TheFireBetweenHigh&LoCopyright©2016BrittainyC.Cherry
Tousdroitsréservés
Tousdroitsréservés,ycomprisledroitdereproductiontotaleoupartielle,sousquelqueformequecesoitsansleconsentementpréalabledel’éditeuroudel’auteur.Toutereproductionconstitueraituneviolationducodedelapropriétéintellectuelle.
Celivreestunouvragedefiction.Lesnoms,personnages,lieuxetévénementssontleproduitdel’imaginationdel’auteurouutilisésdefaçonfictive.Touteressemblanceavecdesfaitsréels,deslieuxoudespersonnesexistantsouayantexistéseraitpurementfortuite.
Titredel’éditionoriginale:TheFireBetweenHigh&LoCopyright:©2016,BrittainyC.Cherry
Photographiedecouverture:©FranggyYanezDesigndecouverture:QuirkyBird
PourlaprésenteéditionOuvragedirigéparIsabelleSolal
CollectionNewRomance®dirigéeparHuguesdeSaintVincent
©2017,ÉditionsHugoRomanDépartementdeHugo&Cie
34-36,rueLaPérouse75116-Paris
www.hugoetcie.fr
ISBN:9782755630404
Dépôtlégal:mars2017
CedocumentnumériqueaétéréaliséparNordCompo.
Celivreestdédiéàtousceuxdontlefeuintérieurpermetdefaçonnerunavenirmeilleur.
Àceuxquidoiventsavoirqueleursfautespasséesnelesdéfinissentpas.
Dumêmeauteur:
TheAirHeBreathesLovingMr.Daniels
Art&SoulTheSpaceinBetween
SOMMAIRE
Titre
Copyright
Dédicace
Dumêmeauteur
PROLOGUE-ALYSSA
PREMIÈREPARTIE
1-LOGAN
2-ALYSSA
3-LOGAN
4-LOGAN
5-LOGAN
6-ALYSSA
7-LOGAN
8-ALYSSA
9-ALYSSA
10-ALYSSA
11-ALYSSA
12-LOGAN
13-ALYSSA
DEUXIÈMEPARTIE
14-LOGAN
15-ALYSSA
16-LOGAN
17-LOGAN
18-ALYSSA
19-LOGAN
20-LOGAN
21-ALYSSA
22-LOGAN
23-LOGAN
24-LOGAN
25-LOGAN
26-ALYSSA
27-LOGAN
28-ALYSSA
29-LOGAN
30-ALYSSA
31-LOGAN
32-ALYSSA
33-LOGAN
34-ALYSSA
35-LOGAN
36-LOGAN
37-ALYSSA
38-LOGAN
39-LOGAN
40-ALYSSA
41-LOGAN
42-ALYSSA
43-LOGAN
44-ALYSSA
45-LOGAN
46-ALYSSA
47-LOGAN
ÉPILOGUE-LOGAN
REMERCIEMENTS
ÀPROPOSDEL’AUTEUR
PROLOGUEALYSSA
Legarçonaveclesweatàcapucherougemeregardaitfixementderrièremacaisse.Jel’avaisdéjàvu,souvent,etencorepasplustardquecelundimatin.Touslesjours,luietsescopainstraînaient dans la ruelle derrière le supermarché où je travaillais. Je les voyais quandmonpatronmedemandaitd’aplatirlescartonsetdelesjeterdehors.
Legarçonausweatàcapucherougeétaitlàtouslesjoursavecsescopains.Ilsfaisaientbeaucoupdebruit,fumaientdescigarettesenjurantgrossièrement.Ilsedétachaitdulotparcequelesautresriaientetsouriaient.Luisemblaitmuet,unpeucommesisonespritétaittrèsloindecequil’entourait.Lescoinsdesaboucheneserelevaientpratiquementjamais,jemedemandaiss’ilsavaitcequesourireveutdire.Peut-êtrequ’ilétaitunepersonnequiexistaitseulement,maisquinevivaitpas.
Nosregardssecroisaientparfois,etjedétournaistoujourslesyeux.Il m’était difficile de fixer ses yeux caramel, parce qu’ils contenaient plus de tristesse qu’ils
n’auraient jamais dû pour un garçon de son âge. En dépit des cernes profonds et violacés qui lessoulignaient,ainsiquedequelquesrides,iln’endemeuraitpasmoinsbeau.Unbeaugarçonlas.Aucungarçonn’auraitdûavoirl’airsiépuisétoutenétantsibeau.Jemedisaisqu’ilavaitvécucentannéesdelutteenuneseule jeunesse.Àlafaçondont ilse tenait, lesépaulescourbées, ledos toujoursvoûté, jedevinaiqu’ilavaittraversélespiresconflitsprivésqueneconnaissentlaplupartdesgensquiviventsurcetteterre.
Malgrétout,ilyavaitquelquechoseenluiquinesemblaitpastotalementbrisé.Sescheveuxnoirs,mi-longs, étaient toujoursparfaitement soignés.Toujours.Parfois, il sortaitun
petitpeigneetlepassaitdanssesboucles,commefaisaientlesblousonsnoirsdanslesannées1950.Ilétaittoujoursvêtudelamêmefaçon:unT-shirtblancuni,ouunnoir,sansinscriptions,avecparfoisson
sweatàcapucherouge.Unjeaninvariablementnoir,deschaussuresnoiresavecdeslacetsblancs.Sansquejesachepourquoi,satenue,pourtanttoujourssimple,medonnaitlachairdepoule.
Je remarquai sesmains, aussi. Il jouait en permanence avecunbriquet qu’il allumait et éteignaitsansarrêt.Jemedemandaiss’ilétaitconscientdefaireça.C’étaitunpeucommesilaflammequisortaitdubriquetfaisaitpartiedelui.L’airblasé,lesyeuxfatigués,lescheveuxsoignés,etunbriquetàlamain.
Quelnompouvaitbienconveniràungarscommeça?Hunter,peut-être.Celafaisaitassezvoyou,cequ’ilétait,jen’endoutaispas.OuGus.Guslerocker.
RockyGus.OuMikey,parcequecelasonnaitdoux,cequiseraitentotalecontradictionavecsonlook,etcetteidéemeplaisait.
Mais,pourlemoment,sonnomn’avaitaucuneespèced’importance.Cequi importait, c’étaitqu’il se tenaitdevantmoi.Sonvisageétaitplus expressifque je l’avais
jamais vu quand il était dans la ruelle. Il était rouge comme une tomate et il remuait les doigtsnerveusement, debout à ma caisse au supermarché. Il avait l’air si horriblement gêné en passant etrepassant sa carte d’aide alimentaire dans le lecteur qu’il en était touchant. À chaque fois, elle étaitrefusée.Soldeinsuffisant.Àchaquefois,sonvisages’assombrissait.Solde insuffisant. Il semordit lalèvreinférieure.
–C’estn’importequoi,murmura-t-il.–Jepeuxl’essayersurmacaissesivousvoulez.Parfois,cesmachinesdébloquent.Jeluisouris,maisilnemerenditpasmonsourire.Sonvisageseplissaavecfroideur.Lessourcils
froncés,l’airagressif,ilmetenditquandmêmesacarte.Jelafisglisserdansmamachineetjefronçailessourcilsàmontour.Soldeinsuffisant.
–Celaditqu’iln’yapasassezd’argentsurlacarte.–J’avaiscompris,paslapeinedemefaireundessin,murmura-t-il.Grossierpersonnage.–C’estdesconneries.Ilavaitl’airvexéetrespiraitdefaçonsaccadée.–Onl’aprovisionnéehier.C’étaitqui,ce«on»?C’estpastesoignons,Alyssa.–Vousn’avezpasuneautrecarte?–Sij’avaisuneautrecarte,vouspensezquejenel’auraispasessayée?aboya-t-il,cequimefit
sursauter.Hunter.Ils’appelaitsûrementHunter.Hunterleméchant,levoyou.OuTravis.J’avaisluunlivre,
unefois,danslequelilyavaitunTravisetc’étaituntrèsmauvaisgarçon.Travisétaittellementmauvaisquej’avaisdûrefermerlelivrepournepasrougiretcriertoutàlafois.
Ilprituneinspiration,observalafiled’attentequiseformaitderrièreluietmeregardadroitdanslesyeux.
–Excusez-moi,jenevoulaispasvouscrierdessus.–Cen’estrien.
– Non, non, ce n’est pas rien. Je suis désolé. Est-ce que je peux laisser tout ce bordel là, uneminute?Letempsquej’appellemamère.
–Oui,biensûr.Jevaisinterromprevotrecompteetnouspourronsenregistrervosarticlesunefoisqueleproblèmeseraréglé.Pasdesouci.
Ilapresquesouri,etmoij’aifailliperdrela tête.Jenesavaispascommentilarrivaitàpresquesourire.C’étaitpeut-êtrejusteunpincementdeslèvres,maisquandelless’incurvaientlégèrement,ilétaitsibeau!Jevoyaisbienquecen’étaitpasunechosequ’ildevaitfairetrèssouvent.
Lorsqu’ilsemitàl’écartpourcomposerlenumérodesamère,jefistoutmonpossiblepourécoutersaconversation.Toutenenregistrantlesachatsduclientsuivant, jetendaisl’oreilleet jetournaissansarrêtlesyeuxverslui.
–Maman,jedisjustequej’ail’aird’unimbécile,putain,jepasselacarteetelleesttoutletempsrefusée.
–Jeconnaislecode.J’aitapélecode.–Tuasutilisélacartehier?Pourquoifaire?Qu’est-cequetuasacheté?Iléloignaletéléphonetandisquesamèreluiparlaitetlevalesyeuxavantdelerapprocherdeson
oreille.–Commentça,tuasachetétrente-deuxcannettesdeCoca?Qu’est-cequ’onvafoutredetrente-deux
cannettesdeCoca?Ilcriait,ettoutlemondedanslesupermarchétournalatêteverslui.Sonregardcroisalemienet,de
nouveau, il eut l’air gêné. Je souris. Il fronça les sourcils.D’une beauté déchirante. Lentement, ilmetournaledosetretournaàsonappel.
–Etcommentonvafairepourmangercemois-ci?–Ouais,jeseraipayédemain,maisçaneserapasassezpour…non.Jenevaispasdemanderde
l’argent àKellan, encoreune fois…M’man, arrêtedemecouper laparole.Écoute-moi. Il fautque jepayeleloyer.Jenepourraijamais…
–M’man,ferme-la,ok?Tuasdépensétoutl’argentqu’onavaitpourmanger,toutçapouracheterduCoca!
Courtepause.Mouvementsdésordonnésdesbras,colère.–Nonetnon!JemefousquecesoitduDietCokeouduCocaZéro!Il se passa les doigts dans les cheveux en soupirant. Il posa son téléphone par terre quelques
instants,fermalesyeuxetinspiraprofondémentàplusieursreprises.Puisilleramassa.–Çava.Jevaismedébrouiller.Net’inquiètepas,d’accord?Jevaismedébrouiller.Jeraccroche.
Non,jenesuispasencolère,M’man.Ouais,jesuissûr.Jeraccroche,c’esttout.Ouais,jesais.Çaira.Jenesuispasencolère,ok?Excuse-moid’avoircrié.Jesuisdésolé.Non,jenet’enveuxpas.
Ilparlaitaussibasquepossible,maisjenepouvaispasm’empêcherd’écouter.–Excuse-moi.Lorsqu’il se retournaversmoi, j’avais fini avec ledernier client àmacaisse. Il haussa l’épaule
gaucheetserapprochaensefrottantlanuque.
– Je ne crois pas que je vais pouvoir prendre ces trucs aujourd’hui. Désolé. Je peux aller lesreposerdanslesrayons.Excusez-moi.Désolé.
Iln’arrêtaitpasdes’excuser.Monestomacseserra.–Cen’estpaslapeine.Vraiment.Jevaism’enoccuper.J’aifinidetoutefaçon.Jevaislesranger.Ilfronçalessourcilsdenouveau.J’auraisaiméqu’ilarrêtedefaireça.–D’accord.Désolé.J’auraisaiméqu’il arrêtede s’excuser, aussi.Quand il s’enalla, je jetaiuncoupd’œildans ses
sacs.Celamefenditlecœurdevoirlesarticlesqu’ilscontenaient.Ilyenavaitaupluspouronzedollars,etilnepouvaitmêmepaslessortir.Desnouilleschinoises,descéréales,dulait,dubeurredecacahuètesetunpain–deschosesquej’achetaissansmêmeypenser.
Onneserendpascomptedecequ’onatantqu’onn’apasvucequelesautresn’ontpas.–Hé!Jecourusaprèsluidansleparking.–Hé!Vousavezoubliéça!Ilseretournalentementenplissantlesyeux,sanscomprendre.–Vossacs,j’expliquaienlesluitendant.Vousavezoubliévossacs.–Vousrisquezdevousfairevirer.–Quoi?–Pouravoirvolédel’épicerie.J’hésitaiuninstant,unpeusurprisequ’ilpensetoutdesuitequej’avaisvolécettenourriture.–Jenel’aipasvolée.Jel’aipayée.Ilmefixaavecperplexité.–Pourquoiferiez-vousça?Vousnemeconnaissezmêmepas.–Jesaisquevousessayezdevousoccuperdevotremère.Ilsepinçal’arêtedunezensecouantlatête.–Jevousrembourserai.–Nevousenfaitespaspourça.Cen’estpasimportant.Ilsemorditlalèvreinférieureetsepassalamainsurlesyeux.–Jevousrembourserai.Mais…merci.Merci…euh…Ilposalesyeuxsurmapoitrineet,l’espaced’uninstant,jemesentisunpeugênée,jusqu’àcequeje
comprennequ’ilcherchaitàliremonnomsurmonbadge.–Merci,Alyssa.–Derien.Ilseretournaetrepritsonchemin.–Etvous?Jecriaidanssondos,enhoquetantuneoudeuxfois…oupeut-êtrecinquantefois.–Quoimoi?demanda-t-ilsansseretournernimêmearrêterdemarcher.–C’estquoivotrenom?
Hunter?Gus?Travis?Mikey?Oui,vraiment,çapouvaitêtreunMikey.–Logan,dit-il.Ilcontinuaàmarcher,sansseretourneruneseulefois.Jeportailecoindemoncolàmaboucheet
memisàlemâchonner.C’étaitunemauvaisehabitude,etmamèremedisputaittoujoursàcausedeça.Maismamèren’étaitpaslà,etdespapillonsminusculessemirentàvoleterdansmonestomac.
Logan.Àlaréflexion,ilavaitbienunetêteàs’appelerLogan.
***
Quelques joursplus tard, il revintpourmerembourser.Puis il semitàvenir toutes lessemainespouracheterunpain,oudesnouilleschinoises,ouunpaquetdechewing-gum.Ilpassait toujoursàmacaisse.Unbeaujour,Loganetmoi,ons’estmisàbavarderpendantqu’ildéposaitsesachats.Ons’estaperçusquesondemi-frèresortaitavecmasœuretqueçafaisaituneéternitéqu’ilsétaientensemble.Unbeaujour,ilapresquesouri.Etmêmeunefois,jejurequ’ilari.Onpeutdirequ’onestdevenusamis,audépartenéchangeantquelquesmotsqui,peuàpeu,sesonttransformésendevraiesconversations.
Quand je sortais du travail, je le trouvais assis sur le trottoir du parking, à m’attendre, et nouscontinuionsàbavarder.
Onbronzaitenrestantensembleausoleil.Onseséparaittouslessoirssouslesétoiles.J’airencontrémonmeilleuramiàlacaissed’unsupermarché.Etmavieenaétéchangéeàjamais.
PREMIÈREPARTIE
Sonâmeétaitincandescenteetilbrûlaitquiconquesetenaittropprès.
Elles’approcha,sanscraindreledestinquimenaçaitdelesréduireencendres.
1LOGAN
Deuxans,septpetitesamies,deuxpetitsamis,neufrupturesetuneamitiéplustard
toujoursplussolide
J’avaisregardéundocumentairesurlestartes.Deux heures de ma vie passées, assis devant une télé minuscule, à regarder un DVD emprunté à labibliothèquesurl’histoiredelatarte.Ils’avéraitquelatarteremontaitàl’Égypteancienne.LapremièretarterépertoriéeavaitétécrééeparlesRomains.Ilsfaisaientunetarteaufromagedechèvreetaumielsurunepâteauseigle.Celaavaitl’airparfaitementdégoûtant,maisjenesaispaspourquoi,àlafindudocumentaire,j’avaisterriblementenviedecettefichuetarte.
Jen’étaispastropportésurlestartessalées,jepréféraislesgâteaux,maisàcemoment-là,toutcequej’avaisentêtec’étaitunepâtefeuilletée.Etaussi, jedisposaisdetoutcequiétaitnécessairepourremonter dans notre appartement et confectionner la tarte. La seule chose quim’en empêchait, c’étaitShay,manouvelleex-petiteamieàqui,depuisplusieursheures,j’envoyaisdessignauxbrouillés.
J’étaisvraimentnulquandils’agissaitderompre.Laplupartdutemps,jemecontentaisd’unsimpletexto–«Çanemarchepasentrenous,désolé»–oubienuncoupdefildecinqsecondes,maiscettefoisjenepouvaispasfaireça,parcequ’Alyssam’avaitditqueromprepartéléphoneétaitcequ’onpouvaitfairedepire.
Alors,j’étaisallétrouverShayenpersonne.Trèsmauvaiseidée.Shay,Shay,Shay. Je regrettaisd’avoiréprouvé lebesoindecoucheravecellecesoir-là,ceque
nousavionsfait.Troisfois.Aprèsquej’avaisrompuavecelle.Maismaintenant,ilétaitplusd’uneheure
dumatinet…Elle.Refusait.Departir.Ellen’arrêtaitpasdeparler,enplus.Nousétionslà,deboutdevantmonimmeuble,sousunepluiefroideetbattante.Jenepensaisqu’à
une chose : aller dansmachambrepourmedétendreunpeu.Était-ce tropdemander ?Fumerunpetitjoint,regarderunautredocumentaireetfaireunetarte…ouplusieurs.
J’avaisenvied’êtreseul.Personnen’aimaitautantêtreseulquemoi.Unealertesonnasurmontéléphone.Lenomd’Alyssaapparutsurl’écranavecunSMS.Alyssa:C’estfait,cettebonneaction?Jemesourisàmoi-même,jesavaisqu’elleparlaitdemaruptureavecShay.Moi:Ouais.Jeregardailestroisellipsesapparaîtresurl’écranenattendantsaréponse.Alyssa:Tun’aspascouchéavecelle,aumoins?Nouvellesellipses.Alyssa:OhmonDieu,tuascouchéavecelle,c’estça?Encoredesellipses.Alyssa:SIGNAUXBROUILLÉS!Jenepusm’empêcherde rigoler,parcequ’ellemeconnaissaitmieuxquequiconque.Cela faisait
deuxansqu’Alyssaetmoiétionsamis,etnousétionstotalementdifférentsl’undel’autre.SasœuraînéesortaitavecmonfrèreKellan,etaudébut,Alyssaetmoiétionspersuadésden’avoir rienencommun.Elleallaitàl’égliseavecjoietandisquejefumaisdesjointsaucoindelarue.EllecroyaitenDieualorsque jedansaisavec lesdémons.Elleavaitunaveniralorsqu’onauraitditque j’étaisemmurédans lepassé.
Pourtant,nousavionscertaineschosesqui,quelquepart,nousrapprochaient.Samèrelatoléraitàpeine,mamèremedétestait.Sonpèreétaitunabruti,monpèreétaitlediable.
Quandnousnousétionsrenducomptequenousavionscespetiteschosesencommun,nousavionscommencéàpasserplusdetempsensemble,etnousétionsdevenuschaquejourplusproches.
C’étaitmameilleureamie,lesoleildemesjoursmerdiques.Moi:J’aicouchéavecelleunefois.Alyssa:Deuxfois.Moi:Ouais,deuxfois.Alyssa:TROISFOIS?!OH,BONSANG,LOGAN!–Àquiest-cequetuparles?ditShayd’untonplaintifquimefitleverlesyeuxdemontéléphone.
Quipouvaitbienêtreplusimportantquecetteconversation,làtoutdesuite?–Alyssa.–Ohnon.Sérieux?Ellenepeutvraimentpassepasserdetoi,hein?Cen’étaitpasnouveau.Toutes les fillesavecqui j’étais sortidepuisdeuxanss’étaientmontrées
extrêmementjalousesdemarelationavecAlyssa.
–Jepariequetulabaises.–Ouais,eneffet.C’était lepremiermensonge.Alyssan’étaitpasune fille facile,etmêmesielle l’était,ellene le
serait pas avec moi. Elle avait des exigences, et je n’étais pas à la hauteur. Moi aussi, j’avais desexigencespourlesrelationsd’Alyssa,etaucunmecn’étaitàlahauteurdecesexigences.Elleméritaitcequ’il y avait demieux aumonde, et la plupart des gens de True Falls,Wisconsin, n’avaient que desmiettesàoffrir.
–Jepariequec’estàcaused’ellequetuasdécidéderompreavecmoi.–Oui,c’estça.C’étaitledeuxièmemensonge.Jefaisaismespropreschoix,maisAlyssamesoutenaittoujours,quoi
quejefasse.Cependant,ellemedonnaittoujourssonavisetellemedisaitquandjefaisaisfausseroutedanstoutesmesrelationsamoureuses.Parfois,elleétaitdouloureusementdirecte.
–N’empêche,ellenesemettraitjamaisvraimentavectoi.C’estunefillebien,elle,alorsquetoi,toitun’esqu’unesous-merde!
–Tuasraison.Ça,c’étaitlapremièrevérité.Alyssaétaitunefillebien,etmoi,j’étaislegarçonquin’avaitjamais
eulapossibilitédelaconsidérercommesienne.Mêmesi,parfois,jeregardaissescheveuxblonds,fous,ondulés,enimaginantcequeçaferaitdelatenircontremoietdedoucementgoûteràseslèvres.Peut-êtreque,dansunautremonde,jeluiauraissuffi.Peut-êtrequejen’auraispasétébousillédepuismonenfanceetquej’auraispuavoirunevienormale.Jeseraisalléàlafacetj’auraiseuunecarrière,quelquechosequimemetteàmonavantage.
Alors,j’auraispuluidemanderdesortiravecmoietjel’auraisemmenéedansunrestaurantchic,etje luiauraisditdecommander toutcequ’ilyavait sur lacarte,parceque l’argentn’auraitpasétéunproblème.
J’auraispuluidirequesesbeauxyeuxbleussouriaienttoutletemps,mêmequandellefronçaitlessourcils,etquej’adoraislafaçondontellemâchonnaittouslescolsdesesT-shirtsquandelles’ennuyaitouqu’elleétaitnerveuse.
J’auraispuêtreunepersonnedigned’êtreaiméeetellem’auraitpermisdel’aimer,enplus.Dansunautremonde,peut-être.Maislà,jen’avaisquelemonded’icietmaintenant,oùAlyssaétait
mameilleureamie.J’avaisdéjàassezdechancedel’avoirsouscetteforme.–Tuasditquetum’aimais!Shaypleurait sans retenir les larmesqui roulaient sur ses joues.Depuiscombiende tempsest-ce
qu’ellepleurait?C’étaitunepleureuseprofessionnelle,celle-ci.J’observaissonvisageenglissantlesmainsdanslespochesdemonjean.NomdeDieu.Elleavait
unemine affreuse.Elle planait encore, depuis tout à l’heure, et sonmaquillage était étalé sur tout sonvisage.
–Jen’aijamaisditça,Shay.
–Si,tul’asdit!Plusd’unefois!–Turacontesn’importequoi.J’auraispuchercherdansmessouvenirspoursavoirsicesmotsm’avaientéchappéàunmomentou
àunautre,maisjesavaisquecen’étaitpaspossible.Jen’aimaispas.C’esttoutjustesij’éprouvaisdel’affection.Jemepassailesdoigtssurlestempes.IlfallaitvraimentqueShaymontedanssavoitureetqu’elles’enailleloin,trèsloin.
–Jenesuispasfolle,Logan!Jesaiscequetum’asdit!Elleétaitsûrequejel’aimais.Cequi,dansl’ensemble,étaitplutôttriste.–Tul’asdittoutàl’heure!Tuterappelles?Tuasditquetum’aimais,putain!Toutàl’heure?Oh,merde!–Shay,j’aiditquej’aimaistebaiser.Pasquejet’aimais.–C’estpareil.–Pasdutout,tupeuxmecroire.Ellebalançasonsacdansmadirectionetjen’évitaipaslecoup.Pourêtrefranc,jeleméritais.Elle
recommença,etjeprislecoupencoreunefois.Quandellelebalançaunetroisièmefois,jel’attrapaiettiraidessuspourl’attirer–etelleavec–versmoi.Mamainatterritsursesreinsqu’ellecambraàmoncontact.Jeserraisoncorpscontrelemien.Ellerespiraitfortetdeslarmescontinuaientàroulersursesjoues.
–Nepleurepas,jemurmuraienfaisantassautdemoncharmepouressayerdelafairepartir.Tuestropbellepourpleurer.
–Tuesunvraiconnard,Logan.–Etc’estbienpourçaquetunedevraispassortiravecmoi.–Celafaittroisheuresqu’onarompu,ettuesdevenuquelqu’undecomplètementdifférent.–C’estdrôle,parceque ladernière foisque j’aivérifié,c’était toiquiavaischangéquand tues
sortieavecNick.–Oh,arrêteavecça.C’étaituneerreur.Onn’amêmepascouché.Tuesleseulgarçonavecquij’ai
couchédepuissixmois.–Heu,çafaithuitmoisqu’onsortensemble.–T’esprofdemathsouquoi?Qu’est-cequeçapeutfaire?Depuisdeuxans,Shayétait lapremièrefilleavecqui j’étaisrestéaussi longtemps.Laplupartdu
temps,c’étaitunmoismax,maisavecShayonavait tenuhuitmoisetdeuxjours.Jenesavaispastrèsbienpourquoi,sicen’estquesavieétaitlarépliqueexactedelamienne.Samèreétaitloind’êtrestableetsonpèreétaitenprison.Ellen’avaitpersonnequ’ellepouvaitregarderavecrespect,etsamèreavaitflanquésasœuràlaporteparcequ’elles’étaitfaitfoutreencloqueparunconnard.
Peut-êtrequemoncôtéobscuravaitreconnuetrenduhommageausienpendantunpetitmoment.Onallaitbienensemble.Mais,avecletemps,jem’étaisrenducomptequec’étaitjustementàcausedeces
ressemblancesqueçanepouvaitpasvraimentcollerentrenous.Onétaittropdéglinguéstouslesdeux.ÊtreavecShay,c’étaitcommeregarderdansunmiroirquimerenvoyaitl’imagedetoutesmescicatrices.
–Shay,onarrête,maintenant.Jesuisfatigué.– Ok. J’avais oublié. Toi, tu es monsieur Parfait. Ça peut arriver qu’on prenne les mauvaises
décisions,expliqua-t-elle.–Tuasflirtéavecmonpote,Shay.–Cen’étaitqueça:unflirt!Etjel’aifaitparcequetum’avaistrompée,c’esttout.–Jenesaispasquoirépondreàça,vuquejenet’aijamaistrompée.– Peut-être pas au sens sexuel, mais émotionnellement, Logan. Tu n’étais jamais vraiment là ni
impliqué.Toutça,c’estdelafauted’Alyssa.C’estàcaused’ellequetunet’esjamaisvraimentengagéavecmoi.C’estvraimentunesalegar…
Jeluiplaquailamainsurlabouchepourl’empêcherdefinirsaphrase.–Arrêtetoutdesuite,avantd’allertroploin.Jebaissailamainetellegardalesilence.– Je ne t’ai jamais caché qui j’étais. Tu n’as qu’à t’en prendre à toi-même si tu as cru que tu
pourraismechanger.–Tuneserasjamaisheureuxavecpersonne,tusaisça?Parcequetuestropaccroàunefillequetu
n’auras jamais.Tufinirasseul, tristeetamer.Etc’est làquetucomprendrascequetuasperduenmequittant!
–Tunevoudraispastebarrer?Jesoupiraienmepassantlamainsurlevisage.J’envoulaisàAlyssa.«Rompsavecelleenpersonne,Lo.C’estlaseulefaçondefairepourunvraimec.Çanesefait
pasderomprepartéléphone.»Elleavaitdesidéesàlacon,parfois.Shaycontinuaitdepleurer.BonDieu,ceslarmes.Jenepouvaispassupporterleslarmes.Après quelques reniflements supplémentaires, elle baissa les yeux puis releva la tête avec un
renouveaud’assurance.–Jecroisqu’ondevraitrompre.Jesursautai.–Rompre?Onvenaitjustedelefaire!–Jen’aipasl’impressionquenousallionsdanslamêmedirection,toietmoi.–D’accord.Elleposalesdoigtssurmeslèvrespourmefairetaire,mêmesijeneparlaispas.–Nesoispastriste.Jesuisdésolée,Logan.Maisjecroisqueçanepeutpascollerentrenous.
Jericanaiintérieurement.Ellefaisaitcommesic’étaitsonidéederompre.Jereculaid’unpasenmettantlesmainssurmanuque.
–Tuasraison.Tuestropbienpourmoi.Qu’est-cequetufousencorelà?Ellevintversmoieteffleurameslèvresduboutdesdoigts.–Tu trouverasquelqu’undebien.J’ensuissûre.Jeveuxdire,biensûrelleserapeut-êtremoche
commeunpou,maisquandmême.Elle courut jusqu’à sa voiture, ouvrit la portière et passa derrière le volant. Quand sa voiture
démarra,monestomacsenouaet jefussaisideregrets.Jepiquaiunsprintsous lapluieencriantsonnom.
–Shay!Shay!Enluifaisantdessignesdansl’obscurité,jecourusderrièreellependantaumoinscinqblocsavant
qu’ellen’arriveàunfeurouge.Lorsquejetambourinaisursavitre,ellehurladeterreur.–Logan!Qu’est-cequetufous,bonsang?cria-t-elleendescendantsavitre.Sasurprisesechangeaenunsourireempreintdefiertéetelleplissalesyeux.–Tuveuxqu’onseremetteensemble,c’estça?J’enétaissûre.–Je…Je soufflais. Je n’avais rien d’un athlète, ça c’était plutôt le rayon de mon frère. J’essayai de
reprendremonsouffleenm’appuyantdesdeuxmainssurlereborddesavitre.–Je…J’ai…be…besoin…–Tuasbesoindequoi?Dequoi,Bébé?Dequoias-tubesoin?Ellepassalamaindoucementsurmajoue.–Latarte.Ellereculasursonsiège,perplexe.–Quoi?–Latarte.Lesingrédientspourlatartequenousavonsachetéstoutàl’heure.Ilssontsurlesiège
arrièredetavoiture.– C’est pas vrai, tu te fous de moi ! Tu m’as couru après pendant cinq pâtés de maisons pour
récupérerdesingrédientspourfaireunetarte?Jehaussaiunsourcil.–Heu…ouais?Elletenditlebrasverslesiègearrière,saisitvivementlesacetmeleflanquacontrelapoitrine.–Nonmais,j’ycroispas!Tiens,lesvoilàtestrucsdemerde!Jesouris.–Merci.Savoituredémarraentrombeetjenepusm’empêcherderirequandjel’entendiscrier:–Tumedoisvingtdollarspourcefromagedechèvre!Dèsquejemislepieddansmonappart,jesortismontéléphonepourenvoyeruntexto.
Moi:Laprochainefoisquejeromps,ceseraparSMS.Alyssa:Àcepoint-là?Moi:Horrible.Alyssa:Jesuistristepourelle.Elleavaitvraimentdel’affectionpourtoi.Moi:Ellem’atrompé!Alyssa:Malgrétout,tuastrouvélemoyendecoucheravecelletroisfoisaujourd’hui.Moi:Tuesdequelcôté?Ellipses.Alyssa:C’estunvraimonstre !Jesuis raviequ’ellesoitsortiede tavie.Personneneméritede
sortir avecquelqu’und’aussiperturbé.Elleest écœurante. J’espèrequ’ellemarcheraaccidentellementsurdesblocsLegotoutlerestedesavie.
Ça,c’étaitlaréactionquej’attendais.Alyssa:Jet’aime,monmeilleurami.Enlisantcesmots,jem’efforçaidenepasfaireattentionautiraillementdansmapoitrine.Jet’aime.
Jen’avaisjamaisditçaàpersonne,mêmepasàmamèreouàKellan.Maisparfois,quandAlyssaMarieWaltersdisaitqu’ellem’aimait,j’auraisaimépouvoirluidirelamêmechose.
Maisjen’aimaispas.C’esttoutjustesij’éprouvaisdel’affection.En tout cas, c’était le mensonge que je me répétais quotidiennement pour éviter de souffrir. La
plupartdesgensvoyaientl’amourcommeunerécompense,maismoijesavaiscequ’ilenétait.J’avaisvumamèreaimermonpèrependantdesannées,etriendebonn’enétaitjamaissorti.L’amourn’estpasunebénédiction,c’estunemalédiction,etunefoisquevousl’avezlaisséentrerdansvotrecœur,iln’ylaissequedesmarquesdebrûlures.
2ALYSSA
Moi:Salut,Papa.Justepourvérifierquetuviensbienaurécitaldepiano.Moi:Hello!Tuasreçumonderniertexto?
Moi:Coucou,c’estencoremoi.C’estjustepoursavoirsituvasbien.Ons’inquiète,Erikaetmoi.Moi:Papa?Moi:??Moi:Tunedorspas,Lo?Jeregardaifixementmontéléphone,lecœurbattantenenvoyantleSMSàLogan.Jeregardail’heure
enpoussantungrossoupir.Deuxheurestrente-trois.J’aurais dûdormir,mais je pensais àmonpère. Je lui avais envoyéquinze textos endeux jours,
laissédixmessagessursaboîtevocale,etjen’avaistoujourspasreçuderéponse.Jerespiraiprofondément,montéléphoneposésurmapoitrine.Quandilsemitàvibrer,jerépondis
aussitôt.Jemurmuraidansletéléphone,meréjouissantsecrètementqu’ilaitrépondu:–Tudevraisdormir.Pourquoiest-cequetunedorspas?–Qu’est-cequinevapas?demandaLogansansrépondreàmaquestion.Unpetitgloussements’échappademeslèvres.–Qu’est-cequitefaitpenserquequelquechosenevapas?–Alyssa,dit-ild’untonsévère.–Peau-de-Fessenem’apasrappelée.Jel’aiappeléaumoinsvingtfoiscettesemaine,etilnem’a
pasrappelée.
Peau-de-Fesse, c’est le douxnomquenous avions donné àmonpère quand il nous avait laisséstomber,moietmafamille.Luietmoiavionsétéextrêmementproches,lesdeuxmusiciensdelafamille,etquandilnousaquittés,unepartiedemois’estenvoléeaveclui.Jeneparlaispassouventdelui,maisjen’avaispasbesoindelefaire,Logansavaittoujoursquecelameposaitproblème.
–Oublie-le.C’estuneordure.–Lerécitald’étédepiano,leplusimportantdemacarrière,estpourbientôt,etjenesaispassije
vaisyarrivers’iln’estpaslà.Jefaisaistoutmonpossiblepourcanalisermesémotions.Jefaisaistoutcequejepouvaispourne
paspleurer,maiscesoir-làjesentaisquej’allaisperdrelapartie.MamèreetErikan’étaientpasaussiinquiètesquemoi.Peut-êtreparcequ’ellesn’avaientjamaisvraimentcomprisquiilétait,commeartisteet comme interprète. Toutes les deux, elles avaient un esprit pragmatique qui allait de pair avec unegrande stabilité – papa et moi, nous étions des sortes d’esprits vagabonds, nous dansions dans lesflammes.
Maisdepuisquelquetemps,iln’avaitpasappelé.Etj’étaistrès,trèsinquiète.–Alyssa…–Lo…Mavoixtremblaitlégèrement.Ilm’entendaitreniflerdansletéléphone.Jemeredressai.–Quandj’étaispetite,jeflippaisvraimentquandilyavaitdel’orage.Jecouraisdanslachambre
demesparentsenlessuppliantdemelaisserdormiraveceux.Mamèrerefusaittoujours,parcequ’elledisaitquejedevaisapprendrequejen’avaisrienàcraindredel’orage.Peau-de-Fessenelacontredisaitjamais.Alors,jeretournaisdansmachambre,jemeroulaisenboulesousmescouvertures,j’écoutaisletonnerreetjefaisaistoutcequejepouvaispournepasvoirleséclairs.Auboutd’uneminute,laportedemachambres’ouvrait,ilavaitsonclavierdanslesmainsetiljouaitàcôtédemonlitjusqu’àcequejem’endorme.Laplupartdutemps,jesuisforte.Jevaisbien.Maiscesoir,avecl’orage,ettouscesappelssansréponse…ilmedémolitcesoir.
–Nelelaissepasfaire,Alyssa.Nelelaissepasgagner.–J’aijuste…Jecraquaietfondisenlarmesdansletéléphone.–J’aijusteuncoupdeblues,c’esttout.–Jeviens.–Quoi?Non,ilesttard.–J’arrive.–Ilestplusdedeuxheures,Logan.Iln’yaplusdebus.Etpuismamèreafermélagrilleetlaporte
d’entréeàclé.Tunepourraispasentrer,detoutemanière.Çavaaller.Mamèreétaituneavocateréputéeetelleavaitdel’argent,beaucoupd’argent.Noushabitionssur
les hauteurs, avec une énorme grille qui faisait tout le tour de la propriété. C’était pratiquementimpossibled’entrerunefoisqu’elleavaitferméàclépourlanuit.
–Çavaaller, je te lepromets.Jevoulais justeentendretavoixetquetumerappellesquejemeportemieuxsanslui.
–Parcequec’estvrai.–Ouais.–Non,Alyssa.Vraiment.TuesmeilleurequePeau-de-Fesse.Je me mis à sangloter de plus belle et je dus me couvrir la bouche de la main pour qu’il ne
m’entendepaspleureraussi fort.Moncorpsétaitsecouédesanglotsdansmon lit,et j’étaiseffondrée,meslarmescoulaientsurmonoreilleretlespenséesquitournaientdansmatêtenefaisaientqu’augmentermoninquiétude.
Etsiquelquechoseluiétaitarrivé?Ets’ils’étaitremisàboire?Etsi…–Jeviens.–Non.–Alyssa,s’ilteplaît.Onauraitditqu’ilmesuppliait.–Tuesdéfoncé?Ilhésita,cequiéquivalaitàuneréponsepourmoi.Jesavaistoujoursquandilavaitfumé,surtout
parcequ’ilétaitpresquetoujoursstone.Ilsavaitquecelam’ennuyait,maisildisaitqu’ilétaitcommelehamsterdanssaroue,incapabledechangerseshabitudes.Nousétionssidifférentsàbiendeségards.Jen’avaispasfaitgrand-chose.Engros,j’allaistravailler,jejouaisdupianoetjetraînaisavecLogan.Ilavaitexpérimentébeaucoupplusdechosesquecequej’auraispuimaginer.Ilprenaitdesdroguesdontjeneconnaissaismêmepaslenom.Ilseperdaitpresquetouteslessemaines,engénéralaprèsavoircroisésonpèreous’êtreoccupédesamère,maisjenesaiscomment,ilretrouvaittoujourssoncheminjusqu’àmoi.
Jem’efforçaisdefairecommesicelam’étaitégal,maisparfoiscelam’embêtait.–Bonnenuit,monmeilleurami,jedisdoucement.–Bonnenuit,mameilleureamie,merépondit-ilensoupirant.
***
Ilavaitlesmainsdansledosetilétaittrempédelatêteauxpieds.Sescheveuxbrunsquiondulaientnaturellementétaienttoutcolléssursatête,etdesmèchesluitombaientdanslesyeux.Ilportaitsonsweatàcapucherougepréféré,etsonjeannoiravaitplusd’accrocsqu’onpouvaitimaginer.Etpourcouronnerletout,unsourireniaiss’étalaitsursonvisage.
–Logan,ilesttroisheuresetdemiedumatin,jemurmuraienespérantnepasréveillermamère.–Tupleurais,dit-il,deboutdevantlaported’entrée,etl’oragenes’arrêtaitpas.–Tuesvenuàpied?Iléternua.–Cen’estpassiloinqueça.
–Tuasescaladélagrille?Ilsetournaunpeupourmemontrerunaccrocdanssonjean.–J’aiescaladélagrille,etenplus…Ilpassalesmainsdevantlui,meprésentantunplatàtarterecouvertdepapierd’alu.–Jet’aifaitunetarte.–Tuasfaitunetarte?–J’avaisregardéundocumentairesurlatarteunpeuplustôtdanslajournée.Tusavaisquelatarte
existedepuisl’Égypteancienne?LapremièretarterépertoriéeaétéinventéeparlesRomains,etc’étaitunepâteauseigle…
–Latarteaufromagedechèvreetaumiel?Ilrestabouchebée.–Commenttulesais?–Tum’enasparléhier.Ilpritl’airgêné.–Oh,jevois.Jememisàrire.–Tuesdéfoncé.Ilricanaenhochantlatête.–Jesuisdéfoncé.Jesouris.–Ilfauttroisquartsd’heurepourveniràpieddecheztoijusqu’ici,Logan.Tun’auraispasdûfaire
ça.Ettutremblesdefroid.Entre.Je l’attrapaipar lamanchede son sweatdégoulinant et le tirai tout le longducouloir jusqu’à la
salledebainsattenanteàmachambre.Jefermailaportederrièremoietlefisasseoirsurlecouvercledusiègedestoilettes.
–EnlèvetonsweatettonT-shirt.Ilsouritd’unairespiègle.–Tunem’offrespasunverred’abord?–LoganFrancisSilverstone,nesoispaschelou.–AlyssaMarieWalters,jesuistoujourschelou.C’estcequiteplaîtchezmoi.Iln’avaitpastort.IllançasonsweatetsonT-shirtdanslabaignoire.Mesyeuxsebaladèrentsursontorseunesecondeetjefismonpossiblepourignorerlespapillons
dansmonestomactandisquejel’enveloppaisdanstroisserviettesdetoilette.–Qu’est-cequit’asprisdefaireça,bonsang?Sesyeuxcouleurcaramelétaient tendres,et il sepenchaversmoienmeregardantdroitdans les
yeux.–Tuvasbien?
–Çava.Jeluipassailesdoigtsdanslescheveux,ilsétaientglacésetdoux.Ilobservaitlemoindredemes
gestes. Je saisis une petite serviette,m’agenouillai devant lui et en secouant la tête, j’entrepris de luisécherlescheveux.
–Tuauraisdûrestercheztoi.–Tuaslesyeuxrouges.Jericanai.–Toiaussi.Uncoupdetonnerreéclata,etjefisunbond.Loganmeposaunemainrassurantesurlebras,etun
petithoquets’échappademeslèvres.Jenepusm’empêcherderegardersesdoigtssurmoi,etsonregardsefixaaumêmeendroit.Enm’éclaircissantlavoix,jefisunpasenarrière.
–Alors,onlamangemaintenantcettetarte,ouiounon?–Onlamangemaintenant.Nousnousdirigeâmesvers lacuisine,ensilencepournepasréveillermamère,mais j’étaissûre
queçane risquaitpasavec laquantitéde somnifèresqu’elleavalait tous les soirs.Logans’assitd’unbondsurleplandetravail,torsenu,avecsonjeantrempé,entenantsatarteàlamain.
–Desassiettes?–Unefourchette,çaira.J’attapaiunefourchetteetjem’assissurleplandetravailàcôtédelui.Ilmepritlafourchettedes
mainsetlapiquadansungrosmorceaudetartequ’ilmetendit.Jelemisdansmabouche,fermailesyeuxetmepâmai.
Purée.C’étaitunasde lacuisine.Jen’enétaispasvraimentcertaine,mais jedoutaisque lespersonnes
capables de réussir une tarte au fromage de chèvre et aumiel soient très nombreuses.Non seulementLoganl’avaitfaitemaisilluiavaitdonnévie.Elleétaitcrémeuse,fraîche,unvrairégal.
Lesyeuxtoujoursfermés,j’ouvrislabouchedansl’attented’uneautrebouchée,qu’ilmedonna.–Mmm.Jesoupiraid’aise.–C’estmatartequitefaitgémirdeplaisir?–Absolument.–Ouvrelabouche.Jeveuxt’entendregémirencore.Jehaussaiunsourcilenleregardant.–Turecommencesàêtrechelou.Ilsourit.J’adoraiscesourire.Ilavaittellementl’habitudedefroncerlessourcilsquequandillui
arrivaitdesourire,cemomentprenaitd’autantplusdevaleuràmesyeux.Ilpiquaunautremorceaudetarteaveclafourchettequ’ilfitpasserdevantmeslèvreset,enimitantlebruitd’unavion,illadéplaçacommesiellevolaitdanslesairs.J’essayaidemeretenirderire,sanssuccès.Puisj’ouvrislaboucheetl’avionatterrit.
–Mmm.–Tugémistrèsbien.–Sij’avaisreçuundollaràchaquefoisquej’aientenduça!dis-jed’untonmoqueur.Ilplissalesyeux.–Tuauraiszérodollarzérocent,répliqua-t-ilsurlemêmeton.–C’estnul.–Soyonsbienclairs,siàpartmoiquiplaisantebiensûr,d’autrestypestedisentquetugémistrès
bien,jelestue.Ildisaittoujoursqu’iltueraittouslestypesquiposeraientlesyeuxsurmoi,etlaraisonprincipale
deséchecsdemesrelationsamoureusesavaitprobablementquelquechoseàvoiravecça–mescopainsavaienttousunepeurbleuedeLoganFrancisSilverstone.Jenevoyaispaspourquoi.Pourmoi,ilétaitjusteungrosnounours.
– Jen’ai rienmangéd’aussibonde toute la journée.C’est tellementbonque jevaisencadrer lafourchette.
–Àcepoint-là?Ilsouritd’unairsatisfait,visiblementtrèsfierdelui.–À ce point-là.Tu devrais vraiment envisager de suivre des cours dans une école de cuisine,
commeonl’adéjàdit.Tuseraisgénial.Uneombrepassasursonvisage.–Lesétudes,cen’estpaspourmoi.–Etpourquoipas?–Parlonsd’autrechose,dit-ilenfronçantlenez.Jen’insistaipas.Jesavaisquecesujetétaitsensible.Ilnepensaitpasêtresuffisammentintelligent
pourfairedesétudes,quellesqu’ellessoient,maiscen’étaitpasvrai.Loganétaitl’unedespersonneslesplus intelligentesque jeconnaissais.Si seulement il s’étaitvucomme je levoyaismoi,cela luiauraitchangéradicalementlavie.
Je lui arrachai la fourchette des mains pour reprendre de la tarte que je mangeai en gémissantbruyamment,pourallégerlaconversation.Ilretrouvalesourire.Bien.
–Je suis tropcontenteque tuaiesapportéça,Lo, sérieux. Jen’aipratiquement rienmangéde lajournée,enfait.Mamèreaditquejedevaisperdredixkilosavantdecommencerlescoursàlafac,enseptembre,parcequejerisqued’enprendrequinze,commetouslesétudiantsdepremièreannée.
–Jecroyaisquec’étaitsept.–Mamèreditquecommejesuisdéjàensurpoids,j’enprendraiplusquelesétudiantsnormaux.Tu
saiscombienellem’adore!Illevalesyeuxaucielenenrajoutant.–Elleesttropsympa!–Jenesuispascenséemangeraprèshuitheuresdusoir.
–Heureusement,ilestplusdequatreheuresdumatin,doncc’estunautrejour!Ilfautqu’onmangetoutelatarteavanthuitheures!
Jerigolaienposantvivementlesmainssursabouchepourl’empêcherdecrier.Jesentisseslèvresembrasserfurtivementlespaumesdemesmains,etmoncœurs’arrêtaunefractiondeseconde.Jeretiraimesmainslentementensentantlespapillonsdansmonestomac,etjem’éclaircislavoix.
–Çavaêtredifficile,maisilfautbienquequelqu’unlefasse.Et nous le fîmes.Nous lamangeâmes en entier.Quand j’allai laver la fourchette dans l’évier, il
m’attrapaparlamain.–Non,ilnefautpaslalaver.Nousdevonsl’encadrer,tutesouviens?Lorsqu’ilpritmamain,moncœurs’arrêtadebattreunefoisencore.Nosregardssecroisèrent,etilavançaversmoi.–Etpourtagouverne,tuesbellecommetues,Aly.Rienàfoutredel’opiniondetamère.Jetrouve
quetuesbelle.Passeulementdecettebeautésuperficiellequis’évanouitavecletemps,tuesbelledanstouslessensduterme.Tuesjusteunebellepersonne,putain,alorsrienàfoutredecequepensentlesautres.Tusaiscequejepensedesgens.
J’acquiesçai,jeconnaissaissadeviseparcœur.–Oublielesgens,prendsunchien.–Exactement.Ilsouritd’unairsatisfaitenlâchantmamain.Soncontactmemanquaavantmêmequinel’aitfait.Il
semitàbâiller,cequimefitoubliermesbattementsdecœurerratiques.–Fatigué?–Çamediraitassezdedormirunpeu.–Ilfautquetusoispartiavantquemamèreseréveille.–Cen’estpascequejefaistoujours?Nousallâmesdansmachambre. Je luipassaiunpantalonde survêtement etunT-shirtque je lui
avaispiquésquelquessemainesplustôt.Aprèsqu’ilsefutchangé,noussommesmontésdansmonlitetnousnoussommesallongéscôteàcôte.
Je n’avais jamais dormi dans le même lit qu’un autre garçon que Logan. Parfois, quand nousdormions,jemeréveillaisaveclatêtesursapoitrineetavantdem’écarter,j’écoutaislesbattementsdesoncœur.Ilrespiraitfort,laboucheouverte.Lapremièrefoisqu’ilétaitresté,jen’avaispasfermél’œildelanuit.Pourtantavecletemps,lesbruitsdesarespirationm’étaientdevenusfamiliers,jemesentaischezmoi. Ils’étaitavéréquechezsoin’étaitpasunlieu,c’étaitunsentimentquevousprocuraient lesêtresàquivousteniezleplus,unsentimentdepaixquiéteignaitlesincendiesdevotreâme.
–Toujoursfatigué?jedemandaialorsquenousétionsallongésdansl’obscurité,monespritencorepleinementéveillé.
–Ouais,maisonpeutparlersituveux.–Jemedemandais,tunem’asjamaisexpliquépourquoituaimestantlesdocumentaires.Ilsepassalesmainsdanslescheveuxavantdelesposerderrièresatête,lesyeuxauplafond.
–Un été, je suis allé chezmongrand-père, c’était avant samort. Il avait undocumentaire sur lagalaxie qui m’a donné envie d’en savoir plus sur… tout. J’aimerais me souvenir du titre de cedocumentaire,jel’achèteraisimmédiatement.C’étaituntruccommelestrousnoirs…oul’étoilenoire…(ilplissalefront)…jenesaisplus.Entoutcas,luietmoinoussommesmisàregarderdeplusenplusdedocumentairesensemble.C’estdevenunotretruc.Çaaétéleplusbelétédemavie.
Unevaguedetristessesemblal’envahir,etilbaissalesyeux.–Aprèssamort,j’aicontinuélerituel.C’estprobablementundesseulsrituelsquej’aiejamaiseus.–Tuconnaisbeaucoupdechosessurlesétoiles?–Untasdechoses.S’ilyavaitdanscettevilleunendroitquis’yprête,jetemontreraislesétoiles
sanstoutelapollutionlumineuseetaussiquelquesconstellations.Maismalheureusement,iln’yenapas.–C’estdommage.J’adoreraisça.Tusais,jemedisais,pourquoituneferaispasundocumentaire
surtavie?Ilsemitàrire.–Çan’intéresseraitpersonne.Jepenchailatêteverslui.–Si,moi.Ilmefitundemi-sourireavantdemeprendredanssesbrasetdem’attirercontre lui.Sachaleur
m’envoyaittoujoursdesétincellesdanstoutlecorps.–Lo?jemurmurai,àdemiendormie,ettombantsecrètementamoureusedemonmeilleurami.–Ouais?J’ouvrislabouchepourparler,maisseulunsoupirmuetensortit.Matêtetombasursapoitrineet
j’écoutailesbattementsdesoncœurenlescomptant.Un…Deux…Quarante-cinq…Enquelquesminutes,moncerveauralentit.Enquelquesminutes,j’oubliaipourquoij’étaissitriste.Enquelquesminutes,jem’endormis.
3LOGAN
Mamèreetmoin’avionspaslecâbledansnotreappart’,cen’étaitpasunproblème,jem’enfichais.Quandj’étaisenfant,nousl’avions,maisc’étaitsansintérêtàcausedemonpère.C’étaitluiquipayaitl’abonnement et il râlait tout le temps deme voir assis devant la télé à regarder des dessins animés.Commes’ilnesupportaitpasdemevoirheureuxquelquesinstantsdanslajournée.
Unjourilestrentré,aprislatéléetarésiliél’abonnement.C’estlejouroùilaquittél’appartement.C’estaussiundesjourslesplusheureuxdemavie.Quelquetempsaprès,j’aitrouvéunpostedetélédansunepoubelle.C’étaitunpetitposteavecun
écran de quarante-huit centimètres et un lecteur de DVD incorporé, alors j’empruntai un tas dedocumentairesàlabibliothèqueetjelesregardaiàlamaison.Jesavaisunefouledechosessurtout:lebase-ball, les oiseaux tropicaux, lesOVNI, tout çagrâce auxdocumentaires.Et enmême temps, je neconnaissaisrienàrien.
Quelquefois,mamèrelesregardaitavecmoi,maislaplupartdutemps,c’étaituneactivitésolitaire.Mamèrem’adorait,maisellenem’appréciaitpasbeaucoup.Enfait,cen’étaitpasvrai.Quandelleétaitsobre,mamèrem’aimaitcommesij’étaissonmeilleurami.Sousl’influencedeladrogue,c’étaitunmonstre,etdepuisquelquetempselleétaitdanscetétaten
permanence.Mamèresobrememanquaitparfois.Quelquefois,enfermantlesyeux,jemerappelaislesondeson
rireetlacourburedeseslèvresquandelleétaitheureuse.Arrête,Logan!
Je détestais cette faculté qu’avait mon esprit de se rappeler. Les souvenirs étaient autant depoignardsplantésdansmonâme,etj’enavaistrèspeudepositifsauxquelsmeraccrocher.
Mais jem’enfichais,parcequejem’arrangeaispourplanersuffisammentpouroubliermaviedemerde,oupresque.Sijerestaisenfermédansmachambre,avecunstockdedocumentairesetdelabonneherbeàfumer, j’arrivaispresqueàoublierque,quelquessemainesplus tôt,mamèreétaitplantéeàuncoinderueàessayerdevendresoncorpsenéchangedequelqueslignesdecoke.
C’était un coupde fil que j’aurais préféréne jamais recevoir demonpote Jacob, quime l’avaitappris.
«Mec,jeviensdevoirtamèreaucroisementdeJeffersonetdeWellsStreet.Jecroisqu’elle…heu…Jecroisquetuferaismieuxderappliquer.»
Mardimatin,j’étaisassisdansmonlit,lesyeuxauplafond,undocumentairesurl’artisanatchinoisenguisedemusiquedefond,quandellem’aappelé.
–Logan!Logan!Logan,viensici!Jerestaiimmobile,espérantqu’ellecesseraitdem’appeler,maisrienàfaire.Jemelevaidemon
matelas et sortis de ma chambre pour trouver ma mère assise à la table de salle à manger. Notreappartementétaitminusculemaisnousn’avionspasgrand-chosepour lemeubler,de toutemanière.Uncanapédéfoncé,unetablebassepleinedetaches,unetableettroischaisesdépareillées.
–Qu’est-cequetuveux?–Jevoudraisquetufasseslesvitresdel’extérieur,Logan.ElleseservitdulaitdansunbolfêléetyajoutacinqCheerios.Elledisaitqu’ellefaisaitunnouveau
régime, parce qu’elle ne voulait pas grossir.Moi, je la trouvais déjà squelettique. Elle ne devait paspeserplusdesoixantekilospourunmètresoixante-quinze.
Elleavaitl’airépuisée.Avait-elledormilanuitdernière,aumoins?Elle avait les cheveux en bataille cematin-là, mais ce n’était pas pire que tout le reste de son
existence.Elleavaittoujoursl’airnégligée,jen’arrivaispasàmerappelerl’avoirvueautrement.Ellesemettaittoujoursduvernisàonglesledimanchematin,maisilétaitinvariablementécaillédèsledimanchesoir, et ses ongles restaient comme ça toute la semaine jusqu’au dimanche suivant où ellerecommencerait.SesvêtementsétaienttoujourssalesetellevaporisaitduFebrèzedessusàquatreheuresdumatinavantde les repasser.Ellecroyaitque leFebrèze remplaçaitavantageusementunevisiteà lalave-rieautomatiqueduquartierpourlavernosvêtements.
Jen’étaispasd’accordavecçaet,dèsquejelepouvais,jesubtilisaissesvêtementspourallerleslaver.Laplupartdesgensneprêtaientprobablementpasattentionauxpiècesdemonnaie trouvéesparterre,maisàmesyeuxcelapouvaitreprésenterunpantalonproprecettesemaine-là.
–Ilsontditqu’ilallaitpleuvoirtoutelajournée.Jelesferaidemain.Jene les feraispas,en réalité.Elleauraitoubliéd’ici là.Enplus, je trouvaisunpeuridiculede
fairelesvitresdenotreappartementsansbalconautroisièmeétage.Surtoutquandilpleuvait.J’ouvris le frigoet je regardai fixement lesétagèresvides.Cela faisaitdes joursqu’ilétaitvide.
Mesdoigtsrestaientcoincéssurlapoignéedelaporte.Jel’ouvrisetlerefermaipresquecommesidela
nourriture allait apparaître comme par magie pour remplir mon estomac qui protestait. À ce momentprécis,laported’entrées’ouvritetmonfrèreKellanapparutderrièremoicommelesorcierqu’ilétait,unsacdecoursesàlamainetsecouantlapluiedesonblouson.
–Tuasfaim?demanda-t-ilenmedonnantuncoupdecoude.Peut-êtrequemamannemangeaitquedesCheeriosparcequ’onn’avaitriend’autre.Kellanétaitlaseulepersonneenquij’avaisconfiance,endehorsd’Alyssa.Onauraitpupasserpour
des jumeaux, saufqu’il était plus fort, plusbeauet plus stable. Il avait les cheveuxcoupés très court,classiques,desvêtementsdemarqueetpasdepochessous lesyeux.Lesseulsbleusquisoient jamaisapparus sur sa peauprovenaient d’un tacle pendant unmatchde foot à la fac, ce qui n’arrivait pas sisouvent.
Ilavaitlachanced’avoirunemeilleurevie,toutsimplementparcequ’ilavaitunmeilleurpère.Sonpèreétaitchirurgien.Monpèreétaitplutôtungenredepharmacienderuequidealaitde ladrogueauxjeunesduquartier,etàmamère.
L’ADN:parfoisongagne,parfoisonperd.–Purée,dit-ilenregardantdansleréfrigérateur.Cequejevousaiapporténevapassuffire.–Etd’abord,commenttusavaisqu’onn’avaitrienàmanger?jeluidemandaienl’aidantàranger
lescourses.– C’estmoi qui l’ai appelé, ditmamère enmangeant un de ses Cheerios et en avalant son lait
bruyamment.C’estpastoiquivasnousnourrir.Jeserrailespoingsetjememartelailesflancs.Jesoufflaiparlenez,pouressayerdecontenirma
colère. Je ne supportais pas queKellan doive venir à notre secours si souvent pour nous protéger denous-mêmes.Ilméritaitd’êtreloin,trèsloindecemodedevie.
–J’iraichercherd’autrestrucsetjevouslesapporteraiaprèsmoncoursdusoir.–Tuhabitesàuneheured’ici.Tun’espasobligédevenirunedeuxièmefois.Ilnerelevapasmaremarque.–Ilvousfautdestrucsenparticulier?–Delabouffe,ceseraitbien,jegrognaienmêmetempsquemonestomac.Ilmitlamaindanssonsacàdosetensortitdeuxsacsenpapierbrun.–Voilàdelabouffe.–Tuasfaitlacuisinepournous,enplus?–Ben,plusoumoins.Ilposalessacssurleplandetravail.Diverstrucsàmanger,crus.–Jemesouviensquequandtuesvenupasserquelquetempschezmoi,onasouventregardécette
émissiondecuisineoùonvousdonnedesingrédientsauhasardetilfautcuisinerunrepas.Alyssam’aditquetuvoulaisdevenirchef.
–Alyssaparletrop.–Elleestdinguedetoi.Jenediscutaipas.
–Alors,dit-ilavecunsourireenmelançantunepommedeterre.J’aiunpeudetempsavantd’allerbosser.Improvisequelquechose,chef!
Etc’estcequej’aifait.Nousnoussommesassistouslesdeuxpourmangermescroque-monsieuraujambon,faitsavectroissortesdefromagedifférentsetunesauceaïoli.Commeaccompagnement,j’avaisfaitdesgalettesdepommedeterreavecduketchupépicé,aromatiséaubacon.
–C’estcomment?jedemandai,lesyeuxrivéssurKellan.Çateplaît?Sansréfléchir,jeposailamoitiédemonsandwichdevantmamère.Ellerefusad’unsignedetête.–Jesuisaurégime,murmura-t-elleenmangeantsondernierCheerio.–Purée,Logan,soupiraKellansansreleverlecommentairedemamère–untrucquej’auraisaimé
êtrecapabledefaire.C’estsuper-bon.Jesouris,fiercommeunpaon.–Vraiment?–Encroquantdans lesandwich, j’ai faillim’évanouir tellementc’estbon.Si jedevaiscroireau
paradis,ceseraitseulementgrâceàcesandwich.Monsourires’élargit.–C’estvrai?Onpeutdirequejemesuissurpassé.–Génial,putain.Jehaussailesépaulesenprenantl’airsatisfait.–Oui,jem’étonnemoi-mêmeparfois.JenesavaiscommentremercierKellan–jenem’étaispassentiaussibiendepuisuntempsfou.Un
jourpeut-être,jepourraisfairedesétudes…Alyssaavaitpeut-êtreraison.–Maisilfautquej’yaille.T’essûrquetuneveuxpasquejetedéposequelquepart?J’avais très envie de sortir de cet appartement, ça c’est sûr.Mais je ne savais pas simon père
n’allait paspasser et je nevoulais pasquemamère se retrouve seule avec lui.Chaque fois que celaarrivait,jelaretrouvaisavecplusd’hématomesquequandjel’avaisquittée.
Ilfautêtrepossédéparuncertaintypededémonspourleverlamainsurunefemme.–Non,çaira.Jebosseàlastation-servicetoutàl’heuredetoutefaçon.–C’estàaumoinsuneheuredemarched’ici,non?–Non,troisquartsd’heure.C’estok.–Tuveuxdel’argentpourlebus?–Jepeuxmarcher.Il prit de l’argent dans son portefeuille et le posa sur la table. Puis il se pencha vers moi et
murmura:–Écoute,sijamaistuveuxvenirchezmonpère,c’estplusprèsdetonboulot…–Tonpèremedéteste.–Maisnon.Jeluilançaiunregardquivoulaitdire«turigoles?».
–Bond’accord.Tun’espeut-êtrepaslapersonnequ’ilpréfère,maisilfautdireaussiquetuasvolétroiscentsdollarsdanssonportefeuille.
–Ilfallaitbienquejepayeleloyer.–D’accord,maisLogan,tapremièreidéen’auraitpasdûêtredelesvoler.–Çaauraitdûêtrequoi,alors?Jecommençaisàmesentirvexé,surtoutparcequejesavaisqu’ilavaitraison.–Jenesaispas,peut-êtrelesdemander.–Jen’aipasbesoinqu’onm’aide.Çaatoujoursétécommeçaetçaleseratoujours.J’avais l’orgueil très agressif. Je comprenais pourquoi certains l’appelaient le plus mortel des
péchés.Kellan fronça les sourcils, ilvoyaitbienque j’avaisbesoind’uneéchappatoire.Quandon restait
troplongtempsdanscetappartement,ondevenaitfou.–Commetuveux.Ilallaversmamanetposaleslèvressursonfront.–Jet’aime,Maman.Ellesouritplusoumoins.–Aurevoir,Kellan.Ilvintderrièremoietposalesmainssurmesépaulespourmeparleràvoixbasse.–Elleestencoreplusmaigrequeladernièrefoisquejel’aivue.–Ouais.–Çamefaitpeur.–Ouais,moiaussi.Soninquiétudeselisaitsursonvisage.–Net’enfaispas.Jetrouveraiunmoyendeluifairemangerquelquechose.Soninquiétudenesemblapassedissiper.–Toiaussi,tuasl’aird’avoirmaigri.–C’estjusteunequestiondemétabolisme,dis-jeenplaisantant.Celanelefitpasrire.Jeluimisunetapedansledos.–Sérieusement,Kel.Jevaisbienetjevaislaconvaincredemanger.Jeteprometsd’essayerentout
cas.Ilpoussaungrossoupir.–D’accord?Àtoutàl’heure.Situn’espasrentréduboulotquandjerepasseraicesoir,onseverra
lasemaineprochaine.Kellanfitaurevoirdelamain,maisquandilallaitsortirdel’appartement,jelerappelai.–Ouais?Jehaussail’épaulegauche.Ilhaussal’épauledroite.C’étaitnotrefaçondenousdire«jet’aime».Ilcomptaittellementpourmoi.Ilétaitlapersonneque
jerêvaisdedevenirunjour.Maisnousétionsdeshommes,etleshommesnesedisentpas«jet’aime».
Pourtoutdire,jeneledisaisàpersonne.Enmeraclantlagorge,jehochailatête.–Encoremerci.Pour…Jehaussail’épaulegauche.–…tout.Ilmefitunpetitsourireethaussal’épauledroite.–Jet’enprie.Surce,ils’enalla.Monregardtombasurmamèrequiparlaitàsonboldelait.Évidemment…–Kellanestlefilsparfait,murmura-t-elleaulaitavantdetournerlatêteversmoi.Ilesttellement
mieuxquetoi.Mamansobreoùes-tu?–Ouais,dis-jeenmelevantpouremportermonassiettedansmachambre.D’accord,M’man.–C’estvrai.Ilestbeau,ilestintelligentetilprendsoindemoi.Toi,t’enfouspasune.–C’estça.J’enfouspasunepourtoi,jemarmonnaienm’éloignant.Jen’avaissurtoutpasenviederentrerdanssondélirecematin-là.Jesursautaiquandunbolvolaenpassantaurasdemonoreillegauchepourallersefracassercontre
lemurenfacedemoi.Dulaitetdesmorceauxdeverre jaillirent toutautourdemoi.Je tournai la têteversmamère,ellemeregardaitavecunsouriresournois.
–Etjeveuxquecesvitressoientnettoyéesaujourd’hui,Logan.Immédiatement.J’aiuncopainquidoitvenirmecherchercesoiretcettemaisonestdégueulasse.Ettumenettoierasaussitoutcebazar.
Mon sang se mit à bouillir, parce que c’était elle qui était dégueulasse. Comment est-ce qu’onpouvaitenarriverlà?Etquandonétaittombésibas,yavait-illamoindrechancedeserelever?Tumemanquestellement,M’man…
–Jenenettoierairiendutout.–Si,tuvaslefaire.–Avecquituasrendez-vous,M’man?Elleseredressasursonsiègecommesielleétaitunesortedeprincesseroyale.–C’estpastesaffaires.–Ahbon?Parcequejesuispratiquementsûrqueladernièrepersonneaveclaquelletuessortie,
c’étaituneespècedesalopardquit’aramasséesurletrottoir.Etlafoisd’avant,c’étaitmonbranleurdepère,ettuesrentréeavecdeuxcôtescassées.
–Ne t’avisepasdeparlerde luicommeça. Ilestbonavecnous.Quiest-cequipaie lamajeurepartiedenotreloyer,d’aprèstoi?Entoutcas,cen’estcertainementpastoi.
Un jeune demême pas dix-huit ans, tout juste sorti du lycée qui n’arrivait pas à payer le loyer,j’étaisvraimentunloser.
–J’enpaielamoitié.Toi,tunepeuxpasendireautant,etlui,c’estrienqu’uneordure.
Elle tapa des deuxmains sur la table, furieuse que je dise cela. Son corps était pris d’un légertremblementetelleétaitdeplusenplusagitée.
–Lui,c’estunhomme,bienplusquetuneleserasjamais!–Ahoui?Jemeprécipitai sur elle et jememis à fouiller sespoches, sachant exactement ceque j’allaisy
trouver.–C’estunhomme,unvrai?Etpourquoiça?Jetrouvailepetitsachetdecocaïnedanssapochearrière.Lorsquejelesecouaidevantelle,jevis
lapaniqueserépandresursonvisage.–Arrête!Elleessayademelereprendre.–Non,jecomprends.Iltedonneça,etc’estçaquifaitdeluiunhommemeilleurquecequejene
seraijamais.Iltefrappe,parcequec’estunhomme,unvrai.Iltecracheàlafigureettetraitecommeunemerde,toutçaparcequ’ilestmeilleurquemoi.C’estça?
Je la vis commencer à craquer, pas sous l’effet de mes paroles, je suis sûr qu’elle n’entendaitpratiquement jamais ce que je lui disais, mais elle craquait parce qu’elle avait peur que sa poudreblanchechérienesoitendanger.
–Donne-lamoi,Lo!Arrête!Sesyeuxétaientvidesetc’étaitunpeucommesijemebattaiscontreunfantôme.Avecunprofond
soupir, je lançai le sachet sur la tableetelle s’essuya lenezavantde l’ouvriretde sortir sa lamederasoirpourdessinerdeuxlignesdecokesurlatabledelasalleàmanger.
–Tuesuneépave.Uneputaind’épave,ettunet’ensortirasjamais,jeluidisalorsqu’ellesniffaitlapoudre.
–Çatevabiendedireçaalorsquetuvasprobablementallert’enfermerdanstachambreetsniffertaproprerécompense,cellequetonpapat’adonnée.C’estlegrandméchantloup,maislepetitchaperonausweatàcapucherougecontinuedeluidirederevenirpouravoirsadose.Tutecroismeilleurquemoi,ouquelui?
–Oui,parcequejelesuis.Jeconsommais,maispastrop.Jecontrôlais.Jen’abusaispas.J’étaismeilleurquemesparents.Illefallait.–Tutetrompes.Tuashéritécequ’ilyavaitdepireenchacundenousdeux.Kellan,lui,ilestbien,
etilleseratoujours.Maistoi–ellesefitdeuxautreslignesdecoke–,çam’étonneraitquetunesoispasmortavanttesvingt-cinqans.
Moncœur.S’arrêtadebattre.Cesmots, sortant de sa bouche, déclenchèrent une onde de choc qui se propagea dans toutmon
corps. Elle n’avaitmême pas flanché en les prononçant, et je sentis quelque chosemourir enmoi. Je
voulaisfairetoutlecontrairedecequ’ellemeprédisait.Jevoulaisêtrefort,stable,dignedevivre.Maisenmêmetemps,j’étaiscommelehamsterdanssaroue.Jetournais,jetournaisetjen’arrivaisjamaisnullepart.J’entraidansmachambre,claquailaporteetmeperdisdanslemondedemespropresdémons.Je
me demandai ce qu’il serait advenu si je n’avais jamais dit bonjour à mon père toutes ces annéesauparavant.Jemedemandaicequ’ilseraitadvenusinoscheminsnes’étaientjamaiscroisés.
***
Logan,septansJ’ai rencontrémonpèresous leporchede lamaisond’unétranger.Mamèrem’avaitemmené
avecellecesoir-làetm’avaitdemandéde l’attendreà l’extérieurdecettemaison.Ellem’avaitditqu’ellen’enavaitpaspourlongtempsetqu’ensuitenousrentrerionsàlamaison,maisj’avaisdevinéqu’elleetsesamiss’amusaientbeaucoupplusqu’ilsnel’avaientprévu.
Leporcheétaitdélabréetmonsweatàcapucherougen’étaitpas l’idéalpourmeprotégerdufroid,maisjenemeplaignaispas.Mamèredétestaitquejemeplaigne,elledisaitquec’étaitpourlesfaibles.
Il y avait un banc enmétal tout défoncé sous le porche et jem’étais assis dessus, les jambesrepliéescontremapoitrineenattendant.Lapeinturegrisedelarambardeduporches’écaillaitetleslattesdeboisétaientfendues,etpuisilyavaitdelaneigegeléequin’étaitjamaisbalayée.
Allez,Maman.Il faisait si froid ce soir-là. Je voyais les volutes demon souffle qui sortaient dema bouche,
alors,pourmedistraire,jen’arrêtaispasdesouffler.Desgensentrèrentetsortirenttoutaulongdelasoiréeetc’esttoutjustes’ilsmeremarquèrent,
assissurlebanc.Jemislamainàmapochearrière,j’ensortislepetitcarnetetlestyloquej’avaistoujours avec moi et je commençai à griffonner. Chaque fois que ma mère n’était pas dans lesparages,jem’occupaisendessinant.
J’aibeaucoupdessinécesoir-làjusqu’àcequejememetteàbâiller.J’aifiniparm’endormir,allongésur lebanc, les jambesremontéesdansmonsweatrouge.Une foisendormi, jen’avaisplusaussifroid,cequiétaitplutôtbien.
–Hé!Unevoixsévèreme tirademonsommeil.Aumomentoù je réussisàentrouvrir légèrement les
yeux,jefusdenouveausaisiparlefroid.Moncorpssemitàfrissonner,maisjenem’assispas.–Hétoi!Qu’est-cequetufouslà,bordel?Lève-toi.Jem’assisetmefrottailesyeuxenbâillant.–Mamamanestàl’intérieur.Jel’attends.J’accommodaimonregardsurletypequimeparlaitetmesyeuxs’arrondirentdefrayeur.Une
grandecicatrice luibarrait lecôtégaucheduvisageetaccentuait sonairmauvais.Sescheveuxen
batailleétaientparsemésdefilsblancsetsesyeuxmefaisaientunpeupenserauxmiens.Marronetsanséclat.
–Ahouais?Etçafaitcombiendetempsquetuattends?Uneespècedecigarettependaitentreseslèvres.Jelevaislesyeuxverslecielquis’étaitobscurci.Quandnousétionsarrivés,mamèreetmoi,il
faisaitjour.Jen’aipasréponduautype.Ilgrognaets’assitàcôtédemoi.Jemepoussaiversleborddubancaussiloindeluiquejepouvais.
–Détends-toi,gamin.J’vaispastefairedemal.Tamère,c’estunetoxico?Je ne savais pas ce que cela voulait dire, alors jeme suis contenté de hausser les épaules. Il
ricana.–Sielleestlà-dedans,c’estquec’estunetoxico.Commentelles’appelle?–Julie,jemurmurai.–Juliecomment?Seslèvress’entrouvrirentlégèrementetilpenchalatêteenmeregardant.–Tamère,c’estJulieSilverstone?Jefisouidelatête.–Etellet’alaissétoutseul,là,dehors?Jehochailatêteencoreunefois.–Quellesalope!Il se leva du banc, les poings serrés, et se dirigea vers la porte. Tout en ouvrant la porte
moustiquaire,ilfitunepause.Ilpritlacigarettequ’ilavaitentreleslèvresetmelatendit.–Tufumesdel’herbe?Cen’étaitpasdutoutunecigarette.J’auraisdûm’endouterd’aprèsl’odeur.–Non.Ilplissalefront.–TuasbienditJulieSilverstone,non?J’acquiesçaipourlatroisièmefois.Ilmemitlejointdanslamain.–Alors,tufumesdel’herbe.Celavateréchauffer.Jereviensavectasalopedemère.–Cen’estpasune…Ilclaqualaportesansattendrelafindemaphrase.–…salope.Jetenaislejointentremesdoigtsetfrissonnaidefroid.Çavateréchauffer.J’étaisfrigorifié.Alors,j’aiprisunetaffe.Jemesuisétoufféentoussant.J’aitoussécommeunmaladependantunlongmomenttoutenécrasantlejointparterre.Jene
comprenais pas ce qu’on pouvait trouver à ce truc-là, ni pourquoi les gens fumaient. C’est à cemoment-làquej’aijurédenejamaisrecommencer.
Quand l’hommeest ressorti, il tiraitmamèrederrière lui.Elleétaitàmoitiéendormieetelletranspirait.
–Arrêtedemetraînercommeça,Ricky,hurla-t-elleautype.–Ferme-la,bonDieu,Julie.Tuaslaissécefichugamindehorstoutelasoirée,espècedeputain
detoxico!Jeserrailespoingsetbombailetorse.Commentosait-ilparlercommeçaàmamère!Ilnela
connaissaitpas.C’étaitmameilleureamie,aprèsmonfrèreKellan.Etcetypen’avaitaucundroitdeluiparlersurce ton.Kellanauraitété furaxs’il l’avaitentendu.Heureusement, iln’étaitpas là, ilétaitpartiavecsonpèrepouruneexpéditiondepêchedanslaglaceouuntrucdugenre.
Jenesavaismêmepasqu’onpouvaitpêcherquand ilyavaitde laglace,maisKellanm’avaittoutexpliquélasemaineprécédente.Mamèreavaitditquelapêchedanslaglace,c’étaituntrucdepaumésetdelosers.
–Je te l’aidit,Ricky!Jeneconsommeplus.Je…je te jure,bégaya-t-elle.Jesuis justepassépourdirebonjouràBecky.
–Ben tiens, répliqua-t-il endescendant les escaliers tout encontinuantà la tirerpar lebras.Amène-toi,gamin.
–Oùest-cequ’onva,M’man?Jemarchaiderrièremamèreenmedemandantcequiallaitsepasser.–Jevousramèneàlamaison,touslesdeux,réponditl’homme.Ilfitasseoirmamèresurlesiègepassageroùelles’affaissaenfermantlesyeux.Puisilm’ouvrit
laportièrearrièreetlarefermaenlaclaquantunefoisquej’étaismontédanslavoiture.–Oùvoushabitez?demanda-t-ilens’installantàlaplaceduconducteur.Ildémarraets’éloignadutrottoir.Savoitureétait rutilanteetplusbelleque toutescellesque j’avaisvues jusqu’ici.Mamèreet
moi, on prenait toujours le bus, alors de me retrouver dans une voiture comme ça me donnaitl’impressiond’êtrecommeunprince.
Mamèresemitàs’agiteretàtousseretfitdeseffortspours’éclaircirlavoix.–Justement,c’estpourçaqu’ilfallaitquejevoieBecky.Monpropriojoueaucon,ilditquej’ai
paspayé lesdeuxderniersmois !Mais j’ai payé,Ricky ! J’aipayé ce connard, et il fait comme sij’avaispaspayé.Alors,jesuisvenuevoirBeckypourqu’ellemefiledel’argent.
–Etdepuisquandelleadel’argent,Becky?– Justement, elle n’en avait pas. Elle n’avait pas d’argent.Mais il fallait que j’en sois sûre.
Parcequelepropriom’aditquejenepouvaispasrevenirsijen’avaispasl’argent.Alors,jenesaispasoùonvaaller.TudevraismelaisservoirçaavecBeckyrapidement,marmonna-t-elleenouvrantsaportièrependantqu’onroulait.
–M’man!–Julie!
Rickyetmoiavionscriéenmêmetemps.JetendislamaindepuislesiègearrièrepourattrapersonT-shirt,etillatiraparlamanchepourlaramenerversluienrefermantlaportière.
–Tuesfolleouquoi?ilhurla,lesnarinesdilatées.BonDieu,jepaieraitonloyerdemain,maiscesoirvousallezvenirchezmoi.
– Tu ferais ça, Ricky ? Seigneur, on t’en serait super-reconnaissants. Pas vrai, Lo ? Je terembourserai,jeterembourseraijusqu’auderniercentime.
Jefisouidelatête,sentantenfinlachaleurdelavoiturem’envahir.Delachaleur.–Jevaisaussidonneràmangeràcegamin.Celam’étonneraitquetut’ensoisoccupée.Il sortit un paquet de cigarettes de sa poche et un briquet en forme de danseuse hawaïenne.
Quandilallumalebriquet,ladanseusesemitàbougerdegaucheàdroite.J’étaishypnotiséparcemouvement, incapabled’endétachermonregard.Mêmeaprèsavoirallumésacigarette, ilcontinuadel’allumeretdel’éteindresansarrêt.
LorsquenousarrivâmeschezRicky, je fuséblouipar toutcequ’ilyavaitdans l’appartement.Deuxcanapésetunénorme fauteuil,des tableaux,une immense télévisionavec lecâbleet,dans leréfrigérateur,suffisammentdevictuaillespournourrirlemondeentier.
Après le repas, ilm’installa surundesdivans et jem’assoupis en les écoutant chuchoter,mamèreetlui,danslecouloiràcôté.
–Ilatesyeux,marmonna-t-elle.–Ouais,jesais.Jepercevaisdelarancœurdanssavoix,mais jenesavaispaspourquoi.J’entendissespasse
rapprocherdemoietlorsquej’ouvrislesyeux,jelevisquisepenchaitsurmoi.Ilcroisalesdoigtsetplissalesyeux.
–T’esmongamin,tusais?Jenerépondispas.Qu’est-cequejepouvaisdire?Unsourirenarquoisrelevalacommissuredeseslèvres,ilallumaunecigaretteetmesoufflala
fuméedirectementdanslafigure.–Net’enfaispas,Logan.Jevaism’occuperdetoietdetamère.Promis.
***
Àquatreheuresdumatin,quandjefinisparredescendredemontrip,jerestaiallongésurmonlit,lesyeuxauplafond.
Moi:Tuesréveillée?Jefixaimontéléphoneenattendantquelesellipsesapparaissent,envain.Quandilsonna,jeretins
monsouffle.–Jet’airéveillée?jedemandaiàAlyssa.
–Justeunpeu.Qu’est-cequis’estpassé?–Rien.Toutvabien.Jementais.Tuserasmortavanttesvingt-cinqans.–C’étaittamèreoutonpère,cettefois?Elledevinaittoujours.–Mamère.–Elleétaitdéfoncéeouelleétaitsobre?–Défoncée.–Tuascrucequ’ellet’aditoupas?Jemarquaiuntempsd’hésitationenallumantetéteignantmonbriquet.–Oh,Lo.–Excuse-moidet’avoirréveillée.Jepeuxraccrocher.Rendors-toi.– Je n’ai pas sommeil, dit-elle en bâillant.On reste au téléphone jusqu’à ce que tu réussisses à
t’endormir,d’accord?–D’accord.–Tuesquelqu’undebien,LoganFrancisSilverstone.–Jesuisquelqu’undebien,AlyssaMarieWalters.Même si celame semblait êtreunmensonge, c’enétait unque je croyaispresque toujoursquand
c’étaitellequiledisait.
4LOGAN
Je n’avais jamais vraiment fêtémon anniversaire avant de rencontrerAlyssa il y a deux ans.Kellanm’emmenaitaurestaurantetj’adoraisça.Ilétaitsuperpourmerappelerquejen’étaispasseulaumonde,maisAlyssaenfaisaitunpeupluschaqueannéepourmonanniversaire.Ilyadeuxans,nousétionsallésà Chicago pour voir un documentaire sur Charlie Chaplin dans un vieux cinéma, puis elle m’avaitemmenédansunrestaurantchicpourlequelmatenueétaitloindeconvenir.Ellevenaitd’unmilieuoulesdînerschicétaientmonnaiecourante,etmoijevenaisd’unmondeoùonn’étaitmêmepassûrdedînertouslesjours.Elleavaitremarquémonmalaise,etnousavionsfiniparmarcherdanslesruesdeChicagoenmangeantdeshot-dogs,etparallersousleharicotgéant1.
Cefutlepremierplusbeaujourdemavie.Ilyaunan,ilyavaitunfestivaldecinémadanslenordduWisconsin,etelleavaitlouéunchalet
pournous.Onestallésvoirensembletouslesfilmssansexception,pendanttoutleweek-end.Onrestaitdebout tard dans la nuit à débattre : quels films nous inspiraient ? Lesquels avaient été faits par despersonnesprobablementsousacide?
Cefutledeuxièmeplusbeaujourdemavie.Maisaujourd’hui,c’étaitdifférent.Aujourd’huic’étaitmondix-huitièmeanniversaire, ilétaitplus
deonzeheuresdusoiretAlyssanem’avaitpasappelédetoutelajournée.Assisdansmachambre,jeregardaisleDVDsurJackieRobinson2toutenécoutantmamèretituber
dans l’appartement.Unepilede factures s’entassait à côtédemon lit et j’avais l’estomacnouépar lacraintedenepaspouvoirpayerleloyer.Sinousn’arrivionspasàlefaire,monpèren’allaitjamaisnouslaissertranquilles.Etsijeluidemandaisdenousaider,j’étaiscertainquemamanenferaitlesfrais.
Jepassailamainsousmonlitetensortisuneenveloppe,pourvérifierl’argentquej’avaisréussiàmettredecôté.L’inscriptionsurl’enveloppemefitmalaucœur.
Fraisd’inscriptionpourlafac.Quelleblague!Je comptai l’argent.Cinq cent cinquante-deux dollars. Cela faisait deux ans que j’économisais,
depuisque,grâceàAlyssa,ilnemesemblaitplusimpossibledelefaire.Jepassaisbeaucoupdetempsàpenserqu’unjourj’auraisassezd’argentdecôtépourfairedesétudes,avoirunbonmétieretacheterunemaisonoùnouspourrionshabiter,mamanetmoi.
Nousn’aurionsplusjamaisàdépendredemonpèrepourquoiquecesoit–lamaisonseraitànous,rienqu’ànous.Onseraitcleanaussi.Plusdedrogue,rienquedubonheur.Simamanpleurait,ceseraitparcequ’elleseraitheureuseetplusparcequ’illabattait.
Ma mère sobre réapparaîtrait, celle qui me bordait dans mon lit quand j’étais petit. Celle quichantaitetdansait.Cellequisouriait.Avant.
Celafaisaitbienlongtempsquejen’avaispasvucetaspectdemamère,maisquelquepart,jemeraccrochaisàl’espoirqu’unjourellereviendrait.
Ilfautqu’ellemerevienne.Ensoupirant,jesortisdel’enveloppeunepartiedel’argentdestinéàpayermesétudespourpayer
lafactured’électricité.Plusquetroiscentvingt-troisdollars.Aveccegeste,monrêvedevenaitencoreunpeuplusinaccessible.Jesortisuncrayonetjememisàgriffonnersurlafactured’électricité.Dessineretm’abrutirdevant
des documentaires étaientmes principauxmoyens d’échapper à la réalité.Depuis peu apparaissait enplusdansmatêteunefillebizarreauxcheveuxbouclésquisouriaitetquiparlait trop.Alyssaoccupaitbeaucoupplusmespenséesqu’ellen’auraitdû.Cequiétaitcurieux,parcequejen’enavaispasgrand-choseàfoutredesgensoudecequ’ilspensaientdemoi.
Tenir aux gens leur permettait trop facilement de me prendre la tête, qui était déjà bien assezdémolieparmonamourpourmatorduedemère.
–Non!Lecriprovenaitdusalon.–Non,Ricky,jenel’aipasfaitexprès.Monestomacseserra.Monpèreétaitlà.Jemelevaidemonmatelasetmeprécipitaidanslapièce.Monpèreétaitcostaud,ilyavaitplusde
grisquedenoirdans ses cheveux,plusde sourcils froncésquede sourires sur sonvisage, et plusdehainequed’amourdanssoncœur.Ilétaittoujoursencostumecravate.Descostumesquiavaientl’airdecoûtercher,etdeschaussuresencroco.Toutlemondedanslequartiersavaitqu’ilvalaitmieuxgarderlatêtebaisséeenlecroisant,parcequelesimplefaitdeleregarderdanslesyeuxpouvaitêtredangereux.C’étaitlapirebrutequisebaladaitdanslesruesetjelehaïssaisduplusprofonddemonêtre.Toutenluimedégoûtait,maiscequejedétestaisleplus,c’étaitquej’avaissesyeux.
Chaquefoisquejeleregardais,jevoyaisunepartiedemoi.
Mamèretremblaitdansuncoindelapièceensetenantlajouequiportaitlamarquedelamaindemonpère.Jeleviss’apprêteràlagiflerdenouveau,alorsjememisentraversdesoncheminetc’estmoiquiprislecoup.
–Laisse-latranquille,jedisenessayantdefairecommesijen’avaispasmal.–Çan’teconcernepas,Logan.Pousse-toidelà.Tamèremedoitdel’argent.–Je…jel’aurai,j’tejure.Laisse-moiunpeudetemps.J’aiunentretienausupermarchéauboutde
laruecettesemaine.Elle mentait. Ma mère n’avait pas cherché de boulot depuis des années, et pourtant elle disait
toujoursavoircesmystérieuxentretiensquinedébouchaientjamaissurrien.–Jecroyaisqu’ellet’avaitdéjàremboursé.Ellet’adonnédeuxcentsdollarsleweek-enddernier.–Etelleenarepristroiscentsilyadeuxjours.–Maispourquoitucontinuesàluidonnerdel’argent?Tusaisqu’ellenepeutjamaistelerendre.Ilattrapamonbrasenenfonçantlesdoigtsdansmapeau,mefaisantflancher.Ilmetraînadel’autre
côtédelapièceetsepenchasurmoi.–Pourquituteprends,bordel?Tucroisquetupeuxtepermettredemerépondrecommeça,hein?–Jepensaisseulement…Ilmedonnauneclaquesurl’arrièredelatête.–Tunepensaisriendutout.C’estuneconversationentretamèreetmoi.Net’enmêlepas.Ilme frappa encore une fois, plus fort. Il serra le poing et quand celui-ci rencontramonœil, je
pleurnichaidedouleur.Monpèrerepartitversmamèreetmoi,commeunidiot,jemeremisdevantelle.–Tuasenviedemourir,Logan?–Jevaispayer,jedisenessayantdemegrandir,mêmesijemesentaisminusculechaquefoisque
j’étaisàcôtédelui.Attendsuneseconde.Jeme précipitai dansma chambre, passai lamain sousmonmatelas et en sortis l’enveloppe. Je
sentaismonœilcommenceràenflerpendantquejecomptaisl’argent.Plusquevingt-troisdollars.–Tiens,jedisenposantbrusquementl’argentdanslesmainsdemonpère.Ilmeregardaenplissantlesyeuxavantdesemettreàcompter.Ilmarmonnaitdanssabarbe,maisje
m’enfichais.Laseulechosequejevoulais,c’étaitqu’ilparte.L’argentdisparutdanssapochearrière.–Vous ne vous rendez pas compte de la chance que vous avez dem’avoir, tous les deux.Mais
n’allezpasvousimaginerquejevaiscontinueràpayervotreloyer.J’avaisenviededire:Onn’apasbesoindetoi.Va-t’enetnereviensplusjamais.Jerêvaisdeluicrierça,maisjen’ouvrispaslabouche.Ilsedirigeaversmamèreetjelavistressaillirquandilluicaressalajoue.–Tusaisquejet’aime,hein,Julie?Ellehochalentementlatête.–Jesais.
–Laseulechosequejeveux,c’estqu’onsoitheureux.Pastoi?Ellehochalatêteencorepluslentement.Ilsepenchasurellepourl’embrassersurleslèvresetj’auraisaiméluimettrelefeu.Jevoulaisle
voirbrûleretsetordrededouleuràcausedelafaçondontilseservaitd’elle,ladiminuaitetcrachaitsursonâme.
Mais j’auraisaussivoulucriercontremamère,parcequ’elle luirendaitsonbaiser.Quandilsseséparèrent,elleleregardacommes’ilétaitsonDieu,alorsqu’enfaitc’étaitSatanencostumedeluxe.
– Logan, dit-il en se dirigeant vers la porte. Si jamais tu veux un vrai boulot, un vrai boulotd’homme,jesuissûrquejepourraitefaireentrerdansl’affairedelafamille.Cen’estpasavecl’argentdepochequetutefaisquetuirasloin.
–J’suispasintéressé.Sonsinistresourirearrogantreparutsurses lèvres.Je luifaisais lamêmeréponsechaquefois,et
chaquefoisilsouriaitcommes’ildétenaitunsecret.Unefoisqu’ilfutsorti,jerelâchailesoupirquejeretenais.
–Qu’est-cequinetournepasrondcheztoi?En criant, ma mère se jeta sur moi pour me frapper la poitrine. Surpris, j’attrapai ses maigres
poignets.Ellecontinuaàhurler.–Tuveuxvraimenttoutfairepourmedétruire?–Jeviensdel’empêcherdet’agresser!–Jenesaispasdequoituparles.Ilnem’auraitpasfaitdemal.–Tutefaisdesillusions.Ilétaitprécisémententraindetefairedumal.–Lâche-moi,pleurnicha-t-elleenessayantdedégagersespoignets.Jelalâchai.Immédiatementellelevalamainetmegiflaviolemment.–Net’aviseplusdetemêlerdemavie.Tum’entends?–Ouais,dis-jetoutbas.Ellepointasonindexversmonvisage,leregarddur.–Tum’entends?–Ouais,dis-jeencriant.Jet’entends.Maisc’étaitunmensongeéhonté.Sijamaisjerevoyaismonpèreleverlamainsurelle,unenouvellefoisjem’interposeraisencore.
Jemebattraispour ladéfendre.Jeseraissavoix,mêmesicelavoulaitdireque jeperdais lamienne.Parcequejesavaisquec’étaitàcausedeluiqu’elleétaitdevenuemuette.C’étaitàcausedeluiquelefeuenelleavaitcessédebrûler.
M’man,reviens-moi.Quandl’avais-jeperdue?Était-ellevraimentpartiepourtoujours?Sij’avaiseuunemachineàremonterletemps,jeseraisretournéréparerl’erreurquil’avaitrendue
commeça.Jel’auraisdirigéeverslagaucheplutôtqueversladroite.Jel’auraissuppliéedenejamais
fumer cette première pipe. Je lui aurais rappelé qu’elle était bellemême si un homme lui avait dit lecontraire.J’auraisréparésoncœurquiétaitsidouloureusementendommagé.
J’allaidansmachambreenessayantd’effacermonpèredemamémoire,maiscommechaquefoisqu’ilvenaitcheznous,toutmerevenait.Toutemahaine,toutemacolère,toutemadouleur.Toutrevenaitenvahirmoncerveau,fairetantdebruitdansmatêtequ’ilfallaitquejelefassetaire.
Tuserasmortavanttesvingt-cinqans.Mon cœur paniquait, la douleur battait sousmes paupières et j’étais sur le point de laissermes
démonsrevenir.Ilssemoquaientdemoi,ilsmeblessaient,empoisonnaientlentementmonesprit.Je regardai fixement ma table de chevet où ma seringue reposait toutes les nuits. Je la sentis
m’appeler,medemandantdedonnerauxdémonslanourriturequ’ilsréclamaientpours’enaller.Jevoulaisgagnercesoir-là.Jevoulaisêtrefort,maisjenel’étaispas.Jen’avaisjamaisétéassez
fortetjeneleseraisjamais.Laisse-toifaire.Tuserasmortavanttesvingt-cinqans.Je pris une inspiration, lesmains tremblantes. Je pris une inspiration, le cœur brisé. Je pris une
inspiration,etjefislaseulechosequejesavaisfaire.J’ouvris lentement le tiroir, sur le point de laisser l’obscurité pénétrer en moi, sur le point de
m’évaderdelalumière,quandsoudainunealertesonnasurmontéléphone.Alyssa:Qu’est-cequetufais?Alyssam’envoyaitun textoexactementaumomentoù j’enavaisvraimentbesoin,mêmesi j’étais
vexéqu’elleaitattenduonzeheuresdusoirpourm’écrire.Laseulepersonnequim’avaitsouhaitémonanniversaire,c’étaitKellan,quim’avaitinvitéàdîner.Toutcequemonpèrem’avaitoffert,c’étaitunœilaubeurrenoir,ettoutcequemamèrem’avaitdonné,c’étaitdeladéception.
Alyssaétaitcellesurlaquellejecomptais.C’étaitmameilleureamieetellenem’avaitpasditunmotdelajournée.
Moi:Jesuisdansmonlit.Alyssa:D’accord.Ellipses.Alyssa:Descends.Jemeredressaietrelussesmessages.J’enfilaimestennisprécipitamment,unepairedelunettesde
soleil, mon sweat à capuche rouge, et je sortis à toute vitesse. Alyssa était garée juste en face del’immeuble.Ellemesouriait.Jejetaiuncoupd’œilautourdemoi,desgensbuvaientetfumaientdanslarue.
BonDieu.J’aihorreurquetuviennesici.Surtoutlesoir.Jemontaidanslavoiture,côtépassager,etverrouillailesportièresdèsquejefusinstallé.–Qu’est-cequetufaisAlyssa?–Pourquoit’asdeslunettesdesoleil?–Commeça.
Elletenditlamainetmelesenleva.–Oh,Logan…murmura-t-elleenpassantdoucementlesdoigtssurmonœiltuméfié.Jereculaienricanant.–Tutrouvesçamoche?Tudevraisvoirl’autretype.Çanelafitpasrire.–Tonpère?–Ouais.Maisc’estrien.–Cen’estpasrien.Jen’aijamaisautantdétestéquelqu’undetoutemavie.Ettamère,çava?–Çanevapasdutout,maisçava.Jevisleslarmesmonterdanslesyeuxd’Alyssaetjel’arrêtaitoutdesuite.–Toutvabien,jetepromets.Sionyallait,pourquejepuissepenseràautrechoseunmoment.–D’accord.–Eh…Alyssa?–Oui,Logan?J’essuyaiseslarmesduboutdesdoigtsquejem’autorisaiàlaissers’attardersursesjoues.–Souris.Ellemefitunimmensesouriredecirconstance.Celamesuffit.Elle fit démarrer la voiture et conduisit pendant un temps très long. Nous restâmes silencieux
pendant tout le trajetet jemedemandaicequ’elleavaiten têteexactement.Lorsqu’elle segara sur lebordd’unerueabandonnée,maperplexités’amplifia.
–Sérieux!Qu’est-cequ’onfaitlà?–Viens,dit-elle,ensortantrapidementdelavoitureetensemettantàcourirdanslarue.Cettefillevoulaitmamort–etparmortjevoulaisdirevie.Parceque,depuisqu’elleétaitentrée
dansmavie,jemelibéraisunpeupluschaquejourdemescontraintes.Jelasuivisdeprèsenmedemandantoùelleallait.Elles’arrêtadevantuneéchellequimenaitàunpanneaupublicitaire.–Ta-daaa!Elledansaitsurplace,toutexcitée.–Heu…?–C’esttoncadeaud’anniversaire,idiot!–Moncadeauc’est…uneéchellemenantàunpanneaupublicitaire?Ellelevalesyeuxaucieletsoupiraexagérément.–Suis-moi,dit-elleenmontantàl’échelle.Je fis ce qu’elleme disait.Nous escaladâmes l’échelle la plus haute que j’avais jamais vue.Le
grandpanneaupublicitairedevantlequelnousnousassîmesdisait«2Burgerspour5dollarschezHungryHarry».Jevoyaisbienqu’Alyssaavaitunpeulevertige,parcequ’ellefaisaitdesonmieuxpournepasregarderenbas.Ilyavaitunebalustradequifaisaitletourdupanneauetquinousempêchaitdetomber,maisquandmême,celasemblaitunpeutrophautàsongoût.
–Tuasunpeupeur?C’étaitnouveaupourmoi.–Heu…peut-être? Jepenseque levertigeestquelquechoseque tune saispasque tuasavant
d’être…enhauteur.Entoutcas.Ellefit lentement le tourdupanneaupublicitaireetsortitunpanierdepique-niqueetdespaquets
cadeaux.–Tiens.Ouvretescadeauxd’abord.Jefiscequ’ellemedisait,etjem’effondraipresquequandjevislescadeaux.–Jenesavaispaslesquelstuavaisregardésavectongrand-père,alorsj’aipristouslesDVDque
j’aitrouvés,expliqua-t-elle.JetenaisàlamainunedouzainedeDVDsurlagalaxie,etledocumentairequej’avaisregardéavec
mongrand-pèreenfaisaitpartie.Jemepinçail’arêtedunez.–Seigneur!–Et…Ellefitungestedelamainversleciel.–C’est lemeilleurposted’observationque j’ai pu trouverpour regarder les étoiles la nuit. J’ai
sillonnélavilleenvoiturependantdesjourspourletrouver.C’estsansdoutestupide,maisj’aipenséquetuapprécieraislavue.
Elleplissalefront.–C’est idiot,hein? J’auraisdû fairemieuxqueça.Lesdeuxdernièresannées, c’était tropbien,
maisj’aipenséqueça,ceserait…Jeluiprislamain.Ellesetut.–Merci.Jepassaimamainlibresurmesyeuxetjereniflaiunpeuenhochantlatête.–Merci.–Çateplaît?–J’adore.Jesuisentraindetomberamoureuxdetoi…Jesecouailatêteenm’efforçantd’écartercettepensée.Jenepouvaispasl’aimer.L’amourimpliquaitladouleur.Etelleétaitunedesdeuxseulesbonnes
chosesdemavie.Jeregardailecielànouveau.– Si tu regardes là-haut, tu peux voir la constellation du Scorpion. Chaque mois, certaines
constellations sont plus visibles que d’autres.Elle commence par cette étoile tout en bas, ensuite elles’incurve,puis sedivise en cinqpoints, cequi la fait ressembler àune sortedepissenlit.Antarès est
l’étoilelaplusbrillantedelaconstellation.Mongrand-pèremedisaitquec’étaitlecœurduScorpion.Tulavois?
Jepointailedoigtversleciel.Elleacquiesça.–Selonlamythologie,Orion,lechasseur,sevantaitdepouvoirtuertouslesanimauxdelaplanète.
IlfutvaincuparunscorpionetZeus,quiavaitobservéledéroulementdelabataille,élevalescorpiondanslecielnocturnepourl’éternité.
–C’estbeau.Jel’observaiuninstant,puisjeregardailecieldenouveau.–Oui,c’estvrai.–Çaaussi,c’estbeau,dit-elle.–Quoi?Seslèvresseretroussèrentpendantqu’ellecontinuaitàregarderlesétoiles.–Lafaçondonttumeregardesquandtupensesquejenetevoispas.Moncœurs’arrêtadebattre.Elleavaitremarquéquejelaregardais?–Çat’arrivedem’observer?Ellehochalentementlatête.–Etaprès,quandnousnesommesplusensemble,jefermelesyeuxetjetevoisdansmatête.Dans
cesmoments-là,jenemesensplusjamaisseule.Jesuisentraindetomberamoureuxdetoi.J’avais envie d’ouvrir la bouche et de le lui dire. J’avais envie de lui ouvrirmon âme et de lui
raconter comment je rêvais d’elle en étant éveillé.Mais aussitôt jeme rappelai qui elle était, et quij’étais,moi,etpourquoijenepouvaispasluidireça.
Unsilencegênés’installajusqu’àcequ’Alyssalebrise.–Oh!Jenousaiaussipréparéunpetitsouper,s’exclama-t-elleentendantlamainverslepanierde
pique-nique.Maintenant,jeneveuxpasquetutesentesoffenséparl’excellencedemacuisine.Jesaisquetuasl’habituded’êtrelemeilleurchefdelaville,maisjecroisquejepourraisbient’avoirdépassécettefois-ci.
Elle chercha dans le panier et en sortit une boîte qui contenait des sandwiches au beurre decacahuètesetàlagelée.Jememisàrire.
–J’ycroispas!C’esttoiquiasfaitça?–Entièrement,dudébutàlafin.Àpartlebeurredecacahuètes,laconfitureetlepain.Toutça,je
l’aiprisausupermarché.Mameilleureamie,jevousdis.Jemordisdanslesandwich.–Delaconfituredefruitsrouges?–Delaconfituredefruitsrouges.–C’estlegrandluxe!Ellesourit.Etjemesentismourirunpeu.
–Pourledessert,j’aidesframboisesetça.Ellesortitunpaquetd’Oreos.–J’aisortilegrandjeu,non?Attends.Ellesortitunbiscuit,l’ouvritposauneframboiseàl’intérieuretlereferma.Puiselleentrepritdele
fairevolercommeunavionautourdemabouche.J’ouvrisgrandleslèvres,mordisdedansetgémisdeplaisir.Ellehaussaunsourcil,satisfaite.
–Cesontmescookiesquitefontgémirdeplaisir?–Cesontabsolumenttescookiesquimefontgémirdeplaisir.Ellesedandinaenpoussantunsoupirexagéré.–Sij’avaisreçuundollarpourchaquefoisqu’ungarsm’aditça!–Tuauraiszérodollarzérocent.Ellemefitunpetitsignedédaigneuxetjel’aimaiencoreplus.Jenesavaispascedontj’avaisle
plusenvie,seslèvressurlesmiennesoul’écouterparler.L’idéed’avoirlesdeuxmeravissaitplusquejen’auraisjamaiscru.
Laparole,choisislaparole.–Quelesttonplusgrandrêve?Jemejetaiquelquesframboisesdanslabouche,avantd’enlancerquelques-unesdanslasienne.–Monplusgrandrêve?–Ouais.Quevoudrais-tuêtreoufairedansl’avenir?Ellesemorditlalèvreinférieure.–Jeveuxjouerdupianoetfairesourirelesgens.Lesrendreheureux.Jesaisqueçaneparaîtpas
trèsambitieuxauxyeuxdebeaucoupdegens,commemamère.Etjesaisquec’estunpeubêtecommebutdanslavie,maisc’estcequejeveux.Jeveuxquemamusiqueinspirelesautres.
–Tupeuxyarriver,Alyssa.Tulefaisdéjà.Jecroyaisàsonrêvebienplusquejenepouvaisl’exprimer.Chaquefoisquejel’entendaisjouerdu
piano,c’étaitcommesi toutes leschoseshorriblesde laviedisparaissaient.Lessonsqu’elle tiraitdupianom’aidaientàtrouverquelquesinstantsdepaix.
–Ettoi?Elle posa une framboise entre mes lèvres.Ma situation dans la vie ne m’avait jamais vraiment
autoriséàrêver,maisquandj’étaisavecAlyssa,toutsemblaitdevenirpossible.–Jevoudraisêtrechef.Jevoudraisquelesgensarriventgrognonsetrepartentheureuxgrâceàce
quej’aimisdansleurassiette.Jevoudraisquelesgenssesententbienendégustantmacuisineetoublienttouslesembêtementsdelavraieviependantquelquesinstants.
–J’adorecetteidée.Nousdevrionsouvrirunrestaurant,ymettreunpianoetl’appelerleAlyLo.–OuleLoAly.–AlyLoçasonnebeaucoup,beaucoupmieux.Enplus,c’étaitmonidée.–Ehbien,d’accord,onvafaireça.OnvaouvrirleAlyLoetfairedelacuisinegénialeetjouerde
lamusiquegénialeetvivreheureuxjusqu’àlafindestemps.
–Fin?–Fin.–Tonpetitdoigt?Ellemetenditsonpetitdoigtetj’yaccrochailemien.Nosmainsétaientcommeliéesl’uneàl’autre.–As-tuunautrerêve?J’hésitaiàleluiconfierparcequecelasemblaittellementnul,maiss’ilyavaitunepersonneenqui
jepouvaisavoirconfiancepournepasmejuger,c’étaitbienelle.–Jeveuxdevenirpère.Jesaisqueçaal’airidiot,maisjeleveuxvraiment.J’aipassétoutemavie
avecdesparentsincapablesdedonnerdel’amour.Maissij’étaispère,j’aimeraismesenfantsplusquejenepeuxledire.J’assisteraisàleursmatchsdebase-ball,àleursrécitalsdedanse,etjelesaimerais,qu’ilsveuillentdeveniravocatsouéboueurs.Jeseraisunmeilleurparentquelesmiens.
–J’ensuissûre,Lo.Tuseraisunpèregénial.Jenesaispaspourquoi,maisenl’entendantdireça,leslarmesmemontèrentauxyeux.Noussommesrestéslà-hautencoreunmoment,sansdireunmot,ennouscontentantderegarderen
l’air.C’étaitencoresipaisiblelà-haut.Jenepouvaism’imaginerailleurs.Nousnenousétionspaslâché
lesmains.Est-cequ’elleaimaitmetenirlamain?Est-cequesoncœurbattaitplusviteparmoments?Est-cequ’elleaussiétaitplusoumoinsentraindetomberamoureusedemoi?Jeserraisamainunpeuplusfort.Jen’étaispassûrd’êtrecapabledelalâcher.
–C’estquoitaplusgrandepeur?demanda-t-elledoucement.Demamainrestéelibre,jesortismonbriquetetmemisàl’allumeretl’éteindre.–Maplusgrandepeur?Jenesaispas.Qu’ilarrivequelquechoseauxquelquespersonnesàquije
tiens.Kellan.Toi.Mamère.Ettoi?–Perdremonpère. Je saisqueçaparaît idiot,mais tous les jours,quand la sonnettede laporte
retentit,jemedemandesic’estlui.Chaquefoisquemontéléphonesonne,moncœurs’arrêtedebattre,etj’espèrequec’estlui.Jesaisquecesderniersmoisilaétépasmalabsent,maisjesaisaussiqu’ilvarevenir.Ilrevienttoujours.Maisl’idéedeleperdrepourtoujoursmebriselecœur.
Nousavonséchangédesréflexionssurnoscôtésobscursetnousnoussommesdévoilénoslumièresrespectives.
–Raconte-moiunebellehistoiresurtamère.–Hum…Jememordillailalèvreinférieure.–Quandj’avaisseptans,j’allaistouslesjoursàl’écoleàpied.Unjour,jesuisrentréàlamaison
etj’aientendudelamusiquequijouaitàtue-têtesousleporchedenotrevieilimmeuble.MamèreavaitunlecteurdeCDaveclequelelleécoutaitdesvieuxtubes,TheTemptations,MichaelJackson,touslesclassiques.Elle a dit que c’était un voisin qui lui avait donné leCDet cela lui avait donné envie dedanser.Alors,elles’étaitmiseàdanserdanslarue,ennemontantsurletrottoirquelorsqu’unevoiturepassait.Elleétaitsibellecejour-là,etellem’afaitdanseravecelletoutelasoiréejusqu’àcequelalune
soithautedansleciel.Kellanestvenu,luiaussi.Ilétaitvenuàvéloapporterdesrestesdesondînerpourmamanetmoi.Quandilestarrivé,onadansétouslestrois.
Jeveuxdire,enyrepensant,jesuissûrqu’elleavaitprisquelquechose,maisjenelesavaispasalors.Jemesouviensjusted’avoirrietd’avoirtournéetdansélibrementavecelleetKellan.Lesondesonrireétaitcequejepréférais,parcequ’elleriaitsifortetsansretenue.C’estmonmeilleursouvenird’enfance.C’estlesouvenirverslequeljemetournechaquefoisqu’elleal’airtellementailleurs.
–C’estunbonsouvenirauquelteraccrocher,Lo.–Ouais.Jeluifisunpetitsourire,jenelaissaisjamaispersonneserendrecompteàquelpointmamèreme
manquait,maisjesavaisqu’ellecomprenait,parcequesonpèreluimanquaitaussi.–Tuasunbeausouvenirdetonpère?–Tuvoislaplatinevinylequiestdansmachambre?–Oui.–Ilmel’aofferteuneannéepourNoël,etnousavonsinstauréunetradition:touslessoirsavantque
j’aillemecoucher,nousécoutionsetnouschantionsunechanson.Puis le lendemainmatin,quandnousnousréveillions,nouschantionsunechansonaussi.Delamusiquemoderne,desvieuxsuccès,n’importequoi.C’étaitnotre truc.Parfoisma sœurErikavenait chanter avecnous,parfoismamèrehurlaitpourqu’onbaisseleson,maisnousriionsetnousnoussouriions.
–C’estpourçaqu’ilyatoujoursdelamusiquelesoirquandjevienstevoir?– Oui. C’est marrant, je joue toujours les mêmes chansons que nous chantions lui et moi, mais
maintenantlesparolessemblentsidifférentes.Nousavonscontinuécetteconversationtoutelanuit.Jeluidonnaisdesframboisesetellem’offraitsesrêves.Ellemedonnaitdesframboisesetjeluiconfiaismespeurs.Nousavonsobservélecielnocturne,nousnoussentionsensécuritéetlibres,l’espaced’unmoment.–Çat’arrivedetedireàquelpointlesgenssontfous?Ilyaplusdetroiscentsmilliardsd’étoiles
rienquedanslavoielactée.Troiscentsmilliardsdepointslumineux,quinousrappellenttoutcequ’ilyalà-haut,dansl’univers.Troiscentsmilliardsdeflammesquiparaissentsipetites,alorsqu’enfaitellessont bienplus grandesque tout ce qu’onpeut imaginer. Il y a toutes ces différentes galaxies, tous cesautresmondesquenousn’avonsjamaisdécouvertsetquenousnedécouvrironsjamais.Ilyatellementdemerveillesdanslemonde,etpourtant,aulieudenousyintéresseretdeprendreletempsdenousrendrecomptequenoussommestousinfinimentpetitsdansunlieului-mêmeminiature,nousfaisonscommesinousétionslesmaîtresdel’univers.Nousaimonsnousdonnerdel’importance.Etchacund’entrenousaimefairecroirequecequ’ilfaitestcequ’ilyademieuxetquesesblessuressontlesplusgraves,alorsqu’en fait nous ne sommes rien de plus qu’un minuscule point en fusion qui fait partie d’un cielgigantesque.Unpointminusculedontpersonnene remarquerait l’absence.Unpointminusculequi seraincessamment remplacé par un autre qui pense être plus important qu’il n’est en réalité. Je voudraisseulementquelesgensarrêtentunpeudesebattreàproposdechosesaussistupidesetsansintérêtquela
race,l’orientationsexuelleetlatéléréalité.Jevoudraisqu’ilsserappellentqu’ilssonttoutpetitsetqu’ilsprennentcinqminutesparjourpourregarderlecieletrespireràfond.
–Logan?–Oui?–J’aimetonesprit.–Alyssa?–Oui?Jesuisentraindetomberamoureuxdetoi…–Mercipourcettesoirée.Tun’imaginespasàquelpointj’avaisbesoindeça.Tun’imaginespasà
quelpointj’avaisbesoindetoi.Jeluiserrailamaindoucement.–Tuescequ’ilyademieuxpourmoi.Monplusbeautrip.
1.TheCloudGate:sculptureurbainedel’artisteAnishKapoor,surnomméeTheBean–LeHaricot–enraisondesaforme.(NdT,ainsiquepourtouteslesnotessuivantes)
2. Joueur américaindebase-ball (1919-1972). Il fut le premierNoir à jouer enLiguemajeure, et un infatigablemilitant de la causeégalitaire.
5LOGAN
–Lo!Lo!Lo!Unesemaineplustard,Alyssaarrivaencourantsousunepluiebattanteencriantmonnom.J’étaissurlaplus haute marche de l’échelle, en train de nettoyer l’extérieur des vitres, au troisième étage.Apparemment,mamèrenemedemandaitdelesfairequelorsqu’ilpleuvaitàverse.Lescrisd’Alyssamefirentsursauteretjelâchaileseaud’eau(maintenantremplisurtoutd’eaudepluie)quiallas’écraserausol.
–Bonsang,Alyssa!Ellefronçalégèrementlessourcilsentenantunparapluiejaunevifàpoisau-dessusdesatête.–Qu’est-cequetufais?–Jefaislesvitres.–Maisilpleut.Bienvu,Sherlock.Maisjemedisaussitôtquecen’étaitpasdesafautesijefaisaislescarreauxet
qu’elle n’avait pasméritémamauvaise humeur. Je descendis les barreaux de l’échelle et la regardaifixement.Ellefitungrandpasversmoietnousabritatouslesdeuxsoussonparapluie.
–C’est tamère qui t’a obligé à faire ça ? demanda-t-elle avec le regard le plus triste que j’aiejamaisvu.
Jenerépondispas.–Qu’est-cequetufaislà?jeluidemandai,légèrementénervé.Jen’habitaispasdanslemêmegenred’environnementqu’elle.J’habitaisdansunquartierpourri,et
cen’étaitpasl’endroitleplussûr,surtoutpourquelqu’uncommeAlyssa.Auboutdelarue,ilyavaitunterrain de basket où avaient lieu plus de deals de drogue que dematchs. Il y avait les individus quirestaient plantés dumatin au soir au coin des rues, qui se bousculaient, qui essayaient de se faire un
dollardetempsentemps.Ilyavaitlesprostituéesabrutiesparladroguequiarpentaientlestrottoirs.Etpuisilyavaitlescoupsdefeuqu’onentendaittoutletemps,maisheureusementjen’enavaisjamaisvuaucunatteindresacible.
Jedétestaiscecoin.Cesrues.Cesgens.Etjedétestaisqu’Alyssasepointepariciquelquefois.Ellebattitdespaupièresuneoudeuxfoiscommesielleavaitoubliépourquoielleétaitvenue.–Ahoui!Sonfroncementdesourcilssetransformaenunlargesourire.–Peau-de-Fessem’aappelée!J’avaistellementenviequ’ilvienneassisteràmonrécitaldepiano
cesoir,maisilnem’avaitpasrappelée,tutesouviens?Jusqu’àmaintenant!Ilvientdem’appeleretilm’aditqu’ilpouvaitvenir!dit-elled’unevoixsuraiguë.
Jebattisdespaupières,impassible.Peau-de-FesseavaitlechicpourfairecegenredepromesseàAlyssaetreculeràladernièreminute.
–Nefaispasça,dit-elleenpointantsondoigtsurmoi.–Qu’est-cequejefais?–Nemeregardepasaveccetairdedire«Netefaispasd’illusion,Alyssa».Cen’estpasmoiqui
l’aiappelé.C’estlui.Ilveutêtrelà.Ellenepouvaitpass’empêcherdesourire.Celamefaisaitdelapeinepourelle.Jen’avaisjamais
demavievuquelqu’unquiavaittantbesoindesesentirdésiré.Tuesdésirée,AlyssaMarieWalters.Jetelepromets.–Jenet’aipasregardéecommeça.C’étaitunmensongeéhonté.Jel’avaisbienregardéecommeça.–Ok.Pesonslepouretlecontredecettesituation.Avantqu’Alyssaetmoipassionslebacenjuindernier,onavaitunprofd’histoirequinousfaisait
fairedeslistesdepointspositifsetdepointsnégatifspourtouteslesguerresquiavaientexisté.C’étaitincroyablementchiant,d’autantplusqueceprofavait lavoix laplusmonotonequ’onpuisse imaginer.Alors, depuis ce temps-là,Alyssa etmoi avions pris l’habitude de dresser des listes de positif et denégatifpourtoutetpourrien,enprenantunevoixmonotonebiensûr.
–Positifnuméroun,dit-elled’unevoixdeplusenpluslasse,ilvient.–Négatifnuméroun,ilnevientpas.Ellefronçalenez,agacée.–Positifnumérodeux,ilvientavecdesfleurs.Quandilaappelé,ilm’ademandéquelleétaitma
fleurpréférée.Onnefaitpasçasionn’apasl’intentiond’apporterdesfleursàlapersonne!Desmarguerites.Peau-de-Fesseauraitdûlesavoir.–Négatifnumérodeux,ilappelleetannuleàladernièreminute.– Positif numéro trois, dit-elle en posant lamain sur sa hanche. Il vient et ilme dit que je suis
géniale.Etqu’ilestsuper-fierdemoi.Etquejeluiaimanquéetqu’ilm’aime.
Jem’apprêtaisàrépondre,maisellemefittaireetabandonnasontonmonotone.–Écoute,Lo.Assezdepointsnégatifs.J’aibesoinquetumeregardesetquetumedisesquetues
contentpourmoi,ok?Mêmesitufaissemblant.Ellecontinuaitàsourireetàparlersuruntonenthousiaste,maissesyeuxetsontemposaccadéme
renseignaienttoujourssurcequ’elleressentaitréellement.Elleavaitletrac,ellecraignaitqu’illalaissetomberunefoisdeplus.
Alors,j’aisouripourluifaireplaisir,parcequejenevoulaispasqu’ellesoitnerveuseniqu’elleaitpeur.Jevoulaisqu’ellesoitvraimentaussiheureusequ’ellefaisaitsemblantdel’être.
–C’estsuper,Alyssa,j’aiditenluidonnantunpetitcoupdanslebras.Ilvavenir!Ellepoussaunprofondsoupirethochalatête.–Oui,absolument,ilseralà.–Biensûr,j’aiditavecunefausseassurance.Parceques’ilexisteunepersonnedanscemondequi
vautledéplacement,c’estbiencettefoutueAlyssaWalters!Lerougeauxjoues,elleacquiesça.–C’estmoi!CettefoutueAlyssaWalters!Elleplongealamaindanssapochearrièreetensortitunsachetferméparunefermetureàglissière,
quirenfermaitunbillet.–Okay.J’aibesoindetonaide.Jesuisparanoàl’idéequemamèredécouvrequej’aiessayéde
parleràpapa.Jeneveuxpasqu’ils’approchedecheznous.Alors,jeluiaiditdevenirchercherlebilletici.
Alyssa me regardait en espérant que j’approuve son plan. Il ne m’avait pas échappé qu’ellerecommençaitàl’appeler«papa»etplusPeau-de-Fesse.Celamefitencoreplusdepeinepourelle.
Purée,j’espéraisdetoutmoncœurqu’ilallaitvenir.–Pasdeproblème.Les larmes luimontèrent aux yeux et elleme tendit le parapluie pour que je le tienne, le temps
qu’ellelesessuie.–Tueslemeilleuramiqu’unefillepuisseavoir.Ellesepenchaversmoietm’embrassalajouepasmoinsdesixfois.Etjefissemblantdenepasremarquerquemoncœurbondissaitsixfoisaussi.Ellene leremarquaitpas,elle,hein?Elleneremarquaitpasqu’elleembrasaitmoncœurchaque
foisqu’ellesetenaitàcôtédemoi.
6ALYSSA
–Comments’estpasséetarépétition?demandamamèrelorsquejerentraidechezLogan.Aulieud’alleràlarépétition,j’étaisalléechezluipourlesupplierdedonnerunbilletàmonpère.Maisjenepouvaispasledireàmamère,ellen’auraitpascompris.Elleétaitassisedanssonbureau,entraindetapersursonordinateur,faisantcequ’ellefaisaitlemieux,elletravaillait.Unverredevinétaitposéàcôtéd’elle,labouteillepleineàportéedemain.Ellenelevapaslesyeuxversmoiet,sansmelaisserletempsderépondre,elleajouta:
–Metstesvêtementssalesdanslepanierdanslasalledebains.Etpuissitupeux,lave-lesetplie-lespourlesmettredanslesèche-linge.
–D’accord.–Etj’aipréparédeslasagnes,tuveuxbienlesmettreaufouràdeuxcentspendantuneheure.–Ok.–Ets’ilteplaît,Alyssa…Elles’arrêtadetaperetsetournaversmoiensepinçantl’arêtedunez.–Pourrais-tunepaslaissertraînerteschaussuresdansl’entrée?Tun’asquedeuxpasàfairepour
lesmettredansleplacard.Jejetaiuncoupd’œildansl’entréeoùj’avaislaissétraînermesConverse.–Jelesaimisesdansleplacard.Ellemelançaunregardquivoulaitdire«Benvoyons!».–Valesrangerdansleplacard,s’ilteplaît.Jelesrangeaidansleplacard.Quandvintlemomentdudîner,mamèreetmoinousassîmesàlatabledelasalleàmanger,elleles
yeuxrivéssursontéléphone,répondantàdesmails,etmoi,lesyeuxrivéssurmontéléphone,commentant
lespublicationssurFacebook.–Leslasagnesn’ontpaslemêmegoûtqued’habitude.–J’airemplacélapâtepardesblancsd’œufsenomelette.–Maiscenesontplusdeslasagness’iln’yapasdepâte.Sansça,onmangejustedesœufs,dela
sauceetdufromage.–Maiscommeça,ilyamoinsdeglucides,ettusaisbienquejet’aiditquetudevaisréduireles
glucidesavantd’alleràlafac.Laprisedepoidschezlesétudiantsdepremièreannéecen’estpasuneblague, en plus j’ai lu un article qui disait que ceuxqui sont déjà en surpoids ont tendance à prendreencoreplusdepoidsquelesgensnormaux.
–Quelesgensnormaux?Tuveuxdirequejenesuispasnormale?Jesentismapoitrineseserrer.Mamèrelevalesyeuxaucielavecostentation.–Cequetupeuxêtresusceptible,Alyssa!Jeregrettequetunesoispasaussistablequetasœur
Erika.Enplus,elleadeshabitudesalimentairesquisontdixfoismeilleuresquelestiennes.Jenefaisqueconstaterlesfaits.Ilfautquetufassesplusattentionàcequetumanges,c’esttout.
Ellechangearapidementdesujet.–Aufait,tunem’aspasrépondu.Comments’estpasséetarépétition?Ellepritunebouchéedesonrepas.–Bien.Tusaislepianoetmoi,c’estunevieillehistoire.Ellesoupira.–Oui,jesais.Jesuisdésoléedenepaspouvoirassisteraurécital,cesoir.J’aitropdetravail.Jelevailesyeuxaucielavecuneexagérationcaricaturale,cequ’elleneremarquamêmepas.Elle
nevenait jamaisàaucundemes récitals,parceque,pourelle lamusiqueétaitunpasse-temps,pasunchoixdevie.Quandelleavaitdécouvertquej’allaisàlafacpourétudierlamusicothérapie,elleavaitpresquerefusédeparticiperàmesfraisd’inscription,jusqu’àcequ’Erikalafassechangerd’avis.Mêmesimasœurétaitcommeellequandils’agissaitd’êtreréaliste,ellecroyaitquandmêmeenmamusique.Peut-êtreparcequesonpetitamiKellanétaitmusicien,etqu’ellel’aimait,luietsaprofondeurd’artiste.
Parfois,jefermaislesyeuxetj’essayaisdemerappeleruneépoqueoùmamèren’étaitpassidure,siimpitoyable.Dansmessouvenirs,jelarevoyaisplusoumoinsentraindesourire,maispeut-êtrequec’étaitjustemonimaginationquivoulaitquelquechosedebeauàquoiseraccrocher.Était-elledevenuefroidelejouroupapanousavaitquittéesoubienétait-cesachaleuràluiquidissimulaitlafroideurdesonâmeàelle?
– Je pense que je vais aller à l’auditoriumpourme préparer pour ce soir.Merci pour le dîner,Maman.
Elleseservitunautreverredevin.–Ouais.Alors que j’enfilais un blouson léger,mesConverse et que je prenais le sac artisanal que papa
m’avaitrapportéd’unconcertenAmériqueduSud,mamèremerappela.
–Alyssa!–Oui,Maman?–Mets le lave-vaisselle en route avant departir.Et va sécher le linge.Et prends-moi unpot de
glacechezBally.Maissurtout,évited’enprendrepour toi.Tusais, laprisedepoidsdesétudiantsdepremièreannée,ettoutça.
***
J’avaisl’impressionquemapoitrineétaitenfeu.Lefauteuil4Aétaittoujoursvidequandj’avaisjetéuncoupd’œildepuisl’arrièredelascène.Ilva
venir.Ilm’aappelée,iladitqu’ilseraitlà.Avecdesmarguerites.J’adorais les marguerites, c’était mes fleurs préférées, papa le savait et il allait m’en apporter.
Parcequ’ilavaitpromisdelefaire.–C’estàtoiaprès,Alyssa,ditmonprofesseur.Jesentaismoncœurbattrelachamadedansmapoitrine.Àchaquepasquimerapprochaitdupiano,
j’avaisl’impressionquej’allaism’écrouler.Jesuffoquais,jesavaisqu’iln’étaitpaslà,j’avaislevertigeenpensantqueriennesortaitdesabouchequinesoitunmensonge.Toujoursdesmensonges.Cruelsetinutiles.
C’estalorsquejelevailesyeux.Pour…Lefauteuil4Aétaitoccupé.Ilétaitvenu.Jemedétendisunefoisassisesurlebancdupianoetjemelaissaialleràmeperdreauclavier.Mes
doigtsfaisaientpartieintégrantedupianoetfaisaientnaîtrelamagie.Permettaientauxsonsdemonâmed’emplirl’espace.Sansquejeleveuille,quelqueslarmestombèrentpendantquejejouais.Àlafindumorceau, jeme levai et saluai. Le public n’était pas censé applaudir jusqu’à ce que les intervenantssoienttouspassés,pouréviteràceuxquin’avaientpasbienjouédesesentirmalennerecevantpaslesacclamationsdesspectateurs.Maislegarçondufauteuil4Aétaitdebout.Uneseulemargueriteàlamain,ilapplaudissaitcommeunfou,ensifflantetenhurlant.
Jesourisaugarçonquiportaituncostumetropgrandpourlui.Sansréfléchir,jetraversailepublicencourantetjeleprisdansmesbras.–Lebilletétaitpourtoi,detoutefaçon.Cen’étaitpasvrai,maisilmeserraplusfort.QuiavaitbesoindePeau-de-Fessedetoutefaçon?J’avaisLoganFrancisSilverstone.Etcelamesuffisaitamplement.
7LOGAN
–Toncostumeesttropgrand,dit-elleenremontantlesmanchesquipendaientau-delàduboutdemesdoigts.Lamargueritequeje luiavaisdonnéeétaitcoincéederrièresonoreillegauchedepuisquenousavionsquittélerécital.
–C’estàKellan.IlestvenuledéposerquandilacomprisquePeau-de-Fesseneviendraitpas.–Tuflottesdedans.Maistuesbeauquandmême.Jenet’avaisjamaisvuhabillésichic.Çat’aplu,
lerécital?Cen’étaitpasmameilleureprestation.–C’étaitparfait.–Merci,Lo.Jepensequenousdevrionsfairequelquechosed’amusantcesoir.Pastoi?Jepense
quenousdevrions,ohjenesaispas…fairequelquechosedefou!Elleparlait,elleparlait,ellen’arrêtaitpas.Elleavaitlechicpourça.Pendantquenousmarchions,
elletournaitenrond,ellesouriaitetelleparlait,etelleparlaitetellesouriait.Maisjenel’écoutaispasvraiment,j’avaisl’espritailleurs.J’avaisenviede lui redireàquelpoint elleavait étégénialependant le récitaldepiano.Àquel
point jem’étais sentivivantgrâceà sesdoigts évoluant sur le clavier.Quemesyeuxne l’avaientpasquittéed’unesecondependanttoutletempsoùelleavaitjoué.Que,quandellem’avaitprisdanssesbras,jenevoulaisplusjamaislalâcher.Luidirequ’ilm’arrivaitsouventdepenseràelleenfaisantdeschosesordinaires commedeme brosser les dents, ou deme coiffer, ou de chercher des chaussettes propres.J’avaisenviedeluidiretoutcequejepensais,parcequetoutesmespenséestournaientautourd’elle.
J’avaisenviedeluidirecequejeressentaispourelle.Deluidirequej’étaisentraindetomberamoureuxd’elle.Que j’adorais ses cheveux rebelles et sa bouche toujours en traindebavarder d’unechoseoud’uneautre.
J’avaisenviede…–Logan,murmura-t-elle,figéesurletrottoir.Je ne sais comment,mesmains se retrouvèrent sur ses reins et je l’attirai versmoi.Mon souffle
sortaitdemeslèvresquinesetrouvaientqu’àquelquescentimètresdesabouche.Sonsoufflechaudsemêlaitàmesinspirationshaletantesetnosdeuxcorpstremblaientl’uncontrel’autre.
–Qu’est-cequetufais?Qu’est-cequejefaisais?Pourquoinoslèvresétaient-ellessiproches?Pourquoinoscorpsétaient-
ilsserrés l’uncontre l’autre?Pourquoinepouvais-jepasdétournermonregard?Pourquoiétais-jeentraindetomberamoureuxdemameilleureamie?
–Véritéoumensonge?–Mensonge.–J’arrangelafleurdanstescheveux.Jefixaisesbouclesderrièresonoreille.–Maintenant,repose-moilaquestion.–Qu’est-cequetufais?Jem’approchaiunpeuplus,etjesentissesmotseffleurermeslèvres.–Véritéoumensonge?–Vérité.– Jen’arrêtepasdepenserà toi.Pas seulementmaintenant, jeveuxdire tout le temps.Lematin,
l’après-midi, le soir, tu es dans mes pensées. Je n’arrête pas de penser à t’embrasser, non plus. Jen’arrêtepasdepenseràt’embrasserlentement.Ilfautquecesoitlent.Parceque,plusc’estlent,plusceladurelongtemps.Etjeveuxqueçadure.
–Etça,c’estlavérité?dit-elled’unevoixdouce,lesyeuxrivéssurmeslèvres.Elleeutunpetithoquet.–C’estlavérité.Maissituneveuxpasquejet’embrasse,jeneleferaipas.Situveuxquejete
mente,jetementirai.Ellemeregardadroitdanslesyeuxetposalesmainssurmontorse.Moncœurbattaitàserompre
soussesdoigts tandisqu’elle se serrait contremoi.Elle semordit la lèvre inférieure,etunminusculesouriresedessinasursabouche.
–Tuesmonmeilleurami,murmura-t-elleentirantsurlebasdesarobeàpois.Tueslapremièrepersonneàquijepenseenmeréveillant.Tuescellequimemanquequandtun’espasallongésurmonlitavecmoi.Tueslaseulechosequim’aittoujourssemblébonnepourmoi,Lo.Etsij’étaishonnête,jetediraisquej’aivouluquetum’embrasses,pasuneseulefois,maisdestasdefois.
Nos corps s’enroulèrent l’un dans l’autre, et je mesurai sa nervosité quand elle fut secouée dehoquets.
–Nerveuse?–Nerveuse.
Nous étions maladroits, mais en même temps c’était exactement ce que j’avais toujours espéré.Commes’ilnepouvaitpasenêtreautrement.
Jehaussailesépaules.Ellehaussalesépaules.Jeris.Ellerit.J’entrouvrisleslèvres.Elleentrouvritleslèvres.Jemepenchaiverselle.Ellesepenchaversmoi.Etmaviebasculapourtoujours.Jeserrailesmainsplusfortdanssondoslorsqu’ellem’embrassa.Ellem’embrasaitdeplusenplus
intensémentàchaquesecondequipassait,unpeucommesielleessayaitdedéterminersicemomentétaitréeloupas.
Était-ilréel?Peut-être quemon esprit tordu fabriquait des fantasmes alors que nous étions debout l’un contre
l’autre.Peut-êtrequ’enréalité,jerêvaistoutsimplement.Peut-êtremême qu’AlyssaWalters n’avait jamais existé. Peut-être était-elle seulement quelqu’un
quej’avaisinventédansmatêtepourm’aideràsupportermesjournéespourries.Maissitoutçan’étaitqueleproduitdemonimagination,pourquoiest-cequecelameparaissaitsi
réel ?Nos lèvres se séparèrent pendant une fractionde seconde.Nous nous regardions droit dans lesyeux,éberlués,commesinousnousdemandionstouslesdeuxsinouspouvionscontinueràfairevivrecerêve,ousinousneferionspasmieuxd’arrêteravantdedétruirecehavredepaixqu’étaitnotreamitié.
Sonvisageserapprochadumienetellepassadansmescheveuxsesmainsquitremblaient.–S’ilteplaît,murmura-t-elle.Meslèvreseffleurèrentlessiennes,etellefermaprogressivementlesyeuxavantquenosbouchesne
s’écrasentl’unecontrel’autre.Puisellem’attiracontreelleetglissasalangueentremeslèvres.Jeluirendissonbaiseravecencoreplusdefougue.Nousdégringolâmescontrelemurdel’immeubleleplusproche et je la soulevai contre les pierres fraîches. Je la désirais plus qu’elle ne pourrait jamaismedésirer.Nosbaisersdevinrentplusardentstandisquenoslanguess’entremêlaient,alorsquemonespritseprenaitàcroirequejepourraissentirAlyssacontremoipourtoujours.
Jen’étaispasentraind’inventercettescène,seslèvres,lesmêmesquej’avaisimaginéescontrelesmiennesdepuissilongtemps,lesmêmesquisouriaientpourilluminermesjournées,ceslèvresétaiententraindem’embrasser.
J’embrassaismameilleureamieetellemerendaitmesbaisers.Ellem’embrassait comme si elle était sincère, et je l’embrassais comme si elle représentait tout
pourmoi.C’estlecas.
Ellereprésentetoutpourmoi.Lorsquenouscessâmesdenousembrasser,nousrespirionstouslesdeuxdifficilement.Jelareposai
surlesol.Ellefitunpasenarrière.Jefisdemême.Nousétionstouttremblants,elleetmoi,etnousrestionsplantéslàsanssavoirquoi
faire.Jehaussailesépaules.Ellehaussalesépaules.Jeris.Ellerit.J’entrouvrisleslèvres.Elleentrouvritleslèvres.Jemepenchaiverselle.Ellesepenchaversmoi.Etnousrecommençâmestoutdepuisledébut.
8ALYSSA
Nousétionssilencieux.Jechoisisdeneremarquerquequelquesbruitsdansmachambre.Lebruitduventilateurauplafondquitournaitettournaitau-dessusdenostêtes,alorsquenousétionsallongéscôteàcôtesurmonlit.Ilyavaitlebruitdelaplatinevinyleposéesurlacommode,quitournaitenhoquetantrégulièrementcommesielleétait abîmée – en même temps, elle semblait être tout à fait en bon état. Un diffuseur de parfumd’ambiance vaporisait un jet de senteur de rose toutes les deux ou troisminutes, l’odeur venait nouschatouillerlesnarines.Etpourfinir,ilyavaitnosbrèvesinspirationsetexpirations.
Simoncœurbattaitsiviolemmentlachamade,c’étaitqu’ilavaitpeur,j’enétaiscertaine.Aufuretàmesurequenouspassionsplusdetempsensemblejetombaisdeplusenplusamoureusedelui.Cesoir,nousnousétionsembrassés.Nosbaisersavaientsemblédureruneéternité,etpourtantnousn’enavionsjamaisassez.
Etmaintenant,j’avaispeur.Jemedisaisquesoncœuravaitaussipeurquelemien.C’étaitobligé.–Lo?J’avaislagorgesèche,etmavoixsebrisa.–Oui,High?Ilavaitcommencéàm’appelerHighaumomentoùnousétionsredescendusdupanneaupublicitaire,
aprèsqu’ilm’avaitditque«j’étaissonplusbeautrip»,quepersonnenelefaisaitplaneraussihaut.Celame plaisait plus qu’il ne pourrait jamais l’imaginer. Jeme blottis contre lui, enme lovant
contre la courbe de son côté. Il me donnait toujours le sentiment d’être ma couverture de sécurité,l’endroitoùjepouvais toujoursm’emmitouflerquandlaviedevenaitunpeufroide.Ilm’avait toujourssoutenue,mêmequandilsesentaitlui-mêmetellementperdu.
Jeluimurmuraiàl’oreille:–Tuvasmebriserlecœur,hein?Ilacquiesçaavecunregardempreintdeculpabilité.–Çasepourrait.–Etensuite,qu’est-cequisepassera?Ilneréponditpas,maisjelavisdanssesyeux,lapeurqu’ilpuissemefairedumal.Ilm’aimait.Il
nel’avaitjamaisdit,maisc’étaitlà.Loganavaitunefaçonbienàluid’aimerunepersonne.Ensilence,presqueensecret.Ilavaitpeurdelaisservoirqu’ilaimait,parcequesilavieluiavaitenseignéquelquechose,c’était
quel’amourn’estpasunerécompensemaisunearme.Etilenavaitplusqu’assezd’êtreblessé.Siseulementilavaitsuquesonamourétaitlaseulechosequicontinuaitàfairebattremoncœur…
J’auraistellementaiméqu’ilmel’avoueàvoixhaute.Nousretombâmesdanslesilence.–High?murmura-t-ilenserapprochantlégèrementdemoi.–Oui?–Jesuisentraindetomberamoureuxdetoi,dit-ildoucementenreflétantmespensées.Moncœurcessadebattre.Jepercevaislapeuretl’excitationdansletondesavoix.Lapeurétaitnettementlaplusforte,mais
lafélicitésous-jacenteétaitbienlà,aussi.Enhochantlentementlatête,jetendislamainverslasienne,qu’ilm’abandonna.Jelaserraifort,
parcequejesavaisqu’onyétait.C’étaitlemomentquiallaittoutchanger.Lepointdenon-retour.Celafaisaitquelquesmoisquenousfaisionsça,quenouséprouvionscessentimentsauxquelsnousn’avionsriencompris.C’étaitétranged’aimersonmeilleurami.Maisquelquepart,c’étaitbien.Avantcesoir,iln’avait jamaissembléprêtàprononcer lemotamour. Jen’étaismêmepassûrequ’ilyaitde laplacedanslecœurdeLoganpouruntelsentiment.Toutdanssaviesepassaitdansleroyaumedel’obscurité.Alors,qu’illedise,celasignifiaitbeaucoupplusquequiconquenepourraitjamaislecomprendre.
–Çatefaitpeur.Ilmeserraunpeupluslamain.–Çamefaittrèspeur.Avant,jemedemandaiscommentonsavaitquel’onétaitentraindetomberamoureux.Quelsétaient
lessignes?Lesindices?Celasefaisait-ilprogressivementoud’unseulcoup?Seréveillait-onunmatin,onbuvaitsoncafé,ettoutàcoup,onregardaitl’autreassisenfacedevousetontombaitenchutelibre?
Maismaintenant, je savais.Onne tombaitpasamoureux.Onsedissolvaitdans l’amour.Un jour,vousétiezdeglace,lelendemain,vousn’étiezplusqu’unepetitemared’eau.
Jevoulaisquecelametteuntermeànotreconversation.Jevoulaismepencherverslui,leprendredansmesbras,m’allongerdenouveauetm’endormir,latêtesursapoitrine.Ilposeraitsesmainssurmoncœurpoursentirlesbattementsprovoquésparsonamour.Ilm’embrasseraitdoucementlementonetmediraitquejesuisparfaitecommejesuis.Ildiraitquec’étaientmespetitsdéfautsquimerendentbelle.Il
metiendraitdanssesbrascommes’ilsetenaitlui-même,avecsoinetprécaution.Jevoulaismeréveillerensentantlachaleurdecegarçontorturéàcôtédemoi,legarçondanslequeljemefondais.
Toutefois,onn’obtientpastoujourscequ’onveut.–Jenesaispassic’estunebonneidée,dit-il.Cesmotsmeblessèrentplusquejenepourraisjamaisl’admettre.–Tuesmameilleureamie,High.–Tuesmonmeilleurami,Lo.– Et je ne veux pas perdre ça. Je n’ai pas tellement d’amis… je n’ai confiance qu’en deux
personnes,toietmonfrère.Etjeprendraislerisquedebousillernotreamitié.Jesaisquejeleferais.Jenepeuxpasacceptercetteidée.Jevaistefairedumal.Jefaisdumaletjegâchetout.
Ilsetournaversmoi,etnosfrontssepressèrentl’uncontrel’autre.Ilavaitlesyeuxdilatés,etsousma main posée sur son torse, je sentais à quel point ses propres paroles le blessaient lui-même. Ilentrouvritlaboucheetserapprochapourmurmurercontremeslèvres.
–Jenesuispasassezbienpourtoi,High.Menteur.Ilétaittoutcequ’ilyavaitdebondansmavie.–Nouspouvonslefaire,Logan.–Mais…jeteferaidumal.Jeneleveuxpas,maisjenepourraipasfaireautrement.–Embrasse-moiunefois.Il fitceque je luidisais.Sabouche trouva lamienneet ilm’embrassa lentement,puis ils’écarta
encorepluslentement.Toutmoncorpsfrémitlorsqu’ilpassalesdoigtsdansmescheveuxbouclés.–Embrasse-moiunedeuxièmefois.Unefoisencoreils’exécuta,ensesoulevantlégèrementdefaçonàcequesoncorpssetrouveau-
dessus dumien.Nos regards rivés l’un à l’autre, ilme regardait fixement comme s’il essayait demepromettrel’éternité,mêmesinousn’avionsquelemomentprésent.Lesecondbaiserfutplusintense,plussexy,plusréel.
–Embrasse-moiunetroisièmefois.Ses lèvres se promenèrent sur mon cou, où il me massa de la langue, en suçant lentement.
Instinctivement,jepoussaimeshanchesverslui.–Logan,je…Mavoixtremblaitalorsquenousétionsallongésdanslachambreplongéedansl’obscurité.–Jen’aijamais…Mesjouess’empourprèrentetjenepuscontinuer.Maisilsavaitdéjà.–Jesais.Jememordislalèvre,etmonestomacfrémit.–Jeveuxquetusoislepremier.–Tuesnerveuse?–Jesuisnerveuse.
Ilfitunepetitegrimace.–Situneveuxpas…–Si,jeveux.–Tuesbelle.Duboutdesdoigts,ilrepoussamescheveuxderrièremonoreille.–Jesuistoujoursunpeunerveuse.–Tumefaisconfiance?Jefisouidelatête.–Okay.Fermelesyeux.Jefiscequ’ilmedisait.Moncœurbattaitdeplusenplusvite.Qu’allait-ilsepasserenpremier?
Est-cequej’auraismal?Est-cequ’ilmedétesterait?Est-cequejepleurerais?Leslarmescommençaientdéjààmemonterauxyeux.Jepleurerais.Ilposaunbaiserauborddemeslèvres.–Tuesensécurité,High,promis.Ilsemitlentementàrelevermonhautdepyjamatropgrand,etjemeraidis.–Tunerisquesrien,murmura-t-ilcontremonoreilleenmemordillantlelobeavecdouceur.Tume
faisconfiance?demanda-t-ilànouveau.Jemedétendis et jememis à pleurer, nonplusparceque j’étais nerveusemais parceque je ne
m’étaisjamaissentieplusensécurité.–Oui.Jetefaisconfiance.Chaquefoisqu’unelarmecoulait,ill’essuyaitd’unbaiser.IlenlevamonT-shirtpetitàpetit,puislejetaàl’autreboutdelachambre.Sabouchepartitduhaut
puisdescenditpeuàpeu.Ilmeléchadanslecou,suçamapoitrine,suivitdelapointedesalanguelescontoursdemonsoutien-gorge,déposadesbaiserssurlatotalitédemapeaunue.
–Alyssa,murmura-t-il,justeavantd’atteindrelaceinturedemaculotte.Enrespirant lourdement, jecambrai leshanches. J’avaisbesoinqu’ilcontinueàme toucher.Mes
mainsretombèrentsurmapoitrineoùellesmesurèrentlecontrôlequ’ilexerçaitsurlesbattementsdemoncœur.
–Tumedisd’arrêtersituveux,d’accord?Sasollicitudeétaitperceptibledanssavoix.–Non…jet’enprie…Ilfitglissermaculottelelongdemesjambes,etàchaquecentimètre,moncœurs’emballaitdeplus
belle.–Alyssa.Illevalesyeuxversmoi,meregardantdroitdanslesyeuxunefractiondesecondeavantd’écarter
mes jambesetdedescendre la tête.Quandsa langueme trouva, jepoussaiuncri étouffé, tellement leplaisirétaitgrand.Mesdoigtssecrispèrentsurlesdrapsquandsalanguesemitàalleretvenirenmoi.
Matêtetournait.Jenesaiscommentmoncœurtrouvaitlemoyentoutàlafoisd’accéléreretd’arrêterdebattre. C’était comme si à chaque seconde j’allais mourir et ses lèvres, sa langue, son âme meressuscitaient.
Jen’avaisjamaisimaginéquequelquechosed’aussisimplepouvaitêtresi…Logan…–Oui…Jehaletais,metortillaisetmeretournaiquandilglissadeuxdoigtsenmoi,lesfaisantpénétreren
une lente poussée pour les retirer encore plus lentement. Puis il reprit plus fort, plus vite, plusprofondément…
Lo…J’étais aubordde l’explosion et j’entortillai les draps entremesdoigts. J’étais à la limite de le
supplierdem’emmenerauborddugouffreetdemelaissertomberenchutelibre.–J’aienviedetoi,Logan.Oui…Marespirationsefaisaitplussaccadéeetmoncorpss’habituaitauplaisirqu’ilmedonnait.–Pasencore,dit-ilens’écartantdemoitoutenretirantsesdoigts.Nosregardssesoudèrent,etàlafaçondontilmeregarda,jesentisquejeneseraisjamaisseule.–Alyssa,jet’aime.Savoixtremblaitetsesyeuxétaienthumides,maisc’estdesmiensqueleslarmescoulèrent.Tuesmonmeilleurami,Lo.Nousétionsplusprochesl’undel’autrequejen’auraisjamaiscrupossible.Ilfaisaitpartiedemoi
àtoutpointdevue,nosviess’entremêlaientcommesinousformionsuneflammeuniquequibrûlaitdanslanuit.
Quandilavaitenviedepleurer,leslarmescommençaienttoujoursparcoulerdemesyeux.Quandsoncœurmenaçaitdesebriser,lemienvolaitenéclats.
Tuesmonmeilleurami.Ilsepenchaenavantpourm’embrasser.Sonbaisers’accompagnaitdepromessesquenousnenous
étionsjamaisfaites.D’excusespourdesfautesqu’iln’avaitjamaiscommises.Ilm’embrassaavectoutcequ’ilétait,etjeluirendissonbaiseravectoutcequiexistaitenmoi.
Ilserelevaetenlevasonpantalonetsonboxer.Bienquejemesenteenconfiance,lespapillonsseformaienttoujoursdansmonestomac.
–Tupeuxchangerd’avis,High.Tupeuxtoujourschangerd’avis.Jeluitendislamainetillapritdanslasienne.Ilrevintversmoiets’allongeasurmoienécartant
mesgenoux.Quandseshancheseffleurèrentlehautdemescuisses,jepoussaiunpetitgémissement,mesjambesfrémirentdedésir,depeur,depassionetd’amour.
–Jet’aime,jemurmurai,cequilefithésiter.Seslèvress’écartèrent,maisaucunsonn’ensortit.Ilsemblaitétonnéquequelqu’unpuissel’aimer.–Jet’aime.Jelerépétaienobservantladouceurquis’installaitdanssesyeux.
–Jet’aime.–Jet’aime,murmura-t-ilenposantseslèvressurlesmiennes.Des larmes coulèrent de ses yeux, venant semélanger auxmiennes. Je savais combien cesmots
étaientdifficilesàprononcerpourlui.Jesavaisàquelpointcelal’angoissaitdesedévoilercommeça.Maisjesavaisaussiàquelpointjel’aimais.
–Dis-moid’arrêtersijetefaismal,dit-il.Maiscen’étaitpaslapeine.Ladouleurétaitlà,maisledésirétaitplusgrand.Ilétaitmacouverture
desurvie,monrefuge,monsuperbeLo.Ilbalançaseshanchescontrelesmiennes,enmepénétrantplusprofondément.
–Jet’aime,murmura-t-il.Ildonnaunepoussée.–Jet’aime…dit-ilencoreunefois.Unedeuxième.–Jet’aime…Troisfois.–Logan…je…jevais…Unefois,deuxfois,troisfois,quatre…High./Lehaut.Low./Lebas.Leparadis.L’enfer.Lui.Moi.Nous.Nous atteignîmes la jouissance, tremblant l’un contre l’autre, en nous écroulant tout en nous
reconstruisantd’unecertainefaçon.Jel’aimais.Jel’aimaisduplusprofonddemonêtreetilm’aimaitenretour.Iltintsapromesse.Jemesentisensécuritédudébutàlafin.C’étaitlapersonneverslaquellejeme
tournaischaquefoisquej’étaisblesséeouquej’avaispeur.Commeversunfoyer.Loganétaitmonfoyer.–Alyssa,c’était…Ilsoupira,allongéàcôtédemoi,horsd’haleine.–Fantastique.Jesourisentournantlatêtedel’autrecôté.Duboutdesdoigts,j’essuyaileslarmesquicontinuaient
àcouler,et je fis toutmonpossiblepour rireafind’éloignercesentimentde félicitéquicontenaituneonced’inquiétude.Qu’allait-ilsepasserensuite?
–Sij’avaisundollarpourchaquefoisquej’aientenduça!Il plissa les yeux, sachant que ma plaisanterie était destinée à masquer mon angoisse, avant de
m’attirercontrelui.–Çava,High?–Çava.Jehochailatêteenleregardantdanslesyeux.Ilsepenchaetessuyadeseslèvreslesquelqueslarmesquis’attardaient.–Çavamêmemieuxqueça.–Jeveuxquecesoitçapournous.Pourtoujours,jeveuxça,dit-il.–Moiaussi.Moiaussi.–Pourtoujours,High?–Pourtoujours,Lo.Ilinspiraprofondément,etsesyeuxsourirentenmêmetempsqueseslèvres.–Jesuistellementheureux,làmaintenant.Cefurentlesderniersmotsqu’ilprononçacesoir-là,etjemedisqu’ilsdécrivaientàlaperfection
cequejeressentaismoiaussi.Leventilateurauplafondtournaitettournaitau-dessusdenousallongéscôteàcôtesurmonlit.La
platinevinyletournaitsurlacommode,hoquetanttouteslesdeuxoutroissecondestoutensemblantêtreenparfaitétat.Leparfumderosevenaitrafraîchirl’airàintervallesaussiréguliersquenosrespirations.
Nousétionssilencieux.
9ALYSSA
CelafaisaitdeuxmoismaintenantqueLoganetmoinousétionsofficiellementdéclarénotreamour.Jen’aurais pas cru que notre amitié pouvait se renforcer simplement en tombant amoureux, mais d’unecertainefaçoncelafutlecas.Ilmefaisaitrirelesjoursoùj’étaistristeetcelacomptaitplusquetoutpourmoi.Quandontrouveunepersonnequiparvientàvousfairerirequandvotrecœuraenviedepleurer,ilfauts’yaccrocher.Cesontcespersonnes-làquichangentnotreviepourlemeilleur.
J’avaisaussiplanifiéuntasdedétails.Danstroissemaines,jepartaisvivresurlecampusdemonuniversité,mais j’avais programmé les visites deLogan.Nous continuerions à être aussi proches quemaintenantetnousserionsdeplusenplusamoureux.Ilavaitditquel’idéeluiplaisait,cequiétaitgénial,parcequejel’aimaisdetoutmonêtre.
J’étaissurunpetitnuagedepuisdessemaines,etlorsquejerentraisàlamaisonaprèsunejournéedetravail,mamèreétaitlà,prêteàmeramenersurterre.
–Alyssa!cria-t-elledèsquejefisunpasdanslamaison.Jebalançaimeschaussuresdansl’entréeetlesramassaiaussitôtpourlesrangerdansleplacard.–Jelesaidéjàramassées!–Cen’estpascequej’allaisdire,répliqua-t-elledepuissonbureau.Enmedirigeantvers lesondesavoix, je jetaiuncoupd’œilpar laporteouverte.Elleavait les
yeuxrivéssurl’écranetunverredevinàlamain.–J’aifaitunpaindeviandesansviande,avecdesprotéinesenpoudreetdutofu.Tun’asqu’àle
mettreaufour.Cen’estplusunpaindeviande,Maman.–D’accord.–Aufait,tuasreçuunelettredetonpère.
J’écarquillailesyeux,toutexcitéesoudain.–Quoi?–Ilt’aécritunelettre.Elleestsurleplandetravaildanslacuisine.Papam’avaitécritunelettre,aujourd’hui!Papam’avaitécritunelettre,aujourd’hui!Jeme précipitai dans la cuisine, de plus en plus excitée. Je saisis brusquement l’enveloppe qui
n’étaitpasfermée,etensortitlalettre.MapetiteAlychérie,Ledébutétaitprometteur.Mes yeux parcoururent les pages de gauche à droite, absorbant chaque mot, chaque note, ne
cherchant riendeplusqu’unephrasequimentionnerait combien je luimanquais, combien ilm’aimait,combien il pensait à moi. Il y avait tant de mots, tant de pages. Des pages noircies des deux côtés,couvertesdemotsdontcertainsétaientlongs,d’autrestellementcourts.Ilyavaitdespoints,despointsd’interrogationetdespointsd’exclamation.
Ilavaitunetrèsbelleécriture,parfoisdifficileàdéchiffrer.Mapoitrines’embrasaitàlalecturedechaquecaractère,descaractèresquiformaientdesmots,des
motsquiformaientdesphrases,desphrasesquiexprimaientdesexcuses,desexcusesquisonnaientfauxparcequequipouvaitfaireunetellechoseenvrai?
Jeneseraipassouventlà.Jeprisunebrèveinspirationenatteignantledernierparagraphe.Mamusiquedécolle.Jesuisleleaderdecenouveaugroupe.Unenouvellerespirationcourte.Jemeconcentresurmacarrière…Monpoucesecoinçaentremeslèvres.Quandj’arrivaiàladernièrelignedelalettre,jelaposaien
regardant,éberluée,lescinqfeuilletsentièrementcouvertsdemots,desdeuxcôtés.Je ne serai pas souvent là,ma petiteAly chérie. J’espère que tu comprends.Continue à faire
vivrelamusique.Mon père rompait avecmoi par l’intermédiaire de cinq feuilles de papier, et quand le pain de
viandesansviandearrivacesoir-là,mamèremedit:–Jetel’avaisbiendit:Impossibledemanger.Jepassailaplusgrandepartiedelasoiréedanslasalledebains,àvomir
tripesetboyaux.Jen’arrivaispasàcroirequ’unepersonnepuissefaireunechoseaussicruelle.Ilavaitécritcesmotscommes’ilsavaientvraimentunsenspourlui,cequimerendaitencoreplusmalade.
Jerestai toute lanuitsur lesolde lasalledebains,àmedemanderceque j’avaisfaitdemaletpourquoimonpèrenem’aimaitplus.
***
–Ilarompuavectoidansunelettredecinqpages?Loganétaitchoqué.Embarrasséeparcette lettre, j’avaispassé lescinqderniers jours loinde lui.
Monestomacnevoulaitriengarderetrenvoyaittoutcequej’essayaisd’avaler.Etcequimetracassaitleplus,c’étaitquemamèreavaitl’airdeseréjouirquemonpèrem’aitlaisséetomber.Elleavaittoujoursl’aircontentequandj’avaisdelapeine.J’étaisassiseavecLoganaupanneaupublicitaire.Jeconnaissaislescinqpagesdelalettreparcœur.
– Techniquement, ilm’a quittée dans une lettre de dix pages, puisqu’elles sont écrites des deuxcôtés.
–Donne-moil’enveloppe,ordonna-t-il.Sesnarinespalpitaient,sonvisageétaitrougedecolère.Jen’auraispascruqu’ilseraitsicontrarié
parcettelettre,maisilsemblaitprêtàpéterlesplombs.–Pourquoifaire?– L’adresse de laquelle il l’a envoyée, c’est probablement là où il vit. On pourrait y aller. On
pourraitl’affronter,onpourrait…–Iln’yavaitpasd’adressesurl’enveloppe.Ill’adéposéecheznous,directementdanslaboîteaux
lettres,j’imagine.Ilsepassalesmainssurlevisage.Ilpoussaunprofondsoupiretrecommençaàfeuilleterlespages
delalettre.–Etlenomdugroupedanslequeliljoue,c’estquoi?Illeditdanssalettre?–Non.–C’estdesconneries.–Çanefaitrien.Jehaussai les épaules. Jen’avaispasencorecomplètement réalisé.Quelquepart, je continuais à
croirequ’ilallaitrevenir.L’espoirestunechosedangereusequandoncomptesurdespersonnesquinesontpasfiables.
–Jem’enfiche.Jenem’enfichaispas.Loindelà.–Ehbien,pasmoi!cria-t-ilenselevantpourfairelescentpas.Cen’estpasjuste.Qu’est-ceque
nousleuravonsfaitàcesgens?Tesparents.Mesparents.Qu’est-cequ’onafaitdemal?Jen’avaispaslaréponse.Ilyavaitprobablementbeaucoupdegensquinecomprenaientpascequi
nousrapprochait,Loganetmoi.Nousétionstellementdifférents,saufquenousavionsencommunleplusgrandfeuquibrûlaitennous:touslesdeux,nousmanquionscruellementdel’amourdenosparents.
–Tuesunefillesuper,Alyssa.Tuastoutfaitpourêtreunebonnefillepourlui.Tut’esdémenéepourceconnardetiln’amêmepaslescouillesderompreavectoidevivevoix?!Jeveuxdire,quandmême!Quiromptavecsonenfantparcourrierpostal?Etd’abord,quelgenredeparentromptavecsonenfant?
–Tuvoispourquoijet’aiditderompreavecShayenpersonne,aulieudeluienvoyeruntexto?C’étaituneplaisanterie,maisellenelefitpasrire.
–Logan,allez.Toutvabien.–Tusaisquoi?Qu’ilaillesefairefoutre,High!Tuferasdegrandeschoses.Tuvaschanger le
monde,sanslui.Tuvasréussirau-delàdesesplusfollesespérances.Tun’aspasbesoindelui.–Pourquoicelatemettellementencolère?–Parceque,commentpeut-ilfaireça?Commentpeut-iltetournerledos?Tueslapersonnelaplus
belle,laplusauthentique,laplusdoucequejeconnaisse.Etiltequitte.Pourquoi?Pourlamusique?Pourl’argent?Pourlagloire?C’estdelamerdetoutça,çanecomptepas.
Ilrevints’asseoiràcôtédemoi,lesoufflecourt,furieux.– J’essaie juste de comprendre, c’est tout, dit-il en balançant les jambes au bord du panneau
publicitaire,regardantauloinavecmoi.–Comprendrequoi?–Commentunepersonnepeutt’abandonner.
***
Cettenuit-là,jefinisparréaliser.Papanereviendraitpas.Ilnevoulaitplusfairepartiedemavie.Ilmelaissaittomberpourlamusique,cequiétaitironique,puisquepourmoi,c’étaitluimamusique.Jepassailerestedel’après-midiàêtremalade,jenevoulaisqu’unechose,quecettesensationdevideenmoidisparaisse.
Moi:Tupeuxvenirchezmoi?Loganarrivaversonzeheuresdusoir.Je luifisunpetitsourirepincéquandilmeregardaenme
serrantfortdanssesbras.–Commenttuvas?–Çava.Ilplissalesyeux.–Mensonge?–Mensonge.–Vérité?Jehaussailesépaulesetleslarmesmemontèrentauxyeux.–Peux-tujustemetenirdanstesbras?Ildevintaussitôtextrêmementinquiet.Ils’écartaunpeudemoipourscrutermonvisage.–High…qu’est-cequisepasse?Jedéglutisavecdifficulté.–Ilm’avraimentquittée.Ilneveutplusdemoi.Ilm’accompagna jusqu’àma chambre et referma la porte derrière nous. Je grimpai dansmon lit
pendant qu’il cherchait dans ma collection de disques vinyle. Il en sortit un et le mit, mes yeux seremplirentdelarmesànouveau.
Lorsque la chanson de Sam Smith « Life Support » démarra, Logan éteignit la lumière, vints’allongersurlelitetmepritdanssesbras.Lorsqu’ilm’attiracontrelui,enemboîtantsoncorpsdanslemien,jememisàtrembleretilcommençaàchanterdoucementàmonoreille.
Jememisàpleurer.Ilcontinuaàchanteretmoncorpscontinuaàtremblercontrelesien.Ilm’attiraencoreplusprès,meserraencoreplusfort.Lachansonpassaitenboucle,encoreetencore.Ilcontinuaàchantercontremoi,pénétrantmonâme,apprivoisantlefeu,meserrantlecœur.
Savoixm’endormit,sesbrasmeprotégeaient.Quand je me réveillai au milieu de la nuit, en larmes à la suite d’un cauchemar, Logan était
profondément endormi. Ses bras le long de son corps, son souffle passait entre ses lèvres, et je leregardais,leslarmescontinuantàcoulersurmesjoues.
–Lo,dis-jetoutbas.Ilremua.–Ouais?–J’aifaituncauchemar.Tuveuxbienmeprendredanstesbras?Sanshésiter,ilm’attiracontreluietmelaissaposerlatêtesursapoitrine,etsentirlesbattements
desoncœur.–Toutvabien,AlyssaMarieWalters.Ilsoupiracontremapeau.Jecontinuaiàpleurerenmeserrantcontrelui.–Toutvabien,LoganFrancisSilverstone.
10ALYSSA
Unmalheurn’arrivejamaisseul.Mamèredisaittoujoursçaquand,aumilieud’uneaffairejudiciaire,lesmauvaisesnouvellesarrivaientencascade.Unemauvaisechoseseproduisait,uneautreencorepirene tardaitpasà lasuivre.Jen’aijamaisvraimentcruàcedicton,parcequej’étaisoptimistedenature,jevoyaistoujoursleverreàmoitiéplein.Mais,depuisquelquetemps,ilsemblaitsevérifier.Unesemaineàpeines’étaitécouléedepuisquepapaavaitrompuavecmoi.Jen’avaispaseuletempsdedigérercetévénementquedéjàlemondemetombaitsurlatête,unefoisencore.Lesparolesdemamèretournaientenboucledansmatête.
«Unmalheurn’arrivejamaisseul,Alyssa.Lavieestainsifaite,onn’ypeutrien.»–Alors,soupiraErika,deboutàmescôtésdansunealléedesupermarché.Combienonenprend?Depuisdeuxsemaines,jevomissaistouslesmatins.Cequej’avaisprispourdustresss’étaitchangé
en une peur bien plus grande quand nous nous retrouvâmes plantées devant le présentoir des tests degrossesse.Quid’autrequemasœuraurais-jepuappeler?Quandelleavaitentenduletremblementdansmavoix,ellen’avaitpashésitéuninstant.Troisquartsd’heuresplustard,ellesegaraitdevantlamaison.Erika avait beau être aussi réaliste et énergiquequenotremère, elle n’était pas aussi insensible.Ellem’aimaitpourmoncôtécréatifetmapersonnalitéoriginale,etjesavaisqu’elleferaittoutpourm’aider.
–Deux,peut-être,jemurmuraientremblantdetousmesmembres.Elleposaunemainrassurantesurmonépaule.–Onvaenprendrecinq,justeaucasoù.Lorsque la caissièrenousvit arriver avec tous ces tests, ellenous regarda commesinous étions
folles. Erika prit aussi une grande bouteille d’eau. Alors que je m’apprêtais à sortir du magasin encourant,tellementjemesentaishumiliéeparlejugementquejelisaisdanslesyeuxdel’employée,Erikaluiditd’untonhautain:
–Onnevousajamaisditquec’étaitimpolidedévisagerlesgens?Elleenregistranosachatssansreleverlesyeux.Aumomentoùnoussortionsdumagasin,jereçusunealertesurmontéléphone.Logan:Oùes-tu?Ilfautquejetevoie.J’étaisincapablederépondre.Jereçusquatreautresmessagesdeluipendantletrajetpourrentrerà
lamaison.J’éteignismontéléphone.Nous étions assisesdans la salledebains avec laporteverrouillée.Mamèren’était pas encore
rentrée,etlescinqtestsdegrossesse,sortisdeleursemballages,étaientposéssurlelavaboenattendantquejeleurfassepipidessus.J’avaisbutouteunebouteilled’eauetquandleseffetscommencèrentàsefairesentir,Erikas’assuraquej’avaisbiencomprislamarcheàsuivre.
– Tu dois faire un peu pipi sur un bâtonnet, puis te retenir, puis tu recommences sur un autrebâtonnet,tuteretiens,puisuntroisièmeet…
–J’aicompris,répliquai-jesuruntonvif.Cen’étaitpascontreellequejerâlais,maiscontremoi,demeretrouverdanscettesituation.J’étais
censéepartirpourlafacleweek-endprochain,etpaspissersurcinqbâtonnets.Unefoisl’opérationterminée,nousavonsattendudixminutes.Surlespaquets,ilétaitécritquecela
prenaitseulementdeuxminutes,maisjemedisaisquedixminutes,ceseraitplussûr.–Qu’est-cequeçasignifie,unelignerosesurcelui-ci?J’avaisramassélepremierbâtonnet.–Enceinte,murmuraErika.Jeprislesecond.–Etunsigneplus?–Enceinte.Monestomacseserra.–Etdeuxlignesroses?Ellefronçalessourcils.J’avaisenviedevomir.–Etencoreunsigneplus?–Alyssa…Savoixtremblait.–Etcelui-ciquiditenceinte?Qu’est-cequeçaveutdire?Leslarmescoulaientsurmesjoues,jenesavaispascommentlesarrêter.Jerespiraisdifficilement
etmoncœursemitàbattredefaçondésordonnée.Jenesavaispasàquoiniàquipenserenpriorité.Logan?Lafac?Maman?Meslarmes?
–Aly,cen’estpaslafindumonde.Onvatrouverunesolution.Nepaniquepas.Seule lamain d’Erika surma jambem’empêchait d’allerme recroqueviller dans un coin enme
balançantd’avantenarrière.–Jesuiscenséeentreràl’universitéleweek-endprochain.–Ettuvaslefaire.Ilfautjustequ’ontrouveunesolution…
–Alyssa ! hurlamamère en arrivant.Qu’est-ce que je t’ai dit à propos de tes chaussures dansl’entrée?Viensimmédiatementlesranger!
Mesmainssemirentà tremblerde façon incontrôlableetErikadutm’aideràme lever,puisellebalançatouslestestsdegrossessedansunsacenplastiquequ’ellefourradanssonimmensesacàmain.
–Allez.Elleselavalesmains,m’obligeaàenfaireautantpuisfitunsignedetêteverslaporte.–Allons-y.–Non.C’estimpossible.Jenepeuxpaslavoirpourl’instant.Jenepeuxpassortird’ici.–Tunepeuxpasnonplusrestercachéelà.Net’inquiètepas.Onnevarienluidire.Respireunbon
coup.Ellesortitdelasalledebainsenpremieretjelasuivis.–Erika?Qu’est-cequetufaislà?demandamamèred’unevoixaiguë.–J’aieuenviedevousrendreunepetitevisite.Etpeut-êtremêmedîneravecvous.–Cen’estguèrepolides’inviteràdînersansavoirappeléd’abord.Etsi jen’avaispascequ’il
faut?D’ailleurs,j’avaisl’intentiondenousfairelivrer,cesoir.Alyssan’apasfinidefairesesbagages,etpourtantjeluiavaisditdelefaireleweek-enddernier.Et…
–Jesuisenceinte.MamèretournabrusquementlesyeuxversmoietErikarestabouchebée.–Qu’est-cequetuviensdedire?Àpeineavais-jerépétéqueleshurlementscom-mencèrent.Ellemeditàquelpointjeladécevais.
Ellemehurlasondégoûtàlafigure.Elleajoutaqu’elleavaittoujourssuquejerateraistoutetqueLoganétaitunbonàrien.
–Tuvas te faire avorter, dit-elle sèchement.Point barre.Nous ironsdansune cliniquedès cettesemainepourréglercetincident,ettupartirasàl’universitécommeprévu.
Jen’avaispasencoreréussiàréaliserquej’étaisenceintequedéjàellemedisaitqu’ilfallaitquejemedébarrassedubébé.
– Maman, arrête. On peut parler raisonnablement, dit Erika en prenant ma défense, voyant quej’étaisincapablededireunmot.
–Raisonnablement?Mamancroisalesbrassursapoitrineethaussaunsourcilenmejetantunregardglacial.–Parceque c’est raisonnablede tomber enceinte cinq jours avant d’entrer à l’université ?C’est
raisonnabledesortiravecunloserquin’aaucunprojetdevie?C’estraisonnabled’avoirunenfantalorsqu’onn’amêmepasfinidegrandirsoi-même?
–Logann’estpasunloser!C’étaittellementloindecequ’ilétaitvraiment.Mamèrelevalesyeuxaucieletsedirigeaversson
bureau.–J’aiuneaudiencedemain,maisnous ironsà laclinique immédiatementaprès.Sinon, tun’auras
qu’àtedébrouillerpourtrouverunmoyendepayertesétudes.Jenemettraipasunsoudansdesétudes
bidon,alorsquetun’irasmêmepasjusqu’auboutetquetun’aurasrienauboutducompte.Tuesbiencommetonpère.
Jeprisuneinspiration,etlecouteauplantédansmoncœurs’enfonçaunpeuplusprofondément.Erikapassalanuità lamaisonetoccupasasoiréeàchangerlesmeublesdeplacedanslesalon.
Modifierladispositiondeschosesétaitsafaçonàelledegérersafrustration.Ellepouvaitaussicasserdesassiettesetdesverres.
–Ellenesaitpascequ’elledit,Aly.Tun’espasobligéedel’écouter,tusais.Etsielletemenace,netelaissepasimpressionner.Jet’aideraiàtrouverunesolution.
Jesouris,puisjefronçailessourcils.–IlfautquejelediseàLogan.Ilm’aenvoyédestextostoutl’après-midi,etjen’aipasrépondu.Je
nesaispascequejevaisluidire.Erikaplissalefront,l’airpréoccupé.–Çanevapasêtrefacile,maisleplustôtseralemieux.Jedéglutisavecdifficulté,jesavaisquecelanepouvaitpasattendre.–Jenetecachepasquejesuisinquiète,Alyssa.JeconnaisLogandepuislongtemps,etiln’estpas
toujourstrèsstable.ErikaneportaitpasLogandanssoncœur,etjepouvaislecomprendre.C’estluiquiavaitmislefeu
àl’appartementqu’ellepartageaitavecKellan,unanauparavant,alorsqu’ilétaitcomplètementdéfoncéàlasuited’unealtercationavecsesparentsquil’avaientrabaisséetfrappé.
–Seulementcinqpourcent.–Quoi?–Iln’estcommeçaquecinqpourcentdutemps,Erika.Lesautresquatre-vingt-quinzepourcent,il
estdoux. Ilestgentil.Maisparfois, lescinqpourcentpren-nent ledessuset iln’estplus lui-même. Ilperdlabatailleentresesvéritésetlesmensongesquesesparentsluiracontent.Maistunepeuxpaslejugersurcesmoments-là.
–Pourquoipas?–Parcequesitulejugesseulementsurcesraresmomentsdecreux,alorstupassesàcôtédetoutce
qu’ilyadebeauchezlui.
***
Unmalheurn’arrivejamaisseul,etquandçacommence,çapeutdurer.Endeuxans, j’avaiseuplusieursfois l’occasiondevoir lesmauvaiscôtésdeLogan.Quandcela
arrivait,jenelereconnaissaisplus.Savoixétaitpâteuse,ilmarchaitentitubantetparlaitbeaucouptropfort. Il était encolère, etplutôtméchant, et c’était commeçachaque foisqu’ilne secontentaitpasdefumer de l’herbe,mais prenait d’autres drogues. Certes, je savais que cela arrivait surtout quand sesparentsluiavaientfaitdumal,enlaissantdescicatricesdemaltraitancesursoncœur.Lesbleusaucœurétaientlesplusdifficilesàguérir,ilssemblaientêtreceuxquipersistaientlepluslongtemps.Quandces
moments de creux se produisaient, je savais qu’il était plus sage d’attendre que ça passe, parce que,après,ilretrouvaittoujourssoncheminversleLoganquej’aimais,quej’adorais.
Cinqpourcentdecreux,quatre-vingt-quinzepourcentdemomentssuper.Quandjemedécidaiàrallumermontéléphonecesoir-là,j’avaisquinzetextosdeLogan.Logan:Oùes-tu,High?Logan:J’aibesoindetoi.Logan:S’ilteplaît.Çanevapasbien.Monpèrevientdepartiretcen’estpaslagrandeforme.Logan:Alyssa?High?Logan:Laissetomber.Ohnon.Ilétaitdansundesesmomentsdecreux.Ceuxquimefaisaientlepluspeur.Moi:Jesuislà.Ilneréponditpasavant troisheuresdumatin.Quandilappela, j’entendisdanssavoixqu’ilétait
complètementparti.–Jesuissoustonporche.Enouvrantlaporte,jepoussaiuncriétouffé.Sonœilgauche,toutenflé,étaitfermé,salèvreétait
éclatée.Sapeau,naturellementhâlée,prenaitdesteintesbleuesetnoires.–Lo!Jetendislamainverssonvisage.Iltressaillitetrecula.–C’esttonpère?Ilneréponditpas.Jeleregardaiplusattentivement.Toutd’abord,jeremarquailescontractionsde
sonvisage,puis lamauvaisecoordinationdesesmouvements. Il segrattait frénétiquementetn’arrêtaitpasdesepasserlalanguesurleslèvres.
Dansquellessombresprofondeurses-tualléteperdrecesoir,Logan?–Est-cequejepourraisprendreunedouche?Jenepeuxpasrentrerchezmoi,cesoir.Ilreniflaenessayantd’ouvrirsonœilgauche,maiscelui-cirestaitdésespérémentfermé.–Oui,oui,biensûr.Entre.Jeleconduisisàmasalledebains,iltitubaitàmescôtés.Unefoisàl’intérieur,jerefermailaporte
derrièrenous.J’attrapaiunlingequejetrempaidansl’eautièdetandisqu’ils’asseyaitsurlecouvercledestoilettes.Quandjecommençaiàluitamponnerlevisage,ilsifflaentresesdents.
–Çava,dit-ilens’écartant.–Non,çanevapas.Tunepeuxpasouvrirtonœil.–Maisjetevoisquandmême.Ilrestalaboucheouverteuninstantavantderecommenceràselécherleslèvres.–Tuétaisoccupéetoutàl’heure?Jebattisdespaupières,endétournantleregard.Jemouillailelingeencoreunefois.–Ouais.–Tropoccupéepourrépondreàmestextos?–Ouais,Lo.Jesuisdésolée.
Marespirations’accéléra,etjeregardailaporte.J’avaisbesoindem’éloigneruninstant.– Hé, murmura-t-il en posant son index sous mon menton et en le relevant pour m’obliger à le
regarderdanssonœilvalide.Jevaisbien.–Tuesdéfoncé?Ilhésitaavantdesemettreàrire.–Vatefairefoutre,High.Tuasvumonvisage?Qu’est-cequetucrois?Jeflanchai.Ilnemeparlaitjamaiscommeça,saufquandilétaitvraimentaufonddutrou.J’aurais
dûrépondreàsestextos.–Jevaisallerchercherdelaglacepourtonœil,ok?Tupeuxutiliserladouche.Jemelevai,maisilmerappela.–High?–Lo?Ildéglutit,etunelarmecouladesonœilfermé.–Excuse-moi,putain.Jenesaispaspourquoijet’aiditça.Jeluifisunpetitsourireetsortisprécipitamment.Mesmainstremblaientquandjetentaid’attraperunpetitsacenplastiquepourleremplirdeglace.
Jen’avaisjamaisvuLogandanscetétatetsimalenpoint.Qu’est-cequetonpèret’afait?Pourquoisonpèreétait-ilsimonstrueux.
–High?Je fisunbondenentendant lavoixdeLoganderrièremoi.Mespoils sedressèrent surmesbras
quand,enmeretournant,jevisqu’iltenaitquelquechoseàlamain.–Qu’est-cequec’estqueça?–Oh,monDieu.Logan,j’allaist’enparler.Jeregardai,effarée,letestdegrossessequ’iltenaitàlamain,nousavionsdûl’oublierdanslasalle
debainsunpeuplustôtdansl’après-midi.–Quesignifientlesdeuxlignesroses?Iltitubait,àpeinecapabledesetenirdebout.Tuestropdéfoncépourquenousayonscettediscussioncesoir.–Nousdevrionsattendredemainpourenparler.Jem’approchaipourposerlamainsursonépaule.Ilsedégageaviolemment.–Non,nousallonsenparlertoutdesuite,dit-ild’unevoixforte.–Lo,peux-tuparlermoinsfort?Mamèredort.–Jem’enfous.Tuesenceinte?–Nousferionsmieuxd’attendredemain.–Quesepasse-t-il?Jereculaienvoyantmamère,enpeignoir,entrerdanslacuisine.Lorsqu’elleaperçutLogan,ellese
réveillatoutàfait.–Qu’est-cequetufaislà?Sorsdechezmoi,immédiatement.
–Maman,arrête.Jelasuppliaienvoyantsonregardhaineux.–NomdeDieu.Vousnevoyezpasquen…n…noussommesentraindediscuter,putain,ditLogan
d’unevoixpâteuse.Celan’allaitpasaméliorerlasituation.Mamanseprécipitasurluietluisaisitlebras.–Tun’asrienàfaireici.Va-t’enavantquej’appellelapolice.Ildégageasonbrasbrusquement,trébuchaenarrièreetallasecognercontrelefrigo.–Nemetouchezpas.Jeparleavecvotrefille.Mamèretournavivementlesyeuxsurmoi.–Voilàexactementpourquoituvastefaireavorter.C’estuneépave.Loganseredressadumieuxqu’ilput,lesyeuxarrondisdedégoût.–Avorter?Tuvastefaireavorter?Jetremblaisdetoutmoncorps,lesyeuxbrouillésdelarmes.–Non.Attends.Maman,arrête.Tucompliquestout.–Vousavezvraimentparléd’avortement?–Nousallonslefairejeudi.J’aidéjàappelépourprendrerendez-vous.Ma mère mentait. J’avais dix-huit ans et j’avais le droit de disposer de mon corps comme je
l’entendais,sanstenircomptedel’avisdemamère.Loganpoussaunlongsoupir.–Waouh.Alors,tuallaislefairesansm’enparler?Tunecroispasquejeseraiunbonpère,c’est
ça?Mamèresemitàrired’unairsarcastique.Cequin’arrangeaitrien,encoreunefois.–Jen’aijamaisditça,Lo.– Si, c’est ce que tu as dit !C’est ce que tu as pensé ! hurla-t-il, les yeux vitreux, comme si la
lumièrequej’aimaistantchezluiavaitdisparudesonexistencetoutentière.–Tuesdéfoncé,Logan,tunem’écoutespas.–Cen’estpasnouveau,marmonnamamèreentresesdents,l’airdégoûté.–Maman,arrête,tuveux?–Non.Ellearaison.Jesuistoujoursdéfoncé,non?C’estcequevouspenseztousdemoi,dit-ilen
nousdésignantdelamain,mamanetmoi.Vousetvotreputaindefricdansvotreputaindegrandebaraqueoùvousaveztoutcequevousvoulez.
Entitubant,ilheurtaaccidentellementunensembledecouteauxquiallèrents’éparpillersurlesol.Mamèreetmoisursautâmes.
Oh,Lo…Reviens…–Sorsd’ici.Immédiatement.Mamèreattrapasontéléphoneetlemontra.–J’appellelapolice.
–Maman,arrête.S’ilteplaît.– Non. Je m’en vais. Tu peux garder tout ça, siffla-t-il. Ton argent. Ta maison. Ta vie. Ton
avortement.Toutlebordel.Jemebarre.Ils’enallaprécipitamment,etjeregardaifixementmamère,levisagenoyédelarmes.–C’estquoitonproblème?–Moi?cria-t-elle,choquée.Cegarçonestunebombeàretardement.Jesavaisquetuétaisnaïve,
AlyssaMarie.Maisjenepensaispasquetupouvaisêtreaussistupide.C’estuntoxico.C’estunmalade,etiln’irajamaismieux.Ilt’auraentraînéeenenferavantquetuaiespufairequoiquecesoitpourlui.Tuferaismieuxderenonceràlui.C’estunecauseperdue.Kellanettoi,vousêtessescatalyseurs.C’estvousquiluipermettezdecontinueràfaireça,etcelanepeutqu’empirer.
J’inspiraiprofondémentavantdepartirencourantpourrattraperLogan.Ilsedirigeaitverslagrillepourl’escaladerdenouveau.–Logan,attends!Ilseretournaversmoi,haletant.– Jeme suis ouvert à toi, dit-il d’une voix dure, qui tranchait totalement avec lamienne, faible,
douloureuse,terrifiée.–Jesais.–Jemesuisouvertàtoi,mêmesijesavaisquecen’étaitpasunebonnechose.Jetel’aidit.Jene
suispascapabled’aimer,Alyssa.Maistum’asforcéàt’aimer,putain.–Jesais.–Tum’asforcéàt’aimer.Etjet’aiaimée,trèsfort,parcequejenesaispasfaireautrement.Jet’ai
aiméedetoutmonêtre,parcequetum’asfaitcroirequecettevievalait,peut-être,lapeined’êtrevécue.Etlà,toutd’uncoup,tutedétournesdemoi.Qu’est-cequejet’aifait?Pourquoiest-cequetu…jet’aiparlédemesrêves.Jet’aitoutraconté.
Il fit quelques pas vers moi, en baissant la voix, tremblant. Quand nos regards se croisèrent, ilsecoualatêteetrecula.
–Nemeregardepascommeça.–Commentjeteregarde?–Jenesuispasmamère.–Jelesaisbien.–Alors,pourquoitumeregardescommesijel’étais,putain?–Logan…jet’ensupplie,écoute-moi.Il vint jusqu’àmoi et nos corps fondirent comme ils le faisaient chaque fois. Il appuya son front
contre lemien,ses larmescoulaientsurmajouealorsque jeposai lesmainssursontorse.Nousnousétreignîmes,nosdeuxcorpsenfeu,brûlantdesavoirpourquoilaviedevaitêtresidure.Ilposaleslèvrescontremonoreille, et je sentis son souffle chaud effleurermapeauquand il prononça les paroles quirejetèrentmonâme.
–Jeneveuxplusjamaisterevoir.
***
Ildisparutcettenuit-là.Ildisparutdemavieenunclind’œil.Finieslesvisitestardlesoir.Sadoucevoix,envolée.Tous
lessoirs,jemedemandaisoùilétait,s’ilallaitbien.Jepassaisrégulièrementchezlui,iln’yétaitpas.Quandjel’appelais,jetombaistoujourssursaboîtevocale.Kellan,nonplus,n’avaitaucunenouvelle.Ilnel’avaitpasrevuetilavaitaussipeurquemoi.
Lorsquej’avaisditàmamèrequej’avaisl’intentiondegarderlebébé,ellem’avaithurlédessusetavait mis ses menaces à exécution. Elle avait annulé son échéancier de paiements pourmes frais descolarité.Erika etKellanm’avaient accueillie dans leur petit appartement et j’essayais de trouvermaplace.Touslessoirs,Kellanetmoiretournionsenvilleetnousparcourionsenvoituretouslesendroitsoù Logan était susceptible de se trouver. Nous parlions à ses copains, mais on arrivait toujours uneminutetroptard,semblait-il.
Il était dans des fêtes,mais semblait toujours avoir disparu. Son pote Jacob nous dit queLoganconsommaitbeaucoup,cesdernierstemps,maisiln’avaitpasréussiàluiparler.
–Jevaisfaireattention,nousjura-t-il.Sijetombesurlui,jevouspréviendrai.J’avaisunnœudàl’estomac.EtsiLoganfranchissaitlalimite?Ets’ilnepouvaitplusressortirdecettesouffrancequileminait?Toutétaitdemafaute.
11ALYSSA
J’avaishorreurde recevoirdes coupsde fil aumilieude lanuit. Ilsme rendaient toujoursnerveuse.Aucunebonnenouvellenevousarrivait à troisouquatreheuresdumatin.Malheureusementpourmoi,j’avaisreçubientropdecesappelsaucoursdesderniersmois,tousàcaused’ungarçonquiavaitmislefeu àmon cœur.Chaque fois que le téléphone sonnait, j’imaginais toujours le pire – unemaladie, unaccident, unemort. Certains soirs, je restais éveillée, les paupières lourdes, en attendant ces appels.Quand je n’en recevais pas, je composais parfois son numéro juste pour entendre sa voix, juste pourm’assurerqu’ilallaitbien.
–Jevaisbien,AlyssaMarieWalters,disait-il.–Tuvasbien,LoganFrancisSilverstone,jerépondaisavantdem’endormir,enl’écoutantrespirer.Maiscesdernierstemps,nousnenousparlionsplus.Quandj’étaisinquiète,jenepouvaispasl’appeler.Quandj’avaispeur,iln’yavaitaucunsonàl’autreboutdelaligne.Alors,cesoir-làquandletéléphoneasonné,j’aieulapeurdemavie.–Alyssa?ditunevoixdansletéléphone.Cen’étaitpascelledeLoganetpourtantc’étaitsonnomquis’affichaitsurmonécran.–Quiestàl’appareil?dis-je,encoreendormie.–C’estJacob…lepotedeLogan.Je…Ilhésita.–Écoute, jesuisdansunefêteet j’ai retrouvéLogan.Ilnevapas trèsbien.Jenesavaispasqui
appeler.Jemeredressaidansmonlit,complètementréveillée.–Oùest-il?
Jacobmedonnatouslesrenseignementsetjetombaidulitpourallerchercherdequoiécrire.–MerciJacob.J’arrive.–Ok,d’accord.Écoute,tuferaispeut-êtremieuxdeveniravecKellan.Jemeprécipitai jusqu’à la chambredeKellanetErikaet je tambourinai sur laporte.Moncœur
battait la chamade et je me mordis la langue pour ne pas pleurer. Je n’arrivais pas à contrôler mestremblementsenattendantd’entendrelavoixdeKellan.Quandilouvritlaporteetsemitàparler,jeprisunepetiteinspirationdouloureuse.Ilavait lamêmevoixqueLogan,j’entombaipresqueàlarenverse.Cela faisait plusieurs semaines queLogan avait décidé de ne plusme parler. Tout ce que je voulais,c’étaitentendresavoixdenouveau.
–Alyssa?Qu’est-cequisepasse?demanda-t-ild’untoninquiet.Il savait commemoiqu’unappel àuneheure aussi tardive, alorsqueLoganavait recommencéà
consommer,pouvaittoujoursêtreceluiquenousredoutionsleplus.–Est-il…–Jen’ensaisrien.Jeluiracontailepeuquejesavais,etquelquesinstantsplustardnousétionspartis.Quandnousarrivâmesàlafête,Jacobnousattendaitsurleperrond’unemaisondélabréàcôtéde
Logan allongé sur un banc. Ses yeux étaient révulsés et un filet de bave coulait au coin gauche de sabouche.
–NomdeDieu,marmonnaKellanenallantverslui.–Ilneréagitpas.–Qu’est-cequ’ilapris?demandaKellan.–Ils’estshootéàl’héroïneetjecroisqu’ilavaitsnifféavant.Maisjenesaispass’ilaprisautre
chose.–Pourquoin’as-tupasappelélesflics?!JecriaienmeprécipitantversLoganetj’essayaidelesoulever.Iltressaillitetsemitàvomirsurle
perron.–Jenesaispas,moi.Écoute,d’habitudeLoganarriveàgérer.Maisdepuisquelquessemaines,ilse
défoncevraiment. Jenepouvaispasappeler les flicsparceque…Écoute, jenesavaispasquoi faire,c’estpourçaquejevousaiappelés.
CelafaisaitunmomentquejeconnaissaisJacob.Iln’yavaitpasbeaucoupdepersonnesqueLoganconsidéraitcommedesamis,maisJacobétaitundesraresdontilparlaitdefaçonpositive.Mais,cesoir-là,jen’étaispasd’accord.Unvéritableami–unamisincère–nelaisseraitjamaisquelqu’undégringolersibassansluitendrelamain.
–Tuauraisdûappeleruneambulance.J’étaisfurieuse.Effrayée.Furieuseeteffrayée.–Aide-moiàlemettredanslavoiture,ordonnaKellanàJacob.Ilsl’installèrentsurlesiègearrière,etjemontaiàcôtédelui.–Ilrisquederecommenceràvomir,Alyssa.Tuferaispeut-êtremieuxdemonterdevant.
–Jepréfèreêtrelà.KellanremerciaJacob,etnouspartîmesàl’hôpitalpourfaireexaminerLogan.Jenel’avaisjamais
vucommeçaetj’avaisl’impressiondedevenirfolle.–Maintiens-leéveillé,d’accord?ditKellan.JefisouidelatêteetmeslarmestombèrentsurlesjouesdeLogan.–Ilnefautpasquetut’endormes,ok?Gardelesyeuxouverts,Lo.IlposasatêtesurmesgenouxsurlesiègearrièredelavoituredeKellan.J’étaisterroriséeenme
disant que s’il fermait les yeux, il ne les rouvrirait plus. Il était trempé de sueur et chacune de sesinspirationssemblaitdouloureuse.Chacunedesesexpirations,exténuante.
Ilsemitàrire.–Hi.Jefisunemoue.–Salut,Logan.Ilsecoualatêteetseredressasursescoudes.–Non,pas«hi»commesalut.High.H-I-G-H.Comme«stone».Je détestais quand il parlait de défonce. Je détestais qu’il se perde dans quelque chose qui
transformaitmonmeilleuramienmaplusgrandepeur.Quet’est-ilarrivécesoir,Logan?Qu’est-cequil’avaitpousséaussiloindansceszonesdeténèbres?
Soudain,laréponsemesemblaévidente.C’étaitmoi.C’étaitmoiquiluiavaisfaitça.C’étaitmoiquil’avaispousséàpoursuivresesombres.Jesuisdésolée,Logan.Alorsquejeregardaisfixementsesyeuxàdemiouverts,lesparolesdemamèrerésonnèrentàmes
oreillesetdansma tête.C’estun toxico,Alyssa.C’estunmalade,et iln’ira jamaismieux. Il t’auraentraînéeenenferavantquetuaiespufairequoiquecesoitpourlui.Tuferaismieuxderenonceràlui.C’estunecauseperdue.Kellanet toi,vousêtessescatalyseurs.C’estvousqui luipermettezdecontinueràfaireça,etcelanepeutqu’empirer…
–Tuplanes,murmuraLoganenlaissantretombersatête.–Quoi?–Tum’appellesLo,cequimevabienparcequejesuisnul.Jesuislefonddufonddeceputainde
trou.Maistoi?Ilricanaenfermantlesyeux.–Tuesmonplusbeautrip,cequej’aidemieux.Ettuasbrisémonputaindecœur.Mesyeuxs’emplirentdelarmesetjeleserraidansmesbras.–Nefermepaslesyeux,Lo,ok?Nefermepaslesyeux.Je jetaiuncoupd’œilà l’avantde lavoiture,Kellans’essuyait levisage.Jesavaisquevoirson
frèredanscetétatdevaitêtrelachoselaplusdifficilequ’ilaitjamaiseueàsupporter.
Jesavaisqueceladevaitluibriserlecœurautantqu’àmoi.–Ramène-moilà-bas,marmonnaLoganenessayantdeseleverdusiège.–Calme-toi,Logan.Toutvabien,ditKellan.–Non.Ramène-moi,hurla-t-ilenselevantd’unbondpoursejetersurlevolant,obligeantKellanà
faireuneembardée.–Ramène-moilà-bas!Nousfîmestoutcequenouspouvionspourl’arrêter,pourl’obligeràsemaîtriser,àsecalmer,mais
toutàcoup,Kellanperditlecontrôledelavoiture.Ellefitunbrusquevirageàgauche.Ettoutdevintnoir.
12LOGAN
Lorsque j’ouvris les yeux, j’étais dans une chambre d’hôpital et le soleil pénétrait par la fenêtre.J’essayaidemeretourner,maistoutmoncorpsétaitdouloureux.
–Merde.–Çava?Enmetordantlecou,jevisKellanassissurunechaiseavecdespaquetsdedépliantsdanslesmains
et un gros pansement sur le front. Il portait un sweat à capuche et un pantalon de survêtement et,contrairementàsonhabitude,ilnesouriaitpas.
–Non.J’ail’impressiond’avoirétépercutéparunsemi-remorque.–Cen’estpasplutôtcommesituétaisrentrédansunesaletédemur?Enmetournantverslagauche,jevisErika.Elleavaitlesbrascroisésetmeregardaitd’unœildur.
Unhommeavecunnœudpapillonétaitàcôtéd’elle.Iltenaitunbloc-notesàlamain,etJacobétaitassisdansuncoin.
Ques’était-ilpassé?QuefaisaitJacobavecKellan?–Tunetesouvienspas?demandaKelland’untonpeuaimable.–Mesouvenirdequoi?–D’avoirpercutéunsatanémur!s’exclamaErikad’unevoixtremblante.L’hommequisetenaitàcôtéd’elleposaunemainsursonépauleenungesterassurant.Jefermailes
yeuxpouressayerdemesouvenir,maistoutétaittrèsconfusdansmatête.–Logan,ditKellanensepinçant l’arêtedunez,nous t’avons trouvé inanimésur leperrond’une
maison.Alors,nousavonsessayédet’emmeneràl’hôpitalpourtefaireexaminer,maistuaspaniquéettuasprislecontrôleduvolantettunousasfaitpercuterunmur.
–Quoi?
J’avaislagorgesèche.–Tuvasbien?Ilhochalatête,maisErikan’étaitpasd’accord.–Montre-lui,Kellan.–Arrêteça,Erika.–Non.Ilfautqu’ilvoie.Ilfautqu’ilvoiecequ’ilafait.Kellanbaissalatêteetregardaseschaussures.–Laissetomber,Erika.–Montre-moi.Ilsepassalamainsurlanuqueetsoulevasonsweatpourmemontrerlecôtédesontorsequiétait
toutnoiretbleuavecdesnuancesdeviolet,dehautenbas.–Putain!C’estmoiquiaifaitça?–Çava,ditKellan.–Non,çanevapas,ditErikad’unevoixcinglante.Ellearaison,çanevapas.–Kel,jesuisvraimentdésolé,jenevoulaispas…–Etcen’estpaslepire!Tuasfaillituermasœur!Moncœurseserra.Alyssa.High.Monplusbeautrip.–Qu’est-ilarrivéàAlyssa?Oùest-elle?Jetentaidemeredresser,maisladouleurquimevrillaledosm’enempêcha.–Logan, reste tranquille.Lesmédecins s’occupentd’Alyssa.Maispour l’instant, il s’agit de toi.
Nousavonsfaitvenirquelqu’unquipeutt’aider,ditKellan.–M’aideràquoi?Jen’aibesoindel’aidedepersonne.Qu’est-ilarrivéàAlyssa?J’avaisl’impressionquelesmursdelachambreserefermaientsurmoi.Qu’est-cequejefaisaislà?
Pourquoiest-cequetoutlemondemeregardaitcommesij’étaisundéchet?Pourquoirefusaient-ilsdemedirepourAlyssa?
–Noussommestouslàparcequenoust’aimons,essayad’expliquerKellan.Etsoudain,undéclicsefitdansmatête.Jecomprispourquoil’hommeaunœudpapillonétaitdans
lachambre.Ilsmettentenplaceuneprocédured’interventionpourmoi.Dansunechambred’hôpital.–Vousm’aimez?Mavoixsechargeaitd’amertumeàmesurequejeprenaislentementconsciencedecequisepassait.–Tuparles!–Arrête,Logan.Tun’espasjuste,ditKellan.Entournantlatête,jecroisaileregardlourdd’angoisseetd’inquiétudedeKellan.–Toi,arrête,Kellan,ok?
Jelevailesyeux.– Alors quoi ? C’est une procédure d’intervention ? Vous pensez tous que je suis tellement
déglinguéqu’ilétaiturgentquevousvousréunissiezdansunechambred’hôpitalpourmemettreleplusmalàl’aisepossible,parcequevousestimezquejesuisdangereux?Ilfallaitquevousfassiezvenirdesgensquin’enontrienàfoutredemoi?J’aicommisuneerreurhiersoir.
JefisunsigneversJacob.–C’estplutôthypocritedefairevenirceconnardquisedéfonçaitavecmoilasemainedernière,tu
necroispas?Jacob,jesuispratiquementsûrquetuesdéfoncé,làmaintenant.Jacobfronçalessourcils.–Arrête,Logan…–Non.Ettoi,Erika,jenesaismêmepascequetufaislà,bordel.Tunepeuxpasmesupporter.–JenetedétestepasLogan.Elleavalasasaliveavecdifficulté.–Écoute,c’estunpeudur.–Putain!J’aimeraisvraimentquevousarrêtieztousdemeparleraveccetairsupérieur,commesi
vousvaliezmieuxquemoi.Vousn’êtespasmeilleursquemoi.J’eusunpetit rire sarcastique, en essayant deme redresser. J’étais sur la défensive, parcequ’au
fonddemoijesavaisqu’ilsavaientraison.–En fait, c’est plutôt comique.On est là en train deme présenter comme unmec complètement
perturbéalorsquetouslesgensassisdanscettepiècesontaumoinsaussiperturbésquemoi.Kellanestincapabled’affronter sonconnarddepèrepour luidirequ’ilveutdevenirmusicienetnonpasavocat.Jacobestaddictà lapornographiechelouavecdesfourchettesetdestrucsmerdiques.Erikacasseuneassietteetenrachètecinquantepourlaremplacer,justepourlecasoùl’assietteneuveseraitcasséeaussi.Personnenetrouvecettehabitudedecasseretderachetercomplètementdingue?
–Jepensequenousvoulonsseulementquetuaillesmieux,Logan,ditKellan.Jemedemandaissisoncœurbattaitdefaçonaussifrénétiquequelemien.–J’imagineàpeinecequetuasvécuavecmaman,dit-il.Jemedisqueçanedoitpasêtrefacilede
restercleanavecelle.–Tudoistesentirplutôtbiendanstesbaskets,jedisenluipassantledoigtsouslenez.Toi,tues
Kellan, l’enfantparfait.Celuiquiaunpère riche.Celuiquiaunavenir.Celuidont lecheminest touttracé pour aller dans une université réputée et devenir un avocat réputé. Etmoi, je suis juste le frèreperturbéavecunemèretoxicoetunpèredealer.Ehbien,félicitations,Kellan.C’esttoiquigagnes.Tueslefilspréférédemaman,celuiquiafaitquelquechosedelui-même,alorsquemoijenesuisqu’ungaminpathétiquequiseraprobablementmortavantd’atteindresesvingt-cinqans.
Kellanprituneinspirationpeinée.–Pourquoitudistoutescesconneries?Ilfaisaitlescentpasdanslachambre,lesnarinesdilatées.
– C’est quoi ton problème, Logan ? Réveille-toi. Réveille-toi. On fait tout ce qu’on peut pourt’aider,ettoitunoushurlesdessuscommesionétaitl’ennemi,alorsqu’enréalité,l’ennemiestdanstatête.Tutedétruis.Tutedétruisettut’enfous,cria-t-il.
Kellann’élevaitjamaislavoix,jamais.J’allaisdirequelquechose,maissonregardm’arrêtanet.Ilplissalesyeuxet,l’espaced’uneseconde,j’auraispujureryvoirunéclairdehaine.Ilsepassalesmainssurlevisageencoreetencoreenessayantdesecalmer.Enparlant,ilreniflait
pourdissimulersonémotion.Ilmelançalesbrochuresetquandellesatterrirentsurmesgenoux,jeluslestitresenboucle.
CentredereposetdedésintoxicationSaintMichaelWaterloo,Iowa.–Désintox?Tupensesquejedoisallerencurededésintox?Vouspenseztousquej’aibesoinde
mefairedésintoxiquer?Jevaisbien.–Tuasfoncédansunmuravecunevoiture,ditErikapourlacentièmefois.–C’étaitunaccident,Erika!Tun’asjamaisfaitd’erreur,toi,peut-être?–Si,Logan.Maispasaupointdemanquerdetuermonpetitamietmasœur.Tuesunvraidésastre,
etsitunetefaispasaider,tuvasfaireencoreplusdemal.OùestHigh?–Écoute,on s’égare, là,Logan.Nousvoulons t’aider.Monpèrepaierapour ton séjouren Iowa.
C’estunedesmeilleures institutionsdupays. Jepenseque tupourrasy trouver toute l’aidedont tuasbesoin.
J’ouvrislabouchepourrépondre,maisKellanm’enempêcha.Ilplissalesyeuxetjepourraisjurerque,l’espaced’uneseconde,j’yvisunéclaird’amour.
Unéclaird’espoir.Unéclairdesupplication.–Est-cequejepourraisresterseulavecmonfrère?jemurmuraienfermantlesyeux.Toutlemondequittalachambreenrefermantlaporte.– Je suis désolé, Kel, je dis enme tordant les doigts. Je n’ai pas fait exprès de provoquer cet
accident.Jenevoulaispasça.MaisquandAlyssaaditqu’elleallaitsefaireavorter…–Quoi?m’interrompitKellan.– Tu n’étais pas au courant ? Alyssa était enceinte. Mais elle a fait une IVG il y a quelques
semaines.C’estsamèrequi l’aaccompagnée,etçam’adémoli,Kel.Jesaisque jen’aipasdonnédenouvellesdepuisplusieurssemaines,maisc’estlebazardansmatête.
–Logan…Kellanserapprochaettiraunechaiseprèsdemonlit.–Ellen’apasfaitcetteIVG.–Quoi?Moncœurs’emballa,etj’agrippailesbarrièresdemonlit.–Maissamèreadit…
–Samèrel’afichuedehorsquandAlyssaluiaditqu’elleallaitgarderlebébé.Ellevoulait teledire,maistuasdisparudesradars.
Jemeredressai,animéparunespoirplusfortqueladouleur.–Ellenel’apasfait?Ilbaissalesyeuxsursesmains,croiséessursesgenoux.–Non.–Alors…J’étouffaissouslechocdesémotionsquimesubmergeaient.–Jevaisêtrepapa?–Logan…Kellansecouaitlatête.Ilouvritleslèvres,maisaucunsonn’ensortit.Ilsemassalestempes.–Aumomentdel’accident,ellen’avaitpassaceinture.Quandtuasattrapélevolant,elleaessayé
det’enempêcheret,aumomentdelacollision,elleaétééjectéeparlepare-brisearrièrequiavoléenéclats.
–Non.Jesecouailatête.–Ellevabien,mais…–Non,Kellan.–Logan.Elleaperdulebébé.Jepressaimespoucessurmesyeuxpourretenirmeslarmes.–Nedispasça,Kel.Nedispasça.Jelerepoussaiviolemment.–Nemedispasça.–Jesuistellementdésolé,Logan.Je me mis à sangloter dans mes mains, en tremblant de façon hystérique. C’est moi qui suis
responsable.J’aiprovoquél’accident,c’estmoiquil’aifait.C’estentièrementdemafaute.Kellanmepritdans sesbras, et jem’effondrai, incapabledeparler, incapablede fairecesser la
douleur, incapable de respirer. Chacune de mes respirations était douloureuse, chaque expiration medemandaituneffort.
13ALYSSA
–Salut,murmuraLoganenpénétrantdansmachambred’hôpital.Il portait ses vêtements habituels, et les quelques ecchymoses sur son visage ne semblaient pas tropgraves.J’espéraisqu’ilserendaitcomptedelachancequ’ilavaitd’êtresortiindemnedecetaccident.
–Salut.Depuislaveille,j’étaisdanscelitd’hôpitalàmedemandercequej’allaisluidire.Messentiments
passaient d’un extrême à l’autre, alternant entre le chagrin et la fureur. J’avais envie de lui hurler auvisage.Deluidireàquelpointjeluienvoulaisetdedéversertoutelarancœurquej’avaisaccumuléecontre lui pour avoir osémettre en doutemes intentions pour le bébé. Je connaissais ses rêves, et jeconnaissaissessentiments.Jesavaisquenousaurionsputrouverunmoyendenousensortir.Et lui, ilavaitfichulecamp.J’avaisenviedelehaïr,maisàl’instantoùjelevis,toutcelafutmodifié.
Jeneressentisplusqu’unimmensechagrin.Ilouvrit labouche,mais la refermaaussitôt. Il sepassa lamaindans lescheveuxenévitantmon
regard.C’étaitcommedansunrêve–nousétionstoutprèsl’undel’autre,maisungouffrenousséparaitencore.C’étaitunrêvequejeneparvenaispasàdissiper,etjevoulaisquecesoitLoganquimeréveille.
Jevoulaisqu’ilmepromettequecen’étaitqu’unrêvequis’étaittransforméenunaffreuxcauchemarsansqu’onsachecomment,maisqu’auleverdujour,jemeréveillerais.
Jevoulaismeréveiller.MonDieu…faitesquejemeréveille.J’étais assise du côté droit du lit, les genoux repliés sur la poitrine. Je m’étouffais à chaque
respiration que je prenais. L’air dans la pièce était irrespirable, toxique, empoisonné.Mon envie depleurer étaitdeplusenplusdifficile à contrôler et je tremblaisde tousmesmembres.Le seul faitderegarderLoganfaisaitvolermoncœurenéclats,maisjeneversaipasunelarme.
–Jevaisbien,jefinispardire,alorsquemoncorpstoutentiermedisaitquecen’étaitpasvrai.
–Est-cequejepeuxteprendredansmesbras?–Non,dis-jefroidement.–D’accord.Jeregardaimesmains,enpleineconfusion.–Oui.–Oui?demanda-t-ilenhaussantlégèrementlavoix.–Oui.Ilposalamainsurmonépauleavantdemontersurlelitetdem’entourerdesesbras.Jefrissonnai
ensentantsesdoigtssurmapeaupourlapremièrefoisdepuissilongtemps.–Jesuisdésolé,High.Sacaresseétaitsichaude…Tuesrevenuversmoi.Les larmes roulèrent surmes joues.Toutmoncorps était secouéd’un tremblement incontrôlable,
maisLoganme serrait fort contre lui, refusant deme lâcher de sitôt.Nous appuyâmes nos fronts l’uncontrel’autre,etseslarmeschaudessemêlèrentauxmiennes.
–Jeregrettetellement,High.Nousrestâmesenroulésl’undansl’autre,portantlemondesurnosépaules,jusqu’àsombrertousles
deuxdanslesommeil.Ilétaitrevenu.Quandjem’éveillai,ilmetenaittoujoursserréecontrelui,commesij’étaissaplanchedesalut.Je
meretournaipourluifaireface.Ildormait,sarespirationrégulièreétaitàpeineplusqu’unmurmure.Jeprissesmainsdanslesmiennesetcroisainosdoigtsensemble.Ils’agitaunpeuavantd’ouvrirlesyeux.
–Alyssa,jenesaispasquoidire.Jenesavaispasquetuétais…jene…Jen’avaisjamaisentenduunetellevulnérabilitédanssavoix.LeLoganquiétaitpartidechezmoi
plusieurssemainesauparavantétaitsidétachédemoi,desesémotions.Maismaintenant,levoirpleurerenprenantmonvisageentresesmainsbrisaitlepetitmorceaudemoncœurquicontinuaitàbattre.
–Jen’auraispasdûpéter lesplombs.J’auraisdûrester.J’auraisdû teparler.Maismaintenantàcausedemoi…àcausedemoi…
Ilenfouitlatêtedanslecreuxdemonépauleets’effondra.–Jel’aitué,dit-ilenparlantdubébé.C’estdemafaute.Jeprissonvisageentremesmainscommeiltenaitlemien.–Logan.Tutefaisdumal.Jepouvaispresquesentirsesremordssousmesdoigtstandisquesesyeuxs’emplissaientdelarmes.
Jenichaima têtecontresoncou,etmonsoufflechaud fondit sur sapeau.Mespaupières tombaientdefatigueetjebattisdescilsdeuxoutroisfoisavantdefermerlesyeuxetdeluimurmureràl’oreille.
–Arrêtedetefairedumal.Je ne pouvais pas le détester. Quoi qu’il arrive, je ne pourrais jamais détester Logan. Quant à
l’aimer ? Cet amour existerait toujours. Nous allions trouver ensemble un moyen de dépasser letraumatismedeceterribleaccident.
C’étaitnouscontrelemonde,nousserionssolidaires.–Jevaispartir,dit-ilensereprenantetens’essuyantlesyeux.Jemeredressai,alarmée.–Quoi?–Jem’envais.Jevaisdansuncentrededésintoxication,dansl’Iowa.Mes yeux brillèrent d’impatience. Un peu plus tôt, Kellan m’avait parlé de ce centre de
désintoxication,etnousespérionsvraimentl’unetl’autrequeLoganaccepteraitdesuivreleprogrammedequatre-vingt-dixjours.Celaneferaitpasdisparaîtreladouleurquenouséprouvionsluietmoi,maisilpourraitapprendreàmieuxlagérer.
–C’estsuper,Lo.C’estunebonnenouvelle.Etquandtureviendras,nouspourronsrepartiràzéro.Nousseronsdenouveautouslesdeux.
Ilplissalefrontensecouantlatête.–Jenereviendraipas,High.–Quoi?– Je vais quitter True Falls et je ne reviendrai pas. Je ne reviendrai jamais dans leWisconsin,
jamais,etjenereviendraijamaisici.Jem’écartailégèrementdelui.–Arrêteça.–Jenevaispasrevenir.Jefinistoujoursparfairedumalauxgens.Jedétruisdesvies.Etjenepeux
pascontinueràdétruirelatienneoucelledeKellan.Jedoisdisparaître.–Tais-toi,Logan!jehurlai.Arrêtededireça.–J’aibienvucommentçasepassait.Nousrentrerionsdansuneroutine,danslaroueduhamsteroù
ontourneencoreettoujours,etoùjedémolistoujourstavie.Jenepeuxpastefaireça.Jeneveuxpas.Ilselevadulitetenfonçasesmainsdanssespoches.Ilhaussalesépaulesetmefitunpetitsourire
triste.–Jesuisdésolé,High.–Nefaispasça,Lo.Nemequittepascommeça.Enlesuppliant,jeluiprislesmainspourl’attirerversmoi.–Nemequittepasencoreunefois.Nefuispas.Jet’ensupplie.J’aibesoindetoi.Je ne pourrais pas surmonter cette épreuve sans lui. J’avais besoin de lui pour apprendre àme
relever.J’avaisbesoind’entendresavoixtardlesoir,j’avaisbesoindesonamourtôtlematin.J’avaisbesoindelaseulepersonnequiavaitperducequej’avaisperdupourlepleureravecmoi.
J’avaisbesoindemonLo,aussidépriméetdouloureuxfût-il,àmescôtés.Il déposa un unique baiser sur mon front et me chuchota quelques mots à l’oreille avant de se
retourneretdemequitter.Jecriaisonnom.Ladernièrechosequ’ilm’avaitditesemitàtourneretàtournersanscessedansmatête.Desmots
quimeblessaientplusquetout.
– J’aurais été nul, avait-il murmuré dans mon oreille en me faisant frissonner. J’aurais été nulcommepère.Maistoi?
Ilavaitdéglutiavecdifficulté.–Tuauraisétélameilleuredesmères.Notreenfantauraitétéhonoréd’êtreaimépartoi.Etilavaitdisparu.Avec ces quelquesmots simples et le son de son pas qui s’éloignait, j’ai découvert ce que cela
voulaitvraimentdired’avoirlecœurbrisé.
DEUXIÈMEPARTIE
Deleurscendres,ilsserelevèrentpourdenouveauseconsumerd’unfeuardent.
Iln’avaitjamaisoubliésonéclat.Ellenel’avaitjamaisoublié.
MESSAGE1
Salut, Logan, c’est Alyssa. J’appelle juste pour savoir comment tu vas. C’est juste que… jedétesterepenseràlafaçondontnousnoussommesquittés.Çamefaitmaldemedirequelesderniersmomentsquenousavonspassésensemblen’étaientpasterribles.C’estaffreuxcequetumemanques.Toutçamefaitdumal,etj’aihorreurdeça.
Pourtant,jevaiscontinueràt‘appeler,touslesjours,mêmesitunerépondspas.Jeveuxquetusachesque tun’espas tout seul.Mêmesic’est trèsdifficile.Jeveuxque tusachesque tun’espasseul.
Àbientôt,Lo.
MESSAGE2
Salut,c’estmoi.Celafaitcinqjoursquetuesàlaclinique,etj’auraisaiméentendretavoix.Kellan m’a dit qu’il t’avait parlé et que tu vas bien. Est-ce que tu vas bien ? Je l’espère
sincèrement.TumemanquesLogan.Tellement.Jesuisheureusequetutravaillessurtoi-même.Tulemérites.
Àbientôt,Lo.
MESSAGE14
Deuxsemaines.Tueslà-basdepuisdeuxsemaines,etKellanm’aditquetuallaisbien.Ilditquetuasunpeudemalàsupporterlemanque,maisjesaisquetuesplusfortquetespiresdémons.
Hier soir, j’étaisallongée surmon lit et j’écoutaisundisque sur laplatinevinylequi sauteàintervallesréguliers,etcelam’afaitpenseràtoi.
Celam’arappelélapremièrefoisoùnous…Laissetomber.Tumemanques,c’esttout.Certainsjourssontplusdursqued’autres.Àbientôt,Lo.
MESSAGE45
Tuasfaitlamoitiédelacure.Commentvas-tu?Manges-tusuffisamment?Est-cequetuaslesidéesclaires?J’espèrequ’ilsontdesdocumentairesenDVDpourtoi.Si tuveux, jepourraispeut-êtrevenirt’enapporter.J’aivuunnouveaudocsurlesBeatlesetj’aipenséqu’ilteplairait.
Veux-tuquejetel’apporte?Jeviendraisituveux.Ilsuffitquetumeledises.J’ailaissédesmessagessurtaboîtevocaletouslesjoursdepuisquarante-cinqjoursetjevais
continuer.Jevoudraisseulemententendretavoix.J’aimeraistellementqueturépondesautéléphone.Lo…S’ilteplaît.Bonsang,cequetupeuxmemanquer.Àbientôt,Lo.
MESSAGE93
Salut,c’estAlyssa.Lacureestterminée,etj’aidumalàretenirmeslarmes.Jesuistellementfièredetoi.C’estbien.
C’estsuper…Kellanditquetuvasbien.Quetuesenformeetquetuaslemoral.Ilm’a aussi dit qu’il t’avait apporté desDVD. Pourquoi tu neme l’as pas demandé àmoi ?
Pourquoiturépondsàsesappelsetpasauxmiens?Qu’est-cequej’aifaitdemal?Jetelesauraisapportés,Logan,lesDVD.Jetelesauraisapportés.Maisçanefaitrien.Àbientôt,Lo.
MESSAGE112
Ilm’aditquetunereviendraispasàTrueFalls.Ilditqueturestesdansl’Iowa.Jenet’avaispascruquandtumel’avaisdit.Jenevoulaispastecroire.
Ilm’aditquetuavaistrouvéunappartetunboulot…C’estbien.Situasbesoindequoiquecesoit,denourriture,demeubles…decompagnie.C’estseulementquetumemanques,c’esttout.Jenepeuxpascroirequetunevaspasrevenir.C’estbien,malgrétout.C’estbienpourtoi.Jet’aime.Àbientôt,Lo.
MESSAGE270
Sais-tuque c’est cemois-ci que le bébé serait né? Je serais à l’hôpital et tume tiendrais lamain.Jesaisqu’onpourraitcroirequejepleure,maisnon.
Jesuisseulementunpeusoûlecesoir.Jeneboisjamais,alorsilnem’enfautpasbeaucoup.Uneamiem’ainvitéepourmechangerles
idées.Çaauraitétéencoremieuxsij’avaisentendutavoix.Maistunem‘aspasappelée.Peut-êtrequetuaschangédenuméro.Peut-êtrequetuespasséàautrechose.Peut-êtrequetun’enasplusrienàfoutre.Jem’enfous
quetut’enfoutes!Çanefaitrien.Tupeuxallertefairefoutre,Logan.Pournem’avoirjamaisappelée,pasmêmeunefois.Tune
m’aspasappelée.Excuse-moi.Jesuisunpeusoûle,cesoir.Àbientôt,Lo.
MESSAGE435
Qu’est-cequetufaislanuitquandilpleut?Moi,jem’allongesurmonlitetjepenseàtavoix.Àbientôt,Lo.
MESSAGE756
C’estdécidé,jetedéteste.Jedétestetoutcequiteconcerne.Maispourtant,j’espèrequejeteverraibientôt,Lo.
MESSAGE1090
Jelèveledrapeaublanc,Logan.Jesuisfatiguéeetj’abandonne.J’arrête.Cinqans.C’estfini,jenelaisseraiplusdemessages.Jet’aime.Tumemanques.Jetesouhaited’êtreheureux.
MESSAGE1123
Logan,c’estKellan.Écoute,jesaisquetuasrefaittavielà-basdansl’Iowaetquetoutvabienpourtoi.Etjenetedemanderaisjamaisderevenirdanscettevilledemerdesicen’étaitpasvraimentimportantpourmoiet…Erikaetmoiallonsnousmarier.Maisjenepeuxpasmemariersansquemonfrèresoitlà.Jenepeuxpasmetenirdevantl’autelsansquelerestedemafamillesoitàmescôtés.
Jesaisquec’estbeaucoupdemander.Maisjeteprometsquejenetedemanderaiplusjamaisriend’autre.Enplus,j’aiachetéledocsurlaNASAdontnousavonsparléilyaquelquessemaines.Tunel’aurasquesituesmonputaindegarçond’honneur.Oui.J’essaied’achetertonamouretjeneculpabilisepasdutout.Àbientôtautéléphone.
14LOGAN
Cinqansplustard
Touslessoirs,j’allumaisunecigaretteetjelaposaissurlereborddemafenêtre.Letempsqu’elleseconsume, jem’autorisais à repenser àmonpassé. Jem’autorisais à souffrir et à ressassermes regretsjusqu’àcequelabraiseatteignelefiltre.Alors,jebloquaismonespritetjem’autorisaisàoublier,parcequeladouleurétaittropdifficileàaffronter.Quandmonespritétaitréduitausilence,jem’activaispourmaintenirlessouvenirsàdistance.Jeregardaisdesdocumentaires,jefaisaisdespetitsboulots,jefaisaisdelamusculation,jefaisaistoutcequiétaitpossiblepourm’empêcherdemesouvenir.
Mais aujourd’hui mon frère m’avait rappelé, de l’endroit même que je fuyais depuis cinq ans.LorsquejemeretrouvaiàTrueFalls,jerestaiassisdanslagareàmedemandersijeneferaispasmieuxdetrouverunmoyenderéunirl’argentpourm’acheterunbilletsimple,retourdirectdansI’Iowa.
–Vousarrivezouvouspartez?medemandaunefemmeassisedeuxsiègesplusloin.Jemetournaiverselle,quelquepeuprisdecourtpar l’intensitédesesyeuxverts.Ellemefitun
petitsourireetsemitàmâchouillerl’ongledesonpouce.–Jenesaispasencore.Etvous?–Jereviens.Pourdebon,jepense.Elle continuait à sourire,mais plus elle souriait plus elle semblait triste. Je ne savais pas qu’un
sourirepouvaitrefléterautantdetristesse.–J’essaieseulementdegagnerencoreunpeudetempsavantderetourneràmavie.C’étaitunechosequejepouvaiscomprendre.
Jemerenfonçaidansmonsiègeenessayantdenepasmerappelerlaviequej’avaislaisséederrièremoitantd’annéesauparavant.
–J’aimêmeretenuunechambred’hôtelpourlanuit,dit-elleensemordantlalèvreinférieure.Justepouravoirencorequelquesheuresd’oubli,vousvoyez?Avantderetournerdanslavraievie.
J’acquiesçai d’un signe de tête. Elle se rapprocha de moi en glissant sur les sièges, sa jambeeffleuralamienne.
–Tunetesouvienspasdemoi,hein?Jepenchailatêteverselle,etellem’adressadenouveaucesouriretristetoutenpassantlesdoigts
dansseslongscheveux.–Jedevrais?Ellesecoualatête.–J’imaginequenon.Jem’appelleSadie.Elle battit des paupières comme si son nom devaitme rappeler quelque chose. Les coins de sa
boucheretombèrent.–Bref.Tum’asl’aird’êtrelegenreàvouloiroublierpendantunmoment,toiaussi.Situveux,tu
peuxm’accompagneraumotel.J’auraisdûluidirenon.J’auraisdûignorersonoffre.Maisilyavaitquelquechosequim’attirait
danslatristessequ’elledégageait,danslafaçondontsonâmetorturéesemblaitseconsumercommelamienne.Alors,j’aiattrapémonsacàdos,jel’aipassésurmonépauleetj’aisuiviSadieverslepaysdel’oubli.
***
–Onafréquentélamêmeécolependantdesannées,ditSadiealorsquenousétionsallongésdansunechambred’unmotelpourri.
Je m’étais déjà retrouvé dans ce motel il y avait une éternité de ça. Dans les vapes, dans unebaignoire crasseuse. Me trouver là ne réveillait pas les plus beaux souvenirs, mais je me dis qu’enrevenant dans le Wisconsin au bout de cinq ans, tout allait être comme ça, recouvert de rappelsmerdiques.
Seslèvrestachéesdevinbougèrentenclaquantdefaçonstridentesursesgencives.–Enterminale,tucopiaissurmoipourtouslestestsdemaths.C’estgrâceàmoisituasréussiton
bac.Elleseredressasursescoudes.– J’ai rédigé quatre de tes dissertations en anglais. Et si tu parles espagnol, c’est grâce àmoi !
Sadie?SadieLincoln?Aucunsouvenir.–Jeneparlepasespagnol.–Ehbien,tudevrais.Tunetesouviensvraimentpasdemoi?
Celasemblaitl’attrister,maisellen’auraitpasdû.Celan’avaitriendepersonnel.Ilyavaitpleindechosesquej’avaisoubliées.
Etpuisilyavaittoutcequej’auraisvouluoublier.–Pourêtrefranc,pendantlaplusgrandepartiedemesétudesaulycée,j’étaisshooté.C’étaitlavérité.–Oualors,tuétaisaveccettefille,AlyssaWalters.Mapoitrineseserraenmêmetempsquemamâchoire.Àlaseulementiondesonnom,unflotde
souvenirsmerevenaientàl’esprit.–Elleesttoujoursenville?jedemandaienm’efforçantdeprendrel’airdétaché.Il y avait desmois qu’Alyssa neme laissait plus demessages et quandKellanm’appelait, nous
évitionsd’aborderlesujet.Sadiefitouidelatête.–ElletravailleàHungryHarry,lerestau.Jel’aivueaussiaumagasindemeublesdeSam.Etpuis
elle joue dupianodans plusieurs bars. Je ne sais pas.On la voit partout.Celam’étonneque tu ne lesachespas.Vousétieztoujourscollésl’unàl’autretouslesdeux,cequifaisaitbizarrequandonypense,vousn’aviezrienencommun.
–Nousavionsdestasdechosesencommun.Unriresarcastiques’échappadeseslèvres.–Ahbon?Labonneélèveenmusiquequiavaittoujoursdesbonnesnotesetlecaméavecunemère
toxico,quiarrivaitdejustesseànepasavoirzéro–grâceàmoi–avaientdestasdechosesencommun?–Arrêtedeparlerdecequetuneconnaispas.Ellecommençaitàm’énerver.À l’époque,Alyssaetmoipartagionsplusdechosesquen’importequi sur cetteplanète.Etpuis
qu’est-cequ’ellesavaitdemamère,cetteSadie?Qu’elleaillesefairefoutreavecça!J’aurais dû sortir de cette chambre. J’aurais dû lui dire de foutre le camp et d’aller se chercher
quelqu’un d’autre à emmerder,mais le truc, c’était que je n’avais vraiment pas envie d’être seul. Jevenais de passer cinq années d’une solitude totale, si on ne tenait pas compte des visites éventuellesd’unesouris,detempsentemps.
Sadiegardalesilenceaussilongtempsqu’elleleput,autantdiretrèspeudetemps.Ellenesavaitpascequec’étaitquelapaixdusilence.
–Alors,c’étaitvrai?Quetuétaisendésintox?Elle parlait trop pour moi. J’avais horreur d’évoquer la cure, parce que la moitié du temps je
regrettaisdeneplusêtreàlaclinique.L’autremoitié,j’auraisvouluêtredenouveaudansuneruelleàsnifferune ligneoudeuxsur lecouvercled’unepoubelle.Celafaisaitun tempsfouque jen’avaispasconsommé,etpourtantjecontinuaisàypenserpratiquementtouslesjours,putain!LedocteurKahnavaitditqueceseraitdurderetournerdanslavraievie,maisqu’ellecroyaitquejepouvaisyarriver.Jeluiavaispromisquechaquefoisquej’auraisenvied’enreprendre,jeferaisclaquersurmapeaul’élastique
rougequ’ellem’avaitdonnépourm’aideràmerappelerqueleschoixquej’avaisfaitsétaientaussiréelsquecettedouleursurmapeau.
Surl’élastique,onlisait«force»,cequiétaitbizarreparceque,moi,j’avaisl’impressiond’enêtretotalementdépourvu.Jen’arrêtaispasdefaireclaquerl’élastiquesurmonbrasdepuisqueSadieavaitcommencéàparler.
–Enville,lebruitcouraitquetuétaismort.Jecroisquec’esttamèrequiavaitlancélarumeur.–Tusaisquetuasdetrèsbeauxyeux?dis-jepourchangerdesujet.Jecommençaiàl’embrasserdanslecouenécoutantsesgémissements.–Bof,ilssontverts,c’esttout.Elleavaittort.Ilsétaientd’unvertcéladon,assezunique,avecunpeudegrisetdevert.–Ilyaquelquesannées,j’aivuundocumentairesurlapoteriechinoiseetcoréenne.Tesyeuxontla
couleurdel’émailqu’ilsutilisaientdansleurspoteries.– Tu as regardé un documentaire chinois sur la poterie ? murmura-t-elle avec un petit rire, en
essayantdereprendresonsouffletandisquemeslèvressuivaientlacourbedesaclavicule.(Jelasentisfrissonnercontremoi.)Tudevaisêtrecomplètementàlaramasse.
Jeris,parcequ’ellen’imaginaitpasàquelpoint.–EnOccidentonappelleçacéladon,maischezeuxçaseditqingci.Jeposaileslèvressurlessiennes.Ellemerenditmonbaiser,parceque,aprèstout,c’étaitbienla
raisonpourlaquellenousétionsdanscettechambredemotelcrasseuse.Nousétionslàpourfairecommesinosbaisersexprimaientunesortedepassion.Nousétionslàpourfairepassernotresolitudepourdelaplénitude.C’estfoucequ’onpeutfaire–etavecqui–pourtrompersasolitude.
–Tupeuxrestertoutelanuit?murmura-t-elle.–Biensûr,soupirai-jeenfaisantroulermalanguecontresonoreille.J’avaisenviedepasserlanuitavecelle,parcequelasolitudemegonflait.J’avaisenviedepasser
la nuit avec elle, parce que l’obscurité gagnait. Je voulais passer la nuit avec elle, parce qu’ellemel’avaitdemandé.Jevoulaispasserlanuitavecelle,parcequejevoulaisquelanuitpasse.
EllefitglissermonT-shirtpar-dessusmatête,etsesdoigtsroulèrentsurmontorse.–Purée!s’exclama-t-elled’unevoixaiguë.Tuessuperbienfoutu!Ellegloussa.Putain.Est-cequej’avaisvraimentenviederestertoutelanuit?Sansrépliquer,jeluienlevaisarobe,puisj’ôtaimonjean.Jemepenchaisurelle,allongéesurle
lit,etjedéplaçaimeslèvressursoncou,puissursapoitrine,sursonventre,etjemarquaiunepauseenarrivantàlaceinturedesaculotte.Ellesemitàgémirquandjelacaressaidemespoucesàtraversletissudesaculotte.
–Oui…oui…BonDieu,elle jouait lerôledemonaddictioncesoir-là.Jemesentaisunpeumoinsseul.Jeme
voyaisdéjàlarappelerlelendemain,laretrouveraumoteletlabaiserencoreunefoissurcelitpourri.Enuntempsrecord,monboxervolaetjemeretrouvaisurelle.J’enfilairapidementunpréservatif,
etjusteaumomentoùj’allaislapénétrer,ellepoussaunpetitcri.
–Non,attends!Unéclairdepeurtraversacesyeuxqingci.Elleportalesmainsàsaboucheetsesyeuxs’emplirent
delarmes.–Jenepeuxpas.Jenepeuxpas.Je m’immobilisai, figé au-dessus d’elle. La culpabilité m’assena un coup à l’estomac. Elle ne
voulaitpascoucheravecmoi.–Oh,monDieu.Excuse-moi.Jecroyais…–Jenesuispaslibre,dit-elle.Jenesuispaslibre.Attends.–Quoi?–J’aiuncopain.Uncopain?Merde.Ellementait.Elletrichait.Elleauncopain.Jem’écartaid’elleetm’assisauborddulit.Jemecramponnaiauborddumatelasenécoutantle
froissementdudrapquiaccompagnaitchacundesesmouvements.Ellesemitàparlerdoucement.–Jesuisdésolée.Jecroyaispouvoirlefaire.Jecroyaisquej’yarriverais,maisjenepeuxpas.Je
pensaisqueceseraitfacileavectoi,tuvois?Demelaisseraller,sansmeprendrelatête.Jepensaisquejepourraisoublierpendantunpetitmoment.
Sanslaregarder,jehaussailesépaules.–Pasdeproblème.Jemelevaietmedirigeaiverslasalledebains.–Jereviens.Laporteserefermaderrièremoietjemepassailesmainssurlevisage.J’enlevailacapoteetla
jetaidanslapoubelleavantdem’adosseràlaportepourmecaresser.C’étaitpathétique.Jesuispathétique.Je me branlai en pensant à la cocaïne. À la poussée d’énergie qu’elle me procurait et qui
m’échauffait. La sensation de paix totale et de félicité. Je me caressai plus vigoureusement, en merappelant comment la coke faisait disparaître tous les problèmes, toutes les peurs, tous les conflits.J’avais l’impression d’être le maître du monde, irrésistible. L’euphorie. La jubilation. L’amour.L’euphorie.Lajubilation.L’amour.L’euphorie.Lajubilation.L’amour.
Lahaine.Lahaine.Lahaine.Unerespirationprofonde.Jedéchargeai.Jemesentaisplusvidequejamais.
Jeme tournai vers le lavabo et jeme lavai lesmains enme regardant dans la glace, plongeantprofondémentdansmonpropreregard.Desyeuxmarronquin’avaientriendespécial.Desyeuxmarronquiavaientl’airtriste.Desyeuxmarron,obscurcisparunevaguedépression.
Jerepoussaicettepensée,meséchailesmainsetallailaretrouver.Elleserhabillaitens’essuyantlesyeux.–Tut’envas?Ellehochalatête.–Tu…(jem’éclaircis lavoix)… tupeux rester, tu sais. Jene suispas legenrede connardà te
mettreàlaporteàtroisheuresdumatin.Deplus,c’esttachambre.C’estmoiquivaispartir.–J’avaisditàmoncopainquejerentreraisdèsquej’arriveraisenville,medit-elleavecunsourire
forcé.Vêtue seulementde son soutien-gorgeetde saculotte, elle alla jusqu’aubalcon,ouvrit la fenêtre
maisnesortitpas.Iltombaitdescordes,etlapluiemartelaitlabalustrademétallique.LapluiemefaisaittoujourspenseràAlyssaetàsonhorreurdedormirlessoirsd’orage.Jemedemandaioùsonespritsetrouvaitcesoir.Jemedemandaicommentellesupportaitlesondelapluiesursafenêtre.
«Jen’arrivepasàdormir,Lo.Tuneveuxpasvenir?»Lavoixd’Alyssaétaitcommeunenregistrementquipassaitdansmatête,unsonquisebaladaiten
boucledansmoncerveaujusqu’àcequejelepoussedehors.Sadiepassalesdoigtsdansseslonguesboucles.Sonsourireforcésetransformaengrimace.–Iln’estprobablementpasencorerentré.J’avaishorreurdedormirseulequandj’étaiscélibataire.
Etmaintenantquejesuisencouple,jemesenstoujoursaussiseule.–Tuvoudraisquejeteplaigneparcequetuesunetricheuse?–Ilnem’aimepas.–Entoutcas,moi,jepeuxtedireàquelpointtoi,tul’aimes,dis-jed’untonmoqueur.–Tunecomprendspas,dit-elle,surladéfensive.C’estunmaniaqueducontrôle.Ilm’aéloignéede
touslesgensquej’aimais.Avant,j’étaisclean,commetoimaintenant.Jenetouchaisjamaisàladrogueavantdeleconnaître.Ilm’apiégée,etmaintenantquandilluiarrivederentrer,jepeuxsentirunparfumsurluiquin’estpaslemien.Ilvasecouchersansmêmemetoucher.
Despenséessemirentàtournerdansmatête,maisjesavaisquec’étaitunemauvaiseidée.Resteavecmoicesoir.Resteavecmoidemainmatin.Resteavecmoi.Lasolitudeest cettevoixdansvotre têtequivous faitprendredemauvaisesdécisionsau simple
motifd’unepeinedecœur.–Çanetefaitpasbizarre?D’êtrerevenu?demanda-t-ellepourchangerdeconversation.Bonneidée.Elletournalentementsurelle-mêmeetnosregardssecroisèrentunefoisdeplus.Ses
jouesétaientcramoisieset,surlemoment,jesentismoncœursebriseràl’idéequ’elleallaitseretrouverseule.
–Unpeu.–TuasvuKellandepuisquetuesarrivé?–Tuconnaismonfrère?–Ilparticipedetempsentempsàdessoiréesopenmic 1enville.Ilesttrèsbon.Jenesavaispasqu’ilavaitrecommencélamusique.Ellehaussaunsourcil,curieuse.–Vousêtesproches,touslesdeux?–Jeviensdepassercinqansdansl’Iowaetlui,ilestici,dansleWisconsin.Ellehochalatêtepourmontrerqu’ellecomprenait.Jemeraclailagorge.–Maisoui,noussommesproches.–Meilleursamis?–Amis,seulement.–JesuisvraimentétonnéequetonamitiéavecAlyssan’aitpasduré.J’étaissûrequetuluiauraisau
moinsfaitungossedepuistoutcetemps.Àuneépoquejepensaisça,moiaussi.Arrêtedeparlerd’Alyssa.ArrêtedepenseràAlyssa.Peut-êtrequesijepassaislanuitavecSadie,jeréussiraisàchasserAlyssademonesprit.Peut-être
quesijem’endormaisenlatenantdansmesbras,çameprendraitmoinslatêted’êtrerevenudanslavilleoùréside toujours laseulefilleque j’aievraimentaimée.JemerapprochaideSadieenmepassant lamainsurlementon.
–Écoute,tupeux…–Ilvautmieuxpas,murmura-t-ellesansmelaisserterminermaphrase.Elleétaitétrange.Nosregardsseséparèrentquandellebaissalesyeux.–Ilnem’ajamaistrompée.Ilest…Ilm’aime.Cetteconfessionsoudainejetaencorepluslaconfusiondansmonesprit.Ellementait.Elletrichait.Ellepartait.–Reste,s’ilteplaît.Letondemavoixmefaisaitparaîtreplusdésespéréquejenel’auraisvoulu.–Jedormiraisurlecanapé.Cen’étaitpasvraimentuncanapé,plutôtungenrede futondéglinguéavecplusde tachesquede
coussins. En vérité, çela aurait été probablement plus confortable sur la moquette. J’aurais pu aussiappelerKellanetallerdormirchezlui.
Maisjen’étaispasencoreprêtpourça.Jesavaisquedèsquejeverraisquelqu’unsurgirdemonpassé–quelqu’undontjemesouvenais
vraiment–,j’allaisreplongerdansmonanciennevie.Laviequej’avaisfuie.Laviequim’avaitpresquetué.Jen’étaispasprêt.Commentquelqu’unpourrait-ilêtreprêtàaffrontersonpasséetfairecommesitouteladouleuretlechagrinavaientdisparu?
Elle enfila sa robe et me regarda par-dessus son épaule. Ses yeux étaient empreints d’unecompassionattristée.
–Tum’aides?En trois enjambées, j’étais derrière elle et je remontai la fermeture à glissière de sa robe qui
épousait toutes les courbes de son corps. Je laissai traînermamain sur sa taille et elle se pencha enarrière.
–Tuveuxbienm’appeleruntaxi?Jevoulaisbienetjelefis.Aumomentdepartir,ellemeremerciaetmeditquejepouvaisgarderla
chambrepour lanuit,elleétaitpayéeetceseraitdommagedenepasenprofiter.J’acceptaisonoffre,maisjenecomprenaispasbienpourquoiellemeremerciait.Jen’avaisrienfaitpourelle.Oualors,jel’avaisaidéeàtricher.
Non.Unepersonnequitrompepourlapremièrefoisdevaitprobablementressentirdelaculpabilité.Elle,elleneressentaitvisiblementrien.J’espérais ne jamais la revoir, parce que c’était déprimant de côtoyer des individus qui ne
ressententrien.Après sondépart, j’arpentai lachambredans tous les senspendantuneheure.Yavait-ild’autres
personnescommemoi?Despersonnesquisesentaientsiseulesqu’ellesétaientprêtesàpasserdesnuitssans lendemain avec des personnes sans importance, simplement pour avoir la possibilité de regarderquelqu’undanslesyeuxpendantquelquesheures?
Jedétestaisêtreseul,parcequelorsquej’étaisseul,jerepensaisàtoutesleschosesquejedétestaisenmoi.Jemesouvenaisdetoutesmeserreurspassées,quim’avaiententraînéjusqu’àunpointoùaulieudevivre,jenefaisaisplusqu’exister.Sijevivaispleinementmavie,jefiniraisparfairedumalàtousceuxquiétaientprèsdemoi,etjenepouvaisplusfaireça.Cequirevenaitàdirequejedevaisêtreseul.
Par le passé, je n’étais jamais seul quand j’avaismadrogue,mon amie silencieuse, destructrice,mortelle.Jen’étaisjamaisseulquandj’avaismonplusbeautrip.
Alyssa…Merde.Monespritmejouaitdestours,lespaumesdemesmainscommençaientàmedémanger.J’essayai
deregarderlatélévision,maisiln’yavaitquedesconneriesdetéléréalité.Jetentaidedessinerunpetitmoment,mais lestylode lachambren’avaitplusd’encre.Jem’efforçaid’isolermoncerveau,mais jecontinuaiàpenserauplusbeautripquej’avaisjamaiseu.
Quandlareverrais-je?Etd’abord,est-cequejelareverrais?Biensûr.Sasœurépousemonfrère.Avais-jeenviedelarevoir?Non.Jen’enavaispasenvie.
BonDieu.Si.J’enavaisenvie.J’avaisenviedelatenirdansmesbraset,enmêmetemps,jenevoulaisplusjamaislatoucherde
mavie.J’avais envie de l’embrasser et, en même temps je ne voulais plus jamais me souvenir de ses
rondeurs.J’avaisenviede…Tagueule,moncerveau.Jeprismon téléphoneet j’appuyai sur lechiffredeux.C’étaitunevoixdifférentecette fois,mais
l’annonced’accueilétaitlamême.Ilsmeremerciaientd’avoirappelélahotlineducentred’appelpourdroguésetalcooliques.Ilsm’encourageaientàparlerdesproblèmesquejerencontraisactuellementetdemesenvies,dansuncadreconfidentiel.
Jeraccrochai,commetoujours.Parcequelesgenscommemoi,avecunpassécommelemien,neméritaientpasqu’onlesaide.Ils
neméritaientquel’isolement.Mespasm’entraînèrentsurlebalconetj’allumaiunecigarettequejeposaiparterredansunendroit
sec.J’écoutailapluiequimartelait lestoitsdelavilledeTrueFallsetjefermailesyeux.Jeprisuneprofondeinspirationetm’autorisaiàsouffrirpendantlecourtmomentqu’ilfallaitàlacigarettepourseconsumer.
JepensaiàAlyssa.Jepensaiàmamère.Jepensaiàtouteslesdrogues.Etpuiscommetoujours, je finisparpenserà l’enfantque j’auraispu tenirdansmesbrass’iln’y
avaitpaseutouscesdémonsenmoi.Certainesfois,lacigarettemettaithuitminutespourseconsumer.D’autresfois,dix.Unechosenechangeaitpas,quelquesoitletempsquelacigarettemettaitàbrûler,c’étaitlafaçon
dontmoncœurbrisétrouvaitencorelemoyendecontinueràsebriser,enmorceauxtoujourspluspetits.
1.«Microouvert».Soiréesoùtoutlemondepeutparticiperetmontersurscène.
15ALYSSA
Touslesjours,jemerendaisauboulotencovoiturageavecmavoisine,Lori,uneserveusedesoixante-dixans.NousfaisionstouteslesdeuxlematinaurestauHungryHarryetnousdétestionsçaautantl’uneque l’autre.Cela faisaitvingt-cinqansqueLori travaillait làetellem’avaitditquesonplandesortieétaitd’épouserundestroisChris,Evans,HemsworthouPratt,peuluiimportait.Touslesjourspendantletrajetenvoiture,Loriseplaignaitparcequenousrisquionsd’êtrecinqminutesenavance.Elledisaitquevotrelieudetravailétaitbienledernierendroitoùarriverenavance.Jen’allaispasdirelecontraire.
JetravaillaisdepuiscinqanschezHungryHarry.Lepiredansceboulot,c’étaitquej’yarrivaisensentantlaroseetleshampooingàlapêcheetquej’enressortaisimprégnéed’uneodeurdeburgerfritetdepommesde terresautées, tous les joursqueDieufaisait.Laseulechosequimefaisait tenir,c’étaitl’idéequechaqueheuredetravailmerapprochaitunpeuplusdemonrêved’ouvrirunpiano-bar.
–Tupeuxyarriver,mapetite,disaitLoriquandnousnousgarionsdevantlerestau.Tuesencorefraîcheetenforme.Tuastoutletempsderéalisertonrêve.Laclé,c’estdenepasécoutercequedisentlesautres.Lesgensonttoujoursdesopinionssurlesviesqu’ilsneviventpaseux-mêmes.Gardelatêtehauteetévited’écouterleursconneries.
–Merciduconseil.Jesouriais,conscientequ’elleneparlaitquepournouséviterd’avoiràentrerdanslebâtimentune
secondeplustôtquenotreheuredeprisedeservice.–Tusaiscequemamèremedisaitquandj’étaisgosseetqu’onm’embêtaitàl’école?–Non?–Unjouràlafois.Iln’enfautpaspluspourtouttraverser.Nepensepastropàl’avenir.Nefaispas
defixationsurlepassé,visdansleprésent.Icietmaintenant.C’est lameilleurefaçondevivretavie.Danslemomentprésent.Unjouràlafois.
Unjouràlafois.Unjouràlafois.Jeme répétaiscesmotsdansma têtequandunclient impolimecriaitdessusparceque lesœufs
brouillés n’étaient pas assez cuits, ou quand un enfant jetait son assiette pleine sur le sol et que sesparentsmelereprochaient,ouquandunmecbourrévomissaitsurmeschaussures.
Jedétestaisl’industriedelarestauration.Mais,enmêmetemps,cen’étaitpasinintéressantdevoircomment fonctionne ce genre d’endroit, parce que quand j’aurais mon piano-bar, une grande part dutravailseraitdefairetournerlacuisine.
Unjouràlafois.–Tuparstoujoursenbalançantleshanchescommeçaaprèsavoirprislacommandeduclient?dit
unevoixmoqueusederrièremoi,etjesourisquandjecomprisàquielleappartenait.–Seulementsijesaisqu’ilvamelaisserunbonpourboire.Jemeretournaiensouriant,Danétaitdeboutderrièremoi,lesbraschargésdedossiers.Ilétaittrès
beauavecsonpantalonbleumarineetsachemisebleuclairauxmanchesrouléesjusqu’aucoude.Ilavaitungrandsourireéclatantcommetoujoursetc’étaitàmoiqu’ilsouriait.Jefourraimonblocetmonstylodanslapochedemontablieretallaiverslui.
–Qu’est-cequit’amènesitôt?–Jemesuisrenseignésurlapropriétédontnousavonsparlé.–Ahoui?–Oui.Ellemeplaîtbeaucoup.Vraiment.Maisilyaunproblèmedetermites.Tuasuneminutepour
qu’onregardedeuxou troisautreschoses?J’aiapporté lesplansdeplusieursendroitsqu’onpourraitvoir.
Jefronçailessourcilsenjetantuncoupd’œilcirculairedanslerestaurant.–Jepensequejerisquedemefairevirersij’arrêtemontravailpourétudierdesplansdepianos-
bars.Dan était un ami que j’avais rencontré quelques années auparavant dans un piano-bar, justement.
Actuellement,iltravaillaitpourunedesagencesimmobilièreslesplusréputéesdel’Étatetquandjeluiavais parlé de mon projet d’ouvrir ma propre affaire, il avait sauté sur l’occasion pour m’aider àrechercherquelquechose,mêmesijeluiavaisditquecen’étaitpaspourtoutdesuite,qu’ilmefaudraitdutempsavantquecelapuisseseréaliser.
–Oh,oui,biensûr.Mais jepassaisdans lecoin,alors jemesuisditque j’allaisfaireunsautetprendreunetassedecaféetdeshashbrown 1.Jevaistravaillerdetoutefaçon.
Jeluifisunlargesourireetilsouritencoreplus.–Onpeutregarderçademainsoirsituveux?–Ohoui,oui,s’exclama-t-il,débordantd’enthousiasme.Jepourrailesapportercheztoi.Onpourra
commanderduchinoisetjeprendraiduvin.Jepourraisaussifairelacuisinepourtoi…Ils’arrêta,conscientqu’ils’emportaitunpeuvite.Ilsepassalamaindanslescheveuxenhaussant
lesépaules.–Enfin,tuvois.
–Celamesembleêtreunebonneidée.Justeunepetiteprécisioncependant,mamaisonestencoreenpleinstravaux.Etaveclapluie,ilyaeudesfuitesdansletoit.
–Tusaisquemapropositiontienttoujours.Tupeuxvenirt’installerchezmoiletempsdeterminerlarénovationdetamaison.Jesaisquecegenredetrucpeutdevenirunevraieprisedetête.
–C’estgentil,maisjecroisquejevaism’accrocheretmedébrouilleraveclescomplicationsquemeréservemonfoyer.
–D’accord.Bonehbien,jeferaismieuxd’allertravailler,maisonseverrademaincheztoipourétudiertoutça.
Ilagitalesdossiersqu’iltenaitàlamainetmefitunclind’œil.–Attends,tun’avaispasditquetuétaispassépourprendreuncaféetdeshashbrown?–Ahoui,c’estvrai.Maisjeviensdemerappeler…Ilavaitl’airembêté,etjenepusm’empêcherdesouriredevantsonattitude.–Ilfautquej’arriveenavanceauboulotpourvérifierdeuxoutroistrucspourmonpatron.–Bon,àdemainalors.Jemechargedel’alcool,ettoidespropriétés.Sur ce, il disparut. Je poussai un soupir.Dan en pinçait pourmoi depuis trois ans, pratiquement
depuisquenousnousétionsrencontrés,maisjen’avaisjamaiséprouvécegenred’attirancepourlui.Iloccupaituneplace importantedansmaviecependant, et j’espérais toujoursqu’iln’ait riencontreunerelationquinedépassepaslecadredel’amitié.
–Jetejure!Cegarstedégotedespropriétés,ilaunboulotstable,ilprétendqu’ilveutmangerdeshashbrown rienquepour te voir, il a ce souriregenre«où tuveuxquand tuveux», et enplus il teproposedetefairelacuisine.Ettoi,tunefaismêmepasl’effortdeluiaccorderunpeudetontemps?ditLoriquiportaitunplateauchargéd’œufsbrouillés,dehashbrownsetdechapeletsdesaucisses.
Jerigolai.–Mamaisonesttrèsbien.J’aiéconomisépendantdesannéespouracheterlamaisondemesrêves,
etmaintenantquejel’ai,jenesuispasprèsdelalâcher.Elleajustebesoindequelquesrustines,c’esttout.
–Chérie.Tamaisonabesoindebienplusquedequelquesrustines.Ellesouritenposantlesassiettespleinessurlatablecinqavantderevenirversmoi,unemainsurla
hancheetlamoueinsolente.–JedisjustequesiDanmeproposaitdem’héberger, j’iraisvivreavecluiet jelelaisseraisme
montrersesplanssurtouteslespartiesdemoncorps,danstouteslespartiesdesamaison.–Lori!Jelafistaireenrougissant.–Moi, je dis ça, je ne dis rien. Tu fais trois boulots pour payer les traites d’unemaison dans
laquelle tudoisfairedes travaux, toutçapourprouverque tuesunefemmeindépendante.TupourraisfairelestravauxdanstamaisonetvivreavecDan,tusais.
–Mamaisonn’estpassidélabréequeça.
–Aly,gémit-elleensetapantlajoue.Ladernièrefoisquejesuisvenueboireunverrecheztoi,jesuisalléeauxtoilettessansfermerlaporte.Tusaispourquoi?Parcequelestoilettesn’avaientpasdeporte.
Jerigolai.–D’accord.J’aicompris.Donc,elleestdélabrée.Maislechallengemeplaît.–Hum.TudoisvraimentêtreunboncouppourqueDans’accrochecommeça.–Quoi?Danetmoinecouchonspasensemble.–C’estpasvrai?Tuveuxdirequ’ilbavedevanttoietquevousn’avezjamaisfaitlachose,tousles
deux?–Jamais.–Mais…cesourire!Jegloussai.–Jesais.Maisc’estunami.Et j’aiunerègleencequiconcernemesrelationsamoureuses:elle
inclutdenejamaissortiravecaucundemesamis.Jamais.J’étaisdéjàpasséeparlà,etjen’avaispaslamoindreintentiondem’aventurerdenouveausurce
terrain. Jusqu’àce jour, jen’avais jamaiscessédepenseràLoganet jepleurais toujours l’amitiéquej’avaischérieetperdue.
Ilauraitmieuxvalupournousdeuxn’êtrejamaistombésamoureuxl’undel’autre.–Tusais,Charlesetmoiétionsamisavantdedéciderdenousfréquenter.Ilaétél’amourdema
vie, et personne ne l’a jamais égalé. Ilme faisait tellement rire, avantmême que je sache ce qu’étaitl’amour.Certainesdesplusbelleschosesdelavienaissentdesamitiéslesplussolides.(Loribaissalatête et saisit lemédaillon qui pendait à une chaîne autour de son cou et qui renfermait leur photo demariage.)MonDieu,c’estfoucequecethommememanque.
Elle parlait très rarement de Charles, son défunt mari. Mais lorsqu’elle le faisait, ses yeuxpétillaientcommesiellerevivaitenespritlejouroùelleétaittombéeamoureusedelui.
Justeàcemoment-là,lepatronnousditd’arrêterdebavarderetderetournertravailler,cequenousfîmes. Le matin était toujours très chargé, nous devions servir plus de clients que cela semblaithumainementpossible,maisplusilyavaitdetravail,moinsj’avaisdetempspourpenser.
–Unpeuplusdecafé?jedemandaiàunefemmeassiseprèsdelafenêtre.Lacafetièreàlamain,jepassaientrelestablespourremplirlestasses.–Non,çava.Merci.Je lui fisun large sourireen jetantuncoupd’œilpar la fenêtre.Moncœur s’arrêtadebattre. Je
posailesdoigtssurlavitrepouressayerd’atteindreetdetoucherlasilhouettedel’autrecôtédelarue.Jebattisdespaupières,etcequejepensaisavoirvuavaitdisparu.Unfrissonmeparcourutlacolonnevertébraleetjemeredressai.
Loriregardadansmadirection.–Çava,Alyssa?Ondiraitquetuviensdevoirun…–Unfantôme?
–Exactement.Ellevintàcôtédemoietregardaparlafenêtre.–C’étaitquoi?Unfantôme.–Rien.Cen’étaitrien.J’allaiàlatablesuivanteavecmonpotdecafé.C’étaitmonimagination,riendeplus.Niplusnimoins.
1.Galettesdepommesdeterrerâpéesetfritesquiaccompagnentlepetitdéjeuner.
16LOGAN
Je suivaisdesyeuxAlyssaqui sedéplaçait entre les tablespouraller servir lesclients. J’étaisassisdans un coin, dans le fond de la salle, hors de portée de son regard. Je ne devrais pas être là.Moncerveauconnaissaittouteslesraisonspourlesquellesjen’auraispasdûentrerdanscerestaucejour-là,maismoncœurétaitattirédanscettedirectioncommeparunaimant.
Sonsouriren’avaitpaschangé.Celamerenditjoyeuxettristeàlafois.Combiendesouriresavais-jemanqués?Pourquisouriait-elleaujourd’hui?
–Votreomelette,meditmaserveuseenposantl’assiettedevantmoi.Elleavait le teintplutôtpâle, etde la sueurperlait sur son front.Elle sebalançaitd’unpied sur
l’autreenseforçantàsourire.–Désirez-vousautrechose?–Unjusd’orange,ceseraitsuper.Elleacquiesçaets’éloigna.Jeprislasalièreetcommençaiàlasecouerau-dessusdemonomelette.Unéclatderireemplitla
salledurestaurantetjeprisunegrandeinspiration.Lerired’Alyssa.Iln’avaitpaschangé.Jefermailesyeuxensentantmapoitrineseserrer.Lessouvenirsmesubmergèrentcommeuntsunami,meramenantenarrièrealorsquedéfilaientdevantmesyeuxlesnombreusesfoisoù,allongéauprèsd’elle,j’avaisécoutésonriredontlesvaguesserépercutaientdansmonâme.
–Sivousvouliezuneassiettedeselavecuneomeletteàcôté,ilvoussuffisaitdeledemander,ditunevoixquimefitsortirbrutalementdemonpassé.
Jebaissailesyeuxsurl’omelettequejerecouvraisdeseldepuiscinqbonnesminutes.–Désolé,marmonnai-jeenreposantlasalièresurlatable.
–Inutiledevousexcuser.Lesgoûtset lescouleurs,çanesediscutepas,dit lavoix.Entoutcas,noussommesenmanquedepersonnelpour leservice,Jennya lagrippe, lepatronvientdeluidirederentrerchezelle,etonm’aordonnédevousapporterunjusd’orangeetdem’occuperdevotretable.
Jelevailesyeuxsurlajeunefemmequimeparlait.Elleavaitdeslèvrespleines,peintesenrose,etdesyeuxbleusque j’aurais reconnusn’importeoù. Ilsétaient lachose laplusétonnantedecetteville.Cesyeuxavaientledondepouvoirsouriretoutseuls.Elleavaitdescheveuxblondsetraidesetsafrangeluirecouvraitlessourcils.
Nousnedîmespasunmot,niellenimoi.Ellesecontentaitdemeregarderfixement.J’étaisincapablededétournerlesyeux.Alyssa.High.Monplusbeautrip.Elleétaittrèsbelle,maiscelan’avaitriend’étonnant.Jenepouvaispasmerappelerunseuljouroù
elle n’était pas belle.Même les jours où j’étais trop shooté pour ouvrir les yeux, jeme rappelais labeautéetladouceurdesesparolesquimesuppliaientdereveniràelle,decontinueràrespirer.
–Logan,murmura-t-elleenposantleverredejusd’orangesurlatable.Je me levai de ma chaise et elle s’avança vers moi. Tout d’abord j’ai pensé qu’elle allait me
prendredanssesbras,m’enlacer,mepardonnerd’êtremoietden’avoir jamais réponduàsesappels.Mais en réalité, elle n’allait pas me serrer dans ses bras. Sa main était ouverte et je le comprisimmédiatementenlavoyant,elleallaitmedonnerunegifle.Detoutessesforces.Alyssanefaisaitjamaisleschosesàmoitié,elleymettaittoujourstoutsoncœur.
Sonbrasseleva,vintversmoivivementetjemepréparaiàressentirlabrûlurequejeméritais.Jefermai lesyeuxd’avance,mais jenesentispas lecontactdesamain.BonDieu,commejedésiraiscecontact!J’ouvrislesyeux,etjevissamaintremblante,ensuspensiondansl’air,àquelquescentimètresdema joue.Nos regards se croisèrent et je vis les larmes qui brillaient au fond de ses yeux, j’y visl’incompréhension,lechagrin.
–SalutAlyssa,dis-jedoucement.Ellesecontractaet ferma lesyeux. Jepris samain restéeen l’airdans lamienneet jeposai ses
doigts surma joue.Unpetit gémissementdedouleur s’échappade ses lèvresquand sapeau toucha lamienne.Jel’attiraicontremoietlaprisdansmesbras,etc’étaitexactementcommeparlepassé.Sapeauétaitfroide,commetoujoursetmoncorpsréchauffalesien.Elleéloignasesdoigtsdemajoueetpassales deux bras autour de mon cou, s’accrochant à moi comme si elle me pardonnait tous ses appelsmanquésetmonsilence.
Ellem’agrippaitdesesdoigts,lesplantantpresquedansmachaircommesiellecraignaitquejenesoisquelquemiragequiallaitdisparaîtresiellenes’yaccrochaitpas.Jenepouvaispasluienvouloir,j’avaisdéjàdisparuauparavant.
Jerespiraisescheveux.
Unefragrancedepêche.BonDieu,jedétestaislespêchesjusqu’àcejour.Elle avait l’odeur des jours où l’été s’endormait pour se réveiller en automne. Doux, suaves,
parfaits.MafichueHigh.–Tum’asmanqué,medit-elleàl’oreille.–Jesais.–Tuesparti…–Jesais.–Commentas-tuosé…–Jesais.Son corps se tendit et elle s’écartavivement.La tristesse avait déserté sesyeux.Seule la colère
demeurait.Celamesemblaitnormal.–Tusais?siffla-t-elleensegrandissant,maistoujourssifrêle.Elle croisa les bras en semordant la lèvre inférieure. Les petites rides au coin de ses yeux se
creusèrent et il m’apparut clairement qu’elle n’était plus la fille que j’avais quittée des annéesauparavant.C’étaitunefemmemaintenant,etlefeubrûlaitaufonddesonâme.
–Jet’aiappelé.–Jesais.Ellefronçalessourcils.–Non.Jet’aiappelé,Logan.Jet’aiappeléetj’ailaisséplusdecinqcentsmessages.Millequatre-vingt-dixmessagespourêtreexact.Jen’avaispasenviedelacontredire.–Tuasdisparu.Tum’asquittée.Nous.Kellan.Tunousastousquittés.Jepeuxcomprendrequetu
avaisbesoind’espace,maistum’asquittée.Aprèstoutcequenousavionstraversé–aprèscequis’étaitpassé–tum’aslaisséeseuleavecça.
– Je commençais à allermieux. Je travaillais sur les problèmes avecmamère, avec toi, eh oui,j’étaisuneépave,maisj’avaisseulementbesoindetemps.
–Jet’ailaissédel’espace,maistun’espasrevenupourautant.–Tum’appelaistouslesjours,Alyssa.Cen’estpascequej’appelleraismedonnerdel’espace.–Kellanetmoi t’avons sauvé lavie, etnouspensionsque tu reviendrais. Je t’ai appelé tous les
jourspourquetusachesquej’étais là,queje t’attendais.Jecroyaisquetureviendraispourmoi.Pournous.
–Tunepeuxpas sauver lesgenscontre leurvolonté, et tunepeuxpasespérerqu’ils reviennentpourtoi,Alyssa.Tuauraisdûlesavoiraprèstoutcequis’étaitpasséavec…
Je me mordis la langue pour interrompre mon discours, mais je savais que je ne pouvais pasreprendrecequej’avaisdit.Ellesavaitcequej’allaisdire.Tuauraisdûlesavoiraprèscequis’était
passéavectonpère.–Ça,c’estuncoupbas.–Jen’airiendit.Ellesecoualatête.–Pourquelqu’unquin’ariendit,onpeutdirequetuasbienfaitpasserlemessage.Savoixsebrisa.–Plusdecinqcentsmessagesetpasuneseuleréponse.Millequatre-vingt-dixmessages.Jenelacorrigeaitoujourspas.–Jen’avaisrienàtedire.Cen’étaitpasvrai,maisc’était lapremièrepierredumurque jesavaisdevoirérigermaintenant
quej’étaisrevenu.Ilfallaitquejegardemonespritetmessentimentsàdistancepouréviterderetomberdanslavied’Alyssa.Ladernièrefoisquej’avaisfaitpartiedesavie,jel’avaisdétruite.Jenepouvaispasmelaisseralleràluifaireçaencoreunefois.Alors,ilfallaitquejesoisfroid,durmême,avecelle.
Parcequ’elleméritaitmieuxquedepassersavieàcôtédesontéléphoneàattendrequequelqu’uncommemoilarappelle.
–Rien?Ellerecula,stupéfaite.–Riendutout?Pasmêmebonjour?–J’aitoujoursétéplusdouépourdireaurevoir.–Waouh…Ellesoufflavivement.Touslessentimentsquej’avaiséprouvéspourelleaufildesannéesmerevenaient,plusfortsque
jamais. Jem’envoulais àmort de ne pas l’avoir appelée. J’étais triste, j’étais heureux, j’étais perdu,j’étaisamoureux.J’étaistoutcequ’Alyssam’avaittoujoursfaitressentir.
Monespritétaitauborddel’explosion.–Tusaisquoi?Elles’éclaircitlavoixetmefitunpetitsourirepincé.–Onnevapasfaireça.–Fairequoi?–Sebattre.Sedisputer.Parcequesinousfaisionsça,tusaiscequecelasignifierait?Celavoudrait
direquetoietmoinousavionsunesortederelation,cequin’estpaslecas.Tuesdevenuunétrangeràpartirdumomentoùtut’esvolatilisédansleschampsdeblédel’Iowa.
Mes lèvres s’entrouvrirent,mais avant que je puisse dire quoi que ce soit, elle avait tourné lestalonsets’étaitéloignéerapidementversuneautretable.Ellearboraitunsouriredeconvenancetoutens’adressant aux clients. Elle tapait du pied nerveusement et son corps vacillait légèrement d’avant enarrière.
Ellemejetaunbrefcoupd’œilencontinuantdeprendrelacommande.
–Ehbien,jepensequejevaisprendrelesœufsau…Sansluilaisserterminersaphrase,Alyssarevintversmoiàgrandesenjambées.–…bacon.–Est-cequeKellansaitquetueslà,aumoins?Oubienavais-tul’intentiondeluitomberdessus
sansprévenir,àsonboulot,luiaussi?Lesmainssurseshanches,ellehaussaunsourcil.Jefisdemême.–Ouais.C’estàcausedeluisijesuislà.Tusais,pourlemariage.–Quoi,demanda-t-elle,l’airtroublé.–Lemariage…tusaisbien,monfrèrequiépousetasœur.–Mais…Elles’interrompit,toutecolèredisparue.–Lemariagen’alieuquedansunmois.Tuesrevenuunmoisenavancepouraider?–Kellanm’aditquec’étaitceweek-end.–Premièrenouvelle.Maisavectoutcequisepasse,plusriennemesurprend.–Queveux-tudire?Qu’est-cequisepasse?Elleouvritlabouche,maisaucunsonn’ensortit.Ellefituneautretentativeensemordillantlalèvre
inférieure.–Tuasreplongé,Logan?–Quoi?Qu’est-cequeçaveutdire?–Tusaistrèsbiencequeçaveutdire.Jevoudraisjuste…Ellesemitàtrembler,sesnerfsprenaientledessus.–J’aibesoindesavoirsituesclean.Situasprisquelquechose.–Celaneteregardepas.Vuquesijetedisaisquelquechose,celavoudraitdirequenousavonsune
relationquelconque,etcommetul’asdittoutàl’heure,nous…–Lo,murmura-t-elle.Cesurnom,sortantdeseslèvres,mefitrevenirsurmacontrariétéetmonattitudedéfensive.Sesyeux.Seslèvres.Alyssa.High.Monplusbeautrip.–Ouais?–As-tureplongé?–Non.–Pasmêmedel’herbe?–Seulementdel’herbe.Ellepoussaunsoupirlourddesignification.
–Çava,Alyssa,lâche-moiunpeu.L’herbeestlégaledanscertainsÉtats.–Pasdansl’Iowa.Elle commençait à avoir l’air inquiète, cequivoulait direqu’elle était concernée, cequivoulait
direqu’unespoirétaitpossible.Maisàquoibonespérer?LemurdestinéàmaintenirAlyssaàl’écartétait construit et je n’avais pas l’intention de l’abattre de sitôt. Je pren-drais le premier train quim’emmèneraitloind’icis’iln’yavaitpasdemariage.
–Seulementdel’herbe,alors?–Seulementdel’herbe.–Promis?–Promis.Ellefitunpasenarrièresuividedeuxpasenavant.Ellemetenditsonpetitdoigt.–Jurécraché?Jefixaisonpetitdoigtenrepensantàtouteslespromessesquenousnousétionsfaitesquandnous
étionsplusjeunes,encroisantainsinospetitsdoigts.J’accrochaimonpetitdoigtausien,submergéd’émotionparcesimplecontact.–Jurécraché.Quandnousrelâchâmescetteétreinte,ellefitdeuxpasenarrièresuivisd’unpasenavant.Elleme tendit lesmainset, sans réfléchir, je lesprisdans lesmiennes.Elleme fit leverdemon
siègeetmepritdanssesbras.Àlafaçondontelleseserracontremoi,j’euslepressentimentquequelquechosen’allaitpas.
–High,qu’ya-t-il?Ellemeserraitencoreplusfort,etmoijenevoulaispluslalâcher.Seslèvresétaientcontremon
oreilleetsonsoufflechauddansaitsurmapeau.–Rien.Cen’estrien.Quandnousnousséparâmes,ellejoignitlesmains,commepouruneprière,etlesappuyacontreses
lèvres,eninclinantlégèrementlatête.–Lo…Jemepassailamaindanslescheveuxenhochantlatête.–High…–Bienvenueàlamaison.–Jenesuispasrentréàlamaison.Jesuisseulementdepassageavantderepartir.Ellehaussalesépaules.–Lamaisonrestelamaison.Mêmequandonneveutpasqu’ellelesoit.Et…Logan?Ellesebalançaitlégèrementsursestalonsd’arrièreenavant.–Ouais?Elleneprononçapasunmot,maisjel’entendisclairement.Toiaussitum’asmanqué,High.
17LOGAN
JelaissaitombermonsacàdossousleporchedeKellanetErikaavantdefrapperàlaporte.J’avaisl’estomac noué, ne sachant pas ce que ça allait me faire de les revoir après si longtemps. Le tempschangeait les gens et jemedemandais dans quellemesure je les trouverais changés. J’attendis encorequelquessecondesavantderassemblerlecouragedefrapperàlaporte.
Quandelles’ouvrit,unprofondsoupirdesoulagements’échappademeslèvres.Kellanm’accueillitavecsonlargesourirefraternelavantdemeserrerdanssesbras.
–Jecroyaisquetontrainarrivaithier.Tut’esperdu,frangin?Jememisàrire.–J’aiprislecheminlepluslong.–Ok,laisse-moiteregarder.Ilfitunpasenarrière,croisalesbrasetrigola.–Tuasl’airenforme,disdonc.Onpeutdirequequandtuespartid’ici,tuétaisPeterParkerettu
reviensenSpiderman.–Cesaraignéesradioactivesdansl’Iowa,ellesnerigolentpas,mec.Etregarde-toi!Jeluidonnaiuncoupdepoingdansl’estomacpourrigoler.–Ondiraitunecacahuète.Jepourraispeut-êtrebientebotterleculmaintenantaulieuquecesoit
l’inverse.–Hé,ne croispas ça.Disdonc, tuprends toujours autant soinde tes cheveux, à ceque jevois,
commeunefemme,dit-ilenébouriffantmescheveuxparfaitementpeignés.–L’envieestundesseptpéchéscapitaux,frangin.–Jem’ensouviendrai,ricana-t-il.
BonDieu.C’était bonde le revoir. Il avait toujours l’air aussi génial.C’est seulementquandonrevoitunepersonneaprèsunesilongueabsencequ’ons’aperçoitàquelpointellevousamanqué.
–Kellan,c’estqui?Erikasortitdelasalledebainsenseséchantlescheveuxavecuneserviette.Quandellemevit,elle
eutl’airstupéfaite.–Qu’est-cequetufaisici?–Moiaussi,celamefaitplaisirdetevoir,Erika.–Qu’est-cequetufaisici?demanda-t-elleànouveau.JeregardaiKellanpuisErika,puisdenouveauKellan.–Jecommenceàmeledemandermoi-même.Quesepasse-t-il,Kel?JesuistombésurAlyssatout
àl’heureet…–TuestombésurAlyssa?!s’exclamaErika.C’étaitdrôle…soncôtéthéâtralnem’avaitvraimentpasbeaucoupmanqué.–C’estcequejeviensdedire.Bref,ellem’aditquelemariagen’étaitpasprévupourceweek-
end.–Lemoisprochain,mereprit-elle.C’estlemoisprochain.Pourquoias-tuunsacàdos?–Euh,onm’aditquejelogeraischezvous.Pourlemariagequin’aurapaslieu,semble-t-il.–Maisc’estlemoisprochain,répéta-t-elle.C’estlemoisprochain.Jenesavaismêmepasquetu
devaisvenir.Logercheznous?Ellesemitàsegratterdanslecou,sapeautrèspâlesecouvritdeplaquesrouges.Elleressemblait
terriblementàsasœur,maisellesavaientdespersonnalitéssidifférentesqu’ellesauraientaussibienpuêtredesétrangères.
–Bébé,jepeuxteparlerdanslachambre,uneminute?Jefisunpasenavantpourlasuivre,cequifitsourireKellan,alorsqu’Erikagrognaitd’impatience.–Oh,excuse-moi.QuandtuasditBébé,j’aicruquetut’adressaisàmoi.Maismaintenant,jevois
quec’étaitàmonfrère.Désolé.Kellanrigola.–Arrêtedefairelecon.–Jenepeuxpasm’enempêcher.J’ensuisun,alorsjemeconduisenconséquence.Ilsseprécipitèrentdanslachambreenclaquantlaporte.Jem’assissurlecanapéet,aumomentoù
jemettaislamaindansmapoche,laporteserouvritbrusquement.–Logan?ditErika.–Oui?–Netoucheàrien.Jelevailesmainsdocilement,etelleretournadanslachambreenclaquantlaporteencoreunefois.–Jen’arrivepasàcroirequetunem’aiespasditqu’ilvenait,Kellan!Savoixrésonnaitdanstoutelamaisonetjenepusm’empêcherderigoler.Mêmesijen’avaispasla
moindreidéedelaraisonpourlaquellej’étaisderetourdanscettevillequiétaitàl’originedetousmes
démons,jemesentaistoujourschezmoiquandjepouvaismettreErikahorsd’elle.Jeprismonpaquetdecigarettesdansmapocheetj’enallumaiuneavecmonbriquet.Lecoupd’œil
que je jetai autour de moi me rappela qu’Erika était une vraie maniaque du rangement, et je necomprenaisvraimentpascommentKellanpouvaitlasupporter.J’étaispersuadéqu’elleétaitsursondostoutelajournée.
Jememisàpaniquerenvoyantlacendres’accumulerauboutdemacigarette.Erikaallaitpéteruncâblesijelafaisaistombersursatablebasseprobablementtrèschère.Jemeprécipitaiverslatabledesalleàmangerquiétaitdresséecommesiungranddînersepréparaitet jesaisisunesoucoupepourymettrelacendredemacigarette.Jeretournaisurlecanapéenemportantlasoucoupeetjemedétendisunpeu.
Jelesentendaisdiscuteràtraverslesmurspeuépais.–Kellan,c’estjuste…onestdéjàtellementstressés.Tuaspleindetrucsàfaire,avectontravail.
Moi,avecmonmaster.Ettouslespréparatifsdumariage.Tucroisquec’estunebonneidéequeLogansoitlà?
–C’estmonfrère.–Tues…nous…jenesaispassic’estunebonneidée.–C’estmonfrère.–Maistusaiscommentilest.Ilvat’entraînerdanssaviedefou,commeilfaittoujours.–Erika,ilestclean.Celafaitdesannéesmaintenant.Jepercevaisl’agacementdanslavoixdeKellanetjesentisunpeudedéceptionm’envahir.Ilfaisait
partiedesrarespersonnesquicroyaientvraimentquejepouvaisdevenirclean.LuietAlyssa.Touslesautrespensaientquej’étaisunecauseperdue.Lavoixd’Erikalaissaittransparaîtrecegenred’agression.
–C’estcequ’ildit.Sérieusement,combiende fois l’avons-nousentendudireça.Tunepeuxpast’empêcherde lesmaterner, luiet tamère.Tun’espasenchargedeleurvie,Bébé.Et tun’espassonpère.Bonsang,cen’estmêmepasvraimenttonfrère!Iln’estquetondemi-frère.
J’entendisungrandclaquement, etmonestomacse serra. Jeme levai,prêt àallervoircequi sepassait.La soucoupepleinedecendresà lamain, jemedirigeaivers laportede lachambre,mais jem’arrêtaienentendantlavoixdeKellan.
–Si jamais tu redisça, je sorsd’ici sansme retourner.Oui,c’estvrai,Loganadéconnédans lepassé. Il a coupé les ponts avec toi et un tas d’autres personnes. Aux yeux de beaucoup, il estimpardonnable.Maisc’estmonfrère.Etjeneveuxpasentendrecetteconneriede«demi».Ilestmonfrèreàcentpourcent. Jem’occuperai toujoursde lui, jene le laisserai jamais tomber. Jenecouperaijamaislesponts,Erika.Alors,situasquelquechoseàredireàcela,ehbien,celavaprobablementêtreunproblèmeentrenous.
Ils baissèrent la voix et je dus tendre l’oreille pour entendre les excuses d’Erika, suivies d’unéchangede«jet’aime»etencoredesexcuses.
Quandlaporteserouvrit,j’étaisplantédevant,lacigaretteauxlèvres.Ilsmeregardèrent,choquésdemetrouversiprès.
–Écoutez,touslesdeux…–Tufumesdanslamaison?Erikam’arrachalacigarettedeslèvres.–Etenplus,tumetstescendresdansmaplusbelleporcelaine?!Enpleurnichant,ellemepritlasoucoupedesmainsd’ungestebrusque.–Oh,monDieu.Mamèrevaarriverdansquelquesheuresettoutelamaisonsentletabac!Lamèred’Erika.Laseulepersonneaumondequiétaitencoreplus théâtraleetagaçantequ’Erika
elle-même.QuelrapportAlyssapouvait-elleavoiraveccesgens-là?Elleseprécipitaversl’évieroùellenoyamacigaretteavantdelabalancerdanslapoubelle.Elle
marmonnaquelquechoseenrécuranténergiquementlasoucoupe.Unsilencegênés’installadanslapièce.Kellanetmoiregardionsfixementsafiancéequisemblait
plusdinguequejamaiscejour-là.–Bon…ditKellanensebalançantd’unpiedsurl’autre.Çatediraitd’allervoirlerestaurantde
Jacob?–Ouais,jerépondis,plusrapidequel’éclair.Jacobétaitunvieuxpoteàquijen’avaispasreparlédepuisquej’avaisditunevacherieausujetde
sacollectiondefilmsporno.Jenesavaispastrèsbiencommentallaientsepassercesretrouvailles,maisj’espéraisqueceseraitmieuxqu’avecErika.
Noussortîmesrapidementdelamaison,justeavantqu’Erikanesemetteencoreplusencolère.–Tucroisqu’ellem’enveuttoujoursd’avoirpresquemislefeuàsonancienappartement?–C’estsûrqu’ellenel’atoujourspasdigéré,ditKellanenriant.–Oh,çava.C’étaituneconnerie.–Qui lui a coûtéquatremille dollars, ouais.Unpeu chère, ta connerie.Mais elle s’en remettra,
t’inquiète.–Kellan,qu’est-cequejefaisici?Avantqu’ilnepuissemerépondre,laporteserouvrit.–Tupeuxdormirdansunedeschambresd’amis,ditErikaenfaisantunsignedetêteàKellan.Ellemeregardaitdans lesyeuxetellesemblaitpluscalme.Peut-êtrequesasession intensivede
nettoyageavaitrééquilibrésonhumeur.–Jevaisymettretonsac.–Merci,Erika.Çamefaittrèsplaisir.–Onseraderetourpourledîner,ditKellanenl’embrassantsurlajoue.–On?demanda-t-elleavecunecertaineinquiétudedanslavoix.–Nousdeux,dit-ilennousmontranttouslesdeuxdudoigt.Ellefitdesonmieuxpournepasserenfrogner,maissansbeaucoupdesuccès.–Oh,super.Jevaisjustemedébrouillerpourfaireunpaindeviandepourquatreaulieudetrois.Et
jevaisrajouteruncouvert.
Jesentaisbienquecelalacontrariait,maisellesouritavecdouceur,rentralentementdanslamaisonetrefermalaporte.
–Jepensequenoussommesmaintenant,officiel-lementlesmeilleursamisdumonde,elleetmoi,dis-jeenrigolant.
–Lesmeilleursdesmeilleursamis.Àcepropos…çat’afaitquoiderevoirAlyssa?–C’étaitcool,mentis-je.J’aiseulementl’intentiondel’éviteraumaximum.–Bien,dit-ilendescendant lesmarchesduperron.C’estprobablementmieuxquevossentiments
d’avantsoientpassés,non?Peut-êtrequevouspourrezpardonner,oublieretpasseràautrechose,touslesdeux.
–Ouais,çanem’arienfaitdelarevoir,enfait.Alors,tantmieux.C’était lavérité.Etpar«vérité», jevoulaisdire lepiredesmensonges. Jemesouvenaisdece
qu’Alyssaavaitditunpeuplustôt.–Lamaisonrestelamaison.Mêmequandonneleveutpas.Après tout ce tempspassé, après toute cettedistance,AlyssaMarieWaltersdemeurait lamaison
pourmoi,enquelquesorte.Jenesavaispastrèsbiencommentgérercefaitetc’étaitprécisémentpourcelaqu’ilfallaitqueje
prenneunallersimplepourrepartirdeTrueFalls,Wisconsin.Vitefait.
18ALYSSA
–Suruneéchelledeunàdix, tucomptaisattendrecombiende tempsavantdem’appeleràpartirdumomentoùtusavaisqueLoganétaitrevenu?Unétant:tun’ensavaisrien,etdixétant«jedétestemasœurensecret»,demandai-jeàErikaautéléphoneenmebagarrantavecmescléspourrentrerchezmoi.
J’avaislesnerfsenpelotedepuisqueLoganetmoinousétionscroisésaurestaurant.Jen’arrivaispasàpenserclairement,j’avaislanausée,j’étaisencolère…j’étais…soulagée?
Ilm’arrivaitparfoisdedouterqu’ilsoitencoreenvie,mêmesiKellanmedonnaitdesesnouvellesdetempsentemps.
–Jetejurequejen’ensavaisrien,tudoismecroire.Jeparvinsfinalementàouvrirmaported’entréeet,enmoinsd’uneminute,j’étaisécrouléesurmon
canapé.–KellanadûluienvoyerunSOS,j’imagine.C’estlapagaille.Ilparaîtqu’ilvarestercheznous
pendantunmoment.–Unmoment?demandai-je,curieuse.Çaveutdirequoi?Ilestcheztoi,là?Je me demandais si je n’allais pas aller chez elle juste pour voir son visage. Simplement pour
m’assurerqu’ilétaitbienréel.–Aly,medit-ellesuruntonderéprimandequimefitpenseràmamèrequandellenousgrondait
lorsquenousétionsenfants.Nerecommencepas.–Nerecommencepasquoi?–Ne recommencepas avecça.LoganSiverstoneest sortide tavie.Et jepensequec’estmieux
ainsi.Commentpourrait-ilresterendehorsdemaviealorsqu’ilnesetrouvequ’àquelquespâtésde
maisonsdemoi,chezmasœur.
–C’étaitdelasimplecuriosité,Erika.Sérieux.Je m’interrompis en écoutant les bruits que j’entendais dans le téléphone. Elle était en train de
réorganisertoutesamaison,jelesavais.Jel’entendaispousserlesmeubles.Chaquefoisqu’Erikaétaitnerveuseoucontrariée,elleréaménageaittout,oualorsellebrisaitdesobjetsetcouraitimmédiatementaumagasin pour les remplacer. C’était unemanie bizarre chez elle,maismoi j’avais bien laissé desmessagesàungarçontouslesjourspendantprèsdecinqans–toutlemondeasespropresbizarreries.
–Waouh,ildoitvraimentt’avoirmisehorsdetoi,dis-jeensortantuntubederougeàlèvrespourm’enappliquercouchesurcouche.Jet’entendsdéplacerlesmeubles.
–C’est normal, non ?C’est comme le fantôme deNoël dernier qui se pointerait pourme dire :«Oh?Tuesstressée?Eh,bien,comptesurmoipourterendreleschosesunpeuplusdifficiles.»
–Combiend’assiettesas-tudéjàcassées?–Seulementune,heureusement.(Ellesoupira.)Maisj’enavaisunepiled’avancedansleplacard.Évidemment.Elleétaittoujourspréparéepouràpeuprèsn’importequelincident.– Il a fumé et mis ses cendres dans une de mes soucoupes, Alyssa ! Qui peut faire une chose
pareille?Jericanai.–C’estmoinsgravequedelesavoirmisessurtatablebasseàcinqcentsdollars.–Tutrouvesçadrôle?Unpeu.–Non,non.Cen’estpasdrôle.Excuse-moi.Écoute, je suis sûreque toutva rentrerdans l’ordre
dansquelquesjours.TuneterendrasprobablementmêmepluscomptequeLoganestlà.–Tu crois qu’il consomme toujours ?murmura-t-elle dans le téléphone.Kellan est dans le déni,
maismoijenesaispas.Jepensequec’estunetrès,trèsmauvaiseidée.Cen’estvraimentpaslemoment.–Ilavaitl’aird’allerbien,dis-jeenallantdansmasalledebainsoùjeregardaidanslaglacemes
lèvresrecouvertesdebeaucouptropderouge.Jeprisunelingettedémaquillanteetentreprisd’enleverlerougeenrepensantauxyeuxdeLoganqui
merappelaienttellementlepassé.–Enfait,ilavaitvraimentl’aird’allerbien.Enpleineforme.–Maistunet’inquiètespas?Tun’aspaspeurqu’ilreplonge?Seretrouvericioùtoussesennuis
ontcommencé,çanepeutpasêtrebonpourlui.–Jepensequenousnedevrionspastropnousprendrelatête.Unjouràlafois.Uneassiettecassée
àlafois,Erika.Ellericana.–Tunevoudraispasvenirdîner?MamanseralàpouraccueillirLogan.Ohnon.PauvreLogan.Mamèreétait loind’être saplusgrande fan.Et ladernière foisqueLogan l’avaitvue, il l’avait
traitéedemonstrecastrateur.–J’adoreraisparticiperàcecarambolage,maisjepensequejeferaismieuxdem’abstenir.
AvoirvuLogantoutàl’heurem’avaitembrouillélatête.Jen’étaispassûredepouvoirsupporterderenouvelerl’expérience.Mêmesi,aufonddemoncœur,j’avaisenviedelevoirneserait-cequepourm’assurerqu’ilétaitréellementlà.
–Entoutcas,amusez-vousbiencesoir,etenvoie-moiuntextopourmeraconterlescatastrophesendétail.
–Jen’ymanqueraipas.Eh,Alyssa?–Ouais?–NeretombepasdanslesfiletsdeLogan.Riendebonnepeutensortir.–D’accord.Eh,Erika?–Oui?–Necassepasunefichuelampe.–Çamarche.
***
Jesortislecarton.Lecartonquej’étaiscenséedétruiredepuisdesannées.LecartondontErikapensaitquejem’étais
débarrassée,parcequej’avaisfinipar laisser tomberaprès lemilliondemessagesquej’avais laissésdanssaboîtevocale.Maisilétaitrangésousmonmatelas,avectousnossouvenirsàl’intérieur.
Je soulevai le couvercle etmemis à regarder toutes les photos de nous quand nous étions plusjeunes.Jesoulevailamargueriteséchéequ’ilm’avaitdonnéelapremièrefoisqu’ilm’avaitembrassée.Je sortis l’ours en peluche qu’il avait volé au parc d’attractions quand le mec avait triché pour meprendrelepremierprix.
Lesticketsdecinémadesfilmsquenousétionsallésvoirensemble.Lescartesd’anniversairequ’ilm’avaitfaiteslui-même.Sonbriquet.–Pourquoi est-ceque tum’as fait ça ?murmurai-je en soulevant le sweat à capuche rougequ’il
m’avaitdonnélapremièrefoisqu’ons’étaitbaladésensemble.Jerespiraisonodeur,etjepuspresquesentirlestracesd’odeurdetabacqu’ilavaitlaisséesdansle
tissu.–Pourquoia-t-ilfalluquetureviennes?Aufonddelaboîte,ilyavaitunefourchetteenargentencadrée.Jefermailesyeuxenlatenantentre
mesmains.Jerestaiassiseaumilieudetouscessouvenirsjusqu’àcequ’ilsoittempsderemplirlaboîteànouveauetdelaremettresousmonlit.
Jem’endébarrasseraisunjour,j’enétaissûre.Maispasaujourd’hui.
19LOGAN
Je fus stupéfait en entrant dans le restaurant de Jacob, Bro’s Bistro. C’était génial de voir commentJacob avait réussi à reprendre sa vie enmain.Lorsqu’on était plus jeunes, on fumait de l’herbe et onplaisantait endisantqu’onvoulaitdevenirdeschefs tous lesdeuxetpossédernotrepropre restaurant.C’étaittropbiendevoirsonrêveréalisé.
–Putain,j’ycroispas!Regardezcequelechatnousaramené!s’exclamaJacobdederrièresongrandcomptoir.LoganSilverstone.Jenepensaisjamaisterevoirdanscettepartiedelaville.
Ilavaitlescheveuxcoupéstrèscourtetilaffichaittoujourscemêmegrandsourireniaisqu’ilavaitdansletemps.
Jesouris.–Çafaitunbail,monpote,tupeuxledire.–Tuasl’airenpleineforme,dit-ilenseprécipitantversmoipourmeserrervigoureusementdans
sesbras.–J’essaie,monpote.J’essaie.C’estsuper-chouette,ici,Jacob.–Ouais,ouais.Ilestencoretôt.Ilyauraplusdemondeversseptouhuitheures.Etdemainc’est
soiréeopenmic,tupourrasvoirtonfrèreseproduiresurscène.Jehaussaiunsourcil.–C’estvrai?Çafaitvachementlongtempsquejenet’aipasentenduchanterent’accompagnantàla
guitare,Kellan.–Ouais.J’essaiederevenirauxchosesquej’aime,tuvois.Lavieesttropcourtepournepasfaire
cequinousrendheureux.–Ça,c’estvrai.Cetendroitestvraimentgénial,Jacob.Cen’estpas tousles joursquequelqu’un
parvientàréalisersonrêve,jeluidisalorsqu’ilmefaisaitvisiter.Maistoi, tuyesarrivé.Tuviston
rêve.–J’essaie,dit-ilenriant.Mais,tusais,fairetournersonproprerestaurant,c’estsuper-dur,putain!–Rienqued’ypenser,jesuisdéjàfatigué.–J’aientendudirequetuavaispassétondiplômedecuisinierpendantquetuétaisdansl’Iowa?
demanda-t-ilennousconduisant,Kellanetmoi,verslebar.–Oui,c’estvrai.Jenecroyaispasquej’yarriverais,mais…Alyssa,elle,yatoujourscru.–Ehbiensi,jel’aifait.Ilmefitungrandsourire.–Putain!C’estgénial,mec.Quiauraitpupenserquedesgaminsaussipaumésquenousferaientdes
études?Qu’est-cequejevoussers?Unebière?Uncocktail?demandaJacobenessuyantlecomptoir.–Jeprendraiuneeauminérale,ditKellan.Jememisàrire.–Tun’aspaschangé,frangin.Toujourslefêtardeffréné.Pourmoi,ceserauneBudLight.Kellanhaussalessourcils.–Jevoisquetuesaumoinsaussidéglingoquemoi.Jacobposanosboissons.Lescoudessurlecomptoir,ilcroisalesdoigtsetappuyalatêtesurses
poings.–Alors,l’Iowa?Qu’est-cequ’ilyaàfoutredansl’Iowa?–Exactementcequetupensesqu’ilya.Rien.Travail,dodo,lesfemmesetl’herbe.Laver,rincer,
recommencer.Kellangrimaçaenm’entendantmentionnerlemotherbe,commel’avaitfaitAlyssa.–Lâche-moi,Kellan.Jeneconsommeriend’autre.Justeunpeud’herbedetempsentemps.–Jenevoudraispasquetureplonges,c’esttout.–Jenel’aipasfaitdepuisdesannées.Jevaisbien.Jemeraclailagorge.–Aufait,mercidem’avoiraidéàpayermonloyerlemoisdernier.Etlemoisd’avant…Mavoixdevintunmurmure.–Etlemoisd’avant…J’avaisbeauavoirundiplôme,çan’avaitpasétéfaciledetrouverunvraitravail.–Cen’estrien,sourit-il,sachantquejechangeaisdesujetmaisacceptantdelefaire.Maispasun
motdeçaàErika,d’accord.Jacobsemitàrire.–Çadoitfairebizarre,Kellan.–Quoi?–D’êtretenuparlescouillesparunefemme….Jericanai.–Jesuismêmesurprisqu’ilaitencoredescouilles.
–Allezvousfairefoutre,lesgars!Bon,c’estvrai,Erikaestunpeu…Kellanfronçalenez,cherchantlemotjuste.–Maniaqueducontrôle?suggéraJacob.–Autoritaire?–Théâtrale?–Extrêmementthéâtrale?–Maternante?–Castratrice?–Stable,ditKellanenbuvantsoneauminérale.Erikaeststable.Elleesttoutcequimepermetde
garderlespiedssurterre.Ellen’estpasfacile,c’estvrai,maisjesuisprêtàl’accepterparcequ’elleestforte.Elleestmonpointd’ancrage.
Jacobetmoinoustûmes,unpeuébahis.–Waouh,soufflaJacobdansunprofondsoupir.C’est…çac’estvraimentringard,dit-il, lesyeux
embuésdelarmes.Jerigolai.–Lesummumdelaringardise.–Allezvousfairevoir !C’estsûrqu’onnepeutpasattendrededeuxcrétinscélibatairescomme
vous qu’ils comprennent quoi que ce soit aux relations amoureuses, dit Kellan. Alors, il te plaît, cetendroit?
–S’ilmeplaît?C’esttoutsimplementgénial.Jesuissûrquelacuisineestaussibonnequ’elleenal’air.Sijevivaisici,jeseraislàtouslesjours.
Un sourire perfide apparut sur le visage deKellan, et très vite le visage de Jacob prit lamêmeexpression.
–C’estmarrantque tuparlesdeçaparceque Jacobetmoion s’estdit…si jamais tu restais enville,tuauraisunboulottouttrouvé.Ilchercheunchef,suggéraKellan.
–Çapayebien.Jeveuxdire,lechefestunparfaitcon,maisc’estunbonboulot,ajoutaJacob.Jememisàrire,parcequejetrouvaisl’idéecomplètementridicule.Maisj’arrêtaienvoyantqu’ils
étaientaussisérieuxl’unquel’autre.–Ne le prends pasmal,Kellan.Mais étant donnéque ce fameuxmariage n’est pas pour tout de
suite,jereprendslepremiertrainpourl’Iowa.–Ahouais?Ettuaslesmoyensdetepayerunbilletderetour?medemandaKellan.Jehaussaiunsourcil.–Quoi?Maistum’asditquetumelepaierais.–Pasdutout.Jet’aiditquejetepayaislebilletpourvenirici.Jen’aijamaisparléderetour.–Vatefairefoutre!Jemetournaipourfairefaceàmonfrère,sansvraimentcomprendre.–Tuessérieux,là?JeregardaiJacob.
–Purée,ilestsérieux,c’estça?–Jedisçacommeça,frangin.Tuescheztoiici.Ettuestoujourslebienvenucheztoi.–Vousmeprenezenotage,répliquai-je,ahuri.–Ont’offreunboulot.Écoute,sicequetuveuxvraiment,c’estunallersimplepourretournerdans
l’Iowa,jetel’achètedemainmatin.Maisl’offretiendratoujours.Kellanmepoussaitvraimentàrester,etjen’arrivaispasàcomprendrepourquoi.TrueFallsn’était
pluschezmoi.C’étaitjustelesanciensdémonsdemavie.–Jevaisprendrelebilletderetour.Neleprendspasmal,Kellan.Jet’aime,vraiment.Maiscette
ville?Sijeresteici,jevaisdevenirfou.C’estimpossibleautrement.Ilhochalatête.–Jecomprends.J’aijustepenséquejedevaisteleproposer.Jeleremerciai.–Alors, comme ça, tu es tombé surAlyssa ?Comment tu vois les choses si cela se reproduit ?
demandaKellan.–Jeneferaipasattentionàelleetjelarepousserai.Onnepeutpasrevenirenarrière,elleetmoi.
Jeneveuxpasretournersurceterrain,etelle,elleestbienmieuxsansmoi.Mais,jedispourchangerdesujet,çafaitplaisirdevoirquetuesclean,Jacob.
Ilacquiesça.–Cen’étaitpastellementlongtempsaprèsquetuesparti,enfait.Unjour,jemesuisréveilléetje
mesuisditquejenepouvaispascontinuercommeça.Jen’aipasfaitdedésintox,maisj’aiparticipéàdes réunions à l’église pendant unmoment, ce quim’a aidé. Cela fait des années que je vais plus àl’église,maintenant,maiscelam’asuffisammentaffectépourquejemefasseordonnerministreduculte.
Jerigolai.–Non?Ilsouritavecarrogance,ensedésignantdupouce.–Sijamaistuasl’intentiondetemarier,penseàcebeaumec.Toutàcoup,Jacobsepenchaversmoiavecuneexpressionnouvelle,laplussolennellequejelui
aiejamaisvue.– Logan, pour parler plus sérieusement, il faut vraiment que je te demande quelque chose de
réellementimportant…Jesoupirai,sachantquejenepourraispaséviterlesquestionsqu’untasdegensavaientàmeposer.
Le même genre de questions que Sadie m’avait balancées à la figure au motel.C’était comment ladésintox?As-tureplongé?Tupensestoujoursàladope?
–Commenttufaispourquetescheveuxsoienttoujoursaussibeaux,bordel?Ilsbrillentcommecen’estpaspossible.Etcevolume!Merde.Moi,jecommenceàlesperdreetj’aidûlesraserdeprèspournepasêtretropmoche.
–OhmonDieu,gémitKellanenlevantlesyeuxauciel.Nelelancepassurcesujet.–Jetel’aidit,Kel,l’envieestunpéché.
Jericanai.–Unefoisparmois,unmasqueavecjauned’œufetavocat.–Envrai?–Envrai.Tulaissesposerpendanttroisquartsd’heure,maissurtouttunerincespasàl’eauchaude.
Sinon tu vas te retrouver avec des œufs brouillés dans les cheveux et tu mettras une semaine à t’endébarrasser.Deplus,l’eaufroide,c’esttrèsbonpourlesfolliculesdescheveux,celalesrendplussainsetplusforts.Jepeuxtefairelalistedetouslesproduitsquej’utilise,situveux.
–Sansblague?Tuferaisça?–Biensûr,sansproblème.–Jen’arrivepasàcroirequecetteconversationavraimentlieu,làdevantmoi,soupiraKellanen
levantlesyeuxaucieldefaçonsiostentatoirequejemedisqu’ilsallaientrestercollésauplafond.Ilavaitpeut-êtreeuuneenfanceplusheureusequelamienne,maismaintenantc’étaitluiquiétaità
plaindre,parcequemoiaumoins j’avaisdescheveuxmagnifiquesalorsque lessienscommençaientàdisparaître.
Nousrestâmesencoreunpeuaurestaurantsansparlerdupassé,sansparlerde l’avenir,profitantseulementdumomentprésent.
–Jesuisdésolédedevoirinterromprecesretrouvailles,maisonferaitmieuxderentrerpouraiderErikaàpréparerledîner,ditKellan.
JemelevaiettendislamainàJacob,quilaserradanslasienne.–Çam’afaitplaisirdetevoir,Jacob.–Moiaussi,Logan.Tuasl’airenpleineforme,vraiment,mec.–Toiaussi.Et,heu,jen’aijamaiseul’occasiondeteledire,maisjesuisdésolépourcequej’ai
ditilyalongtemps.Ausujetdetonaddictionaupornoetcettehistoiredefourchette.Ilrigola.–Je tepardonne,monpote.Mêmesicen’étaitpasunefourchettemaisunecuillèreglacée.Etau
fait,n’oubliepasdemedonnercettelistedeproduitscapillaires.Je ne sais pas si cela rendait les choses plus normales, oumoins gênantes,mais d’une façon ou
d’uneautre,celafaisaitdubiendevoirunvisagefamilier.
20LOGAN
–Vousêtesenretard!ditErikad’unevoixgeignardeennousvoyantentrerdanslamaisonquiavaitsubiunetransformationradicaleennotreabsence.
Tout avait changé de place, la table de salle à manger, les canapés, la télévision. J’avaisl’impressiond’avoirmislepieddanslaquatrièmedimension.
–Mamannevapastarder.–Jevaisallerprendreunedoucheavantledîner.– Très bien. J’ai mis des serviettes et différentes choses dont tu pourrais avoir besoin dans la
chambred’amis, ditErika en faisant un signede tête vers la piècedu fond.Maintenant,Kellan, viensgoûtermapuréedepommedeterre.
–Attendez,tempsmort.Nemeditespasquec’estErikaquifaitlacuisine?Lapeurétaitperceptibledansmavoix.Kellanmedonnauncoupdecoude,maiscelanem’empêcha
pasdepoursuivre.–Ladernièrefoisquej’aimangésacuisine,lepouletgloussaitencore,Kellan.–Mec.Juste…vatedoucher.En m’éloignant pour aller dans ma chambre, je ricanai en entendant Erika dire qu’elle ferait
beaucoup d’efforts pour ne pas me tuer. Sur le lit, je trouvai une boîte qui contenait des serviettespropres,unebrosseàdents,dufildentaire,descotons-tiges,desépinglesànourrice,dugeldouche,dudéodorantettoutcedontunepersonnepourraitavoirbesoin.
Je savais qu’elle n’était pas allée faire de courses, donc on pouvait penser qu’elle avait tout çad’avance. Parfois, ça peut servir d’être un peu maniaque. La douche était agréable. Je me lavai lescheveuxetmisdel’après-shampooingtoutenrejouantdansmatêtetouslesinstantsdemarencontreavecAlyssa.Sonparfum,soncontact,sessourires,sesfroncementsdesourcils.
L’idéede rester enville justepour la croiserparhasardme traversa l’esprit.Maisbeaucoupdechosespouvaientchangerencinqans,surtoutaprèstouslesmessagesquej’avaisreçusd’elleetauxquelsjen’avaispasrépondu.
J’auraisdûlarappeler.J’auraisdûrépondreautéléphone.Auboutdequelquesminutes, je fusbrusquement tirédemespenséespardes coups frappés à la
ported’entrée.J’arrêtailadouche,meséchaietenfilaiunjeanetunT-shirtblanc.–Quelqu’unafuméici?LavoixfortedeLauren,lamèred’Erika,résonnadanstoutelamaison.–Quoi?Maisnon,Maman,voyons.–Çasentletabac,ditLauren,d’unevoixoùperçaitladéception.Danslapièced’àcôté,Laurenchuchota,choquéed’entendrequej’étaisrevenuenville.Jeprisune
profondeinspirationetfisclaquerl’élastiquesurmonpoignet.Cequelesgenspensentdemoin’apasd’importance. Je ne suis plus la personne que j’étais quand je suis parti d’ici.Leur opinion nemedéfinissaitpas.
C’était tout lebaratinque ledocteurKhanm’avaitserviquand j’étaisencurededésintoxication,mais à ce moment précis, ce baratin me donna la force de sortir de la salle de bains pour affronterd’autresindividusvenusdemonpassé.
–Ilsedroguetoujours?demandaLaurenàvoixhautejusteaumomentoùj’entraidanslapièce.–Pasaujourd’hui,répliquai-jeenaffichantunsourireaussilargequefaux.Faissemblantjusqu’aubout,Lo.Seulementletempsd’unrepas,etensuitetureprendsletrainpour
l’Iowa.–Lauren,celamefaitplaisirdevousvoir.Ellerefusadeprendrelamainquejeluitendaisetserrasonsacplusfortcontreelle.– Je croyais que nous serions entre nous pour ce dîner, dit-elle d’une voix rendue aiguë par la
contrariété.Etjecroyaisquenousallionsaurestaurant!Lauren fronçaitbeaucoupplus les sourcilsqu’ellenesouriait, etelleavaitbeauavoir lesmêmes
yeuxqu’Alyssa,elleétaitloind’êtreaussigentillequ’elle.–Onapenséqueceseraitpluscalmesanstoutlebruitdurestaurant.Allez, lesbouteillesdevin
sontdéjàdébouchéesetErikanousacuisinéunsuper-repas,réponditKellanavecungrandsourire.Jemedemandaisicesourireétaitaussifauxquelemien.Aumomentoùnousallionsnousasseoiràtable,onfrappadenouveauàlaported’entrée.Quand
Erikal’ouvrit,monestomacsenoua.Alyssasetenaitlàavecdeuxbouteillesdevinàlamain.Comme chaque fois qu’elle entrait dans une pièce, mon esprit fondit un peu.Ne baisse pas tes
défenses,Logan.–Vousavezdelaplacepouruneinvitéedeplus?demanda-t-elleensouriant.–Oui,biensûr,nouspouvonsfairedelaplace,ditErikaenseprécipitantpourajouteruncouvert.Laurensouffla.
–C’est extrêmement impoli de se pointer chez quelqu’un comme ça et de demander une place àtable.
–Moiaussijesuiscontentedetevoir,Maman,ditAlyssaavecinsolence.Jenepouvaisdétachermonregardd’Alyssaetnosyeuxsecroisèrent.Ellemefitunpetitsourireet
jedusdétournerlesyeuxavantdeperdrelatête.Êtrederetourici,êtreprèsd’elle,étaitletrucleplusdifficilequej’avaisjamaiseuàfaire.
Etj’avaisfaitunetonnedetrucsdifficiles.Nousprîmesplaceàtable,moijusteàcôtédeLauren,quisemblaitterriblementnerveuse.Kellan
servitduvindanstouslesverres.Jelevairapidementlemienetj’enbusunebonnerasade.–Tupeuxboire?demandaLauren.–Non,jesupposequenon.Jefinismonpremierverreetjem’enservisunseconddanslafoulée.Etnousnousmîmesàmanger
la cuisine infecte d’Erika, que je dus mâcher au moins cinq fois plus que d’habitude rien que pourpouvoirl’avaler,maisjenemeplaignispas.
–Ilstetraitentbiendanstoncabinetd’avocats,Kellan?demandaLauren.Elleétaitavocateetcequ’ellepréféraitchezKellan,c’étaitqu’ilavaitfaitdudroitettrouvéunbon
emploioùilgagnaitbiensavie,maisàpartça,elleledétestait.Kellanseraclalagorgeens’essuyantlaboucheavecsaserviette.–Enfait,j’aidémissionnéilyaunmois.Jehaussaiunsourcil,ahuri.–Sansdéconner?–Quoi?demandaLauren,stupéfaite.EllesetournaversErika.–Tunemel’avaispasdit.Pourquoin’avoirriendit?–Cen’étaitpasvraimentàmoidelefaire,Maman.–Maispourquoidonc?Pourquoias-tudémissionné?demanda-t-elle.–Cen’étaitpasvraimentmontruc,jepense,ditKellanenserrantlamaind’Erika.Ils se regardèrent en souriant et l’espace d’un instant je le vis, l’amour queKellan disait avoir
toujoursressenti.Cesdeux-làs’aimaientvraiment.–Enquittantlecabinet,j’aisaisil’opportunitédepoursuivremesvraiespassions.–Quellespassions?demandaLauren.–Mamusique.Jouerdelaguitare.–C’estunpasse-temps,pasuntravail.Laurenfronçaitlessourcils.Quellerabat-joie!–Maman.Tusaisbienquejegagnemaviedansunpiano-bar,non?intervintAlyssa.–Oh,machérie!(Laurenfronçalessourcils.)Tutravaillesdansunrestaurant,dansunmagasinde
meublesettujouesdupianolesoirdansdesbarscrasseux.Iln’yapasdequoisevanter,tuparlesd’uneréussite!
Ellen’apaschangé,cettegarce,àcequejevois.– Je trouve que lamusique, c’est vraiment important, renchérit Kellan. On s’amuse. Et puis les
sessionsauxquellesj’aiparticipéétaientbienpayées.J’adorefaireça.Etlavieesttropcourtepournepasfairecequ’onaime.
–Toutàfaitd’accord!dis-jeenmeresservantduvin.C’estpourçaquejeboisautantdevin,dis-jeensouriantetenfaisantunclind’œilàLauren,absolumentravidelamettremalàl’aise.
–Vousverrezlespectacledemain.Monamimefaitjouerdanssonrestaurant.–Quoi?Tum’avaisditquevousalliezauthéâtredemain,ditLaurenensetournantversErika.–Non…j’aiditquenousallionsauspectacle,répliquasafille.Elles se ressemblaient tellement toutes les deux qu’il était impossible de comprendre comment
Alyssaentraitdanscettecombinaison.–Pasderaisondes’inquiéter,celavaêtretrèssympa.Deplus,aprèslespectacle,nouspourrons
faireunsautparlasallederéceptionpourlemariagelemoisprochain,expliquaKellan.–Quoi?s’exclamaLauren.Erikasemitàtousserenessayantdeseraclerlagorge.–Quelqu’unveutencoreduvin?–Qu’est-cequetuveuxdire?Lemariagealieulemoisprochain?–Tuneluiaspasdit?demandaKellanàsafiancéeenfronçantlessourcils.–Medirequoi?–J’aioublié,réponditErika.Waouh!J’avaisl’impressionderegarderunmauvaissitcom.–Onaavancéladatedumariage.Maisnet’inquiètepas!Onnetedemanderarien,saufd’êtrelà.–Non.Cemariageestdansunan.Jecroyaisquetuattendaisd’avoirfinitonmaster,Erika.Deplus,
c’estmoiquipaye.Tunet’espasditquej’avaisledroitdesavoir?Onadéjàversédesarrhespourlalocationdelasalle!Etmaintenant,tumedisquetuenastrouvéuneautre?
–Onterembourseralesarrhes.C’estunchangementdedernièreminute.–Un changement de dernièreminute ?Et je peux en connaître la raison ?Donne-moi une bonne
raisondeprécipiter leschoses.Ilya tellementdechosesàorganiser.Lesfleurs, legâteau, lesmenus.Lesrobes,lesinvitations,toutça.Onn’aurajamaisassezdetemps,pleurnichaitdéjàLauren.
–Onn’apasbesoindetoutça,Maman.Onveutquelquechosedesimple.Detempsentemps,jecroisaisleregardd’Alyssaposésurmoi,etaussitôtelledétournaitlesyeux.
Detempsentemps,ellecroisaitmonregardposésurelle,etjedétournaislesyeuxaussitôt.Jen’avaispas vraiment envie de faire attention à la conversation qui se tenait autour de la table. Je trouvaisbeaucoup plus intéressant d’observer la façon dont Alyssa et moi faisions tout pour nous évitermutuellement.
–ErikaRose,tuprépareslemariagedetesrêvesdepuisl’âgedecinqans.Et,toutàcoup,tun’enasplus rienà fairede touscesdétails ?Non.Onavaitunplan.Onse tient auplan.Deplus,Kellann’amêmeplusdetravail,pourl’instant.
–Ilaunconcertcesoir.J’interrompis laconversationavecunsourire.Cela fit rireAlyssa. Jecrusmouriren l’entendant.
Pourquoi fallait-il qu’elle soit si belle ? J’avais vraiment espéré, en revenant en ville, qu’elle seraitdevenuemochecommeunpou.
C’étaitraté.– Jene comprendsvraimentpas cetteprécipitation.Tudevais attendre l’annéeprochaine comme
c’étaitprévu.Ondevraits’enteniràcequiétaitprévu.–Maman,onnefaitpastoujourscequ’onavaitprévu.Cen’estpasunproblème.–Dis-moipourquoi.Pourquoimaintenant?C’esttellementsoudain,cechangement.Tunecroispas
quevousdevriezplutôtvouspréoccuperdufaitqueKellansoitsansemploi?Commentallez-vousfairepour joindre lesdeuxbouts aveccettemaison?Hein?Tuyaspensé?Les impôts foncierspourunemaisondecettetailledanscequartierdoiventêtreélevés.Jevousavaisditdenepasacheterunegrandemaisoncommeça,maisvousn’avezrienvouluentendre.Maisqu’est-cequevousavezdanslatête?
Samèren’arrêtaitplus. JemesentaismalpourErika.Elleétait toute rougeetellecommençaitàs’énerver.
–Je l’aime!Je l’aime,Maman.Qu’est-cequeçachangequ’onsemarieaujourd’huioudansdesannées?Jeveuxêtreaveclui.
–Cen’estpasrationnel.Tumefaispenseràtasœur,Erika.Alyssapoussaunpetitsoupir.–Jesuislà,Maman.–Ehalors,c’estlavérité.Tuastoujoursétécefeufolletquejenepouvaispaséteindre.Tuétais
ingérable et tu es toujours comme ça,Alyssa.Mais toi, Erika, tu es docile. Toi, tu as la tête sur lesépaules.Maislà,tuteconduiscommesituavaisperdularaison.
Jevislesyeuxd’Alyssaseremplirdelarmes,maiselleneditrien.J’allaisrépondrevertementàLaurenpourparlerd’ellecommeça,maisjem’arrêtainetenvoyantAlyssamefairenondelatête.Aprèstout,qu’est-cequej’enavaisàfaire?Cen’étaitpasàmoidemenersesbatailles.
Erikaouvritlabouchepourrépondre,maisKellanladevança,enfaisanttairetoutlemonde.–J’aiuncancer.Attends.Quoi?Non.Moncœurseserraetjesentisuneremontéed’acidedansmagorge,alorsqu’ilcontinuaitdeparler.–Celafaitunmomentquenouscherchonscommentvousannoncer lanouvelle.J’aidéjàsubiune
opérationpourl’ablationdelatumeur,etjevaisbientôtcommencerlachimio,mais…–Excuse-moi,ralentis.Reprendsdepuisledébut.Qu’est-cequetudis?Monsangbouillaitetj’eusl’impressionquej’allaiscraquer.Jem’agrippaiàmonsiègeetjememis
àtremblerdetousmesmembres.Dequoiparlait-il,bonDieu?Kellannepouvaitpasavoiruncancer.
Kellanétaitenbonnesanté.Ilavaittoujoursétéenbonnesanté.Detoutelafamille,c’étaitleseulànepass’êtrebousillé.Ilnepouvaitpasêtremalade.
–Tudéconnes,putain!Non.Non.Alyssaposasurmoiunregardattristéparlanouvelleetellefitungestepourmeprendrelamain,
mais je fisnonde la tête. Il s’apprêtait àparler,mais jeme levai, jen’avaispas envied’écouter sesexplications. Je ne voulais plus qu’il parle, putain, parce que ses paroles étaient toxiques et qu’ellesempoisonnaientmonâme.J’avaisbesoind’air.Debeaucoupd’air.Jemedirigeaiverslaportedupatioet je sortis. L’air vint rafraîchir mon visage en sueur, et je poussai un soupir douloureux. Tout enm’agrippant des deux mains à la balustrade, les yeux plongés dans l’obscurité du ciel, je respiraiprofondémentpournepasm’effondrer.
Jefermailesyeuxetfisclaquerl’élastiquesurmonpoignetunefois.Çanepeutpasêtrelaréalité…Jenepouvaispasouvrirlesyeux.Ilallaitbien.Ilétaitenbonnesanté.Jefisclaquerl’élastiquedeuxfois.Cen’estpaslaréalité.Cen’estpaslaréalité…Laportecoulissantes’ouvritetj’écoutailebruitdespasquiserapprochaient.Kellanvints’appuyer
surlabalustradeàcôtédemoi.–Tum’aspiégé.–Jenevoulaispastel’annoncercommeça.Enfait,jenesavaispascommentteledire.–C’estquoi?–Lecôlon.Merde.–Je…Lavoixmemanqua.Jemedisaisqu’ilfaudraitquejedisequelquechose,maisjenetrouvaispas
lesmots.Etd’ailleurs,yavait-ildesmotsappropriésàcegenredesituation?Mesdoigtssecrispèrentsurlarambarde.–IlfautallervoirJC.Jen’ycroiraipastantqueluinemel’aurapasditenface.JCétaitlemédecinquinousavaitsuivis,Kellanetmoi,pendanttoutenotreenfance.C’étaitunami
dupèredeKellan,alorsmêmesijen’avaispasl’argentoul’assurancemaladiepourpouvoirallerchezlemédecin,JCmeprenaitenconsultationgratuitement.Ilétaitbizarre,maisc’étaitunmecbien,etilétaitleseulenquijepouvaisavoirconfiancepourmedirelavéritéausujetdel’étatdesantédemonfrère.
–Logan,ditKelland’unevoixdouce,j’aidéjàparléavecJC.Etpuisiln’estpasoncologue.–Lui,jeluifaisconfiance,dis-jelesdentsserrées.Jeluifaisconfiance,Kellan.Luiseul.Ilsefrottalanuque.–Ok.OniravoirJCsiçapeutterassurer.
–Oui.Jemeraclailagorge.– En attendant, dis-moi tout ce que tu sais.À quel stade en es-tu ?Ce n’est pas incurable, si ?
Commentpeut-ons’endébarrasser?Qu’est-cequejepeuxfaire?Commentpuis-jet’aider?Commentréglerceproblème?
Commentpuis-jeréglertonproblème?–Ilenestaustade3.Non,ça,cen’estpasbon.–Mais,pourl’instant,onattend.Commejel’aidit,jemesuisfaitopérer,ilsontretirélatumeuret
deuxganglions.Jevaiscommencerlachimiolasemaineprochaineetpuisaprès,onlaissepasserunpeude temps pour voir si çamarche. La chimio devrait arrêter les cellules potentielles qui pourraient serépandredansmonorganisme.
–Qu’est-cequisepassesiellesserépandentailleurs?Ilneditrien.Non.Non.Non.Jememordislalangue.–Tuauraisdûm’enparler.–Jesais.Nouspivotâmespourfairefaceà lamaison.Erikacriaitsursamèrequi lui répondaitenhurlant.
Alyssafaisaitdesonmieuxpourcalmerlejeu,sanssuccès.–Tunepeuxpasépouserunhommequiauncancer,Erika.Celan’apasdesens!Tupensesavec
toncœuraulieudepenseravectatête.C’étaitépouvantablededireça,putain!–Seigneur!Leurmèreestfolle.J’avaisoubliéàquelpoint.Àcôtéd’elle,Erikaparaîtpresque…
normale?–Ilfautselafaire,çac’estsûr!Kellanbaissaunpeulatêteetfixaseschaussures.–Maisellen’apascomplètementtort,cependant.–Quoi?–Erikaestenmodepanique.Elleprécipiteleschoses,justepourlecasoùilm’arriveraitquelque
chose.Aucasoùçatourneraitmal.Neteméprendspas,jeveuxdevenirsonmari,mais…Il s’interrompiten tournant lesyeuxvers samaisonqui semblait aubordde l’explosion. J’aurais
vouluqu’ilailleplusloinausujetdecequ’ilressentaitàl’idéed’épouserErika,maisjevoyaisbienquecen’étaitpaslebonmoment.
Àl’intérieurdelamaison,laconversationavaitdûatteindresonpointculminant.Laurenpartitenclaquantlaporte.Erikasemitaussitôtàdébarrasserlatable,encassantdesassiettesdansl’éviereten
modifiantladispositiondeschaisespendantqu’Alyssal’observaitensetenantàl’écart.–Heu,tunecroispasqu’ondevraitallerl’aider?Ilsecoualatête.–Çafaitpartiedesonfonctionnement.Iln’yaqu’àattendrequeçapasse.Jefisclaquermonélastiqueunefois.Oudeux.Oupeut-êtremêmequinzefois.–C’estdinguequandmême.C’estmoiquifumeetc’esttoiquiasuncancer.–Toutcequiestàtoiestàmoi…–Etcequiestàmoiestàtoi,répliquai-je.– Si cela peut te rassurer, fumer ne donne pas le cancer du côlon. N’empêche, tu ferais mieux
d’arrêter.Jesoufflaienentendantsontonpaternaliste.Maisiln’avaitpastort.–Grand-pèreaeuuncancerducôlon,dis-jed’unevoixquisebrisa.C’estdeçaqu’ilestmort.Kellanhochalatête.–Ouais,jesais.Laseuleautrepersonnequim’aimaitautantquemonfrère,c’étaitmongrand-père.Voirsavielui
échapper avait été la chose la plus dure que j’avais eue à vivre.Et le pire avait été la rapidité aveclaquelle cela s’était passé.Un jour il était là, et à peine quelquesmois plus tard, il n’y était plus. Jen’avaismêmepaseulapossibilitédeluidireadieuparcequ’ilvivaittellementloindenous.
–Écoute.Jedevraispeut-êtrerevenirvivreicipendantquelquetemps.Enréalité,iln’yarienquim’attendlà-bas,dansl’Iowa.
–Ahoui?Ilreniflaencroisantlesdoigtssursanuque.–Ouais.Cen’estpasunproblème.Jepourraismêmepeut-êtreallervoirmaman,undecesjours.
Pourvoircommentelleva.–Pasterrible.J’avaisl’intentiondepasserprendresacarted’aidealimentairepourallerluifaire
descoursesverslafindelasemaine.–Jepeuxm’enoccuperdemain.Ilsecontracta.–Jenesuispassûrquecesoitunebonneidée,Logan.Tusais…maintenantquetuesclean,ettout
ça. Et puis, avec ce que tu viens d’apprendre, je n’ai pas envie que tu te retrouves confronté à cetenvironnement.
–Toutvabien.Jepeuxgérer.–Tuessûr?Jememisàrireenlebousculant.–Ehmec,c’est toiquiasuncancer,et tues làà t’inquiéterpourmoi.Arrête.Tu t’esoccupéde
mamanetdemoitoutenotrevie.C’estmontour,d’accord?Enprononçantlemotcancer,j’eusl’impressiondemourir.
–Ok,soupira-t-ilencroisantlesbras.J’aideuxtroistrucsàfairedemainaprèsquenousseronsallésvoirJC,maisErikapourrat’accompagner.
–Elleferaitça?–Oui,sijeleluidemande.Maistunet’étonneraspassitudoisfairequelquesarrêtsavant.Jehaussail’épaulegauche.Ilhaussal’épauledroite.NousobservâmesErikadétruirelamaisonavantdetoutremettreenplaceet,pendanttoutletemps,
jemedemandaisij’étaisvraimentassezfortpouraffrontermonpassé.Jenesavaispascequej’allaisressentirenmeretrouvantfaceàmamère.
Jenesavaispassij’étaisassezfort.
21ALYSSA
–Logan?jemurmuraienfrappantàlaportedesachambre.Ilyétaitdepuisunedemi-heureet jenepouvaisqu’imaginercequisepassaitdanssatêteaprèsavoirappris pour le cancer de Kellan. Je l’entendis aller et venir dans sa chambre avant que la porte nes’ouvre.Ilrenifla,sepassalamainsurlevisageetmeregardaenplissantlesyeux.
–Ouais?Ilavaitlesyeuxrougesetgonflés.J’eusenviedeleprendredansmesbrasetdeleserrercontremoi
pourluidirequejecomprenaisqu’ilétaitmalheureux.Tuaspleuré.–Jevoulaissavoirsituallaisbien,dis-jedoucement.–Çava.Jefisunpasdansl’embrasuredelaportepourmerapprocherdelui.Jevoyaisbienquec’étaitloin
d’êtrevrai.KellanétaittoutpourLogan.Quandilétaitpartidansl’Iowa,sonfrèreétaitleseulavecquiilétaitrestéencontact.Alorsqu’ilignoraittousmesappels,ilavaitréponduàtousceuxdeKellan.
–Jenecroispas,non.–Maissi.Ilhochalatêteetmelançaunregardpleindefroideur.–Jevaisbien.Jenevaispaspartirenvrilleoujenesaisquoi,Alyssa.Touslesjours,ilyades
gensquidéclenchentdescancers.Ettouslesjours,ilyadesgensquiparviennentàvaincrelecancer.Ilvabien.Jevaisbien.Toutvabien.
Touteautrepersonnequemoiauraitmanquélepetit tremblementdesa lèvre inférieure.Maispasmoi.Moi,jevoyaisàquelpointsoncœursouffraitencemoment.
–Arrête,Lo.C’estmoi.Tusaisquetupeuxmeparler.
–Toi?Maisquies-tupourmoi,exactement?persifla-t-ild’untonamer.Depuisquandétais-tuaucourant?Depuisquandsavais-tuqu’ilétaitmalade?
J’entrouvrisleslèvres,maisilcontinuaàparler.–Donc, tu savais.Millequatre-vingt-dixmessages,Alyssa.Tum’as laissémillequatre-vingt-dix
messages. Tu as appelé surmon téléphonemille quatre-vingt-dix fois,mais tu n’as pas pu prendre letempsuneseulefoisd’appelerpourmelaisserunmessagemedisantquemonfrèreavaituncancer, lemêmecancerquiatuénotregrand-père?
Ilsaisit leboutondelaporteetmelafermaaunez,cequinemesurpritpas.Sesparolesétaientsévères,maiscen’étaitpasfaux.Celafaisaitunpetitmomentque j’étaisaucourantpour lecancerdeKellan,maiscen’étaitpasàmoideleluiannoncer.Kellanm’avaitfaitjurerden’enrienfaire.
Jeposaileboutdesdoigtssurlaporteetfermailesyeux.–J’habiteladernièremaisonaucoindeCherryStreetetdeWickerAvenue.Tupeuxpasserquand
tuveux,Logan.Situasbesoindeparleràquelqu’un.N’importequand.La porte s’ouvrit brusquement, et je poussai un petit cri étouffé quand il s’avança versmoi,me
dominant de toute sa hauteur. Son visage était dur, et les yeux rougis par l’émotion de tout à l’heureétaientmaintenantchargésdecolère.
–Mais,qu’est-cequetunecomprendspas,putain?siffla-t-il.Jefisunpasenarrièrequandilcontinuaàavancerversmoi.Etainsidesuitejusqu’àcequejeme
retrouveadosséeaumurducouloiretqu’ilnesoitplusqu’àquelquescentimètresdemoi.Nosbouchesétaientsiprès l’unede l’autrequesi jem’étaispenchéeunpeu, j’auraispusentir sur lesmiennesceslèvres que je désirais tant autrefois. Ses paroles tombèrent comme un couperet quime transperçait lecœuràchaquesyllabe.
–Jen’aipasbesoinde toi,Alyssa. JE.N’AI.PAS.BESOIN.DE.TOI.Alors, si tuvoulaisbiencesserdefairecommesinousétionsamis,celam’arrangerait.Parcequenousnelesommespas.Nousneleseronsplusjamais.Jen’aipasbesoindetoi.Etjen’aipasbesoindusoutiendetonépaule,putain!
Ilrentradanssachambreetclaqualaporte.Jeprisquelquesinspirationsprofondes,pouressayerderetrouvermoncalme.Maisquand jepénétraidans le salonpour récupérermonblousonetenfilermestennis,moncœurcontinuaitàbattrecommeunfoudansmapoitrine.
Quiétaitcegarçon?Il n’avait rien à voir avec celui que j’avais connu des années auparavant. Ce n’était pas mon
meilleurami.Ilmefaisaitl’effetd’êtreuncompletétranger.–Çava?Erikameregardaenfronçantlessourcils.Jehaussailesépaules.–Essaied’yallermolloaveclui,Erika.–Sérieux?Ilvientjustedetegueulerdessus,ausenspropreduterme.Ettoi,tumedemandesd’y
allermolloaveclui?Jenesaispascequimeretientdelefoutreàlaportedechezmoi.
–Non,dis-jevivementensecouantlatête.Non,nefaispasça.C’estdifficilepourlui.Jeveuxdire,jenepeuxmêmepasimaginer…sic’étaittoi…
Jem’interrompis.Jenesavaispascommentjeréagiraissij’apprenaisquemasœuravaituncancer.–Laisse-letranquille.Ellesedétenditunpeu.–D’accord.Ellemepritdanssesbrasetmurmura:–C’estmieuxpourtoidegardertesdistances,Aly.Tulesais,hein?Jemedoutequeceladoitêtre
douloureuxpourtoidelerevoir.Jedansaid’unpiedsurl’autreethaussailesépaules.–Çava.Celanemeposepasdeproblème.–Ouais,maisn’empêche,celaneseraitpasplusmalderesteràl’écart.Pourvoscœursàtousles
deux.J’étaisd’accordavecça.Detoutefaçon,jenepensaispasqu’ilchercheraitàmerevoirdesitôt.
22LOGAN
Jerestaiappuyécontrelaportedemachambrejusqu’àcequej’entendeAlyssas’enaller.Celaallaitêtredifficiledelarepoussersijerestaisdanscetteville,parcequ’unegrandepartiedemonêtrevoulaittoujoursl’attirercontremoi.
Jerestaidansmachambre,connectéàinternetavecmontéléphonepourfairedesrecherchessurlecancer du côlon. Je feuilletai des pages et des pages de renseignements qui me communiquaient unepaniquequejen’étaispassûrdepouvoircontrôler.Toutd’abord, je lusdestonnesdetémoignagesdesurvivants,maistoutàcoupjemeretrouvaisanstropsavoircommentsurlemondeplusobscurdunet,oùsetrouvaientleshistoiresdeceuxquiavaientsuccombérapidementaucancerducôlon.
Jeluslespagesparlantdesremèdesnaturels.Jeluslesmensongeslesplusrépandus.Jenefermaipasl’œiljusqu’àcequelesoleilselève,inondantmachambredelumière.
Lorsquemespaupièresdevinrentaussi lourdesquemoncœur, j’éteignismon téléphone.La seulechosequej’avaisapprisependantcettenuit,c’étaitqueWebMD 1étaitenfaitlediableetqueKellannepasseraitprobablementpaslanuit.
Je sortisunecigarette et l’allumai avecmonbriquet. J’ouvris la fenêtre,posai la cigarette sur lebordetm’accordaicesquelquescourtsinstantspoursouffrir.
1.Sited’unesociétéaméricainequifournitdesservicesd’informationsurlasanté.
23LOGAN
IlfaisaitfroiddanslecabinetdudocteurJamesPetterson.Plusfroidqu’iln’étaitnécessaire.Biensûràl’extérieurildevaitfaireplusdetrentedegrés–cequiétaittrèschaudpourcetterégionduWisconsin–,maiscen’étaitpasuneraisonpourquesoncabinetsoitunevraieglacière.James–ouJimmyCure-dent(JC) comme tout lemonde en ville le surnommait à cause de sa haute taille combinée à son extrêmemaigreur–étaitleseulmédecinquej’avaisjamaisconnu,etjeluifaisaisconfiance.Ilneressemblaitpasàunmédecinordinaire,d’ailleurs,etilm’arrivaitsouventdemedemanders’ilétaitvraimentmédecinousi,unsamedi soiroù il s’ennuyait, ilne s’étaitpasachetéunstéthoscopeavantd’endosseruneblouseblanchequ’iln’avaitplusjamaisretiréeensuite.Pourcouronnerletout,ilhabitaitl’appartementjusteau-dessusdesoncabinet.
Son cabinet lui-même avait l’air d’appartenir à un faux médecin. Sur la cheminée derrière sonbureautrônaituneénormetêtededaimqu’il juraitavoirabattu lesyeuxfermés,desannéesplus tôt.Àcôtédelatêtededaim,onvoyaitcequiétaitsoi-disantlapeaud’unoursbrun,maisquienfaitn’étaitqu’unedescentedelitprobablementtrouvéeensoldechezWal-Mart1.Ilpoussaitlebouchonjusqu’àdirequ’ilavaittuél’oursavecunecannettedebièredanslamaindroiteetunfusildanslamaingauche.
Surlecoindesonbureau,ilyavaitunpotdebonbonsetderéglisses.Celamesidéraitqu’unmédecinpoussesespatientsàmangerdessucreriescommeça,maispourJC,
ilyavaitunecertainelogiquesionpensaitquesafemme,Effie,n’étaitpaslaseuledentistedelavilleetqu’ellecherchaittoujoursdenouveauxpatients.
JCet sa femmeauraientdû fairepreuvedeplusdebon sensdans leur choixde sucreries, parcequ’aucunepersonnesained’espritneserisquaitàmangerdesréglisses.
Jecroisailesbrasetlesserraicontremoipourmeréchauffer.Merde.J’étaisgelé.Jejetaiuncoupd’œilverslesiègeàcôtédemoioùKellanétaitassis.
En levant les yeux vers JC, je vis que ses lèvres continuaient à bouger très vite. Il continuait àexpliquerlasituationencoreetencore.Entoutcas,c’estcequejemedisais.Jenepouvaispasenêtresûr,parceque,déjà,jen’écoutaisplus.
Jenesavaispasàquelmomentexactj’avaiscesséd’entendreleflotdeparolesquisedéversaitdesabouche,maisdepuiscinqoudixminutes,jemecontentaisderegarderbougerseslèvres.Dessonsquinevoulaientriendireensortaientdefaçonininterrompue.
Jem’agrippaisavecforceauxaccoudoirsdemonfauteuil.Lechocm’avaitsonné.Jenesavaispassijedevaisrireoupleurerenentendantlediagnostic.Sije
devaisêtrefurieuxetdonneruncoupdepoingdanslemur.Combiendetempsilmerestaitàpasseravecmonfrère.Lesentimentd’isolementquimesubmergeaitmecoupaitlesouffle.Lesbattementspaniquésdemoncœurqui résonnaientdans toutmonorganismeétaient terrifiants,maispas inconnus.Lapeuret lacolèrerendaientchaquemomentinsupportable.
–Logan,ditJCenmefaisantrentrerdanslaconversation.Cen’estpaslafinpourtonfrère.Ilestprisenchargeparlesmeilleursmédecinsdel’État.Ilbénéficiedesmeilleurstraitementslà-bas.
Kellansepassalamaindanslecouethochalatête.–Jenesuispasfini,Logan.C’estjusteunincidentdeparcours.Sonhochementdetête,associéàcechoixdemots,melaissaitperplexe.S’iln’étaitpasfini,est-ce
qu’ilnesecoueraitpaslatêteaulieudelahocher?Jemepassailamainsurlajoueenmeraclantlagorge.–Onvademanderundeuxièmeavis.Jememisàarpenterlapetiteterrasseenmepassantfrénétiquementlesmainsdanslescheveux.–Etpuisuntroisième.Etunquatrième.C’étaitbiençaqu’onfaisait,non?Oncherchaitlaréponsequinousconvenaitlemieux?Laplus
optimiste?Nousavionsbesoind’uneréponseplussatisfaisante.–Logan…JCfitlagrimace.–Demanderdenouveauxavisneserviraqu’ànousretarder.Nousattaquonslamaladiedefront,et
nousavonsbonespoirde…Çarecommença.J’arrêtaid’écouter.Laréunionsepoursuivit,maisjenedisplusunmot.Iln’yavaitplusrienàdire.Nous fîmes,Kellanetmoi, tout le trajetde retour sansdesserrer lesdents,maismoncerveaune
voulaitpassetaire,etlemotcancertournaitenboucledansmatête.Monfrère,monhéros,monmeilleuramiavaituncancer.Etjen’arrivaisplusàrespirer.
***
QuandKellanm’avait dit qu’Erika voudrait s’arrêter quelque part avant deme déposer chezmamère,jen’imaginaispasqu’onseretrouveraitplantéspendantplusdevingtminutesentrelesrayonsd’unsupermarché.Celafaisaitvingt-quatreheuresqueLoganm’avaitannoncélanouvelleausujetdesasanté,etjenepensaisàprendredeladroguepourlesupporterquetouteslesminutes,cequiétaitmieuxqued’ypensertouteslessecondes.Erika,elle,avaituneautresorted’addictionpourgérersonstress,etc’étaitPotteryBarn2.
–Onvaresterlongtempsici?jedemandaiàErikadevantdespilesd’assietteshorsdeprix.Onétaitlàdepuisaumoinsvingtminutesetellen’arrivaitpasàdéciderlesquellesprendre,sachant
qu’ellecassaitrégulièrementtoutelavaissellechezeux.– Tu vas te taire, ordonna-t-elle, les bras croisés, les yeux plissés et visiblement toujours aussi
déjantée.Celademandedeprendresontemps.–Pasvraiment.Regarde.Desassiettes.Ohregarde,encoredesassiettes.Waouh,etqu’est-cequ’on
alà,Erika?Eh,bien,jecroisquecesontdesassiettes.–Pourquoifaut-ilquetusois toujoursaussicasse-pieds?J’espéraisvraimentqu’auboutdecinq
anstuauraisgrandiunpeu.–Désolédetedécevoir.Mais,sérieusement,onnepourraitpasyaller,là?Ellemelançaunregardagacé.–Maistuesvraimentsipresséd’allervoirtamère?Tuétaisabsentpendantcinqans,tuaslaissé
Kellans’occuperdetout.Iladûêtrelàquandelleallaitvraimentmalet,toi,tunet’esmêmepasdonnélapeinedeprendredesesnouvelles.Tunel’asjamaisappeléenirien,alorspourquoimaintenant?
–Parcequemonfrèreauncancer,parcequemamèreesttoxico,parcequejemesensnulcommefrèreetcommefilsd’êtrepartietden’êtrepasrevenu.C’estçaquetuveuxentendre,Erika?D’accord,je suisun raté.Mais, franchement, si tupouvais arrêter deux secondesdeme le lancer à la figure, ceseraitsuper-sympa,purée.
Elle poussa un soupir en se balançant d’un pied sur l’autre. Elle détourna les yeux pourrecommenceràexaminerlesassiettesexposéesdevantnous,etnousreprîmesnotresilence.
Cinqminutes.Dixminutes.Quinzeputainsdeminutes.–Celle-ci, dit-elle enmontrant une assiette du doigt. Je vais prendre celle-ci. Prends deux lots,
Logan.Ellepivotasursestalonsetsedirigeaverslacaisse,melaissantsurplace,stupéfait.–Pourquoideuxlots?Elles’éloignarapidementsansprendrelapeinedemerépondre.En tenant précautionneusement les deux lots d’assiettes dans les bras, j’allai vers la sortie du
magasinetposailescartonsdevantlacaissière.Erikaetmoinedîmespasunmotjusqu’àcequ’ellenousannonceleprixtotaldesassiettes.
–Centhuitdollarsetvingt-troiscents.–Non,maisj’hallucine,tuvaspayerplusdecentballespourdesassiettes?–Cequejefaisdemonargentneteregardepas.
–C’estvrai,maisquandmême,Erika.Tupourraisaussibienacheterdesassiettesordinairesdansunbazarouuntrucdugenrepuisquetuvasprobablementlescasserdemaindetoutefaçon.
– Je ne remets pas enquestion la façondontKellandépense son argent, ouplutôt pourqui il ledépense.Alors,j’aimeraisquetuneremettespasenquestionlafaçondontmoi,jedépenselemien.
–TusavaisqueKellanmedonnaitdel’argent?–Biensûrquejelesavais,Logan.S’ilyaunechosequeKellannesaitpasfaire,c’estmentir.Je
mefichequ’iltedonnedel’argent,mais…Ellepoussaunsoupir,etsesyeuxs’adoucirentquandellelestournaversmoi.Pourlapremièrefois
depuisquej’étaisrevenu,elleavaitl’airvaincue.–Ne le laisse pas tomber,Logan. Il est fatigué. Il ne veut pas lemontrer,mais je le sais, il est
épuisé.Ilestheureuxquetusoisrevenu.Tuluifaisdubienpourlemoment.Alors,nedéconnepas,jet’enprie,neledéçoispas.
–Jetejurequejeneconsommeplus,Erika.Cen’estpasdubaratin.Jesuisvraimentclean.Nousretournâmesverssavoitureavecchacununcartondanslesbrasquenousdéposâmesdansle
coffreavantdemonteretdedémarrer,directionl’appartementdemamère.Ellehochalatête.–Jetecrois.Mais,làonvavoirtamèreetjesaisqu’elleétaitvraimentuneincitatricepourtoi.–Jenesuispluslegaminquej’étais.–Ouais.J’entendsbien.Maistupeuxmecroire.Tamère,elle,esttoujourslamême.Parfoisjeme
disquelesgensnechangentjamaisvraiment.–Si.Sionleurendonnelapossibilité,lesgenspeuventchanger.Elledéglutitavecdifficulté.–J’espèrequetuasraison.Lorsquenousarrivâmeschezmamère, jedemandaiàErikasiellevoulaitmonteravecmoi,mais
elledéclina,enregardantautourd’elle.–Jevaist’attendreici.–Tuseraisplusensécuritéàl’intérieur.–Non.Çaira.Çanemeplaîtpastropdevoir…cegenredemodedevie.Jepouvaiscomprendreça.–Jen’enaipaspourlongtemps.Enjetantuncoupd’œildanslesruessombres,j’aperçusquelquesindividusquitraînaientdansles
coins, exactement commequand j’étais enfant.Erikan’avait peut-être pas complètement tort. Peut-êtrequecertainespersonnes,certaineschosesetcertainsendroitsnechangeaientjamais.
Maisjedevaisgarderl’espoirqued’autres,si.Sinon,qu’allais-jefairedemoi?–Nerestepas là-hautpendantdesheures,ok?LeconcertdeKellancommencedans troisquarts
d’heure.–Onn’auraitpeut-êtrepasdûpasser,genre,deuxheuresàregarderdesassiettes,non?
Ellemefitundoigtd’honneur.Unsigned’affection,jeprésume.–Jeneseraipaslong.Tuessûrequeçavaaller,làdehors?–Çava.Magne-toi,c’esttout.–AufaitErika?dis-jeensortantdelavoiture.–Ouais?Je jetaiunnouveaucoupd’œilvers lesgensdeboutaucoinde la rue,qui regardaientdansnotre
direction.–Verrouillelesportières.
***
Jenesavaispascequim’attendait.Jesavaisqueçaneseraitpasplaisant,maisj’imaginequejen’avais pas anticipé que j’allais trouvermaman en simauvais état.Kellan ne s’étendait jamais sur laquestionetmedisaitque jedevaisd’abordm’occuperd’allermieuxavantdem’inquiéterdesavoirsimamanallaitbien.
Maintenant,c’étaitàsontourdesuivrececonseil.Maisçavoulaitdirequequelqu’unallaitdevoirs’occuperd’elle,etquecequelqu’unceseraitmoi.
EtjenepouvaispaslaissertomberKellanaumomentoùilavaitleplusbesoindemoi.La porte d’entrée n’était pas fermée à clé, ce qui me parut inquiétant. Mon estomac se noua.
L’appartement était jonché de cannettes de bière, de bouteilles de vodka, de flacons demédicamentsvidesetdevêtementssales.
–BonDieu,M’man…jemurmurai,choqué.Je retrouvai lemême canapé défoncé devant lamême table basse dégoûtante. Jementirais si je
disaisquejeneremarquaipasimmédiatementlesachetdecokesurlatable.Jefisclaquermonbracelet.Respire.–Dégage!Le cri venait de la cuisine.La voix demamère terrorisée.Mon cœur tombadansmon estomac,
j’étaisderetourenenfer.Jemeprécipitai,prêtàséparermonpèreetmamère,sachantquechaquefoisqu’ellecriaitcommeça,c’étaitqu’ilavaittrouvédesespoingssoncheminverssonâme.
Mais quand je pénétrai dans la cuisine, je la trouvai seule, en pleine crise de panique. Elle segrattaitfrénétiquement,faisantremonterlesangàfleurdepeau.
–Dégagez!Dégagez!Ellehurlaitdeplusenplusfort.Jemedirigeaiverselleenlevantlesmains.–Maman,qu’est-cequetufais?–Ilssontpartoutsurmoi!hurla-t-elle.–Quoi?
–Lescafards!Ilyenapartout!J’enaipartoutsurmoi.Aide-moi,Kellan!Débarrasse-moidecessaloperies!
–C’estmoi,M’man.C’estLogan.Sesyeuxvitreuxse levèrentsurmoiet,pendantunefractiondeseconde,ellemerappela lamère
sobrequ’elleavaitété.Puisellerecommençaàsegratter.–D’accord.D’accord.Viens.Tuvasprendreunedouche.D’accord?Aprèsquelqueseffortsdepersuasion,jeparvinsàlafaireasseoirdanslabaignoiresouslejetdela
douche.Ellecontinuaàserécurerlapeaupendantquejem’asseyaissurlecouvercledestoilettes.–Kellanm’avaitditquetuallaisréduiretaconsommation,M’man.–Ouais.Ellefitunsignedetêterapide.–Toutàfait.Toutàfait.Kellanaproposédem’envoyerendésintox,maisjenesaispas.Etpuisce
genredetruc,çacoûtelesyeuxdelatête.Elleplongeasonregarddanslemienetsouritenmetendantunemain.–Tuesrevenu.Jesavaisquetureviendrais.Tonpèredisaitquenon,maismoij’enétaissûre.Il
m’envendencoredetempsentemps.Elle baissa les yeux et se mit à se laver les pieds. Les bleus sur son dos et ses jambes me
retournèrentl’estomac.Jesavaisqu’ilsavaientétéfaitsparmonbonàriendepère.Etlefaitquejen’aiepas été là pourm’interposer entre euxme donnait l’impression que j’étais un salemecmoi aussi, aumêmetitrequemonpère.
–Tumetrouvesjolie?murmura-t-elle.Degrosses larmesroulaientsurses joues,et jemedisqu’ellen’enétaitprobablementmêmepas
consciente.–Tuesbelle,M’man.–Tonpèrem’atraitéedegrossetruie.Jeserrailespoingsetrespiraiprofondémentàplusieursreprises.–Ilpeutallersefairefoutrecelui-là.Tuesbienmieuxsanslui.–Oui.Toutàfait.Toutàfait.Ellehochalatêterapidementencoreunefois.–Jevoudraisseulementqu’ilm’aime.C’esttout.Pourquoi fallait-il que nous, être humains, désirions toujours obtenir l’amour de gens qui étaient
incapablesd’endonner.–Tuveuxbienmelaverlescheveux?J’acquiesçai.Jepassaileboutdesdoigtslégèrementsurseshématomesetellenesemblapasréagir
du tout. Nous restâmes assis un moment à écouter le bruit de l’eau. Je ne savais pas trop commentcommuniqueravecelle.Jen’étaismêmepassûrdelevouloir,maislesilencedevinttroppesantauboutd’unmoment.
–J’avaisl’intentiond’allerfairetescoursesdemain,M’man.Tupourrasmedonnertacarted’aidealimentaire?
Ellefermalesyeuxettapasoudaindanssesmains.–Mince!Oh,merde.Jecroisquejel’aioubliéechezmacopinel’autresoir.Ellehabitejusteau
boutdelarue.Jepeuxallerlachercher.Elleessayadeselever,maisjelaretins.–Tuasencoredushampooingdanslescheveux.Rince-les,sèche-lesavecuneservietteetrejoins-
moidanslesalon.Ons’occuperadetescoursesuneautrefois.Jeme levai et sortis de la pièce. En arrivant dans le séjour,mon regard tomba sur le sachet de
cocaïneposésurlatable.–Putain…Jefisclaquermonélastique.Concentre-toi.C’estpastavie.C’estpastonhistoire.LedocteurKhanm’avaitditqu’aprèslacure,ilyaauraitdesmomentsoùjemetrouveraisaubord
deremonterdanslaroueduhamsterdemonpassé,mais,disait-il,cen’étaitplusmonhistoire.J’avaislesmainsmoitesetjemelaissaitombersurlecanapé.Sansquejesachequandnicomment,
tout à coup le sachet de cocaïne se retrouva dans mes mains. Je fermai les yeux et pris plusieursrespirationsprofondes.J’avaislapoitrineenfeu,moncerveaubattaitlacampagne.Êtrerevenuenville,c’étaittroppourmoi,maisabandonnerKellan,c’étaithorsdequestion.
Commentallais-jemesortirdelà?–Écoute,onvaêtreenretard…Erikaentraentrombedansl’appartementets’arrêtanetenmevoyantaveclacocaïnedanslamain.
MonregardallarapidementdelacocaïneàErikapuisretour.Ellesoupira.–J’enétaissûre.Elletournalestalonsetsortitenvitesse.Merde.Jemeprécipitaiderrièreelleenl’appelant,mais
ellecontinuajusqu’àlavoituresansrépondre.Unefoisquenousfûmesmontés,elledémarraets’éloignadutrottoir.Nousn’échangeâmespasunmotpendantlesquelquesminutesquisuivirent.
–Écoute,cequetuasvulà-haut…Ellesecoualatête.–Nedisrien.–Erika,cen’estpascequetucrois.–Jenepeuxpasfaireça,Logan.Jenepeuxpasetjeneveuxpas.Jenepeuxpast’accompagneren
voiturefairetespetitesbalades.Jenepeuxpasteregarderdécevoirtonfrère.–Jeneconsommepas.–Tumens.Jelevailesmainsensignededéfaiteetpoussaiunprofondsoupir.–Jenesaispasdutoutcommentteparler.–Ehbien,nedisrien.
–Trèsbien.Jenetedirairien.Les doigts d’Erika étaient crispés sur le volant et je regardai le désodorisant qui pendait en se
balançantdurétroviseur.–Ilestmaladeetilessaiedenepasmontreràquelpointils’inquiètepourtamèreoupourtoi,mais
ilestterrorisé.Jecroisqu’ilfautquenousregardionslaréalitéenface,etlaréalité,c’estquejeviensdetevoiravecdeladroguedanslamain.LadernièrechosedontKellanabesoin,c’estquetuajoutesàsonstress.
–Qu’est-cequisepassedanstatête?Tuinventestoutesceshistoiresdémentesettujugeslesgenssurdesfaitsquinesesontjamaisproduits.Tuesexactementcommetadinguedemère,tusaisça?
Ellearrêtalavoituredevantlerestaurantetserralefreinàmain.Ellesetournaversmoiet,suruntondur,ellerépondit:
–Ettoi,tueslarépliqueexactedelatienne.
1.Chaîneaméricainedesuperethypermarchés.
2.Chaîneaméricainedemagasinsdemeublesetdedécoration.
24LOGAN
–Jenesuispasdutoutcommemamère!JepoursuivisErikadanslerestaurantenprotestantàvoixbasse.
– Je t’aivu ! répondit-elle sur lemême tonenmeplantant son indexdans lapoitrine. Je t’aivu,Logan!
–Tupensesavoirvuquelquechose,maiscen’étaitpasça.Jen’allaispaslefaire.–Arrêtedementir,espècedeconnard!Commentas-tupu?Tuavaispromis!Tuavaispromis!Avantquejepuisserépondre,Kellanvintversnous.–Pourquoivousavezmissilongtemps,vousdeux?Erikaavaitlevisagefermé,maiselles’efforçadesedériderenvoyantl’inquiétudedanslesyeuxde
sonfiancé.– J’avais un truc à faire, dit-elle en l’embrassant sur la joue. Mais nous voilà ! Et je meurs
d’impatiencedetevoirjouer.Kellantournaversmoiunregardinquiet.J’eusunpetithaussementd’épaules,incapabledevraiment
mentiràmonfrère.En baissant les sourcils pour me montrer qu’il comprenait, il fit un signe de tête vers la porte
d’entrée.–Tune veuxpas venir prendre l’air avecmoi,Lo ? Je ne commence à jouer que dans un quart
d’heure.–Ouais,biensûr.J’avaislesmainsenfoncéesdanslespochesdemonjean,lespoingstoujoursserrés,aprèslafaçon
dontErikam’avaitparlédanslavoiture.Maisjenepouvaispasvraimentluienvouloir.Ellenem’avaitjamaisconnuquesouslestraitsdelapersonnequej’étaisquandj’étaispartidesannéesplustôt.Àses
yeux,j’étaisceconnardtoxicoquiavaitfichulapagailledansleurvieetbrisélecœurdesasœurennerépondantjamaisàsesappels.Àsesyeux,j’étaisletaréquiavaitfaillituerKellanetAlyssalesoiroù,alorsquej’étaiscomplètementshooté,j’avaisprislevolant.C’étaitàcausedemoisiAlyssaavaitperdunotreenfant.Auxyeuxd’Erika,j’étaisunbagageencombrantdontAlyssaetKellanavaientbienméritédesedébarrasser.
Àsesyeux,j’étaislemoiquej’avaisessayédetoutesmesforcesdenejamaisredevenir.Lorsquenoussortîmes,Kellanetmoi,lafraîcheurdecesoird’automnenoussaisittoutdesuitele
visage.Ils’appuyacontrelemurdebriquesdubar,lepiedgaucheposésurlespierresetlesyeuxfermés,latêtelevéeversleciel.Jemislamaindansmapochepourprendreunecigarettesetm’arrêtai.
Merde.Interditdefumer.Jem’appuyaicontrelemuràcôtédelui.– Comment tu tiens le coup ? je demandai en sortant mon briquet que j’allumai et éteignis
mécaniquement.–Franchement?–Oui.Ilouvritlesyeux,etjevisqu’illuttaitpourretenirseslarmes.–Jerépétaisàlaguitaretoutàl’heure,etmamains’estmiseàtrembler.C’estdéjàarrivél’autre
jour,mesmainsn’arrêtaientpasdetrembler.Jepensequec’estdansmatête,parcequej’aipeurdelachimio.J’ailuuntasdetrucssurinternetausujetdeseffetsdelachimiosurlecerveau.Ilarrivequelapersonneperdedesfonctionscognitives.Cequiveutdirequejepourraisneplusêtrecapabledejouerdelaguitare.Nid’écriredesparolesdechanson.Jeveuxdire…
Ilsemorditlalèvreinférieureetinspiraprofondément.Monfrère,sidur,sifort,étaitentraindecraquer.Etjenepouvaisrienyfaire.
–Jeveuxdire…lamusique…c’estmoi.C’estmavie.Maisj’aiperdutellementdetempsàlafuir,etmaintenant,sijenepeuxplusjouerdeguitare…
–Jejoueraiàtaplace,dis-je.J’étaissincère.Ilricana.–Tun’yconnaisrienenmusique,Logan.–Jepeuxapprendre.Putain,tutesouviensquandtuasapprisàfairelacuisineaprèsquemonpère
m’avaitcassélamain?–Tuveuxdirelafoisoùc’estmoiquiaifaitcuireladindepourThanksgiving?Jerigolai.–Ettugueulais:«Quiauraitpusavoirqu’ilfallaitfairecuirecettefoutuedindeàfeudouxpendant
plusdequatreheures?»quandtuasessayédeladécouper.–Maisc’estvrai,sérieux,quipouvaitsavoirça?–Heu,n’importequelindividudotéd’uncerveau?Jedoisdireàtadéchargequejen’avaisjamais
vuunedindetotalementcarboniséeàl’extérieurettotalementcrueàl’intérieur!Celademandedutalent.
Tutesouviensdecequemamanadit?C’était undes rares bons souvenirs quenous avionspartagés.Nous répondîmes tous les deux en
chœur.–«Qu’est-ce que c’est que cemerdier ? ! Si vous aviez l’intention deme tuer, vous auriez pu
utiliseruncouteaudeboucher.Çaauraitétémoinsdouloureuxquecettefoutuedinde.»Nouséclatâmesderire.Cen’étaitpassidrôlequeça,enfait,maisc’étaitnerveux,etnousriionssi
fortquenoscôtesnousfaisaientmal.Deslarmesdesouvenirscoulaientsurmonvisage.Quandnotre rire se calma,un silence froidemplit l’espace,mais aumoinsce silencen’étaitpas
solitairepuisquemonfrèreétaitavecmoi.–Elleétaitcommentaujourd’hui?demandaKellanàproposdemaman.–Ne t’inquiètepas,Kel.Sérieusement.Maintenantque je suis rentré, jem’encharge.Tuasbien
assezdesouciscommeça.Àmontourd’aider.Ilinclinalatêteversmoi.–Ahouais,maisettoi?Commenttutienslecoup?Jesoupirai.Jenepouvaispasluidireàquelpointj’avaisététentédeconsommer.Jenepouvaispasluidirequecelam’avaitfendulecœurdevoirmamandanscetétat.Jenepouvaispasm’effondrerquandilavaitleplusbesoindemoi.Ilfallaitquejesoisfortpourlui,parcequetoutesavie,ilavaitétélapersonnequivenaitàmon
secours.Jen’étaispasunhéros,jen’étaispasnonplusunsauveur,maisj’étaissonfrère,etj’espéraissincèrementquecelasuffirait.
–Jevaisbien,Kellan.Ilnemecroyaitpas.–Jetejurequec’estvrai.Ilsavaitquec’étaitunmensonge,maisilfitsemblantdelecroire.–Jesuistrèsinquietpourmaman.Jenesaispasquoifairepourl’aider…etsijedisparais…Il s’arrêtait entre les mots alors que, je le sentais bien, ses démons intérieurs et ses peurs
échappaientàsoncontrôle.Jem’écartaidumuretmeplantaidevantlui.–Non,non.Necommencepasàdirecegenredeconnerie,ok?Écoute, tues là.Tuvas faire ta
chimio.Etçavamarcher.D’accord?Sesdoutesselisaientclairementdanssonregard.Jelesecouaigentimentparl’épaule.–Tunevaspasmourir,Kellan,d’accord?Samâchoiretrembla,etilfitunpetitouidelatête.–D’accord.–Non,dis-leavecplusdeconviction.Tunevaspasmourir!dis-jeenhaussantlavoix.–Jenevaispasmourir.–Encore!
–Jenevaispasmourir!–Encore!–Jenevaispasmourir,putain!Cettefois,ilavaitcriéenlevantlesbrasd’unairvictorieux,unsouriresurleslèvres.Jeleprisdansmesbraset leserraifortcontremoi.Jedissimulai les larmesquicommençaientà
roulersurmonvisageetjehochailégèrementlatêteenmurmurant:–Tunevaspasmourir.Nous rentrâmes dans le restaurant et je le regardai jouer, ses mains tremblaient plus que je ne
voulais l’admettre, mais sa musique était bien meilleure que ce que j’avais jamais entendu. Erika leregardaitfixementcommesielleregardaitl’éternitédansl’âmed’unseulmec.Ellel’aimait.Cequiétaituneraisonsuffisantepourquejel’aime,elle.Mêmesiellemedétestait,unegrandepartiedemoil’aimaitparcequ’elleaimaitmonfrèredetoutsonêtre.
–Ilfautquejerentre,j’aiencoredescopiesàcorriger,ditErikaàlafinduset.Nous étions tous debout au bar, un verre à lamain.Nous riions avec Jacob en oubliant un petit
momentlaréalitédesjoursàvenir.–Jevaisrentreravectoi,ditKellan.Ilsortitsesclésdevoituredesapocheetmeleslança.–Tupourrasramenermavoiture,Logan.Cesmotspouvaientsemblerinsignifiantspourbeaucoupmais,pourmoi,celavoulaitdirequ’ilme
faisaitconfiance.Ilm’avaittoujoursfaitconfiance,mêmequandjeneleméritaispas.–Jeteretrouveàtavoiture,Erika.Jevaischerchermaguitare.Elleacquiesçaetsortit.Aumomentoùelles’éloignait,KellansepenchaversJacobavecleregard
leplusgravedumonde.–Hé,mec,jevoulaisjustetedire.Siquelquechosem’arrivait–ilfitunepauseetsetournavers
moi en souriant – ce qui nevapas se produire puisque je nevais pasmourir.Mais si quelque chosem’arrivaitquandmême,jeseraisd’accordpourquecesoittoiquiprennessoind’Erika,tuvois?Moi,celamevatrèsbien.
Jacobsepenchaenavant,lesdeuxcoudesposéssurlecomptoir.–Etc’estlemomentoùjetedisd’allertefairevoirpouravoirneserait-cequepenséuntrucpareil.Kellansemitrigoler.–Non,maisjesuissérieux.Tuveillerassurelle?–Jerefusedeparlerdeça,répliquaJacob.–C’estvraiKel,arrêtetonmélo.–Mec,j’aiuncancer.–N’essaie pas dem’apitoyer, ricana Jacob en lui lançant son torchon à la figure. J’en ai rien à
foutredetoncancer,dit-ilpourplaisanter.–Ouais,maispromets-moiquetut’occuperasd’elle,demanda-t-ilencoreunefois.
Jacobsoupiraensepinçantl’arêtedunez.–Bon.Même s’il ne vaRIEN t’arriver, si ça peut te permettre demieux dormir, on s’occupera
d’Erika.Jetelepromets.Kellan eut l’air visiblement soulagé, ses épaules se détendirent et il hocha la tête avant d’aller
retrouversafiancée.Toutenenfilantmonblousonpourpartir,jefissigneàJacobd’approcher.Jemepenchaiverslui,
l’empoignaiparsonT-shirtblancetleregardaidroitdanslesyeux.– Si jamais je te vois reluquer Erika, d’une façon ou d’une autre, je jure devant Dieu que je
t’arrachelescouillesettelesfaisbouffer.Ilricanad’unairarrogantjusqu’àcequ’ilvoiequejeneplaisantaispas.–Mec.Erika est commeune sœur pourmoi.C’est dégoûtant.Maintenant, cette petiteAlyssa, en
revanche…Ilsouritetremualessourcils.–Tuesunindividuméprisable,dis-jesèchement.Ilsemitàrire.–Jerigole!Arrête.C’est tropdrôle.Tupeuxmefaireconfiance, lessœursWaters,c’estchasse
gardée.–Parfait.Jevoulaisjustem’assurerquenousétionsbranchéssurlamêmelongueurd’onde.–Sansproblème.EtpuisKellannevapasmourir.J’acquiesçaid’unsignedetête.ParcequeKellann’allaitpasmourir.
25LOGAN
Lesmainsbienenfoncéesdansmespoches,jedansaisd’unpiedsurl’autresousleporched’Alyssa.Jenesavaispascommentjem’étaisretrouvélà.Jen’étaismêmepassûrqu’ellen’allaitpasmerefermerlaporteaunezenvoyantquec’étaitmoi.
Maisjenesavaispasoùaller.Niversquimetourner.Lorsqu’elleouvritlaporte,jelaparcourusdesyeuxenlavoyantlà,vêtued’undébardeurblancet
d’un jean serré.Nos regards se croisèrent et je faillis éclater en sanglots tellement le fait d’être prèsd’ellemerappelaitcequecelafaisaitdenepasêtreseul.
Ellecroisalesbrasethaussalessourcils.–Queveux-tu,Logan?As-tuencorel’intentiondemehurlerdessus?Demedonnerl’impression
d’êtreunemerde?Parcequ’ilestprèsd’uneheuredumatinetquejen’aipaslamoindreenvied’écouterça.
Laposture décidéequ’elle adoptaitme fit presque rire,mais quand j’ouvris la bouche,mon rires’étouffadansmagorge.
Sonregards’adoucit.Ellesortitsurleporche.–Qu’est-cequ’ilya?demanda-t-elle,alarmée.L’inquiétudeétaitperceptibledanssavoix.Jesecouailatête,l’estomacnoué.–Ilest…Jem’éclaircislavoixetenfonçaiencoreplusmesmainsdansmespoches.Jebaissailesyeuxsur
lesplanchesuséesdesonporche.–Ilest…–Lo.Parle-moi.
Elleposaunemainrassurantesurmontorse,surmoncœur.Etàcecontact,celui-cisemitaussitôtàbattreplusvite.
–Qu’est-cequinevapas?J’ouvrislabouche,maisaucunsonn’ensortit.Jecommençaiàtremblerdetousmesmembresetje
parlaiavecdifficulté.–Unjour,quandj’avaisonzeans,monpèrem’aobligéàresterdehorssouslapluieparcequeje
l’avaissoi-disantmalregardé.Celafaisaitplusdequatreheuresquej’étais là,assissurunecaissedelait,etilmeregardaitparlafenêtrepours’assurerquejenebougeaispas.Eteuh…Kellanestpassépourdéposerdestrucs.Iln’avaitquequinzeans,maisilsavaitquemamanétaitdansundesesmomentsdecreux, alors il passait tous les jours pour voir comment j’allais. Il m’apportait de la nourriture. Desvêtementsdevenus troppetitspour lui.Quand ilarrivaaucoinde la rueetme trouvaassis là, trempéjusqu’auxos, je levisdevenir rougedecolèreet serrer lespoings.Je luidisqueçaallait,mais ilnem’écouta pas. Ilm’entraîna par lamain jusque dans l’appartement et semit à engueulermon père, letraitantdebonàrien.Cequiestdingue,non,quandonconnaîtmonpère.Personneneluiparlesurceton,personnen’osemêmeleregarderdanslesyeux.MaisKellanl’afait.Ilabombéletorse,aregardécesalauddroitdanslesyeuxetluiaditquesijamaisillevaitlamainsurmoi,oum’obligeaitencoreàfairedestrucsàlaconcommederesterdehorssouslapluie,illetuerait.Ilnelepensaitpas,biensûr.Kellanneferaitpasdemalàunemouche.Maisilaaffrontémaplusgrandepeur.Ils’estbattupourmoiquandjenepouvaispaslefairemoi-même.Etmonpèrel’afrappé.
Jepoussaiunlongsoupirenmeremémorantlascène.–Ill’asalementcogné.MaisKellanluiatenutête.Encoreetencore,ilaencaissélescoups.Pour
moi.Ilaencaissépourmoi.Ilatoujoursveillésurmoi,tusais?C’estmongrandfrère.C’estmon…Jesecouailatête,l’estomacserré,douloureux.–Il…Jemeraclailagorgeetserrailespoingsdansmespoches.Jebaissailesyeuxsurmeslacetsdéfaits.–Il…ilvamourir.Jehochailatêteenmerendantcomptequ’unefoisprononcés,cesmotsprenaienttouteleurréalité.
Monfrère,monhéros,quireprésentaittoutpourmoi,allaitmourir.–Kellanestmalade.Ilvamourir,High.Ilvamourir.Jetremblaisdefaçonincontrôlable,enessayantderetenirleslarmesquimebrûlaientlesyeux.Je
voulaismetaire,jevoulaiscesserdeparler,maisjen’arrivaispasàretenirlesmotsquimeterrifiaientleplusaumonde.
–Ilvamourir.Ilvamourir.Kellanvamourir.–Oh,Logan…–Çafaitcombiendetempsquetulesavais?Depuisquandsais-tuqu’ilestmalade?Pourquoine
m’as-tupasappelé?Pourquoin’as-tupas…Ilvamourir…Jesanglotais.Seigneur,j’étaisdansunsaleétat.Limitedeperdrepied.Maisellemetenditlamain.
Ellemepritdanssesbrasetmeserrasansdireunmot.Ellemetintseulementserrécontreellealorsque
jem’écroulaissoussonporche,cesoird’été.Pendantunmoment,nousfûmesnousdenouveau.Pendantunmoment,ellefutlefeuquiréchauffait
mon cœur glacé le soir. Pendant un moment, elle fut mon sauveur. Mon havre de paix. Ma belle etbrillanteHigh.
Maisleshautssonttoujourssuivisdebas.–Quesepasse-t-il?demandaunevoixgraveprovenantdel’intérieurdelamaison.Jelevailesyeux.–Quiest-ce?demandalavoix.Elle appartenait à un homme vêtu d’une chemise aux manches roulées jusqu’aux coudes, d’un
pantalon de toile et de chaussures apparemment très chères. Il sortit sur le porche, et je m’écartaid’Alyssa,surpris.
–Dan,jeteprésenteLogan,mon…Elle hésita, ne sachant plus ce que nous étions l’un pour l’autre, et pour cause. En vérité, nous
n’étionsplusrien.Nousn’étionsquelevaguesouvenirdequelquechosequiavaitexistépar lepassé.Riendeplus,riendemoins.
–C’estunvieilami.Unvieilami?Jet’aimais.Unvieilami?Tuasfaitdemoiquelqu’und’autre.Unvieilami?Tum’astellementmanqué,putain.–Est-cequetoutvabien?demanda-t-il.Danvintplusprèsd’Alyssa, lesyeuxplissés. Ilposaunemainprotectricesur sonépauleet,une
fractiondeseconde, je fus tentéde le frapperpour luiapprendreà la toucher,àposer lamainsurmacopine.Maisaussitôtjemerappelai.
Ellen’étaitpasàmoi.Ellenel’étaitplusdepuisdesannées.Ellesedégagead’unmouvementd’épaule.Jedétournailesyeux.–Jevaisyaller.Jerigolai,maisiln’yavaitriendedrôle.Jefisclaquerl’élastiquesurmonpoignet,redescendisles
marchesetentendislavoixd’Alyssaquim’appelait.Jenerépondispas.Jenetinspascomptenonplusdeladouleurquidévoraitmonâme.Rienn’estsûrdanscemonde,maispourtantj’étaissûrd’unechose,jemeferaistoujoursavoir.
***
Assis en haut du panneau publicitaire, je regardais les étoiles briller dans le ciel. J’avais lespaupièreslourdes,maisjenepouvaispasrentrerchezKellan.Jenepourraispassupporterdelevoir.Ilfallaitquejedormeet,pendantunmoment,j’avaisenvisagédedormirlàenpleincieljusqu’àcequelesoleilmeréveille.Maischaquefoisquejefermaislesyeux,jerevivaislemoment,quelquesheuresplustôt,oùJCavaitconfirmélaplusmauvaisenouvelledetoutemavie.
Moncœurmefaisaitplussouffrirquecelanedevraitêtrepermis.C’estmonfrère…Jenepouvaispasimaginerqu’ilpuissedisparaître.Etjemedétestaisencemoment.Jemedétestais
parceque,quelquepart,j’avaisterriblementenviedesortirmontéléphoneetdecomposerlenumérodegensqu’il faudrait que jene revoie jamais, pourmeprocurerde ladope.Unepart importantedemoiavait envie de retomber dans le trou, parce qu’au fond de ce trou, les sentiments n’existent pas.Rienn’était réel pour une personne qui était au fond du trou, alors la douleur du réel ne refaisait jamaissurface.
Jepliai les jambesetpassai lesbrasautourdemesgenoux.Jenepriaipas.JenecroyaispasenDieu.Maisunefractiondeseconde,j’envisageaidedevenirassezhypocritepourm’ymettredèscesoir.
Jefermailesyeuxetlevailatêteversleciel.
J’entendis des pas étouffés au début. Puis l’échelle métallique se mit à se balancer d’avant enarrièretandisqu’ellegrimpaitjusqu’ausommet.
Elle tenait un sac en plastique à la main, elle portait toujours le même jean serré et le mêmedébardeur,etsesyeuxn’avaientpasperduleurexpressioninquiète.
Elle eut un petit haussement d’épaules, les mots étaient superflus, mais je savais qu’elle medemandaitlapermissiondevenirs’asseoirprèsdemoi.Jerépondisparlemêmehaussementd’épaules,etellesutquecelavoulaitdireoui.Àmesurequ’elles’approchaitdemoi,mesyeuxsemirentàpiqueretmon cœur à battre la chamade. Elle s’assit à ma gauche, remonta les genoux sous sonmenton et lesentouradesesbras,exactementcommemoi.Nous tournâmes la tête l’unvers l’autreetnosregardssecroisèrent.
Elle ouvrit le sac en plastique et en sortit un paquet d’Oreos, une barquette de framboises, unebriquedelaitécréméetdeuxgobeletsrouges.
J’écoutailefroissementdel’emballagequandelledéchiralepaquetdegâteaux,faisantjaillirunepetitepartiedenotrepassé.
Jedébouchailabriquedelaitetremplisdeuxgobelets.Elleouvrituncookie,ydéposauneframboise,lerefermaetmeletendit.Jenemesouvenaisplusdeladernièrefoisquej’avaismangéunOreoàlaframboise.Ellefitundemi-sourireethochalatête.Jehochailatêteenretour.–Çavaaller,LoganFrancisSilverstone,dit-elle.–Çavaaller,AlyssaMarieWalters.Nousnousdétournâmesl’undel’autre,mangeâmeschacunlamoitiédupaquetdecookiesavecles
framboises,etregardâmeslecieléclairé.
Quandelleeutfroid,jeluidonnaimonsweatàcapuche.Quandmoncœursebrisa,ellemetintlamain.
26ALYSSA
–Hé,réveille-toi.Jesentisun légercoupdecoudedans lescôtesetmefrottai lesyeux.En lesouvrant lentement, je fuséblouieparlesoleilquiinondaitmonvisage.Logansetenaitdeboutdevantmoi.
–Hé,lève-toi.–Oh…quelleheureest-il?jedemandaienbâillant.Jen’avaispasprévudem’endormirlà.Jevoulaisrentrerchezmoipourmerecoucherauchaudet
fairecommesiLogannefaisaitpluspartiedemonmonde,maisilavaitl’airsiabattuhiersoir.–Ilesttempsquetut’enailles,siffla-t-il.Jemeredressai,surpriseparsonattitude.Il remettait tous les trucsquej’avaisapportés laveille
danslesacplastiquequ’ilmetenditd’ungestebrusque.–Nerevienspasici,d’accord?–Pourquoies-tusigrossier?–Parcequejeneveuxpasdetoiici.Etrends-moimonsweat.–Trèsbien.Je me levai et lui lançai son sweat. Mon cœur battait à se rompre quand je me dirigeai vers
l’échellepourm’enaller.Maisaumomentdedescendre,jemeretournaivivement.–Jen’airienfaitdemal.C’esttoiquiesvenuchezmoihiersoir.Paslecontraire.–Jenet’aipasdemandédevenirmerejoindreici.Jenet’aipasditd’apporterdescookiesettout
lereste,commedanslebonvieuxtemps.Aucasoùtunelesauraispas,nousnesommespluslesmêmesqu’àcetteépoque-là.Seigneur.Ettonpetitami,illesaitaumoinsoùtuétaiscettenuit?
Jericanai,choquée.–Alors,c’estça?Tucroisquej’aiunpetitami?Logan!Dann’estpas…
Illevalesyeuxauciel.–Jemefouscomplètementquetuaiesunpetitami.Maisjepensequeçaenditlongsurtoidevoir
queçanetedérangepasdepasserlanuitavecunautrehomme.Ilsaitoùtuesencemoment?Jeveuxdire,Alyssa.Tuteconduiscommeunevraiep…
Jem’avançaidevantluienlevantlamaindevantsabouchepourl’empêcherdecontinuer.–Jesaisquetuesmalheureux.Tuaspeurettutevengessurmoiparcequejesuisuneciblefacile.
Cen’est pasgrave. Je veuxbien être ta cible.Déverse toute ta colère surmoi.Dis-moidene jamaisrevenir ici, le seul endroit quime fait penser à toi.Dis-moide ficher le camp.Maisnemeparlepascommeça,LoganFrancisSilverstone.Jenesuispas legenredefilleque tupeuxrabaissercommeçaparcequej’aiessayéd’êtrelàpourtoi.Jenesuispaslegenredefillequ’ontraitedeputain.
Uninstant,ilbaissalatête,unéclairdeculpabilitétraversantsonregard,avantdesoufflerd’unairagacé.
–Jesuisdanscettevillepourunpetitmoment,ok?Alors,sionpouvaits’arrangerpournepasserencontrer,ceseraitmieux.J’aieutortdevenircheztoihier,maisc’estterminé.Nousn’avonsaucuneraisondecommuniquer.Ilestclairquenousn’avonsplusrienànousdire.
–Jesuisdésoléesijet’airenduleschosesplusdifficiles.Jegarderaimesdistances.Maissituasbesoindemoi, tusaisque jesuis là,d’accord?Tusaisoùmejoindre.Et,pourque leschosessoientclaires,Dan n’est pasmon petit ami. Il ne l’a jamais été et ne le sera jamais.C’est juste un ami quim’aideàchercherunepropriété.Ilavaitunpeutropbuetilestrestédormirsurmoncanapé.Jen’aipasderelationamoureuse.Etçafaitunbailquejen’enaipaseu.Aucunedemesaventurespasséesnes’estconcrétisée.Etmaintenant,jesaispourquoiçan’apasmarché.
Jeprisuneprofondeinspirationetjefermailesyeux.–C’estparcequependanttoutcetemps,j’attendaisungarçondontjecroyaisqu’ilm’avaitaiméeun
jour.–Pourl’amourduciel,Alyssa,jem’enfous!Jemefousdecequisepassedanstavie.Etilfaut
que tu comprennes quelque chose : toi et moi, on ne se remettra jamais ensemble. On n’aura pas de«happyend».
Ilmetournaledosalorsquesesparolesmetransperçaientlecœur.–Çat’arrivedepenserànous?Depenseràmoi?murmurai-jeenmepassantlesdoigtssurlecou.
Çat’arrivedepenseraubébé?Ilneseretournapas,maissesépauless’affaissèrent.Ilnefitpasunmouvement.Disquelquechose!N’importequoi!Maisdisquelquechose!–Va-t’enAlyssa.Etnerevienspas.Lagorgesèche,jedéglutisavecdifficulté.Disn’importequoi,saufça.
27LOGAN
Plusieurs semaines avaient passé depuis que j’étais revenu pour être avecKellan. Il avait subi deuxséancesdechimiothérapieetnesemblaitpasenêtretropaffecté.D’unehumeurunpeupluschangeantepeut-être. Ilavait tendanceàs’agacerquandErikasepréoccupaitdeses traitementset luidemandaitàtoutboutdechamps’ilallaitbien.Elleétaittoutelajournéesursondos,etpourêtrehonnête,jeluienétaisreconnaissant.Jesavaisquecelal’énervait,qu’illatrouvaitenvahissante,maiscelamelaissaitunpeuderépitdesavoirqu’ilétaitsibienentouré.
Le mariage aurait dû avoir lieu le week-end précédent, mais ils l’avaient repoussé au moisprochain.Jemedemandaiscombiendefois ilallaitêtrereprogrammécommeça.Jesavaisquec’étaitKellan qui reportait la date, à cause de ses doutes à propos de samaladie. Le jeudi, ilme donna del’argent pour aller faire des courses pour maman. En allant chez elle, j’emportai des produits denettoyage.Son appartement était dans un état épouvantable. Je trouvaimamère dans les vapes, sur lecanapé,etjen’essayaimêmepasdelaréveiller.Tantqu’elledormait,elleneconsommaitpas.
Je trouvais ça dingue de voir à quel point elle avait l’air d’un ange quand elle dormait. C’étaitcommesisesdémonsétaientenveilleetquesavraienaturereprenaitledessus.Jeremplislefrigoetlesplacardsdenourriturequines’abîmeraitpastropvite.Jenesavaispastropcequ’ellemangeait,maiscommeça,ellepourraitseservirlesquantitésqu’ellevoudrait,sansqueçasepérimetoutdesuite.Jeluiavaisaussifaitdeslasagnes.Undemesmeilleurssouvenirsavecelle,c’étaitlafoisoùelleavaitdécidédesefairedésintoxiqueretqu’ellem’avaitdemandédepréparerunrepaspourfêterçaavantdepartirencure.Onavaitri,onavaitmangéetonavaiteuunaperçudecequenotrevieauraitpuêtresionavaitétécleantouslesdeux.
Ensortantdelamaison,elleétaittombéesurmonpère,etladésintoxicationn’étaitdéjàplusqu’unvaguesouvenirpourelle.
Jenettoyail’appartementdefondencomble,enmemettantmêmeàgenouxpourfrotterlamoquette.J’emportai tous ses vêtements à la laverie automatique et, pendant que les machines tournaient, jeretournaiàsonappartementetcontinuaileménage.
Ellenese réveillaqu’aprèsmonretourde la laverie,alorsque jepliaissesvêtements,assisparterre.Elleseredressaenbâillant.
–J’aicruquej’avaisrêvéquetuétaisvenul’autrejour.Jeluifisunpetitsourire,qu’ellemerenvoyaenfrottantsesbrasmaigres.–Tuasfaitleménage?–Ouais.J’aifaitdescoursesetlalessive,aussi.Sesyeuxs’emplirentdelarmes,maisellecontinuaàsourire.–Tuasl’airenforme,mongarçon.Ellen’arrêtaitpasdehocherlatêtetandisqueleslarmescoulaientsursesjoues.Ellenelesessuyait
pas,maisleslaissaitcoulersursonmenton.–Tuasvraimentl’airenforme.Laculpabilitépritledessus,etellesemitàsegratter.–Jesavaisquetuenétaiscapable,Logan.Jesavaisquetupouvaisarrêter.Parfoisj’aimerais…Ellenefinitpassaphrase.–Cen’estpastroptard,tusais,M’man.Onpeutt’inscrirepourunecure.Onpeuttedésintoxiquer,
toiaussi.Jen’auraispascruquej’avaisencoreçaenmoi,cetteétincelled’espoirquej’avaistoujourseue
pourelle.Jevoulaisqu’elleéchappeàcemilieu.Aufonddemonâmesubsistaitcedésird’avoirnotremaisonànous,loindecelieuquireprésentaittellementd’horreurspourellecommepourmoi.
L’espace d’un instant, on aurait dit qu’elle y pensait, elle aussi. Mais elle cligna des yeux etrecommençaàsegratter.
–Jesuistropvieille,Logan.Jesuistropvieille.Viensprèsdemoi.J’allaim’asseoiràcôtéd’ellesurlecanapé.Ellepritmesmainsdanslessiennesensouriant.–Jesuissifièredetoi.–Merci,M’man.Tuasfaim?–Oui,dit-elle,cequimesurprit.Jemis les lasagnes dans le four et quand elles furent prêtes, nous nous assîmes à table pour les
mangerdirectementdansleplat.J’auraisvouluenfermercemomentdansmoncœuretlegarderlàpourtoujours.
Pendantqu’ellemangeait,leslarmescontinuaientàcoulersursonvisage.–Tupleures.–C’estvrai?Elles’essuyalevisageetmesouritdenouveau.Maissonsourireétaittriste.–CommentvaKellan?–Tusavais…
Ellehochalatête.–Çava.Ilm’ademandédel’accompagneràuneséancedethérapielasemaineprochaine.Ilvase
battre,tusais.C’estundur.–Oui,murmura-t-elleenmangeant.Ilyavaitlongtempsquejenel’avaispasvuemangerautant.–Oui,ilestfort.Ilestfort.Seslarmessemirentàcoulerencoreplusvite,etjelesessuyai.–C’estdemafaute,tusais.C’estmoiquiluiaifaitça…J’aiétéunemauvaisemère.Jen’aipasété
làpourvous,mesgarçons.–Arrête,M’man.Jenesavaispastropquoidirenicommentsécherseslarmes.–Non,c’estvrai.Tulesais.J’aidéconné.Jemesensresponsable.–Cen’estpastoiquiluiasdonnélecancer.–Maisjenevousaipasfaituneviefacile.Toi,tuasfaitunecurededésintoxication,Logan.Tul’as
fait.Moi,j’étaisavectoipourfêtertesseizeansetonasniffédelacoke.Jet’airefilémonaddiction…Elleremuaitlatêtedegaucheàdroite.–Jesuistellementdésolée,tellementdésolée.Elleétait totalementabattue.Totalementpaumée.Pourdire lavérité, jene l’avais jamaisconnue
autrement.Pendantdesannées,jeluienavaisvoulu.Jeluireprochaisleschoixqu’elleavaitfaits,maiscen’étaitpasdesafaute.Ellenefaisaitquetournerettournerdanssaproprerouedehamster,incapabled’arrêterdereproduiretoujourslesmêmeserreurs.
–Onvatousallerbien,M’man.Net’enfaispas.Jeprissamaindanslamienneetlaserrai.Àcemoment-là,laported’entrées’ouvritbrutalementet
Rickyentraentrombe.Àl’instantoùjelevis,jefusstupéfaitdemerendrecompteàquelpointmahainepourluiétaittoujoursvivace.
–Julie,c’estquoicebordel?Ilavaitbeaucoupchangédepuisladernièrefoisquejel’avaisvu,cinqansplustôt.Ilavaitl’air…
brisé?Vieux.Fatigué.UnpantalondesurvêtementetunT-shirtavaientremplacélescostumesdemarquequ’ilportaittoujoursàcetteépoque-là.
Desbasketsavaientremplacéleschaussuresdeluxe.Sesbrasautrefoissimusclésn’étaientplusdutoutaussicostauds.
Jemedemandais’ilneconsommaitpaslamerdequ’ildealait.–Tumedoiscinquantedollars,hurla-t-il.Ils’arrêtaenmevoyantetinclinalatête,stupéfait.–Est-cequej’aicroiséunfantôme?Mapoitrineseserracommechaquefoisquejemetrouvaisenfacedelui.Trèsvite,sasurprisese
transformaenunsourire sinistre. Il semblait contentdeme revoir,presquecommes’il avait suque jereviendrais.
Ils’avançaversmoiengonflantletorse.–Tusais,ilyavaitunbruitquicouraitcommequoituseraisrevenu,maisj’aicruquec’étaitdes
conneries.Maismaintenantquetueslà,tupeuxvenirtravailleravecmoi,dansl’affairefamiliale.–Jeneferaijamaisça.Jenevaisjamaisreprendrecechemin-là.Ilplissalesyeuxetjeleregardaiinspireretexpirerd’unairgrave.Puisilsemitàrire.–J’adore.Çamefaitmarrerquetupensessérieusementêtreassezfortpourresterclean.Ilvintcollersonnezcontrelemienmais,aulieudereculer,jeluitinstête.Jen’avaispluspeurde
lui. Jenepouvais pas avoir peur. Ilme repoussade son torse contre lemien en essayant deme fairecéder.
–Maisjeteconnais,Logan.Jevoisdanstesyeuxlemêmeêtrefaiblequ’ilyacheztamère.Ilestimpossiblequeturéussissesànepasreplonger.
Jevisalorsdeslarmesseformerdanslesyeuxdemamère.Celadevaitluifairecommeuncoupdepoignarddanslecœur,parcequetoutesavieellen’avaitrienfaitd’autrequel’aimer.Elleavaitgâchétoutescesannéesàaimerunhommequin’aimaitqueladomineretlarabaisser.
–Laissemamère tranquille,dis-jepour ladéfendre,parcequ’elleétait incapabledesedéfendreelle-même.
Ilricana.–J’aimetamère.Julie,c’estpasvraiquejet’aime?Elleestlaseuleetuniquepourmoi.Iln’ya
quetoipourmoi,Bébé.Mamèrefitunpetitsourire,commesiellelecroyait.Unechosequejen’avaisjamaispucomprendre.Ilmerendaitmalade.–Tunel’aimespas.Tuaimesladominer,parcequeçamasquelefaitquetoi,tun’esriend’autre
qu’unputainderat.J’eusunmouvementdereculquandsonpoingentraencontactavecmonœil.–Ceputainderatpeuttoujourstebotterlecul,gamin.Maisj’aiperduassezdetempscommeça
avectoi.Julie,file-moimonfric.–Ricky,dit-elle,lavoixtremblantedepeur,Jenel’aipaslà,toutdesuite.Maisjevaisl’avoir.Je
doisjuste…Ilallaitlafrapper,maisjememisdevantluietcettefoisj’arrêtaisonbras.– Et alors ? Tu es parti faire une cure dans une clinique chic et tu es revenu en pensant que tu
pouvais retrouver ta place ici, Logan ? dit-il, agacé. Crois-moi, tu n’as pas intérêt àm’avoir commeennemi.
Jesortismonportefeuilledemapocheetcomptaicinquantedollars.–Tiens,prendsçaettire-toi.Ilhaussaunsourcil.–J’aiditcinquante?Enfait,c’étaitsoixante-dix.
Connard. Je sortis encorevingtdollars et les lui fourraidans lamain. Il accepta lesbillets sansrechigneretlesenfonçadanssapoche.Puisilsepenchasurleplatdelasagnes.
–C’esttoiquiasfaitça,fiston?Ilsavaitqu’enm’appelantfiston,ilallaitmemettrehorsdemoi.Ilpritunecuilleréedelasagneetla
recrachadansleplat,pourgâchertoutlereste.–C’estdégueulasse.–Ricky,ditmamèrepourprendremadéfense,maisillafittaired’unregard.Ilyavaitsi longtempsqu’il l’avaitréduiteausilencequ’ellenesavaitpluscommentretrouversa
voix.–Tufaiscommesijeneprenaispassoindetoi,Julie.C’estvraimentvexant.N’oubliepasquiaété
làpourtoiquandcegarçonestpartient’abandonnant.Ettutedemandespourquoic’estsidurpourmoidet’aimer?Tumetrahisàlapremièreoccasion.
Ellebaissalatête.–Etça?Ilfaittescoursesetremplittonfrigo?Maisçaneveutpasdirequ’ilt’aime,ça,Julie.Ilouvritlesplacardsetleréfrigérateuretsortittoutelanourriturequej’avaisapportée,ouvrittous
lesemballagesetjetalecontenuentassurlesol.Jevoulusl’arrêter,maismamèremefitsignederestertranquille.Ilouvritunpaquetdecéréalesenmeregardantdroitdanslesyeuxetlevidalentementsurletasavantd’ouvrirunebouteilledelaitetdefairelamêmechose.
Puisilpiétinaletoutavecsesbasketsetsedirigeaverslaporte.–J’aiuneaffaireàrégler,dit-ilavecunsouriresatisfait.Julie?–Oui?murmura-t-elle,toutetremblante.–T’asintérêtànettoyertoutcebordelavantquejerentre.Quandilclaqualaporte,moncœurseremitàbattreàunrythmenormal.–Çava,M’man?Elleétaittendueetnemeregardaitpas.–C’estdetafaute.–Quoi?–Ilaraison.Tum’aslaisséetomber,alorsquelui,ilétaitlàpourmoi.C’estàcausedetoiqu’ila
faittoutcemerdier.Toi,tun’étaispaslàpourmoi.Lui,ils’estoccupédemoi.–M’man…–Fouslecamp!cria-t-elle,leslarmesauxyeux.Elleseprécipitasurmoipourmefrapper,exactementcommeellelefaisaitquandj’étaisplusjeune.
S’enprenantàmoiparcequecedémonnel’aimaitpas.–Fous lecamp!Fous lecamp!Toutça,c’estde tafaute!C’estde tafautes’ilnem’aimepas.
C’estdetafaute,toutcebordel!C’estdetafautesiKellanvamourir.Tunousaslaisséstomber!Tunousasquittés!Tunousasquittés.Alorsmaintenant,va-t’en,Logan.Va-t’en.Va-t’en.Va-t’en!cria-t-elleenmemartelantlapoitrine.
Sesparolesmedécontenançaient,meblessaient,mebrûlaient.Elleétaithystériqueetmerappelaittroplamèrequej’avaisconnueetdétestée.Sesparolesrésonnaientdansmonesprit.
C’estdetafaute.C’estdetafaute,toutcebordel.C’estdetafautesiKellanvamourir.Tunousasquittés.Tunousasquittés.Tunousasquittés…Kellanvamourir…
La poitrine en feu, je clignai des paupières encore et encore en essayant de ne pasm’effondrer.Comment en étais-je revenu là ? Comment avais-je fait pour me retrouver exactement dans la mêmesituationquecinqansauparavant?Commentavais-jefaitpourmeretrouverdanscetterouedehamsterquej’avaismistantdetempsàfuir?
Ellen’avaitpasarrêtédemefrapper,pasarrêtédem’accuser.Alors, j’avais faitmesbagagesetj’étaisparti.
***
Logan,onzeans–Alors,onselacouledouce?Quandmonpèrefitirruptiondanslesalon,jeregardaisCartoonNetwork 1,assisparterre.En
faisant de mon mieux pour ne pas lui accorder d’attention, je continuai à manger mes céréalesCaptainCrunchdansunbol.Ilfumaitetsouritd’unairsuffisantdevantmatentativedefairecommes’iln’étaitpaslà.
Iln’étaitquequatreheuresdel’après-midietiltitubaitdéjà.Ilétaittotalementivre.–T’essourd,gamin?Il s’approchademoietmepassa ledosde lamainsur la têteavantdemedonnerunebonne
gifle.Soncontactmefit frissonner.Mais jecontinuaiànepasrépondre.Kellansavaitàquelpointmon père pouvait devenir violent et il disait que le mieux, c’était de ne pas réagir. Kellan avaitbeaucoupdechanced’avoirunautrepère.J’auraisvouluavoirunautrepère,moiaussi.
J’étaisimpatientquemamanrentreàlamaison.Celafaisaitplusieursjoursqu’elleétaitpartie,mais quand elle m’avait appelé le week-end précédent, elle avait dit que je la reverrais bientôt.J’auraisvouluquemonpères’enailleetnereviennejamais.Quandsamainpassasurmonomoplate,jemerecroquevillaienrenversantmonboldecéréales.Ilritvicieusement,contentdevoirquej’étaismalàl’aise.Illevalamainetmegiflasurl’oreille.
–Ramassecemerdier.Etd’abord,qu’est-cequetufousàmangerdescéréalesàquatreheuresdel’après-midi?
J’avais faim, et il n’y avait rien d’autre àmanger.Mais je ne pouvais pas lui dire ça. Je nepouvaisrienluidiredutout.Jemelevaientremblantetj’entreprisderamasserlescéréalesdanslebol.Monpèresemitàsifflerunairtirédudessinaniméquejeregardais,etmoncœursemitàbattrecommeunfou.
–Magne-toilecul,gamin.Ramassecettemerde.Foutrelebordelchezmoi,nonmaisqu’est-cequet’asdanslecrâne?
Leslarmesmemontèrentauxyeux,etjem’envoulaisdemelaisserimpressionner.Àonzeans,onestcenséêtreplusdurqueça.Jemesentaisfaible.
–RamasseÇAtoutdesuite!Jenesupportaisplussessautesd’humeurdepoivrotetsonéternelmécontentementvis-à-visde
moi.Jeramassaileboldecéréalesetleluijetaiàlafigure.Manquantsatêtedepeu,ilallas’écrasersurlemur,sebrisantenmillemorceaux.
–Jetedéteste!Deslarmesbrûlantesroulaientsurmesjoues.–Jeveuxquemamanrevienne!Jetedéteste.Sesyeuxs’élargirentet jememisàpaniquer,regrettantdéjàmonéclat.Kellanauraitété très
déçu.Jen’auraispasdûrépondre.Jen’auraispasdûréagir.J’auraisdûallerm’enfermerdansmachambrecommed’habitude.
Maisiln’yavaitpaslatéléetlesdessinsanimésdansmachambre.Jevoulaisseulementêtreungamincommelesautres,neserait-cequ’unejournée.Monpèreseretournaetm’attrapaparlebras.–Tuveuxfairelemalin,hein?Ilmetiraparlebrasàtraverslapièceenmefaisanttrébucher.–Ah,tumecherches!Ilmetraînadanslacuisineoùilouvritleplacardsousl’évier.–Non.Jesuisdésolé,Papa!Jem’excuse!Je criais en essayant de me libérer de sa poigne. En ricanant, il me poussa à l’intérieur du
placard.–Tiens,tesfoutuescéréales,dit-ilensaisissantlepaquetetenmelevidantsurlatête.Quandilrefermalaporteduplacard, je fismonpossiblepour larouvrir,maisellenebougea
pas.Ilavaitmisquelquechosedevantpourlamaintenirfermée.–S’ilteplaît,papa!Excuse-moi!Nemelaissepas.Jesuisdésolé.Maisilnem’écoutaitpaset,auboutd’unmoment,jen’entendismêmepluslebruitdesespas.Je ne sais pas combien de temps s’était écoulé depuis qu’ilm’avait enfermé dans ce placard,
maisjem’étaisendormideuxfoisetjem’étaispissédessus.Quandmamèremetrouva,elleavaitl’airauboutdurouleauetellesecoualatête,l’airexaspérécontremoi.
–Oh,Logan.Ellesoupiraensepassantlamaindanslescheveux,puiselleallumaunecigarette.–Maisqu’est-cequetuasencorefait?
1.ChaînedeTVaméricainedestinéeàlajeunesse,spécialiséedansladiffusiondesériesd’animation.
28ALYSSA
–Logan, est-ceque tu te rends compte àquel point c’est perturbant ? jedemandai, lesbras croisés,quandjeletrouvailà,sousmonporcheenT-shirtetjeannoirs.
Lafraîcheurdelabrisemefitfrissonner,cequin’avaitriend’étonnantétantdonnéquejeneportaisqu’un T-shirt trop grand et des chaussettes quimontaient jusqu’aux genoux. Enme tournant le dos, ilavançajusqu’aubordduporcheetsaisitlarampe.Ilplongealesyeuxdansl’obscurité.Lesmusclesdesesbrassaillirentquandils’accrochaàlarampedebois.Quandnousétionsplusjeunes,ilétaitbeau,maispasaussibienbâti.Maintenantilressemblaitàunesortededieugrec,etmesjambesflageolaientsimplementenleregardant.
–Jesais.C’estjusteque…jenesaispasoùaller.Ilseretournaetjepoussaiuncriétoufféenvoyantsonœilaubeurrenoir.Jemeprécipitaiverslui,
etlorsquejel’effleuraiduboutdesdoigts,ileutungestederecul.–C’esttonpère?Ilfitouidelatête.–SijerentrechezKellancommeça,ilvaflipper.Oh,Lo…–Tuvasbien?Ettamère?Jem’interrompis.C’étaitcommesinousretournionsdanslepassé,quenousrevivionslesmêmes
scènesquenousavionsvécues.J’auraisaiméquecenesoitpasundessouvenirslesplusrécurrents.–Ellenevapasbien.Maisçava.Déjàvu 1.–Entre,dis-jeenleprenantparlamain.Ilsecoualatêteetretirasamain.
– La dernière fois que nous nous sommes vus, tu m’as demandé quelque chose et je n’ai pasrépondu.
–Quoi?–Tum’asdemandés’ilm’arrivaitdepenseraubébé.Ilsepassalamainsurlanuque.–Jepensequ’àlafindel’étéil,ouelle,auraitcommencéàalleràlamaternelle.Jemedisqu’il
auraitpeut-êtreeutonrireettesyeux.Jemedisqu’elleauraitprobablementmâchonnésoncoletauraiteulehoquetquandelleauraitétéstressée.Jepenseàlafaçondontsoncœurbattrait.Àlafaçondontellet’aimerait.Àlafaçondontilmarcherait,parlerait,sourirait,fronceraitlessourcils.J’ypense.Plusquejenelevoudrais.Etpuis…
Ilseraclalagorge.–Etpuisjepenseàtoi.Jepenseàtonsourire.ÀlafaçondonttumâchonneslecoldetesT-shirts
quandtuesstressée,etaussiquandtuesintimidée.Jepenseàlafaçondonttuaslehoquet, troisfois,quandtuesencolèreetque,chaquefoisquetamèreterabaisse,celatefaitdumal.Jemedemandeàquoitupenseslessoirsd’orage,ets’ilt’arrivequelquefois,l’espaced’uninstant,depenseràmoi.
Jesoupirai.–Lo.Entre.–Nem’invitepasàentrer,murmura-t-ilentresesdents.–Quoi?–J’aidit,nem’invitepasàentrer.–Tuneveuxpasqu’onparle?–Non.Ilmeregardadroitdanslesyeux.–Non.Jeneveuxpasparler.Jeveuxoublier.Jeveuxobligermonespritàarrêterdeserappeler
toutescesconneries.Jeveux…High…Lesoufflecoupé,ilnetrouvaitplussesmots.UnepersonneneconnaissantpasLogann’auraitpas
perçuletremblementdanssavoix.Maismoijel’entendis, jeleconnaissaisbien,etsonespritétaitentrain de s’égarer de nouveau dans ces contrées obscures. Il fit un pas versmoi, et jem’immobilisai.J’avaisenviedelesentirplusprès.Cettesensationmemanquait.Samainseposasurmajoueetjefermailesyeuxàladouceurdececontact.
–Jevoudraisteparler,maisjenepeuxpas.Parcequesinon,nousallonsnousretrouveraumêmepointquetoutescesannéesenarrière,etjenepeuxpasrecommencer,Alyssa.Jenepeuxpasretomberamoureuxdetoi.Jeneveuxpastefairesouffrirunefoisdeplus.
Moncœurcessadebattreuninstant.–C’estpourçaquetut’esmontrésiodieuxavecmoi?Ilhochalatêtelentement.–Logan.Nouspouvonsêtreamis.Nousnesommespasobligésd’avoirunerelation.Allez,entre,on
vaendiscuter.
–Jenepeuxpasêtretonami.Jeneveuxpasdiscuteravectoi,parcequequandjeparle,jeblesse.Etjeneveuxplusfairedemal.Mais…jesuisincapablederesterloindetoi.J’essaie,maisjenepeuxpas.J’aienviedetoi,High.
Àcesmots,desfrissonscoururenttoutlelongdemacolonnevertébrale,etmonespritsebrouilla.–J’aienviedepasserlesmainsdanstescheveux,murmura-t-ilenpassantduboutdesdoigtsunede
mesbouclesderrièremonoreille.J’aienviedepassermalanguesurtoncou.J’aienviedetetoucher.Ilpassalamainsurmajoue.–J’aienviedetesentirsousmeslèvres.Saboucheeffleuralentementlacourbedemoncou.–J’aienviedetelécher.Ilpritlelobedemonoreilleentreseslèvresetlesuçadélicatement.–J’aienviede…putain…Ilsoupiraenm’attirantcontrelui.– J’ai envie de toi, Alyssa. J’ai terriblement envie de toi. Tellement fort que je n’arrive plus à
penseràautrechose.Alors, je t’enprie,pouréviterdecréerplusdeconfusionentrenous…siffla-t-ilcontremonoreilleavantd’ensucerdoucementlelobe,nem’invitepasàentrer.
Moncœurs’emballa,etjereculaidequelquespasjusqu’àmeretrouvercoincéecontrelemurdemamaison.Ilserapprocha,m’emprisonnantdanssesbras.Ilplongeasonregarddanslemien,pupillesdilatées, débordant de désir, d’envie, d’espoir… ? Peut-être n’était-ce quemon propre espoir que jevoulais voir encore exister dans son regard. Mes cuisses frémissaient, mon esprit était en pleineconfusion.Quelquepart,jemedemandaissijenerêvaispas,maissurtout,celam’étaitégal.Jevoulaisvivrecerêve.Ilm’avaittantmanqué.J’yavaispensépendantcescinqdernièresannées.Jevoulaissentirsoncorpsserrécontrelemien.Jevoulaisressentiràquelpointjeluiavaismanqué.Jevoulaismecollercontreluietl’embrasser.
Jevoulaisletoucher…Lelécher…Lesucer…Lo…–Logan,murmurai-je,incapablededétournerlesyeuxdeseslèvres,siprèsdesmiennes.Loganavançasoncorpsmagnifiquecontremoi, relevamonmentonpourquenouspuissionsnous
regarderdroitdanslesyeux.Seslèvresmerappelaientl’étéoùnousn’avionsfaitquenousembrasser.Me rappelaient le premier garçonque j’avais jamais aimé, le premier et le seul qui avait fini parmebriserlecœur.
–Tuestristecesoir.J’inclinai la tête et je l’examinai endétail.Ses cheveux, sabouche, la lignede samâchoire, son
âme.Lesombresinquiétantesquisubsistaientdanslaprofondeurdesesyeux.Sonsouffleétaitlourdetsaccadé,commelemien.
–Jesuistristecesoir,reconnut-il.Jesuistristetouslessoirs.Alyssa,jen’aijamaisvoulutefairedumalennerépondantpasàtesappels.
–Cen’estpasgrave.C’étaitilyalongtemps.Nousn’étionsquedesgamins.–Jenesuispluslemême,Alyssa.Jetelejure.J’acquiesçaid’unsignedetête.–Jesais.Etjenesuispluslamême,moinonplus.Maisunepartiedemonâmeserappelaitnosmomentsd’autrefois.Unepartiedemonâmesentait
encorelefeuqueLoganetmoiavionscommencéàallumertoutescesannéesauparavant.Etparfois,danslesinstantspaisiblesquiséparaientlejourdelanuit,jesentaisencoresachaleur.
– C’est pour ça que je veux que tu entres ce soir. Parce que je suis triste moi aussi. Pasd’engagement.Pasdepromesses.Justequelquesinstantspassésensemble,pouroublier.
Duboutdesdoigts,ilcommençaàrelevermonT-shirt,etcesimplegestemeprocuratantdeplaisirquejefermailesyeux.Unimperceptiblegémissements’échappademeslèvresquandsonpouces’attardasurletissudemaculotte.Soudain,ilaugmentalapressionenimprimantunmouvementdeva-et-vient.Ilpromenasalanguesurmonlobeavantdelesucervigoureusement.Delamaindroite, ilempoignamesfesseset,delagauche,ilécartaleborddemaculottepourpouvoirglisserundoigtprofondémentenmoi.
Undoigt.Deuxdoigts.Troisdoigts…Jehaletailourdement,mondésirdevenaitencoreplusviolent.J’arc-boutaimeshanchesverslui;de
plusenplus,jevoulaislesentirmepénétrer.Jemetortillaisoussesdoigts,réclamantlescaressesquim’avaienttellementmanqué.
–Rentrons,dis-jeengémissant,leserrantcontremoi,encoreplusprès.–Nem’invitepasàentrer.Sesdoigtss’enfoncèrentenmoiplusprofondément.Lesbattementsdemoncœurs’accélérèrent.Je
ressentaistoutavecacuité.Chaquepeur,chaquedésir,chaquebesoin…Toucher.Lécher.Sucer.Oh,monDieu,Logan…–Viensàl’intérieur,ordonnai-je,enpassantunejambeautourdesataille.–Non,High.–Si,Lo.–Sij’entre,jeneseraipasdélicat.Sij’entre,ceneserapaspourdiscuter.Nousnementionnerons
paslepassé,nousnediscuteronspasduprésent,nousneparleronspasdel’avenir.Sij’entrecheztoi,jetebaise.Jetebaiseviolemment.Jetebaisecommeunfou.Jetebaisepourbloquermoncerveau,ettumebaisespourfairetaireletien.Etensuite,jem’envais.
–Logan.
–Alyssa.–Lo…–High…Jefermailesyeuxetquandjelesrouvris,jemepromisdeneplusdétournermonregarddelui.–Viens,rentrons.
***
Nousnesommespasallésplusloinquelepianodansleséjour.Quandsabouchetrouvameslèvres,ilm’embrassa comme jen’avais jamais été embrassée.C’était violent, dur,mocheet triste.Tellementtriste,putain.Lefeudévoraitmapoitrineetjeluirendissonbaiseravecencoreplusdefureur,ledésirantencoreplusqu’ilnepourraitjamaismedésirer.Nousarrachâmeslesvêtementsl’undel’autre,sachantque c’était une suspension de temps vitale. C’était l’occasion de réduire nos esprits au silence etd’extirper la douleur denos âmes. Ilmeprit dans ses bras etme soulevade terre pourm’adosser aupiano.
Prenantmamain, il la fit glisser sur sonmembredressé. Je le caressai enmême tempsqu’ilmetouchait,sansjamaisnousquitterdesyeux.
Toucher.Lécher.Sucer.Oui…Ilsortitunpréservatifdesapocheetl’enfilaavantd’écartermesgenoux.Lorsqu’ilmepénétra,je
criaideplaisir,defélicité,delaplusprofondedesdouleurs.Sesdoigtsseplantaientdansmapeautandisque les miens s’agrippaient dans son dos. Je m’accrochais à lui alors qu’il me pénétrait plusprofondément,faisanttremblermoncorpssoussonpoids.Nosmouvementsrythmésfaisaientsonnerlestouchesdupiano,etlessonss’harmonisaientavecnotredésir,notrebesoin,notreconfusionetnospeurs.Ilallaitetvenaitenmoi,etjelesuppliaidecontinuer.Nousétionssifracassés.Nousétionssiusésparlaviequenousmenions.Mais,cesoir,nousfaisionsl’amouraveclesmorceauxépars.
Cefutintense,cefutsacré,cefutbouleversant.Ilyeutdeshauts,ilyeutdesbas.Oh,monDieu.Celasemblaitsimal,etenmêmetempstoujoursjuste.Ilm’avaitmanqué.Nousnousétionsmanqué.Tellement.Quandils’enalla,ilneditpasunmot.Quandils’enalla,j’espéraiqu’ilreviendraitlelendemain.
1.Enfrançaisdansletexte.
29LOGAN
Jefaisaislacuisinedepuisl’âgedecinqans.Mamèremelaissaittoutseulàlamaisonavecuneboîtedesoupe,alorsilabienfalluquej’apprenneàutiliserunouvre-boîteetlacuisinièrepourlaréchauffermoi-même.Quandj’aieuneufans,jemefaisaisdespizzasindividuellesavecdelapâtefaitemaison,enmettantduketchupetdestranchesdefromageenguisedegarniture.Avantd’atteindrel’âgedetreizeans,jesavaisfarciretrôtirunpouletentier.
Alors,envoyantJacobassisenfacedemoilessourcilsfroncés,j’étaisunpeuperturbé.NousnousétionsassisdansunboxauBro’sBarandGrilletj’avaisposémonplatderisottoauxchampignonsetàlasaucissedevantlui.Lerestaurantn’étaitpasencoreouvert,etc’étaitladeuxièmefoisqu’ilmefaisaitasseoirenfacedeluiavecuneentrée.
–Hum…murmura-t-ilenprenantsacuillerpourpiocherunegrossebouchéederisotto.Jel’observaimâcheraveclenteur,levisageimpassibletandisqu’ilcherchaitàsefaireuneopinion,
commepoursavoirsimonplatétaitassezbonpourmepermettredetravaillerdanssacuisine.–Non,dit-ild’unevoixsansémotion.Çanevapas.–Turigoles?J’étaisahurietvexé.–C’estavecceplatquej’airéussiàl’écoledecuisine.C’étaitmonplatpourlediplômefinal.–Ehbien,tesprofesseursn’étaientpasàlahauteur,alors.Jenesaispascommentilsfontleschoses
dansl’Iowa,maisicidansleWisconsin,nousaimonslacuisinequiaréellementbongoût.–Vatefairefoutre,Jacob.Ilsourit.–Revienslasemaineprochaineavecunautreplat.Onverracequeçadonne.
–Jenevaispascontinueràt’apporterdesplatspourquetulesdégommeslesunsaprèslesautres.C’estridicule.Jepeuxcuisinerlesplatsquisontsurtacarte.Donne-moiceboulot,c’esttout.
–Logan.Jet’aime.Vraiment.Maisnon.J’aibesoinquetucuisinesavectoncœur!–Jecuisineavecmesmains!–Maistun’ymetspasdecœur.Reviensquandtuaurastrouvé.Jeluifisundoigtd’honneur.Ilritdeplusbelle.–Etn’oubliepas.Tumedoistoujourscetterecettedemasquecapillaire!
***
–Alors,commentçasepassepour toi,ceretouraubercail?medemandaKellanalorsquenousétionsassisàlacliniqueoùilsubissaitsatroisièmeséancedechimio.
Jedétestais cet endroit, parcequ’ici soncancerparaissait trop réelpourmoi.Mais je faisaisdemonmieuxpournepaslaisserparaîtremescraintes.Ilavaitbesoinquejesoislefrèrequilesoutenaitetpaslemecfaiblequejemesentaisdevenir.
J’avaisdumalàregarderlesinfirmièresluibranchertoutessortesd’intraveineusesdanslesbras.Le voir grimacer de douleur par moments m’était pratiquement insupportable.Mais dans l’ensemble,j’essayaisdemecomporternormalement.
–Çava.ÀpartqueJacobestunvraiconnard.Iladitquejedevaisperfectionnertroisplatspourqu’ilacceptedem’engagerpourtravaillerdanssacuisine.
–Celamesemblenormal,ditKellan.Jelevailesyeuxauciel.–Jesuisunsuper-cuisinier!Tulesaisbien.–Ouais,maispasJacob.Tun’asqu’àessayerplusieursplatsdifférentsàlamaison.Cen’estpasun
problème.Il avait raison, ce n’était pas un problème,mais quandmême c’était énervant de voir que Jacob
m’avaitproposéceboulotdèsmonarrivéeici,maisquemaintenantilymettaitdesconditions.–Qu’est-cequeçat’afaitderevoirAlyssa?demandaKellanenfermantlesyeux.Çaadûtefaire
bizarre.–Tuveuxdireavecousanssesvêtements?Ilouvritbrusquementlesyeux,stupéfait.–Non!NemedispasquetucouchesavecAlyssa?dit-ilàvoixbasse.Jehaussailesépaules,lesmâchoiresserrées.–Peux-tudéfinir«coucher»?–Logan!–Quoi?!– Pourquoi ? Pourquoi couches-tu avec Alyssa ? C’est une très mauvaise idée. C’est une idée
épouvantable,complètementfolle.Jecroyaisquetuavaisl’intentiondel’éviteràtoutprixpournepas
replonger.BonDieu!Tuasvraimentcouchéavecelle?Maiscommentc’estpossible?–Ehbien,tuvois,c’estquanddeuxpersonnesenlèventleursvêtements…Jememisàsourire.–Tagueule!Jefaisaisdéjà l’amourquandtuportaisencoredessous-vêtementsavecdessuper-
hérosdessus.Nonmais,commentest-cearrivéentrevous?Jenepouvaispasluidirequej’étaisallélavoirquandjecraquais,parcequ’ilsesentiraittrèsmal
desavoirquej’avaiseuunmomentdefaiblesse.Maisjenevoulaispasluimentir.Alors,jeluidislavérité.
–Ellereprésentelamaisonpourmoi.Ilmelançaunsourireniais.–Aprèstoutcetemps,aprèstoutcequevousaveztraversétouslesdeux,c’esttoujourslà,hein?–C’estseulementpourlecul,Kellan.Etnousnel’avonsfaitqu’unefois.Pasd’engagement.Pasde
liens.Rienqu’unmoyendes’aérerlatête.–Non.Çan’ajamaisétéqu’unequestiondeculentrevous.Jedoisdirequeçameplaisaitdevous
voirensembletouslesdeux.Erikadétestait,maismoij’adorais.–Àproposd’Erika,pasunmot.Çalaferaitflipper.–Qu’est-cequimeferaitflipper?Erikaentradanslachambreportantuncafédansunemainetunbouquindecoursdansl’autre.Elle
prenaitdescoursdusoirpoursonmaster,etquandellenes’occupaitpasdeKellan,elleavait la têtedansunbouquin.Etmêmeparfois,toutens’occupantdeKellan,elleavaitlatêtedansunlivre.
–Sanslefaireexprès,j’aicasséunedetessoucoupes,jementis.Ellelevalesyeuxdesonlivre.–Quoi?!–Désolé.Ellemeposauntasdequestionspourconnaîtretouslesdétailsdel’incidentavecl’assiettequeje
n’avaispasréellementcassée,etKellanmefitunsouriresatisfaitavantdefermerlesyeuxpourlafindesachimio.
***
Trente-six heures après sa chimio, Kellan était déterminé à jouer dans un bar. Erika et moiessayâmesdel’endissuader,maisilnevoulutriensavoir,arguantqu’ilnepouvaitpaslaissertombersonrêve. Il portait en permanence une casquette de base-ball noire destinée à dissimuler la preuve qu’ilperdaitsescheveux,maisjen’étaispasdupe.
Maisonn’enparlaitjamais.Kellan respirait avec difficulté lorsque nous allâmes de la maison à la voiture, comme si ces
quelquespasétaientmortelspourlui.Celam’inquiétabeaucoup.–Vousvoyez?
Ilprituneprofondeinspirationsuivied’uneexpirationencoreplusprofonde.Erikal’aidaàmonterdanslavoiture.
–Jevaisbien.Erikagrimaçaavantdeluiadresserunsouriresansjoie.–Tut’ensorsvraimenttrèsbien.Jesuisimpatiented’êtreplusvieilledequelquessemainespour
voirleseffetsdelachimio,parcequejesaisqu’ellemarche.J’ensuissûre.Etjesuistrèscontentequenouscontinuionsàvivrenormalement.Quetucontinuesàjouerdelaguitaredanslesbars.Lesmédecinsdisentquelaroutine,c’estimportant.C’estbon.Toutça,c’estbon.
Erikarépétaitçaenboucle,etjeposaiunemainréconfortantesurledossierdusiègepassageroùKellanétaitassis.
Ilm’adressaunpâlesouriredanslerétroviseur.Nousn’avions faitquequelquespâtésdemaisonquandnousdûmesarrêter lavoitureauborddu
trottoir. Kellan bondit de son siège et commença à vomir dans le caniveau. Erika et moi nousprécipitâmesàsescôtésenlesoutenantpourqu’ilnes’écroulepas.
Cecancerdevenaitdeplusenplusréelchaquejour.Jelehaïssais.Jedétestais toutdecettemaladiedégoûtante.La façonqu’elleavaitdeprendre lespersonnes les
plusfortesdumondepourenfairedesêtresfaibles.Lafaçondontellenesecontentaitpasdetoucherlesêtresquivousétaientchers,maislessuçaitjusqu’àlamoelle.
S’ilavaitexistéunepilulemagiquecapabledeluiôtertoutecettedouleurpourlatransférersurmoi,jel’auraisprisetouslesjoursdemavie.
Monfrèreneméritaitpasd’êtreconfrontéàcetteluttequ’ilmenaitactuellement.Aucunêtrehumainneméritaitça.Jenelesouhaiteraispasàmonpireennemi.
Nous l’avons aidé à remonter dans la voiture et sommes rentrés directement à la maison. Enarrivant,Erikaetmoiavonsdûlesoutenirpourqu’ilmarchejusquedanssachambre.
–Jevaisbien,disait-ild’unevoixépuisée.J’aijustebesoindesommeil.J’auraisdûfixerunedatepluséloignéedelachimiopourceconcert.C’étaitstupide.
–Jevais travaillerdans lesalon,appelle-moisi tuasbesoindequoiquecesoit,d’accord?ditErikaenl’aidantàs’allongeretenlerecouvrantd’unecouverture.
Ellel’embrassasurlenezetilfermalesyeux.–Ok.Ellesortitdelapièceetjem’attardaiunpeuauprèsdeluienregardantsapoitrinesesouleveret
s’abaisser. Il avait l’air si frêle, ça me rendait malade.Qu’est-ce que je peux faire pour t’aider ?Qu’est-cequejepeuxfairepourqueçaaillemieux?
–Jevaisbien,Logan,dit-ilcommes’ilpouvaitliredansmespensées.–Jesais,c’estjusteque…jem’inquiète,c’esttout.–Net’enfaispas.Jevaisbien.Jehaussaimonépaulegauche.Jet’aime,frangin.
Ilhaussasonépauledroite,commes’ilm’avaitvufaire,mêmeaveclesyeuxfermés.–Jevaissortirunmoment.DisàErikadem’appelersituasbesoindequelquechose.–Tusorst’acheterdescookies?Unpetitmilk-shake?Oupourdesactivitésplusadultesavecune
filleprénomméeAlyssa?–Ferme-la,Kellan,jedisenriant.Mais,oui.C’étaitexactementlàquej’allais.
30ALYSSA
Lapremièrefois,jel’avaistrouvédevantmaporte.Ensepassantlesmainsdanslescheveux,ilm’avaitditdenepasl’inviteràentrer.Puisilétaitrevenulelendemain,etlejoursuivant.J’auraisaiméconnaîtrelespenséesquil’agitaienttouslesjours.Àquoiressemblaientsesrêveséveillésetcequecontenaientses cauchemars.Maispuisquenousneparlionspas, ilme faudrait interpréter le langagede soncorpspourm’enfaireuneidéemoi-même.Lorsquesesparentsl’avaientmisencolère,ilétaitbrutal.QuandilétaitaffligéàcausedeKellan,soncorpss’attardaitunpeupluslongtempscontrelemien.
Jefisunpasdecôtépourlelaisserpasser.Ilentra.Cettefois,nousnedépassâmespasl’entrée.Ilarrachamesvêtements et jedéchirai les siens. Ilme soulevacontre laporteduplacardde l’entréeetm’empoignapar les cheveux enmême tempsque j’emmêlaismesdoigts avec les siens. Je croisai lesjambes fermementautourde sa taille et ilmepénétra sanspréambule.Lechoc se répanditparvaguesdansmoncorps,m’arrachantsonnomdansungémissementquandilcommençasescoupsdeboutoir,deplus enplusviolents. J’étais à la limitededéfaillir contre lui.D’unemain, il agrippamondos et, del’autre,écrasamesseinstoutenmepénétrantdeplusenplusprofondémentàchaquebalancementdeseshanches.
Ressentir.Goûter.Sucer.Baiser…Petitàpetit,cetteroutineétaitdevenueuneaddictionpournous.Ilarrivait,jelefaisaisentrer.La
passionétaitnotredrogue,etnousétionsaccrosàsesapogées.Je dis son nom dans un cri et il prononça le mien en grognant, nous fûmes entraînés dans un
tourbillondepoussées,dehalètements,d’étreintesetdesoupirs.
Nousreprîmesnotresoufflelorsqu’ilmereposasurlesol.Mais,cettefois,aulieudes’enaller,ilsedirigeaverslesalon.
–Qu’est-cequetufais?Jeleregardaiparcourirlecouloirendirectiondemachambre.–Remetstesvêtements.–Quoi?Pourquoi?–Pourquejepuissetelesenleverdenouveau.
31LOGAN
High,monplusbeautrip,putain…
32ALYSSA
MonLo,sidouloureux…
33LOGAN
–Elleestsortie,ditunevoixd’untonaimable.Celafaisaitquelquesminutesquejefrappaisàsaporte,attendantqu’ellemefasseentrer,sansobtenirderéponse.
–Elletravailleaupiano-barChezRed,cesoir.Elledoityjouertouslessoirscettesemaine.–Ah,jevois.Merci.Lavoixétaitcelled’unefemmedans lasoixantaine,auxcheveuxargentésquipendaientdansson
dos.Assise dans un rocking-chair sous le porche de lamaison voisine, elle lisait en chantonnant.Aumomentoùjecommençaiàdescendrelesmarches,lafemmes’adressaàmoidenouveau.
–Alors,quellessontvosmotivationsencequiconcerneAly?–Jevousdemandepardon?–Approchez,m’ordonna-t-elleenrefermantsonlivreetenmefaisantunsignedelamain.Jelarejoignissoussonporcheetm’assisàcôtéd’elle.–Jem’appelleLori.Cettefillequihabiteàcôté,jelaconnaisdepuisdesannées.J’aiserviplusde
pancakesavecellequ’avecn’importequid’autre.Untasdetypessejettentàsespiedstouslesjoursetellene leuraccordemêmepasun regard.Maisvoilàquecemystérieuxgarçonarriveenville, et elleperdlatête.C’estquoiletrucavecvous?
–Elleetmoiétionsvraimenttrèsprochesautrefois.Ilyacinqansenviron.–Ah,murmura-t-elleenhochantlatête.VousêtesLogan.Legarçonducarton.–Pardon?–Soussonlit,ilyauncarton.Etiln’yaquevousdedans.Dessouvenirs,destalismans.Leseul
garçonqu’ellen’arrivepasàjeter,apparemment.Ellepritdanssesdoigtslemédaillonquipendaitàsoncou.
–Jeconnaisça.–Jesuissûrequ’elleatournélapagesurcequ’ilyavaitentrenousàcetteépoque-là.Ellemel’a
dit.Lorihaussaunsourciletinclinalatête.–Leshommessontidiots.Jememisàrire.–C’estcommecetype,Dan.Unbeaugarçon.Celafaitdesannéesqu’ilvientaurestauranttoutesles
semainespourtentersachanceauprèsAlyssa,ehbienaujourd’huijel’aivuedéclinerofficiellementsaproposition.Jesaisqu’ellel’afaitparcequ’elleadessentimentspourvous.
Jenesavaispastropquoirépondreàça,alorsjegardailesilencetandisqueLoricontinuait.–Maisqueleschosessoientclaires,jeunehomme.Alyssan’estpasunedrogue.Ellen’estpasvotre
drogue.Jehaussailessourcils,etunpetitsourirenarquoisflottasurseslèvres.–Vouspensiezpouvoirdisparaîtrependantcinqansetqu’Alyssaneparleraitpasdevousdetemps
entemps?Ellem’aparlédevotrehistoireavecladrogueetdelafaçondontvousenêtessorti.Et jevous en félicite.Mais,moncher, vousnepouvezpas revenir ici et vous servir d’elle commevous lefaites.Ellen’estpasunproduitquevouspouvezconsommerpouroubliervotreexistenceperturbée.C’estune jeune femme, douce et attentionnée, qui est toujours folle d’un garçon. Et ce que vous faites estégoïste.Cequ’ellefaitestégoïsteaussi.Vousvoyez,vousn’allezjamaisarrêterdeconsommer,etellenevajamaisarrêterdedonner.Vousêtesaccro tous lesdeux.Vousvousembrasezmutuellement,etc’estcommesivousétiezinsensibleàlabrûlure.Siellecompteuntantsoitpeupourvous,vousdevezarrêterçatoutdesuite.Sisoncœurcompteuntantsoitpeuàvosyeux,vousdevezarrêterdelefairevolerenéclats.Quoiquevousfassieztouslesdeux,cen’estpeut-êtrequ’unpetitjeupourvous,maispourelle,c’estbeaucoupplus.C’esttoutceàquoiellen’acessédepensercesdernièresannées.Si,aufinal,vousbrisezlecœurdemonamie,moijevousbriseraitouslesdoigtsettouslesorteils,unparun,vouspouvezmecroire.
Je ris encore,mais cette fois le regard sévère qu’ellemedécocham’arrêta net. Je déglutis avecdifficulté.
–Ok.–Entoutcas,vousferiezbiendevousdépêcherderentrerchezvous,dit-elleenrouvrantsonlivre.
Ilparaîtqu’ilvayavoirungrosoragedanslesheuresquiviennent.Jelevailesyeux,degrosnuagesnoirsbloquaientlalumièredelalune.Jemelevai,remislesmains
dansmespochesetremerciaiLoripourlaconversation.
***
Lelendemain,Kellanmedemandadelesaccompagner,luietErika,àsaséancedethérapie,etjenevoispascommentj’auraispudirenon.J’étaisprêtàfairetoutcequ’ilmedemandait.Laseuleoccasion
que j’avais eue de parler à un thérapeute, c’était pendant mon séjour au Centre de repos et dedésintoxication SaintMichael. Nous avions des sessions individuelles et des sessions de groupe. Audébut je détestais ça, mais au bout d’un moment, cela m’aidait. Et puis, parfois, je recommençais àdétesterça.
J’étais assis à côté demon frère et de sa fiancée dans le bureau du docteurYang, et je sentaismonterlatension.Avantdequitterlamaison,KellanetErikas’étaientchamailléspourdesdétailsidiots–un tubededentifrice laisséouvert sur l’étagèrede la salle debains, un café àmoitié bu, les livresd’Erikaétaléssurlatabledesalleàmanger.Jenelesavaisjamaisvussedisputerauparavant,alorscelafaisaitunpeubizarre.
–Mercid’êtrevenuaujourd’hui,Logan.Jesaisquec’estimportantpourvotrefrèrequevoussoyezprésent.
–Ouais,c’estnormal.JetapotailajambedeKellan.Ilmefitunsourireforcé.–Jeferaisn’importequoipourcemec.LedocteurYangacquiesçad’unairsatisfait.–Jepensequ’ilestimportantdefairelepointdetempsentemps.Jesaisqu’Erikaaditquevous
vousétiezinstalléchezeux,etjecroisquec’estunebonnechosepourKellan.C’esttoujoursbénéfiqued’avoir de la famille autourde soi.Alors, si nous commencionspar voir comment çavapour chacund’entrevous.Kellan,vouscommencez?
–Jevaisbien.–Ilaperduunpeud’appétit.Et,dernièrement,ilm’asembléunpeumaussade,intervintErika.–Jevousrassure,c’esttoutàfaitnormal,vulescirconstances,ditledocteurYang.–Jenesuispasgrognon,aboyaKellan.Erikafronçalessourcils.–Tum’ascriédessus,hier,Kellan.–Tuprenaismatempératureàtroisheuresdumatin,pendantquejedormais.–Tuavaisl’aird’avoirfroid,murmura-t-elle.–Etvous,Erika,commentallez-vous?Jesaisquenousavonsparléde la façondontvousgérez
votrestressenbrisantdesobjets,parfois…–Oui.Maisjevaismieux.Kellansemitàrire.–Jetedemandepardon?Erikahaussaunsourcilenregardantmonfrère.–J’aiditquelquechosededrôle?–Ilyaseptlampesneuvesdansnotrearmoirepourunequiaétécassée.Tudeviensdingue.Waouh.C’étaitsévère.Lesjouesd’Erikarougirentdehonteetellebaissalesyeuxpourexaminerseschaussures.LedocteurYangécrivitquelquechosedanssoncarnetavantdesetournerversmoi.
–EtvousLogan?Pensez-vousqu’ErikagèrelamaladiedeKellandelameilleurefaçonpossible?Erikasoufflad’unairvexé.–D’accord.Parcequec’estàundroguéqu’ondemandedemejuger!Çaaussi,c’étaitsévère.Jemeredressaisurmonsiègeetjetaiuncoupd’œilàKellanetErikaavantderépondre.Ilsavaient
l’airépuiséstouslesdeux.Ilsmefaisaientpenseràmamère.Kellans’accrochaitauxbrasdesonfauteuiletErikaluttaitpourretenirseslarmes.
Jem’éclaircislavoix.–Est-cequejetrouveétrangeslescrisesdenerfsd’Erikaaucoursdesquellesellecassedesobjets
pourlesracheterensuite?Oui.Est-cequejetrouvequ’elleportedesjugementssurlespersonnesquinesontpasounepensentpasexactementcommeelle?Absolument.
Jesentisbienqu’Erikamefusillaitduregard,maisjepoursuivis.–Maisellel’aime.Ellerangederrièremoi.Enrâlant,maisellelefaitquandmême.Parcequ’elle
faittoutcequ’ellepeutpourqu’ilsesentebien.Peut-êtrequ’ellenegèrepasausensouvous,Kellanoumoil’entendons.Peut-êtremêmepasdelameilleurefaçonpossible.Maisellefaittoutcequ’ellepeut.Elleseréveillelematinets’efforcedefairedumieuxqu’ellepeut.Jenesuispassûr,moi,d’avoirdéjàfaittoutcequejepouvais…
Jebaissailesyeuxversl’élastiqueautourdemonpoignet.–Maisj’essaie.Pourcesdeux-là,j’essaiedefairedemonmieux.Etc’esttoutcequ’onpeutfaire,
enfait.Quandj’étaisaucentredecuredansl’Iowa,ilyavaitcescitationsdeRamDass 1danstouteslespièces.Danslehallprincipal,ilyavaitunecitationsurlemurquidisait«Tous,nousnefaisonsriend’autre que nous raccompagner les uns les autres à la maison 2. » Je n’en avais jamais vraimentcompris lesens jusqu’àmaintenant.Parcequ’enfindecompte,noussommestouspaumés.Nousavonstousdesfailles.Nousavonstousdescicatrices.Noussommestousbrisés.Nousessayonstousdetrouverunsensàcettechosequ’onappellelavie,vousvoyez?Parfois,onsesentterriblementseul,maisc’estlàqu’onpenseàsatribudecœur.Cespersonnesquivousdétestentparfois,maisquivousaimenttoujours,quoiqu’ilarrive.Cespersonnesquisont là,endépitde toutes lesfoisoùonadéconnéetoùon lesarepoussés. C’est ça, votre tribu. Ces personnes, ces batailles, constituent ma tribu. Alors oui, on vas’effondrer,mais on s’effondrera ensemble.Nousnous relèverons, ensemble.Et à la fin de toutes cesconneries,de toutesces larmes,de toutecettedouleur,nousferonsquelquespasensemble.Puis,aprèsquelquesinspirationsprofondes,nousnousraccompagneronsmutuellementàlamaison.
***
Aprèslerendez-vous,KellanetErikarentrèrentchezeuxpoursereposer,etjemebaladaienvilletoutelajournée,jusqu’ausoiroùjemeretrouvaidevantl’entréedupiano-barChezRed.Untableaunoirdevantlaporteannonçaitqu’Alyssas’yproduisaitcesoir-là,et jefussoulevéparunevaguedefierté.Ellelefait.Ellefaitcequ’elleaime.
Jedécidaideresteraufonddelasalle,àl’abriduregardd’Alyssa.Elleétaitassiseaupiano,sesdoigtscouraientd’unboutàl’autreduclavier,emplissantlebard’unemélodiemagnifiquequetroppeudegensdans lemondeauraient lachanced’entendre.J’écoutaiattentivement toutes leschansons, l’uneaprèsl’autre,quimeremirentenmémoireletalentexceptionneld’Alyssa.
Au moment d’entamer la dernière chanson, elle se tourna vers le micro posé à côté d’elle ets’adressaaupublicd’unevoixdouce.
–Jeterminechaquerécitalparunechansonquiestchèreàmoncœur.Ilyabeaucoupdemonâmedanslesparoles,etellemeramènetoujoursàuneépoqueoùj’aimaisungarçon,autrefois…Etl’espacedequelquesrespirations,dequelqueschuchotements,dequelquesinstants,jecroisqu’ilm’aaimée,luiaussi.Voici«LifeSupport»,deSamSmith.
Mapoitrineseserra,etjemeredressaisurmonsiège.Sesdoigtsdansaientsurleclavieretjelaregardaibougercommesiellefaisaitcorpsaveclepiano.
C’étaitcommesiellen’étaitplusquelevecteurconsentantdel’art.Jenepouvaispasimaginerqu’ellepuissedevenirplusétonnanteàmesyeux.Nicequ’elleauraitpufairedepluspourmesurprendre.
Maisc’estalorsqu’elleouvritleslèvres.Les paroles s’échappaient de ses lèvres avec une facilité déconcertante. Elle ferma les yeux,
s’abîmantdanslesparoles,danslessons,enelle-même,dansnossouvenirs.J’étais honoré d’assister à un telmoment. Les larmes filtraient entre ses paupières closes et ses
épaulessebalançaientaurythmedessonsqu’ellemodulaitelle-même.Ilyaquelquechosededifférentcheztouslesartistes,deparlemonde.Onpourraitdirequ’ilsressententleschosesdifféremment,plusprofondément,peut-être. Ilsvoient lemondeencouleur, alorsque laplupartd’entrenousne levoientqu’ennoiretblanc.
Mavieétaitennoiretblancavantqu’Alyssan’yfasseirruption.Mespiedsmemenèrentplusprèsdelascène,etjemetinsenfaced’ellepourécouterlesmotsque
jeluimurmuraisàl’oreillequandnousétionsplusjeunes.Elleétaitsibelle,silibrequandellejouait.Quandelleselaissaitaller,elleoffraitàtouteslespersonnesautourd’ellelachancedesesentiraussilibresqu’elle.Durantcesquelques instantsoùellechanta, j’eus la sensationque leschaînesde lavieavaientdisparu.J’étaislibreavecelle.
Jeveuxbienadmettrequec’étaitsuperdelapartdeLoridelaprotégercommeellelefaisait,maiselle ignoraitqu’Alyssaétait toutpourmoi.C’était la filledemoncœur.Mêmesi,engrandepartie, jem’efforçaisdenierlessentimentsquejeluiportais,quelquepartj’étaistoujourstorturéparledésir,lebesoin,l’amourqu’elleseuleétaitcapabledesusciterdansmonâme.
Alyssaachevasachanson,remerciapuissetournaverslepublic.Jen’avaispaschangédeplace.Ses beaux yeux se posèrent sur les miens, écarquillés. Elle inspira profondément, puis expira enfrissonnant légèrement.Ellevintversmoid’unpasmal assuré.Ennous tenant l’unen facede l’autre,nouséchangeâmesunsourirecombinéàunfroncementdesourcils.
–Salut,dit-elle.–Hey.
Unautresouriremélangéàunautrefroncementdesourcils.–Tuveuxbienquejeteraccompagnecheztoi?–D’accord,dit-elle.Ensortantdubar,nousvîmesqu’ilpleuvaittoujours.Alyssapartageaavecmoisonparapluieàpois
pendanttoutletrajetjusquechezelle.–Tuasétéfantastique,Alyssa.Meilleurequejet’aijamaisentenduejusqu’ici.Meilleurequetous
ceuxquej’aientendusjusqu’ici,enfait.Elleneditrien,maislescoinsdeseslèvressesoulevèrentdansunsourire.Unefoisarrivésdevantchezelle,elleouvritlabouchepourm’inviteràentrer,maisjesecouaila
tête.–Jenepeuxplusfaireça.Ladéceptionselutdanssesyeuxbleus.Puislagêneluifitmonterlerougeauxjoues.–Ahbon,ok.Çanefaitrien.Jevoyaisbienquemesmotssimplesl’avaientblessée.J’étaissifatigué.Lajournéeavaitétésilongue.Unelonguevie.Unevielongueetfatigante.–J’aireplongé,Alyssa.Jemepassailesdoigtssurlefront.Danssesyeux,l’inquiétudesuccédainstantanémentàlagêne.–Quoi?Ques’est-ilpassé?Comment?Avecquoi?Jehaussailesépaulesetbaissailavoix:–Avectoi.–Quoi?–Jesuisrevenu,etmavieaétébouleversée.J’étaisderetourdansmonpassé,saufquecettefois
c’étaitpireencoreparcequemonfrèreétaitmalade,etjemesuistournédirectementversmonplusbeautrippourm’aideràtrouverdansl’oubliunmomentderépit.Jemesuistournéverstoi.Tuastoujoursétémonhavredepaix,High.Tuasétépourmoiunmoyend’échapperàtoutelamerdequim’entourait.Maiscen’estpas juste,nipour toinipourmoi.Jeveuxm’ensortir,êtreclean.Jeveuxêtrecapabledemereleveretnepluséprouvercebesoind’oublier,cequiveutdirequejenepeuxpasreplongeretquenousne pouvons pas continuer comme ça. Nous ne pouvons pas continuer à coucher ensemble. Mais j’aibesoindetoi.
–Lo…–Attends.Laisse-moiallerjusqu’aubout,parcequecelatournedansmatêtedepuistroplongtemps.
Jesaisquejenesuispluslegarçonquej’étaisautrefois,maiscertainscôtésdecegarssubsistentencoreenmoi.Etjesaisquenousavonsditquelesexeseraitsansconséquences,maisjecroisquenoussavons,l’uncomme l’autre,qu’iln’enest rien,qu’aucontraire il abeaucoupd’importancepournous, et c’est
pourcelaquenousnepouvonspascontinuer.Maisj’aibesoindetoi.J’aibesoinquetusoismonamie.Lavieatoujoursétédurepourmoi.Toutdanslavieacontribuéàm’endurcir.Tout,àparttoietKellan.
Etjesaisquec’estégoïstedemapartdetedemanderçamaintenant.Jesaisquec’estégoïsteparceque j’ai besoindequelqu’unpourme soutenir aumomentoù j’essaiede soutenirmon frère,mais j’aibesoindetoi.J’aibesoinquetusoismonamieànouveau,maisriendeplus,parcequejeneveuxpastefairesouffrirencore.Jenepeuxpasêtreavec toi,mais j’aibesoinde toi.J’aibesoinde toi.Nousneparleronspasdupassé.Nousnenousinquiéteronspaspourl’avenir.Maisnousseronsnous,amistoutsimplement. Ici etmaintenant. Si tu es d’accord ?Parce que je ne ris plus, et çamemanque. Je riaistoujoursavectoi.Jeneparleplus,etçamemanque.Jepouvaistoujoursteparler.Tumemanques.Alors,jemedemandais,pourrions-nousredeveniramis?
Elles’appuyacontrelemontantdelaporte,apparemmentperduedanssespensées,puisunsourireapparutsurseslèvres.
–Nousn’avonsjamaiscesséd’êtreamis,Logan.Nousétionsseulementdansuneespècedetempssuspenduassezétrange.
1.ProfesseurdepsychologieàHarvard,fondateurdeplusieurscentresconsacrésàlaspiritualité.
2.«We’realljustwalkingeachotherhome.»
34ALYSSA
Alorsquelestensionsfinissaientpars’apaiserentreLoganetmoitandisquenoustrouvionsnotrevoieversuneamitiérenouvelée,lesturbulencescommencèrentàs’accumulerentreKellanetErika.Unefois,enfindejournée,aprèsunevisitemouvementéechezlemédecin,ilssontarrivésàlamaisonenpleinedispute,alorsquej’étaisassisesurleurcanapéentraindedisposerlesmédicamentsdeKellanqu’Erikam’avaitdemandéd’allerchercheràlapharmacie.J’étaischezeuxdepuisquelquesjours,justepourlesaideràgérerlequotidien.Etpuis,j’étaisplusinquiètepourKellanquejenevoulaisl’admettre.
–Tunem’écoutespas!criaKellanenforçantsavoix.–Si,jet’écoute.Cequetudis,c’estquetuneveuxplusm’épouser.–Biensûrquesi, jeveux t’épouser,Erika.Maispour lemoment,cen’estpas raisonnable.Si je
mourais,tuteretrouveraisavectouslesproblèmessurlesbras.Touteslesfactures,toutle…–Jem’enfiche!–Ehbien,pasmoi!–Pourquoitecomportes-tucommeçaavecmoi?Erikasetournaversmoi.–Alyssa,peux-tudireàKellanàquelpointilestirrationnel?J’entrouvrisleslèvresmais,sansmelaisserletempsdeparler,Kellanpoursuivit,–Nemêlepastasœuràça!Je refermai la bouche. Je serais bien rentrée chezmoi, mais ils étaient aumilieu de l’entrée et
bloquaientlaporte.Alors,jemefistoutepetitedanslecanapéenessayantdemerendreinvisible.Ellepoussaunprofondsoupir.–Onenreparleraplustard.Onvasecalmerd’abord.Demain,tuastachimio,alorsnousferions
mieuxdeprendreunpeudereposavant.
–Tunevienspas,dit-il.–Quoi?–J’aiditquetunevenaispas.Tuasratétondernierexamen.Tunetravaillesplusautantquetule
faisais,ettunepeuxpastepermettredeprendreduretard.JedemanderaiàLogandeveniravecmoi.–Pourquoiest-cequetum’exclus?Erikasetournaversmoiavecvivacité.–Pourquoim’exclut-il?J’ouvrislabouchepourrépondre,maisunefoisdeplus,Kellannem’enlaissapasletemps.–Arrêtedelamêleràça!Tunevienspasàmaséancedechimio,c’estcompris?–Etpourquoi?–Parcequetum’étouffes!cria-t-ilplusfortquejel’avaisjamaisentendu.Tum’étouffesavectes
questions,tespilules,tesfichusprojetsdemariageettesfichueslampes!Jemanqued’air,Erika!Exaspéré,ilagitalesbrasetrenversalalampeposéesurlapetitetable.Elleallas’écrasersurle
soletlesilencesefitdanslapièce.LaculpabilitéenvahitlesyeuxdeKellanquandleslarmessemirentàcoulersurlesjouesd’Erika.Toutdéconfit,ils’approchademasœur.
–Jesuisdésolé,c’estjusteque…Ellehaussalesépaules.–Jesais.Soudain, Logan fit irruption dans la pièce, sortant de la salle de bains, une serviette de toilette
autourde la taille, tout ruisselantd’eau.Sescheveuxdégoulinaientd’uneespècededécoctionbizarre,verteetgluante,etsesyeuxétaientélargisparlapanique.
–Qu’est-cequisepasse?s’écria-t-il,affolé,enmanquantglisserdanslamared’eauquiseformaitsouslui.
Ilavaitl’airsigraveetenmêmetempssiridicule,quenousnepûmesnousempêcherd’éclaterd’unrirehystérique.
–C’estquoi,cetrucsurtatête?Ilplissalesyeux,décontenancéparnotrehilarité.– On est le troisième lundi du mois. C’est un masque à base d’œuf et d’avocat, pour une
revitalisationenprofondeur.Nous rîmes de plus belle, et l’atmosphère de colère et de confusion qui planait dans la pièce
quelquesinstantsauparavantsetransformaetdevinttoutàcoupfamilialeetjoyeuse.–Voussavezcequ’ilnousfaut?ditKellanenposantunpetitbaisersurlajoued’Erika.–Quoi?–Unpetitbreakmusical.–C’estquoi,unbreakmusical?Loganetmoiavionsparléenchœur.Ilsnefirentattentionànousnil’unnil’autre.–Oh non,Kellan. La journée a été longue, protesta Erika. Et puis, tu l’as dit toi-même, je dois
réviser…
–Si.Onfaitça.Unbreakmusical.–Mais…grogna-t-elle.–J’aiuncancer.Ellerestabouchebéeetluifrappalebras.–Tumefaislecoupducancer?Sonsourires’élargit.–Oui.Jem’attendaisàvoirErikaluihurlerdessus,luidireàquelpointsesmotsluifaisaientmal,maisau
lieudeça,elleluisourit.Ilséchangèrentdesregardsentendusqu’euxseulspouvaientcomprendre,etellehochalatête.
–D’accord.Unechanson.Maisuneseule,Kellan.Jen’avaisjamaisvuKellansouriredecettefaçon.–Uneseulechanson!–Notrechanson,ordonna-t-elle.Ilsortitprécipitamment,nousplantantlà,moienpleineconfusionetLogantoutgluant.Puisilrevint
avecunepairedecongasetdeuxbâtonsdepluie.Ilm’entenditunetdonnal’autreàLogan.–Qu’est-cequevousfaites?demandaLogan.Qu’est-cequejesuiscenséfaireaveccetruc?ErikaregardaLogancommesic’étaitunparfaitdemeuré.Elleluipritlebâtondepluiedesmainset
leretournadehautenbas,pourfairelebruitdelapluie.Elleleluirendit.–Voyons,Lo,dis-jed’untonmoqueur.Ilmefitundoigtd’honneur.Lespapillonsvoletèrentdansmonestomac.Riendenouveausouslesoleil.Kellans’installadevantlescongasetcommençaàjouer.Ilmefallutunesecondepourentrerdansle
rythmedelachanson,maisunefoisdanslecoup,moncœurfonditdevantlegenred’amourquiunissaitmasœuretKellan.Iljouaitlachansond’IngridMichaelson,«ThewayIAm».
Leurchanson.KellanchantalepremiercoupletàErikaquisouritensebalançantdegaucheàdroite.Loganetmoi
lesaccompagnionsaveclesbâtonsdepluie,etnousnousmîmesàdanseravecErika,tandisqueKellantapaitsurlescongas.
Erikachantalesecondcouplet,etl’amourqu’ellepartageaitavecKellanilluminalamaisonaufuretàmesurequelesmotssortaientdeseslèvres.Desmotsquiparlaientd’amourplusfortqueladouleur,desoutienmutuelmêmequandontraverselesflammesdel’existence.
C’étaittrèsbeau.Quandonarrivaaulongpassageinstrumental,sansparoles,Loganpritmamainetcelled’Erika,et
nousfittourner,toujoursvêtudesaserviette,lescheveuxtoujoursdégoulinantsdeliquidevertvisqueux.PuislesilencesefitdanslapiècequandErikaentonnalederniercouplet–lecoupletquifaisaitmonterles larmes aux yeux de tout lemonde.Elle chanta lesmots qui disaient qu’elle continuerait à l’aimer
quand il aurait perdu tous ses cheveux, tout en passant les doigts dans les boucles de Kellan et enpenchantsonfrontcontreseslèvres.Ill’embrassadélicatement,etilsterminèrentlecoupletd’uneseulevoix.
Ledernierbruitqu’onentenditfutlemurmuredubâtondepluiedeLogan.–Waouh,dit-il,lamainsurlabouche,lesyeuxfixéssursonfrèreetErika.Vousêtesparfaitstous
lesdeux,putain.ErikasemitalorsàriredoucementavantderegarderKellan.–Jeneveuxpast’épouser.Ilsoupira.–Maissi,tuleveux.–Non.Enfinsi.Maispasavantquetuaillesmieux.Pasavantquetusoisguéri.Nousattendrons.
Nousbotteronsleculducancer.Puistum’épouseras.Ill’attiraversluietl’embrassaavecpassion.–Jevaist’épouser,tuneperdsrienpourattendre.–Unpeuquetuvaslefaire!–Oh,pitié.Ilyadeschambrespourça,gémitLoganenlevantlesyeuxauciel.Bon,jevaisaller
rincercettemerdequej’aisurlescheveux.–Àcepropos…Kellans’éclaircitlavoixetplissalesyeux.–Vouscroyezquevouspourriezfairequelquechosepourmoi,lesgars?
***
Logansecouaitlatêteavecdégoût.–C’estunetrèsmauvaiseidée.–Pourlapremièrefoisdemaviejesuisd’accordavecLogan,ditErikaenlevantlesbras,outrée.–Moijedis:vas-y,fonce.Nousétionstouslesquatreentassésdanslasalledebains.Jetenaisunetondeusedanslamain.–MerciAlyssa !Enfinquelqu’unquimesoutient.Etd’abord,mapuce,dit-ilense tournantvers
Erikaavecunimmensesourire,destasdegensserasentlatêtedenosjours.–Là,iln’apastort,ditLogan.C’estunpeucequefonttouslesgensàHollywood.Lecrânerasé,
c’esttrèstendance.–Ehbien,fais-le,toi,provoquaErikaenmeprenantlatondeusedesmainspourlatendreàLogan.Sesyeuxs’arrondirentd’horreur,etillamenaçadudoigt.–Faisattentionàcequetudis.–N’empêche,Loganaraison.Destasdevedettessesontrasélatêtepourdesrôles,ditKellanpour
calmersafiancéepaniquée.–Donne-moidesnoms.
–BryanCranston!jedis.PourBreakingBad.–JosephGordon-Levittl’afaitdans50/50!lançaLogan.–Excusez-moi,maisest-cequ’onpourraitéviterdenommerdesacteursquijouaientdesmaladesen
phaseterminalequandilssesontrasélatête?demandaErika.Çasedéfendait.–LeRock!–HughJackmann!–MattDamon!–JakeGyllenhaal,deuxfois,s’exclamaLogan.–C’estvrai?demandaKellan.Deuxfois?–DansJarheadetdansEndofWatch.–Ça,çadéchire!KellanhochalatêteettenditlepoingàLoganquifituncheck.–Çadéchiregrave!Pauvresmecs.–Hé,lesgars.Jemelevaietdémarrailatondeuse.–C’estl’heure.Erikaretintsonsouffleetsemasqualesyeux.–OK.Vas-y!–Vas-y!lançaKellan.–Vas-y!Vas-y!psalmodiaLogan.Alors,j’yallai.
35LOGAN
–Qu’est-cequetufaislà?demandaAlyssaquandelleouvritsaporteetqu’ellemetrouvadevant,avecuneportetouteneuveetunecaisseàoutilsdanslesbras.
–Lesquelques foisoù je suisvenuchez toi, jen’aipaspu faireautrementque remarquerque tamaisonavaitbesoindequelquesréparations.
–Qu’est-cequeturacontes?dit-elleensouriant.Cettemaisonestabsolumentparfaite.Jehaussaiunsourcil,allaijusqu’àlarambardedesonporchequejesoulevai,prouvantquerienne
laraccrochaitàl’escalier.Ellerigola.–Bond’accord,ellen’estpasparfaite.Maiscen’estpasnonplusàtoidelaréparer.Ellesemorditlalèvreinférieure.–Nemedispasquetuasuneceintureporte-outils?–Jeporteeffectivementuneceintureporte-outils,cequimedonneledroitdefairedesréparations.
Alors,situpouvaist’écarter,s’ilteplaît,etmelaisserallerposeruneporteàtasalledebains,ceseraitsuper.
Je passai les six heures qui suivirent à réparer des trucs chez elle, et elle m’aida à reclouercertaineschosesàleurplace.Ladernièretâchequej’entreprisfutdemontersurletoitpouressayerdeboucherquelquestrous.
–Est-cequetusaiscequetufais,aumoins?criaAlyssad’enbas.Ellerefusaitdemontersurletoitparcequ’ici,cen’étaitpascommeaupanneaupublicitaire,iln’y
avaitpasderaildeprotection.–Évidemmentquejesaiscequejefais.–Oùas-tuappris?Jemetournaiverselleetluifisunsourireencoin.
–Unefois,j’airegardéundocumentairesurleboulotdecouvreur.Elleécarquillalesyeuxetagitalesmains.–Çane va pas, non ?Redescends,LoganFrancisSilverstone. Immédiatement.Avoir regardé un
docu-mentairenesuffitpasàfairedetoiunprofessionnel.–Non,maislaceintureporte-outils,si!–Logan.–Alyssa.–Lo.–High.–Descendstoutdesuite.Viensboireunverred’eau.Je…j’engageraiquelqu’unpourvérifierl’état
dutoit,d’accord?Commeça,tunetesentirasplusobligédeleréparer.Jerigolaietcommençaiàdescendrelesbarreauxdel’échelle.–Tantmieux.Parcequejen’avaispaslamoindreidéedecequejefaisais.Dèsquemespiedstouchèrentlesol,ellemebousculabrusquementenplissantlesyeux.–Nerefaisjamaiscegenred’idiotie,ok?–Ok.–Jurécraché?J’accrochaimonpetitdoigtaveclesien,enl’attirantversmoi.Àcesimplecontact,moncœurse
mitàbattrelachamadeetj’observailetremblementdeseslèvrestandisqu’ellefixaitmabouche.–Jurécraché.Nousétionstoutprèsl’undel’autre,deplusenplusprèsàmesurequeletempspassait.Jesentis
seslèvreseffleurerlesmiennes,maisnousnenousembrassâmespas.Simplementnousneformionsplusqu’unêtre,uniqueenquelquesorte,enabsorbantlesoufflel’undel’autre.
–Lo?Jesentissonsoufflesurmapeau.–Oui?–Nousdevrionsnousécarterl’undel’autretoutdesuite.–D’accord.Ellehochalatêteetreculad’unpas.–D’accord.Ellesepassalesdoigtsdanslescheveuxetmefitunpetitsourirepincé.–Tu devrais aller te servir un verre d’eau ou un truc pour te rafraîchir. Tu as bossé comme un
malade.Jevaisfaireuntourdansmachambrepoursoufflerunpeu.J’acquiesçaietallaidanslacuisinepourprendreunverred’eau.Jemedemandaissielleéprouvait
les mêmes sensations que moi chaque fois que nous nous trouvions si près l’un de l’autre. Je medemandaissi,commemoi,elleaussidevaitrepoussercettesensationdemanque.
Lorsquej’ouvrisleréfrigérateur,jem’immobilisaienvoyanttouslesproduitsfraisqu’ilcontenait.–Tuesalléefairedescourses?jehurlaiendirectiondesachambre.
–Ouais,hier.Mon esprit se mit à carburer en voyant les légumes et les saucisses crues. Je fouillai dans ses
placards.–Çat’embêtesijepréparequelquechosevitefait?–Non,vas-y.Prendscequetuveux,c’estlàpourça.Génial.Je me mis au travail, en attrapant les casseroles et les poêles. Quelques minutes plus tard, le
bouillondepoulechauffaitsursacuisinièreetjehachaisdeschampignonsetdel’ailfrais.–Jedoisreconnaîtrequequandtuasditquetuvoulaispréparerquelquechosevitefait,j’aicruque
tuallaispasseruntrucgenrecordon-bleuaumicro-ondes,ditAlyssaensouriant.–Excuse-moi.Deboutdevantsacuisinière,jefaisaisrevenirlasaucissedanslapoêle.–Jacobm’aoffertunboulotdanssonrestaurant.Maisilexigequejeperfectionnetroisplatsavant
dem’embaucher.Etilsemontreparticulièrementconavecça,ilrefusetoutcequejeluiprésente.Alors,j’aimeraistesterunedemespréparationssurtoi,situveuxbien.
Sesyeuxs’arrondirentdeplaisir.–Oh,lavache,celafaituneéternitéquejen’aipasmangéunplatcuisinéparLogan.Jeserairavie
deteservirdecobaye.Qu’est-cequetunousprépares?–Unrisotto.–Cen’estpasunpeulong?–Si.Ellenesavaitpasque je l’observaisducoinde l’œil,maiselle sourit. Jesourisaussidesavoir
qu’ellesouriaitNousparlâmesdetoutetderienetjenequittaipaslesfourneaux,remuantlerizaveclebouillon.–Alors,tusongesàouvrirunpiano-bar?–Oui,j’ysongesérieusement.Tutesouviensquandonétaitgaminsetqu’onenparlait?–LoAly?–Alylo,corrigea-t-elleensouriant.Ouais.Biensûr,jenel’appelleraipascommeçavuquec’était,
genre,notretrucàtouslesdeux,maisjenesaispas.C’estjusteunrêve,c’esttout.–Unbonrêvequetudevraisréaliser.Ellehaussalesépaules,croisalesbrassurlatableetposalatêtedessus.–Peut-être.Onverra.MonpoteDanm’amontrédifférentesaffairesquipourraientconvenir.Jesais
quec’estprématuréderegarderleslocauxdisponibles,maisc’estamusant.Voirlesendroitsrendlerêveunpeuplusréel.
Quandlerisottofutprêt,jeleservisdansuneassiettequejeposaidevantAlyssa.Lesourirefendujusqu’auxoreilles,ellebattaitdesmainscommeunefolle.
–Oh,lavache!Jenerêvepas!C’estpourdevrai!Logan,jedisaisquetum’avaismanqué,maisjecroisquetacuisinem’aencoreplusmanquéquetoi.
–Trèsbien.Tiens,dis-jeenluitendantunecuiller.Mangependantquec’estchaud.Elleplongealacuillerdansleplatetquandellelaportaàsaboucheetcommençaàmâcher,elle
fronçalessourcils.–Quoi?Qu’est-cequ’ilya?J’avaishausséleton.–Rien,maiscen’estpas…fantastique?–Quoi?Onnepeutrienreprocheràceplat.Elleentrouvritlaboucheenhochantlatête.–Si.–Non.Ilestparfait.Regarde,lasaucisseestparfaitementcuite,leschampignonssontsautésjuste
commeilfaut,l’assaisonnementestremarquable.C’estunplatparfaitementréussi,putain!Ellefronçalessourcilsethaussalesépaules.–Ouais,c’estpasmal.Pourunplatcommeça.Jesoufflai.Pourunplatcommeça?Ellenemanquaitpasdeculot.–Iln’yarienàreprocheràceplat.–Si.–Non.–C’est…Ellesemorditlalèvreinférieure,agitalesmainsethaussalesépaulesunefoisencore.–…insipide.–Insipide?!–Fade.–Tudis…Jeprisuneprofondeinspiration.–Tuviensdedirequemacuisineestinsipide?–Oui,parcequec’estvrai.J’appuyailesmainssurleborddelatableetmepenchaiverselle,terriblementagacé.– Je cuisine depuis que j’étais gamin. J’ai fait ce plat pendant trois ans d’affilée à l’école de
cuisine. Je pourrais même le faire en dormant et il serait encore assez goûteux pour être servi auPrésident.Macuisinen’estpasinsipide.Macuisineestsavoureuseetdélicieuse.Ettoi,tuescinglée!
–Pourquoiest-cequetuhurlescommeça?–Jen’ensaisrien!Ellesemitàrire,cequimedonnaimmédiatementenviedel’embrasser.–Logan…goûtetoi-même.Jeluiprislacuillerdesmains.Jelaplongeaidansleplatetenfournaiunecuilleréederisotto.À
l’instantoùiltouchameslèvres,jelerecrachaidansl’assiette.–Oh,purée,c’estdégueulasse!Ellehochalatête,l’airnavrée.
–Quandj’aiditquec’étaitsansintérêt,c’étaitpourêtrepolie.Mesépauless’affaissèrentetjemelaissaitomberparterre.–Depuisquandjesuisdevenunulencuisine?C’étaitlaseulechosequejesavaisfaire.– Tu n’es pas nul. C’est probablement juste que tu as perdu ta passion. Ne t’en fais pas. Nous
pouvonslaretrouver.Situreviensdemain,jet’aideraiàessayerdecuisinerautrechose.Onessaieratantquetun’auraspasparfaitementréussicestroisplats,desortequeJacobnepourrapaslesrefuser.
–Tuferaisçapourmoi?–Naturellement.Nous avons traîné ce soir-là, enmangeant le risotto dégoûtant et en nous rappelant ce que cela
faisaitd’êtreheureuxensemble.Pendantlesdeuxsemainesquisuivirent,jepassaichezelleetnousavonscuisiné et cuisiné et cuisiné, jusqu’à ce que nous ayons trouvé trois plats qui soient divins. C’étaitagréabled’êtreavecelle,jemesentaislibre.Nousparlions,nousriionsetnousfaisionsdesconneries.C’étaitcommesionseretrouvaittoutescesannéesenarrière,quandnousnefaisionsquerireensemble.Alyssameconseillapourperfectionnerchacundemesplats,etjeluienétaisreconnaissant.
Jeposail’ultimegâteauauchocolatdevantelleetellegémitrienqu’enlevoyant.–Tugémisdeplaisirdevantmongâteauavantmêmedel’avoirgoûté?–Absolument,jegémisdeplaisirdevanttongâteauavantmêmedel’avoirgoûté.Elleouvritdoucementleslèvresetj’attrapaiunefourchette,piochaiunmorceaudegâteauetlelui
glissaidanslabouche.Ellesemitàmâcheretsesgémissementss’amplifièrent.–OhmonDieu,Logan!Jerayonnaidefierté.–Sij’avaisgagnéundollarpourchaquefoisquej’aientenduça!–Tuauraiszérodollar,zérocent,dit-ellemoqueuse.Non,sérieux,ilfautquetugoûtes.Maisaulieudeprendreunefourchettepourmoi,elleplongealamaindanslegâteauetmel’écrasa
surlevisage.–Alors,iln’estpasbon?Ellegloussaitcommeunegaminedecinqansalorsquej’essuyaislechocolatdemesyeux,monnez
etmabouche.–Oh,ouais,ilestsuper-bon.D’ailleurs,jepariequetuenveuxencore.Justeaumomentoùelles’apprêtaitàs’enfuir,jelasaisisparlatailleetl’attiraicontremoiDema
mainrestéelibre,jeramassaidugâteauetleluifourraidanslabouche.Ellepoussauncriaigu.–Logan!Jen’ycroispas,dit-elleenriant,frottantcontrelemiensonmentonmaculédechocolat
qu’elleétalasurmabarbenaissante.–J’enaijusquedanslescheveux!–Moi,j’enaijusquedanslesnarines!répliquai-jeenessayantdumieuxquejepouvaisdem’en
débarrasseretenriantdel’entendrerire.Nouscontinuâmesàrigolerunmomentjusqu’àcequecelas’arrête.Monbrasétaittoujoursautour
desataille,etquandnousnoustûmes,lesbattementsdenoscœurss’amplifièrent.
Jesuisentraindetomberamoureuxdetoi.Alyssa m’avait tellement manqué pendant toutes ces années que je faillis oublier pourquoi elle
devaitcontinueràmemanquer.Parcec’estdangereuxdem’aimer.Changedeconversation.Jefisunpasenarrièreenrelâchantmonétreinte.–Alyssa?–Oui?–Ilyauneguitaredanstachambre.Tuenjoues?Elleagitalamain.–Plusoumoins.Celam’aidequandjecrée.Jemedébrouille,maiscelan’arienàvoiravecceque
jefaisaupiano.–Tusais,Kellann’arriveplusàjouer.Sesmainstremblent,etiloublieparfoissesparoles.Jevois
bienquecelalemine.Ellefronçalessourcils.–Jenepeuxqu’imaginercequeçadoitluifaire.C’esthorribledenepaspouvoirfairecequ’on
aime.–Ouais. Jeme demandais. Je sais que tu ne te trouves pas géniale,mais est-ce que tu pourrais
m’apprendre?Suffisamment,pourquejepuissejouerpourlui?–Enfin,jeleretrouve!Ellepoussaunpetitsoupir.–Turetrouvesquoi?–Jeviensd’avoirunevisionfugacedugarçonquej’aimaisautrefois.
36LOGAN
Lasemainesuivante,jedemandaiàAlyssadem’accompagnerchezJacobpourmondernierexamendepassage en cuisine. Étant donné qu’elle était l’inspiration qui m’avait guidé pour ce plat, je trouvaisnormalqu’ellesoitàmescôtésquandJacobm’enverraitboulerenmedisantdereveniravecautrechose.
Rôti de canard croustillant accompagné d’une sauce à la framboise et au romarin, rattes rôties àl’huiled’oliveetauxherbes,etchouxdeBruxellesàl’ail.
Lecœurbattant,j’observaisJacobquimastiquaitsanssedéfairedesonimpassibilitécoutumière.Àcôté,AlyssatapaitdupiednerveusementtoutenmâchonnantlecoldesonT-shirt,cequimefitsourire.Jenesavaispasquidenousdeuxétaitleplusangoisséàl’idéequelecanardnesoitpasàlahauteurdesattentesdeJacob.
– Il faut que tu trempes le canard dans la sauce ! intervint Alyssa avant de recommencer àmâchonnersonT-shirt.Oh!EtleschouxdeBruxelles.TrempeleschouxdeBruxellesdanslasauceàlaframboise.
Ilfitcequ’elleluidisait,etjemerecroquevillai.Ilreposasafourchette,serenfonçadanslebox,etunpetitsourireapparutsurseslèvres.
–Ehben,putaindemerde,c’estbon.Jeregagnaiunpeud’assurance.–Ouais?–Non.Cen’estpasbon.Disonsplutôtquec’est…extraordinaire.Genre, lameilleurechoseque
j’aiejamaismangée.Ilreprituneautrebouchée.–Ahlavache!Jenesaispascequetuasmisdansceplat,maisjeveuxquetuinscrivesçaàmon
menutouslesjoursoùtuviendrastravailler.
–Donc…jesuisengagé?–Continueàcuisinercommeçaetlerestaurantestàtoi,dit-ilenrigolant.Maisilredevintsérieuxetpointaundoigtversmoi.–C’étaituneblague.Cerestaurantn’estpasàvendre.Jerigolaiàmontour.–Ehbien,jemecontenteraidelaplacedechef,pourl’instant.J’étais tellement fier que j’avais l’impression que j’allais exploser. Alyssa, un sourire fendu
jusqu’auxoreilles,tenditlesbrasetmesaisitparlesépaules.–Jelesavais,memurmura-t-elleàl’oreille.J’étaissûrequetuyarriverais.J’inhalaisl’odeurdesonshampooingàlapêche.–Trèsbien,lesenfants,çasuffit.Sortezfairelafêtecesoir.Logan,tucommenceslundi.Lorsquenousnouslevâmes,Jacobtenditlebraspourmeserrerlamain,maisjeleprisdansmes
brasetlefistournerenrondavantdel’embrassersurlefront.–Merci,Jacob.–Derien,monpote.Justecommenouspartions,Alyssaetmoi,jemarquaiuntempsd’arrêt.–Aufait,Jacob,attends.Jemislamaindansmapochearrièreetensortisunmorceaudepapiersur lequel j’avaisnotéla
recettedemonmasquecapillaire.Ilsemitàricaner.–Tuattendaisquejet’embauchepourmedonnercetterecette,c’estça?–Iln’estpasimpossiblequej’aieenvisagédelagarderpourmoijusqu’àcequetum’embauches.Ilhochalatêted’unaircondescendant.–J’auraisfaitpareil.
***
AvecAlyssa,nousrestâmesenvilletoutelasoiréepourfêtermonpremierboulotofficieldechef.Nous atterrîmes dans un restau bas de gamme avec des hamburgers et desmontagnes de frites posésdevantnous,jouantàquipourraitenmangerleplussansserendremalade.
Pourlapremièrefois,j’avaisl’impressiond’êtredenouveauheureux.Mais j’auraisdûmedouterque celanedurerait pas.Parcequ’après leshauts, viennent toujours,
toujours,lesbas.–Tiens,tumangesicitoiaussi,fiston?Lavoixvenaitdederrièremoi,etmamâchoiresecontracta.Enmeretournant,jevismonpèrequi
mesouriait,ceconnard.Iltenaitunefilleparlesépaules,etquandjelaregardai,jelusdelapeurdanssesyeux.Enunéclairmerevintenmémoirelesoiroùj’avaisvucesyeuxpourlapremièrefois.
«Tusaisquetuasdetrèsbeauxyeux?dis-jepourchangerdesujet.
Jecommençaiàl’embrasserdanslecouenécoutantsesgémissements.–Bof,ilssontverts,c’esttout.Elleavaittort.Ilsétaientd’unvertcéladon,assezunique,avecunpeudegrisetdevert.–Ilyaquelquesannées,j’aivuundocumentairesurlapoteriechinoiseetcoréenne.Tesyeux
ontlacouleurdel’émailqu’ilsutilisaientdansleurspoteries.»–Salut.JedéglutispéniblementetdétachaimonregarddeSadie.–Quoideneuf?–Quoideneuf??Tudemandesquoideneuf, commesi tun’avaispasessayédedéclencherune
bagarreladernièrefoisqu’ons’estvus.Alyssaserrasonsaccontreelle,etjepusvoirunelueurdepaniquepasserdanssesyeux.Elleétait
terrorisée,toutcommeSadie.Monpèrefaisaitceteffetàlaplupartdesfemmesquil’approchaient.–Écoute,jeneveuxpasd’ennuis,jedisd’unevoixbasse.–Ah?Commeça,maintenantc’estmoiquicréelesennuis?ricana-t-il.Ilparlaitfortpourquetoutlemondesoit témoindenotreéchange.Ilétaitcommeça, toutpourla
frime.Aumomentoùjem’assis,ils’approchademoietmeregardadetoutesahauteur.–N’oubliepasquivousarecueillis,tamèreettoi,ilyadesannées,Logan,grommela-t-ild’unton
oùplanaitunemenace.Ilmefixad’unregardhaineuxpendantquelquesinstantsavantdemefaireunlargesourireetdeme
taperdansledos.–Jetefaismarcher,monpote.Onpeuts’asseoiràcôtédevous?Sansattendrelaréponse,ilseglissasurlabanquettedanslebox,àcôtéd’Alyssa.Elleseraiditet
j’eusl’impressionqu’elleallaitfondreenlarmes.Jeprissamaindanslamienneetexerçaiunelégèrepressionsursesdoigtsavantdel’attirerplusprèsdemoi.
J’avais enviedemebarrer etde ramenerAlyssachezelle. Jedétestais la capacitéqu’avaitmonpèredeprovoquerdesfrissonsdepeurchezlesfemmes.
–Jevousprésentemacopine,Sadie,dit-ilenlaprenantparlataillepourlaserrercontrelui.J’eusunmouvement de recul en sentant la colèremonter enmoi,mais jem’efforçai denepas y
céder.JetendislamainàSadie.–Enchanté.Ellenemeserrapaslamainetdétournalesyeux.Rickyparlaàsaplace.–Oh,non,non,non,jamaisdecontact.Jereconnaissaisdanssavoixl’inflexionmenaçantequ’elleprenait toujoursquandils’adressaità
ma mère. Cela avait de l’importance à ses yeux de passer pour un gros connard puissant, alors ilrabaissaitlesfemmespoursesentirfort.
Pourmoi,celalefaisaitjusteparaîtrefaible.–Sadien’aimepasqued’autreshommeslatouchent,pasvrai,Sadie?
Elleneréponditpas.Detoutefaçon,ilnelalaisseraitpasfaire.Sijeneluiavaispasparlél’autrejour à la gare, j’aurais pu croire qu’elle étaitmuette, vu qu’elle n’avait pas dit unmot depuis qu’ilsétaiententrésdanslerestaurant.
–Tuvoulaisquelquechose,Ricky?J’étaisdeplusenplusmalàl’aise.Illevalesmainsenguisedeprotestation.–Holà,étranger.Jevoulaisjustetedirebonjour.SontéléphonesemitàsonneretilregardaSadie.–Jedoisrépondre.Nebougepasd’ici.Ilselevaetsedirigeaverslasortiepourprendresonappel.JetournaibrusquementlesyeuxversSadie.–Qu’est-cequetufousaveclui,putain?C’estluilepetitamidonttum’asparlé?–Je…jenesavaispas…dit-elled’unevoixtremblante.Quandjet’aivuàlagare,j’essayaisdele
quitteret jevoulaisteledire.Maisjemesuisditqueçaneferaitquem’attirerdesennuis.Jeveuxlequittermaischaquefoisquej’essaie,ilenvoiedesmecspourmeretrouver.Jenepeuxpas…
–Est-cequ’iltefrappe?Ellebaissalesyeux.Jeprismonportefeuilledemapochearrièreetensortisquelquesbillets.–Tiens,prendsça.Montedanslepremierbusquetutrouvesetfichelecamploind’ici.Alyssame regarda attentivement,mais elle ne posa pas de questions. Ellemit unemain surma
jambepourmeréconforter.–Jenepeuxpaspartir.Jenepeuxpas,ditSadie,leslarmesauxyeux.–Pourquoi?–Jesuisenceinte,chuchota-t-elle.Jesuisenceinteetjen’ainullepartnipersonnechezquialler.Il
m’acoupéedemafamille.Iladétruittoutesmesrelations.Etmaintenant,jen’aiplusquelui.–Sadie,écoute-moi.Pourtongamin,lameilleurechosequetupuissesfaire,c’estdemonterdansun
busetdepartirsansteretourner.Tuneveuxpaséleverunenfantaveccethomme.J’aiétécetenfant.Tupeuxmecroire,çanesepasserapasbien.
Ellebaissalesyeuxentremblantlégèrement.–D’accord,murmura-t-elle.Alyssasemblaitlarguée,maisellegriffonnasonnumérodetéléphonesuruneservietteenpapier.– Si tu as besoin de quoi que ce soit, tu peuxm’ap-peler, moi ou Logan. Je t’ai mis nos deux
numérosdetéléphone.Sadieessuyaseslarmes.–Pourquoiêtes-voussigentilsavecmoi?Vousmeconnaissezàpeine.–Quoi ? Bien sûr que je te connais. Tum’as appris l’espagnol, dis-je en rigolant pour essayer
d’allégerl’atmosphère.Ellemefitunpetitsourireetempochal’argent.–Sorsparlaportedederrière,danslacuisine.Jepeuxt’accompagnersituveux.
Jemelevai,laprisparlamainetl’emmenaiverslefonddelasalle.Nousyétionspresquequand,toutàcoup,jesentisqu’onlatiraitenarrière.
–Bordel!Tusaiscequeçaveutdire,«nebougepasd’ici»?Monpèreluipassaunbrasautourdelatailleetillaserrasifortquejevispasserladouleurdans
sesyeux.–Onyva.Sadiemelançaunregardimplorant,etjefisunpasenavant.–Jenecroispasqu’elleveuillealleravectoi.–Pardon?Illuipassalamaindanslescheveuxetlaserraunpeuplusfortcontrelui.–Tuneveuxpasveniravecmoi?Elleneditrien.Monpèrepoursuivit.–Avectoutcequejefaispourtoi,Sadie,c’estcommeçaquetumeremercies?Jet’aime.Tunele
saispas?Ilsepenchaetl’embrassa,delamêmefaçonqu’ilembrassaitmamèreàl’époqueoùill’abreuvait
demensongespourladominer.Elleluirenditsonbaiser,elleaussi,exactementcommemamèrefaisait.Àcetinstant,jesusqueSadienelequitteraitpas.Elleétaitbientropempêtréedanssatoile.
–Onreprendracetteconversationplustard,Logan,medit-il.Celaressemblaitplusàunemenacequ’àuneinvitationpourunejoyeuseréuniondefamille.Jen’étaispasétonné,cependant.Monpèrenecon-naissaitrienaubonheur,maisc’étaitunexperten
catastrophes.Quand ilspartirent, jemesentisdégoûté. Jegardai le silence, faisantclaquer l’élastiquesurmon
poignet.Alyssavintversmoi.–Tuvasbien?Jesecouailatête.–Veux-tuquenoussortionsprendrel’air?–D’accord.Maiscen’étaitpasseulementd’airdont j’avaisbesoin.J’avaisbesoinquemonpèredisparaisse,
pourpermettreàtousceuxquicroisaientsonchemind’êtreenfinlibérésdeleurschaînes.
37ALYSSA
Une fois dehors,Logan serrait les poings, rouge de colère contre son père. J’ignorais ce qui s’étaitpasséentreSadieet lui,mais jevoyaisqu’ilavaitpeurpourelle.LaproximitédupèredeLoganétaitterrifiante,etjen’auraispasvouluêtreàlaplacedeSadie,incapabled’échapperàsonemprise.
–Çava?–J’aijustebesoind’unpeudetempspourmecalmer.Lesmainssur lanuque, il semità faire lescentpasdans leparking. Ilyavaitpleindevoitures
garées dans ce grand parking, les gens étaient sortis pour profiter de la douceur de l’air, pour serencontreret s’amuser, alorsqueLogan faisait tout lecontraire. Il sedébattait avec lesdémonsqui lehantaient.Ilméritaitdesoufflerunpeu.
Jem’adossaiaumurdubâtimentenattendantqu’ilsecalme.Ildonnaitdescoupsdepieddanslesgrandestouffesd’herbe.
–Tuasenviedeconsommer?–Ouaip,marmonna-t-ilenfermantlesyeuxetenmarchantencercle.Lepauvre.–Tusaiscequicequ’iltefaudraitpourquetutesentesmieux?–Euh,non.Maisjesuissûrquetuasuneidée?–Oh,ça,tupeuxmefaireconfiance!Jeleregardaidroitdanslesyeux.–Tum’écoutes?–Oui.–Non,jeveuxdire,est-cequetum’écoutes,vraiment?
Ilsemitàrire.Bien.J’étais tropcontentedel’entendrerire.Jememisàrireaussi.Jeris,parcequ’ilétaitsibeau.Jeris,parcequ’ilétaitmonamidenouveau.Jeris,parcequemoncœursavaitquecelaneseraitjamaissuffisantpourmoi.
–Oui,jet’écoute.Jemeredressaienbombantletorseetjedis:–Unkaraoké.–Oh,Seigneur,nonpasça.–Quoi?Allez!Tunetesouvienspasqu’onallaitaukaraokéquandonétaitplusjeunes?!Etquetu
faisais«BillyJean»deMichaelJackson,aveclesmouvementsdepelvisettout?Jerefislesmouvementsdehanchescommeillefaisaitàl’époque.Ilrigola.–Ouais.Jemesouviensaussiquej’étaisbourrédecokejusqu’auxyeuxquandjefaisaisça.–Quoi?Tuplanaisàcemoment-là?–Évidemment.Sinonjen’auraisjamaisacceptédefaireunkaraoké,tupeuxmecroire.–Oh.JepensaisseulementquetuétaisimpressionnéparleurscompilsdeMichaelJacksonetJustin
Bieber.Bref.Aujourd’hui,nousallonsallerfaireunkaraokéauO’Reilly.–Certainementpas.Jehochailatêteenprenantsesmainsdanslesmiennes.–Certainementsi.–Alyssa. J’apprécie tes efforts pourm’aider à allermieux et tout ça,mais sérieux, tu n’es pas
obligée.Jemesensmieux.Grâceàtoi.Etpuis,pourrienaumondejenereferaiunkaraoké.
38LOGAN
Jemeretrouvaiaukaraoké.JenesaiscommentAlyssaavaitréussiàmetraînersurlascènedubarO’Reillyetàmecollerunmicrodanslamain.Ellem’avaitpromisquenousferionsunduopourquejen’aiepasàchantertoutseul,maisquandmême,c’étaitplusfortquemoi,j’avaisunnœudàl’estomac.Sanshésiter,ellechoisitlachanson«LoveTheWayYouLie»parRihannaetEminem.
–Tuconnais lesparoles ?Moi, je la chante tout le temps en conduisant, alors je la connaisparcœur.
–Jepeuxsuivresurl’écran.Ellemefitunlargesourire.Jeluienfisunencorepluslarge.Monplusbeautrip.Quandlamusiquedémarraetquelesparolescommencèrentàapparaîtresurl’écran,aucunsonne
sortitdelabouched’Alyssanidelamienne.Lesclientsdubarsemirentàcrierpourqu’onchante,maisniellenimoinelefaisions.
LeDJarrêtalabandeetnousfitdegrandssignes.–Hum,voussavezquevousdevezouvrirlabouchepourchanter,hein?JeregardaiAlyssasanscomprendre.–Pourquoitun’aspaschanté?C’estécritquec’estlapartiedeRihanna.–Oh,maisjenechantepassapartie.J’aimelespassagesrappésdeEminem.–Quoi?(Jemerapprochaid’elle.)JenevaispaschanterlespassagesdeRihanna.–Etpourquoipas?–Parcequejenesuispasunenana.
–Maistuascettevoixmagnifique,hautperchée,Lo.Jepensequetuferaisunesuper-Rihanna,dit-elled’untonmoqueur.
–Jelancelereplayuneseulefois,lesgars.C’estmaintenantoujamais,ditleDJ.–Pasquestionquejefasseça,High.Nousnousfaisionsface,letorsebombé.–Ohmaissi,tuvaslefaire.–Non.–Si.Jesecouailatête.–Non.Ellehochalatête.–Si.–Alyssa.–Logan.–High.–Lo.L’intro commença à jouer et je continuai à secouer la tête de droite à gauchepour lui dire qu’il
n’étaitpasquestionquejelefasse,maisquandlapartiedeRihannadébuta,jemeretrouvaiaveclemicrodevant laboucheet jecommençaiàchanter lapartie fémininede lachanson,d’unevoixhautperchée,dansunetonalitémerdique.
Alyssa se couvrit la bouchepour retenir ses gloussements incontrôlables. Je lui lançai un regardassassinavantdemetournerfaceaupublicetd’assumerpleinementmapartféminine.Jetrouvaiquejenem’ensortaispasmaldutout.Jemedisquegrâceàmoinotreinterprétationseraitmagique.
Mais,soudain,quelquechoseseproduisit.Lecoupletd’EminemarrivaitetAlyssasetransformad’unefaçonquejen’avaisencorejamaisvue.
Ellefauchalacasquettedebase-ballduDJ,selavissadevantderrièresurlatêteetsemitàarpenterlascènede longen largeen impliquant lepubliceten leurdemandantd’agiter lesmainspendantqu’ellerappait.
Alyssa Marie Walters rappant comme Eminem. Et elle était incroyable, putain. Elle rentraitcomplètement dans le personnage, les gestes, les mimiques, elle y allait à fond. Elle était totalementdéchaînéeetsibelleàcemoment-là.Libre.
Quandvintlemomentdurefrain,ellemeregarda,etjerecommençaiàchanterd’unevoixdefaussetaffreuse.Etpuisellerappadenouveau,eninsistantbiensurchaquemot.
Quandonarrivaauderniercouplet,leplusdifficileàrapperpourelle,elleinspiraprofondément.Ellemeregardadroitdanslesyeuxetavantqu’ellecommence,lecoldesonT-shirtseretrouvaentreseslèvres.Elle hocha la tête une fois. Jehochai la tête une fois.Elle lâcha son col et semit à rapper lederniercoupletdirectementpourmoi.
Etc’étaitvachementsexy.
Soncorpssebalançaitd’avantenarrière,ellesefondaitdanslesmotset lesmots lapénétraient.Lorsqu’arriva la fin et qu’elle lâcha le micro, la foule se déchaîna. Je chantai le dernier refrain deRihannaenm’adressantàelle.
Aprèslafindelachanson,nousnepouvionsplusnousarrêterderire.Nousnousserrâmesdanslesbrasl’undel’autretrèsfort,etlesgensdanslepublicnousacclamèrentenréclamantunbis.
Nouschantâmescinqautreschansonsavantd’allernous isolerdansunbox,au fonddubar,pourarroserça.
Nousrestâmesunebonnepartiedelanuit,àbavarderdetoutetderien.Nousrîmesplusquenousnel’avionsfaitdepuisfortlongtemps.Pendantunmoment,cefutcommeavant.
Jem’imprégnaisdesesrires.Sessouriresfaisaientbattremoncœur.Jeregardaisbougerseslèvresalorsqu’elleme racontait une longuehistoire àproposde jene saisquoi.Pourdire lavérité, j’avaisarrêtéd’écouter.Depuisunbonmoment.Parcequemonespritétaitailleurs.
J’avaisenviedeluidirecequejeressentaispourelle,denouveau.J’avaisenviedeluidirequejeretombaisamoureuxd’elle,encoreunefois.J’avaisenviedeluidireàquelpointj’aimaistoujourssescheveuxfousetquej’aimaistoujourssabouchequibavardaittoujoursdetoutetderien.
J’avaisenviede…–Logan…murmura-t-elleensefigeantdanslebox.Sansquejem’enaperçoive,mamains’étaitposéesursesreinsetjel’attiraicontremoi.Meslèvres
étaient à quelques centimètres des siennes. Sa respiration haletante semélangeait à lamienne, et noscorpssemirentàtremblerl’uncontrel’autre.
–Qu’est-cequetufais?Qu’est-cequejefaisais?Pourquoinoslèvresétaient-ellessiproches?Pourquoinoscorpsétaient-
ils serrés l’un contre l’autre ? Pourquoi est-ce que je n’arrivais pas à détachermon regard du sien ?Pourquoiétais-jeentrainderetomberamoureuxdemameilleureamie,encoreunefois?
–Véritéoumensonge?–Mensonge.–Jenesuispasaccroàtonsourire.Tesyeuxnefontpasbattremoncœurplusvite.Tonrireneme
donnepasdefrissons.Tonshampooingparfuméàlapêchenemerendpasfou,etquandtumâchonneslecoldetonT-shirt,jenetombepasencoreplusamoureuxdetoi.Parcequenon,jenesuispasamoureuxdetoi.
Sarespirationsefitencorepluslourde.–Etlavérité?–Lavérité,c’estquejeteveux.Jeveuxquetureviennesdansmavie,etplusencore.Jen’arrête
pasdepenserà toi,High.Paspouréchapperà la réalité,maispour lavivre,aucontraire.Tuesmoncœur.Tuesmonâme.J’aienviedetoi.Jeveuxtoutdetoi.Etplusquetout,làtoutdesuite,j’aienviedet’embrasser.
–Lo…dit-elle d’une voixmal assurée.Tu es toujours la première personne à laquelle je pensequand jeme réveille.Tu es toujours le seul quimemanquedèsque tun’espas à côtédemoi.Tu es
toujourslaseulechosequiatoujourssemblébonnepourmoi.Etsij’étaisfranche,jediraisquej’aienviequetum’embrasses.Toutemavie,j’aieuenviequetum’embrasses.
J’entrelaçaimesdoigtsaveclessiens.–Nerveuse?–Nerveuse.Jehaussailesépaules.Ellehaussalesépaules.Jeris.Ellerit.J’entrouvrisleslèvres.Elleentrouvritleslèvres.Jemepenchaiverselle.Ellesepenchaversmoi.Et tous les jours passés qui avaient enflammé ma vie me revinrent en mémoire. Nous nous
embrassâmeslonguementdanscebox,rattrapanttoutesleserreursdenotreviepasséeetnouspardonnantmutuellementtoutesleserreursdenotreviefuture.
Cemomentétaitbeau.Ilétaitjuste.Ilétaitànous.Maisbiensûr,avecleshautsviennentlesbas,commetoujours.Letéléphoned’Alyssasemitàsonner,etnousnousécartâmesl’undel’autre.Quandellerépondit,
jevistoutdesuitequequelquechosen’allaitpas.–Qu’est-cequisepasseErika?Silence.–Commentilva?Monestomacseserraetjemeredressai.–Onarrive.Ok.Àtoutdesuite.–Qu’est-cequ’ilya?–C’estKellan.Ilestàl’hôpital.Ilfautqu’onyaille.Toutdesuite.
39LOGAN
–Ques’est-ilpassé?Jemeprécipitaidanslachambred’hôpitaldeKellan.Ilétaitcouchédanslelit,avecdesperfusionsdanslesbras.
–Kel,çava?–Jevaistrèsbien.Jenesaispaspourquoiellevousaappelés.Toutvabien.–Ilallaitdanslasalledebainsetils’estévanouidanslecouloir.Erika,assisesurunechaise,sebalançaitlégèrementd’avantenarrière,lesmainscoincéessousles
cuisses.–Jesuisrevenuàmoitoutdesuite.Jevaisbien.–Kellan!Tunepouvaisplusmarcherettunesavaispluscommentjem’appelais.Kellanouvrit la bouchepourparler,mais seul un soupir s’en échappa. Il ferma les yeux. Il était
fatigué. Il s’effondraitunpeupluschaque jouret jenepouvaism’empêcherdemedemanderquand lachimioallaitcommenceràfairedel’effet.Onauraitditqu’ellenefaisaitquel’affaiblir.
Erikaselevaetnousentraîna,Alyssaetmoi,verslefonddelachambrepournousparlerpendantqueKellans’endormait.Ellecroisalesbrasautourd’elleets’adossaaumurleplusproche.
– Les médecins font une nouvelle série d’examens. Mais il est terriblement faible et fatigué.L’infirmièreaditqu’ilpouvaitrentrercheznousavecunfauteuilroulant.Celal’aideraitàalleretvenir,maisilarefusé.Ilesttellementorgueilleux.Maisilluifaut…
Ellesepassalesmainssurlesyeuxavantdelesposersurlesommetdesoncrâne.–Ilabesoindenotreaide.Iln’estpasdugenreàreconnaîtrequ’ilabesoind’aide.C’esttoujours
luiquiaidelesautres.Maisilabesoindenous.Mêmes’ilessaiedenousrepousser.–Jesuislàpourtoi,jedis.Demande-moicequetuveux.Jesuislàpourlui.
Erika me fit un petit sourire tendu. Ses yeux étaient lourds. Elle manquait de sommeil. J’étaispratiquementcertainquequandKellanfermaitlesyeuxlesoir,lessiensdemeuraientgrandsouverts.
–Toiaussituasbesoind’aide,Erika.Tun’espasobligéedet’occuperdetout.Jesuislàpourça.–C’estjusteque…Savoixtremblait.EllejetaunregardversKellan.–C’estjustequ’ilesttempsderéaliserqueleschosesvontallerbeaucoupplusmalavantd’aller
mieux.Celamefaitpeur.Jesuisterrifiée.Logan,s’ilarrivaitquelquechose…s’illuiarrivaitquelquechose…
Ellefonditalorsenlarmeset,l’entraînanthorsdelachambre,danslecouloir,jelaprisdansmesbrasetlaserraifortcontremoi.
–Jenepeuxpasleperdre.Jenepeuxpas.Jen’avaisjamaisvuErikas’effondrer.Elleétaitcellequimaîtrisaittout.Lavoirdétruitecommeça
montraitàquelpointlasituationétaitgrave.Quandellesereprit,elles’écartademoietessuyaseslarmes.–Çava.Jevaisbien.Çavaaller,dit-ellepourserassurerelle-mêmeautantquenous.Ilsvontle
gardercettenuit.Jevaisresteraveclui.–Jepeuxrester.Jesaisqueladatedetesexamensapproche.–Non,çava.Jevaisbien.Çavaaller.–Sœurette,murmuraAlyssaenessuyantleslarmesdesasœur.–Jevaisbien.Vraiment.Rentrezàlamaison,touslesdeux.JevousenverraiunSMSs’ilyadu
changement.Jeregardailaportedelachambre.–Est-cequejepeuxallerlevoiruninstant?Elleacquiesça.–Oui,biensûr.Alyssa,tuviensavecmoivoirsiontrouveducafé?Elles s’éloignèrent toutes les deux, je rentrai dans la chambre et approchai une chaise du lit de
Kellan.Jeregardaisapoitrinemonteretdescendreaumilieudesbipsetduronronnementdesmachinesquil’entouraient.Lesimplefaitderespirersemblaitluidemanderuneffort.
–Tudors?–Non,jesomnolesimplement.J’écrasaimespoucessurmesyeuxpourcontenirmonémotion.–Qu’est-cequetufouslà,Kel?C’étaitmoiquidevaismeretrouverdanscegenred’endroit,tute
souviens?Pastoi.Ilmesouritfaiblement.–Jesaisbien.–Çava?Ilinspiraavecdifficulté.Semitàtousser.–Ouais,çava.
Iltournalatêteversmoi,etsesyeuxtoujoursaussigentilsmesourirent.–Jelatue,murmura-t-ilenfaisantallusionàErika.–Quoi?Maisnon.Ilsedétournapourdissimulerleslarmesquiroulaientsursesjoues.–Si.Çalatuedemeregardermourir.–Tunevaspasmourir,Kellan.Ilneréponditpas.–Hé!Tum’entends?Jetedisquenon,tunevaspasmourir.Dis-le.Ilregardaleplafond,puisfermalesyeux.Leslarmescontinuaientàcoulersursesjoues.–Jenevaispasmourir.–Encore.–Jenevaispasmourir.–Encoreunefois,frangin.–Jenevaispasmourir!–Bien. Et ne t’avise pas de l’oublier. Tout lemonde va bien.Nous allons tous surmonter cette
épreuveensemble.Jeprissamaindanslamienneetlaserrailégèrement,m’efforçantdeleréconforter.–Toutvabien.Tuasraison.Excuse-moi,jesuisjuste…–Fatigué?–Fatigué.Jedemeuraiauprèsdeluipluslongtempsquejen’avaispensélefaire.Lorsqu’Erikarevintdansla
chambre, je lui demandai si je pouvais rester avec lui cette nuit. Elle acquiesça etAlyssa décida derentreravecelle,pournepaslalaisserseule.
Jenedormispascettenuit-là.Jerestaiéveillépoursurveillerlesmachinesetlarespirationdemonfrère.
Quandlejourselevaetqu’ilouvritlesyeux,ilmefitundemi-sourire.–Rentreàlamaison.–Non.–Si.Vavivretavie,Logan.Tun’aspasquelqu’undonttudoistomberamoureux?–Qu’est-cequetucroisquejefais,encemoment?Je posai la tête sur son lit. Ilme sourit et haussa son épaule droite. Je lui souris et haussaimon
épaulegauche.
***
J’auraisaimépouvoirdirequeleschosesallaientmieuxpourKellan,maisilapparaissaitqu’ellesnefaisaientqu’empirer.Mêmes’iln’étaitpasà l’hôpital, ilpassait leplusclairdeson tempscouché.Mon frère qui souriait tout le temps était en train de devenir une personnequi nemontrait plus aucun
sentiment.Lui,d’habitudesidélicat,parlaitdurementàErika,quoiqu’ellefasse,cequinefaisaitquelarendreencoreplusnerveuse.
C’étaitdéchirant,parcequ’ellefaisaitvraimenttoutcequ’ellepouvait.Moi,ilnemecriaitjamaisdessus,etj’envenaispresqueàleregretter.Erikasemblaitauborddela
dépression.Larentréeuniversitaireallaitbientôtarriveretellesemblaitdébordéeparleshorairesdesescours, en plus du fait qu’elle avait échoué à ses cours d’été pour sonmaster. Elle était extrêmementstressée.
–Invite-laàsortir,soupiraKellanpendantquejel’installaissurlecanapédusalon.Ilenavaitmarrederegarderlesmursdesachambre,celalerendaitunpeuclaustrophobe.–Inviterqui?Ilmeregardad’unairdediretusaisbiendequijeparle.–Alyssa.Surlatablebasse,ilyadeuxbilletspourl’OpéradeChicago,pourcesoir.Ilyaaussi
une réservationpourunenuit d’hôtel. Je crois que cela lui plairait.Erika etmoidevionsy aller pournotrelunedemielmais…
Ilsetutetfermalesyeux.–Emmène-la.–Jenevaispasconduirejusqu’àChicagoetpasserlanuitlà-basalorsquetunevaspastrèsbien.–Si.–Non.Tuaseutachimiohier.Tuestoujoursmaladequelquesjoursaprès.–Jevaisbien.EtpuisErikas’occuperademoi.–Kellan.–Logan.Ilseredressapours’asseoirsurlecanapé.–Tuasledroitd’êtreheureux.–Jesuisheureux.–Non.Tusurvis.Tufaislesgestesdelavie.Cequisecomprend.Aprèstoutcequetuastraversé,
toutcequetuasvu,c’étaitdevenucommeuneroutinemalsainedonttunepouvaispast’extraire.Maislaseuleépoqueoùjet’aivuheureux–jeveuxdirevraimentheureux–c’étaitquandtuétaisavecAlyssa.
–Arrête,Kellan.–Tutesouviensquandtuesvenumesupplierdetedonnerdel’argentpour t’acheteruncostume
justepourpouvoirl’emmeneràunrécitaldepianoàChicago?Tuétaisrayonnantd’espoir.Jenet’avaisjamaisvuaussioptimisteavantça.
–Etj’avaisraison.L’espoirestunepertedetemps.Rappelle-toiqu’elleetmoinesommesjamaisallésjusqu’àChicagoparcequeRickym’avaitfoutulesboulesetquej’aiplongéàmort?
Illevalesyeuxauciel.–Tun’espluscommeça.Invite-laàsortir.–Non.–Si.
–Non.–Si.–Non!–J’aiuncancer.Jelevaislesyeuxauciel.–Hémec,ça,c’estuncoupbas.Pendantcombiendetempstuvasnousfairelecoupducancer?Ilmesouritettenditlamainversmoipourmetapersurl’épaule–Invite-laàsortir,d’accord?Jehochailatête.–D’accord.
40ALYSSA
–Salut,jedisd’unevoixrauqueenvoyantLogansousmonporcheencostumeetnœudpapillon.Sescheveuxétaientrejetésenarrière,brillantsdegel,etilrayonnait.
–Tuesbelle,dit-ilenobservantmalonguerobenoire.Trèsbelle.Jerougis.–Toiaussi.Jeveuxdire,beau.Tuestrèsbeau.Iltenditlebrasetpritmamaindanslasienne.Ilmeguidajusqu’àlavoiture,ouvritlaportièreet
m’aidaàmonter.Moncœurcognaitdansmapoitrineetlespapillonsdansmonestomacsetransformèrentbizarrementendragonsquim’enflammèrent.J’avaisletrac.
Quandilm’avaitdemandésijevoulaisveniravecluiàChicagopourécouterunopéra,j’avaisdûmepincerpourêtresûrequejenerêvaispas.Nousn’avionsjamaispusortirensembledansdesendroitschic. Nous n’avions jamais pu tomber amoureux comme nous le méritions vraiment. Alors, le faitqu’aujourd’huiLoganporteuncostumequin’étaitpas tropgrandpour luietque jeporteune robequiétaitbientropchicpourmoi,c’étaitincroyable.
Jet’aimetoujours…–Tuescontente?demanda-t-ilalorsquenousroulionssurl’autoroute.–Oui.Jet’aimetoujours…–C’estlapremièrefoisquejefaisuntruccommeça,tusais?Allervoirunopéra.Jeveuxdire,je
suis allé écouter tes récitals de piano, qui étaient à couper le souffle,mais je n’ai jamais vu un truccommeça.
–Tuvasadorer.Quandj’étaisàlafac,nousdevionsalleràdesspectaclespourundemescoursdemusique.L’opéra,c’estuneexpérienceunique.
Ilsourit.–Mercideveniravecmoi,High.Chaquefoisqu’ilm’appelaitHigh,j’avaisl’impressiond’avoirdix-huitansdenouveau.La représentation étaitmerveilleuse, et alors que nous regardions, assis dans notre loge, j’avais
remarquéqueLoganétaitcomplètementabsorbéparl’action.Ilnequittaitpaslesacteursdesyeuxetmoi,jenelequittaispasdesyeux,lui.C’étaitfou,cequisepassait.Commentseulcegarçonpouvait-il,aprèstoutescesannées,contrôlerchaquebattementdemoncœur.
Après le spectacle, nousmarchâmes dans les rues de Chicago, en cette soirée d’automne. Nousétionssiprèsl’undel’autreque,detempsentemps,nosbrassefrôlaient.Notrehôtelétaitsituéjusteenbasdelarueoùsetrouvaitl’Opéra,cequiétaitmerveilleux.
–Jetrouvequ’ErikaetKellansontstressés,ditLoganenmetirantdemespensées.–Ouiterriblement.Erikam’aappeléel’autresoirdesavoiture.Ellepleuraittoutesleslarmesde
soncorps.Elleal’impressionqu’elleestauboutdurouleauetqueKellanlarejette.–Tucroisqu’illarejettevraiment?–Jenesaispas.Jepensequ’ilajustepeur.–Ouais,moiaussi.Jemedisais…Nousdevrionsfairequelquechosepoureux.Jenesaispasquoi,
maisjevoudraisfairequelquechosepourlesaideràallermieux.–C’estunesuper-idée.Jepoussailaported’entréedel’hôtel.–Etjecroisque…–Jesuistoujoursamoureuxdetoi.Quoi?Est-cequej’avaisprononcétouthautlesmotsquiavaienttournédansmatêtependant
toutelasoirée?Lesmotsquejegardaisenmoidepuiscinqans?Non,ilsn’étaientpassortisdemeslèvres.Je pivotai lentement sur moi-même et regardai fixement Logan qui se tenait derrière moi sur le
trottoir,lesmainsenfoncéesdanslespochesdesonpantalon.Ilsebalançaitd’unpiedsurl’autre.–Quoi?jedis,lecœurbattant.–Jesuistoujoursamoureuxdetoi.Ils’approchademoi.–J’aiessayédemettreuntermeàcetamour.J’aiessayédel’ignorer.J’aiessayédelerepousser,
maisilneveutpass’enaller.Dèsquetuesprèsdemoi,jeteveuxencoreplusprès.Chaquefoisqueturis,jevoudraisquecesonnes’arrêtejamais.Quandtuestriste,j’aienviedesécherteslarmesparmesbaisers.Jeconnaistouteslesraisonspourlesquellesjen’aipasledroitdevouloirêtreavectoi.Jesaisquejeneserai jamaispardonnépourcequej’aifait ilya toutescesannées,maisjesaisaussiquejet’aimetoujours.Tuestoujourslefeuquimeréchauffequandlaviedevientfroide.Tuestoujourslavoixquimaintientlesténèbresàdistance.Tuestoujourslaraisonpourlaquellemoncœurbat.Tuestoujoursl’air qui gonfle mes poumons. Tu es toujours mon plus beau trip. Et je suis toujours sincèrement,
follement, douloureusement amoureux de toi. Et je ne vois pas comment je pourrais, un jour, ne plusl’être.
–Logan…Ilcontinuait àavancerversmoi, etmoncœurbattait tellement fortqu’ilmesemblaitque j’allais
m’évanouir.–Alyssa…–Lo…Lentement,j’entrelaçaimesdoigtsaveclessiens.–High.Lui.Moi.Nous.Nousnousapprochâmesencoreplus.Noscorpss’enlacèrentet,enposantmesdoigtssursontorse,
jesentisqu’iltremblait.–Nerveux?–Nerveux.Meslèvress’approchèrentàquelquesmillimètresdessiennes.Sarespirationdevintlamienne,etla
miennedevintsienne.Ilétaitmonassistancerespiratoire,c’est luiquicontrôlait lesbattementsdemoncœur,encoreettoujours.
Jehaussailesépaules.Ilhaussalesépaules.Jeris.Ilrit.J’entrouvrisleslèvres.Ilentrouvritleslèvres.Jepenchailatête.Ilpenchalatête.Nousétionstoujourstellementamoureux.
***
Pendantquelquesbrefsmoments,ilm’ouvritlesportesdesoncœuretjel’autorisaiàpénétrerdanslemien.Sapeaurencontramapeau,seslèvressejoignirentauxmiennes.Cettenuit-là,nousnoussommescramponnésl’unàl’autre.Nousavonsempêchénosespritsdedivaguer.Nousn’avonspasparléd’hieretnousavonsrefusédeparlerdedemain.
Maiscelanenousapasempêchésdenoussouvenirniderêver.Nousnoussommessouvenusdetoutcequenousavionsétéetnousavonsrêvédetoutcequenous
pourrionsdevenirun jour.Chaque foisqu’ilmepénétrait, jemurmurais sonnom.Chaque foisqu’il se
retirait,ilmurmuraitlemien.–Jet’aime,luidis-jedoucementàl’oreille.–Jet’aime,répondit-ildélicatementenm’embrassantdanslecou.Nousnoussommesaiméscettenuit-là.Nousnoussommesaiméssanscontrainte,sansretenue,sans
peur.Nousnoussommesaimésdanschaquebaiser,chaquecaresse,chaqueorgasme.Nousavonsaiméladouleur,nousavonsaimélescicatrices,nousavonsaiménotrefeuardentquine
pourraitjamaiss’éteindre.Nousavonsaimécettenuit.Oui…Nousavonsaimétrèslentement.
***
Enmeréveillant,j’avaistoujourslesentimentderêverparcequejemeréveillaisdanssesbras.Ilavaitlesyeuxouvertsetilposadélicatementunbaisersurmonfront.
–Salut.Jemefrottailesyeuxenbâillant.–Salut.–C’estl’heuredeselever?–Non,dit-ilensecouantlatête.Iln’estquetroisheuresdumatin.Jemeredressai,sentantl’inquiétudemonterenmoi.–Qu’est-cequinevapas?–Rien.–Logan.Dis-moi.–Jesuisinquiet,c’esttout.Kellanaeusachimiohier,etdepuisquejesuisrevenu,j’aitoujoursété
présent.Illuiarrived’êtremaladeaumilieudelanuit,alorsjesuisinquiet,c’esttout.Jemelevaietcommençaiàramassersesaffaires,puisj’enfilaimesvêtements.–Qu’est-cequetufais?Sonpantalonluiarrivaenpleinefigure.–Habille-toi.Onrentre.Nousrestâmessilencieuxpendanttoutletrajetduretour,maisilmetintlamaintoutletemps.Cela
peutparaîtreidiot,maispendantceretourenvoiture,jemesentisplusamoureusedeluiquejamais.Ilsegaradevantchezmoipourmedéposeretsepenchapourm’embrasser.
Commej’aimaissesbaisers!–Appelle-moisituasbesoindequoiquecesoit.Lecielétaittoujoursobscur,lesoleiltoujoursendormi.Ilpromitdemeteniraucourant.–Aufait,j’aiquelquechosepourtoi.JefouillaidansmonvolumineuxsacàmainetensortisunepiledeDVD.
– Je les ai rassemblés au cours des années qui viennent de s’écouler en me disant que cesdocumentairespourraientt’intéresser.J’enairegardéquelques-unsetjelesaiadorés.Monpréféré,c’estceluisurlephénix,ilm’afaitpenseràtoi.
Ilouvritlabouche,savoixétaitmalassurée.–Pourquoin’as-tujamaisbaissélesbras?Jehaussailesépaules.–Parcequecertaineschoses–lesmeilleures–valenttoujourslapeinequ’onsebattepourelles.Jel’embrassaietm’apprêtaiàdescendredelavoiture.–High?IlouvritlaboîteàgantsetensortitunDVD.–Tiens,c’estpourtoi.–Qu’est-cequec’est?–J’aifaitundocumentairependantquej’étaisdansl’Iowa.–Quoi?Surquoi?–Nous,répondit-ild’unevoixtimide.Celas’appelleHautsetBas.Tuytrouverasuneréponseà
chacundesmessagesquetum’aslaissés.Millequatre-vingt-dixréponses.Plusquelquesmomentsentredeux.
–Lo…–Toutn’estpasbon,maisc’estsincère.C’estsansfioritures.Mais j’aipenséqu’il fallaitque tu
sachesquej’avaisrépondu.Àchacundetesmessages.Etjevoudraisquetusachesquec’estgrâceàtoiquej’aipusurmonterchaquesecondedecetteépreuvepourdevenirclean.Tavoixm’asauvé.
Àlaminutemêmeoùjerentraichezmoi,jemisleDVDdansmonportableetjeretinsmonsoufflependantuneheured’affilée.Pour certaines réponses, il s’adressait directement àmoi,pourd’autres ilparlaitsimplementàlacaméra,commedansunesortedejournalintime.Touteslesréponsesmedisaientcequej’auraisvouluentendreilyavaittoutescesannées.Chacuned’entreellesillustraitlafaçondontmoncœuravaitsaignépendantcinqans,sansinterruption.
RÉPONSE1
Excuse-moi.Excuse-moi.Excuse-moi.Jesuistellementdésolé,High…putain…
RÉPONSE56
Celafaitcinquante-sixjoursquejesuisencure,etjemesensseul.Jenesaistoujourspascequetout cela signifie. Je suis vivant, je suismort. J’inspire, j’expire. La seule idée de l’existencem’atoujoursétésiétrangère.Maistuesarrivéedansmavieunjour,ettouts’estmisàprendreunpeuplusdesens.
Peut-être que le but de la vie, c’est de nous apprendre que nous ne serons pas toujours noserreurspassées.Peut-êtrequelebutdelavie,c’estdenousouvrirauxchosesquinousfontlepluspeur–commel’amour.
Peut-êtrequeleseulbutdemavie,c’étaitdeteren-contrer,mêmesicelanedevaitpasdurertoujours.
Etcettepenséesuffitàm’aideràacceptertoutescesnuitsdesolitude.
RÉPONSE232
Lebébéauraitdûnaîtrecemois-ci.Tum’aslaisséunmessagepourmeledire,maisjelesavaisdéjà.Jen’arrivepasàdormir.Jen’arrivepasàmanger.Jen’arrêtepasdem’imaginerallongéprèsdetoi,tetenantserréecontremoi.Maisjenevaistoujourspasmieux.Jesuistoujoursaussipaumé.Jenesuispasencoreassezfortpourt’aimercommetulemérites.Alors,j’attends.Jusqu’àcequetupuissesêtrefièredemoi.
RÉPONSE435
Alors,voilàmonappartement.Jenesaispassijetel’aidéjàmontré,maislevoilà.Ilyatoutlenécessaire.Kellanm’aaidé.Là-bas,tuverrasJordy,lasouris.Ellevientjouerdetempsentemps.Etc’estàpeuprèstout.C’estpetit,maisc’estchezmoi,j’imagine.
Jesaisquetum’enveux.Maistumemanquestellementquej’aidumalàres-pirercertainssoirs.Jem’allongesurlelitetjepenseàtoi.
RÉPONSE1090
Tuasditquetun’appelleraisplus.Jesuisheureuxdel’entendremais,enmêmetemps,celamefoutenl’air.Jeveuxquetusoisheureuse.Jeveuxquetutrouvesquelqu’undignedet’aimer.Jeveuxquetutombesamoureused’uncœurquibatcommelemienbatpourtoi.Jeveuxqueturiestropfort,etjeveuxquequelqu’untombeamoureuxdetonrire,commemoij’ensuisamoureux.
Jeveuxquetuaiesta«happyend».Jeveuxquetutourneslapage.Touslesjours,jemedisquejenesuisplusamoureuxdetoi,quej’aitournélapage.Mais, quelque part, ce n’est pas vrai. Cela arrive tous les jours, juste aumoment où je vais
fermerlesyeuxpourdormir.Jevoistonvisage,tonsourire,tonâme,etdanslecalmedelanuit,jetombedenouveauamoureuxdetoi.
J’espèrequecelanechangerajamais.Et,égoïstement,j’espèrequequelquepartaufonddetoi,tum’aimestoujours.
41LOGAN
LorsquejerentraichezKellan, jemarquaiuntempsd’arrêtenentendantquelqu’unquigerbait.Jemeprécipitaidans lasalledebainsd’oùvenait lebruitet trouvaiKellanàgenouxdevant les toilettes,entraindevomirtripesetboyaux.
–Oh,monDieu,Kel.Jesaisisuneserviettedetoilettequej’humidifiai.Jemepenchaisurlui.Ilétaitsecouédespasmes,
n’ayantplusrienàvomir.–Çava,marmonna-t-ilentredeuxspasmes.Je posai lamain sur son dos. Il n’y avait pas grand-chose d’autre à faire que d’être là pour le
soutenirpendantlacrise.–Quesepasse-t-il?Erika,affolée,passalatêtedanslaporte.Sesyeuxs’arrondirentpendantqu’ellesedemandaitquoi
faire,resterdanslasalledebainsavecKellanouallerdanslesalon.–Pourquoinem’as-tupasréveillée?–Jeviensjustederentrer.Ellesepassalesmainsdanslescheveux.–Ok.Ilfautluidonneruncachetcontrelanausée.Elles’enallabrusquementenmartelantleplancherdesespiedsnus,puisrevintavecunverred’eau
etunepetitepilulerose.–Prendsça,Kellan.–Non,murmura-t-il.Jen’enveuxpas.–Celavacalmerlanausée.–Jen’enveuxpas.
Lementond’Erikasemitàtrembleretellepoussaleverreetlecachetverslui.–Allez,Kel!Çava…–Fiche-moilapaix!hurla-t-ilenfaisantvolerleverrequiallas’écraserausolenmillemorceaux.Erika recula avec une grimace. Ses lèvres tremblèrent en laissant échapper un souffle irrégulier.
Elleposalecachetsurleborddulavabo.–Jelemetslà,situenasbesoin.Aprèsque j’eus aidéKellan à rejoindre sa chambre, il consentit àprendre lemédicament. Je fis
quelquespashésitantsverslacuisineoùjeretrouvaiErikaquis’af-fairaitdevantsesplacards.Elleétaitentraindevideruncartondeverres,posédevantelle.
–Ilestfatigué,c’esttout,Erika.Ellehochalatêteplusieursfois,ensepassantlesmainsdanslescheveux.–Ouais,jesais,jesais.Çava.Jevoulaisjusteremplacercesverresavantdemain.Jesuisvraiment
heureused’avoirachetéceux-là.Jesavaisqu’ilsserviraientet,enfait,ilssontmieuxquelesautres.Jenesaispaspourquoijenelesaipaschangésplustôt.
Elle referma le carton après avoir échangé tous lesverres, puis elle alla seplanter aumilieudusalon,lesmainssurleshanches,leregardvide.
–Qu’est-cequetufais?– Jepenseque si je déplaçais le canapépourqu’il soit face à l’est, il y aurait plusdegensqui
pourraientregarderlatélévision.Oui,jecroisquec’estunebonneidée.–Erika.–Oualors,jedevraispeut-êtreacheterunnouveaupostedetélévision.J’aivudanslejournalqu’il
yavaitdespromotionset…–Erika,arrête.Retournetecoucher.–Non.Toutvabien.Ilfautquejeramasseleverrecassédanslasalledebains.Sérieux,c’estune
chancequej’avaisdesverresderechange.–Erika.Elleéclataensanglotsencouvrantsonvisagedesesmains.Seigneur.–Pourquoiiln’estpascommeçaavectoi,hein?Pourquoiilnehurlepas…Pourquoiilne…–Moi je suis déjàparti, une fois, et sansprojet de retour. Il penseprobablementque je partirai
encore.Oupire,quejerecommenceraiàconsommer.–Jen’enpeuxplus.Jen’enpeuxvraimentplus.Jenesuispasprêtepourlarentrée.J’aiéchouéà
mes cours du soir cet été. Échoué.Moi qui n’ai jamais rien raté dansma vie. Et en plus,maintenantKellandevientméchant.Méchant.Kellann’ajamaisétéméchantavant.Jenesaispascombiendetempsjevaistenir.
Ellecontinuaàsangloter,et,naturellement,jelaprisdansmesbras.Jenesavaispastropquoidire,ouquelgenrederéconfortjepouvaisluiapporter.Ellen’avaitpas
tort. On avait l’impression que Kellan devenait plus désagréable avec elle de jour en jour et larepoussait.
–Tuveuxfumerdel’herbe?Elles’écartademoietfitnonenpenchantlatête.–Non,Logan.Jeneveuxpasfumerdel’herbe.–D’accord.Silence.–Tuveuxtesoûlerlagueule?Elleplissalesyeux,sepinçalalèvreinférieureetdansad’unpiedsurl’autre,l’airderéfléchirà
maproposition.
***
Nous étions assis sur la terrassedepuis trois quarts d’heure et, pour la première fois demavie,j’avaisuneErikasoûledevantmoi.Sonrirerésonnaitdanslejardinderrièrelamaisonet,detempsentemps,ellepoussaitungrognementavantdereprendreunegorgéeaugoulotdesabouteilledewhisky.Jefumaisunjoint,cequimemettaitdebonnehumeur.
–C’esttoilemeilleur,dit-elleenmedonnantuneclaquesurlajambe.–Arrête,tumedétestes.–C’estvrai.Jetedéteste.Elleessayademepiquermonjoint,maisjeserraileslèvres,refusantdelelâcher.–Jecroisquetuferaismieuxdet’entenirauwhisky.–Jecroisquetuferaismieuxdet’entenirauwhisky,répéta-t-elleensemoquantdemoi,avantde
seremettreàrire.–Tusaiscequejedétestelepluscheztoi?–Non,c’estquoi?–Toutlemondet’adore,quoiquetufasses.–C’estdesconneries.–Non.Ellehochalatête.– C’est vrai. Surtout Kellan et ma sœur. Ils te considèrent comme une espèce de dieu. Logan
Silverstonenepeutrienfairedemal!Touslesdeux,ilst’aimentbienplusqu’ilsnem’aimerontjamais.Jefronçailessourcils.–Cen’estpasvrai.–Biensûrquec’estvrai.Jeveuxdire,ilfautregarderleschosesenface.Tuasbousillélavoiture
deKellan.Tuasfoutu le feuàmonpremierappartement.Tuasbrisé lecœurdemasœurquand tuasfoncédansunmur.Tuasfichulecamp,tul’asignoréependantdesannées,etpourtant,ellet’épouseraitdemainsituleluidemandais,purée.IlnesepassepasunjoursansqueKellanmentionnetonnom.Tamèrepleurait tous les joursaprès tondépart.Avantque tondinguedepèrene la fasse replongerdanscettemerdeetl’envoieàl’hôpital.Oublielamerdequetuconsommaisetquit’aenvoyéendésintox.En
vérité,ladroguelapluspuissantedanscepetitcercledegens,c’esttoi.Ilssontaccrosàtoi,etilsn’ontpasl’intentiond’arrêterdeconsommer.
J’avaislagorgesècheetdeladifficultéàdéglutir.–Qu’est-cequetuviensdedire?–Heu,untasdechoses.Tuveuxquejerépètetout?Jesecouailatête.–Non.Justelepassageàproposdemamère.Monpèrel’aenvoyéeàl’hôpital?Erikarelevalesyeuxbrusquementetmeregardafixement.–Oh,bonsang!Lesyeuxexorbités,ellesecoualatête.–Ne leur dis pas que je t’ai parlé de ça. S’il te plaît. Ils ne voulaient pas que tu le saches, ils
disaientquetuallaisculpabiliserparcequetun’étaispaslà.Jet’ensupplie,neleurdisrien.J’éteignismonjoint,melevaietrentraidanslamaison.–Vatecoucher,Erika.
42ALYSSA
Lelendemain,Loganmedemandadel’accompagnerpourrendrevisiteàsamère.NousnousarrêtâmesenrouteauBistroBropourluiprendreàmanger,etjel’attendisdanslavoiturependantqu’ilentraitdansle restaurant. Tout à coup, j’entendis des cris qui provenaient d’une petite rue voisine. Je descendisrapidement de la voiture etmedirigeai vers les cris.Mon cœur soudain fit unbonddansmapoitrinequandjevislepèredeLoganentraindehurler,penchésurSadie.Elleétaitappuyée,toutetremblante,contrelemurdelaboutiquequifaisaitlecoin.
–Jesuisdésolée,cria-t-ellequandillevalamainsurelleetlagiflaavecforce.Jel’entendisgémir,etelleselaissaglisserlelongdumurpourseplacerenpositionfœtale.–Hé!Jememisàcourirverseuxdanslaruellesombreenhurlant.–Laissez-la.Ill’emprisonnadanssesbrasentournantversmoidesyeuxinjectésdesang,froidsetvicieux.–Dégage!m’ordonna-t-il.QuandjecroisaileregarddeSadie,jen’yvisquedelafrayeur.Leshématomesquiseformaient
déjàsursonvisagemeserrèrentl’estomac.Jenesavaispasquoifaireenlevoyantsepenchersurelleetluimurmurerquelquechoseàl’oreillequilafitserecroquevillerdeterreur.
–Laissez-latranquille,connard!Illuisaisitlespoignetsetl’entraînadansladirectionopposée.–Espèced’idiote,luimurmura-t-ilenlatirantparlebras.Sans réfléchir, jemeprécipitaidans la ruelle, le rattrapaiet luidonnaiuncoupdepoingdans le
dos.–Lâchez-la!
Illuilâchalamainet,sansl’ombred’unehésitation,seretournabrusquementetmebalançauncoupdepoingdanslafigurequim’envoyavaldinguercontrelemur.Jeperdisl’équilibreetm’écroulaisurlesol.
Avantdepouvoirmeremettredebout,jevisLoganarriverentrombedanslaruelle.Ilseprécipitasursonpèreetluiflanquauncoupdepoingdanslamâchoirequilefittomberàlarenverse.Sadiecourutaussitôtversmoipourm’aideràmerelever.
–Çava?demanda-elle,paniquée.J’allaisbien,àpartquej’étaischoquéeparcequivenaitdesepasser.–Çava,jevaisbien.JecherchaiLogandesyeux.Jelevispenchésursonpère,entraindeluibourrerlevisagedecoupsdepoing,encoreetencore.
Leregarddur,froid,ilfrappaitsanss’arrêter.–Logan,non!Jetiraisonbrasenarrière.Ilavaitleregardfou,unfeuintérieurleconsumait.Logan.Lo.MonLo,sidouloureux.–Logan,çasuffit.Ilestinconscient.Çava.Jem’efforçaideparlerd’unevoixcalme,évitantdeluimontreràquelpointj’étaisterrifiée.Ilallait
recommenceràlefrapper,maisjeretinssonbras.–Regarde-moi,Lo.S’ilteplaît.Logan,tun’espascommelui.Ilmarquauntempsd’arrêt.–Tun’espaslui.Tun’espastonpère.Ils’immobilisa.–Toutvabien,LoganFrancisSilverstone.Leslarmescoulaientsurmajoue.–Toutvabien.Donne-moitamain.Ilpritmamain.Jel’aidaiàserelever.Je le regardai prendre une profonde inspiration en s’écartant de Ricky. Il regarda fixement ses
jointurestuméfiées.Jevoulusluiprendrelesmains,maisilsedégageabrusquement.Àcemoment-là,sonregardtombasurlevisagedeSadiequiétaitpresqueenaussimauvaisétatqueceluidesonpère.
–Merde.Venez,dit-ilens’éloignant.JelesuivisavecSadieetilnousemmenaaucabinetdeJC.Iltambourinaàlaporte,etJCdescendit
avantd’ouvrirlaporteenpyjama.–C’estquoicebazar,Logan?Onestdimanche.Ledimanche,c’estfaitpoursereposer.Loganneditrienmaisfitunpasdecôtépourqu’ilnousvoie,Sadieetmoi.–Merde,murmuraJC.Entrez.
Nous restâmes le tempsqu’il fallait pourqu’il nous soigne, et JC s’assuraque le bébédeSadieallaitbien.Enrepartant,jedisàSadiequ’ellepouvaitvenirchezmoi,maisavantdepouvoirrépondre,ellereçutuntextodeRicky.
Ricky:Disàtonhérosqu’ilvapayerpourça.Encommençantparsamère.–Oh,non,jemurmurai,etlesyeuxdeLogans’agrandirentdepeur.Appellelesflics.
43LOGAN
Jemeprécipitaichezmamèreetj’ouvrislaporte,horsd’haleine.–M’man!Oùest-il?Moncœurfaillits’arrêterdebattrequandjelavissurlesol,aveclediableenpersonnequiluidonnaitdescoupsdepieddansleventre.Jemejetaisurluiet,detoutesmesforces,jel’envoyaivalserdel’autrecôtédelapièce.Jerevinsprécipitammentversmamèrepouressayerdelaréanimer.
Jel’entendissereleverderrièremoienricanant.–Ehbien,envoilàunejolieréuniondefamille!Net’enfaispaspourtamaman.Ellefaitjusteune
petitesieste.Je me relevai et marchai vers lui à grands pas, prêt à le plaquer au sol, mais je m’arrêtai en
entendantAlyssadansmatête.Tun’espastonpère.–Fiche-nouslapaixunebonnefoispourtoutes,Ricky.Ilavaitl’aird’uneépave,commes’ils’étaitmisàabuserlui-mêmedesapropredrogue.– Pas avant d’avoir récupéré Sadie. Tu t’es bien amusé.Maintenant, rends-la-moi, hurla-t-il en
s’avançantversmoi,l’airmenaçant.–Ricky…tuasbesoindetefaireaider,monvieux.–Vatefairefoutre,connard.Rends-moiSadie.–Ellenet’appartientpas.Ellen’iranullepartavectoi.Ilsepassalamaindanslescheveuxentirantdessusderage.–J’étaislàpourtoi,mongarçon!Quandtun’avaispersonne,jet’aiprissousmonaile.–Pourmerendreaccroàladrogue?Ouais,tuparlesd’uncadeau!Ilsejetasurmoietm’attrapaparlecouavantd’appuyersonfrontcontrelemien.–Necroispasquetupeuxmeparlercommeça,fiston.
Mêmesi jen’étaisplus legosse fluetd’autrefois,Rickyétait quandmêmeencorebeaucouppluscostaudquemoi.Etpuis,ilétaitd’autantpluseffrayantqu’ilétaitdéfoncé.Quipouvaitprévoircequ’ilallaitfaire?Moi,toutcequejesavais,c’estquejepréféraisqu’ils’enprenneàmoiplutôtqu’auxdeuxfillesquim’attendaientdanslavoiture.
–Rentrecheztoi,Ricky.C’estterminé.–C’estterminé?Ilmerepoussaet,soudain,meflanquasonpoingdansl’œil.Ladouleurquis’ensuivitfutextrême.Je
titubaienarrièreenessayantdemeraccrocheraucanapédéfoncépournepastomber.–Jen’aipasl’intentiondemebattreavectoi,Ricky.Jemepassailesdoigtssurlesyeux.–Si,tuvaslefaire.Ilserapprochaetmebalançauncoupdepoingdansleventre.Jesentislecontenudemonestomacmeremonterdanslagorge,etjefisdemonmieuxpournepas
vomir.–Non.–Pourquoi?Ilmefittombersurlesoletmedonnauncoupdepieddansl’estomac.–Pourquoituneveuxpastebattre?Parcequetuesunlâche?Parcequetunepeuxpasêtreunvrai
mec?cria-t-ilenmedonnantdescoupsdepiedàrépétition.–Non,marmonnai-jeencrachantlesangquej’avaisdanslabouche.Parcequesijelefaisais,je
seraisexactementcommetoi.–J’enaivraimentmarredetoi.Ilpassa ledosde samain sur sabouche, avantde laporter à sapochearrièrepouren sortirun
pistolet.–J’enaimarrequetutemêlesdemavie.Marrequetuinterviennesdansmesaffaires.Marredeta
tronche.Alors,onvaymettrefintoutdesuite.Ilpointasonarmesurmoietjefermailesyeux,maisquandj’entendislecoupdefeu,jeneressentis
aucunedouleur.Quand j’ouvris les yeux, je vis les flics derrièremoi etRicky allongé sur le sol, une balle dans
l’épaule.Les flics et les secours arrivèrent sur les lieux en courant. Dans un brouillard, je les vis se
précipitersurmamèreetensuitesurRicky.AlyssaparlaitauxpoliciersavecSadie,expliquantcequis’étaitpassé.J’essayaid’ouvrir labouche,maismamâchoireétait tellementenfléequecelamefaisaitmaldeparler.Uninfirmiervintpourexaminermonvisage,maisjelerepoussai.
–Jevaisbien,dis-jeenbalbutiant,lagorgeenfeu.Sanstenircomptedecequejedisais,ilscommencèrentànettoyermesplaies,parlantdepointsde
suturepourmonnezetmonmenton.
–Nousauronsencorequelquesquestionsàvousposerquandvousserezàl’hôpital,ditl’officieràAlyssa.Nousallonsvoussuivreenvoiture.
Ellefitouidelatêtepuisvintversmoi.Enfaisantlagrimace,ellepassadélicatementleboutdesesdoigtssurmonvisage.
–Oh,Lo…murmura-t-elle.Jepoussaiunpetitgloussement.–T…t…tu…Jemarquaiuntempsd’arrêtàcausedeladouleurdansmamâchoire.–Tutrouvesquejenesuispasbeauàvoir?Attendsdevoirl’autremec!Elleneritpas.J’imaginequecen’étaitpasdrôle.–Allez,viens.Allonsteremettreenétat.J’auraisvouludirequelquechosederigolo.J’auraisvoulul’aideràsesentirmieux,parcequeje
voyaisbienqu’elleétaitdésemparée.Maislesmotsnemevenaientpas.Lespenséestournaientdansmatête. Je m’inquiétais pour ma mère, est-ce qu’elle s’en sortirait. Je n’arrêtais pas de me demandercombiendetempsill’avaitfrappéeavantquej’arrive.Jen’arrêtaispasdemedirequej’auraisdûêtrelàpourlaprotéger.Jen’arrêtaispasdepenseraunombredefoisoùj’avaisjuréquejeladétestais,alorsqu’enréalité,jel’adorais.
Jel’aimaistellement.Etjel’avaislaisséetomber.Jel’avaisabandonnéequandj’étaisparti.
***
Logan,treizeansGrand-père m’avait envoyé un documentaire sur les hamburgers pour mon anniversaire. Je
l’avaisdéjàregardétroisfois,maisjeleremisdanslelecteurdeDVD.Ilétaittrèsintéressant,etjecommençaisàm’ennuyeravantdel’avoirreçuparcequej’avaisdéjàregardélaplupartdeceuxqu’ilyavaitàlabibliothèque.
–Qu’est-cequetufais?demandamamère,deboutdansl’embrasuredemaporte.–Rien.–Est-cequejepeuxtetenircompagniepournerienfaire?Je levai les yeux et poussai un cri étouffé. Ma mère était très belle. Elle avait remonté ses
cheveux et les avait attachés en queue-de-cheval avec un ruban rouge. Elle s’était maquillée, unechosequ’ellene faisait jamais,etelleavaitrevêtuune jolierobed’éténoirequirestaitd’habitudeaccrochéeaufonddesonplacard.
–Tuessuper-canon.Sesmusclestressautaient,maisc’étaitplusoumoinshabituelchezmamère.Elleétaittoujours
agitée et secouée de tremblements, mais au bout d’un moment, je n’y faisais plus attention. Celafaisaitpartied’elle,voilàtout.
–Tutrouves?Jenesaispas.C’estpourcetteréunion,toutàl’heure.Ellesouritetfitunerévérence.–C’estuneréunionpouraiderlespersonnesàdevenirclean,tuvois?Jeveuxarrêter,Logan.Je
veuxêtreunemeilleuremèrepourtoi.J’écarquillailesyeux.C’étaitcommesijeflottais,etmonestomacpalpitait.–C’estvrai?Mamèreneparlaitjamaisdesefaireaider.Elledisaittoujoursquepersonnenepouvaitl’aider.–Oui.Elles’assitsurmonmatelas.–TuvasdevoirallerhabiteravecKellanetsonpèrependantunpetitmoment.Jeveuxmefaire
désintoxiquer.Jeveuxvraimentquenousayonsuneviemeilleure.–Tuvasmelaisser?J’avaislesmainsmoites.–C’estseulementpourquelquetemps.Etpuisjereviendraienpleineforme.–Tureviendrasmechercher?–Jereviendraitechercher.Jepoussaiunsoupirdesoulagement.– Tu crois que tu pourrais arrêter un instant de regarder ton DVD pour venir me faire des
lasagnes?Onpourraitfêterçaavantmondépart.Lesyeuxétincelants,jehochailatête.–Ouais!Nousavionsfaitlacuisinetouslesdeux.J’avaisfaitlasauce,etM’manavaitétalélescouches
depâtesetlefromage.Après,ellem’avaitdemandédetransporterlapetitetélédemachambredanslesalon.Assissurlecanapé,nousavionsregardéledocumentairesurleshamburgersenmangeantnoslasagnesdirectementdansleplat.
–M’man?–Oui,Logan?–Pourquoitupleures?Ellemefitunpetitsouriretenduethaussalesépaules.–Jesuisheureuse,monchéri,c’esttout.Jesuisjusteheureuse.Jesourismoiaussi,etrecommençaiàmanger.Jemebrûlaislepalaisavecleslasagnes,maisje
m’enfichaiscomplètement,parcequemamèreallaitsefairedésintoxiquer.Puisellereviendraitmechercheretnouscommencerionsnotrevraievietouslesdeux.Toutallaits’arranger.Bientôt,notrevie normale consisterait à dîner tous les deux en regardant des documentaires. Elle viendrait auxréunions parents-professeurs et aux remises de diplômes. Elle ouvrirait le bal avec moi à monmariage.Elleliraitdeshistoiresàmesfutursenfantspourlesendormir.
Nousaurionsunavenirensemble,etilseraitparfait.Jesouriais,souriaisetsouriaisàn’enplusfinir.
Parcequejen’avaisjamaisétésiheureux.
44ALYSSA
Logans’ensortitavecunnezcassé,deuxyeuxaubeurrenoiretunefracturedupoignet.Ilavaiteudelachance,sionpensequelesdommagescausésàsonvisagesemblaientcinquantefoisplusgravesqu’ilsnes’avérèrentenfait.Nousnousassîmesdanslecouloirpourattendrequ’onnousdonnedesnouvellesdesamère.Jefermailesyeux,priantpourqu’elleaillebien.JesavaisqueJulieavaittoujourscausébeaucoupdesouffrancesdanslaviedeLogan,maisilnefaisaitaucundoutequ’ellecomptaiténormémentpourlui.
Lesficsvinrentnousparler.–Désolédevousinterrompre,maisnousvoulionsvousteniraucourantdelasituation.Avectoutce
quevousnousavezdit,nousallonsobtenirunmandatdeperquisitionpourledomiciledevotrepère.Iln’avaitpasdepermispourl’armequ’onatrouvéeensapossession,etildétenaitdeladroguesurlui.Ilestdéjàconnudesservicesdepolice,doncjepensequenousallonspouvoirlecoincercettefois.Pourl’instant, il est en garde à vue pour l’agression sur votre mère. Cela devrait nous laisser le tempsd’obtenirlemandatdujuge.Nousallonslecoincer.
Logan hocha la tête. Je remerciai les policiers, et ils nous laissèrent en nous disant qu’ils noustiendraientaucourant.Jesoupirai.
–Quelsoulagement.Logan,latêtedanslesmains,hochaitlatête.–Ouais.Jeluipassailamaindansledosquandlemédecinvintversnous.–Bonsoir.C’estjusteunemiseaupoint.–Celafaitbeaucoupdemisesaupointaujourd’hui,marmonnaLogan.Lemédecinluifitunpetitsouriretendu.
–Ouais.Alors, l’étatdevotremères’améliore,maissontauxdenarcotiquesestassezinquiétant.Nousallonslagarderquelquesjourspouressayerdenettoyersonorganisme.Elleadeuxcôtescasséesàla suite des coups de pied, mais nous ne pouvons pas lui donner trop d’antalgiques à cause desnarcotiques.Onnavigueunpeuàvuepourl’instant.Sivousavezdesquestions,n’hésitezpas.
Jeremerciailemédecin,Logangardaitlatêteentresesmains.–Tuvois?Toutvabien.Toutvas’arranger.Veux-tuquej’appelleKellanpourleluidire?Sonfrèren’avaitpasététenuinformédecequis’étaitpassé.Logannevoulaitpasl’inquiétertant
quenousneconnaissionspastouslesdétails.Ilgrognaetlevalesyeux.–Non.Jepréfèreêtrelàpourleluidiredevivevoix.Aucasoùilréagiraitmal.Jeneveuxpaslui
annoncerautéléphone.–Tuasraison.C’estunebonneidée.–High?–Oui?–Jeveuxjustequetusachesquejenet’envoudraipasdechoisirdelaissertombermaintenant.De
sortirdetoutça.–Dequoiest-cequetuparles?– Dema vie, dit-il, avec une tension évidente dans la voix, due en partie à la douleur dans sa
mâchoire.Ileutunmouvementdereculetsemitàlamasser.–Mavieestunvraimerdier.Depuistoujours,alorsjetedonneunecartede«sortiedel’enfer».Je
t’aime,etc’estpourcelaquejetedonneuneportedesortie.Tuméritesmieuxquecetteviemerdique.–Hé,murmurai-jeenmerapprochantdelui.Jeposaileslèvrescontresonoreilleenrepoussantsescheveux.Celamebrisaitlecœurdevoirle
sangséchésursonvisageetsescheveux.C’étaitpoignant,laviequ’ilavaiteue.–Jenevaisnullepart.Ilcontinuaitàhocherlatête,serrantsesmainsl’unecontrel’autre,leregardvide.–Jesuisunraté,High.Jel’aitoujoursété.Jeleseraitoujours.–Arrêteça,Logan.Tun’esplusceluiquetuétaisàunecertaineépoque.D’accord?Tun’espasle
produitdetonpassé.–Maistoi,tuméritescequ’ilyademieux.Tupeuxtrouvermieux.Tuasdroitàautrechose.–Jepourraisavoiruneviesanshistoiresavecquel-qu’und’autre.Jepourraisavoirlepavillonde
banlieue, leboulot normal, les enfantsnormaux, lemari normal. Jepourrais avoir unevie confortableavecquelqu’unquimeconviendraitmaisdontjeneseraisjamaispleinementamoureuse.Maiscen’estpasçaque jeveux,Logan.C’est toique jeveux,avec tescicatrices.Jeveux tesbrûlures.Jeveux tonbazar.Tescicatrices,tesbrûlures,tonbazar,c’estmoncœur.Tuestoutcequej’aitoujoursvouluettoutcedontj’auraitoujoursbesoin.Tasouffranceestmasouffrance.Taforceestmaforce.Lesbattementsdetoncœur s’accordent avec lesmiens.Alors,non, jenevaispaschoisirde laisser tomber. Jen’aipas
l’intentiondefuir,mêmesileschosespeuventêtreduresparfois.Jeteveux,toi.Jeveuxtoutdetoi,lebon,lemoinsbon,ladouleur,lacolère.Situteretrouvesenenfer,jetetiendrailamainpourensortir.Siles flammesdansnosviescontinuentdemonter,nousbrûleronsensemble.Tues toutpourmoi,Logan.Hier,aujourd’huietdemain,jesuisàtoi.Tuesmaflammeéternelle.
Ilsetournaversmoietm’embrassa.Jeluirendissonbaiser,avecunpeutropdefougue,etilgémitdedouleur.
–Excuse-moi.Jerigolaidoucement,enluiembrassantlefront.–Viens, allons chezmoi, tuvas tenettoyer et ensuite je tedéposerai chezKellanpourquevous
puissiezdiscutertouslesdeux.
***
Dèsquenousfûmeschezmoi,jefiscoulerladouche,dévêtisLoganetl’aidaiàpasserdessous.Ilfermalesyeuxetrespiraprofondémentenlaissantl’eauchaudecoulersursoncorps.
–Jesuisjustelà.J’aiquelquesvieuxvêtementsàtoi,quisontlàdepuislongtempsetquejepeuxallerchercher.
–Non.Éteinslalumièreetviensici,dit-ilsansouvrirlesyeux.Jefiscequ’ilmedisait.Jeretiraitousmesvêtementsetentraidansladoucheaveclui.Ilmeprit
danssesbrasetmeserracontrelui,sapeaucontremapeau,sonfrontcontrelemien.Onn’entendaitquelebruitdel’eauquicoulaitsurnous,etnotrerespiration.
Nousrestâmescommeçaunlongmoment,jusqu’àcequel’eaudeviennefroideetmêmeaprès.–Pourtoujours,High?–Pourtoujours,Lo.
45LOGAN
Lorsqu’AlyssamedéposachezKellan,j’étaisrelativementdétendu.Monpèreétaitengardeàvue.Mamèreétaitincapabledequitterl’hôpital,cequisignifiaitqu’ellen’auraitaucunmoyendeseprocurerdeladroguependantunpetitmoment.Leschosesétaient-ellesentraindetournerduboncôté?Peut-être.
Quandj’entrai,lamaisonétaitplongéedansl’obscurité.Kellanétaitassissurlecanapé.J’appuyaisurl’interrupteurpourallumer.
–Qu’est-cequinevapas?Lebrusqueflotdelumièrelefitsursauter,maisilneditrien.Deslarmesroulaientsursesjoueset
sesmainstremblaientalorsqu’ilessayaitd’ouvrirunflacond’antalgiques.Commeiln’yparvenaitpas,iljetaleflaconàtraverslapièce.
–Aaah!cria-t-ilensefrappantlatête.–Qu’est-cequ’ilya,Kel?OùestErika?–Elleestpartiechezsamère.Ilsemitdeboutaveclenteur,lesjambesflageolantes,etmarchad’unpasmalassuréversleflacon
demédicaments.Illeramassaetessayaunefoisdeplusdel’ouvrir,envain.Ilrespiraitavecdifficultéens’appuyantcontrelemurpouressayerencore.
–Donne,jevaislefaire.Jetendislamain,maisilmerepoussabrutalement.–Fous-moilapaix.–Non.–Si.Jecommençaiàmebattreavecluipourluiprendreleflacon,etjeparvinsàluiprendredeforce.Je
l’ouvrisetposaiuncachetdanslapaumedemamain.Ilselaissaglissercontrelemurets’assitparterre.
–Putain!Jen’aipasbesoinquevousouvriezmesboîtesdemédicaments,Erikaettoi,commesij’étaisunenfant.
–Si.–Non.–Biensûrquesi,Kel!–Non,nonetnon!hurla-t-il.Savoixsebrisaet iléclataensanglots. Ilcroisa lesbrasautourdesapoitrineetsedétournade
moi,pouressayerdedissimulerseslarmes.–Jevaismourir,Logan.Jevaismourir.Jemelaissaiglisserausolàmontouretm’assisàcôtédelui,adosséaumur.–Nedispasça.–C’estlavérité,pourtant.– Ici etmaintenant, je dis en citant RamDass.Au centre de désintoxication, cette citation était
inscriteau-dessusdelaportedechaquechambre.Ilsnousdisaientd’arrêterdenousfairedesreprochespourcequis’étaitpasséavantetdenepasnousinquiéterpourlemomentoùnousquitterionslaclinique.Il fallait justeêtre là,dans lemomentprésent. Icietmaintenant,Kellan.Pour l’instant, tues ici.Tuesaussivivantqu’Erika,Alyssaetmoi.
–Peut-être,maisjeseraimortbienavantvoustous.–Nousn’ensavonsrien.Jesuispasmalamoché.Kellan rit etme donna un léger coup de poing.Bien. C’est bien de rire.Nous nous appuyâmes
contrelemur.–Icietmaintenant,murmura-t-ilpourlui-même.–Alors,ellerentrequand,Erika?–Ellenerentrepas.Jeluiaiditdepartirpourquelquetemps.–Quoi?–Jenepouvaispascontinueràluiimposerça,Logan.Chaquefoisquejetoussais,ellepensaitque
j’étaisentraindemourir.Ellemérited’avoirunevienormale.–C’estcequetuluiasdit?Ilfitunegrimace.–Pasexactement.–Queluias-tudit?–Jeluiaiditquejenevoulaisplusl’épouser.Jeluiaiditquec’étaitfinientrenous,etquej’en
avaismarredel’avoirsurledostoutletemps.Jeluiaiditdes’enalleretdeneplusrevenir.–Tuasétéméchantavecellepourqu’elles’enaille.Ilhochalatêteenreniflant.–Elleneseraitjamaispartie,autrement.Jenepouvaispascontinueràluibriserlecœur.–Ehbien,jepensequec’estréussi!Pourêtrebrisé,ildoitl’être,çatupeuxmecroire.Ilfronçalessourcils,sachanttrèsbienquej’avaisraison.
–Imaginequelesrôlessoientinversés.Disons,parexemple,qu’Erikaaituncancer,etquecesoittoiquit’occupesd’elle.Commenttuleprendraissielletedisaitça?
Ilsepassaitlesmainssurlevisagesansarrêt.– Je sais, je sais.Ellememanquedéjà.Maiscommentarrangerça? Jene saispascomment lui
rendreleschosesmoinspénibles.–Ellen’apassignépouravoir laviefacile,Kellan.Elleasignépour toi.Malgré toutça,ellea
signépourtoi.Net’inquiètepas.Onvafairecequ’ilfaut.–Depuisquandfais-tupreuvedetantdesagesse?Jesourisd’unairsatisfait.–Depuisqu’Alyssam’asortiexactementlemêmediscourssurlefaitqu’ellem’avaitaccepté,moi,
cequicomprenaittouteslesvalisesquejetraînaisavecmoi.Ilrigola.–J’auraisdûmedouterquecettesagessenevenaitpasdetoi.–Ouais,ehbien,jetravaillepourqueçachange.Nousrestâmessilencieuxquelquesinstants.–AufaitLogan?–Ouais?–Qu’est-cequiestarrivéàtonvisage?Jegloussaietluiracontaicequis’étaitpasséavecnotremèreetmonpère.Ilréagitbeaucoupmieux
quejenel’avaiscraintettiralamêmeconclusionquemoi.–Ehbien,aumoinsellenepeutpassedroguerpendantqu’elleestàl’hôpital.Ah,monfrère.Monmeilleurami.
***
Alyssa:Toutvabien,LoganFrancisSilverstone.Moi:Toutvabien,AlyssaMarieWalters.Ellem’envoyaitlemêmetextoàintervallesréguliers.QuandKellanfutprêt,nousallâmestousles
deux voir notremère à l’hôpital. Elle souffrait pasmal, parce que lesmédecins ne pouvaient pas luiadministrergrand-choseàcausedesadépendanceàladrogue.C’étaitdurdelavoircommeça,maisjel’avaisdéjàvuedansdesétatsbienpires.
Kellans’assitdansunfauteuilroulant,etjelepoussaiverslelit.Ilpritunedesesmainsdanslessiennesetluifitunpetitsourire,alorsquejemetenaisenretraitpourlesobserver.
–Excuse-moi,monchéri,s’écria-t-elle.Ilpritsonvisageentresesmainsetsecoualatête.–Jesuistellementdésoléed’avoirmerdécommeça.J’aitoutfaitfoirer.–Cequicomptec’esticietmaintenant,M’man.Toutvabien.
Ellesemorditlalèvreetregardasachemisedenuitd’hôpitalettouslestubesetlesbandagesreliésàsoncorps.
–J’aidécidédemefairedésintoxiquer,dit-elled’unevoixdouce.Nousacquiesçâmestouslesdeuxenmêmetemps,Kellanetmoi.–Moiaussi,dituneautrevoix.JemetournaiversSadie.Elleavaitlesyeuxvitreuxetelleétaitunpeuagitée,maisellemesourit.–Trèsbien,jedis.Ellehochalatête.– D’accord. Mais je ne sais pas comment je vais faire. Avoir cet enfant toute seule. Je n’ai
personne.Jeluidonnaiuncoupdecoude.–Toutvabien.Cetenfant,ceseramonfrère.Etd’oùjeviens,onestprêtàtoutpoursonfrère.Tuas
unefamille,maintenantSadie.Tun’esplusobligéedetedébrouillertouteseule.Jetelepromets.
46ALYSSA
Deux semaines s’étaient écoulées depuis l’incident avec les parents de Logan. Julie était entrée endésintox trois jours plus tôt. C’était dur,mais elle se battait pour sa vie. Sadie aussi avait entamé leprocessus de sevrage et elle commençait à trouver ses marques. Tout était en train de revenir à lanormale,àl’exceptiondufaitqu’Erikahabitaittoujourscheznotremère,cequiétaitloind’êtrenormal.C’étaitmême un peu effrayant, en fait. Le samedi après-midi, jeme présentai chezmamère avec uncartonàlamainetjetambourinaisurlaporte.
Elles’ouvritsurErikaquimeregardaenhaussantunsourcil.–Salut,Aly?Quoideneuf?–Hum,cequ’ilyadeneuf,c’estquetuhabiteschezmaman,non?Tusaisquoi,laissetomber.Va
cherchertesaffaires.Ilesttempsd’yaller.–Dequoituparles?–Tutesouviensquetuavaisunevie?Unfiancé?Ouais.Ilesttempsderentrercheztoi.Kellan…–Neveutplusdemoi.Ilneveutplusquejesoislà,Alyssa.–Ilabesoindetoi.Mamanapparutdansl’embrasuredelaporte,elleplissalesyeux.–Qu’est-cequeturacontes?Erikaestfinalementrevenueàlaraison.Elleareprissavieenmain
avantdecommettreuneénormeerreur.Jesuistrèsfièrequ’elleenaitprisconscience.–Maman,tuveuxmefaireplaisir?–Comment?–Occupe-toidetesaffaires.Pourunefoisdanstavie,occupe-toidetesaffaires.Ellesouffla,maisavantqu’ellenepuisserépondre,j’entraînaiErikahorsdelamaisonetrefermai
laporte.Erikafronçalessourcils.
–Écoute,Alyssa.J’aiessayéavecKellan.J’aivraimentessayé.Maisilaététrèsclair,ilneveutplusdemoilà-bas.Alors,jen’yvaispas.
–Revienscheztoi,Erika.Toutdesuite.–Non.–Trèsbien.J’ouvrismoncartonethaussaiunsourcil.–Tunediraspasquejenet’aipasprévenue.Sesyeuxs’arrondirentquandellevitsaséried’assiettesdanslecarton.–Qu’est-cequetufais,Alyssa?Jeretournailecartonetellesursautaenvoyantlesassiettess’écrasersurlesol.–Oh,monDieu!–Logan!Tupeuxvenir.Ilbondithorsdelavoitureavecuncartondanslesmains.–DisàErikadereveniràlamaison.Erikatremblaitetsemordaitlalèvreinférieure.Loganallajusqu’àelle,laregardadanslesyeuxet
sourit.–Tuesmasœur.–Arrête.Cen’estpasvrai.–Tumehurlesdessus.Tumedétestes.Tumetraitescommeunemerde.Tudisquejesuisidiot.Tu
esma sœur, Erika. Et que Kellan aille se faire voir pour l’instant. Pour l’instant, j’ai besoin que tureviennesàlamaison.Jenepeuxpasl’aidersanstoi.
–Jenepeuxpas.Jenepeuxpasfaireça.Loganhochalatêteetouvritlecartonquicontenaitlesverrespréférésd’Erika.–Revienscheztoi.–Jesuischezmoi.–D’accord.Ilcommençaàrenverserlecartonetelleeutunmouvementderecul.–Non,Logan!Jeviensjustedelesacheter…Crash!Desmorceauxdeverress’éparpillèrenttoutautourdenous.–OhmonDieu!Qu’est-cequivousprend,touslesdeux?–Onveutqueturentrescheztoi,c’esttout.–Jenepeuxpluscontinueràfaireça.Jenepeuxpascontinueràdysfonctionnercommeça.Je fis un geste vers lamaison oùmaman surveillait chacun de nos gestes de derrière la fenêtre,
frappaitsurlecarreau,hurlaitàErikaderentrerdanslamaison.–Ettutrouvesqueça,c’estnormal?–Allez-vousentouslesdeux.S’ilvousplaît.Kellann’apasbesoindemoi.–Si,j’aibesoindetoi.
Nousnousretournâmestouslestrois.Kellanavançaitversnousavecuncarton,luiaussi.Ilrestaauborddel’alléeetregardaErikadanslesyeux.
–Tumemanques.Jevoudraisquetureviennes.J’aibesoindetoi,Erika.Illaissatomberparterretoutlecontenuducarton,puislecartonlui-même.–Reviensàlamaison.Erikasemitàrire,etnouséclatâmestousderireavecelle.Mamanouvrit laported’entréeetse
précipitaversnousenordonnantàErikaderentrerimmédiatement,maisellerefusadeluiobéir.Nousretournâmestousànosvoitures,abandonnantnoschagrinsparmilesmorceauxdeverresurle
sol,pourtoutrecommencerdepuisledébut,ensemble.Kellanrepartitdanslavoitured’Erika,etLoganpritlevolantdelamienne.
–Hé,jemedisais…çatediraitdes’adonneràdepetitesfrasquessexuellesavantlaréceptionaurestaurantdeJacobcesoir?
Jehaussailesépaules,sansenthousiasme.–Pourquoipas?Oualors,onpourraitregarderlenouveaudocumentairesurMichaelJacksonque
j’aiachetéhieretmangerunrestedepizzaavecdesOreosàlaframboise.Ilécarquillalesyeux.–OhmonDieu!J’adoreçaquandtumedisdestrucscochons.Ilm’embrassa,etjesusquenotreéternitécommençaitàcetinstantprécis.
***
–D’accord,alors,voilàleplan.JevaischezJacobetjel’aideàfinaliserlesderniersdétails.Toi,tuvaschezKellanetErika,ettulespersuadesdesortirprendreunverre,cequeKellanacceptera,maisqu’Erikarefuseradefaire.Auboutd’unmoment,elle finirapardireoui,parcequ’elleaimeKellanetqu’elleestprêteàtoutpourluifaireplaisir,expliquaLoganenselevantaprèsquenousavionsregardéledocumentaire.
–D’accord.–BonDieu!J’ailetracet,pourtant,lafêten’estmêmepaspourmoi,dit-ilensouriant.Jel’embrassaietilsedépêchadesortir.–Tuessûrquetuneveuxpasquejet’emmèneenvoiture?–Non,çava.Ilfaitbon.Àtoutàl’heure!Après son départ, je me rendis directement chez ma sœur, et, exactement comme Logan l’avait
prévu,ellerefusadesortir.–Jepenseseulementquecen’estpasunebonneidéedesortirboireunverre,Alyssa.Noussommes
crevéstouslesdeux.Ellefitunegrimace.–Peut-êtrelasemaineprochaine.
– Allez ! Ça va être sympa ! Et puis, Logan travaille chez Jacob ce soir, alors on va pouvoirl’embêterencommandantdesplatsqu’onrenverratoutelasoirée.Çavaêtregénial!
Kellansourit.–Moi,çamesembleamusant.Etilyalongtempsquejenemesuispasamusé.Erikaplissalesyeux.–Tuveuxyaller?Ilfitouidelatêterapidement.–Sérieux?Tun’espasfatigué?Ilfitnondelatêterapidement.Ellerestaassiseunpetitmoment,plongéedansuneprofonderéflexionpendantqueKellanetmoilui
faisions les pires regards de chien battu qu’elle ait jamais vus. Quand elle finit par céder, nousapplaudîmesavecunenthousiasmedélirant.
–Unhors-d’œuvreetunverre!Etdel’eaupourcemonsieur.EllesouritenfaisantunsignedetêteendirectiondeKellan.–Situveuxsavoir,jevaisdégustermonverred’eautrès,trèslentement.EnarrivantaurestaurantdeJacob,Erikaserembrunitenuninstant.–Pourquoic’estmarqué«fermé»surlaporte?Ilestsixheuresdusoir.–Jenesaispas,c’estbizarre.Jesaisislapoignéeetlatournai.Laportes’ouvrit.–Cen’estpasferméàclé.Venez,allonsvoirsiJacobestlà.Passant laporte,Erikaétouffauncri envoyant toutes lesdécorationspourunmariage.L’endroit
étaitbondé.Tousleursamisétaientlàetsemirentàcrierenchœur.–Surprise!–Qu’est-cequisepasse?demandaErikaenregardanttoutautourd’elle.Jacobs’approchaetpassaunbrassurlesépaulesdeKellan.– Jevaism’occuperde cemec,Alyssa.Toi, tu aides ta sœur.Les toilettesdesdamesvous sont
réservées.–Pourquoifaire?demandaErika,encoreébahie.Jel’attrapaiparlebrasetl’emmenaiavecmoi.Quandnousarrivâmesdanslestoilettes,elleporta
lamainàsabouche.–Qu’est-cequemarobedemariéefaitlà,Aly?Jesouris,gagnéeparl’émotionquilasubmergeait.–Tunesavaispas?Tutemariesaujourd’hui.–Quoi?–J’aidit,tutemariesaujourd’hui.Sesyeuxs’emplirentdelarmesetjesecouailatête.–Ahnon!Tunevaspaspleurer.Lamaquilleuseseralàdansquelquesminutes.Etilfautquetute
prépares.
–Tuveuxdire…lemariagelàdehors…lesdécorations,lesgens.C’estpourmonmariage?Jefisouidelatête.Ellesoufflaetposalesmainssurseshanches,parfaitementincrédule.–Tuasfaitçapourmoi?–C’estuneidéedeLogan.Ellesemorditlalèvreetsemitàtrembler.–Allez,mapuce.Nepleurepas.–Jenepleurepas, sanglota-t-elleenenfouissant sonvisagedanssesmains.Maisc’est tellement
gentildesapart.Nousnousempressâmesdelapréparer,jel’aidaiàenfilersamagnifiquerobeblanchedemariée,à
remonter ses cheveux en un chignon raffiné, tout cela en riant comme des folles tout en buvant duchampagne.
–Tuesprête,mapuce?demandai-je,deboutderrièreelledansmarobededemoiselled’honneur.–Oui.Jeregretteseulementquemaman…Jefronçailessourcils.–Jesais.–Çanefaitrien.CettesoiréeestpourKellanetmoi.C’estnotresoirée.En entrant dans la salle de restaurant, nousvîmes Jacob, debout sur la scène avecunmicro à la
main,prêt à célébrer lemariage.Kellan se tenait à sagauche, en costumecravate, et à côtéde lui setrouvait Logan. Je parcourus son visage du regard en absorbant tous les détails. Son large sourires’étendaitjusqu’àsesyeux.Maissesbellesbouclesavaientdisparucependant.Ilavaitrasésescheveuxrécemment,parsolidaritéavecsonfrère.Erikaétaitauborddeslarmes,quantàmoi,j’avaisaussidumalàmeretenirdepleurer.
Jel’aimais.Pourtoujours.Pourtoujours.Pourtoujours.–Toi,turestesici.Tunebougespasjusqu’àcequetum’entendesjouer,etlàtuvasrejoindreton
futurmari.Erika était toujours sous le choc, mais elle acquiesça. Je me dirigeai vers le piano et, en
commençant à jouer, je la regardai marcher dans l’allée qui menait à l’amour de sa vie. Les larmescoulaientsursesjoues,etcoulaientsurlesmiennesaussi.
Ils avaient mérité ce moment. Plus que n’importe qui. Jacob lut son texte et les deux amoureuxéchangèrentleursvœux,sepromettantamouretassistancepourlemeilleuretpourlepire,danslajoiecommedansl’adversité.Lesbattementsdecœurdouloureuxcommelesbattementsdecœurheureux.Les«toujours»et les«pourl’éternité».Quandilss’embrassèrent, tout lemondedanslapièceputsentirl’amourqu’ilséprouvaientl’unpourl’autre.
Puisonlesfitsortirprécipitammentdelapièce,éperdusderires,delarmesetd’amour.Loganpritlemicrodesmainsde Jacobet attendit quelques instantsque je lui fasse signe quandErika etKellanseraientprêtsàfaireleurentréesolennelle.Ilouvritleslèvresetsouritenprenantlaparole.
–MesdamesetMessieurs,j’aileplaisirdevousprésenter,pourlatoutepremièrefois,MonsieuretMadameKellanEvans!
Il fitungestede lamainversErikaà lagauchede lapièce,puisversKellansur ladroiteet ilsavancèrentpourvenirserejoindreaumilieudelapistededanse.
– Avant de démarrer cette nuit de festivités, j’ai pensé que j’allais prononcer mon discours degarçond’honneurmaintenant.Alors,oùquevoussoyez,prenezunverreetécoutez.
Ileutunpetitsouriretendu,etjevisleslarmesluimonterauxyeuxmalgrétousseseffortspourlescontenir.
–MonfrèreKellanestunsuper-héros.Ilnesauvepeut-êtrepasdevilles,ilneportepeut-êtrepasdecape,maisilchangedesvies.Ilatoujoursvécuchaquejournéecommesielleétaitchargéedemagie.Ilsouritquandcelafaitmal.Ilcroitàl’amour,àlavieetauxhappyends.Ilcroitàlafamille.Jeveuxdire, il a cru en moi quand je ne le méritais probablement pas. Lui et moi avons eu des enfancesdifférentes.Quandluicroyaitaubonheur,moi,j’étaisempêtrédansdestragédies,maisilm’aimaitquandmême.Ilacontinuéàm’aimerquandjemebagarraisavecmesdémons,aveclefeuquimedévorait,avecmadouleur.Ilm’aimaitd’unamourinconditionnel.Sanslimites.Et,grâceàcetamour,j’aicomprisquejeneseraisjamaisseul.
Erikaetluiaimentd’unmêmeamour.Erikaaimemonfrèredetoutsonêtre.Elleiraitenenferetenreviendrait pourqu’il continue à sourire,mêmequandça faitmal.Elle est attentionnée, intelligente etdélicate.Paramourpourlui,ellem’aaccueillidanssamaison,mêmesijefichaislebronxdanschacunedespièces.Ellel’aaimépourtoutcequ’ilétait,etavectouslesbagagespesantsqu’iltraîneaveclui–dontmoi.Elle l’aaiméavant lecancer,elle l’aaimépendant lecancer,et je juredevantDieuqu’ellel’aimeraaprèslecancer.Parcequ’elle l’aimed’unamourinconditionnel.Cesdeuxpersonnessontdessuper-hérosde l’amour. Ilssont lapreuvequequandleschosesvontmal,onpeut toujours trouverdesraisons de sourire. Ils se sacrifient l’un à l’autre, parce qu’ils savent que leur amour est authentique.Mêmedansl’obscurité,leuramourréussitàbriller.Cesdeuxpersonnesm’ontapprisàaccepterl’amour.Àcroireendeslendemainsquichantent.Àtoutdonnerdemoi,sansconditions.Alors,pourtoutça, jelèvemonverre…
IllevasonverreenregardantsonfrèreetErika.–…auxbonsjourscommeauxmoinsbons,àl’amourinconditionneldanslequelilsm’ontapprisà
croire.Puissions-noustousrecherchercettesorted’amour,puissions-noustousledécouvrir.Sonregardse tournaversmoietuneseule larmeroulasursa joue,enmême tempsqu’une larme
roulaitsurlamienne.–Etquandnousletrouverons,puissions-nouslegarderpourtoujours,ettoujours,ettoujours.Jeluienvoyaiunbaiseretill’attrapapourlegarderdanssoncœuravantdesetournerdenouveau
verslecouple.–ÀKellanetErikaetàleuramouréternel.Toutlemondedansl’assistanceapplaudit,butetaima.Logansetamponnalesyeuxetsemitàrire.–Maintenant,s’ilvousplaît,toutlemondelibèrelapistepourquelesmariéspuissentouvrirlebal.
JerejoignisLogansurlascèneetluiprislemicrodesmains.–Oùsontpasséstescheveux,murmurai-jeenpassantlamainsursoncrânerasé.Ilhaussalesépaules.–Cen’estrien.Justeunecoupedecheveux.–Non.Jel’embrassaisurlefront.–C’estbeaucoupplusquecela.–Jet’aime.–Jet’aime.Ilallavers laguitareet la soulevaens’asseyant sur le tabouret tandisque j’allaism’installerau
piano,posailemicroàcôtédemoietattendisqu’ilcommenceàgratterlescordes.Lorsquej’entendislesaccords qu’il venait juste d’apprendre à jouer, je souris et l’accompagnai au piano avant d’entonnerl’introdelachansond’IngridMichaelson«ThewayIAm».
Leurchanson.Kellan et Erika se balançaient sur la piste de danse, encore plus amoureux à chaque seconde.
Pendantlesolodeguitare,Loganpritlaparolequandlaported’entréedurestaurants’ouvrit.–Jevouspried’accueillirlesmèresdelamariéeetdumarié.Touslesyeuxs’arrondirent,ettoutel’assistanceapplauditl’entréedeJulieetdemamèreensemble.
MoncœurcognaitdansmapoitrineetjemetournaiversLogan.–Comment?Ilhaussalesépaules.–J’aifaitquelquesarrêtsenrouteavantdevenirici.–Tuestoutpourmoi.Absolumenttout.
***
Lemariagesedéroulaitàmerveille,avecplusderiresetdelarmesdejoiequej’enavaisvudepuislongtemps. Quand l’ambiance commença à retomber, nous sortîmes tous les quatre sur le parking durestaurant,KellanetLogantoujoursvêtusdeleurscostumesetErikaetmoidenosrobes.
–LoganetAlyssa,commentvousremercier?Pourtout.Cettesoiréeétaitcedontj’avaistoujoursrêvé,ditErika.
Le regard qu’elle posait sur Kellan et la façon dont il la dévisageait memontraient ce qu’étaitréellementunamourauthentique.
–Cen’estrien.Kellan,jesaisquetuastonrendez-vouschezlemédecindemain,etjeviendraiavectoi.MaisjecroisquecesoirjevaisdormirchezAlyssapourquelesjeunesmariésaientlanuitpoureuxtousseuls,ditLogan.
Kellanfitouidelatêteensouriant,maisErikapoussaunpetitcriaigu.–Non!
–Quoi?–Nousdevonsallerquelquepartensembleavantd’allerchacundenotrecôté.–D’accord.Oùça?demandaLoganàmasœur.Un souriremalicieux apparut sur les lèvresd’Erika.En le voyant, je sus immédiatement oùnous
allions.
***
Nous étions là tous les quatre dans une allée de Pottery Barn, à examiner les différentes sériesd’assiettes.Erika,lesyeuxplissés,enpleineréflexion,etnousautresàdanserd’unpiedsurl’autre.
–Vousétiezvraimentobligésdetoutcasser?demanda-t-elleenpenchantlatêtesurlecôtépourregarderquelquechosequicoûtaitpluscherquemarobededemoiselled’honneur.
–C’étaituneidéedeLogan,ditKellan,envoyantsonfrèreaucasse-pipe.–Alyssaétaitd’accord,répliquaLogan.–Kellanm’aditquetut’enficherais,dis-jepourfairebonnemesure.–Onnepeutrienmereprocher,ditKellan,surladéfensive.J’ai…–Uncancer,onlesait!Logan,Erikaetmoiavionstousparléenmêmetemps.Ilsemitàrire.–Ok.Jecomptejusqu’àtroisettoutlemondemontredudoigtlasériequejedoisprendre.Après,
oniravoirlesverres.Un,deux,trois!–Celle-là!Nousmontrionstousunesériedifférente,alorsnousnousmîmestousàdiscuterenmêmetemps,en
criantpourcouvrirlavoixdesautresetenriant.Aprèsquenousnousétionsenfinmisd’accordsurlesassiettes,unesensationdecalmeetdepaix
s’installadansl’allée.Jeregardaiautourdemoi,cespersonnesquisavaienttoutlesunesdesautres,lebon, le moins bon et le carrément démoli. Je le voyais. Il était toujours là. À travers toutes lessouffrances,leslarmesetladestruction,l’amourquenouséprouvionslesunspourlesautresavaitréussiàsurvivre.D’unefaçonoud’uneautre,nousétionstoujoursliéslesunsauxautres.
Mesamis.Mafamille.Matribu.D’unefaçonoud’uneautre,nousétionsincassables.
47LOGAN
Il faisait froid dans le cabinet de JC. Plus froid qu’il n’était nécessaire. Mais j’avais l’habitudemaintenant.Jen’avaispasmanquéunseuldesrendez-vousdeKellandepuismonretouràTrueFalls.
Surlecôtégauchedesonbureau,ilyavaitunpotdejellybeansetunderéglissesrougesducôtédroit.Aumoins,ilalaissétomberlesréglissesnoires,c’estdéjàça.
Jecroisai lesbraspourmeréchauffer.Putain.J’étaisgelé.Je tournai lesyeuxversKellan,assisdanslefauteuilàcôtédemoi.Quandjerelevai lesyeuxsurJC, jevisqueseslèvresremuaientplutôtvite. Il continuait à expliquer la situation encore et encore.Enmême temps, jenepouvaispas en êtrecertain,parcequej’avaisarrêtéd’écouter.
Jene savaispasexactement àquelmoment j’avais arrêtéd’entendre lesmotsqui sortaientde saboucheencascade,maisdepuiscinqoudixminutesjemecontentaisderegarderbougerseslèvres.
J’avaisagrippélesbrasdemonfauteuiletjelestenaisserrés.Erikaétaitassisedel’autrecôtédufauteuildeKellan.Leslarmescoulaientsursesjoues.–Çamarche?s’écria-t-ellesoudain,metirantdematorpeur.–Çamarche.LavoixdeJCcontenaitbeaucoupd’espoir,ilyavaitmêmeunsouriresursonvisage.– La chimiothérapie marche. On n’est pas encore sortis du tunnel, mais on va dans la bonne
direction.Un sentiment d’espoirme submergea,me coupant le souffle.Mon cœur semit à battre de façon
tellementdésordonnéequetoutmonorganismeréagitdefaçonterrifiante.–Je…Jem’arrêtai.Jesentaisconfusémentqu’ilfallaitquejedisequelquechose,parcequeKellanrestait
muet.Maisjenetrouvaispaslesmotsjustes.Yavait-ildesmotsjustesdansunesituationcommecelle-
ci?Jem’accrochaiplus fermementàmon fauteuil. Jemepassai lamain sur la joueetm’éclaircis la
voix.–Çamarche?Ilseremitàparler,maisj’arrêtaiaussitôtd’écouter.JeprislamaindeKellanetlaserraipendant
qu’Erikaserraitl’autre.Monfrère,monhéros,monmeilleuramisebattaitcontrelecancer.Ilallaitvaincrelecancer.Etjepusenfinrespirer.
***
Ce soir-là, je montai avec Alyssa sur le panneau publicitaire pour regarder les étoiles quiconstellaientleciel.NouspartageâmesdesOreosauxframboisesetdesbaisersànouscouperlesouffle,nousremémoranttoutcequenousavionstraverséetrêvantdetoutcequinousattendait.
–J’aiaiméleDVDquetum’asdonnésurlemythegrecduphénix,dis-jealorsquenousétionsassissur lacornichedupanneaupublicitaire, les jambesballantes.J’aiadoré l’idéedecetoiseauquimeurtmaisquirenaîtdesescendresetàquiondonneunedeuxièmechancedevivre.
Ellesourit.–Oui.Tuescommelephénix,Logan.Tuesallési loin, tuasvu tellementdechoseset tuaspu
renaître.Jesecouailatête.–J’aiapprofondilesrecherchessurlesdifférentesmythologieset lesdifférentescroyancessurle
phénixetcequ’ilreprésente.Lalégendegrecquem’aplu,maisc’estlacroyancechinoisequim’aleplusparlé.
–Etqueditlacroyancechinoise?–Lephénixétaitgénéralementvucommedouble,àlafoismâleetfemelle.Lesdeuxphénixréunis
représentaientleyinetleyang.Ilsétaientdeuxpartiesd’untout.Lephénixfemelleétaitlapartiepassive,douceetdouéed’intuition,alorsque lemâleétait assertif, celuiquiagissait.Uncouple indissociable.Danscertainespartiesdumonde,onoffre le symboledesdeuxphénixencadeaudemariage,unsigned’éternitéetdelendemainsheureux.
–C’estbeau,dit-elle.–C’estcequejemesuisdit.Nousrestâmessilencieuxunmomentpourregarderlecielau-dessusdenostêtes.–High?–Oui?J’avais lesmainsmoites en sortant une petite boîte dema poche. En la voyant, Alyssa prit une
inspirationrapide,puisellemeregardadroitdanslesyeux.
–Quefais-tu,Lo?–Véritéoumensonge?–Mensonge.–Jenefaisabsolumentrien.Salèvreinférieuresemitàtrembler.–Etlavérité?–Jecommenceàrenaîtredemescendres.Jenesuisqu’auxpremiersstadesdelarenaissance,mais
jesaisque,dansmonascension,jeveuxquetusoisliéeàmoipourtoujours.J’ouvrislapetiteboîteetensortisunebaguedefiançaillessurlaquelledeuxphénixétaientcôteà
côte,reliésparundiamantsituéaucentre,entreleursailes.–Tuesmaguérisseuse.Tuesmaforce.Tuesmonéternité,etsituesd’accord,sicelateconvient,
j’adoreraisquetudeviennesmafemme.–Vraiment?dit-elled’unevoixdouce.–Vraiment.Ellevinttoutcontremoietposaseslèvressurmesmiennes.–Pourtoujours,Lo,dit-elled’unevoixtremblante.Jeprissamaindanslamienneetfisglisserl’anneauàsonannulaire,enl’embrassantdoucement.–Pourtoujours,High.
ÉPILOGUELOGAN
Septans,unmariage,unrétablissementtotal,deuxbébésetunamourrenforcéplustard
J’étaisheureux.Jenepossédaispasgrand-chose,etjen’avaispasbeaucoupd’histoirederéussiteexceptionnelleàléguerà mes enfants. Je n’étais pas un milliardaire génial. Je n’avais pas trois diplômes universitaires. Jetravailleraisprobablementunebonnepartiedemaviepourjoindrelesdeuxbouts,maisj’yparviendraistoujoursparcequel’amourétaitmarichesse.J’avaistroispersonnesquicomptaientsurmoipournepasbaisser les bras quand les temps étaient durs. J’avais trois personnes qui croyaient enmoi et enmesrêves.
Alyssa etmoi avions réussi àmettre en routeundenos rêves communs :High&Lo, restaurant etpiano-bar.Celafaisaitdeuxansmaintenantqu’onavaitouvert,etaprèsmesenfants,c’étaitunedemesplusbellesréussites.Pourtant,jefaisaistoutmonpossiblepourallerplusloin.
Un jour, j’offrirais lemonde àmes enfants et àma superbe épouse.Mes enfants ne souffriraientjamaisdumanqued’amour.Onlesaimaitdéjàavantmêmequ’ilssoientvenusaumonde.
Alyssa,monbelamour,m’avaitsauvélavie.Ellem’avaitdonnéuneraisondevivre,etc’étaitunhonneurd’êtreaiméd’elle.Jeluiavaisjuréque
jen’oublieraisjamaislafaçondontellem’avaittoutdonnéd’ellequandjen’avaisplusrienàluidonneren échange. Ellem’avait juré que je n’étais pas le produit demon passé et qu’elle savait que j’étaispromisàunavenirmerveilleux.
Elleétaitlefeudansmonâme,quimetenaitchaudlanuit.
–C’esttrophaut,s’écriaKellan,monfilsdecinqans,alorsquenousnousdirigionsversl’échelledupanneaupublicitaire.
Il portait lemême nom que son oncle, qui poursuivait toujours son rêve de devenir unmusicienreconnu,rêvedontils’approchaitunpeupluschaquejour.
SapetitesœurJulie,assisesurmesépaules,regardaenl’air.–Oui,Papa!Trophaut!Onluiavaitdonnélenomdesagrand-mère, lafemmequiavaitconnuplusdejourssombresque
d’autresmaisqui,maintenant,pouvaitmarcherausoleiletqui,depuisseptans,avaitréussiàmaintenirsesdémonsàdistance.Cen’étaitpasfaciletouslesjours,maischacund’entreeuxétaitunebénédiction.
Je souris à Alyssa, qui m’avait prévenu que les gosses trouveraient cela trop effrayant, mais jevoulais qu’ils voient les étoiles cette nuit-là de l’endroit même où j’étais tombé amoureux pour lapremièrefois.
–Onadescouvertures,ditAlyssa.Onpeuttoujourslesétalerparterreetregarderlecield’enbas.–Onpeutfaireça,Papa?Onpeutjusteregarderd’enbasaulieudemonter?demandaKellan.–Biensûr.C’estencoremieux.Ce soir-là, nous regardâmes en silence le ciel constellé d’étoiles qui devenait de plus en plus
sombre. Je tenais Alyssa par la taille et elle était appuyée contre moi, me laissant être celui qui lasoutenait. Tous les soirs, nous regardions le soleil se coucher, où que nous soyons, et nous nousréveillions tôt pour le regarder se lever de nouveau. C’était ça la vie : même quand les jourss’obscurcissaient,onavaittoujoursdroitàunesecondechance,unsecondmomentpouressayerencorederenaîtredenoscendres.
Les gamins couraient et jouaient autour de nous, et Alyssa et moi regardions les vies que nousavionscréées.Ilsétaientnoslendemainsquichantent,lescadeauxquinousavaientapportétantdejoie.
BonDieu,commej’étaisheureux.J’étaistellementheureux,ensécuritéetcombléd’amour.Quand lanuit fut tombéeetqu’unebrise fraîchepassa surnous, j’attiraiAlyssacontremoiet lui
murmuraiàl’oreille:–Pourtoujours,High.–Pourtoujours,Lo.Jehaussailesépaules.Ellehaussalesépaules.Jeris.Ellerit.J’entrouvrisleslèvres.Elleentrouvritleslèvres.Jepenchailatête.Ellepenchalatête.
Noslèvress’unirentet,alorsmêmequemespiedsétaientfermementplantéssurlesol,jen’avaisjamaisplanéaussihautdemavie.
FIN
REMERCIEMENTS
Tellementdepersonnesm’ontaidéeàréaliserceromanquejenesaispasquiremercierenpremier.Jevaiscommencerparmameilleureamie.Maman,tum’asaidéeàallerjusqu’auboutdecelivre.
Jenesaispasoùj’enseraissanstoi.Turendslaviedetantd’êtresplusbellequejesuistrèsheureusedet’appelermameilleureamie.
Alison,Allison,Christy etBeverly :merci d’avoir pris le tempsde collaborer à la relecture del’histoired’AlyssaetLogan.Vousm’avezaidéeàm’apercevoirdesproblèmesqueposait l’intrigueetvousm’avezdonné lemeilleurdes retours.Vousêtes toutesdansmoncœuret jenevous remercieraijamaisassez.
MerciàmamerveilleuseéditriceCaitlindechezEditsByC,Marie:tuesincroyablementdouée.Àmon autre éditriceKiezha :merci, non seulement dem’avoir aidée avec les correctionsmais
aussid’avoirdiscutéavecmoidel’intriguejouraprèsjour.Tuasrenducettehistoireplusdense,etjet’aimepourça.
ÀDanielleAllen: tuestoutpourmoi.Sérieusement.Nousavonsparlétouslesjourspendantlesdeux derniers mois et tu m’as pris la main quand je craquais. Tu m’as toujours tenu les propos quim’inspiraientquandj’enavaisleplusbesoin.Tum’asfaitrirequandj’avaisenviedepleurer.Jet’aime,monamie.
ÀStaciBrillhart:pourtouteslesheurespasséesautéléphoneavecmoipourdiscuterdel’intrigue.PourtouteslesheurespasséessurMessengeravecmoi(DESMOIS!)pourt’assurerquej’allaisbien.Lemonde aurait besoin de plus de belles âmes comme toi. Merci d’exister, et merci de m’autoriser àt’appelermonamie.
Àmatribu:voussaveztousquivousêtes.Moncœurbatàl’unissondesvôtres.Toujours.ÀRyan:tudorsmaintenant,àquelquescentimètresdemoi,pendantquejetapecesmotsaupetit
matin.Moncœurestcomblé.Mercidemeprendredanstesbrasaumilieudelanuitquandjemeréveilleenpanique,terroriséeparl’inconnu.Mercidemefairesourirechaquejour.Mercidem’aimer.Tueslefeuquimetientchaud.
À ma relectrice, Judi : tu m’as sauvé la vie à la dernière minute et tes compétences sontépoustouflantes.Jesuisdinguedetoi!
Àtousceuxquiontfaitdecelivreuneréussitevisuelle:lephotographedelacouverture.Franggy,pourlasuperbephotodecouvertureetStaci,deQuirkyBird,pourledesign.
Àmesagentsquicroientenmoiquandjen’yparvienspasmoi-même.Vousavezréalisétousmesrêves.Merci.
Auxlecteurs:mercidemisersurmoietsurmesromans.Vousavezchangémavieplusquevousnepouvezl’imaginer.
Etpourfinir,ungrandmerciàmafamille.Pourlesbonsmomentsetlesmoinsbons,c’esttoujoursvousquejechoisirai.
XoXo!
ÀPROPOSDEL’AUTEUR
BrittainyC.Cherry,auteureàsuccèsd’Amazon,atoujoursétéamoureusedesmots.Elleestsortiedel’universitéCarrollavec,enpoche,unelicencedethéâtreetundiplômedeCreativeWriting.BrittainyvitàMilwaukeedansleWisconsin,avecsafamille.Quandellen’estpasoccupéeàfaireunmilliondecoursesouàimaginerdeshistoires,ellejoueprobablementavecsesadorablesanimauxdecompagnie.
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