+ All Categories
Home > Documents > UvA-DARE (Digital Academic Repository) La poésie de la ... · Le Goff, Jacques. 0 maravilhoso e o...

UvA-DARE (Digital Academic Repository) La poésie de la ... · Le Goff, Jacques. 0 maravilhoso e o...

Date post: 25-Jan-2019
Category:
Upload: hoangnga
View: 216 times
Download: 1 times
Share this document with a friend
9
UvA-DARE is a service provided by the library of the University of Amsterdam (http://dare.uva.nl) UvA-DARE (Digital Academic Repository) La poésie de la nature en Al-Andalus Schippers, A. Published in: La France latine, Revue d'études d'oc Link to publication Citation for published version (APA): Schippers, A. (2005). La poésie de la nature en Al-Andalus. La France latine, Revue d'études d'oc, 140(1), 115- 128. General rights It is not permitted to download or to forward/distribute the text or part of it without the consent of the author(s) and/or copyright holder(s), other than for strictly personal, individual use, unless the work is under an open content license (like Creative Commons). Disclaimer/Complaints regulations If you believe that digital publication of certain material infringes any of your rights or (privacy) interests, please let the Library know, stating your reasons. In case of a legitimate complaint, the Library will make the material inaccessible and/or remove it from the website. Please Ask the Library: http://uba.uva.nl/en/contact, or a letter to: Library of the University of Amsterdam, Secretariat, Singel 425, 1012 WP Amsterdam, The Netherlands. You will be contacted as soon as possible. Download date: 25 Jan 2019
Transcript

UvA-DARE is a service provided by the library of the University of Amsterdam (http://dare.uva.nl)

UvA-DARE (Digital Academic Repository)

La poésie de la nature en Al-AndalusSchippers, A.

Published in:La France latine, Revue d'études d'oc

Link to publication

Citation for published version (APA):Schippers, A. (2005). La poésie de la nature en Al-Andalus. La France latine, Revue d'études d'oc, 140(1), 115-128.

General rightsIt is not permitted to download or to forward/distribute the text or part of it without the consent of the author(s) and/or copyright holder(s),other than for strictly personal, individual use, unless the work is under an open content license (like Creative Commons).

Disclaimer/Complaints regulationsIf you believe that digital publication of certain material infringes any of your rights or (privacy) interests, please let the Library know, statingyour reasons. In case of a legitimate complaint, the Library will make the material inaccessible and/or remove it from the website. Please Askthe Library: http://uba.uva.nl/en/contact, or a letter to: Library of the University of Amsterdam, Secretariat, Singel 425, 1012 WP Amsterdam,The Netherlands. You will be contacted as soon as possible.

Download date: 25 Jan 2019

Viviane Cunha •*SF' 114

Editorial Filgueira Valverde, Jose. Cantigas de Santa Maria. Madrid Castalia, 1985.

Gonzalo dc Berceo. Miraclos de Nuestm Senora. Graef, Hilda. Maria : La mariologia y el culto mariano a traves de la,

historia. Bnrcelona : Ed. Herder, 1968. Le Goff, Jacques. 0 maravilhoso e o quotidiano no Ocidente Medieval^

(trad, port.) Lisboa : Edi?6es Setenta, 1983. Legros, Huguctte. La Rose et le Lys. Etude Litteraire du Conte di,

Floire et Blancheflor. Senefiance, n° 31, 1992 Aix-en-Provence Publications du CUER MA.

Orduna, German. « La introduccion a los 'Milagros de Nuestra Senora'.' El anali. is estruetural aplicado a la comprension de la intencionalidad de un texto literario ». In AIHActas, II, 1965.

Pemoud, Regine. « Les jardins de monasteres au Moyen Age ». Actes ' Sud, 1996.

Xenophon. Anabase. Livre III.

%^ L A POESIE DE LA NATURE EN A L - A N D A L U S

•Les beaux paysages et les jardins voluptueux amenages par les princes pour rehausser leur prestige ont inspire 1'amour de la nature aux poetes d'al-Andalus (de I'Espagne musulmane). La poesie arabe orientale a par ailleurs apporte un langage rmetaphorique a la poesie arabo-andalouse.

La poesie arabe utilise des metaphores differentes de celles •auxquelles le lecteur europeen est accoutume. Dans les poemes ^^bachiques par exemple, le vin mele de gouttes d'eau est souvent compare a deux chevaux de differentes couleurs ; la tristesse de la separation amoureuse est symbolisee par les colombes et la separation elle-meme est annoncee par le corbeau; quand il evoque la beaute de I'aimee, le poete compare souvent ses dents a des perles, sa salive au vin ou a I'eau la plus pure et son visage a la luhe. Mais certaines metaphores sont plus difficiles a comprendre pour les lecteurs europeens, comme celle de la taille de I'aime que Ton compare a une baguette. Toute la metaphorique de la poesie florale arabo-andalouse derive des exemples provenant de la poesie orientale'.

II est possible que I'influence du poete arabe oriental Ibn Rumi (836-896) sur la litterature andalouse ait ete I'un des facteurs determinants dans cette transmission des motifs floraUx de I'orient vers Occident. Dans un de ses poeme tres connu a I'epoque en AndaIousie^ il parle de la superiorite de la narcisse sur la rose. Dans ce celebre poeme (la daliyyah, p. 76)^ les

' Voir Andre Miquel, preface Hamdane Hadjdjadji et Andre Miquel, Ibn Khafadja I'Andalou, L'amant de la nature, El-Ouns, Paris 2002, p.21_ ^ Alois Richard Nykl, Hispano-Arabic poetry and its relations with the old Provengal troubadours, Baltimore. 1946, pp. 128-129. ' Les poemes ici mentionnes d'Ibn al-Rumi sont pris de Panthologie de son Diwan [ceuvre poetique] par Kamil Kilani,.le Caire 1926. .

Arie Schippers 116

themes les plus importants sont celui de la rose comme' representante ou prototype de tout ce qui est rouge - par exemple la rougeur de la honte ou le rouge du visage cause par la boisson -et par ailleurs celui du narcisse comme prototype des elements etincelants et dc couleur jaune - par exemple une lumiere tres claire qui indique le chemin aux voyageurs ou encore les etoiles du ciel. Etablissant une confrontation morale entre les elements rouges et les elements jaunes ou blancs, le poete en vient a considerer le narcisse comme superieur.

Dans une de ses poesies (la hamziyyah, p. 45), on trouve une description d'unc nuit de septembre ou le vent de I'aube est represente comme porteur de messages parfumes.

Dans une autre poesie du rneme auteur (la ra'iyyah, p, 89), le jardin se conduit au printemps comme une femme jeune et coquette. Superbe, elle remercie le ciel pour la generosite de la pluie. La jeune fcmme est vetue d'habits colores et fleuris.

Un autre poeme (la qafiyyah, p. 306) decrit le contraste entre le rire du jardin et Ics pleurs du ciel. Y sont mentionnes egalement le vent doux et le gazouillis des oiseaux qui s'efforcent de guerir de la passion d'amour. Dans toutes les citations de la poesie d'Ibn al-Rumi, on trouvo des elements qui deviendront des motifs essentiels dans les poemes de la nature d'al-Andalus, aussi bien la poesie arabe que la poesie hebraique.

Nous connaissons le titre de I'une des premieres anthologies d'Andalousie comportant une grande quantite de poemes comportant des motifs floraux''. II s'agit d'al-Badi' fi wasf al-

•* Nykl, pp. 123-124; Abu al-Walid Ismail b. Amir al-Himyari, al-Badi' fi wasf al-rabi', ed. Henri Peres, Rabat 1940; idem, Djudda 1987 ; idem, Rabat: 1989 ; Willem Stoetzer, « Floral poetry in Muslim Spain. Aspects of an Anthology of Nature Poetry Compiled by Abulwalid al-Himyari (1020-1042)» in L. Tjon Sie Fat, E. de Jong, Eds., The authentic garde : a symposium on gardens [1990], Leiden : Clusius Foundation, 1991, pp. 177-186.

La poesie de la nature en Al-Andalus 117

Rabi' (« La description du printemps ») du poete de Abu'l -Walid al-Himyari de Seville (1020-1042). L'anthologie consacree a la description du printemps est composee de trois parties : la premiere decrit le printemps, la seconde les debats et les disputes entre les fleurs notamment, la troisieme nous donne une liste de fleurs classees selon leur ordre d'apparition au printemps.

Le pere d'Abu'l-Walid al-Himyari etait au service du fondateur de la dynastie des Abbadides Abu'l-Qasim ibn 'Abbad de Seville (r. 1013-1042). Celui-ci avail une predilection pour les poesies florales comme il apparait dans les fragments ovi il decrit le nenuphar et le jasmin^

Son livre est aussi un veritable manifeste en faveur de la poesie arabo-andalouse. II dit ainsi:

Les poesies de I'Orient ont retenu notre attention pendant si ^ longtemps qu'elles ont cess6 de nous attirer et de nous seduire avec leurs joyaux. D'ailleurs, nous pouvons nous en passer, car il n'est pas necessaire d'avoir recours a elles quand les Andalous possedent d'etonnants morceaux de prose et des poesies d'une beaute originale... En depit du soin qu'ils ont apporte a composer des vers et k ecrire leur histoire grace a cette longue periode au cours de laquelle ils ont parl6 arabe, les Orientaux n'arrivent pas a trouver dans leurs oeuvres les comparaisons relatives aux descriptions que je releve dans les compositions de mes compatriotes^

Nous allons examiner maintenant de maniere plus detaillee la fa9on dont certains motifs relatifs aux jardins prennent forme dans la litterature andalouse.

'Nykl, pp. 128-129. * Henri Peres (1937, 1953), La poesie andalouse en Arabe classique au XT Steele, Paris, pp. 52-53 ; Abu'l-Walid al-Himyari, al-Badi', pp. 2-3.

Arie Schippers 118 ly

A. LE JARDIN, LV. PRINTEMPS, L 'AUBE, LE FLEUVE ••;

Le jardin est souvent compare a une jeune fille qui s'enveloppe- ; ^ ^ dans une broderie de fleurs. Les gouttes de rosee sont ses perles et - ^ les roses sa rougeur. Les gouttes de rosee sont aussi les broderies : ' | M des vetements cki jardin. Le jardin en fleur se retrouve dans les :^^i poemes du printemps et dans des chansons de I'aube. Dans la v^^'; poesie arabo-andalouse, le poeme du printemps et la poesie de • 'MI I'aube sont souvent aussi des poemes bachiques. •% |

Au printemps aussi, les pluies se mettent a tomber et oment les ':^ | manteaux des fleuves de broderies de bulles d'eau. Les nuages -^il sont vetus de manteaux de differentes couleurs. Les nuages de -'il pluie portent un habit noir. La. pluie est une texture tissee par les i | nuages ou les gouttes font office de flls. Le nuage de pluie pleure ; | | et les fleurs rient en recevantles splendides gouttes de pluie qui !;;; sont tombees sur elles. \).

Les jardins sont souvent coupes par un fleuve comme un glaive i magnifique (Asrar al-balaghah, 13/8)'' ou comme une main .; luraineuse sur un vetement vert. On trouve aussi I'image du glaive J;; dans un fburreau vert ou de la main qui ecrit des lignes pour dire V, la meme chose. Quand le vent souffle, des rides se forment sur le fleuve qui est alors revetu d'une cotte de maille {Asrar al-balaghah, 13/3) Avec ses bulles, le fleuve est comme habille de dentelle et ressenible au ciel recouvert d'etoiles. De leur cote, les etoiles dans I'aziir du ciel sont comme des perles sur un fond de lapis-lazuli.

B. LE VENT

Le poete Ibn Zaydun (Cordoue 1004-1071) attribue au vent un role evocateur tres important. Dans la plupart des cas, le vent fait partie des motifs associes a I'amour. Chez lui, les autres motifs

' Un livre qui traitc des aspects theoretiques de ces metaphores est 'Abdal-Qahir al-.Turjani (ca. 1.079), Asrar al-Balaghah [« Les secrets de la rhetorique »], ed. H. Ritter, Istambul 1954, mentionne dans le texte par section.

m

La poesie de la nature en AI-Andalus 119

fei'

relatifs aux jardins ne sont pas frequents. ;':' Le vent tel qu'il est decrit dans sa poesie est soirvent le doux zephyr qui souffle le matin. Dans sa celebre Nuniyyah^, il evoque hori seulement le vent, mais aussi le jardin et les eclairs. Le vent fait alors fonction de messager de I'amour. Dans ses autres poemes, le vent est parfiime et fait revivre les souvenirs ou encore ;il baisse un peu le ton par pitie pour l'amant. ' Le vent porte aussi les saluts parfumes de I'aimee. II est souvent salutaire et evoque les souvenirs.

Dans un poeme d'Ibn Sarah de Santarem (1095-1123)', on retrouve egalement le vent guerisseur dont jes rafales de muse fonctionnent comme des messagers portant les saluts des amants

c. LES COLOMBES, LES PIGEONS

Les pigeons et les colombes sont presque toujours presents dans les jardins. Leur chant triste est plus beau que les melodies d'Al-Gharid et de Ma'bad, chanteurs celebres du monde arabe.

liif'

' Ibn Zaydun, Diwan, ed. Ali 'Abd al-'Azim, le Caire 1957, pp. 141-148 ; Auguste Cour, Un poete arabe d'Andalousie: Ibn ZaidoUn: etude d'apres le Diwan de ce poete-et les principales sources Arabes, Constantine 1920 n° 26; Gawdat al-Rikabi, Fi al-adab al-Andalusi, Bar al-Ma'arif, le Caire 1970, pp. 207-216; Sieglinde Lug, Poetic Techniques and Conceptual Elements in Ibn Zaydun's Love Poetry, America University Press, 1982 ; voyez aussi Maria Rosa Menocal, Raymond P. Scheindlin and Michael Sells, eds.. The literature of Al-Andalus, Cambridge: Cambridge University Press, 2000 et Salma Khadra Jayyusi, ed.. The legacy of Muslim Spain, Leiden [etc.] : Brill, 1992, en particulier les chapitres sur la Nuniyyah ; Farrin R.K., « The nuniyya of Ibn Zaydun: a structural and thematic analysis» in Journal of Arabic Literature 34 (2003), pp. 82-106. ' Al-Fath Ibn Khaqan, Qala'id al-iqyan [«Colliers d'or»] ed. Muhammad al-Annabi, Tunis 1966 = Paris 1860, p. 311; pour ce poete voyez Teresa Garulo, Poemas delfuegoy otras casidas de Ibn sara aZ- /zanfarim", Madrid, Hiperion, 2001.

Arie Schippers 120

classique. Dans la poesie d'Ibn Khafajah (1058-1138)"', le roucoulement des pigeons est la continuation d'un prelude amoureux un peu melancolique. L'image de la colombe est utilisee pour faire contraste. Dans les poemes d'amour, elle est la nature opposcc aux sentiments passionnes de l'amant passionnel: les plaintes dc celui-ci traduisent un chagrin d'amour tandis que le roucoulement des colombes n'est plus qu'un son. II n'exprime aucune douleur. Dans un autre poeme, la plainte de la colombe alteme avec celle de l'amant.

Dans d'autres poemes, la colombe est avant tout un precheur qui se sert de la branche d'un mimosa comme d'un trone. Quelquefois Ic mimosa fait fonction de chaire oia les oiseaux prononcent leurs harangues.

D. LES FLEURS ET LES PIERRERIES

Dans certains poemes, les fleurs et les pierres precieuses sont frequemment utilisees pour evoquer une couleur. Le narcisse fonctionne parfois comme un csil languissant, par exemple dans la description d'un amant qui pleure le depart de I'aimee. La rosee sur le narcisse est comme une larme posee sur les cils. Le lys qui touche une rose est une superbe bouche au dents blanches qui baisent des joues rouges.

L'element le plus important que la poesie arabo-andalouse a emprunte a cc poeme est la fonction des couleurs des fleurs dans les descriptions. En al-Andalus, on trouve de nombreux poemes descriptifs formant une mosaique de toutes les couleurs. En plus des fleurs et des pierreries, on se sert aussi de parfiims comme le camphre et I'ambre (pour indiquer le noir et le blanc) et plusieurs

'" Abu Ishaq Ibrahim Ibn Khafajah vivait a Jazirat Shuqr, Alcira, a une vingtaine de kilometres au sud-ouest de Valence. Ibn Khafajah etait issue d'unc raniille qui semble avoir vecu dans I'aisance. II a fait beaucoup dc poemes jardiniers de sorte qu'on I'appelle le «Jardinier». Voyez Salma Khadra Jayyusi, «The rise of Ibn IChafajah)), in Salma Kliadra Jayyusi, ed.. The legacy of Muslim Spain, Leiden [etc.] : Brill, 1992.

La poesie de la nature en Al-Andalus 121

especes de bois. Tons ces elements servent a decrire la femme aimee, les

oiseaux, les fruits, et les arbres fruitiers. Dans un poeme bachique d'Ibn Khafajah oii le « je » du poete figure en compagnie de son aime[e], les baisers sont des « naql», c'est-a-dire des fruits sees servis avec du vin. II est dit « mon naql, c'etaient les marguerites de la bouche ou le lys du cou, le narcisse des yeux ou la rose des joues.» "

Un autre poete decrit une jeune fille («la gazelle » en terme d'amour traditionnel) aux yeux comme des narcisses, sa bouche riante semblable a des lys et son sourij-e semblable a des marguerites.

Quelquefois on parle d'une fille pale aux joues rougissantes : pour decrire la paleur, il se sert des perles, et pour les joues il se sert de comaline.

Ailleurs on trouve la description d'une cigogne aux ailes d'ivoire, au corps de marbre et au bee en bois de santal ou bien la description d'une colombe dont la poitrine est un lapis-lazuli, le col couleur pistache, la pupille un rubis, les sourcils des perles et les cils d'or. Le bee est ome d'un point noir comme un roseau d'argent trempe dans I'encre.

Certains poemes ont presque pour seule fonction celle d'enumerer des elements de couleurs identiques, comme le poeme d'Ibn Qutiyyah de Seville consacre au blanc et au rouge. Pour le blanc, on trouve la fleur de lys, le lait, le camphre, une statue de marbre et une collection de tuyaux d'argent. La couleur rouge est evoquee par la rose, le sang, la grenade, la joue le jour du depart et le foyer briilant.

La substitution des elements de la comparaison discutee d'un point de vue theoretique dans les Asrar al-Balaghah d'al-Jurjani (fl. 1079) comprend aussi les images omementales tiree de la

" Cf Peres, p. 376 ; Cf. Arie Schippers and John Mattock, « Love and War: a Poem of Ibn Khafajah », Journal of Arabic Literature 17 (1986), pp. 50-68; Ibn Khafadja, Diwan, ed. al-Sayyid Mustafa Ghazi, Alexandrie (Egypte) 1960, pp. 346-49 n° 278, vers 36.

i Arie Schippers 122

poesie des jardins d'Al-Andalus. Les Asrar mentionnent les cas suivants de metaphores substituables: etoiles-lampes,joues-roses, yeux-narcisses, dents-marguerites, (13/1), glaives-eclairs ; (13/2), cotte de maillc-etang, (13/3), fleurs-etoiles (13/4), tache blanche sur le front d'un cheval [blechej-etoile (13/5), fiUes-cypres (13/6), seins-grenades (13/7), fleuves-glaives (13/8), points de lances-etoiles (13/9), larmes-rosee (13/10).

Le caractere interchangeable des metaphores se developpe encore davantagc dans la poesie de la nature comme en temoigne le poeme du printemps d'Ibn Hani' al-Andalusi (m. 973)'^ Le poete se demande si les larmes de la pluie printaniere sont des gouttes ou des perles. Nous voyons done ici, au Ueu des comparaisons utilisees habituellement, trois objets pulses dans un tres vaste arsenal: larmes,- gouttes de pluie, gouttes de rosee, etoiles, lumicres, bulles, yeux, dents splendides, grele, ecume du vin, mailles et perles. lis ont tous en eux ce tertium comparationis d'« unites splendides». Ces tresors et cet arsenal constituent I'une des caracteristiques des plus importantes de la poetique dans la poesie andalouse utilisant les motifs relatifs aux jardins.

LA POESIE ORNEMENTALE ET LE JEU DES METAPHORES

Dans revolution de la poesie de la nature, nous distinguons deux phases importantes : d'abord, une poesie qui evoque la nature, puis un developpement pour aboutir a une poesie petrifiee et ornementale comme un tapis persan. A partir de la ensuite, elle se transformc en une poesie baroque qui resulte du jeu des metaphores dc Fomemental. L'aspect sentimental prend moins de place au fur et a mesure que I'omemental se developpe. C'est un point important dans ['evolution de cette poesie. Au depart, la nature evoque encore des emotions: le vent qui vivifie les souvenirs (Ibn Zaydun) ou encore la colombe avec son roucoulement plaintif. C'est la nature qui donne la reponse.

'- Ibn Hani al-Andalusi de Tunis, Diwan, Beirout, 1964, pp. 184-87.

La poesie de la nature en Al-Andalus 123

Lorsque la nature n'est plus qu'omeraent, elle est morte et ne pent plus repondre a nos sentiments. Ce qui vit dans la nature est de moins en moins considere comme un mouvement, comme I'expression de la vie. Le jardin qui rit avec ses fleurs n'est plus un jardin dote d'emotion, mais seulement un lieu qui brille par ses fleurs. C'est desormais l'aspect visuel qui domine.

' i ; On trouve des analogies dans la poesie arabo-andalouse et la I poesie baroque europeenne. Dans les deux poesies, il y a ainsi des •elements consideres comme identiques et d'autres comparables, :;bomme dans la metaphorique. Dans la poesie arabo-andalouse • comme dans la poesie baroque europeenne, qn trouve egalement 'les images suivantes" :

1. la description de la beaute feminine en termes de nature ; 2. la description de la nature comme une piece de textile ; 3. I'usage des noms de bijoux dans les descriptions de la

nature; 4. I'usage de comparaisons empruntees aux choses militaires.

La maniere d'utiliser les images presente aussi des similitudes : les comparaisons sont introduites par des termes tels que « comme si», « cela me rappelle », «il semble que ». II y a cependant une difference de niveau dans des phrases comme «tache d'imiter». On trouve egalement des accumulations de comparaisons, et quelquefois une metaphore qui se poursuit.

Ibn al-Zaqqaq de Valence (1095-1133), neveu d'Ibn Khafajah, a contribue a dormer un visage a la poesie andalouse. Dans sa Risalah, le critique litteraire al-Shaqundi (m. 1231) defend la poesie andalouse contre celle de 1'Afrique du Nord. Se referant a Ibn al-Zaqqaq, il dit:

t

" Cf Werner Schmidt, Die Natur in der Dichtung der Andalus-Araber, diss. Kiel 1971; idem, «Die Arabische Dichtung in Spanien », in Helmut Gatje, Grundriss der arabischen Philologie, Bd. 2 Literaturwissenschaft, Wiesbaden, Reichert 1987, 64-77.

124 Arie Schippers

Fcrait il partie des votres ce poete qui voyait que les. gens soupiraient d'cnnui et allaient se plaindre parce qu'ils entendaient encore que Ton comparait la bouche a la marguerite, les fleurs aux etoiles, les joues aux anemones, et qui a fait en sorte de transformer ces metaphores de fa5on a faire resonner la forme a leurs oreilles comme quelqiie chose de nouveau [...]?'" .'.'.

Voici un exemple du jeu metaphorique d'Ibn al-Zaqqaq. Dans le poeme no. 12'^ celui-ci relate comment des buveurs se sont retrouves dans le jardin. lis voient des anemones et des myrtes, mais les marguerites leur manquent et ils demandent au jardin ou elles sont. Le jardin repond qu'il a laisse la marguerite dans la bouche du garc^on qui verse le vin, mais celui-ci dement cela. A la fin, il ne pent plus le nier, car en souriant il montre des dents splendides : il laisse voir ces « marguerites » que cherchaient les buveurs.

Voici les propos d'Ibn al-Zaqqaq :

1. Souvent un gargon svelte fait circuler la coupe comme un soleil du matin et incite vivement a la vider alors que I'aube commence a peine apoindrc ... 2. Que le jardin nous donne des anemones et que ses myrtes ambres se mettent a cmbaumer. 3. Nous dinics au jardin : « Oii sont les marguerites ? » « Je les ai confiees », nous repondit-il « a la bouche de celui qui verse aboire dans Iegobcict». 4. L'echansoii commen9a par nier ce que le jardin avait dit, mais ay ant souri, il devoila son secret" .

Dans le poeme n° 14, un jeune homme nageant dans un fleuve est comme une lune qui de temps en temps se laisse apercevoir

'•' Cf. Ali Ibn Hazm al-Andalusi, Ibn Said, Abu al-Walid Ismail b.Muhammad nl-Shaqundi, Fada'il al-Andalus wa-ahliha, ed. Salah al-Din al-Munaggid, Beirut, al-Kitab al-Gadid, 1968, p. 40-41. ' Cf Ibn al-Zaqqaq, Poesias, anthologie par Emilio Garcia Gomez, Madrid 1956 : Ics numeros des poemes se referent a cette edition. ''• Peres, p. 343 • •

La poesie de la nature en Al-Andalus 125

derriefe les nuages. L'ecume qu'il rejette en nageant est le halo de rastre'hoctume.

Dans le poeme n° 19,1'etang est compare a une cotte de maille. Les quelques roses tombees dans I'etang sont le sang que le guerrier a perdu a travers des fissures de sa cote de maille.

Dans le poeme n° 21, les anemones ont vole la couleur des joues et pour ce crime, elles sont punies par le fouet d'argent de la pluie.

Garcia Gomez caracterise ces nouvelles comparaisons de metaphores a la deuxieme puissance. La comparaison est «mobilisee». C'est ainsi que la poesie florale andalouse se developpe en gongorisme avant la lettre".

IBN KHAFAJAH (1058-1138), LE JARDINIER.

La poesie des jardins arabo-andalouse devenue poesie v. ornementale n'est cependant pas completement eloignee de toute observation des jardins reels. La cause premiere du developpement de la poesie florale en Espagne est sans aucun doute I'amenagement d'un grand nombre de jardins dans I'Espagne musulmane grace aux travaux d'irrigation. Un poete comme Ibn Khafajah exprime tres justement la raison d'etre de la poesie de la nature'*. Le poeme « De la beaute de I'Andalousie »" - considere pendant longtemps comme une heresie - a autrefois ete traduit par Henri Peres^°, et recemment par Hamdane Hadjadji et Andre Miquel. La ou Henri Peres parle de I'Espagne, Hadjadji

" Ibn al-Zaqqaq, Poesias, p. 17. '* Voyez aussi Brigitte Foulon, « Les representations paysageres dans la poesie descriptive d'Ibn Khafaga » in Arabica 52 (2005), pp. 66-108. " Ibn Khafajah, Diwan, ed. al-Sayyid Mustafa Ghazi, Alexandrie (Egypte) 1960, n° 301; Hamdane Hadjadji et Andre Miquel, Ibn Khafadja I'Andalou, L'amant de la nature, El-Ouns, Paris 2002, 'nature n° l ' . ^ Peres, pp. 116.

Arie Schippers 126

et Mique! traduisent Andalousie ou Andalus [I'Espagne musulmane]. Nous pouvons comparer les deux traductions, celle de Peres et celle de Hadjadji et Miquel: f

0 habitants de I'Espagne, quel bonheur pour vous d'avoir eaux; ombragcs, fleuves, et arbres !

Le Jardin de la Felicite etemelle n'est pas ailleurs que dans votre territoire; s'il m'etait possible de choisir, c'est ce dernier que je . choisirais.

Ne croyez pas que demain vous entrerez en Enfer; ce n'est pas apres le Paradis qu'on peut entrer dans la Gehenne ! [Peres]

Gens d'Andalus, c'est Dieu qui fait votre bonheur Entre ombre et les eaux, les arbres, les rivieres ! D'entre tous, ce pays est jardin pour toujours ! Si j'avais a choisir, c'estlui que je choisis. N'ayez crainte, apres lui, de connaitre le Feu : Jamais Ic paradis n'ouvrira sur I'enfer. [Hadjadji/Miquel]

Signalons quelques autres poesies d'Ibn Khafajah, le 'poete jardinier' qui vivait a Alcira pres de Valence. On salt que la principale caracteristique de la poesie de la nature d'Ibn Khafadja est la personnification: la nature et ses elements, par exemple les arbres, les fleuves et les jardins, sont souvent presentes comme des femmcs ou alors compares a des attributs de femmes : on voit dans un de ces poemes comment il depeint le fleuve d'Alcira ou comment il s'abandonne au vin^'. Dans un autre poeme" il decrit un panorama oii les fleurs sont des yeux qui pleurent et oii la terre couverte dc son manteau [de plantes] exulte de bonheur, « Grisee par le vent d'est, elle pile et vacille,// Comblee. Et puis, I'argent de la pluie dissipe, / Ses joues ont re9u I'or du jour a son declin.//» . Le poete qui apparait a la fin de ce poeme, personnifie le soleil et considere le vent comme un oiseau : « Sous son front palissant, Ic soleil perd sa force,/ Le vent passe, battant de son aile

' Hadjadji/Miquel, 'nature n° 2 ' ; Diwan ed. Ghazi no. 290. " Hadjadji/Miquel, 'nature n° 3 ' ; Diwan ed. Ghazi no. 196.

La po£sie de la nature en Al-Andalns 127

mouillee//»'.

Dans les traductions de Hadjadji et Miquel, toutes ces personnifications sont bien rendues et illustrees dans une langue claire et poetique. Le poeme 6" presente une celebre metaphore de femmes ou I'on dit de I'arbre : «L'arbre me rappelait une fernnie, tres belle, corps enserre dans la ceinture du ruisseau ». De la meme fafon, dans le poeme n° 8", le soleil est personnifie : le regard du soleil, au soir, sur les coUines, languit, plus faible encore que « celui d'un malade ». On salt que le poete est alors tres age et que le jardin represente pou^ lui la jeunesse, un symbole qui revient souvent dans les poemes de la nature. Le n° 5" commence ainsi: « Un jour d'entre les jours, lisses, de ma

'jeunesse...» Dans le poeme n° 9" qui parle d'« une rose hors de saison >>,

c'est le theme des cheveux gris du poete qui est ici evoque. C e poeme est tres subtil et difficile a comprendre. Lisons d'abord la traduction de Hadjadji et Miquel:

1. Quel doux accueil me fit I'innocente merveille ! Si seulement le jour s'etait fondu dans 1'ombre !

2. Elle m'est apparue pour charmer mon vieil age comme elle I'avait fait pour ravir ma jeunesse.

3. Et moi, je I'ai regu en plein coeur, de plein gre : Mes regards, a vrai dire, etaient tout un langage.

4. J'^tais ivre, je I'exaltais, elle excusait Ma vieillesse, accablait le destin de reproches.

5. Elle etait le parfum d'un printemps attendri, Genereux et lointain, son offrande est salut.

Qu'est done cette rose? II est certain que les poemes d'Ibn Khafajah contieiment bien des enigmes. Pour nous, la phrase:

Hadjadji/Miquel, 'nature n° 6 ' ; Diwan ed. Ghazi no. 221*. Hadjadji/Miquel, 'nature n° 8' ; Diwan ed. Ghazi no. 327. Hadjadji/Miquel, 'nature n° 5' ; Diwan ed. Ghazi no. 238. Hadjadji/Miquel, 'nature n° 9 ' ; Diwan ed. Ghazi no. 101.

Arie Schippers 128

«Si seulement le jour s'etait fondu dans I'ombre)) est inexplicable si ce poeme ne traite que d'une rose. En effet, on sait bien que Ics roses s'admirent a la lumiere du jour et non la nuit. II est probable que les quatre vers premiers evoquent une jeune fille souriante ['le doux accueil'] et sans experience ['innocente']. L'image dc I'obscurite de la nuit [I'ombre] appelee a remplacer la lumiere du jour temoigne du desir du poete, car la nuit est plus propice a la rencontre amoureuse. Elle protege aussi des regards malveillants. L'obscurite de la nuit peut egalement etre une evocation des cheveux noirs de la jeunesse: si le poete avait encore les cheveux noirs, done s'il etait encore jeune, les jeunes femmes s'interesseraient a lui. Dans le second vers, quand la femme apparait, elle excite son desir bien qu'il soil vieux [« efle m'est apparue pour charmer mon vieil age »]. Le desir est en lui comme s'il etait encore jeune. Le serrement de cceur eprouve par le poete le pousse a envoyer a la jeune fille des regards passionncis qui disent son amour. Le vers 5, qui parle de parfum et de printemps, nous donne a penser que le poete parle d'une fleur, mais le vers 4 nous entraine dans une autre direction : la femme n'cu veut pas au poete d'etre vieux; il n'y peut rien, c'est le Temps ['le destin'] seul qui est a blamer. Parce que la jeune fille est la personnification d'une rose, on peut lire ce poeme a deux nivcaux, d'une part I'amour du poete pour les femmes et d'autre part I'aniour du poete pour la nature, bien que le poete soil 'hors de snison' et qu'il se plaigne de sa vieillesse".

Arie Schippers Universite d'Amsterdam

III

3;?

-' Voyez aussi le commentaire de Magda M. Nowaihi, The Poetry of Ibn Khafajah: A Literary Analysis, Leiden, Brill 1993; Arie Schippers in Arabica 50 (2003), pp. 260-266.

'M

L E JARDIN DANS QUELQUES SERMONS

SUR LE CANTIQUE DES CANTIQUES

I l CHEZ BERNARD DE CLAIRVAUX '&i '•' ' • . ^ * • • ' .

^ Dans son commentaire du Cantique des Cantiques Bernard aborde a plusieurs reprises, non seulement le theme du jardin, mais aussi ceux de fleurs et d'arbres parti cullers. Ce commentaire, qui est aussi une meditation du texte biblique est nourri de sa connaissance des textes augustiniens et origeniens. Bernard y decrit, etape par etape, le cheminement de I'ame-epouse dans le processus d'amour devant la mener a I'union mystique avec Dieu. Tous les elements du Cantique des Cantiques ont un sens spirituel. II n'est pas question, pour Bernard, de s'en tenir a la lettre. Car comme I'ecrit Henri de Lubac,

S'il est done indubitable que I'ex^gese de S. Bernard est I'exegese d'un mystique, il n'en est pas moins vrai que, par plus d'un trait essentiel, par sa contexture meme, sa mystique est la mystique d'un exegete'.

La mystique de Bernard s'ancre done profondement dans les textes scripturaires, dont I'exegese impregne sa meditation.

LE JARDIN

Le jardin est d'abord le symbole de I'histoire de I'humanite, I'histoire chretienne, bien entendu. Cette histoire dont Dieu, qui en est I'origine, presidera a la fin. Elle ne peut avoir, pour I'abbe de Clairvaux, une signification profane, car elle est I'oeuvre de Dieu. Ce jardin comporte trois parties : la creation du ciel et de la terre, la reconciliation et la reparation.

' Henri de Lubac, Exegese medievale. Les quatre sens de I'Ecriture, t 2, 1''' partie, p'. 599, Paris, Cerf, Desclee de Brower, 1993.


Recommended