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Review & Evaluation · 2021. 4. 25. · 3 Michael Scriven, Evaluation Thesaurus: Fourth Edition....

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Les opinions exprimées et les arguments présentés dans cet article/publication n’engagent que leurs auteurs, et ne correspondent pas nécessairement aux vues de l'OCDE ou des gouvernements des pays Membres. DIRECTION DE LA COOPERATION POUR LE DEVELOPPEMENT DEVELOPMENT CO-OPERATION DIRECTORATE Examen et Evaluation Review & Evaluation Approches institutionnelles de la cohérence des politiques au service du développement Atelier OCDE 18-19 mai 2004 Document de séance n° 2: DOCUMENT DE REFLEXION : EVALUATION DE LA COHERENCE DES POLITIQUES ET DES PROGRES DU DEVELOPPEMENT Concepts, problèmes et approches possibles Personne à contacter: Robert Picciotto Global Policy Project Courriel: [email protected]
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Les opinions exprimées et les arguments présentés dans cet article/publication n’engagent que leurs auteurs, et ne correspondent pas nécessairement aux vues de l'OCDE ou des gouvernements des pays Membres.

DIRECTION DE LA COOPERATION POUR LE DEVELOPPEMENT

DEVELOPMENT CO-OPERATION DIRECTORATE

Examen et Evaluation Review & Evaluation

Approches institutionnelles de la cohérence des politiques au service du développement

Atelier OCDE

18-19 mai 2004

Document de séance n° 2:

DOCUMENT DE REFLEXION : EVALUATION DE LA COHERENCE DES POLITIQUES ET DES PROGRES DU

DEVELOPPEMENT

Concepts, problèmes et approches possibles

Personne à contacter: Robert Picciotto Global Policy Project Courriel: [email protected]

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ATELIER DE L’OCDE SUR LES APPROCHES INSTITUTIONNELLES DE LA COHERENCE DES POLITIQUES AU SERVICE DU DEVELOPPEMENT Paris, 18-19 mai 2004 DOCUMENT DE REFLEXION : EVALUATION DE LA COHERENCE DES POLITIQUES ET DES PROGRES DU DEVELOPPEMENT1 Concepts, problèmes et approches possibles R. Picciotto, Global Policy Project « La cohérence des politiques au service du développement… ne peut être imposée par la communauté du développement. Il est toutefois indispensable que cette dernière veille, comme c’est son devoir, à ce que l’aspect développement soit pleinement appréhendé et pris en compte, car dans le cas contraire la majeure partie des dépenses que nous consentons ne serviront qu’à compenser les coûts imposés à nos partenaires par les politiques suivies par ailleurs par nos propres gouvernements. » Richard Manning, Président du Comité d’aide au développement Le présent document expose les concepts régissant l’évaluation de la cohérence des politiques au service du développement dans les pays de l’OCDE, les problèmes que celle-ci soulève et les options qui s’offrent dans ce domaine. Son objectif premier est de préciser les approches possibles, de stimuler la réflexion et d’alimenter le débat entre les divers groupes intéressés. Le contenu du présent document s’appuie sur une étude documentaire, une enquête ciblée2 et des entretiens avec des évaluateurs travaillant dans le domaine du développement et des décideurs. L’évaluation de la cohérence des politiques au service du développement demeure un territoire encore largement inexploré. Avant de formuler, à l’intention de l’OCDE et de ses partenaires, des suggestions concernant les approches, techniques et modalités d’organisation susceptibles d’être adoptées en la matière, le mieux est donc de procéder à un examen de la logique sous-tendant la notion de cohérence, des raisons incitant à œuvrer à la cohérence des politiques au service du développement et des initiatives en cours à l’appui de cette dernière. Des paragraphes qui suivent, il ressort que la quête systématique de cohérence des politiques est un principe de bonne gouvernance mais qu’elle ne suffit pas à éliminer toutes les incohérences. De solides mécanismes de suivi et d’évaluation contribuent à réduire au strict minimum les incohérences inutiles en permettant une prise de décisions fondée sur l’observation des faits et une saine gestion du secteur public. Toute politique est le reflet d’une idée. Les idées fausses (ou motivées par des intérêts particuliers) débouchent en général sur de mauvaises politiques. Grâce à la réalisation d’évaluations indépendantes, il devient possible de substituer des connaissances aux idées qu’on se fait sur les choses. L’évaluation indépendante est motivée par la préservation de l’intérêt public et le souci d’inciter les autorités à agir de façon responsable. Compte tenu des objectifs assignés à l’atelier, le sujet de ce document est donc tout à fait pertinent.

1 Le présent document, établi pour un atelier sur les “Approches institutionnelles de la cohérence des

politiques au service du développement », vise à susciter un débat. Il ne doit pas être regardé comme reflétant l’opinion de l’OCDE ou du CAD.

2 Un questionnaire a été adressé aux membres du Réseau du CAD sur l’évaluation du développement et à quelques hauts responsables et agents de la Banque mondiale, du PNUD, de l’IFPRI et du Center for Global Development. Le taux de réponse a été de l’ordre de 14 pour cent mais les contributions reçues contenaient des informations de qualité.

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Les limites de la cohérence L’évaluation sert à déterminer le mérite, l’intérêt et la valeur des choses3. Elle consiste à recueillir des données pertinentes, à trouver des critères de jugement adaptés et à appliquer des méthodes d’analyse judicieuses et justes. Elle part du principe que l’objet soumis à évaluation répond à une définition précise. Ce qui conduit à la question : qu’est-ce que la cohérence ? En physique, ce terme désigne la force qui fait tenir ensemble les molécules, la « relation de phase constante » des ondes ou la viscosité d’une substance. En philosophie, la théorie de la cohérence veut que « la vérité d’une proposition résulte de la cohérence de cette proposition avec toutes les autres propositions vraies ». Autant de concepts qui ne laissent place à aucune ambiguïté. En sciences sociales, par contre, la notion de cohérence est relativement nouvelle et n’a pas encore été bien éprouvée4. A la différence de la « convergence », concept aujourd’hui parfaitement défini en économie, la « cohérence » n’a pas encore trouvé sa place dans les manuels et autres ouvrages de référence. Les dictionnaires5 donnent de la cohérence les définitions suivantes : « action de tenir ensemble » ou « qualité de ce qui est logiquement intégré, harmonieux et intelligible ». Le terme est elogieux. Il évoque la logique, la cohésion et la constance. En matière de gestion des affaires publiques, domaine où l’acception courante prime, la cohérence est donc fort prisée ; les électeurs assimilent le manque de cohérence à une preuve de faiblesse, d’indécision ou d’opportunisme. Or, en politique, royaume des concessions mutuelles, la cohérence estillusoire puisqu’il est necessaire de mettre en balance des intérêts divergents en vue de satisfaire de facon necessairement imparfaite des objectifs multiples, surtout dans une société pluraliste. Comme le fait à juste titre observer le Professeur L. Alan Winters6, la quête de cohérence des politiques a souvent tout d’une errance en raison du caractère pluridimensionnel des politiques elles-mêmes et des incertitudes qui prévalent quant aux liens entre leurs déterminants et leurs effets. Dans la pratique, les hommes politiques s’efforcent de trouver un compromis viable entre des intérêts divergents dans un environnement incertain. Forcément, cela implique de se contenter de solutions partielles qui ressortent d’arbitrages entre des objectifs contradictoires, d’où une cohérence imparfaite au regard d’un objectif particulier. Il est tout aussi illusoire d’espérer éviter les contradictions internes ou les changements de cap au fil du temps (autre exigence de la cohérence). Des événements inattendus, l’intervention de tiers ou des revirements d’opinion viennent souvent induire un infléchissement dans l’orientation de l’action publique. Par conséquent, dans la conduite normale des affaires publiques, si cohérence il y a, c’est principalement dans les manquements au principe de cohérence. Plus l’environnement dans lequel s’inscrit l’action est complexe et instable et plus la société est ouverte, plus grands sont les risques de devoir poursuivre en parallèle de multiples objectifs, apaiser des mouvements revendicateurs variés et affronter de nouveaux défis à mesure de l’évolution de la situation. 3 Michael Scriven, Evaluation Thesaurus: Fourth Edition. Sage Publications. Newbury Park, Londres et

New Dehli. 1991. 4 Paul Hoebink, Evaluating Maastricht’s Triple C: The C of Coherence, document de travail, Département

des politiques et de l’évaluation, Ministère des affaires étrangères, Pays-Bas, décembre 2001. 5 Webster’s Dictionary of the American Language, College Edition, World Publishing Co, New York, 1962 ;

The New Shorter Oxford English Dictionary, Clarendon Press, Oxford, 1993. 6 L.A. Winters, Coherence with no’here’: WTO co-operation with the World Bank and the IMF,

novembre 2001, projet de document initialement destiné à la Conférence CEPR/ECARES/Banque mondiale tenue les 14 et 15 juillet 2000 sur le thème “The World Trading System Post Seattle”. www.tulane.edu/∼ dnelson/PEReformConf/Winters.pdf

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Pour ce qui est de la réalisation d’évaluations, la notion de cohérence n’a donc un sens que si elle est associée à des objectifs sans ambiguïté aucune. L’ « évaluabilité »7 de cette dernière sera encore améliorée par l’existence de protocoles de décision et de plans de mise en œuvre. Or, même s’il n’y a aucune ambiguïté quant à l’objectif (aux objectifs) autour duquel (desquels) on cherche à assurer la cohérence des politiques (une réduction donnée du nombre de pauvres, par exemple), il n’aura pas forcément été défini un programme de mise en œuvre, les parties prenantes ayant pu ne pas parvenir à s’accorder sur l’action à engager en raison de divergences dans leurs conceptions du monde ou leurs intérêts ou faute d’informations sur les meilleurs moyens d’obtenir les résultats souhaités. Laisser planer l’ambiguïté sur ce qu’on prévoit de faire peut même être un choix délibéré qui a la faveur de certaines parties prenantes. C’est ainsi que de nombreux décideurs et ONG de pays en développement adoptent une attitude ambivalente à l’égard de la cohérence en matière d’aide au développement, craignant que l’harmonisation entre donneurs ne facilite l’imposition aux pays bénéficiaires de normes inadaptées pour ce qui est de l’orientation de l’action publique. A la dixième CNUCED, le ministre indien du commerce a lancé l’avertissement suivant8 : « prenons garde de ne pas créer, au nom de la cohérence, un monstre-réseau qui fasse pression sur les pays en développement par le biais d’une conditionnalité croisée ». Cette inquiétude est étayée par de solides arguments théoriques. La théorie de la cohérence Une cohérence absolue des politiques implique que les fonctions de préférence des divers groupes puissent s’agréger en un choix collectif sans ambiguïté. Or, la théorie économique montre que c’est exactement l’inverse qui se passe : la règle de la majorité produit des résultats qui dépendent moins des préférences que des impératifs liés à la détermination de l’action à engager et à l’ordonnancement des votes9. Le « théorème d’impossibilité » de Kenneth Arrow veut en effet que, sous réserve de certaines hypothèses plausibles, seul un régime compétent de dictature absolue opérant dans un environnement stable puisse parvenir à une cohérence totale et systématique de ses politiques. D’autres chercheurs se sont ensuite penchés sur l’instabilité des coalitions de vote, les mécanismes d’échange de votes ou de faveurs, et le bien-fondé du partage du pouvoir pour obtenir un équilibre. La formation d’un consensus passe par le règlement des dilemmes soulevés par l’action collective, lequel est particulièrement problématique au sein d’un groupe nombreux (phénomène de « passager clandestin »). D’où le recours à des commissions ou départements ayant juridiction sur un domaine spécifique. Cela dit, le découpage de problèmes complexes en segments gérables favorise une compartimentalisation de la prise de décision. En conséquence, la cohérence dans un domaine particulier risque de ne pouvoir être obtenue qu’au prix d’une incohérence entre domaines. Cela est d’ailleurs si fréquent que la cohérence des politiques est souvent regardée comme indissociable d’une approche « à l’échelle de l’ensemble de l’administration ». Ce genre de démarche requiert une bonne circulation de l’information entre départements, de même qu’une ferme impulsion des plus hautes sphères et des relations transparentes entre les unités spécialisées et l’instance souveraine. Il n’en reste pas moins que même une fois que des objectifs cohérents ont été définis et que des indicateurs de résultat précis ont été sélectionnés, il faut choisir entre différentes lignes d’action. Ce choix est souvent soumis à diverses contraintes : manque de connaissances, pression du temps,

7 Joseph S. Wholey, Evaluability Assessment: Improving Evaluation, Management and Performance,

General Accounting Office des Etats-Unis et Université de Californie du Sud, 2002. 8 Global Policy Forum, Harmonization and Coherence: White Knights or Trojan Horses?, Bretton Woods

Project, août 2003 (http://www.globalpolicy.org/socecon/bwi-wto/wbank/2003/08knights.htm). 9 K. J. Arrow, Social Choice and Individual Values, Wiley, New York, 1963.

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capacités limitées d’analyse. Les liens de causalité entre les maillons de la chaîne de résultats utilisée dans les évaluations (intrants/produits/public/réalisations/impacts) sont rarement connus avec exactitude. Dans ces conditions, si l’on en croit la théorie, l’optimum ne pourra être atteint que si l’information et les ressources analytiques nécessaires à cet effet sont gratuites10. De son côté la doctrine de l’ « ignorance rationnelle » veut qu’un comportement apparemment incohérent s’explique par une dissymétrie d’information, les coûts de traitement des données et les attitudes à l’égard du risque. Par ailleurs, la cohérence des résultats ne sera pas forcément vérifiée ex-post même si tout a été fait pour la garantir ex-ante : aussi bien conçues que soient les politiques, la cohérence n’est pas nécessairement acquise au niveau de la mise en œuvre car, dans le monde réel, une multitude de facteurs peuvent empêcher qu’elles produisent des résultats. L’incursion qui précède dans l’économie institutionnelle de la cohérence confirme que cette dernière requiert une définition précise des objectifs poursuivis, une évaluation objective des structures de décision et une gestion efficace des divers programmes de mise en œuvre des politiques. En raison des impondérables de cette mise en œuvre, l’évaluation doit être complétée par un suivi afin de faciliter les corrections de cap en cours de route. Cela dit, le suivi n’a qu’un intérêt limité s’il n’est pas associé à une évaluation. Il favorise certes une gestion axée sur les résultats en aidant à voir si les résultats recherchés ont des chances de se matérialiser mais il ne fournit aucune indication sur le lien entre les résultats obtenus et le comportement des différents acteurs (imputation) et ne peut en conséquence être regardé comme un moyen de rendre des comptes. Il ne permet pas non plus de savoir si la ligne d’action retenue était la plus appropriée. Tout cela est le propre de l’évaluation. La dimension gouvernance Le suivi et l’évaluation sont donc deux éléments essentiels pour une gestion saine des affaires publiques. En l’absence de suivi, il est impossible de surveiller les performances. Et en l’absence d’évaluation, une vue simpliste de la cohérence risque de prévaloir, d’où des erreurs de jugement. Lorsque les décisions des pouvoirs publics témoignent d’un manque total de cohérence, il en résulte une perte de confiance de l’opinion publique, des tensions sociales et des gaspillages. Il est donc légitime de mesurer, au moyen d’indicateurs appropriés, la cohérence des politiques et programmes publics. Dans une démocratie, les citoyens ne sauraient tolérer des incohérences inutiles, c’est-à-dire des décisions qui ne sont pas efficientes du point de vue du bien-être social alors qu’il existe à l’évidence des options qui seraient avantageuses pour toutes les parties. Cela dit, pour des raisons théoriques et pratiques qui ne sont plus à démontrer, il est impossible de toujours parvenir à une totale cohérence. Des évaluations sont indispensables pour déterminer dans quelle mesure le niveau de cohérence effectivement atteint se rapproche du niveau possible compte tenu des circonstances. Autrement dit, la cohérence dans les affaires publiques est un idéal digne d’être poursuivi. Une définition précise des objectifs recherchés et une analyse rigoureuse des différentes lignes d’action envisageables n’en sont pas moins fondamentales pour l’appréciation des performances. D’un côté, des incohérences involontaires peuvent se produire sous l’effet de facteurs qui échappent au contrôle des autorités tandis que d’autres sont parfois délibérées, voire nécessaires pour obtenir des résultats acceptables (par exemple lorsque des arbitrages sont opérés pour laisser place à des objectifs contradictoires). D’un autre côté, l’incohérence peut avoir pour cause non un désaccord de principe sur la direction à prendre ou une incertitude quant aux liens entre les instruments d’une politique et les objectifs qui lui sont assignés, mais plus simplement l’ignorance, l’incompétence, la corruption ou l’asservissement aux intérêts acquis.

10 Ce qui explique pourquoi des financements insuffisants sont en général affectés aux biens publics que sont

la recherche sur les politiques et leur évaluation.

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En vertu du principe de responsabilité, les gouvernants qui acceptent des incohérences inutiles que ce soit involontairement, parce qu’ils sont mal informés ou incompétents par exemple, soit délibérément, parce qu’ils veulent privilégier une minorité aux dépens du plus grand nombre, doivent être censurés. C’est ainsi que lors des auditions sur le Watergate, le Sénateur Howard Baker a posé les questions suivantes : « Que savait-il ? Et quand l’a-t-il appris ? ». Ces deux questions sont incontournables chaque fois qu’un homme politique prend une décision qui influe directement ou indirectement sur le bien-être public11. La compatibilité entre ce qu’un décideur sait (ou devrait savoir) et ce qu’il ou elle décide est le fondement même d’une prise de décision cohérente. Par conséquent, lorsqu’elle est conduite avec tolérance et discernement, la poursuite de la cohérence des politiques est une entreprise louable. Le respect du public implique qu’il y ait congruence entre ce qu’on sait des moyens d’assurer le bien-être collectif et ce que ceux qui sont au pouvoir choisissent de faire pour l’assurer. De ce fait, l’évaluation de la cohérence des politiques apporte une double contribution à l’amélioration du bien-être collectif. D’une part, elle incite à l’adoption de bonnes structures de gouvernance. D’autre part, elle favorise le choix, en tant que dirigeants, de personnes respectueuses des principes, dont les décisions sont dictées par l’intérêt général. En résumé, la bonne gestion des affaires publiques appelle une prise de décision transparente, une formulation des politiques s’appuyant sur l’observation des faits et des dispositifs indépendants de suivi et d’évaluation permettant de savoir comment les principaux agents intervenant dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques s’acquittent de leurs obligations respectives, analysent les options qui s’offrent à eux, parviennent aux décisions qu’ils prennent et adoptent les mesures voulues pour leur donner suite, et ainsi, ce qui est fondamental, de dissocier les incohérences délibérés des incohérences involontaires et les incohérences nécessaires des incohérences inutiles – au niveau aussi bien de la conception que de la mise en œuvre des politiques. Le mandat sur la cohérence des politiques au service du développement La Déclaration ministérielle intitulée Pour un programme d’action commun de l’OCDE au service du développement (2002) investit l’OCDE d’un mandat clair : « mieux mettre en évidence la dimension développement des politiques des pays Membres, et leurs retombées pour les pays en développement. Il conviendrait d’analyser les arbitrages à opérer et les synergies possibles entre des domaines tels que les échanges, l’investissement, l’agriculture, la santé, l’éducation, l’environnement et la coopération pour le développement afin d’encourager une plus grande cohérence des politiques au service des objectifs de développement convenus à l’échelon international. » Dans une perspective d’évaluation, pour les raisons énoncées ci-dessus, cette définition fonctionnelle de la cohérence des politiques au service du développement appelle quelques précisions. Pour reprendre les termes de Fukusaku et Hirata12, la cohérence des politiques au service du développement renvoie à la « compatibilité des objectifs poursuivis et des instruments utilisés par les pays de l’OCDE, individuellement et collectivement, au vu de leurs effets combinés sur les pays en développement ». Cette formulation fait intervenir quatre critères :

11 Les controverses qui font rage depuis quelque temps autour des informations qui étaient disponibles avant

les événements du 11 septembre (aurait-on crié au loup top tard ?) et la guerre en Irak (aurait-on crié au loup trop tôt ?) en sont l’illustration.

12 Fukusaku, K., et Hirata, A., The OECD and ASEAN: changing economic linkages and the challenge of policy coherence, dans OECD and the ASEAN economies: the challenge of policy coherence, OCDE, Centre de développement, 1995.

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i. la cohérence interne : ou compatibilité entre les buts et objectifs, modalités et protocoles de chaque politique ou programme mené par le gouvernement d’un pays de l’OCDE à l’appui du développement (par exemple la politique d’aide) ;

ii. la cohérence au plan intérieur : ou compatibilité entre les politiques suivies par le gouvernement d’un pays de l’OCDE en matière d’aide et dans les autres domaines pour ce qui est de leur contribution au développement ;

iii. la cohérence entre donneurs : ou compatibilité entre les politiques suivies par les gouvernements de tous les pays de l’OCDE en matière d’aide et dans les autres domaines pour ce qui est de leur contribution au développement ;

iv. la cohérence entre donneurs et bénéficiaires : ou comptabilité des politiques adoptées par les pays riches et les pays pauvres en vue d’assurer la réalisation d’objectifs communs de développement.

S’ils relèvent de structures de décision distinctes, ces quatre types de cohérence n’en sont pas moins étroitement liés. Au niveau de la mise en œuvre des politiques, toute décision influant sur un aspect de la cohérence a des retombées sur au moins un des trois autres aspects. Dans le domaine du développement, les évaluations ont de tout temps porté avant tout sur l’aspect (i) de la cohérence – autrement dit l’adéquation entre les moyens et les objectifs de l’aide au développement. Les trois autres dimensions commencent cependant à retenir de plus en plus l’attention. L’importance grandissante affectée aux résultats dans les nouvelles approches de la gestion publique a fait naître un souci de renforcement de la coordination entre les responsables des divers domaines d’intervention des pouvoirs publics – c’est-à-dire de l’aspect (ii) de la cohérence (démarche « à l’échelle de l’ensemble de l’administration »). Parallèlement, l’augmentation du nombre d’acteurs du système d’aide a mis en lumière la nécessité de réduire les coûts de transaction de l’aide par une amélioration de la coordination et de l’harmonisation – aspect (iii) de la cohérence. L’expérience ayant peu à peu mis en évidence les limites de la conditionnalité de l’aide et l’importance de l’appropriation pour l’efficacité du développement, l’aspect (iv) s’est trouvé porté sur le devant de la scène. Si l’aspect (ii) de la cohérence n’a pas retenu l’attention dans les évaluations en matière de développement, c’est parce qu’un intérêt limité était porté aux problèmes que pouvaient soulever les politiques touchant des domaines autres que l’aide avant que voie le jour la notion de cohérence des politiques au service du développement. Aucun des membres du Réseau du CAD sur l’évaluation du développement n’a pu fournir, en réponse à la demande adressée par le Secrétariat en janvier 2004, d’éléments tirés d’évaluations concernant la cohérence des politiques au service du développement13. L’évaluation multi-donneurs de l’avancement des trois C inscrits dans le Traité de Maastricht qui vient d’être engagée (dans le prolongement d’un premier défrichage entrepris par le Département des politiques et de l’évaluation du ministère néerlandais des Affaires étrangères) pourrait aborder de manière sélective certaines questions liées aux politiques suivies dans des domaines autres que l’aide, mais elle sera centrée avant tout sur les problèmes de cohérence des politiques d’aide relevant du type (iii). Or, tant que la couverture des évaluations du développement ne sera pas élargie à des domaines autres que l’aide, aucun jugement objectif ne pourra être porté sur ce qui constitue l’essence même de la cohérence des politiques au service du développement (à savoir la détermination des arbitrages à opérer et des synergies à promouvoir entre les différents domaines d’intervention des pouvoirs publics pour assurer la concrétisation des objectifs de développement). Il sera en conséquence impossible de tirer des enseignements de l’expérience accumulée, ce qui freinera d’autant le renforcement de la cohérence des politiques au service du développement, lequel constitue pourtant une priorité urgente pour améliorer les

13 Réseau du Comité d’aide au développement sur l’évaluation du développement. Policy Coherence for

Development: Request for relevant material from evaluations. Première réunion. 15-16 janvier 2004. (Document de séance n° 12). Paris.

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conditions de vie des plus des quatre cinquièmes de la population mondiale qui vivent dans les zones de crise et de pauvreté. . L’encadré 1 fournit un récapitulatif des vues des évaluateurs et décideurs spécialisés dans les questions de développement concernant la nature du défi soulevé par la cohérence des politiques au service du développement. Celles-ci ont été recueillies au moyen d’un questionnaire adressé à ces personnes dans le cadre de la préparation du présent document. Encadré 1 : SYNTHESE DES REPONSES A UN QUESTIONNAIRE CONCERNANT LA COHERENCE DES POLITIQUES AU SERVICE DU DEVELOPPEMENT Quatorze réponses ont été reçues à un questionnaire adressé à des évaluateurs et décideurs spécialistes des questions de développement dans lequel il était demandé à ces personnes de donner leur avis sur la performance des pays riches et des pays pauvres au regard des obligations qu’ils ont respectivement souscrits à la Conférence de Monterrey sur le financement du développement. Sauf dans deux cas, les pays pauvres ont obtenu une note plus élevée que les pays riches dans toutes les catégories. En moyenne, les premiers ont obtenu 3.4 [score qui les situe presque à mi chemin entre le minimum acceptable (3) et une performance satisfaisante (4)], et les seconds 2.2 (sachant qu’un score de 2 représentait une performance médiocre et la note 3 le minimum acceptable). Il était également demandé aux correspondants de classer les politiques des sept pays riches par ordre d’importance en termes de contribution à la réduction de la pauvreté dans le monde. La première place est revenue à la politique commerciale, la troisième à la gestion macro-économique et la septième à la politique de l’environnement en ce qui concerne aussi bien les pays à faible revenu que ceux à revenu intermédiaire. De leur côté, les politiques en matière d’aide, d’investissement étranger, de migration et de propriété intellectuelle ont été classées, respectivement, deuxième, cinquième, sixième et quatrième dans le cas des pays à faible revenu et sixième, quatrième, cinquième et deuxième dans celui des pays à revenu intermédiaire. Les opinions étaient partagées sur les points de savoir si la répartition de l’aide doit refléter les priorités en matière de sécurité, si une aide plus importante doit être apportée aux Etats fragiles ou en faillite, et si la réforme du secteur de la sécurité doit être regardée comme une question de développement. Par contre onze sur les quatorze correspondants ont estimé que les dépenses militaires devaient être réduites afin de dégager des financements pour le développement. Les arguments plaidant en faveur de la cohérence des politiques au service du développement L’interdépendance accrue des sociétés et des nations a considérablement rehaussé les avantages de la convergence des politiques entre les partenaires au développement. Sous l’effet de facteurs démographiques et des nouvelles technologies de l’information et des communications, des liens inextricables se sont noués entre les économies et les sociétés. Enoncer les raisons qui militent en faveur de la cohérence des politiques au service du développement aidera à déterminer les priorités en matière d’évaluation. Les pays de l’OCDE dépendent des pays en développement pour le tiers de leurs exportations et la moitié de leur consommation de pétrole. De leur côté, les pays en développement sont tributaires des pays de l’OCDE pour plus de 60 pour cent de leurs échanges et la moitié de leurs importations de produits de base. Les courants d’aide, d’échanges, d’investissements et les flux migratoires profitent aux uns comme aux autres. Avec la mondialisation, de nouvelles ouvertures économiques (sous forme d’échanges, d’investissements et de transferts de connaissances) se sont faites jour. Cela dit, une multitude de problèmes se sont aussi mis à ignorer les frontières.

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Les crises financières à répétition, les attaques terroristes du 11 septembre, puis du 11 mars, les épidémies de SRAS et de grippe aviaire sont autant d’illustrations des risques qu’encourent la paix et la sécurité dans un monde interdépendant où la coopération internationale n’aurait pas place. En l’absence de progrès majeurs sur la voie de la cohérence des politiques au service du développement, les objectifs du millénaire pour le développement (OMD) solennellement entérinés par tous les membres des Nations unies à l’aube de ce siècle ne seront pas atteints dans la plupart des pays en développement. Les valeurs servant de référence pour la mesure des OMD sont celles de 1990. La plupart de ces OMD ont par ailleurs pour échéance 2015. A la moitié du temps imparti, les résultats concrets obtenus sont mélangés. La réduction du nombre d’enfants souffrant de malnutrition, l’amélioration de la santé maternelle et l’accroissement des taux de scolarisation dans le primaire, pour les filles en particulier, constituent certes des avancées notables. Il n’en reste pas moins qu’au rythme actuel, la majorité des objectifs ne seront pas atteints. Leur concrétisation n’est en bonne voie que dans un tiers des pays en développement. On note des inégalités flagrantes entre régions. Les zones où un développement est le plus nécessaire (la quasi-totalité de l’Afrique et des segments entiers de l’Asie du Sud) sont à la traîne. Si les taux de croissance se maintiennent à leurs niveaux actuels, seule l’Asie de l’Est a des chances d’atteindre les objectifs convenus en matière de revenu et de réduction de la pauvreté14. Depuis sa création, le Comité d’aide au développement s’applique à promouvoir l’aspect (i) de la cohérence (autrement dit la cohérence entre les finalités de l’aide et les moyens mis en œuvre). Cela l’a conduit à mener de nombreux travaux sur l’efficacité de l’aide, au niveau des projets comme des programmes, et aussi des activités de promotion destinées à encourager ses pays membres à accroître le volume de leur aide. Ces deux buts demeurent tout à fait pertinents. D’un côté, il faut améliorer la qualité de l’aide. Les frais administratifs absorbent 6 à 7 pour cent des apports d’aide. Quelque 5 milliards de dollars passent chaque année dans les inutiles surcoûts associés à l’aide liée. L’assistance technique financée par l’aide présente le plus souvent une utilité réduite. Moins de 30 pour cent de l’aide bénéficient aux pays les plus pauvres et la part de l’aide qui est affectée aux services sociaux de base atteint la moitié environ seulement du niveau recommandé par les Nations unies (principe 20/20) D’un autre côté, le volume actuel de l’aide est insuffisant pour assurer la réalisation des objectifs convenus. Seule une poignée de pays consacrent 0.7 pour cent de leur PIB à l’aide comme l’ont enjoint d’innombrables conférences des Nations unies. Même si les engagements souscrits à la Conférence de Monterrey sur le financement du développement sont tenus et que l’aide augmente de 31 pour cent en termes réels (soit d’environ 16 milliards de dollars) d’ici 2006, son volume restera insuffisant. Dans son rapport 2001 (Rapport Zedillo), le Groupe de haut niveau des Nations unies sur le financement du développement estime qu’un surplus de 50 milliards de dollars d’aide au développement serait nécessaire chaque année pour permettre la concrétisation des OMD, que 8 à 9 milliards de dollars supplémentaires devraient être affectés à la satisfaction des besoins essentiels de l’être humain et qu’il faudrait en dégager 20 milliards de plus pour assurer un traitement plus satisfaisant des problèmes en rapport avec les « biens publics mondiaux » (par exemple l’environnement)15. Les aspects (ii) et (iii) de la cohérence, cibles principales de l’initiative à l’appui de la cohérence des politiques au service du développement, débordent quant à eux largement le champ de l’aide et appellent une « approche à l’échelle de l’ensemble de l’administration ». Au bout du compte, l’objectif, en l’espèce

14 Jan Vandemoortele, Are the MDGs Feasible?, Programme des Nations unies pour le développement,

Development Policy Journal, volume 3, avril 2003. 15 Rapport du Groupe de haut niveau des Nations unies sur le financement du développement (Rapport

Zedillo), point 101 de l’ordre du jour, 55ème session de l’Assemblée générale, 26 juin 2001, http://www.un.org/esa/ffd/a55-1000.pdf.

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est d’assurer un ordre économique mondial garantissant des règles du jeu équitables16. L’encadré 2 fournit des exemples d’atteintes à l’aspect (ii) de la cohérence qui pourraient nécessiter une révision des politiques suivies par les pays de l’OCDE, associée à des dispositifs d’indemnisation de ceux qui y perdraient de telle sorte que celle-ci profite à toutes les parties.

Encadré 2 : QUELQUES EXEMPLES D’INCOHERENCE POTENTIELLE DES POLITIQUES • Les politiques agricoles des pays de l’OCDE contribuent à la préservation d’un certain mode de vie

mais elles ne profitent en fait qu’à très peu de citoyens – principalement les gros exploitants agricoles et les firmes agro-alimentaires. Elles protègent la production intérieure de produits végétaux et animaux qui peuvent être produits pour un coût bien inférieur dans les pays en développement. Les droits de douane et les subventions font peser des coûts importants sur les consommateurs et les contribuables des pays de l’OCDE. En plus, ils empêchent le monde en développement, où vivent la majorité des pauvres, d’accéder à un moteur de croissance auquel il pourrait en toute équité prétendre.

• Les biens industriels qui sont assujettis aux droits de douane les plus élevés par les pays de l’OCDE sont des produits essentiels au bien-être économique des pays en développement – acier, textiles, vêtements, et cuir – et que même les personnes ayant un revenu relativement bas consomment dans les pays de l’OCDE.

• Les règles de protection de la propriété intellectuelle établies dans le cadre de l’OMC encouragent la recherche et l’innovation mais elles restreignent aussi l’accès des pays pauvres à des médicaments, et autres biens et services à forte intensité de connaissances, essentiels.

• Les restrictions à l’immigration répondent à des motivations culturelles et visent à préserver le niveau des salaires au plan intérieur mais elles limitent l’accroissement des envois de fonds vers les pays en développement et aggravent les pénuries de main-d’œuvre liées à la transition démographique sans précédent à laquelle sont confrontés les pays de l’OCDE.

• Les subventions au secteur de la pêche coûtent aux pays de l’OCDE 15 à 20 milliards de dollars par an, profitent davantage aux grandes compagnies qu’aux communautés pêchières pauvres et épuisent les stocks de poisson dont dépend la survie des pêcheries côtières des pays pauvres.

• Les pays industriels (qui abritent 20 pour cent de la population mondiale) sont à l’origine de 63 pour cent du dioxyde de carbone accumulé dans l’atmosphère depuis 1900. Or, le réchauffement de la planète imposera des coûts considérables aux pays en développement. Les petites économies insulaires sont en l’occurrence particulièrement vulnérables.

• Une loi récemment adoptée aux Etats-Unis rend obligatoire la prise de mesures de protection contre le terrorisme sur les bateaux et dans les ports, forçant ainsi des pays pauvres qui manquent de ressources budgétaires pour financer leurs programmes sociaux de base à consentir de coûteux investissements.

La cohérence des politiques au service du développement et l’Union européenne L’article 130u du Traité de Maastricht en date du 7 février 1992 définit les objectifs de la Communauté en matière de développement (développement durable, intégration dans l’économie mondiale, éradication de la pauvreté, consolidation de la démocratie et de l’Etat de droit, et respect des droits de l’homme). L’article 130v (celui traitant de la cohérence) stipule expressément que « La Communauté tient compte des objectifs visés à l’article 130u dans les politiques qu’elle met en œuvre et qui sont susceptibles d’affecter les pays en développement »17. Si son libellé manque de fermeté, cette disposition est incontestablement un plaidoyer

16 Les mesures d’allégement de la dette restent trop limitées : les apports d’aide publique au développement

sont revenus de 12 à 7.5 pour cent du PIB des pays les moins avancés tandis que le service de la dette absorbe environ 3 pour cent de ce même PIB.

17 Dans la déclaration de novembre 1992 du Conseil européen des ministres de la coopération pour le développement est également reconnu le lien entre la politique de coopération pour le développement et les

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pour le développement et constitue la première reconnaissance formelle de la nécessité d’une cohérence des politiques au service du développement dans un contexte multilatéral. En 1964 et 1969, les Accords de Yaoundé avaient certes déjà souligné la complète égalité entre les 18 Etats africains et leurs six partenaires de ce qui était alors la CEE. L’article 11 était un prélude au principe de la cohérence puisqu’il imposait la consultation des Etats associés pour l’élaboration de la politique agricole commune. Cela dit, ce souci de cohérence n’est devenu effectif qu’avec l’adoption par la Commission européenne en mai 1994 d’une décision qui réduisait les subventions à l’exportation de viande bovine en raison du tort que celles-ci causaient aux éleveurs du Sahel, d’où la nécessité de prendre des mesures pour mettre un terme aux graves incohérences existant entre la politique agricole et la politique de développement de la Communauté. Il est révélateur de constater qu’au principe de la cohérence en sont associés deux autres, ceux de la coordination et de la complémentarité (qui constituent les deux autres piliers de la trilogie des « trois C »)18. Si la coordination favorise la cohérence, la complémentarité risque, elle, de lui faire obstacle. Ainsi, l’article 130u du Traité de Maastricht (devenu l’article 177 du Traité d’Amsterdam) stipule que la politique de la Communauté dans le domaine de la coopération pour le développement doit être complémentaire de celles qui sont menées par les Etats membres, et aussi que la Communauté et les Etats membres doivent respecter les engagements et tenir compte des objectifs qu’ils ont agréés dans le cadre des Nations unies et des autres organisations internationales compétentes. Les activités de la Communauté ne préjugent pas la compétence des Etats membres pour négocier dans les instances internationales et conclure des accords internationaux (article 181). Cela confirme la préséance de la complémentarité sur les deux autres C – à savoir la cohérence et la coordination. Sans compter que le principe de subsidiarité (autrement dit l’affirmation de la diversité et la primauté accordée aux décisions locales et nationales sur les décisions communautaires sous réserve que soient respectés les accords, lignes d’action et valeurs essentiels de l’Union européenne) peut être considéré comme une contrainte supplémentaire sur les types (ii) et (iii) de cohérence. En outre le Traité ne prévoit aucune obligation de mise en œuvre de la cohérence des politiques au service du développement. Il ne précise pas non plus comment atteindre à la cette cohérence. Au total, la notion de cohérence des politiques au service du développement est bien présente dans les textes de l’Union européenne mais elle reste très ambiguë et une grande marge de manœuvre est laissée aux Etats membres pour ce qui est de l’application pratique de ce principe. Afin de stimuler le souci, dans les faits, de la cohérence des politiques au service du développement au sein de l’UE, un réseau informel a été constitué, qui regroupe les instances centrales chargées de veiller à la cohérence des politiques au service du développement. Y sont actuellement représentés la Commission, l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la Hongrie, l’Irlande, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Suède. Son existence permet la mise en commun d’informations, facilite la coordination et améliore la communication pour tout ce qui touche les questions de cohérence des politiques au service du développement soulevées par les décisions au niveau de l’UE, par exemple les régimes commerciaux communautaires affectant les pays en développement ou la définition de la position de l’UE dans les négociations internationales. Depuis sa création en octobre 2003, le réseau s’est penché

autres politiques communautaires et la Commission est instamment appelée à examiner comment rendre plus systématiques les études d’impact, pour les nouvelles propositions en particulier.

18 Nico Schrijver, ‘Triple C’ From the Perspective of International Law and Organization, Document de travail, Département de l’évaluation des politiques et des opération, Ministère néerlandais des affaires étrangères, décembre 2001. Depuis lors, l’unité chargée aux Pays-Bas des questions de cohérence des politiques au service du développement a ajouté un autre ‘trois C’ à son lexique, signifiant celui-ci : capacité, coordination et cibles concrètes.

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sur les réglementations commerciales concernant le sucre et le coton, les contrôles sur les aliments destinés à la consommation humaine et animale requis par l’UE des pays tiers, et la mise en œuvre de l’accord conclu avant Cancun sur les ADPIC en matière de santé. La cohérence des politiques au service du développement et les Nations Unies Les Nations Unies ont largement exploité les manifestations qu’elles ont le pouvoir d’organiser pour prôner la cohérence des politiques au service du développement. Au Sommet du millénaire tenu à New York en 2000 – le plus important rassemblement de chefs d’Etat jamais organisé – tous les Etats membres des Nations unies ont approuvé une déclaration historique, où étaient énoncés des objectifs précis en matière de réduction de la pauvreté humaine, de développement social et de régénération de l’environnement19. Deux ans plus tard, en mars 2002, à la Conférence internationale sur le financement du développement, tenue à Monterrey (au Mexique), a été conclu un pacte mondial pour le développement et un accord sur des indicateurs mesurables des progrès du développement (les objectifs du millénaire pour le développement ou OMD). Pour la première fois dans l’histoire du développement, des principes généraux devant régir la coopération pour le développement ont suscité un aval universel. En vertu de ces derniers, il revient aux pays en développement d’améliorer leurs politiques et de respecter les règles de bonne gouvernance et aux pays développés d’accroître le volume et la qualité de leur aide, de consentir des allégements de dette et d’œuvrer à la mise en place d’un système financier et commercial plus juste et plus ouvert. Ce cadre fondé sur la responsabilité mutuelle est mis au service d’objectifs de développement dont la légitimité n’est contestée par personne. L’accord conclu à l’échelon mondial de suivre les progrès du développement humain au moyen de 18 cibles et 48 indicateurs n’a aucun précédent. Les OMD reflètent des aspirations universelles (faire reculer la pauvreté, accélérer le développement social, sauvegarder l’environnement) et synthétisent avec une grande économie les résultats de plusieurs conférences internationales. Ils ont contribué à consolider la position des défenseurs du développement et à apporter à une opinion publique plutôt sceptique des arguments convaincants à l’appui de l’aide. Afin d’en amplifier encore l’impact, le PNUD a engagé une action mondiale d’information du public (avec sa Campagne de promotion des objectifs du millénaire pour le développement) et pris la tête d’un nouveau courant de pensée tendant à faire du développement des biens publics mondiaux une nouvelle motivation de l’aide20. A l’évidence, les OMD ne peuvent rendre dûment compte, de façon aussi synthétique que ce soit, de tous les problèmes complexes que soulève l’instauration d’un développement équitable, durable et sans exclu. Faire refluer la pauvreté de revenus est essentiel, mais garantir les autres libertés sources d’épanouissement de l’être humain l’est tout autant. Une baisse de la mortalité infantile est importante mais la situation sanitaire des adultes l’est également. Augmenter les taux de scolarisation, c’est bien, mais cela ne garantit pas que les enfants apprendront. Les OMD ne reflètent pas non plus systématiquement les priorités des pays. Certains ont exprimé la crainte qu’y aient été négligés la gestion macroéconomique, le développement du secteur privé et l’amélioration des infrastructures notamment. Surtout, le cadre fondé sur la responsabilité mutuelle fourni par les OMD n’est pas étayé par des engagements fermes de la part des gouvernements. Pour obtenir des résultats concrets dans l’amélioration de la cohérence au service du développement, il ne suffit pas de se mettre d’accord sur des principes 19 Nations unies, Assemblée générale, Plan de campagne pour la mise en œuvre de la Déclaration du

Millénaire, Rapport du Secrétaire général (A/56/326), 6 septembre 2001. 20 Inge Kaul, Isabelle Grunberg et Marc A. Stern, Les biens publics à l’échelle mondiale. La coopération

internationale au XXIe siècle, Programme des Nations unies pour le développement, Oxford University Press, New York, Oxford, 1999.

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généraux et de discourir sur l’obligation de résultats. Dans son rapport au Comité préparatoire de la Conférence de Monterrey, le Secrétaire général des Nations unies formulait 87 recommandations. Le communiqué final de la Conférence, prénégocié, ne contenait en revanche aucun plan d’action précis. Chaque pays était laissé libre de choisir la ligne d’action et les jalons qui lui convenaient le mieux. Le cadre constitué par les OMD avec pour point d’ancrage le processus CSLP exige davantage d’efforts des pays en développement que des pays développés. Seul le huitième OMD renvoie à des problèmes relevant de la responsabilité directe des pays de l’OCDE, et en des termes moins précis que ceux utilisés pour les sept autres objectifs. La plupart des indicateurs retenus (35 sur 48) concernent le sud. Des ressources considérables ont été mobilisées pour surveiller l’amélioration des politiques et programmes des pays en développement. Les efforts déployés pour surveiller l’amélioration de celles des pays riches sont par contre loin d’avoir atteint la même ampleur. La cohérence des politiques au service du développement et les IFI Les IFI se sont ralliées aux OMD. Elles apportent leur concours au PNUD pour le suivi des avancées obtenues vers ces derniers. A l’époque où les OMD ont vu le jour, les nouveaux dirigeants de la Banque mondiale venaient d’adopter des axes opérationnels qui allaient pour l’essentiel dans le sens des théories des Nations unies privilégiant le développement humain. En conséquence, les relations entre les IFI, les Nations unies et les donneurs bilatéraux se sont améliorées, ce qui a permis des progrès considérables sur l’aspect (iii) de la cohérence. A son tour, cette convergence des objectifs poursuivis par les donneurs dans le domaine du développement a ouvert la voie à une innovation dans l’aide au développement avec l’avènement des cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté (CSLP) sous l’égide de la Banque mondiale et du FMI, qui semblaient devoir grandement faciliter les relations entre donneurs et bénéficiaires. Malgré quelques problèmes de démarrage21, le processus CSLP a largement gagné le soutien de l’ensemble de la communauté du développement. Les directives pour l’établissement des CSLP s’appuient sur les principes de la recherche d’un développement intégré, de l’appropriation locale, de l’instauration de partenariats à large assise et de la gestion axée sur les résultats, dans le droit fil de la Déclaration du millénaire et des principes du CAD pour une aide efficace22. Comme l’utilisation d’un nombre limité d’indicateurs identiques pour tous risquait de ne pas permettre de tenir compte des aspirations de chaque pays, la structure des CSLP est restée assez souple mais dans l’ensemble respectueuse de la logique des OMD. Du fait que les pays les font leurs, les CSLP sont censés fournir un cadre commun, bénéficiant de l’aval des autorités nationales, pour la programmation des dépenses publiques nationales et pour la coordination de l’aide. Du fait qu’ils sont adaptés à la situation de chaque pays, ils ont le potentiel de contribuer à améliorer la coordination de l’aide – aspect (iii) de la cohérence – et de servir de courroie de transmission entre les objectifs poursuivis à l’échelle mondiale et les systèmes nationaux de planification et de budgétisation – aspect (iv) de la cohérence. Le cycle de programmation des Nations unies a été ajusté afin de mieux cadrer avec les CSLP. Malheureusement, les CSLP ont été conçus avant tout comme un instrument d’évaluation et de suivi de la performance des pays en développement, quasiment aucune attention n’étant portée à l’impact des politiques adoptées par les pays développés sur la probabilité de concrétisation des résultats. Sauf en Tanzanie (qui a elle-même créé un Groupe de suivi indépendant pour surveiller la qualité de l’aide), les IFI 21 Le secteur privé, les organisations de la société civile et les parlementaires sont censés être associés à

l’élaboration des CSLP mais certaines ONG craignent que l’examen des CSLP par les conseils des IFI n’empêche une réelle participation.

22 Comité d’aide au développement, Organisation de coopération et de développement économiques, Principes du CAD pour une aide efficace, Paris, 1992.

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n’ont pas prévu de dispositifs dans le cadre desquels les gouvernement des pays en développement pourraient mener leur propre évaluation de l’efficacité de l’aide, sans parler de la performance globale des politiques appliquées par les pays de l’OCDE en termes de développement, ni apporté à ces gouvernements le soutien au renforcement des capacités qui leur aurait permis de le faire. De même, les progrès accomplis vers l’intégration de rigoureuses évaluations de la cohérence des politiques au service du développement dans le processus de notification inscrit à l’article 4 des statuts du FMI sont restés limités. La cohérence des politiques au service du développement et les ONG En liaison avec le grand débat suscité par la mondialisation, les organisations de la société civile ont joué un rôle de premier plan pour sensibiliser l’opinion publique au manque de cohérence des politiques des pays de l’OCDE au regard du développement. Elles ont aussi contribué à mobiliser un soutien politique en faveur de diverses réformes. En 1994, des ONG sont parties en campagne contre les subventions aux exportations européennes de viande bovine, dont elles critiquaient les retombées sur le niveau de vie des populations rurales d’Afrique occidentale. En 1996, des ONG ont dénoncé une politique de la pêche prévoyant l’attribution de droits de pêche et de subventions sans tenir compte des effets qui pouvaient en résulter sur les pêcheries côtières des pays en développement. Un an plus tard, une proposition visant à lever l’interdiction frappant les produits de substitution du beurre de cacao s’est heurtée à une vive opposition de la part des ONG oeuvrant dans le domaine du développement. De même, l’initiative d’allégement de la dette des pays pauvres très endettés n’aurait jamais vu le jour en l’absence de la Campagne du Jubilé. Plus récemment, l’accord commercial international sur les médicaments génériques mis au point pendant la phase préparatoire de la réunion de Cancun n’aurait jamais été conclu sans l’habile intervention de grandes ONG militantes. Aucune réforme des politiques des pays de l’OCDE en matière d’échanges et de subventions agricoles n’a de chance d’être engagée sans une pression persistante de la société civile s’appuyant sur des faits concrets. Pareillement, dans le domaine de l’investissement direct étranger, les ONG resteront vraisemblablement le fer de lance du mouvement en faveur de la responsabilisation sociale des entreprises et de l’harmonisation des critères sociaux et environnementaux appliqués par les organismes de développement international et les établissements de crédit et de garantie de crédit, éléments importants dans la perspective de la cohérence des politiques au service du développement. Par conséquent, les ONG pourraient apporter une contribution déterminante à l’amélioration de la cohérence des politiques au service du développement en intervenant activement auprès du secteur privé et des gouvernements des pays en développement. Cela nécessiterait qu’elles laissent un peu de côté leur opposition idéologique à l’IDE pour concentrer davantage leurs campagnes de sensibilisation et vérifications indépendantes sur l’amélioration des normes et critères régissant les activités des entreprises. La cohérence des politiques au service du développement et l’OCDE En dépit des multiples initiatives de la communauté du développement évoquées dans les paragraphes qui précèdent, le cadre de responsabilité mutuelle reste déséquilibré. Les avancées obtenues sur les aspects (ii) et (iii) de la cohérence (sur lesquels les ministres des pays de l’OCDE ont mis l’accent) ont été moindres que celles enregistrées sur les aspects (i) et (iv). Les efforts déployés à l’appui de la cohérence des politiques au service du développement ont pour la plupart été centrés sur l’amélioration du ciblage, de la gestion et de l’évaluation des programmes et projets des organismes d’aide. Les questions d’harmonie, entre politiques, pays et intervenants – aspects (ii) et (iii) de la cohérence – ont par contre été négligées.

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Selon le numéro de Synthèses consacré par l’OCDE en juillet 2003 à la cohérence des politiques23, « Par une plus grande cohérence de l’orientation de leurs politiques au service du développement, les gouvernements des pays de l’OCDE permettront une répartition et un partage plus équitables des avantages de la mondialisation ». Dans le programme horizontal sur la cohérence des politiques, la cohérence des politiques au service du développement est définie comme consistant à « promouvoir systématiquement au sein des ministères et autres organismes publics des actions qui se renforcent mutuellement, en créant ainsi des synergies pour la réalisation des objectifs à atteindre ». Le champ d’intervention est donc vaste (échanges, agriculture, gestion de l’aide au développement, investissement et climat des affaires, migrations, durabilité environnementale, développement technologique). A l’OCDE, la cohérence des politiques au service du développement est considérée comme allant au-delà de l’intégration de la dimension développement dans les travaux des spécialistes des autres sphères d’intervention des pouvoirs publics. Elle implique également l’intégration des conclusions de ces spécialistes dans les politiques des pays de l’OCDE en matière de coopération pour le développement. Certes, on ne peut attendre des hommes politiques qu’ils sacrifient des intérêts intérieurs sur l’autel de la cohérence des politiques au service du développement. Cela dit, mis face aux conséquences de leurs décisions pour le développement, peut-être y réfléchiront-ils à deux fois avant d’adopter des mesures qui risquent d’avoir des effets dommageables pour les pays pauvres24. Par conséquent, les initiateurs du projet horizontal sur la cohérence des politiques au service du développement espèrent que la présentation de faits concrets et d’analyses convaincantes contribuera à inciter à rechercher des solutions avantageuses pour tout le monde, à éviter les contradictions flagrantes dans les choix des pouvoirs publics, à minimiser les risques d’effets négatifs sur le développement et à donner une plus grande audience aux pauvres du monde entier dans les coulisses du pouvoir, surtout lors de la conception, de l’examen et de l’approbation de mesures nouvelles. C’est pourquoi l’initiative horizontale de l’OCDE concernant la cohérence des politiques au service du développement est si opportune et importante. Elle vise à faire en sorte que les politiques menées par chacun des pays de l’OCDE favorisent, ou à tout le moins n’entravent pas, le processus de développement des pays pauvres. Mobiliser parmi tous les protagonistes un soutien politique en faveur de la cohérence des politiques au service du développement de telle sorte que les pays de l’OCDE entreprennent d’adapter tout l’éventail de leurs politiques qui affectent les pays en développement contribuerait à accélérer les progrès vers les OMD. Cela implique que le Secrétariat de l’OCDE produise des éléments analytiques propres à étayer une prise de décision informée, fournisse une plateforme pour le dialogue sur les politiques à suivre et opère un suivi de la performance en matière de cohérence des politiques au service du développement. En particulier, ainsi que l’a laissé entendre le Président du CAD25, au-delà du souci qu’elle a depuis toujours de rendre l’aide au développement plus efficace – aspect (i) de la cohérence – l’OCDE devra se doter des moyens nécessaires pour promouvoir la mise en place de capacités d’analyse des questions de cohérence, faciliter les recherches concernant l’impact exercé par les politiques des pays riches sur les pays pauvres, mandater des études de la cohérence « en temps réel », établir des rapports d’économie politique destinés à mobiliser un plus grand soutien public à l’appui d’un accroissement de l’aide et de réformes des politiques propres à favoriser le développement, et renforcer le suivi et l’évaluation de la cohérence des

23 L’Observateur de l’OCDE, La cohérence des politiques : un impératif pour le développement mondial,

Synthèses, juillet 2003. 24 C’est ainsi que les ministres de l’UE ont annoncé le 22 mars 2004 qu’ils suspendraient leur aide aux pays

qui ne coopèrent pas à la lutte contre le terrorisme (International Herald Tribune en date du 23 mars 2004). 25 Comité d’aide au développement, Coopération pour le développement : Rapport 2003, Chapitre 1 – Vue

d’ensemble du Président, Organisation de coopération et de développement économiques, 5 novembre 2003, Paris [DCD/DAC(2003)24/CHAP1].

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politiques au service du développement. Ce dernier point est essentiel pour la crédibilité du programme de travail horizontal. Etant donné sa conception et ses modalités de financement actuelles, le système d’examen par les pairs de l’OCDE ne permet pas une évaluation rigoureuse de la performance en matière de cohérence des politiques au service du développement au niveau des pays car il ne s’appuie pas sur des normes uniformes et reste largement tributaire de la bonne volonté que mettent les gouvernements membres à fournir des informations et des analyses sur les questions de cohérence des politiques au service du développement. Suivi de la cohérence des politiques au service du développement Le Programme des Nations unies pour le développement a établi des rapports rendant compte des progrès accomplis vers les OMD dans 44 pays. Cet exercice a été mené en étroite collaboration avec le Groupe des Nations unies pour le développement, d’autres partenaires au sein du système des Nations unies, la Banque mondiale et l’OCDE ainsi que des groupes et experts régionaux. De son côté, le Département des affaires économiques et sociales des Nations unies suit les progrès enregistrés vers ces objectifs à l’échelle mondiale. Parallèlement, la Banque mondiale élabore désormais des Rapports de suivi mondial à l’intention du Comité du développement regroupant les hauts responsables de la Banque et du FMI. Ces rapports traitent des mesures prises pour œuvrer à la réalisation des OMD et des résultats qu’elles ont produits. Ils sont toutefois centrés principalement sur la performance des pays pauvres et seuls les plus récents commencent à s’intéresser aux progrès accomplis par les pays développés pour ce qui est du respect des obligations que leur imposent les OMD. L’analyse reste très globale, au niveau de l’ensemble des pays, et se limite à quelques sujets : la qualité des politiques macro-financières destinées à favoriser la croissance et la stabilité des mouvements de capitaux, le volume et la qualité de l’aide, l’allégement de la dette, les politiques commerciales et les biens publics mondiaux. En février 2004, les participants à une table ronde sur la gestion axée sur les résultats organisée par les banques multilatérales de développement et le Comité d’aide au développement de l’OCDE ont entériné des principes clés pour une gestion axée sur les résultats et se sont engagés à privilégier dans leurs programmes opérationnels l’obtention de résultats au niveau des pays, l’harmonisation des obligations de comptes et le renforcement des capacités en matière de suivi, d’évaluation et de statistiques. Là encore, les efforts de suivi proposés restent cependant centrés sur l’efficacité en termes de développement des projets et programmes d’aide mis en œuvre à l’échelon des pays. Il n’est pas envisagé de porter une quelconque attention aux règles du jeu de l’économie mondiale. Notation de la performance en matière de cohérence des politiques au service du développement Etant donné le peu d’intérêt accordé par les organismes publics d’aide aux questions en rapport avec l’aspect (ii) de la cohérence, il est heureux que des groupes de réflexion sur le développement (notamment le Centre de développement de l’OCDE elle-même) aient commencé à s’interroger sur la cohérence des politiques au service du développement. Le Center for Global Development, en particulier, a publié un Commitment to Development Index (CDI)26 qui vise à reporter l’attention du public des politiques des pays du Sud sur celles des pays du Nord. Ce CDI est une innovation, qui plus est utile dans la mesure où il contribue à corriger l’idée selon laquelle les retards observés dans la réalisation des OMD27 seraient

26 Nancy Birdsall et Moises Naim, Ranking the Rich, Foreign Policy, mai/juin 2003. La deuxième version de

l’indice n’était pas encore sortie au moment de la rédaction du présent article. 27 Le bulletin de notes établi par ActionAid à mi-parcours est le suivant : D pour la réduction de la pauvreté,

C pour l’éducation, C pour l’égalité homme-femme, F pour la mortalité infantile, D pour la mortalité maternelle, F pour les maladies et E pour l’environnement. ActionAid, Halfway There ? The G8 and the Millennium Development Goals in 2002, Londres, 2002.

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imputables uniquement au manque d’efficacité de l’aide, aux défaillances de la gestion des affaires publiques dans les pays en développement et à l’inadéquation des politiques suivies par ces derniers. Ce nouvel instrument de notation vise à inciter les « retardataires » au sein de la communauté des donneurs à se reprendre. La publication régulière de l’indice dans Foreign Policy est destinée à faire prendre conscience au public de la part de responsabilité revenant aux démocraties industrialisées dans l’état du monde. La logique sur laquelle repose le CDI est simple : la performance de chaque pays de l’OCDE est notée au regard de six critères sur la base d’indicateurs de qualité plausibles pour lesquels on dispose de données raisonnablement précises. C’est ainsi que, dans la composante de l’indice renvoyant à l’aide, les apports bruts sont ajustés pour tenir compte des remboursements de principal, des frais administratifs, du coût de l’assistance technique et du degré de liaison de l’aide. La qualité de l’aide y est prise en considération au moyen d’un indice de sélectivité, en vertu duquel une prime est attribuée à l’aide destinée aux pays pauvres et une pénalité frappe l’aide allant aux pays dont les structures de gouvernance sont défaillantes. Cela dit, la première édition de l’indice ne permettait pas de rendre de compte de la fragmentation de l’aide, si préjudiciable à l’efficacité d’acheminement de cette dernière28. Aucun ajustement n’y est non plus opéré pour tenir compte de la part de l’aide axée sur les besoins essentiels de l’être humain29 ou du recours qui est fait au soutien budgétaire, à des mécanismes de mise en commun de fonds et à d’autres modalités souples d’aide. L’accent mis dans l’indice sur les droits de douanes et un éventail limité d’obstacles non tarifaires ne permet pas pour le moment de rendre compte des importantes restrictions aux échanges de services – question qui présente un intérêt grandissant pour les pays en développement. La fusion des données sur les obstacles non tarifaires masque l’effet restrictif exercé sur les courants d’échanges par les actions anti-dumping engagées sous des motifs frivoles, les réglementations complexes et les normes perverses. L’indice ne permet pas non plus de saisir l’impact des arrangements préférentiels ni de la prédilection pour les accords commerciaux bilatéraux que manifestent l’Union européenne et les Etats-Unis. Il est par ailleurs regrettable que l’indice n’intègre aucun indicateur de la performance en matière de propriété intellectuelle. Des enquêtes spéciales auraient pu être menées pour déterminer dans quelle mesure les pays riches (i) brevètent des produits et procédés déjà utilisés dans des pays en développement, (ii) appliquent des mesures de protection des droits d’auteur qui dissuadent les pays en développement de chercher à accéder aux connaissances, (iii) empêchent ou facilitent l’accès des pays pauvres à des produits à forte intensité de connaissances susceptibles de concourir à un recul de la pauvreté (dans les domaines de l’agriculture et de la santé, par exemple), (iv) contribuent au transfert de connaissances scientifiques, technologiques et autres vers les pays en développement, et (v) aident les pays en développement à préserver les savoirs indigènes. Le CDI juge la qualité des politiques de sécurité des pays riches au volume des contributions apportées par ces derniers aux opérations de maintien de la paix des Nations unies. Cet indicateur est trompeur étant donné que ces mêmes pays sont à l’origine de transferts massifs d’armes30. L’indice ne rend pas compte des énormes gaspillages de ressources associés à des niveaux excessifs de dépenses militaires31.

28 La fragmentation de l’aide se serait accrue de plus de 25 pour cent si l’on en croit une note établie par

Knack, Stephen et Rahman pour l’édition 2004 du Rapport sur le développement dans le monde. C’est ainsi que le Portail du développement répertorie actuellement quelque 340 000 projets, dont près de 7 000, financés par 80 organismes donneurs, pour la seule Tanzanie.

29 La communauté internationale est convenue de consacrer à ces derniers 20 pour cent de l’aide mais la part qui leur est actuellement affectée est de l’ordre de 11 pour cent.

30 D’après l’ouvrage intitulé Conventional Arms Transfers to Developing Nations, 1994-2001, établi par le Congressional Research Service des Etats-Unis, sur les 16 milliards de dollars que représentent

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Enfin, le CDI affecte le même poids aux six critères retenus. On en sait pourtant assez pour se faire une idée bien informée de l’importance relative des composantes de l’indice (opération similaire à celle à laquelle ont dû se livrer les concepteurs du CDI pour fixer l’échelle des scores associés à chaque critère). Les modèles économétriques32 montrent que les avantages que les pays en développement pourraient escompter d’une libéralisation des échanges de produits agricoles et manufacturés se chiffreraient à une somme comprise entre 108 et 760 milliards de dollars. Les estimations ressortant des modèles incluant les échanges de services sont encore quatre à cinq fois plus élevées33. De même, il n’est pas très logique que, dans l’indice, le même poids soit accordé à l’aide (qui a représenté environ 49 milliards de dollars en 2002), à l’investissement privé (avec ses quelque 163 milliards de dollars) et aux remises de fonds des travailleurs émigrés (qui ont atteint au moins 80 milliards de dollars)34. Ne pas être très loin de la vérité vaut mieux qu’être dans l’erreur totale. L’utilisation de pondérations qui reflèteraient les ordres de grandeur relatifs des contributions respectives des différents types d’apports améliorerait la qualité de l’indice et modifierait vraisemblablement beaucoup le classement des pays. A terme, le CGD compte mener des évaluations d’impact qui pourraient servir de base à l’élaboration de pondérations fiables et mettre en lumière les choix stratégiques35. Afin de rehausser la légitimité du CDI et son appropriation par les pays, développés comme en développement, il faudrait peut-être envisager de mettre en place un mécanisme de supervision visant à garantir la validité des méthodes et données sous-tendant la construction de l’indice. Approches de l’évaluation de la cohérence des politiques au service du développement Il ne devrait maintenant plus faire aucun doute qu’il convient de revoir les approches traditionnelles de la coopération pour le développement afin de replacer celle-ci sur un plan plus élevé, celui d’une stratégie à l’échelle du monde. Les initiatives à l’appui de la cohérence des politiques au service du développement restent pour le moment peu nombreuses et doivent encore porter leurs fruits. L’action en faveur du développement passe toujours essentiellement par des projets et des programmes mis en œuvre dans les pays en développement. Elle n’a pas pour objet l’encouragement de la reforme des politiques globales dans lesquelles ces activités s’inscrivent. Il faut rompre cette « dépendance au chemin » afin que la mondialisation profite à tous – aux pauvres comme aux riches.

officiellement les ventes d’armes aux pays en développement, 40 pour cent proviennent des Etats-Unis, 23 pour cent de la Russie et 7 pour cent de la France. Les armes conventionnelles utilisées dans des conflits entre pays en développement tuent quelque 300 000 personnes chaque année.

31 M. O’Hanlon, Defense Spending and the Index, Center for Global Development, 26 juillet 2002. 32 Le chiffre le plus élevé est celui auquel aboutissent Dessus, Sebastien, K. Fukasaku et R. Safadi dans La

libéralisation multilatérale des droits de douane et les pays en développement, Cahier de politique économique n° 18 du Centre de développement de l’OCDE, 1999. Il s’appuie sur un modèle dynamique avec croissance de la productivité intégrée. Le chiffre le plus faible est celui fourni par K. Anderson et al. dans Potential gains from trade reform in the new millennium, document datant de 2000 et présenté à la troisième conférence annuelle sur l’analyse de l’économie mondiale tenue à l’Université Monash. Il s’appuie sur un modèle statique d’état stationnaire.

33 Banque mondiale, Les perspectives économiques mondiales et les pays en développement 2002, Washington, D.C.

34 Banque mondiale, Global Development Finance 2003, Washington, D.C. 35 Un projet de recherche soutenu par le Global Development Network dans le prolongement d’ateliers

organisés par le Global Policy Project, le Centre de développement de l’OCDE et le Center for Global Development est en cours de préparation.

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L’indispensable révision des priorités en matière de développement a des répercussions fondamentales en termes d’évaluation. Le cadre de responsabilité mutuelle fourni par le Consensus de Monterrey offre un bon point de départ pour les analyser. Ce nouveau contrat fixe des objectifs communs de développement, les OMD. Il définit les obligations réciproques des partenaires au développement : aux pays pauvres de lutter contre la pauvreté et d’améliorer leurs structures de gouvernance et aux pays riches de réformer les « règles du jeu » de l’économie mondiale (OMD 8). Pour les évaluateurs, cette nouvelle architecture fiduciaire au service du développement mondial implique une modification des priorités en matière d’évaluation, où le plan mondial doit prendre le pas sur celui, plus traditionnel, des projets et des programmes par pays. Actuellement, les évaluations dans le domaine du développement visent à raccorder les résultats obtenus dans la voie du développement à la conception des programmes et projet et à l’environnement institutionnel et général du pays considéré. Les politiques des pays de l’OCDE y sont considérées comme données et « exogènes ». L’évaluation de la cohérence des politiques au service du développement implique un recentrage de l’analyse sur les politiques publiques mondiales, qui y deviennent des variables endogènes. Ce changement est loin d’être insignifiant. Il rend nettement plus complexe le processus d’évaluation. L’énormité du défi explique sans doute le peu de progrès accomplis. Il faut toutefois bien attaquer le problème par quelque part. Le réduire en composantes gérables sera indispensable pour progresser. A cet effet, plusieurs options peuvent être envisagées, qui sont énumérées dans les paragraphes qui suivent. Premièrement, tout comme il est actuellement procédé à des examens systématiques des projets et des programmes-pays, il pourrait être entrepris des évaluations indépendantes multi-donneurs systématiques des programmes multinationaux se fondant sur la collaboration internationale actuellement mis en œuvre pour assurer la fourniture de biens publics mondiaux, un partage des connaissances entre pays ou l’élaboration de normes pour les entreprises ou à caractère professionnel. Le nombre de programmes de ce genre a connu une croissance exponentielle ces dernières années mais peu ont fait l’objet d’évaluations en dépit des graves interrogations suscitées par leur gestion, leur efficience et leurs résultats. Deuxièmement, l’évaluation de la cohérence des politiques au service du développement pourrait progressivement donner lieu à des examens verticaux des politiques suivies par un pays (en matière d’aide, d’échanges, de migration, etc.) à l’échelle d’une région, voire du monde. Serait ainsi étudié l’impact de décisions récentes ou envisagées sur les conditions économiques et sociales prévalant dans des pays jugés représentatifs, certains développés, d’autres en développement, ainsi que des compensations offertes à ceux qui risquent de perdre au processus d’ajustement. Priorité devrait être donnée aux axes d’intervention appelés à servir d’armature à de nouveaux accords internationaux, et ces évaluations devraient alors intervenir bien avant le lancement des négociations officielles. Troisièmement, le problème soulevé par l’évaluation de la cohérence des politiques au service du développement pourrait être en partie réglé par la réalisation d’examens systématiques des aspects des politiques nationales en rapport avec la cohérence des politiques au service du développement sur une base horizontale. Ces exercices pourraient prendre la forme d’auto-évaluations (du type de l’approche CSMLP actuellement expérimentée par certains donneurs nordiques et les Pays-Bas). Afin de garantir une symétrie avec le processus CSLP instauré pour les pays pauvres, pourraient être prévues en parallèle des évaluations indépendantes et une supervision (lignes directrices, conseils, etc.), par le Secrétariat de l’OCDE ou le Comité du développement par exemple. Quatrièmement, il pourrait être choisi comme cible privilégiée d’évaluations de la cohérence des politiques au service du développement un échantillon représentatif de pays en développement, dans lesquels il serait procédé à un suivi de l’impact sur le plan du développement de réformes particulières des politiques des pays de l’OCDE (accroissement du volume ou de la qualité de l’aide, élimination progressive des

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subventions cotonnières, assouplissement des restrictions à l’immigration, etc.) afin de formuler à l’intention des pays de l’OCDE et des pays concernés des recommandations sur les moyens de renforcer la synergies entre les réformes et d’améliorer la conception des programmes d’aide. Cinquièmement, comme l’OCDE propose que l’attention se concentre sur des domaines comme l’investissement, le climat des affaires, les transferts de technologie et la durabilité environnementale ainsi que des secteurs tels que l’agriculture et la santé, où le secteur privé joue un rôle majeur, les évaluations de la cohérence des politiques au service du développement pourraient intégrer une analyse indépendante des répercussions des réglementations et normes (imposées ou auto-imposées) appliquées en ces matières pour les pays en développement. Sixièmement, il pourrait être utile d’établir ou de faire établir un rapport annuel sur l’avancement de la cohérence des politiques au service du développement qui s’appuierait sur le CDI et en renforcerait du même coup la légitimité et la puissance en tant qu’instrument d’évaluation car se fondant sur la participation formelle des gouvernements, du secteur privé et de la société civile. L’encadré 3 récapitule les résultats de l’enquête concernant les priorités en matière d’évaluation de la cohérence des politiques au service du développement.

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Encadré 3. OPINIONS EXPRIMEES CONCERNANT LES PRIORITES EN MATIERE DE SUIVI ET D’EVALUATION DE LA COHERENCE DES POLITIQUES AU SERVICE DU DEVELOPPEMENT Sur les quatorze correspondants, onze ont été d’accord pour dire que les Nations unies et les IFI devraient déployer autant d’efforts pour suivre et évaluer la performance des pays riches (au regard de l’OMD 8) qu’ils en mettent en oeuvre pour suivre et évaluer la performance des pays pauvres. Les opinions sont par contre partagées sur le point de savoir s’il faut demander aux pays riches d’établir des rapports concernant l’impact de leurs politiques sur le recul de la pauvreté dans le monde. Certains correspondants doutent que cette idée soit réaliste. D’autres s’interrogent sur la crédibilité qu’auraient des rapports établis par les gouvernements eux-mêmes. Les examens horizontaux de la cohérence des politiques au service du développement au niveau des pays de l’OCDE pris séparément et les examens transversaux au niveau de l’ensemble des pays de l’OCDE se situent tous deux à un niveau élevé dans les priorités des correspondants. Viennent ensuite les évaluations indépendantes et les auto-évaluations des programmes à l’appui de la fourniture des biens publics mondiaux liés aux OMD. L’idée de réaliser des examens annuels dont le champ déborderait celui du seul CDI a aussi recueilli un large soutien. La grande majorité des correspondants ont préconisé une totale association des pays en développement au processus d’évaluation de la cohérence des politiques au service du développement. Il a aussi été jugé essentiel d’apporter à ces derniers un soutien technique afin de les aider à renforcer leurs capacités d’évaluation. Onze correspondants sur quatorze ont insisté sur la nécessité d’exercices systématiques de suivi et d’évaluation du respect des conventions et réglementations internationales. Près de la moitié des correspondants estiment que la responsabilité de ces évaluations doit être confiée aux instances internationales chargées de gérer ces instruments internationaux ou à un nouvel organisme d’évaluation indépendant qui rendrait compte aux Nations unies ou au Comité du développement. Douze des quatorze correspondants ont jugé que les Nations unies, les IFI et les donneurs devraient consacrer une plus large part des financements qu’ils affectent à la recherche à l’évaluation de l’impact sur le développement des politiques des pays riches. Pour dix d’entre eux, ces ressources devraient aller à des établissements de recherche de pays en développement. Les correspondants seraient aussi favorables à la réalisation, par des institutions de pays en développement, d’évaluations de l’efficacité, en termes de développement, de l’investissement direct étranger parallèlement à la mise en place par le secteur privé de mécanismes volontaires de fixation et de suivi de normes. L’association au processus des ONG ainsi que de la CNUCED et des IFI a également recueilli un certain soutien, mais plus limité. Méthodes d’évaluation de la cohérence des politiques au service du développement La caisse à outils de l’évaluateur regorge d’instruments pouvant s’appliquer à la cohérence des politiques au service du développement dès lors que les objets soumis à examen sont « évaluables »36 et que les ressources allouées sont à la mesure du travail à accomplir. C’est ainsi que les techniques d’évaluation des programmes sont tout à fait adaptées à l’évaluation de programmes mondiaux se fondant sur la collaboration internationale. De même les méthodes de méta-évaluation associées aux techniques d’évaluation basée sur la théorie37 constituent des instruments de choix pour des évaluations multi-pays de la cohérence des politiques au service du développement centrées sur un vecteur particulier de l’action des pouvoirs publics. Les CSMLP et les évaluations d’impact au niveau d’un pays nécessitent quant à eux le

36 Joseph S. Wholey, op. cit. 37 Carol H. Weiss, Evaluation, Second Edition, Prentice Hall, Upper Saddle River, N.J., 1998.

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recours à des études de cas et autres outils d’analyse des politiques. Toute la gamme des instruments d’évaluation des « nouvelles approches de la gestion publique » est, de son côté, susceptible d’être déployée pour l’évaluation des réglementations et des normes de responsabilité sociale des entreprises. Autrement dit, si l’évaluation de la cohérence des politiques au service du développement représente un défi, c’est plus pour les spécialistes de l’évaluation du développement que pour les professionnels de l’évaluation d’une manière générale. D’un autre côté, ces spécialistes peuvent apporter beaucoup sur le plan de l’évaluation de la cohérence des politiques au service du développement. Alliée à des mécanismes propres à améliorer la performance organique et dès lors que son indépendance est garantie, l’évaluation du développement consolide les obligations de comptes38. Elle favorise aussi le réalisme aux niveaux de la planification, de la programmation et de la budgétisation. Enfin, elle facilite l’apprentissage interne car elle oblige les évaluateurs à s’interroger sur la pertinence des objectifs poursuivis et des pratiques opérationnelles. L’approche renvoyant aux objectifs39 serait bien adaptée aux évaluations de la cohérence des politiques au service du développement. Habituellement en effet, les spécialistes de l’évaluation du développement comparent les résultats obtenus (produits, réalisations et impacts) aux objectifs fixés au début de l’intervention d’aide considérée. Cela facilite le raccordement aux dispositifs internes de gestion. De même, les spécialistes de l’évaluation du développement ont une grande expérience de l’évaluation des partenariats, laquelle est appelée à occuper une place centrale dans les évaluations de la cohérence des politiques au service du développement40. L’évaluation de la cohérence des politiques au service du développement éclairerait d’un jour nouveau les évaluations classiques du développement en faisant expressément ressortir les intérêts que servent en réalité les politiques, programmes et projets des organismes d’aide. D’un point de vue méthodologique, l’intégration de l’aspect cohérence des politiques au service du développement obligerait les évaluateurs à dissocier les objectifs et impacts des programmes en fonction des partenaires et à déterminer comment les coûts et les avantages se répartissent entre ces derniers. Cela rehausserait la précision et la crédibilité de l’analyse et renforcerait la dimension participative du processus d’évaluation. Par ailleurs, en matière de cohérence des politiques au service du développement, pourraient être étudiées les mesures prises pour minimiser les externalités négatives des programmes et projets, comme cela se fait dans le domaine du développement proprement dit. Au même titre qu’il est procédé à des évaluations des impacts sociaux et environnementaux lors de l’examen préalable des projets industriels et d’infrastructure, il pourrait être envisagé de mener des « évaluations d’impact en termes de cohérence des politiques au service du développement » lorsque sont passées en revue les politiques suivies par un pays de l’OCDE dans divers grands domaines. Au bout du compte, l’OCDE pourrait ainsi être conduite à adopter des normes pour la sauvegarde de la cohérence des politiques au service du développement se fondant sur le premier principe d’Hippocrate, à savoir « ne pas nuire ». Ces normes seraient déterminées au vu des 38 Malheureusement, la plupart des organismes d’aide au développement ne possèdent pas de service

d’évaluation réellement indépendant et ont tendance à utiliser la gestion axée sur les résultats davantage comme un moyen d’améliorer la planification que comme un moyen de mieux rendre des comptes. A l’exception de ceux de la Banque mondiale et de certaines banques régionales de développement, les systèmes de gestion fondée sur les résultats en place dans les organismes d’aide ne prévoient pas de notation indépendante de la qualité professionnelle et de la performance institutionnelle.

39 Nagy Hanna et Robert Picciotto, Making Development Work, World Bank Series on Evaluation and Development, Volume 4, Transaction, New Brunswick, 2002.

40 Andres Liebenthal, Osvaldo N. Feinstein, Gregory K. Ingram, Evaluation and Development: The Partnership Dimension, World Bank Series on Evaluation and Development, Volume 6, Transaction, New Brunswick, 2004.

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évaluations d’impact passées et serviraient de référence pour les évaluations d’impact futures. Elles fourniraient en outre un cadre à la légitimité reconnue pour l’instauration de mécanismes de vérification indépendants. Une autre particularité des techniques de l’évaluation du développement qui pourrait être étendue à la cohérence des politiques au service du développement est le recours systématique à des évaluations de processus. Celles-ci seraient en l’occurrence centrées sur l’adéquation, l’efficacité et l’efficience des dispositifs institutionnels visant à garantir la cohérence des politiques au service du développement à l’échelon national, régional ou mondial. Y seraient examinés : (i) les mécanismes de coordination et de participation, (ii) la qualité des moyens analytiques, (iii) les directives pour la formulation des politiques (iv) les critères d’arbitrage entre les objectifs primaires des politiques et les intérêts des pays en développement, (v) les dispositifs de suivi et d’évaluation. Modalités d’organisation du système d’évaluation La rigueur méthodologique ne suffit pas à assurer la crédibilité des évaluations. Tout aussi importante à cet effet est l’existence de structures qui garantissent l’indépendance, l’objectivité et la « valeur ajoutée » de la fonction d’évaluation. Or, cela soulève des défis particuliers dans le cas de la cohérence des politiques au service du développement. Les modèles organisationnels qui se sont révélés efficaces, au plan national et multilatéral, pour l’évaluation du développement risquent de ne pouvoir être appliqués à l’évaluation de la cohérence des politiques au service du développement. Alors que l’évaluation du développement porte normalement sur l’action d’un Etat souverain ou d’un organisme, obtenir que les politiques soient cohérentes dans l’optique du développement nécessite l’examen des dispositions prises par plusieurs nations souveraines et organisations autonomes. D’un autre côté, il n’y a pas de raison que les principes sur lesquels doit s’appuyer la conception d’un solide système d’évaluation du développement ne s’appliquent pas à l’évaluation de la cohérence des politiques au service du développement. Premièrement, la crédibilité de la fonction d’évaluation nécessite que celle-ci soit clairement dissociée des fonctions de gestion opérationnelle et de décision. Deuxièmement, son utilité est conditionnée par sa faculté d’influer sur la formulation des politiques et la prise des décisions (indépendance ne veut pas dire isolement). Troisièmement, son intégrité passe le respect des principes de responsabilité, d’apprentissage et de transparence qu’elle se veut promouvoir. L’application de ces principes conduit à des solutions organiques associant auto-évaluation et évaluation indépendante. La contestabilité des conclusions des auto-évaluations et la supervision des critères sous-tendant les auto-évaluations par leur soumission à des évaluations indépendantes sont des caractéristiques fondamentales d’un bon système d’évaluation. La diversité des approches de l’évaluation à mettre en œuvre pour saisir les multiples facettes de la cohérence des politiques au service du développement fait qu’il ne peut exister en l’espèce de modèle organisationnel universel. Il n’en reste pas moins que certains des enseignements dérivés de l’expérience accumulée en matière d’évaluation conjointe du développement sont vraisemblablement transposables à l’évaluation de la cohérence des politiques au service du développement, et notamment les suivants : (i) les principales parties prenantes doivent être associées à la définition des objectifs, critères et méthodes d’évaluation ; (ii) leurs responsabilités et obligations respectives doivent être arrêtées d’un commun accord dès le début du processus ; (iii) l’équipe chargée de l’évaluation doit bénéficier d’une large autonomie ; (iv) des compétences et des ressources adéquates doivent être affectées à la conduite de l’évaluation et à la diffusion de ses résultats. Dernier point, mais ce n’est pas le moins important, pour assurer la crédibilité des évaluations de la cohérence des politiques au service du développement, il conviendra de s’appliquer fermement à associer les pays en développement à l’exercice. Cela nécessite de la part des donneurs un effort majeur de renforcement des capacités d’évaluation de ces pays. Cela implique aussi des modalités de financement et

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d’organisation des évaluations qui donnent aux gouvernements, aux institutions et aux citoyens des pays en développement un large pouvoir de contrôle sur ce segment majeur du programme d’action à engager à l’appui de la cohérence des politiques au service du développement. Au même titre que les projets et programmes de développement mis en œuvre par les pays pauvres font l’objet d’évaluations par des organismes donneurs contrôlés par les pays riches, il serait logique que les politiques des pays riches qui affectent les pays pauvres fassent l’objet d’évaluations par des organismes contrôlés par les pays pauvres. Questions à examiner Les échanges de vues introductifs devraient être centrés sur la question de savoir comment évaluer les résultats obtenus sur le plan de la cohérence des politiques au service du développement. La réponse à cette question dépend de ce qu’on entend par résultats. Cela implique qu’on hiérarchise comme suit les objectifs particuliers du programme horizontal sur la cohérence des politiques au service du développement :

• Niveau 1 : le programme sur la cohérence des politiques au service du développement vise à promouvoir l’adoption par les pays de l’OCDE d’une approche « à l’échelle de l’ensemble de l’administration » (intrant).

• Niveau 2 : le programme sur la cohérence des politiques au service du développement vise à minimiser les retombées négatives pour les pays en développement des mesures prises par les pays de l’OCDE pour assurer la réalisation de leurs objectifs intérieurs (produit).

• Niveau 3 : le programme sur la cohérence des politiques au service du développement vise à encourager une révision des politiques suivies par les pays de l’OCDE propre à améliorer la performance de développement des pays pauvres (réalisation).

• Niveau 4 : le programme sur la cohérence des politiques au service du développement vise à faire en sorte que la mondialisation profite aux pauvres et à assurer la réalisation des OMD (impact).

Les participants sont invités à examiner les conséquences de cette hiérarchisation pour l’organisation des évaluations et les méthodes d’évaluation. Peut-être souhaiteront-il approfondir plus particulièrement les questions suivantes :

• Niveau 1 : Sur quels critères faut-il se fonder pour apprécier la mesure dans laquelle une « approche à l’échelle de l’ensemble de l’administration » a été appliquée ? Ces critères doivent-ils inclure la qualité des analyses et de la communication, la modification des structures et processus de prise des décisions, le degré de prise en compte des questions de cohérence dans le débat sur l’orientation de l’action publique, l’influence exercée par les analyses fournies sur les décisions ?

• Niveau 2 : L’évaluation de la cohérence des politiques au service du développement doit-elle renvoyer à la pertinence des questions autour desquelles s’articule le programme sur la cohérence, à l’efficacité de l’analyse et à la transmission de ses résultats aux décideurs, à l’efficience de ces processus, aux changements qu’ils induisent dans les décisions et à l’influence du programme sur la cohérence sur les choix effectivement opérés par les pouvoirs publics ?

• Niveau 3 : L’évaluation de la cohérence des politiques au service du développement doit-elle reposer sur l’évolution de l’efficacité des politiques effectivement suivies par les pays de l’OCDE au regard du développement (comparaison avant/après) et son intérêt pour les perspectives qui s’offrent aux pays en développement sur les plans économique et social ? Ou doit-elle s’appuyer sur un scénario contrefactuel (comparaison avec/sans) afin de comparer l’efficacité au regard du développement des décisions effectivement prises avec celle des décisions qui l’auraient vraisemblablement été en l’absence de dispositions en faveur de la cohérence des politiques au service du développement ?

Page 25: Review & Evaluation · 2021. 4. 25. · 3 Michael Scriven, Evaluation Thesaurus: Fourth Edition. Sage Publications. Newbury Park, Londres et New Dehli. 1991. 4 Paul Hoebink, Evaluating

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• Niveau 4 : L’évaluation de la cohérence des politiques au service du développement doit-elle porter sur les avancées obtenues vers les OMD grâce aux réorientations opérées dans les politiques des pays de l’OCDE ? Les manque à gagner encourus par les pays de l’OCDE du fait de leur souci de cohérence des politiques au service du développement doivent-ils en être déduits ? Comment faire également abstraction de la contribution apportée par les changements intervenus dans les politiques des pays en développement [aspect (iv) de la cohérence] ?

29 mars 2004


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