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L'EVOLUTION D'UN DISCOURS:
, UNE ETUDE DES DERNIE.RES CEUVRES DE SIMONE DE BEAUVOIR
by
Renee Keough
A thesis submitted to the
School of Graduate Studies
in partial fulfilment of the
requirements for the degree of
Master of Arts
Department of French and Spanish Memorial University of Newfoundland
1994
St. John's Newfoundland
1+1 National Library of Canada
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ISBN 0-315-91639-7
C dl•l ,ana a
Abstract
The final works of Simone de Beau voir. Les Belles Images and La Ft'llllllt'
rompue. are radically different from her earlier works. hoth in style and in content. This study looks at these changes in the context of discourse theory. beginning with Michel Foucault, whose analysis of the nature or power and the relationship of power and discourse brings into question the nature nf the suhjcct. The place of the subject in discourse is then studied more closely in the work of postmodem throrists, including Emesto Ladau and Chantal MouiTe. Using the work of such theorists. we analyze the role of disc nurse and its relation to power in Beauvoir's later works. locating the beginnings of a change in Bcauvoir's thought in her most highly acclaimed work. Les Mandarins.
Through a detailed study of Les Mandarins. Les Belles lmagt:s. and ''Monologue", we study Beau voir's changing perceptions of the nature of rcali ty and of power as expressed through novelistic discourse am.l through the discourse of the principal female characters in each of these works. We show how Beauvoir moves away from the notion of an objective, k:10wablc reality. represented through the transparent tool of discourse. towards thl! notion or partial realities constituted through the discour:;e of individuul suhj{~cts. This change also implies a shift in her perception of the suhjc~:t. from that of the rational historical (male) subject ontologically prior to language and to sm;iety. towards the notion of the subject as discursively and intersubjcctively constitutcu. Finally. these changes in the nature of reality and of discourse bring us back to the nature of power in late capitalist society, anu to the relationship he tween power and discourse. Beau voir's discourse is seen to have evolved from Les Mandarins to "Monologue'', from a perception of power as a slructurc imposed on society and on individuals by the State. to that of a di!o;pcrscu network of changing relations between individuals and groups, these individuals and groups then exercising power through discourse.
lJ
TABLE DES MATIERES
Abstract ................................................................................................. 111
Introduction .............................................................. ............................. . I
Chapitre I ......................................................... ............................ ......... 12
Chapitre II ..................................................... ............ ................ ........... 43
Chapitre III ........................................................................................... 77
Conclusion ............................................ .............................................. 1 08
Bibliographie ...................................................................................... 117
iii
En vue des references nombreuscs faitcs a certaines (\:UVrcs de Simone de
Beauvoir,lcs abrcviations suivantes scrnnt suhstituccs aux titrcs uans lc corps Jc
ce texte:
u· Deu.xieme Sexe. Tome I LDSI
Le Deu.xieme Sexe. Tome 2 LDSII
Les Mandarins. Tome I LMI
Les Mandarins. Tome :! LMII
Les Belles !mages LBI
La Femme rompue LFR
Tout c£lmpte fait TCF
A !'exception de La Femme rompue. les pages dtces Jans cctte etude sont ccllcs
de 1' edition Folio des ccuvrcs de Simone de Beau voir.
iv
Introduction
L'cl!uvrc romanesque de Simone de Beau voir comprend des romans et des
nouvelles ct embrasse quatre dccennies. Nous avons choisi d'ctudicr les dernieres
de ses cl!uvrcs dans une tentative d'clucider le changcmcnt radical dans lcs <l!uvres
des annccs soixantc. soit Les Belles Images ct La Femme rompue. Ces demicres
cl!uvrcs de fiction de Beau voir diffCrcnt des prcccdentes par leur forme et par leur
style. pur lc nombre et lc type de personnages. ct par le public qu · ellcs visent.
Jusqu'aux Mandarins, Bcauvoir s'occupait presque cxdusivcmcnt du milieu
intellcctucl, ct snuvcnt du problcme de l'cngagcmcnt: c'etait principalcment a ccs
memes intellectucls qu'ellc s'adrcssait. Dans scs dernicres Cl!uvres, le milieu est
celui de Ia bourgeoisie, ct Beauvoir s'adresse a un plus grand public. pcut·ctre
surtout a un publk fcminin. ctant donne Ia publication d'une partie de cette reuvre
dans un magazine: pour femmes. Ccs dernicres reuvres ctnient souvent
condamnecs par lcs intcllcctuels qui lcs carnctcrisaient de courrier du CCl!ur. Nous
tcnterons de Jcmontrer qu'cllcs rcflctcnt plutot une evolution dans Ia pcnsec de
Beau voir sur Ia nature de Ia rcalite. et un changcmcnt concomitant dans sa
perception de la nature du pouvoir et du rapport entre le pouvoir ctle discours dans
Ia societe. des changements qui. nous semble-t-il, s'annoncent deja dans Les
l'rfcmdarins. A Ia lumicrc de l'cvolulion pcrsonnellc de Bcauvoir face a Ia question
- 2-
du feminismc. nous examincrons plus partil:ulicrcmcnt lc rapport entre le discnurs
et le pouvoir tel qu'exprimc a traver~ les pcrsnnnagcs rcminins des ,\t/mularin.v. Jcs
Belles Images. et de ''Monologue". ct lcs implications Jc Ia nature de cc rapport
sur Ia constitution de Ia rcalitc inJividucllc. et Ju sujct lui-mcmc.
Nous avons choisi cmnme point de depart Ia notion du pouvoir ct du
rapport entre le pouvoir etle discours avam.:cc par Mk:hel Foucault dans La
Volante de sa voir et dans les tcxtes rasscmblcs dans Power/Knowledge. Lout en
etant conscient du scepticismc exprimc par Beau voir far.:e a Ia pcnscc l'oucauh.licnnc
des annecs soixantc. Nous cspcrons dcmontrcr que Ekauvoir s'cloigne de lu
notion marxiste d'un pouvoir superstructural qui a ses origines duns I'Etat. ct
qu'elle s'approchc du Foucault des annccs soixantc-dix ct de Ia notion d'un rcscau
de pouvoirs locaux et disperses. d'un pouvoir qui s'cxprime et ,;\! constituc a
travers le discours de l'individu.
Pour le marxiste traditionncl. Ia notion du pouvoir dans Ia societe
occidentale du vingtiemc sicclc est a elucidcr en tcrmcs J' unc thcoric qui prcml
commc point de depart !'existence J'une structure hicrarchiquc fixe. Unc tcllc
theorie suppose I' existence d'unc entitc 'pnuvnir'quc posscdcnt les privilcgics de
la societe, comme individus ou commc grnupes. ct 4ui u son expression supreme
dans Ia Loi ou dans l'Etat. Ainsi.les proprictaircs d'usinc auraicnl uncertain
pouvoir face aux ouvricrs. tout commc Jcs hommes face aux femmes. ou lcs
- 3-
aJultcs face aux enfants, et lc tout renvcrrait a Ia suprcmatic de I'Etat. Les rapports
de pouvuir entre l.'Etat ct scs citoyens scraient rcproduits dans les rapports de
l'hommc a sa femme, des adultcs aux enfants. ct ainsi de suite. Cctte homologie
des rapports de pouvoir cxisterait entre tous lcs niveaux de Ia societe. Tout
cxercicc de pouvoir s' expliquerait. en fln de compte. en tcrmes de Ia place occupee
par lcs individus ou lcs groupcs conccmcs dans Ia superstructure. La repression
ou Ia prohibition serait son mode d'exprcssion ct. sa force. Ainsi. le pouvoir de
l'Etat consistcrait en sa capacitc de contr6lcr les actions de scs citoyens. Les
inJi vidus ct lcs group~s qui dctienncnt Ic pou voir s ·en scrviraicnt pour dieter lcs
actions a ccux qui en sent privcs. Dans un tel systcmc. le rapport de pouvoir nc
pourrait ctrc que ncgatif car il contraindrait toujours cclui qui ne possede pas le
pnuvoir a nbcir aux cxigcnces Je cclui qui lc dctient. Pui;o;qu'il existe un lien fixe
entre lcs Ji1Tcrents niveaux. entre tous les rapports de pnuvoir dans cettc structure.
il suffirait de changer Ia nature de l'Etat lui-meme pour changer taus les rapports
de pouvnir-il faudrait meme changer Ia nature de l'Etat pour changer les rapports
de pouvoir.l
Michel Foucault rejctte ccttc conception du pou voir pour cxpliquer l' on.lrc
social actucl ct les rapports entre individus: il rejette mcmc Ia notion d'une theoric.
Dans La Volante de sa voir, iltente pl Jtot de presenter unc «analytique» du
I Ceuc nntion1.J'unc structure hicrarchique de pouvoirs trouve unc expression dans Ia philosophie de Sarlre. pour qui Ia modification lies rapports de pouvoir entre individus ne s'm:complira qu'apr~s un rcnvcrs~mentllu sy:n~mc de production. c'est-a-dirc. apr~s une revolution socialiste violente.
-4-
pouvoir. une gencalogic qui expliquc lcs mc~imismcs du pouvnir sans rc~ours a Ia
suprematie originaire de Ia Loi. et qui nic !'existence d'un sujettransccndant ct
rationnel a travers qui la rcalitc se devoilcrait. En examinant Ia transfl,rmation du
rOle du sexe depuis lc l7e siecle jusqu ·a nos jours, il ~ontrcditl' cxistcm:c d'une
repression ~exuelle imposcc par Ia classc dirigeantc, ct dont on scrait en train de se
liberer. A Ia place d'un pouvoir centralise ct opprimant qui scmil capuhle d'cxcr~cr
une telle repression. i1 prcsentc Ia notion d'un rcscau de pouvoirs dispers~s excr~cs
en des lieux divers par des individus ct des groupcs. t.lcs pnuvnirs qui s'excrccnt
independammcnt lcs uns des autrcs. ct entre lcsqucls il n' y a pas tlc rapport
necessaire ou pre-etabli.
Foucault pretend qu 'il y a eu. plutol qu' unc mise au silence, une «mise au
discours» au sujet du sexc. qui n ·a ccssc de s · augmentcr ct de se rcpandre Jans
differents domaincs de pouvoir dcpuis lc XVIIlc sicdc. Lcs rat:incs de ceuc mise
en discours se situent dans les pratiques penitcntielles du christianisme medieval. et
plus specifiquement dans le Concilc de Trcnte du XVIe sicdc qui a i mposc Jcs
changement.> dans le sacrement de pcnitcm:c. Parmi ccs changements. l'uvcu plus
frequent. ou I' accent est mis sur lc dcsir ct sur lcs pcnsccs plutot que sur I' actc lui
meme. Ainsi.le penitent n'avait pas sculcmcnL a rupportcr l:C qu'il avaiL fait. mais
a examiner SCS desirs qui s'exprimcraient dans SCS pcnsccs, OU dans SCS n!VCS, Cl
ceci dans le but de maltriserccs dcsirs . Ccttc indtation a s'unalyscr. a ~·examiner
- 5 -
en tcrmcs de son dcsir scxuel se dcvcloppc chez Jcs catholiqucs ctles protcstnnts
du X VIc sicdc jusqu ·a Ia lin du XVIIIe sicclc. Ellc marque unc transformation
importantc dans lc discours sur lc SI'XC, soit "une intensification du corps ... sa
valorisation commc objet de sa voir ct conunc clement dans Ies rapports de
pouvoir" (Foucault 1976. 141 ). C'est lc dcclcm:hcmcnt d'un processus par lequcl
lc pouvoir/savuir crcc lc concept de l'individu.
Vcrs Ia fin du XVIIIc sicclc se dcveloppe aussi unc "technologic du scxc
toutc nouvelle" (Foucault 1976, 154) qui 6.:happe a !'institution ccclcsiastiquc,
mais sans n~jeter complctcmcntle lien entre lc sexc et k pee he. C' est alors que lc
sexe uevient une affaire d'Etat. La mise en Jiscours dcbmcc par Ia pastorale
chrcticnne est appuycc et rclancc!c par u'autres mccanismes de pouvoir ( Foucault
1976. 33 ). La peJagogic, Ia mcJccine. ct Ia Jcmographie s. en OCl.:Upcnl. On sc~
met a examiner. a analyser. ct. en fin de compte. a essayer de controler Ia scxualitc
de r enfant. Ia physiologic scxuellc de Ia femme, ct Ia regulation des naissanccs. et
ccci au moyen Je 1' etahlissement, a travers le discours. d' u n sa voir cenr.rc sur le
corps de l'individu. Ces trois dnmaines de savoir/pnuvoir n'apparaissent pas du
nc:mt-ils rcprennent Jcs themes deja cnnstitucs par le christianisme. Ainsi. Ia
pcdagogisation du sexc de I' enfant rcnvoic au problcme de Ia sexualite de I' enfant
ucja pose par lc christianisme. Ia hystcrisation uu corps de la femme est en partie
u~e manicre de traitcr lcs «nbscdces» nu la notion de possession. ct Ia socialisation
- 6 -
des conduites procrcatriccs dcplacc lc contrtllc de" rapports conjugaux cxcrcc
autrefois au moyen de lu penitence. La transformation capitalc n 'est Jonc pas au
niveau de~ sujcts traitcs. mais au nivc•m des ohjcctirs de cc traitcmcnt. Cc n'cst
plus unc ques' :on du spiritualismc. de Ia pcur de Ia mort ct Ju chfttiment ctcrn'.!l.
mais de Ia normalisation. de Ia vic ct Jc Ia maladic. Un discours rationaliste vicnt
s'imposer au discoms moralistc sur lc scxc:
Du scxe, on doit parlcr. on doit parlcr publiquemcnt ct J'unc manicrc qui nc snit pas on.lonncc au partagc Ju licitc ou de !'illicite .. . . : on de it en parlcr com me J'unc chose qu' on n ·a pas simplcmcnt a condamncr ou u tolcrcr. mais a gerer. a inscrcr dans des systcmcs J'utilitc. a regler pour lc plus grand bien de tous. a fairc fonctionncr scion un optimum. (Foucault 1976. 34-35)
Cettc transformation majeure d.ms k discours sur lc scxc a mcnc ~~ d'autrcs
transformations qui ont clargi ics champs Ju discours. uu sa voir ct Ju pouvoir.
Unc mcdccinc proprc au scxc s'cst ctahlic. unc medccine qui a "Jecouvcrt" un
instinct scxuel. ct qui a fonJc lc domaine mcJico-psychologiquc Jc perversions
pour rem placer les vicillc!; categories morales de Ia ucbaut.:hc el uc I' execs. }\ ia
meme epoque.l'analysc de l'hcrcdilc. avec les implications que !'on en a tir,~ . a
mene a l' organisation d' unc gcstion ctaliLJUC Jcs muriagcs, UCS naissanccs, Cl des
- 7-
survics. Ainsi. Ia politiquc aussi s'cst impliqucc dans le discours sur le sexe.
D' a pres Foucault, "fl Ja mcdccinc des perversions ct lcs programmes de
I'eugcnismc ont etc, dans Ia tcl:hnologie du sexe. lcs deux grandes innovations de
Ia sccondc moitic du XIXc sicclc" (1976. 156). des innovations qui ont ensuite
donne naissancc a Ia theoric de la dcgcnercscence. Prises ensemble. Ia perversion.
l'hcrcditc ella dcgcncrcsccncc ont dcdenchc des discnurs non sculemcnt dans lc
domainc de Ia mcdccine. mais ensuite dans Ia psychialrie. Ia jurisprudence. la
mcdecinc legale. lcs instances de conlrolc social. ct Ia surveillance des enfants
dangcrcux ct en danger. Lc discours sur le scxc dcvicnt de plus en plus un
instrumcm de pouvoir. et d'un pouvoir de plus en plus disperse. II s'cst
maintcnant impliquc dans de nombreuses institutions socialcs. et ceci, non pas a
I' insti!!ation de I'Etat. mais a I' insti!!atiGn de ccs institutions diverscs. c. est-a-dire. ~ ~
a r instigation des individus ct des groupcs.
L'incitation a parler du scxc n'est pas une strategic que l'on a dcveloppee
pour surmontcr la repression des derniers sicclcs et libcrer l'individu des
contraintcs rcligieuses: e11c est plutotla continuation <.1' un processus par lequcllcs
imlivit1us cxcn:cnt du pouvnir au moyen du Jiscnurs. L 'idee de Ia repression du
scxe est unc invention de Ia classc bourgeoise qui chcrcha.it a sc diffcrencier de Ia
classc ouvricrc. Comme on I. a vu. pendant qu. ils parlaient de Ia repreSSluO. ils
mettaicnt en place des mccanismes pour multiplier lcs discnurs sur le sexe. Toutes
- 8 -
ccs diverscs sLrategics avaicnt pour but non pas Ia repression. mais !'acquisition
'd'un plus grand savoir dans lc domainc du scxc. Cc snnt des mccanismcs de
pouvoir qui constituent ce que Foucault appcllc un «dispositif de scxualitb•. Pris
ensemble. ccs mccanismes scrvent a cxpliquer le fait que "Ia scxualitc. loin ~!'a voir
ete reprimee dans la societe contcmporainc. y est. au contn1irc. en pcrrnancr.cc
suscitee" (1976. 195). Ccd ne vcut pas dire qu'il y ait eu un effort com:crtc de Ia
part d'un scul individu, d'un groupe. ou de l'Etat pour inciter des Jiscours ou pour
produirc du savoir sur le scxe dans tnus ces dnmaincs. On nc rcpnndait pas ;J un
imperatif de I'Etal. Cc dispositif de scxualitc a rcsultc de I' accumulation des cl't'cts
divers qui ontleurs origines dans des "«foyers lm:aux» de pnuvoir-savoir"
(Foucault 1976. 130). tcls le confcssionncl. la famille. les relations mcdcdn
patient. Ccs foyers locaux de pouvoir-snvoir sont ncs d'unc volontc de savoir. c1
d'utiliser ce sa voir comme instrument de pouvoir. Cc sont les individus. et non
pas l'Etat qui ont dcclenchc ccs discours. C'est eux qui ont exercc le pouvoir.
D'aprcs Foucault, Ia Loi n'est plus le pouvoir supreme donnt~· :1 n 'existc
pas de pouvoir supreme. Foucault examine lcs rapports de pouvoir entre
individus. ct rcjcttc Ia notion d'unc hierarchic de pouvoirs qui scraicnt imposes du
dehors. ou d'en-haut. Pour lui. lc pouvoir nc scrait pas Ia possession d'un individu
ou d'un etat: il n'cxistc qu'cn s'exen;ant. "Lcs relations de pouvoir-suvoir ne sont
pas des formes donnees de repartition. cc sont des «matrices de transformations>;'
-9-
(1976. 131). Lc pouvoir est omnipresent. mais n'cmanc pas u'un point ccnLral.
C'cst un ensemble de strategies qui pcuvcnt appuycr l'Etat actucl, mais qui n'ont
pa~i leur source dans cet Etat. Cc sontles rapports entre individus qui sont ala
source de ce pouvoir ct "l'Etat repose sur !'integration institutionncllc [de ccs]
rapports de pouvoir" (Foucault 1976. 127). Le pouvoir n'cst done pas impose aux
individus; il crce lcs individus. il lcs constituc commc individus:
fT)he individual is not a pre-given entity which is seized on by the exercise of power. The individual. with his identity and characteristics. is the product of a relation of power exercised over bodies. multiplicities, movements. desires. forces. (Foucault 1980. 73-74)
C' est done au nivcm: de 1' individu. et de ses rapports avec autrui, que 1' on do it
commencer pour elucider lcs mecanismcs de pouvnir qui sont a l'reuvre dan<; Ia
sm:icte. et qui trouventlcur expression. ct leur constitution mcme. dans le
discours.
Commc on a vu. le concept du pouvoir elucide par Foucault est etroitement
lie a l'etahlisscment du savoir. etc· est par le moyen du disr.:ours qu'on chcrchc a
etahlir cc savoir. Lc discnurs cstle lien cnlrc lc pouvoir etlc savoir. Tout commc
lc pouvoir lui-mcmc. lc discuurs n ·est pas a Ia seulc disposition des pri vilegies. il
n · y a pas un discnurs legitime et un disc ours illcgitime. 11 sert des fins multiples et
a un rapport changeant avec le pouvoir. II peut ctre a Ia fois
instrument ct cffct de pouvnir. mais aussi
- 10-
obstacle, butee. point de rcsistam:c Ct depart pour une strategic opposcc. Lc discnurs vehiculc ct produit du pouvoir: illc rcnforcc mais aussi le mine. !'expose. lc rend fragile ct permet de lc barrcr. (Foucault 1976. 133)
Le rapport entre lc discours ct lc pouvoir est un rapport primordial ct cssentid, ~ar.
relations of power cannot themselves he established. consolidated nor implemented without the production. accumulation. circulation and functioning of a discourse. (Foucault 1980. 93)
Ce lien fondamcntal entre lc pouvoir ct lc uiscours suggcrc que lc point de ucpart
pour analyser les rapports de pouvoir dans une situation particulicrc scrait une
analyse des discours des individus. Ccttc methode devrait pouvoir s'appliquer i\
des rapports entre individus aussi hien qu ·a unc gcncalogie tclle cclle de Ia
sexualite. car c'est au nivcau des individus que le pnuvoir s'excrcc ct que lc
discours est dcclenche. C'est dans ce contexte. alors. que nous proposons
d'etudier les rapports de pouvoir tcls qu'ils s'cxprimcnt ct sc constituent a travers
le discours de Bcauvoir et des pcrsonnages de scs romans ct de scs nouvelles.
Avant de proccdcr a unc analyse du r61c tlu discours dans 1' I.CUVre
romanesque de Simone de Bcauvoir. il scrait important d'examincr nos prcmis!ies
sur ]a nature du discours littcrairc. ct de situcr cc uis~.:ours pur rappon au disc ours
- 11 -
dans lc scns large dont parlc Foucault. No us constatons done que no us ne
considerons pas le textc Iittcraire comme la representation d'une realite qui lui soit
cxtcrieurc. I1 n'y aurait pas derriere Je discours du roman unreel que nous
tcnterions de dcvoiler. Nous dirons plutot, avec Proust. que "l'ouvragc litterairc,le
mondc littcraire. est lc lieu privilcgic de 1' intcrsubjectivite'' (Bcauvoir J966c. 456).
que I' actc d' ccrire ct 1' actc de lire. ensemble constituent unc communication a
travers laquellc sc constituc unc rcalitc particlle. Nous tcntcrons d' appliquer les
discours de Foucault et des postmodernes au discours Iittcraire de Beau voir dans
un effort de constitucr une tcllc rcalitc particlle. et ainsi d'cludder les rapports qu'il
pcut y avoir entre lc discours thcorique et lc discours lillcraire.
Chnpitre I
La notion du pouvoir elucidee par Michel Foucuult vu a l'cncnntrc de Ia
theorie rnarxiste/cxistentialistc implicitc dans 1'1cuvrc romancsque de Simone de
Beau voir jusqu • aux Mandarins. ct dans Le Deuxihne sexe. Pour Ia Bc~mvoir Jc
cette epoque. le pouvoir. en dcmicrc analyse. rcsiuai t dans I' E:tat ct ce n ·eta it qu· en
s'achamant a renvcrscr les structures ct a lcs rcmplaccr par ··Ja societe
authcntiquement dcmoeratiquc qu ·ann once Marx" ( LDSI. 241) que 1' on pmHTait
cffcctuer lc vrai changcmcnt. La nit Foucault voyait unc multiplicite de rapports de
pouvoir toujours changeants. Beau voir voyait lcs dctentcurs du pouvoir J'un d)tc
et ceux qui en etaient privcs Jc !'autre. Pour Foucault lc pouvoir n'avait pas de
rcalite avant ou en Jehors de sa mise en pratique. landis que. pour Beau voir. il
existait. il etait une cntitc dont on posscJait une pml plus ou moins large. scion Ia
place que l'on occupait dans Ia societe. L'Etat, tel qu'il existc actucllcmcnt.
exercerait le pouvoir sur rindividu au moyen des structures divcrscs qu'il aurait
miscs en place. Les institutions qui auraicnt leur place dans ces structures
posscderaient un certain pouvoir qui leur auruicnt etc transmis par I' Etat ct qu· cllco;
exerceraienl en son nom. et lc loul aidcrail a maintcnir lc pouvoir de I' Etal.
Dans un tel systcmc hicrarchiquc. lcs rapports de pnuvoir scraicntuni
directionnels. Dans un mariagc traditionncl. par cxcmplc, Beau voir voyait unc
- 13 -
institution qui ''subordonnc normalemcntla femme ..i '.l mari'" (LDSII. 290), et qui
condamne Ia femme a I' impuissance (LDSII, 327). H.!auvoir prctendait adherer a
I' cxistcntialismc de Sar..rc qui voudrait que tout cxistant soiL libre de se choisir.
mais dans son analyse de Ia situation de Ia femme dans Le Dew:ieme sexe ct
aillcurs. ellc accordait plus d1~ pnids a Ia situation indi viducllc que n 'a fait Sartre
dans L 'Etre etle nhmt. Scion ellc, Ia situation de Ia femme lui ctait imposcc par
l' Etat ct scs dclcgues. Done, malgre lc fait que Beau voir affirmaH avec Sartre que
tout individu a la libcrtc de chnisir sa propre existence. cllc admctrait que "lcs
femmes ... sont victimcs d'unc mystification soigneuscmcnt orchcstree"
(Bcauvoir 1961. 406). Sa situation. qui rcleverait de I' hegemonic bourgeoise. et du
besoin qu 'aurait Ia societe de Ia gurder a sa place, la prcdisposerait a faire certains
choix. C'est dans ce contexte qu'clle abdiquerait sa libertc. A lu base de cellc
analyse de Ia si•.uation de Ia fcnune est une thcnric marxistc du pouvoir. Lcs choix
dont parlc Beau voir sont des choix individuels, mais ils rcnfcrcentles structures de
l' Erat. aux cxigences duquel ils repondem. Pour changer Ie sort de Ia femme i1
famlrai.t changer l'Etatlui--mcmc. D'nprcs Beauvoir. "[t]nut changerait. lcs
ideologies. lcs mythcs, lcs relations des cpoux entre eux ct de chacun avec soi
mcmc. des parents aux enfants. de to us a Ia societe. si cclle-ci se transformait''
(Beau voir 1961. 408). Ici. cllc rcprend Ia theorie marxistc du retlet qui rnaintient
que lcs idcologies-lcs rapports de pnuvnir. la culture au scns largc-sont lc retlet
- 14-
de Ia base eeonomique de Ia societe. que lcs relations c~onomiques fomlcnt toutc
autre relation. mcme Ia plus ideate. Les transformations ccnnmniqucs
qu'envisageait Beau voir nc pourraicnt se prouuire que dans un mondc socialistc
(LDSII, 598): "[Q]uand la societe socialistc sc sera rcaliscc Jans lc monde cnticr il
n'y aura plus des hommes ct des femmes mais scu]cmcnt des travaillcurs cgaux
entre eux" (LDSI. 99). Lc rapport traditionncl hommc-fcmmc s'cxpliqucrait Jon~:
en termes des strategies imposces par lc systcmc. ct rcnvcrrait aux structures Jc
Pouvoir immancntcs ala democratic bourgeoise. hisllUC k pnuvoir a scs oril.!incs ... . ...
dans rEtuL. et puisquc lcs rapports entre individus sonl organises ~l l'intcricur des
parametres etablis par l'Etat, on pourrait changer Ics rapports Je pouvoir jusquc
dans les rapports intimcs entre in<lividus en changcantla nature de l"Etat.
Une tcllc philosophic de pouvoir reserve au Jis~:ours un rClle hicn deli mite.
11 est. avant tout. un moyen transparent de communication. Dans unc sm.:ictc oitle
pouvoircst une possession des privilegi<!s.la parole leur scrt J'ouLil; cllc n ·a pus de
valeur en soi. C'est seulcment ~~ux qui ontle pouvoir et ccux qui ont acccs a un
public assez large teJs lcsjoumalistcs. lcs ct:rivains ctlcs intcllet:tucls. qui sa vent
exercer de rinllucnce a travers le discours. Lc pouvnir discursif n' cxiste que dans
le do maine public. pnlitiquc. et sa force cstunc fonction de t:clui qui parlc ct du
contenu de son discours plutot que du discours lui-mcmc. Parcc que Ia parole est
transparcnte. elle ne crce pas Ia rcalitc. cllc Ia rcllctc. Lcs intcllcctucls ont done tm
- 15 ..
certain pouvoir en vertu du contcnu de leur discours, en ,:ertu de Ia realite que
reflete leur discours. lis ont aussi acces au discours public, qui est le moyen par
lequcl cc pouvoir pent s'cxcrccr ct cctte vciitc se reveler. Le but de eel exercice du
pouvoir discursif est done d' influencer les autres. de leur imposer une real it~ qui se
veut objective. Chez l'intcllectucl engage. cc pouvoir s'accompagne d'un devoir
cnvers Ia societe. celui de transmcttre Ia verite aux autres. Car. la meme verite qui
est la source de son pouvoir peut etre la source du pouvoir Jes masses et ce
pouvoir pcrmcttrait a ceux-ci d'effectuer lcs changements dans Ia societe. Pour les
intellcctucls de gauche. tcllc Bcauvoir. la verite qu 'ils avaicnt a decclcr. c. ctait Ia
corruption du systcme politiquc tel qu'il existait ct Ia necessitc dele remplacer par
un autre. En dcvoilant cctte verite, on pourrait esperer mobiliser les membrcs de Ia
classe oppri mcc a se libercr en rcnversant lc systeme. c· est lc lien entre la parole
ct la vente qu 'ellc reflcte qui scrait important; le discours n'cxcrccrait du pouvoir
qu. en tant qu 'il etait politiquement inspire, qu' il visait le devoilemenl de cette verite
qui etaitjusqu'alors Ia possession exclusive de quelques privilegies.
C'cst cettc philosophic du pouvoir et du discours qui a inspire les premieres
u:uvrcs de Simone de Bcauvoir. et qui est toujours cvidente dans Les Mantlarins.
du moins dans scs grandcs lignes. En tentant de donner le gout de l'apres-guerre
en France. Beauvoir metl'accent d'abord sur la scene politique. Elle presente une
totalitc. com me s' il y avait une logiquc inhcrcnte au systcme ct comrne si le
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pouvoir s'excn;ait au niveau du systcmc plutot qu'au nivcau des indiviuus. Tous
les personnages principaux ont leur place dans ce systcmc, unc plat~c qui est Jcfinie
par le rapport de l'individu ala structure de pouvnirs. Ainsi Robert. en vcrtu de
son age, son sexe, son sa voir ct scs realisations. occupc unc position de pouvoir
dans Ia societe. Henri a un moindrc pouvnir en vcrtu de sa reputation comme
ecrivain el comme joumaliste. ct Anne est pratiquemcnt dcmunie de pou voir. cl~llll
une fenune sans influence dans le domainc politique. Lc lllit qu' Anne n'a pus de
role strictement politique a joucr pourrait mcncr lc lcctcur a sous-cstimer son
impnrtam:c dans le tcxte. surtout par rapport a la notion llu pouvnir. Mais t.:Cl
apolitisme sert a souligner !'ambivalence inhcrcntc a Ia situation d' Anne. qui sc
dcfinit non seulement en tcrmes de sa place dans Ia structure. mais aussi en
fonction de ses rapports avec autrui. C'cst a travers le conllit personnel que
provoque cctte ambivalence qu' Anne mcttra en question Ia notion mcme d'unc
strJcture hicrarchiquc de pouvoirs. et qu'cllc en vicndra a voir que cc sontlcs
relations personnelles plutot que 1' arene politiquc qui constituentlcs lieux
privilegics du pouvoir. II y a uonc uans Les Mandarins ucux notions distinctes du
pouvoir. L'idce d'un systcme hicrarchique. que Bcauvoir a cpouscc uans scs
premieres reuvrcs, est representee id surtout a travers lcs pl!rsonnagcs mw,r.:ulins,
landis que le cc .1cept du pouvoir personnel. qui sera approfondi uans son n:uvrc
ulterieure. s'cxprime prinr.:ipalcment a travers lc discours des pcrsonnagcs
- 17 -
feminins.
A l'interieur de Ia structure hicrarchique de pouvnirs qui domine dans Les
Mandarins. lc role du discnurs. ct son lien avec Ia verite. sont mis en evidence
principalement o travers Robert et Henri. taus deux journalistes ct ccrivains de
gauche. Eux sont parmi les privilcgics de Ia societe; ils se croient dctenteurs de la
verite de l'avenir de !'Europe ct ils sc donnent la t:khe de reveler cctte verite aux
autrcs dans un effort de creer une Europe socialiste. Des le debut du roman il y a
contlit entre Robert ct Henri quant a leur rf>le commc intcllct.:tucls dans la France de
I' uprcs-guerrc fat:c tl ccttc verite. Lc fait de leur pnuvoir n ·est pas mis en question.
sculcmcntla fa~on dnnt ils devraicnt s'cn scrvir. Henri ne se veut pas un homme
politique. mais Robert insistc qu' "il nc faut plus abandonner Ia politiqw~ aux
politkicns'' (LMI. 16). Pour lui, Ia situation est claire. ct son rote aussi:
I' engagement total dans Ia luttc est une necessitc. un devoir. Henri. par contrc,
aurait prcfere .. redcvenir ce qu'il etait .. un ecrivain" (LMI. 22): il veut continuer a
dirigcr son journal sans adopter un progn:t;-->me politiquc a priori. 11 envisage de
"former lcs lcctcurs au lieu de leur bourrer lc crane. Non pas leur dieter des
opinions. mais leur apprem.lrc a juger par eux-memcs" (LMI. 32). Le discours
d'Hcnri rellcte le libcralismc du sicclc des Lumicres. ce qui lc place sur un tout
autre terrain que Robert dontla philosophic est plutot cclle du Realpolitik. Pour ~e
dcmicr. c'est le but qui determine les moyens. qu'il s'ngisse de dieter des opinions
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aux lecteurs. ou de sc scrvir d'un tmcien ami qui pmHTait ctrc utile a Ia cause.
Ainsi. malgre !'hesitation d'Henri, il insistc pour que cclui-d I' aide£\ crccr un
nouveau mouvcmcnt politique qui rasscmblcruit unc gauche imJcpcndante des
c:ommunistes. et. en fin de compte. Henri "nc sc sent[ ... I pas lc droit de sc
defiler" (LMI. 19). La convi~.:tion chez Henri d'ctrc dctcmcur d'un pouvoir
discursif cn!e un devoir qu'il nc pcut ignorer. II consent a travaillcr avec Rohcrt.
mais insiste pour que L 'Espoir rcstc indcpcndant. La aussi. it lin it par ceder ct
L 'Espoir devientl'organc du S.R.L.
Lc con !lit entre Rohcrt ct Henri s'upprornnuit au ~ours du roman ct ~ulminc
dans une brouille occasionncc par Ia question de I' existence tics camps de truvail
sovietiques. et si oui ou non L 'E~JJoir. qui est maintcnant lc journal uu S.R.L..
devrait en parlcr. Henri, qui faittoujnurs l'oi au pouvoir de Ia verite. insistc que
oui; J{obert. bien qu' il admcttc l'cxistcm:e des camps. nc vcut pas que lc journal en
parle. Robert est plus interesse par lcs ramifications uc ccttc action: ··mcs devoirs
d'intellectuel. le respect de la verite. ce sont des faribolcs. La seulc question c'est
de savoir si en denom;antlcs camps on travaille pour lcs homrncs ou contrc cux"
(LMII. 69) II a pcur que Ia gau~.:hc ne snit annihilcc. ct Lout cspoir J'unc rcvnluticm
aneanti. par unc telle revelation du scin mcmc Jc Ia gauche. cl il accuse Henri de nc
s'occuper que de Ia figure que ses actions lui JonncnL Henri. toujours cpris de scs
devoirs. insiste sur lc fait que c'cst Ia verite. ct qu'cux n'ont pas lc droit de Ia
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cachcr. Commc journalistc. il nc croit pas avoir lc droit de choisir quclles vcrites il
va divulguer ctlcsquellcs il va tairc. Henri decide de publier les informations.
action que n' acccptc pas le S .R.L. Lc lien entre L 'Espoir ctlc S.R .L. est dvnc
brisc, en me me tcmp'i que se brouillentlcs relations entre Henri et Robert. Henri
reprcnd l'indcpcndance de son journal face au mouvcmcnt. ct son propre
indcpcndancc face a Robert. En cc faisant, il tcnte de rctablir son propre pouvoir
discursif en mcmc temps qu. il affirme le lien entre cc pouvoir ct la verite.
La brouille avec Robert estla culmination d'un autre processus chez Henri.
Dcpuis In fin Je Ia gucrrc Henri est a lu recherche Lie Ia verite. sa propre verite. ct
cellc du monuc de I' aprcs-guerre. Les circonsta.m:es de sa rupture avec Roberl. 1 ct
Ia reponse de tous Ics cotes a son article sur les camps, ont dctruit sa confiancc
Jans Ia verite et dans son pro pre pouvoir. 11 voit que Ia verite qu' il chcr·;hait
n'existc plus. Henri avail cru rendrc un service a toute I'humanite. ct surtout a Ia
gauche. en exposant cc qui sc passait dans l'U.R.S.S. Mais il est maintenant hai'
par touir.la gauche. y inclus ses anciens amis. lc seul rnouvement non-communiste
Jc gauche csl Llclruit. ct. cc qui est mcmc pirc. il est approuvc par Ia droi tc . Son
ideal Lie Ia verite n'a pas de place dans ccttc nouvelle rcalite. Lc pouvoir de son
Jiscours est sapc par 1·existcncc des autrcs qui l'intcrprctent a leur guise. C 'est Ia
rncmc chnse qui lui est deja arrivee dans lc do maine litterairc: "Le pu{,lic avail
1 Ellc ~tail inllucnccc par un mcnsongc qui lui a\'ait fail cmirc que Robert s"ctait inscrit au parti communistc, cc qui l'a mis sur Ia d~fcnsivc quand il est allc parlcr lies camps a Rohcrt. ct cc qui lui a pcrmis d' imputcr ~\Robert d'autrcs mohilcs pour vuulnir cachcr l'c:<istcncc des camps.
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aime un livre tout a fait different de cclui qu'Hcnri avail em lui soumettrc" (LMI.
192). Commc pour souligner sa dcsillusion. Henri consent a donner un faux
temoignagc. a temoigncr en favcur d'un collahnratcur. alin de sauvcr son amantc
Josette, qui a cllc-mcmc collaborc. N'ayant plus d'cspoir uans 1' avcnir de Ia
revolution. il pcut nicr Ia verite jusquc dans lc passe. II pcut llonc uirc. lc jour Ju
temoignage. c:ue .. le mot de verite ne signifiait ricn id'' (LMII. 32 I). La verite
n'esl plus unc valeur absoluc. cllc n'existe que pour scrvir a une certainc lin, dans
cc cas. sauvcr Ia vie a\mc amic. Le lien entre lc disc ours. Ia verite ahsoluc et tc
pouvoir s'cst trans forme. Effcctivcmcnt. u mc~urc qu'l-lenri s'impliquait dans Ia ;...
politique, il perdait sa voix. et·donc son pouvoir. Mais ccttc perle nc devientlotule
que quand il dedaigne Cumplctemcntla verite, Ia UCCOU vcrtc de son faux
temoignage par Lambertle for~ant u abandnnner L '£spoir.2 Maintenant qu'il est
depossede de son journal. Henri ne voil plus de place pour son diswurs p;,)itiquc:
il se remct a Ia litterature. rcnon~ant a Ia possibilil'S d' unc al:tion cflicucc oans lc
journalismc au dans la politiquc. L ·ancien ideal des Lurnicrcs est mort. cl avec lui
les vieillcs caLcgories de mensonge ct de verite. Nc pouvanl plus s'appuycr sur lcs
valcurs esscntielles qui ctaientlc fonocmcnt me me de ses acti< ms ctlle sun
.:! It est a notcr aussi que cc sont les cvcnemcnts dans sa vic pri vee. les rapports de pou voir intcrpcrsonncls, qui sont a l'origine de l:clte pert c. Sa rurturc avec Rohcrt a d 'ahorll donne !Ill pouvoir ~ Lamben, sa procrastination face aux prnhlcmes personnels lie celui-d a crcc de l'hostilitc entre cux, et scs relation.> a\'CC Joscnc ont donn~ a Lambert !'occasion de sc vcngcr u'Henri. Ironiquement, le llchat sur tc pouvoir au niveau lie I'Etat sc ucroule. ct sc rcsoutlinatemcnt, au nivcau de J'individu . La notion du pouvuir personnel. que l'on vcrra plus en detail chez Anm:. mlluc aussi sur I' existence puhliquc d'Hcnri.
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discours, Henri nc voit plus comment ou pourquni il cxcrccrait du pouvoir
discursif.
Robert aussi vient a constater !'impuissance des intellcctucls lranc;ais (LMII.
337). II sc rend compte que tout depend maintenanl des deux blocs. 1' Amerique et
I'U.R.S.S .• et que la France ·t'est qu'une puissance de cinquicme ordre II voit
LOujours le pnuvoir en termcs de I' Etat. seulcmcnt l' Etat est devenu ces deux blocs.
ella France n'y peut ricn. ce qui implique que. comme individus. les intellectuels
fram;ais nc pcuvent ril~n non plus. Ce houleverscment politique et idcologique
auqucl assistcnt lcs pcrsonnagcs des Mcmd({rins rcprcscntc chez Beau voir un
dcplaccmcnt idcologiquc vers le pluralisme foucauldien ou postmoderne. ct
!'abandon de l'ancienne ideologic de Ia representation. un deplacement qui
s'acccntucra dans ses u:uvrcs ultcricurcs. Mais pour Robert. le dctr<lnemcnt des
:ml:iens pouvoirs mnndiaux (la France. I' Angleterrc) en favcur des Etats-Unis et de
l'U.R.S.S. signale Ia perle du pouvoir de l'intellectucllran<;ais. La France
n'occupant plus unc place avantageusc dans Ia structure mondiale de pouvoirs.
l'intcllcctucl franc;ais nc pnurra plus influem:cr uircctcmcnt les affaires mnnuiales.
La revolution ne d~pcndra pas de lui car son discours nc sera pas entcm.lu. il ne
sera pas compris Ia nu s'cxcrcera le pouvnir. Rohert. tout comme Henri. se croit
incapable d'unc action efficacc. ct done impuissant face au nouvel ordre politique.
Cc n'cst qu'a Ia fin du roman que Robert et Henri rcgagnent leur foi dans
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l'nr:tion collective. Ni l'un. ni l'autrc n·a pu se resigner a ne ricn fain.~ . Robert s'y
implique d'abord; il justilic sa decision de s'inscrire a un nouvc:.tn mouvcmcnt
politiquc en const.1tant que les mcmbres de ce groupe nc viscnt plus a changer lc
monde. mais a s'attaqucr a des prohlcmcs spcciliqucs. concrcts: "On cssaic de sc
defendre contrc un danger donne en utilisant lcs moycns du hnrd. C'cst hcauctmp
plus realiste" (LMII. 454). Henri le suit pcu de temps aprcs. 11 rcnoncc
maintenant a une vie paisible ou il nc fcrait rien d'autrc que d'ccrire des romans.
Cette fois. son choix de faire Ia pnlitiquc est dictc nnn pa1-i par lc devoir. mais pm·
une consideration des alternatives: il veut maintenant fairc Ia politique car. '\:ctlc
mueue impuissance. ce n'est pas t;a qu'il voulait. II n'acccptcrait pas Lie dire n
jamais: «Tout se passe sans moi.»"(LMII. 490). Robert et Henri se rcmcllcnt
done ala politique et au jnumalisme. En ce faisant. its rcnJcnt au discours public
uncertain pouvoir. mais c'cst un pouvoir tempcrc par Ia nouvcl1c rcalitc politique.
11 h y est plus question J'absolus tels la verite qu'ils visaicnt autrefois. ou de Ia
revolution sodaliste. Lcs qucst:ons posces par Henri sur l'existem:e J'unc rcalitc
objective sont done rcfoulees. Maintcnant. il s'agit plutflt Jc prclcrcm:cs. "Jc
decider parmi lcs choses qui existent ccllcs qu ·on prclcre" ( LM II. 462). de choisir
le moindre mal. tout commc il a deja fait en tcmoignunt pour Josette. II faut
"travailler dans l'immediat'', san~ ••idees prccon~ues" (LMII, 454) que l'on
cherchcrait a imposer a autrui. Robert ct Henri nc pcnscnt pas avoir perdu leur
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pouvoir discursif (qui s'cxcrce toujours dans lc domainc public), mais.leurs buts
etant plus modestcs, le contenu de leur discours n' est plus lc meme. lis ne parlent
plus de l'ideLlngie. mais de I' action concrete, avec des buts precis. Pour Robert et
Henri, la nature du pouvoir n'a pas change. seulement leur place dans Ia structure;
leurs rOles politiques sc sont transformcs. Ils reconnaissent que Ia France n'cst
plus un grand pnuvoir politique. et que leurs discours n · ont done pas un grand
poids face aux discours cmanant de l'U.R.S.S. ou de I' Amerique. Mais ils se
croicnttoujours capablcs d'intlucncer des evcnemcnts a l'cchelle de Ia France en
parlant contre Ia politiquc d'un de ccs deux grands pnuvoirs. I' Amerique. en cc que
cctte pnlitiquc concemc dircctcment les Fram;ais. Pour ce faire ils acccptent de
Lravaillcr avec les communistcs. En informant le public general. its comptent
mganiscr unc rcsistam:c conLre des problemes spccifiques. tel rarmement de
1' Europe. Bien qu • ils semblent a voir rennnce a construirc une Europe socialistc,
ils comptent pouvoir limiter les degats du capitalisme. En choisissant la politique
et te joumalisme. Robert ct Henri reaffirmcntle rapport entre te pouvoir et lc
discours. ils rcaffirmcnt aussi I' existence d'unc structure de pouvoirs. mais its
rcjcucnt Ia verite conunc valeur absolue.
Ccttc notion d'unc structure de pouvoirs ou chacun et chacunc auraicnt sa
place est d' abord renforcce et cnsuite mise en question par Ia structure meme des
Mandarins . Cnmmc nn t'a deja vu. dans un tel systcme hicrarchique. Ia femme est
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parmi ceux ct celles qui sont dcmunis de pouvoir. Dans l.Ks tHcmdarins cctte
hierarchisation est evidcntc dans Ia division de pnuvoirs enlre lcs Jcux narratcurs.
Henri et Anne. Anne ne participe pas directcmcnt a I' intrigue principalc. cllc n' y
est que temoin. sans mcme Ia possibilitc d'excrccr Ju pnuvoir. Son manque tic
pouvoir, dans le domainc politiquc ct aillcurs. est mis en evidence Jcs le debut. La
presence de deux narrateurs nous pcrmet de voir certaines scenes Je ucux points t.lt:
vue differents, tout d'abord ccllc ou on tete Ia defaitc ues Allemands. C'est a
travers Henri qu'on est introduit au mondc d'aprcs-gucrre uc cc groupe
d'intellcctuels fran~ais. Anne est prcsentc a ccttc tete ct. quelques pages plus loin.
on la voit de son point de vue a elle. En fait. chaquc fois que Ia mcme scene est
presentee deux fois. c'est toujours par les yeux d'Hcnri qu'on Ia vnit d'ahonl.
Ceci pourrait suggercr qu' Anne scrt a corriger ou a cquilibrer I 'interpretation
d'Henri, sauf que, dans les sections racontccs du point de vue d'Hcnri. il s'agit Jc
la narration a Ia troisieme pcrsonne. Landis que cellcs racnntccs du point de vue
d' Anne sont ala premiere pcrsonnc. On a done !'impression qu'Henri nous
presente les chases telles qu'elles sont pour uc vrai. ohjcctivcmcnl, ct qu' Anne
nous donne cnsuite son interpretation pcrsnnncllc tics memes cvcncmcnts. Si c'cst
le point de vue de Ia totalitc qui est va!orisc, l'ohjcctivitc est plus importantc que Ia
subjectivitc. La perspective individuclle, representee ici par lc pcrsonnagc fcminin,
est secondaire. Du moins dans la premiere partie des Mandarins.l:'cstlc point de
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vue masculin. celui de Ia totalitc. qui dominc. C'est Henri qui conunence le
premier tome. c'cst Henri qui lc tcrrninc. En termes de I' action et du nombre de
pages mcme. Henri est le pcrsonnage principal de cette section du roman. Les
premiers chapitres sont diviscs entre Ia narration d' Anne et celle d'Henri, a
commencer toujours par Henri. L 'avant-dernier chapitre du tome I est le premier
qui est consacre tota1cment a Anne; c'cst aussi. significativcment, celui ou Anne
prend Ia decision d'allcr en Amerique. de s'eloigner de sa place dans Ia structure
representee par Robert ct Henri. Dans le deuxicmc tome. Ia situation des deux
narratcurs est pratiqucment invcrsce: c'est Anne qui commence cctte section. et
c'est elle qui ale demier mot. II y a bien plus de pages consacn!es a son point de
vue, a son developpement personnel. qu'il n'y en a au point de vue d'Henri. Ce
changemcnt d'accent signale chez Beauvoir un cloiunement de Ia notion d'un ... ... ...
systcme hicrarchique de pouvoirs et un rapprochement de I' idee du pouvoir
personnel, individuel. representee par Anne.
Les differences idcologiqucs incarnees par les deux narrateurs sont ref1etees
dans Ia manicrc dont Beau voir nous presente chacun d'eux. Le pcrsonnagc
d'Hcnri s'intcressc des lc debut ace qui se passe autour de lui. c'cst lui qui nous
situc dans lc temps et dans l'cspace. On sail qu'on est en France justc apres Ia
dcfaitc des Allemands. et qu'il est mcme question tout de suite d'aller plus loin.
d'elargir le champ d'action d'Henri. La presentation d' Anne. par contrc, nous
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laisse plutot descmpan!s. On nc voit pas tout de suite qui parlc. ni ou cllc est. ni ou
elle se situe dans le temps. A la difference d' Henri. elle est prcoccupce par ses
pen sees interieures, par cc qu · elle sent plutot que par cc qui sc passe uans lc momlc
exterieur: le monde exterieur n'est important que dans Ia mcsure otl il aiTcctc sa vic
avec Robert. La ou Henri parle surtout ue scs projcts futurs. cllc ruminc lc passe.
Henri nous est presente tout d'abord sous son aspect puhlic. nn lc connait a tmvcrs
ses rapports avec autrui. dans le contexte de Ia situation pnlitique, landis qu' Anne.
on la connait par son discours intcrieur. a travers scs pcnsccs intimes. ct duns le
contexte de son ruppnrt avec son mari.
Ces pensces in times no us rcvclent qu' Anne. hi en qu' ellc a it un metier ct
une liberte sexuellc peu commune chez lcs lcmmes de son cpnquc, sc deli nit
principalement par rapport a son mari. Elle est en ce scns une Iemme ~ans
pouvoir. Pour elle. la mesure de toutes choscs. c'cst Rohert. II estliucralemcnt
son sauveur. ayant remplace Dieu dans son existence. C'cst lui qui I' a tirce Ju
chaos ou elle se trouvait aprcs avnir perdu Ia foi: "Du moment oi1 j'ai aimc
Robert, jc n · ai plus jamais eu peur. ue ricn" (LMI. 39). II a donne un scns a un
monde ou clle n'en voyait pas; son discnurs I' a .. suhjuguce" (LMI. 71 ). Ellc nc
s'est meme pas rendu compte Je scs proprcs sentiments envcrs lui avant qu'il nc
les mette en paroles: "11 m'a rcpondu tranquillement: «Mais vous m'airncz!>, Et
aussitot j' ai su que c' ctait vrai" (LMI. 71 ). Avant de connailrc Rohcrt. vi vrc. pour
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Anne. "c'ctait attcndre Ia mort" (LMI. 72). Mais il I' a convaincue que ''l'humanite
allait quclquc part. l'histoirc avail un scns ct [sa] proprc existence aussi" (LMI.
72). 11 a balayc Ia mort et Ies vieillcs pcurs qui ravuient hantce. Anne acccpte et
intcriorise lc discours de Robert: c'est ce discours qui a fait d'elle Ia femme qu'elle
est actuellement.
Pourqu01 done les premiers mots d' Anne dans Les Mandarins. concement
ils Ia mort? Pourquoi Ia mort est-elle revenue rodcr? Pour rcpondrc a ces
questions il faut rctoumcr a Ia question de Ia politiquc ct de Ia structure des
pouvnirs. Bien qu' Anne nc participc pas activcmcnt ala pnlitique. cllc est trcs
sensible a cc qui se passe au tour d'cllc. Ccs cvcncments Ia concemcnt dircctement
puree qu'ils conccment Ia vic de Robert. La realisation que leur monde a change ct
qu'il va encore changer rcssuscite ses vicilles peurs. C'estle Russe Scriassinc qui
met en paroles cc qu' Anne prcssent. quand elle lui parle ala lctc chez Henri. II a
vecu en U.R.S.S. et il vient d'arrivcr d'Amerique. il a done une perspective un peu
differente sur cc qui se passe en France ct dans le monde en tier. Scriassine lui
parlc surtout de Robert et des choix qu' il aura a faire. II est convaincu que Robert
va abandonner Ia littcraturc. que lc mondc a tellemcnt change que Robert ne pourra
plus rcconcilicr Ia littcraturc ct Ia revolution. Lcs avcrtisscments de Scriassinc font
retcntir un echo chez Anne. ct ellc sc rend compte que depuis des jours. des
scmaincs pcut-ctre. cllc aussi sc dcmanduit comment ils allaient vivrc. Face a
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!'incertitude de r avenir de Robert eta l'idcc qu' il pourrait nc plus ecrirc, Anne
entrevoit Ia dissolutior, du monde regie auqtu::l ill' avaiL fait croirc. en granuc pmtic
a travers Ia litterature. Ellc sc rctrouvc Ia ou cllc ctait avant de lc cnnnaitrc. sculc.
Elle ajusqu'ici veeu avec lui comme en cllc-mcmc. sans disti.lncc (LMI. 6~). Eltc
se rend compte qu'clle ne pourra plus vivre ainsi. que Robert nc pnurra plus
assurer son avenir. Pour Ia premiere fois ucpuis vingt ans Anne rcconnail qu'cllc
doit prendre du recul devant Robert. On a I" impression qu'elle commence
seulement a se constituer commc sujct. a rcconnaltre qu' cllc prcnait jusqu' ici le
statut d ·objet dans lc monuc de Robert. Elle rccnnna1t qu' "il voit tout. mais pas
avec mes yeux" (LMI. 67), qu'il y a une distW1ce entre sa su~jcctivitc a cllc ct ccllc
de Robert. et elle est bouleversce parcette revelation. Jusqu'ici Anne nc s'cst pas
occupec de sa propre impuissance. Tant qu 'cllc pnuvait sc ficr a l'avcnir que
preparait Robert. il n'cn etait memc pas question. de son proprc pouvoir. Ellc
occupait exactemcnt sa place dans le monde de Robert. Main tenant que cc mondc
est mis en question. sa place face a Robert I' est aussi. Puisqu'cllc n'a Je place !.,ue
face a Robert. tout est mis en question.
Les doutes evcilles par Scriassinc Ia mcncnt a rccxaminer aussi le dcuxicmc
element quijusqu'ici a defini so~ existence. Ia psy<.:hanalysc. Avant. Anne voyait
son metier comme integre a celui de Robert. Robert l'avait approuvc en y
consacrant une place dans lc systcmc: il trouvait passionnant qu'cllc puissc
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"rcpenser Ia psychanalyse clussique a Ia lurnicre du marxisme'' (LMI. 73). A
l' intcrieur du mondc que Robert construisait. le rOle de Ia psychanalyse etait de
rcndrc les gens .. capablcs d'affronter lcs vrais problcmes qui se posent dans le
mondc" (LMI. 93). Si I' avenir ctait menace. il fa11ait rcmettre en cause son rOle
comme psychanalyste. Aprcs tout. ''gucrir. c'est souvent mutilcr: dans une societe
injuste, l'equilibrc individucl. qu'est-cc que t;a vaut'?" (LMI. 93). Lt~s paroles de
Scriassine ont incite cct exrunen de soi chez Anne. Sa decision de coucher avec lui
suggere qu'clle s'cloigne de l'idcologie que lui a imposce Robert. et qu'elle admet
l'cxistcm:c tl'autrcs fa<;ons tlc voir lc monde. C'cst a travers le discours intimc que
provoque sa conversation avec Scriassine qu' Anne tcntcra de rctrouvcr sa place. de
se redcfinir.
Bien qu'clle cntrevnic ce mondc nouveau Otl Robert ne jouerait plus auprcs
d'clle lc role du sauvcur. ou il ne serait plus sa defense contre Ia mort. Anne ne
rcnoncc pas si facilcment a sa vieillc securite: elle n ·accede pas si vite a une prise
de pouvoir personnellc. Ellc continue de sc det1nir en termcs de Robert. II est clair
qu'il a tuujours le mcme pouvoir surellc: aprcs tout il n'est pas si facile de deposer
Dieu. En sc posunt des questions sur Robert. elle met trait en doute son propre
passe. son existence mcmc. Anne n'cst pas encore prete a accepter !'impuissance
de Robert. cllc veut chasscr ccs doutes sur l'avenir qui mettent en question ce
qu'cllc a clc et cc qu'cllc est. Sa premiere rcponsc est done de ne pas y penser. de
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se consacrcr tout enticrc a son travail. mais clh.~ change de perspective sur ce travail.
Elle se donne un but bcaucoup plus immcdiat. indcpcndant du travail de Rohcrt.
Elle s'applique a aider les individus a vivrc dans lc present plutot qu'a leur taillcr
une place dans Ia societe justc: "Ah! lcs questions que jc m · ctais posccs me
semblaicnt bien vaines: quel que flit l'avenir du mnndc. il fallait aider ccs hommcs
et ces femmes a oublier, a se gucrir" (LMI. 266). En cc faisant cllc pcut s' ouhlier
aussi. car avec tout ce travail, il n'y a pas de place dans scs journces pour un regret.
pour un desir (LMI. 279). Elle aussi espcre pnuvnir vivrc sculcmcnt dans un
present ou elle s'ancsthcsic du mondc cxtcricur. de scs pmprcs pcnsccs mcmc.
Malgre son metier de psychanalystc,le discours n'a pas cu dans !'existence
d' Anne un rote central ct evident comme chl!z Robert ct Henri. Cnmme tout autre
aspect de son existence c'cst par le biais de son mari que lc discours prcnait du
sens. Sa con fiance dans celui de Robert a toujours etc total e. Mais Jepuis sa
conversation avec Scriassine. elle doutc de l'efficacitc des actions et lies paroles Jc
Robert. Sa confiance en lui ne sc dissipe pas d'un coup. mais mcmc a l'intcricur
de cette vie protegee ou ellc s ·est cantonnce. lcs doutcs remontent a Ia surface de
temps en temps. Au premier meeting puhlique du S.R.L.. par cxemplc, Rohcrt est
pJein d'espoir face a leurs possibilitcs. mais Anne n'est pas du tout ccrtainc tJU'ils
puissent faire quelquc chose. A un moment cllc pcnsc.
C'ctait clair. c'ctait sur. c'ctait du simple hon
- 31 -
sens: I' humanitc ne pcut pas vnuloir autre chose que Ia paix, Ia liberte, le bonhcur, ct qu'est-cc qui l'empeche de fairc cc qu'clle veut? cllc est sculc a regner sur terre. (LMI, 340)
Elle se laissc convaincre encore une fois par lc discours de Robert. Mais avant que
le meeting nc finisse. ellc est encore u·aversee de doutes:
Je me suis reLrouvee assise dans mon fauteuil, au milieu d'une foule aussi impuissantc que moi. et qui se grisait bctcment de mots . . . tout justc des mots. Salle Plcycl. j' avais vu Ia me me I umicrc sur lcs visages attcntifs: ct ~a n ·avail pas empcchc Varsovic, Buchenwald. Stalingrad. Oradour. (LMI, 340-41)
Et encore. quelques pages plus loin. apres Ia reunion avec Trarieux a propos de son
souticn financier de L 'Espoir. clle se demandc si Robert est moins scrupuleux
qu'autrcfois. Ellc questimmc !'attitude de cc dernier envers Henri. et si oui ou non
illui a presentc tous lcs faits quand ill' a convaincu de tier L 'Espoir au S.R.L.
Anne n'cst pas habitucc ajuger Robert comme s'il ctait un autre. ct cllc se sent
coupahlc. car. "[q]uand on vit aussi pres de quelqu'un 4uc moi de Robert. lc juger.
c'r.st deja le trahir" (LMI. 351 ). Dans le monde d'Annc. comme dans celui
d' Henri. lcs choscs ont toujours etc ou vraies ou fausses; il y a toujours eu des
valeurs absolucs auxquelles on pouvait se licr. Elle est done decontcnancee du
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moment ou elle est confrontcc par des doutcs face nux paroles de Robert. S'il
n'est pas du cote de Ia verite. il doit ctrc du cote du mensonge. cc qui met en Joutc
ces valeurs absolues. et le sens de son cxistcm:e a clle aussi hien que celui Jc
}'existence de son marl.
Ces debuts de rcvolte face aux idees et aux actions de Rohert donncnt
naissance a un discours personnel ct indcpcndant chez Anne. ct c'est a travers
celui-ci que 1' on voit pour Ia premiere fois que lc Jiscours peut ctre autre qu'un
outiltransparent de communication. Dans le metier J' Anne . par exemple. il a un
tout autre rOle que cclui que Robert veutlui allrihucr. Lc Jiscours lui-mcmc pcul
etre aussi important que son contcnu. cc qui sc tail aussi important que ce qui sc
revele. Anne le sait bien, le discours psychanalytique. sous Ia guise de reveler Ia
verite de l'individu. peut crccr un individu (ct du coup en tuer un autJe). C'est hicn
le cas chez Paule:
[Jle connaissais bien le genre d' explications donl avait use Mardrus. jc m. en Servais aussi. a l'occasion.jc les apprcciais a leur prix. Oui. pour rtelivrer Paule il l'allait ruiner son amour jusquc dans lc passe: mais jc pensais a ces microbes qu'on ne peut cxtcrminer qu'cn uctruisant l'organi~mc qu'ils dcvorent. Henri ctait mort pour Paule. mais cllc ctait mortc elle aussi. (LMII. 353)
D'une fa~on bcaucoup mains radicalc. c'cst cc que I' on voit a travers lc discours
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individuel chez Anne. Elle essaie de sc tailler une place dans le monde de l'aprcs
gucrre. Elle commence par une quete de la verite de son existence, mais elle ne
trouve pas une verite toutc faite. Son discours personnel n'cst pas un outil
transparent qui lui devoilerait sa realitc objective, car cette rcalite n'existe pas; son
disCC'UfS est. plutot, l'entremisc par laquelle elle sc cree sa propre verite. C'est
ainsi que lui est offerle Ia possibilitc du pnuvoir personnel. car c'est son discours a
cllc, et non plus celui de Robert qui rcdcfinit ses rapports avec autrui ct avec elle
mcme. ct qui lui permet d'assumer sa subjectivite.
Anne pcut acccder a un Jiscours indcpenJant grace a Ia distance qu'cllc
etablit ertre sa propre existence ct ccllc de Robert. d'abord intellectuellement. et
ensuite physiquement. Elle sc separe du discours de Robert d'abord en le
qucstionnant ct aprcs en assumant non sculement un nouveau discours. mais une
nouvelle langue aussi. C' f!St un processus lent ct Jifticile car sans Ia justification
de son existence que Robert lui apportait. il nc lui reste ricn. En choisissant d'allcr
en Amerique ct. unc fois Ia. en choisissant delibercment de se tier intimement avec
Lewis Brogan. Anne s'arrachc a sa vieille existence. elle revet une peau neuve.
Ellc n ·est plus Ia femme de Robert Dubrcuilh. mais tout juste Anne Dubreuilh. Lc
tcxtc lui-mcmc marque ccttc transformation car lc dcuxieme tome du roman
s'ouvre a New York. Lc ton du discours d' Anne a aussi subi une transformation
totalc. Dans lc premier tome la mort est partout. mais ici les premiers sentiments
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qu'Annc exprimc. ce sont Iajoie ct la curiositc. A Paris cllc ctouiTait a l'intcricur
du petit nid ou elle s'etait cnfcnnce: en Amerique cllc fait tout pour nc pas ctrc
confinee. Ellc prcnd son sort dans scs mains pour cchappcr au programme que
ses collegues lui avaienl innigc. et c'cst alors qu'cllc rait Ia connaiss:mcc de Lewis.
Des le uebut. ses relations avec Lewis sont plus cgalitaircs que ses relations nvcc
Robert. Lors de leur premiere rencontrc il ne s · agit pas 1.1' un rapport hicmrchiquc
comme son premier rapport avec Robert qui ctait cclui uc profcsscur-ctudiuntc.
Elle n'est pas scuuitc par lcs paroles ue Lewis cmnmc ellc I' a etc par celles uc
Robert. C'est ellc qui chcrchc a faire sa connaissam:c. c' cst cl1c qui chen;hc [I
mettre leurs relations sur un plan plus intimc. Tout au long de leurs rapports ils
continucnt taus lcs dcu:· de sc vnuvnycr. marquant ainsi uncertain rcspcctl'un
pour l'autre. unc reconnaissance de 1a suhjcctivitc Jc l'autre. Robert. par contrc. Ia
tutoie. tanuis qu'cllc continue de lc vouvoycr. Ave~:. Lewis. Anne estlihcrcc ucs
contraintes imposces par sa langue matemelle. u'un discm;rs qui Ia constituc
comme Fran<;aise. femme de Robert Dubreuilh. avec tout cc qu' irnpliquc cc statut.
Elle est a memc d'assumcr un nouvel ctrc au moyen 1.l'unc langue ctrangcrc. ct
ainsi d'cxerccr uncertain pouvoir Jans ses relations avec Lewis. <.:c qui nc lui ctait
guerc conccvablc dans scs rclaLions avec Robert.
Lcs ruminations J' Anne sur Ia possihilitc de Jcmcnugcr en Amerique ct sa
decision de ne pas le fairc souligncnl r importance de Ia langue Cl de Ia culture dans
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lcs rapports de l'individu aux autrcs eta Iui-mcme. Bien qu'clle contemple
d'acccpter !'invitation de Lewis, Annese rend compte des lc debut que ce qu'illui
propose rcprcscntc bien plus que I' engagement de son creur:
Oui. rna vic au pres de Lewis aurait cte bien etriquce; ctrangere. inconnue. jc n. aurais pu ni me fairc une existence pcrsonncllc. ni me meier ace grand pays qui nc scrait jamais le mien. (LMII. 358)
Elle decide tout de rncmc que si Lewis l'appellc dans sa prochaine lettre. elle
ahandonncra sa vic a Paris. Mais les paroles de Lewis nc pcuvent pas lui
communiquer ce dcsir: "impossible de Jechiffrcr entre scs !ignes le moindrc
appel'' (LMII. 361 ). Ce manque de co mrnunication nc fait que s' aggraver du
moment ou sa decision est prise. Lcs prochaines lcttrcs de Lewis ne Ia touchcnt
pus cnmme les prcccdcntes: .. commc autrefois cUes s'achevaicnt tnutes par cc
mot: Love. qui vcuttout dire et ne signifie rien. Etait-cc encore un mot d'amour.
ou Ia plus banalc des formules?" (LMII. 362). Le dccalagc entre sa langue et cclle
de Lewis. entre sa culture a cllc ct Ia sienne. crcc entre cux unc distance qui nc pcut
ctrc lrunchic pur leurs Jiscours. cc discours ne servant qu. a accentucr cc qui les
scparc.
L 'alienation linguistiquc et culturelle d' Anne face a Lewis s'intensifie au
cours de sa dcrnicrc visite en Amerique. A pres avoir appris que Lewis ne I' aime
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plus, son pays prcnd un tout aulfe scns:
Les rues me scmblaient hostiles. J'avais aimc cette ville. j'avais aimc cc pays: mais Jes choscs avaient change en deux ans ct l'amnur Jc Lewis ne me protegeait plus. Main tenant I' Amerique, c;a signifiait bombe atomique. menaces de gue1Te. fascisrne naissant: Ia plupart Jcs gens que jc croisais etaient des ennemis: j' eta is sculc. dcdaignec. perdue. (LMII. 3RR)
Son alienation dcvient totale aprcs qu · cllc contcmplc Jcs ligures Je eire don tics
Amcricains sc sont servics pour rcconstruire l'histnirc curopccnnc. son histoirc it
elle. Ala sortie du musce de eire. Anne sc trouvc toutc Jescmpan.~c:
[D]ans 1\~tourdissemcnt du solcil. !'Europe tout entiere avail file aux confins de l'cspacc ... pcrsonne nc parlait rna langue. mni-mcme je i' avais oublicc: j' avais perdu to us mes sou vcnirs. etjusqu'a mnn image ... c'est a pcinc si je me rappelais qui j' etais, ct je me dcmumlais si Puris cxistait encore. (LMII. 399-400)
L ·attitude paternalistc des Amcricains leur pcrmct de s ·appro prier aussi Ia gucrrc
qu. Anne vient de vivrc. unc gucrrc dont lcs Fran~ais n' ctaicnt pour cux que "lc
pretexte un pcu dcrisoirc" (LMII. 402). C'cst la rcconnaissam.:c de ccttc attitude ct
de Ia complicite de Lewis qui permet a Anne Je rcat'firrner avec vehemence son
ctrc franr;ais:
Je me dis soudain qu · il me faisait grief de
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n 'a voir pas adoptc son pays. mais que jamais il ne sc fat fixe dans le mien: c'ctait bien de I' arrogance. «Pour rien au mom.le jc nc scrais
devenuc americaine!» protestais-jc en moimeme. (LMII. 403)
Anne n'cssaie mcmc plus d'acccpter lc pays de Lewis. Ellc n'essaie pas
d'cntendre cc qu'ont a dire les Americains. Stule ala maison un jour. elle prend
un livre de Lewis, La Litterature en Nouve/le-Angleterre. muis elle le rcmet tout de
suite. il nc I' interesse gucre: .. un an plus tot c;a m'aurait passionnee: mais a present
lc pays de Lewis. son passe. avaient ccssc de me cnnccrncr" (LMII. 407). II en est
de mcmc avec Myriam et Philipp. ses amis amcricains. clle n'an·ive pas a vouloir
discutcr avec cux comme avant. car. ''[c]'est bien du temps perdu, les discussions
qui n'aboutissent pas" (LMII. 423). Anne pensait pouvoir refuser lc discours qui
ravait crccc en vivant dans une autre langue. mais, en demicrc analyse. cllc nc pcut
pas accepter le discours de Lewis. elle ne peut pas vivrc dans une autre langue.
avec tout ce que cela impliquc. Et Lewis n · acccpte pas de Ia partager avec sa vic a
Paris. Dans ses dcrniers jours en Amerique cllc sc rend compte qu'avec Lewis
aussi. cllc est sculc. que ni Robert. ni Lewis n'cxige sa presence: "jc ne pouvais
rien pnur lui [Robert] ct i1 nc me rcclamait pas. jc n'avais aucunc raison de m'cn
aller d'ici ... jc n'avais non plus aucune raison de rester'' (LMII. 407). Lewis. pas
plus que Robert. nc peutjustificr son existence. Elk doit fonder son propre
- 38-
discours.
Le disc ours narratif d' Anne met en lumicrc un dcuxicmc i.tspcct important
de Ia communication (et de Ia non-communication). soitlc rotc du silence. C'est
surtout dans ses rapports avec Lewis que Ia signification du silence est mise en
evidence. Des sa dcuxicme visite a Chicago. b silcm:e risque ue dctruirc leurs
relations avant mcme qu'clles nc soient cntamccs. Anne attcnu u'ctrc invitee chez
Lewis: .. 11 aurait du dire: «Yenez vous repnscr chez mni.» Mais i1 ne uit ricn"
(LMII. 28). A pres leur premiere nuit cnscmhlc. Lewis est encore tuciturne: ·•iJ
avait I' air pret a somnolei s~ms mot pendant llcux hcurcs" (LMII. 44). En fait.
Lewis sc retire souvcnt dans lc mutisme. Cc mutisme rellcte unc pcur du uiscnurs
et une reconnaissance du pouvoir du discours. Lewis sc scrt du silence pour sc
tenir a distance. pour sc prolegcr des sentiments qu' Anne lui inspire ct. finalcment.
pour renier ces sentiments. En ce faisant i1 rccnnnail implicitcmcm uu silence un
certain pouvoir. On peut dire aussi que Beau voir sc scrt du silence cnmmc clle sc
sert du discours. pour souligner cc qui scparc Anne ct Lewis. Cctte separation est
la plus marquee quand ils font I' amour sans pari cr. lei. Ia comhinuison uu
discours narratif d' Anne/Beau voir ct lc silence de Lewis fait rcssorlir Ia distance
entre eux: "il me prit dans l'ohscuritc. en silcm:c" (LMII. 46). "Ccttc nuit. avant
d'entrer en moi. Lewis avaiL eteint Ia lumicre .. . il n'avait pas prononcc mon
nom." (LMII. 380). ct encore. "Soudain il rut wuchc sur moi. il cntra en moi. ct il
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me posse<!:· sans un mot" (LMII. 393). Anne l:onnait done le pouvoir du silence.
de premiere main. Cc qui nc sc dit pas s'avere ctre aussi important que ce qui se
dil. Ainsi, au cours de leur sejour au Mcxique. quand Lewis ne lui dit pas qu'il
veut rentrer a New York, c'est le fait de ne pas l'avoir dit, d'avoir menti, plutot que
son dcsir mcmc de rentrer, qui Ia bouleversc. Tout au long de sa dernicre visite
Anne est isolce, seulc. confrontcc par cc ref us de parlcr. En rin de compte elle
accepte ce silence etle partage: ''Nous n'avons parlc ni du passe ni de l'avenir. ni
de nos sentiments pendantlcs demicrs jours" (LMII. 427). Ce n' etait pas le
silence de Lewis en soi qui ctait houlevcrsant. mais cc qu'il rcprcscntait. Ic rcfus de
rcconnaftre ct de rcpondre :1 son discours a cllc. Unc fois qu'ils ont acccpte taus
lcs deux Ia distance qui les separc. le silence n'cst pas plus alicnant que n'est le
discours.
Lc personnagc d' Anne signale une nouvellt direction dans Ia fiction de
Simone de Bcauvoir. A travers Anne. Beau voir examine une existence
individuellc non pas dans lc contexte de sa contribution a ]a totalite mais comme un
individu. ll est vrai qu'au dehut du roman Anne a une place bien dcfinie dans la
strm.:ture de pouvoirs. mais cllc ne joue pas un rote essenticl dans l'intrigue
principale. ct clle en vient a Ia realisation qu'elle n'cst pas essentiellc a Robert non
plus. Des le debut, elle sc pose des questions sur son role dans la vic de Robert.
Ellc sc dcmnndc. "pour sc consolcr de son inaction. n' aurait-il pas pu en choisir
-40-
une autre?" (LMI. 72). et aussitot cllc sc rcpond. "Voila bien lc genre de questions
qui ne servent a rien, passons." (LMI. 72) Mais. tout cnmmc ses questions sur
l'avenir de Robert. les questions sur sa place dans ln vic de Robert rcvienncnt.
Quand elle essaie de decider si oui nu nnn clle vase rendrc en Amerique cllc se dit.
"il se passerait parfaitement de moi pendant trois mois. au moins pendmll trois
mois" (LMI. 354). Aprcs son premier voyage en Amerique cllc constate. "cc.
n'est pas precisemcnt de moi qu'il avait besoin. mais . .. elle lui ctait utile, c~llc
femme dontj'occupais Ia place" (LMII. 62). Ellc prend scs distances a l'cgard de
Robert et aussi. cc qui est plus important. a l'cg.urd de ce qu'cllc a etc. Elle
commence a reconmutrc que sa place auprcs de son mari ctait unc place qu'elle
s'etait creee elle-meme. Aprcs son dcuxicme voyage en Amerique. son
detachemcnt est plus marque encore: "dans tous Jcs dnmaincs qui comptaient
pour Robert. je ne lui ctais d'aucun sccours·· (LMII. 357). Et llnalement. uprcs
son troisieme voyage. "Robert a etc heurcux avec moi com me ill' aurait etc avec
une autre ou seul" (LMII. 495). La place qu'nccupai' Anne dans Ia structure de
pouvoirs n'existc plus. si tant est qu'clle aitjamais existc. la nature mcme du
pouvoir etant mise en question. Lc discours d' Anne n'est pas pour aulant
devalorise. C'est dans 1e contexte mcme de ceuc realisation que son uiscours est
ne. Ellc est ala fin aussi dcsemparee qu'au dchut. mais clle a pu. a travers son
discours. se constitucr cnmme sujet face a Rnherl.
- 41 -
Le rapport entre le pouvoir ct le c.Jiscours chez Anne est plus sub til que chez
Henri et Robert. D' un bout a I' autre du texte son c.Jiscours est tatonnant, elle vacille
entre une foi aveugle dans 1' avcnir qu ·an nonce Robert ct unc peur harcclante de cet
avcnir et de la mort. entre lc dcsir d'ctrc avec Lewis et l'impossibilite de renier son
ctre fran~ais. Sun discnurs reftete son statut secondaire face a son mari. mais en
mcmc temps il dccritl'acccssion lcntc a lu reconnaissance qu'clle nc pcut plus se
definir cxclusivemcnt en tcrmcs d'une existence autre que la sicnne, que ce soit
ccllc de Robert ou cellc de Lewis. C'est son discuurs qui la crce. et c'est Ui ou
reside Ie pouvoir c.Jc son discours. Au debut du tcxtc Anne nous c.Jccrit sa place
dans lc systcme. Sa plw.:e se dcfinit, comme nn I\ .. vu. en termes de Ia place de
son mari. et Ia place de cclui-ci a son tour par rapport au systeme lui-meme. Mais.
a Ia diftercncc des personnagcs des romans de Simone de Bcauvoir avam Les
Mantlarins. Annese constitue commc existcm:r indivic.Jucllc pour lc Jccteur. Bien
que sa situation nc semble pas a voir beaucoup change a Ia fin du roman. sa
manierc de se dclinir a subi de grandes transformations. et c'est cette
transformation qui tcmoigne c.Ju pnuvoir potcntiel du discours personnel. C'est
l'insistancc sur Ia rcalitc de l'individu et sur Ia mise en discours de Ia subjectivitc
de I' individtl qui distingucnt lc personnage d' Anne des autrcs pcrsonnages de
Beau voir ct qui prcfigurent son traitement de Ia n!alitc et du discours de l'individu
duns snn <l!uvrc ultericurc. En fin de compte Anne n'cst pas importnnte comme
-42-
personnage en vertu de Ia plm.:c qu'ellc occupe dans Ia structure. mais en tant
qu'individu qui doit far;onncr sa proprc existence. II n'est pas certain qu' Anne
reussisse a se constitucr commc sujet fat.:c a Robert. mais quam! die dcddc de ne
passe suicider. quand ellc semble reprcndrc Ia place qu'cllc oct.:upail au debut.
c'est vers les autrcs qu'ellc sc tournc. ct non plus vcrs 1' Autre. Ellc cspcrc qu'cllc
va pouvoir vivre pour clle-mcmc. avec I' aide de ceux cl Jc ccllcs qui l'cntourent. sa
famille. Robert lui est toujours trcs important mais il n' est plus lc fondcmcnt
meme de son existent.:c.
Chapitre II
Les Belles Images marqucnt un depart radical dans l'c.cuvre romancsquc de
Simone de Beau voir. du point de vue du cnntenu et du point de vue du style. Elle
abandonne son propre milieu, cclui de l'intcllcctucl ct de )'action politique. pour
s' a venturer dans Ie mnndc de Ia bourgeoisie. Etant donne sa preoccupation
jusqu'ici avec l'intcllcctuel engage. on serait tente de voir dans ce rcvirement
I' expression dl: sa des illusion face a Ia disparition de ce que Foucault appellc
"l'intellct.:tueJ universe}", ce "maitre de verite et de justice" qui travaillail "dans
1' «univcrscl», I' «excmplaire»,lc '<justc-ct-le-vrai-pnur-tous»" (1977b. 22). Bien
sur,la figure de l'intellcctucl qui dominait ses reuvres antcricures n'a pas de place
dans le mnndc que dccrit Beau voir dans Les Belles Images. Sculle personnage
de Mona suggcrc au lccteur qu'un tel individu pourrait peut-ctrc existcr encore.
Mais le choix du milieu bourgeois implique beaucoup plus que la desillusion
chez Beau voir. Ce choix met en evidence un changemcnt de role pour
I' intcllcctuel fram;ais. mais il met en evidence aussi le de sir chez Beau voir
d' examiner d · un <Cil critique le discours traditionncl de I' intcllcctucl. Si
Bcauvoir a choisi de denonccr Ia "grosse bourgeoisie tcchno..:ratique'' {Beau voir
1966h, 17) ct les attitudes de ceux qui en font partie. c ·est que, comme
intcllcctucl. cllc nc peul plus gardcr sa distance: ce mondc. avec scs mythes ct scs
- 44-
mensonges. l' invest it (Beau voir l966b. 17). t:ommc i1 invcstit tout 1c momk. Cc
qui lui avait permis de garder sa distance. ct cc qui avail donne a I' intcllcctuclun
certain pouvoir, c'etait son discours. son hlcnlogic. ct lu certitude que l.:cttc
ideologic devait un jour triompher. La notion me me de l'iucologic cmmnc nutil
politique pour influencer les masses. qui ctait pour Beau voir un donne jusqu'aux
Mandarins. est presque absente des Belles Images. Ccux qui prctcndcnt
representer ce discours (lc perc. Mona). sont incflicaccs: leurs paroles nc sc
traduiscnt pas dans des actions. La societe tcchnnt:ratiquc qu'cvoque Beau voir
iciest I' expression de cettc incflh:acitc. Etant donne l'abscnt:c de I' ideologic
comrne outil politique. et !'omnipresence de l'image com me hicn a consommcr
dans Les Belles Images. on pourrait se ucmandcr. avec Fredric Jameson, si
"practices have not replaced ratim:inmion (or rationalizULion), and in particular
\'(hether the practice of consumption has not replaced the resohuc taking or a
stand and the full-throated endorsement ora political opinion .. (1991. 3tJX). Le
monde technocratique des Belles Images scrait uonc un sympt6me de Ia perle du
pouvoir de rintcllectucl. aussi bien que sa t.:at1sc. Mais il scrait aussi )'expression
de toute une societe ou I' image a rcmplacc Ia parole, ainsi rcndant scs mcmbrcs
non seulement sourds, muis avcuglcs au mnndc 'rce;· qui cxistc derriere lcs
images-unc mise en question linalcmcnt de Ia nature de t:c n~cl. ct de Ia
possibilitc de son existence s' il n · y a pas un sujct qui I' apprchcmJc.
-45-
Le personnagc de Mona sert a souligncr l'immoralite et Ia faussete du
monde bourgeois des Belles Images; il signale aussi Ia marginalisation de
I' ideologic marxistc et de I' action politique. du mains so us ses formes
traditionnelles. dans ce mondc capitaliste que nous dccrit Beauvoir. C'cst tout
d'abonl son langage qui distingue Mona des autres personnagcs. C'cst un
langagc familier. brusque. qui tlctonne dans ce milieu trcs comrnc-il-faut. Mona
n' obeit pas aux bienscanccs qui die tent aux autres la parole etlc comportement.
Quand cllc parle. c'est pour communiquer. Laurence vcut pcut-ctrc attribuer
r apparent manque de savoir-fairc de Mona u sa formation ct a sa situation
financicre: "il parai't ... qu'elle sort d'un milieu trcs modeste ct qu'ellc a toutc
rme famille sur lcs bras" (LBI. 68). Mais. il est plus probable que son choix de
langagc. et surtout sa taciturnitc quand clle est dans Ia compagnie de Laurence.
provicnncnt de ses attitudes politiques. et de la position que lui accordc cetle
societe de consommation. a cause de ces croyances. Son discours est
I' expression de sa situation; il est aussi unc manicrc del' assumer. Se scntant
exploitee par lc systcmc. ·'elle rl!fusc de lever le petit doigt en dehors des heures
ue travail" (LBI. 68). Elle refuse C!zalcmcnt lcs convcnanccs du discours. et ...
sou vent le discnurs lui-mcmc. Les bourgeois nnt appris a parler pour nc ricn Jirc.
landis que Mona a :lppris a sc tairc. se croyanl rcduitc au silence par
I' incomprehension et I' avcuglcmcnt de ccux qui l'cntnurcnt.
-46-
Ce refus de communiqucr est evident dans ses rapports ave~: Laurence. 1.'!
suggere un dcsabusemcnt chez Beau voir face au salut oiTcrt par lc discnurs des
ideologues de gauche. A vee Laurence, Mona nc daignc pas parler des choscs
importantes. telle Ia politiquc. Pour elle. Laurence est toutt..l' ahord memhrc de Ia
classe bourgeoise. et done complice du systcmc qui I' cxplnitc. En I' assimilant
ainsi au systcmc. Mona refuse l'individualitc de Laurence: ellc nc preml pas en
compte le fait que. comme femme. Laurence est. tout comme elle. dcmunie de
pouvoir. Elle prctcre s'crigcr en dcfcnseur muct de tout cc qui est justc. se
revctant ainsi d'unc supcrioritc qui rcsscmhlc au pouvoir discursif rnais qui n'a
d'autre effet que d'cmpccher Ia communication. Laurence. pour sa part. "u en vic
de la faire parter" (LBI. 70). ell'! vouurait connaitrc scs opinions. mais cllc est
intimidee par l'air fcrmc de Mona. Mona sc chnisit commc sujct sm:ialistc. donl
le devoir est de denoncer la mauvaise foi de Ia bourgeoisie. Elk nc pcut
envisager d'autres positions subjectivcs 4ui lui pcrmettraicnt de communiqucr
avec Laurence. La perspective postmodcmc peut no us aider id. Mona, com me
Beauvoir a l'epoque des Mandarins. nc pcut sortir de son rfllc commc sm:ialistc.
Elle refuse de s'cnvisager com me sujct mul tiplc. cllc refuse cc que Chantal
Mouffe appellc "a conception of the soda! agent . . . as the artkulation of an
ensemble of subject positions. corresponding to the multiplidty of social
relations in which it is inscribed" ( 1992a, 376). Pour Mourt'c, ''ltlhis mulliplit:ity
-47-
is constructed within specific discourses which have nn necessary relation hut
only contingent and precarious forms of articulation" ( 19Y2a, 376). En
choisissant le silence, Mona refuse cette articulatinn. clle rcjette son etre-fcmmc
ct cllc rend impossible l'ctablisscmcnl ou Ia recuperation d'un pouvoir discursif
commc socialiste et nussi comme femme.
Le silence de Mona. et le manque chez Laurence de toute position
subjective, mcnent ccllc-ci. qui n'a pas clle-mcmc les outils pour sc reprcscnter
ccttc existence ctrangcrc. a sc In rcprcsentcr a travers lc discours dominant des
mfiles. Ayant subi Jcs dis<.:ours en apparem.:e divcrgcnts de son perc ct de son
mari. ellc n'a pas rcussi a s'intcgrer totalcment au discours bourgeois. Sans un
discours a ellc. ct sans autre systeme de reference. clle sc tourne vers les deux
males qui nnt dominc sa vic pour s'cxpliqucr I' attitude de Mona: "Ellc n'est pas
communiste. mais ellc doit tout de memc a voir Ia mystique du proletariat. commc
dit Jean-Charles~ il y a quclquc chose de sectaire en elle .. . ( «S'il y a quclque
chose que jc de teste. c ·est le scctarisme». disait papa)'' (LBI. 71 ). L' altitude du
perc ct du mari de Laurem:c. et l'attituuc de Mona. mcttent en lumicrc
I' impossihilitc du discours entre lc bourgeois ct lc prolctairc 'cveillc'. du moins
tanl que ccs deux se cantonncnt dans leurs discours rcspectifs. qui nient la n!alitc
de I' autre. Beau voir tcntc ici non seulcment de signaler l'cchec du dis<.:ours de la ...
gauche. mais aussi d' clucidcr lcs raisons pour cet cchec. en adoptant lc point de
- 48-
vue de ccux que cc tliscnurs essayait d'inllucm.:cr. Vu lk l'extcricur. cclui qui
preche Ia revolution prend une tnute autre face que cc qu'on a vu dans Lt!s
Mandarins. En utilisant des mctaphnrcs rcligieuscs-lc scctaris me. Ia mystique
du proletariat-Beau voir rapprnchc Mona ct Marthe. Ia sn:ur de Laurence. qui est
une catholique fcrventc cL qui chcrchl.! a cnnvcrtir Lout le monde. Ellc rapprm.:hc
aussi Ia religion ct lc marxismc. ainsi impliquant encore que l'impossihilitc de
communication n'cst pas totalementla fautc de Ia h('urgcoisic. Mona nous fait
voir que le discours de gauche pcut aussi ctrc mystiliam: "Jc compn:nus que
vnus nc comprcnicz ricn" ( LBI. 70). Jit-ellc ~~ Laurcn~.:c. sans pourtant essaycr de
lui fairc comprendrc. Laurence a son tour. sans I' aide du di:-:~ours de Mona pour
la guider. a recours aux platituucs de Jean-Charles et de son perc. au uiscours
bourgeois qu · cllc cssaic pourtant de dcmystilicr. Ellc dit ce que les gens
attcndcnt qu' clle disc (LBI. 36).
L'apolitismc est la normc dans Ia societe que Beau voir dcpcint uans Lt•s
Belles Images. Mona ctant la seulc a avoir tics opinions politiqucs hicn deli nics.
une ideologic a laquclle elle adhere. Laurence. qui est tic loin Ia plus ouvcrtc des
pcrsonnagcs rcprcscntcs id. nc pcut au dchut t.:nmprcmlrc cmnmcnt 4uclquc
chose commc la pnlitiquc pomraiL alicncr lcs gens les uns des autrcs. "Si ~.:hm:un
y mettait un peu de bonne vnlontc. ~a nc serait pourtanl pas Liiffidlc Jc
s'cntendrc" (LBl. 71 ). La politiquc. pour ainsi uirc. nc l'ait mcmc pas panic de
- 49-
son cxistcm.:e. Ccuc im;omprchcnsion, ct la marginalisutinn de Mona.
rcprcscntcnt Ia marginalisation non sculcment d'unc ideologic. ct des moins
privilcgics. mais aussi de l'intellectuel engage (tel que le dcfinissent Bcauvoir et
Sartre). dont le travail dcpcndait de !'existence d'unc societe qui acceptcrait un
discours totalisant. un discours qui mcuait en question Ia rcsponsabilite de
I' individu. Mona est. pourrait-on dire, Ia sculc survi vante des Mandarins et des
reuvres antcrieurcs, mais unc survivante plut<ltllctric. ct dcmunic du pouvoir
discursif. L'instancc narrative suggcrc que cette perte de pnuvoir resultc. du
moins en partie. d'un rcfus de la part de Mona de Jcpasscr Ia collectivitc en
faveur de 1' individu. Cc roman met ainsi en cause non sculement 1~ discours
mystifiant des bourgeois. mais celui de Ia gauche aussi.
Cette mise en question uu discours de M1 na et de ses scmblables n · amcne
pas un rejct total des idees qui sous-tcndcnt cc discours. Au contraire. Mona ct
scs idees scrviront de catalyseur a Laurence qui essaic de fonuer son proprc
uiscours. En tentant uc faire du sens de son monuc. Laurence. comme on a vu. a
recours lc plus sou vent a son mari ou a son perc: c'cst a travers leur discours
qu'clle se dcfinit. Grficc a Ia presence de Mona. cllc cntrcvnit !'existence
d'opinions autres que cellcs-la. ct finalcment Laurence arrive a accepter la
validitc de scs opinions. sinon leur pertinence a son experience. En essayant de
dcchiffrcr cc qui se passe dans lc mondc sur un plan global. clle pensc d'abord
-50-
poser des questions a Mona. pan:'~ ou'clle t.:her~he un point de vue ditTcrcnt.
Tout de suite elle rcjette ceuc idee. puree que Mona "n'aimc pas havardcr" (LBI.
73). Le mot bavarder suggcrc unc dcvalnrisation de son prnprc discours de Ia
part de Laurence. mais il fait ressortir aussi !'attitude comlcsccndantc ct lc rcfus
de communiquer qui carm.:tcrisent les rapports que Mona ctahlit ave~.: ell c. Ellc
sait que Mona traiterait de bavardagc tout discours qu'ellc entrcprcndrait. Plus
tard dans ce meme monologue. Laurcnt:e sc dcmandc si oui nu non on fait "t:c
qu'on peut pour qu'il y ait plus de confort et de justice sur terre" (LBI. 73-74).
Elle pensc d'abord ala rcponse que donncrait Mona. Mais. n'ayant pas a sa
disposition les paroles de cclle-ci. tout de suite clle passe outre et pense a cc que
dirait Jean-Charles: "«Evidemment les incidences humaincs des com:cntrations.
de r automation sont parfnis rcgrettables. Mais qui voudrai t arrctcr le progrcs?•> ..
{LBI. 74). Et cllc sc scrt des jnurnaux. auxqucls Jean-Charles est ahonnc pour
appuyer ct justifier le point de vue de son mari. Laurcnl:c nc pcul formulcr scs
propres opinions sur le monde ex.tericur car clle ne con nail dircctcmcnl qu' unc
menue partie de cc momlc: "Famillc. amis: minuscule systcmc dos: cl lous ccs
autres systemcs aussi inubordablcs. Le momlc est parlout aillcurs. cl il n · y a pas
moyen d'y entrer.'' (LBI, 26). Ellc depend done des discours qui lui sonl
disponibles. Parcc que Mona refuse de lui parler scricuscmcnt, son discours n'cst
d'abord disponiblc a Laurence qu'a travers lcs hourgcois hommcs. qui le
-51-
dcformcnt.
Malgrc Ia reticence de Mona. ct son hostilitc cnvers Laurence, le discours
de ceJlc-ci temoigne d'un certain respect pour Mona. meme si ce respect prend
unc forme negative: "Laurence n'aime pas etre detestee. en general, et par Mona
en particulicr." (LBI. 70) Ellc vcut que Mona ait une bonne opinion d'elle, car
cllc soupc;onnc au mains que cettc opinion. ala difference de celle des autres,
serait fondcc sur des convictions n!elles. Cettc attitude reapparalt plus tard quand
Jean-Charles I' accuse d'ctrc trop sensible. ct encore Laurence pensc a sa
collcguc: ''Mona lui rcprochc son imliffcrcncc" (LBI. 134). Maintcnant ellc nc
rcjctte pas tout a fait le discours de Mona; clle semble plutotlui donner raison.
Ellc dit ~ Jean-Charles: .. Mona a raison de dire que no us nc comprcnions rien.
Tous les jours no us Iisnns dans Ies journaux des choscs affrcuses. et no us
continuons ales ignorer" (LBI. I 33). Pour contrer les opinions de ceux de son
petit cercle etroit,les opinions qu'elle n'a pu. au debut. ni accepter totalement. ni
rcjcter. Laurence a d' abord appris a se servir de ce qu' elle connaissait du disc ours
de cclle qui rcstc en dehors. Mona fournit a Laurence une rcponse possible uux
questions qu · ellc s • etait posecs. Le rcfus chez Laurence de poursuivre ceue
option. d'adnptcr unc politique definie face au monde exterieur. marque I' echec
de son projet de totalisation. Mais son refus du discours de son mari, et
tinalcmcnt cclui de son perc. impliquc qu'ellc a pu aussi rejeter les idees rc~ues
~52~
du patriarcat bourgeois. Les paroles de Mona sont invoquccs unc dcrnicrc fois
vers la fin du texte. mais cctte fois pour corrnborcr cc que Laurence a pu
dechiffrer elle~meme. la resscmblancc fondamentalc entre son perc ct sa mere:
"Mona me dirait: Ben quoi! c'cst deux goultes d'cau" (LBI. 180). Laurence a
transpose le discours de Mona dans sa prnpre situation. Des lors cllc pourra
fonder son propre discours. dans le contexte de sa propre experience. cellc de scs
rapports avec autrui. et particulicrement avec sa fille Catherine.
Commc on I' a remarquc au dchut. il n'y a pas que lc milieu qui marque
une rupture entre Les Belles Images ct les n:uvrcs antcrieures. Lc rcalismc dcs
Mandarins n'cst pas totalemcnt rejctc. car lc tcxtc tcntc tnujnurs de rcprcscnter
un monde reel qui lui est extcrieur. m3is la nature de cettc representation a
change. II n'y a plus de grandes frcsqucs historiqucs. mais une presentation de Ia
n!alite immediate du discours d'unc classc. C'est une dcnonciation du discours ct
du silence de cette classe a travers la conscience d'unc femme qui est a Ia fois
complicc et victime. Lc role du narratcur a done change aussi: Ia narratrice des
Belles Images. comme femme. nc parle pas du point ue vue t.Ju discours
dominant. qui est toujours Ia reserve des mates. II y a reviremcnt constant entre
la troisieme personne ct Ia premiere personnc. hien que tout nous snit prcsentc a
travers la conscience de Laurence. Cctte altcrnanc~: suggcrc unc instabilitc ct unc
incertitude qui refictent l'ctat d'amc de Laurence ct son rapport avec Ia rcalitc. Il
-53-
n'y a pas un rapport stable entre son langage ct sa rcalitc (ni entre le langage du
tcxte ella rcalitc cxtcrieurc). Lc style qu'adopte Beau~oir iciest en quelquc sortc
unc reflexion du mutcriau qu'clle traitc. car illui permet de mettrc en question la
n<J.lurc de la rcalitc de la bourgeoisie. Elle communique au lecteur le manque
d'epdsseur de ce monde capitaliste a travers des personnages qui soot eux
mcmes sans cpaisscur. ct dont on ne connaft que le dehors. le discours quotidicn.
sans substance. et les images qu'ils se sont construites a I' aide de ce discours.
Le statut de Ia rcalitc a laquelle leurs paroles sc referent est toujours en doute. Le
passe. auparavant unc partie inLcgrante de Ia situation de l'imlividu. n'a gucrc de
place dans Les Belles Images. On n'a que des indications trcs peu detaillccs sur
lc passe des personnagcs autre que Laurence. Jean-Charles ne semble mcme pas
en a voir eu: ''II pretend a voir tout oublie de son enfancc" (LBI. 42). Le passe
qu'exaltc lc perc de Laurence n'est lui-memc qu'une image qu'il s'est construitc.
un simulm:rum sans referent reel. La situation des individus est devenue leur
present. leur existence est de venue leurs paroles. et leur realite. les images qu · ils
fabriqucnt Oll auxqucJles ils acquiescent si spontancment. C' est aces images que
leurs paroles sc referent. Ce monde qu'habite Laurence est le monde
postmo1 'erne que dccrit Jameson. et dont les clements constitutifs sont ··a new
depthlessncss .... a consequent weakening of historicity .... a whole new type
:)f emotional ground tone" ( 1984. 58). Seulcmcnt. pour Jameson. cc mondc de
l'image est !'expression c.l'un "cultural dominant" qui caractcrisc Ia trnisiemc
etape du capitalismc. Landis que. pour Bcauvoir. cc mond~: cstl'cxprcssion de la
realite d'une seule classc, et non pas de toute une societe. Cc qui ctait pour
Beauvoir une mise en accusation de la bourgeoisie pcut sc lire aujoun.l'hui
comme l'cxpression de la rcalitc du nctH::apitalisme ncciucntal.
Ce qui distingue lc monde des Belles Images du mondc posllnmlcrnc de
Jameson est. avant tout, les vestiges dans la pcnsce de Beau voir d'un
existentialisme qui voudrait qu'il existe derriere lcs images une rcalitc qu'on
refuse de confronter. Muis. du point de vue des pcrsonnagcs. cctlc rcalitc est
devenue moins saisissablc. plus cloignce de l'expcriem:e indiviuuelle. qu\::llc ne
l'ctait pour Anne ou pour Henri. ce qui est mis en cviucncc par Ia uiftkultc ue
Laurence a Ia discerner. La verite que ccs hourgenis nc veulcnt pas admcure est.
pour Beau voir. Ia realite du capitalisme et de ses effcts a I' ct::hcllc mnmJialc.
C'est un mondc que Laurence ne connaft qu'a travers lcs images de Ia television
et le discours du journalismc. Cc n'csl pas sa rcalitc. Son dilcrnme est celui dont
parte Jameson: "to think the impnssihility or the contemporary world system"
( 1984. 80). Les images ct Jes paroles auxquelles Laurence a recours nc pcu vent
lui etre d' aucun secours. car.
debitce en minces ruhriques. l'actualitc s'avalc comme une Lasse de lait~ aucune aspcritc. rien n'accroche. rien n'ccnrchc. (LBI. 100)
-55-
On voitles Actualites, les photos de Match. on les oublie a fur ct a mesure . . . 11 faut dire qu, on assiste t1 toutes ces catastrophes confortablement installe dans son decor familier et i1 n ·est pas vrai que lc monde y fasse intrusion: on n'apen;oit que des images, proprement cncadrces sur le petit ecran et qui n'ont pas leur poids de rcalitc. (LBI. 147)
Ou, dans lcs paroles de Jameson,
[T]he repeated stereotypical usc of otherwise disturbing and alien phenomena in our present social conjuncture-political mili laney. student revolt. drugs. resistance to and hatred of authority-has an effect of containment for the system as a whole. To name something is to domesticate it, to refer to it repeatedly is to persuade a fearful and beleagured middle-class public that all of that is part of a known and catalogued world and thus somehow in order. Such a process would then be the equivalent. in the realm of everyday social life, of that cooptation by the media, that exhaustion of novel raw material. which is one of our principal techniques for defusing threatening and subversive ideas. (Jameson I 992b, 39-40)
Cc que Beau voir caractcrisc de mauvaise foi est done devenu Ia rcalitc
pnstmodeme. Beau voir dcnoncc dans Les Belles Images les attitudes d'une
classc. mais clle ne prend pas en consideration Ie fait que Ia notion meme de
classc ctait. dans lcs annecs soixante, en train de se transformer dans les pays
-56-
developpes. Ia plupnrt de Ia dassc ouvricrc se trnuvant. cllc uussi. en mesurc de
s' offrir beaucoup plus que les nccessitcs de Ia vic. Lcs distinctions entre Ia
bourgeoisie etle proletariat s'cstompent. Dans sa condamnation tic Ia
bourgeoisie. Bcauvoir implique que Ia societe tic I' image est unc cchapputoirc
que les bourgeois se sont construite pour pnuvoir se cw.:her Ia rcalitc. ct que lcs
valeurs qu'ils cpouscnt snntlc rcsultat tic eel aveuglcmcnt cnnscnti. Le tlramc de
Laurence nous suggcre. par contrc. que ccttc societe uc I' image cstla rcalitc a
l'interieur de laquellc lcs vulcurs ditcs bourgeoises doivcnt ctrc surnmntccs. ll ne
s' agit done pas de ucvoilcr Ia verite. mais de construirc sa proprc rcalitc ct son
propre discours dans lc contexte de ccs images auxqucllcs on nc J1cut pas
s. echapper.
Le conllit chez Laurence vicnt non pas de son appurtcnam:c a Ia
bourgeoisie. mais de sa diflicultc a faire sicn le tliscours de sa classe. lie son lfcsir
de comprendre ce qui sous-tend les paroles etlcs actions de ccux qui l'cntnurcnt.
Des le debut elle est dctachce. elle s'absente des conversations qui se t.lernulcnt
au tour d' ellc. Lauren~.:c n' a pas ace pointles paroles pour arti<.:ulcr son malaise.
elle nc peut que sc poser des questions: "Qu'csH.:c que lcs autrcs ontquc jc n'ai
pas?" (LBI. 7) C'est un refrain qui rcvient souvcnl. surtout <HJ t.\mrs llu premier
chapitre. Les ruminations de Laurence souligncnt cctte alienation. mais cllc en
minimise !'importance d'unc mcme halcine: "Eilc s'cst hcaucoup dcpcnscc, c'csl
.,
-57-
pour ~a que maintenant elle sc sent dcprimcc" (LBI. 8). ou encore: ''Soudain
indiffcrentc, distantc. comme si elle n'ctait pas des leurs . .. C'estjuste une
question d'humeur" (LBI. 19). Quand ellc parle. ses paroles sont hcsitantes. Ellc
offre rarement une opinion. "Lc tcminisme . . . C'cst comme la psychana]yse. le
Marche commun. la force de frappe. elle nc saiL qu'en penser, elle n'en pensc
rien" (LBI. 99). Quand cllc osc avanccr unc opinion. cllc est vile contreditc. ce
qu'elle acceptc sans question: "Laurence est mccontentc d'elle: elle a dit une
souisc. cvidemment" (LBI. II). Quand. un pcu plus tard clle a des questions a
poser sur Ia discussion sur I' armemcnt nudcairc. ellc decide de sc taire. nc
voulant plus "sc faire mcttre en bolte" (LBI. 12). Lc discours de Laurence.
comme cclui de Mona. est I' expression de son etrc, mais c'est un etre qui sc met
en question et dont le discours est incertain. Elle a etc conditionnce a accepter Ia
legitimitc du discours masculin. son hegemonic naturelle. et tend done. pour lc
moment. a discrcditcr son propre discours. bien que ce que disent les hommes
suscitc en elle un certain malaise.
Sans un discours bien a cUe. Laurence est incapable de se constitucr
com me sujet. Comme tout cc qui l' entoure. '"[c lllc a toujnurs etc unc image"
(LBI. 21 ). Laurence est victimc du "waning of affect" dont parlc Jameson (1984.
61 ). ct qui s'cxprimc dans l'engourdisscment generalise de ses scns et dans son
incapacitc non pas sculcmcnt d'exprimcr scs sentiments. rnais de scntir. cc qui est
-58-
evident dans ses rapports avec lcs gens aussi hi~n que dans sa rcpnnse a la
litteraturc ct a Ia musique. qui semblcnt I' a voir touchcc autrefois: "La littcratur~
ne [lui] dil plus rico" (LBI. 43). ''la musique nc lui parle plus" (LBI. 36). Scs
attitudes envers ccux qui sont supposes lui ctrc le plus proche snnt aussi
revelatrices. Sa mere: "elle a de l'aiTI.!ction pour clle. Mais c'est aussi une
etrangerc" (LBI. 17). "[s]a soutTrancc mcmc nc l'humanisc pas" (LBl, 52).
Quand elle fait I' amour avec son mari. il y a ··entente physique par fa it e. Oni,
mais qui ne change pas Ia couleur de Ia vic. L 'amour aussi cstlissc. hygicnique.
rnutinicr" (LSI, 27). Quant a son amant Lucien. il .. Ia repose de Jean-Charles"
(LBI. 33), "~a ne la gene pas de passer d'un lit a l'autrc: c'esttellemcnt pareil"
(LBI. 109). Puisque Lucien ne lui inspire que "des emotions rassiscs qui font
partie du train-train quotidicn" (LBI, 63). il vaudruit micux romprc avec lui.
"desencombrer [s]a vic" (LBI. 107). Laurence cons tate qu· "cllc aimc toutle
monde'' (LBI. 18) (c'est-a-dirc personnc). car,"[cj'cst tcllcmcnt intcrchangcahlc.
les gens" (LBI. 112). N' ayant pas un scns clair dr sa place dans le mnmle qu ·die
habitc. ni la conscience de sa prnpre suhjcctivitc. Laurcnt.:c est int.:apahlc de se
poser commc sujel fat.:c aux autrcs. de prendre position dans ses rapports avec
eux; elle est incapable d'assumer le pouvoir discursif.
Son incapacite de sentir, et d'cxerccr du pouvoir discursif. est reflctce dans
son rapport avec le langagc. Lcs paroles qui cxprimcraicnl des emotions sonl
-59-
vides de sens pnur Laurence, cHes ne correspondent a aucunc realitc. Ainsi. en
ruminant la possibilitc d'un!! a venture entre Jean-Charles ct Gisele Dufrene. une
possibilitc qui ne la gene pas. ellc se demande. ··n peut done y a voir de I' amour
sans jalousie?" (LBI. 17). L' opacitc des mots est mise en evidence encore quand.
en parlant de son perc. ellc sc dit. "Aimer d'amour: vraic valeur. Pour lui ces
mots ont un scns'' (LBI. 35). Et. avec Lucien. ''Mais je nc t'aimc plus d'an1'1Ur.
(L 'ai-jc jamais fait? Ces mots ont-ils un sens'?)" (LBI. II 0). Du point de vue du
postmodcrne. Laurence rcsscmblc au sujet dccentre pour qui il y a "not merely a
liberation from anxiety. but a liberation from every other kind of feeling as well.
since there is no longer a self there to do the feeling" (Jameson 1984, 64).
Laurence diffCre du sujct postmoderne en ce qu'cllc souffre d'anxiete. Ellc n'est
pas Lntalcment descnsibilisce. Elle regrctte lcs emotions qu'elle ne peut plus
sentir. "cc feu dans les veincs" (LBI. 22. 31) que lui ont inspire Jean-Charles ct
Lucien au debut de leurs rapports. mais aussi le desespoir qu'clle sentait au debut
de scs rapports avec ce demier. a I' idee ct'une rupture. A cette cpoque. "du mains
il y avail quelquc chose a regretter, quelque chose au monde qui valai t son poids
de chagrin" (LBI. 65). Ellc envie a Lucien lc desespoir qu'il rcssent quand elle
parlc de romprc avec lui. Beau voir semble suggcrcr que Ia froideur de Laurence
est due au manque d'epaisseur du mondc ou elle habite. et surtout au manque de
profondcur des gens qui l'cntourcnt. Elle eprouvc toujours des sentiments
authcntiques cnvcrs scs fillcs ct. pour un temps. cnvcrs son perc. ll nc s' agit done
pas. comme dans lc pnstmoucrnc. d'unc cnnc.lition qui scrait cnnununc a ous.
Les mecanismes sont les memes. mais Bcauvoir implique qu'il y a un choix entre
ce monde et un autre qui scrait, ClJrrunc lcs sentiments c.lc Laurence cnvcrs scs
filles, authentique. Laurence sc situc done plutCit entre lc sujct cxistenticl ct le
sujet postmodcrnc, ou pcut-etrc est-elle lc sujet cxistcntiel immohilisc par lcs
simulacra du mondc postmodemc. Ellc vacille entre un manque total
d'affectivite et unc anxictc dcchirante quand cllc pensc a l'avenir de sa lille.
Commc dit Beau voir c.lans unc interview puhlicc justc aprcs Ia parutiun des Bel/('.\
Images, .. [c]'cst un ctrc de fuite", mais aussi. "clle est vraiment picgce par le
monde ou clle vit'' (Beauvoir l966h. 17).
On a souvent accuse Simone de Beau voir de n'avoir crcc que des
personnagcs fcminins ncgatifs. mais dans Les 8('1/es Images. Laurence rctrouvc
sa cap&cite de sentir et de mettrc en paroles ses sentiments et ses dcsirs gr;kc aux
discours feminins. et en depit du discours dominant des hommes. Lcs paroles des
personnages fcminins tels Mona. Catherine ct BrigiLLe. sonL valnrisccs, Landis que
lcs paroles des hommes, tels Jean-Charles. Luden. lc perc de Laurence. et
Gilbert. sont rnises en question. La verite. s'il yen a une. sc Lrouvc chez les
femmes. Mcme Dominique, qui n'cst pas. il est vrai. un personnagc posllif. a un
rOle important a joucr dans lc processus par lcqucl Laurence accede a un discours
- 61 -
personnel. C' est sa crise uevant la rupture avec son amant Gilbert qui permet a
Laurence, pour ]a premiere fois. d'exprimcr une emotion vraie: "C'est un
soulagement de pouvoir s'avoucr soudain. «J'ai toujours deteste Gilbert»" (LBI.
48). Pour la premiere fois aussi. Laurence doit agir. elle ne peut rccourir aux
hommes: "Que fairc? Des que cette question se pose. quel dcsarroi! ... Jamais
jc n'ai ricn decide . . . Lcs choses m'arrivent. c'est tout. Que faire? Demander
conseil a Jean-Charles?" (LBI. 119). Jean-Charles ne voulant passe meier des
affaircs des autres. Laurence est livrcc a elle-memc. Ellc doit trouver des moyens
pour aiucr sa mere. La reaction de Jean-Charles. son indifference. incite chez
Laurence une col ere qu · elle mrutrise vite. rna is qui reviendra un peu plus tard
apres une autre discussion avec son mari. Cette discussion aussi est provoquee
par les actions d'un pcrsonnagc feminin. A. cause des mauvaises notes de
Catherine. Jean-Claude vcut l'cnvoyer voir un psychologue. et Laurence insiste
que non. Cctte fois. "clle sc donne a sa col ere; un ouragan sc dechafne dans sa
poitrinc. il sccouc toutes ses ccllules, c'cst une douleur physique, mais on se sent
vivre" (LBI. 134}. C'cstla reaction de Jean-Charles au dcsarroi de sa mere. aux
notes de Catherine. el a I' accident de route de Laurence! qui pcrmet a celle-ci de
retrouvcr son ctrc affcctif et de mettre en question le discours de son mari. Dans
chaque cas c'est Ia realite feminine qui est valorisce et le discours masculin qui
I "II me reproclmit, il me rcprochc encore lie ne pus lui avnir economise huit ccnr mille francs en premmt le risque de tucr un hmnmc" CLBI. 134).
-62-
est discredite.
Parmi les personnages leminins qui aiucnt Laurence u rcjctcr l'hcgcmnnic
du discours male. c'est celle qui a trauitionncllcmcnt lc mnins uc pouvnir.
r enfant. qui exerce le plus d' influence, ainsi mcttant en question non pas
seulement le pouvoir Lies males. mais toute Ia structure uc pou voirs. Cc sonl lcs
questions de Catherine sur le malhcur qui ucclcm:hcnt chez Laurence un cxamcn
de soi. une tentative de se situcr parmi lcs discours qui l'cntourenl. ct aussi uc
formuler des opinions sur lc monuc qui lui est cxtcricur. C'cst unc autre enfant.
Brigitte. l' amie ue Catherine. qui fait com prendre r, Laurence l'horrcur d'un
monde ou les jeunes tilles travaillent a mcttrc ucs rnnus de t.:aroucs sur des lilcts
de hareng. C'est une histoire que Laurence nc pcut ouhlicr car. "Ill' idee u'un
malheur teme et quottdien lui a pant plus dinicilc a digcrcr que de gmndcs
catastrophes. tout ue meme exceptionncllcs" (LBI. R2). Brigitte. un pcu conum~
Mona. habite un monde a part. cc qui est evident dans son langage direct cl sans
artifice. Lout comme son regard qui rcvclc unc .. franc he curiositc" (LBI. 53)
envers les gens. Ellc pose des questions parcc qu'cllc vcut ucs rcponscs. ct non
pas des consolations. BrigiLLc a un point tic vue scmblahlc a cclui de Mona en cc
qu'elle reconnai't I' existence de ]'injustice ct ue Ia miscrc. rnais cllc sc <.lisLinguc
de celle-ci en ce qu'cllc est plus ouvcrte, clle veut communiquer avec Catherine
et avec Laurence. Ceci pourrait s'attribucr a Ia na'ivctc de Ia jcuncssc. mais il
- 63-
pourrait aussi bien rcprcscntcr J'espnir chez Beauvoir que l'avenir n'est pas barre.
que Ia gauche pourrait bien fairc quclquc chose si clle accepte de communiqucr.
Brigitte n'est pas. cornmc Catherine. protegee des nouvelles de Ia television ct
dcsjoumaux. Elle n'cst pas non plus. commc lc pretend Laurence. "[u]nc petite
fille dclaisscc qui a appris a se suffire" (LBI. 55). II nc semble y a voir aucune
femme dans sa vic--cllc n ·a pas de mere. et en par! ant de sa famillc clle ne
mentionnc que son frcre. son perc, et son grand-perc. Mais ccs hommes raidcnt
a com prendre lc mondc plut6L que d' en construirc unc image sanilisce. com me lc
fait Ia fa mille de Cathcri nc. lis sc scrvcnt du discnurs pour I' amcncr au-deJa des
images. Son perc lui laisse lire lcs journaux. son l'rcrc lui cxplique ce qu'elle n'y
comprcnd pas. Son grand-perc. a Ia difference du grand-perc de Catherine. lui
parte de l'avcnir. C'estun avcnir qui "depend des agronomcs'' (LBI. 54). et non
pas de la technologic si chcrc a Jean-Charles. La miscrc du mondc actuel et lc
pronostic du grand-perc de Brigiue Ia decide qu'cllc "fcra pousser du ble et des
tomales dans les deserts ct toutle mnnde aura a manger" (LBI. 56). L'absence
d' unc mere nc semble en ricn nuire a Brigitte. Pour Laurcn~.:c. ia premiere fois
qu'ellc rcncnntrc Brigitte. ccttc absence sc fait voir u travers l'imagc que Brigitte
prcscntc au monde (Laurence nc cnnnaft pas d' autrcs critcrcs pour jugcr \c
mondc): "J'ai tout de suite remarquc Ia grosse cpingle de nourrice plantee dans
r nurlct de sa jupc: unc enfant sans mere . .. longue. maigrc. des chevcux.
- 64-
chatains coupes trop court et peu snigncs. un pull-over d'un hleu dcfrutchi~ mieux
arran gee, elle pourrait ctre jolie" (LBI. 53). Laurence cssaic en fait de 1' atnmger
un peu, en offrant de fairc un point a sa jupe. L 'image de Brigitte cvoqucc pm·
Laurence est a mettre en opposition avec Ia description de Laurence. I' enfant qui
avait une mere: "Petite fille impeccable. adolescente m.:complie. parfaite jeune
fille ... si neue. si fraichc. si parfaitc" (LBI. 22). Son niTre de rccoudre Ia jupc
de Brigitte fait penser aussi a Ia mere de Laurence. qui a toujours vcillc ace que
Laurence snit unc belle image (LBI. 21 ). Ce qui manque a Brigitte est done unc
presence tclle .:.:ellc de Dominique. cclle qui n'ajamais encourage Ies amities
enfantincs de Laurence, car scs camaradcs ctaient "tcllemcnt nrdinaircl s ]" ( LB I.
55). Comme Laurence le constate elle-mcmc. ··c'est rna mere qui m'a faite"
(LBI. 33). Le portrait de Laurence presentc a travers Les Belles Images nnus
montre bien ce que Dominique a fait. Brigitte est dans tous les scns lc contrairc
de ce qu'a ete Laurence dans son enfam:c. ct de ce que Catherine dcvicndra si
Laurence permet Ia desensibilisation de sa fille que prcconisc Ia sodctc
bourgeoise. Elle est aussi cc qui manquait a !'enfant L:.turcm:e: 'Taurais aimc
m' asseoir dans le noir avec unc petite lille Jc mon age. ct rire cl chuchotcr" ( LB I.
55). Finalcment. Brigitte rcprcscntc. tout <.:ommc Mona. un <.Jiscours allcrnatif
qui. lui aussi. aidera Laurence a refuser lc discours hcgcmnnique Jc l'hornrnc
bourgeois.
- 65-
Les parallcles enlre Brigitte ctl' amitic que Laurence n'a jamais connue
dans son enfance font ressnrtir !'identification de Laurence avec sa fille. et
prcparent chez Laurence une prise de parole qui. elle l'espcre bien. cpargncra a
Catherine le sort qu'ellc a subi. Laurence aussi etait. comme enfant. sensible aux
malheurs du monde. Elle a "pleure sur les enfants juifs assassim!s" (LBI. 36). Et.
cc n'etait pas un incident isolc: "Moi aussi. a son age. je plcurais: cotnme j'ai
pleurc ... [l]es exterminations, Hiroshima'' (LBI. 25). Sa mere a reagi aces
larmes en I'cnvoyant parter avec un prctre. un bon representant du discours
hcgcmoniquc. Mcmc com me auultc. Laurence a cnnnu une anxictc severe face
aux malhcurs du mondc: .. Cette affaire de tortures. il y a trois ans, je m'en suis
rcndue malade. ou presque" (LBI, 30). Ceue fois. c'est son mari et son pere qui
ont cal me ses inquietudes: "La mauvaisc conscience- sur cc point. pour une
fois. papa et Jean-Charles snnt d'accord-a quoi ~a sert? ... <;a uisparaitra.
necessairement. c'est unc question de temps" (LBI, 29-30). Le prelre, le perc ct
le mari sont maintcnant rcmplaccs par le psychologuc. qui lui aussi pourra
rationaliscr les horreurs. tout mettre en ordre. commc lc font lcs media dans le
mondc pnstmmJcrnc (lcs memes media ou Laurence ct Dominique ont choisi
leurs carrieres). Dominique. du moins. voulait calmer les pcurs de sa fille. Jean
Charles. par contrc. s'est dit d'accord avec Laurence sur l'horreur des tortures.
pour l'apaiscr. "rcJn fait. il sc f1chait de cctte affaire" (LBI. 133). En conscillanl
- 66-
un psychologue, il ne rcagit pas aux lurmcs de Catherine. mais a Ia haisse Jc scs
notes a t• ecole. C' est a cause de sa proprc experience que Laurence rcsiste a Ia
suggestion que Catherine sc fasse snigncr par un psycholnguc. Elle rcsistc de la
part de Catherine aux disc ours patriarcaux qui l' ont suhjuguce. A la difference
de Jean-Charles, clle rcconnattla valeur. l'authentidtc de cc que rcsscnt
Catherine: "<;an 'a pas d' importance que Catherine travaille un pcu mnins hicn:
sa sensiblerie mfirit; elle apprend des choses qui nc s'cnseignent pas en dasse:
compatir. consolcr. recevoir et donner. pcrcevoir sur les visages et dans Ia voi:<
des nuances qui lui cchappaiem" (LSI. 81 ). Laun:m.:c nc vcut pus cmpcchcr lc
developpement affcctif de sa fillc. elle ne vcut pas qu'cllc dcsapprenne ces
choses. au contraire: "Que fairc pour que Catherine plus lard nc s'cn trouve
jamais privee" (LBI. 81). Laurence ne veut pas que scs lilies suiventla rncmc
pente qu 'ell e. Sa premiere reponsc: "Lcs empcchcr de granJir. Ou alors ...
quoi?'' (LBI. 57). La question que I .aurcnce se pnse ici resume son projet dans
Les Belles Images- Lrouver un moyen d'aidcr scs lilies pour qu'ellcs nc sc
trouvent pas dans Ia situation ou ellc sc trouvc. car. gramlir pour cllc u irnpliquc
devenir une femme qui "souffrc[l d'unc frigiJitc tlu t.:1cur" rLBI. 112). Elle sail
bien que la sensiblerie peut sc transformer en indifference. elle en est cllc-mcme
Ia preuve. Sa premiere preoccupation est avec Cuthcrinc. puree qu'clle est
troublee. ct parce que sa rcssemhlancc a Laurence cllc-mcmc suggcrc qu · cllc
- 67-
pourrait bien imitcr Jcs crrcurs de sa mere: .. Faudra-t-il qu 'ellc dcviennc unc
femme commc moi. avec des picrres dans Ia poitrine ct des fumees de soufre
dans Ia tete?" (LB I. 122). Laurence vicnt a voir aussi sa part dans la formation de
sa fille:
C'est effruyant de penscr qu'on marque ses cnfants rien que par cc qu'on est. Pointe de feu a travers lc CO!Ur. Anxietc. rcmords. Lcs humcurs quotidiennes. les hasards d'un mot. d'un silence. toutes ccs contingences qui devraient s ·effacer derriere mni. <;a s · inscrit dans cette enfant qui ruminc et qui sc souviendra. com me jc me souvicns des inflexions de vnix de Dominique. (LBI. 135)
Elle commence done a examiner ses propres actions, son propre discours. dans le
contexte de la vie de sa fille. ct de I' avenir qui attend sa fille.
Mais c'cst pendant son voyage en Grccc avec son perc que la notion de la
petite fillc qui se Lransformcra en sa mere devient rcelle pour Laurence. quand
cllc voit une petite fillc .. inspirec" qui dansc a cote de sa mere au regard ''t.ovin''
(LBI. 158). Parmi toutcs les images de cc roman. ccllc que pcint
Laurcm:c/Beauvoir id est la plus puissantc. La richesse des adjectifs pour decrire
la petite tillc. juxtaposce a l' aridite du langagc qui dc<.:rit la mere. creent une
image par laquellc s' articule 1' inquietude qui hantc Laurence a Lravers le
roman-Ia question de ravcnir de. sa fillc ella part qu'elle y joue. La petite fille
~ 68 ~
s'abandonne a Ia musique. "lcs bras soulcvcs. lc visage noyc d'extasc. l'air tnut a
fait folie. Transportee par Ia musique. cblouie. griscc. transligur~c. cpcrdue"
(LBI. 158). Laurence est vite ramcnc a Ia rcalitc en apcrccvant a cote lu mere de
la petite fille: ''Placidc et grasse. sa mere havanlait uvcc une auLrc grosse femme
... insensible a la musique. a la nuit" (LBI. 158). La juxtaposition de ces deux
images. rune joyeusc ct librc. \'autre terne et insensible, boulevcrse Laurence.
Elle refuse que cette "charmantc tillctte'', ccuc "adorable mcnade" devienne un
jour ''cette matrone": "Petite condamncc a mort. affrcuse mort sans cudavre. La
vie allait l'assassincr" (LBI. 158). Ellc pensc aussit{H a Catherine ··qu'on ctait en
train d'assassiner" (LBI. 158). (Laurence ayant acceptc qu'cllc voit un
psychologue). Elle veut rentrcr tout de suite pour rcprcndrc sa lillc. sc rendant
compte que. "rsJous pretexte de guerir Catherine de ccltc ·sensihlerie' qui
inquit~tait Jean-Charles. on allait Ia mutiler" (LBI. 159). Mais elle ne rcntre pas.
son perc Ia convainquant qu'clle retrouvcra Catherine commc ellc l'a laisscc.
Laurence cede encore une fois au discours patrian:al.
Le demier obstacle que Laurence doit surmontcr dans sa decouverte de soi
est. en fan. ce ciscours de son perc. cclui qu'cllc aime "le plus au mondc" (LBI.
33). C'est un obstacle difticilc a surmontcr a cause de cct amour. eta cause de
I' image idealisee de son perc qui !'inspire. Son perc est "si different des
autres'' (LBI. 14 ). ct. pense Laurence. surtout de sa mere: "Une vic sans
compromission. avec du temps pour rcflcchir ct sc cultiver. au lieu de I' existence
trcpidante qu'on mcnc dans lc milieu de maman" (LBI. 105-6). II est. en fait . .
different des autrcs, il est reste en marge de Ia societe de la consommation.
choisissant une vic simple. sans luxe. "unc voie de garage" (LBI. 15), comme
s'en plaint Dominique. Son discours Ic met toujnurs en opposition avec les
autrcs parcc qu 'il exalte Ic passe. "lcs vnleurs traditinnnelles que les autrcs ont
remplacces par lcs objets. ]es ctoffes de luxe. lcs hi-fi. les fermettes ala
campagne. Ics belles robes ctles mondanites" (Bcauvoir l966b. 17). Tous les
autres discutcnt de l'apparcil dcrnicr cri qu ' il raul absolumcnt avoir. landis que
lui n'a pas "d'installation haute lldclite, mais un grand nombre de disques choisis
avec amour'' (LBI. 35). Quand Laurence a des inquietudes, quand elle veut
comprendre son momle, cllc a confiance qu'il pnurra raider puree qu'il reste
cxterieur a ce mondc. il dcvrait done y appnrtcr un point de vue different. objcctif
meme. En comparaison avec la chasse aux biens qui preoccupc son mari ct ses
amis. Ia passion de son perc pour les idees semble pure ct non corrompuc par les
notions de gain personnel. Il cxpliquc tout en tcrmcs de Ia perle de ces vicillcs
valcurs auxquclles il ticm toujours. D'aprcs lui. "ltjoutle mal vicnl de ce qu[e
l'homme) u multiplic scs besoins alors qu · il aurail du les contcnir" (LBI. 84 ). La
dcchcunce a commence ]e jour ou "on a prcfcrc la science a Ia sagessc. I' utilite a
Ia bcaute. Avec Ia Renaissance. le rationalisme. lc capitalismc. lc scicntisme"
- 70-
(LBI. 84). Mais tout n'est pas perdu. on peut toujours "lclssaycr de ressuscitcr
en soi. autour de soi. Ia sagessc et le gout de Ia bcautc" (LSI. 84). lllui parlc des
communautes pauvres. "en Grccc. par cxcmplc-ou lcs techniques n'nnt pas
penetre, que I' argent n ·a pas corrompucs. La lcs gens connaisscnt un aust~rc
bonheur puree que certaines valcurs sont prcscrvces. des valcurs vraimcnt
humaincs. de dignitc, de fratcrnitc. de gcncrnsitc. qui Jonncnt a Ia vic un gout
unique" (LBI. 84). A pres avoir ecoutc son explication. Laurence cnndut. "Au
fond. ce que disent Lucien et papa. t;a sc rccoupc . .. c;a rcvicnt a Jirc que lcs
gens malhcureux nc lc sont pas" (LBI. R5). N'ctant pw; prctc ~~ rcjctcr lc Ut!.cours
de son perc. elle rationalise ccttc contradiction: "cc que m ·a rcpondu papa ne vaut
que pour lui'' (LBI. 85). Son univers. sa manicrc d'assumcr son ctrc. sont
tellement supericurs a ceux des autrcs qu'il cxistc sur un tout autre plan; il n'y a
que lui qui puisse surmontcr lcs mauvaises drconstances. et mcmc y trouver lc
bonheur. Ayant demystific et rejcte le discnurs de son mari. Laurence est
convaincue que seul son perc pnurra lui mnntrer Ia vnic du hnnheur. !' aider a
vivre les contradictions de son momie. Ccttc occasion sc prcsente quand son perc
l' invite a prendre Jcs vacanccs avec lui en Grccc: '"En lin. j'aurai lc temps uc
poser les questions. d' obtcnir lcs rcponscs en suspcns ucpuis tant d'annccs. Jc
connaftrai le gout de sa vic. Jc pcrccvrai lc secret qui lc rcnu si diiTcrcnt u~ tous
et de moi-memc. capable de suscitcr cct amour que jc n'cprouvc que pour lui"
- 71-
(LBI. 152). Mais, c'cst au cours de cc scjour que rimagc de son perc
commenccra a s'ccroulcr, que son discours sc revclera aussi vide que celui de
tous lcs autrcs.
A travers lc pcrsom~age du perc. Beau voir dcnonce le discours de
"l'humanismc bourgeois", ceux qui "utiliscnt de Ia mcme maniere que les autres
des valcurs diffcrcntcs pour sc dissimulcr Ia pauvrctc, !'injustice. rincgalite
socialc" (Beau voir I966b, 17). Pour Beau voir. le perc de Laurence est un
.. salaud", Ia pire des insultes que peutlui fairc cettc femme existentialiste. Le
perc et Ia mere Lie Laurence "sonl a mcllre dans lc mcme sac" (Bcauvoir 1966b.
17). C' cstl 'evidence de cctte resscmblance qui pousse Laurence a agir
finalement. La complicite de son perc ctait cvidcnte en Grcce, Laurence l'a
memc mise en paroles, sans pourtant !'accepter. Elle voyaitla ressemblancc
entre son perc et lcs touristes amcricains qu'il dcdaignait: "[a]u fond il raisaitla
mcme chose que les touristes americains dont il se moquail ... lis colleront des
photos sur un album, ils les montreront a leurs amis. Lui. il emportcra dans sa
tete des images avec leurs lcgcndcs. ct illcs rangera a leur place dans son muscc
intcricur" (LBI. 160~1).2 Elle remarquc aussi l'indiffcrcncc de son perc face ala
petite tillc qui dansatt et qui 1' cmouvaittant. Et cllc nc trouve pas lcs gens
2 Celie caract~risation tic !'altitude de son ~re face 1'1 J'histoirc qu 'il pretend exalter. ct qui est pour lui Ia r~alil~ de Ia Grccc. rappellc l'uttitude postmodcrnc face uu passe. tellc qu'cxprim~c par Jameson: "The past . . . h;L~ meanwhile itself become <1 \'ast collection nf images. a multitudinous photographic simulacrum" t 1984. 66)
-72-
pauvres dont lui a parlc son perc. ccux que "leur Jcnucmcnt ~..:omblait" (LBI.
J 62): .. « Un austere bonheur», cc n' est pas du tout cc que je 1 isais sur ces vis<lges
rougis par le froid. Comment papa avait-il pu sc trnmpcr a cc point, lui
d'ordinaire si perspicacc?" (LBI. 165). Cc n''!st qu'aprcs son retour en France
que Lau:ence trouvera une rcponse a ccllc question. qu'ellc s'cxpliqucra "la
distance infranchissable'' (LBI. 167) qui Ia scpare de son perc. C'cst Ia
reconciliation de ses parents qui lui pcrmet de totaliscr son scjnur en Grc~..:c. Lie
sorte qu'ellc peut finalement s'admettrc: "Ce sc~..:ret qu'elle se rcprm:hait uc
n'avoir passu dccouvrir. peut-ctrc qu'aprcs Lout il n'cxistait pas. II n'cxistait
pas: elle le sait depuis Ia Grcce'' (LBI. 179). Lcs signcs ctaient Ia en Grccc. on
les a vus. et ils deviennent plus cvidcnts main tenant qu · ils snnt rcntrcs:
Et de nouveau fond surclle l'imagcqu'ellc refoule avec lc plus de violen~c. qui surgit des que sa vigilance se relachc: Jean-Charles. papa. Dominique. souriant commc sur une artie he americaine vantant unc marque de oat-meal. Reconcilies. s'abandonnant cnscmhlc aux gaictes de Ia vic de famillc. Et lcs dificrcnces qui paraissaient cssenticllcs n · avaicnt pas tant d'importancc aprcs tout. (LSI. 175-6)
Laurence nc pcut accepter cette image parce que ccllc notion de Ia parfailc
famille. elle s'en est deja defaite. s'ctunt rendu compte qu'il n'cn cxisle que l:cttc
image. Main tenant son perc y participc. Avec to us lcs autrcs. i lest d' acl:onl
. 73.
avec la psycholngue qu'il faut protegcr Catherine cnntre Brigitte. empecher les
deux enfants de se voir. Et il remme avec Dominique. La desillusion de Laurence
est maintcnant complete: "Il s'est senti flattc. F/atte. lui qui regardait le monde
de si haul avec un souriant dctachemcnt, lui qui savaitla vanite de toutes chases
Cl qui avaittrouve Ia scrcnitc par-dcla le dcscspnir. Lui qui ne transigeait pas, il
parlerait a ccttc radio qu'il accusait de mensnnge et de servilitc. 11 n'ctait pas
d'une autre cspcce'' (LBI. 180). Le langagc de Laurence dans cette dernicre
section du tcxte rcflcte Ia transformation qui s'nperc chez elle. On sent a travers
scs paroles unc prise de position definitive. unc femme rccllc qui ne resscmblc en
rien a l'ombre d'un etre humain qui ttitonnc a travers lc rcste du texte. Elle s'est
rcndu compte qu • il n • y a rien derriere le discours moralisateur de son perc. 11 n · y
a que ce discours. un discours commc lcs autrcs qui mystific lcs susceptibles tel
Laurencr. mais qui n'offre pas plus que celui de Jean-Charles. Le discours
masculin n'cst dominant que puree qu'il se dit dominant. ct qu'on l'accepte
comme tel.
Cctte dcmystifkation du discours de son perc pcrmct a Laurence de se
constitucr cnmmc sujet et de fonder son prnpre discours. U ne fois qu · ellc se rend
compte que ne ricn faire seraitlaisser les autrcs faire de sa lllle ce qu ·on a fait
d'elJe. "[cJette femme qui n'aime pcrsonne. insensible aux bcautes du monde.
incapable mcmc de plcurer" (LBI. 181 ). clle trouvc sa voix: "Malgre ell e. Ia voix
- 74-
de Laurence sc monte. cllc parle. cllc parlc. elle ne suit pas cxactemcnt cc qu'clle
dit, peu importe, I' important c'est de crier plus fort que Jcan-Ciuudc ct que tous
les autres. de les rcduirc au silem:c" (LBI. 182). Ellc reprcnd a Jean-Charles Cl
aux autres Ia responsabilitc de la vic de sa lille. uccrctant que Catherine ne vcrm
plus Ia psychologue. qu'ellc continucra a voir Brigitte, car .. lc]lever un enfant. ce
n'est pas en faire une belle image" (LBI. 182). Laurence excrcc ainsi son
pouvoir discursif. un pouvoir qui n'cxistait pas avant, car il n'existe qu'cn
s'exer~ant. lout cnmme lc pnuvoir de son mari ct uc son perc. C'cst cela la
realisation fnnuamemalc-lcur pnuvnir n'csl pas plus t'omlc tlans 1c reel. dans
l'ordre des choscs. que n'cst le sicn. Laurence nc pcut a Ia fin assumcr unc voix
et exercer du pouvoir a travers scs paroles que puree qu · il cxistc un rcscau de
pouvoirs deccnlralises. parce que lc perc ct le mari n'ont pas un pouvoir ahsolu.
C'est a travers le pouvoir discursif que Laurence ctahlitunc idcntitc sndale. Cl
elle peut ce faire parce que "hegemony. as Erncsto Ladau and Chantal Mou!Te
argue, is not 'an external relation between prcconstituted soda! agents. hut the
very process of discursive construction of those agents' " (Cite dans Alonso.
404). En agissant au nom de sa fille. Laurence chnisit une position suhjcctivc.
celle de mere, qui dcterminera en partie scs rapports avec le mondc. Cc n'cst pas
Ia seule position subjective qu'elle m:cupc, car "the suhject is constructed through
different discourses and subject positions'' (Mouffc 1992a. 3X2)-Laurcncc est
- 75-
aussi femme. cpouse. femme qui travaille. fine. dtoyennc fran!faisc. bien que.
pour Je moment, cJie semble ignorer 1lU refuser ces autres positions subjectives.
La contradiction inhcrentc a Ia conclusion des Belles Images est cet
appHcnt rcfus chez Laurence d' assumcr sa subjectivitc aillcurs que dans ses
rapports avec sa fille: "Moi, c'est foutu,j'ai cte cuc.j'y suis.j'y reste" (LBI.
181 ). Ccs paroles rappcllcnt lcs ucrnicrs mots tlu troisicmc tome de
I' autobiographic de Beau voir. La Force des clwses: "tournant un regard
incrcdulc vcrs ccttc crcdulc adolcsccnte. jc mcsure avec stupcur a quel point j' ai
etc llnucc" (508). L'cxplication qu'offrc Bcauvoir face a Ia reaction negative
qu'a susdtce cctte phrase pourrait aussi bien s'appliqucr a Laurence: "La
decouverte du malheur des hommes. I' cchcc cxistcntiel qui m' a frustn!e de
l'absnlu auquel aspirail rna jeunessc: voila les raisons qui m' ont dicte ces mots"
(TCF. 166). Et cc desabusemcnt chez Beauvoir. comme chez Laurence. est
attribuc a la l'aussctc de la culture bour!!coise: "La culture bourgeoise est ~ ~
promessc: d'un univers harmonieux nu on peut jouir sans~ ·rupule des biens de
cc mnndc: cllc garantit des val curs sun~s qui s. intcgrent a notre existence ct lui
unnncntla splcndcur d'unc Idee" (TCF. 166). Ayant deconstruit cettc pnJmcssc.
ayant rcjctc Ia notion des valeurs absolucs ell' ordre social qui la soulicnt.
Laurence est a mcmc de s'assumer commc sujet postmodernc. et ainsi d'excrcer
un pouvoir discursir. Malgre son assertion que. pour clle. ··tes jeux sont faits"
-76-
(LBI. 183). elle ne pourra donner aux enfants leur chance sans cnntinucr
d'exercer cc pouvoir. sans continuer de sc rcl:nnstitucr ~.:ommc sujct, car.
if the subject is constituted hy power. that power does not cease at the moment the subject is constituted. for that subject is never fully constituted. but is subjected and produccJ time and again. That subject is neither a ground nor a product. but the permanent possibility of u certain resignifying process. nne which gets detoured and stalled through other mechanisms of power. but which is power's own possibility of being reworkeu. (Butler 1991. 13)
Chapitre II I
Dans sa dernicrc ccuvrc de fiction. La Femme rompue. Beauvoir rcprend Ia
forme. de sa toute premiere reuvre. Quanti prime /e spiritue!-elles sont toutes les
deux des collections de rccits prcsentcs du point de vue de la femme. Dans son
contenu. par contre. La Femme rompue a plus de rcsscmhlanccs avec l'reuvre qui Ia
precede. Les Belles Images. A. )'exception de Ia premiere nouvelle. ''L' Age de
discretion''. le milieu est celui de Ia bourgeoisie. ct l'intcllectucl est tntalement
absent. En cc qui no us com:crnc ici. lc rapport entre lc pnuvoir ct lc discours. ctlc
dcvcloppemer:t de ce theme dans les dernicres reuvrcs de Bcauvoir. c'est surtout Ia
deuxicmc nouvelle. "Monologue'', qui peut nous aider a cclaircir cc rapport.
"L' Age de discretion", dans son contenu et son style. semble appartenir a unc
cpoque antcricurc dans lc devcloppcment de la pensce de Beauvnir. ou elle lutt.ait
toujours avec la question de l'intellectuel et son role. En effct. dans Tout compte
fait. Beau voir constate que cc recit .. est ecrit selon [son] ancienne technique" (TCF.
177). Ellc y rcprend un theme d'un roman qu'cllc avail abandnnnc en 1965. avant
memc d'ccrirc Les Belles Images .1 Quant a "La Femme rompuc ... cctte nouvelle
I En 1992 ~tail publi~ tlans Roman 20-50: Revue d'twde t/11 roman du XXe siec/e un tcxte in~dit intitul~ "Malcntcndu 1't Moscou", ou ligurcnt deux pcrs.-·~" ·>ncs qui ont de fortes ressemblanccs avec les pcrsonnagcs principaux de "L'Age de discr~tion" . Jacques Dcguy, qui commente le texte, constatc que c'est "unc longue nouvelle" qui devait prendre pluce dans La Femme rompue. Mais \cs rcsscmblanccs entre lc contcnu ct les pcrsonnages de "Malcntemlu ~ Moscou" ct ccux de ·•L' Age de discretion" (les pcrsonnagcs om lcs memes noms, lc memc iigc, lcs memes occupations) suggcrent {}Uc " 1\hlcmcndu a ~h,scou" pnurrait hicn ~tre \c roman ahamlnnnc en 1965, ct dont les themes (ct lcs pcrsonnagcs) scraicnt rcpris dans "L ·Age de discretion". De guy cons tate en cffet que lc tcxtc public dans R(,/lltlll 20-50 a ctt1 t!crit en JlJ65.
- 78-
non plus ne nous semble appnrtcr ricn de ncur dans notre discussion du rapport
entre le discours ct le pmwoir et ]a presence implidte ct gr:.mdissantc du
postmodemc dans l'reuvrc de Bcauvnir. La publication tic ce rccit dans Elle. ct snn
accueil ehaleurcux par le public. reflctent bien un aspct:t du pnstmotlcrnc.
I' effacement de la distinction entre la t:ulturc de l'intellet:tucl etta culture populairc.
mais .. La Femme rompue" nc contient pas lcs clements SJK~dliqucs du
postmodcme que l'un veut examiner ici. Parcontrc. !'etude de "Monologue". qui
semble. d'apres Tout comptejczit. ctrc Ia dcrnicrc tcuvrc de lit.:tion ccrite par
Beau voir. no us permettra de tlcceler I' eiTct du phcnoml!nc du postmndcrnc sur Ia
pensee de Beau voir. et plus particulicrcment. lcs ressemhlanccs entre Ia penscc de
Beau voir et celle des postmotlernes en cc qui cnnccrne le rapport entre le pnuvoir et
le discours. "Monologue" nnus semblant la micux rcussic des nouvelles Lie u1
Femme rompue sur ce plan. t:clle ott sc trouvcnt rcunis de manicrc concise lcs
themes que nous considcrons. nous avons choisi de n'ctudier que cctte nouvelle
dans ce dernier chupitre.
On a remarquc dans Les lvlandarins lcs tlchuts u'un changcment ue viscc
dans l' reuvre de Simone uc Beau voir. o.:uvre qui cvoluc uepuis unc prcoc~upatiun
avec Ia totalite et Ia politique vcrs une ~nnsiucration de I' cxistent:c im.li viduellc. ct
plus particulierement. de 1' existence feminine. Cetle nouvelle prcm:cupation dcvicnL
- 79-
plus cvidente dans Les Belles Images. ou la sculc narratrkc est unc femme et ou Ia
question de Ia totalitc est devcnuc unc question de rindividu dans cette totalite.
Dans ''Monologue .. Ia question de Ia societe en tant que structure a pratiquement
disparu-on est toujours dans le monde bourgeois des Belles Images. mais ce sont
maintenantles actions de I' individu (toujours une femme). et ses rapports avec
autrui qui soul mis en cause. Le retrcdssemcnt uu point de vue s'accentue-on n'a
plus une altcmancc entre Ia premiere et Ia troisicme personnc. Tout est maintenant
filtrc a travers I' esprit en apparence derange de Murielle. On n·a mcme pas. commc
uans lc ucmicr roman de Simone Jc Bcauvoir. lcs paroles des autrcs qui nnus
aidcraient a OOUS situcr dans Jc rccit--<.:e qu'on cnnnaft des :.lUtres est deformc par
les pn5jugcs et l'hostilite de Ia narralrice. On n'a d'autre referent au 'reel' que lcs
paroles (ct lc silence) uu personnagc prindpal. dnnt les contraJictions nous laissent
toujours en doute. Lc temps ct 1' espace sc sont rctrccis aussi. le tout se deroulant
dans l'appartcment de Murielle au enurs de quelques hcures seulement.
On aurait peut-ctre dG dcbuter ccttc analyse de "Monologue .. par deux
cpigraphcs qui scrviraient d'avcrtisscmcnt au lcctcur de ··Monologue". aussi hien
qu'au personnagc prindpcl de ce texte:
No ahistorical or transcendental standpoint exists from and by which the Real can be directly and without construction/distortion apprehended in or by thou;;ht. (Flax. 453)
l W !hat we really waut is power in the wnr!J. not
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an innocent truth. (Aax. 458)
La notion qu'il puisse existcr un savoir innocent nuunc rculitc ohjectivc rappelle lcs
intellectuels des reuvrcs antcrieurcs de Bcuuvoir. tcls Rohert et Henri des
Mandarins. L'absencc dans lcs dernicrcs cruvrcs de Bcauvnir de tels pcrsnnnagcs
pour qui il existe "some sort of truth whkh can tell us how to act in the world in
ways that benefit or arc for the (at least ultimate) good or all" (Flux. 447). met en
question la recherche d'unc tcllc rcahtc objective. et, par extension. son existcm:c
mcme. Deja dans Les Mandarins Ia difficultc de cclle notion de verite oh_~cctive
s'csquissait. La contradiction inhcrcnte ala notion du sujet transcendant qui
totaliserait unc realite dont il fait pourtant partie est mise en evidence duns Les
Mandarins a travers 1:.t dcsillusion d' Anne fa~:c a l'homme-Dieu qui est, pour ell e.
Robert. Ce que lc savoir innocent et Ia rcalitc objective ont en commun, c'cstle
refus de reconnaiu·e que Ia realitc et le savoir ne sont que des e1Tets du discours. que
"the 'truth'. factual or otherwise. about the being of objects is constituted within a
theoretical and discursive context. and the idea ot' a tmth outside all com ext is simply
nonsenskal" (Laclau 1990. 105). La verite. Ia rcalitc. le sa voir. n 'existent que du
point de vue du sujet humain. Ceci n ·est pas ~ nier qu · il ~xistc a I' cxtcriet:r du sujet
humain qui les apprchende des cvencmcnts. des faits historiqucs. Lc rcfus d'unc
rcalite objective implique plutot que tout cvcncmcnt. tout objet dans lc mondc. prcnd
SDn sensa travers un discnurs qui Ic cnnstituc ct qui Ie revet d'unc signification
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donncc. L'accord entre individus sur Ia nature de ccttc s1gnification constitue Ia
rcalitc de ccs individus. La rcalitc est <.lone Ia signification accordee au monde par
l'individu commc mcmbre d'un groupe. une signification qui nc peut etre que
particlle ou tcmporairc. car chaque actc de dis~.:ours rcconstituc ce monde. C' estlc
consensus. mcmc tcmporairc ou particl. qui rend possible Ia constitution de Ia realite
d'un point de vue autre que cclui de Ia monade. et qui rend possible au·:~i le social
tel qu'on lc connaft. La pretention au savoir innocent est une tentative de rendre
etcrncllc Ia fixation partielle de scns qui est notre fa~nn d'apprchender le monde. de
rcndrc csscnticl et ahsnlu un concept qui est ,)lut6t contingent et llou. On dirait avec
Ernest<> Laclau et Chantal Mouffc que. "La)ny discourse is constituted as an attempt
to dominate the field of discursivity. tn arrest the 11ow of differences. to construct a
centre" ( 1985. 112). ct on ajnuterait que lc discours qui pretend cnnstitucr un sa voir
innocent est unc tentative 1.l'ancrer ce centre dans l'ahsnlu et le ncccssaire. Ccue
pretention est un actc de pouvoir discursif. car l'individu tente par la d'intlucncer les
actions des autres: .. if it is true. then you as a 'rational person' must agree with me
and change your beliefs and behavior accon.lingly" (Flax. 45R). C'est aussi un ucte
pur lcqucll' inuividu tente de se constituer com me sujet essen tiel. carr apprehension
d' une rcalitc ohjccti ve. Lransparentc. implique un sujet lixe et rationnel a travers
lcquel ccttc rcalitc sc dcvnilerait.
Lc monologue de Muricllc est. dans sa forme ct son contenu. un tel acte de
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pouvoir discursif a u·avcrs lcqud Ia narratricc tentc de s' ctahlir cnmmc sujct
essentid ct d'imposcr (ct de s'imposcr) sa rcalitc. L 'ahscncc Jans lc tcxtc Jc tout
autre locuteur signalc lc dcsir chez Muricllc de sc constitucr commc sujct csscnticl ct
met en evidence aussi Ia nature suhjcctivc ct persnnncllc Je Ia rcali tc qu · cllc tcntc de
(de)voiler. La verite est mains saisissahle dans "Monologue" qu'dlc nc l'ctait dans
les reuvrcs unterieurcs de Bcauvnir. II est vrai que lc portrait que nous hrossc
Murielle. celui d'une femme qui appelle Ia police pour meurc au pas sa fillc {on
reste ignorant de Ia raison cxactc). qui lit lcs lcttrcs ctlc journal intime de cclle lillc.
et qui cssaie de lui dieter lcs amities. est diflicile ~~ concilicr avec I' image de Ia mere
parfaite que Muriellc vcut projeter. Mais il n 'y a ricn qui nnus autnrise f1 accepter lcs
faits tels que prescntes par Murielle ct a rcjctcr cnsuitc lcs opinions avancces par
celle-d. En ccdant a Ia tcntatinn de declarer Muriclle coupahlc Je Ia mort de sa lillc.
on suit Ia mcmc pcntc que cellc Jc Muriclle. ct que cclle des autrcs ·personnagcs · du
texte--on pretend avoir acces au sa voir innocent. Mais, commc on I' a vu. il
n'existe pas de verite objective ou innoccntc. On nc pnurm pas finalemcnt sc
prononcer Jefinitivement sur Ia vcrm:itc Jcs rcalitcs contradictoires Jc Muriellc ct de
ceux uont elle nous parle. Toute pretention u unc tclle omniscience n'cst qu'une
tentative d'exercer du pouvnir. J'acculcr lcs autrcs a sa verite pcrsonncllc. comme lc
fait Muriclle (LFR. 99). Dans cc cas extreme prcscntc dans "Monologue". la rcalitc
de tout ce qui est cxtcrieur au sujet est ret'uscc. aussi hi en que Ia notion que lc sa voir
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ctla rcalitc soient crces a l'intcricur des rapports entre individus. Murielle construit
un univcrs clos ou ellc est lc seul sujet. ct ou elle est sinon l'origine de toutc
signification. du moins la seule qui y a acces. Si on rejctte cette notion d'unc rcalitc
objective extcrieure au sujet individuel. Ia question du texte .. Monologue" devientla
question du sujctlui-mcme. et celle du discours a travers lcquel cc sujct tente de se
constitucr. II importc done de mcttrc en evidence lc processus par lequel Murielle
tentc d'cxercer du pouvoir discursif et ainsi de sc (re)constituer comme sujct. car.
"ltlo ~tudy the conditions of existence of a given social identity ... is to study the
power mechanisms making it pnssihlc" (Lacluu I 990. 32).
Chez Muriellc le premier de ccs mccanismcs est lc monologue lui-mcme. ce
qui est mis en evidence des lc debut. dans le titre et dans J'cpigraphe du texte: ''Ellc
se vcngc par lc monologue". En chnisissant cnmmc titre lc nom d' un genre
littcraire. et une cpigraphe qui y fait allusion encore. Beau voir nous dirige vers
l'importance de Ia forme de ce texte; clle elide la distinction habituellc entre la forme
ctlc contenu. ainsi suggcrant que "la distinction entre le fond et Ia forme est perimec
... les deux sont : nscparahlcs .. (Beau voir l965a. 84 ). ou que .. the storytelling form
itself carries a freight of meaning and tells a supplementary story in addition to its
immcdiute or local historiographic reference" (Jameson l992b. 227). Cetle forme
monologique impJiquc une conscience fcrmce qui VCUL a tout prix eviler
l'cmpictcmcnt des autrcs rcalitcs sur son existence. Ellc suggcrc un acte de pouvnir
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discursif par lcqucltoutc autre voix est rcduitc au silence. toutc autre verite ancanti~.
Cet ancantissement de la voix de I' autre signale un cloignemcnt encore plus
marque que dans Les Belles Images de lu notion du discnurs cnmmc outil
transparent de communication. II crce aussi chez Murielle I' illusion d'un pouvoir
discursif gnke auqucl elle pnurrait s · ctablir cnmmc sujet csscnticl. Lc rdus de Ia
part de l'individu d'admettre ou de rcconnaitre lc discours de I' autre avail deja etc
explore par Bakhtine dans son com.:ept du mnnnlogisme:
Monologism. at its extreme. denies the cxistcm.:e outside itself of another consciousness with rqual rights and equal rcsponsihilitics. another I with equal rights (thou). With a monologic approach (in its extreme or pure form) another person remains wholly and merely an object of consciousness. and nnt •mother consciousness. No response is expected from it that could change everything in the world of my consciousness. Monologue is finalized and deaf to the other's response. does not expect it and docs not acknowledge in it any decisive force. Monologue manages without the other, and therefore to snmc degree materializes all reality. Monologue pretends to be the ultimate word. It closes down the represented world and reprcscntcu persons. (Cite dans Gardiner. 27)
Murielle veut bien rcduire tousles autrcs au statut u'ohjct. Ellc sc scrt du
monologue pour nier Ia subjectivitc des autres. car lcs admettrc scrait mcttrc en
danger sa proprc subjcctivitc. une suhjectivitc que lcs autrcs a leur tour tentcnt de
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<lcplacer en refusant de la rccnnnaitre com me mere. commc cpnuse. ct cumme
innoccntc face au suicide de sa fille. Lc discours monologique permet a Murielle de
poser l'autre comme objet absolu. et done de se donner I' illusion d'ctre un sujet
essen tiel.
Lc dialogue. par contre. impliqucrait unc reconnaissance de Ia subjcctivitc des
autrcs. et de leur <liscours. Unc tcllc rcconnaissnncc forccrait Murielle a n!examiner
sa proprc idcntitc, ou. du point de vue du pnstmodemc. ceuc reconnaissance lui
imposcrait un signifiant maitre autre que cclui de l'cpnuse-mcre qu'clle a c!wisi.
Dans l'univcrs poslmmlernc tel que uccrit pm Laclau ct Mouff'e. parmi d'autrcs.
l'individu n'a plus unc seulc position subje<.:tivc a adopter. il en a plusieurs. Parmi
ccs signifiants divers un seul prcdomine dans une situation donnce et c'est autour de
ce signifiant maitre que l'individu organise son mnnuc tant qu'il est dans cettc
situation. Mais lc monde de l'individu n'cst pas uni: il n'existe pas un sujet
tram:r~ndant qui rassemblcraitles signifiants divers duns un tout rationnel et
transparent. ll y a plutot un deplacement constant (.l'un signifiant maftre par un
autre. Dans le contexte des situations divcrscs. on a a sc crccr en femme de carriere.
en ccologuc. en parent: en <.:haque instance le signiliant maitre sc <.:hangc pour gcrcr
unc chaine de signi lication appropricc. Et. en meme temps on essaie de totaliser
chaque situation. de fixer la signifkation de son mondc. sans toutefois y arriver: on
nc pcut pas totaliscr sa situation <.:ar on nc pcut pas nicr les autrcs organisations. les
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autres chaines de signification. qui sont gcrccs par leur proprc signiliant maitre. et
qui sont tous des clements de Ia subjcctivitc de l'individu. La surdctermination d'un
signifiant par rapport aux autrcs n'estjamais que provisnirc. c'est un processus
continu qui depend de Ia situation immediate de l'individu. et des mpports de
pouvoir qui definissent cette situation. Ces rapports de pouvoir sc constituent ct
s'exprimcnt dans le contexte des discours du sujet. On ne pcut done parlcr du
discours du sujet comme I' element qui dctinit son existence. Tout cxistant a plull)t
une multiplicitc de discours qui correspondent aux positions suhjcctivcs qu'il
assume et entre lesquelles il n'y a pas de rapport prcctahli ou csscnticl:
[E]vcry subject position is constituted within an essentially unstable discursive structure since it is submitted to a variety nf articulatory practices that constantly subvert and transform it. This is why there is no subject position whose links with others is definitively assured and, therefore. no social identity that would be fully and permanently acquired. (Mouffc 1992a. 373)
L'identite de l'individu. si mcmc on pcut parlcr ll'idcntitc, nc peut ctre que
provisoirc: ce n'est pas unc entitc dontlcs clement:· son tunis et homogcncs. mais
plutol unc succession d'illentitcs particllcs ou de lixations particllcs d'unc idcnlitc
qui reste ephcmcre. Ccue fixation particllc correspond a l'alloption u'un signiliant
maitre donne qui n'a pas de liens avec unc rcalitc pcrrnancnte. et qui sc rcconslituc a
travers chaquc chafnc de signification. c· est ccuc instahilitc. ce manque d' un centre
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fixe chez I' agent social qui nous permct de parlcr Jc Ia mort postmodcrne du sujet.
Murielle hubite ce monde postmodernc. mais clle ticnt a Ia notion du sujet
fixe dont l'identitc serait dcfinic unc fois pour toutes. ct dont un scul discours serait
rcxpression dclinitive. Ellc s'cst choisic conunc mere et epouse et ellc ne pcut
organiscr snn monde et son discours autrcmcnt que dans lc contexte de ce signifiant
maitre. Ellc s'acharnc done a fixer Ia signification de son mondc dans le contexte de
cc signifiant maitre. Son discours monologique est I' expression de cet effort
L'absencc d'autrcs consciences qui caractcrisc le monologue permet a Murielle de
maintenir provisoircrnent sa prnprc suhjcctivitc. Tant qu'clle est sculc. tant qu'il n'y
a pas c.rautre discours pour contester la signilkation qu'cllc impose au monde. ellc
pcut sc donner I' illusion d' ctre lc sujct essen tiel: elle emit pouvoir se tenir a l' abri
des rapports de pouvoir a l'intcrieur dcsqucls lc sujct postmndcrne sc constitue et sc
rcconstitue. Mais, c'est ccttc memc solitude qui empcchc que Muricllc realise
plcincmentle signifianl maitre de mere-cpousc. car. "when you constitute your
individual subjectivity as a self-sufficient field and a dosed realm in its own right.
you thereby also shut yourself off from everything else and condemn yourself to the
windless solitude of the monad. buried alive and condemned to a prison-cell without
egress·· (Jameson 1984. 63-4). Muriclle nc veut pas Ia solitude de Ia monadc: elle
vcut se fairc m.:ccpter par les autres. rctablir des rapports avec cux. Son dilemmc
vient de cc qu'cllc tcntc de sc dellnir a travers lcs autrcs sans prendre en compte Ia
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volonte et la subjectivitc mcmc de ces uutres. Ellc mcconnait Ia dimension
intersubjective de la constitution del' identitc ct de Ia verite individucllcs. La solitude
qui est necessaire pour qu'cllc puissc maintenir le signiliant maitre qu'cllc a choisi Ia
laisse dans la situation contradictoirc d'ctrc une cpousc Si.ms nmri. une mere sans
enfants.
Muriellc ne choisit cette solitude ue Ia monadc que puree que lc uiscours des
autres refuse sa subjcctivitc. En cc faisant. les atltrcs lui lransmetlent un message
ambigu sur Ia nature mcme de Ia suhjectivitc. D'ahord. ils mcttent en question Ia
notion du sujet centre. Ils tcntent de Ia wnstituer l:ommc une suhjectivitc autre que
cclle qu'clle a choisic. ainsi suggcrant que l'idcntitc uu sujct n'est pus fixe. En
meme temps. leur insistance sur Ia culpubilitc de Muricllc rcnfnrcc Ia notion uu sujct
centre. Une tclle insistancc implique qu · il cxistc quelque part un sujet digne de
s · assumer comme mere-epouse. ct done qu · il est possihle de sc dclinir
exclusivemcnt comme telle. 11 faut a Muriclle Ia cnmplicitc des autrcs. surtout de
son mari et de son fils. pour maintenir son signifiant maitre. mais les autrcs lui
refusent cctte complicitc. En Ia dcfinissant com me celle qui a cchouc comme mere
et commc epouse. ils nicnt lc signifiant maitre qu'ils avuicnt reconnu auparavant.
qu'ils avaicnt aide a crecr. Mais ce refus de reconnaitrc Muticllc tcllc qu'cllc tcntc
de se faire reconnaftre n'impliquc pas un divorce totul entre Ia subjcctivitc uc
Murielle ct cclle des autrcs. Lc rcfus mcme. ct Jc silence qui en est !'expression.
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sont des formes du discours qui aidcnt a ctahlir Ia subjcctivitc de Murielle, qui
contribuent a Ia constitution du sujet-monade. Murielle rcconnaft implicitemcnt lc
rOle des autres dans Ia constitution de sa subjectivitc quand elle se pose comme objet
du regard des autres: "Personne jamais nc pense a moi. Comme si j 'etais effacce
du monde. Comme si je n'avais jamais cxistc. Est-cc que fexisteT (LFR. 111 ).
La formulation de ccue question implique une extcrioritc. un point de vue autre que
le sien, qui serait unc partie constituantc de son etre. et dont dependrait son etre
mcme. Le lien que Muricllc ctablit entre cettc cxtcrioritc et Ia realite mcme de son
existence met en Jumicrc Je r6lc Jcs autrcs ct du Jiscours Jes autres Jans Ia
constitution Jc Ia subjectivitc de l'individu. Murielle rcconnaft en ce moment que
maintenir Ia position subjective qu'elle a choisie ne depend pas seulement d'elle.
mais de la situation discursive ct des rapports de pnuvoir a rintericur desquels cllc
sc constituc comme sujet. Son monologue est unc tentative de rejcter le discours
des autres, denier le lien entre cc discours et sa propre subjcctivite, mais ce
monc~~s,uc mcmc rcvcle le besoin qu'elle a d'eux: elle s'y dcfinit par rapport aux
autres ct clle y exprime son dcsir fondamcntal. Ia base me me de son existence tclle
qu'cllc Ia dclinit, qui cstlc rennucmcnt souhaite avec son mari. Lc 'je' que Murielle
met en question est le seul qui lui est actucllemcnt disponible. son identite de mcre
cpouse. Ellc a raison de sc demander si elle existc. car pour les autres, son mari. sa
mere. son frcrc. cc 'jc' n'cxistc plus. ou plutot il cxistc ~.omme manque. Elle n'cst
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plus pour eux ni mere. ni cpousc. mais elle n'est pas autre chose non plus: ils In
definissent en termes negatifs. Cnmme femme. Muriclle s'est toujours t.lclinic en
terrnes de l'homme dans sa vie. que cc snit Tristan. son premier mari Albert. son
amant Florent. ou le petit Bordclais avec qui ellc a cu une a venture breve. Ellc nc
peut se definir autrcmcnt. A son age cllc nc voit pas Ia possihilitc d'un autre
homme dans sa vie. Elle n'a done d':1utrc recours que de refuter le discnurs des
autres. ct d'insister sur son idcntite cnmmc femme de Tristan. Puisquc lc diswurs
des autrcs refuse cctte idcntitc. Ia sculc situation discursive qui pcrmct a Muricllc de
maintenir Ia scule position suhjei:livc qui lui est disponihlc. ou de sc donner
I' illusion de Ia maintcnir. est ccllc du monologue. Lcs auu·es continuent done a
jouer un rOle dans la constitution du sujct Muriellc. mcmc a l'int~ricur de sa
situation monologiquc.
Le refus chez Murielle d'cntrcr en communication avec les autrcs et avec cllc
meme rappelle Ia notion de mauvaise foi eluddcc par Beau voir tlans Le Deuxieme
sexe. Ce refits soulcvc aussi Ia question de Ia rcsponsahilitc Jc Muricllc l'a<.:c a sa
situation et la responsabilitc de Ia societe face a I' intlividu, Muricllc. Bien que
Beau voir insiste dans Tow compte fait 2 sur Ia mauvaisc foi de Muric!lc. on ne pcut
eviter Ia question que Beauvoir a soulcvcc cllc-mcmc. ccllc de Ia situation de Ia
femme dans une societe paLriarcale, et done du rOle Jcs autrcs mcrnhres de <.:ellc
societe qui ont contribue a crccr ccttc situation. Vu de ccuc pcrspe<.:tivc. lc pnint (k
2 Voir 177
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vue de Bcauvoir semble rcjninl.lrc cclui llu pnstmollcrnc. nf1 Ia qualitc cphcmcn: du
sujet centre dcplacc la rcsponsabilitc du suj~t intli vi duel. Ia rcpanll dans un rcsc~m de
subjectivites diverses qui resistent a Ia dassilkation en tcrmcs d'unc iucntitc
essenticllc. La rcspnnsabilitc ct l'agenccment individucls sont ainsi mis en question.
Dans ce contexte Ia rcsponsabilitc Ju suidtlc Jc Sylvie doit ctrc parlagcc entre sa
mere. son perc. tous lcs autrcs qui ont tnu~hc son existence. etla sm:ictc cllc-me:;lc.
Ou peut-etrc mcmc Ia rcsponsabilitc Jc ccltc mort nc peut .. cllc se poser nullc part.
Muriellc semble cpouscr une telle notion lloue de Ia responsahilitc et de Ia
culpabilitc. Ellc attribuc Ia respnnsahilitc Ju suH.:idc de Sylvie non pas i1un scul
individu ou mcmc a deux ou trois. mais a des sujcts indctinis: "Ia lillc de dix-scpl
ans qu'on m'a assassinec" (LFR. 114) ... ils l'onL tuce" (LFR. 114). "cc sont cux
qui l'ont tucc" (LFR. 113). On pourrail. ave'.: Bcuuvoir. attrihuer ccs accusations au
seul desir de Muriclle de fuir sa prnprc rcsponsahilitc. c'cst-a-dirc a Ia mauvuisc l'oi.
On pourrait altemativement y voir unc reconnaissance de Ia nature chungcantc de Ia
notion de culpabilite dont on a parlc plus haut. l1 est vrai que Muricllc l'uit sa proprc
respnnsabilitc en s 'erigcant en mere parfaitc. mais son insistancc sur lc rfllc des
autres a sa valeur aussi. Sa mere a cllc a c.:ontrihuc a Ia situatinn de Sylvie aussi bien
qu'a celle de Muricllc. Lcs actions de son mari Tristan. qui a quillc sa femme deux
ans avant Ia mort de Sylvie, y sonl pour quclquc c.:hnse uussi. En plus. il y a !a
societe cllc-memc qui a rcndu possible unc situation ottla femme sc dclinit
- 92-
cxdusivcmcnt en tcrmcs de Ia presence <fun hommc a scs cfltcs, et ou ellc se trouve
cpcrduc sans lui. Cctte societe est representee dans lc tcxtc par Ia foule. par lcs
autrcs loc.:ataircs dans lc hatiment d~ Muricllc. qui Ia rcspcctcraicnt si Tristan etait Hi:
"Un hommc sous mon toit. Lc plombier scrait venu lc concierge me saluerait
polimcntlcs voisins mcttraicnt une soun.Jinc" (LFR. 94). La rcsponsabilitc ne pcut
plus done sc poser. comme Beau voir semble lc vouloir3. sur un scul individu.
Dans une sodctc ou lc sujct n'cst pas stable. nu il revet des idcntitcs dit'ferentes
scion lcs circonstanccs immcdiatcs de son existence. on peut dire que l'idcntite de
l'individu est nullc part ct partout. tout commc Ia rcspnnsahilitc individuelle qui nc
pcut cxistcr sans unc notion fixe du sujet. Mcme si Muricllc est motivcc par le dcsir
de s' innoccnter, Ia notion de mauvaise foi nc su ffi t pas en elle-mcme a expliquer sa
situation: clle n'expliquc ras lc 'choix' chez Muricllc du monologue intcrieur. qui
est !'expression de cctte situation.
La situation ct lc discours de Muriellc nc peuvcnt ctre clm:iL...;~ que dans le
contexte des rapports de pnuvoir qui dcfinissent scs relations avec autrui. et qui sont
represcntcs tcxtucllcmcnt par Ia juxtaposition du discnurs ct du silence. Son
discours est. on I' a vu. unc tentative de (rc)cnnstitucr sa suhjcctiviLe. de validcr lc
signifiant maitre qu'cllc s'cst choisi. fixanl ainsi Ia signification de son existence ct
du mondc lui-mcmc. Pour que Muriclle s'ctablisse commc sujct csscntiel. son
Jiscours Jnit aussi s'ctablir commc csscnticl. et non pas contingent des actions el
.\ Bcauvoir ~:aractcrisc Murictlc uinsi: "tmc femme qui sc sait rcsptl!lsahlc du suicide de sa lillc .. . ltllli l tcntc tic sc donner raisnn". (TCF. 176).
- 9.3 -
des paroles des autrcs. Ellc doit done sc mnsqucr leur n}lc duns Ia ~.:onstitution de sa
subjectivitc ct de snn discuurs. cllc dni t sc masqucr lc fait que t:c sont lcs autrcs qui
lui ant impose son discours mnnologiquc. Muricllc sc scrt alors J'un discnurs
cacophonique pour refouler lc discour~ ct lc silence des autrcs qui risqucnt de
detruire son ctrc prccaire. La presentation du tcxtc rcflcte cc rcfus. lcs phrases
s'entassant les uncs sur lcs autrcs. souvcnt sans aucunc ponctuation. II n'y a pas
une seule virgule dans cc texte d'a pcu pres qui.u·anlc pages. pas J'cspacc qui
permettrait unc opinion autre que Ia sicnnc. Son Jiscours nc laisse pas Lie place a
I' autre. que cc snit unc i.IUtrc Muridlc. son mari. sa mere. m1 Ics autrcs lm.:alaircs du
batimcm qu'cllc habitc. En rcjetantleur Jiscours. Muricllc rejellc Ia rculitc qui sc
constituerait a travers ce discours ct qui pourrait mcttrc en question Ia rcalitc qu'cllc
s ·est construitc. Elle refuse de rct:onnai'trc qu ' il pcut cxistcr J' autrcs real i tes.
d'autres discours. Ainsi. plutot que de laisser un viLle silcncicux llLI des pcnsccs
importunes pourraient s'inscrer. clie a rc<.:nurs a Ia repetition. cllc sc rcpetc quatrc
vingt-deux fois le mot 'murre' (LFR. 96). Ccttc repetition scrt aussi a masqucr lc
silence. tout commc les boulcs Quics qui coinccnt lc timbre Ju telephone. ct qui
l'empechent "d'cntcndrc que Jc telephone nc sonnc pas" (LFR. X7). Tant qu'cllc sc
parle, ellc ne pcut pas entendre que personnc nc lui parlc. cllc nc rcsscnt pas ··tc
poids de leur silence" (LFR. 112) accusatcur cornrnc uprcs lc suicitlc de sa fillc.
Son discours est done unc tentative de s'uppmpricr lc silcnt:c Lies uutrcs en nc
- 94-
laissant pas de place pour leur lliscours. ni pour des signiliants autrcs que cclui
qu'elle tcntc d'imposcr. Leur silence et leur discours dcvicnnent alors l'effet de son
discours a ellc. Muricl1c tente d'exen:cr un pnuvoir discursif en fixant Ia
signification du discnurs des autres, de leur silem:c. Je leur existence meme, dans lc
contexte du signifiam maitre qu'cllc a choisi. El1c nic ainsi Ia su~jectivite des autrcs.
ct clle rcste le sujet essen tiel a travers lcquel toutc signification vient au monde.
L 'impossibilitc d'un rcfus total de !'autre. ct done de Ia constitution du sujet
dans un univcrs dos tel celui de Muriclle. est mise en cvidcm:e a travers cettc memc
opposition entre lc silen~..:c ct lc Lliscours. Malgrc scs efforts. M uric lie n · cchappc pas
totalcmcnt au discours ni au silence des autres. Ellc nc rcussit pas a bannir de son
existence tout autre signifiant. toutc autre subjcctivitc. Elle se rappclle les paroles et
lc silence de~ autres. bien qu'cllc s'efforce de les tenir a distam:e. Ellene pcut pas
ctouiTer "cc cri dans mes oreillcs" (LFR. I 04 ). lc cri de sa mere qui I' accuse du
suicide Je sa fill c. ni le "silence de mort" (LFR. Ill) qui envahit son appartcment ct
qui lui rappclle encore lc silence de Ia salle mortuairc ou personnc nc lui adrcssait un
mol. Ellc nc pcut pas non plus cmpechcr lcs bruits de lu foulc d'cntrcr dans son
appartcmcnt. Le lien entre cc bruit ct le discnurs est mis en evidence quand Muricllc
mlmct qu'cllc prcfcrc un bruit mccaniquc. nnn-humain. au bruit des voix qui lui
rappclk: I' existence des autrcs tliscours: "Plus de klaxnnsj'aimais encore mieux cc
boucan que d'cntcndrc chahulcr sur lc boulevard" (LFR. 95). Le bruit lui rappellc
- 95-
I' existence des autrcs. mais lc son de leurs voix lui rappcllc leur suhjcctivitc ct k
pouvoir de leur discour~. qui mcttent en question cm:orc sa pmprc subj{~ctivitc ct son
propre pouvoir discursif. L'intrusion du hruit de Ia foulc pcut sc lire commc l'echcc
du projet de Muricllc-ccttc intrusion l'cmpcchc Jc maintcnir lc silence. ct en mcmc
temps e11c met en evidence l'impD:;sibilitc J'cchappcr au Jiscours Jcs autrcs. Ellc Ia
force a fairc face a !'impuissance de sun JiscPurs monologiquc. Mnricllc rcconrmlt
l'effet des aulres discnurs, lc pouvoir discursif des autrcs. quand c\le contcmplc la
mort: "mourir me rcpnscrait s · i1 nc rcstait pcrsonnc pour pcnscr a moi" ( LFR.
1 00). ct em: nrc quand cllc cons tate. "me me quanJ jc suis sculc ils me pcrsccutL'nl"
(LFR. 101 ). Seule ou mcme morte. cllc ne peut pas cchappcr ~~ ccllc ohjcctilication
par laqucllc les aulrcs sujcts ten tent de l'ctiquct.tcr ct ainsi Jc nier lc signifi:mt maitre
a travers lcqucl ellc vcut sc dctinir. Elle nc pcut pas sc constitucr com me su,ict
essentieltant qu'il existe d'autrcs sujcLs qui nicnt sa suhjcctivitc ct sa rcalitc.
Afin de rationaliser et de s'appropricr eel isnlcmcnt non-voulu. Muriclle crcc
entre elle-meme ctles autrcs un gnutTrc infranchissahlc. Ellc sc pose commc
l'incarnation memc de la proprctc. de la purctc et Jc l'innnccncc qui linitlullcr pour
tenir a distance un monde "dcgucux"[sicl (LFR.95) qui est peuplc par Ia
"vermine" (LFR. 103). et ou on est "contaminc par tous lcs pores Jc Ia peau"
(LFR. 95). En ce faisant, elle fait sicnnc la solitude que les autres lui ont imposcc.
Cette solitude dcvicnt alors un choix de la part de ccllc qui est "proprc pure
-96-
intransigcantc" (LFR. H9). Cl qui nc VCUL pas ctre infcctce (LFR. 95) pur Ia presence
des autrcs. L'horreur de Murielle englobe tout ce qui lui est extcrieur. tout ce qui
impliquc l'existcm:c des autres suhjcctivitcs: "era n'cxistc pas !'hygiene sur C1~ttc
terre I' air est polluc . .. a cause de ccs millions de bom:hcs sales qui J'avalent et le
rccrachcnt du rna tin au snir: quand je pensc que jc baigne dans leur halcine j' ai en vic
de fuir au fond du desert" (LFR. 95). Cettc insistancc sur Ia bouchc des autrcs
comme source d'une contamination qui risque d'cmpoisonncr M•Jriclle est a Iicr au
dcsir chez celle-ci d'ctou!Ter lc discnurs des autres. Ellc est dcgm1tce par tout ce qui
sort des bouches des auu·es. l'halcinc qui fail preuve Jc leur cxistcm:c physique. ctlc
discours qui fait preuve de leur existence mctaphysiquc. Leur discours et leur
existence mcmc mcltcnt en question J'cxistant Muricllc ct Ia position subjective
qu'cllc s'cst choisie. II~ mettent en question la rcalitc qu'cllc tente d'ctablir. En
s' cchuppant au fond du desert elle cchappcraiL a I' objectification des autres. Sculc.
clle pourrait s'ctablir comme sujet essentiel pour rcduire les autres au statut d'objct.
Elle peut dcplaccr le manque a travers lequel ils Ia dcfinisscnt. en les definissant
comme ccux a qui manque Ia plenitude deJa propretc. de Ia purctc. et de !'innocence
qui est siennc.
L' obscssir,n de Ia proprctc qui sert de justification a Ia solitude de Muriellc. ct
qui lui rcrmct de se poser comme sujct csscntiel. rend difficilc !'integration a sa vie
de ceux a travers qui cllc tcntc de s'ctablir cnmmc sujcl. En rejctant le monde
-97-
extericur qui risque d'cmpoisonncr scs cntours physiques ct sa suhjcctivitc pn~t:airc.
Murielle rejette aussi tou3 ccux qui apparticnnent ace monuc. y indus snn mari ct
son fils. Ainsi. bien qu'elle atlcnue avec impaticnt:c Ia visitc de Tristan ci Fram:is.
elle se plaint que "lc salon sera cnchonnc uprcs kur visitc" (LFR. 92). que "tout sera
salope'' (LFR. 101). Murielle ne peut pas rC<.:om.:ilicr son Jcsir de lcs avoir pres
d'ellc et son hnrreur de ce qu'ils appnrtcnt avec cux. Elh: vcut Ia presence Jcs
autres. mais non pas cc que ccttc prcsem:c impliquc. tout cnmrnc cllc vcut lc
discours des autrcs. mais non pas cc que cc discnurs impliquc. Ll presence de ccux
dont cllc u hc~min pour maintcn ir son idcnti tc com me mere ct cnmmc cpousc tlct nt i 1
sa solitude et la proprctc de scs cntnurs. San c.: ccuc solituJc ct cellc pmprctc
absolues elle ne peut pas retenir !'illusion J'ctrc Ia bonne mcrc-cpnusc innoccntc ct
pure. Cettc contradiction est !'expression de son incapm.:itc de lixcr Ia signification
de son mondc. de fixer sa proprc suhjcctivitc. Lc t;ontenu Jc son tliscours. lc tlcsir
irrealisable d'une proprcte qui impliquc l'ubscm:c Jc tout autre existant. ct Ia forme
monologique de ce discnurs. snntl'exprcssion c.l'unc quctc impossible de Ia
plenitude. de I' effort de crccr un sujct qui sc suflit u lui-mcmc. mais qui se Jclinit tl
travers les autrcs.
L'obsession chez Muricllc tle la proprctc nc sc Lraduil pas toujours tlans son
discours dont la vulgarilc agressc le lectcur sporadiqucmcnl I.J'Un houl Ull tcxtc a
!'autre. Son choix de langagc est une expression Je l'ctat dcscspcrc de sa situation.
- 98-
cornme ellc tente par Ia violem:e de ce langagc d'impnscr un signifiant maitre que
contrcdit Ia vulgaritc mcme de scs paroles. Lc :.:ontraste entre unc Murielle "trop
pro pre trop blanche" (LFR. I 05) ct une Murielle qui racnntc en details minuticux les
prctcndus exploits scxucls de sa mere ct des mllrcs. qui nous dccrit sans gene
''l'entrc-jarnhcs" (LFR. I 05) de sa mere. sape Ia force de scs protestations de purctc
ct d'innncencc. Elle tcnte de ucplacer Ia culpahilitc etla malveillancc a travers
lcsqucllcs lcs autrcs Ia dcfinissent sur ccs memes atllrcs. de les pcindrc commc des
ctres sans moralitc qui n'auraicnt done pas lc droit. ni mcmc Ia capadtc. de Jajugcr.
Le jug.emcnt ucs autrcs scrait dcfnnnc par leurs appctits scxucls. tamlis qu'dlc
prctcnu a voir rcnoncc a tnute activitc scxucllc: "<;a nc m' interesse plus je suis
harrcc jc nc pensc plus jamais a ccs choses-la pas :ncme en revc" (LFR. 105). Su
mere est une "putain" (LFR. lJ5). son mari un '\:on" (LFR. 92). Ellc accuse sa
mere t.J'avoir c<wchc a vet: son cx-mari. et cclui-d ct les mitres de "partouzcr" (LFR.
91 ). Lc but de toutc action de Ia part des uutrcs scrait 1' assouvissement de leurs
dcsirs scxucls. En lcs rcuuisant uinsi a des objets. ou a leur scu!c fonction scxucllc.
Muricllc dcpouillc lcs uutrcs de Loutc intcntionnalitc rationncllc: cllc t:roit pouvoir
ainsi s'ctahlir com me sujct csscnticl. Ia scule qui vnit dair. ccllc a travers qui Ia
sionilication vicnt au monde. La violence de son Janoaoc est une tentative de forcer e o e
Ia rcalitc a conformer a scs dcsirs. de rcpoussc:- avec force les efforts des autres de
lui volcr le signiliant maitre qu'cllc s'cst choisi. t~t de revendiquer sa proprc
- 99-
subjectiviLe. Muriclle tcntc par Ia sculc force vcrhalc d'cxcrccr un pnuvoir uiscursir
qui ne lui est pas disponible dam la solitude de son appartcmcnt. Ccltc force vcrhalc
meme. dontl'exprcssion concrete est Ia vulgaritc. met en unutc lc signiliant maitre u
travers lequel ellc tcnte de sc fairc rcconn:lltrc commc sujct csscnticl. car cllc dctruit
!'image que Murielle vcut projctcr de Ia bonne m~re ct crouse pure Cl innoccntc.
La contradiction entre Ia vulgmitc sporadique du langage de Muricllc ct ~.:es
protestations de purete et d'innm:ence peut aussi sc lire comme !'expression de Ia
double contrainte sous laquelle elle opere. ct qu'on a deja cxplorcc a travers
I' opposition entre le discour;, ctlc silence. Ccttc contradiction met en lumicrc aussi
I' absence de valcurs absolues. ct l'impossihilite d~ lixer Ia signilh.:ation du mondc il
travers le discours. En tentant de s'etablir com me pure ct innm:cnte. cnmmc dignc
d'assumer le rOle de mcre-epouse. Muriellc udoptc Ics rcglcs des autrcs, elle essai~.:
de se reintegrer a leur societe. Ellc ne reussit pas. principalement puree que l'idcntitc
qu'elle tente d'etablir manque de Ia dimension intersuhjcctive. Ce manque est
d'abord impose par les autrcs. et ensuite appropric par Murielle dans sa definition de
Ia proprete commc !'absence de tout autre existant. La vulgaritc de son langage
serait done unc reaction a leur refus d'accepter son signiliant maitre. un effort
concertc de refuser l'intersubjcctivitc. Ce langage temoigne (.run dcsir chez Muriclh:
de transgrcsser ces memes rcgles que son obsession de Ia propretc conlirme et
meme depasse. de rcjcter lc mnndc regie ct lc langagc comme-il-faut Jcs hourgcois
.. 100-
qui 1' ont rejctcc. Muriellc open; ki une rationalisation scmblable u cclle dont cllc se
servait en bouchant lc receptr.ur <.lu telephone. Ellc tcnte de se masquer le fait que
lcs autrcs refusent sa suhjcctivitc en rcfus:.mt Ia valeur du contexte mcme de leur
rcfu3. Com me dit Lucy Stone McNeece. "she wants to assert power by defiling the
concepts and values that she feels have been used against her. Her speech is
intended to subvert the ideological discourse or her society ... to invalidate fits!
iucals" (l3). lei encore, )'effort de Murielle est vnuc a l'cchec. car c'est sur la base
de ccs mt!rnes com:cpts ct ces memes val curs. ce me me discours. que Murielle Joit
sc dciinir. En suhvcrtissantleurs ideals cllc dctruit lc contexte dans lcqucllc scul
signifiant maitre qui lui est disponible. celui ue mcrc-l!pouse. peut sc constituer.
Sans ccttc societe, son si~nifiant maitre de mcre-cpnuse ne si~nifie rien. Muricllc sc. ~ ~
trouve done prise au picgc encore. Son obsession de Ia prnprctc, Ia puretc ct
I' innocence lalaisse scule. et done im:apablc de sc constitucr comme mere et
cpousc. La vulgaritc de son langagc met en question Ia purete ct I' innocence sur
lcsquellcs repose son signiliant maitre. etla ~ubversion des autres discours que cc
langage cherchc a nccomplir renJ impossible aussi l'urtirulation de son signifiant
mai'trc. Elle nc pcut ni accepter lcs convenances de Ia societe. ni les rcjcter. cur. que!
que snit lc cas. Murielle est forccc de nicr l'intersubjcctivitc. ou de nicr son signiliant
maitre. ainsi rendanl impuissant son proprc discours. Finalement. son vacillemcnt
entre Ia vulguritc. d'unc part ct d'autrc part. Ia purctc ct Ia proprcte obscssionncllcs.
- 101 -
nc fait que super le pouvoir de son dis~.:nurs . Cc va~:illemcnt snulignc cm:on: um:
fois rabsence d'unc rcalitc fixe. ob.k;;tive qui pmmait sc dcvnilcr a tr:tvers lc
discours. et met en lumicre rimportancc du disl:ours en t;.mt qu'clcmcnt constitutif
de l'etablissemcnt ct du rctablissemenl des rapports de pnuvoir entre individus.
Le recours a Ia force verbalc et au langagc vulgaire pour changer unc situation
inacceptable nous rappelle un autre pcrsunn~1ge lcminin de Beau voir. un pcrsonnagc
dont la situation, a premiere vue. nc ressemble en ricn a celle de Muricllc.
Dominique des Belles Images a une reaction scmhlahh: a l:clle de Muril!llc quand
ellc apprend que son amant Gilbert compte sc maricr avec unc jeunc lillc:
"Laurence est stupcfaitc de Ia souduine vulgm·itc de Dominique. Jamais ccllc-ci
n'avait eu cette voix. ce langagc" (LBI. 117). Dominique aussi avait organise sa vic
autour d'un scul signiliant maitrc-cclui de l'amante J'un grand homme d'affaires.
A la difference de Muridle. ellc est une creature sm.:ialc, en contact constant avec lcs
autres; elle a une carriere, et un gnmd cercle de relations sodulcs. Mais ces n:latit ms
sociales dependent de la presence de Gilbert a scs cf>tcs. et son travail ne lui apporte
plus rien (LBI. 116). Sa famille non plus nc joue pus un rflle important dans sa vic.
Ellc se deflnit. comme Murielle, principalcmcnt en tcrmcs d'un homrnc: ·~nc
femme sans homme est une femme seule" CLBI. 116). L'iuce que Gilbert pcut nc
plus etrc la Ia laissc d~semparcc cur son statut duns Ia societe, scs relations avec
autrui. ct son sens d'idcntitc. sont hascs sur son rapport avec eel homme. Sans lui.
- 102-
c1lc aussi sc voit a travers 1es autrcs comme manque. ct. cumme Murielle. elle
rcsistc a ccue ohjcctilic:ation: "Jc nc scrai pas unc femme plaquce" (LBI, 51). Elle
tentc, 3 travers un langage violent Cl vuluairc. de forcer Ia rcalitc a conformer a scs ~ .... ....
dcsirs. de se cramponner a un signifiant maftre l)lli ne lui est plus disponiblc. En ~e
faisant, clle fait c:ommc Muricllc-clle refuse de rccnnnaftre le n1le des autres ct de
leur discours dans Ia constitution de sa subjectivitc.
Le rcl'us de rc<.:nnnaitrc lc discours des autres est. on I' a vu. symptomatiquc
du monologisme. Bien que Dominique semble cntrcr en dialogue avec lcs autres.
son uis~.:ours peut hicn sc c:aractcriscr de mnnulogiquc . Elle n'attcnd pas des Ullli'CS
des rcponscs qui pourraient en ricn c.: hanger son cxistem:e. sa situation: "Dominique
pose des questions. par principe. mais cllc trnuvcrait inuiscret que Laurence lui
Jonnc des rcpnnses inquictantes. ou simplement dctaillccs" (LBI. 17). Elle aussi
regarde lcs autres cmmne des objets. ce qui laissc pour cllc Ie rt>le tlu sujet csscmicl:
"?cndant des annces elle a traitc les gens comme des obstacles a abattre. et ellc en a
triomphc~ elle a lini par ignorer que lcs autrcs existent pour leur compte, qu · ils
n'obcissent pas forccmcnt a ses plans" (LBI. 125) La fiancee tle Gilbert. et Gilbert
1ui-mcme, tlcviennent Je tcls ohstadcs dans sa lutte pour maintcnir son signifiant
maitre, sans lcqucl clle nc peut pas totaliscr sa situation. Caire Ju scns ue son
existence. Dominique n'acceptc pas Ia decision de Gilhcrt Jc se marier avct.: une
autre l!l. commc Muriclle qui dit de Tristan. "II rcvicnura jc l'y fnn.:crai bien" (LFR.
- 103 -
97). cllc emil pouvoir imposer son signilianl maitre par lc pouvnir absnlu de sa
volontc ct de son Jist:nurs: ·•Jc le reprcndrai! De grc ou de force." ( LBI. 51). Lcs
deux femmes essaicnt Jc rcvcndiquer unc suhjcctivitc qu'cllcs voient en peril. Pour
chacunc d'ellcs. lu prcsem:e J'un hommc a scs ci'ltcs est unc partie constituante tk
son etrc; cctte presence est un clement ncccssairc du seul signiliantmaltrc qu'd\cs
pcuvcnt envisager. ct done. lc seulmuycn d'ctahlir sa suhjcctivitc. Dans 1c rlltltlllc
monologique qu'cllcs habitcm lcs rcltttions se constituent entre sujct ct objet. rl non
pas entre sujct ct ~ujct. Lc rcrus de Ia part des autrcs tk n:connaitre leurs signi!i.tnts
maitres respcctifs met en danger leur statui comme su,iet. car cllcs ne cmicnt pas
avoir acccs a un autre signili:mt maitre. Ce refus implique alt1rs l'ohjcctilication de
Murielle ct de Dominique par les atttrcs. Lu peur d'unc telle ohjcctilication est
cvidcntc Jans 1c discours Jes llcux femmes quam\ cllcs tlcvicnncnt le complcmcrll
d'nbjct de leurs prnprcs phrases. avec le 'its' cphcrncrc prcnant Ia pl~tcc du su,ict.
Ain~i. Murielle insisLc, "jc suis une forte nature ils ne m'uumnl pas" (LFR. XX). ct
Dominique. "fills vculcnt rna rcau: ils ne l'auront pas" (LBI. 11.1) En ccdant Ia
place du sujct a l'uutrc cllcs rcconnaissent implicitcrncntlc rt1lc de l'autn: dans Ia
constitution de leur suhjcctivitc, mais. en memc temps. en choisissant Ia l'orml:
nc.~alivc. cllcs rcfuscnt la suhjccti vile ctlc pouvoir Jiscursi r de r autre.
La situation de Dominique dil'fcrc Jc cclle Jc Muriclle en cc qu'cllc a pu
finalemcnt. nnn sans peinc. accepter Ia rupture avec Gilhcrt. ct cchanger son
- 104 -
signifiant maitre conLre un aulre qui n'ctait pas hicn diffcrcnl. Elle s'est transfL1rmcc
de Ia "femme qui vicillit hicn" (LBI. 16) avec Gilhcrt a scs cotes. en Ia "jcune
grand-mere" (LBI. 142) avec son ex-maria ses d1tcs. A Ia difference de Muriellc.
cllc avaitunc alternative. En pcrdant Gilhert clle n'a pas perdu tout contact avec lc
monde extcricur. Elle a gardc son travail, sa famille nc I' a pas abandonnce. A.
l'intcricur de sa ramille clle a trouvc unc nc<.:asinn de rccupcrer sa suhjcctivitc ct de
Lenir a tlistance I' objectification qu'ellc craignilit: "Deux cpnux qui sc retrouvrnt
aprcs unc longue separation pour abnrdcr ensemble Ia vie ill esse. les gens seront
pcut-ctre ctonncs. mais ils nc ricancront pas" <LBI. 17X). Dominique a rcussi H1 ntJ
Murielle a cchouc parcc que. malgrc lc fait qu · clle sc dclinissait en termcs tic
Gilbert, son itlentitc "·omme femme de Gilbert n'ctait pas lc seul signifiant qui lui
ctait disponihle. Bien qu'clle continue de se cnnstitucr <.:onune sujct principalcment
a travers un hommc. clle est aussi une femme de c:.micre. unc mere. une grantl
mcre. ct une femme de sncictc-elle y est arrivcc de scs propres for<.:cs. En
renouant avec son ex-mari. Dominique nc compte pas renonccr a ccs autrcs aspects
de sa vie--clle dit a Laurence. "jc garderai [rna vic I ... a chacun scs occupations et
snn milieu" (LBI. 177). Muricllc. cnmme on a vu. n'a pas ccuc nption. Ellc n'a
pas de carriere. ct. en sc mariant avec Tristan clle a rompu avec ses copains (LFR.
116). Ellc avaittout mise sur son mari et scs enfants. Ellc sc trouvc done incapable
de chnisir un nutrc signiliant maitre. ct nc pcut que sc cantnnncr tlans son uiscours
- 105 -
monologiquc. dans unc hysteric qui nc lui pcrmet pas Je fixer Ia signilicutinn Jc son
monde.
Le monologue de Murielle est. en lin Jc compte. unc tentative d'cxcrcer du
pouvoir discursif ct de sc cnnstituer com me sujct. uc rcdamcr snn identitc sm:h1lt:.
La forme monologique du texte sert tl mcttre en lumicre lc lien entre la suhjcctivitc et
le pouvoir. tel qu'cxplicitc par Ladau: "The <..:onstitution of a social iucntity is m1 a<..:t
of power and that identity as such is power" ( 1990. 31 ). Murielle tente a travers lc
monologue lrimpnscr ct de s'impnser son idcntitc de mcrc-cpousc. Muis c'cst
dans ce mnnologismc mcmc. dans !'elTon J'imposcr plulflt que tl'arti~o:ulcr. que
reside l'echec tlu projct tlc Muriclle. et son impuissance. C'cstl 'ahscncc des aulrcs
subjectivitcs. leur refus de rcconnai'trc Muricllc cnmme cpousc-mcre. ct son rcl'us a
cllc de rcconnai'trc leur role dans Ia constitution Jc su suhjectivitc. qui J'cmpcd1cnl
de se constituer comme sujct. Beauvoir ne voit pour Muricllc "gucre u'autrc issue
que la folie ou le suicide" (TCF. 177). On pnurrait uire que Muricllc est ucja
vic time du sort que Beau voir lui prcvoit. D' a pres Renata Salcd. "psychosis '··
defined precisely hy the discord hctwcen subject ami suhjectivization: in it. the
subject is not integrated into the symholic network which strm:lures his/her mode of
subjectivizatinn. his/her symholic identity" ( 194. n7). Le rcscau symholiquc auqucl
Murielle vcut s'intcgrcr est un ordrc social qui n'cxistc plus. of1 chacun avait sa
place. ou lc sujet rcvctait une idcntitc llxc ct stahle. Lc recours a Dicu dans lcs
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demicrcs !ignes du texte est une tentative de rctablir ou Jc rcaffirmer cet ordre social
ou cllc avait ajoucr lc rOle de mere et d'epouse. Duns un monde ou il n'y a plus de
centre ahsolu. elle doit finalemcnt recourir ace que Nietzsche appelle "the longest
lie. the hclief that outside the haphazard and perilous experimerts we perform there
lies something (God. Science. Knowledge. Rationality. or Truth) which will. if only
we perform the correct rituals. step in to ~;ave us" (Cite dans Flax, 460). Mais
meme avec Dieu. Murielle maintient son discours monologique. Elle ne lui cede
que provisoirementle pouvoir. ct cc pour dcplacer encore toutc responsahilitc
pcrsonncllc face a Ia situation otJ clle sc trou vc: "V nus me devcz cctte revanche ..
(LFR, 118). Elle lui retire immcdiatcmcnt cc pouvoir. en constatant. ··rc:<ige que
vous me Ia donnicz" (LFR. 118). Dans Ia situation ou cllc sc trouvc i1 serait difficilc
pour Muricllc d'agir autremcnt. En ccdant Jc pnuvoir. mcme a Dicu. ellc
conccdcrait Ia nature prccaire de sa suhjecti vile. et rcnoncerait au contrOlc qu · cllc
tentc de maintenir en se constituant comme sujct csscnticl. Comme on I' a vu. elle
ne pcut s'envisagcr d' autre itlcntitc que celle de mere et cpouse. En remcttant Dieu
a sa place. ellc pcut gardcr I' illusion du pouvoir ahsnlu. tout en depla<rant Ia
rcspnnsahilitc de scs actions passces ct futures.
En choisissantlc cas extreme de Ia femme psychotique. Beau voir nous pcint
lc portrait du sujet Jccentrc qui sc trouve irr.mobilisc entre lc monde moderne etle
mnndc postmndcme. Ceuc immobilisation rcsultc de l'incapacitc chez Murielle de
- 107-
reconnailre le manque d' absnlu. ct Je son rcfus de I' intersuhjct:tivitc wmmc panic
constituante de l'idcntitc socialc. Son in,.:apacitc d'agir est done !'expression du
conflit entre lc sujct qui se vcut essenticl. lc sujetmodcrnc. et lc mondc postmoucme
ou il habite. 11 est vrai que Ia situation de Muriellc est rcnJuc plus diflicile par lcs
evenemcnts tcls que le suicide de sa lillc ct lc d~part Je son mari. mais son
incapacitc de sc rctablir ne vicnt pas Jc ccs cvcncmcnts cux-mcmcs. Elk est plutCH
le n!sultat de son dcsir Jc s'accon.ler unc place dans une structure qui n'cxistc plus.
de son rcfus d'occcptcr que ni ceuc plJ.cc. ni ccllc stmcturc n'cxistcnl. Cc rcrus
s ·ex prime dans un Jiscours monologiquc qui nc lui per met pas de sc const i tucr
comrne sujet. qui Ia laisse finalcmcnt dcmunic de pouvoir.
Conclusion
Nous avons vu a travers les dernicres reuvrcs romanesques de Simone de
Beau voir unc evolution importante dans sa pcnscc en ce qui concerne la nature de
la rcalitc et du pouvoir. etle rapport entre Ia rcalitc. lc discours. et le pouvoir.
Cclle evolution s'cst fait voir u'ahord dans Les !vfandarins. ou il y a deux notions
distim:tcs du r61c du discours--commc representation lidclc d'unc rcalite
extcricurc au sujct. ct commc constitutif d'unc rcalitc qui comprcnd le sujct.
Ainsi. on voit duns Les Mandarins lcs vestiges d' un discours qui rc11cte la
philosophic du sicdc des Lumicrcs. avec scs notions du sujct fixe ct rationncl.
d'unc rcalitc objective ct saisissablc. ct uu pnuvoir localise dans unc cntitc
indiviLiucllc nu institutinnncllc. Ccs notions. qui prcsupposcnL I' existence d'unc
structure inhcrcntc ala rcalitc. ct unc structure de pouvoirs qui a scs origines dans
r Etat. sont incarnccs dans lc personnagc principal masculin. Mais. en me me
temps. ccs notions sont miscs en question dans Les Mandarins. principalcment a
travers lc pcrsonnagc principal fcminin. pour qui lc Lliscours devient, au cours du
roman. unc manicrc de s'assumcr cnmmc sujet. ct de constitucr unc rcr.litc
pcrsonncllc. Lc discnurs dcvicnt alors un moyen d'cxcrccr du pouvoir au nivcau
de 1' individu. uc sc chnisir dans le contexte de scs rapports avec autrui.
Cettc idee d'un pouvoir Lliscursif qui s'cxcrcc au niveau de l'individu. et
qui pcrmcl a l'inLiividu de sc cnnstitucr cnmmc sujcl. dcvicnl plus cvidentc dans
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les prochaincs a;uvrcs de Bcauvoir. ct cc. principalcmcnt a travers des
personnagcs fcminins. Lc choix des pcrsonnages fcminins pcrmct a Bcauvoir de
mettre en lunlierc la notion du pouvoir personnel. ct ccllc de Ia constitution Ju
sujet a travers lc discnurs. car. chez Ia femme. I' action d'assumcr une po~llion
subjective reprcscnte en clle-meme unc mise en question de Ia structure des
pouvoirs ou la femme a traditinnnellcmcnt assume lc ri'lle de I' autre ou de I' nhjct.
Les structures a travers lesquclles on est hahituc a sc reprcscnter Ia rcalitc sont
celles qui ont ete cnnstituces et imposccs par le discnurs hcgcmonique. c'est-a
dirc. lc discours des hnmmcs. La femme met done en question Ia nature de ccttc
realite des qu'cl!c assume un dist.:ours a cllc et se constituc commc sujct.
La question du sujet ct. plus spcdfiqucmcnt. du rapport entre le sujct el
son discours. qui est intrm.lui te dans Les Mandarins. est upprofondie dans Li!s
Belles Images. ou I' accent est sur le discours d'un seul imlividu. A Ia di!Tercncc
d'Anne. qui avait fait sicn le discours des hommcs qui l'cntourcnl. Laurence
s' ctait servie de ce discours. sans pourtant s' y identifier totalcrncnt. Ut otl Anne
avail a s'affranchir d'une identite toute faitc avant de pouvoir s'assumer ~.:ornmc
sujet, Laurence a. des lc debut. a sc crccr unc idcntitc. Ellc est consciente de ne
pas avoir de place. Le choix <.l'une femme qui est totalemenl alienee du discours
de sa classe. et qui rcgarde cette classc d'un tl!il critique. mel en cvidem:e Ia
notion du sujel comme construction sociale. com me produil du Jis\:nurs. Bien
que Laurence n'articulc pas cctle position. clle nous en hros~e le pmtrait. Ellc
- 110-
nous dcmontre que ie sujct bourgeois n'est pas unc entitc donnce d'avancc. et
pour qui le discours est un outil transparent. C'est plut6t une cntite qui se
constituc a travers lc discours. Cc rapport entre le sujet ct lc discours est d' abord
mis en evidence a travers les observations de Laurence sur ceux qui I'entourenl.
II est rcitcrc dans I' experience de Laurence cllc-mcmc. Au cours du roman nous
voynns chez Laurence la naissance d' un discnurs. qui va de pair avec Ia
constitution t.J' unc subjcctivitc. Comme lecteurs. no us assistons a Ia constitution
du sujet a travers le dis<.:ours. au <.:hoix d'une position subjective par !'agent social
fcminin.
On a bcaucoup discutc ct dccric la mort pnstmnderne du sujet. Ce l}Ui est
mis en evidence a travers le pcrsonnage de Laurence cstlc potcntil~l qu' offrc
cctte mort. surtout dans le contexte de !'existence feminine. L'absence d'un sujct
historique prc-ctabli ct rationncl donne a Ia femme lc pouvoir de se constituer
aillcurs que dans le domaine de I' altcrite absnluc qui lui a tradilionnellemcnt etc
reserve. En se constituant comme mere. Laurence <.:hoisit une position subjective
parmi un champ de pnssibilitcs. Ellc revet son cxistcm:c d' unc signification
nouvelle. ce qui ne scrait gucrc cnm:cvablc dans un monde ou le sujet est donne
d'avancc. d'abord puree que Ia signitkation d'un tel sujet est donnce. et ensuite
parce que cc sujct est masculin. La mort de ce sujet represcnte done de nouvelles
possibilitcs pour le lcminisme ct pour la femme. car
if feminism presupposes that ·women'
- 11 I -
designates an undesignatahlc field or differences. one that cannot he totalized or summarized by a descriptive identity category. then the very term becomes t\ site or permanent openness and resignifiahility. ( Butkr llJlJ I. 16)
Ce n'cstquc duns lc contexte de Ia mnrt pnstmodcrnc Ju sujct que l'•lction
devient vraimcnt possible pour Ia femme:
To recast the referent as the si!!nilied. and to ... authorize or safeguard the category nf women as a site or possible resigni lh:atinns is to expand the possihilitics of what it means to he a woman ami in this sense to comlition and enable an enhanceJ sense of agency. (Butler llJlJI. I())
Laure.ncc opere une tellc rcsignilkation en exen;ant lc pouvoir Jiscursif. ce qui
lui permct de dire non a Ia signilkation que lui impose lc discours des autrcs. Cl
ce qui ouvre aussi Ia possibilitc tic rcsignilkations futures. ct de I' action ClltH.:rctc.
Pour les postmodcrnes. I' unite du sujet est unc notion pcrimcc. qui a etc
remplaccc par la notion du sujct multiple qui sc constitue et se rcconstitue £1
l' interieur d · une mulli plid tc de situations discursi vcs. Cette notion du sujel
multiple ne s'articule pas t.lans lc tliscours thcoriqw· '·~Beau voir. mais lc
problcmc est abordc dans Les Belles Images cl dans "Monologue", com me le
sujet existcntialiste alicnc fait place au sujct postmodcrne fragmcntairc. J\insi.
I' alienation du sujct Laurence. qui dcvrait. dans un mondc cxistcntialiste, ctrc
- 112-
surmontcc des qu'clle a pu sc c..:hoisir c..:omme sujet. est rcartic..:ulee sous Ia forme
de Ia fragmentation du sujct. Elle sc choisil. tout commc le sujet existentiel,
commc le sujet-mcrc unific. mais cc choix nc pcut en Iui-mcmc dsoudrc son
problcme, cc qui dcvicnt cviuent dans lcs dcrnicrs paragraphcs du tcxte. au clic
acceptc de vivrc scs autres rapports commc avant. Laurence est done conscientc
d'avnir a vivrc ceue fragmentation. bien qu'ellc ne snit pas prctc a s'assumcr
cnmrne sujct aillcurs que dans scs rapports avec ses filles. La fragmentation du
sujet Laurcnc..:e tcmnignc d'une intuition chez Beauvnir du dilcmme que doit
vivre le sujet postmmlernc-lc dilemmc Lie vivrc une mulliplidtc de positions
suhjec..:tives. Car il est evident que le choix de Ia position suhjectivc de mere nc
c..:hange que lc rapport mere-enfant chez Laurence. La Laurence tic Ia fin des
Belles Images est plu.:; conscicnte des manx de Ia sodctc otJ cllc vit. ct de Ia
fnussctc de ccux qui r cntourcnt. mais ellc est resignee a tnut ac..:ccptcr c..:omme
avant. Alin de surmontcr c..:ette resignation. Laurcnc..:e doit non seulemcnt
c..:ontinuer de rcitcrer s<.m c..:hoix du sujct-mcrc (comme feraitlc sujet existenticl).
mais ellc do it aussi pouvoir sc chnisir autrement. assumcr u · autrcs positions
subjec..:tivcs a r intcricur des autrcs situations discursivcs qui comprcnncnt son
existence~cllcs Je scs rapports avec ses parents. avec son mari. nu avec scs
cnllcgucs. Mais. en acceptant de changer un aspect de son existem:c tout en
acceptant de nc pas changer lcs utttrcs. Laurence met en que;itic.·n Ia notion uu
sujct unilic. Cctte mise en question suggcre que Beau voir s'approc..:he de Ia
- 113-
notion du sujct qui sc constituc dans le contexte des rapports divers qu'il cl~tblit
avec autrui. Sans la discutcr ouvertcmcnt. Beau voir semble a voir abandonnc
!'approche tntalisantc de la pcriodc existcntialiste.
La notion du sujet fragmentairc rcvient dans "Monologue". oi1 c'cst
l'incapacitc de Muriclle de se voir ;.;omme sujct multiple qui empl!chc qu'cllc nc
se choisisse autrcment que cnmme mere et commc cpnusc. Ceue incapacite
rcsulte en partie de sa situation actuelle. et de son conscntcmcnt aux notions
traditionncllcs du pnuvoir ct du discnurs. Muricllc sc voit commc sujct uniuc:
clle sc scrt du discours commc outil pourjustilicr sun rtJic de mcrc-cptmsc. ct
pour rationaliscr lc suicide de sa lille. Pour lc lcctcur. par contn:. Muriellc csl un
sujct fragmcntairc. psychotiquc mcmc. qui tentc a travers lc uis~.:ours de se
reconstitucr commc sujct. En ce faisant. elle neglige un clement esse11!iel de Ia
constitution du sujet. snit l'intersuhjcctivitc. Tout com1m: lc choix cxistcntiel. le
,;hoix d'unc position subjective ct d'un discours ne peut se fairc dans un vide. Li.!
champ de possibilitcs n\ ;t pas totalemeP.t nuvcrt. car il depend en partie de Ia
complicitc des autres sujcts: Ia constitution etta reconstitution du sujet nc
pcuvent sc rcaliscr que dans l'intcrsuhjct.:tivitc. Ccttc notion d'inLersuhjectivitc
qui est mise en cvidem:c dans Ia dcmicre I.CliVre de fiction de Simone de
Beauvoir. nous permcl de licr Ia pcnscc postmodcrne de Ladau ct MoufTe ella
philosophic ·cxistcnticllc' de Beau voir. Cmnmc on r a deja rcmarquc. 13cauvoir
a toujnurs donne plus de poids a Ia situation dans Iaquellc s' articulc lc choix
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cxistcntiel que n'u fait Sartrc. L'intcrsuhjectivitc pnstmm.Icrnc pcut sc voir
commc unc rcartit.:ulation et un approfondisscmcnt de cettc notion d'unc situation
a l'intcrieur de laquclle lc sujeL fait un choix de son ctre. ou assume un disc..:nurs
ct une position subjccl ivc.
Tout commc Laurence. Muricllc fait un choix de son ctre. mais clle le fuit
dans unc situation discursive qui <.:nntrcdit ce choix mcr:1e. Muriclle tcntc de
s'ctahlii cum me sujct sans prendre en consideration Ia situation ou cllc sc trnuvc.
c'cst-a-dirc en ncgligeant le rOle primordial ue l'intcrsuhjcctivitc. La sr.ule
situation discursive qu'cllc admct est t:clle qui lui est harrcc. prcdscmcnt puree
que t:cux qui constituent t:ctte situation rcfusent J'artkulation que Muriellc tentc
d'opcrer. Ia laissant sans une position subjective qni pnurrait s'articulcr dans ses
rapports avec autrui. C'cst pour t:~tte raison que nnus pnuvons caractcriscr
Muricllc de psychotiquc. Elle nc pnurra snrtir de cctle psyt:hose qu ·en aumcttant
d'autres discours. et en s'articulant comme sujct a l'intcricur des rapports avec
tl'autres sujcts. L'cchec Ju projct de Muriellc, etla situation discursive a
I' intcricur uc laquellc eel cchcc sc dcrnule. suggcrcnt unc conscience
grandissuntc chez Beauvnir Ju role du Jiscours. et de rintersubjectivitc. En
choisissant Ia forme monolngique. Bcauvnir met I' accent sur lc Jiscours lui
mcmc. ct en rcfusant a Muricllc la position subjective de mcrc-cpouse, clle
suggcre aussi que Muriellc unit assumer unc autre suhjcctivitc. Lc sujet scrail
Jonc multiple. et il sc constitucrait ct se rccnnstitucrait a l'intcricur J'unc
- 115-
situation dis~.:ursive donnce.
Le discours de Murielle snulcve une uu trc question qui " prco~\:upc ks
existcntialistcs. ct qui prcnd un tnut autre aspect dans 1a pcnsce
postmmlernc-cclle de Ia rcsponsahilitc inuividuellc. Pour l'e:xistcntialistc. Ia
question de 1a responsahilitc ctait asscz facile a rcsoudrc-l' indiviuu Ctait
rcsponsable de scs decisions. de scs actions. ct de toutcs lcs ~.:onscqucn~.:cs . Dans
lc mondc pnstmodeme de sujcts multiples ct de pouvnir non-localise. Ia qucslion
dcvicnt plus complcxc. Il n'est pas si facile de decider qui esl rcsponsahlc du
ch6mage. de Ia pauvrctc. du crime. quand lc pouvoir nc reside plus dans l'l~ la l . el
quand J'individu sc dclinit dans r intcrsuhje~.:tivitc. c'cst-~H.lirc . dans scs npports
avec autrui. Lcs trihunaux eux-mcmes prcnnent en ~.:onsidcration Ia situation
d'un accuse. ou ses rapports avec autrui. dans lcs cas ue l'cmmes hattucs qui luenl
leurs partcnaires. par cxemplc. Cctte question de Ia responsahilitc de l'inuividu
doit aussi se poser dans le cas de Murielle. ct du suicide de sa tille.
L'existcntialistc qui survit dans Ia pcnsce thcnriquc de Beau voir rcnu Muridlc
rcsponsablc de ses actions. ~.:oupable linalement uu suicide Jc sa Iitle. Mais. en
nc nous revclant que peu a peu les circonstanccs Jc ce suiciJc. ct cc Ju point tiC
vue d'un scul sujet domlc discours a Jcju etc mis en quest inn. Bcuuvoir suggcrc
que ses vicillcs notions de culpubilitc ct de rcspnnsuhilitc imlivillucllcs sont peut·
ctrc aussi pcrimces que Ia notion Ju sujct unilic et nxe. tci encore. cllc
s' apprm:hl lc Ia pcnscc postmodernc.
- 116-
Notre unulysc tics ucrnicrcs <l!uvrcs de Simone de Beau voir est
quclqucfois en cnnOit avec scs prnprcs commcntaircs sur ccs tcxtcs dans To11t
compte fait ct aillcurs. Nous attribunns cc conllit a Ia tlistancc qui scparc
l'ccriturc de ccs tcxtes de notre lc~.:turc ct de notre analyse. mais aussi. et plus
particulicrcmcnt. a l'ccart entre Ia scnsibilitc tic l'ccrivain ct la position
tlogmatiquc Jc Ia thcoricicnnc. Beau voir thcoricicnnc i! con~u ct c.:rit ccs livrcs
uu point uc vue uc Ia femme cxistcntialistc. Bcuuvnir romancicrc. hicn qu'cllc
rcjcttc Ja pcnscc lie Foucault. im:orpore des aspects de sa pcnscc a lui dans sa
fiction. ct mcmc va plus loin. commc cllc <.lcpassc lc plural ismc Jc Foucault vcrs
Ia pluralismc pnstmm.lcrnc de Ladau ct Mou!Te. Beau voir tcmnignc uinsi d'unc
scnsibilitc face aux changements qui s'opcrcnt dans Ia societe ocdtlentalc des
,.,, mccs soixamc. des changements qui s'cxprimenttnut J'abnrtl dans lcs rapports
entre imlividus. Bien qu'cllc continue de sc cnnsiucrcr Jisdplc !lucie Jc
l'cxistcntialismc sartricn. sa fiction nous suggcrc qu'cl!c s'cloignc de ~.:ettc
philosophic imlividualistc vers un pluralismc qui met en evidence I' articulation
des lien~ ct des rapports. ct qui met en question Ia nature mcme de Ia rcaiitc. Ju
Jiscours ~!l uu pouvnir.
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