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subjectivité dans le Dialogue

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XVII-XVIII. Revue de la société d'études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles Prémices de la subjectivité dans  Dialogues Concerning Natural Religion  de David Hume Patrick Menneteau Abstract Hume’s Dialogues concerning Natural Religion bring under scrutiny a number of explanatory discourses on the world from religion, philosophy or science. Their criti cal study reveal s the vulnerabil ity of their respecti ve grounds. In trying to reconcile science, philosophy, and religion, this new discourse only brings to light their subjective character. Thus, the philosophy of doubt appears to be rooted in an anachronistic subjectivist deconstructionism, and the conclusion of the Dialogues contributes to the assertion of the primacy of the subjective in human research, thus paving the way for its Jungian interpretation as a privileged locus for archetypal manifestations. Résumé Les Dialogues sur la religion naturelle de David Hume passent en revue les discours explica tifs du monde, religieux, philosophiques ou scientifique. Leur examen critique met en lumière la vulnérabilité de leurs fondements. En essayant de réconcilier science, philosophie et religion, ce discours ne fait que révéler leur caractère subjectif. Ainsi la philosophie du doute trouve-t-elle ses racines dans un déconstructionnisme subjectiviste avant la lettre, et la conclusion des Dialogues participe de cette affirmation de la primauté du subjectif dans les recherches humaines, ouvrant ainsi la voie à leur interprétation jungienne comme lieu privilégié de manifestations archétypales. Citer ce document Cite this document : Menneteau Patrick. Prémices de la subjectivité dans Dialogues Concerning Natural Religion  de David Hume. In: XVII- XVIII. Revue de la société d'études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles. N°62, 2006. Âges de la vie et rites de passage [Colloque tenu en Sorbonne les 25 et 26 novembre 2005] pp. 143-160 ; http://www.persee.fr/doc/xvii_0291-3798_2006_num_62_1_2416 Document généré le 24/05/2016
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XVII-XVIII. Revue de la sociétéd'études anglo-américaines des

XVIIe et XVIIIe siècles

Prémices de la subjectivité dans Dialogues Concerning Natural Religion  de David HumePatrick Menneteau

Abstract

Hume’s Dialogues concerning Natural Religion bring under scrutiny a number of explanatory discourses on the world fromreligion, philosophy or science. Their critical study reveals the vulnerability of their respective grounds. In trying toreconcile science, philosophy, and religion, this new discourse only brings to light their subjective character. Thus, thephilosophy of doubt appears to be rooted in an anachronistic subjectivist deconstructionism, and the conclusion of theDialoguescontributes to the assertion of the primacy of the subjective in human research, thus paving the way for its Jungianinterpretation as a privileged locus for archetypal manifestations.

Résumé

Les Dialogues sur la religion naturelle de David Hume passent en revue les discours explicatifs du monde, religieux,

philosophiques ou scientifique. Leur examen critique met en lumière la vulnérabilité de leurs fondements. En essayant deréconcilier science, philosophie et religion, ce discours ne fait que révéler leur caractère subjectif. Ainsi la philosophie dudoute trouve-t-elle ses racines dans un déconstructionnisme subjectiviste avant la lettre, et la conclusion des Dialoguesparticipe de cette affirmation de la primauté du subjectif dans les recherches humaines, ouvrant ainsi la voie à leur interprétation jungienne comme lieu privilégié de manifestations archétypales.

Citer ce document Cite this document :

Menneteau Patrick. Prémices de la subjectivité dans Dialogues Concerning Natural Religion  de David Hume. In: XVII-XVIII. Revue de la société d'études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles. N°62, 2006. Âges de la vie et rites de

passage [Colloque tenu en Sorbonne les 25 et 26 novembre 2005] pp. 143-160;

http://www.persee.fr/doc/xvii_0291-3798_2006_num_62_1_2416

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PRÉMICES DE LA SUBJECTIVITÉ DANS

 DIALOGUES CONCERNING NATURAL RELIGION 

DE DAVID HUME

Résumé : Les  Dialogues sur la religion naturelle de David Hume passenten revue les discours explicatifs du monde, religieux, philosophiques ouscientifique. Leur examen critique met en lumière la vulnérabilité de leursfondements. En essayant de réconcilier science, philosophie et religion, cediscours ne fait que révéler leur caractère subjectif. Ainsi la philosophie dudoute trouve-t-elle ses racines dans un déconstructionnisme subjectivisteavant la lettre, et la conclusion des Dialogues participe de cette affirmationde la primauté du subjectif dans les recherches humaines, ouvrant ainsi lavoie à leur interprétation jungienne comme lieu privilégié de

manifestations archétypales.Abstract : Hume’s  Dialogues concerning Natural Religion   bring under scrutiny a number of explanatory discourses on the world from religion,

 philosophy or science. Their critical study reveals the vulnerability of their respective grounds. In trying to reconcile science, philosophy, andreligion, this new discourse only brings to light their subjective character.Thus, the philosophy of doubt appears to be rooted in an anachronisticsubjectivist deconstructionism, and the conclusion of the   Dialoguescontributes to the assertion of the primacy of the subjective in humanresearch, thus paving the way for its Jungian interpretation as a privileged

locus for archetypal manifestations.

Les Dialogues sur la religion naturelle sont publiés trois ans aprèsla mort de David Hume, en 1779, à une époque que caractérise letriomphe de la raison expérimentale. Confortée par les réalisations dela révolution industrielle, la philosophie entend, dans le sillage desdécouvertes astronomiques de Newton et de la systématisation de la

démarche empirique de Locke, s’attaquer au problème religieux,synonyme depuis plusieurs siècles de persécutions et de guerres civiles

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sanglantes et destructrices, comme le personnage de Philo n’hésite pas

à le rappeler au cours du débat : « Factions, civil wars, persecutions,subversions of government, oppression, slavery ; these are the dismalconsequences which always attend [religion’s] prevalence over theminds of men » (131).1 Face aux débordements historiques de lareligion, il convient de réaffirmer le droit de la raison sans craindrel’anathème : « It is contrary to common sense to entertainapprehensions or terrors, upon account of any opinion whatsoever, or to imagine that we run any risk hereafter, by the freest use of our reason » (137).

Philo observe en effet que, contrairement à ce qui se passait àl’époque des superstitions (celle que Cleanthes appelle « ages of stupidity and ignorance »), les hommes ont maintenant appris àréfléchir par eux-mêmes : « men have now learned to form principles,and to draw consequences » (123). Les Lumières s’affirment donc icicomme le retour de la raison face à la religion, et ce qui sera perçu par les religieux comme audace (« the presumptuous questioning of received opinions » [49]) ne relève en fait que de la démarche

 philosophique normale, illustrée par Socrate, de la remise en questiondes opinions héritées de la tradition. Mieux, la raison lance un véritabledéfi à la religion en rappelant l’éternelle question du pourquoi del’existence du mal.

There is no view of human life or of the condition of mankind, fromwhich, without the greatest violence, we can infer the moralattributes, or learn that infinite benevolence, conjoined with infinite

 power and infinite wisdom, which we must discover by the eyes of faith alone. (112)

1. Voir également le problème social et politique que pose la religion à toutsouverain : « Whence comes it then, that, in fact, the utmost a wise magistrate can

 propose with regard to popular religions, is, as far as possible, to make a savinggame of it, and to prevent their pernicious consequences with regard to society ?Every expedient which he tries for so humble a purpose is surrounded withinconveniences. If he admits only one religion among his subjects, he mustsacrifice, to an uncertain prospect of tranquillity, every consideration of publicliberty, science, reason, industry, and even his own independence. If he givesindulgence to several sects, which is the wiser maxim, he must preserve a very

 philosophical indifference to all of them, and carefully restrain the pretensions of the prevailing sect ; otherwise he can expect nothing but endless disputes, quarrels,factions, persecutions, and civil commotions” (134). Les références renvoient àl’édition Penguin (1980).

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À cet égard, et de façon symptomatique, le texte, après avoir 

exposé les manifestations du mal sous de nombreuses formes(maladies, catastrophes naturelles, insatisfaction perpétuelle del’homme, mélange du plaisir et de la douleur, etc.), se borne à rappeler les questions qu’Épicure posait au sujet de Dieu, et qui hantent à la foisla philosophie et la religion depuis l’Antiquité : « Epicurus’s oldquestions are yet unanswered. Is he [God] willing to prevent evil, butnot able ? Then is he impotent. Is he able, but not willing ? Then is hemalevolent. Is he both able and willing ? Whence then is evil ? » (108).2

Pour traiter de ce problème, David Hume choisit non pas la forme

classique de l’essai ou du traité de philosophie, pourtant en vogue chezses contemporains et déjà par lui expérimentée, mais celle du dialogue,laquelle présente l’avantage de permettre une tentative decompréhension mutuelle entre partisans de bords idéologiquesdifférents. En lieu et place d’un discours achevé, ils mettent en scène(au sens théâtral) la confrontation de points de vue contradictoires,expressions de positions subjectives particulières, qu’elles soient

 philosophique (« the accurate philosophical turn of Cleanthes » 39),sceptique (« the careless scepticism of Philo » [39]), ou religieuse(« the rigid inflexible orthodoxy of Demea » [39]).

L’inconvénient est que le discours demeurera inachevé, sansconclusion véritable, car incapable de proposer une certitude définitive,ce qui révèle que son objet n’était pas tant d’atteindre la vérité qued’étudier les raisons intrinsèques de l’échec d’une telle entreprise.Aussi, à l’aide du concept-clé du subjectivisme, dont Hume a déjàcommencé à dessiner les contours dans d’autres ouvrages, noustenterons ici de mettre en lumière ce qui constitue une démonstration

sous-jacente au texte des   Dialogues,   dont les étapes principalesapparaissent clairement : c’est d’abord la définition de l’objet et du programme de l’étude subjectiviste dans les Dialogues ; vient ensuitece que l’on pourrait appeler un « déconstructionnisme » subjectivistedes systèmes de pensée ; c’est enfin une étude du fondement des choixsubjectifs, avec le concept de pré-disposition d’esprit.

2. Philon s’en fera de nouveau l’écho : « Why is there any misery at all in theworld ? Not by chance, surely. From some cause then. Is it from the intention of thedeity ? But he is perfectly benevolent. Is it contrary to his intention ? But he is almighty.

 Nothing can shake the solidity of this reasoning […] » (111).

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L’objet central des  Dialogues n’est pas exposé de façon liminaire

mais, plusieurs fois évoqué, se dégage plutôt au fil de la lecture. Contreles excès de la religion traditionnelle, et du mysticisme en particulier,contre les raisonnements a-priori de la métaphysique, contre l’impassedu scepticisme radical, il s’agira de proposer le recours à l’expériencede l’observation et à la réflexion pour fonder une religion « naturelle »,au sens où elle s’appuie sur les facultés naturelles de l’homme et sur lespectacle de la nature. Grâce à l’héritage de Newton et de l’empirismelockien, Cleanthes peut dénoncer comme subjectif le rejet de la raisonexpérimentale comme signe d’un scepticisme radical appliqué au

domaine religieux :Light is in reality anatomized : The true system of the heavenly

 bodies is discovered and ascertained… sceptics, therefore, areobliged, in every question, to consider each particular evidence apart,and proportion their assent to the precise degree of evidence, whichoccurs. This is their practice in all natural, mathematical, moral, and

 political science. And why not the same, I ask, in the theological andreligious ? Why must conclusions of this nature be alone rejected onthe general presumption of the insufficiency of human reason,

without any particular discussion of the evidence ? Is not such anunequal conduct a plain proof of prejudice and passion ? (47)

À l’opposé du choix subjectif du scepticisme, Demea défend celui dela foi en revandiquant le fondement subjectif de son dogme : « eachman feels, in a manner, the truth of religion within his own breast »(103). C’est pourquoi les prédicateurs s’adressent aux émotions de leurauditoire pour leur parler de la misérable condition de l’homme :

[F]or that purpose a talent of eloquence and strong imagery is morerequisite than that of reasoning and argument. For is it necessary to

 prove, what everyone feels within himself ? it is only necessary tomake us feel it, if possible, more intimately and sensibly. (103)

Mais avec de tels arguments, Demea ne tarde pas à s’excluresymboliquement de lui-même du dialogue philosophique : il s’agit eneffet d’affranchir la pensée du joug de la subjectivité religieuse, celle-làmême qui conduit les hommes à s’entre-tuer. C’est la faculté de laraison qui prendra le relais, avec toutefois un  a-priori : l’existence deDieu est considérée, dès le début des dialogues, et par les troisinterlocuteurs, comme acquise. C’est un point de départ que n’est pas

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remis en question.3 Les développements du programme des Dialogues

 passent en effet en revue un certain nombre de grands systèmesexplicatifs du monde. L’argumentaire de la métaphysique d’inspirationaristotélicienne, rappelé par Demea lorsqu’il évoque la nécessité d’unecause première, est rapidement écarté par Cleanthes avec sacondamnation radicale de tout édifice intellectuel qui ne serait pas liéaux preuves de l’expérience sensible : « Whatever we conceive asexistent, we can also conceive as non-existent. There is no being,therefore, whose non-existence implies a contradiction » (99). Quantaux révélations d’ordre mystique, elles impliquent l’annihilation de la

faculté de la raison, dont le « droit naturel » constitue la base des Dialogues.   Elles sont donc écartées, à la suite des systèmesmétaphysiques et du scepticisme religieux. Le débat sera par conséquent essentiellement centré sur la nouvelle religion naturelleexposée par Cleanthes :

Look round the world : Contemplate the whole and every part of it :You will find it to be nothing but one great machine, subdivided intoan infinite number of lesser machines, which again admit of subdivisions, to a degree beyond what human senses and faculties

can trace and explain. All these various machines, and even their most minute parts, are adjusted to each other with an accuracy, whichravishes into admiration all men, who have ever contemplated them.The curious adapting of means to ends, throughout nature, resemblesexactly, though it much exceeds, the productions of humancontrivance ; of human design, thought, wisdom, and intelligence.Since therefore the effects resemble each other, we are led to infer, byall the rules of analogy, that the causes also resemble ; and that theauthor of nature is somewhat similar to the mind of man […] (53)

Sur le modèle de la mise en évidence, par-delà la référence auxtextes canoniques, des fondements purement subjectifs des croyancesreligieuses, la proposition de Cleanthes va être passée au crible d’une

3. Faut-il y voir un avatar du poids historique de la religion sur le débat philosophique du XVIIIe siècle ? Sans doute, car la prudence s’imposait face auxévangélistes de l’Église d’Écosse, qui, en la personne de leur pasteur John Bonar,avaient accusé Hume d’hérésie en 1755, lors de la publication de  Analysis of the

 Moral and Religious Sentiments. Dans les Dialogues, que Hume avait rédigés dèsles années cinquante, mais qu’il ne publia pas de son vivant, des hypothèses seronttoutefois envisagées, qui feront l’économie de l’existence de Dieu, mais de façonmoins provocante que si elles avaient été prises en considération dès le début del’ouvrage.

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critique que l’on pourrait appeler, de façon anachronique, un

« déconstructionnisme subjectiviste ».

Celui-ci va prendre pour cible (mais aussi comme modèle) lanouvelle religion naturelle, qui donne son nom au titre des dialogues, etqui, sur la base de la récente synthèse astronomique proposée par 

 Newton pour décrire (et prévoir) le mouvement des planètes à l’aided’une seule formule,4 propose donc, par la bouche de Cleanthes, l’idéed’un Dieu grand architecte. Cette hypothèse est bientôt taxéed’anthropomorphisme, c’est-à-dire dénoncée comme le produit du

regard constituant d’une subjectivité particulière. La première questionest celle de la nature comme ordre ou comme désordre : à la tirade deCleanthes rappelée ci-dessus répond comme en écho (souligné par l’anaphore « Look round ») celle de Philo, qui propose une lecturecontraire de l’univers :

Look round this universe. What an immense profusion of beings,animated and organized, sensible and active ! You admire this

 prodigious variety and fecundity. But inspect a little more narrowlythese living existences, the only beings worth regarding. How hostileand destructive to one another ! How insufficient all of them for their own happiness ! How contemptible or odious to the spectator ! Thewhole presents nothing but the idea of a blind nature, impregnated by agreat vivifying principle, and pouring forth from her lap, withoutdiscernment or parental care, her maimed and abortive children ! (120)

L’insistance sur cette possibilité de deux lectures contradictoires dumonde relève d’une phénoménologie de la perception avant la lettre.Elle concerne également l’opposition entre la vision du monde héritéed’Aristote et celle, plus récente, et unificatrice, de Galilée :

If we peruse Galileo’s famous Dialogues concerning the system ofthe world, we shall find, that that great genius, one of the sublimestthat ever existed, first bent all his endeavours to prove, that there wasno foundation for the distinction commonly made betweenelementary and celestial substances (61)

4. Là où Kepler avait laissé un héritage de formules mathématiques multiples etcomplexes pour rendre compte des mouvements apparents des planètes, Newton avait,à la fin du XVIIe siècle, proposé sa célèbre synthèse associant la gravité au rapportentre le produit des masses des corps considérés et le carré de la distance qui les sépare(g = m1xm2/d²).

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Ainsi, c’est en dépassant la division subjectivement établie entre la

terre (lieu du changement) et la quintessence (domaine de la perfectionéternelle) que l’astronomie a pu progresser. Ce grand pas en avant a étéfait grâce à l’analogie :

Is not the moon another earth, which we see to turn round its centre ?Is not Venus another earth, where we observe the same

 phenomenon ? Are not the revolutions of the sun also a confirmation,from analogy, of the same theory ? All the planets, are they not earths,which revolve around the sun ? Are not the satellites moons, whichmove round Jupiter and Saturn, and along with these primary planets,

round the sun ? These analogies and resemblances, with others which Ihave not mentioned, are the sole proofs of the Copernican system.(61)

Cependant, ce concept opératoire de l’analogie, récemment remisau goût du jour par l’astronomie, peut lui-même faire l’objet d’unecritique, car avec lui, on s’aventure avec légèreté hors du cadreempirique défini par Locke, comme le souligne Philo : « Our ideasreach no farther than our experience : We have no experience of divineattributes and operations : I need not conclude my syllogism : You can

draw the inference yourself » (53). Sommes-nous donc condamnés àne pas connaître un Dieu inaccessible ? L’implication est plutôt quetoute « connaissance » prétendue de Dieu ne consiste en fait qu’à leramener aux proportions de l’entendement humain :

Does not the great disproportion bar all comparison and inference ?From observing the growth of a hair, can we learn anythingconcerning the generation of man ? Would the manner of a leaf’s

 blowing, even though perfectly known, afford us any instructionconcerning the vegetation of a tree ?

But allowing that we were to take the operations of one part of nature upon another for the foundation of our judgement concerningthe origin of the whole (which can never be admitted) yet why selectso minute, so weak, so bounded a principle as the reason and designof animals is found to be upon this planet ? What peculiar privilegehas this little agitation of the brain which we call thought, that wemust thus make it the model of the whole universe ? Our partiality inour own favour does indeed present it on all occasions : But sound

 philosophy ought carefully to guard against so natural an illusion. (58)

Ainsi, à l’instar de cet anthropomorphisme, tout regard constituantreposant sur une base subjective n’est que sophisme : « the narrow

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views of a peasant, who makes his domestic economy the rule for the

government of kingdoms, is in comparison a pardonable sophism »(59). Et le regard qui constitue l’ordre de l’univers perd sa légitimité :

Stone, wood, brick, iron, brass, have not, at this time, in thisminute globe of earth, an order or arrangement without human artand contrivance : therefore the universe could not originally attainits order and arrangement, without something similar to humanart. But is a part of nature a rule for another part very wide fromthe former ? Is it a rule for the whole ? Is a very small part a rulefor the universe ? (59)

La relation de cause à effet, fondement du concept de cause premièreet de la définition de l’ordre, qui repose sur des habitudesd’observation, est elle-même mise à mal, dans la mesure où elle nerepose plus, dans le domaine de la religion naturelle, sur l’habitudeancrée dans l’expérience : « How this argument can have place, wherethe objects, as in the present case, are single, individual, without

 parallel, or specific resemblance, may be difficult to explain » (60).D’ailleurs, si l’on maintient l’analogie entre l’univers et une maison, nedevra-t-on pas, au vu du spectacle de la misère humaine, condamner 

l’architecte ? « If you find many inconveniences and deformities in the building, you will always, without entering into any detail, condemnthe architect » (115).

Ainsi, l’expérience empirique, qui est à la base du raisonnement dela religion naturelle, et qui connaît un essor sans précédent grâce àl’invention récente de nouveaux instruments d’observation (lunetteastronomique, microscope), peut donner lieu, comme on l’a vu,  à desinterprétations différentes : selon que l’on soutient l’idée d’un dieusemblable à l’esprit humain ou celle d’un dieu inaccessible, lesdernières découvertes scientifiques apparaîtront comme argumentssupplémentaires ou comme objection :

All the discoveries in astronomy, which prove the immense grandeur and magnificence of the works of nature, are so many additionalarguments for a deity, according to the true system of theism : Butaccording to your hypothesis of experimental theism they become somany objections, by removing the effect still farther from allresemblance to the effects of human art and contrivance. (75)

Une fois qu’on entre dans le domaine subjectif, de multipleshypothèses contradictoires deviennent en effet possibles, sans

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qu’aucune puisse l’emporter sur les autres  : pourquoi la cause de

l’univers serait-elle unique plutôt que plurielle ? Concevoir l’universcomme un tout qui appelle une cause, n’est-ce pas déjà uneconstruction subjective de l’esprit ?

The WHOLE, you say, wants a cause. I answer, that the uniting of these parts into a whole, like the uniting of several distinct counties intoone kingdom, or several distinct members into one body, is

 performed merely by an arbitrary act of the mind, and has noinfluence on the nature of things. (101)

Cette dernière citation sur l’acte arbitraire de l’esprit se fait l’écho de la

définition du phénomène subjectif de la croyance telle que la présentaitHume lui-même dans A Treatise of Human Nature : « that act of themind which renders realities more present to the mind than fictions,causes them to weigh more in the thought, and gives them a superior influence on the passions and imagination » (629 et  Enquiry 49).

En allant plus loin dans l’audace, le dialogue en vient à considérerune hypothèse qui s’affranchit du concept d’existence de Dieu. Eneffet, le principe d’ordre observé dans la nature ne pourrait-il pas

relever de caractéristiques intrinsèques de la matière ? En l’absence dedonnées expérimentales, cette hypothèse vaut autant que celle d’undieu créateur :

To say, that the different ideas, which compose the reason of thesupreme being, fall into order, of themselves, and by their ownnature, is really to talk without precise meaning. If it has a meaning, Iwould fain know, why it is not as good sense to say, that the parts of the material world fall into order, of themselves, and by their ownnature ? Can the one opinion be intelligible, while the other is not so ?(72-73)

La réponse, on le devine, est qu’il s’agit de nouveau d’une affaire deregard subjectif. Philo va même jusqu’à dénoncer la démarche deCleanthes, qui intègre de façon injustifiée à ses yeux l’existence deDieu, comme fondée sur de simples préjugés. De façon provocatrice, ilémet encore une nouvelle hypothèse : pourquoi l’univers ne pourrait-il

 pas être comparé à un animal ? Il s’agirait simplement d’une visionanthropomorphique supplémentaire, mais qui n’aurait rien à envier, entermes de justification, à celle de Cleanthes :

Here, therefore, is a new species of anthropomorphism, Cleanthes, onwhich you may deliberate ; and a theory, which seems not liable to

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any considerable difficulties. You are too much superior surely to

systematical prejudices, to find any more difficulty in supposing ananimal body to be, originally, of itself or from unknown causes, possessed of order and organization, than in supposing a similar order to belong to the mind. (82)

À la fin de ce débat, lors duquel l’univers sera aussi comparé à unvégétal, la question reviendra : « why may not the material universe bethe necessary existent being ? » (100). Cette question révèle en négatif que le recours à l’idée d’un dieu créateur relève d’une pré-dispositiond’esprit sans justification objective. À ce stade du dialogue, à travers

l’étude des données subjectives, on accède à la confrontationarchétypale entre la perspective supra-matérialiste, représentée par Cleanthes, et la perspective matérialiste, représentée par Philo. Aucundes deux interlocuteurs ne peut convaincre l’autre du bien-fondé de sonchoix, parce que ces choix sont par nécessité (du fait des limites del’expérience humaine) purement subjectifs.5

Ainsi l’anthropomorphisme de la religion naturelle se retrouve-il, àtravers cette critique de la subjectivité, sur un pied d’égalité avec lemysticisme contemplatif. Dieu est-il absolument incompréhensible, ou bien accessible à l’entendement humain ? Tels sont les deux pôlesenvisageables de la quête subjective du divin :

The ancient Platonists, you know, were the most religious and devoutof all the pagan philosophers : Yet many of them, particularlyPlotinus, expressly declare, that intellect or understanding is not to beascribed to the deity, and that our most perfect worship of himconsists, not in acts of veneration, reverence, gratitude, or love ; butin a certain mysterious self-annihilation or total extinction of our faculties. These ideas are, perhaps, too far stretched : but it still must

 be acknowledged, that, by representing the deity as so intelligible,and comprehensible, and so similar to a human mind, we are guilty of 

5. Cette confrontation traverse bien sûr l’histoire des idées, depuis l’oppositionPlaton-Aristote dans l’Antiquité à celle, plus moderne qui sépare un William Blake(« Mental things are alone real », A Vision of the Last Judgment ) d’un Jacques Monod etson postulat d’objectivité de la nature : « La pierre angulaire de la méthode scientifiqueest le postulat d’objectivité de la Nature. C’est-à-dire le refus   systématique   deconsidérer comme pouvant conduire à une connaissance « vraie » toute interprétationdes phénomènes donnés en termes de causes finales, c’est-à-dire de projet […]. Postulat

 pur, à jamais indémontrable, car il est évidemment impossible d’imaginer uneexpérience qui pourrait prouver la non-existence d’un projet, d’un but dans la nature »(Monod 37-38).

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the grossest and most narrow partiality, and make ourselves the

model of the whole universe. (67)Le choix de Demea se réclamait ouvertement, on l’a vu, d’un

fondement subjectif. Il apparaît maintenant que celui de Cleanthesrelève également de la même catégorie, ainsi qu’il le souligne lui-même : « Consider, anatomize the eye : Survey its structure andcontrivance ; and tell me, from your own feeling, if the idea of acontriver does not immediately flow in upon you with a force like thatof sensation » (65). Ce sentiment de vérité, qui se présente avec laforce d’une sensation ou d’une impression venue des sens, correspond

exactement à la définition de la croyance telle que l’avait proposéeHume dans A Treatise of Human Nature, une idée dotée d’une force

 particulière liée à une impression : « a lively idea related to or associated with a present impression » (96).

Ainsi, c’est à la lumière de la critique de la subjectivité élaboréedans le Traité que les enjeux des Dialogues prennent tout leur relief.C’est sur un simple sentiment de vérité subjectif que se font nos choixen matière de systèmes philosophique ou théologique, commereligieux :

Thus all probable reasoning is nothing but a species of sensation. T’isnot solely in poetry and music, we must follow our taste andsentiment, but likewise in philosophy. When I am convinc’d of any

 principle, t’is only an idea, which strikes more strongly upon me.When I give the preference to one set of arguments above another, Ido nothing but decide from my feeling  concerning the superiority of their influence. (Treatise 103)

Ainsi discours religieux, théologique et philosophique partagent-ils

la vulnérabilité de leurs fondements subjectifs. Par delà la référenceaux dialogues socratiques ou à ceux de Galilée, se trouve ici sans doutela véritable justification de la forme choisie par Hume, puisque lacritique du subjectivisme foncier interdit l’élaboration d’un discoursqui pourrait s’affranchir de cette même critique. À cette impossibilitédu discours systématique correspond une forme qui manifeste précisément le conflit des subjectivités. L’objectif universaliste dudiscours d’un Platon sur la Raison est donc définitivement abandonné.Tel est l’héritage posthume de David Hume à la philosophie des

Lumières : un legs pour le moins encombrant…

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Puisque le concept-clé est celui de la subjectivité, quels sont donc

les fondements de nos choix subjectifs ?

La subjectivité est le domaine privilégié des préjugés ou des pré-dispositions d’esprit, c’est-à-dire de ce qui fait que le choix d’unsystème explicatif est par avance conditionné, avant même que soncontenu ne soit connu. C’est en ceci que les personnages des Dialogues peuvent s’accuser mutuellement : Cleanthes accuse Demead’actes arbitraires de l’esprit (« arbitrary act of the mind » [101]), ou desuppositions non moins arbitraires (« arbitrary suppositions » [110]) ;

tandis que Demea lui reproche son anthropomorphisme (72) et accusePhilo de suppositions folles et elles aussi arbitraires (« wild, arbitrarysuppositions » [87]). Cleanthes dénoncera aussi les élucubrationsfantaisistes de Philo (« whimsies » [91]). Le résultat est qu’à plusieursreprises, le dialogue menace de s’arrêter, comme par exemple dans le

 passage qui oppose anthropomorphisme et mysticisme.6 Chacun, enfait, se laisse emporter par son propre conditionnement, et ce quitransparaît ici est l’impossibilité pour chaque interlocuteur deconvaincre les autres, en vertu du caractère subjectif de ses vues. De ce point de vue, tout défenseur d’un système est un dogmatiste, et laconfrontation n’oppose bientôt plus que deux catégories de penseurs :les dogmatistes et les sceptiques, pour qui tout système est intenable.

Philo déconstruit alors le mécanisme de ces dialogues impossiblesen termes de pré-dispositions d’esprit insurmontables :

It seems evident, that the dispute between the sceptics and thedogmatists is entirely verbal, or at least regards only the degrees of doubt and assurance, which we ought to indulge with regard to all

reasoning. […] The only difference, then, between these sects, if theymerit that name, is that the sceptic, from habit, caprice, or inclination,insists most on the difficulties ; the dogmatist, for like reasons, on thenecessity. (130)

6. « Who could imagine, replied Demea, that Cleanthes, the calm, philosophical Cleanthes, would attempt to refute his antagonists, by affixing anickname to them ; and like the common bigots and inquisitors of the age, haverecourse to invective and declamation, instead of reasoning ? Or does he not

 perceive, that […] anthropomorphite is an appellation as invidious, and implies asdangerous consequences, as the epithet of mystic, with which he has honouredus ? » (69).

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DE LA SUBJECTIVITÉ DANS LES  DIALOGUES  DE HUME

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Habitude, caprice, penchant naturel : tels sont les concepts auxquels se

ramènent, au terme de cette analyse de la subjectivité, des siècles de polémiques philosophiques et théologiques. La philosophie de Humes’affirme ici moins comme celle du   doute que comme celle dusubjectivisme.

Philo et Cleanthes se livrent alors à un véritable moment deconfession, le premier reconnaissant sa pré-disposition à la

 provocation (« in proportion to my veneration for true religion, ismy abhorrence of vulgar superstitions ; and I indulge a peculiar 

 pleasure, I confess, in pushing such principles, sometimes into

absurdity, sometimes into impiety » [131]), le second son penchantnaturel en faveur de la religion (« my inclination, replied Cleanthes,lies, I own, a contrary way. Religion, however corrupted, is still

 better than no religion at all » [131]).

Appliqué à d’autres auteurs, le principe d’explicationsubjectiviste permet d’éclairer  la position paradoxale d’un Leibniz,qui, dans son système, nie l’existence de la misère de l’homme(110). Cleanthes, en adoptant la même position que Leibniz, sera

obligé d’admettre que le fondement en est subjectif . Il s’agit de préserver à tout prix l’idée première (et objectivement infondée)d’un Dieu de bonté :

The only method of supporting divine benevolence (and it is whatI willingly embrace) is to deny absolutely the misery andwickedness of man. Your representations [of evil] areexaggerated : your melancholy views mostly fictitious : your inference contrary to fact and experience. (110)

Ce faisant, il nous donne ici l’exemple d’hommes piégés par leurs

 propres choix subjectifs, alors que lui-même avait, au début desdialogues, mis en garde contre ce défaut : « It is very natural, saidCleanthes, for men to embrace those principles, by which they can

 best defend their doctrines » (50). Ainsi, Demea et Cleanthes proposent, à partir d’une même base expérimentale (l’observationdu monde) deux lectures différentes, mais aussi doctrinaires l’uneque l’autre : harmonie, ou prédominance du chaos et du mal.

Cette idée se fait l’écho de l’exemple des deux lecteurs qui,dans   A Treatise of Human Nature, font d’un même livre deux

lectures différentes à cause de leurs pré-dispositions d’esprit. L’un

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décide de le lire comme œuvre de fiction, alors que l’autre le

considère comme histoire vraie :If one person sits down to read a book as a romance, and another as a true history, they plainly receive the same ideas, and in thesame order ; nor does the incredulity of the one, and the belief of the other hinder them from putting the same ideas in both ;  tho’his testimony has not the same influence on them. (98)

En effet, si les perceptions objectives sont les mêmes dans les deuxcas, en revanche, l’effet subjectif de ces perceptions est dif férent :

The latter has a more lively conception of all the incidents. Heenters deeper into the concerns of the persons : represents tohimself their actions, and characters, and friendships, andenmities : He even goes so far as to form a notion of their features, and air, and person. While the former, who gives nocredit to the testimony of the author, has a more faint and languidconception of all these particulars ; and except on account of thestyle and ingenuity of the composition, can receive littleentertainment from it. (Treatise 98)

C’est le même phénomène subjectif qui est en cause dans les

lectures du monde envisagées dans les  Dialogues : ordre ou chaos,lieu de misère ou expression d’une perfection, Dieu connaissable ouinaccessible, etc. Dès lors que l’on s’éloigne du domaine del’expérience directe pour entrer dans celui des spéculationsabstraites, on se place sous le sceau de la subjectivité des pré-dispositions d’esprit ou des préjugés : « All these systems, then, of scepticism, polytheism, and theism you must allow, on your 

 principles, to be on an equal footing, and that no one of them hasany advantage over the others » (85), ou encore : « A false, absurd

system, human nature, from the force of prejudice, is capable of adhering to, with obstinacy and perseverance » (127-28).

Ainsi, en faisant, à l’instar de Socrate, la critique des opinionsreçues de la tradition, les dialogues mettent en évidence les limitesmêmes de la raison humaine. Celle-ci ne travaille pas tant sur la base d’une expérience objective que sur celle de la subjectivité. Lesmétaphysiciens eux-mêmes ne font que suivre leur penchant et leurs

 pré-dispositions mathématiques :

[T]he argument a-priori has seldom been found very convincing,except to people of a metaphysical head, who have accustomedthemselves to abstract reasoning, and who, finding from

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DE LA SUBJECTIVITÉ DANS LES  DIALOGUES  DE HUME

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mathematics, that the understanding frequently leads to truth,

through obscurity and contrary to first appearances, havetransferred the same habit of thinking to subjects, where it oughtnot to have place. (102)

De multiples systèmes cohérents sont certes possibles,7 mais,comme ils reposent tous sur des bases subjectives, aucun ne pourraapporter de preuve définitive sur Dieu.8 Ainsi, ce qui fonde endernière instance ce que l’on a appelé le scepticisme de Hume serévèle être, par delà le constat des limites de l’expérience et de laraison humaines, la subjectivité, domaine de l’instabilité :

We never find two persons, who think exactly alike. Nor indeeddoes the same person think exactly alike at any two different

 periods of time. A difference of age, of the disposition of his body,of weather, of food, of company, of books, of passions ; any of these particulars or others more minute, are sufficient to alter thecurious machinery of thought, and to communicate to it verydifferent movements and operations. (72)

Un choix par nature arbitraire scelle la limite intrinsèque desraisonnements humains, qui ne peuvent donc s’affranchir du

caractère vulnérable de leurs fondements. Now that vegetation and generation, as well as reason, areexperienced to be principles of order in nature, is undeniable. If Irest my system of cosmogony on the former, preferably to thelatter, it is at my choice. The matter seems entirely arbitrary. (89-90)

Et la conclusion délibérément décevante des   Dialogues, puisqu’elle n’énonce qu’une probabilité relativement vague surDieu, en est elle-même l’illustration. En effet, du début des

dialogues à leur fin, il est un principe archétypal qui n’est jamaisr emis en cause parce qu’il est le fondement même de la logiquehumaine : c’est celui de la causalité, qui fondait déjà le concept decause première chez Aristote. Tous les systèmes envisagés se

7. « Without any great effort of thought, I believe that I could, in a instant, propose other systems of cosmogony, which would have some faint appearance of truth ; though it is a thousand, a million to one, if either yours or any one of mine

 be the true system » (92).8. « The consistency is not absolutely denied, only the inference. Conjectures,

especially where infinity is excluded from the divine attributes, may, perhaps, besufficient to prove a consistency ; but can never be foundations for any inference »(115).

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 placent dans l’optique d’une recherche de la ou des causes de

l’univers et illustrent ainsi le conditionnement d’un cadre de pensée particulier qui, d’Aristote à Hume, en passant par la science de Newton et par l’empirisme de Locke, érige en principe absolucommun à la logique formelle et à la science la relation de cause àeffet. Cet archétype est tellement fort qu’il finit par remplacer levocable de Dieu dans la proposition finale sur laquelle Philo etCleanthes parviennent à se mettre d’accord : « the cause or causesof order in the universe probably bear some remote analogy tohuman intelligence » (138). Probabilité portant sur une ou plusieurs

cause(s) d’un ordre qui n’est que celui des lois de la nature, enfonction d’un principe d’analogie affaibli : les pouvoirs de la raisonhumaine sortent considérablement amoindris des dialogues, alorsque sont dans le même temps réaffirmés, devant la question de ladéfinition de Dieu restée sans réponse, les principes subjectifs del’étonnement, de la mélancolie, et du désir de révélationsupplémentaire :

Some astonishment will naturally arise from the greatness of theobject : Some melancholy from its obscurity: Some contempt of human reason, that it can give no solution more satisfactory withregard to so extraordinary and magnificent a question. But believeme, Cleanthes, the most natural sentiment , which a well-disposed mind will   feel   on this occasion, is a longing desire andexpectation, that heaven would be pleased to dissipate, at leastalleviate this profound ignorance, by affording some more

 particular revelation to mankind, and making discoveries of thenature, attributes, and operations of the divine object of our faith. (139)

Si cette conclusion philosophique ressemble paradoxalement plutôtà une prière, c’est d’une part parce qu’elle a pour fonction dedéfinir un plus petit dénominateur commun entre religion et philosophie, qui peuvent se rejoindre sous le sceau d’un nouvelaccord reconnu comme subjectif et ouvertement déclaré commetel :

What can the most inquisitive, contemplative, and religious mando more than give a plain, philosophical assent to the proposition,as often as it occurs ; and believe, that the arguments, on which it

is established, exceed the objections, which lie against it ? (138)

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DE LA SUBJECTIVITÉ DANS LES  DIALOGUES  DE HUME

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C’est aussi parce que l’objet de l’exploration souterraine menée

à travers l’ensemble des dialogues, la subjectivité, est le domaine privilégié de manifestations archétypales. Au premier rang decelles-ci figure le principe de causalité, qui n’est jamais remis enquestion. On ne connaît évidemment pas encore le princi pe d’a-causalité commun à la physique quantique et à la psychanalyse jungienne, et on ignore l’existence de ce même principe dans les philosophies extrême-orientales, mais aussi dans l’alchimie et dansles pensées magiques. Viennent ensuite les questions archétypalesd’Épicure, qui, devant le constat de l’existence du mal, soulignent

l’ignorance fondamentale de l’homme et donnent le sentiment quela philosophie tourne en rond plus qu’elle ne progresse de façonlinéaire vers la Vérité. Ce sont enfin les oppositions reconnuescomme structurant l’histoire des idées : l’ordre et le chaos ; l’Un etle multiple, le mysticisme et l’anthropomorphisme (ou Dieuinaccessible et Dieu connaissable) ; le matérialisme et le supra-matérialisme.

En conclusion, partis de l’affirmation, contre la religion, du pouvoir de questionnement de la raison, et, contre le subjectivisme,de la valeur de l’expérience, les  Dialogues sur la religion naturelleaboutissent à l’affirmation concomitante des limites absolues del’expérience et de la raison humaines. La philosophie du doute posed’abord que l’homme est irrémédiablement condamné à suivre sessentiments subjectifs, que ce soit dans ces grands systèmes de

 pensée ou dans la probabilité incertaine énoncée dans la conclusion.Cette référence à l’archétype de l’ignorance fondamentale del’homme, paradoxalement faite en plein siècle des Lumières, estannonciatrice de la crise des sciences européennes selon Husserl.

Le dialogue, dans sa tradition socratique, avait pour fonction, àtravers la maïeutique, de faire accoucher de la vérité des idées-formes : les  Dialogues  de David Hume se mettent au service dudoute pour exprimer au contraire l’impossibilité d’une vérité faitede certitudes. Locke a discrédité les idées innées de la tradition

 platonicienne, mais face à l’empirisme triomphant, la philosophiedu subjectivisme (corollaire du doute) commence déjà à fissurer 

l’édifice des Lumières  : elle fleurira dans la phénoménologie et produira ses fruits les plus amers dans le post-modernisme.

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L’homme, en effet, est relégué au second plan. L’astronomie

l’avait déjà écarté du cœur de la création divine avec le systèmehéliocentrique. Perdu sur sa planète et dans son ignorancefondamentale, il n’est plus que spectateur d’un drame cosmiquedont la finalité lui échappe à jamais. Certains mystiques ne l’avaientdéjà défini que comme instrument de la connaissance de Dieu par Lui-même : la voie est ouverte pour que cet archétype de la créationcomme miroir de Dieu réapparaisse à travers le discours de Hegelsur l’actualisation de la Raison dans l’histoire, et de la science duXXe siècle, qui placera l’homme au sommet de l’évolution comme

conscience de l’univers, ou encore dans la psychanalyse jungienne,qui en fera l’instrument de la manifestation archétypale du Soi .L’homme est en passe de perdre son statut privilégié de sujetconnaissant pour devenir, dans sa subjectivité foncière, miroir de lamanifestation de l’inconnu, c’est-à-dire de l’inconscient collectif.

Patrick MENNETEAU

Université du Sud  –  Toulon - Var 

OUVRAGES CITÉS

A NSCOMBE, G. E. M.  Metaphysics and the Philosophy of the Mind . 1961.Minneapolis, MN : U of Minnesota P, 1981.

GASKIN, J. C. A.   Dialogues and Natural History of Religion. Oxford :Oxford UP, 1993.

HUME, David.   A Treatise of Human Nature. 1740. Oxford : Clarendon,1983.

 ___.   An Enquiry concerning Human Understanding . 1748. Oxford :Clarendon, 1983.

 ___.   Dialogues concerning Natural Religion. 1779. London : Penguin,1980.

HUSSERL, Edmund. The Crisis of European Sciences and Transcendental  Phenomenology. 1913. Evanston, IL : Northwestern UP, 1970.

MICHAUD, Yves. Hume et la fin de la philosophie . Paris : PUF, 1983.MONOD, Jacques. Le Hasard et la Nécessité. Paris : Seuil, 1970.YOLTON, John W. « Realism and Appearances : an Essay in Ontology ».

The Review of Metaphysics 55.4 (1 June 2002) : 881.


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