intracellulaires. L’exemple de la vaccination contre la grippe est intéressant puisque, chez les enfants et les jeunes adultes, les niveaux d’anticorps contre l’hémagglutinine (HA) sont associés à la protection contre l’infection, ceux contre la neuraminidase (NA) sont associés à l’atténuation de la maladie, alors que, chez les personnes âgées, c’est la réponse prolifé-rative des cellules T CD4+ aux antigènes grippaux et le taux de production de cytokines qui est corrélé à la protection contre la maladie (5). Dans le cas du vaccin BCG contre la tuberculose, la production d’interféron γ par les lymphocytes T CD4+ est associée à la protection contre la maladie après exposition au bacille tuberculeux, notamment chez l’enfant, et les cellules T CD8+ stimulées peuvent lyser les macrophages infectés mais aussi maintenir le bacille dans un état latent. En ce qui concerne la protection induite par le BCG, une méta-analyse de données produites entre 1950 et 2013, visant à évaluer l’efficacité du BCG contre l’infection tuber-culeuse chez les enfants âgés de moins de 16 ans, a montré que, même si seulement 27 % des enfants vaccinés étaient protégés contre l’infection, 71 % étaient protégés contre la maladie, tuberculose pulmonaire ou méningite tuberculeuse (6). L’impor-tance de la coopération entre réponse humorale et réponse cellulaire dans la protection vaccinale est illustrée dans le cas du vaccin contre la variole. Celui-ci induit une réponse anticorps persistante tout au long de la vie, protectrice, mais qui dépend d’une mémoire T vaccinale qui décline dans le temps. La combinaison anticorps et immunité cellulaire est nécessaire pour que l’infection soit asymptomatique.

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DOSSIER

Réponses immunitaires selon les types de vaccins

Les plus immunogènes sont les vaccins vivants atténués, infectieux mais qui ont perdu leur pouvoir pathogène (vaccin polio-buvable, RRO). Ils induisent une réponse immunitaire humorale et cellulaire, systémique et mucosale, en raison de leur réplication systémique. La réponse immunitaire et la protection conférée par les vaccins vivants sont de même nature et de même intensité que celles qui suivent l’infection naturelle. La réponse vaccinale est durable et un rappel est inutile. Ils ont l’inconvénient d’être fragiles et difficiles à conserver. Un autre inconvénient est le risque de retour à la virulence (réversion de 1/500 000 cas de vaccination pour le vaccin antipoliomyélite). Un autre type de vaccins, entiers inactivés, requière la présence d’un adjuvant car ils sont rapidement éliminés après leur injection. Les cellules inflammatoires (cellules dendritiques) au site d’injection vont initier la réponse locale, puis migreront vers les ganglions lymphatiques régionaux, où elles transporteront les antigènes vaccinaux. Les réponses spécifiques, nécessaires à la protection, seront induites et un pic d’anticorps sérique apparaîtra 1 mois après la vaccination. L’administration d’un rappel sera nécessaire pour induire une mémoire B durable. La nature de l’antigène, la quantité injectée, la répétition des doses et l’intervalle entre celles-ci sont des facteurs importants de succès d’un vaccin inactivé. Les vaccins peuvent aussi être préparés à partir d’extraits du pathogène, de protéines purifiées, de peptides, ou de toxines : ce sont les vaccins sous-unitaires. Lorsque les antigènes vaccinaux sont polysaccharidiques (pneumocoque), ils peuvent être conjugués à des protéines pour augmenter leur immunogénicité. Les polysaccharides seuls stimulent directement les lymphocytes B, résultant en une production d’anticorps, mais aucune mémoire B n’est induite. La protection qu’ils confèrent est donc de courte durée et un rappel sera inutile, puisque aucune mémoire n’est induite. Le couplage des polysaccharides à une protéine, par exemple l’anatoxine diphtérique inactivée, permet d’obtenir une réponse anticorps IgG grâce aux lymphocytes T CD4+ stimulés par les cellules dendritiques et une réponse B de type mémoire (cf. le vaccin Prevenar 13® contre la pneumonie à pneumocoque).

Conséquences d’une surstimulation du système immunitaire

Les adjuvants sont des composants importants de certains vaccins, garantissant leur efficacité lorsque les vaccins ne sont pas assez immunogènes par eux-mêmes. Les plus utilisés sont les sels d’alu-minium, mais de nombreux nouveaux adjuvants ont été développés ces dernières années. Les adjuvants stimulent les cellules de l’immunité innée, requise pour activer les lymphocytes B et T qui produiront la réponse adaptative spécifique du vaccin/pathogène. Le système immunitaire inné joue un rôle de senti-nelle, et les cellules qui le constituent, notamment les cellules dendritiques, sont activées au contact des PAMP (Pathogen-Associated Molecular Patterns), signaux de danger, par le biais des TLR (Toll-Like Receptors) et des NLR (NOD-Like Receptors). Cela déclenche la maturation des cellules dendritiques, qui présentent les antigènes aux cellules T dans le contexte des molécules HLA, puis des cytokines et des chimiokines seront produites. Ces médiateurs attirent les lymphocytes T au point d’inflammation et contribuent à leur différenciation en effecteurs polarisés de type Th1, Th2, Th17. Ces données ont tout naturellement conduit à l’utilisation des PAMP comme adjuvants. Ainsi, le Monophosphoryl lipid A (MPL), dérivé du LPS de Salmonella minnesota, est un agoniste du TLR4, les oligodésoxynucléotides sont des agonistes de TLR9, et la flagelline est un agoniste du récepteur TLR5. Les sels d’aluminium induisent de bonnes réponses humorales (anticorps et Th2), mais peu ou pas de réponse cellulaire (Th1 et CD8+ cytotoxiques).Après injection, un vaccin adjuvanté induit une réaction inflammatoire locale initiée par les signaux de danger qu’il contient. Ces signaux induisent la production de cytokines pro-inflammatoires (IL-1β, TNFα, IL-6 et IL-17) et de chimiokines par les cellules de l’immunité innée, qui peuvent ensuite entraîner des manifestations secondaires systémiques d’immu-notoxicité dans différents organes et tissus (figure, p. 196) [7]. En effet, les adjuvants peuvent entraîner une surstimulation des mécanismes inflammatoires, associée à une forte production de médiateurs causant une série de symptômes dépendant de leur concentration sérique et de leur persistance, allant d’une hyperthermie transitoire à un état de choc similaire à un choc septique, associé à un “orage cytokinique” (8). Les syndromes principalement observés lors d’une surstimulation du système

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Cerveau (axe hypothalamo-pituito-

surrénalien)

Foie

Tissus périphériques Tissus périphériques

Cellules endothéliales

Syndrome grippal Fièvre, fatigue, myalgies, maux de tête, nausées

Protéines de phase aiguë élevées Complément Coagulation/fibrinolyse : fibrinogène, plasminogène, protéine S… Biomarqueurs : CRP, SAA

Altération de la clairance hépatique Réduction de l’expression et activité du CYP Altération post-vaccination du métabolisme des médicaments

Site d’inoculation

Cytokines inflammatoires Cytokines inflammatoires

IL-1, IL-6, TNFα, IL-17…

Vaisseau capillaire

Réactions auto-immunesSpécifiques d’organes ou manifestations systémiques d’auto-immunité

Réactions d’hypersensibilité Réactions allergiques, cytopénies, maladies à complexes immuns

Syndrome de fuite capillaire Augmentation de la perméabilité vasculaire, œdèmes puis défaillances multiviscérales

Réaction locale

Réactions systémiques

Note : cette figure représente des situations extrêmes et rares ; elle n’est pas représentative de l’effet d’un adjuvant en particulier.

Figure. Représentation schématique des réactions immunotoxiques qui peuvent être induites par les vaccins adjuvantés dans un contexte de surstimulation.

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DOSSIERVaccination

et maladies neurologiques : risques et bénéfi ces

Mécanismes et principes de la vaccination, danger d’une surstimulation vaccinale ?

immunitaire par des vaccins adjuvantés sont le syndrome de phase aiguë, des réactions d’hypersensi-bilité, l’induction ou l’aggravation de maladies auto-immunes, la modifi cation de la clairance hépatique, et le syndrome de fuite vasculaire. Le syndrome de phase aiguë est transitoire, associé à des symptômes pseudo-grippaux survenant dans les heures qui suivent l’administration de bactéries atténuées ou tuées, d’un vaccin adjuvanté ou d’un immunos-timulant, et caractérisé par de la fi èvre pouvant parfois dépasser 40 °C, de la fatigue, des myalgies, des maux de tête et des nausées. Les responsables sont l’IL-1β, relarguée par les leucocytes, et d’autres cytokines infl ammatoires (TNFα, IL-6, IL-8, IFNβ, IFNγ), qui agissent en tant que pyrogènes (9) en se fi xant à des récepteurs spécifi ques exprimés dans l’hypothalamus, induisant la production de PGE2 puis d’AMPc, qui agit directement sur le thermostat hypothalamique.Une réaction d’hypersensibilité immédiate, ou allergie, peut être observée à la suite de l’adminis-tration d’un vaccin, mais c’est un événement rare. Cette réaction est médiée par des IgE, résultant

d’une sensibilisation antérieure au vaccin, à l’agent infectieux ou à l’un de ses produits : adjuvant (aluminium), conservateur (thimerosal), antibio-tique… Les manifestations varient de l’urticaire généralisée à des symptômes cardiaques et respi-ratoires sévères avec une bronchoconstriction et un œdème laryngé. La question de l’allergie induite par l’adjuvant est posée (10). L’aluminium vaccinal est connu pour stimuler la production d’IL-1β, d’IL-18 et d’IL-33, mais pas d’IL-12, induisant un profi l Th2 caractérisé par le relargage de cytokines Th2 (IL-3, IL-4, IL-5, IL-9 et IL-13), potentialisant ainsi une réponse IgE. En 1998, des chercheurs ont décrit la myofasciite à macrophages (MFM), caractérisée par une lésion infl ammatoire au point d’injection où l’on retrouve des cristaux d’aluminium, associée à un syndrome comportant fatigue chronique, douleurs musculaires et arthralgies (11). Une étude conduite par l’AFSSAPS en 2004 a conclu à l’absence de relation entre les signes systémiques et la lésion histologique. Cependant, des neurologues ont décrit, chez la plupart des patients présentant une MFM, une dysfonction cognitive caractérisée par

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DOSSIER

des troubles de la mémoire visuelle, un syndrome de déconnexion interhémisphérique, et un syndrome dysexécutif (12).La suspicion d’un lien entre maladies auto-immunes et vaccins a été principalement attribuée à la présence des adjuvants, et un syndrome inflammatoire d’auto-immunité induit par les adjuvants (ASIA) a été récemment identifié (13). Le syndrome ASIA associe myalgies, arthralgies, fatigue chronique, manifestations neurologiques associées à une démyélinisation, troubles cognitifs et perte de mémoire. En théorie, la formulation vaccinale contient tous les éléments nécessaires à l’induction de maladies auto-immunes chez les sujets susceptibles (14). L’antigène vaccinal peut contenir des épitopes mimétiques de structures du soi, dans un contexte où l’adjuvant stimule l’expression de molécules costimulatrices et de médiateurs de l’inflammation, conduisant à l’acti-vation polyclonale de lymphocytes T autoréactifs. Il est possible que certains facteurs génétiques représentent des facteurs prédisposants, dans lesquels la présentation d’antigène influencée par des haplotypes HLA, tels que HLA-DRB1 et DQB1, conduirait à une cascade auto-immune après vacci-nation. En pratique, une association entre un vaccin donné et une maladie auto-immune n’a jamais été confirmée.L’association entre la modification de la clairance hépatique et l’immunostimulation a été montrée il y a plusieurs décennies chez l’animal en utilisant différents vaccins et adjuvants, montrant que l’activité du cytochrome P450 était inhibée chez le rat vacciné avec le BCG ou traité avec des induc-teurs d’interféron. Plus récemment, cette même observation a été faite chez des enfants souffrant d’une défaillance multiviscérale dans un contexte de sepsis (15). En fait, la modulation de l’expression de plusieurs isoformes de P450 est associée au relargage des cytokines IL-1, IL-2, IL-6, TNF, TGFβ et IFN dans un contexte inflammatoire ou infec-tieux (16). Mais ces effets sont réversibles. Dans ce contexte, la vaccination peut présenter un risque pour des personnes souffrant de maladies chroniques affectant la clairance hépatique telles que l’hépatite chronique ou la cirrhose hépatique.Certaines cytokines ont été utilisées comme adjuvants, administrées de façon systémique ou mucosale. Par exemple, le TNFα a été inclus dans

un vaccin mucosal anti-VIH, l’IFNγ dans un vaccin anti-influenza, l’IL-2 dans un vaccin mucosal contre le pneumocoque, l’IL-15 dans un vaccin contre la tuberculose, et le GM-CSF dans un vaccin contre l’hépatite. Le syndrome de fuite capillaire a été observé à la suite de l’administration de cytokines telles que l’IL-1, l’IL-2, l’IL-3, l’IL-4, le GM-CSF, l’IFNα et l’IFNβ. Il est caractérisé par une augmentation de la perméabilité vasculaire conduisant à des œdèmes et, finalement, à une défaillance multi-viscérale. Les causes sont mal connues, et peuvent impliquer l’activation des cellules endothéliales et des leukocytes, le relargage de médiateurs de l’inflammation, ou encore des altérations dans les contacts intercellulaires et dans les fonctions du cytosquelette induisant une perturbation de l’inté-grité vasculaire. Cette hyperperméabilité capillaire représente un obstacle à l’utilisation de cytokines comme adjuvants dans les vaccins.

Conclusion

Le développement des futurs vaccins dépendra de l’utilisation d’adjuvants. Tous les vaccins avec adjuvants sont soumis à des tests de toxicité rigoureux chez l’animal avant d’être étudiés chez l’homme en phase I, II ou III. Leur sécurité a pu être vérifiée lors des campagnes de vacci-nation antigrippale de l’année 2009-2010, et les conclusions de l’ANSM soulignent qu’aucun signal d’alerte n’a conduit à remettre en cause le profil de tolérance de ces vaccins. Le bénéfice apporté par des vaccins adjuvantés l’emporte sur le risque qu’ils présentent, et la résurgence de la maladie prévenue par le vaccin entraînerait, de façon certaine, une morbidité très supérieure à celle des maladies neuro-logiques ou auto-immunes qui lui sont imputées. Plus de 90 % des événements indésirables sont des réactions locales modérées. Lorsque des réactions se produisent dans les minutes qui suivent la vacci-nation, la relation causale est faite. Lorsqu’il s’agit de maladies auto-immunes qui surviennent longtemps après la vaccination, il est difficile de définir si cette maladie est causée ou exacerbée par le vaccin ou sans relation avec lui. Seules des études prospectives multinationales de grande envergure permettront de déterminer la nature et la fréquence des événements rares associés à la toxicité des vaccins (17). ■

L’auteur n’a pas précisé ses éventuels liens d’intérêts.

Références bibliographiques

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La Lettre du Neurologue • Vol. XIX - no 7 - septembre 2015 | 237

DOSSIER

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Références bibliographiques


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