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UvA-DARE (Digital Academic Repository) Trouvaille. Anamneses … · LaLa theorie comme fiction?...

Date post: 15-Mar-2021
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UvA-DARE is a service provided by the library of the University of Amsterdam (https://dare.uva.nl) UvA-DARE (Digital Academic Repository) Trouvaille. Anamneses de la critique (Kant, Freud, Lyotard) Doude van Troostwijk, C.H. Publication date 2003 Link to publication Citation for published version (APA): Doude van Troostwijk, C. H. (2003). Trouvaille. Anamneses de la critique (Kant, Freud, Lyotard). in eigen beheer. General rights It is not permitted to download or to forward/distribute the text or part of it without the consent of the author(s) and/or copyright holder(s), other than for strictly personal, individual use, unless the work is under an open content license (like Creative Commons). Disclaimer/Complaints regulations If you believe that digital publication of certain material infringes any of your rights or (privacy) interests, please let the Library know, stating your reasons. In case of a legitimate complaint, the Library will make the material inaccessible and/or remove it from the website. Please Ask the Library: https://uba.uva.nl/en/contact, or a letter to: Library of the University of Amsterdam, Secretariat, Singel 425, 1012 WP Amsterdam, The Netherlands. You will be contacted as soon as possible. Download date:14 Aug 2021
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Page 1: UvA-DARE (Digital Academic Repository) Trouvaille. Anamneses … · LaLa theorie comme fiction? montr e clairement que Freud était par moment s presque écarteléé entre son ambition

UvA-DARE is a service provided by the library of the University of Amsterdam (https://dare.uva.nl)

UvA-DARE (Digital Academic Repository)

Trouvaille. Anamneses de la critique (Kant, Freud, Lyotard)

Doude van Troostwijk, C.H.

Publication date2003

Link to publication

Citation for published version (APA):Doude van Troostwijk, C. H. (2003). Trouvaille. Anamneses de la critique (Kant, Freud,Lyotard). in eigen beheer.

General rightsIt is not permitted to download or to forward/distribute the text or part of it without the consent of the author(s)and/or copyright holder(s), other than for strictly personal, individual use, unless the work is under an opencontent license (like Creative Commons).

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Chapitree 2

Diee Verneinung et la difference

TravailTravail sur une 'logique' freudienne

Dee quel type est la theorie freudienne sur lequel s'appuie Lyotard et dont nous tironss indirectement 1'audace de notre reflexion sur la trouvaill e ? Mannoni, dans LaLa theorie comme fiction? montre clairement que Freud était par moments presque écarteléé entre son ambition 'scolastique', visant a établir une theorie scientifique dontt Ie néo-positivisme lui servirait de modèle, et son experience concrete, experiencee de transfert dans laquelle le patient tenait lieu de veritable enseignant et quii le faisait souvent prendre conscience que le savoir scientifique le menait dans unee fausse direction. Or cette tension est plus que seulement biographique. Elle touchee aux limites de la scientificité et au role qu'y jouent Pévénement de PP invention et de la découverte. Elle touche a la trouvaille.

Danss le chapitre suivant nous allons rencontrer Freud élaborant une theorie,, a partir d'une experience clinique, concernant Pengendrement psychique dee la faculté de juger. Cette theorie n'est peut-être rien d'autre qu'une speculation libre.. Jean-Francois Lyotard Paurait appelé une « théorie-fiction », theorie sans conviction,, seulement 'légitimée' par le pathos de 1'apathie théorique (ou « paralogiquee » selon la terminologie de La condition postmoderne, CP, 98 ff.). Cettee forme de théorisation suppose une autre logique que celle de P opposition et dess lois aristotéliciennes. Elle suppose ce que Lyotard intitul e une logique de la differencee et de la dissimulation. Nous allons voir comment cette 'logique' s'enracinee dans Phétérogénéité sensorielle et comment elle exige de la philosophic dee s'approprier a la fois Pattitude du psychanalyste et celle de Partiste.

LaLa theorie comme fiction

«« Le moment est venu d'interrompr e la terreur théorique ». C'est par cette provocationn que Lyotard ouvre son article 'Apathie dans la theorie' (RP, 9-31).

11 Maud Mannoni, La theorie comme fiction. Freud, Groddeck, Winnicott, Lacan. Paris : SeuiJ, 1979.. Cf. Peter Gay Sigmund Freud Zijn leven en werk. Baarn : Tirion, 1991 (1988), pp. 187 ff.

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Lee désir du vrai, qui alimente chez tous Ie terrorisme, est inscrit dans notre usagee le plus incontrolé du langage, au point que tout discours parait déployerr naturellement sa pretention a dire Ie vrai, par une sorte de vulgaritéé irremediable. Or le moment est venu de porter remede a cette vulgarité,, d'introduir e dans le discours idéologique ou philosophique le mêmee raffinement, la même force de légèreté, qui se donne cours dans les ceuvress de peinture, de musique, de cinéma dit experimental, évidemment aussii dans celles des sciences. Il n'est nullement question d'inventer une ouu des theories nouvelles, non plus que des interpretations; ce qui nous faitt défaut est une diablerie ou une apathie telle que le genre théorique lui-mêmee subisse des subversions dont sa pretention ne se relève pas (RP, 9).

Laa provocation touche a la question épistémologique. Dans quelle mesure la psychanalysee est-elle une theorie scientifïque ? Dans son article, Lyotard propose unee lecture de Jenseits des Lustprinzips qui veut montrer, dans le cceur même du textee freudien, que le maïtre lui-même n'était pas sur de la scientificité de ses reflexions.. Pour fonder sa science, il lui faut faire reference a des principes qui n'appartiennentt plus a Pobjectivité, mais qui relèvent de la speculation subjective. Cee que Freud cherche a fonder, c'est Phypothèse selon laquelle toute pulsion psychiquee est repetitive, c'est-a-dire qu'elle « n'a pas d'autre finalit é que rétablir unn état antérieur perdu, état approximativement sans tension » (RP, 13). La pulsion estt une recherche d'un état perdu, qui se manifeste néanmoins sous des formes difFérentes,, comme par exemple le rêve névrotique, le transfert, le jeu enfantin et la compulsionn du destin. « Ein Trieb ware also ein dem belebten Organischen innewohnenderr Drang zur Wiederherstellung eines fniheren Zustandes ». Cette hypothesee moniste univoque et la comprehension de la diversité des phénomènes qu'ellee pretend expliquer exigent une explication plus profonde, que Freud foumit parr Fintroduction speculative du principe de mort (Thanatos) et du principe d'Eros.d'Eros. La mort correspond a 1'annulation complete de toute tension; Péros a 1'équilibr ee énergétique constitutif de la vie de Pindividu. Absence et Constance d'énergiee sont deux manières de réinstaller 1'état pulsionnel perdu, deux manières quii peuvent aussi dans leur collaboration expliquer la diversité symptomatique. Maiss ces principes ne sont pas 'visibles', pas démontrables scientifiquement, ne peuventt être des objets référentiels et relèvent done du genre réflexif de la speculation.. Cela importe surtout pour le principe de mort, Peffet de Péros est plus manifestee et reconnaissable dans Pexpérience psychique concrete.

Lyotardd souligne non seulement Pabsence de la référentialité exigée par la sciencee dans les deux principes, mais également leur difference, une difference qui correspondd a 1'introduction de la sexualité dans la vie psychique enfantine. La

22 Sigmund Freud 'Jenseits des Lustprinzips', in : Das Ich und das Es. Metapsychologische Schriften.Schriften. Frankfort am Main : Fischer Taschenbuch Verlag, 1994 (1992), pp. 221.

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pulsionn est regressive dans le sens qu'elle cherche è rétablir Pétat d'avant 1'excitationn traumatique qu'a posé, selon Phypothèse premiere de Freud, la seductionn perpétrée par les adultes sur 1'enfant.

Laa dualité pulsionnelle n'est pas et ne peut pas être observée (et, peut-être même,, pas être comprise): Pactivité de la vie couvre toujours celle des pulsionss de mort, on n'entend jamais que 'les rumeurs d'Eros'. Il faut donee inventer celles-Ia sans le soutien de faits observables. Et il faut inventerr du même coup une énigme et Paccepter: c'est que non seulement see repetent deux sortes d'états, mais aussi Pévénement de leur difference. Cett evenement porte le nom de sexualité: écart, levée de came qui ramèneraitt 1' index des tensions non pas au zéro du mort, mais au niveau énergétiquee du vif, done retard apporté a la mort, une affaire de vitesse (RP,, 14-15).

Laa difference entre thanatos et eros ne peut se révéler que par Pévénement sexuel quii fait scission dans un état primaire, inconnu et inconnaissable mais presuppose stablee (ou « océanique » comme le disait Ferenczi).

Maiss qu'est-ce que s'y révèle ? Les deux principes ne sont pas dans un rapportt dualiste, d'opposition. Le conflit entre pulsions de vie et pulsions de mort n'estt pas une lutte entre deux instances, il n'engendre pas de contradictions : les effetss du principe nommé pulsion de mort sont toujours dissimtdés dans les autres, danss ceux d'Eros (RP, 19). On ne peut discerner quel effet symptomatique relèveraitrelèverait de quel principe. La vie pulsionnelle se présente de différentes manières quii font imaginer un principe déstabilisant, caché dans le principe édificateur de Péros.. Le rapport thanatos-éros est indécidable, puisque les deux principes sont indiscernables;; ils ne sont pas des instances. La seule chose qu'on est en droit de diree c'est qu'i l y a difference, et non de quelle difference il s'agit. Freud parle de cee dont il ne peut pas parier. Il ne se laisse nullement « intimider » par son compatriotee qui lui prescrit de taire ce dont on ne peut pas parier (RP, 28). Il refuse dee se taire au moment oü le quid n'a plus de constance ni de contenu. Freud parle, puisquee le qttod- le 'i l y a', les effets de difference dans la vie pulsionnelle - Py incitent. .

Or,, ce a quoi on a affaire, selon Lyotard, dans la 'theorie freudienne', est d'unee «théorie-fiction ». Le pathos de la vérité, lié a la conviction et au pouvoir dee convaincre le public au moyen de procédures bien établies qui signalent la cloturee systématique qu'annonce la theorie - consistance interne et formelle de laa theorie, complétude du domaine des references (RP, 18) -, ce pathos se retir e pourr faire place a une « apathie passionnée ». « Une theorie des indiscernables nee 'prend corps' que selon un affect indécidable. Bien loin qu'elle puisse susciterr la conviction, elle ouvre une region affective nouvelle, celle de

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YapathieYapathie » (RP, 24). L'impassibilité, explique encore Lyotard, c'est 1'impossibilité,, 1'impossibilité « d'éprouver Ie oui et Ie non de la conviction ».

Tellee serait la diablerie en matière de theorie [...] qu'on préféré laisser courirr Ia puissance d Mn venter plutöt que consolider par des preuves les nouveautéss qu'on propose. Encore est-ce peu dire : on préféré se mettre enn situation d'avoir a inventer plutöt que de rester e position d'avoir a prouverr (RP, 25).

Freud,, Ie Freud de Jenseits des Lustprinzips, ne serait qu'un artiste spéculateur, unn inventeur de theories plutot que Ie scientiflque pour lequel il espérait tant passer.3 3

LeLe lapsus de la vérité

Quee le rapport thanatos-éros ne soit pas celui d'opposition, mais plutöt de la difference,, de la dissimulation et de 1'événement, cela force a penser une vérité en dehorss de la theorie systématique et en dehors de Ia logique conventionnelle. Dans Discours,Discours, figure, le chapitre intitule Topposition et la difference' traite de ce qu'onn pourrait nommer une 'logique inconsistante freudienne'. « La vérité ne se trouvee pas dans 1'ordre de la connaissance, on y lit, elle se rencontre dans son désordre,, comme un evenement » (DF, 135). La dichotomie suggérée sera caractéristiquee de la pensee lyotardienne. A Penvers de 1'ordre, il y a le désordre quii échappe aux cadres épistémologiques et autres schémas, et qu'on ne peut rencontrerr que dans un eclair. Lyotard poursuit: « La connaissance suppose 1'espacee de signification oü reside 1'ensemble des contraintes syntaxiques qui régissentt la consistance de son discours; et pour autant qu'elle soit discours référentiel,, elle requiert aussi 1'espace de designation au sein duquel le locuteur savantt jauge la reference de son discours » (DF, 135). Deux espaces sémantiques donee sont supposes a la connaissance: celui de la signification et celui de la designation,, deux espaces qui reviendront dans la terminologie du Différend commee les deux poles de 1'axe sémantique de la phrase, croisé par 1'axe pragmatiquee entre les poles du destinateur et du destinataire (D, n° 28,34,61-65).

Danss 1'ensemble de Discours, figure, ces deux instances désignent globalementt deux horizons intellectuels distincts, par rapport auxquels Lyotard cherchee a se positionner. La designation est 1'affaire de Ia phénoménologie, qui, depuiss sa naissance chez Husserl, est a la recherche de la chose même {die Sache selbst,selbst, cf. Ph, 9-40). La question de la phénoménologie est de savoir comment

33 Lyotard discute encore d'autres théories-fiction freudiennes, par exemple celle sur De Vinci et Michel-Angee et la psychanalyse du travail artistique. Cf. 'Freud selon Cezanne', in : DP, 74-75, 86-89. .

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Pesprit,, dans son rapport aux choses extérieures, peut les penser de maniere adequate,, sans les soumettre violemment aux exigences transcendantales du sujet Lee sujet et Pobjet sont impliqués Tun dans I'autre . Entre eux, c'est Ie rapport de 1'intentionnalit éé qui règne et qui prévaut comme condition de possibilité de la vérité. .

Laa signification, dans le contexte de Discours, figure, est surtout 1'affaire duu structuralisme, de la these que le sens est I'effet d'oppositions entre des signifiantss en soi sans significations. Il s'agit de ce que Lyotard nomme une 'dialectique'' de termes bien determines Tun par rapport a 1'autre. Les signifiants formentt un champ, une structure, dont la teleologie est la production de signification.. Dans cette perspective, il n'y a pas d'extériorité. Or ces 'reductions', dee la designation a 1'intentionnalité phénoménologique, et de la signification a la dialectiquee structural iste, sont critiquées par Lyotard a partir d'un troisième point dee vue, lui, freudien. La vérité n'est done pas une question de reduction structurale ouu eidétique, quoi qu'i l en soit pas pour Lyotard, qui Papproche de sa maniere freudienne.. « La vérité se présente comme une chute, comme un glissement et une erreur:: ce que veut dire en latin lapsus » (DF, 135).

Commee dans la theorie de Freud4 (et, dans son sillage, de Lacan), la vérité inconscientee ne peut se présenter qu'indirectement, dans des événements psychiquess et symptomatiques, comme le rêve, le Witz ou VEmfalL Ce qui est peut-êtree surprenant, c'est qu'ici , Lyotard va faire son mieux pour que Kant et Freudd se rejoignent. Il discute la problématique de la position et de Phétérogénéité, ett il se pose pour tache de rechercher « la possibilité de penser une relation sans Pincluree dans un système d'oppositions ».

S'ill est vrai que penser et placer Pobjet dans un tel système sont une mêmee chose, la possibilité de penser une relation sans la penser. Si Marx débouchee [...] sur la notion de Stellung, c'est parce que poser lui apparait commee ce qui dans le penser n'est pas pensé. Et il faudrait sans doute confronterr cette Stellung avec la Position dont Kant fait état dans Ia critiqu ee de Pargument ontologique pour faire entendre que precisément la differencee entre le pensé et le donné relève de la seute position de celui-ci, quee la pensee ne peut pas se dormer le donné, mais seulement le possible ett que si elle s'empare de celui-ci par un jugement analytique, elle ne peut penserr celui-la que par Pénigme d'un jugement synthétique. Et Pon sait quee cette synthese kantienne, è Ia difference de celle de Hegel, n'est pas a sonn tour réductible en analyse (DF, 139-140).

44 Sigmund Freud Der Witz und seine Beziehung zum Unbewufiten; Der Humor. Frankfur t ara Main:: Fischer Taschenbuch Verlag 1998. Du rapport entre humour et Pimpensable trait e notre 'Dee grondtoon van het mededogen. Een freudiaanse waardering van Benigni' s humor in La Vita èè bella', in: Hervormd Nederland/Voorlopig (55e jrg . n° 21). Den Haag, 1999, pp. 4-7.

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Nouss citons in extenso ce passage puisqu'il préparé nos chapitres concemant Ie denouementt de 1'intuitio n intellectuelle et la déschématisation (ci-dessous les chapitress 6 et 11) : Ie premier trait e de la source pré-critiqu e de Fargument ontologiquee et Ie second d'une déconstruction 'figurale' et freudienne de la clé de 1'énigmee du jugement synthétique, a savoir du schematisme. Cette déconstruction relèvee de la question lyotardienne de savoir comment une vérité événementielle peutt être pensee sans être réduite a 1'ordre du discours cognitif, phénoménologique,, structuraliste ou autre. Freud se présente ainsi comme critiqu e dee Kant: si la vérité survient comme par hasard, comme par surprise, d'oü vient-ellee ? Faudrait-i l discerner, a cöté des axes linguistiques un troisième aspect qui prendraitt la priorit é sur les deux autres ?

NaissanceNaissance psychoiogique de lafaculté dejuger

Laa question est posée dans Ie contexte d'une étude d'un tout petit article de Freud parr Lyotard, néanmoins riche d'idees : Die Verneinung (1925).5 Dans ce texte, Freudd étudie sa propre experience clinique, fors de laquelle il a observe que les patients,, dans leur discours, produisent des Einfalle (a traduir e comme invasions', 'irruptions '' ou 'trouvailles' ) qu'il s nient tout de suite, gestes qui conduisent 1'analystee a conclure que ces trouvailles touchent è une vérité inconsciente. Cette experiencee donne lieu (gibtAnlass) a quelques remarques, écrit-il . La negation par lee patient doit être le signe pour Finterprétant, dit-il , du contraire, doit être interprétéee comme affirmation : negation signifie affirmation de ce qui est proféré. Freudd en donne quelques exemples.

„Siee werden jetzt denken, ich wil l etwas Beleidigendes sagen, aber ich habee wirklic h nicht diese Absicht." Wir verstehen, das ist die Abweisung einess eben auftauchenden Einfalles durch Projektion. Oder „Sie fragen, werr diese Person im Traum sein kann. Die Mutter ist es nicht.1* Wir berichtigen:: Also ist es die Mutter. 6

Freudd cherche la légitimité de ce mode clinique de procéder, qui est au moins dignee d'intérêt, dans une explication simple.

55 Sigmund Freud 'Die Verneinung', in : Das Ich und das Es. Frankfurt am Main : Fischer Taschenbuchh Verlag, 1994 (1992), pp. 319-326. Le texte a donné matière aux reflexions répandues,, comme celle de Emile Benveniste ('Remarques sur la fonction du langage dans la découvertee freudienne', in : idem Problèmes de linguistique générale, 1. Paris: Gallimard, 1997 (1966),, pp. 75-87), Jean Hyppolite ('Commentaire parlé sur la 'Verneinung' de Freud', in: Jacquess Lacan Ecrits. Paris: Seuil, 1966, pp. 879-888), Jacques Lacan (ibid., pp. 369-400 ; aussi danss : Jacques Lacan Les écrits techniques de Freiw/(séminaire 1). Paris : Seuil, 1975, pp.87-101) ett Paul Ricoeur (De I'interpretation. Essai sur Freud. Paris: Editions du Seuil, 1965, pp. 332-335). 66 Freud Ibid, p. 321.

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Einn verdrangter Vorstellungs- oder Gedankeninhalt kann zum BewuBtsein durchdringen,, unter der Bedingung, daB er sich vernemen laBt Die Verneinungg ist eine Art , das Verdrangte zur Kenntnis zu nehmen, eigentlichh schon eine Aufhebung der VerdrSngung, aber freilich keine Annahmee des Verdrëngten. Man sieht, wie sich hier die intellektuelle Funktionn vom affektiven Vorgang scheidet.7

Laa negation est une sorte de censure discursive, qui fait entrevoir de maniere indirectee Ie contenu défendu, tout en gardant intacte Ie refoulement.

Freudd souligne que la conscientisation intellectuelle ne signifie pas du tout,, la disparition du refoulement, même si Ie patient accepte entièrement Pinterpretationn de ce qui ne voulait pas voir. L'ordr e de Paffect n'obéït pas a celui dee Pintellect. Mais Fhétérogénéité de ces deux ordres, n'empêche pas Freud de réfléchirr sur leur rapport. Peut-on tirer de 1'experience clinique quelques conclusionss quant a la naissance du jugement intellectuel dans Paffectivité psychologiquee ? Freud pense que oui.

Saa speculation théorique est a la première vue, comme Ie dit Lyotard, naïvement biologistee ou même materialise (DF, 124). Le jugement, écrit Freud en accord avecc la traditio n philosophique, est de deux sortes. Soit juger est valoriser une chose,, c'est-a-dire lui attribuer une propriété; soit juger porte sur Fexistence d'une chosee et c'est un jugement de réalité. Or ces deux jugements ont leurs racines propress dans deux 'comportements' psychologiques. Le jugement attributi f s'enracinee dans Pexpérience primair e de manger. « In der Sprache der altesten, oralenn Triebregungen ausgedrückt: [...] Das will ich in mich einführen und das aus mirr ausschliefien. »8 Le sujet-plaisir (Lust-Ich) donne valeur aux choses en les 'avalanff ou en le 'rejetant' . « Ainsi les jugements d'attributio n paraissent réductibless a des expressions des pulsions [de 1'Eros et de la pulsion destructrice] » (DF,, 124). Dans le jugement de réalité, il s'agit d'une Realitatspriifimg, qui relève dee Pintérêt du sujet-réel (Real-Ich) mais qui s*est développé è partir du Lust-Ich, egoo narcissique de 1'enfant. L'inquiétud e de 1'expérimentation de la réalité ne concernee plus la qualité des objets donnés dans rextériorité , et done leur aptitude a Tintrojection ,, mais il s'agit de savoir si la representation interne d'une chose correspondd encore k une chose existant réellement dans rextériorité . C'est une affairee de rapport entre reel et irréel.

77 Freud Ibid. A Ia fin de sa carrière il en est moins convaincu. « Das Nein des Analysierten ist ebensoo vieldeutig und eigentlich noch weniger verwendbar als sein Ja. In seltenen Fallen erweist ess sich als Ausdruck berechtigter Ablehnung; ungleich haufiger ist es AuBerung eines Widerstandess [...] » (Sigmund Freud 'Konstruktione n in der Analyse' (1937), in: idem Zur DynamikDynamik der Übertragung (Band 1480), Frankfur t am Main: Fischer Taschenbuch Verlag 1992, p.. 121). '' Freud Das Ich und das Es, p. 322

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Freudd 1'explique sur la base de la capacité psychologique de representation. La representationrepresentation (Vorstellung) primair e garantit la réalité de la chose, puisqu'elle se faitt au moment de sa presence. Disons, dans les termes de la première critiqu e : Fappréhensionn ne peut douter de Pexistence. L'incertitud e commence en revanche avecc la reproduction - terme également kantien - dans la mémoire d'une representationrepresentation qui n'est plus actuelle.

Diee Reproduktion der Wahrnehmung in der Vorstellung ist nicht immer derenn getreue Wiederholung; sie kann durch Weglassungen modifiziert , durchh Verschmelzungen verschiedener Elemente verandert sein. Die Realitatspriifungg hat dann zu kontrollieren, wie weit diese Entstellungen reichen.9 9

Lee sujet cherche dans 1'extériorité des objets reels pour les comparer avec ses representationss reproduites. Cette recherche est done une veritable re-cherche, un effortt en vue de retrouver (wiederzufinderi) les choses perdues. La réalité est pour lee sujet psychique un garde-fou a son propre état instable, aux Entstellungen qu'i l produitt involontairement. Freud ajoute encore que la perte de ractualité des choses estt la condition a la mise en acte de la ReaHtmspriifung, e'est-a-dire a la recherche. Insistonss done sur le fait que les processus primaires {Entstellungen) portent sur la constructionn des representations ( Vorstellungen).

Selonn Lyotard, il faut dans le texte freudien mettre Paccent sur ce dernier aspect.. Freud souligne que 1'opposkion 'sujet - objet', 'intériorit é - extériorité', n'existee pas dès le commencement du sujet psychique. D'abord, il faut que la penseee développe la faculté de reproduction, e'est-a-dire de representation en 1'absencee du referent. Si Ton parle done d'intériorit é ét d'extériorité, dans le cas de laa mise en valeur des choses par le Lust-Ich et de son complément dans le jugementt d'attribution , on risque de passer a cöté du narcissisme de 1'état psychique.. « Extérieur et intérieur ne coincident pas simplement avec craché et avaléé qui sont 'au début'. Le Recd-Ich n'est pas une autre figure du Lust-Ich » (DF, 124).. S'il a craché une fois, le 'sujet' narcissique ne sait phis rien de 1'objet rejeté. Laa pulsion destructrice n'a pas de mémoire. Il faut que la facuhé de reproduction see superpose a elle, pour qu'elle puisse se rendre compte que quelque chose se perde.. La conscience de 1'absence suppose la faculté de s'imaginer la presence de cee qui est absent. Or, dans la lecture de Lyotard, e'est ici que la negation linguistiquee va jouer son role et que tout soupcon quant a un materialisme naïf de laa part de Freud perd son fondement. Bon élève de Lacan, qui, lui aussi, soulignait lee caractere non-biologique de la pulsion,10 - et ainsi peut-être même,

100 Pour Lacan la scxualité ne peut s'installer que par rintervention de la langue; elle n est done pass biologique. « La pulsion freudienne n'a rien a faire avec 1'instinct [...]. Sa couleur sexuelle, si formellementt maintenue par Freud comme inscrite au plus intime de sa nature, est couleur-de-videe : suspendue dans la lumière d'une béance. [...] C'est 1'assomption de la castration qui crée le

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indirectement,, de Hegel - Lyotard voit la réalité naïtre avec la negation et Ie langage.. Néanmoins, sa position vis-a-vis du structuralisme, aussi face a celui de Lacan,, restera critique. Nous allons Ie montrer (voir ici même la section 'Au-delè dee Lacan').

TroisfoisTroisfois 'non': contradiction logique, opposition structurale, manque d'objet et dede sujet

Pluss qu'une reconstruction de la genese du jugement dans Ie psychologique, Lyotardd prend Ie texte de Freud comme une occasion d'articuler les deux axes linguistiques,, que sont 1'axe de designation et Paxe de signification. Freud, dans sonn interpretation de la negation du patient comme une affirmation de la vérité psychique,, opère selon Lyotard une sorte de basculement, dans lequel trois négativités,, trois sortes de 'non', jouent leurs roles.

Laa negation s'exprime tout d'abord sur Faxe de la signification, oü 'non' signifie 'non' ,, c'est-a-dire Popposé de 'oui\ C'est Ie premier non que discerne Lyotard : la negationn syntaxique,«la negation du grammairien et du logicien, qui est apparente danss les propositions negatives » (DF, 121).

Ensuite,, 1'expression du patient est langagière, et comme Ta montré la philosophiee depuis les sophistes jusqu'a Saussure, c'est par la negation que les termess peuvent se définir 1'un par rapport a 1'autre (DF, 120). Il ne s'agit pas du négatiff du jugement, mais du négatif qui est« Ie support muet» du langage, de la « négatitéé structurale » (DF, 121). « Il consiste en ceci que les termes du système n'ontt pas d'autres être que par leur valeur, et que celle-ci leur est entièrement confereee par les intervalles régies qu'il s entretiennent ensemble » (DF, 120). O cess deux négativités sont encore « horizontales ». Dans Ie langage, on peut juger pourvuu que la chose soit nommée. On peut aussi la determiner sur la base de ses rapportss avec d'autres termes dans Ie système de langage. Jusqu'ici, Lyotard ne faitt rien d'autre que reprendre Ie structuralisme.

Laa troisième négativité concerne 1'axe vertical de la designation. Il s'agit duu manque, dans Ie discours, de Pobjet référentiel dont il est question. C'est la thesee fondamentale de la dialectique hégélienne, de Sartre, de Blanchot et aussi de Lacan,, these de la mort de Pobjet au moment oü celui-ci trouve sa vie dans la parole.111 « La 'réalité* est ce qui échappe », est la formule de Lyotard (DF, 126).

manquee dont s'institue Ie désir. Le désir est désir de désir, désir de 1*Autr e [la mère], soit soumis a laa Loi [du nom du père]. » ('De Trieb de Freud et du désir du psychanalyste', in : Ecrits. Paris: Editionss du Seuil, 1966, pp. 851-852.) 111 Cf. Maurice Blanchot 'L e Dehors, la Nuit' , 'L e regard d'Orphée' et 'L'inspiration , le manque d'inspiration' ,, in : idem L 'espace littéraire. Paris : Gallimard, 1988 (1955), PP- 211- 247. Lyotard discutee le manque de Blanchot dans la perspective de la regression psychique irreversible et la pertee definitive de Pétat enfantin - perte de 1'immédiateté de Pobjet - dans DF, 356-357.

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Laa chose, pour être pensee et dite, doit être transferee a un ordre qui lui est étranger,, dont elle tir e néanmoins sa reconnaissance. Ou bien, comme Ie dit Kojève,, auteur qui a tant inspire toute cette generation de philosophes francophones: :

Tantt que Ie Sens [...] est incarné dans une entité existant empiriquement, cee Sens ou cette Essence, ainsi que cette entité - vivent. Tant que, par exemple,, Ie Sens ( ou PEssence) 'chien' est incarné dans une entité sensible,, ce Sens (Essence) vit: c'est Ie chien reel, Ie chien vivant qui court,, boit et mange. Mais lors que Ie Sens (1'Essence) 'chien' passé dans Iee mot 'chien', c'est-a-dire devient Concept abstrait qui est différent de la réalitéé sensible qu'i l révèle par son Sens, Ie Sens (1'Essence) meurt: Ie mot 'chien'' ne court pas, ne boit pas et ne mange pas.1

C'estt la « négativité intentionnelle », negation réelle (negatio realis) disait Kant -nouss renvoyons Ie lecteur au chapitre 'Existence et opposition réelle' -, qui est présupposéee au discours comme sa condition nécessaire, puisque, comme Pa soulignéé Benveniste a 1'instar de Frege (Sinn versus Bedeutung)1*, sans Paxe de designation,, sans que Ie discours ait un objet dans son extériorité dont il parle, aucunee signification ne saurait s'ériger. L'objet est toujours « impliqué » dans Ie discours,, « comme son intentionnalité », c'est-a-dire comme ce dont il est Ie discours. .

122 Alexandre Kojève Introduction a la lecture de Hegel. Paris, Gallimard, 1997 (1947), pp. 372-373. . 133 Gottlob Frege 'On sense and meaning' in : Translations from the philosophical writings of GottlobGottlob Frege. Oxford: Blackwell, 1980 (1952), pp. 56-85Le fameux texte de Frege dont on ne peutt exagérer 1'importance pour les premières reflexions lyotardiennes, n'était pas encore traduit enn fran9ais è 1'époque. Lyotard Pa rencontre, selon ses propres indications dans (DF, 105), dans saa version allemande et anglaise, grace a un cours donné par Ricoeur a Nanterre. Ricceur discute dee Frege par exemple dans La métaphore vive. Paris : Seuil, 1975, p. 274-276. Lyotard avait déjè düü rencontrer la distinction chez Husserl, qui la rejette en faveur d'une distinction entre Ausdruck ett Bedeutung, dont il découle la distinction entre Sinn et Bedeutung. Remarquons que la confusion terminologiquee (terminologische Verwirrung) dont parle Husserl est encore renforcee par Lyotard lorsqu'ill associe le sens au rapport sensoriel (rapport a la profondeur de 1'extériorité qui se fait sentir)) et la signification a 1'effet sémantique. En ce faisant, il retourne diamétralement la definitionn husserlienne qui, tributaire au paradigme transcendantal kantien, prescrivait: «In der Bedeutungg konstituiert sich die Beziehung auf den Gegenstand. Also einen Ausdruck mit Sinn gebrauchenn und sich ausdrückend auf den Gegenstand beziehen (den Gegenstand vorstellen) ist einerleii ». (Edmund Husserl Logische Untersuchungen 01/1, Unteruschungen zur PhanomenologiePhanomenologie und Theorie der Erkenntnis). Tubingen : Niemeyer, 1980 (1913), p. 54.) En prenantt parti pour Frege, Lyotard prend alors position contre la phénoménologie, c'est-a-dire contree la soumission du rapport sensoriel, du pathos, au logos. Disons que 1'intentionnalité phénoménologiquee cède la place a la 'tensionnalité' libidinale.

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Lee Non ne doit pas alors être pris seulement comme la position de VexclusionVexclusion au sein du système de la longue, on peut, et il faut, Pentendre aussii comme la position de Pexclusion au sein de laquelle s 'actualise tout discours.discours. La negation n'est pas seulement la qualité du jugement, elle est saa possibilité; pas seulement une categorie du discours, mais son lieu (DF, 118). .

Parr ce 'non', 1'objet (ou plutöt la chose du reel parce que Pobjet attend sa constitutionn de la part du discours), est place a distance de la parole. Le sujet d'énonciationn le tient de loin, comme dans une « vision »: la figure est le supplémentt nécessaire au discours, y est toujours impliquée. Autrement dit : la phénoménologiee est le supplément nécessaire au structuralisme. « Au premier sens,, le Non est la propriété formelle d'un segment d'un système clos, au second, il estt Pindice transcendantal de la reference, qui est ouverture » (DF, 118, cf. 74). Ce dontt le structuralisme se rend compte, la signification comme resultant de 1'oppositionn dans la structure entre au moins deux signes, la phénoménologie ne peutt le faire, et inversement, ce que la phénoménologie fait comprendre, le rapport dee la conscience aux choses extérieures, le structuralisme doit, en raison de son principee horizontal, nécessairement passer a cöté. Les deux perspectives sont complémentairess et incompatibles.

Quee 1'objet trouve sa mort au moment oü il est révélé par le discours, cela vaut a fortiorifortiori pour le sujet.

Laa négativité qui supporte le rapport de designation est la scission qui s'ouvrantt entre le discours et son objet nous donne è parier puis que nous nee pouvons dire et n'avons a dire que ce que nous ne sommes pas, et qu'i l estt assure qu'a Pinverse ce que nous ne pouvons pas dire, nous le sommes (DF,, 120).

Lee sujet de Pénonciation et le sujet de Pénoncé, pour emprunter la terminologie de Benveniste14,, Ie 'dire' et le 'dit' , pour emprunter celle de Levinas13, sont séparés, commee Ie sont Pobjet et le discours. Le sujet qui parte dans Pactualhé ne peut que resterr a distance du sujet dont il parle par reference. 'On parle, oü Pon n'est pas, et oüü Pon est, on ne parle pas'. La troisième sorte de Verneinung (negation), impliquéee dans la simple negation de la revelation discursive du refoulé, est ainsi Pindicee de la scission du sujet. C'est pour cette raison que Lyotard peut rapprocher laa theorie du déictique de Benveniste de Pexpérience clinique freudienne. La languee dispose bien d'indicateurs déictiques comme 'je' , 'ceci', 'ici' . « lis

144 Emile Benveniste 'L'apparei l formel de 1'énonciation' in : Problèmes de Hnguistique générale 2.2. Paris, 1974, pp. 79-88. 155 Emmanuel Levinas Auirement qu'être ou au-delè de l'essence. Dordrecht, 1978, pp. 6-9,58-76.

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attendentt leur 'contenu' de leur actualisation dans un acte de discours, [...] ils ouvrentt Ie langage sur une experience que Ie langage ne peut pas stocker dans son inventairee puis qu'elle est celle d'un hic et mme, d'un ego, c'est-a-dire précisément dee la certitude sensible. [...] Le sens d'un indicateur n'est pas, il ne peut qvfexisterqvfexister:: nous ne pouvons pas donner de definition de je, de ici en restant dans lee plan sémantique oü ils sont places. (DF, 39)16

Ainsi,, nous dit Lyotard, si Ton assimile Ia procédure syntaxique de negation a la fonctionn des 'indicateurs déictiques', on comprend la brutalit é de i'interpretatio n freudiennee d'un 'non' comme signiflant exactement son contraire,. Le 'non' n'est pass seulement une negation attributiv e (ou logique); il est aussi le signe de la negationn réelle, qui est plus fondamentale puisqu'elle est la condition du discours commee tel.

[Cettee negation] offre une vue sur les soutènements du discours, elle suggèree une trouée dans son plancher par oü nous apercevons un instant la distanciationn persistante qui maintient 1'ordre du langage a 1'abri de celui dess objets dont il parle et qui lui permet de les découper en toute indépendancee conformément a sa logique propre : comme une lucarne percéee sous Ie ventre d'un avion survolant la mer donne vue sur la mobilit éé de la surface liquide au-dessus de laquelle se soutient et s'avance 1'ordree de la raison technique (DF, 121).

Sii done le patient nie qu'i l a rêvé de sa mère, il ne fait que répéter «la negation qui estt la possibilité du discours comme elle exprime celle qui est la condition du systèmee de la langue » (DF, 123). Dans le jugement négatif 'ceci n'est pas ma mère',, les deux autres negations sont impliquées et, par Ie biais de 1'interpretation dee Lyotard, révélées. Il est done question d'une repetition d'une negation première danss la dénégation du patient C'est, selon Lyotard, la que se trouve la raison pour Freudd de vouloir expliquer la faculté de jugement sur la base d'une psychologie génétique.. C'est aussi la que nous trouvons la resistance de son texte contre une reductionn trop matérialiste, univoque et naive. Sans 1'intervention du langage, sans cee que Freud appelle le Verneinungssymbol et qu'i l compare è un label Made in Germany,Germany, il n'y aurait pas de différenciation entre 1'être et le discours, il n'y aurait pass d'extériorisation du premier par 1'installation du dernier, pas de prise de consciencee au prix de la mort de 1'être. « Réalité et désir naissent ensemble a Tentréee dans le langage » (DF, 125). Le jugement de réalité ne découle done pas d'unn processus materiel du jugement de 1'attribution , et les deux ne sont pas non

166 Les troi s sortes de negation reviendront dans Le Différend comme trois procédures requises par laa phrase cognitive pour l'établissement de la réalité d'une chose: signification, designation et nominationn (D., 56-92, pour une version abrégée voir LE, 111-113). Nous voulons référer ici au premierr chapitre oü nous résumons une critiqu e sur Bennington concemant le rapport entre Verstellung,Verstellung, itérabilit é et singularité.

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pluss directement engendrés par les rapports psychologiques d'bitrojectio n et de rejetrejet Par Freud, dans les années 1920, « Paccent est mis sur la constitution simultanéee de la réalité de la subjectivité et du désir par 1'éclatement d'une situationn originair e qui est celle de 1* identification et sur la fonction du langage danss eet éclatement » (DF, 125). Sous Ie régime du Lust-Ich, Ie 'sujet' enfantin, quii n'est pas encore un, baigne dans un milieu pulsionnel, marqué seulement par unn rythme de tension et de détente. La sortie de eet état et rentree dans 1'étrangeté duu langage vont de pair.

Lorsqu'unn enfant sort du ventre de sa mère, il pousse ce que nous appelons Iee cri primal. Étrange cri. Et que dit ce cri primal ? 'Je ne suis plus chez moi;; je suis en perte de moi-même; on m'a sorti de chez moi; je ne vais pluss être chez moi.'Lorsque ce même enfant commence è vivre, on parle autourr de lui, on parle de lui, on lui parle alors qu'i l ne sait pas parier. Done,, il est aliéné par rapport au langage (Alienation, 136).

Pertee de Pétat du narcissisme primaire, de 1'état de la jouissance ou de la douleur sanss reference ou signification, de la symbiose de Penfant avec sa mère.

Cettee errance narcissique precede robjectivation: elle est a celle-ci commee un art è une science. C'est avec Pentrée de 1'enfant dans Ie langagee que le + et le - de la jouissance peuvent être bascules sur 1'axe de laa reference ouvert par la designation et que la mère peut être distanciée commee un objet visible (DF, 126).

C'estt done par Ie langage, Ie symbole linguistique de la negation, que la distance entree discours et objet (t'épaisseur de la chose) et Ie principe de réalité (Ie Real-Ich)Ich) peuvent apparaïtre. Le langage ne les constitue pas, « il en est la raison phénoménologique,, non ontologique » (DF, 129).

DissimulationDissimulation libidinale: intrication dupositifet du négatif

Danss Die Verneimmg, il n'est done pas question, selon Lyotard, d'une reduction matérialiste. .

Cee qui est nécessairement suppose dans La Negation, c'est la mutation de laa pulsion en désir par son passage dans le langage, et c'est le fait, fundamentall pour Panaryste, que le jugement négatif, Non du grammairien,, dénégation du patient, est comme une repetition de Ia negationn constitutive du jugement, une repetition de la scansion

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pulsionnelle,, peut être [nous soulignons], mais détoumée dans la négativitéé de transcendance, dans Ie jeu de langage (DF, 127).

Commentt entendre ce 'peut être' ? Le désir naït avec Ie langage dans la vie des pulsions.. Ainsi le jugement, fondement de la connaissance et de la conscience - de 1'ordree symbolique dirait Lacan - est dérivé d'une maniere par le moins ambigue duu Moi-plaisir , qui « enveloppé dans la scansion pulsionnelle, se trouve a la fois impliquéé et refoulé dans une teleologie de la connaissance » (DF, 127-128). Le désirr n'est done pas équivalent è la pulsion, comme stipulait déja Lacan. Il y a une 'vie'' avant et sous-jacente a 1'ordre orienté par le manque (désir), une 'vie' pulsionnellee et affective qui, dans Discours, figure est encore discrètement traitée, commee une découverte faite dans le cadre d'une reflexion sur les rapports entre discourss et figure.17

Commee nous avons indiqué dans 1'introduction , cette 'pulsionnalité' discretee du figural prendra dans la suite de 1'ceuvre lyotardienne deux directions: cellee d'un naturalisme païen et celle d'une pensee de Pabsolu de 1'affect. En effet, c'estt dans ces deux 'derives', vers le libidinal et vers Yabsolu, que 1'on est appelé a chercherr i a recherche philosophique' de Lyotard. Cependant, le libidinal est introuvablee parce qu'i l est trop, exces et destruction de tout ordre dans lequel il pourrai tt être articulé; Vabsolu de Vinfans, de la 'phrase-affect' et de la Chose est tropp par son être singulier et sans rapports. Les deux derives se préparaient déjè danss rinterprétatio n de Die Verneinung par Lyotard, bien que de facon encore relativementt modeste. Accentuons les deux tendances.

Pourr Freud, la condition de la mis en lumière du refoulé, c'est-a-dire du contenuu de 1'image (Vorstellung) ou de la pensee (Gedanken) refoulée, c'est sa negationn discursive. Il faut souligner, pour comprendre la critiqu e de Lyotard de 1'interpretatio nn lacanienne, que cette negation, dans sa tripl e fonction -syntaxique,, structuraliste, phénoménologique -, a un effet double. Premièrement,, comme le souligne Freud, la negation représente le refoulé, mêmee de maniere negative. Deuxièmement, cette representation coupe le refouléé de son propre mode de presence. Le refoulé, la mère désirée, est représentéé dans la forme d'un jugement. En cela, se perd non seulement la positionn ontique et actuelle de la mère, mais aussi ce que Freud appelle le mode affectif,, dont le contenu est présent dans son état refoulé.

Diee Verneinung ist eine Art , das VerdrSngte zur Kenntnis zu nehmen, eigentlichh schon eine Aufhebung der VerdrMngung, aber freilich keine Annahmee des Verdrangten. Man sieht, wie sich hier die intellektuelle Funktionn vom affektiven Vorgang scheidet. Mi t Hilf e der Verneinung

177 Pour penser cette vie libidinale, Lyotard s'inspire surtout de Freud Jenseits des Lustprinzips (1920),, dont la 'theorie pulsionnelle' est caractérisée par auteur comme une « weitausholende Spekulationn »(Freud Ibid., p. 209).

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wirdd nur die eine Folge des Verdrangungsvorganges rückgSngig gemacht,, da6 dessen Vorstel lungsinhalt nicht zum Bewufitsein gelangt. [...]] Es gelingt uns [im Verlauf der analytischen Arbeit ] auch die Verneinungg zu bestegen und die volle intellektuelle Annahme des Verdrangtenn durchzusetzen - der Verdrangungsvorgang selbst ist damit nochh nicht aufgehoben. »18

Laa Verdrangung elle-même, en revanche, ne peut jamais être soulevée, parce quee sone Aujhebtmg (elevation) a lieu dans un 'langage' tout différent, incommensurablee et non-affectif. La transmission est Ie lieu d'un différend: Ie genree du discours analysant se superpose a la dénégation du patient, pour la nier.. Le patient perd la capacité de Fexprimer encore : son 'non' est 'oui' dans 1'oreillee clinique et c'est par le contre-transfert que finalement le patient aura a accepterr son propre 'non' comme un 'oui' et done a dire 'oui' , la oü il voulait diree 'non'. Le discours analytique ne laisse pas de place a la dénégation du patient.. De cela témoigne la comparaison didactique déja citée de Freud. « Die Verurteilun gg ist der intellektuelle Ersatz der Verdrangung, ihr Nein ein Merkzeichenn derselben, ein Ursprungzertifïkat etwas wie das Made in Germany.Germany. » 19 Sur 1'étiquette, on lit en anglais une reference a 1'allemand, languee du lieu de la fabrication, de la même maniere qu'on lit dans le jugement négatiff conscient 1'indication d'un 'langage' inconscient qui est tout autre, autre aa cause de Paffectivité. La Verneinung suppose la transmission entre deux espacess hétérogènes, qui crée nécessairement une perte du cöté du traduit . C'est surr cette perte, perte d'affectivité, que Lyotard met le doigt.

Verstellungg de la Vorstellung {creation du Verneinungssymbol)

Cee qui échappe a F attention de Lyotard, c'est que Freud parte de la creation du symbolee de negation. « Die Leistung der Urteilsfunktio n wird aber erst dadurch ermöglicht,, daB die Schöpfung des Verneinungssymbols dem Denken einen erstenn Grad von Unabhangigkeit von den Erfolgen der Verdrangung und somit auchh vom Zwang des Lustprinzip s gestattet hat. »20 Ce symbole indique Pinterventionn dans 1'environnement du Lust-Ich, d'un grand 'non' qui precede lee 'oui' ainsi que le 'non' intellectuels, un grand 'non' qui est comme 1'interventionn dans un grand 'oui' , le 'oui' de la pulsionnalité inconsciente. Et Freudd de poursuivre : « Zu dieser Auffassung der Verneinung stimmt es sehr gut,, daB man in der Analyse kein 'Nein' aus dem Unbewufiten auffindet und dafi diee Anerkennung des Unbewufiten von Seiten des Ichs sich in einer negativen

188 Freud Ibid, p. 321-322. 199 Freud Ibid, p. 322. 200 Freud Das Ich und das Es, p. 324.

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Formell ausdrückt». Il est affaire ici d'un rapport de co-implication, sinon d'une petitiopetitio principii. Pour ne pas réduire les remarques de Freud a un materialisme naïf,, Lyotard souligne 1" importance du symbole de dénégation qui fait brisure danss 1'état narcissique de 1'enfant. D'oü vient ce symbole? Lyotard ne Ie discutee pas. Mais on comprend, de 1'expression freudienne Schopfung des Verneinungssymbóls,Verneinungssymbóls, que son existence n'est pas donnée par la nature. Le symbolee vient de la culture, de la langue et du jugement, c'est-a-dire de ces domainess dont Freud a voulu comprendre la genese a partir de fonctions psychologiques.. Pour comprendre 1'engendrement de la langue, il faut done déjaa la présupposer ?

Ill n'est pas sur que Freud, peut être tacitement, n'ait pas eu Pespoir de pouvoirr trouver dans la Triebentmischung la source de la faculté de juger, d'un certainn naturalisme done. La creation du symbole de la negation serait done 1'effett du processus primaire. Or, Freud a décrit ce processus comme une evolutionn interrompue par reffet de retroaction. La creation du symbole de negationn résulte de la confrontation d'une chose présente a la perception en formee d'une Vorstellung directe et de Vorstellung, representee par la mémoire. Ellee s'enracine done dans le décalage qui reside dans la simultanéité de deux Vorstellimgen,Vorstellimgen, Tune fraïchement née dans la perception actuelle, 1'autre frui t de laa repetition. Les deux Vorstellimgen représentent chacune le même objet et leur co-présencee se fait malgré tout remarquer. Pourquoi ? Parce qu'au cours du temps,, le processus primair e (au début élaboré par Freud sous le signe du travail duu rêve), le processus de Verstellung a travaill é la Vorstellung placée dans les archivess de la mémoire. La Verstellung travaill é le Vorstellung et la Vorstellung-VerstellungVorstellung-Verstellung confrontée avec la Vorstellimg-Perception montre ces effets,, qui se produisent tacitement au cours du temps, dans un rapport incongruent.. La creation du Verneinungssymbol est 1'effet de la Verstellung, c'est-a-diree du processus primair e qui est la vie des pulsions. La negation du jugementt était la condition phénoménologique a Papparence de la perte de 1'objet;; elle suppose une autre negation, une 'negation affirmative ' pour ainsi dir ee - affirmativ e parce qu'inconsciente et 1'inconscient ne connaït pas de 'non' -- qui se développe dans le travail de 1'inconscient pulsionnel.

Less dénégations des Einfalle de ces patients ont poussé Freud è se prononcer sur laa genese de la faculté de juger a partir de la vie des pulsions. Cette vie est un désirr de 1'objet primair e perdu qu'est la mère et qui, dans son absence et son inaccessibilité,, va fonctionner comme une 'matrice' inconsciente. La perte presupposee la Verstellung, la deformation des Vorstellungen qui referent désespérémentt a cette 'mère'. Il faut la production reproductive d'une figure de mèree qui ne corresponde plus avec 1'image dans 1'expérience. La Verstellung travaill éé la Vorstellung, et ce travail est la fonction de ce que Lyotard appel 1 e la flgure-matricee (ou aussi simplement la matrice).

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Laa réalité est constituée è partir de 1'imaginaire. Ce qui est donné d'abord,, c'est Fobjet fantasmatique. La formation d'un objet 'reel' est unee épreuve qui correspond dans Ie sujet a la constitution du moi-réalité.. La réalité n'est jamais qu'un secteur de champ imaginaire auquell nous avons accepté de renoncer, duquel nous avons accepté de désinvestirr nos fantasmes de désir » (DF, 284).

Orr Ie parti pris de Lyotard pour Ie figural se manifeste ici. Contrairement aux suggestionss de Lacan, Lyotard ne croit pas qu'on puisse se défaire de la VerstellimgVerstellimg et de 1'imaginaire.

Danss sa 'Réponse au commentaire de Jean Hyppolite sur la Verneimmg dee Freud', Lacan explique comment dans la 'Vemeinung' on témoigne d'une positionn 'métaphysique' ou même mythique freudienne. Le rapport au réel perduu n'est pas de Fordre de Fobjet, puisque Fobjectivité ne se constirue qu'aprèss 1'instauration de Fordre symbolique et du discours. Pour cette constitutionn qui est 'ontique', le symbole de negation est presuppose. La premièree negation dont la creation du Verneinimgssymbol est la manifestation, nee concerne que la « relation du sujet [qui d'ailleur s ne Pest pas encore] a Pêtre, ett non pas du sujet au monde ».21 Ainsi s'installe la difference ontologique, differencee entre être et étant. « Nous sommes ainsi portés a une sorte d'intersectionn du symbolique et du réel qu'on peut dire immediate, pour autant qu'ellee s'opère sans intermediaire imaginaire, mais qui se mediatise, encore que cee soit précisément sous une forme qui se renie, par ce qui a été exclu au temps premierr de la symbolisation. »22 Selon cette interpretation, Forigine de Fordre symboliquee n'est pas autre que celle du réel, puisque la difference ontologique n'estt autre que la mouvance de Fêtre dans et par 1'être. Qu'i l y a de perte, on ne lee sait qu'a partir du logos, du symbolique et qu'i l y a du symbolique, cela n'est possiblee que grace a la perte d'etre. Lacan ne peut penser 1'imaginaire que dans cettee dialectique du réel et du symbolique, comme PefTort malheureux de synthese,, de regain de ce qui est perdu absolument. Ainsi, selon la critiqu e de Lyotard ,, le pathos (1'imaginaire) doit se plier devant le logos (le symbolique), le figurall devant le discursif. Mais la matrice est précisément la resistance contre cettee soumission, elle résiste au moyen de dissimulation, effectivité de la VerstellimgVerstellimg dans la representation, 'presence' du principe de mort dans les travauxx de Féros.

311 Jacques Lacan 'Réponse au commentaire de Jean Hyppolite sur Ia 'Vemeinung' de Freud', in : Jacquess Lacan Ecrits. Paris: Seuil, 1966, p. 382. 222 ƒ*»</., p. 383

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DifferenceDifference dissimulée dans I'opposition: I 'inexperience dans I'experience

Nouss avons commence ce chapitre par la remarque de Lyotard sur Ie caractère événementiell de la vérité. Sur Ie fond de ce que nous venons de dire concernant les deuxx axes qui constituent Ie langage - signification et designation -, il est possible dee mieux élaborer la these de la vérité comme lapsus. « La signification n'épuise pass Ie sens, mais la signification et la designation conjuguées non plus », écrit Lyotardd (DF, 135). Il y a quelque chose dans Ie sens qui échappe aux deux axes sur lesquelss s'érige la connaissance, et qui en est tout de même presuppose. L'oreille , Iee sens de la signification et done du système, et Fceil, celui de la designation et du sujet,, travaillent ensemble, mais leur collaboration est telle, qu'elle exclut aisément laa vérité qui surgit toujours comme inattendue, toujours comme evenement utopiquee et singulier.23 L'oreill e de la signification et 1'oeil de la designation doiventt se prêter a une attention librement flottante (DF, 136 ; sur cette difference sensoriellee voir ci-dessous chapitre 10).24 Comment les peuvent-ils ?

Lee double axe, designation et signification, repose sur une certitude perceptive.. Les choses vues et les significations entendues a leur sujet se croisent danss le corps humain. C'est pour cette raison que la connaissance a besoin d'une philosophiee du corps et de la chair, élaborée par la phénoménologie merleau-pontiennee (cf. Ph, 61 -64).25 Le mérite de cette phénoménologie est d'avoir enracinéé Fintentionnalité consciente dans le chiasme corporel qui lie, de maniere préréflexive,, conscience et monde, done signification et designation. Le corps, ou commee le dit Merleau-Ponty, la chair, est Fendroit du croisement chiasmatique, oü s'ancree la foi originelle en Fexistence et en la 'pensabilité' des choses. Ainsi Merleau-Pontyy a découvert la chair comme lieu de preparation pour la conscience 'phénoméno-logique'' du monde, sous la régie du logos. Or, la question critiqu e de Lyotardd est (et restera pendant toute sa vie) comment savoir que le préréflexif s'inscritt en effet dans une teleologie du logos ? Le corps n'est-il pas précisément aussii le lieu de F incertitude et du paralogique, comme le prouve Fexpérience émotionnellee ?

C'estt une mauvaise abstraction que de prétendre penser la perception en dehorss de Fémotion: il n'y aurait pas de possibilité d'émotion si notre prisee corporelle sur le monde n'était incertaine en son fond, si la possibilitéé d'un non-monde n'était donnée en même temps que sa

233 Pour 1' association de système avec la négativité structurele et du sujet avec la négativité désignatif-phénoménologiquee cf. par exemple DF, 138. 244 Cette attitude, conseillée par Freud pour la pratique clinique, revient coup sur coup dans les reflexionss de Lyotard. Il la considère comme une maniere de s'ouvrir en philosophie pour 1'absoluu ou le paralogique-libidinale. L'attention également flottante est en fait ce qui devrait se passerr dans le jugement réflexif (L'Inh., 39). 555 Maurice Merleau-Ponty Phénoménologie de la perception. Paris : Gallimard, 1996 (1945) et LL 'ceil et l'esprit. Paris: Gallimard, 19% (1964).

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'certitude' .. [...] Nous avons une experience (si Ton peut dire, alors qu'elle estt Farrêt de 1'expérience), une experience normale de cette 'inexperience' danss les faits de la jouissance et du sommeil (DF, 137).

III s'agit de la Verstellung de 1'expérience, qui est pensee par Lyotard, dans une approchee quasi-kantienne, comme connaissance par le croisement de 1'intuiti f (designation)) et du conceptuel (signification). Comment peut-on penser cette ** inexperience' qui, en fait, pourrait n'être simplement que la negation de 1'expériencee ? Quelle sorte de logique lui est-elle propre ?

Onn dira que cette inexperience requiert 1'expérience, qu'elle a pour ainsi diree des bords par lesquels elle touche ce qui est presentation, que même s'ill n'y a pas retention de la presence dans 1'orgasme ou le sommeil profond,, ils ne peuvent jamais être, on seulement pensés, mais 'vécus' que parr difference, qu'en opposition avec les états de prise sur le monde et d'être-la.. [...] Il faut distinguer cette difference de Fopposition dont on a ditt qu'elle est tout le secret de la signification dans 1'ordre du langage, et il fautt surtout la dissocier de la profondeur de la negation incluse dans 1'expériencee que le sujet a du signe (DF, 137).

Laa difference entre 1'état de sommeil et la presence consciente est d'un autre type quee l'opposition entre deux termes, autre aussi que la negation phénoménologique. Laa difference est de telle sorte qu'elle sépare et lie en même temps, qu'elle se fait devinerr par ses eflfets « jusque dans 1'ordre discursif et jusque dans 1'ordre perceptif,, sans même invoquer le silence et 1'obscurité, c'est-a-dire le néant de 1'un ett de 1'autre ordres »(DF, 138). Il s'agit des effets de la pulsion de mort, des effet d'unn « Oui de eet ordre qui vient déranger le Non du discours et le Non de la perceptionn » (DF, 138).

Lyotard ,, pour dormer un nom è cette difference qui vient semer Fincertitudee dans 1'ordre du discours (et dans le domaine sémantique) et dans 1'ordree de la réalité phénoménologique, 1'appelle un troisième « espace », celui de 1'inconscient. .

Laa difference est proprement 1'inconscient. En penetrant dans 1'espace du signifiantt ou du signifié, elle transgresse le système des oppositions réglées,, elle occulte le message, elle bloque la communication, elle trait e less phonemes, les lettres, les mots comme des choses, elle interdit que 1'oeill ou 1'oreille reconnaisse le texte ou la parole, F'entendent'. Et quand ellee s'empare de 1'espace de designation, de vue, elle porte atteinte au contourr qui révélait Fobjet et nous permettait de le reconnaitre, a la bonne formee qui faisait se tenir ensemble dans le champ du visible la multiplicit é

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dess elements plastiques données. Elle nous entraine dans un autre monde, sanss visage et sans forme reconnaissable (DF, 285-286).

Laa difference est (1'effet de) la Verstellung dans Fordre du reconnaissable, de la cooperationn impossible - complémentarité de 1' incompatible - de la signification et dee Pexpérience désignative, effet qui en soi n'est que méconnaissance et qui ne fait see signaler que comme 'parasitaire' sur Pordre qu'elle vient déstabiliser. Pour se fairee sentir, la difference travaill e 1'opposition.26 Il s'agit de la difference énergétique,, pensee par Freud comme une tension produit par charge et décharge énergétique.. (DF, 350)

DifferenceDifference sensorielle comme topos 'para-phénoménologique' et les trois figures

Ouu situer la difference, comment la comprendre ? Si la connaissance de la réalité exige,, au moins, les deux operations de signification discursive et de designation figurative,figurative, une cooperation done entre 1'oreille et 1'ceil, nous pensons que dans la penseee de Lyotard la difference est avant tout celle qui determine Ie rapport entre less deux sens (voir ci-dessous Ie chapitre 10). Cette 'difference sensorielle' comportee une ambiguïté. Elle doit lier deux facultés hétérogènes. Liaison de ce qui nee peut être Hé, il faudrait parier peut-être de 'cooperation'. Il est clair qu'une telle

266 Critiquant la conception lyotardienne de la difference, la groupe u (Francis Edeline, Jean-Marie Klinkenberg,, Philippe Minguet) , s'appuyant sur la primauté épistémologique de Imposition, rejètee Ie 'figural', en l'identifïant d'abord - faussement selon nous - avec Ie visuel et en soutenant ensuitee son statut de 'signifiant' sémiologique. Le groupe se fait un peu plus de soucis sur la distinctionn entre 'opposition' et 'difference'. « Selon [Lyotard] le problème de 1'homme actuel est dee ne pas accepter la 'difference' (et par la, il faut entendre la difference pure, radicale, celle qui nee peut donner lieu è aucune reconnaissance). En tant qu'elle est hors système, la difference 'va dee pair avec 1'angoisse*. [...] La tactique humaine pour refouler la difference - hors système au departt - est de 1'intégrer au système en en faisant un pole d'une opposition. Ce qui transforme évidemmentt son statut, car elle est alors 'récupérée' et devient intelligible. » La critique du groupee est un argument ad hominem. « Lyotard semble en effet juger de maniere negative (au nomm de critères moraux ?) la manoeuvre de finalisation des differences. Ce jugement montre que lee philosophe privilegie personellement une lecture dionysiaque des messages visuels. Mais on ne peutt soutenir qu'il existe un extérieur au système oü tout serait difference absolue et risque integral,, auquel s'opposerait un intérieur oü tout serait clair et rassurant » On ne peut parier de la puree extériorité qu'en philosophic, tandis que existentiellement « le système lui-même n'est pas donné,, mais a été construit progressivement, en repérant et en structurant des differences. Or, mêmee a 1'état discipline d'opposition sémiotique, les differences continuent bel et bien a être ressentiess comme une hétérogénéité anxiogène. » Autrement dit, on refute Lyotard au nom de 1'existencee et de la genese du système. Mais pour pouvoir faire cela, il faut d'abord identifier la differencee avec 1'extériorité du visuel. C'est mal interpreter Discours, figure. La difference n'est quee la force déstabilisante qui émane dans la fente entre intuition et système et qui s'appose sur less deux ordres, sur celui du discours aussi bien que sur celui de la figure (forme et image). (Groupee u Traite du signe visuel. Pour une rhétorique del'image. Paris: Seuil, 1992, p. 25-26.) "" Lyotard 1'identifie aussi è la force, présupposée au signe qui réfere h un autre signe ou a une chosee (DF, 78). Cette force significative, il appellera dans Economie libidinale par le nom « signe tenseurr »(EL, 71).

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cooperationn est instable dans son fond. Elle exigera des reductions et des exclusions,, une reduction géométrique pour Pordre désignatif, une reduction logiquee pour 1'ordre significatif.

Enn dépit de telles reductions, le rapport restera incertain. C'était problématiquee aussi pour la critiqu e de Kant. Les lois pures de 1'intuitio n et celles dee la logique ne sont pas compatibles. Leur compatibilité exige une troisième 'logique',, une 'logique* de liaison et de la coexistence de Phétérogène. Une 'logique'' qui assemble 1'esthétique et la logique et qui s'appelle transcendantale. Celle-cii est née des mains de Kant, qui en a fait Finvention. Pour pouvoir discerner,, et done pour éviter 1'amphibologie due au principe leibnizien d'indiscernabilité,, il faut avoir un signe, une indication de 1'incompatibilit é de 11 'opposition réelle et de 1'opposition logique (ci-dessous chapitre 7 ). Le lapsus de laa vérité critiqu e est ce signe, puisqu'il se présente comme Pirréductibl e qui crée dee la difference en insérant du processus primair e dans Pordre secondaire. Le lapsuslapsus est le signe que quelque chose résiste dans la consistance significative et désignative,, dans la connaissance done. C'est ainsi que la problématique de la differencee a sa place dans 1'affaire de la trouvaill e et de 1'anamnese de la critique.

Laa logique de la difference est essentiellement ambigue sinon aporétique, puisqu'ellee doit rendre possible la liaison de Fhétérogène. De cette hétérogénéité, ill n'y a pas d'apparition directe. Elle est, dans ce sens, 'para-phénoménologique\ Laa difference doit faire deux choses è la fois, lier et séparer, ce qui explique que Lyotardd 1'associe avec le processus primair e de 1'inconscient qui, lui aussi, travaill ee des representations de maniere double.28 C'est la oü la philosophic doit se mettree a 1'écoute de la psychanalyse. La difference n'est pas 1'opposition, ni réelle, nii logique. Elle est ce qui la rend possible et la menace en même temps. La differencee est la logique sous laquelle se présente la vérité du singulier et de 1'inconscient.. La difference représente la logique de 1'événementiel.

Commee nous allons élaborer cette perspective sur la critiqu e transcendantale a la finfin de notre étude, il suffit pour le moment de noter que la 'difference sensorielle' estt présentée par Lyotard sous le titr e d'« articulation du figural avec le discours »

288 C'est pour cette raison que nous avons des doutes sur Fadéquation du titr e qu'a donné Peter Dewss è son livre, d'ailleur s remarquable, dans lequel il discute 1' oeuvre de Lyotard. II n'existe pass de logique de désintégration en dehors de Fintégration. Egalement nous ne croyons pas pertinentt la caracténsation qui gouverne le quatrième chapitre : 'Jean-Francois Lyotard : From Perceptionn to Desire*. Le désir n'est pas extérieur, mais travaill e la perception et le discours de Pinténeur.. (Peter Dews Logics of Disintegration. Post-structuralist Thought and the Claims of CriticalCritical Theory. London, New York: Verso, 1990). Cela est rendu manifeste par Lyotard, par exemple,, dans Economie libidinale, oü le dispositif secondaire (par-excitation) de la perception et dee la connaissance est considéré comme un effet provisoirement stabilise de « la bande libidinal e ».. « II n*y a pas de difference notable entre une formation libidinal e et une formation discursive, pourr autant que Pune et Pautre sont des formations, Gestaltungen. Un dispositif libidinal , considerée-- précisement comme stabilisation et même stase ou groupe de stases énergétiques, est, formellementt examine, une structure »(EL, 36).

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(DF,, 283 ff.), ou tout simplement, comme i e figural'. Le 'figural ' est Ie terme fabriquéé par Lyotard pour exprimer cette force différentielle qui est présupposée auxx deux ordres de la connaissance, mais qui n'a pas été pensee par leurs sciences, aa savoir respectivement phénoménologie pour 1'intuitio n et structuralisme pour Pentendement.. Le figural n'est pas le pictural , ni 1'imaginaire ou le géométrique, il travaill ee ces figures que Lyotard nomme « figure-image » et « figure-forme ». Maiss il travaill e également 1'ordre discursif (au moyen de calembours, de tropes et d'autress 'trouvailles' discursives, comme nous allons 1'expliquer dans le chapitre suivant). .

Lee figural [...] ne déconstruit pas seulement le discours, mais la figure en tantt qu'image reconnaissable ou forme bonne. Et sous le figural, la difference,, non la trace tout court, la presence-absence tout court, indirféremmentt discours ou figure, mais le processus primaire, le principe dee désordre, la poussée a la jouissance; non un intervalle quelconque séparantt deux termes dans le même ordre mais une ruptur e absolue d'équilibr ee entre un ordre et un non-ordre (DF, 328).

Lyotardd situe le figural dans une source « pseudarchique », équivalente de la « figure-matricefigure-matrice ».

Sii la matrice est invisible, ce n'est pas parce qu'elle relève de 1'intelligible, c'estt parce qu'elle reside dans un espace qui est encore au-dela de 1'intelligible,, est en ruptur e radicale avec la regie de {'opposition, est entièrementt sous la coupe de la difference. [On comprend] que cette propriétéé de Pespace inconscient, qui est aussi celle du corps libidinal , d'avoirr plusieurs lieux en un lieu, de bloquer ensemble ce qui n'est pas compossible,, est le secret du figural: transgression des intervalles constitutifss du discours, transgression des distances constitutives de la representation.. Les représentants de mots et les représentants de chose qui sontt les rejetonss de la matrice héritent de celle-ci leur deviance (DF, 339).

Commee la difference est 1'effet de 1'inconscient, les trait s que Freud lui donne valentt aussi pour elle. « Il est impossible de ne pas voir que les operations 'figurales'' présentent les mêmes trait s par lesquels Freud a cherché a situer 1'ordre 'inconscient':: 'absence de contradiction, processus primair e (mobilité des investissements),, intemporalité et substitution è la réalité extérieure de la réalité psychique'' » (DMF, 119-120).29 Il y a la pure positivité (1' inconscient ne connaït pass de 'non', comme on vient de voir), du sexe inhumain et de Patemporalité.

Danss 1'inconscient I'opposition masculin - féminin est inconnu. « Sur 1'autree scène, explique Lyotard, les sexes ne sont pas complémentaires (DF, 141).

Freudd Das Unbewusste in: Das Ich unddas Es> p. 138-139.

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D'oü,, avant 1'introduction de 1'enfant dans Ie langage, la phase du narcissisme primaire ,, caractérisé par une sexuatité amorphe ou, comme Ie veut Freud, porymorphe.. En effet, remarque Lyotard, Freud ne veut pas dire que 1'enfant puissee vivre la sexualité comme force dialectique entre les sexes. En ce sens, il n'y aa pas de sexualité enfantine. Il s'agit d'un sexe non-humain, « inhumain » dit Lyotard ,, d'ailleurs è 1'instar d'Apollinair e (L'Inh , 10). « Le Non du sexe non-humain,, inhumain {unmenschlich), indique la difference, une autre position (scène) quii depose celle de la conscience, celle du discours et de Ia réalité » (DF, 141). C'estt Ie 'non' de la pure positivité, le 'non' qui ne 1'est pas, *non' de Pindifférence (DF,, 154).

Dépourvuu de négativité, Pinconscient se trouve également avant la temporalitéé successive.

Ichh gestatte mir an dieser Stelle ein Thema flüchtig zu berühren, écrit Freudd dans Jenseits des Lustprinzips, welches die gründlichste Behandlungg verdienen würde. Der Kantsche Satz, daB Zeit und Raum notwendigee Formen unseres Denkens sind, kann heute infolge gewisser psychoanarytischerr Erkenntnisse einer Diskussion unterzogen werden. Wirr haben erfahren, daB die unbewuBten Seelenvorgange an sich ,zeitlos' sind.. Das heiBt zu nachst, daB sie nicht zeitlich geordnet werden, daB die Zeitt nichts an ihnen verëndert, daB man die Zeitvorstellung nicht an sie heranbringenn kann. Es sind diese negative Charaktere, die man sich nur durchh Vergleichung mit den bewuBten seelischen Prozessen deutlich machenn kann.30

Lyotardd voit dans les effets de la difference sur Popposition temporelle - la successionn suppose cette opposition a cause de Penchainement de moments presentss et absents -, Patemporalité inconsciente. Par exemple, Patemporel se 'manifeste'' (sans être jamais manifeste) dans le sentiment d'Unheimlichkeit, apparentéee a la pensee magique et au travail de la déconstruction. « L'opposition estt la condition de possibilité du système préconscient, y compris de la temporalité,, Ia difference est sa menace d'impossibility » (DF, 154). La thématique d'unee troisième temporalité, hors du temps de Phorloge, même hors du temps de Pexperiencee phénoménologique vécue, restera centrale a Poptique de Lyotard. C'estt en effet la source, dans laquelle il puisera coup sur coup pour déconstruire Pordree secondaire.32 L'hors-temps (ou le para-temporel; FD, 19) déconstruira par

300 Freud Jenseits des Lustprinzips in: Das Ich und das Es, p. 213. 311 Sigmund Freud 'Das Unheimliche' in : Der Moses des Michelangelo. Schriften über Kunst und Künstler.Künstler. Frankfur t am Main: Fischer Taschenbuch Verlag, 1993. Nous avons élaboré ce theme danss 'L a Magie et le Magique : figures philosophiques de I'auto-debordance'. In: Aries n°. 21, Paris:: Archè/Edidit , 1998, pp. 29-61. 322 Pour ne donner que quelques exemples: dans La confession d'Augustin, il est question d'un « collapsee du postérieur et de I'antérieur » (CA 21), d'une « syncope » (CA 22, 33), de la naissance

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exemplee Ie schematisme kantien, c'est-a-dire la condition de possibilité de la synthesee a priori de Pintuition et de Pentendement, directement üée a une conceptionn lineaire du temps (cf. ci-dessous Ie chapitre 11).

LaLa theorie nait d 'une affaire de l 'art

Douzee ans après sa Verneinung, Freud s'explique, et ne rend legitime son interpretationn de Pévénement de negation dans Ie transfert et Ie différend qu'elle impliqu ee plus que dans Ie contexte d'une reconstruction large de 1'histoire psychiquee du patient.33 Comment autrement 1'analyste peut-il se croire en droit d'appliquerr Ie principe cruel de 1'analyse, qui s'articule dans la formulation d'unn critiqu e de Freud, comme « Heads I win, tails you lose » et qui ainsi ne semblee qu'un affront contre Pethique, c'est-a-dire un 'différend' ? « Wenn [ein Patient]] uns zustimmt, dann ist es eben recht; wenn er aber widerspricht, dann istt es nur ein Zeichen seines Widerstandes, gibt uns also auch recht. » Freud donnee un critère communicationnel, un critère de transfert. Une fausse interpretationn de la part de Fanalysant se révèle dans Pindifférence du cóté de FF analyse, indifference qui doit fonctionner flnalement comme signe décisif.

Restee que Panalysant doit se méfier de la vérité d'un 'oui' ou d'un 'non' ,, la speculation, basée sur Pexpérience clinique, n'apparait ici que comme purementt arbitraire . « Es ist richtig, daB wir ein 'Nein' des Analysierten nicht alss vollwerti g hinnehmen, aber ebensowenig lassen wir sein 'Ja' gelten ; es ist ganzz ungerechtfertigt, uns zu beschuldigen, daö wir seine AuBerung in alien Fallenn in eine Bestatigung umdeuten. » Tout dépend de la situation clinique présente.. Le cas singulier Pemporte sur la theorie, pas Ie contraire.

Sii done la Verneinung s'ouvre par la remarque que les Einfalle des patients donnentt lieu pour lui (gibt uns Anlafi) a quelques remarques intéressantes, ces remarquess ne paraissent être théoriques que parce qu'elles concernent le rapport entree les besoins naturels et psychologiques, et la naissance de la faculté de juger.. « Da es die Aufgabe der intellektuellen Urteilsfunktio n ist, Gedankeninhaltee zu bejahen oder zu verneinen, haben uns die vorstehenden Bemerkungenn zum psychologischen Ursprung dieser Funktion gefuhrt. » Les EinfalleEinfalle des patients provoquent done des remarques, qui è leur tour conduisent aa Porigine du jugement (Ursprung der intellektuelle Urteilsfunktion). Cependant,, la question de Porigine du jugement presuppose ce qu'elle cherche, aa savoir la faculté de juger. Elle relève done indubitablement de la speculation.

duu temps dans 1'oubli inherent a 1'existence (CA 35) et du « cryptage de rintemporel dans le temporel»» (CA 100). 333 Sigmund Freud 'Konstruktionen in der Analyse' (1937), in: idem Zur Dynamik der ÜbertragungÜbertragung (Band 1480). Frankfurt am Main: Fischer Taschenbuch Verlag 1992, pp. 113-128. 344 Freud Das lch unddas Es, p. 322.

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Sii nous sommes témoins de la naissance d'une (petite) theorie a partir des Einfölle,Einfölle, a partir disons des 'trouvaille s psychiques', ces 'trouvailles' ouvrent la voiee è la trouvaill e d'une 'vérit é psychologique' qui, étant speculation, ne se prêtee tout de même a une application directe. La theorie dans 'Die Verneinung' est,, dirai t Lyotard, une théorie-fiction.

Facee a 1'inconnu et a 1'impensable, que sont 1'inconscient ou 1'origine, onn peut, selon Lyotard, ou bien se renfermer dans une vision théorique clöturée, excluantt ce qui s'annonce du cöté du patient ou en general du cöté de 1'autre et dee 1'altérité, ou bien s'ouvrir a eet 'au-dela' en lui prêtant attention librement et enn 1'invitant a travailler sur sa propre position théorique. Dans ce dernier cas, on nee pretend pas fabriquer de la «terreur théorique », mais plutöt des « parodies » (RP,, 28-29).

Laa destruction de la theorie ne peut avoir lieu que selon cette parodie ; ellee ne consiste nullement a critiquer la theorie, puisque la critiqu e est elle-mêmee un Moment théorique dont on ne saurait attendre la destructionn de la theorie. Détruir e la theorie est faire, une, des pseudo-théoriess ; Ie crime théorique est de fabriquer des theories-fictions. Freud désiree pour son discours la Lockerheit; ou laxité, comme pour 1'inconscientt des artistes (RP, 29).

L'attitud ee artistique de Lockerheit (RP, 23), il faut la comparer a 1'attention (également)) flottante et a 1'association libre, ces prescriptions cliniques que donnee Freud respectivement aux analystes et aux patients. Dans cette attitude, il s'agitt de passibilité et d'attente, de wandering, de 1'attitude du flaneur qui trouvee ici et lè ce qu'i l n'a pas cherché. C'est 1'attitude d'ouverture a des trouvailles,, c*est-a-dire a des illuminations, des inventions ou des découvertes. Exigeantt cette attitude du théoricien pratique qu'i l est lui-même, Freud dote la psychanalysee de Yaura de 1'art.

Or,, pour Lyotard, c'est dans une atmosphere similaire que Ia philosophie devrait s'immerger.. « L'activit é théorique-fïetive portera dans Ie discours philosophiquee la même puissance de wandering qui agit dans les arts et les sciencess » (RP, 29). La philosophie devient done art par la mediation de la psychanalyse,, dont elle hérite la faculté de libr e réceptivité. Un art, elle Test danss Ie sens d'une hospitalité pour 1'au-dela du pensable - une hospitalité done quii est aporétique puisqu'elle ne sait recevoir, en défaut de receptacle -, art qu'ellee est aussi dans Ie sens qu'elle ne peut qu'apprendre des arts plastiques et sonoress a rechercher 1'introuvable et a trouver ce qu'on n'a pas cherché. Anamnesee est Ie terme qui couvre cette recherche partagée par les arts, la philosophiee et la psychanalyse. Si sur un mode théorique, Ie chapitre suivant va traiterr de eet 'au-delè-qui-fait-chercher', il ne nous faut pas oublier que la

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theoriee n'est en elle-même qu'une expression dans laquelle se sédimente la recherchee anamnésique et, en prétendant être théorie-vérité, qu'elle reste tout de mêmee théorie-fiction (RP, 30).

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