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-« Une stèle funéraire trouvée dans le port de Calvi », (with J-L. Massy), Arabica, vol. 63,...

Date post: 27-Apr-2023
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© koninklijke brill nv, leiden, ��4 | doi 10.1163/15700585-12341288 Arabica 6� ( �0 �4) �63-�69 brill.com/arab Une stèle prismatique du v e/xie s. découverte en Corse Carine Juvin Musée du Louvre, DAI Jean-Luc Massy Conservateur Général du patrimoine Résumé  Cette courte note présente une inscription inédite : un fragment de stèle funéraire tunisienne datable du ve/xie s. Le fragment a été découvert dans les eaux du port de Calvi en Corse en 1969. L’épitaphe, le style épigraphique et le décor sont replacés au sein de la production tunisienne et principalement kairouanaise. Ce fragment vient s’ajouter à d’autres stèles musulmanes médiévales découvertes dans le sud de la France, qui témoignent des échanges entre les deux régions de la Méditerranée et des remplois insolites de ces pierres funéraires. Mots clés épigraphie – stèle funéraire – épave – Tunisie – Kairouan – Corse Abstract This short note is presenting an unpublished inscription : it is a fragment of a tunisian tombstone, datable from the 5th/11th c. which was found under the water in the port of Calvi, in Corsica, in 1969. Its epitaph, epigraphic style and decoration are put back in the context of tunisian, especially Kairouan, production. This fragment is to be added to other muslim tombstones that were discovered in the South of France, testifying to the exchanges between these two Mediterranean areas and to the curious re-use of these funerary stones.
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© koninklijke brill nv, leiden, ���4 | doi 10.1163/15700585-12341288

Arabica 6� (�0�4) �63-�69

brill.com/arab

Une stèle prismatique du ve/xie s. découverte en Corse

Carine JuvinMusée du Louvre, DAI

Jean-Luc MassyConservateur Général du patrimoine

Résumé 

Cette courte note présente une inscription inédite : un fragment de stèle funéraire tunisienne datable du ve/xie s. Le fragment a été découvert dans les eaux du port de Calvi en Corse en 1969. L’épitaphe, le style épigraphique et le décor sont replacés au sein de la production tunisienne et principalement kairouanaise. Ce fragment vient s’ajouter à d’autres stèles musulmanes médiévales découvertes dans le sud de la France, qui témoignent des échanges entre les deux régions de la Méditerranée et des remplois insolites de ces pierres funéraires.

Mots clés

épigraphie – stèle funéraire – épave – Tunisie – Kairouan – Corse

Abstract

This short note is presenting an unpublished inscription : it is a fragment of a tunisian tombstone, datable from the 5th/11th c. which was found under the water in the port of Calvi, in Corsica, in 1969. Its epitaph, epigraphic style and decoration are put back in the context of tunisian, especially Kairouan, production. This fragment is to be added to other muslim tombstones that were discovered in the South of France, testifying to the exchanges between these two Mediterranean areas and to the curious re-use of these funerary stones.

164 Juvin et massy

Arabica 61 (2014) 163-169

Keywords

Epigraphy – tombstone – wreck – Tunisia – Qairawan – Corsica

Un fragment de marbre présentant une inscription arabe fut mis au jour en 1969 en milieu immergé, dans les eaux du port de Calvi à une profondeur de 12 m, au milieu d’autres pierres. Le document fit aussitôt l’objet d’une déclara-tion d’épave maritime (DEM)1. La localisation du point de découverte est assez sommaire : l’on sait seulement que celui-ci se situe dans la zone du port de commerce, un secteur constituant un point apprécié de mouillage ou d’abri.

Aujourd’hui égaré, nous ne disposons plus pour ce document que de trois photographies prises à l’époque2. Celles-ci montrent en effet que ce marbre a séjourné dans l’eau, posé à plat sur le sable vaseux. Seule la partie inférieure, en contact avec le fond, est restée quasi intacte, tandis que la partie supérieure a subi les atteintes d’organismes lithophages et de l’érosion marine altérant considérablement le relief des inscriptions.

Il s’agit de la partie médiane d’une stèle funéraire prismatique (L. 27 cm ; l. 11 cm ; H. 16 cm). Cette forme en prisme allongé, qui peut atteindre dans cer-tains cas 1,5 à 2 m de long, est caractéristique de l’Occident islamique, particu-lièrement aux ve-vie/xie-xiie siècles. La forme générale, le style épigraphique, les motifs décoratifs de cette stèle évoquent plus particulièrement la Tunisie. Les stèles prismatiques y était employées à côté de stèles réutilisant des fûts de colonne ou de plaques verticales. Ces stèles tunisiennes réutilisaient des éléments d’architecture antique, disponibles en abondance ; ainsi les stèles prismatiques remployaient souvent des éléments d’architrave, ce qui explique la présence d’ornements propres à l’architecture antique classique comme les filets de chapelets sur certaines d’entre elles3. Typiquement, notre fragment comporte deux niveaux superposés d’inscriptions, sur les deux faces, réalisées en un coufique fleuri assez simple, quelques tiges fleuronnées venant coiffer certaines lettres (face 1, registre inférieur) tandis que les lettres nūn et kāf (face

1 DEM en date du 20 juin 1969 par Marcel Lagrange (AM 05/69). Information transmise à la Direction de l’archéologie sous-marine (DRASM) à Marseille sous l’enregistrement DR ; 37/69.

2 Conservées dans les archives du DRASSM, celles-ci peuvent être consultées directement dans la base mémoire du Ministère de la Culture, archéologie : www.culture.gouv.fr/public/mistral/memoire_fr : arrn01_20092b00924xy_p ; arn01_20092b00923xy_p ; arn01_20092b00922xy_p.

3 Pour des considérations générales sur ce type de stèle, voir Mustapha El Habib, Stèles funérai-res kairouanaises d’époques fatimide et ziride, Thèse non publiée, Paris, École Pratique des Hautes Études, 1972, et du même auteur : « Stèles funéraires kairouanaises du iiie/ixe au ve/xie siècles. Étude typologique et esthétique », Revue des Études Islamiques, 43 (1975), p. 227-85.

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1, registre supérieur) se terminent en « col de cygne ». La base est soulignée d’une frise végétale de demi-palmettes adossées, alternant avec un fleuron inscrit dans un enroulement de tige. Une bande à motif de chevrons sépare les deux registres d’écriture.

L’épitaphe puise à un répertoire de formules, connu pour les stèles tuni-siennes, associées différemment selon les inscriptions. Le fragment ne contient pas de nom ni de date :

Face 1 Registre supérieur :

]م[ن كل مصيبة و خلفا من كل ]هالك[« [en Allah il y a une consolation] de tout malheur, une compensation de tout [défunt] . . . »

 Registre inférieur :

]فهو الس[بيل املورود و املنهل املقصود قال اهلل« [Elle (la mort) est le che]min de passage et le point vers lequel on se dirige, Allah a dit . . . »

Face 2 Registre supérieur : illisible

 Registre inférieur :On y lit le début de la profession de foi (šahāda) qui devait se prolonger ensuite :

ان ال إله إال اهللDe nombreuses stèles prismatiques comparables, tant au niveau de la forme générale que du décor et du type d’écriture en coufique fleuri, sont connues en Tunisie, provenant principalement des cimetières de Kairouan et de Monastir4.

4 Voir notamment : Bernard Roy et Paule Poinssot, Inscriptions arabes de Kairouan, Paris, (« Publications de l’Institut des Hautes Études de Tunis », II/2), 1950 ; Slimane Mostafa Zbiss, Corpus des inscriptions arabes de Tunisie, 2e partie : Inscriptions de Monastir, Institut National d’Archéologie et d’Art, Tunis, La Presse, 1960 ; Slimane Mostafa Zbiss, Corpus des inscriptions arabes de Tunisie, 2e partie : Nouvelles inscriptions de Kairouan, Institut National d’Archéologie et d’Art, Tunis, La Presse, 1977 et Mustapha El Habib, Stèles (thèse).

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Une stèle en particulier, conservée au musée de Monastir et datée de 466/1073, présente exactement les mêmes frises décoratives. S.M. Zbiss l’attribue à un atelier de Kairouan (cette stèle comporte par ailleurs, fait rare, la signature du lapicide) et estime que la date a été apposée dans un second temps – qui ne doit toutefois pas excéder quelques années5. Une autre stèle, provenant de Kairouan6, datée de 435/1044, présente des éléments décoratifs identiques et utilise en outre la même formule que celle du registre inférieur (face 1) de notre fragment, formule assez peu courante qui se retrouve sur quelques stèles de Kairouan, datées entre 429/1037-8 et 442/1050-17.

La présence de cette stèle funéraire du ve/xie s. immergée dans la baie de Calvi est intrigante. Au-delà des nombreux raids musulmans sur les côtes sud de la Corse, enregistrés par les sources dès le iiie/ixe siècle, aucune implan-tation durable d’une population musulmane, qu’elle vienne de l’Espagne, de Sicile ou de Tunisie n’est attestée, ni par les textes ni par l’archéologie8. Il faut donc écarter l’éventualité d’une origine locale de cette stèle. Du reste, son attribution à une production tunisienne ne fait aucun doute. L’hypothèse d’une stèle tunisienne importée pour un musulman qui serait mort en Corse paraît aussi peu plausible. L’on doit toutefois mentionner, pour mémoire, les quelques stèles prismatiques assez semblables (et entières), souvent datées du ve/xie siècle, trouvées en Italie du Sud et en Sicile. L’une d’elles, conservée au musée archéologique de Palerme, porte le nom d’un défunt originaire de Kairouan. La Sicile étant alors sous domination musulmane, une fabrication locale, influencée par la Tunisie toute proche peut dans ce cas être avancée9.

Il faut également rappeler que la découverte de cette stèle musulmane sur le territoire français méridional n’est pas un unicum. Plusieurs autres décou-vertes ont été publiées, notamment dans Arabica. Ainsi, deux stèles funérai-res médiévales, plus probablement d’origine algérienne, ont été trouvées en Provence10. L’une, datée du ve/xie siècle, fut retirée en 1901 des décombres de l’ancienne cathédrale de Marseille, l’autre avait été utilisée en remploi dans

5 Zbiss, Inscriptions de Monastir, n° 19, p. 37-8, pl. V, 19.6 Catalogue de l’exposition De Carthage à Kairouan, musée du Petit Palais, Paris, RMN, 1983,

n° 283, p. 213.7 Pour un recensement voir le Thesaurus d’épigraphie islamique, en ligne : http ://www.epigra-

phie-islamique.org, fiches n° 606 ; 608 ; 653 ; 670 ; 11949 ; 12322 ; 15787.8 Georges Jehel, L’Italie et le Maghreb au Moyen Âge : Conflits et échanges du VIIe au XVe

siècle, Paris, PUF, 2001, p. 22-4.9 Voir Francesco Gabrieli et Umberto Scerrato, Gli Arabi in Italia, Milan, Libri Scheiwiller,

1979, p. 156-7, fig. 162 à 165. 10 Marie-Madeleine Viré, « Trois marbres funéraires arabes », Arabica, 3/1 (1956), p. 91-2, pl.

I-II.

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Arabica 61 (2014) 163-169

les murs du château d’Eyguières (datant des xiie-xiiie siècles). Par ailleurs, deux autres stèles à inscriptions coraniques, attribuables aux ve-vie/xie-xiie siècles, ont été découvertes dans le Roussillon : l’une dans l’église Saint-André de Sorède, l’autre dans la commanderie des Templiers de Masdeu à Trouillas11. Enfin, signalons encore quatre autres stèles toujours datables des ve-vie/xie-xiie siècles, provenant de la région de Montpellier et remployées dans les murs d’édifices plus ou moins anciens12.

La seule explication tenable ici est que nous sommes en présence d’une par-tie de lest de navire destiné, soit à maintenir temporairement un navire dans ses lignes en remplacement d’une cargaison déchargée13 ou en appoint d’une cargaison insuffisamment lourde, soit destiné de façon permanente à corriger un problème de gîte résultant d’une asymétrie. Le fait que l’inventeur ajoute dans sa description du fond marin, la présence de « pierres » renforce cette pro-position. Dans ce contexte, ce lest appartenait vraisemblablement à un navire ayant assuré une liaison commerciale avec le sud du bassin méditerranéen, en l’occurrence la Tunisie, et relâchant à Calvi. Si l’on doit tenir compte d’un probable laps de temps écoulé entre la fabrication de la stèle et la déshérence de la tombe à laquelle elle était attachée, les exemples de liens avec cette partie nord de l’Afrique sont bien trop nombreux au cours des époques médiévale, moderne et contemporaine, pour nous risquer à privilégier une période parti-culière pour le déplacement de cette pierre. La réutilisation et le déplacement de stèles funéraires pour une autre tombe ou pour un usage différent sont, certes, occasionnels mais bien attestés14. Il est particulièrement intéressant de mentionner deux témoignages qui entrent en résonance avec notre fragment. En premier lieu, le musée de l’Institut du Monde Arabe conserve une stèle,

11 Pere Ponsich et Antonio Pladevall Font, Catalunya romànica, 14 : El Rosselò, Barcelone, Enciclopèdia Catalana, 1993, articles « Sant Andreu », p. 355-6 et « Trullars », p. 430-2.

12 Publiées par Jacques Jomier : « Deux fragments de stèles prismatiques conservés à Montpellier », Arabica, 1/2 (1954), p. 212-3 ; « Deux nouveaux fragments de stèles pris-matiques conservés à Montpellier », Arabica, 19/3 (1972), p. 316-7 ; « Notes sur les stèles funéraires arabes de Montpellier », Islam et chrétiens du Midi (XIIe-XIVe s.), (« Cahiers de Fanjeaux » 18), Toulouse, E. Privat, 1983.

13 Au contraire, une fois un chargement lourd effectué, le lest inutile peut être jeté par-des-sus bord.

14 Ainsi plusieurs stèles du cimetière de La Mecque présentent deux épitaphes (une sur chaque face) distantes parfois de moins d’un siècle : voir Thérèse Bittar, Pierres et stucs épigraphiés : Musée du Louvre, département des Arts de l’Islam, Paris, Musée du Louvre/RMN, 2003, p. 126-30, n° 48, pour une stèle conservée au musée du Louvre, ainsi que Ḫalīfa l-Ḫalīfa et al., Aḥǧār al-Maʿlā l-šāhidiyya bi-Makka l-Mukarrama, Riyad, Wizārat al-tarbiya wa-l-taʿlīm, wikālat al-āṯār wa-l-matāḥif, 2004, n° 152 A/B, p. 183-4 et n° 519 A/B, p. 565-6.

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probablement iranienne, vers les ive-ve/xe-xie siècles, qui a été retaillée pour être transformée en ancre15. Malheureusement, elle fut acquise sur le marché de l’art et sa provenance est inconnue. Enfin, une autre stèle tunisienne du ve/xie siècle, elle aussi aujourd’hui disparue, aurait été retrouvée le long des côtes sud du Vietnam vers 190016, probablement délestée d’un navire ; elle atteste des périples hasardeux et des changements de fortune qu’ont pu parfois connaître ces témoins de tombes.

15 Inv. AI 94-26, voir Marie Foissy (dir.), L’album du musée, Paris, Institut du Monde Arabe/Somogy, 2012, p. 285. Elle est par ailleurs mentionnée, sans donner son lieu de conserva-tion actuel, dans : Claude Guillot et Ludvik Kalus, « Réinterprétation des plus anciennes stèles funéraires islamiques nousantariennes : II. La stèle de Leran (Java) datée de 475/1082 et les stèles associées », Archipel, 67 (2004), p. 33-4, fig. 7.

16 Ludvik Kalus, « Réinterprétation des plus anciennes stèles funéraires islamiques nousan-tariennes : I. Les deux inscriptions du “Champa” », Archipel, 66 (2003), p. 63-90.

Figure 1 Fragment de stèle, face 1photos : Jacques Angles. © Ministère de la Culture, DRASSM.

169Une stèle prismatique du ve/xie s. découverte en Corse

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Figure 2 Fragment de stèle, face 2photos : Jacques Angles. © Ministère de la Culture, DRASSM.

Figure 3 Relevé de l’inscription de la face 1


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