Résumés des interventions et notices de présentation des intervenants (Par ordre alphabétique)
RACHEL BEAUVOIR-DOMINIQUE, anthropologue, professeur à laFaculté
d’Ethnologie, UEH.
« Une pionnière : Odette Mennensson Rigaud, avant-garde de l‟ethnographie haïtienne »
(Séance du vendredi 1er
février 2013).
Le fonds documentaire « Milo Rigaud / Odette Mennesson-Rigaud » confié aux soins de la
Bibliothèque Haïtienne des Pères du Saint-Esprit constitue un inestimable patrimoine dissimulé
pour la nation haïtienne, l‟Afrique et les peuples d‟origine africaine, l‟Amérique, les religions
traditionnelles en général et l‟ethnologie spécifiquement. Constitué, essentiellement, de vingt-cinq
manuscrits majeurs inédits de cette autorité du Vodou Haïtien qu‟était Milo Rigaud et d‟environ
cinq cent notes et compilations ethnographiques de son épouse, Odette Mennesson-Rigaud, moins
connue mais non moins passionnante, ses enseignements ne demandent qu‟à rayonner, sa vertu
exemplaire à servir aux générations futures.
Il ne fait aucun doute que ce sont les retrouvailles avec la très grande ethnographie d‟ODETTE
MENNESSON-RIGAUD qui constitue le moment fort de cette collection. Ses milliers de pages
dactylographiées et inédites sont saisissantes par leur rigueur scientifique, l‟immense labeur qui y
est manifeste, le respect profond de cette tradition fort ancienne qu‟est le Vodou – pourtant
socialement décrié et même criminalisé par la législation de l‟époque -, enfin, la véritable passion
qui s‟y déploie. Compilation magistrale de l‟évolution du Vodou Haïtien sur vingt-cinq années
(1944-1969), l‟ethnographie d‟Odette Mennesson-Rigaud est unique tant par le méticuleux de son
travail d‟observation que par l‟ampleur du recensement qui y est réalisé… Quatre cent quatre-vingt-
huit documents, dossiers de notes et de chants, cartables, dessins… d‟une information prodigieuse,
surtout dans la mesure où elles couvrent l‟évolution du milieu Vodou à travers cette période
importante que fut la deuxième moitié du vingtième siècle. Car si la simple saisie ethnographique
est en règle générale utile à l‟information des générations postérieures, son suivi rigoureux sur
plusieurs décennies ne l‟est que bien davantage.
Il s‟agit, par conséquent et en plus, d‟une esquisse unique d‟historiographie populaire haïtienne,
retraçant le quotidien et les faits culturels marquant de ce peuple dont la rudesse des conditions
d‟existence n‟a jamais entamé la vigueur de résistance, la poursuite de son geste fondamentale
d‟indépendance. Aujourd‟hui, un demi-siècle plus tard, triste est de constater la platitude des
travaux en cours.
Rachel Beauvoir-Dominique, anthropologue, est coauteure avec Didier Dominique de Savalou E, livre traitant du
Vodou haïtien dans son contexte social et historique, primé en 1988 à la Casa de las Americas de la Havane (Cuba) et
publié en 2003 aux Editions du CIDHICA (Montréal). Également auteure de L’Ancienne Cathédrale de Port-au-Prince
: Perspectives d’un vestiges de carrefours et de nombreux autres articles, Madame Beauvoir-Dominique est membre
fondatrice de deux Fondations dédiées à la préservation des traditions culturelles haïtiennes, combinant engagement,
enseignement à l‟Université d‟Etat d‟Haïti, recherches plurielles et présentations/publications régulières sur l‟arène
nationale et internationale.
DIMITRI BÉCHACQ, anthropologue, chargé de recherche au CRPLC/Centre de
Recherche sur les Pouvoirs Locaux dans la Caraïbe (CNRS/UMR 8053).
« Ethnologie, folklore et politique en Haïti » (Séance du vendredi 22 février 2013).
Cette intervention proposera une réflexion sur le contexte politique et académique, local et
international, qui contribua au développement de l‟ethnologie, à l‟émergence du folklore en Haïti et
à la place centrale attribuée au vodou dans ce dispositif. L‟hypothèse d‟une « esthétique politique
du vodou » – l‟image que l‟on en donne sert des intérêts politiques – servira de fil conducteur pour
comprendre le rapport entre ethnologie, folklore et politique. Une première partie interrogera le
rapport que les intellectuels haïtiens entretinrent avec le vodou. Il s‟agira d‟examiner comment le
culte changea de statut dans l‟historiographie haïtienne en considérant la part de l‟ostracisme de la
République d‟Haïti par l‟Occident, l‟impact des conflits politiques locaux et les conditions de la
postérité du mythe fondateur du Bois-Caïman au regard de l‟opinion défavorable émise par l‟élite
haïtienne et les étrangers à l‟encontre du vodou. La seconde partie analysera les productions des
observateurs de ce culte entre science et politique dans le contexte du mouvement indigéniste. Si les
productions savantes haïtiennes ayant trait au vodou témoignent à la fois des influences
académiques européennes et de la prégnance d‟une Afrique mythifiée, il faudra cependant
questionner le rapport entre l‟indigénisme et la paysannerie à la lumière des hiérarchies sociales,
tout en situant l‟impact de l‟Occupation américaine sur les relations entre les intellectuels haïtiens
et occidentaux. La troisième et dernière partie interrogera le rôle de ces acteurs quant à la
promotion du folklore et du vodou haïtien au sein d‟institutions et lors d‟événements culturels. Il
s‟agira ici de reconstruire le réseau d‟acteurs investis dans le mouvement folklorique et d‟analyser
leurs activités, de la création du Bureau d‟ethnologie en 1941 à la réalisation du Bicentenaire de
Port-au-Prince et de l‟Exposition internationale en 1949-1950.
Dimitri Béchacq est anthropologue, chargé de recherche au CRPLC/Centre de Recherche sur les Pouvoirs Locaux dans
la Caraïbe (CNRS/UMR 8053), associé au CIRESC (LIA/CNRS) et co-fondateur du Collectif 2004 Images. Il a enquêté
en Haïti, en France et aux Etats-Unis. Il a codirigé l‟ouvrage La Révolution haïtiennes au-delà de ses frontières (2006,
Karthala,) et a publié une douzaine d‟articles sur la migration haïtienne et les usages sociaux et politiques des registres
d‟appartenance et des faits culturels, religieux et historiques. Après avoir travaillé sur les Pratiques migratoires entre
Haïti et la France. Des élites d’hier aux diasporas d’aujourd’hui (Thèse de doctorat, 2010, EHESS), il se consacre
actuellement à l‟étude de ces pratiques entre Haïti et les Antilles françaises.
CARLO CÉLIUS, historien et historien de l’art, chargé de recherche au CNRS, rattaché
au Centre de recherche sur les pouvoirs locaux dans la Caraïbe (CRPLC), UMR 8053.
« Création plastique et ethnologie en Haïti » (séance du vendredi 24 mai 2013).
Faut-il, comme le réclament certains artistes, comme Mario Benjamin, se défaire du discours
ethnologique sur les arts plastiques d‟Haïti ? Ce discours est-il vraiment réducteur, comme on se
plaît à le dire? Offre-t-il aujourd‟hui de nouvelles perspectives ? On tentera de répondre à ces
questions en analysant trois types d‟écrits. Tout d‟abord, ceux de certains ethnologues, de Jean
Price-Mars à Alfred Métraux en passant par Louis Maximilien, Emile Marcelin, Melville
Herskovits, Rémy Bastien ou encore J. B. Romain. Il s‟agira de voir comment ils ont abordé la
création plastique, d‟évaluer leurs apports à la connaissance de ce genre de pratique. On étudiera
ensuite l‟usage fait de certaines propositions du discours ethnologique (relatives ou non aux
questions artistiques) par d‟autres catégories d‟auteurs, notamment des critiques et historiens de
l‟art, comme Félix Morisseau-Leroy, Jacques Stephen Alexis, Philippe Thoby-Marcelin, Michel-
Philippe Lerebours ou encore André Breton, SeldenRodman, André Malraux... Et enfin, on
interrogera les nouvelles recherches ethnologiques sur la création plastique d‟Haïti qui se
développement surtout aux Etats-Unis (Robert Farris Thompson, Karen McCarthy Brown, Donald
Cosentino…). On s‟efforcera, en rendant compte du discours ethnologique, de dégager ses
éventuels impacts sur l‟apparition et le développement de certains types de création.
Carlo A. Célius, historien et historien de l‟art, est chargé de recherche au CNRS, rattaché au Centre de recherche sur les
pouvoirs locaux dans la Caraïbe (CRPLC), UMR 8053, Université des Antilles et de la Guyane (Martinique). Il est
l‟auteur de Langage plastique et énonciation identitaire. L‟invention de l‟art haïtien, Québec, Les Presses de
l‟Université Laval, collection « Intercultures », 2007. Ont paru sous sa direction : Le défi haïtien. Économie,
dynamique sociopolitique et migration, Paris, L‟Harmattan, coll. « Horizons Amérique Latine », 2011; Situations
créoles. Pratiques et représentations, Québec, Éditions Nota Bene, collection « Société », 2006. Il a également édité :
Création plastique, traites et esclavages, numéro thématique des Cahiers des anneaux de la mémoire, no 12, Nantes,
2009 ; Haïti : face au passé / Haïti : Confronting the Past, numéro thématique de la revue Ethnologies, Québec, vol. 28,
no 1, 2006 ; Haïti et l‟anthropologie, dossier de Gradhiva, revue d‟anthropologie et de muséologie, musée du quai
Branly, Paris, nouvelle série, no 1 (double numéro), 2005.
JOSEPH RONALD DAUTRUCHE, doctorant, CELAT, Université Laval, UEH, Enseignant,
Faculté d’Ethnologie, UEH.
«Ethnologie et Tourisme : comment le discours ethnologique a contribué à faire d‟Haïti une
destination touristique à partir des années 1940 » (Séance du vendredi 21 juin 2013).
Les années 1940 ont marqué l‟ouverture officielle d‟Haïti au tourisme international. Sous le spectre
des campagnes d‟éradication répétée et plus particulièrement celle lancée en 1941, le vodou était
encore assigné à cette époque aux lieux dérobés pour échapper aux foudres de l‟Église, pour
reprendre l‟expression de Barthe et Théodat (2007). Certains observateurs ont été surpris,
cependant, de voir l‟intérêt des visiteurs pour les cérémonies vodou. À côté de la demande soutenue
pour les cérémonies, les tableaux naïfs présentant des scènes ou des divinités vodou étaient devenus
les objets de souvenir préférés des touristes. Le vodou devient en un tour de main le marqueur
principal de la destination, voire le seul élément qui fait la spécificité culturelle du pays. La
question qu‟on se pose assez souvent : d‟où provient cette fascination des étrangers pour une chose
qui était décriée sur le plan international ? Alors que les exotismes décrits par les ethnologues
deviennent les principales attractions touristiques dans les destinations du Sud, on s‟interroge
rarement sur le rôle joué par les ethnologues étrangers et haïtiens dans la construction d‟Haïti
comme destination touristique. En s‟appuyant sur les divers événements qui se sont succédés en
Haïti entre le début de l‟occupation étasunienne du pays (1915-1934) et l‟arrivée en masse des
touristes étasuniens à partir des années 1940– l‟ouverture du pays aux ethnologues étasuniens,
l‟avènement du mouvement indigéniste, une nouvelle campagne anti-vodou (1941-1942),
l‟ethnologie d‟urgence décrétée par Métraux et Roumain, la création du Bureau d‟Ethnologie
(1941), la fondation du Centre d‟Art par l‟aquarelliste étasunien Dewitt Peters (1944) –,cette
intervention proposera d‟analyser le rôle des ethnologues dans la construction du vodou comme
marqueur principal de la destination.
Joseph Ronald Dautruche termine actuellement un doctorat en ethnologie à l‟Université Laval. Ses recherches portent
sur le tourisme, la dynamique de la culture et du patrimoine, le développement durable, l‟économie culturelle et les
festivités en Haïti (Rara, carnaval, champêtre, festivités vodou). Il anime depuis 2010 des séminaires sur le tourisme et
le patrimoine culturel à l‟Université d‟État d‟Haïti. Il a participé à l‟Inventaire du Patrimoine Immatériel Religieux du
Québec (IPIR). Il est membre du Centre Interuniversitaire d‟Études sur les Lettres, les Arts et les Traditions (CÉLAT,
Québec) et de l‟Association canadienne d‟ethnologie et de folklore (ACEF).
EDELYN DORISMOND, Docteur en philosophie, co-directeur de la revue Recherches
Haïtiano-Antillaises, Vice-président du CRENEL, rattaché au LLCP du Département
de philosophie de l’Université Paris 8.
« Histoire de l‟anthropologie haïtienne et anthropologie de l‟histoire d‟Haïti » (Séance du
vendredi 24 mai 2013).
S‟il faut reconnaître qu‟avec Firmin, son célèbre ouvrage sur l‟Egalité des races humaines.
Anthropologie positive, l‟anthropologie haïtienne eut acquis son droit de noblesse comme discipline
scientifique, vu l‟importance accordée au paradigme scientifique de l‟anthropologie générale
(« Anthropologie positive »), il n‟est pas sans intérêt de se préoccuper de ce par rapport à quoi
Firmin aurait réalisé une révolution épistémique, un changement de paradigme. Et voilà ce qui nous
renvoie au constat fait par Dantès Bellegarde qui remarque que : « la littérature haïtienne a été
avant tout une littérature d’action. La plupart de nos auteurs ont écrit beaucoup plus pour agir que
pour faire œuvre littéraire.ils se sont en effet inspirés de la lutte héroïque pour la liberté et pour
l’indépendance ou se sont consacrés à débrouiller nos origines historiques et à discuter des plans
d’organisation sociale. Presque tous ont milité dans la politique. » (Dantès Bellegarde, Ecrivains
Haïtiens, Port-au-Prince, Henri Deschamps, 1950).
Ce constat nous conduit à deux remarques fondamentales qui seront autant de fil conducteur de
notre séminaire. D‟une part, l‟anthropologie haïtienne serait militante ; elle aurait repris contre les
puissances « intellectuelles » et politiques, du point de vue de la pensée, la lutte pour la défense de
la race noire et d‟Haïti. D‟autre part, cette anthropologie est en même, et à juste titre, une démarche
engagée, puisque les écrivains visent l‟ « action » et l‟organisation sociale : elle porte une
préoccupation d‟organisation interne du social. Ces deux considérations nous portent à supposer
qu‟on ne saurait négliger dans une étude d‟histoire de l‟anthropologie haïtienne sa corrélation à la
dynamique politique haïtienne.
Ainsi nous montrerons que l‟anthropologie haïtienne, antérieure à 1885, porte un dispositif discursif
qui ne sera pas entièrement absent au cours de ce que l‟on peut considérer comme période de
l‟anthropologie proprement dite haïtienne : la défense d‟Haïti, de la « Race noire » et un procès de
« réhabilitation ». Si nous tenons ensemble ces deux considérations, nous pourrons soutenir à partir
de Bellegarde que l‟anthropologie haïtienne ou la proto-anthropologie haïtienne fut une pensée
engagée dans la défense de l‟indépendance contre ses « détracteurs ». Voilà ce qui méritera d‟être
développé en vue de nuancer cette thèse qui néglige l‟ambivalence de la pensée anthropologique
haïtienne. Nous admettrons qu‟il y eût bien un souci militant dans cette anthropologie, mais dès le
début de son élaboration avec De Vastey, elle renfermait une contradiction que l‟anthropologie
haïtienne proprement dite n‟évacuera pas.
Edelyn DORISMOND, docteur en Philosophie, co-directeur de la revue Recherches Haïtiano-Antillaises, Vice-président du
CRENEL (Centre de Recherches Normes, Échanges et Langage), est attaché au LLCP du Département de Philosophie de
l’Université Paris 8. Sa thèse a été une tentative de saisir l’esclavage moderne dans la Caraïbe selon l’exigence conceptuelle
de la Philosophie. Il consacre actuellement ses travaux sur les dynamiques des sociétés antillaises, sur les nouveaux
problèmes que posent aux sciences sociales l’expérience politique et sociale de la diversité, le conflit de mémoires lié à la
rencontre des agents culturels. Enfin, il s’intéresse à la reformulation de la question de la philosophie politique au regard des
revendications portées par les « minorités ». Il a publié L’ère du métissage. Variations sur la créolisation : politique, éthique et
philosophie de la diversalité (Paris, Anibwé, 2012). Il prépare deux publications prochaines : Archéologie de la colonialité. Esquisse
d’une phénoménologie du capitalisme dans les colonies françaises aux Antilles (Paris, L’Harmattan, 2013) ; Pour une anthropologie en
contexte créole. Critique des sciences sociales Antillaises (Paris, L’Harmattan, 2013).
BENOÎT DE L’ESTOILE, anthropologue, Directeur de Recherche, CNRS/IRIS,
enseignant à l’ENS de la rue d’Ulm et à l’EHESS.
« Anthropologie et construction de l'État: un regard comparatif » (séance du jeudi 13
décembre 2012).
Il s‟agit de proposer un cadre comparatif pour l'analyse des relations multiples entre construction
des Etats, nationaux ou impériaux, et développement des savoirs anthropologiques. Elle s'appuiera
en particulier sur les cas français et britannique. On sepropose également d'analyser quelques
aspects de la circulation internationale de modèlesinstitutionnels et de théories dans les mondes
coloniaux et post-coloniaux.
Benoît de L‟Estoile, anthropologue, est directeur de recherche au CNRS (Institut de recherche interdisciplinaire sur les
enjeux sociaux, IRIS, Paris), et enseigne à l‟École Normale Supérieure et l‟EHESS. Il effectue des enquêtes de terrain
au Brésil (Rio de Janeiro et Nordeste rural). Il a analysé les liens entre le développement de l‟anthropologie britannique
et les transformations de la gouvernementalité coloniale. Il a exploré les métamorphoses du monde des musées dans Le
goût des Autres. De l’Exposition coloniale aux Arts premiers (Flammarion, 2007, 2010). Il a notamment publié
Empires, Nations and Natives : Anthropology and State-making (avec L. Sigaud, F.Neiburg), Duke UniversityPress,
2005. Il a été professeur invité aux universités de Naples, Rio de Janeiro, Eichstätt.
KATE HODGSON,docteure en histoire littéraire de la Caraïbe francophone, Chercheur
postdoctoral, School of Histories, Languages and Cultures, Université de Liverpool, UK
« La chanson créole, l‟impérialisme et la politique de l‟abolitionnisme au dix-neuvième siècle»
(séance du vendredi 1er
Mars 2013)
« Il existe un vaste corpus de musique laïque [en Haïti]. Il comprend des chansons pour travailler, des chansons pour rire, de la
musique de société secrète, des chants de manifestation et d‟ironie, des chansons politiques, des chansons-histoires et de la
musique sociale autrement non-classifiable, la totalité en provenance d‟une tradition essentiellement africaine » (Harold
Courlander, „Songs and Dances of Haiti‟, 1951).
Ce séminaire offre un aperçu des tensions politiques post-impériales entre Haïti et la France au
XIXe siècle à travers deux manuscrits inédits contenant un certain nombre de chansons créoles en
provenance d‟Haïti. Le conservateur et le traducteur de ce matériau, Jean Prax, était enthousiaste de
l‟Empire: polytechnicien, ancien voyageur orientaliste et saint-simonien en Egypte qui travaillait
sur des plans pour le canal de Suez, Prax est devenu vice-consul de la ville des Gonaïves en 1852.
Sa désapprobation de la société haïtienne offre un cadre souvent problématique pour les chansons
transcrites, mais une mise en évidence qui refocalise l‟attention sur les chansons elles-mêmes, peut
nous permettre un aperçu de la politique et de la poétique du dix-neuvième siècle haïtien.
La chanson politique haïtienne de cette période se préoccupe surtout de questions domestiques ou
internes, réflexion de l‟isolement diplomatique et international auquel est sujet le pays à cette
époque. Pourtant, dans le champ de la politique étrangère, les relations avec des abolitionnistes,
surtout ceux qui sont visiteurs en Haïti, constituent un champ global d‟action et un objectif
politique clair, de défendre son indépendance au monde.
Contrairement au discours pro-impérialiste de Prax, les chansons qu‟il transcrit expriment un sens
de la culture populaire haïtienne et de l'identité nationale, à la fois par un libertinage qui épouvante
et fascine leur curateur, et un fort sentiment d'autonomie politique qui rejette très clairement
l'ingérence européenne. Ils offrent non seulement la préservation d‟un fragment de la culture orale
en Haïti, provoquant de nouvelles interprétations politiques et sociales des réalités populaires à
l'époque, mais aussi un aperçu du dix-neuvième siècle et de la vie haïtienne dans les provinces. Les
classifications et délimitations tracées par Prax entre les chansons „politiques‟ et „libertines‟ (les
premières sont transcrites dans ses rapports consulaires officielles, tandis que les secondes sont
réservées à la correspondance privée) se révèlent insuffisantes, puisque le sexe et la politique se
mêlent, imprégnant l'ensemble. Répondant à la description de Déborah Jenson de la collection de
vers libertins comme une pratique colonialiste, ce document donne la parole à des conflits internes
entre l‟impérialisme de Prax, son projet curatorial, et les chansons créoles transcrites au sein de son
récit.
Kate Hodgson mène actuellement un projet postdoctoral de recherche financé par l‟Académie Britannique: Haïti et la
politique internationale d‟anti-esclavagisme (2012 – 2015) à l‟Université de Liverpool, Royaume Uni. Elle a complété
son doctorat en histoire littéraire de la Caraïbe francophone en 2010. Elle a également travaillé en tant que chercheur
sur le projet EURESCL (esclavages, abolitions et leurs héritages dans les histoires et identités européennes), pour
lequel elle a créé une base de données, disponible sur le site du projet : www.eurescl.eu
Elle est l'auteur d‟articles dont «La circulation des idées: Traduire l'abolitionnisme européenne » (Cahiers Charles V,
2009) et « Que surgisse le passé : Se souvenir des marrons inconnu d'Haïti » (Journal of Francophone Postcolonial
Studies, 2009). Elle est également contributeur et co-rédacteur du livreEsclavage, Mémoire et identité: Représentations
nationales et héritages mondiaux (Londres: Pickering et Chatto, 2012).
HADRIEN MUNIER,Doctorant en anthropologie, inscrit en cotutelle à l’Université
Lumière Lyon 2 et à l’Université Laval, rattaché au CELAT.
« L'anthropologie du vodou haïtien et la mondialisation : de l'absence l'émergence
diasporique » (Séance du vendredi 19 avril 2013).
Dans la conclusion de son ouvrage éponyme sur le vodou haïtien, pour marquer la différence avec
le polythéisme gréco-romain avec lequel il le compare, Alfred Métraux avait déjà remarqué que ce
culte « appartient à notre monde moderne, sa langue rituelle dérive du français et ses divinités se
meuvent dans un temps industrialisé qui est le nôtre ; ne serait-ce qu'à ce titre, il relève de notre
civilisation » (1958:323). Mais son ethnographie ne donne pas d'arguments ou d'analyse appuyant
ce constat ou étayant l'idée d'un rapport entre le vodou et la "modernité occidentale". Cet exemple
est, à mon sens, révélateur d'une tendance présente dans la majorité des travaux portant sur le
vodou haïtien qui tend à isoler le vodou du reste des dynamiques sociales haïtiennes et surtout
mondiales. En effet, rares sont les ouvrages où cette pratique est reliée à des processus sociaux qui
lui sont contemporains et avec lesquels il entre en relation, notamment ceux qui ressortent de la
mondialisation.
En passant en revue la littérature anthropologique sur le vodou haïtien, de ses débuts avec Price-
Mars et Herskovits jusqu'à Hurbon, il sera question des analyses qui, en se centrant sur Haïti et le
domaine religieux, cantonnent le vodou hors de dynamiques sociales, politiques et culturelles plus
globales. Dans un second temps, l'étude d'ouvrages produits dans l'ère post-duvaliériste mettra en
lien l'émergence des analyses diasporiques en anthropologie, les prémisses de l'anthropologie de la
mondialisation religieuses et les changements politiques locaux et mondiaux et des conséquences
de ces analyses sur l'étude du vodou.
Hadrien Munier, né à Lyon en France, est étudiant au doctorat en anthropologie en cotutelle à l‟Université Lumière
Lyon 2 et à l‟Université Laval. Il travaille sur le processus de transnationalisation du vodou haïtien en Amérique du
Nord avec Francine Saillant et Jorge Santiago. Il a mené des recherches ethnographiques lors de sa maîtrise dans la
communauté haïtienne de Montréal, en 2009 et 2010, et poursuit actuellement sa thèse à Québec avant de mener de
nouvelles recherches en Haïti et dans les communautés haïtiennes de New-York et Montréal.
MARIANNE PALISSE,Maitre de conférences, docteur en anthropologie, maître de
conférences en anthropologie à l'Université des Antilles et de la Guyane, Institut
d'Enseignement Supérieur de la Guyane (UAG-IESG) et chercheuse au Centre de
recherche sur les Pouvoirs Locaux dans la Caraïbe CRPLC (UMR 8053).
« Les filiations de l'anthropologie haïtiennedes années 1930-1940 : vers la constitution
d'espaces intellectuels transcoloniaux ? » (Séance du vendredi 19 juillet2013).
Jacques Roumain est au cœur du tournant ethnologique [CELIUS 2005] qui a lieu en Haïti au début
des années 1940. Formé à l'école d'ethnologie française sur les bancs de l'Institut d'Ethnologie de
Paris, où il a assisté notamment aux cours de Marcel Mauss et de Paul Rivet, il tente de transposer
le modèle de cet établissement en Haïti. Son passage par l'Institut l'inscrit dans les réseaux de
l'ethnologie française des années 1930, qui comprennent, outre de futurs contributeurs à
l'ethnologie d'Haïti comme Alfred Métraux, des intellectuels issus des colonies françaises, comme
le Guyanais Léon-Gontran Damas. Le parcours de ce dernier présente des similitudes avec celui de
Roumain : ils sont tous deux journalistes-polémistes, auteurs d'une œuvre littéraire, et important
dans leur pays d'origine une pratique de l'ethnologie. Je m'efforcerai dans cette communication de
mettre à jour la circulation des hommes et des idées et d'interroger les liens que l'ethnologie
haïtienne entretient avec une histoire intellectuelle plus globale.
Marianne Palisse est docteur en anthropologie, maître de conférences en anthropologie à l'Université des Antilles et de
la Guyane, Institut d'Enseignement Supérieur de la Guyane (UAG-IESG) et chercheuse au Centre de recherche sur les
Pouvoirs Locaux dans la Caraïbe CRPLC, (UMR 8053). Elle est l'auteur d'une thèse à l'Université Lyon 2 portant sur la
construction des territoires, les phénomènes de patrimonialisation et la multiculturalité dans un parc naturel régional des
Alpes françaises et a publié plusieurs articles sur le sujet. Elle a enseigné dans les universités haïtiennes de 2006 à
2009. En 2008, elle a effectué une mission d'expertise sur la Faculté d'Ethnologie de l'Université d'État d'Haïti. Elle
poursuit actuellement ses recherches en Guyane autour des situations d'interculturalité, des questions
environnementales et des constructions sociales de la biodiversité.
SCHALLUM PIERRE,Doctorant en philosophie,Chercheur affilié à la Chaire
d’enseignement et de recherche « La philosophie dans le monde actuel », Université Laval.
« L‟ethnologie haïtienne face à l‟idéologie marxiste des années 1950, en Haïti :analyse de la
célèbre polémique opposant HénockTrouillot à Jacques Stephen Alexis » (Séance du vendredi
21 juin 2013)
La polémique qui sera abordée dans le cadre de ce séminaire questionne le fondement du noirisme
et les raisons qui ont porté sur le choix du vodou comme paradigme pour l‟art et les études en
ethnologie, en Haïti. D‟abord, nous considérerons la place qu‟occupe le vodou dans l‟œuvre de
celui qui dénonça « la vaudoumanie [et] la vaudougraphie » (Jacques Stephen Alexis, Contribution
à la table ronde sur le folklore et le nationale, p. 30) de l‟ethnologie haïtienne. Puis, nous
déterminerons les enjeux idéologico-politiques de la polémique par l‟analyse de plusieurs articles
qui la rapporte dans Le Nouvelliste, en 1956. Le séminaire prendra aussi en compte les différents
travaux produits par HénockTrouillot pour la revue des noiristes haïtiens, Les Griots, que Carl
Brouard, défenseur de la dictature et des sujets vodou dans l‟art, codirigea. La relation entre vodou,
noirisme, totalitarisme et nazisme chez François Duvalier et son « Maître Carl Brouard » (François
Duvalier, Œuvres essentielles, Tome 1, Éléments d’une doctrine, p. 748.) sera traitée dans la
continuité de ce même débat. Le séminaire reviendra, pour finir, sur la radicalisation de la position
idéologique de Jacques Stephen Alexis avec la création du Parti d‟Entente Populaire (PEP, 1959) et
La lettre à François Duvalier (1960).
Chercheur affilié à la Chaire d‟enseignement et de recherche « La philosophie dans le monde actuel », Schallum Pierre
termine actuellement un doctorat en philosophie à l‟Université Laval. Ses recherches académiques comprennent la
phénoménologie de l‟inapparent , l‟esthétique, la neuroesthetique , la littérature, la création artistique, l‟art moderne et
contemporain, la pensée de la poétique caribéenne du XXe siècle et la réception de Mein Kampf à Port-au-Prince. Son
sujet de doctorat porte sur le réalisme merveilleux de Jacques-Stephen Alexis. Ancien étudiant de l‟École Normale
Supérieure de Port-au-Prince et détenteur d‟un master 2 en arts et sciences de l‟art de l‟Université Paris 1 Panthéon
Sorbonne, il a participé à l‟organisation de nombreux colloques. Membre du Centre de Recherches Normes, Échanges
et Langages (CRENEL, Paris) et du Groupe de Recherche Multidisciplinaire sur la Caraïbe (GREMCA, Québec), il fait
partie du comité de rédaction de la Revue Recherches Haïtiano-Antillaises. Artiste, performeur et poète sonore, il a pris
part à de nombreuses expositions et performances à Toulouse, Paris, Genève, Montréal, Québec et Port-au-Prince.
KATE RAMSEY,Associate Professor, Department of History, University of Miami,
Florida, USA.
« L‟Institutionnalisation des études ethnologiques en Haïti: Une brève histoire avec
documents »(Séance du vendredi 15 mars 2013).
The talk that I would like to propose for the séminaire international de recherche “L‟histoire de
l‟ethnologie en Haïti” will focus on the institutionalization of Haitian ethnological studies in 1941
through documents that I collected over the course of researching my book The Spirits and the
Law: Vodou and Power in Haiti. Specifically, the presentation will examine the founding of the
Haitian Bureau d‟Ethnologie and the Institutd‟Ethnologie in the context of both the Catholic
Church‟s “campagne anti-superstieuse” and also the simultaneous building of major U.S.
collections of Haitian objects (particularly sacred ones) in the Smithsonian Institution and regional
national history museums. Of course, I know that many of the participants in the international
seminar are likely already very familiar with the early history of ethnology in Haiti. Thus, my hope
is that having the chance to pool our collective knowledge and examine selected documents
together will enable the group to come to an even more dimensioned and nuanced understanding of
this history. The documents that the presentation will highlight come from the Smithsonian
Institution archives in Washington, D.C., the Melville J. Herskovits Papers at Northwestern
University in Evanston, Illinois, and the collection of the BibliothèqueHaïtienne des Frères de
l'InstructionChrétienne in Port-au-Prince, among others.
YVES MICHEL THOMAS,Enseignant à l’ENS, UEH
« Price-Mars et la République Dominicaine » (Séance du Vendredi 19 juillet 2013)
La République d‟Haïti et la République Dominicaine. Les divers aspects d‟un problème d‟histoire,
de géographie et d‟ethnologie – paru en deux volumes en 1953 – est le premier ouvrage majeur
consacré aux relations haïtiano-dominicaines par un chercheur haïtien. Accueilli positivement par la
critique, ce travail reste une des références en ce qui concerne l‟étude de ces relations. Cependant,
la perspective exagérément pessimiste de destruction de l‟une des nationalités par l‟autre entrevue
par Jean Price-Mars ne s‟est pas matérialisée dans les faits. Tout au contraire ! Était-il trop
influencé par le contexte du trujillisme triomphant en République Dominicaine et son anti-
haïtianisme virulent ? Sachant que moins de 20 ans avant la parution des deux volumes de
nombreux Haïtiens ont été systématiquement et sauvagement assassinés en terre dominicaine. Par
ailleurs, on peut se demander si la focalisation sur la dimension ethno-raciale (en raison d‟un
certain contexte intellectuel : négritude entre autres) du contentieux haïtiano-dominicain, qui n‟a
pas toujours été dominante, n‟a pas conduit Price-Mars à conclure à l‟impossibilité d‟une
cohabitation plutôt pacifique entre les deux peuples, entre les deux États ? La manière dont
l‟Ethnologie a interrogé l‟Histoire a-t-elle permis d‟entrevoir la possibilité d‟autres perspectives ?